(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 613) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Kirsch, garde-champêtre à Glabbeek, demande exemption du droit d’enregistrement pour la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée. »
M. de La Coste – Messieurs, je demande la permission d’arrêter votre attention sur cette pétition. Il ne s’agit pas ici d’une localité puissante ou d’électeurs influents, mais d’un obscur individu qui peut être dans la position de plusieurs autres ; il s’agit d’un individu simple garde-champêtre qui a demandé sa naturalisation et l’a obtenue ; mais l’instruction de sa demande ayant duré fort longtemps, par des causes indépendantes de sa volonté, entre autres par la maladie d’un de nos collègues qui avait été chargé du rapport, cet homme est obligé de payer une somme à laquelle il ne saurait atteindre, ou de renoncer à sa naturalisation et à ses moyens d’existence.
Je prierai les membres de la commission des pétitions de vouloir bien fixer leur attention sur les détails que je viens de donner.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Sluse demandent la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »
« Même demande du bourgmestre de Werm et des habitants de Neerespen. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Plusieurs cultivateurs de Bredem demandent une augmentation du droit d’entrée sur les céréales. »
M. Rodenbach – Une pétition nous est adressée d’une commune de la Flandre occidentale tendant à obtenir une augmentation de droit d’entrée sur les grains. Je demande le renvoi de cette pétition à la commission d’industrie, avec invitation de faire un prompt rapport. Les céréales commencent à baisser ; il faudrait songer à protéger notre agriculture. Voilà pourquoi je demande un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
(page 614) M. de Renesse fait connaître la composition des bureaux des sections de janvier :
Section 1er. Président : Devaux ; vice-président :Delfosse ; secrétaire : Pirson ; rapporteur de pétitions : David.
Section 2e. Président : Lange ; vice-président : E. de Burdinne ; secrétaire : de Naeyer ; rapporteur de pétitions : Zoude.
Section 3e. Président :Thyrion ; vice-président : Thienpont ; secrétaire : Van Cutsem ; rapporteur de pétitions : Mast de Vries.
Section 4e. Président : Lys ; vice-président : Wallaert ; secrétaire : de Meester ; rapporteur de pétitions : de Man d’Attenrode.
Section 5e. Président : de Theux ; vice-président : Scheyven ; secrétaire : Kervyn ; rapporteur de pétitions : Huveners.
Section 6e. Président : Coppieters ; vice-président : de La Coste ; secrétaire : de Corswarem ; rapporteur de pétitions : Simons.
M. Cogels – Il est à regretter, messieurs, que la proposition qui nous occupe aujourd’hui, n’ait pas été soumise à la chambre dès le début de la session. Depuis trois mois, on est vivement préoccupé de la position du cabinet, et, on doit en convenir, cette préoccupation a nui singulièrement à l’expédition des affaires. J’espère donc, quel que soit le résultat de la lutte engagée aujourd’hui que ce résultat sera décisif, et qu’après cela on pourra s’occuper non plus du cabinet, mais des projets de lois qui attendent une solution.
Après les orateurs que vous avez entendus dans la séance d’hier, j’ose à peine réclamer votre attention. Mais on a fait un appel aux défenseurs du ministère ; on a dit qu’il n’en trouverait pas ; je réponds à cet appel. On a été plus loin, on a dit que, dans cette enceinte, il ne trouvait que des votes, et pas une seule adhésion franche et sincère, que dans les couloirs, dans la salle des conférences, au sortir de la chambre, toutes les opinions étaient en contradiction avec les votes émis. Je ne saurais accepter un compliment aussi peu flatteur.
Je pense qu’aucun de mes collègues ne sera disposé à l’accepter plus que moi.
On a parlé des salons de la capitale, où on était unanime pour blâmer le ministère. Je ne sais à quels salons on a voulu faire allusion. J’ai l’honneur d’être admis dans quelques salons. J’y ai entendu blâmer quelquefois le ministère, mais j’ai entendu blâmer bien plus sévèrement encore la conduite de l’opposition. Vous voyez que, dans les salons, il n’y a pas l’unanimité qu’on a présentée.
Un membre – Quels salons ?
M. Cogels – J’ai l’honneur d’en fréquenter de plusieurs espèces, de plusieurs nuances d’opinion.
On parlera peut-être de l’opinion de la presse. On sait ce que c’est que la presse de l’opposition de tous les pays. Lisez les journaux français : M. Guizot est l’homme de l’Angleterre, il a perdu la dignité, l’honneur de la France ; il l’a compromise à Taïti, en Espagne, au Maroc, à Tanger. Lisez les journaux anglais ; c’est M. Guizot qui mène lord Aberdeen par le nez ; lord Aberdeen a abaissé l’influence de l’Angleterre en Espagne, en Grèce, en Belgique. Lisez les journaux des deux pays, la Belgique se moque de la France et de l’Angleterre par son traité avec le Zollverein. Ne nous étonnons pas que le ministère belge soit accusé de céder devant l’Angleterre, devant la France ; c’est un prêté rendu.
On nous a dit que le ministère ne trouverait pas de défenseur. Il est vrai qu’il en a trouvé jusqu’ici de fort peu nombreux. La chose est fort naturelle. Quand l’accusé ne se sent pas coupable, et qu’il brille par le talent, la défense de l’avocat doit toujours paraître pâle à côté de celle de l’accusé lui-même ; les bancs ministériels comptent des athlètes assez vigoureux pour pouvoir se passer de mon faible secours. Mais on nous a accusé de ne voter qu’en tournant la tête. Voilà un reproche que je ne saurais accepter ; voilà pourquoi je me suis décidé à parler. J’ai toujours voté front levé ; je n’ai jamais caché mes actes, dissimulé mon opinion, lors même que ma position électorale pouvait me conseiller de tenir une conduite contraire. Mais je n’obéirai jamais qu’à une seule loi, celle de mes convictions, quoi qu’il puisse en advenir.
On a fait un appel à notre franchise, je répondrai encore à cet appel ; je parlerai avec une franchise pleine et entière, dût-elle blesser les susceptibilités assez irritables de l’opposition.
Qu’il me soit permis de passer en revue les événements dont j’ai été témoin depuis que je suis entré dans cette chambre. A peine j’y siégeais depuis deux mois que j’ai vu tomber le ministère qui avait eu la direction des affaires pendant plus de cinq ans. Tout le monde se rappelle au moyen de quel revirement de majorité cette chute fut amenée. Je ne m’y associai pas. Je m’en applaudis. A peine le vote était-il émis, qu’on s’aperçut qu’on avait joué le jeu de ses adversaires. On voulut revenir sur ses pas, le mal était fait, il était trop tard. C’est alors qu’on vit venir au pouvoir un ministère composé exclusivement de membres d’une seule opinion. Ce ministère, dans son programme, professa des principes de modération qui me permirent de lui accorder mon appui. Cet appui, je le lui accordai loyalement, franchement, dans tous les actes importants ; son peu de durée ne lui permis d’en poser qu’un très-petit nombre ; je l’ai appuyé dans tous les actes importants qui furent soumis à la chambre pendant sa courte durée ; ce n’est qu’à regret et non sans hésitation que j’ai retiré mon appui à ce cabinet. On me rendra cette justice de reconnaître que je n’ai pas fait de l’opposition aux hommes, car je me suis plu à rendre hommage à leur caractère ; que si j’ai voté contre eux, c’est parce que la position du cabinet ne me paraissait plus tenable. Il se trouvait dans la même position où s’est trouvé quelques mois plus tôt le ministère Melbourne en Angleterre. Là également se trouvait une majorité douteuse et flottante qui ne permettait de soumettre à la chambre avec quelque chance de succès, aucune loi importante. Le ministère anglais tomba, il demanda à la Couronne la dissolution de la chambre, elle lui fut accordée. Le ministère de 1840 avait demandé également la dissolution des deux chambres ; mais la Couronne, usant sagement de sa prérogative, la lui refusa. C’est alors qu’on vit venir au pouvoir l’honorable M. Nothomb, dont la mission fut, comme il vous l’a dit lui-même, de se poser comme barrière entre les opinions extrêmes à quelque nuance qu’elle appartinssent ; de rallier les hommes modérés de toutes les opinions. Cette politique, j’ai cru pouvoir m’y associer, sans approuver pour cela tous les actes émanés du ministère. La chambre a pu s’en convaincre, chaque fois qu’il a fait des propositions, que ma conviction me disait de combattre, je les ai combattues, mais je n’ai jamais fait ni d’opposition systématique, ni d’opposition aux personnes.
Ce qui m’a engagé encore à accorder mon appui au ministère, c’est la très-courte expérience que j’avais acquise dans les deux premières années. J’ai vu que, dans tous les gouvernements constitutionnels, les ministères étaient dans une position extrêmement difficile : pendant les sessions, par les luttes constantes, personnelles qu’ils ont a soutenir contre l’opposition, contre les intérêts locaux qui se produisent sans cesse ; en dehors des sessions, par les luttes contre ces mêmes intérêts locaux, contre les solliciteurs de toute espèce. On peut le dire vraiment : dans tous les gouvernements constitutionnels, les ministres sont comme les cultivateurs de l’Algérie qui, tout en labourant leur champ sont obligés de faire le coup de fusil. Il n’est pas étonnant que leur sillon soit tracé avec moins de régularité que dans les pays où la culture jouit d’un régime plus paisible. Mais voyons, messieurs, quelle a été la conduite de l’opposition pendant ces quatre années ? On a reproché au ministère d’être inhabile à opérer cette conciliation qu’il a inscrite dans son programme. Mais ce qui se passe dans cette chambre ne vient-il pas démentir cette assertion, à moins que nos débats ne reflètent plus les luttes du dehors ?
Ainsi que l’honorable M. Dechamps vous la dit, les deux premières années qui se sont passées depuis l’avènement de M. Nothomb, toutes les attaques de l’opposition étaient dirigées contre la majorité, contre le noyau de cette majorité qui avait toujours vu se rallier autour de lui toutes les opinions modérées. On ne voulait plus lui accorder la qualification de catholique, parce que tout le monde prétendait avoir un droit égal à cette qualification. On ne voulait pas lui accorder la qualification de modéré, parce que c’eût été faire son éloge.
Ne pouvant pas nommer les choses par leur nom, on feuilleta le dictionnaire et on y chercha des qualifications de toute espèce ; mais toutes également fausses, toutes également inexactes.
C’est ainsi qu’on nous appela parti rétrograde, clérical, réactionnaire, obscurantin, et on changea tous les jours de qualification, sans obtenir plus de succès dans les définitions.
Depuis l’avènement du ministère actuel, messieurs, ces attaques ont complètement cessé. Loin de vouloir nous exclure du pouvoir, comme on le faisait en 1840, loin de vouloir nous exclure de toute participation au pouvoir, on avoue que nous avons droit à y prendre une large part. On vient même nous convier à nous en emparer exclusivement. On vient nous dire que, dans la situation actuelle de l’opposition, elle n’est pas redoutable, qu’elle n’est ni disposée ni habile, à s’emparer du pouvoir.
Messieurs, n’est pas là un véritable progrès dans la voie de la conciliation ? Ou bien tout ceci ne serait-il qu’une tactique peu loyale, et ne voudrait-on sortir de la situation actuelle qu’en montant sur nos épaules ?
Quant à moi, messieurs, je vous avoue que je ne me permettrai pas un semblable soupçon. Ce serait faire injure à la franchise de l’opposition. Je me bercerai donc d’un doux rêve de conciliation jusqu’à ce que l’opposition elle-même soit venue détruire mes illusions.
Mais, messieurs, on nous a fait un reproche plus grave, et ici il faut prendre les choses au sérieux. On a parlé de corruption ; on a insinué que le ministère ne régnait que par la corruption.
Combinez cette assertion avec celle que l’on avait déjà émise sur la contradiction qui se trouverait entre les votes d’honorables membres de la chambre et leurs opinions, et vous verrez combien le reproche est grave. Ici, messieurs, ce n’est pas une injure faite au ministère, c’est une injure faite à toute la majorité.
Quant à moi, messieurs, je vous avoue que j’ai fait un examen très-rigoureux de conscience ; mais je n’ai pu découvrir encore par où j’étais corrompu, et je prie les honorables membres de l’opposition de me l’indiquer ; qu’ils me désignent comme le germe de corruption qu’ils croient remarquer en moi, pour que je puisse l’extirper aussitôt. (On rit.) Messieurs, je cherche partout et je ne trouve pas plus de germe de corruption dans mes honorables collègues que je n’en trouve en moi-même. Et si un honorable membre de l’opposition, dans un accès de puritanisme chagrin, me demande où sont encore les membres incorruptibles, je lui dirai : vous et moi ; et j’espère que tous mes honorables collègues seront disposés à lui faire la même réponse.
Messieurs, ces accusations de corruption ne jettent pas seulement la déconsidération (page 615) sur le ministère, elles ne la jettent pas seulement sur la majorité ; mais elles jettent la déconsidération sur tout le pays. Et elles sont d’autant plus fausses, qu’on peut dire qu’il n’y a pas de pays qui, plus que la Belgique, soit exempt de corruption, il n’y a pas de pays où les fonctionnaires publics aient donné dans la chambre plus de preuves d’indépendance. J’en trouve des exemples à droite, j’en trouve à gauche, j’en trouve partout. Qu’on cherche en France, qu’on cherche en Angleterre, on verra s’il y a eu dans les chambres de ces deux pays, de la part des fonctionnaires publics, autant d’exemples d’indépendance que dans les chambres belges. Qu’on en parle donc plus de corruption. La probité, la moralité politique existent dans la chambre comme dans le pays ; elles ne sont détruites que dans l’imagination de l’opposition.
On a parlé des échecs successifs du ministère ; mais où sont ces échecs ? Si je parcours les votes dans la dernière session, je vois que tous les budgets ont été votés à une majorité beaucoup plus forte que sous aucun autre ministère ; je vois que, dans les questions politiques, il y a eu une minorité presque imperceptible. L’année dernière, la question politique a été posée à propos du budget de l’intérieur ; on a trouvé 17 voix qui ont protesté contre la majorité. Dans la question de la conversion, dans la question d’emprunt (question de confiance, tout à fait de confiance ; car il s’agissait de très-grandes opérations financières) la presqu’unanimité ; pour la loi des pensions, rejetée sous le ministère précédent, 58 voix contre 14 ; pour la loi des jurys d’examen, 56 voix contre 33.
Je n’abuserai pas des moments de la chambre, en faisant une énumération plus longue. Vous connaissez tous les votes qui ont été émis.
On a reproché également au ministère les modifications qui se sont opérées dans son sein. On a fait un reproche à l’honorable ministre de l’intérieur d’être venu se rasseoir sur ces bancs après les avoir quittés. On a fait à l’honorable M. Mercier un reproche d’être venu s’associer à l’honorable M. Nothomb, qu’il avait toujours combattu. On a fait le même reproche à l’honorable M. Dechamps : on lui a reproché de s’être assis sur des bancs où son opinion n’était pas, disait-on, suffisamment représentée.
Si, dans les gouvernements constitutionnels, les ministres devaient toujours se retirer en masse et toujours reparaître en masse, le gouvernement deviendrait impossible ; alors, il faut le reconnaître, le gouvernement constitutionnel serait le pire des gouvernements ; car il n’y aurait plus de choix pour la Couronne ; il n’y aurait plus pour les membres du ministère la possibilité de se retirer, quand leur position leur commanderait et de se retirer isolément.
Voilà pour les reproches généraux.
Venons maintenant aux questions de détail.
On a reproché au ministère sa conduite :
Dans la loi sur les indemnités ;
Dans la loi sur les sucres ;
Dans la loi sur les jurys d’examen ;
Dans la loi sur les droits différentiels ;
Dans le traité avec le Zollverein ;
Dans la présentation de la loi sur les entrepôts francs ;
Dans le retrait de la loi des céréales.
La question des indemnités, c’est l’honorable M. Lebeau qui a fait ce reproche. Mais quelle a donc été la conduite qu’ont tenue les cabinets précédents ? A-t-on oublié que la première loi des indemnités était une véritable loi d’aumône ? A-t-on oublié que les amendements présentés le 2 décembre 1840, ne demandaient que 5,765,000 fr. en inscriptions 3 p.c., et partie en numéraire ? Et a-t-on oublié que la loi que nous avons obtenue et qui certainement n’a pas satisfait à nos justes exigences (et ici je rends hommage à l’honorable M. Lebeau et à plusieurs autres honorables membres de l’opposition qui nous ont vigoureusement soutenus dans cette discussion) ; a-t-on oublié que la dernière loi des indemnités accordait beaucoup plus qu’avait voulu accorder aucun des ministères précédents ? Je ne ferai qu’une seule observation : ou bien vous vous étiez trompés alors, ou bien vous croyiez que les victimes des événements de la révolution avaient droit à des indemnités plus fortes ? et alors pourquoi proposiez-vous de leur accorder moins ?
La loi des sucres, messieurs, a été démolie non pas par le ministère ; elle l’avait été d’abord par la section centrale, et l’ouvrage de la section centrale a été démoli par la chambre ; je me glorifie d’avoir pris une large part à cette démolition je reconnais que la loi qui nous régit actuellement est tout à fait vicieuse, tout à fait insuffisante, et j’ai entendu avec regret un honorable membre, pour lequel je professe la plus profonde estime s’écrier : « Mais le trésor est satisfait. » Ah, messieurs, il ne suffit pas, dans les questions de finances, que le trésor soit satisfait.
Si le trésor doit s’enrichir aux dépens du commerce, aux dépens de l’industrie, aux dépens de la fortune publique, c’est tuer la poule aux œufs d’or. Il faut qu’une loi fiscale soit basée d’abord sur la fortune publique ; dès qu’elle est destructive de cette fortune publique, elle est mauvaise. Je ne saurais donc assez insister sur la présentation d’un nouveau projet de loi et j’espère bien que si le gouvernement reste en retard, la commission d’industrie usera de son droit d’initiative pour faire une proposition à a chambre car elle est saisie de la question.
Maintenant, messieurs, venons-en à la loi du jury d’examen. On a blâmé vivement la conduite que le ministère a tenue dans la discussion de cette loi.
On en a fait même le seul grief clairement articulé dans le projet d’adresse, présenté par l’honorable M. Osy. Singulier grief que celui de l’adhésion à un ajournement, réclamé par toutes les opinion et adopté par la chambre à l’unanimité moins une voix ! L’honorable M. Osy a dit que, dans cette circonstance, M. le ministre de l'intérieur a dû avoir recours à un ami pour le tirer d’embarras. Cet ami, messieurs, vous devinez facilement que c’est moi. Eh bien, messieurs, j’accepte volontiers le titre d’ami de M. Nothomb, s’il veut me l’accorder ; j’en serai très-flatté. J’ai toujours professé la plus grande admiration pour son talent lors même que, marchant sous un drapeau qui est définitivement enterré maintenant, je ne pouvais pas lui accorder mes sympathies politiques. Dans les relations que j’ai eues avec lui, j’ai toujours eu à me louer de sa loyauté, de sa franchise. Je n’ai jamais obtenu de lui aucune faveur, je n’en ai jamais sollicité, mais il nous arrive à tous, lorsqu’une place est vacante, de faire des recommandations.
Eh bien, messieurs, dans les recommandations que j’ai faites, j’ai vu souvent nos candidats échouer, et cependant lorsque M. le ministre m’exposait les motifs qui l’avaient engagé à rejeter mes sollicitations, j’ai presque toujours dû en apprécier la validité. Mais lors même que M. le ministre n’en aurait agi que parce qu’il savait bien que mon appui n’est pas un de ceux qu’on met à prix, alors encore je devrais lui rendre hommage de m’avoir si justement apprécié. J’accepte donc volontiers le titre d’ami de M. Nothomb ; mais, ce que je ne puis accepter, c’est le rôle de compérage que l’honorable M. Osy a voulu me faire jouer. Ce n’est point M. le ministre qui m’a soufflé la proposition que j’ai faite à la chambre. Cette proposition, je l’avais défendue dans une réunion d’amis politiques avec lesquels je ne me trouvais pas d’accord sur le fond de la question.
M. Dumortier – Vous aviez promis de la voter.
M. Cogels – Je vous demande pardon. J’ai tenu toutes mes promesses et au besoin je vous répondrai.
J’avais défendu cette proposition dans une réunion d’amis, avec lesquels je n’étais pas d’accord sur le fond de la question, et dont je me séparais à regret, dans cette circonstance. J’y avais défendu la nécessité d’un nouveau provisoire. J’avais exposé les dangers, les embarras de la situation. Ces dangers, ces embarras, c’était là le seul point sur lequel tout le monde, à quelques rares exceptions près, avait été d’accord. Je ne m’étais jamais engagé à renoncer à ma première opinion ; je m’étais engagé à accepter comme provisoire le mode de nomination qui a été adopté comme tel par la chambre ; mais j’avais dit que jamais je ne l’adopterais comme définitif, lorsque la question serait posée. Lorsqu’on m’a demandé à quel système j’accordais la préférence, j’ai dû nécessairement, pour ne pas trahir mes convictions (car on a été jusqu’à m’accuser de trahison), j’ai dû, pour ne point trahir mes convictions, voter comme je l’ai fait. J’ai agi loyalement, j’ai agi franchement, j’ai agi ouvertement.
Du reste, messieurs, la proposition que j’ai produite alors à la chambre, tout le monde sait l’accueil flatteur qu’elle a reçue. Il est bien certain que si cette proposition n’avait pas été faite uniquement dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de toutes les opinions, dans l’intérêt de la conciliation, que si l’on n’y avait vu qu’un service rendu à l’honorable M. Nothomb, l’opposition n’aurait pas été assez niaise pour donner dans le piège. C’est là ce qui explique l’unanimité que cette proposition a rencontrée dans la chambre. Quand je dis unanimité je me trompe, c’est l’unanimité moins une voix ; l’honorable M. Osy n’a vu, il est vrai, dans ma proposition qu’un service rendu à l’objet constant de ses attaques. C’est là ce qui explique l’isolement de son opposition.
Maintenant, messieurs, parlons de la loi sur les droits différentiels. Vous le savez, je n’a jamais été très-amoureux des droits différentiels. (On rit.) J’en ai combattu la première proposition dans la commission d’enquête, j’ai toujours été un des membres qui défendaient l’application la plus modérée. Dans la discussion solennelle qui a eu lieu dans cette enceinte, je me suis encore expliqué sur le peu de confiance que j’avais dans tous les résultats que l’on s’en promettait ; j’ai cherché à rendre la loi aussi modérée que possible. J’ai combattu la proposition relative à la relâche à Cowes, question qui maintenant donne lieu à tant de difficultés dans l’application de la loi.
Voilà ce que j’ai fait dans la discussion, et j’ai fini, lors du vote, par m’abstenir. J’ai fait là ce que j’ai vu faire ensuite, avec plaisir, par la plupart des membres du sénat qui étaient le mieux à même d’apprécier la question. Tous ont, comme moi, douté de l’efficacité de la loi, mais ils n’ont pas voulu, cependant, refuser un nouveau système qui paraissait réclamé, et qui a été réclamé en effet pendant quelque temps, par la presque unanimité du pays. Sans l’intervention du gouvernement dans cette question émanée de notre initiative, la question n’aurait pas eu de solution ou on aurait eu un système moins modéré.
Maintenant, messieurs, dans l’application de la loi (je vous demande pardon si je me permets ici une digression), dans cette application, je dois engager le gouvernement à donner des instruction à ses agents, afin qu’ils soient moins sévères, ou plutôt afin qu’ils soient moins difficiles, moins tracassiers (car le mot sévères n’est pas juste), afin qu’ils ne fassent point tant de difficultés dans l’application ; car nous avons eu récemment plusieurs exemples de cargaisons arrivées directement et auxquelles cependant on a refusé d’appliquer le régime sous lequel elle tombaient, à toute évidence.
Je ne parlerai point, messieurs, du traité avec le Zollverein : cette question est épuisée. Je ne parlerai pas non plus des entrepôts francs ; car d’après les conversations que j’ai eues avec M. le ministre, il est bien disposé à rendre à cette loi son véritable esprit, à faire en sorte qu’elle satisfasse à toutes les exigences du commerce, en assurant en même temps la répression de toute espèce de fraude.
Quant à la question des céréales, on a reproché au gouvernement le retrait du projet qui nous avait été soumis ; mais on a oublié que lorsque ce projet a été présenté à la chambre, le prix des céréales était tel que la discussion était possible à cette époque ; mais par suite de la baisse qui a eu lieu depuis lors, le projet est devenu inutile ; il fallait ou bien en présenter(page 616) un autre, ou bien se borner à retirer l’ancien. Soumettre ce projet à une discussion, c’eût été perdre un temps précieux à la chambre, car bien certainement, dans la situation actuelle de l’agriculture, le projet retiré n’aurait pas eu la moindre chance de succès (Interruption.) Il y avait des modifications à y apporter. Le principe n’était pas mauvais, mais l’échelle était mauvaise.
On a parlé, messieurs, de la question financière. On a dit que là le gouvernement n’avait aucunement répondu à son programme. On lui a reproché surtout les modifications notables qu’il a consenti à introduire dans le projet de loi sur les tabacs, loi qui était repoussée par la grande majorité de la chambre. On a oublié, messieurs, que la loi des tabacs n’eût jamais été approuvée. Je l’avais moi-même combattue de toutes mes forces. Cette loi avait été présentée avant que le déficit du trésor ne fût comblé au moyen des opérations financières qui ont eu un si admirable succès. Je veux parler de la conversion de l’emprunt 5 p.c. et de la capitalisation d’une partie de la dette hollandaise, opérations qui ont procuré au trésor une ressource de deux ou trois millions. Vous voyez donc, messieurs, que ce reproche n’est pas fondé, et je crois que les tableaux publiés dernièrement par le Moniteur sur les résultats des produits de l’an 1844 doivent nous satisfaire complètement ; car c’est, je pense, la première fois depuis quelques années que les produits dépassent notablement les prévisions.
Messieurs, un honorable député de Liége, à la franchise duquel je rends hommage, nous a dit qu’il ne pouvait pas calculer les conséquences de l’adoption de la proposition de M. Osy, mais que malgré cela il la voterait, parce que tout changement lui paraissait favorable. Quant à moi, messieurs, je ne souscrirai jamais à un acte dont je ne puis pas calculer les conséquences, surtout dont je ne puis pas calculer les conséquences favorables, mais dont je puis bien calculer les conséquences désastreuses. D’abord, messieurs, tout le monde le reconnaîtra, si le cabinet venait à être renversé à cette époque, on ne sait pas comment il pourrait être remplacé, et la conséquence certaine en serait une session complètement stérile. Ce serait l’ajournement de la loi sur l’organisation de l’armée, sur la comptabilité, sur les sucres, sur les entrepôts francs. Enfin, nous ne pourrions, avant la session prochaine, aborder aucune de ces graves questions ; cela est évident pour tout le monde. Je sais que, dans la session actuelle, nous ne pourrons discuter toutes les questions qui nous sont soumises. Mais nous pourrons en discuter quelques-unes. Avec le renversement du cabinet, nous n’en discuterions pas une seule.
J’ai promis de m’expliquer avec une franchise pleine et entière. Je n’ai plus que quelques mots à dire. J’espère que l’opposition voudra bien encore m’accorder l’indulgence qu’elle m’a accordée jusqu’à présent.
Voici la véritable position : Il y a là six portefeuilles, qui ont été tenus pendant un an par une seule opinion ; cette opinion ne les a pas perdus de vue ; elle n’a pas renoncé à l’empire exclusif, dont elle voulut s’emparer alors. Mais elle se croit inhabile à le saisir en ce moment ; elle nous engage à nous emparer exclusivement du pouvoir, espérant bien le faire tomber bientôt de nos mains. Mais quelle en serait la conséquence ? A peine les nouveaux ministres seraient-ils arrivés à ces bancs qu’on les épargnerait peut-être personnellement. Mais on verrait se renouveler toutes ces accusations d’envahissement, de monopole, de réaction, que nous avons naguère entendues. On verrait la division des partis beaucoup plus envenimée qu’elle ne l’a été jamais. On verrait une lutte déplorable. C’est à un semblable état de choses que je ne saurais donner la main.
C’est pourquoi je voterai contre la proposition de l’honorable M. Osy, que je voterai pour le budget.
M. Dumortier – En me levant pour prendre la parole dans cette discussion, je ne me dissimule pas les embarras particuliers et personnels que je rencontre. D’une part je trouve au banc des ministres un ami que j’ai suivi depuis son entrée dans cette chambre ; d’autre part, je trouve également sur ces bancs un honorable membre avec qui je me suis trouvé dans les élections, et à qui me rattachent des liens plus étroits encore.
Je m’attendais à voir la discuter rouler exclusivement sur la politique de M. le ministre de l'intérieur, politique qui avait fait l’objet de contestations dans cette chambre, depuis plusieurs années. Il n’a pas dépendu de nous qu’il en fut ainsi. Dès l’origine du débat, avant que la question ministérielle fût posée, M. le ministre des affaires étrangères est venu assumer pour le cabinet une discussion qui, aux yeux de la chambre, ne devait rouler que sur le ministre à qui des reproches étaient faits. Ce n’est donc pas notre faute si la discussion est engagée sur ce terrain ; il nous faut l’y suivre, ou déserter ses convictions. Déserter ses convictions ! mais c’est la dernière des positions possibles à une âme honnête. Certes, je n’en donnerai pas l’exemple. Je me trouve donc forcé de prendre la position comme on l’a faite.
C’est à ce point de vue que je prends aujourd’hui la parole.
Pour bien comprendre tous les embarras de la position actuelle, il faut remonter à la grande crise de 1840.
On a beaucoup reproché au ministère qui s’est formé alors son exclusivité . Vous avez fait, lui a dit dans la chambre le principal ministre, vous avez fait de la politique exclusive, et aujourd’hui vous cachez votre drapeau sous vos bancs. Si je suis bien informé, je crois que l’on a quelque peu méconnu les principes qui dirigeaient alors les chefs qui durent former le cabinet.
J’ai entendu dire que, loin de vouloir une politique exclusive (car il faut rendre justice à tout le monde), ils avaient désiré dès l’abord un cabinet où les deux opinions se seraient trouvées représentées, mais que des circonstances, également honorables de part et d’autre, ont empêché une conciliation, ce qu’on désirait.
J’ai cru devoir dire ce peu de mots, parce qu’il ne faut pas adresser des reproches qui ne sont pas fondées dans leur principe.
Je sais que dans la gauche les hommes que l’on a signalés comme partisans d’une politique exclusive, étaient, au contraire, partisan d’un ministère où les deux opinions fussent représentés. Les événements ne l’ont pas permis. C’est donc à tort que l’on a représenté cette formation comme un système.
J’ai dû dire ces mots, parce que dès le commencement de la discussion on n’a cessé de parler de retour d’un ministère exclusif, dont personne ne veut, ni à droite, ni à gauche. La politique de la conciliation, tous la demande ; seulement les uns la veulent avec franchise ; je dirai que le cabinet ne la veut pas.
En 1841, on discutait le budget de l’intérieur : à cette occasion, des réunions eurent lieu dans les rangs auxquels j’appartiens ; on y agita la question de savoir ce qu’il fallait faire vis-à-vis du cabinet. Je n’assistai pas à ces réunions ; je venais d’être frappé du coup le plus terrible dont un fils peut être frappé. Mais j’ai souvent entendu dire par mes amis politiques qu’il avait été formellement décidé qu’on ne ferait pas de la question une question ministérielle. Des attaques imprudentes, une défense maladroite ont jeté le pays dans une crise affreuse. Un vote a eu lieu ; le ministère a obtenu la majorité dans cette chambre. La question représentée au sénat, donna lieu à une adresse au Roi sur la situation d’alors ; vous en connaissez les résultats. Le ministère, cependant, aurait pu se maintenir aux affaires ; il avait la majorité de la chambre ; l’adresse du sénat ne disait pas en termes explicites que le ministère devait se retirer, qu’il n’avait pas la confiance du sénat. Elle se bornait à dire que des embarras existaient dans le pays ; le sénat priait la Couronne d’y aviser. Le ministère, avec une majorité réelle dans cette chambre, aurait pu se maintenir ; il ne crut pas pouvoir le faire, sans une dissolution.
C’est en présence de cette position qu’un ministère nouveau s’est formé.
On a souvent lancé en avant ce grand mot ; on s’est souvent fait une belle position ; on a souvent dit ici que la chambre devait être décimée ; l’honorable M. Nothomb s’est constamment attribué l’honneur d’avoir sauvé la majorité parlementaire.
Je ne veux pas contester à l’honorable membre la part qu’il a pu prendre dans cette affaire, mais je crois qu’il est très-vrai de dire que la plus grande part pour la conservation de la majorité parlementaire a été due principalement à un homme auquel je porte la plus haute estimé, à l’honorable comte de Muelenaere. C’est lui qui n’a accepté que transitoirement le mandat de présider le cabinet, afin de présider en même temps aux élections et qui y a présidé.
Honneur à chacun ! à chacun sa part. N’attribuons pas à l’honorable M. Nothomb ce qui revient avant tout à l’honorable député de Courtray.
C’est là, messieurs, une chose qu’il ne faut pas perdre de vue ! car, encore une fois, il n’est pas juste que M. le ministre de l'intérieur s’attribue à lui seul vis-à-vis de la majorité un service qui avait été rendu bien plutôt par un honorable député des Flandres.
A la suite de la formation du cabinet nouveau, eurent lieu deux grandes sessions. Ces sessions, vous le savez, furent éminemment orageuses ; les partis étaient lancés violemment l’un contre l’autre.
Quelle était, messieurs, l’origine de cette lutte ? D’une part, de ce que la droite avait voulu renverser et avait renversé en réalité un ministère qui avait la confiance de la gauche, tout en faisant l’éloge du ministère qu’elle renversait ; d’autre part, le ministère de l’intérieur, oubliant les liens de reconnaissance vis-à-vis de ses anciens amis…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – De reconnaissance ?...
M. Dumortier – Oui, de reconnaissance, je me sers avec intention de cette expression ; de ce que M. le ministre de l'intérieur oubliant les liens de reconnaissance vis-à-vis de ceux qui avaient maintenu son élection lorsqu’elle était si chaudement, si vivement contestée, avait cherché à renverser ceux-là même qui l’avaient maintenu dans cette assemblée.
C’est là, messieurs, par ailleurs, qu’a été la cause de l’irritation. L’honorable M. Lebeau, l’honorable M. Rogier et leurs collègues, lorsque l’honorable M. Nothomb fut en lutte avec l’honorable M. Metz, lui avaient prêté tout leur appui. Cela méritait certainement de la reconnaissance. Eh bien, au jour des élections, que fait M. Nothomb ? Il vient combattre de tous ses moyens les amis qui avaient sauvé son élection. Certes, l’honorable M. Nothomb avait en 1833, rendu des services à l’honorable M. Lebeau ; mais ces services, il les avait effacés.
Dès lors, je m’explique toute l’irritation de ces deux années, je m’explique cette irritation, lorsque j’ai vu le peu de reconnaissance de l’homme qui avait été sauvé par ses anciens amis et qui venait chercher à les écarter de la chambre.
Les partis furent donc en lutte. Dans cette lutte, il s’agissait, soit du ministre de l’intérieur, soit de deux opinions en présence. Dans les questions de parti, jamais M. le ministre de l'intérieur n’a pris la parole pour défendre le parti qui le soutenait ; il se bornait toujours à défendre sa position personnelle. Il vint nous dire que sa personne n’était pas en jeu. Erreur, messieurs ! Sa personne était en jeu avant tout. M. le ministre de l'intérieur n’a jamais pris la parole que pour la défense de son intérêt privé, jamais pour la défense de la majorité, et je me rappellerai toujours que l’honorable comte de Mérode lui en a fait le reproche à cette tribune.Nous avons, messieurs, dans ces deux années, usé infiniment de popularité en faveur de M. le ministre de l'intérieur. La majorité a voté pour lui, et en sa faveur, des lois qui nous répugnaient, que jamais elle n’eût votées, et que, pour mon compte, je n’aurais jamais votées si ce n’avait été pour le maintenir au pouvoir.
(page 617) Nous avons voté la loi relative à la British-Queen ; nous avons voté la loi sur les indemnités, la loi sur les pillages, la loi sur l’entrepôt d’Anvers, et encore beaucoup d’autres dont personne ici ne voulait. Mais nous avons sacrifié nos répugnances pour sauver le ministre. En cela, encore une fois, nous avons usé beaucoup de popularité au service de M. Nothomb.
Nous avions le droit d’attendre, nous, la majorité, que le lendemain nous trouverions une légitime réciprocité. Le jour des élections approche. Que fait M. le ministre de l'intérieur ?
Nous avions un ministère pour lequel nous avions fait de grands sacrifices, un ministère que pendant deux ans, nous avions vivement, chaudement défendu. Ce ministère devait nécessairement nous rendre, au jour des élections, les services que nous lui avions rendus. Je ne parle pas ici, messieurs, de violence, de moyens pervers ; mais puisqu’enfin, il est admis qu’une influence raisonnable du gouvernement peut avoir lieu dans les élections (je ne prétends pas justifier le principe, je parle du fait), je dis que la majorité, qui avait tout sacrifié pour soutenir M. Nothomb et son ministère, était en droit d’attendre de lui un appui au jour des élections. Ce n’était, messieurs, que de la légitime réciprocité. Eh bien ! que fait M. Nothomb ? Il renvoie le cabinet qui avait été soutenu par tant de votes, le cabinet qui représentait vous mes amis ; il fait un demi-tour à gauche ; il se borne à prendre dans les rangs de la majorité un homme qu’il place en dehors de toute action politique au ministère des travaux publics. Et ce sont vos votes qu’on vient vous demander aujourd’hui !
Chacun peut expliquer une pareille conduite à sa manière ; à mes yeux, c’était, vis-à-vis de la majorité, un acte de trahison, et, dès ce jour, j’ai déclaré que M. Nothomb n’aurait plus mon appui.
Dans la formation de ce cabinet, que fait M. le ministre de l'intérieur ? Sur six ministres, un seul appartient à l’opinion de la majorité ; les cinq autres sont pris pour représenter la gauche, qui les repousse.
Sur cinq ministres nouveaux, on en prend trois en dehors de la chambre ; ministère, par conséquent, anti-parlementaire dès son origine. Et pourquoi prend-il tous ces hommes nouveaux en dehors des chambres ? Sans doute parce qu’il ne trouvait aucun homme de valeur ni dans la droite ni dans la gauche. Il prend, pour représenter l’opinion libérale, un homme qui siégeait le matin dans les conciliabules du chef politique de la gauche et siégeait le soir dans les conciliabules de M. Nothomb.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – C’est une calomnie.
M. Dumortier – Messieurs, je ne souffrirai pas cette expression. Je dis ce que j’ai souvent entendu dire de mes amis ; ils sont là pour déclarer si c’est vrai, et je crois qu’ils vous répondront.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je répète que c’est une calomnie.
M. le président – Dans une discussion aussi solennelle que celle-ci on se permet des expressions qu’on n’emploie pas dans d’autres discussions ; et lorsqu’on attaque MM. les ministres, je ne puis empêcher que, dans la vivacité de la défense, il leur échappe une expression peu parlementaire. Je désire, du reste, qu’on mette le plus de modération possible dans cette discussion.
M. Dumortier – M. le président, je ne me suis pas servi d’une expression déplacée. Du reste, maintenant, je me réserve de parler comme je l’entends.
M. le président – Je n’ai pas prétendu que vous vous étiez servi d’expressions déplacées. Je vous ferai d’un autre côté remarquer que l’expression de M. le ministre des finances ne s’adresse pas à un fait qui vous est personnel, mais à un fait qui vous a été transmis par d’autres.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole pour m’expliquer.
M. Dumortier – Non, monsieur, vous pourrez prendre la parole après moi.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je voulais dire que de qui que ce fût que vous tinssiez ce fait, c’était une calomnie.
M. Dumortier – D’autres ne seront pas en peine de s’en expliquer ; je reprends. Et pour représenter l’opinion de la majorité, de cette majorité qui avait défendu M. Nothomb avec tant de chaleur et de dévouement pendant deux années, on prend un seul membre qu’on met dans une position où il ne pouvait exercer une influence réelle ; où il était insuffisant pour représenter son opinion : ce membre unique, pris dans les rangs de la majorité, on le place au département des travaux publics !
Voilà, messieurs, l’événement, le grand événement qui domine toute la situation actuelle.
L’honorable M. Delfosse demandait, dans une séance précédente, « d’où vient que le ministère a été si vivement appuyé pendant les deux premières sessions, d’où vient que depuis lors il n’a eu que de la froideur ? Alors il faisait de grandes choses, aujourd’hui il est impuissant. »
Cela vient des faits que je viens d’examiner.
Ainsi donc, la session était close. La majorité était en droit d’attendre de la part du gouvernement une juste réciprocité ; on allait se présenter devant les électeurs qui devaient nous demander compte des voix que nous avions émises pour soutenir M. Nothomb. Eh bien, messieurs, on fait un demi-tour à gauche, on abandonne cette majorité qui avait si chaudement défendu M. Nothomb, et l’on va prendre dans d’autres rangs les membres du cabinet nouveau.
Tel fut, messieurs, le fait culminant de la formation du ministère en 1843 ; bientôt le premier acte du ministère fut conséquent avec son principe ; le premier acte du ministère fut une circulaire qui portait défense à tous les agents de l’autorité de s’occuper des élections.
Je n’examine pas, encore une fois, la question de savoir si en principe il faut ou il ne faut pas que les fonctionnaires publics travaillent les élections ; je me borne à prendre le fait en lui-même, et je dis qu’une pareille conduite vis-à-vis de la majorité, qui avait si fortement soutenu le ministère, qui avait usé tant de popularité à son service ; je dis qu’une pareille conduite est un second acte de trahison pour cette majorité dont on réclame aujourd’hui les suffrages, et qu’on abandonnait alors.
Le ministère s’était formé en opposition à la majorité. Il fallait donc, de toute nécessité, faire triompher devant les électeurs un système qui assurât son existence. Eh bien, quelle fut, dans ces circonstances, la conduite du cabinet ? Le ministère travailla sourdement contre tous les orateurs du parti catholique, comme deux ans auparavant il avait travaillé contre tous les orateurs du parti libéral.
Ainsi, combattre les libéraux par les catholiques, et combattre les catholiques par les libéraux, dans leurs chefs et leurs têtes, décapiter les partis, voilà la politique de M.Nothomb ; se former une majorité qui n’ait pas d’organes et dont il soit aussi facilement maître, voilà son système, voilà son but.
On vient vous dire aujourd’hui : la situation est restée la même, la majorité est restée la même.
Et comptez-vous donc pour rien les pertes sanglantes que nous avons subies ! Comptez-vous donc pour rien la perte de l’honorable membre qui avait présidé pendant neuf ans à nos débats ! Comptez-vous donc pour rien la perte de quatre orateurs de la majorité, orateurs contre lesquels vous avez sourdement travaillé ! Et vous avez travaillé contre eux avec un tel succès que vous avez empêché leur rentrée dans la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je nie tout cela…
M. Dumortier – Vous le niez ; et lorsque deux honorables collègues obéissant à un dévouement qui est inspiré par les grandes causes, vous ont offert en ma présence de se retirer, pour ménager la rentrée, dans la chambre, des principaux organes de la majorité, vous vous êtes refusé à recevoir leur démission.
M. le comte de Mérode – C’est du commérage.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je vous répondrai, et j’expliquerai votre conduite dans cette circonstance.
M. Dumortier – Je vous défie de vous justifier de l’acte que je vous reproche ; mes honorables collègues sont ici, ils m’entendent, ils ne me désavouent certainement pas. La conduite de ces deux collègues en cette circonstance a été admirable : il fallait un grand dévouement, le dévouement du sacrifice ; eh bien, le dévouement n’a pas manqué ; et qu’a fait M. le ministre de l'intérieur ? il a dit : Oui, vos amis rentreront, mais ils rentreront plus tard avec ma permission…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est un mot dont je ne me suis pas servi.
M. Dumortier – Vous avez dit l’équivalent.
Voilà, messieurs, voilà comment on traitait avec la majorité ; on voulait bien avoir ses voix, mais on voulait mettre hors de la chambre ses orateurs ; et dans la situation des esprits, on affaiblissait profondément le parti de la majorité, de cette majorité dont on réclame aujourd’hui les suffrages.
Aussi, que s’est-il passé ? L’honorable M. Delfosse nous le disait dans une séance précédente : peu après les élections, les organes avoués du cabinet déclaraient d’une manière très-naïve « que le char de l’Etat n’en marcherait que mieux, puisqu’il était débarrassé d’un bagage par trop pesant. »
Rapprochez les dates, rapprochez les faits, rapprochez les paroles, et vous verrez que telle est la conduite du ministère dans cette circonstance. Je pourrais donner des détails plus circonstanciés encore, mais je m’en abstiens pour le moment, me réservant de les reproduire, si on vient à contester les faits si clairs et si positifs que je viens de rappeler.
Ainsi, messieurs, pour résumer la situation, ce n’est pas la majorité qui a abandonné M. Nothomb, c’est M. Nothomb qui a abandonné la majorité. Nous sommes ici dans une position très-grave, j’en conviens ; mais ne perdons point de vue que ce n’est pas nous qui abandonnons, c’est nous qui, dans le moment sublime, avons été abandonnés.
On vient aujourd’hui vous donner de belles paroles ; on vient vous donner à entendre que votre position dépend du ministère actuel. Eh bien, jugez par les précédents, voyez ce qui a eu lieu dans les circonstances antérieures, et vous pouvez juger de ce qui vous arrivera dans la suite ; si le ministère était encore debout au grand jour des élections, vous n’auriez pas seulement son abandon pour vos chefs, mais vous auriez encore à encourir toute l’impopularité qui s’attache au cabinet.
M. le ministre de l'intérieur prétend que, dans la discussion les orateurs qui m’ont précédé ne se sont pas placés sur le véritable terrain. Suivant lui, la véritable question, c’est la question des votes. » Nous avons, dit-il, obtenu toujours les votes de la majorité. Nous avions trois questions sur le tapis : la question commerciale, la question financière et la question militaire. La question commerciale, nous l’avons résolue ; nous avons fait, par les droits différentiels, une position nouvelle au pays. Dans la question financière, nous avons rétabli l’équilibre dans les finances. La question militaire reste seule intacte. » La réponse à tout cela est facile.
La question des droits différentiels… Mais, messieurs, de quel droit le ministre de l’intérieur actuel se présente-t-il comme en étant l’auteur ? Mais ignore-t-il que lorsqu’il a été question d’agiter ce grave et immense intérêt dans le parlement, il était un de ceux qui se sont le plus opposés à ce système ? Ignore-t-il que cette question, due entièrement à l’initiative d’un des nôtres, de l’honorable M. de Foere, n’a été votée par le parlement que parce que la majorité le voulait, l’exigeait ! C’est donc de bien mauvaise (page 618) grâce qu’on vient se pavaner ici d’un pareil triomphe, qui n’est, après tout, qu’un acte de soumission à la majorité.
Qui a fait l’enquête ? c’est la chambre Qui a fait la loi ? c’est encore la chambre. Et si l’intervention de M. le ministre de l'intérieur a été pour quelque chose dans le vote de la loi, ç’a été pour en fausser les bases ; car il reconnaît lui-même aujourd’hui que les droits différentiels ne permettent de transaction qu’en en faisant l’entier sacrifice ; il reconnaît lui-même que la loi est tellement faussée, qu’elle ne sert plus qu’à faire des traités de commerce. Lorsqu’on agitait la question des droits différentiels, il fallait, nous disait-on, que les destinées du littoral s’accomplissent ; aujourd’hui, on met à l’écart ces destinées du littoral, pour n’user de la loi des droits différentiels que pour obtenir des traités internationaux, pour le commerce intérieur !
Ainsi, encore une fois, M. le ministre de l'intérieur n’a aucun droit de venir se prévaloir ici d’un vote qui lui a été imposé par la majorité.
La question financière… Eh, messieurs, qui est-ce qui a résolu la question financière ? est-ce le cabinet oui ou non ? Mais prenez les budgets et vous verrez la solution de la question. Qui est-ce qui a rétabli l’équilibre entre les recettes et les dépenses ? Mais, messieurs, c’est la recette inespérée du chemin de fer, qui est venu tirer le ministère d’embarras. Quand le chemin de fer a produit, contre l’attente de tout le monde, deux millions de plus qu’auparavant, le déficit s’est trouvé comblé, comme par enchantement, et l’équilibre a été rétabli. Et aujourd’hui on regarde comme un grand triomphe d’avoir rétabli l’équilibre entre les recettes et les dépenses.
Ainsi, des deux plus beaux faits dont se glorifie le ministère, l’un lui a été imposé par la majorité, l’autre est dû aux événements et au temps.
Mais, prenons, en réalité, les votes importants qui ont eu lieu depuis la formation du cabinet actuel ; quelle a été la position du ministère dans la discussion de ces lois ? Je dirais que le ministère a été impuissant et insuffisant, et que dans tous les débats qui ont eu lieu, il a toujours dû procéder, soit en subissant un échec, soit en faisant une reculade.
Dans la question du jury d’examen, échec et échec complet. Dans la question des tabacs, échec et échec complet. Dans la question des droits différentiels, question dans laquelle on avait mis tant de fanfaronnade , surtout vis-à-vis de la Hollande qu’on ne craignait pas dans cette question : reculade des plus complètes. Dans la question des bestiaux, qui intéressait si étroitement les Flandres et dans laquelle l’honorable M. Malou a attaqué si vivement le ministère, reculade complète ; et dans la question des céréales, ce projet que le gouvernement avait présenté comme un gage à la gauche, ce projet est retiré ; reculade, nouvelle reculade. Voilà les faits dont vous avez été témoins à propos des seules grandes lois que nous ayons eu à examiner. Je vous le demande, est-ce là de quoi tant se glorifier ? Dans cette enceinte vous n’avez subi que des échecs totaux ou partiels ; souvent, pour éviter des échecs plus grands, vous vous êtes vous-même exécutés. Vous venez vous glorifier de nos votes ; si quelquefois nous avons voté pour vous, vous l’avez dû à notre sentiment profondément gouvernemental, non à notre confiance.
Parlerai-je du dernier acte, de celui qui vient de se poser, il y a quelques jours seulement, parlerai-je du traité du Zollverein ? Vous avez vu encore la conduite du ministère, vous avez pu l’apprécier ; vous avez vu combien le traité, que nous avons voté, contenait de vices dans ses dispositions, combien il a fallu demander des rectifications après le vote.
Faut-il maintenant scruter au fond les actes principaux de cette politique nouvelle ? On avait voulu faire de la conciliation. Le programme du ministère nouveau était de s’appuyer sur les hommes modérés des deux partis, pour arriver à ce résultat. Quel est le premier acte que propose le ministère ? la loi sur le jury d’examen, loi irritante, s’il en fut jamais, loi présentée au bénéfice de l’un, au détriment de l’autre ; rien ne nécessitait de notre part, de la part de la chambre, un vote nouveau sur cette question.
Les choses allaient ; elles marchaient paisiblement ; à peine s’il y avait quelques plaintes ; mais il fallait donner des gages à la gauche, il fallait sacrifier la droite à la gauche. C’était là le but formel. On inventé depuis une nouvelle explication, on a dit qu’on voulait être fidèle à d’anciennes convictions. Mais, messieurs, vous connaissez tout le fond des choses, vous savez que c’est une garantie donnée à la gauche qu’on voulait imposer à l’opinion catholique.
Ces nouvelles explications sont comme tant d’autres. On est venu, quand personne n’y songeait, présenter un projet de loi qui sacrifiât la majorité dont on réclame aujourd’hui les votes. Je me souviens de l’étonnement de chacun de nous, quand le ministre de l’intérieur est venu donner lecture de l’exposé des motifs du projet de loi ; c’étaient des réclamations sur tous les bancs ; l’honorable M. Desmet, avec cette verve qui le caractérise, soudain, s’est écrié : C’est une véritable trahison ! c’est l’honorable M. Rodenbach qui disait avec ce grand sens qu’on lui connaît : Vous faites les procès à la majorité ! Et c’est vers cette majorité qu’on se porte aujourd’hui, pour avoir ses suffrages, ses votes !
On faisait le procès à la majorité, on sacrifiait ce qu’elle avait de plus cher. Et savez-vous ce qu’on avait fait pour tâcher de réussir ? On avait chercher dans les embrasures de croisées à détacher quelques membres de la minorité qu’on savait ne pouvoir réunir sans cela. La majorité resta unie et compacte. Dans cette position difficile, la majorité eut des conférences ; l’orateur qui m’a précédé y ayant fait allusion, me force à entrer à ce sujet dans quelques détails. Cet honorable membre ayant accepté au nom de la majorité de rendre la loi temporaire, la majorité s’était comptée ; elle eût pu en finir une bonne fois et rendre la loi définitive ; mais on avait encore des égards pour la position d’un ministre de l’intérieur qui avait fait la promesse formelle qui si la loi était temporaire, il voterait avec nous. Pour ménager donc sa position, un des membres accepte la mission de proposer la loi temporaire, il dit même à l’assemblée, donc peut-être trente membres sont ici présents : Vous venez de reconquérir un vote, je présenterai la proposition, je suis des vôtres. L’honorable membre présente la loi temporaire au nom de la majorité, et vote un instant après contre la majorité ; digne ami de M. le ministre de l'intérieur qui vote aussi contre la majorité.
M. de Mérode – Vous ne serez plus admis nulle part.
M. Dumortier – Ce n’est pas moi qui ne serait plus admis nulle part, ce sont ceux qui trahissent.
Ce sont là des faits bien graves qui vous donnent la mesure de toute la moralité politique du passé, du présent et de l’avenir.
La question du jury était, quoi qu’on en pût dire, une véritable question ministérielle. Dans cette question, je le regrette, l’opinion catholique avait dû reconnaître qu’elle n’était pas suffisamment représentée dans le cabinet, que le seul ministre qui partageait ses convictions ne stipulait pas pour elle. Nous avons donc dû voir avec un excessif regret cet honorable ami qui, pour un instant, s’était séparé de ses collègues, s’en rapprocher et refaire la position ministérielle, dans laquelle les deux partis avaient été successivement trompés après avoir recueilli la promesse ministérielle. Mon honorable ami a dit : « Mais personne dans la chambre n’a voulu faire de cela une question ministérielle. »
Si mes honorables amis avaient voulu faire la loi du jury une question ministérielle, je ne serais pas rentré dans le cabinet. La réponse à cela est facile ; la majorité, je le répète, s’était comptée ; dans cette majorité, quatre ou cinq membres déclaraient que si la question devenait ministérielle, ils voteraient contre nous ; ces membres se déplaçant, la majorité pouvait devenir minorité, nous n’avons pas cru devoir faire de la loi une question ministérielle, pour conserver la majorité. Mon honorable collègue savait qu’en faisant une question ministérielle, on lui préparait une rentrée triomphante dans le ministère, mais qu’on sacrifiait le projet de loi ; nous n’avons pas voulu sacrifier le projet.
Nous avons regretté une rentrée compromettante pour tout le monde, mais il n’a pas dépendu de nous qu’il en fut autrement, nous n’avons pu que déplorer ce fait.
Parlerai-je de Guatemala ? Cette question, sans doute, peut-être envisagée sous bien des points de vue. Les uns en sont partisans, les autres sont adversaires de cette entreprise. Pour mon compte, je l’ai souvent déclaré à cette tribune, j’ai admiré le dévoûment de ceux qui se sont mis à la tête de cette entreprise, je l’ai toujours considérée comme éminemment utile. Quand j’ai vu un homme aussi honorable, aussi vénéré que le comte de Mérode sacrifier ses intérêts pour donner à la Belgique des colonies qu’elle n’avait pas, quand j’ai vu un autre honorable collègue, au talent et au caractère duquel chacun se plait à rendre hommage, le prince de Chimay, entrer dans cette affaire, quand j’ai vu un autre homme, dont les vues sont si grandes, si profondes, le comte de Hompesch, y engager une partie notable de sa fortune, je me suis dit : C’est une entreprise sérieuse qui ne ressemble en rien aux opérations de bourse, de mercantilité. Comment, de son côté, le gouvernement s’est-il conduit ? Pendant deux ans, M. le ministre de l'intérieur a prêté à la compagnie un appui patent et a cherché, par tous les moyens, à la discréditer d’une manière occulte.
Il n’est personne de vous qui ne se rappelle les lazzis de M. le ministre de l'intérieur, dans la salle des conférences, contre la colonie. C’était le thème de ses bons mots. Tout à coup les choses changent, on veut faire plus qu’on ne pouvait réaliser, on prend l’engagement de présenter un projet de loi accordant la garantie d’un minimum d’intérêt pour un emprunt à faire par la compagnie de colonisation, et cet engagement, on le fait revêtir de la signature royale.
Messieurs, je ne veux pas ici examiner le fond de la question de la colonie, chacun est libre de voir à sa manière si la colonie lui convient ou ne lui convient pas, s’il aurait donné ou non son adhésion à cette grande pensée ; mais ce en quoi chacun de nous est lié, c’est dans la loyauté des engagements du gouvernement.
Comment ! vous avez contracté avec une société un engagement formel, et cet engagement vous l’avez fait revêtit de la signature royale ! Aujourd’hui vous voulez par des subterfuges, vous délier ! Pourquoi ? Parce que vous voyez bien que vous n’aurez pas la majorité dans la chambre. Eh bien, je dis qu’une pareille conduite est inqualifiable. Pour justifier la retraite que l’on faisait, on a dit ; la compagnie n’a plus son gage ; elle a fait un emprunt avant que la loi ne fût faite. La société a toujours le même gage qu’autrefois.
En quoi consiste-t-il ? dans toutes ses possessions, dans ses possessions intérieures et ses possessions territoriales extérieures, actions, lots, terrains ; en un mot tout ce que la colonie possède. Tout ce qu’elle possède, je l’ai vu par les pièces, a été mis à votre disposition, a été donnée en garantie. Que pouvait-elle donner d’autre que tout ce qu’elle possède ? est-ce que vous vous attendiez à ce que des membres d’une société anonyme vinssent engager leur signature personnelle, à ce que les honorables compte de Mérode et prince de Chimay vinssent engager leurs propriétés privées ? Quand une société anonyme donne tout ce qu’elle possède, elle donne tout ce qu’elle peut donner.
Ainsi cette défaite est réellement un détour. Quand vous avez signé le contrat, vous deviez savoir ce que la société possède. Si ce qu’elle possède ne vous paraissait pas suffisant, vous ne deviez pas signer le contrat. Mais (page 619) du jour où vous l’avez signé, dès que la société s’engageait à vous donner tout ce qu’elle possède, vous ne pouviez exiger rien de plus.
Mais, dit-on, un traité a été fait avec une société anglaise ; un emprunt a été fait, et il l’a été avant que la loi eût été votée, c’est contraire au traité et dès lors le gouvernement se trouve complètement dégagé ; le texte est parfaitement clair. Eh bien, je dois le dire, j’éprouve une peine infinie, quand j’entends une pareille argumentation. Comment ! vous invoquez contre la société le contrat qu’elle a signé avec la société anglaise, et c’est vous qui l’avez provoquée à le faire ! Comment ! vous invoquez ce contrat contre la société, et votre secrétaire intime, commissaire royal près la société, assistait à sa conclusion ! Comment ! vous invoquez ce contrat contre la société, et votre propre secrétaire, commissaire royal près la société, est venu dans le palais de la nation vous en apporter le résultat. Vous aviez votre agent dans ce contrat, il y figure ; il était aussi dans votre cabinet, et vous invoquez ce contrat contre la société.
Il y a plus, vous attachiez tant de prix à ce contrat que, vous avez promis deux croix de Léopold, si le traité était signé, et que si les arrêtés ne sont pas publiés, les croix n’en sont pas moins données. Tout cela est-il moral ? Pour moi, j’appelle cela l’immoralité la plus profonde qu’on puisse imaginer. Comment ! vous avez tendu un piège à une société ! Vous envoyez votre secrétaire pour qu’il pousse à la signature d’un acte que vous invoquez contre la société ! Vous engagez des croix d’honneur pour arriver à un acte de déshonneur ! Les expressions me manquent pour qualifier cette conduite. Pensez, messieurs, ce que vous voulez de la colonie ; approuvez-la, ou ne l’approuvez pas, vous êtes libres à cet égard ; mais exiger de la loyauté dans votre gouvernement ; exigez de lui de la loyauté, surtout quand c’est en présence de l’étranger.
Comment ! des banquiers anglais seront venus ici, sur la foi de la loyauté belge, pour signer un contrat. Ils l’ont contracté en présence de votre secrétaire ; pour contracter, ils auront obtenu le signe de l’honneur ; ils iront à la bourse de Londres avec ce signe de l’honneur sur la poitrine, et ils diront : Nous avons été les dupes du gouvernement belge ; c’est à l’aide du signe de l’honneur que le gouvernement belge nous a dupés.
Je vous le demande, y a-t-il personne ici qui voulût approuver une semblable mystification, une semblable duplicité ?
Pour mon compte, quelle que soit mon opinion sur le fond de l’affaire, je dois dire que le ministère a été éminemment coupable, qu’il a commis un acte de déloyauté tel qu’il n’y a pas un homme, en Belgique, qui voulût agir de la sorte dans ses propres intérêts.
Pourquoi ces manœuvres ? pourquoi ces duplicités ? Parce qu’on voulait rester ministre à tout prix ; c’est parce qu’on avait que le traité n’avait pas de chance d’être adopté par la chambre, que par un guet-apens vous avez cherchez à l’annuler.
M. le président – J’engage l’honorable orateur à se modérer, et à s’interdire de telles expressions.
M. Dumortier – On a fait allusion à un troisième fait, à un troisième grand fait qui s’est passé récemment, l’affaire du traité conclu avec le Zollverein.
Nous avons donné nos voix à ce traité ; mais nous les avons donnés à un point de vue bien supérieur à la position ministérielle ; nous les avons donnés, et chacun s’en est expliqué dans cette enceinte, afin de faciliter les relations avec une grande puissance voisine. Mais dans la discussion de ce traité, que s’est-il encore une fois passé ? N’avons-nous pas vu dans cette circonstance les choses les plus déplorables que l’on puisse voir ! N’avons-nous pas vu M. le ministre de l'intérieur donner à la chambre des assurances formelles, assurances contraires à la vérité ? N’avons-nous pas vu dans les comités secrets qui n’ont plus d’autre but que de faire laver le linge sale ministériel, n’avons-nous pas vu, dis-je, M. le ministre de l'intérieur désavoué par tous ses collègues, venir demander pardon à la chambre de l’avoir trompée ? N’avons-nous pas vu dans le comité secret, M. le ministre des finances se lever seul dans cette enceinte contre ses collègues ? N’avons-nous pas vu un autre ministre nous dire le lendemain qu’il préférait avouer qu’il s’était trompé, que chercher à tromper la chambre, caractérisant ainsi lui-même la conduite de son collègue ?
Voilà ce que vous avez vu !
Je vous le demande, après de pareils fait, existe-t-il encore un gouvernement ? Vous faites un appel au parti conservateur ; mais le parti conservateur doit conserver quelque chose. Je conçois un parti conservateur qui conserve un gouvernement ; mais un parti conservateur qui conserve l’absence du gouvernement, est-ce un véritable parti conservateur ?
Alors que s’est-il passé ? Le ministère était divisé ; il y avait dans le cabinet des réunions où il y avait cinq ministres, d’autres réunions où il n’y avait qu’un ministre. (On rit.) Il avait un ministère de cinq membres et un ministère d’un seul membre. (Hilarité.)
Il y avait une véritable dislocation gouvernementale.
C’est sous l’impression de ces faits que nous nous sommes séparés. Je dis que si, à la suite de ces faits, la motion qu’a faite l’honorable M. Osy, avait été faite, il n’y aurait eu qu’une seule voix pour la voter immédiatement et sans retard.
Je viens de passer en revue les principales phases de la conduite du gouvernement pendant les quatre années qui ont précédé.
Examinons maintenant le système qu’on a invoqué.
On dit que le programme du ministère était un programme d’union et de conciliation ; le ministère devait s’appuyer sur les hommes modérés des deux partis. Mais de quel droit ce ministère s’est-il, dans son programme, présenté comme un ministère d’union, de conciliation, quand ce ministère s’est fait ministère anti-parlementaire ? De quel droit des hommes très-honorables sans doute, mais qui ne faisaient pas partie du parlement, prétendent-ils mettre fin à nos querelles de ménage ! Je conçois la conciliation, mais elle ne peut s’opérer qu’au moyen des hommes avoués par les deux opinions, des représentants légaux des deux opinions.
Pendant les premières années la politique du gouvernement a toujours été de nous dire qu’il avait voulu un ministère mixte ; mais j’ai remarqué que dans cette discussion ce mot n’est jamais sorti de la bouche d’aucun ministre. Pourquoi ? parce que ces mots ont été spirituellement flétris par l’honorable comte de Mérode qui a appelé ce système, le « système de la mixture » ; parce qu’aujourd’hui, on n’a pas un ministère mixte, et qui si l’on en parlait, ce serait faire voir à la majorité là où le bât le blesse.
Il n’y a pas de ministère mixte ; il y a un ministère dont le vice est dans son origine anti-parlementaire. C’est là ce qui fait la fausseté de la situation actuelle. C’est là la question originelle de tous nos débats.
Messieurs, je veux, plus que personne, un ministère mixte ; mais pour faire un ministère mixte, il faut que les deux partis soient représentés avec dignité. Eh bien, les deux partis sont-ils représentés avec dignité dans le cabinet actuel ? le parti libéral est-il représenté avec dignité lorsque l’honorable ministre des finances a fait une voltige si subite de sa politique à celle de M. le ministre de l'intérieur ? Je n’entends pas dire que les hommes politiques doivent conserver leurs rancunes et rester stationnaires comme les bornes des grands chemins. Le temps fait disparaître bien des choses ; mais lorsqu’un homme tourne du jour au lendemain pour une place, peut-on dire que son parti est représenté avec dignité ?
Le parti de la majorité qu’on invoque aujourd’hui, dont on veut avoir les votes, est-il représenté avec dignité, lorsque nous y avons un seul homme, homme de talent et de cœur sans doute, mais un seul qu’on a relégué aux travaux publics, où il n’a aucunes espèce d’action dans la question politique. (Réclamations.)
Ne l’avons-nous pas vu, lors de la loi sur les jurys d’examen ? peut-on dire que le parti libéral est représenté avec dignité, lorsqu’on va prendre trois de ses représentants hors du parlement ?
La majorité est-elle représentée avec dignité ?
La minorité est-elle représentée avec dignité ?
Pour qu’elles soient représentées avec dignité, il faut qu’elles le soient par l’intérieur et non par l’extérieur de la chambre.
Vous n’aurez jamais la conciliation, vous n’aurez jamais un ministère mixte, je le répète, qu’en prenant des hommes avoués par les deux partis.
Avec un ministère composé comme le ministère actuel, vous perpétuerez ces luttes d’opinion si vives, si chaudes, que nous avons si vivement regrettées.
Ainsi, si vous examiner la politique du ministère, et si vous la mettez en regard des paroles de son programme, vous verrez que ce programme est un mensonge, que vous n’avez pas un ministère mixte, que par conséquent une conciliation sincère est impossible par ce ministère.
Aussi que s’est-il passé dans les discussions depuis deux ans ? Le ministère a eu souvent les votes de la majorité ; mais son appui moral l’a-t-il eu ?
Non, messieurs, son appui moral lui a toujours manqué. L’appui moral de la majorité, il ne l’a pas eue, il ne l’a pas, il ne l’aura pas. Quel que soit le résultat de la discussion actuelle, il n’aura pas l’appui moral de la majorité. Aucun membre ne s’est levé dans cette enceinte pour prêter son appui à M. le ministre de l'intérieur et à ses collègues, et lorsque les hommes de quelque valeur dans la majorité se sont levés, ç’a été, vous le savez, pour l’attaquer par des expressions si vives, que l’attitude était intelligible pour chacun de nous.
Ministère de conciliation ! Mais, messieurs, singulière conciliation que celle qui se fait au moyen de l’abandon de ses anciens amis ! Singulière conciliation vraiment que celle qui vient s’appuyer des intérêts de la majorité que l’on invoque aujourd’hui pour jouer et cette majorité et cette minorité.
Le système, le véritable système de M. le ministre de l'intérieur, le voici : c’est de faire considérer et la droite et la gauche comme n’étant composées que d’exagérés et de se donner lui seul pour un homme modéré ; c’est de mettre autant qu’il le peut, les partis aux prises (et toutes les fois qu’un ministre s’est levé dans cette discussion, c’a été pour chercher à mettre les partis aux prises) ; c’est de mettre, dis-je, les partis aux prises afin de pouvoir triompher à son aise ; c’est de diviser pour régner.
Oui, vous avez de grands mérites ; vous avez une vaste intelligence ; vous énoncez fort bien vos pensées ; vous avez de la résolution ; vous avez du talent. Mais vous avez perdu de vue la première de toutes les pensées qui doivent dominer un homme d’Etat ; pensée sans laquelle il n’y a pas de gouvernement possible, de gouvernement complet possible. On administre par la tête, on ne gouverne que par le cœur. (Très-bien ! très-bien !)
Messieurs, le ministère est donc impuissant pour la conciliation. Tous ses efforts pour y arriver ne mènent qu’à une seule chose, c’est à un état compromettant pour la majorité. Car, messieurs, rien de plus compromettant pour une majorité que de soutenir un ministère qui manque au premier élément sur lequel soit reposer le système de l’édifice social : la probité, la moralité politique.
La dépréciation du cabinet s’est fait voir à nos yeux d’une manière évidente dans le comité secret et dans tous les événements qui se sont succédé.
Pouvez-vous, messieurs, donner votre appui à de pareils actes, à un pareil système ? On fait un appel à la majorité. Messieurs, j’ai toujours entendu dire qu’il y avait dans le parti catholique un lien d’union très-puissant et qui constituait sa force. Je l’ai entendu dire souvent par mes honorables collègues de l’opinion opposée. Ce lien, messieurs, quel est-il ? Ce lien n’est (page 620) autre chose que celui de la sincérité et de la moralité. Ce lien nous est commandé par nos devoirs. Maintenant, pouvons-nous abandonner ce lien, et dire, à la face du pays, que le ministère qui a manqué si gravement à ses premiers éléments, peut continuer à gouverner l’Etat ?
On vient de vous dire : Le parti libéral a caché son drapeau. On a été jusqu’à prononcer le mot d’intrigue. Messieurs, je ne pense pas qu’il y ait ici d’intrigue. A ma connaissance, aucun pacte n’a été fait entre les différentes opinions. Si vous voyez aujourd’hui les hommes des deux opinions se réunir sur un terrain commun mais, messieurs, c’est qu’il est des questions qui sont communes aux deux partis ; c’est que la loyauté est commune aux deux partis ; c’est que la justice est commune aux deux partis. Il n’y a ni pacte, ni tentative de pacte, mais il y a des sentiments communs qui nous placent au-dessus de la situation des partis.
Nous avons, messieurs, il y a quinze ans, constitué une nationalité. Nous faisons tous nos efforts pour la maintenir. Mais, messieurs, je vous le demande, une nationalité peut-elle exister sans les premiers éléments de la probité publique ? Est-il possible que nous ayons une nationalité solide, si nous n’exigeons pas, avant tout, du gouvernement la plus sincère loyauté, la plus sincère probité, si nous ne retrouvons pas dans le pouvoir cette antique bonne foi qui a toujours fait l’apanage du pays ? L’exemple d’un pouvoir corrompu amène la corruption dans l’Etat, et la corruption sa décrépitude.
Voulez-vous, messieurs, voulez-vous l’honneur national ? voulez-vous le triomphe de votre nationalité. Exigez du pouvoir ces principes qui forment la base de notre édifice social ; exigez du pouvoir ces principes qui sont dans le cœur de chacun de vous, ces principes qui sont dans le cœur de tous les Belges. Faites disparaître du pouvoir cette rouerie qui ne peut rester longtemps sans compromettre notre nationalité. (Très-bien ! très-bien !).
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je pourrais demander à l’honorable préopinant comment il se fait qu’aujourd’hui il prenne la parole au nom de cette majorité qui a dirigé les affaires du pays depuis 1830. De quoi droit parle-t-il au nom de cette majorité ? A-t-il fait partie de cette majorité de 1831 à 1840 ? N’a-t-il pas harcelé, poursuivi, accusé (je devrais, messieurs, me servir d’une expression plus forte) tous les hommes qui se sont succédés au pouvoir et qui étaient les représentants de cette majorité ?. (C’est très-vrai !)
M. Dumortier – Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Une fois, messieurs, il a semblé dans une position de bienveillance expectante à l’égard d’un ministère, c’était le ministère de 1840 à 1841, et celui-là n’a pas été accepté par cette même majorité dont l’honorable membre se fait aujourd’hui l’organe et le mandataire.
L’honorable membre, il est vrai, fait partie depuis quatre ans de la majorité. Est-ce que cette circonstance lui donnerait le droit de prendre la parole, au nom de cette majorité ? Mais non, messieurs ; lui-même, je ne sais dans quel accès de naïveté, est venu nous déclarer que c’est à contre-cœur qu’il a fait partie de cette majorité depuis quatre ans. Il est venu, en quelque sorte, nous dénoncer les lois votées, par cette chambre, et destinées, selon lui, à dépopulariser la majorité. Singulier aveu ! véritable imprudence dont un homme qui se fait l’organe de la majorité aurait bien dû se garder. (Interruption.)
C’est pour venir à mon secours que vous avez usé votre popularité ! Mais, vous est-il permis de venir à mon secours en votant des projets de loi contre votre conscience ?
Vous avez voté, pour me sauver, la loi des indemnités ! Vous ne deviez pas le faire ; vous deviez voter contre.
Vous avez, pour me sauver, voté la loi en faveur de la ville de Bruxelles. C’était contre votre conscience ; vous deviez voter contre.
Vous avez accordé, pour me sauver, le bill d’indemnité de l’achat de la British-Queen ! Vous deviez voter contre, si votre conscience l’exigeait.
Il ne vous est pas permis de venir ici publiquement avouer ce que j’oserai appeler des turpitudes. (Interruption.) Oui, ce serait commettre des turpitudes que de voter des lois mauvaises, uniquement parce qu’elles seraient nécessaires au maintien du ministère.
M. Dumortier – Vous avez accepté nos votes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne vous permets pas, moi qui fait partie de la majorité parlementaire depuis 1830, je ne vous permets pas de vous dire membre de la majorité. Je ne vous permets pas de venir dire qu’on a voté dans cette chambre des lois à contre-cœur, en les réprouvant secrètement au fond de l’âme, uniquement parce que le ministère les demandait.
Nous avons eu la prétention, dit-on, d’inaugurer une politique nouvelle. Nous ne nous sommes jamais présenté devant vous avec cette prétention. Nous nous sommes présenté devant vous comme membre de cette majorité qui avait présidé à la direction des affaires du pays depuis 1830, majorité que nous avons cru un moment compromise à la chute du ministère de 1840-1841, seul ministère qui, précisément, trouve grâce devant l’honorable membre.
C’est un vieux, un très-vieux programme que nous vous avons apporté. Nous avons demandé que le présent, que l’avenir fût la continuation du passé. La majorité parlementaire a subi deux grandes épreuves électorales, l’épreuve de juin 1841 et l’épreuve de juin 1843.
Pendant la première épreuve, ce n’est pas moi, selon l’honorable membre, qui ait été l’agent principal, c’est mon honorable ami M. le comte de Muelenaere, que j’ai vu avec tant de regret quitter le ministère en août 1841. Il n’en est pas moins vrai qu’en juin 1841 comme aujourd’hui, j’étais ministre de l’intérieur. Cependant, je ne dissimulerai certes pas la part que l’honorable comte de Muelenaere a eue dans la formation du ministère d’avril 1841. Je dirai même que, sans l’honorable comte de Muelenaere, ce ministère ne se serait pas formé.
Je dirai plus, c’est que j’ai vu avec anxiété l’honorable M. de Muelenaere quitter le ministère en août 1841, qu’il m’a fallu bien du courage, qu’il m’a fallu un sentiment bien profond de mes devoirs pour oser, sans son concours actif, comme ministre à portefeuille, me présenter devant vous à l’ouverture de la session de 1841-1842.
En 1841, dans l’épreuve électorale du mois de juin, je n’étais donc pas, selon l’honorable M. Dumortier, l’agent principal ; et en 1843 j’ai trahi, ou plutôt j’ai agi sourdement contre la majorité que j’étais supposé devoir conserver ? Et de quels droits l’honorable membre suppose-t-il des menées sourdes ? Où sont les faits par lesquels il peut prouver ces menées sourdes ? En juin 1843 comme en juin 1841, la majorité parlementaire a été conservée dans son ensemble. Trois grandes pertes ont été faites par la majorité, une d’entre elles a été réparée aussitôt qu’elle a pu l’être. Je le sais, l’honorable membre même est venu me faire une proposition qui ne reposait sur aucun fait, et tout ce que je lui ai répondu c’est que la perte serait réparée aussitôt, que l’occasion favorable se présenterait. (Interruption.)
Oui, j’ai donné cette assurance ; je le déclare ici et pourquoi ne le déclarerai-je point ?
Je regrette, messieurs, que l’honorable membre nous ait placé sur un terrain aussi délicat. S’il avait voulu se rappeler ses anciennes doctrines, celles qu’il a professées de 1831 à 1840 au sujet de la non-intervention du gouvernement dans les élections, il ne se serait pas placé sur ce terrain. Je me borne moi, à déclarer que ces pertes je les ai vues avec un profond regret ; j’ai saisi avec bonheur l’occasion qui s’est présentée d’en réparer une, mais je n’ai pas voulu agir en aventurier ; je n’ai pas voulu prendre sur moi la responsabilité d’un échec que l’honorable membre est très-souvent venu m’offrir en perspective.
L’honorable membre a fait un appel à plusieurs membres de cette chambre ; je ne sais si l’on répondra à cet appel, mais en tout cas personne ne viendra confirmer l’étrange langage qu’il a osé me prêter.
Notre projet, dit-il, est de décapiter les partis. Nous avons voulu les décapiter en juin 1841. Il s’agissait alors du parti libéral. Nous avons voulu, ajoute-t-il, les décapiter en juin 1843 ; il s’agissait alors du parti catholique ; et cette fois nous avons partiellement réussi. Messieurs, nous aurions voulu en juin 1841 et en juin 1843 qu’on eût, de commun accord, respecté les notabilités parlementaires ; mais quand les notabilités étaient obligées elles-mêmes à se laisser porter sur une liste adverse, force était trop souvent d’opposer à cette liste une liste nouvelle. Voilà, messieurs, la nécessité dans laquelle les partis se trouvent mutuellement. Je n’ai pas à dire ici quelle part le gouvernement a eue soit aux élections de juin 1841, soit aux élections de juin 1843 ; je dirai seulement qu’en juin 1841 et en juin 1843, j’aurais voulu voir respecter les notabilités des deux partis. Je souhaite qu’à l’avenir on ait plus de respect pour les notabilités de la chambre.
L’honorable membre a énuméré, en les exagérant, les échecs qu’a subis le ministère ; il a rapetissé tous les succès. A l’entendre, messieurs, la loi des droits différentiels s’est faite d’elle-même. Il a suffi d’avoir l’idée des droits différentiels, et la loi est venu subitement à éclore dans cette enceinte. Je l’ai déjà dit plusieurs fois, ce n’est pas moi qui contesterai la part que, soit l’honorable M. de Foere, soit les membres de la commission d’enquête, ont eu à la loi des droits différentiels, mais rappelez-vous cependant cette longue discussion qui nous a occupés pendant deux mois, rappelez-vous, j’ose le dire, la tiédeur de beaucoup de partisans primitifs des droits différentiels. J’étais et j’ai été bien longtemps entre la tiédeur des uns et l’active opposition des autres ; il ne tenait qu’à moi de laisser tomber la question des droits différentiels. On m’a vivement sollicité de le faire. L’opposition le demandait parce qu’elle était l’opposition, parce qu’elle ne croyait pas aux droits différentiels, qu’elle n’en voulait pas ; d’un autre côté, les partisans des droits différentiels étaient devenus singulièrement tièdes, et j’oserai dire hésitants, craintifs.
M. Delfosse – Plusieurs membres de l’opposition ont voté pour la loi des droits différentiels.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Quand je parle ici de l’opposition, je parle de ceux qui étaient opposés aux droits différentiels. J’ai dit, et je le répète, j’ai été fort étonné lorsque la question s’est trouvée posée, lorsqu’on eût relevé dans le comité secret le côté extérieur de la question, j’ai été fort étonné de la tiédeur des partis primitifs des droits différentiels, et je puis le dire, j’ai persisté malgré les sollicitations de beaucoup de ces honorables membres.
Cette question, le gouvernement n’en a pas eu l’initiative ; mais, vous en conviendrez, messieurs, il l’a acceptée, et un fois qu’il l’eut acceptée, il en a énergiquement poursuivi la solution.
Nous avons dit que nous nous trouvions, il y a un an, presque à la même époque en présence de trois questions : la question commerciale, la question financière et la question militaire. Je viens de parler de la question commerciale. L’honorable membre nous dénie en quelque sorte toute participation à la solution de cette question. Voilà, messieurs, comment il est juste, voilà jusqu’où va sa bonne foi.
La question financière a été résolue dans le sens du rétablissement de l’équilibre financier ; l’honorable membre, ne le nie point, mais encore une fois, la question a été résolue d’elle-même, c’est le chemin de fer qui l’a résolue en augmentant les revenus publics (Interruption du côté où siège M. de Tornaco.) On cite à côté de moi, et avec raison, plusieurs impôts nouveaux que le gouvernement a eu le courage de vous demander, et qu’il a obtenus en partie. Il avait accepté la tâche ingrate, impopulaire, si vous voulez, de (page 621) rétablir l’équilibre financier, mais cette tâche, il l’a remplie ; il n’a pas toujours été heureux dans les moyens qu’il avait proposés, mais toujours est-il que le but a été atteint. La solution n’a pas été obtenue seulement par les impôts nouveaux que vient d’énumérer l’honorable M. de Tornaco, elle l’a aussi été par de grandes opérations financières qu le ministère actuel est parvenu à accomplir et dont l’une se trouvait en germe dans le traité du 5 novembre, ce traité du 5 novembre qui, si j’ai bonne mémoire, n’a rencontré qu’un seul adversaire dans la chambre, pour la partie financière : l’honorable M. Dumortier. Ces opérations financières, je l’ai déjà rappelé elles ne devaient pas se faire ; on croyait, par suite du système de défiance et de malveillance, qui avait été adopté envers le ministère, on croyait qu’il n’oserait pas faire ces opérations, qui jusque là avaient fait les opérations financières de l’Etat belge. Nous avons été assez heureux pour donner encore un démenti à ces prédictions de la malveillance.
L’honorable membre s’est ensuite spécialement attaché à trois actes : le jury d’examen, la société de colonisation et le traité du 1er septembre. Il a fait une deuxième édition du discours de M. Devaux ; j’avoue que j’aime mieux la première ; mais n’importe ! je suis donc forcé de revenir sur quelques-unes des explications que j’ai eu l’honneur de vous donner hier soir ; cependant je ne m’attacherai qu’aux faits que je puis considérer comme nouveaux.
L’honorable membre a à sa disposition, je ne sais quelle source d’arguments que tout autre, dans cette chambre, s’interdirait ; une source d’argument à laquelle je l’ai vu puiser avec étonnement, et cet étonnement a été partagé par tous les côtés de la chambre : conversations particulières, conférences privées, propos de salon ou d’antichambre, tout lui est bon, tout est accepté par lui ; il ne lui restait plus qu’à venir nous lire des lettres confidentielles. Puisque, messieurs, on vient de révéler des détails semblables, nous sommes exposés, pour nous disculper à manquer à tous les usages parlementaires, je dirai presque à tous les usages de la vie privée ; on est forcé, jusqu’à un certain point, de suivre l’honorable membre sur ce terrain très nouveau sans doute. Je le ferai, cependant le moins possible, mais je tiens à démentir certains faits.
L’honorable membre suppose (et ce fait est celui que je dois relever pour mon honneur), l’honorable membre suppose que j’avais fait déclarer d’avance, je ne sais dans quelle réunion, que le ministère accepterait la loi que la section centrale devait présenter comme loi provisoire. Ce fait, messieurs, est inexact. On est, au contraire, avant le dépôt du rapport, venu chez moi me demander si je voulais abandonner la discussion politique du projet de gouvernement, me désister d’avance et me rallier à l’opinion de la section centrale ; on m’a offert le projet de cette section, comme proposition provisoire. J’ai dit que la proposition prise ne pouvait être abandonnée que devant un vote public, que je demandais ce vote public, et que, jusque-là, je devais poursuivre la défense du projet de loi tel qu’il avait été présenté par le gouvernement ; que je ne changerais en rien cette position, que je la conserverais en son entier, c’est-à-dire que je ne soulèverais pas de question de cabinet, que je ne créerais pas les embarras qui pouvaient naître, pour la chambre, d’une question de cabinet subitement posée par le ministère. Voilà la vérité des faits, et ce que l’honorable membre a osé dire est complètement inexact.
M. Dumortier – J’ai de la mémoire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – D’autres en ont aussi. Je n’hésite pas à en appeler aux souvenirs de plusieurs membres de la section centrale.
M. Dumortier – Il ne s’agit pas de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il s’agit de la section centrale. Le rapport n’était pas déposé. On est venu me dire : Si, avant toute discussion, vous voulez vous désister de votre projet, voilà ce qu’on vous offre…
M. Dumortier – Il n’ a jamais été question de cela dans le sein de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est pour cela, me dit-on, que la loi n’a pas été défendue ; mais c’est précisément pour cela qu’elle a été défendue ; j’ai conservé la position jusqu’au dernier moment, mais sans vouloir soulever la question de cabinet.
L’honorable membre voit un grand grief pour la majorité contre le ministère, dans la présentation de ce projet de loi, dans la défense de ce projet de loi jusqu’au vote sur l’ensemble. Je suis forcé de reproduire une expression dont je me suis déjà servi ; c’est une véritable question de cabinet posthume qu’on soulève. Pourquoi, dirai-je à l’honorable préopinant, n’avez-vous pas soulevé cette question de cabinet dans le cours de la discussion ? Comment se fait-il qu’aujourd’hui, après dix mois de réflexion, je ne sais quels ressentiments viennent s’emparer de vous ? La position était bien meilleure pour l’honorable membre ; il a pris part à la discussion, et je dois le dire, je n’ai jamais été honoré de plus d’égard que dans cette mémorable et difficile circonstance.
Le deuxième acte sur lequel l’honorable M. Dumortier est revenu, ce sont les rapports du gouvernement avec la société de colonisation.
Je ne sais, messieurs, comment l’honorable membre a pu encore ici recourir à des conversations privées que je nie. Il n’est pas dans mes habitudes de me permettre ce que l’honorable membre appelle des lazzi ; il est possible que ces incartades soient familières à l’honorable membre, mais je le prie de ne pas m’associer à ces écarts.
Je me suis expliqué sur cette affaire, comme sur toutes les affaires avec beaucoup de réserve ; en particulier, comme en public, j’ai fait des vœux pour la réussite d’une entreprise que je considère avec l’honorable membre, comme très-louable, très-utile. Mais, dans la vie privée, comme en public, dans les salons comme dans cette enceinte, j’ai dit que, bien que la compagnie fût une société anonyme, cela n’était pas moins une entreprise privée ; que le caractère d’entreprise privée subsistait, même après certains encouragements indirectement donnés à la compagnie, encouragements très-partiels, très-secondaires.
L’honorable membre a insisté sur le caractère de la convention du 21 juillet. Je dois supposer encore une fois qu’il n’a pas lu cette convention. Qu’il la lise donc !
Nous avons, dit-il, recours à des subterfuges, pour soutenir que la convention est conditionnelle et préliminaire. Où est donc le subterfuge ? est-il du côté de celui qui s’en rapporte au texte ? ou bien du côté de celui qui ne veut pas lire le texte. Lisez les articles 1 et 2, articles dont j’ai donné hier lecture à la chambre, et cette lecture n’a pu laisser aucun doute dans l’esprit d’aucun membre de cette assemblée.
C’est, dit l’honorable membre, un guet-apens que la convention ! c’est une mystification ! Je ne sais quelles expressions flétrissantes ne se sont pas présentées en masse à l’honorable membre, lorsqu’il s’est agi de cet acte. A toutes ces suppositions injurieuses, je répondrai par un seul mot : Lisez ! (Interruption.)
Le contrat a été fait avec des banquiers anglais ; ce contrat est ou un emprunt déguisé, ou une cession de lots. Si c’est un emprunt déguisé, l’opération ne pouvait se faire qu’à la suite du vote du projet de loi : telle est la disposition de l’art. 1er ; si c’est une cession de lots, cette cession même de lots, avec l’hypothèque de l’établissement, a rendu impossible l’accomplissement de l’art. 2.
Des garanties avaient été offertes ; vous les connaissiez, dit l’honorable membre, et vous étiez censé les avoir acceptées.
Je réponds : Nous ne les connaissions pas, ou au moins nous ne pouvions les apprécier ; elles ont été offertes au commencement du mois de juillet dernier ; le projet de loi ne devait être présenté que dans le cours de cette session, et nous aurions agi avec une rare imprévoyance, en ne nous réservant pas d’examiner les garanties qui nous étaient offertes, en le stipulant pas que ces garanties seraient discutées avant la présentation du projet de loi. Dire que le gouvernement devait présenter un projet à la chambre, sans avoir constaté le véritable état des choses ; dire que le gouvernement avait pris l’engagement d’agir d’une manière aussi étendue, c’est faire la supposition la plus déraisonnable.
J’arrive, messieurs, au troisième fait : l’incident qu’a fait naître l’application de l’article 19 du traité du 1er septembre.
Ici, messieurs, même oubli de tout ce qui s’est passé. L’honorable membre se borne à faire un appel à son imagination, et son imagination lui représente, à l’instant même, les faits de la manière la plus favorable à ses insinuations peu bienveillantes. Encore une fois, messieurs, il faudrait, je ne dirai pas un peu de bonne foi, mais un peu de mémoire.
Les ministres, mes collègues, au dire de l’honorable membre, m’ont désavoué dans le comité secret.
On vous a déjà expliqué, messieurs, la position différente, j’en conviens, prise par mes collègues et par moi. Mes collègues ont déclaré, comme moi, que l’art. 19 recevrait l’application qu’on désirait. On a indiqué toutes les circonstances qui nous donnaient cette certitude. Cette certitude morale chez moi a été plus forte ; j’ai attaché à ma déclaration une conséquence qui m’était toute personnelle. On avait mis la sincérité de mes convictions et de mes espérances en doute, et j’ai répondu par une déclaration spontanée, je dirai presque involontaire ; j’ai répondu que je mettais mon portefeuille pour garantie de l’événement. Cette garantie était toute personnelle, et il n’y a eu de différence, dans la position de mes collègues et dans la mienne, que quant à cette conséquence toute personnelle attachée par moi à la déclaration. Voilà ce qu’on devrait se rappeler, si on voulait être vrai. (Interruption.)
J’ai répété à plusieurs reprises, car l’accusation a été produite immédiatement en comité secret, qu’il fallait distinguer entre la déclaration qui avait été faite et qui nous devenait commune, et la conséquence toute personnelle que j’y avais attachée.
Voilà où se réduit ce prétendu désaveu, cette prétendue dislocation du cabinet. Je dois même dire que ces explications avaient été convenues à l’unanimité, dans une réunion du conseil, qui eut lieu avant la deuxième séance en comité secret.
Ici il faut encore voir le fond de la question. L’art. 19 du traité du 1er septembre recevra l’application que nous avons reconnue nécessaire après avoir mieux constaté et apprécié les faits. Vous savez tout ce qui s’est passé, et vous pouvez juger, comme moi, si cette application sera obtenue ou non.
En terminant, je ne puis m’empêcher de revenir sur les considérations que j’ai présentées au début de cette réponse. L’honorable préopinant s’offre à vous comme un homme de la majorité parlementaire depuis 1831 ; je le récuse comme tel ; je le récuse, et j’en ai le droit, je suis un homme de la majorité ; je le récuse, parce que l’honorable membre a été de 1831 à 1840, l’adversaire de tous les ministères qui étaient les représentants avoués de cette majorité ; parce que, de son propre aveu, depuis 1841, il n’a concouru aux actes de la majorité qu’à contre-cœur.
Du reste, puisqu’il m’annonce des successeurs, s’il m’étais permis de laisser arriver à moi une pensée récriminatoire, je dirais : Je souhaite à cette majorité qui a trouvé tout à coup un organe si fidèle dans l’honorable membre ; je lui souhaite,, dis-je, que l’honorable membre soit au nombre de mes successeurs. Ce serait ma seule vengeance !
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, j’aurais désiré pouvoir me dispenser de répondre à la partie du discours de l’honorable M. Dumortier, qui m’est surtout personnelle, mais mon silence n’aurait (page 622) pas été compris par la chambre. Du reste, et je n’aurai aucune peine pour cela, je mettrai, dans cette courte réponse, toute la retenue, toute la réserve que me commandent, et mes relations personnelle avec l’honorable M. Dumortier, relations que je ne veux pas briser, et la nature même du regret que j’éprouve du dissentiment qui existe entre nous.
L’honorable M. Dumortier vient de vous faire connaître l’appréciation de la situation ministérielle telle qu’elle lui apparaît ; j’ai fait connaître quelle était la mienne ; la chambre jugera.
L’honorable membre a fait surtout, au ministère, le grief de ne pas représenter assez fidèlement la majorité. Il m’a considéré comme étant insuffisant, pour représenter avec dignité la majorité dans le ministère. Messieurs, cette expression était de nature à me froisser, mais l’honorable membre a expliqué sa pensée en ajoutant que j’étais à ses yeux suffisant parce qu’il a bien voulu appeler mon talent, et par mon caractère, que l’insuffisance ne concernait que le département ministériel que j’ai accepté. Je le remercie de cette explication qui ôte à ses paroles tout caractère offensant.
Messieurs, en 1833, mon honorable ami, M. de Mérode, faisait partie du ministère, l’honorable M. Dumortier s’est trouvé dans l’opposition ; il a considéré l’honorable comte de Mérode comme insuffisant pour le représenter, pour représenter la majorité. De 1834 à 1839 l’honorable comte de Theux faisait partie du ministère, il y représentait l’opinion à laquelle M. Dumortier et moi appartenons.
L’honorable M. Dumortier de 1834 à 1839 s’est trouvé constamment dans l’opposition, il ne trouvait pas l’honorable comte de Theux comme suffisant pour représenter la majorité, pour représenter son opinion. En 1839 l’honorable M. Raikem dont l’absence de cette chambre a été l’objet de si justes regrets de la part de l’honorable M. Dumortier, regrets auxquels je m’associe vivement, l’honorable M. Raikem s’est associé à M. le comte de Theux pour faire partie du ministère.
L’honorable M. Dumortier n’a pas trouvé MM. Raikem et de Theux comme suffisants pour représenter la majorité et l’opinion à laquelle lui et moi appartenons. Je ne veux pas que mes paroles aient rien de blessant pur lui ; mais j’ai été attaqué, je me défends. Je puis donc me consoler et me résigner à être considéré par mon honorable ami comme étant aussi insuffisant pour représenter notre opinion commune, pour représenter la majorité, que l’ont été, MM. de Mérode, de Theux, Raikem et chacun de nos amis politiques qui sont entrés aux affaires depuis 1831.(Mouvement. Adhésion.)
M. Cogels – J’ai appris que l’honorable M. Dumortier avait bien voulu s’occuper de moi, pendant que j’étais allé à la bibliothèque rechercher les moyens de le disculper d’une faute dont il s’était déclaré coupable. L’honorable M. Dumortier s’était confessé d’avoir voté pour la loi d’indemnités et pour l’entrepôt d’Anvers, afin de soutenir le ministère ; cela m’étonnait. J’ai eu recours au Moniteur et j’ai vu que la loi d’indemnité dans toutes ses dispositions avait été combattue par l’honorable membre de toutes ses forces, et qu’il avait voté contre l’entrepôt d’Anvers. Ceci vous donne la mesure de l’exactitude des renseignements que l’honorable M. Dumortier a voulu vous donner sur nos réunions secrètes, dont malheureusement on ne tient pas procès-verbal.
Je déclare que je n’ai pris dans ces réunions aucun engagement que je n’aie tenu. Peut-être m’aura-il mal compris, ce qui lui arrive fort souvent, car il m’a accusé d’une espèce de trahison. Je puis avoir trahi quelques espérances, quelques calculs ; ce que j’ai tenu à ne pas trahir, ce sont mes convictions. Afin qu’il ne m’accuse plus de nouvelle trahison, je crois devoir lui déclarer ici que, du moment où l’honorable membre voudra s’asseoir sur le banc de ministres, je passerai sur les bancs de l’opposition.
M. Dumortier – Je demande la parole pour des faits personnels.
M. le président – Si c’était pour répliquer, je ne pourrais vous donner la parole qu’après les membres inscrits qui n’ont pas encore parlé dans la discussion.
M. Dumortier – C’est pour des faits personnels.
M. le président – Vous avez la parole.
M. Dumortier – Je dois répondre aux trois personnes qui viennent de prendre la parole. D’abord, je répondrai à ce qu’a dit mon honorable collègue et toujours ami Dechamps. Il a bien voulu me séparer, l’isoler de sa propre position pour me reprocher la mienne. Sous le ministère de 1831, nous a-t-il dit, M. Dumortier trouvait M. le comte de Mérode insuffisant pour représenter la majorité dans le cabinet. En 1831, mon honorable ami, M. Dechamps votait avec moi ; vous trouviez donc aussi que M. le comte de Mérode était insuffisant pour représenter l’opinion catholique dans le cabinet.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne faisais pas partie de la chambre.
M. Dumortier – Vous avez remplacé M. Dugniolle ; c’était alors M. Rogier qui était ministre de l’intérieur, avec M. le comte de Mérode.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne suis entré dans la chambre qu’à la fin de 1834.
M. Dumortier – Le même ministère existait alors.
Est venu ensuite le ministère de M. de Theux, dit mon honorable ami. M. Dumortier a trouvé que M. de Theux était insuffisant pour représenter l’opinion catholique dans le cabinet. Est venu le ministère de MM Raikem et de Theux ; M. Dumortier a trouvé que ces deux honorables membres étaient insuffisants pour représenter l’opinion catholique. Son crime était encore celui de M. Dechamps qui parlait et votait contre ce cabinet. Aujourd’hui M. Dechamps représente seule l’opinion catholique dans le ministère, et la trouve suffisamment représentée ; voilà ma seule réponse. (Hilarité.)
Quant à ce qu’a dit l’honorable M. Cogels, je répondrai que je n’ai pas l’habitude de chercher le moment où mes collègues sont sortis de cette chambre, pour leur répondre. Je possède assez le plancher de la chambre pour n’avoir pas besoin d’avoir recours à ce moyen. Si l’honorable membre était sorti, je ne le savais pas et je le regrette ; s’il avait été présent il aurait été entendu que je n’avais fait allusion à ce qui s’est passé dans une réunion que parce qu’il avait provoqué lui-même cette explication. Il dénie les faits ; il y a dans cette chambre plus de la moitié des membres qui étaient présents à la réunion et je m’en rapporte à leur mémoire. J’ajouterai que si un jour on fait appel à mon concours pour défendre les décisions de la majorité, je m’abstiendrai de me trouver dans les réunions où serait l’honorable membre ; au reste, après sa conduite, personne ne serait plus tenté de le convoquer.
M. de Mérode – Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Dumortier – On n’interrompt pas un orateur sans citer l’article du règlement.
M. le président – L’art. 21 porte : « Nul n’est interrompu lorsqu’il parle, si ce n’est pour un rappel au règlement. »
M. de Mérode a la parole.
M. de Mérode – M. Dumortier se prépare à répliquer à M. le ministre de l'intérieur, qui a répondu à ses accusations, et va les renouveler en prenant le tour de parole des orateurs inscrits.
M. Dumortier – C’est un procès de tendance.
M. de Mérode – Si vous voulez vous borner au fait personnel, je ne m’opposerai pas ce que la parole vous soit continuée.
M. Dumortier – J’ai besoin de répondre à un fait personnel. M. le ministre de l'intérieur a dit que j’étais venu avouer mes turpitudes. Je demande s’il est possible de dire rien de plus personnel.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je n’aurais pas laisser passer cette expression si vous n’aviez pas parlé de roueries, de guet-apens.
M. Dumortier – J’ai qualifié des actes : les mots roueries, de guet-apens s’appliquent à des actes, le mot turpitude s’adresse à mes votes.
M. le président – Les mots roueries et guet-apens également.
M. Dumortier – M. le ministre de l'intérieur veut prendre vis-à-vis de moi une position facile en me séparant de mes amis politiques. Je n’ai jamais fait, dit-il, partie de la majorité, c’est à tort que je viens parler au nom de la majorité, tandis que lui a toujours fait partie de cette majorité. Voilà quelque chose d’excessivement neuf ; c’est une découverte nouvelle que personne n’avait soupçonnée jusqu’à ce jour. De quoi donc se composait la majorité ? Du parti catholique et d’un petit appoint du parti libéral dont M. Nothomb faisait quelquefois partie.
Dans quelle partie me trouvais-je ? dans le petit appoint qui se réunissait quelquefois à la majorité ou dans le parti catholique ? C’est dans le parti catholique que je me suis toujours trouvé. Quand M. le ministre de l'intérieur vient parlé de la majorité, il a mauvaise grâce à prétendre que dans les questions délicates, je n’ai pas toujours fait partie de cette majorité ;quoi qu’il en fasse, il ne parviendra pas à me séparer de mes collègues, lui ne parviendra jamais à avoir leur confiance.
L’honorable membre doit savoir si, pendant deux ans, je me suis usé, oui ou non, à le défendre. Je l’ai fait avec un dévouement sans bornes ; j’ai, pour lui être utile, poussé le dévouement jusqu’aux dernières limites. Voilà ce qui est arrivé ; on oublie tout le passé, comme on l’a fait vis-à-vis des autres successivement. Mais, dit-on, vous avez voté contre votre conscience. Ici encore, vous dénaturez mes paroles. Je n’ai pas dit que j’avais voté contre ma conscience. Je repousse ces paroles comme une calomnie.
Je n’ai jamais voté contre ma conscience. Si quelqu’un a le droit de le dire, c’est certainement moi, qui ai toujours justifié mes votes par mes paroles.
J’ai pu, comme mes amis politiques, voter contre mes répugnances, mais la conscience n’était pas en jeu. Je l’ai fait pour vous sauver. Si mes honorables amis n’avaient consulté que leurs répugnances personnelles contre certaines lois, vous ne les auriez pas, et vous avez accepté ces votes qu’aujourd’hui vous nous reprochez, et vous appelez cela des turpitudes ! Il vous sied bien de parler de turpitudes, vous qui, chaque jour, nous en donner des exemples.
Ne parlez pas de conciliation ; jamais vous ne serez l’agent de la conciliation, vous qui avez joué, tour à tour, les deux partis !
Vous parlez de conscience ; eh bien, je vous traînerai au pilori de l’opinion publique ; sont-ce des votes consciencieux que celui que vous voulez obtenir, vous qui avez repoussé la question de confiance ? Avez-vous, oui ou non, agi en cela pour obtenir un vote de conscience ? (Murmures.)
M. le président – Je rappellerai formellement l’orateur à l’ordre ; il ne peut supposer que les votes d’une partie de la chambre ne soient pas consciencieux.
M. Dumortier – J’ai le même droit de l’honorable M. Nothomb. Je me suis servi du même mot que lui. Si j’ai tort, M. Nothomb a tort. S’il y a un rappel à l’ordre, il doit être prononcé contre nous deux.
Je demanderai à l’honorable M. Nothomb quelle est la nature des votes qu’il prétend obtenir. Croit-il que personne ici a confiance en lui ? On lui a demandé dans cette enceinte : Laisserez-vous les fonctionnaires publics voter librement ? Il n’a pas répondu à l’interpellation qui a été faite.
Ne voulez-vous pas violenter la conscience des fonctionnaires publics qui siègent dans cette chambre ? Jusqu’à quel point pourront-ils voter librement. Je devrais en dire davantage, mais forcé de me renfermer dans le fait personnel, je répondrai ultérieurement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il faut que dans ma réponse (page 623) j’aie frappé bien juste, pour que l’honorable membre, en se défendant de nouveau, ait pu recourir à des expressions aussi étranges que celle que vous avez entendues. Il est venu vous dire qu’il avait été pendant deux ans A MON SERVICE.
M. Dumortier – Figure de rhétorique (Hilarité générale et prolongée.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est une figure de rhétorique, nous dit l’honorable membre. Je croyais que la rhétorique était l’art de bien dire. (On rit.) Je ne pense pas que cette figure soit au nombre des exemples qu’on cite comme modèles dans les rhétoriques. (Nouveaux rires.)
J’ai dit que l’honorable membre, de 1831 à 1840, a été l’adversaire de tous les cabinets, qu’il ne représentait pas à cette époque la majorité parlementaire, que, dans toutes les grandes occasions, il s’est tenu en dehors de la majorité parlementaire.
M. Dumortier – C’est inexact.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il suffit de faire un appel aux souvenirs des honorables membres qui siègent ici depuis 1831 pour savoir si mes souvenirs sont fidèles ou non.
M. Dumortier – Je ne me suis séparé de la majorité parlementaire que dans la question des 24 articles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre vous a dit qu’il n’a été l’adversaire des cabinets qui se sont succédé de 1830 à1840, qu’il n’a été en dehors de la majorité parlementaire que sur la grande question diplomatique qui dominait alors tous les débats, qui dominait la politique du pays. Vos souvenirs vous servent bien mal. Vous avez été en dehors de la majorité parlementaire ; vous avez été l’adversaire des cabinets sur toutes les questions d’organisation intérieure. Vous avez, durant cette période, vous qui tout à l’heure vous êtes annoncé comme un homme gouvernemental, vous avez, dis-je, appartenu à cette fraction de la chambre qui, dans toutes les grandes lois d’organisation intérieure, a voulu outrer ce que j’appellerai les tendances démocratiques.
Voilà donc votre double position : adversaire non-seulement dans la grande question diplomatique, mais aussi adversaire dans toutes les grandes lois d’organisation intérieure, je dirais même de sûreté, de police publique ; car vous avez été l’adversaire des lois sur l’expulsion et sur l’extradition.
M. Delehaye – Très-bien ; cela lui fait honneur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cela lui fait honneur, dit l’honorable membre qui m’interrompt. Je me félicite de ne rappeler à l’honorable M. Dumortier que des souvenirs qui lui font honneur ; qu’il accepte donc ces souvenirs, qu’il ne cherche pas à les renier en quelque sorte lui-même. (Interruption.)
Je vois avec plaisir que l’on trouve ces souvenirs glorieux et honorables, que l’on trouve, qu’en les rappelant, je n’ai pas manqué à l’honorable membre, qu’au contraire, je lui ai fait honneur. On voit donc que je le traite beaucoup mieux qu’il ne m’a traité lui-même. (Hilarité.)
L’honorable membre me reproche de ne pas vouloir de votes consciencieux. Ce reproche se fonde sur le silence que nous avons gardé au sujet d’une interpellation de l’honorable M. Verhaegen, reproduite par l’honorable M. Dumortier.
L’honorable M. Dumortier a peut-être accueilli à son tour cette interpellation par une réminiscence involontaire. Lorsqu’il s’est agit, en 1833, de mettre en accusation l’honorable ministre de la justice d’alors, au moment où M. le président, allait procéder au scrutin, l’honorable M. Dumortier s’est levé pour faire la motion suivante :
« M. Dumortier : Je demande la parole pour une motion d’ordre.
« Dans le vote que nous allons émettre, dit l’honorable membre, faisons voir que nous n’avons pas en vain prêté serment à la Constitution. Le ministère a posé en principe que, dans les questions où il s’agirait de son existence, ces deux fonctionnaires, membres de la chambre, qui voteraient contre lui, seraient destitués. Il importe donc de savoir que les députés qui ont des fonctions amovibles jouissent de leur liberté de conscience, ou s’ils sont exposer à perdre leurs fonctions.
« J’ai confiance dans les lumières des fonctionnaires qui font partie de l’assemblée ; mais je demande s’ils seront, oui ou non, frappés des votes qu’ils auraient émis.
« M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb s’arrêté et dit : Ce n’était pas moi) (On rit) : Je déclare formellement que je croirais faire injure à la chambre et aux fonctionnaires publics qui siégent parmi nous, si je répondais à la singulière interpellation du préopinant.
« Quelques voix : Bien ! Très-bien ! Aux voix ! aux voix ! »
On a passé outre sans autres explications du gouvernement.
Je ne veux pas que l’on passe outre aujourd’hui sans autre explication. Nous nous en rapportons aux fonctionnaires publics qui siègent dans cette chambre ; nous nous en rapportons pleinement à eux ; ils doivent se considérer comme pleinement libres à notre égard.
Qu’adviendra-il ? nous dit-on. Nous serons vaincus ou vainqueurs. Les vainqueurs sont toujours généreux ; et les vainqueurs seraient impuissants. (Approbation générale.)
M. Delehaye – C’est une injure pour les fonctionnaires.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’y a là aucune injure.
Nous nous en rapportons entièrement à eux.
Je pourrais demander si c’est au nom de l’opposition qu’on fait cette interpellation. Pourquoi, en 1841, lorsqu’il s’est agi du budget du département des travaux publics à la tête duquel était l’honorable M. Rogier, pourquoi dis-je n’a-t-on pas fait cette question ? Vous voyez donc qu’on a deux poids et deux mesures.
Ce moyen que l’on croit aujourd’hui nécessaire, on s’est gardé d’en parler en mars 1841.
Nous acceptons toutes les nécessités auxquelles on veut nous soumettre aujourd’hui. Je le répète, les fonctionnaires publics sont parfaitement libres. Nous nous en rapportons entièrement à eux. (Nouvelles marques d’approbation.)
M. Rodenbach – Excellente leçon pour les ministères futurs.
M. de Mérode – Il semblerait que les attaques dirigées contre un ministre ou un ministère, devraient se restreindre, chaque année, aux fautes que l’on croirait pouvoir signaler, à parti du dernier assaut par lequel on a essayé de démolir ce ministre ou ce ministère ; mais telle n’est pas, malheureusement pour le bon emploi de nos sessions, l’habitude de beaucoup d’opposants. Ils recommencent les censures déjà développées, étendues, répétées dix fois précédemment et réfutées ou réduites, du moins, à leur juste valeur dix fois aussi, et plus ; car il semble qu’on puisse les rajeunir à perpétuité. Ainsi reparaît toujours sur le tapis la question du jury d’examen : affaire inévitable, ardue, inextricable, s’il en fût jamais, et dont nous sommes heureusement sortis pour quelques années. Ainsi reparaissent ces pauvres centimes additionnels que les ministres ont votés seuls, parce qu’ils les avaient proposés ; et s’ils n’eussent pas tenté ce moyen d’augmenter les recettes, on n’aurait point manqué de leur dire, à l’occasion d’autres projets de lois destinés à équilibrer les recettes et les dépenses, qu’il valait mieux recourir aux centimes additionnels que de gêner, soit le commerce interlope du tabac, soit les raffineries de sucre, soit la culture des betteraves ; l’expérience nous indique depuis quinze ans tous les moyens dilatoires que l’on sait employer quand il s’agit de remplir le trésor, qu’on vide si volontiers.
Vous venez d’entendre M. Cogels, collègue dont je reconnais l’esprit judicieux, se plaindre de la loi des sucres productive au trésor, tandis qu’il a regretté la modicité de l’indemnité, qui coûte au trésor plusieurs millions.
Ce qui m’étonne particulièrement, c’est de voir d’anciens ministres tenir ce genre de langage hostile, rabâcheur, injurieux, dont ils ont eu tant à se plaindre eux-mêmes. En effet, combien de fois n’ont-ils pas entendu retentir à leurs propres oreilles ces reproches d’incurie, d’ineptie, de pusillanimité, d’improbité, dont l’équivalent résonne aujourd’hui dans leur bouche, plus que dans celle même d’opposants qui n’ont point encore dirigé les affaires publiques.
Parmi ceux de cette catégorie, qui se tiennent dans les bornes des convenances parlementaires, je regrette de ne pouvoir ranger M. Osy, sur lequel M. Van de Weyer écrivait publiquement en février 1842, à M. le ministre de l'intérieur Nothomb : « La probité de M. Osy est une de ces probités qui ne croient à la probité de personne. Il lui paraît impossible qu’un homme s’occupe des grands intérêts de l’Etat, sans soigner ses petites affaires particulières. J’ai, depuis longtemps, pour maxime, que c’est être à moitié vaincu par les hommes et les événements, que de s’irriter contre eux ; mais ce serait un déplorable système, si ces procédés étaient encouragés par un public abusé. » A en croire donc ce langage accusateur à outrance, que je suis encore réduit à combattre, comme à l’époque laborieuse où il s’adressait à M. Lebeau, il semblerait que la majorité de cette chambre a, pendant plusieurs années, souffert l’administration la plus humiliante, la plus incapable, la plus trompeuse qu’on puisse imaginer. En vérité, n’est-ce pas là flétrir le gouvernement constitutionnel ? N’est-ce pas en faire une satire qui doit réjouir tous les trônes absolus ? N’est-ce pas outrer tellement le blâme, qu’on l’énerve, au lieu de lui donner de la force et de la vraisemblance ?
On nous parle constamment de franchise, de droiture, de moralité, de dignité. Eh bien, je n’hésite pas à dire qu’il n’y a dans de pareilles violences qu’exagération mensongère, que rancune immorale, qu’inconvenance, qui révoltent le cœur de l’honnête homme et l’intéressent à la victime sur laquelle se ruent ces colères, ce vindicatif débordement.
A chaque jour suffit sa peine , dit-on d’ordinaire : Pourquoi donc ne pourrait-on pas croire qu’à chaque année suffit sa peine également ? Si l’on n’adopte pas l’usage de ce tempérament pour les ministres, il arrivera que celui qui ont le plus longtemps servi l’Etat, seront le plus poursuivis ; car, étant toujours faillibles comme les autres hommes, ils auront probablement commis plus de fautes pendant un ministère de quatre ou cinq ans, que s’ils n’avaient tenu leur portefeuille qu’une année. L’addition des méfaits ira crescendo ; d’où résultera pour l’ordre social constitutionnel la nécessité d’être sans cesse régi par des novices ou des revenants, qui feront entre eux la navette ; c’est là un grand mal à mes yeux ; et quelle suite peut-on espérer alors dans la direction des affaires publiques ?
Cependant, quand je considère nos ministres actuels, je ne puis les trouver si peu dignes de confiance, je ne dis pas pleine et absolue, mais bien réellement insuffisante pour contenter des esprits modérés dans leurs prétentions. Je vois qu’en général l’opposition traite avec quelque ménagement MM. les ministres des affaires étrangères, de la justice, des travaux publics, qu’elle en veut un peu plus à, M. le ministre des finances, mais que sa réprobation s’attache surtout à M. le ministre de l'intérieur ; et n’est-ce pas en grande partie parce qu’il est le plus ancien du cabinet, parce qu’il a consenti, dans un moment critique, à soutenir l’opinion qui ne veut pas du système exclusif ? Je pense, comme il l’a dit hier, que tel est au fond son plus grand crime ; c’est pourquoi je ne me sens pas disposé à le livrer à ses adversaires, vu que le crime était une très-bonne action qui compensera longtemps ses petits péchés dans ma mémoire, laquelle n’est pas oublieuse. N’est-ce rien enfin que la capacité de travail et de défense de ses actes devant les chambres qui distingue M. le ministre de l'intérieur ? Qui sait (page 624) mieux mettre à la portée de tous une question compliquée comme celle des droits différentiels, par exemple ? Et puisqu’on va chercher contre lui des torts, quelques insignifiants qu’ils soient, dans le passé, je rappellerai comment il a soutenu la discussion de la loi sur l’instruction primaire, suivie du vote de la plus importante majorité suivie d’une très-bonne organisation de ces écoles. Ce qui distingue M. le ministre de l'intérieur, c’est l’absence de sentiments haineux, c’est l’oubli des attaques et des votes hostiles à sa personne. J’avouerai que cette qualité porte cependant avec elle un inconvénient, c’est que, par trop d’abandon en ce genre, le gouvernement paraît faible et excite des résistances qu’il ne faut pas encourager au détriment du pouvoir, dont l’ordre social a besoin aussi dans un pays libre. En perdant avec trop de facilité le souvenir des oppositions chez les uns, on perd le souvenir de l’appui qu’on a trouvé chez d’autres, et ceux-ci se lassent de n’être pas suffisamment appréciés comme ils en ont le droit. Si M. le ministre de l'intérieur concevait mieux les limites dans lesquelles il doit se restreindre, l’insouciant oubli des actes qui le blessent pesé, en quelque sorte dans la même balance que les actes bienveillants, il unirait la modération à la fermeté de caractère, et son attitude serait plus digne et plus respectée.
Je ne puis donc louer entièrement sa tendance trop bénévole, parce qu’elle amène assez souvent la confusion aux dépens de l’ordre bien entendu. J’aimerais aussi que M. le ministre de l'intérieur, qui possède tout le talent et la force nécessaire pour marcher directement au but qu’il veut atteindre, préférât toujours ces routes droites, ennuyeuses et fatigantes à suivre sur le sol matériel, mais belles au contraire sur le terrain moral et politique parlementaire dans notre pays. Je n’ignore pas d’ailleurs qu’il est plus facile de conseiller comme aussi de censurer que mettre en pratique les bons avis, et je les donne ici sans ignorer qu’un ministère est composé, non d’une seule tête mais de plusieurs qu’il faut mettre d’accord.
Je dois ajouter encore un mot sur la mollesse du gouvernement. L’une des premières règles du justice administrative devrait être de destituer au plus tôt les bourgmestres ou receveurs communaux qui se permettent, pour en disposer à leur profit ou au profit de leurs amis, de prendre l’encaisse et les revenus de leur commune ; je connais une commune rurale très riche, qui reste absolument inabordable en hiver et souvent en été, tandis qu’elle possède 15 mille livres de rente et, depuis plusieurs années, en caisse, 30, 40, 50, 60 mille francs ; son cimetière et ses écoles, ses chemins sont dans un état pitoyable et ce n’est pourtant pas faute de plaintes adressées depuis longtemps à l’administration supérieure. Eh bien, après information, on a fini par quoi ? par destituer ce fonctionnaire coupable des plus graves abus ? Non ! on lui a demandé doucement sa démission, au lieu d’exercer contre lui les poursuites qu’il méritait et qui eussent été d’un bon exemple pour d’autres. Il existe trop d’insouciance à l’égard de la bonne ou mauvaise administration des communes et de leur police, et le gouvernement ménage souvent mal à propos ceux qui manquent même gravement à leur devoir.
En résumé, loin de vouloir regarder toutefois l’honorable ministre comme usé, selon l’expression que j’entends quelquefois en conversation particulière, je désire qu’il se perfectionne dans la pratique du gouvernement, attendu qu’il n’a jamais, comme on peut en faire des reproches à d’autres dans les deux camps, soutenu d’autres principes que des principes de gouvernement.
Un honorable orateur, d’opposition actuelle, ancien ministre, a dit que le ministère était la meilleure des propagandes, pour son opinion, que l’on était fatigué du système suivi par le cabinet belge, que bientôt on porterait ses regards, ses espérances vers la France, vers la Hollande. Nous avons perdu une partie de nos frères belges devenus hollandais, et je ne pense pas qu’un seul village limbourgeois ou liégeois envie leur sort malgré tous les griefs monstres accumulés sur nos gouvernants ; Car beaucoup plus qu’eux, les ministres français ne sont flattés et loués sur les bords de la Seine ; on ne doit donc pas se croire plus heureux en France qu’en Belgique. Et, dès lors, pourquoi porter ses regards, ses espérances au-delà de Quiévrain ? Je pense plutôt que nous sommes assez bien en Belgique pour n’envier le sort d’aucune nation ; nous payons moins de contributions que nos voisins, nous avons des libertés précieuses que l’on sait mieux que nulle part respecter parmi nous, malgré quelques violences locales répréhensibles, sorte d’exception unique qui confirme la règle suivie partout ailleurs.
Si l’on veut porter des regards, des espérances vers quelques contrées, il faut chercher l’espace vacant où il est, et au lieu de retenir nos ministres quand ils ont quelque velléité d’appuyer une entreprise utile, ne pas leur adresser des réprimandes à l’occasion d’une faible marque de bonne volonté timide, retenue qu’elle est par la certitude que le système contre-pied se tournera contre toute mesure ministérielle.
Messieurs, je ne suis pas du nombre des philanthropes qui se persuadent que, pour soulager les classes pauvres, il faut appliquer des impôts très-élevés sur les objets de luxe. Croire qu’on améliorera le sort des gens qui souffrent en taxant les objets de parade, c’est une erreur, une idée étroite qui ne tend qu’à jeter dans la misère une certaine classe de travailleurs. Chaque fois que j’entends parler en faveur du grand nombre, j’écoute attentivement tout orateur qui s’annonce comme devant nous apporter quelques lumières sur le bien-être à produire pour la généralité. Malheureusement jusqu’ici je n’ai rien trouvé de pratique dans les remèdes qui nous ont été proposés. La vérité est que, plus l’ouvrier se fait concurrence à lui-même par le nombre, moins il est rétribué, moins il est même possible de le rétribuer. Comme ressource contre ce mal, on cherche à cultiver les plus mauvais sols des pays peuplés ; on a raison sans doute, mais le très-mauvais sol exige beaucoup de travail, et rapporte peu de récoltes avec de grands frais d’exploitation. On cherche aussi à vendre des produits manufacturés aux nations voisines. Si elles les acceptent, c’est aux dépens de leurs propres travailleurs. De là, la nécessité des mesures protectrices de douanes qu’on rend moins strictes par des traités, toujours cependant avec des compensations qui ne servent les uns qu’en blessant les autres.
La terre pourtant ne manque point jusqu’ici aux habitants du globe, mais peut-on dire que ceux-ci, considérés dans leur ensemble, l’exploitent comme elle pourrait l’être. Hélas non ! les pauvres émigrants qui vont chercher au loin des moyens d’existence qui manquent dans leur patrie native, ne trouvent aucun secours, aucun appui de la part de leurs gouvernements, ils sont réduits à leurs moyens individuels ou de famille, et avant d’avoir pu consolider leur entreprise, ils ont à cause de l’isolement, bien des difficultés à vaincre, bien des misères à subir. Plusieurs persistent malgré ces embarras, à se réfugier au Texas, aux Etats-Unis d’Amérique, et Anvers voir chaque année beaucoup d’Allemands partir pour ces régions. Plus au midi les Basques vont occuper en foule la Banda orientale, les environs de Monte-Video. En Belgique nous avons eu beaucoup de demandes de transplantation au Guatemala. Un besoin sérieux se révèle par ces faits, celui d’occuper la terre encore sauvage bien que fertile.
Est-ce donc un tort aux yeux des philanthropes d’essayer de venir en aide à ce besoin ? Non ; mais le philanthrope d’opposition postpose, je dois le dire à regret, sa philanthropie au désir de faire échec sans relâche aux ministres contre lesquels il nourrit des préventions à peu près constantes ; il agit du reste partout où il figure, soit dans un conseil provincial, soit dans un conseil communal, par empêchement ; il ne fait ordinairement point de rapports, travaille peu ou point, entrave beaucoup pour empêcher le mal sans doute, j’aime à le croire, mais il finit par ressembler au mal qu’on nomme paralysie.
J’ai sollicité de M. le ministre de l'intérieur, en faveur de la société belge de colonisation, une mesure qui engageait les communes et les établissements de bienfaisance à porter quelqu’assistance à cette société et pourquoi ? Parce que son but est bienfaisant, parce que son but est d’accroître les moyens de vivre. Le bourgmestre d’une commune voisine de mon habitation de campagne m’a demandé s’il ferait bien de prendre quelques lots de la compagnie, je lui ai répondu que la commune ayant dix à douze mille livres de revenu pouvait bien en risquer mille ou quinze cents, d’autant plus que quelques-uns de ses habitants manifestaient l’intention de se rendre à Santo-Thomas. C’est dans ces limites prudentes que le gouvernement n’eût pas manqué de restreindre les souscriptions. Eh bien l’esprit du contre-pied a pris cette affaire, réduite, en réalité, au plus mince résultat, comme un méfait susceptible de toute son indignation. Un honorable membre qui siège à gauche en haut de nos bancs a qualifié, de plus, l’entreprise de ridicule. Quant à moi, messieurs, jamais je ne traiterai de ridicule les tentatives qui auront pour objet la mise en valeur du globe, les relations à établir entre des peuples, dont les uns possèdent le sol inexploité, les autres la science industrielle, comme nous autres Belges. Que ces tentatives soient heureuses, incomplètes, malheureuses même, je ne découragerais point ceux qui voudront s’en occuper avec zèle et dévouement ; le ridicule, pour moi, consiste à rester les bras croisés en riant de ceux qui se donnent de la peine et du mouvement, fût-ce pour vaincre une grande difficulté.
Sans pouvoir mériter l’éloge excessif de l’honorable préopinant qui m’a présenté comme m’étant sacrifié pour l’entreprise de Santo-Thomas, je m’en suis occupé plus que les rieurs et les censeurs, messieurs, j’ai recueilli de leur bouche l’opinion que l’on y pouvait y fonder un utile établissement. Des colons qui ont été sur place sont prêts à y retourner et l’ingénieur Delwarde n’a cessé de travailler courageusement au tracé de la route vers la Montagua.
Echouera-t-on néanmoins, c’est possible. Mais en partie pourquoi ? parce que le génie de la contradiction « quand même » aura augmenté les difficultés d’un essai digne d’appui et d’encouragement. En effet, lier la Belgique à l’Amérique centrale, prête à nous accueillir par l’intermédiaire d’une compagnie et d’un port très-sûr qu’elle possède, est une conception qui mérite autre chose que la répulsion du gouvernement belge ; telle est, messieurs, mon opinion consciencieuse. Malheureusement, je le répète, l’amour de la critique à tout fin paralyse notre gouvernement et les ministres persuadés qu’on leur imputera durement, injustement toutes les chances défavorables que peut et doit subir par moment et à son début une entreprise lointaine lui refuseront leur concours ou ne l’accorderont qu’avec des restrictions, des hésitations telles, qu’il deviendra presqu’inutile.
Ce n’est pas dans la Belgique seule que règne l’esprit jaloux, le nuisible instinct d’opposition. Au lieu de tenir en mer un nombre ruineux de vaisseaux hérissés de canons pour jouer au plus fort, tandis que la misère les dévore plus ou moins dans leur intérieur, les grandes nations de l’Europe maritime devraient employer ces forces à peupler le monde, à l’utiliser, à percer les obstacles qui obligent les navigateurs à de longs et périlleux détours, mais les politiques de gazettes et de tribunes, amateurs d’embarras, préfèrent cultiver l’antagonisme, à propos de la reine d’Ivetot, Pomaré, et de M. le pharmacien missionnaire Pritchard, je dois donc me consoler de ce qui se gaspille en contradictions chez nous sur une échelle plus petite.
Pour en revenir à la question de confiance envers le ministère, je dirai que l’on n’a rien fait qui puisse faire perdre à M. le ministre de la justice celle qu’on lui accordait l’année dernière ; que M. Mercier dirige nos affaires de finances aussi bien qu’elle ont jamais été (page 625) conduites ; que M. Dechamps, ministre des travaux publics, ne doit pas quitter son portefeuille au moment même où il a pu se mettre au courant de son administration ; que M. le ministre des affaires étrangères a subi très-peu de censures ; qu’enfin M. le ministre de l'intérieur est le principal orateur du gouvernement ; qu’il a d’ailleurs rendu d’essentiels services au pays depuis 1830 et que si on exigeait sa retraite on affaiblirait grandement ses collègues qui forment avec lui un cabinet capable, ce qui est très-important, administrativement et sous le rapport des discussions à soutenir dans cette enceinte et au sénat. Rien de meilleur, à tout prendre ne se présentant en perspective, je m’en tiendra pour mon compte à ce que nous possédons.
Il me reste une observation à faire sur une attaque dirigée contre Monsieur le ministre de la guerre un orateur d’opposition en ce qui concerne les avancements au choix. Messieurs, la loi fixe une part d’avancement réservée à l’ancienneté ; s’il était à propos d’en faire davantage dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de sa défense, la loi l’eût exigé ; mais au contraire elle impose au ministre, comme le bon sens l’exige, l’obligation de choisir les officiers les plus capables de commander les troupes en cas de guerre, et cette obligation n’entraîne pas un brevet d’incapacité pour les autres. Ce serait chercher à plaisir un sens mauvais à un système nécessaire.
Dans toutes les classes de la société, dans toutes les administrations, il y a des hommes plus forts que leurs pareils ; ce mérité plus grand de certains médecins, légistes, théologiens, réduit-il ceux qui suivent la même carrière au rôle d’incapacités ? nullement ! Mais dans aucune carrière on n’admet l’ancienneté comme titre exclusif aux premiers emplois. Est-ce le plus ancien juge du tribunal de première instance qui devient conseiller en appel ou en cassation ? le plus ancien substitut qui obtient la place vacante d’avocat-général, de procureur-général ? le plus ancien commissaire de district occupe-t-il la place de gouverneur ? le plus ancien prêtre d’un diocèse devient-il évêque ou même grand vicaire ? non !
Eh bien, je n’hésite pas à le dire, nulle part plus que dans une armée, il importe de placer les plus capables aux grades supérieurs, parce que dans aucune carrière la supériorité de l’intelligence et de courage n’est plus nécessaire à la sûreté de l’Etat.
Ceux qui commandaient nos troupes en 1831 ne manquaient pas d’ancienneté, vous savez ce qu’elle a produit.
L’orateur opposant a d’ailleurs promis son bon vouloir au budget de l’armée, mais il n’oubliera pas sans doute que c’est un budget de dépenses, que les recettes doivent le couvrir et non plus les emprunts ou les bons du trésor.
M. Fleussu – Il fallait toute la gravité des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons ; il fallait que les débats solennels auxquels vous êtes attentifs depuis plusieurs jours, prissent les proportions d’une question ministérielle, pour me décider à prendre la parole.
Dans la disposition d’esprit où je me trouve malheureusement depuis quelque temps, le calme et le silence me conviennent mieux que le bruit et l’agitation d’une lutte parlementaire.C’est vous dire assez que je réclamerai votre bienveillante attention, bien moins pour récapituler les torts et les échecs du ministère, que pour vous soumettre en quelques mots les motifs de mon vote.
La position est neuve.
Autrefois (ou du moins dans nos discussions antérieures) l’opposition dirigeait tous ses traits contre M. le ministre de l'intérieur. Etait-ce, comme vient de le dire M. le comte de Mérode, parce que M. le ministre de l'intérieur a maintenu le système politique qui, depuis 1830, a prévalu dans cette chambre ? Etait-ce comme il l’a dit encore, parce qu’il était le membre le plus ancien du cabinet ? Non, c’est parce que l’opposition le considérait comme l’âme, comme la pensée du cabinet. Si l’opposition s’était attaquée à M. le ministre de l'intérieur, comme ayant maintenu le système politique dont a parlé l’honorable M. de Mérode, elle se serait mise en quelque sorte en contradiction avec elle-même. M. le ministre de l'intérieur, qui a été homme de la majorité, ainsi qu’il l’a dit lui-même, depuis 1830, quelle a été sa conduite sous le ministère de 1840 ? Il a voté pour ce ministère, et cependant il a pris sa place. S’il a appuyé le ministère de 1840, c’est que ce ministère avait une conduite politique qui convenait à M. Nothomb ; pourquoi donc M. Nothomb cherche-t-il à substituer une politique nouvelle à celle qu’il avait soutenue de ses votes ? Le cabinet de 1840 voulait, insinue-t-on, l’influence d’une autre opinion que celle qui triomphait depuis 1830 ! Mais de qui donc se composait ce cabinet ? Indépendamment des honorables MM Rogier et Lebeau, il se composait de l’honorable M. Leclercq, à qui tout le monde se plaît à rendre justice, de notre honorable président, de l’honorable M. Mercier, qui siège aujourd’hui au banc ministériel. Je vous le demande, était-ce là des gens à révolutionner le pays pour amener ici le triomphe d’une autre opinion ?
Je pense que l’opposition avait tort lorsqu’elle combattait M. le ministre de l'intérieur seul. Cette manière de procéder n’est pas conforme aux principes de la responsabilité ministérielle. En effet, ou ceux qui sont à côté de M. le ministre de l'intérieur sont des hommes dont l’influence est capable de paralyser la sienne et qui n’exercent pas cette influence ; alors, je le demande, pourquoi leur accorder une indulgence que vous refusez à M. le ministre de l'intérieur ? Ou bien ce sont des hommes incapables de faire obstacle à sa politique, et, à ce titre encore, ils ne mériteraient aucune indulgence.
Je dis donc, messieurs, que maintenant, grâce à la déclaration de solidarité qui a été prononcée par le ministère tout entier, nous sommes entrés dans une voie beaucoup plus régulière ; c’est maintenant tout le ministère que nous avons en présence.
Est-ce que MM. les ministres ont senti qu’en laissant leur collègue seul sur la brèche, exposé à tous les traits de l’opposition, ils se tenaient dans une position d’infériorité humiliante ? Est-ce qu’ils sont senti que cette préférence que l’opposition donnait à leur collègue M. le ministre de l'intérieur était pour lui une espèce de piédestal autour duquel ils viendraient se ranger ? Ou bien, ces messieurs, en acceptant la solidarité, ce dont je les félicite, n’ont-ils fait que remplir une des conditions du rapprochement qui a dû nécessairement avoir lieu après le comité secret sur l’affaire du Zollverein ?
Je parle de rapprochement, messieurs, parce que la division qui régnait entre les différents membres du ministère était à cette époque évidente pour tous les yeux. Quoi qu’il en soit, messieurs, il nous importe fort peu de rechercher quelle a pu être la cause de la proclamation de cette solidarité. Mais, tout en y applaudissant, je regrette qu’on ne la trouve que dans les mots. Si vous la cherchez dans les actes du ministère, vous ne le trouvez pas ; vous trouvez, au contraire, que la plupart des actes du ministère lui donnent un démenti formel.
Ainsi, messieurs, en voulez-vous des exemples ? Je reviendrai encore à cette fameuse loi du jury dont on a tant parlé, et donc je devrai encore dire un mot tantôt. Cette loi été discutée dans le conseil des ministres ; elle est présentée à la chambre, du consentement de tous les ministres ; et à l’instant même un de ces messieurs se retire et va se placer sur les bancs de l’opposition, de l’opposition quant à cette loi. Pourquoi donc, messieurs ? Mais il vous l’a dit : c’était pour attaquer avec plus d’aisance le système de ses collègues, et c’était d’un autre côté pour leur laisser plus de liberté dans la défense.
Or, je vous le demande, est-ce là de la solidarité ? En vérité, messieurs, elle est admirable ! Après s’être entendus dans le conseil des ministres et probablement sous la présidence du Roi, un de ces messieurs se retire, et il vous déclare qu’il se retire pour attaquer avec moins de ménagement, le projet de ses collègues et pour leur laisser plus de liberté d’action dans la défense.
Messieurs, je veux bien croire, quant à moi, que la démission qui a été donnée par l’honorable M. Dechamps à cette époque était sérieuse ; je veux bien croire que c’est le Roi qui a voulu la tenir en réserve. Mais, messieurs, il est en Belgique des esprits incrédules et qui pensent que le ministère, dans cette occasion, n’a joué qu’une véritable comédie. Vous sentez que pour ceux qui ont cette opinion le pouvoir perd beaucoup de sa considération.
Du reste, il était un moyen bien plus simple, ce me semble, pour l’honorable membre auquel je fais allusion, de prévenir cette suspicion. Il avait probablement son opinion, lorsqu’il a discuté la question au conseil des ministres. Mais s’il y attachait autant d’importance, pourquoi donc ne se retirait-il pas avant la présentation du projet ? C’aurait même été un avertissement pour ses collègues. C’est une conduite incertaine, cette retraite tardive, qui fait que l’opinion a pu prendre le change sur la conduite de l’honorable M. Dechamps.
Messieurs, dans le comité secret relatif au traité avec le Zollverein, la division du ministère a été bien autrement flagrante. Vous savez que M. le ministre de l'intérieur, en présence d’une difficulté très-grande, nous a donné une déclaration formelle qu nous jouirions, par la Meuse, des avantages qui étaient assurés par les voies de terre, en vertu du traité avec le Zollverein. Cette déclaration avait été donnée en séance publique. Dans le comité secret, quelle a été la conduite de ses collègues ? L’un s’est montré incertain, doutant, n’affirmant rien. Un autre vous a donné quelques espérances basées sur le dire de diplomates étrangers. Voilà la conduite de ces messieurs dans le comité secret ; et, messieurs, si l’on avait un procès-verbal de cette séance, si, comme je l’avais demandé dans le comite secret, les nuances des différentes opinions de MM. les ministres avaient été consignées dans le procès-verbal, vous faudrait-il une autre preuve pour établir qu’il n’y a réellement pas de solidarité entre MM. les ministres ? cette solidarité, vous la proclamez maintenant, mais vous la proclamez pour les nécessités du moment !
Du reste, si tant est que vous dussiez encore parcourir une carrière ministérielle, je désire que en fassiez une plus large application que vous ne l’avez fait jusqu’à présent.
Messieurs, ainsi que je vous le disais tantôt, mon intention n’est pas de passer en revue tous les actes du ministère ; je me propose seulement d’établir que, par cette conduite incertaine, vacillante, par son hésitation, ses revirement, il a affaibli, déconsidéré le pouvoir.
Pour gouverner le pays, messieurs, il ne suffit pas d’un talent oratoire, quelque remarquable qu’il puisse être ; il ne suffit pas non plus d’une aptitude aux affaires aussi très-remarquable ; il faut encore, et il faut surtout de la franchise et de fermeté dans le caractère. Il faut que le gouvernement, le ministère signale le but vers lequel tendent tous ses efforts, qu’il y arrive sans qu’il soit nécessaire d’employer une voie détournée, et sans secours des expédients.
Pour jouir, messieurs, de toute liberté d’action, qui lui est indispensable, pour faire le bien, le ministère doit être sûr d’une majorité. Il ne faut pas qu’à chaque projet de loi il marche à la recherche d’une majorité incertaine et éparpillée. Quand un ministère marche en tête d’une majorité qui lui est dévouée, il est fort et il relève le pouvoir. Quand, au contraire, messieurs, il est, je dirai, traîné à la remorque d’une majorité, alors nécessairement il est faible et il affaiblit le pouvoir.
Voyons maintenant dans laquelle de ces conditions se trouve le ministère actuel. Il me semble, messieurs, que nous devons rechercher quelles sont les opinions bien connues de MM. les ministres, et de quel côté est la majorité dans cette chambre.
(page 626) M. le ministre de l'intérieur est libéral ; il a été obligé d’en faire l’aveu sur une interpellation qui lui a été adressée par mon honorable ami M. Dolez. M. Mercier est libéral, et il le prouve assez, messieurs, par la profonde indignation qu’il manifeste chaque fois qu’on l’accuse d’avoir renié ses principes. M. Goblet est libéral. M. d’Anethan, avant d’entrer au ministère, passait pour libéral, et on dit même que c’est pour cette raison qu’il n’a pu obtenir la place de secrétaire général au département dont il est maintenant le chef. Je ne parle pas, messieurs, de M. le ministre de la guerre, parce qu’en général, on s’accorde à ne pas lui donner un caractère politique. Ainsi, de compte fait, messieurs, voilà que nous avons les quatre cinquièmes du ministère pris dans l’opinion libérale.
Quelle est cependant la majorité qui triomphe dans cette chambre ? Messieurs, il faut bien reconnaître les choses telles qu’elles sont, c’est l’opinion qu’on est convenu d’appeler catholique.
Eh bien ! n’est-ce pas une chose fort étrange de voir à la tête d’une majorité catholique un ministère libéral, il faut se trouver en Belgique pour voir un spectacle aussi curieux.
Ce spectrale est fort extraordinaire, mais aussi il est fort affligeant pour nos affaires.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il est très-ancien.
M. Fleussu – Savez-vous ce qui arrive d’un état de choses si anormal ? L’honorable M. Dumortier vous l’a déjà fait connaître, et je rappellerai votre attention sur ce fait : c’est que, pour obtenir des suffrages qu’il n’obtient pas de la sympathie de la majorité, le ministère est obligé de lui faire des concessions, il est obligé de satisfaire à ses exigences.
Pendant deux ans, il semble qu’il y a eu beaucoup d’harmonie dans cet échange de bons services mutuels ; pendant deux ans, la majorité s’est dévouée au ministère, sans doute parce que le ministère se dévouait à la majorité.
Bien des choses, messieurs, nous ont été expliquées dans la séance d’aujourd’hui. Aussi, voulez-vous un exemple de ce que je viens de vous dire ? Prenez-le dans les lois réactionnaires.
M. le ministre de l'intérieur, le gouvernement plutôt, propose des mesures réactionnaires et contre nos institutions communales et contre les lois électorales. La majorité le soutient, mais c’est en lui imposant des conditions qu’à son tour il soutient. Et voilà, messieurs, comme il s’est fait, chose que nous ne connaissions pas jusqu’à présent, que par des conventions entre la majorité et le ministère, tous nos efforts venaient se briser contre une majorité compacte, d’accord avec le gouvernement.
Lorsqu’il s’est agi, messieurs, de cette fameuse loi du jury, et l’honorable M. de Mérode nous disait tantôt que nous avions toujours les mêmes arguments à la bouche, mais je crois que chacun de ces arguments, ou plutôt chacune de ces circonstances, étaient telles qu’elles devaient entraîner la chute du ministère ; dans la fameuse loi du jury, le ministère est accusé d’avoir trompé tout le monde. Est-il vrai, comme on l’a dit, que c’est pace qu’il avait vu tomber les têtes du parti catholique, qu’enhardi par cette chute, il avait fait un demi-tour vers nos bancs ? Je n’en sais rien. Mais ce qui est certain, c’est que les deux opinions de la chambre ont été jouées dans cette loi. On a joué le parti catholique par la présentation de la loi ; on nous a joués, lorsque nous apprêtant à la soutenir et la soutenant, nous avons rencontré pour adversaire M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Moi ?...
M. Fleussu – Vous-même ; lisez les discussions ; c’était contre vous que nous devions lutter.
Mais le mot de l’énigme, nous ne le connaissons pas. Il nous a été donné aujourd’hui. C’est que M. le ministre de l'intérieur s’était engagé à voter la loi, telle que la présenterait la section centrale pourvu qu’elle fût temporaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pas le moins du monde. J’ai refusé de prendre cet engagement.
M. Fleussu – Voilà ce qui a été affirmé tantôt par l’honorable M. Dumortier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai dénié le fait.
M. Fleussu – Au reste, il est notoire que vous n’avez défendu que faiblement le projet de loi que vous aviez présenté, que vous nous avez abandonné dans la discussion, que c’était contre vous que nous devions lutter avec le plus de force.
Et puis n’est-il pas vrai (ce qui confirme la version de M. Dumortier), n’est il pas vrai que la loi a été adoptée provisoirement, pour 4 ans, comme vous l’aviez demandé à la majorité ?
Messieurs, à propos d’une autre loi, la loi des droits différentiels, ou nous a dit à l’instant même que la majorité l’avait « exigée » : ce sont les termes dont s’est servi l’honorable M. Dumortier. Ainsi, messieurs, voilà dans toutes ces circonstances le ministère traîné à la remorque ou plutôt faisant les affaires de la majorité, à la condition que la majorité fasse les affaires du ministère. Je le demande après cela, messieurs, lorsque a ainsi levé le rideau, et qu’on nous a laissé pénétrer jusque dans l’arrière-fond du théâtre, lorsqu’on voit un spectacle pareil, si le gouvernement ne tombe point dans l’opinion publique, et sil n’est pas vrai de dire que de pareilles manœuvres avilissent le pouvoir.
Messieurs, pour tenir ma parole, peut-être devrais-je me borner à ces seules observations ; mais on a fait beaucoup de bruit de l’affaire de Guatemala. Je ne l’ai pas étudiée, je n’ai pas d’opinion sur l’affaire. Mas j’ai entendu affirmer, j’en entendu répéter avec beaucoup d’instance par l’honorable M. Dumortier que le secrétaire de M. le ministre de l'intérieur était présent à la convention, que c’est lui qui y a poussé. M. le ministre ne vous a point donné de réponse sur ce point. Cependant si le est vrai, ce point est capital. On a parlé de décorations, il y aurait peut-être de l’indiscrétion à demander si les arrêtés qui doivent conférer des décorations existent en effet.
Vous parlerai-je maintenant, messieurs, du traité avec le Zollverein ou plutôt de ce qui s’est passé dans le comité secret à propos de ce traité ? Après que le gouvernement belge eut fait au gouvernement prussien une guerre de tarifs, les deux gouvernements sont revenus à des négociations ; le gouvernement belge a négocié sans connaître les faits commerciaux dont la connaissance lui était nécessaire pour bien poursuivre les négociations ; il ne connaissait ni le fret de la Meuse, ni le montant de nos importations dans la Westphalie. Dans cette ignorance de faits essentiels, il a stipulé lui-même (chose bien étrange !) une disposition qui était entièrement contraire aux intérêts de la Belgique.
On a fait voir, quelques jours avant la discussion de la loi relative au traité, on a fait voir au gouvernement dans quelle erreur il était tombé, combien la disposition de l’art. 19 allait compromettre les intérêts belges. M. le ministre de l'intérieur paye d’audace, il dit : « Vous aurez l’exportation par la Meuse, je consens à ce qu’il en soit donné acte au procès-verbal. » Il espérait peut-être, par ce trait de franchise, auquel il ne nous avait pas habitués jusque-là, il espérait que ce point ne reviendrait plus dans la discussion ; mais, malheureusement pour lui, le Moniteur du lendemain n’était déjà plus aussi explicite que M. le ministre l’avait été dans cette enceinte. On est revenu sur la discussion de ce point dans le comité secret, et c’est là, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur a été complètement désavoué par ses collègues.
La discussion était telle à cette époque entre MM. les ministres qui, si ce qu’on m’a rapporté est exact (ce qu’a dit tout à l’heure l’honorable M. Dumortier semble confirmer le fait) il y aurait eu convocation d’un conseil des ministres, auquel l’un de ces messieurs n’aurait pas été appelé.
Messieurs, vous vous rappelez tous, sans que j’ai besoin d’en faire encore le tableau, quelle était la figure du ministère dans cette discussion qui devait être pour lui l’occasion d’un grand triomphe. Malheureusement il avait commis des erreurs ; ces erreurs, il a craint de les avouer ; c’est par des subterfuges qu’il a voulu les couvrir ; mais on poussa les choses trop loin et les erreurs et les dénégations ont été mises au grand jour.
Il est donc sorti de cette discussion en comité secret, mutilé, meurtri, et il faut le dire, aplati autant que ministère l’ait jamais été. La division était parmi les ministres lorsque nous nous sommes retirés pour prendre nos vacances de Noël : ce n’était presque plus un mystère pour personne, le ministère était disloqué ; il devait y avoir un nouveau comité secret ; vous pensiez peut-être que c’était pour nous faire connaître des choses nouvelles, choses qui n’avaient pas été dites dans le premier comité ? Non, messieurs, c’était pour nous faire croire, à nous qui avions assisté au désappointement du premier comité secret, sous les yeux de qui tout la discussion s’était passée, pour nous faire croire qu’il n’y avait pas eu de désunion dans le conseil, que MM. les ministres avaient toujours été parfaitement d’accord. C’était, en deuxième lieu, pour nous faire entrevoir le rapprochement assez mal ressoudé qui avait été amené probablement par une haute influence, et rendu possible par le désir, qu’éprouvait chacun de ces messieurs de rester aux affaires. Eh bien, lorsque je me rappelle ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu avant notre séparation, et que, rentrant ici, j’ai vu MM. les ministres assis, l’un à côté de l’autre, je me suis dit ; Des gens qui se respecteraient montreraient plus de dignité ; et quand on ne sait point se respecter, on est incapable de faire respecter le pouvoir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’avais promis à la chambre un rapport sur les octrois municipaux ; j’ai ce rapport et je le dépose sur le bureau. On pourrait le faire imprimer.
- La chambre ordonne l’impression de ce rapport.
La séance est levée à 4 heures et demie.