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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 janvier 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 567) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et un quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Plusieurs docteurs et licenciés en médecine, chirurgiens, accoucheurs et médecins vétérinaires, domiciliés dans les communes rurales des provinces de Liége et de Luxembourg, présentent des observations contre le projet qui aurait pour but de défendre aux médecins du plat-pays de fournir des médicaments à leurs malades. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques raffineurs de sucre de Gand demandent qu’en attendant la révision de la loi des sucres, les 4/10 à payer au trésor soient réduits à 1/10. »

M. Delehaye – Messieurs, un grand nombre de pétitions du même genre ont déjà été renvoyées par la Chambre à M. le ministre des finances. Je demande que la nouvelle pétition lui soit renvoyée directement, sans passer par la filière ordinaire.

Le renvoi successif de ces pétitions éveillera l’attention de M. le ministre sur l’urgente nécessité de présenter à la chambre un projet de loi.

M. Eloy de Burdinne – Ce renvoi direct serait une dérogation au règlement. Au surplus, la grande question de la raffinerie des sucres n’est pas une question qui doive être brusquée. On doit laisser à chacun de nous le temps de l’examiner avec maturité. Vous devez aussi laisser le temps aux ouvriers qui vivent de la production du sucre indigène de répondre aux pétitions du commerce des raffineries.

La pétition doit être renvoyée, soit à la commission des pétitions, soit à la commission d’industrie.

M. Manilius – Je crois aussi que la pétition, comme les pétitions précédentes, doit être renvoyée à la commission d’industrie. Mais j’ai demandé la parole pour appuyer une partie de la motion de l’honorable M. Delehaye ; à l’exemple de mon honorable collègue, j’appelle aussi vivement l’attention de M. le ministre des finances sur les demandes successives des personnes intéressées à cette industrie. Il est temps qu’on y songe : le mal est extrêmement grave. Ces réclamations vices et pressantes devraient avoir quelque retentissement auprès de M. le ministre des finances, et l’engager à prendre une mesure provisoire pour porter remède au mal qui est signalé de toutes parts.

M. Delehaye – L’honorable M. Eloy de Burdinne se figure que chaque fois que je prends la parole sur la question des sucres, mon intention est de porter atteinte à l’industrie du sucre de betterave. Si l’honorable M. Eloy de Burdinne avait pris connaissance de la pétition, il aurait vu que cette pièce est précisément émanée de raffineurs qui demandent la coexistence des deux sucres.

En effet, il existe à Gand et à Anvers des raffineurs qui prétendent que les deux industries peuvent vivre simultanément ; ce sont ces raffineurs qui se sont adressés à vous, et c’est précisément pour faire droit aux réclamations de l’honorable M. Eloy de Burdinne, que je demande que la pétition soit renvoyée directement à M. le ministre des finances.

Du reste, je n’attache pas une grande importance à ce renvoi direct ; j’ai voulu seulement, par une proposition, enlever à M. le ministre des finances tout prétexte pour ne pas saisir immédiatement la chambre d’un projet de loi. Je le répète donc, je tiens peu à ce que la pétition soit renvoyée directement au département des finances, ou soit adressée préalablement à la commission permanente d’industrie ; seulement, je croyait inutile de saisir cette commission d’une pétition qui signale des faits de l’examen desquels elle s’est déjà occupée. Si l’on croit néanmoins qu’il convienne de lui renvoyer la pétition, je retirera volontiers ma proposition. Je dois faire observer en tout cas que, dans cette question, je me borne à me poser pour le moment le défenseur de ceux qui prétentent que les deux sucres peuvent co-exister, bien que, dans mon opinion, cela sera dans tous les cas très difficile.

M. Rodenbach – La pétition de Gand est une pétition toute nouvelle. Les pétitions que nous avons eues jusqu’ici n’ont pas parlé de la co-existence des deux industries. Je crois aussi, avec les pétitionnaires de Gand, que l’industrie du sucre de betterave et celle du sucre de canne peuvent exister simultanément. La preuve qu’elles peuvent co-exister, c’est qu’en France les deux industries subsistent ensemble. Dans deux ans, il y aura égalité de droits en France.

Je bornerai là mes observations. J’appuierai le renvoi à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.

- La chambre, consultée, renvoie la pétition à la commission permanente d’industrie.


« Plusieurs médecins, chirurgiens, accoucheurs et médecins vétérinaires demandent l’abolition de l’impôt-patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur la patente.


« Le conseil communal de Hommeshoven demande la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »

« Même demande des habitants de la commune de Nederheim. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par dépêche en date du 21 janvier, M. le ministre de l'intérieur appelle l’attention de la chambre sur la nécessité de s’occuper dans une prochaine séance du tirage au sort qui détermine la sortie de la moitié des membres du jury d’examen. »

M. le président – La chambre veut-elle fixer à lundi prochain, au commencement de la séance, le tirage au sort dont il est question ? (Oui, oui !)

M. de La Coste – Ne pourrait-on pas fixer cette opération après le vote du budget de l’intérieur ? Cette opération doit être suivie, quelques jours après, de la nomination des membres du jury attribuée à la chambre. Les membres de la chambre, préoccupés de la grave question qui s’agite en ce moment , ne sont pas préparés.

M. le président – La loi exige que le tirage au sort ait lieu avant le 6 février prochain.

- La chambre, consultée, fixe à lundi prochain ce tirage au sort.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Thuin

« Par dépêche en date du 23 janvier, M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre le procès-verbal de l’élection de M. Troye, élu par le district électoral de Thuin. »

Tirage au sort de la commission chargée de la vérification de l’élection de M. Troye : le sort désigne MM. Simons, Brabant, de Florisone, Zoude, Mast de Vries, Pirmez et Desmet.

Rapport sur une pétition

M. Maertens – Messieurs, la chambre, dans sa séance du 16 de ce mois, a renvoyé à la section centrale chargée du budget de l’intérieur, avec demande d’un prompt rapport, une pétition signée par 23 médecins vétérinaires, réclamant une loi sur l’exercice de la médecine vétérinaire.

Ils exposent que le pays possède aujourd’hui près de 300 vétérinaires diplômés, en état de suffire à tous les besoins, qui n’ont reculé devant aucun sacrifice pour acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice légal de la profession à laquelle ils se sont consacrés ; ils se plaignent qu’à ces 300 médecins en titre, viennent faire concurrence 1,400 guérisseurs, qui n’ont d’autre diplôme que leur patente, et qui exploitent la crédulité publique en dépit du bon sens et au grand détriment de leurs dupes.

C’est contre cet abus qu’ils viennent s’élever, et c’est pour le faire cesser qu’ils demandent qu’une suite soit donnée au projet de loi qui déjà, depuis deux ans, a été soumis par M. le ministre, aux discussions de l’Académie de médecine, et dont la présentation aux chambre a été promise lors de l’examen du budget de 1844.

La section centrale, par mon organe, a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, et le dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion de son budget.

- Ces conclusions sont adoptées.

Motion d’ordre

Eboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

M. David – Messieurs, j’espère que l’assemblée ne trouvera pas mauvais que j’interrompe un instant ses travaux pour demander à M. le ministre des travaux publics quelle est l’importance de l’éboulement qui vient d’avoir lieu au tunnel de Cumptich. Les uns exagèrent la gravité de cet événement, d’autres l’amoindrissent. On parle d’une interruption qui paraît devoir être très-longue, ce qui serait excessivement fâcheux, surtout pour le transport des marchandises. Je désire donc que M. le ministre des travaux publics nous fasse connaître l’étendue du mal pour que l’on soit définitivement rassuré sur la gravité de ce sinistre ; je désire que M. le ministre nous dise quel temps sera nécessaire pour effectuer les réparations : ce que M. le ministre des travaux publics sait déjà probablement par les rapports qu’il a dû recevoir de ses employés ; quelle sera aussi l’époque de l’ouverture du tunnel latéral. Par suite de cet événement, les marchandises doivent supporter un surcroît de frais. Il me semble que le gouvernement, s’étant constitué entrepreneur, doit avoir ces frais à sa charge ; sans cela, l’institution du chemin de fer manquerait de sécurité pour le transport des marchandises, de pareils accidents pouvant se renouveler.

Nous sommes arrivés au troisième jour depuis que la circulation sur le chemin de fer est interrompue, et nous sommes encore dans la même incertitude ; je désire qu’il y soit mis un terme.

Je ne sais si je ne prolongerais pas trop ma motion d’ordre en demandant (page 568) à M. le ministre des travaux publics, s’il ne serait pas à même de nous faire connaître la cause de l’éboulement qui a eu lieu.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, l’éboulement fâcheux qui a eu lieu au souterrain de Cumptich a une étendue d’environ 25 mètres. Le gouvernement n’a rien négligé pour prévenir cet accident. Il y a un certain temps, quelques craintes avaient été manifestées ; j’ai immédiatement ordonné une enquête par une commission composée des ingénieurs les plus habiles du chemin de fer, et fait exécuter les mesures de précaution qui m’avaient été indiquées.

Des réparations avaient été faites à certaines parties de la maçonnerie du tunnel qui avaient paru un peu faibles. Malheureusement, ces réparations, qui ne pouvaient être faites que lentement à cause des travaux du second tunnel, n’avaient pas pu être assez complètes, et l’éboulement, a eu lieu là où ces travaux de réparation n’avaient pas pu être terminés ; si elles avaient pu l’être, l’éboulement n’aurait pas eu lieu.

L’honorable M. David me demande su l’interruption des transports serait longue. D’après le premier rapport qui m’a été adressé, on avait pensé qu’elle ne serait que de trois jours ; cependant, par suite de nouvelles informations, je crois qu’il faudra quelques jours de plus avant que la réparation de l’accident soit complète. En attendant, le gouvernement a pris des mesures pour que l’interruption des transports sur cette ligne n’eût pas lieu en fait. Ainsi, pour les voyageurs, un service d’omnibus, et pour les marchandises un service de roulage ont été organisés entre Louvain et Tirlemont. Quant aux frais qui en résulteront, ils doivent être à la charge du gouvernement pour les expéditions déjà préparées, mais pour les expéditions postérieures à l’accident, je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à mettre à charge du gouvernement des frais résultant d’un cas de force majeure.

M. le président – Si personne ne demande plus la parole, nous passerons à l’objet de l’ordre du jour.

Motion d’ordre (Société de Guatemala)

M. Devaux – Dans une séance précédente, j’ai demandé à M. le ministre de l'intérieur, si l’intention du gouvernement était de nous présenter un rapport dont il avait été parlé sur les relations de la société de Guatemala avec le gouvernement. Il paraît que l’intention du gouvernement n’est pas de présenter ce rapport. Il y a un fait qui rentre complètement dans la discussion dont nous allons nous occuper et qui a besoin d’être éclairci ; la chambre a le droit de connaître ce qui en est de la convention du gouvernement avec la compagnie de Guatemala, convention ayant pour but la garantie d’un emprunt à contracter. Quelles est aujourd’hui la situation du gouvernement vis-à-vis de la compagnie à cet égard ? Quelle est la force de cette convention ? Le gouvernement est-il toujours engagé ? La compagnie a-t-elle dégagé le gouvernement ? Comme la discussion a déjà été portée sur ce point et peut y être reportée encore, nous avons besoin de connaître la position exacte du gouvernement.

Je prie M. le ministre de nous dire si le gouvernement est encore engagé ou si la compagnie l’a dégagé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Une discussion a eu lieu, je pense, dans la discussion générale du budget des voies et moyens, sur la portée de la convention du 21 juillet. J’ai déclaré, à cette époque, que cette convention était provisoire et conditionnelle ; elle supposait que la compagnie donnerait des gages et des sûretés au gouvernement. Ces gages et ces sûretés n’ont pas été fournis ; le terme du 31 décembre fixé dans la convention est venu à expirer sans que cette condition, formellement exprimée dans l’acte du 21 juillet, ait été remplie. Voilà la véritable nature de la convention. Dès lors le gouvernement ne se regarde pas comme lié par cet acte, le terme étant venu à expirer sans que la compagnie ait fourni les gages et sûretés stipulés dans la convention.

M. Sigart – Votre opinion peut être que vous êtes dégagé ; mais je ne sais si cela suffit. La société de colonisation peut l’entendre autrement. C’est matière à procès.

M. Devaux – Le gouvernement se regarde donc comme complètement relevé de son engagement. Je ne pousserai pas plus loin mes interpellations sur ce point quant à présent. Il pourra en être question dans la discussion.

M. Delehaye – La convention est donc nulle.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, vous avez entendu hier deux orateurs qui ont, l’un et l’autre, attaqué la politique du cabinet. Mais ces deux orateurs se sont placés sur un terrain différent. L’honorable M. Osy n’a pas attaqué le ministère tout entier, l’honorable M. Osy a attaqué presque continuellement M. le ministre de l'intérieur seul. L’honorable M. de Tornaco, au contraire, s’est mis sur le véritable terrain parlementaire ; il a attaqué le ministère tout entier ; il a passé en revue la plupart de ses actes, et les a pour la plupart critiqués. C’est, messieurs, le terrain choisi par l’honorable M. de Tornaco qui est le seul que nous puissions accepter ; c’est le terrain indiqué par la déclaration faite, au nom du cabinet, par mon honorable collègue des affaires étrangères ; et c’est sur ce terrain dégagé, où ne prendront point place des questions de personnes, que la discussion doit nécessairement s’engager.

Le ministère, messieurs, est solidaire pour tous les actes qui ont été posés depuis son avènement au pouvoir. Le ministère ne décline la responsabilité d’aucun de ces actes, et chacun des membres du cabinet revendique aussi le mérite des actes qui ont été accomplis.

Qu’il me soit permis de signaler, en parlant des attaques dont M. le ministre de l'intérieur a été l’objet de la part de l’honorable M. Osy, une singulière préoccupation de cet honorable membre ; alors que, d’après l’ensemble de son discours, on croirait que la politique du cabinet se personnifie dans M. le ministre de l'intérieur, que M. Nothomb serait le chef du cabinet qui serait seul responsable de tous ses actes, comment expliquer dans le discours de l’honorable membre la phrase suivante :

« Souvent dans les conseils de cabinet il doit se présenter des questions de haute politique, et nous ne pouvons pas douter qu’il se laissera toujours entraîner par la majorité, sans jamais faire prévaloir des principes, et alors son talent sera de soutenir devant nous le blanc ou le noir, d’après les circonstances. »

Il faut avouer que ce serait là un singulier chef de cabinet que, celui qui, dans les conseils, ne pourrait jamais faire prévaloir son opinion, qui, au lieu d’être à la tête du cabinet, serait traîné à sa remorque et viendrait ici, comme un véritable acteur, débiter un rôle qu’on lui aurait appris. Telle n’est pas la position de M. le ministre de l'intérieur ; j’ai à peine besoin de le dire à la chambre ; mais j’ai cru devoir relever cette inconséquence de l’honorable M. Osy : elle me fournit l’occasion de déclarer, de la manière la plus formelle, que dans le cabinet dont j’ai l’honneur de faire partie, il n’y a pas de chef, que nous sommes tous au même titre au banc ministériel, qu’il n’y a entre nous aucune suprématie, et que toutes les affaires qui sont portées devant les chambres sont préalablement discutées entre nous en conseil, avec une entière égalité de position. Il n’y a pas de chef de cabinet. M. le ministre de l'intérieur n’a jamais revendiqué ce titre, aucun de ses collègues n’aurait été disposé le lui donner.

Messieurs, puisque l’on a parlé de tous les actes du ministère, depuis son avènement au pouvoir, qu’il me soit permis de remonter jusqu’à l’origine du cabinet et de dire un mot des principes qui ont présidé à sa formation.

Le principe, le but de la formation du ministère se trouvent résumés dans son programme publié dans le Moniteur du 17 avril 1843.

« Le gouvernement, disions-nous, messieurs, a la conviction qu’il doit d’appuyer sur toutes les opinions modérées, sans acceptation de parti ; que pour les hommes et les choses, il doit rechercher la conciliation, la transaction même ; le but du ministère est l’application de ces principes. » Ainsi, messieurs, modération, conciliation, transaction même. Voilà les principes pour le maintien et l’application desquels le ministère a été formé.

Ce ministère, messieurs, comme les ministères qui l’ont précédé, à l’exception d’un seul, ce ministère est qualifié de ministère mixte. Mais pourquoi lui refuserait-on en même temps la qualification de ministère homogène ? Les membres qui le composent se sont mis d’accord sur toutes les questions politiques, sur tous les principes constitutionnels et sur leur application, ils sont d’accord sur la marche imprimée aux affaires publiques ; quelle autre homogénéité peut-on désirer ?

Ce ministère est mixte, dit-on, parce qu’il est composé de membres dont les uns appartiennent à l’opinion libérale, les autres à l’opinion catholique, qualification déplorable et qui existe plutôt dans les mots que dans les faits. Ces deux qualifications n’ont du reste rien d’exclusif, et ne rendent ni impossible ni même difficile dans un même ministère la réunion des personnes auxquelles ces qualifications différentes seraient données.

Je crois, comme le disait en 1841 l’un de mes honorables prédécesseurs, que libéraux et catholiques, pourvu qu’ils aient des idées gouvernementales et modérées seraient bien embarrassées d’indiquer les points politiques sur lesquels ils ne seraient pas d’accord.

Un ministère composé d’éléments tels que celui que vous avez devant vous peut donc marcher d’une allure ferme et uniforme, sans qu’aucun de ses membres doive pour cela renoncer à ses principes ou renier ses antécédents. Je dirai plus : il y a si peu de cause d’exclusion entre ces deux nuances d’opinions, que souvent ces deux qualifications peuvent convenir à la même personne.

Ces considérations justifient suffisamment la composition d’un ministère auquel, improprement peut-être, on donne le nom de « mixte ». Et pourquoi repousserait-on un semblable ministère ? pourquoi écarterait-on tel individu parce qu’il appartient à l’opinion libérale, tel autre parce qu’il appartient à l’opinion catholique ? On ne pourrait le faire qu’en vertu d’un principe d’exclusion. Or, si un semblable principe présidait à la formation d’un cabinet, les effets s’en feraient sentir dans les actes de ce cabinet ; dès lors il deviendrait exclusif et serait hostile à une opinion.

Ce n’est donc pas entre les catholiques et les libéraux modérés qu’il peut y avoir incompatibilité. Cette incompatibilité n’existe qu’entre ceux-ci et ceux qui, soit libéraux, soit catholiques, n’adoptent pas des idées de modération et de conciliation et sous le prétexte d’homogénéité, prononcent l’exclusion de toute une opinion.

Le ministère, en se formant, a fait connaître son programme ; il a indiqué quels étaient les actes qu’il avait eu en vue au moment de sa formation, les questions qu’il avait l’intention de soumettre à la législature.

Je demande à la chambre la permission de lui lire la seconde partie du programme du ministère actuel.

« Discuter le système commercial, établir l’équilibre entre les recettes et les dépenses, donner à l’instruction publique son complément, poursuivre et faire fructifier les travaux publics, régulariser et assurer la position de l’armée, cette grande garantie nationale, tels sont les objets qui se présentent en première ligne, telle est la tâche pour l’accomplissement de laquelle le ministère compte sur la coopération de tous les hommes modérés. »

Ce programme, dont j’ai lu tout à l’heure la première partie, a été adopté dans son ensemble par les chambres. S’il ne l’avait pas été, comment serions-nous arrivés au 20e mois de notre existence ministérielle ?

Ce programme a été adopté par les chambres. Toute la question se réduit donc à savoir s’il a été suivi par nous.

(page 569) Messieurs, toutes les questions mentionnées dans ce programme ont été discutées. Une seule ne l’a pas été, celle de l’armée ; mais ce retard ne peut être imputé au gouvernement. Depuis longtemps, la chambre est saisie d’un projet de loi relatif à cet objet important. Ce n’est pas , sans doute, la faute du gouvernement, s’il n’a pas encore pu être discuté.

Ainsi, messieurs le gouvernement a fait tout ce qu’il a pu pour être fidèle au programme qu’il s’était tracé en entrant aux affaires. Toutes les questions dont nous pensions qu’il était utile de nous occuper ont été soumises à la législature, ont été discutées et décidées.

On ne nie pas, messieurs, que nous ayons soumis à la législature les différentes questions importantes que nous nous étions engagés à lui soumettre ; mais (et je réponds et à l’honorable M. Osy et à l’honorable M. de Tornaco) ces honorables membres prétendent que le ministère n’a eu dans tous ces questions que des échecs, que dans toutes ces questions le ministère n’a pas guidé la chambre, mais s’est laissé guidé par elle…

M. de Tornaco – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Si ce n’est pas l’honorable M. de Tornaco, c’est l’honorable M. Osy.

Que dans toutes ces questions, en un mot, le ministère s’est effacé et s’est laissé remplacer par la chambre.

Le reproche, du reste, a été articulé à différentes reprises par plusieurs membres de l’opposition. M. le ministre de l'intérieur a déjà répondu hier à ce qu’avait avancé l’honorable M. Osy ; qu’il me soit permis, messieurs, d’ajouter quelques mots à la réponse que vous a présentée mon honorable collègue et ami, M. Nothomb.

Je dirai d’abord, messieurs, que ce qui est arrivé au ministère, relativement à plusieurs lois qu’il a présentées, est arrivé à tous les ministères qui l’ont précédé. C’est une observation que vous a déjà présentée M. le ministre de l'intérieur, et en peu de mots j’établirai qu’il est à peu près impossible qu’il n’en soit pas toujours ainsi. Je pourrais vous citer une foule de lois des plus importantes qui ont été modifiées d’une manière complète et transformées même entièrement, soit à la section centrale, soit dans les commissions, soit dans la discussion même des chambres.

Je pourrais citer notamment la loi sur les étrangers, la loi communale et la loi provinciale, la loi sur le traitement des vicaires, où un principe tout opposé à celui qui avait été posé par le gouvernement a été adopté, la loi du jury, la loi sur le duel, qui n’a pas été faite par le gouvernement, mais qui est émanée de l’initiative d’un membre du sénat, enfin la loi sur la compétence en matière civile, qui a été entièrement refaite par la section centrale. Dans toutes ces lois, messieurs, ce ne sont pas seulement quelques amendements de peu d’importance qui ont été introduits, mais les principes les plus importants de ces lois ont été entièrement modifiés par la chambre.

Je vous disais, messieurs, qu’il en serait toujours ainsi, et, à moins que les ministres futurs ne soient, comme le disait hier M. le ministre de l'intérieur, doués du don de l’infaillibilité, il est impossible qu’il n’en soit pas ainsi.

Messieurs, qu’on se rende bien compte de la manière dont les lois se confectionnent chez nous : Il reste beaucoup à faire dans notre législation, et l’impatience est grande pour la voir modifier et améliorer ; des invitations fréquentes sont adressées à ce sujet au ministère. Le ministère qui doit s’occuper d’un projet de loi souvent important et difficile est réduit en quelque sorte à son propre travail ; il est à peine aidé dans ses bureaux par quelques fonctionnaires qui, je le dis, suffisent à peine à l’expédition des affaires courantes, et quoi qu’en ait dit l’honorable M. de Tornaco, hier, lorsqu’il a parlé du nombre extraordinaire d’employés, de l’espèce de luxe d’employés qu’il y aurait dans tous les ministères, je puis donner à l’honorable membre l’assurance que les employés sont à peine suffisants pour faire la besogne courante.

Il est donc très-difficile de les distraire de leur besogne ordinaire pour recourir à leurs lumières dans la préparation des projets de lois. Ces employés sont, de plus, très-faiblement rétribués, et c’est à tel point, messieurs, que, pour le ministère de la justice, j’ai été forcé, cette année, de demander une augmentation de crédit pour le traitement des employés ; je pense que l’honorable M. de Tornaco a été complice de cette augmentation, car je pense qu’il l’a votée.

Messieurs, les lois arrivent donc à la chambre après avoir été élaborées, en quelque sorte, par le ministre tout seul. Je demande, messieurs, si, après cela, il est bien étonnant que des lois confectionnées de cette manière, qui n’ont pas subi une discussion préalable, qui n’ont pas été examinées par un conseil d’Etat, comme cela arrive dans d’autres pays ; je demande s’il est étonnant que ces lois laissent à désirer et subissent, dans la discussion, des modifications souvent importantes. Je le répète, messieurs, il me paraît impossible qu’il en soit autrement. Pourquoi, du reste, le droit d’amendement a-t-il été consacré par la Constitution ? Voudrait-on rendre ce droit tout à fait illusoire ? Il le deviendrait infailliblement s’il fallait qu’un ministère, dès qu’un amendement serait introduit dans une loi, en fît à l’instant une question de cabinet. Ne serait-ce pas indirectement engager des membres de la chambre à renoncer à introduire dans les lois des amendements utiles ? Voudraient-ils, pour faire prévaloir leur opinion sur un point spécial, renverser un ministère, et amener ainsi la perturbation dans l’administration ? Il est évident que si l’on admettait ce système, il n’y aurait plus de gouvernement possible, et que du moins la force morale des lois y perdrait beaucoup.

Messieurs, la majorité se forme sur les questions qui lui sont soumises après un examen approfondi et consciencieux ; telle est sur la formation des majorités l’opinion d’un de mes honorables prédécesseurs dont je respecte le caractère autant que j’honore le talent. Les paroles que je vais citer sont de l’honorable M. Leclercq ; elles ont été prononcées en 1841 :

« J’ajouterai deux mots sur ce qu’il a dit relativement à la formation des majorités. C’est encore là un préjugé, une ancienne doctrine qui était vraie dans un certain temps, mais qui ne l’est plus aujourd’hui ; je conçois qu’il y ait une majorité toute formée d’avance, là où l’on marche à la conquête de certains droits dont on a été privé, à la destruction de certains abus que le gouvernement ou une aristocratie cherchent à maintenir. Je conçois qu’alors il y ait une majorité toute décidée d’avance à voter dans tel ou tel sens. Dans de semblables circonstances, les majorités sont possibles. C’est ce qui est arrivé en France avant la révolution de 1830. Avant la révolution de 1830, on voyait toujours percer dans les actes du gouvernement qui était alors à la tête de la France, un esprit de retour vers les anciennes institutions, sinon quant aux formes, du moins pour le fond ; eh bien alors, il y avait une lutte à soutenir, des droits à conquérir, et la majorité devait nécessairement être formée et décidée d’avance sur toutes les questions. Ce que je dis de la France, avant 1830, je le dirai de l’Angleterre avant la réforme, je le dirai de la Belgique sous le royaume des Pays-Bas. Il y avait alors des libertés à conquérir ; ces libertés, il fallait lutter pour les obtenir, et la majorité était alors formée d’avance ; mais dans un pays où toutes les libertés sont conquises, où il n’en est aucune pour l’acquisition de laquelle il puisse y avoir une lutte à soutenir, là je ne conçois pas une pareille majorité, parce qu’elle n’aurait aucun motif, aucun but ; là je ne vous plus qu’une assemblée représentative, je n’y vois plus que le grand conseil de la nation appelé à délibérer sur les affaires, une assemblée dont les membres examinent consciencieusement chaque affaire et émettent consciencieusement aussi leur vote. Là les majorités se forment, en quelque sorte, sur chaque question qui se présente.

« Voilà, messieurs, dans quel sens j’entends les majorités sous le régime actuel ; je crois qu’en cherchant à former une majorité d’une autre manière, on compromettrait les plus chers intérêts du pays. »

Ainsi, messieurs, l’honorable M. Leclercq ne trouvait pas extraordinaire qu’il n’y eût pas dans la chambre une majorité formée d’avance et disposée à voter sans modification toutes les lois que lui présenterait un ministère. L’honorable M. Leclercq pensait que lorsqu’une question était soumise à la chambre, la majorité devait se former sur cette question, après une discussion libre, après une discussion consciencieuse. Or, une discussion consciencieuse suppose la possibilité de modifier la proposition primitivement présentée.

Je dis donc, messieurs, qu’il est impossible d’admettre qu’un ministère doive se retirer, qu’un ministère éprouve des « revers » de nature à motiver sa retraite, parce que des amendements, même d’une certaine importance, auront été introduits dans un projet de loi présenté par lui. Ce n’est pas à dire, messieurs, que dans les votes qui sont émis, que dans les amendements qui sont adoptés, il ne puisse jamais y avoir des questions de cabinet : sans doute, si un vote indique un manque de confiance de la part de la chambre envers le ministère, alors le ministère doit se retirer ; sans doute aussi, si le ministère présente une loi qu’il croit indispensable aux intérêts du pays, et si cette loi est rejetée, le ministère doit se retirer ; de même encore, si la chambre vote une loi que le ministère croit nuisible aux intérêts du pays, alors aussi le ministère ne doit pas prendre sur lui la responsabilité de l’exécution de cette loi ; mais, pour ces cas, je ne pense pas qu’il soit de l’intérêt bien entendu du pays qu’un ministère prenant, à tort, conseil d’un amour-propre exagéré, se retire parce qu’un amendement a été introduit dans un projet de loi qu’il a présenté.

On me dira sans doute, et j’arrive ici à l’examen des griefs présentés hier par l’honorable M. Osy et par l’honorable M. de Tornaco ; on me dira sans doute que nous avons eu l’occasion d’appliquer les principes que je viens d’exposer, que cette occasion s’est présentée notamment pour la loi du jury d’examen. Eh bien, messieurs, je pense qu’il ne me sera pas difficile de démontrer à la chambre que cette loi ne devait pas être une cause de retraite pour le ministère. La question soumise à la chambre était une question neuve en quelque sorte ; c’était au moins une question qui n’avait été agitée dans aucun autre pays.

Le gouvernement, messieurs, était d’accord avec la chambre sur un point, c’est que la loi ancienne, la loi qui expirait, la loi qu’il s’agissait de renouveler ou de modifier, que cette loi présentait de graves inconvénients à cause de la permanence des listes qui maintenait toujours comme examinateurs les mêmes personnes, ce qui pouvait, à la longue, être nuisible aux études, et prendre un caractère de partialité.

Le but principal, et l’exposé des motifs présenté par M. le ministre de l'intérieur en fait foi, le but principal du gouvernement était de faire cesser cet inconvénient qui avait frappé tout le monde et que la chambre ne méconnaissait pas. Le gouvernement a pensé que le meilleur moyen d’y parer était de confier au Roi la nomination des examinateurs. La chambre n’a point partagé cette opinion, la chambre a décidé qu’il était préférable de maintenir l’intervention du sénat et de la chambre des représentants dans cette nomination. Le ministère a fini par se rallier à une loi d’essai qui a été votée à la suite du rejet de la proposition du gouvernement. Eh bien, messieurs, je demande si dans ce vote il y avait une cause de retraite pour le cabinet. D’abord, ce vote indiquait-il une absence de confiance de la part des membres de la chambre qui s’étaient prononcés contre la proposition du gouvernement ? Je dois, messieurs, rappeler un fait. Lorsque le projet a été présenté, M. le ministre de l'intérieur a été interpellé sur la question de savoir (page 570) s’il faisait de cette loi une question de cabinet. M. le ministre de l'intérieur a répondu négativement. M. le ministre de l'intérieur a dit qu’il faisait un appel à toutes les lumières, à toutes les intelligences, qu’il demandait un examen consciencieux approfondi de la question. Cette déclaration de M. le ministre de l'intérieur n’a soulevé aucune protestation. Il était donc bien entendu par tout le monde, et cela je le répète, dans aucune protestation, qu’une liberté entière existait pour l’examen de cette question, à laquelle, de commun accord, on allait chercher à donner la solution la plus favorable. L’existence du cabinet n’était donc pas en question, et dès lors il ne peut y avoir dans le vote des membres opposés à la proposition du gouvernement un vote de non confiance.

Mais s’il s’était agi de l’existence du ministère, et si les votes négatifs indiquaient une absence de confiance, les votes affirmatifs auraient donc été des votes de confiance ; or, je ne pense pas que telle ait été l’intention des membres qui ont voté pour la proposition du gouvernement. Je ne pense pas que ces honorables membres auraient consenti à ce qu’on donnât cette signification aux votes qu’ils ont émis.

Quant à la loi elle-même, y avait-il pour le cabinet un motif de se retirer à cause du rejet de la proposition primitive ? Sans doute, il y aurait eu un motif de se retirer, si ce que l’on allègue était exact, si la prérogative royale avait été compromise.

Le cabinet aurait dû se retirer si la loi avait porté atteinte à cette prérogative. Mais il n’en est pas ainsi. La prérogative royale n’a jamais été en jeu. Je n’en veux d’autre preuve que les propositions faites en 1835 ; alors on proposait de confier la nomination des jurys universitaires, les uns à l’Académie, les autres à la cour de cassation. Si la nomination des membres des jurys d’examen avait été une prérogative constitutionnelle du Roi, il est évident qu’on ne pouvait la confier soit à l’Académie, soit à la cour de cassation. Je le répète, la prérogative du Roi n’était nullement en jeu. Les fonctions de membres du jury d’examen ne sont pas des fonctions administratives proprement dites. Ce ne sont pas des fonctions pour lesquelles la Constitution ait attribué au Roi le droit de nomination ; on n’a donc pas porté atteinte à la prérogative constitutionnelle du Roi en donnant à la chambre et au sénat le droit de nomination d’une partie des membres du jury d’examen.

Du reste, si les membres qui ont voté pour la proposition primitive du gouvernement pensent que la loi, telle qu’elle a été adoptée, constitue une atteinte à la prérogative constitutionnelle du Roi, s’ils reviennent aux affaires, ils mettront, sans doute, comme condition de leur rentrée, que cette loi soit rapportée, et qu’on rende au Roi l’intégrité de sa prérogative. Je doute fort, cependant, qu’une telle déclaration soit faite par aucun des membres qui ont voté, l’an passé, pour la proposition du gouvernement.

Au reste, les membres qui ont voté pour l’intervention des chambres dans la nomination du jury sont aussi soucieux de la prérogative royale que ceux qui ont voté dans un autre sens. Aucun d’eux n’a voulu, sans doute, porter atteinte à la prérogative constitutionnelle de la Couronne.

L’honorable M. de Tornaco a articulé encore différents autres griefs ; il a parlé du commerce, de l’industrie, des finances, de l’agriculture. Mes honorables collègues répondront dans le cours de la discussion aux attaques que l’honorable membre a dirigées contre les opérations financières qui ont été faites, contre les mesures qui ont été prises en matière de commerce et d’industrie. Chacun de mes collègues répondra. Je pense qu’il ne leur sera pas difficile de prouver que, dans aucune circonstance, les intérêts du pays, n’ont été méconnus ni négligés, mais qu’ils ont au contraire été l’objet de notre constante sollicitude.

Je dirai un mot, non pas sur la question de l’agriculture proprement dite, mais sur un autre question que l’honorable M. de Tornaco a rattachée à l’agriculture. Je veux parler du paupérisme. L’honorable M. de Tornaco a signalé cette plaie sociale dont déjà, à différentes reprises, il a été question dans cette chambre.

Il y a bien longtemps que cette question occupe les hommes sérieux qui, par devoir ou par goût, s’occupent des questions sociales.

Déjà (cela remonte loin) sous l’Assemblée constituante, des rapports étaient demandés par cette assemblée pour indiquer les moyens de détruire la mendicité et le paupérisme. Ni en France, ni ailleurs, on n’est parvenu à atteindre le résultat désiré. On ne peut donc faire un grief au ministère de ce que, depuis deux ans qu’il est aux affaires, il n’a pas fait cesser un mal qui a existé partout jusqu’à présent.

M. Delehaye – Le mal a fait des progrès.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je prie l’honorable membre de vouloir bien dire si le mal a diminué dans d’autres pays, notamment en Angleterre, en France, en Hollande et en Allemagne. Je lui prouverai par la statistique qu’il est complètement dans l’erreur, s’il pense que ce n’est qu’en Belgique que le mal a augmenté.

Au reste, le gouvernement s’occupe sérieusement des moyens à employer pour faire cesser ce mal ; je répète que c’est l’objet constant de la sollicitude du gouvernement.

L’honorable M. de Tornaco a parlé du défrichement des bruyères. C’est un moyen de porter remède au paupérisme, on s’en occupe ; c’est une question des plus graves, qui rentre spécialement dans les attributions de M. le ministre de l'intérieur. Mais je m’en occupe aussi, parce que, comme l’a dit l’honorable M. de Tornaco, elle se rattache au paupérisme. C’est, je le répète, une question très-grave sur laquelle il m’est impossible de m’étendre maintenant, mais pour laquelle nous pourrons, j’espère, trouver une solution satisfaisante.

J’arrive à un autre grief articulé par l’honorable M. de Tornaco. Après avoir parlé de la loi sur les jurys d’examen, l’honorable membre dit dans son discours :

« Là ce sont des arrêtés royaux jetés au hasard ; une administration communale respectable injustement blâmée, devant laquelle le ministère a compromis son autorité, et s’est ensuite humilié par forme de réparation accordée de fort mauvaise grâce. »

Je désire que l’honorable membre me dise si je me trompe, mais je pense qu’il a voulu faire allusion à ce qui s’est passé à Verviers. S’il en est ainsi, je demanderai à la chambre la permission de lui faire connaître les faits qui ont eu lieu, et je suis heureux d’avoir occasion d’expliquer la conduite du gouvernement dans cette circonstance.

Vous savez tous, messieurs, les excès qui ont eu lieu à Verviers. Vous en connaissez, je ne dirai pas la cause, mais le prétexte.

A la suite de scènes tumultueuses, le bourgmestre convoqua le conseil communal le 17 septembre, et, d’après la relation qui nous est parvenue (j’indiquerai tantôt et quand et comment), voici ce qui s’est passé dans le conseil communal :

« Séance en comité du conseil communal de la ville de Verviers du 17 septembre 1844. L’appel nominal a lieu à 3 heures de relevée. Les membres présents sont : MM. C.Warnotte, bourgmestre, E. Biolley, échevin, G.-J. Laoureux, L.F.- Hauzeur, H.-F. Grandjean, Armand Simonis, J.-H. Vandresse, A.-J. Desart, P.-J. Grosfils, H. Olivier et Modion-Bosard.

« M. le bourgmestre informe l’assemblée que le collège a jugé prudent de réunir le Conseil pour lui faire part des moyens qu’il a cru devoir employer pour dissiper les rassemblements qui ont eu lieu pendant les nuits des 15 et 16 septembre courants.

« Plusieurs membres de l’assemblée émettent l’avis qu’on ne doit pas employer la force armée pour rétablir l’ordre et la tranquillité, et que le seul moyen pour y parvenir est de continuer les démarches commencées pour tâcher de mettre les parties d’accord.

« M. le bourgmestre donne ensuite lecture de la proclamation qu’il est d’intention de faire publier.

« Après avoir entendu les observations des membres de l’assemblée sur la rédaction de cet acte, le Collège, s’est retiré un instant, pour délibérer, et est rentré, immédiatement après, avec la proclamation suivante, dont il est donné lecture au Conseil :

« Mes chers concitoyens,

« Les rassemblements qui ont eu lieu pendant les deux nuits dernières, pouvant amener des résultats fâcheux, m’engagent à vous exhorter à rentrer dans l’ordre et le calme.

« Je suis occupé à faire les démarches nécessaires pour faire cesser les causes qui ont donné lieu aux démonstrations que nous déplorons aujourd’hui, et je crois avoir la certitude de réussir.

« J’espère donc que la tranquillité ne sera plus troublée. Par là vous m’éviterez d’employer les moyens de rigueur que la loi met à ma disposition pour maintenir le bon ordre.

« Fait en séance à Verviers, les jour, mois et an que ci-dessus. »

Messieurs, cette relation de ce qui s’est passé à la séance du 17 septembre ayant été envoyée au gouvernement le 30 du même mois, le gouvernement n’hésita pas à prendre l’arrêté du 5 octobre, qui annulait la délibération.

Cette délibération était annulée de deux chefs ; elle était annulée d’abord parce que « d’après l’art. 90 de la loi du 30 mars 1836, modifié par la loi du 30 juin 1842, c’est au bourgmestre seul qu’appartient l’exécution des lois et règlements de police ; et que, dès lors, le conseil communal et même le collègue des bourgmestres et échevins étaient incompétents dans les circonstances dont il est question ;

« Que d’ailleurs la proclamation discutée au conseil comportait une concession implicite à des prétentions contraires aux libertés constitutionnelles et aux principes d’ordre public. »

Je pense, messieurs, qu’il ne se trouvera personne dans cette assemblée qui puisse venir justifier la proclamation qui avait été faite à Verviers par le bourgmestre, à la suite d’une délibération du conseil communal (nous croyions du moins que c’était une délibération.) Les termes de l’arrêté d’annulation qualifient d’une manière sévère, mais méritée, la proclamation qui avait été faite. Il indique également en violation de quelle loi le conseil communal était sorti de ses attributions ; et sous ces deux rapports, l’arrêté du 5 octobre me paraît être à l’abri de toute critique.

Je ne pense pas, messieurs, qu’en présence de la pièce qui était seule connue du gouvernement, il pouvait agir autrement qu’il n’a fait. Il ne pouvait évidemment pas laisser subsister un acte semblable. Il ne pouvait pas tolérer qu’un conseil communal sortît de ses attributions et empiétât sur l’autorité du bourgmestre. Il y avait évidemment, messieurs, un fait d’une nature telle qu’il appelait nécessairement l’action du gouvernement, et que le gouvernement aurait manqué à son devoir s’il avait hésité un instant à annuler la délibération qui avait été prise.

M. David – Le gouvernement a reconnu qu’il n’y avait pas eu de délibération.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je prie l’honorable membre de bien vouloir avoir un peu de patience ; je lui promets que je ferai connaître les faits dans toute leur exactitude, et la chambre jugera quelle a été la conduite du gouvernement.

Je parle, messieurs, de ce qui s’est passé le 5 octobre. Alors le gouvernement n’avait entre les mains que la pièce portant la date du 17 septembre, pièce, je le répète, qui se terminait par ces mots : « fait en séance à Verviers, les jour, mois et an que dessus, » et qui commençait par ceux-ci : (page 571) « Les membres présents sont… Le bourgmestre informe l’assemblée que le collège a jugé prudent de convoquer le conseil pour lui faire part de… »

Ainsi, la pièce qui a été remise au gouvernement était une pièce portant tous les caractères d’authenticité dont ces pièces sont entourées en suivant les prescriptions de la loi communale : signature du bourgmestre, signature du secrétaire.

L’arrêté d’annulation fut transmis au conseil communal de Verviers, qui se rassembla le 11 octobre pour en prendre connaissance, et dans cette séance une délibération eut lieu.

Deux membres prirent la parole dans cette délibération, je vais lire une partie de ce que ces membres ont dit ; mais la décision du conseil était seulement celle-ci : « Le procès-verbal de la précédente séance sera-t-il transmis officiellement à M. le ministre de l'intérieur avec les pièces à l’appui, pour demander le retrait de l’arrêté royal du 5 octobre ? » Cette question a été résolue affirmativement. Ainsi le conseil communal se bornait à demander le retrait de l’arrêté d’annulation.

Dans cette délibération, messieurs, on avait avancé que, « contrairement à ce qui avait été décidé, il a été dressé procès-verbal de la séance du 17 septembre, qui n’était nullement officielle, mais qui, de l’aveu du collège même, ne devait être considérée que comme purement officieuse, le conseil s’étant déclaré incompétent dès que l’objet de la réunion lui avait été connu. »

« Ensuite, que ce procès-verbal qui a motivé l’arrêté royal du 5 octobre, n’a été ni approuvé, ni signé par aucun d’entre nous, qu’il a été rédigé et adressé au ministère à notre insu et qu’en outre il est incomplet, puisqu’il ne relate pas les diverses observations qui ont été faites tant sur l’incompétence du conseil que sur le projet de proclamation présenté par le bourgmestre, observations qui tendaient inspirer plus de fermeté au collège. A mon avis donc, l’arrêté royal, basé sur un document apocryphe, ne peut nous toucher, et si vous adoptez ma proposition, je demanderai que le procès-verbal de la précédente séance soit envoyé au gouvernement avec prière de rapporter l’arrêté royal en ce qui concerne le conseil. »

« La réunion du conseil du 17 septembre dernier n’avait et ne pouvait avoir aucun caractère officiel ; l’assemblée l’avait ainsi compris et décidé ; son unique but était de donner au collège les avis, les conseils officieux qu’il réclamait, et non de s’immiscer dans les attributions de M. le bourgmestre ; en conséquence, il n’y avait pas lieu à dresser procès-verbal de ce qui s’était dit ou fait dans cette réunion de famille, et, si, maladroitement, le contraire est arrivé, ce n’est, j’aime à le supposer, que par pur oubli de ce qui avait été convenu et arrêté ; par suite, je propose au conseil de décider que le malencontreux procès-verbal dressé abusivement sous date du 17 septembre et que le pouvoir exécutif a envoyé à M. le gouverneur, soit retranché des procès-verbaux de nos séances ; nous ne pouvons laisser exister dans nos archives un acte essentiellement faux et répréhensible : faut, puisqu’il est contraire aux conditions exprimées au collège, lorsqu’il trouva convenable de consulter officieusement le conseil, et répréhensible, s’il était vrai, comme le prouve l’arrêté royal du 5 octobre ; nous ne pouvons pas non plus accepter un blâme immérité, ressortant d’un arrêté royal, pris sur le prétendu procès-verbal du 17 septembre ; les bases de cet arrêté reconnues fausses, il y a équité et justice à le rapporter ; je me rallie donc à la proposition de mon honorable collègue M. Vandresse, pour qu’il soit fait des démarches auprès de M. le ministre de l'intérieur, à l’effet d’obtenir le prompt retrait d’un arrêté qui ne repose sur rien d’officiel, rien de vrai. »

Ainsi, messieurs, le 11 octobre le conseil annonce (ou du moins un membre annonce, car le conseil ne le déclare pas lui-même), que l’assemblée s’est déclarée incompétente.

Si le conseil, messieurs, nous avait envoyé, le 11 octobre, le procès-verbal d’incompétence, s’il nous avait transmis un procès-verbal contenant la relation véritable de la séance du 17 septembre, portant que ce jour le conseil communal, convoqué par le bourgmestre, avait été informé par lui du but de la réunion ; qu’ensuite un de ses membres avait proposé de déclarer le conseil incompétent, qu’on avait été aux voix, que l’assemblée s’était déclarée incompétente et n’avait, par conséquent, pas connu de la question qui lui avait été soumise, qu’après cela, la séance avait été close ; il est évident que si un tel procès-verbal avait été transmis au gouvernement, à l’instant l’arrêté du 5 octobre aurait été retiré. Mais rien de semblable n’existait dans la pièce du 11 octobre. Le 11 octobre, deux discours ont été prononcés au conseil communal, par deux membres, et on demande le retrait de l’arrêté ; l’on se borne à demander ce retrait, parce que, d’après ces messieurs, le conseil n’avait délibéré qu’officieusement, parce que le conseil aurait arrêté qu’on n’aurait pas dressé de procès-verbal de la séance. Mais tout cela ne pouvait amener, comme conséquence, le retrait de l’arrêté du 5 octobre. Au contraire, la prétention d’un conseil communal de délibérer officieusement, de délibérer sans dresser de procès-verbal de la séance, aurait été une cause d’annulation. Ainsi donc la délibération du 11 octobre ne pouvait avoir pour conséquence le retrait de l’arrêté d’annulation du 5 octobre.

Il fallait autre chose au gouvernement, il lui fallait la preuve que le conseil communal s’était réellement déclaré incompétent, qu’il y avait eu véritablement une séance, à la suite de la convocation du bourgmestre, et qu’après cette déclaration d’incompétence, la séance avait été close. Les choses sont donc restées dans le statu quo depuis le 11 octobre.

Le 18 novembre,, une nouvelle délibération a eu lieu. Cette délibération a amené pour résultat une requête qui a été présentée au Roi. Dans cette requête, le conseil explique ce qui s’est passé, et qu’on me permette de le dire, le conseil justifie de tout point l’arrêté du 5 octobre.

- M. le ministre lit la requête au Roi.

Ainsi, messieurs, d’après le conseil même, ce n’était pas le gouvernement qui avait commis une erreur, c’est l’erreur du collège qui a donné lieu à l’arrêté du 5 octobre.

Ainsi, il est impossible de justifier plus complètement l’arrêté d’annulation que ne le fait la délibération du 18 novembre.

Après cette délibération, il est évident que le gouvernement devait rapporter l’arrêté, en tant qu’il avait infligé un blâme au conseil pour s’être immiscé dans des fonctions dans lesquelles il déclarait ne s’être pas immiscé ; le retrait de l’arrêté du 5 octobre est donc justifié, en ce qui concerne le conseil ; car il est à remarquer que l’arrêté n’est pas rapporté, relativement au blâme mérité qui est infligé au sujet de la proclamation.

Je pense donc que l’honorable M. de Tornaco a eu tort en disant que le gouvernement avait pris des arrêtés au hasard et les avait ensuite retirés sans dignité. Dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, nous avons agi avec fermeté, et après avoir agi avec fermeté, nous avons agi avec prudence et avec impartialité. Je ne conçois donc pas qu’on puisse adresser un reproche au gouvernement à l’occasion des mesures qu’il a prises ; le gouvernement, en cette circonstance, a fait respecter l’article 14 de la Constitution, article qui avait été violé et qu’il était du devoir du gouvernement de faire respecter, comme consacrant une de nos libertés les plus précieuses.

L’honorable M. de Tornaco a terminé son discours en parlant de scepticisme politique, de ruses égoïstes, d’absence de moralité et de franchise, et l’honorable membre ajoute, à l’instant même, d’absence de vérité.

Je voudrais savoir à propos de quels faits l’honorable membre articule ce dernier reproche….

M. de Tornaco – A propos de ce qui s’est passé en comité secret.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Cela a été expliqué à satiété ; mais il y a des gens qui ne veulent jamais comprendre.

Pour en revenir aux reproches par lesquels l’honorable M. de Tornaco a terminé son discours, je dirai que j’ignore à quels faits du ministère ils s’appliquent ; je ne sais en quoi la conduite du ministère a pu les justifier (Interruption.) L’honorable M. Verhaegen me dit qu’il me les fera connaître ; j’attendrai donc, pour répondre, qu’on ait articulé ces griefs d’une manière moins insaisissable.

Messieurs, le ministère soumet avec confiance sa conduite à votre appréciation ; le ministère a la conscience d’avoir partout et toujours rempli son devoir, de n’avoir été guidé dans tous ses actes que par l’intérêt du pays. La chambre examinera avec impartialité et sans acception de personnes, les actes qu’il a posés. Si elle pense que le ministère a mal géré les affaires du pays, si elle pense qu’il faut un changement de système, si elle pense que le temps des ministères de modération et de conciliation est passé, et qui faut des ministères de parti ; eh bien, la chambre le déclarera. Je considère et j’ai toujours considéré un pareil ministère comme un ministère fatal au pays ; c’est dire assez qu’un ministère exclusif ne me comptera jamais au nombre de ses membres, et n’aura jamais non plus mon appui.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Thuin

M. Pirmez – Messieurs, je viens vous présenter le rapport de la commission qui a vérifié les pouvoirs du représentant qui a été élu à Thuin, le 20 de ce mois.

Elle a reconnu la régularité des opérations électorales qui d’ailleurs n’ont pas été attaquées.

Le nombre des votants était de 396.

A part trois billets blancs, M. Louis Troye a obtenu l’unanimité des suffrages.

La commission vous propose donc son admission.

Ces conclusions sont adoptées, M. Louis Troye est proclamé membre de la chambre des représentants.

Il sera admis à prêter serment quand il sera présent.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. Delfosse – Messieurs, le ministère formé en 1841 par l’honorable M. Nothomb, n’a eu que deux années d’existence. Ce ministère n’a tenu aucune de ses promesses. Il avait promis de se tenir neutre entre deux opinions qui divisent la chambre, et il a penché constamment à droite. Il avait promis de travailler à la conciliation des partis, et il a laissé les partis plus divisés que jamais. Il avait promis d’établir l’équilibre financier, sans aggraver les charges publiques, et il est venu plus tard avouer un déficit et demander de nouveaux impôts, des impôts considérables.

Ce ministère, malgré ses fautes, a toujours eu l’appui de la majorité. La majorité l’a bien abandonné sur certaines questions, par exemple sur la question des centimes additionnels, sur la question des sucres, sur la question de l’armée et sur d’autres questions encore ; nous avons même eu, à propos des centimes additionnels, le spectacle, inouï dans les fastes parlementaires, de quatre ministres votant seuls pour leur projet contre la chambre tout entière. Mais tout en se séparant du ministère sur certaines questions, la majorité donna clairement à entendre qu’elle ne voulait pas pour cela le renverser. La gauche seule était sérieusement hostile.

L’appui de la majorité parlementaire pouvait suffire, tant qu’on n’avait pas à compter avec le pays. Mais en 1843, à l’approche des élections, M. Nothomb sentit la nécessité de donner une satisfaction à l’opinion publique trop longtemps méconnue. On vit alors ce ministère qui s’était offert au pays comme le point culminant de la situation ; qui avait orgueilleusement rêvé de hautes destinées, on le vit s’évanouir tout à coup. Une démission, en apparence volontaire débarrassa M. le ministre de l'intérieur (page 572) de collègues devenus gênants. Un nouveau ministère fut formé ; cédant sans trop de répugnance aux désirs de la royauté, et se souvenant sans doute de ce qu’il avait dit un jour, que c’est une folie pour un ministre de périr par un suicide, l’honorable M. Nothomb consentit à reprendre ou plutôt à conserver son portefeuille.

Rien ne fut changé au programme. On promettait, comme en 1841, d’être neutre entre les deux opinions qui divisent la chambre ; on promettait, comme en 1841, de travailler à la conciliation des partis.

Cette fois, M. Nothomb espérait trouver moins d’incrédules. Il avait pris deux collègues dans la chambre, l’un à droite, l’autre à gauche ; il en avait pris en dehors des chambres deux autres qui passaient pour appartenir à l’opinion libérale. La gauche devait donc s’attendre à plus d’impartialité. Quant à la droite, elle n’avait rien à craindre ; M. Nothomb ne lui avait-il pas donné assez de gages ? D’ailleurs, la présence de M. Dechamps dans le ministère était de nature à lui inspirer une entière sécurité ?

Je veux être juste avant tout. Je reconnais que le nouveau ministère était, au point de vue de la capacité, de beaucoup préférable à celui qui venait de se dissoudre ; il avait en lui plus de talents oratoires, plus d’activité, plus d’intelligence. Cependant il compta peu d’adhérents parmi ceux qui jusque-là avaient fait de l’opposition.

Quelques-unes des fautes commises dans les deux dernières années provenaient sans doute de l’insuffisance des collègues de M. le ministre de l'intérieur ; mais ce dernier était rendu, avec raison, responsable de la politique qui avait suivie ; c’est à lui qu’on attribuait les fruits amers que cette politique avait portés, les germes de démoralisation qu’elle avait jetés dan le pays. Plus on lui reconnaissait de talent et d’habilité, plus on lui en voulait d’en avoir fait un si pernicieux usage.

La présence de M. le ministre de l'intérieur dans le nouveau cabinet était donc un grief sérieux pour beaucoup de personnes. Ses collègues avaient beau déclarer qu’ils ne s’associaient pas à son passé, ils avaient beau protester de leurs bonnes intentions ; par cela seul qu’ils avaient accepté M. Nothomb pour collègue, son passé pesait sur eux. Il y avait d’ailleurs contre le ministère d’autres causes légitimes de défiance.

L’honorable M. Mercier avait fait une opposition très-vive à la politique de M. le ministre de l'intérieur ; il avait même déclaré un jour, dans cette enceinte, que cette politique était une politique de déception, qu’elle cachait un piège sous des paroles de paix et d’union ; il avait déclaré que le cabinet dont M. Nothomb était le chef n’inspirait pas assez de confiance pour opérer une réconciliation entre les hommes modérés, pour rallier l’immense majorité de la nation. La voix publique ne lui crie-t-elle pas assez haut, disait M. Mercier avec l’énergie et la franchise qu’il avait alors, ne lui crie-t-elle pas assez haut qu’il ne lui est pas donné d’accomplir cette tâche, d’atteindre ce résultat, objet des vœux de tous les bons citoyens ?

Après une déclaration aussi explicite, après un blâme aussi formel, comment M. Mercier a-t-il pu avoir la pensée de s’associer à M. le ministre de l’intérieur ? que s’était-il donc passé dans le mois qui s’est écoulé entre cette déclaration et l’acceptation d’un portefeuille ? Un changement aussi subit, aussi inexplicable avait fait le plus grand tort dans l’opinion à l’honorable M. Mercier, et je regrette de devoir le dire, lui avait enlevé toute consistance politique

L’honorable M. Dechamps n’était guère dans une position meilleure. Il y avait eu bien des variations dans les opinions professées par l’honorable membre, il lui était arrivé plus d’une fois d’approuver ce qu’il avait blâmé, de blâmer ce qu’il avait approuvé : on n’avait rien à dire à cela ; l’expérience est là pour nous éclairer ; on fait bien de profiter de ses leçons. Mais le public se défie en général de ceux qui acceptent des fonctions le lendemain du jour où ils ont changé d’avis sur des questions importantes ; il est même assez méchant pour établir un rapprochement entre ces deux faits, pour voir dans le changement d’avis une défection, dans la place donnée une récompense promise. Je ne dis pas que les choses se soient passées ainsi entre M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre des travaux publics ; je dois bien cependant reconnaître que M. Dechamps a été nommé gouverneur peu de jours après avoir attaqués les libertés communales qu’il avait si bien défendues en 1836 et qu’il a été nommé ministre peu de jours après être venu déclarer dans cette enceinte que ce qu’il avait regardé en 1841 comme un devoir de conscience avait été un malheur, peut-être même une faute.

Messieurs, les ministres de la justice et des affaires étrangères, choisis en dehors des chambres, n’apportaient pas non plus une bien grande force politique au cabinet naissant. L’un n’était pas connu comme homme politique, l’autre était à peu près oublié.

Cette combinaison ministérielle ne pouvait donc pas avoir, elle n’eut pas l’effet sur lequel M. Nothomb avait compté. La gauche resta défiante et hostile, l’œuvre de conciliation ne fit pas un pas, et la lutte électorale, qui eut lieu deux mois après, fut plus vive encore et plus acharnée que la lutte de 1841. Des hommes importants de la droite, des hommes qui avaient attaché leur nom à la fondation de la nationalité belge, furent écartés par les électeurs ! C’était pour les sauver de l’ostracisme électoral que M. Nothomb était venu au pouvoir en 1841 ; il l’avait dit dans son programme, et c’est lui qui les avait perdus !

C’était là un échec immense pour M. le ministre de l'intérieur, c’était un éclatant démenti donné à sa politique. Il aurait dû en être affecté ; mais il en prit facilement son parti. Des journaux, qui passaient pour refléter sa pensée, parurent même s’applaudir du résultat des élections : le vaisseau de l’Etat débarrassé de quelques passagers incommodes, d’un bagage un peu trop lourd, voguerait désormais avec plus de facilité. Tel était leur langage.

La droite put alors se rappeler les avertissements prophétiques de l’honorable M. Rogier, elle put se rappeler les paroles que le poète anglais met dans la bouche de Desdemona. « More, dit-il à Othello, veille bien sur elle, tiens l’œil ouvert sur tous ses pas ; elle a trompé son père, elle pourrait bien te tromper aussi ! »

M. le ministre de l'intérieur n’avait jamais eu de bien vives sympathies pour les opinions de la droite ; si, pendant deux ans, il avait tout accordé à la droite, s’il avait été au devant de ses désirs, s’il s’en était fait l’esclave, l’esclave toujours docile, c’est qu’il croyait avoir besoin d’elle pour se maintenir au pouvoir, but constant de tous ses efforts ; lorsqu’il la vit découragée, affaiblie par la perte récente de quelques-uns de ses chefs, il s’imagina qu’elle serait moins exigeante. Il crut le moment favorable pour briser sa chaîne. De là le projet de loi sur le jury d’examen.

Vous vous rappelez tous, messieurs, la sensation profonde que produisit la présentation de ce projet et le brillant exposé de motifs dont M. le ministre de l'intérieur vont donner lecture à la tribune.

C’était la première fois que M. Nothomb entrait dans l’esprit de son programme ; c’était la première fois, qu’après avoir tout entrepris contre la gauche, il entreprenait quelque chose contre la droite. C’est la première fois qu’il arborait dans cette enceinte le drapeau du gouvernement ; cette position, s’il avait su la maintenir, était belle, elle eût fait oublier, pardonner bien des fautes ; mais la droite, montra dans cette circonstance, une énergie inattendue, elle resta compacte, malgré tous les efforts du ministère et l’honorable M. Dechamps effrayé de l’attitude hostile de ses amis, quitta précipitamment les bancs ministériels, pour reprendre sa place au milieu d’eux.

Cette retraite, je pourrais dire cette désertion de l’honorable M. Dechamps, jeta le trouble, le désordre au banc ministériel. L’honorable M. Nothomb, redoutant bien plus un succès qu’un échec, ne défendit que faiblement son projet, il fut rejeté.

La conduite de tous les ministres dans cette affaire a été pitoyable (le mot n’est pas trop dur). L’honorable M. Dechamps ayant consenti dans le conseil des ministres à la présentation du projet, aurait dû rester avec ses collègues pour en subir comme eux les conséquences. Il a dit plus tard, pour se justifier, qu’il n’avait pas prévu que la chambre se diviserait en deux camps sur cette question, et qu’il n’avait pas voulu s’appuyer exclusivement sur un côté de la chambre. Je répondrai à M. Dechamps qu’il aurait dû prévoir l’opposition de ses amis, qu’il aurait dû les consulter avant de s’engager. Et puis, voyez quelle inconséquence : M. Dechamps se retire, parce qu’il ne veut pas s’appuyer exclusivement sur un côté de la chambre ; et il se réfugie sur les bancs du côté opposé, et, après la victoire de la droite, il rentre au ministère appuyé par elle !

Cette inconséquence de M. Dechamps m’en rappelle une autre de M. le ministre de la justice. M. le ministre de la justice vient de soutenir que la question du jury d’examen n’était pas assez grave pour qu’on en fît une question de cabinet, un motif de retraite. Comment peut-il concilier cette opinion avec la conduite de son collègue, et avec la déclaration que le ministère serait homogène.

L’honorable M. Nothomb aurait dû défendre chaleureusement son projet. Il y allait de son honneur, de sa considération politique. Le projet rejeté, il aurait dû se retirer ; cette retraite eût été honorable ; il pouvait alors, comme il l’avait dit dans son programme, tomber sans être amoindri. Mais non , il a préféré rester ; il a reculé devant ce qu’il a appelé, dans son naïf égoïsme, une catastrophe. Il a poussé l’humiliation au point d’accepter de nouveau M. Dechamps pour collègue, M. Dechamps dont la retraite tardive avait été blessante pour ses collègues, M. Dechamps qui, après sa retraite, avait qualifié leur projet de fatal ! En vérité, ce n’est que chez nous et sous M. Nothomb qu’on peut être témoin d’un aussi monstrueux accouplement !

M. le ministre de l'intérieur, en reprenant sa chaîne qu’il avait en vain essayé de briser, parut avoir trouvé grâce devant la droite. Mais la confiance, une fois perdue, ne se retrouve plus. La droite l’a toléré jusqu’à présent ; mais elle ne lui a pas donné la plus légère marque d’estime ; elle ne lui a pas témoigné la moindre sympathie. Les membres influents de la droite lui ont au contraire fait entendre de dures vérités : entre autres, l’honorable vicomte Vilain XIIII, l’honorable comte de Theux, l’honorable prince de Chimay, l’honorable M. Dumortier et l’honorable M. Malou lui-même.

L’honorable M. Malou nous a dit hier qu’il n’avait jamais fait d’opposition à un système, ni à un homme ; qu’il n’avait fait de l’opposition qu’à des actes spéciaux déterminés. J’avoue que ce langage de l’honorable député d’Ypres m’a grandement surpris. A-t-il donc oublié le discours remarquable qu’il a prononcé dans la discussion de la loi sur les tabacs ? A-t-il oublié qu’il a dit alors que des événements récents (c’était une allusion à la loi sur le jury universitaire) avaient dissipé bien des illusions ? A-t-il oublié que, tout en déclarant qu’il voterait pour la loi, il ajoutait qu’il la voterait, indépendamment de toute idée de confiance, de toute adhésion politique. Certes, il n’y avait pas là opposition à un acte ; car vous votiez pour la loi ; il y avait opposition soit à un homme, soit à un système.

M. le ministre de l'intérieur a souffert toutes ces attaques, toutes ces humiliations avec une patience incroyable ; ou bien il est resté silencieux, ou bien il a répondu aux uns, à l’honorable vicomte Vilain XIIII, par exemple, par des protestations d’estime et de dévouement, aux autres par l’offre d’une place.

Les places, les faveurs, voilà le grand système de gouvernement imaginé par M. le ministre de l'intérieur ! sa politique est une politique fondée sur le mépris de l’espèce humaine. On dirait que M. Nothomb, sentant l’impossibilité de se relever dans l’opinion, cherche à abaisser les autres pour être à leur niveau.

(page 573) Quand on en vient là, quand on suit une telle politique, quand on subordonne tout à une seule pensée : Rester au pouvoir, on est poussé chaque jour aux prodigalités les plus folles, aux actes les plus extravagants.

C’est alors que, pour plaire à de hauts personnages, on promet la garantie de l’Etat à des compagnies privées, c’est alors qu’on prend toutes sortes de mesures pour relever leurs actions tombées en discrédit, c’est alors qu’on pousse le scandale jusqu’à convoiter, pour ces compagnies, les biens que des personnes charitables ont légué aux pauvres !

Mais de tels actes ne sauraient rester impunis : l’indignation qu’ils excitent gagne peu à peu toutes les classes de la société, et il vient un jour où le ministère, abandonné par tous, tombe aux acclamations générales.

Ou je me fais grandement illusion, ou les talents et l’habilité de M. le ministre de l’intérieur ne pourront le sauver d’une chute inévitable et prochaine. Quel que soit le vote de la chambre, la royauté sentira sans doute qu’il est temps de mettre un terme aux dangers de la situation. Ces dangers sont grands, jamais le pouvoir n’a été aussi bas qu’en ce moment, jamais il n’a été frappé d’autant d’impuissance et de déconsidération.

M. le ministre de l'intérieur nous fait valoir les services qu’il a rendus. Quels sont donc ces services ? La loi sur les droits différentiels ? Mais cette loi n’est-elle pas due à la persévérance opiniâtre de l’honorable abbé de Foere ? N’est-elle pas le fruit de l’initiative de la chambre ? N’est-elle pas le fruit des travaux de la commission d’enquête parlementaire ? Sans les instances réitérées de l’honorable abbé de Foere, sans l’initiative des membres de la chambre, sans les travaux de la commission d’enquête, croyez-le bien, messieurs, la loi sur les droits différentiels serait encore, à l’heure qu’il est, à l’état de projet !

Si j’excepte cette loi, dont d’autres peuvent réclamer la meilleure part, quels sont donc les succès éclatants obtenus par le ministère ? J’ai beau chercher, je ne trouve guère que des fautes et des échecs !

Nous nous souvenons tous du sort malheureux de la loi sur les tabacs. Nous nous souvenons tous de la signature royale compromise par un arrêté qu’il a fallu retirer. Nous nous souvenons tous du projet de loi sur les successions, tant de fois promis, et qu’on n’a pas encore osé présenter ; nous nous souvenons tous du retrait de la loi sur les céréales ; nous nous souvenons tous des modifications apportées à la loi sur les traitements de l’ordre judiciaire ; nous nous souvenons tous de la leçon de morale que la chambre a donnée au ministère, en mettant un terme à l’abus trop fréquent des indemnités ; nous nous souvenons tous, enfin, nous ne nous souvenons que trop de l’art. 19 du traité avec le Zollverein.

M. le ministre de la justice nous disait tantôt que tous les ministères ont essuyé des échecs, que tous en essuieront. Cela n’est pas douteux ; tous les ministères ont essuyé des échecs ; mais quand les échecs sont multipliés, importants, ils ébranlent un ministère. M. le ministre de la justice, qui parait s’être livré à de nombreuses recherches dans nos discussions, devrait savoir qu’on a fait au ministère de 1840 un grief des échecs qu’il avait essuyé ; il devrait savoir que c’est là un des prétextes dont on s’est servi pour renverser ce ministère, et cependant les échecs essuyés par le ministère de 1840 étaient moins graves que ceux que le ministère actuel a subis.

Ce n’est pas seulement dans les chambres ; c’est ailleurs aussi que le ministère reçoit des échecs, des humiliations !

Le conseil provincial de Liége, dans sa dernier session, a blâmé à l’unanimité deux circulaires ministérielles : l’une est la circulaire aux bureaux de bienfaisance et aux communes en faveur de la société de Guatemala, l’autre ne tendait à rien moins qu’à rendre les bourgmestres omnipotents et à effacer les prérogatives des conseils communaux. Ces deux circulaires ont été blâmées à l’unanimité par le conseil provincial de Liége. Cependant il y avait dans cette assemblée des catholiques, des libéraux, des fonctionnaires, et personne n’a pris la défense des circulaires ministérielles ! Je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas là un symptôme alarmant ?

Il est impossible qu’une situation aussi fausse se prolonge. Il est impossible qu’un ministère qui a avoué sa légèreté et son imprévoyance dans des négociations importantes, qu’un ministère qui n’inspire de confiance à aucune opinion, en faveur duquel aucune opinion n’ose élever la voix, qu’un ministère dont la politique est dépourvue de franchise et de dignité, il est impossible qu’un tel ministère préside longtemps encore aux destinées du pays. Il faut, pour l’honneur du pays, il faut, pour la dignité nationale, qu’il se retire pour faire place à de plus dignes.

Sans doute le changement ne ramènera pas l’âge d’or. M. le ministre de l'intérieur l’a dit hier avec raison, quoi que l’on fasse, quels que soient les ministres, il y aura des difficultés. Mais, messieurs, les difficultés s’aplanissent facilement, lorsque le pouvoir est confié à des hommes décidés à suivre une politique franche et loyale. Comme ne n’est pas cette politique que le ministère a suivie, je voterai contre lui sur la question de confiance qui sera posée.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable membre m’ayant cité personnellement dans son discours, je crois devoir lui répondre quelques mots.

Je rappellerai d’abord que, dans les questions politiques qui se sont élevées dans cette enceinte, je n’ai jamais attaqué personnellement aucun des collègues qui siègent avec moi sur le banc ministériel.

Dans la discussion à laquelle l’honorable membre fait allusion, de nombreux appels à la conciliation ont été échangés ; j’ai pensé, messieurs, que l’application des principes de conciliation ne devait pas être le privilège de quelques-uns ; que tous pouvaient les mettre en pratique ; j’ai pensé qu’il ne devait pas y avoir d’exclusion ; qu’un seul citoyen belge ne pouvait pas être frappé d’une espèce d’ostracisme. On s’est adressé à moi au nom de la conciliation, au nom de l’impartialité ; j’ai cru devoir répondre à cet appel.

J’ai espéré, messieurs, que mes collègues et moi nous parviendrons, par nos efforts à accomplir cette œuvre de conciliation ; je l’ai espéré sincèrement ; je l’ai espéré de bonne foi ; c’est vers ce but que nous avons constamment marché. Aussi, l’honorable préopinant est loin d’avoir prouvé que l’impartialité, que l’esprit de conciliation, n’avaient pas présidé à nos actes depuis la formation du cabinet. Quant à moi, j’ai la conviction profonde de n’avoir pas posé un seul acte de parti, un seul acte de faiblesse vis-à-vis d’un parti quelconque.

Si, malheureusement, j’ai quelques violents adversaires, je puis aussi compter de nombreux amis qui, rendant justice à mes actes et à mes intentions, me sont restés fidèles. J’espère que le vote qui interviendra sur l’ensemble du budget de l’intérieur en sera un nouveau témoignage.

Croyez-le bien, messieurs, je ne voudrais pas d’une position, dans le ministère, qui fût sans dignité. Je ne voudrais pas rester un instant sur ce banc, si le cabinet n’était pas honoré de la confiance de la chambre. La question ministérielle est posée ; c’est à la chambre de décider ; la chambre, par son vote sur l’ensemble du budget de l’intérieur, manifeste si, à ses yeux, le cabinet continue à être digne de rester au timon des affaires, et peut les diriger dans le plus grand intérêt de l’Etat.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, si je prends la parole, c’est d’abord pour féliciter la majorité du défenseur tout nouveau qu’elle vient de trouver. L’honorable député de Liége a appelé sur le ministère, et sur moi particulièrement, les défiances de la majorité. La majorité me connaît ; je siège dans cette chambre depuis quatorze ans. Elle sait quelle est la mission dont je me suis chargée en 1841 ; et si, en 1843, je suis resté aux affaires, c’est que cette mission est demeurée la même.

La mission que j’avais remplie en 1841 a été remplie de nouveau en 1843 ; et si des pertes que j’ai profondément regrettées, dont l’une a déjà été réparée, ont eu lieu, l’ensemble de la situation parlementaire est restée la même. C’est l’ensemble du ministère qu’il faut voir à la fois et l’ensemble de la situation parlementaire ; c’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour juger la situation ministérielle et la situation parlementaire, et il ne fait pas s’engager dans des complications purement personnelles…

M. Dumortier – Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous nous sommes applaudis secrètement, a dit l’honorable membre, des échecs que la majorité a pu éprouver en juin 1843. Et qui donc vous autorise à concevoir ce soupçon ? Où avez-vous trouvé des motifs pour nous adresser ce reproche ? Sur quoi vous fondez-vous pour soutenir que nos efforts n’ont pas été sincères, pour conserver la majorité parlementaire, non pas seulement dans son ensemble, mais dans tous ses membres ? J’ai une trop haute opinion de votre loyauté personnelle, vous m’en avez donné des preuves dans des circonstances récentes pour ne pas compter qu’à l’appui d’allégations que vous avez ramassées je ne sais dans quels journaux, vous produisiez autre chose que des soupçons.

M. Delfosse – Je vous ai dit à quelle source j’avais puisé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je n’autorise personne à parler en mon nom. Quand je dois parler, je parle moi-même, et je repousse ces allégations, parce qu’elles auraient pour but de porter atteinte à la loyauté dont nous ne nous sommes pas départis dans les deux grandes occasions que vous avez citées, les élections de 1841 et celles de 1843.

Nous avons voulu, a dit l’honorable membre, et c’est le deuxième fait à l’aide duquel il a voulu appeler sur nous les défiances de la majorité de cette chambre, il a voulu appeler sur nous les défiances de la majorité de cette chambre ; nous avons voulu, à la suite des élections de 1843, faire un mouvement de droite à gauche, ; nous avons présenté la loi du jury d’examen, dans le sens que, désormais, ce serait la royauté qui ferait seule le choix des examinateurs.

Si nous avions voulu faire la tentative dont parle l’honorable membre, nous aurions dû, de prime abord, donner à la question le caractère d’une question de cabinet. C’est ce que nous n’avons pas fait ; nous avons laissé chacun libre. Et pourquoi aurait-on exigé que nous donnassions à cette question la portée d’une question de cabinet, lorsque c’est un legs des administrations précédentes ? Au ministère de 1841, à qui l’on voulait donner un caractère exclusivement libéral, a-t-on demandé qu’il apportât devant vous une loi définitive sur le jury d’examen, dans le sens de la nomination royale ?

Nous n’avons pas voulu faire la tentative dont parle l’honorable membre. Si nous avions voulu le faire, nous nous serions placé dans la situation la plus absurde, j’ose le dire. Nous aurions perdu à la fois la confiance de la droite, et nous n’aurions pas obtenu la confiance de la gauche.

Et de quel droit l’honorable membre semble-t-il aujourd’hui insinuer qu’il nous aurait accordé sa confiance ? je fais ici de nouveau un appel à sa loyauté. L’opinion qui était la mienne en 1835, et qui était le fond de la proposition faite l’an dernier, cette opinion n’est pas la sienne, et s’il a voté pour la nomination par le Roi, c’est parce qu’on a subitement consenti à donner un caractère provisoire à la disposition qui vous était soumise. Tout à coup on a donné un caractère provisoire à la loi, et c’est grâce à ce provisoire qu’il a voté la proposition du gouvernement.

Vous avez voulu, dit-il, faire un mouvement de droite à gauche, et je déplore que vous n’ayez pas persisté ; on vous aurait beaucoup pardonné, on aurait beaucoup oublié. Mais l’honorable membre n’aurait pas oublié, n’aurait pas pardonné ; car l’opinion du gouvernement n’était pas la sienne. Vous voyez donc que, pour justifier cette supposition que vous faites d’un désir de passer de la droite à la gauche, vous n’avez pas même à alléguer votre opinion personnelle.

M. Delfosse – Je vous aurais tenu compte de cet acte de courage

(page 574) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je savais qu’il y a des hommes dont on ne fait pas la conquête et je me suis bien gardé de l’entreprendre. Si nous avions fait de la question du jury d’examen une question de cabinet, notre position eût été étrange. D’un côté le vote devenait un vote de défiance et de l’autre le vote n’eût pas été un vote de confiance. Nous eussions été des dupes.

Nous avions parfaitement étudié le terrain, et, forcés que nous étions par un legs fatal des administrations précédentes, de vous saisir d’une proposition, nous n’avons pu prendre d’autre parti que celui que nous avons pris.

L’honorable membre, en parlant des deux premières années où je me suis trouvé au ministère, de 1841 à 1843, a cité trois échecs. Mais il a bien voulu reconnaître que, dans d’autres circonstances, ce ministère avait eu de grands succès. Qu’il me permette de prendre acte de cette déclaration ; elle est nouvelle de sa part.

M. Delfosse – Je n’ai jamais nié vos succès sur les lois réactionnaires ; je les ai, au contraire, déplorés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Qu’appelez-vous lois réactionnaires ?

M. Delfosse – Vous le savez bien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ces lois ont eu pour complice la grande majorité de cette chambre ; elles ont été votées par la grande majorité ; et aucun homme que je pourrais considérer comme destiné à venir aux affaires, n’oserait faire la déclaration que son programme renfermerait l’engagement de faire retirer ces lois.

Depuis, dit-il, nous n’avons éprouvé que des échecs. Mais je dirai que, dans la seconde période, nous avons été plus heureux, quant aux votes de l’honorable membre, que dans la première. Nous avons obtenu récemment son vote pour le traité du 1er septembre, traité qui, sans doute, ne s’est pas fait de lui-même, comme s’est produite la loi des droits différentiels. Celle-là est née d’elle-même au dire de l’honorable membre.

L’honorable membre vous a déclaré qu’il croyait qu’un vote significatif, qu’un vote destiné à faire cesser toute équivoque était devenu nécessaire. Nous le croyons aussi. Vous déciderez, messieurs, si, d’après les échecs partiels que nous avons pu éprouver, nous avons perdu votre confiance comme hommes d’affaires. Vous déciderez si, d’après les antécédents politiques, nous avons perdu votre confiance quant à la mission dont nous nous sommes chargés en 1841 et que nous avons acceptée une seconde fois en 1843. Nous attendons, messieurs, que les dures vérités dont on nous a parlé soient converties en un acte parlementaire ; jusque-là nous croirons avoir droit, et nous croirons de notre devoir de rester au banc ministériel. Il nous faut un vote parlementaire. Ce vote parlementaire, quand il sera émis avec la signification qu’il doit avoir, avec la signification que nous désirons y voir donner, ce vote parlementaire sera suivi immédiatement de notre retraite s’il nous est défavorable.

M. Dumortier (pour une motion d"ordre) – Nous discutons, messieurs, la question de confiance, et, d’autre part, j’ai déjà entendu plusieurs fois M. le ministre nous dire qu’il subordonnerait sa conduite au vote définitif du budget de l’intérieur. Or, le vote définitif ne peut venir qu’après le vote de tous les articles. Est-ce que par hasard on entend qu’il s’écoulera 15 jours, 3 semaines, temps nécessaire à l’examen des divers articles du budget, entre la discussion actuel et le vote définitif ? Il me semble qu’il faudrait commencer par s’entendre sur ce point, car si la question ministérielle ne doit être résolue que par le vote définitif du budget, la discussion à laquelle nous nous livrons me paraît inutile en ce moment ; cette discussion trouverait alors mieux sa place immédiatement avant le vote sur l’ensemble du budget.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je suppose que la chambre entend suivre ses précédents ; l’année dernière elle a attaché une signification politique au vote sur l’ensemble du budget de l’intérieur ; elle en avait fait autant en 1841, pour le budget du ministère des travaux publics.

M. Dumortier – Il y a une différence immense entre ce qui se passe maintenant et ce qui s’est passé les années précédentes. Les années précédentes quelques membres ont attaqué, à l’occasion de chaque budget, la politique du gouvernement ; mais aucune proposition n’étant faite, il fallait bien que l’examen et le vote du budget suivissent la marche ordinaire. Cette année les choses se présentent sous un point de vue tout à fait différent : au début de la discussion le ministère est venu lui-même poser la question de cabinet ; il est venu en quelque sorte jeter le gant à la chambre ; il est venu sommer la chambre de déclarer si elle avait confiance en lui. Il en résulte que beaucoup d’entre nous qui auraient pu rester neutres seront forcés de prendre parti et y seront forcés par le ministère lui-même. Dans cet état de choses, messieurs, est-il possible que nous laissions s’écouler entre la discussion actuelle et le vote sur la question de confiance tout le temps nécessaire à l’examen des nombreux détails que renferme le budget de l’intérieur ? Du reste dans la séance d’hier, un honorable membre a annoncé qu’une question de confiance serait posée ; si cette question est posée, en effet, la chambre décidera quand elle voudra qu’elle soit soumise. Quant à moi, je soutiens qu’il y aurait un véritable désordre à séparer la discussion politique du vote politique par l’examen de tous les détails du budget.

Je conçois que le ministère, spéculant peut-être sur l’esprit gouvernemental qui anime la majorité, voudrait qu’on ne se prononçât sur son existence qu’en se prononçant sur l’ensemble du budget ; mais la chambre ne peut pas se prêter à un semblable calcul. D’ailleurs, si, comme il l’annonçait hier, le ministère veut réellement connaître l’opinion de la majorité, il faut qu’il accepte franchement le vote sur la question de confiance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’y a aucun embarras dans cette discussion. Le ministère n’a pas lancé hier une provocation à la chambre ; le ministère a fait une déclaration de solidarité ; cette déclaration qu’on n’aurait pas manqué de lui demander, il l’a faite spontanément. De même, en 1841, le ministère d’alors avait fait une déclaration qu’il croyait nécessaire, comme nous avons cru que la question doit être posée autrement, nous verrons quelle proposition sera faite à cet égard, nous examinerons alors ce que nous aurons à répondre.

M. Osy – Messieurs, d’après ce que j’ai eu l’honneur de dire hier à la chambre, je crois que la marche la plus franche, c’est de poser avant la discussion des articles la question de savoir si le ministère a la confiance de la chambre. J’ai donc l’honneur de déposer sur le bureau une proposition ainsi conçue :

« Je prie M. le président de mettre aux voix la question suivante : Le ministère a-t-il la confiance de la chambre ? »

M. de Mérode – Je ferai remarquer, messieurs, que l’adoption d’une semblable proposition serait une chose tout à fait inusitée ; jusqu’à présent, lorsqu’on a voulu se prononcer sur la politique du ministère, on a voté pour ou contre le budget. Cependant, lorsqu’on ne veut pas refuser le budget, il est encore un autre moyen de prouver qu’on n’accorde pas sa confiance au ministère, c’est l’abstention. (Interruption.) Si le ministère n’avait pas ma confiance et si je ne voulais pas empêcher le vote du budget, je déclarerais que je m’abstiens ; on me demanderait les motifs de mon abstention et je dirais que je ne veux pas empêcher la marche des affaires, mais que, d’un autre côté, je ne puis pas accorder le budget à tel ou tel ministre parce que ce ministre n’a pas ma confiance. De cette manière, il n’y aurait aucune perturbation dans la marche des affaires, ni dans la marche de la discussion ?

Ce qu’on vous propose, au contraire, est insolite ; je ne dis pas qu’il est impossible de voter la proposition de M. Osy, mais jusqu’à présent on n’a jamais eu recours à un semblable moyen.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable auteur de la proposition et la chambre n’exigeront sans doute pas que le ministère se prononce immédiatement sur la forme de cette proposition. Comme l’a très-bien fait remarquer l’honorable comte Félix de Mérode, elle est tout à fait insolite ; c’est une nouvelle manière de procéder.. La chambre des représentants a deux moyens de faire connaître son opinion. C’est un vote sur un projet de loi ou une adresse au Roi. Il faut donc qu’on nous démontre, car nous ne voulons pas nous prononcer maintenant sur la forme du vote à émettre ; il faut qu’on nous démontre que la proposition telle qu’elle est faite rentre dans les formes adoptées pour les délibérations de cette assemblée et les formes sont beaucoup dans une assemblée délibérante. Il ne s’agit pas ici de nous seulement, il s’agit des rapports des pouvoirs entre eux. S’il s’agissait de nous personnellement, nous accepterions la proposition quelle qu’en soit la forme ; mais il s’agit de savoir jusqu’à quel point la proposition soumise à la chambre, rentre dans les formes parlementaires que vous êtes obligés de conserver. L’honorable membre veut-il faire une adresse au Roi ? qu’il propose franchement une adresse au Roi. Car enfin, messieurs, qu’aurez-vous en adoptant la proposition ? Il faudra bien faire connaître votre vote à la Couronne dont relève le ministère ; il faudra, quoi que vous fassiez, arriver à une adresse.

Nous faisons donc toutes nos réserves sur la forme de la proposition, telle qu’elle nous est soumise maintenant. Jusqu’à présent, la chambre n’a pas procédé autrement que par une proposition d’adresse au Roi ou par un vote sur un projet de loi dont elle était saisie.

M. le président – La proposition sera imprimée et distribuée aux membres de la chambre. La discussion générale peut continuer ; à la fin de cette discussion l’assemblée décidera quelle forme elle veut donner à son vote.

M. Devaux – Je désire savoir quand le ministère se prononcera.

M. Verhaegen – Si la proposition était réellement insolite comme le prétend M. le ministre de l'intérieur, c’est que le ministère lui-même est insolite, alors il n’y a pas moyen de procéder autrement.

Vous l’avez entendu, messieurs, de la bouche de M. le ministre de l'intérieur : sans un vote positif de la chambre, quelque fausse que soit sa position et quel que soit l’engagement qu’il a pris naguère de se retirer pour une hypothèse qu’il avait supposée et qui s’est réalisée, il ne se retirera pas. Ainsi, il faut à M. le ministre de l'intérieur un vote d’où résulte que lui et ses collègues n’ont pas la confiance de la chambre, et quand un membre, par une proposition formelle, provoque ce vote, M. Nothomb répond par une fin de non recevoir !

Autrefois on a critiqué la voie d’adresse au Roi et le sénat lui-même a regretté la mesure qu’il avait prise en 1841. C’est encore M. Nothomb qui, pour échapper à un vote de blâme qu’il avait d’abord provoqué, vint proposer la voie d’adresse ; mais cette voie, la chambre ne l’adoptera pas. Nous n’avons pas, messieurs, des pétitions à adresser, nous avons des droits à exercer, et ces droits sont incompatibles avec la marche qu’on propose. Une question a été posée ; le ministère accepte-il ou refuse-t-il la lutte ? se présente-t-il à ses adversaires franchement et noblement, ou recule-t-il ? qu’il le dise. S’il refuse la lutte que tantôt encore il semblait désirer, qu’il propose donc la question préalable et que la chambre prononce. Le pays saura du moins, quel que soit le résultat de l’incident, ce que veut le ministère, et comment il entend soumettre l’appréciation de sa conduite au jugement du parlement. Il se demandera comment il s’est fait, en pareille circonstance, qu’au début de la discussion, sans qu’aucun membre eut pris la parole, M. le ministre des affaires étrangères, au nom du cabinet tout entier, soit venu faire une déclaration qui devait nécessairement amener le résultat que propose l’honorable M. Osy.

(page 575) Messieurs, tous les membres du cabinet se déclarant aujourd’hui solidaires des faits posés par M. le ministre de l'intérieur depuis leur avènement au pouvoir, la déclaration à faire sur la question de M. Osy doit amener la retraire du cabinet entier.

Encore une fois, si le ministère ne veut pas accepter la lutte, qu’il propose la question préalable, et nous la discuterons.

Je comprends fort bien que le ministère, qui ne pose jamais sérieusement une question de cabinet, voudrait bien avoir l’air de la poser, sans en courir les chances ; il voudrait maintenant que la question se posât sur l’ensemble du budget de l’intérieur. Mais, comme le vote du budget de l’année dernière nous l’a appris, il y a des membres qui n’approuvent pas la conduite du cabinet, et qui reculent devant un vote négatif sur le budget. C’est ainsi qu’en 1844 des membres qui ont flétri hautement la politique du cabinet, et notamment celle de M. le ministre de l'intérieur, ont déclaré que s’ils ne votaient pas contre le budget, c’était uniquement parce qu’ils ne voulaient pas arrêter la marche des affaires ; aussi ne donnaient-ils pas non un plus un vote affirmatif, parce que ce vote aurait impliqué l’approbation de la conduite du cabinet.

Or, je suis convaincu, quoi qu’en ait dit l’honorable M. de Mérode, que si des membres de la chambre, même en grand nombre, s’abstiennent par des considérations de cette nature, M. le ministre de l'intérieur ne se retirerait pas, car il lui faut un vote positif, vous venez de l’entendre.

Qu’on nous dise donc si la question de cabinet est une nouvelle mystification à ajouter à tant d’autres mystifications, ou si cette fois elle est sérieusement posée.

Il faudrait non-seulement que le ministère acceptât franchement la lutte mais qu’il permît en outre aux fonctionnaires publics, membres de cette chambre, de voter sans égard à leur position, qu’il les dégageât de toute obligation envers leurs chefs. J’ai entendu souvent professer dans cette enceinte une opinion que je suis loin d’admettre, et qui consiste à ne laisser aux fonctionnaires publics la liberté de leur vote que dans les questions autres que celles de cabinet. Si c’était encore là l’opinion de M. Nothomb dans la circonstance actuelle, la question aujourd’hui posée ne serait plus qu’une mystification, car la majorité serait alors en quelque sorte assurée d’avance à M. le ministre de l'intérieur ; ce que nous ferions ici ne serait plus qu’une comédie

Si le ministre veut réellement que la chambre approuve ou blâme sa conduite, qu’il accepte la question telle qu’elle est posée par l’honorable M. Osy ; qu’il ne fasse pas d’incidents qui ne sont, en définitive, que des échappatoires, et qu’il mette la chambre à même de prononcer ; en même temps qu’il tranquillise tous les fonctionnaires publics en leur donnant liberté entière sans qu’ils soient exposés à ces mesures odieuses que nous avons eu à blâmer autrefois.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demanderai à la chambre, qui recule : ou du ministère qui, hier, dès l’ouverture du débat, a déclaré qu’il acceptait, solidairement, les conséquences du vote sur l’ensemble du budget de l’intérieur ; ou bien de ceux qui, ayant donné rendez-vous au ministère depuis plus de trois mois, trouvent aujourd’hui que la question doit être autrement posée qu’ils ne l’avaient annoncé, autrement posée qu’ils ne l’avaient acceptée l’année dernière, autrement posée qu’ils ne l’ont consacrée, par un vote solennel en 1841.

Il ne s’agit pas ici seulement du ministère actuel, il s’agit encore et surtout des rapports des pouvoirs entre eux. Nous ne repoussons pas pour nous personnellement la question telle qu’elle a été posée tout d’un coup, nous voulons et nous avons le droit d’y réfléchir. (Interruption.)

L’honorable M. Devaux m’interrompt… L’honorable membre croirait-il, par hasard, que nous n’avons d’autre devoir à remplir ici que ceux que nous suggérerait notre position personnelle ? Nous avons à défendre ici les droits de la Couronne que nous représentons.

On vient de poser une question toute nouvelle. Or, la chambre, d’après tous ses précédents, d’après la Constitution, d’après son règlement qui est considéré comme faisant partie de la Constitution, la chambre ne procède dans des questions de cabinet que de deux manières ; ou bien elle présente au Roi une adresse motivée, ou elle manifeste ses intentions par un vote sur un projet de loi. Aujourd’hui, l’on fait une proposition qui ne rentre ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux catégories. Nous avons à examiner si cette proposition, dans une forme aussi insolite, peut être acceptée par nous.

Le ministère, dit-on, spécule sur l’embarras de ceux qui éprouvent des scrupules à rejeter l’ensemble du budget de l’intérieur.

Cette objection m’étonne de la part des membres qui l’année dernière, ont résolument voté contre le budget de l’intérieur, sans s’inquiéter des suites de leur vote. D’où leur viennent aujourd’hui ces scrupules ? (Interruption.) Si ce n’est pas vous que vous les éprouvez, de quel droit les attribuez-vous à ceux qui, en 1841, ont voté contre l’ensemble du budget du ministère des travaux publics, sans s’enquérir des suites ?

Il y aura des abstentions, dit-on, sur l’ensemble du budget du ministère de l’intérieur ; mais il peut y en avoir aussi sur la question telle qu’elle est posée maintenant. Nous allons plus loin : nous déclarons que les abstentions seront regardées par nous comme des votes négatifs….

M. de Mérode – C’est comme cela que je l’entends. (On rit.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous voyez donc que nous n’entendons nullement couvrir nos personnes ; nous considérerons les abstentions comme des votes négatifs, nous ne spéculerons donc pas sur les embarras de quelques membres de la chambre, sur le scrupule qu’on leur attribue, de voter contre l’ensemble du budget de l’intérieur, scrupule qui ne peut exister ni à droite, puisqu’en 1841 on a voté contre l’ensemble du budget des travaux publics, ni à gauche puisqu’on y a voté, en 1844, contre l’ensemble de mon budget. (Interruption.)

Il y a beaucoup de membres nouveaux, me dit-on ; ces membres auront la ressource de l’abstention, s’ils ont des scrupules, et leur abstention sera regardée comme un vote négatif : ceci n’est nullement insolite.

Nous ne défendons pas ici notre position, nous faisons nos réserves pour examiner la proposition dans la forme nouvelle qu’on lui a donnée ; en faisant ces réserves, nous remplissons un devoir, nous ne voulons pas poser un fâcheux précédent, et la chambre elle-même doit y réfléchir mûrement avant de poser un précédent pareil.

J’ai entendu derrière moi l’honorable M. Osy citer l’exemple de l’Angleterre. Eh bien, quand des déclarations de ce genre se produisent en Angleterre, elles sont insérés dans une adresse à la Couronne. C’est ainsi que le ministère Melbourne s’est retiré devant une adresse dans laquelle sir Robert Peel a fait insérer, après certains détails sur la situation, la déclaration de non-confiance. Voilà ce qui se pratique en Angleterre.

Je demande donc pour le ministère, et, j’ose le dire, pour la chambre elle-même, le temps de réfléchir sur la forme nouvelle qu’on a adoptée. Ce précédent est d’une grande importance. Vous avez le droit de présenter à la Couronne une adresse motivée, vous avez le droit de vous prononcer sur un projet de loi, mais vous n’avez pas le droit de proscription parlementaire, et j’appelle proscription parlementaire un vote émis en deux lignes, sans motifs, sans explications

Nous ferons connaître notre opinion probablement dès demain.

M. le président – D’après cette dernière déclaration, la discussion ne peut plus continuer utilement sur l’incident.

- La chambre, consultée, décide que la discussion générale du budget de l’intérieur continue. La parole est à M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, la discussion étant engagée sur la question politique, et dirigée contre les personnes, n’ayant pas l’intention de me placer sur ce terrain, terrain qui m’est inconnu, n’ayant à traiter que des questions d’économie politique, ayant rapport aux véritables intérêts du pays, je crois que ce que j’ai à soumettre au gouvernement ainsi qu’à la chambre trouvera mieux sa place lors de la discussion des articles ; en même temps que je présenterai un amendement, j’entrerai dans des considérations générales que je considérerai utiles à son adoption.

Je crois donc faire chose agréable à la chambre en renonçant à la parole dans la discussion générale, persuadé que je suis que l’attention de la chambre est exclusivement fixée dans ce moment sur la question politique.

M. le président – La parole est à M. Zoude.

M. Fleussu – Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Il me semble que la chambre ne peut continuer la discussion générale avant d’avoir entendu le ministère sur la question incidente qui est posée. Ce n’est que quand on connaîtra les intentions du gouvernement qu’on pourra utilement reprendre la discussion. (Adhésion.)

- La séance est levée à 4 ½ heures.