(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 224) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Jean-Herman Weyerts, capitaine de navire à Anvers, né à Carolinesyhl (Hanovre) demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Jean-Pierre Mandersmit, préposé de première classe des douanes à Zerhand, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Plusieurs habitants d’Audenarde demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838 qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
« Les propriétaires et locataires de briqueteries situées à Basel et à Ruppelmonde demandent que le gouvernement emploie leurs briques pour les travaux publics qu’il fait exécuter. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par dépêche, en date du 28 novembre, M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre les explications qu’elle lui a demandées sur la pétition par laquelle les habitants du faubourgs de Charleroy se plaignent que le gouvernement n’a pas jugé à propos de présenter à la législature un projet de loi tendant à séparer ce faubourg de la ville et à l’ériger en commune distincte. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
Il est fait hommage, par M. Quetelet, au nom de l’Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles, de deux exemplaires des tomes XVII des Mémoires des membres et du tome XVI des Mémoires couronnés.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Henot, au nom de la commission des naturalisations, présente différents rapports sur des demandes en naturalisation.
M. Delehaye, au nom de la même commission, présente le rapport sur la demande en grande naturalisation du sieur Gauchin.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
La chambre fixera ultérieurement le jour de la prise en considération.
M. Osy (pour une motion d'ordre) – Messieurs, dans le discours que j’ai prononcé hier, je vous ai relevé encore un fait très-grave de l’administration ; c’est une avance faite à une société d’une somme que je croyais être de 2 millions, et que M. le ministre nous a dit être de 1,400,000 fr. Il ne faut pas confondre le capital avancé avec la somme que nous avons votée annuellement au budget pour la garantie de l’exportation des cotonnades.
Comme maintenant le fait est avoué par le gouvernement, je demande qu’il fasse un rapport sur cette affaire, pour que nous puissions l’examiner et savoir où a été pris l’argent pour payer ces 1,400,000 fr. Je ne les trouve dans aucun budget ainsi que les intérêts de cette somme ; je désire savoir s’ils ont été payés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant me permettra de relever une expression. Je le fais non pas dans l’intérêt du ministère actuel, mais dans l’intérêt du ministère qui a posé cet acte et dont je faisais partie comme ministre des travaux publics.
Ces faits n’ont jamais été déniés. Il ne faut donc pas dire qu’on les avoue maintenant. Je crois même que les pièces ont été communiquées à la section centrale, soit des voies et moyens, soit du budget de l’intérieur.
Du reste, quoi qu’il en soit, je ne vois aucun inconvénient à ce que le gouvernement fasse un rapport sur cette affaire. Cette mesure a été prise dans des circonstances exceptionnelles ; elle a été prise dans la grande crise d’octobre 1839. Je m’empresse donc de le déclarer, et je ne serai, certes, pas désavoué par les ministres, auteurs de l’acte ; il vous sera fait un rapport avec toutes les pièces.
(page 225) M. Delfosse (pour une motion d'ordre) – Je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien communiquer à la chambre l’état de la situation des fonds en caisse.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – D’après mes souvenirs, l’encaisse se trouve actuellement d’environ 6 millions. Du reste, je communiquerai à la chambre le chiffre exact.
M. Desmaisières – Messieurs, je demande la permission à la chambre de répondre quelques mots à l’honorable M. Osy.
Je ne veux pas non plus entrer dans les détails de l’affaire dont vous a parlé cet honorable membre. Il faudrait que j’eusse le temps d’examiner préalablement le dossier qui se trouve au ministère de l’intérieur. Mais je dois relever une grave erreur échappée à l’honorable M. Osy, et que M. le ministre de l'intérieur a déjà relevée en partie.
L’honorable M. Osy vous a dit que la chambre n’avait pas eu connaissance de la convention qui avait été passée avec la banque de l’industrie pour venir au secours de l’industrie linière dans un moment de crise tel qu’il en était résulté des émeutes très-graves. Messieurs, j’ai lu et extrait du rapport de l’honorable M. Dedecker sur le budget de l’intérieur de 1842, ce qui suit :
« Cette convention qui est déposée sur le bureau n’a pas été, comme on le voit très-favorable au trésor ; la section centrale voudrait pouvoir supposer qu’elle a été du moins favorable à l’industrie elle-même.
« Toujours est-il que l’on doit rendre hommage aux intentions du gouvernement qui a conclu cette convention dans un moment fort critique, où tous les magasins des fabricants cotonniers regorgeaient de manufactures et où le peuple, ameuté dans les rues, menaçait de troubler sérieusement la tranquillité publique. »
Ce n’est, messieurs, ni au budget de 1841 ni au budget de 1842 que l’attention de la chambre a été pour la première fois appelée sur cet objet. Lorsque le ministère de 1839 a conclu cette convention, il a cru accomplir un devoir extrêmement impérieux pour lui, et vous le voyez, la section centrale lui a rendu complètement justice par une approbation formelle. Bien que de pareilles conventions ne puissent pas être communiquées ni publiées immédiatement, et qu’elles puissent l’être difficilement avant la clôture des opérations commerciales qu’elles ont pour objet, l’intention formelle du ministère était de communiquer celle dont il s’agit à la chambre aussitôt que les circonstances l’auraient permis et de demander un bill d’indemnité pour un acte que la section centrale a reconnu depuis lors, dans son rapport à la chambre sur le budget de l’intérieur, être un acte de bonne administration, de bon gouvernement.
Messieurs, vous devez vous rappeler tous que peu de temps après avoir posé cet acte, le ministère fut renversé par le vote Vandersmissen du 14 mars 1840. Un nouveau ministère lui succéda et voici ce qui se lit dans l’exposé des motifs du projet de loi d’emprunt présenté par M. le ministre des finances le 11 mai 1840 :
« Je ne puis vous cacher, messieurs, qu’il est d’autres circonstances encore qui sont de nature à restreindre les ressources disponibles de 1840, des avances ayant été faites et des capitaux ayant été engagées vis-à-vis de plusieurs établissements jusqu’à concurrence d’une somme de 2,500,000 francs qui n’est point entrée dans les prévisions d’un budget. »
Vous voyez donc messieurs, que l’attention de la chambre a été éveillée sur ce point, aussitôt que le nouveau ministère a cru que les circonstances le permettaient, et que, par conséquent, rien ne vous a été caché de ce qui pouvait être porté à votre connaissance. Le ministère de 1839 a donc dû croire, dès 1840, sa responsabilité mise à couvert sous ce rapport.
Voilà, messieurs, ce que je voulais dire pour le moment ; quant aux détails de l’affaire, à l’exécution et à la somme qui se trouvait avancée lorsque nous avons quitté le ministère, je ne puis rien en dire pour le moment ; je suis persuadé cependant que la somme avancée ne dépassait guère le tiers des 1,500,000 fr. engagés. Pour pouvoir entrer dans plus de détails, il faudrait, comme je l’ai dit, que je fusse saisi du dossier. D’ailleurs, M. le ministre de l'intérieur a promis un rapport à cet égard.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous voyez, par ces explications, que j’avais raison de dire que les faits n’avaient pas été cachés à la chambre. Le contrat date du mois d’octobre 1839. La somme intégrale de 1,500,000 fr. n’a pas été mise à la disposition de la banque de l’industrie ; elle n’a reçu que 1,400 et des mille francs. Depuis lors, à peu près 700,000 fr. doivent avoir été remboursés. Le restant n’a pu l’être, parce que les opérations ne sont pas encore complètes ; mais je crois pouvoir dire qu’il le sera.
Il y a plus, c’est que le gouvernement s’est refusé à enter en quelque sorte dans cette opération de nouvelles opérations, c’est-à-dire que l’on a respecté la convention d’octobre 1839, et il a été entendu que la sommes serait restituée au fur et à mesure que les opérations faites dans les colonies le permettraient. Je m’explique plus clairement. Je vous ai dit que 700 mille francs à peu près étaient restitués. Vous concevez qu’on aurait pu, par une simple opération d’écriture, conserver à la disposition de la banque de l’industrie, 200 mille fr., par exemple. On a dit qu’il fallait s’en tenir à la grande mesure d’octobre 1839, opérer la restitution et ne pas enter, sur cette première opération, d’autres opérations du même genre, quel qu’en pût être le but.
Du reste, tous ces détails vous seront donnés dans un exposé qui accompagnera le dépôt de cette convention, quoique déjà ce dépôt ait eu lieu d’après ce qui vient d’être dit..
M. Osy – Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président – Il n’y a rien qui vous soit personnel dans ce qui a été dit.
M. Osy – Je vous demande pardon, on a dit que j’avais attaqué une intention.
M. le président – Je répète qu’il n’y avait rien qui vous fût personnel dans ce qui a été dit. Vous avez déjà eu quatre ou cinq fois la parole dans cette discussion. C’est un mauvais antécédent que de laisser parler pour un fait personnel quand il n’y en a pas.
M. Devaux – L’honorable M. Osy prétend qu’on a mal interprété sa parole.
M. le président – Si la chambre ne s’y oppose pas, je lui accordera la parole.
M. Osy – Messieurs, je n’ai pas attaqué l’intention ni le but des avances qui ont été faites pour l’objet dont vous a entretenus l’honorable M. Desmaisières. Mon seul but était de vous démontrer la manière dont se fait la comptabilité du pays ; qu’on avait disposé d’une somme de 15 à 16 cent mille francs sans aucun renseignement au budget ; on n’a porté à aucun budget ni les intérêts payés, ni les remboursements faits ; ce n’est que sur ce point que j’ai demandé des explications ; je n’ai attaqué ni les intentions du ministère actuel ni celles de l’ancien ministère.
M. le président – On n’avait pas dit que vous aviez incriminé ces intentions. Il n’y avait donc rien de personnel dans les observations qui avaient été faites.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je suis forcé de relever les dernières expressions de l’honorable M. Osy, qui tire toujours des conséquences générales de faits partiels et accidentels ; ces faits n’ont jamais été déniés ; ils sont connues de la chambre ; le premier est celui dont parle l’honorable M. Osy, le second est l’acquisition de la British-Queen ; le premier de ces faits est antérieur à l’entrée de l’honorable M. Osy dans cette chambre.
M. Lys – Et le 5e million avancé à la banque de Belgique ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – En effet, il y a trois faits ; l’avance de ce million dont parle l’honorable M. Lys, et qui est depuis longtemps restitué ; les 1,400,000 fr., avancés à la banque d’industrie, deux faits antérieurs à l’acquisition de la British-Queen, et enfin cette acquisition. Voilà les trois actes dont la régularité n’a jamais été soutenue par le gouvernement ; le gouvernement a reconnu, au contraire, qu’ils sont irréguliers, il a même déclaré à la chambre que, quelles que fussent les imperfections des lois et les règlements qui régissent la comptabilité, des faits de ce genre ne seraient plus posés, et, en effet, des faits de ce genre n’ont plus été posés.
M. Delehaye – Mon honorable ami, M. Castiau, avait prié le gouvernement de déposer sur le bureau la convention faite avec la société de Guatemala ; M. le ministre de l'intérieur a renvoyé la chambre aux journaux, pour prendre connaissance de cette convention. Il est arrivé souvent que, lorsque d’honorables membres parlaient ici de ce qu’ils avaient appris par la voie de la presse, le gouvernement répondait qu’il n’était pas responsable de ce que publiaient les journaux. Je suis donc étonné que le gouvernement nous renvoie maintenant aux journaux lorsque nous lui demandons de nous éclairer.
Quoi qu’il en soit, je lui demanderai quel est le journal auquel nous devons ajouter foi ? Plusieurs journaux ont publié la convention, mais un autre journal, qui passe pour recevoir les inspirations de M. le ministre de l'intérieur, a dit que la convention publiée n’était point conforme à celle qui a été signée. Je prie M. le ministre de l'intérieur de nous donner quelques renseignements ; à défaut de ces renseignements, il nous est impossible de nous former une idée exacte sur le contenu de cet acte.
J’ai dit, messieurs, que la colonie de Santo-Thomas ne présente aucun élément de prospérité ; c’est même improprement que cet établissement a pris le nom de colonie ; ce n’est pas plus une colonie que ne serait une colonie l’exploitation, faite par des Belges, de quelques hectares de terre dans un pays étranger. Les Belges qui exploitent des terres à Santo-Thomas sont soumis aux lois de ce pays ; ce n’est donc nullement là ce qu’on peut appeler une colonie ; pour qu’il y ait colonie, il fat que la souveraineté vous appartienne.
Messieurs, les ministres ne sont pas d’accord entre eux sur les motifs de la convention faite avec la compagnie : M. le ministre de la justice, qui a pris la parole le premier, a dit qu’il s’agissait de favoriser l’exploitation des produits de l’industrie linière. Cet argument était puéril. Aussi M. le ministre de l'intérieur, qui a pris la parole après M. le ministre de la justice, ne nous a plus entretenus des produits de l’industrie linière ; suivant M. le ministre de l'intérieur, il s’agit de transporter à Guatemala les habitants de la Belgique qui désirent se rendre dans ce pays. Sommes-nous donc obligés d’exporter nos concitoyens à Guatemala ? Mais la Belgique possède encore une quantité très-considérable de landes et de bruyères qui ne demandent que des bras pour être fertilisées ; si le gouvernement et la législature voulaient favoriser l’emploi de ces bras, j’ai la conviction intime que ces landes et bruyères seraient bientôt converties en terres productives. Il n’est donc nullement nécessaire de faire passer les mers à une partie de la population, et cet argument de M. le ministre de l'intérieur n’est dès lors pas admissible.
Si l’observation de M. le ministre de la justice a été combattue par M. le ministre de l'intérieur, celui-ci n’est pas d’accord non plus avec le texte de l’arrêté ; car, d’après l’art. 3 de cet arrêté, il s’agit de favoriser, d’une manière générale, l’exportation des produits de notre industrie. Je suis étonné (page 226) qu’on vienne nous représenter la colonisation de Guatemala comme favorable à nos exportations. Le gouvernement a déjà voulu favoriser les exportations par des primes, et qu’en est-il résulté ? C’est que quand on a fait le compte des expéditions opérées, on a trouvé une perte de deux millions. Si vous voulez avoir des exportations, commencez par assurer à l’industrie votre propre marché, comme le font les nations qui nous entourent.
Répondant à ce que j’avais dit des entrepôts francs, M. le ministre de l'intérieur m’a traité de rétrograde. Je vous avoue que cette expression de rétrograde sortant de la bouche de M. Nothomb m’a singulièrement surpris. Oui, messieurs, je suis rétrograde, mais je le suis, comme presque tous les hommes d’Etat de France, d’Angleterre et de Hollande. Dans aucun de ces pays, il n’existe d’entrepôts francs ; il n’en existe pas en France, il n’en existe pas en Hollande, il n’en existe point en Angleterre (Interruption) ; il n’existe pas en Angleterre des entrepôts francs, tels que ceux que l’on veut établir chez nous. Si je suis rétrograde, je le suis en fort bonne compagnie, et dans les pays étrangers l’on sera fort étonné de ce qu’une semblable qualification m’a été donnée par un ministre belge, parce que j’ai combattu le projet d’établir des entrepôts francs.
Il y a sept ou 8 ans, messieurs, que j’ai indiqué le moyen de favoriser notre industrie ; j’ai dit qu’il fallait établir une ligne de douanes, telle que la fraude fût impossible. Lorsque j’ai demandé une protection efficace pour toutes nos industries, on m’a aussi traité de rétrograde. Cependant je ne demandais que ce qui existe pour deux ou trois industries dont la prospérité est évidente, grâce précisément à la protection dont elles jouissent. Si l’industrie métallurgique, par exemple, ne jouissait pas d’une protection de 100 pour 100, où en serait-elle ? Si l’industrie houillère n’était pas protégée contre la concurrence anglaise par des droits énormes, dans quelle situation se trouverait-elle ? Ce sont là les seules industries qui sont florissantes en Belgique.
Un membre – Les armes !
M. Delehaye – Soit. Eh bien, les armes jouissent aussi d’une protection considérable. Voilà les seules industries qui sont florissantes et elles le sont précisément à cause du système rétrograde qui existe à leur égard. Eh bien, je saurais gré au ministre d’étendre ce système rétrograde aux industries des Flandres. Qu’il assure à leurs produits le marché intérieur et alors nous pourrons aussi songer à avoir des exportations. C’est ainsi qu’agissent les nations industrielles ; les industries de ces nations sont protégées à l’intérieur par des droits élevés et par des mesures efficaces contre la fraude, et lorsqu’elles ont réalisé des bénéfices sur leur propre marché, elles viennent déverser chez nous les produits qui lui restent.
Je ne recule donc point devant le reproche d’être rétrograde ; je remercie, au contraire, M. le ministre de me l’avoir adressé. En ce qui concerne le commerce et l’industrie, je veux très-bien passer pour rétrograde, puisque l’application de mes principes rétrogrades assurerait à la Belgique les avantages dont jouissent les autres nations industrielles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce serait anticiper sur une grande discussion qui vous attend, celle de la loi des entrepôts francs, que de répondre à la dernière partie du discours de l’honorable préopinant.
Nous avons voulu, par l’établissement de notre chemin de fer, attirer un immense transit dans le pays. L’établissement d’entrepôts francs, avec toutes les garanties qu’exige l’industrie indigène, est un auxiliaire du système des chemins de fer, dont un des grands objets est le transit par notre pays. Mais, je le répète, n’anticipons pas.
J’ai dit hier qu’à la question dite de Santo-Thomas se rattache d’abord la question d’émigration. Ce n’est pas que nous poussions hors du pays les Belges qui s’y trouvent bien ; mais il est un fait, c’est que, chaque année, des Belges et des Allemands émigrent ; l’émigration allemande et belge s’élève annuellement à plus de 25,000 hommes. La première idée a donc été de régulariser cette émigration, de donner à tous ces émigrants un but plus certain.
Je sais que ce sont là des faits presque ignorés, et j’étonnerai beaucoup de membres de la chambre, en leur disant, par exemple, qu’il y a 18 mois, un armateur d’Anvers a transporté au Texas environ 700 individus Allemands ou Belges, des Allemands principalement ; les individus qui se trouvent en ce moment à Santo-Thomas ne sont pas exclusivement Belges ; ils y sont même en minorité. Je crois même que ce sont pour la plupart des Allemands. Cette émigration allemande se fait par la Belgique. C’est encore un genre de transit que la Belgique s’était assuré. Cette émigration avait lieu autrefois presque exclusivement par Brême, par la Hollande et par le Havre. Aujourd’hui, elle se fait principalement par Anvers.
Ce n’est pas moi qui chercherai à vous expliquer pourquoi tant d’hommes, en Allemagne surtout quittent leur patrie, pour tenter les aventures, pour aller chercher une nouvelle patrie au-delà des mers. Je citerai un fait qui m’a frappé, c’est qu’il est des parties de l’Allemagne où l’on imprime la carte du pays, et, en regard, la carte du Brésil. Vous seriez fort étonnés de trouver, l’une à côté de l’autre, la carte du royaume du Wurtemberg et celle du Brésil.
Mais une autre idée se rattache à la question de Santo-Thomas : le port de Santo-Thomas est peut-être le plus beau port des Antilles ; c’est une magnifique position commerciale. De l’aveu de tous ceux qui ont étudié cette question, qui ne l’ont pas traitée avec la légèreté avec laquelle on la traite ici, la position anglaise de Belize est bien inférieure à celle de Santo-Thomas.
M. Sigart – Pourquoi donc cette position est-elle restée inoccupée jusque dans les dernier temps ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est qu’aucun gouvernement ne pouvait s’emparer de cette position. Il fallait que ce fût une compagnie ayant pour but principal la colonisation. Le gouvernement guatemalien, si la compagnie n’existait pas, si l’entreprise ne se présentait pas comme entreprise privée, déclarait la compagnie déchue. Voilà pourquoi, quelque importante que puisse être cette entreprise, elle ne peut être faite directement par aucun gouvernement européen.
Deux actes vous ont été cités dans cette discussion ; l’un est l’arrêté du 31 mars 1844 ; cet arrêté a été inséré dans la partie officielle du Moniteur ; tout ce qu’il faudrait déposer sur le bureau, ce serait la liste des souscriptions qui ont été prises à la suite de cet arrêté, souscriptions qui n’ont pas été réalisées, auxquelles la compagnie elle-même a renoncé. Je puis déposer cette liste sur le bureau.
Le deuxième acte, c’est la convention conditionnelle et provisoire faite par le gouvernement, convention dont l’accomplissement est subordonné à des conditions qui, aujourd’hui, ne sont pas encore remplies. J’ai dit hier qu’il y aurait de l’inconvénient à ce que cette pièce fût officiellement demandée, à ce que la chambre y attachât dès aujourd’hui une valeur officielle ; à titre de renseignement, je ne refuse pas, je n’ai jamais refusé le dépôt d’aucune pièce sur le bureau. Je déposerai donc également la convention, mais, je le répète, à simple titre de renseignement ; je fais cette réserve dans l’intérêt même des droits de la chambre.
M. d’Elhoungne – Messieurs, à l’exemple de M. le ministre de l'intérieur, je ne présenterai à la chambre que quelques courtes observations sur la question de Santo-Thomas. Je commencerai par féliciter le ministère d’avoir enfin compris qu’il ne pouvait rester plus longtemps sous le poids des accusations qu’on a lancées contre lui dans la séance d’hier. Il est d’ailleurs de la dignité, je ne dirai pas du gouvernement, mais de la chambre, que ce débat aboutisse à des explications claires et complètes.
Messieurs, M. le ministre de l'intérieur vient de se poser la question de savoir s’il importe au pays d’encourager la société de colonisation ; s’il importe au pays de favoriser ainsi le développement de ce qu’il a appelé la colonie belge de Santo-Thomas.
Mais je dirai tout d’abord à M. le ministre de l'intérieur qu’il n’y a pas de colonie belge de Santo-Thomas possible. Il a été formellement réservé par le gouvernement guatemalien qu’aucun gouvernement étranger ne pourrait jamais acquérir un droit de souveraineté sur le territoire de Santo-Thomas ; que tout colon qui viendrait y aborder perdrait à l’instant même la qualité de citoyen du pays qu’il quittait, pour acquérir la qualité de citoyen de Guatemala, et qu’il renonçait irrévocablement à invoquer la protection ou l’intervention d’aucun agent diplomatique, de quelque pays que ce fût.
Dès lors, messieurs, la question que le gouvernement a dû se poser, quand on l’a réduite à ses plus simples termes, est celle-ci :
Le gouvernement belge devait-il encourager de son appui et de ses secours une société ayant pour but de dénationaliser des citoyens belges, des familles belges, pour les livrer sans protection à un gouvernement étranger ?
Je pense, messieurs, que cette question, ainsi posée, n’est pas susceptible de deux solutions.
Mais le gouvernement avait eu encore d’autres devoirs à remplir : Il avait dû examiner les statuts mêmes de la société de colonisation ; il avait dû se demander si les chances de succès de cette société n’étaient pas complètement illusoires ; il avait dû se demander ce que c’est qu’une société qui n’a pas même de capital ; une société dont les fondateurs ont acquis un territoire sans le payer, et qui font de ce territoire, avec la charge du prix à payer, tout l’apport, et le seul apport social. Le gouvernement aurait dû se demander s’il fallait convier l’argent et l’activité de la Belgique au défrichement improductif, sinon impraticable, des forêts vierges de Santo-Thomas, alors que nous avons chez nous tant de terrains incultes qui ne réclament que des capitaux et des bras pour devenir fertiles ; que dis-je, messieurs, qui ne réclament qu’une impulsion intelligente du gouvernement pour se couvrir de populations laborieuses et heureuses, et créer ainsi à nos industries des milliers de consommateurs.
Messieurs, le gouvernement a eu un commissaire attaché à la société de colonisation ; ce commissaire a pris part à toutes les délibérations de la société ; il a eu l’inspection de tous les livres de la comptabilité ; il a dû adresser au gouvernement un rapport semestriel sur la situation des affaires sociales. Eh bien, en présence de tous ces renseignements, le gouvernement a-t-il dû prendre l’arrêté du 31 mars 1844, par lequel il a convié les communes, les bureaux de bienfaisance et tous les citoyens belges à prendre des actions de la société de Guatemala ? Je dis que cet acte est injustifiable, soit qu’on suppose le gouvernement parfaitement informé, soit qu’on admette qu’il ait négligé de s’éclairer.
Et vainement on a cherché à atténuer la gravité de l’arrêté du 31 mars. Il est évident que le gouvernement, en prenant ainsi hautement sous son patronage la société de Guatemala, la recommandait de fait à toutes les communes, à tous les bureaux de bienfaisance ; il environnait cette recommandation de tout le prestige que le pouvoir a encore, je ne dirai pas dans les grandes villes où le ministère est apprécié à sa juste valeur, mais dans les communes rurales où le gouvernement, par cela seul qu’il est haut placé, fait illusion à la crédulité, à la simplicité. Le gouvernement ne sollicitait-il pas d’ailleurs tous les citoyens à souscrire ? A lire l’arrêté du 31 mars, ne devait-on pas croire que le gouvernement avait tout examiné ; qu’il s’était entouré de tous les renseignements ; qu’il avait satisfaction sur tous ses scrupules ; en un mot que le gouvernement, pour attirer les souscripteurs d’une manière si inusitée, avait la preuve irréfutable que la position et l’avenir de la société étaient des plus favorables ?
(page 227) Messieurs, on vous a surtout parlé hier de l’intérêt des tiers ; je demanderai au gouvernement ce qu’était devenu au mois de mars cet intérêt des tiers, dont il est si soucieux aujourd’hui ? Il a été complètement oublié ; on a lancé les tiers dans la voie de l’agiotage ; on n’a pas pris le moindre souci de savoir si les statuts, qui avaient été approuvés par arrêté royal, étaient exécutés.
M. le ministre de la justice a allégué, il est vrai, qu’il y avait des exportations à faire par la compagnie, et que le gouvernement n’aurait autorisé les communes et les bureaux de bienfaisance à prendre des actions que lorsque la société de colonisation aurait justifié avoir fait des exportations jusqu’à concurrence des trois quarts des actions souscrites. Mais, messieurs, il est évident que cette combinaison n’est encore qu’une déception en partie double ; il y avait d’abord déception pour les preneurs d’actions, à qui on montrait en perspective les exportations et les bénéfices résultant des exportations ; il y avait ensuite déception pour les exportateurs, à qui l’on montrait en perspective les capitaux des actions prises ou à prendre. Ainsi, l’allégation de M. le ministre de la justice ne saurait résister au moindre examen.
On a épilogué encore sur les termes de l’arrêté du 31 mars 1844 on a trouvé dans cet arrêté des finesses de rédaction qui semblent en dissimuler le venin en quelque sorte ; mais je ferai remarquer à M. le ministre de la justice qui a découvert tant de subtilité dans l’arrêté, que si cette subtilité y avait été déposée dès l’origine, ce serait la preuve d’une arrière-pensée à laquelle je ne veux et ne puis pas croire.
Enfin, on a dit que l’arrêté du 31 mars n’avait pas eu de conséquences graves, parce que peu de communes et de bureaux de bienfaisance ont souscrit, et que les souscriptions n’ont pas été réalisées. Mais qui nous assure, messieurs, que l’arrêté n’a pas entraîné des conséquences bien autrement graves quant aux souscriptions individuelles, souscriptions prises aussi sur la recommandation et du gouvernement, et des employés du gouvernement pour lesquels un simple vœu du gouvernement est un ordre ?
Et ce n’est pas tout, messieurs, l’arrêté du 31 mars a eu pour résultat cette convention du 21 juillet 1844, que M. le ministre de l'intérieur a été obligé de ne pas dissimuler, et qu’il a promis tout à l’heure de produire devant vous.
En effet, pourquoi la société de colonisation s’est-elle adressée au gouvernement ? Parce qu’elle se trouvait dans des embarras financiers inextricables (ce fait est de notoriété publique.) Et pourquoi, en cette circonstance, le gouvernement a-t-il dû faire quelque chose pour la société ? Parce que le gouvernement, par l’arrêté du 31 mars 1844, avait engagé sa responsabilité vis-à-vis du pays et des chambres. On épilogue encore une fois, je le sais, sur les termes plus ou moins positifs de la convention ; mais ces arguties ne résistent pas à la réalité des faits.
Messieurs, au mois de juillet, la société de colonisation était là, avec ses embarras financiers, demandant des secours au gouvernement, les demandant avec instance, les demandant comme condition d’existence. C’est alors que le gouvernement a donné à la société cette convention, convention inutile pour la société, si elle ne devait pas servir à faire immédiatement des fonds ; convention décevante pour les tiers, si elle devait procurer des fonds et si le gouvernement ne devait pas, de son côté, donner l’appui actif promis par la convention.
Ici, messieurs, voyez le contraste qu’il y avait entre les apparences et la réalité ; si les tiers en croyaient les apparences, le gouvernement prêtant son appui à la société, le gouvernement lui venant effectivement en aide ; le gouvernement, par cela même, donnait la garantie aux tiers de l’exécution scrupuleuse des statuts, des conclusions favorables apposées aux rapports semestriels de son commissaire ; en un mot, les tiers devaient avoir la conviction que le gouvernement possédait les renseignements les plus satisfaisants sur l’état de la société, et, entre autres choses, que l’encaisse stipulé par les statuts, encaisse des trois quarts des sommes souscrites par les preneurs d’actions, se trouvait intact pour être employé en spéculations : voilà quelles étaient les apparences ; voilà ce que les tiers devaient regarder comme le véritable état des choses ! Mais combien la réalité était différente de ces apparences décevantes !
La réalité, messieurs, c’est que le gouvernement avait souscrit un engagement qui ne liait personne, et le gouvernement moins que personne ; la réalité, c’est que le gouvernement n’avait recueilli aucun renseignement sur l’état de la société ; la réalité, c’est que non-seulement les statuts n’avaient pas été exécutés, en ce qu’il n’y avait pas d’encaisse, mais que même la société, après avoir réuni pour 700,000 fr. de souscriptions, se trouvait en face de 1,700,00 fr. de dettes à payer !
Or, à quoi a servi la convention du 21 juillet ? Elle a servi au seul usage qu’elle pouvait avoir, elle a servi à compromettre les intérêts des tiers ; elle a servi à attirer de nouveau vers la société la confiance des capitalistes qui s’éloignaient d’elle par instinct de conservation. C’est ainsi que des maisons respectable sont fait des avances importantes, sur l’exhibition de la convention conclue par la société avec M. le ministre de l'intérieur ; M. Osy vous a cités les faits : neuf cent mille francs sont tombés dans le gouffre !
Maintenant, messieurs, je poserai à M. le ministre de l'intérieur ce dilemme : ou bien les conséquences que la convention a entraînées, vous les avez prévues et voulues, et alors vous devez à la chambre l’explication des motifs pour lesquels vous avez osé vouloir ces conséquences désastreuses, et que la chambre les fasse cesser par une déclaration solennelle ; ou bien ces conséquences, vous ne les avez ni prévues ni voulues, et alors vous vous devez à vous-mêmes de les proclamer à l’instant même, pour mettre fin à cet état de choses, et pour que des conséquences si regrettables ne se reproduisent pas !
Messieurs, j’insiste sur ces considérations, non dans le vain désir de faire de l’opposition. Certes, je n’ai aucune sympathie pour la politique du ministère ; il n’a ni mon approbation, ni mon appui ; mais ce que j’ai à cœur dans cette affaire, c’est que tout ce qu’il y a d’oblique, d’obscur, d’inexpliqué dans ceci s’éclaircisse enfin ! Je le veux, messieurs, pour l’honneur du nom Belge, je le veux pour cette vieille loyauté belge, qui est le signe distinctif de notre caractère national qu’on compromet aux yeux de l’étranger.
Oui, messieurs, on le compromet jusque dans cette enceinte, car rien de franc, rien de net, rien d’explicite n’apparaît dans les explications du ministère. On vous a fait l’éloge de la colonie de Santo-Thomas ; on vous a dit qu’on s’entourait de renseignements, et que si l’état de la colonie était jugé satisfaisant, le gouvernement exécuterait la convention ; en un mot, il n’est pas une seule de ces explications du ministère qui ne soit ou ne puisse être un nouvel aliment de déceptions et d’agiotage. Donc, messieurs, j’insiste pour que le ministère s’explique d’une manière catégorique ; qu’il nous dise s’il entend grever le budget de l’Etat de nouvelles charges à raison de la colonie de Santo-Thomas ; et s’il entend tenir compte ou rompre les engagements qu’il a pris vis-à-vis de la société de colonisation.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous avons déjà répondu à cette interpellation. L’engagement est conditionnel et provisoire. Si les conditions sont remplies, le gouvernement, le ministère se trouvera engagé ; mais la chambre restera libre sur la décision à prendre. Il est impossible de dire maintenant si ces conditions sont réunies. L’honorable membre doit avoir connaissance de ces conditions, car sans doute il ne s’est pas borné à lire l’article 1er, il a lu les articles 2 et suivants.
Quant aux déceptions auxquelles cette convention aurait donné lieu, je n’en crois rien. Ceux qui ont cru pouvoir avoir confiance dans cette entreprise n’ont pas eu en vue cette convention, mais ont été déterminés par le crédit que leur inspirait l’un ou l’autre membre de l’association. Cette affaire n’est pas terminée ; dans quelques jours nous en saurons davantage, et la chambre verra jusqu’à quel point elle doit pousser plus loin ses investigations.
Je prie l’honorable membre d’être bien convaincu que si je mets cette réserve dans mes explications, ce n’est pas dans l’intérêt du ministère mais dans l’intérêt de l’entreprise, que je ne juge pas aussi sévèrement que l’honorable préopinant.
M. Devaux – Messieurs, quand j’ai demandé la parole hier, M. le ministre de l'intérieur refusait de la manière la plus positive de faire le dépôt de la convention que réclamait l’honorable M. Castiau. J’ai demandé la parole pour appuyer la demande de M. Castiau, pour réclamer le dépôt du texte officiel de la convention. Je croyais qu’il était inconvenant de renvoyer la chambre aux journaux pour connaître d’une convention passée par le gouvernement, convention que la chambre a le droit de connaître, quelles que soient les suites que le gouvernement donne ou ne donne pas à cette convention.
Un acte de cette gravité, la chambre a le droit et même le devoir de l’apprécier en lui-même ; car ce n’est pas une mesure ordinaire que celle qui engage par contrat l’initiative d’un pouvoir. C’est la première fois qu’un pareil fait se passe en Belgique. Jamais le pouvoir n’a engagé son initiative, si ce n’est envers un gouvernement étranger, mais jamais vis-à-vis d’un particulier. Il y a là matière à responsabilité ; le fait date, dit-on, de plusieurs mois ; dans la discussion des budgets, il vous appartient d’apprécier cet acte.
Aujourd’hui, M. le ministre, mieux avisé ou plus prudent, vient de promettre le dépôt de la convention qu’il avait formellement refusé. Quant à moi, j’attendrai, pour entrer dans la discussion du fond, que le dépôt ait eu lieu. Je me bornerai maintenant à demander que le bureau veuille bien la faire imprimer aussitôt que le dépôt qui, j’espère, ne se fera pas attendre, aura eu lieu.
Je ferai une seule question au ministère. Pourquoi cette convention a-t-elle eu lieu, pourquoi y a –t-il eu un contrat ? Pourquoi enfin cet acte extraordinaire d’un pouvoir qui, par contrat, engage vis-à-vis des particuliers, son initiative ? Ne suffisait-il pas qu’il y eût, de la part du gouvernement l’intention de présenter un projet de loi ? Fallait-il que cette intention fût stipulée dans un contrat ? Pourquoi cette forme insolite de contrat ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je répondrai de nouveau que l’engagement est conditionnel et provisoire. Je l’ai déjà dit : cette pièce n’a pas plus de valeur que si l’engagement avait été pris par une lettre dans un échange de correspondance. Si j’ai refusé hier le dépôt de la convention, c’est à cause du but qu’on semblait attacher à ce dépôt, qui était de lui donner dès à présent une valeur obligatoire vis-à-vis de l’Etat. Cette valeur, la convention ne l’a pas. Mais à titre de renseignement, d’acte qui peut jusqu’à un certain point engage moralement le ministère, le dépôt ne peut pas être refusé. Avec cette réserve, je ne m’y oppose pas.
Cet acte n’est pas aussi étrange que le suppose le préopinant. Il a été fait en Belgique et en France beaucoup de conventions pour des travaux publics ; conventions provisoires par lesquelles le ministre s’engageait à présenter tel projet de loi. Il y a en France de ces conventions auxquelles le ministre des travaux publics n’a pas donné suite.
- La chambre, consultée, ordonne l’impression et la distribution de la convention dont M. le ministre de l'intérieur a annoncé le dépôt.
M. Devaux – J’ai demandé la parole pour faire observer que, quand en France ou dans ce pays, on fait une convention pour des travaux publics, c’est dans un but d’utilité. Or, je demande quel peut être le but d’une convention semblable. Pourquoi le gouvernement n’est-il pas resté libre jusqu’à la présentation du projet de loi ? Pourquoi a-t-il fallu sa signature ? Elle a (page 228) dû avoir une utilité quelconque ? Quel autre effet a-t-elle pu avoir que d’engager la compagnie dans des opérations ultérieures et d’y pousser des tiers ? Je ne veux pas ici jeter la moindre défaveur sur la compagnie ni sur les intentions qui ont dirigé cette entreprise ; mais, encore une fois, voilà ce qui me frappe dans cette affaire. Pourquoi a-t-on eu recours à la forme du contrat ? Quel en était le but ? Pourquoi s’engager plusieurs mois à l’avance ? Pourquoi ne pas laisser les choses entières jusqu’à ce qu’on se fût décidé à présenter un projet de loi ? Pourquoi engager l’initiative du gouvernement lorsque, de l’aveu du ministre, on se réservait d’examiner s’il y avait lieu de remplir l’engagement ? A-t-on voulu se réserver la faculté de ne pas faire honneur à sa signature, de chercher des chicanes, de trouver des conditions, là où peut-être il n’y en a pas ? Car c’est principalement pour cela que je veux voir la pièce officielle. A la lecture fugitive que j’en ai faite dans un journal, je ne me rappelle pas avoir vu qu’il y ait rien de provisoire ou de conditionnel dans le seul qu’on veut attacher à ce mot.
Je pense que la convention est rédigée de telle manière que de bonne foi la compagnie et les tiers ont dû croire qu’il y avait engagement sérieux, de la part du gouvernement, de présenter un projet de loi. Cet engagement devait avoir un effet moral très-grand, parce qu’on sait qu’un gouvernement ne s’engage pas légèrement à une démarche aussi extraordinaire ; qu’il ne le fait que quand il a la certitude morale que la majorité et disposée à l’appuyer.
Cette certitude, le ministère ne l’avait pas ; il savait qu’il n’y avait peut-être pas dix voix dans cette chambre, disposées à approuver une telle convention. Malgré cela, il y a attaché sa signature. Je ne sais comment il faut qualifier un pareil acte.
On savait non-seulement qu’on n’aurait pas la majorité, mais qu’on n’aurait pas même une minorité imposante. Quelle suite le ministère, si soigneux de sa position, voulait-il donner à cette convention ? Voyez ce qui se passe ; il se réserve de découvrir dans quelque clause équivoque des conditions que la compagnie ne peut remplir. Voilà la franchise qui a présidé à cet acte comme à tant d’autres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je pense, en effet, que l’honorable membre n’a fait qu’une lecture très-fugitive de la convention. Il voudra bien la lire une seconde fois ; il verra que je n’ai pas imaginé, après coup, des sûretés et des conditions ; il verra qu’il y est dit expressément, que les sûretés et les conditions seront l’objet d’une convention nouvelle. Je l’engage à la relire quand elle sera imprimée, et je suis convaincu qu’il ne maintiendra pas ses réflexions.
M. Verhaegen – Messieurs, le premier j’ai soulevé la question relative à la société de colonisation ; mais je l’ai soulevée en rapport avec le budget des voies et moyens, et ainsi j’étais dans mon droit.
Vous vous rappellerez que dans le budget des voies et moyens il y a un article concernant les « créances à recouvrer », et parmi ces créances il en est une à charge de la compagnie de Guatemala ; c’est sur ce point que j’ai demandé des explications, et quand M. le ministre s’est levé, ç’a n’a été que pour dire que le moment de s’expliquer n’était pas encore arrivé ; que la question serait bientôt à l’ordre du jour, et qu’alors il s’expliquerait.
Depuis, le cercle de la discussion s’est agrandi ; le ministre, qui d’abord ne voulait pas parler, a fini par rompre le silence ; les attaques étaient en effet devenues trop violentes pour pouvoir continuer plus longtemps ce système du mutisme, qu’adopte toujours le cabinet dans les discussions qui peuvent compromettre sa responsabilité ; mais les explications fournies sont restées étrangères à l’objet principal du débat, et je tiens à ramener la question sur son véritable terrain.
En répondant aux attaques dirigées contre lui, le ministère n’a plus qu’une planche de salut, c’est de soutenir, comme il a essayé de le faire, que l’opération de colonisation est restée une opération privée ; que le gouvernement n’y a pris part ni directement ni indirectement ; que, s’il est vrai qu’une convention a été signée, cette convention n’est que conditionnelle et qu’elle ne lie pas le gouvernement ; mais, messieurs, cette convention, qui déjà a été publiée, est trop explicite pour que le ministère puisse équivoquer sur son texte et même sur son esprit, c’est un échappatoire que la bonne foi repousse. Au reste, quels que soient les subterfuges et les moyens de strict droit qu’on cherche à faire prévaloir, la responsabilité morale du gouvernement restera toujours engagée et il devra compte au pays de son imprudence et de sa légèreté.
Comment le gouvernement peut-il soutenir que l’opération doit il s’agit ne constitue qu’une opération privée, alors que son intervention, comme gouvernement, résulte de tous les faits que j’ai signalés au début de la discussion ?
Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, le gouvernement, qui prétend être resté étranger à l’opération si généralement blâmée, a cédé, en 1842, à la compagnie des munitions, des fusils, et quatre canons avec leurs affûts ; et cette cession a eu lieu contrairement à la loi du 6 juin 1826, qui défend formellement de céder aucun effet mobilier appartenant à l’Etat, autrement que par adjudication publique.
Puisque le gouvernement a consenti à rompre enfin son silence, et que depuis deux jours on ne parle dans cette enceinte que de la société de Guatemala, qu’il s’explique donc spécialement sur cette cession, qui a fait l’objet de ma première interpellation
Ensuite, le gouvernement a concédé à la compagnie l’usage d’un navire de l’Etat avec tout son équipage, et cela pour deux voyages ; le premier, du 9 novembre 1841 au 4 mai 1842 ; le second, du 16 mars au 2 août 1843. Qu’il nous dise à quel prix et à quelles conditions l’usage de ce navire (la goélette la Louise-Marie) a été concédé.
Il y avait à bord de la Louise-Marie un équipage de cinquante hommes, à la solde de l’Etat. Que le ministère nous apprenne quelles sont les conventions qui ont été faites pour le remboursement de tous ces frais, de toutes ces avances.
M. Sigart – Le gouvernement a fait d’autres concessions encore à la compagnie de Guatemala.
M. Verhaegen – J’engage mon honorable ami à les faire connaître à la chambre.
M. Sigart – J’attendais que le gouvernement fit son rapport à la chambre.
M. Verhaegen – Puisque le gouvernement ne veut pas faire ce rapport, j’engage de nouveau mon honorable ami à dire tout ce qu’il sait ; ses révélations nous prouveront que le gouvernement a pris une part très-active à l’opération que, pour la commodité de sa position, il veut réduire aux proportions d’une « opération privée ». C’est l’intervention du gouvernement qui a induit en erreur les tiers qui ont traité avec la compagnie ; c’est cette intervention qui a fait naître l’espérance d’un succès et qui a donné à l’opération un crédit chimérique.
Voilà, messieurs, le point où je veux ramener le débat, car c’était bien là mon point de départ.
Le budget des voies et moyens contenant un article « créances à recouvrer », j’ai eu le droit de parler de celles à recouvrer sur la compagnie de Guatemala. En demandant des explications sur ce point, je ne suis pas sorti des conventions parlementaires.
Encore une fois, j’engage mon honorable ami, M. Sigart, à se joindre à moi et à compléter mes demandes d’explications.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je conviens, en effet, messieurs, que l’honorable M. Verhaegen était dans la question, lorsqu’il a parlé d’une vente de quelques munitions de guerre, faite à la société de colonisation. Mais il est dans l’erreur, lorsqu’il suppose que le gouvernement n’était pas dans son droit, quand il a fait cette opération. Cet acte remonte au 15 février 1843, c’est-à-dire à une époque antérieure à mon entrée au ministère. L’honorable membre a cité la loi en vertu de laquelle aucune vente ne peut se faire que par adjudication publique. Mais un arrêté royal du 16 juillet 1827 a autorisé des cas d’exception à cette loi. Les fusils hors d’usage, qui ont été cédés à cette société, avaient été vainement mis en vente par adjudication publique ; on n’a pu trouver de preneur, et dès lors on a cru, en vertu de l’arrêté que je viens d’indiquer, pouvoir en faire la cession, moyennant un prix convenu.
Comme on le sait, il ne s’agit que d’une valeur de 25,000 fr., et ce n’est pas seulement la société que l’Etat se trouve avoir pour débitrice, mais deux personnes très-solvables, qui ont signé solidairement une traite que le gouvernement pourra recouvrer à son échéance.
J’ai répondu à la première question posée par l’honorable membre.
Quant à la seconde question, il s’agit de deux voyages faits par un bâtiment de l’Etat. Comme il n’avait pas parlé de cet objet, la première fois qu’il a pris la parole, et que ce fait est antérieur à mon entrée au ministère, il me serait impossible de donner, à cet égard, des renseignements immédiats.
Messieurs, lorsque j’ai pris la parole dans cette discussion, j’ai insisté sur la nécessité de l’ajourner. Nous ne voulions pas la décliner, tant s’en faut, elle devait se produire. Mais nous voulions choisir un moment plus opportun, pour pouvoir compléter une instruction commencée, et ne pas compromettre l’intérêt des tiers. Voilà les seuls motifs qui nous ont guidés ; il ne faut pas les chercher ailleurs.
En commençant ces explications, qu’il me soit permis, messieurs, d’exprimer ici avec quel sentiment pénible j’ai entendu l’honorable M. Devaux faire la supposition que le ministère aurait signé la convention dont il a été parlé, avec l’intention préconçue de ne pas l’exécuter. Je proteste, messieurs, contre une allégation aussi odieuse, et je la repousse avec la plus profonde indignation !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a parlé du fait d’un voyage fait sur les côtes par un bâtiment de l’Etat. Il est vrai qu’il a été fait un voyage d’exploration qui n’est inconnu de personne. Il est de notoriété publique que cette exploration a eu lieu en 1842 ; tous les rapports ont été publiés dans le Moniteur.
M. Sigart – Puisque je suis invité à fournir mon contingent de révélations à la chambre, je dois bien prendre la parole.
D’abord, je dirai à M. le ministre de l'intérieur que le navire de l’Etat le Louise-Marie ne s’est pas borné à faire une exploration, il a servi dans un second voyage à transporter les colons, chose qui n’était nullement utile à l’Etat, mais très-utile à la compagnie.
Le gouvernement, messieurs, a employé une foule de moyens pour venir en aide à la compagnie, il est probable que je ne les connais pas tous, mais en voici quelques-uns qui me sont connus :
N’est-ce pas le gouvernement qui paye le corps armé chargé de protéger la colonie ? Le gouvernement n’a-t-il pas prêté à la compagnie des officiers de santé pour convoyer les colons ? Le gouvernement ne transporte-t-il pas gratis par le chemin de fer les effets des émigrants ?
Toutes ces manières de protéger la compagnie de colonisation sont plus ou moins connues, mais en voici une que je crois inédite :
Hier, à l’occasion de l’arrêté du 31 mars, les sympathies de M. le ministre de la justice écalaient en faveur de l’industrie linière ; aujourd’hui vous allez voir la sympathie du gouvernement se manifester en faveur d’une foule de choses, en faveur du commerce, de l’histoire naturelle et même (page 229) d’objets de curiosité. Voici, messieurs, un arrêté royal portant la date du 12 février 1843 :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut,
« Considérant l’utilité qu’il y aurait pour le gouvernement d’obtenir, par l’intermédiaire de la Société belge de colonisation à Guatemala, divers objets et produits du sol et du commerce de ce pays et des contrées voisines, entre autres les suivantes :
« 1° Des échantillons d’articles de commerce ;
« 2° Des objets d’histoire naturelle pour les collections de nos universités ;
« 3° Des objets d’art et de curiosité pouvant être déposés dans nos Musées ;
« 4° Des échantillons de produits souterrains, tels que cuivre, houille, fer, plomb, etc., dans l’intérêt de l’industrie belge ;
« Sur la proposition de notre ministre de l’intérieur,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Une somme de trois mille francs (3.000 fr.) est accordée, dans le but sus-énoncé, à ladite Société. Cette somme sera imputée sur diverses allocations du budget de l’intérieur pour 1843, savoir :
« Mille francs sur l’article 4 du chapitre XV ;
« Mille francs sur l’article 1er du chapitre XVI ;
« Cinq cent francs sur l’article 1er du chapitre XVII ;
« Cinq cents francs sur l’article 1er du chapitre XVIII dudit budget.
« Art. 2. Notre ministre de ‘intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté.
« Donné à Andenne, le 12 février 1843.
« Léopold,
« Par le Roi : le ministre de l’intérieur, Nothomb. »
Je crois, messieurs, que cet arrêté n’a pas été inséré ni au Moniteur ni au Bulletin officiel. Le gouvernement nous dira peut-être pour quel motif ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce fait est exact. On a fait ici ce que l’on fait dans beaucoup d’autres cas ; très-souvent le gouvernement a mis à la disposition de personnes qui font des exploitations dans les pays transatlantiques, certaines sommes contre lesquelles ils obtiennent des produits de ces pays. Les produits que le gouvernement doit obtenir de la société de colonisation, ces produits seront fournis, j’en ai l’assurance.
M. Sigart – Il faut que vous n’ayez pas été satisfait de votre marché ni de la conception de former un musée guatemalien, puisque le Moniteur est resté muet !
M. de Mérode – Je ne suis pas bien au courant de ce qui a été dit, parce que je n’assistais pas au commencement de la séance, mais puisqu’on critique toujours avec malveillance l’entreprise de Santo-Thomas, je dois exprimer l’étonnement que cela me fait éprouver. Lorsqu’on essaye de procurer au pays des moyens d’exportation et des moyens d’occuper ses habitants, il me semble qu’il faudrait ne pas traiter ainsi les efforts que certaines personnes font avec bonne volonté pour arriver à ce but. Toutes les entreprises que l’on tente ne sont pas couronnées de succès. Je ne dis pas que l’entreprise de Santo-Thomas réussira ; je sais qu’elle offre des chances diverses, et l’année dernière je l’ai dit publiquement afin que personne ne s’y engageât d’une manière aventureuse. J’ai dit alors que je n’invitais personne à prendre des actions au-delà des sommes qu’il pourrait exposer sans compromettre sa fortune. (Rires.) Je ne sais pas pourquoi vous riez : si l’entreprise réussit, vous ne rirez probablement plus ; je dois supposer, au contraire, qu’alors vous y applaudirez.
Lorsque l’on fait une entreprise d’exploitation charbonnière, on creuse souvent à des endroits où l’on ne trouve que des rochers. En résulte-t-il qu’il faut rire de toutes les tentatives d’exploitations charbonnières ? mais non, messieurs, car c’est au moyen de ces tentatives que l’on est parvenu à créer une immense richesse pour le pays.
Si la Hollande avait ri de toutes les entreprises pour la découverte des contrées lointaines, elle n’aurait pas aujourd’hui Batavia. Elle cultiverait les bruyères des environs de Zwolle, du Brabant septentrional, où il n’y a que du sable, comme on nous engage à nous occuper de défrichements de bruyères, que je ne désapprouve pas, mais qui ne produiront jamais grand’chose.
Qu’a donc fait le gouvernement de blâmable ? Je dois, messieurs, m’avouer l’un des coupables, car j’ai sollicité la protection du gouvernement pour l’entreprise de Guatemala J’en engagé M. le ministre de l'intérieur à nous prêter son assistance. Qu’est-il résulté, messieurs, de bien fâcheux de cet arrêté, relatif à la souscription des communes ? Très-peu de celles-ci ont souscrit, et lors même qu’il y en aurait eu davantage, il est certain qu’elles ne l’auraient pas fait pour des sommes considérables. Elles auraient souscrit de manière à pouvoir exporter chacune trois ou quatre individus, qui peut-être leur sont à charge. Etait-ce donc une idée si mauvaise que de chercher à procurer aux communes le moyen de donner de l’occupation à quelques-uns de leurs habitants qu’elles doivent entretenir ? je ne vois rien là qui doive soulever tant d’animosité. Je vous engage donc à attendre que les circonstances ultérieures vous apprennent ce qui sera résulté de l’entreprise, et en tout cas à ne pas la traiter avec malveillance.
M. Delfosse – Puisque d’honorables collègues ont énuméré quelques-uns des avantages que le gouvernement a accordés à la société de Guatemala, je me permettrai aussi d’en citer un qui est parvenu à ma connaissance ; il y en a probablement beaucoup d’autres.
On m’a assuré qu’un employé de M. le ministre de l'intérieur a été autorisé à se rendre à Guatemala, pour être utile à la société, et qu’il a joui de son traitement pendant tout le temps de son absence.
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si le fait est vrai. (M. le ministre de l'intérieur fait un signe affirmatif).
M. le ministre de l'intérieur convient du fait ; je lui demanderai alors pourquoi il n’en a pas parlé l’année dernière, lorsqu’il est venu nous demander une allocation nouvelle pour le personnel de son ministère. M. le ministre nous a dit alors que l’accroissement des travaux rendait cette allocation nécessaire ; cependant l’absence de l’un de ses employés y entre bien pour quelque chose. Voilà la franchise que M. le ministre de l'intérieur met dans ses rapports à la chambre.
Je n’ai rien à ajouter aux considérations que d’honorables collègues ont soumises à la chambre. Ils ont prouvé, à l’évidence, que la conduite du ministère dans l’affaire du Guatemala est injustifiable. Je ne puis cependant m’empêcher d’appeler l’attention de la chambre sur un fait très-significatif : c’est que personne, dans cette enceinte, ne se lève pour défendre le ministère. Je ne compte pas l’honorable député de Nivelles qui se trouve dans une position tout exceptionnelle. Ce silence sur les bancs de la majorité est la condamnation du ministère !
Un fait semblable s’est produit au sein du conseil provincial de Liége. On s’est occupé, dans ce conseil, de l’arrêté royal qui, n’en déplaise à M. le ministre de la justice, autorise, provoque même les communes et les établissements de bienfaisance à prendre part à la souscription de Guatemala ; cet arrêté a été blâmé à l’unanimité. L’agent du gouvernement, dans la province, n’a pas même osé dire un mot pour le défendre ; il y a plus, un commissaire d’arrondissement, qui avait en cette qualité transmis la circulaire ministérielle aux administrations communales et qui est membre du conseil provincial, ne s’est pas borné à gardé le silence ; il a voté, comme les autres, dans un sens défavorable au ministère.
M. de Mérode – Qu’est-ce que cela prouve ?
M. Delfosse – Ce que cela prouve, M. le comte ? je vais vous le dire. Lorsque les agents du gouvernement n’osent pas ouvrir la bouche pour le défendre, cela prouve que le gouvernement est bien mauvais, cela prouve qu’il est condamné par tout le monde !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous allez voir, messieurs, comment, dans le système si bien caractérisé par l’honorable comte de Mérode, on donne une couleur blâmable à tous les actes, même à des actes que, moi, j’appellerai louables.
Un employé du ministère de l’intérieur ayant, je crois, 1,200 fr. d’appointements, a consenti à aller à Santo-Thomas pour quelque temps afin d’y recueillir des renseignements. Je lui ai conservé son traitement ; il est de retour depuis hier.
Je suis très-content, messieurs, que cet employé ait bien voulu aller à Santo-Thomas. J’aurais ainsi des moyens de contrôle qui peut-être m’auraient manqué sans cela.
Voilà, messieurs, un fait extrêmement simple. Fallait-il venir demander à la chambre le congé nécessaire pour cet employé ? Mais évidemment non. Il faut juger un acte de ce genre d’après l’intention qu’ont eue l’employé et le gouvernement. Or, je vous le demande : n’est-il pas heureux, messieurs, qu’un employé du ministère de l’intérieur, attaché à la direction du commerce, soit aujourd’hui en position de donner par lui-même des renseignements sur les contrées transatlantiques ? Messieurs, je voudrais qu’il y eût plusieurs employés au ministère de l’intérieur, qui eussent le courage d’aller explorer les contrées lointaines, sans cependant que leur absence fût de nature à nuire à l’expédition des affaires à Bruxelles même, et sans que leurs traitements fussent trop élevés.
Voilà les faits dans toute leur simplicité.
M. Verhaegen – Messieurs, l’honorable comte de Mérode, qui vient de se déclarer coupable pour avoir engagé le gouvernement à protéger l’entreprise de colonisation, cherche à diminuer sa responsabilité morale, et je ne veux pas la faire plus grande qu’elle ne doit l’être.
M. de Mérode – Je demande la parole.
M. Verhaegen – L’honorable comte de Mérode vient de nous dire qu’il a fait connaître publiquement quels pouvaient être les dangers de l’opération, qu’il a déclaré partout qu’il ne fallait y consacrer que les sommes dont on pouvait disposer sans se gêner, c’est-à-dire dont on pouvait disposer à fonds perdu.
L’honorable comte de Mérode a fort bien compris la position, et je lui rends hommage à sa franchise mais le gouvernement a adopté une marche tout à fait contraire. Lorsque l’honorable comte de Mérode disait à tout le monde : « Prenez-y garde ; l’opération peut présenter certains dangers ; » le gouvernement, par des affiches pompeuses, donnait à cette même opération un crédit chimérique et engageait les communes et bureaux de bienfaisance à y prendre part !!
Voilà, messieurs, comme l’un rejette le fardeau sur l’autre. L’honorable comte de Mérode, si ses assertions sont vraies, et j’aime à les croire telles a été prudent en s’exprimant comme il l’a fait, mais le gouvernement, loin d’imiter cette prudence, a fait preuve d’une légèreté inconcevable.
Si les communes et les bureaux de bienfaisance se sont abstenus, le gouvernement n’en est pas moins coupable d’imprudence, pour ne pas dire plus, car il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les engager à prendre part à la souscription annoncée par ses soins.
Les bureaux de bienfaisance et les communes ont été assez sages pour (page 230) s’abstenir, soit parce qu’ils n’avaient pas la foi dans les assurances du gouvernement et que, pour les administrations, il faut certaines garanties.
Mais des particuliers se sont laissé entraîner ; des pères de famille ont versé des fonds considérables sous l’empire de l’engouement ; ils se sont ruinés. Qui donc les indemnisera ? Il faut l’avouer, la responsabilité est grande, et, ne fût-elle que morale, elle doit inquiéter bien des consciences ! Si ceux qui ont été les promoteurs de l’entreprise, qui l’ont recommandée au gouvernement, peuvent se retrancher derrière des protestations dont je leur abandonne volontiers le mérite, ces protestations ne sont pas de nature au moins à excuser le gouvernement.
Messieurs, je me résume en deux mots : j’ai signalé deux faits d’où résulte l’intervention active du gouvernement dans l’entreprise guatemalienne ; mon honorable ami en a cité d’autres ; des armes ont été cédées à la compagnie ; et quoi qu’en dise M. le ministre des finances, la loi du 6 juin 1826 s’y opposait formellement ; ensuite un navire appartenant à l’Etat a été deux fois mis à la disposition de la même compagnie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est une erreur.
M. Verhaegen – Il y a eu deux voyages ; M. le ministre de l'intérieur n’était pas présent lorsque j’ai fait mes premières observations ; il y a eu un voyage entrepris en novembre 1841 terminé en mai 1842, et un second voyage en mars 1843, qui a duré six mois. Le navire avait un équipage de 50 hommes à la solde de l’Etat.
Ces deux voyages doivent avoir entraîné des frais considérables. Quand et comment le gouvernement les récupérera-t-il ?. Des explications sont indispensables, et que M. Mercier ne nous dise pas qu’il ne faisait pas encore partie du ministère lorsque ces faits ont été posés, car il s’est associé la politique de M. Nothomb, et d’ailleurs, il a exécuté en connaissance de cause ce qui avait été conclu par son collègue. Il y a aujourd’hui solidarité entre tous les membres du cabinet, et j’espère bien que la chute de l’un entraînera la chute des autres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, deux fois un navire de l’Etat a visité cette côté. Je demande si le gouvernement n’a pas le droit d’envoyer la goélette Louise-Marie, soit à Santo-Thomas, soit dans tout autre parage. Eh bien, voilà à quoi se réduit ce fait. Ce fait avait pour but l’exploration de la contrée dont il s’agit, et je dis que le gouvernement a eu raison de faire explorer cette contrée. On a publié tous les rapports, rapports très-étendus, que chacun de vous aura pu lire au Moniteur. Peut-être, messieurs, sera-t-il nécessaire de faire une troisième exploration pour voir quel est l’état actuel de la colonie. Je demande à quoi serviraient les navires de l’Etat s’il était interdit au gouvernement de les charger d’explorations lointaines.
Vous voyez donc, messieurs, qu’en ceci le gouvernement n’a nullement engagé sa responsabilité ce n’est donc pas là un véritable acte de coopération.
Le premier des faits dont je viens de parler était ignoré de mon collègue le ministre des finances parce qu’il est antérieur à sa rentrée aux affaires ; mais je suis convaincu que, si cet acte avait été posé depuis qu’il est aux affaires, il n’aurait pas manqué de s’y associer.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable M. Verhaegen a dénaturé complètement les explications que j’ai données à la chambre sur les deux faits à l’égard desquels il m’avait adressé des interpellations. J’ai fait la remarque que le premier de ces faits était antérieur à mon entrée au ministère, mais en même temps je l’ai justifié ; j’ai cité l’arrêté du 7 juillet 182 qui autorise de semblables ventes autrement que par voie d’adjudication publique. J’ai déclaré en outre que les droits de l’Etat étaient saufs, que les personnes qui étaient ses débiteurs étaient complètement solvables, qu’il n’y avait pas le moindre danger pour le recouvrement de sa créance. Je n’ai donc nullement décliné la responsabilité de ce premier fait.
Quant au second, je me suis borné à dire, comme vient de le rappeler mon collègue M. le ministre de l'intérieur, que je ne connaissais pas suffisamment ce fait, et que, par conséquent, je ne pouvais pas donner immédiatement les renseignements demandés par M. Verhaegen. Ils viennent d’être donnés par mon collègue le ministre de l’intérieur. Personne n’a donc décliné la responsabilité de ces faits.
M. Delfosse – Je n’ai pas blâmé l’employé du ministère de l’intérieur de s’être rendu à Guatemala, pas plus que je ne blâmerais M. le ministre de l'intérieur s’il jugeait à propos de s’y rendre aussi. Je lui souhaiterais au contraire un bon voyage. (On rit.)
Mais j’ai blâmé M. le ministre de l'intérieur d’avoir caché ce fait à la chambre. Lorsque M. le ministre de l'intérieur est venu nous dire que son personnel était insuffisant, il n’aurait pas dû se borner à expliquer cette insuffisance par l’accroissement des travaux, il aurait dû ajouter que le personnel était réduit par le voyage de l’un de ses employés ; cela eût été plus franc.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si j’avais cru que ce fait fût de nature à influer sur la décision de la chambre, je l‘aurais fait connaître immédiatement, mais je regardais l’envoi d’un commis du ministère de l’intérieur à Santo-Thomas, comme un fait assez secondaire, et je ne pensais pas que j’eusse à demander à la chambre un congé pour cet employé. Je dis, messieurs, que ce voyage a été utile, et je me félicite qu’il ait eu lieu. J’aurai besoin des renseignements que me fournira cet employé, non-seulement pour cette question, mais pour toutes les questions de colonisation.
M. de Mérode – Je demande à dire un mot pour un fait personnel. D’après ce qu’a dit l’honorable M. Verhaegen , il semblerait que j’aie voulu diminuer ma responsabilité. Je ne cherche ni à diminuer ni à augmenter cette responsabilité ; je l’accepte telle qu’elle est. Je me suis associé à une entreprise que j’ai cru de nature à produire d’utiles résultats pour le pays ; j’y ai exposé une certaine somme dont je pouvais disposer ; j’ai engagé tout le monde à agir avec la même réserve. C’est dans ce sens que je me suis exprimé ici publiquement l’année dernière.
S’il était question de faire des recherches pour découvrir de la houille, ne pourrais-je m’associer à une pareille entreprise ? Il en est même une de ce genre à laquelle j’ai pris part pour une faible somme. J’ai perdu ma mise comme d’autres ont perdu la leur, et cependant celui qui exposerait une partie notable de sa fortune dans une tentative semblable commettrait une grande imprudence ; mais celui qui s’y associe dans de ses limites, ne peut encourir aucune espèce de reproche, car si personne n’avait risquer ces opérations de société, il n’existerait point de houillères en Belgique.
On attaque avec tant de violence le ministère parce qu’il a concouru, d’une manière assez faible d’ailleurs, à l’entreprise dont il est question ; on lui reproche certains excès de pouvoirs, entre autres celui d’avoir envoyé à Santo-Thomas un commis à 1,200 fr. d’appointements. Cependant, lorsqu’il s’est agi de la navigation transatlantique, la chambre a donné magnifiquement 400,000 fr. par an pendant 14 années, pour envoyer en Amérique des Belges qui avaient tous les moyens possibles de s’y faire transporter. En effet, la navigation s’établissait d’ici vers un port anglais d’où l’on partait ensuite pour l’Amérique. Or, dans ce port anglais il ne manquait aucun moyen d’expédition, soit par bateaux à vapeur, soit par bâtiments à voile.
Mais de plus, le ministère de cette époque, celui qui a précédé l’arrivée aux affaires de M. Nothomb, et qui était beaucoup applaudi, qui avait toute l’approbation des honorables membres qui siègent sur les bancs d’où partent les attaques auxquelles je réponds, ce ministère, au lieu de se contenter des 400,000 fr. dont il s’agit, a acheté deux navires immenses qui coûtaient, je pense, 4 millions.
Un membre – C’est le ministère actuel.
M. de Mérode – C’est l’ancien ministère que j’indique qui a fait l’acquisition ; le ministère suivant n’a fat que payer ; il n’a fait qu’exécuter le marché que l’autre avait conclu. Cependant on n’a pas jugé ces messieurs pendables pour ce fait ; moi-même qui n’était pas leur artisan, qui les attaquais sous d’autres rapports, je n’ai jamais cité cet acte comme digne d’une censure aussi violente que celle qu’on exerce en ce moment pour une affaire de bien moindre importance.
J’ai blâmé l’acquisition de ces navires, mais je me suis renfermé dans de justes limites. Je crois que le blâme devrait bien ici se tenir, au moins, dans les mêmes termes, après avoir négliger les licences qui concernaient des millions.
Discussion générale
M. Lange – Il ne s’agit plus, messieurs, de la colonie de Guatemala ; je la laisserai volontiers en repos sur son lit d’agonie.
M. le ministre des finances a transmis à la section centrale un état général de consistance des bois domaniaux, qui est annexé au rapport sous le n°1 ; ce document est précieux, mais il me parait incomplet ; je demanderai à M. le ministre si, avant la discussion des articles, il ne pourrait pas le compléter, en nous faisant connaître l’estimation approximative et le revenu annuel de chaque forêt, et en nous fournissant aussi le tableau du personnel de l’administration forestière.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne trouve pas d’inconvénients à donner les renseignements que demande l’honorable membre ; je regrette seulement qu’ils n’aient pas été demandés par les sections ; j’espère, toutefois, qu’il n’entre pas dans les intentions de l’honorable M. Lange de retarder la discussion à défaut de ces renseignements ; je n’ai pas la certitude de pouvoir fournir immédiatement le détail des valeurs de toutes les parcelles de biens appartenant au domaine. Quant à l’état du personnel, il a été fourni plusieurs fois, il figure même au budget ; mais puisque l’honorable membre le demande, nous pourrons le communiquer de nouveau.
- Personne ne demandant plus la parole sur l’ensemble du budget, la chambre passe à la discussion des articles.
« Principal : fr. 15,500,000
« 5 centimes additionnels extraordinaires, dont 2 pour non-valeurs, fr. 775,000
« 10 centimes additionnels extraordinaires, fr. 1,550,000
« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout, fr. 534,750
« Total : fr. 18,359,750 »
M. de Tornaco – Je désirerais obtenir de M. le ministre des finances une explication sur ce chiffre. L’impôt foncier est augmenté cette année d’environ 610,000 fr. Ces 610,00 fr. comprennent une somme de 184,000 fr., indépendamment des additionnels, qui doit être couverte par l’impôt levé sur les contributions nouvelles qui y sont assujetties et qui ne l’étaient pas précédemment. Je désirerais savoir si les 184,000 fr. dont je viens de parler sont le résultat d’une année ou de plusieurs années. Si cette somme est le résultat de plusieurs années, je demanderai comment il pourrait se faire qu’elle fût versée dans le trésor sans que l’impôt foncier fût augmenté, sans que le contingent des provinces fût accru ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, cette somme est le résultat de la balance des augmentations et des diminutions de la matière imposable depuis la péréquation cadastrale, c’est-à-dire depuis 1835. Ce résultat rétablira la proportion imposée en 1836 à toutes les propriétés foncières ; dans quelques provinces, il y aura une augmentation de quelques centimes pour 100 fr., augmentation insignifiante, à peine appréciable ; du reste j’ai déjà fait connaître quel est le résultat de l’accroissement de matières (p. 231) imposables pendant plusieurs années, et que nous ne ferions que rétablir la proportion arrêtée dans la loi de péréquation cadastrale, c’est-à-dire la proportion de 1836.
M. de Tornaco – Messieurs, je remercie beaucoup M. le ministre des finances de m’avoir donné cette explication, et j’en prends acte, pour constater que l’impôt foncier sera bien positivement augmenté pour l’année 1845, c’est-à-dire que le contraire aura lieu de ce qu’on nous a répété sans cesse dans la discussion générale. Je m’étais aperçu qu’un changement serait apporté à l’impôt d’une manière indirecte, mais aujourd’hui, M. le ministre des finances me donne la certitude d’une augmentation indirecte. Je me félicite d’avoir établi la vérité et fait reconnaître de nouveau où nous mènent des dépenses exagérées.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je crois qu’il a été reconnu dans la discussion générale que l’augmentation demandée par M. le ministre des finances était réellement une majoration du principal de la contribution foncière. On nous a fait remarquer que le trésor éprouvait des besoins et qu’il était indispensable d’augmenter les impôts. Mais, messieurs, est-ce bien dans un moment où l’industrie agricole est sur le point d’être réduite à la position la plus déplorable, quand tous les jours, vous voyez ses produits diminuer de valeur, est-ce bien dans ce moment, dis-je, qu’on doit augmenter l’impôt qui la frappe ?
On a perdu de vue plusieurs fois dans cette enceinte que l’impôt foncier est un impôt, non de quotité, mais de répartition. Or, pourquoi toucher au contingent ? Le contingent devrait rester invariable, sauf à la chambre, lorsque la nécessité l’exige et que la propriété est à même de supporter une augmentation d’impôt, à augmenter les impôts au moyen de centimes additionnels.
Messieurs, l’honorable M. Verhaegen nous a communiqué des idées financières que je compare aux réflexions que renferme le Journal des économistes dans un article intitulé : De la réforme des impôts en Belgique comme moyen de soulager le paupérisme et d’en arrêter les progrès. Tel est le titre d’un opuscule qui me fut envoyé il y a environ un mois.
Je dois l’avouer, messieurs, les moyens proposés sont tels qu’ils doivent être admis par les propriétaires, si toutefois ce système est susceptible d’être mis en pratique. J’engage M. le ministre à l’examiner attentivement, et s’il trouve moyen de le mettre en pratique, je serai le plus ardent défenseur de ce nouveau mode d’impôt.
Le Journal des économistes est d’accord avec M. Verhaegen, n ce sens qu’il veut atteindre le revenu quelle que soit sa nature. Notre honorable collègue ne nous a pas dit s’il faisait des exceptions, j’aime à croire qu’il n’en fait aucune.
Comme l’honorable M. Verhaegen, le journal, après avoir critiqué le système d’impôt en Belgique, après avoir passé en revue notre budget de l’exercice 1844, après avoir critiqué chaque article de la division des impôts, prétend qu’en examinant de près on demeure convaincu que la seule source de notre malaise financier est que l’impôt ne frappe que très-imparfaitement ceux qui le doivent.
Ici encore il est d’accord avec l’opinion de M. Verhaegen.
Voici ce que dit l’auteur de l’extrait du Journal des économistes :
« Personne, que nous sachions, n’a essayé jusqu’à présent de détermine le montant de la fortune publique en Belgique, d’établi son bilan social. Il importe cependant, ce me semble, d’avoir cette connaissance, ne fût-ce que d’une manière approximative, afin de pouvoir juger jusqu’où l’impôt peut aller, sans sortir des bornes raisonnables. Nous allons tâcher de satisfaire, autant que possible, à cette première condition. »
M. Blanqui aîné, dans son cours de 1841 à 1842, au Conservatoire de Paris, enseignait que l’industrie et les arts produisent en France, avec le commerce, plus de dix fois le revenu net de la propriété immobilière.
En appliquant ce principe à la Belgique, nous trouvons que, d’après le cadastre, le revenu territorial est de 170,000,000.
L’auteur ajoute un additionnel de 130,000,000
Total du revenu territorial : 300,000,000
Que le revenu ou produit de l’industrie, des arts et du commerce est de 1,700,000,000
TOTAL : 2,000,000,000
Il résulte des calculs qui précèdent que, la fortune publique belge est de deux milliards. A ce revenu on pourrait ajouter ce que gagnent des médecins et les avocats, ce qui constitue également un revenu, et j’en suis persuadé, notre honorable collègue, scrupuleux observateur de la Constitution, ne voudrait pas de privilège ; il voudra, j’en suis bien persuadé, que le revenu de la science paye son tribut à l’Etat tout comme les autres industries.
Si l’on parvenait à mettre en pratique ce système nouveau, la Belgique posséderait un revenu de deux milliards et plus, en y comprenant le revenu des avocats, des médecins, des avoués et des notaires. M. Verhaegen, dans la séance d’avant-hier, nous disait en faisant allusion au discours de l’honorable M. Castiau :
« Mon honorable ami se plaignait de la base des impôts, et il avait raison. N’est-il pas vrai, en effet, comme l’enseigne Adam Smith, que tous les sujets d’un Etat doivent contribuer au soutien du gouvernement dans la proportion la plus juste possible avec leurs facultés respectives, c’est-à-dire le plus exactement mesurées par le revenu dont chacun jouit sous la protection du gouvernement ? »
Or, prélevant 4 ½ p.c. sur ce revenu, on atteindrait 84 millions, somme égale au montant des impôts perçus en 1844 ; et dans la supposition où 84 millions ne satisferaient pas, alors en portant le chiffre à 5 p.c. au lieu de 4 ½, on aurait plus de 100 millions qui, avec les produits des péages, des capitaux et revenus et les remboursements, donneraient à l’Etat un produit de plus de 125 millions. Ah messieurs, s’il était possible de mettre en pratique ce beau système, celui qui en trouverait le moyen aurait droit à la couronne civique. Je le répète, j’appelle l’attention de M. le ministre sur cette belle idée ; il trouvera, dans l’opuscule où j’ai puisé ce système, des moyens d’exécution qui, médités, corrigés, augmentés ou diminués, le mettront à même de satisfaire à la Constitution en modifiant notre système financier, comme le veut l’art. 139 de la Constitution.
Si, contre toute attente, M. le ministre ne possédait pas le Journal des économistes, je tiens à sa disposition l’extrait concernant la réforme des impôts en Belgique.
M. Desmet – Il m’avait toujours semblé, d’après ce qu’avait dit M. le ministre des finances, qu’il n’y avait réellement pas d’augmentation dans l’impôt foncier, si ce n’est pour les deux provinces de Limbourg et de Luxembourg dont les opérations cadastrales viennent d’être terminées ; mais il paraît maintenant qu’il y a augmentation pour les sept autres provinces.
Pour augmenter l’impôt foncier, il faut une loi spéciale. Qu’est-ce que l’impôt foncier ? C’est un impôt de répartition ; c’est comme un contingent de l’armée, il faut le répartir d’après la population. Il y a donc ici irrégularité. Il aurait fallu une loi spéciale pour augmenter le contingent des provinces.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, dix fois dans cette discussion j’ai fait remarquer que nous reprendrions purement et simplement la proportion arrêtée par la loi de décembre 1844. Non-seulement je l’ai dit et répété, j’ai expliqué longuement, dans le discours que j’ai prononcé à l’appui du budget, d’où provient cet accroissement du contingent ; j’ai même rappelé, à cette occasion, l’opinion de la commission du sénat, que j’ai citée textuellement, et j’ai ajouté que je me conformais à cette opinion, en demandant une augmentation de produit à l’accroissement de la matière imposable ; toutefois j’ai déclaré plusieurs fois dans cette discussion que je n’entendais point pas là trancher aucun principe pour l’avenir ; que le principe restait intact, et que la chambre serait appelée à se prononcer sur cette question dans l’examen qu’elle fera d’une autre loi qui a été annoncée.
M. Dumont – D’après la déclaration bien formelle que vient de faire M. le ministre des finances, je retire la proposition que j’avais faite à la chambre, de rétablir pour l’impôt foncier le chiffre de l’année 1844.
- Personne ne demandant plus la parole, l’article : Impôt foncier 18,359,750 francs, est mis aux voix et adopté.
« Principal : fr. 8,000,000
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 800,000
« Total : fr. 8,800,000
- Adopté.
« Principal : fr. 2,545,455
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 254,545
« Total : fr. 2,800,000
- Adopté.
« Principal : fr.114,545
« 10 centimes ordinaires additionnels pour non-valeurs : fr. 11,455
« 5 centimes sur les deux sommes précédentes pour frais de perception : fr. 6,300
« Total : fr. 132,300
M. Eloy de Burdinne – Je désire connaître les motifs de la réduction que ce chiffre a subie, relativement à celui qui a été alloué pour l’année 1844. Cette réduction est de 47,880 francs. Je ferai remarquer que les péages qu’on perçoit sur les mines ne sont que le remboursement partiel des dépenses que fait le gouvernement pour surveiller les travaux. Je trouve même étonnant que ce produit ne paye pas un impôt aussi élevé que les autres produits de la terre.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je pourrais m’en référer simplement aux explications que j’ai données à la section centrale sur le point que vient de toucher l’honorable préopinant ; elles sont consignées à la page 7 du rapport de la section centrale. Cependant, à une observation de l’honorable membre, je répondrai qu’il est vrai que, pour l’exercice courant, une somme plus forte avait été portée au budget, mais qu’elle ne sera pas recouvrée ; c’est pour ce motif que j’ai réduit les prévisions du budget de 1845.
- Personne ne demandant plus la parole, l’article Redevances sur les mines est mis aux voix et adopté.
« Droits d’entrée (16 centimes additionnels) : fr. 11,500,000
« Droit de sortie (id.) : fr. 420,000
« Droit de transit (id.) : fr. 20.000
« Droit de tonnage (id.) : fr. 400,000
« Timbres : fr. 37,000
« Total : fr. 12,377,000
(page 223) M. Manilius – Messieurs, différentes sections ont demandé au gouvernement qu’il mît sous les yeux de la chambre une carte stratégique du rayon réservé de la douane. Je crois que réellement une semblable carte serait très-utile aux membres de la chambre ; ils pourraient juger par eux-mêmes qu’elle est l’étendue du rayon réservé, et si ce rayon suffit pour la surveillance de la douane. Mais indépendamment de cette considération, il y en a d’autres. M. le ministre des finances a pris récemment un arrêté qui a changé une partie du rayon, notamment dans la province d’Anvers et dans le Limbourg.
La chambre n’ignore pas que chaque année plusieurs membres et moi en particulier, nous nous sommes plaints de l’insuffisance de la ligne, non-seulement de la ligne décrétée par la loi, mais de la ligne telle qu’elle a été constituée par le gouvernement ; car il est bon de faire observer qu’au gouvernement a été laissé le soin de la démarcation, et que la loi lui a imposé l’obligation de l’étendre à un myriamètre. Le gouvernement croyait avoir fait ce qu’il devait faire, car il n’a été voté aucune loi qui l’autorise à changer la ligne. Pourquoi l’a-t-il changée ? C’est sans doute parce qu’elle n’était pas bien établie, parce que nos plaintes étaient fondées. Pour bien comprendre la question, il aurait fallu avoir sous les yeux une carte stratégique qui est au ministère des finances. Mais le ministre a répondu qu’il serait dangereux de communiquer cette carte, parce qu’elle livrerait au pays les moyens stratégiques de la douane. Tel n’était pas le but, c’était seulement de connaître la profondeur de la ligne.
Je vois dans cet arrêté, que je viens de signaler, qu’on a enclavé dans le rayon une série de châteaux, de maisons, de fermes, qui jusque-là n’y étaient pas, mais qui cependant étaient dans le myriamètre, et par conséquent auraient dû se trouver dans le rayon dès le principe. Est-ce par une faveur qu’on a voulu faire à ces propriétaires qu’on n’avait pas compris jusque-là ces habitations et établissements dans le rayon ? Je ne le pense pas. C’est probablement pas erreur. Mais alors comment se fait-il qu’on n’ait pas enclavé toute une commune, qui certainement doit donner plus d’inquiétude pour la fraude qu’une ferme, un moulin, un château ?
Cependant, je n’hésite pas à le dire, Turnhout st dans le rayon de droit, il est dans le myriamètre prescrit par la loi. Je ne sais pas pourquoi M. le ministre a cru devoir continuer l’exception pour Turnhout, rien ne l’y autorisait. Aux termes de l’art. 177 de la loi de 1822, aucune exception ne peut avoir lieu dans l’étendue d’un myriamètre, si ce n’est pour les villes fortes ; mais en aucune façon pour une ville ouverte comme Turnhout, et la loi de 1832 n’y a pas dérogé.
Je crois pouvoir borner là, pour le moment, mes observations ; je pourrais en faire quelques autres, mais je les réserve pour la discussion du budget du ministère des finances, car elles sont relatives à la douane.
Je n’ai pas pris la parole dans la discussion générale, parce qu’elle avait pris une tournure spéciale à la société de Guatemala, qui absorbait alors toute l’attention de la chambre. Je saisis cette occasion pour déclarer que mon intention n’est pas de voter le budget des voies et moyens, non que je sache qu’il soit nécessaire et que je veuille qu’il n’y en ait pas, mais parce que je n’ai pas confiance dans l’ensemble du ministère
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable membre, sous le nom de carte stratégique, a entendu désigner une carte qui indiquerait le simple tracé du rayon des douanes ; c’est là ce qui a occasionné l’erreur qu’il signale aujourd’hui ; une carte stratégique de douane devrait présenter l’indication de tous les postes des employés et même les lieux où ils vont se mettre en embuscade. Mais s’il ne s’agit que du tracé du rayon, il peut résulter une dépense plus ou moins forte ; mais il n’y a pas d’inconvénient à produire cette carte, si la chambre le juge utile.
L’arrêté dont vient de parler l’honorable membre a été pris comme conséquence des nouvelles délimitations entre la Belgique et les Pays-Bas ; quelques modifications étaient survenues dans nos limites, il a fallu, pour ne pas dépasser ou restreindre la profondeur d’un myriamètre, modifier également le tracé du rayon des douanes. On s’est borné à cette opération jusqu’à présent. Quant aux localités qui, n’étant pas éloignées d’un myriamètre de l’extrême frontière, n’ont pas été comprises dans le rayon, la question reste entière à leur égard ; je ferai observer seulement que, si vers la localité que l’honorable membre a désignée, une fraude assez considérable s’est faite précédemment, nous avons toute raison de croire qu’il n’en est pas de même aujourd’hui ; la surveillance se fait avec un redoublement d’activité, et nous espérons qu’à l’aide des moyens existants nous pourrions mettre obstacle à la fraude si elle faisait de nouvelles tentatives de ce côté. Du reste, cette question reste entière, et nous agirons d’après les circonstances.
M. Manilius – J’apprends avec plaisir que M. le ministre des finances a l’intention de nous donner la carte indiquant la profondeur du rayon de douane. Je démontrerai à la chambre que toutes les communes qui devraient être comprises dans le rayon ne le sont pas. Quant à la fraude, je remets les observations que j’ai à présenter au budget des finances, et je lui démontrerai de même qu’on ne peut pas être à cet égard aussi rassuré que M. le ministre parait l’être.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Droit de consommation sur les boissons distillées : fr. 970.000
M. Rodenbach – Messieurs, depuis plusieurs jours des pétitions nous arrivent concernant l’abonnement pour le débit des boissons distillées. Je répéterai à cet égard ce que j’ai déjà dit. Je désire savoir si M. le ministre des finances se propose d’améliorer la loi sur le débit des boissons distillées. Il est inutile de répéter que cette loi est inique. Il y a, dans les pétitions qui vous ont été adressées, une douzaine d’arguments qui est inutile de répéter, qui combattent victorieusement la loi actuelle. Je désire savoir si M. le ministre se propose de réaliser la promesse qu’il nous a faite l’an dernier de présenter une nouvelle loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable membre vient de parler de quelques pétitions renfermant plusieurs indications sur les changements à apporter à la loi. Je ferai de ces pétitions l’examen le plus sérieux, avec le désir sincère d’améliorer la loi actuelle ; mais on ne peut inférer de mes paroles que je prends l’engagement formel de présenter un projet de loi, car il faudrait pour cela avoir la certitude de pouvoir améliorer la loi actuelle.
Il suffit, je pense, d’examiner sérieusement la question avec l’intention de présenter un meilleur système, s’il y a possibilité.
M. Rodenbach – Pourquoi ne pas en faire un impôt proportionnel ? Pour les patentes, ceux qui vendent considérablement payent plus que ceux qui vendent peu. Ceux qui occupent une ferme entière payent plus que ceux qui n’occupent qu’un hectare. Ceux qui habitent une grande maison doivent payer plus que ceux qui habitent une maisonnette.
La loi sur les boissons distillées repose sur une base tout à fait contraire. Le dernier malheureux débitant qui ne vend pas pour cent francs par an paye 20 fr. d’impôt pour exercer son métier comme celui qui vend beaucoup ; souvent il n’a d’autres ressources pour gagner sa vie, et parce qu’il aura le malheur de se trouver dans la misère, pour ce seul impôt qu’il ne pourra pas payer, on l’emprisonne ! Je demande si cela est juste. Le prétexte de la loi a été l’intérêt de la moralité ; loin d’avoir atteint ce but, il est reconnu que c’est la loi la plus immorale que nous ayons en Belgique. Je prie M. le ministre d’examiner les réclamations que soulève cette loi, car elle fait exécrer le gouvernement par un grand nombre de personnes.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Sel (sans additionnels.) : fr. 4,650,000
« Vins étrangers (26 centimes additionnels) : fr. 2,000,000
« Eaux-de-vie étrangères (sans additionnels) : fr. 250,000
« Id. indigènes (id.) : fr. 4,000,000
« Bières et vinaigres (26 centimes additionnels) : fr. 6,200,000
« Sucres : fr. 3,300,000
« Timbres sur les quittances : fr. 820,000
« Id. sur les permis de circulation : fr. 5,000
« Total : fr. 21.225,000
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je vois que le sel doit rapporter en 1845, 650,000 fr. de plus que 1843. Je sais que le retrait de certaines exemptions et de droit mis sur l’eau de mer y sont pour quelque chose ; mais, je vous le demande, pouvez-vous compter sur la rentrée de 4,650,000 fr. de l’impôt sur le sel ? Je crois que le chiffre est exagéré. D’abord, vous savez que nous sommes occupés dans les sections à examiner le projet de loi ayant pour but d’exempter le sel employé à la salaison des fromages. D’un autre côté, M. le ministre a pris jusqu’à un certain point l’engagement d’exempter du droit le sel employé pour les bestiaux si on trouvait le moyen d’empêcher que ce sel n’entrât dans la consommation domestique. Je crois pouvoir vous assurer que le moyen est trouvé et qu’il sera présenté incessamment à la chambre.
Je vous ferai remarquer que l’impôt sur le sel que consomme le bétail forme à peu près le quart de l’impôt total. L’exemption de cet impôt donnera donc lieu à une réduction considérable sur le chiffre de 4,650,000 fr. Au reste, l’agriculture est dans une position tellement gênée qu’elle ne pourra plus employer de sel pour la nourriture du bétail. Ainsi, dans tous les cas, vous aurez une réduction considérable de l’impôt sur le sel. Je fais cette observation, pour que vous ne comptiez pas trop sur ce produit pour faire face aux dépenses qui vous seront proposées.
L’accise sur le sel est évaluée à 4,650,000 fr., tandis que l’accise sur le sucre n’est évaluée qu’à 3,300,000 fr. En un mot, vous n’avez sur le sucre qu’une augmentation de 100,000 fr. ; tandis que vous avez sur le sel une augmentation de 650,000 fr. Un honorable député d’Anvers me fait un signe négatif ; mais il se trompe, et je ne puis trop répéter et déplorer qu’on impose un objet de consommation indispensable à la classe malheureuse beaucoup plus qu’un objet de luxe, consommé par la classe aisée et susceptible d’être imposé. En France, je l’ai déjà dit, l’impôt est de 1 fr. 50 c. par habitant ; il n’est ici que de 75 c. par habitant ; il est donc, proportion gardée, moitié moindre que ce qu’il est en France.
M. Brabant – J’ai demandé la parole pour proposer la suppression du dernier article : « Timbre sur les quittances 820,000 fr. » et la répartition de cette somme sur les deux articles qui sont frappés de ces droits.
Les lois de 1822 organiques du système de 1821, avaient établi que les huit articles soumis à l’accise payeraient à peu près 5 p.c. du droit de timbre des quittances. Cet impôt a été porté à 10 p.c. par la loi de 1829. Les huit articles sont maintenant réduits à six, la mouture et le battage ayant été supprimés. Mais il n’en reste plus que deux qui soient frappés du timbre collectif.
Au moyen des tableaux qui nous on été présentés jusqu’à présent, on n’a pu connaître le véritable produit de l’accise, surtout depuis que plusieurs articles ont été déchargés du timbre collectif, et que l’impôt s’est borné au principal et aux centimes additionnels.
C’est ainsi qu’une grande partie de l’augmentation de l’impôt sur le sel (p. 233) vient de ce que dans cet article se trouve maintenant compris le timbre collectif.
Je propose donc de supprimer cet article, et de formuler ainsi les 2 articles suivants :
« Vins étrangers (26 c. additionnels et timbre collectif) : fr. 2,800,000
« Bières et vinaigres (idem) : fr. 6,220,000 »
Il n’y aura rien de changé dans le système de perception, et chacun, même ceux qui n’auront pas eu connaissance de cette complication de comptabilité, saura maintenant quelle est la somme perçue par l’Etat sur ces articles.
Je ne pense pas que M. le ministre des finances s’oppose à ce changement de rédaction.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable préopinant a fort bien expliqué que précédemment le timbre collectif figurait séparément au budget pour tous les objets soumis à l’accise, et que maintenant deux droits d’accise seulement restent encore frappés spécialement du droit de timbre collectif.
Il me paraît, comme à l’honorable membre, plus régulier, quoiqu’il n’y ait pas de changements de régime pour ces deux objets comme pour les autres, que l’on ajoute le montant du timbre collectif au principal et aux centimes additionnels de l’accise sur les bières et les vins étrangers.
Je me rallie donc bien volontiers à l’amendement proposé par l’honorable M. Brabant.
Je pourrais me dispenser de répondre sur un point à l’honorable M. Eloy de Burdinne, puisque l’honorable M. Brabant a déjà fait remarquer que cette suppression du timbre collectif, de l’adjonction de son produit à l’accise sur le sel, provient la plus grande partie de l’augmentation des prévisions du produit de l’accise sur le sel.
Le reste est dû à quelques suppressions d’exemption, à l’imposition de l’eau de mer employée à la fabrication du sel, et à quelques légères augmentations résultant d’une fraction ajoutée à la quotité du droit, ainsi que doit se le rappeler l’honorable membre.
En ce qui concerne le sel employé pour la nourriture du bétail, des recherches sont faites par une commission que j’ai moi-même instituée par suite d’un engagement que j’avais pris vis-à-vis du sénat.
Un appel a été fait à tous ceux qui croiraient pouvoir trouver le moyen de dénaturer le sel employé à la nourriture du bétail, de manière à lui laisser toute son utilité pour cette destination et à ne pouvoir plus être rendu propre à la consommation ordinaire sans des frais aussi considérables que le montant de l’accise dont il devrait être frappé en vertu de la loi. Différents mémoires ont été remis à la commission dont je viens de parler. Son travail n’est pas terminé ; je ne connais pas le résultat de ses investigations. Je sais toutefois qu’elle a fait elle-même des recherches dans le même but ; elle se compose de chimistes distingués ; je ne désespère pas qu’elle arrive à la solution de la question. L’honorable membre nous dit qu’elle a été résolue. Je l’apprends avec satisfaction et je désire qu’il en soit ainsi.
Du reste, cette mesure n’entraînerait pas une réduction notable de l’impôt sur le sel. Ce serait une faible diminution de ressources ; le chiffre de la réduction nous est connu, puisqu’il y a eu précédemment exemption sur le sel employé à cet usage.
Quoiqu’il en soit, quand nous établissons nos prévisions, ce doit être d’après la législation existante, et non d’après des mesures éventuelles.
M. Osy – Lors de la discussion de la loi sur les céréales, nous n’avons pas approuvé les engagements qu’avait pris le gouvernement. Nous blâmons également le changement intervenu quant au commerce des vins avec la Hollande. Les vins français, venant de la Hollande, sont admis en Belgique. Nos marchands de vin sont assez raisonnables pour ne pas s’en plaindre ; mais ils demandent, avec raison, que les vins français venant de Belgique soient admis en Hollande aux mêmes conditions. Je demanderai à M. le ministre des finances, s’il s’est mis en rapport avec le gouvernement hollandais pour obtenir, dans l’intérêt de notre commerce, cette réciprocité qui est de toute justice.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’ai déjà eu l’honneur de faire connaître qu’une négociation est intervenue sur cet objet. J’ajouterai qu’elle se poursuit avec la plus grande activité de la part du gouvernement belge.
M. Eloy de Burdinne – Je regrette qu’on ait joint au principal de l’impôt sur le sel, des centimes additionnels. Mais je crois qu’il serait temps d’aviser aux moyens de réduire l’impôt sur le sel. Il serait plus rationnel de réduire de moitié l’impôt sur le sel et de remplacer la perte par une augmentation de l’impôts sur le sucre.
L’honorable ministre des finances se trompe, lorsqu’il conclut que la suppression de l’impôt sur le sel affecté à la nourriture du bétail n’entraînera qu’une faible réduction de l’impôt, de ce fait que les demandes d’exemption d’impôt à ce titre s’élevaient naguère à une somme peu considérable. En effet, les cultivateurs demandaient très-peu d’exemptions, parce que, pour en obtenir, il fallait remplir trop de formalités. Les campagnards donnaient donc à leurs bestiaux du sel qui avait payé l’accise ; et soyez persuadés que la consommation du sel, pour cet usage, est très-considérable ; de sorte que s’il l’on trouve le moyen de dégrever le sel destiné au bétail, il y a tout lieu de croire que la réduction sur l’accise sera très-considérable.
J’ai appelé l’attention de la chambre sur ce point, pour qu’elle ne se laisse pas entraîner trop facilement, lorsqu’il s’agira de voter les budgets des dépenses.
M. Mast de Vries – Messieurs, je crois devoir présenter à cet article une observation que j’ai à faire à M. le ministre des finances.
Depuis quelques temps on remarque dans nos environs, une recrudescence de sévérité de la part des employés de l’administration des finances pour forcer au poinçonnage des bouteilles et des verres qui servent au débit des bières. Il en résulte que le débit des bières blanches qui ne peuvent être vendues que dans des bouteilles, est devenu presque impossible. Si l’on trouve de ces bouteilles qui ne sont pas poinçonnées, elles sont saisies et le cabaretier est mis à l’amende.
Voilà, messieurs, ce qui se passe dans nos petites localités ; mais il n’en est pas de même à Bruxelles ; personne de vous n’ignore que l’on y emploie dans les estaminets de beaux verres en cristal qui ne sont pas poinçonnés, et par un seul employé ne s’aviserait d’exiger qu’ils le fussent. Je dirai même que dans plusieurs de ces estaminets on vend de la bière dans des vases moindres qu’un demi-litre et qui ne sont pas poinçonnés..
Il en résulte, messieurs, que la mesure vexatoire dont je me plains, ne s’exerce qu’à l’égard des campagnes et des petites localités.
Mais il y a plus : un employé des accises qui entrera dans un cabaret, s’empressera de saisir une bouteille qui renferme de la bière, alors qu’il n’en fera rien pour la bouteille qui se trouvera à côté de la première, mais qui contient du vin de France.
Messieurs, je ne sais si le poinçonnage est une mesure très-utile ; mais ce que je puis affirmer c’est qu’il contrarie beaucoup le débit des bières. Si, comme je l’ai entendu dire, le gouvernement exige, à dater du 1er janvier, la stricte exécution de cette mesure, je demande que d’abord les détaillants en soient avertis, qu’ensuite cette exécution soit générale, qu’elle ait lieu aussi bien dans la capitale que dans les campagnes, et qu’elle soit appliquée aux bouteilles de vins comme aux bouteilles de bière.
On me dira que sur ce dernier point c’est demander l’impossible. Je le sais ; mais c’est une considération de plus pour que le gouvernement ne se montre pas aussi exigeant à l’égard des vases destinés à la bière.
M. de Garcia – Messieurs, je ne conçois pas trop l’objection de l’honorable M. Mast de Vries. Il existe une loi qui soumet les poids et toutes les mesures de capacité au poinçonnage.
M. Rodenbach – Le verre n’est pas une mesure.
M. de Garcia – Pardonnez-moi, le litre, dont on se sert ordinairement, est une mesure.
La loi est formelle : Quiconque, exerçant un commerce, se sert de mesures qui ne sont pas poinçonnées par l’administration, s’expose à l’amende. Que résulte-t-il de ce que vous a dit l’honorable M. Mast de Vries C’est que l’administration ne ferait pas son service à Bruxelles. L’honorable membre veut-il changer une loi, une mesure de police qui a été faite dans l’intérêt du consommateur, et pour lui assurer la mesure exacte de ce qu’il achète ? Qu’il le dise formellement, et alors nous aurons à examiner cette question.
Je ne sais, messieurs, si l’administration exerce des vexations dans les campagnes, pour constater les délits dont il s’agit. Je reconnais qu’elle ferait bien de prévenir par des circulaires et officieusement les personnes obligées de faire poinçonner leurs mesures, pour leur épargner des condamnations pénibles à prononcer, je l’avoue. Je crois aussi que si la loi ne s’exécute pas dans la capitale, M. le ministre des finances doit veiller à ce que la mesure y soit appliquée comme dans les campagnes. Mais je m’opposerais à ce qu’il donnât des instructions pour que le poinçonnage des mesures ne fût plus exigé. Ce serait rendre un mauvais service à l’ordre public, ce serait renverser d’un coup des mesures de police reconnues utiles.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Les instructions données par l’administration pour l’exécution de la loi sont générales et uniformes pour toutes les localités.
Je n’ai pas lieu de croire que les employés soient plus indulgents ou plus sévères dans une localité que dans une autre, bien qu’il me soit impossible d’affirmer que partout le service soit fait avec le même zèle et la même intelligence. Je remercie à cet égard l’honorable membre des renseignements qu’il a donnés. L’administration veillera avec un nouveau soin à ce que le même esprit préside partout aux actes de ses agents, et il est entendu que c’est autant que possible par les moyens officieux qu’on engagera chacun à se conformer à la loi.
L’administration a toujours eu en vue de ne pas occasionner des embarras inutiles à ceux qui font usage de poids et mesures. Des publications sont faites et se feront encore officieusement pour rappeler les commerçants et les débitants à leur devoir, et empêcher que personne soit pris au dépourvu.
M. Mast de Vries – Messieurs, je dois répondre à une observation de l’honorable M. de Garcia. Il dit : Les mesures doivent être poinçonnées ; la loi l’exige, je le reconnais ; aussi les litres et les demi-litres sont-ils poinçonnés. Mais je dis qu’il y a des vases qui ne doivent pas l’être.
D’ailleurs, la loi, telle qu’elle existe, est inexécutable. N’est-ce pas une contradiction que de venir saisir une bouteille de bière et de ne pas saisir une bouteille de vin, souvent beaucoup plus petite ? Est-ce donc parce que le vin est une boisson étrangère qu’il ne doit pas être soumis à la loi ? Je défie le gouvernement de prendre une mesure pour faire saisir les bouteilles de vin non poinçonnées ; pourquoi donc se montrer plus exigeant pour la bière ?
Messieurs, pour poinçonner une bouteille, on doit en entourer le goulot d’un anneau de plomb. C’est ce qui se fait aussi ordinairement pour les verres qui ont des anses. Mais il arrive souvent que ces plombs se détachent par la manipulation ; et aussitôt le cabaretier est mis à une amende qui n’est pas moindre que 10 florins.
Que ce sont des verres sans anse, on les perfore, et on fait passer un (page 234) plomb par le trou. Mais il en résulte qu’alors le verre n’a plus le quart de la solidité qu’il avait auparavant et qu’il se brise en peu de temps, ce qui produit une dépense considérable pour les malheureux détaillants.
Messieurs, je le répète, on ne devrait pas se montrer si exigeant sur l’exécution d’une loi dans les campagnes, loi que l’on viole tous les jours dans la capitale et sous les yeux du gouvernement.
M. Rodenbach – Messieurs, les vexations dont se plaint l’honorable membre ont aussi lieu dans mon district. M. le ministre des finances doit s’empresser de donner de nouvelles instructions.
Je sais que les lois ne devraient pas être élastiques ; mais elles le sont en réalité. On vient de vous en donner la preuve ; c’est qu’à Bruxelles on ne fait pas poinçonner les verres, et que les employés de l’administration ne mettent pas à l’amende. C’est que, si l’on exigeait une pareille mesure dans les grandes villes, il y aurait bientôt rumeur ; il ne manquerait pas de personnes pour défendre les commerçants contre les vexations des employés. Dans les campagnes, au contraire, les agents de l’administration interprètent souvent leurs instructions au détriment des malheureux. Eh bien ! notre devoir est de défendre ces malheureux, et je proteste contre les vexations qui ont eu lieu.
M. de Garcia – Je dirai que si des employés vont au-delà de la loi, ils doivent y être rappelés. Mais il n’appartient pas à un ministre de donner des instructions de nature à détruire les effets de la loi. Je ne comprends donc pas la portée des observations qui viennent d’être faites de nouveau par l’honorable M. Mast de Vries, contre des mesures de police prescrites par la loi.
La discussion est close.
L’article Accise est adopté avec les modifications proposées par l’honorable M. Brabant, et auxquelles M. le ministre des finances s’est rallié.
« Droit de marque des matières d’or et d’argent : fr. 150,000
- Adopté.
« Droits d’entrepôts, y compris ceux de l’entrepôt d’Anvers : fr. 180,000
« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 10,000
- Adopté
« Enregistrement (30 p.c. additionnels) : fr. 10,600,000
« Greffe (Id.) : fr. 300,000
« Hypothèques (26 Id.) : fr. 1,900,000
« Successions (30 Id) : fr. 4,600,000
« Timbre (sans additionnels) : fr. 3,000,000
« Amendes : fr. 150,000
« Total : fr. 20,550,000.
M. Osy – Messieurs, l’année dernière, on vous a entretenu de l’enregistrement en débet de la vente d’une forêt. M. le ministre des finances a dit alors que ce fait concernait l’ancien ministère, mais depuis lors, une année s’est écoulée et la responsabilité en retombe par conséquent sur le ministère actuel, s’il n’a pas fait les démarches nécessaires pour sauvegarder les intérêts du trésor. Je demanderai à M. le ministre des finances où en est cette affaire ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Des poursuites ont été intentées par l’administration pour le recouvrement des droits dont vient de parler l’honorable préopinant ; un jugement a été prononcé en faveur de l’Etat, mais ce jugement a mis hors de cause plusieurs personnes dont nous avions intérêt à maintenir la solidarité ; nous avons donc interjeté appel. C’est là qu’en est cette affaire ; l’administration la suit avec sollicitude et j’espère que les droits seront recouvrés.
M. Eloy de Burdinne – Je dois reproduire ici une observation que j’ai faite relativement à un autre article. Je crois que ce serait une erreur de croire que l’enregistrement rapportera en 1845, 20,550,000 fr. La baisse du prix des propriétés va continuer à réduire et l’enregistrement, et les droits de successions, et les droits d’hypothèques. Quand les terres sont à bas prix on vend peu, et sur les ventes faites, le droit est moins élevé. Il y a donc ainsi une double réduction des droits. Le chiffre de l’article qui vous occupe est donc exagéré ; il ne l’a pas été à dessein, je suis loin de vouloir prêter une mauvaise intention à M. le ministre, mais il s’est trompé parce qu’il n’a pas tenu compte de la baisse des propriétés foncières. Je prie la chambre et le gouvernement de bien faire attention à cette circonstance, afin de ne pas se laisser entraîner à des dépenses qui, en définitive, ne seraient pas couvertes par les voies et moyens.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ferai observer à l’honorable membre que j’ai diminué les prévisions de l’année dernière de 400,000 fr. pour l’enregistrement, et de 100,000 francs pour les droits d’hypothèque. Il y a à la vérité, d’un autre côté, augmentation de 200,000 fr. sur les successions, ce que j’ai fait en prenant cette fois pour base la moyenne d’un certain nombre d’années, car si j’avais pris les 9 premiers mois de cette année et les 3 derniers de l’année dernière, je serais arrivé à un chiffre plus élevé.
M. de Garcia – En ce qui concerne les droits d’enregistrement et de succession, je crois qu’il ne faut guère craindre la diminution dont l’honorable M. Eloy de Burdinne a parlé, car l’administration des finances perçoit généralement le droit de mutation sur la valeur du revenu cadastral multiplié par 35. C’est là une base générale d’évaluation, mais je désirerais que le gouvernement l’appliquât d’une manière uniforme et régulière dans tous les pays, car il s’élève souvent des procès relativement aux droits de mutation et de succession, parce que, dans telle localité, l’administration prend 40 fois la valeur cadastrale, tandis que dans telle autre localité elle ne prend que 35 ou même 30 fois cette valeur. Selon moi, la valeur cadastrale, qui est et qui doit être considérée comme la plus juste, devrait rester la base uniforme pour tout le pays dans les droits de mutation, mais elle devrait être invariable. Je crois que le chiffre de 35 fois la valeur cadastrale est celui que l’on suit le plus généralement.
Quoi qu’il en soit, dans l’intérêt des contribuables, pour les éclairer sur leurs droits et pour éviter des procès, je voudrais que l’administration eût une base fixe pour tout le pays, toujours en partant du cadastre. L’opération cadastrale est une œuvre achevée, une œuvre officielle, une œuvre du gouvernement, et ce travail devrait lier le contribuable, non-seulement au point de vue de sa contribution annuelle, mais au point de vue de ses contributions accidentelles et éventuelles, celles des mutations et des successions.
M. Eloy de Burdinne – L’honorable M. de Garcia se trompe lorsqu’il croit que l’on suit une base fixe pour déterminer la valeur des propriétés soit pour les ventes, soit pour les successions, soit pour les échanges. On ne prend point la valeur cadastrale, on prend la valeur vénale. J’ai vu l’administration de l’enregistrement taxer une propriété à raison de soixante fois la valeur cadastrale, et j’ai fait connaître le fait à M. le ministre des finances. C’est donc une erreur de croire qu’il existe une règle générale d’après laquelle on prendrait trente-cinq fois la valeur cadastrale. D’ailleurs, la valeur cadastrale ne peut pas servir de base à la perception des droits de mutation, car on achète des terres tantôt à 1 ½ p.c., tantôt à 2, tantôt à 3, tantôt à 4 p.c. suivant que l’argent est abondant ou rare dans les campagnes.
Je maintiens, messieurs, mon observation ; je suis convaincu que nous aurons l’année prochaine un déficit sur l’article relatif à l’enregistrement.
- Le chiffre de 20,550,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Indemnité payée par les miliciens pour remplacement et pour décharge de responsabilité de remplacement : fr. 60,000
« Amendes en matière de simple police, civile, correctionnelle, etc. : fr. 200,000
« Produits des examens : fr. 50,000
« Produits des brevets d’invention : fr. 35,000
« Produits des diplômes des artistes vétérinaires : fr. 1,000
« TOTAL : fr. 346,000
- Adopté.
« Produits des canaux et rivières, appartenant au domaine, droit d’écluse, ponts, navigation : fr. 826,000
« Produits de la Sambre canalisée : fr. 500,000
« Produits du canal de Charleroy : fr. 1,450,000
« Produits du canal de Mons à Condé : fr. 61,000
« Produits des droits de bancs et passages d’eau : fr. 100,000
« Produits des barrières sur les routes de 1re et de 2e classe : fr. 2,000,000
« Total : 4,937,000
M. Dumortier – Messieurs, au nombre de ces articles, je vois figurer les produits du canal de Mons à Condé. Vous savez que l’année dernière les chambres ont ordonné la reprise de ce canal. Lorsque le canal était encore en possession de la province du Hainaut, la province avait un employé chargé d’opérer les recettes ; dans la session du conseil provincial qui a précédé la reprise, il avait été question d’apporter des modifications à ce régime, mais rien n’avait été décidé, et lorsque le gouvernement a repris le canal, le receveur dont je viens de parler et qui était déjà receveur lorsque le roi Guillaume possédait le canal, s’est vu priver de ses fonctions, parce que le gouvernement a trouvé plus économique de faire opéré la recette par ses propres agents. Ce fonctionnaire s’est adressé au gouvernement pour obtenir la liquidation de sa pension. Le gouvernement paraît ne point y avoir consenti, et il s’est adressé alors au conseil provincial ; celui-ci a répondu que le gouvernement, qui avait pris les bénéfices du canal, devait aussi en prendre les charges, et cela est très-juste.
Je désirerais que la pension de cet employé fût liquidée ; il ne faut pas qu’un fonctionnaire soit privé de la pension qui est due à tous ceux qui ont consacré leur temps à des services publics. Il en serait pas juste non plus de faire payer cette pension par la province ; car, puisque l’Etat jouit des avantages du canal, il est juste qu’il en supporte aussi les charges. Je demanderai à M. le ministre des finances une explication sur cette affaire ; car, je le répète, il y aurait injustice à ne pas liquider la pension d’un fonctionnaire nommé par le roi Guillaume, lorsque le canal appartenait à l’Etat, et qui était encore receveur lorsque le canal est devenu de nouveau la propriété de l’Etat.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’Etat a conservé en (page 235) fonctions tous les employés qui étaient attachés au service du canal de Mons à Condé ; celui dont l’honorable préopinant a parlé, avait sollicité sa démission avant la reprise du canal, mais je pense qu’il n’avait pas encore reçu sa pension ; je n’ai pas crû être compétent pour accorder une pension à un employé qui n’avait pas servi l’Etat, comme l’exige la loi ; je suis loin de prétendre qu’en équité, il n’y ait pas lieu à accorder une pension à l’employé dont il s’agit ; nous aurons à décider par une loi spéciale si les employés qui sont passés ainsi au service de l’Etat ne pourront pas à l’avenir faire admettre, pour la liquidation de leur pension les services qu’ils ont rendus avant d’être payés par l’Etat. Je soumettrai prochainement cette question aux chambres avec une affaire identique qui se rapporte au personnel attaché au service de la forêt de Soigne qui a été rétrocédée au gouvernement. Je ne veux rien préjuger sur ces deux questions ; je les soumettrai à la chambre, mais, je le répète, quant à présent, je ne me crois pas compétent pour liquider, conformément aux lois existantes, la pension de la personne dont l’honorable M. Dumortier vient de parler.
M. de Garcia – Messieurs, je crois que la réserve faite par M. le ministre des finances est sage. Lorsqu’il s’est agit de la forêt de Soigne, j’ai demandé si parmi les obligations qui étaient reprises par le gouvernement, était comprise celle des pensions qui pourraient être dues aux employés préposés à la garde de la forêt de Soigne. Le gouvernement, à cette époque, s’est engagé à ne prendre aucune mesure sans avoir été autorisé par une loi. La question est donc restée intacte ; je ne voudrais pas qu’on la décidât incidemment. Si le gouvernement prenait un engagement à l’égard de la personne dont parle l’honorable M. Dumortier la question serait également tranchée à l’égard des anciens employés à la conservation de la forêt de Soigne. Cette question me paraît devoir faire l’objet d’un examen tout spécial.
- M. d’Hoffschmidt remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Liedts – Messieurs, je prends la parole pour un instant, parce que, par une position personnelle, je suis plus à même qu’aucun membre de cette chambre de donner des renseignements précis sur la réclamation qui vient de se produire.
L’individu dont il s’agit se nomme Gouy. Il n’y a aucune analogie entre la position des agents forestiers dont on vient de parler et celle du sieur Gouy. Celui-ci a été constamment attaché à un domaine public, domaine dont on avait provisoirement abandonné les revenus à une province, et que l’Etat à jugé à propos de remettre aux mains de l’administration des finances ; la forêt de Soigne, au contraire, est un domaine particulier, acquis par l’Etat, qui a bien voulu prendre avec ce domaine les employés préposés à la garde de la forêt. Il s’agit de savoir si l’acquéreur de ce domaine particulier a quelques obligations à remplir à l’égard de ces employés, quant à la pension. C’est une question à examiner et à résoudre. Mais il ne peut y avoir de doute, quant aux droits du sieur Gouy à l’obtention d’une pension sur les fonds de l’Etat.
En effet, voici la position du sieur Gouy :
Lorsqu’en 1819 le gouvernement des Pays-Bas a cédé la province du Hainaut le canal de Mons à Condé, le Hainaut a pris à sa charge tout le personnel qui était attaché au canal ; et au fur et à mesure que des membres de ce personnel ont eu droit à la pension, la province a liquidé cette pension sur sa caisse particulière, en tenant compte des services rendus par ces employés avant que le Hainaut perçut les revenus du canal.
Maintenant, qu’a fait l’Etat ? La loi du budget de 1844 a remis le canal de Mons à Condé dans la possession de M. le ministre des finances, mais cette remise a eu lieu avec tout le personnel et avec toutes les charges qui y étaient attachées. Le gouvernement, je dois le dire, s’est très-loyalement exécuté : il a conservé tout le personnel ; toutefois on a remplacé M. Gouy, qui est avancé en âge. Maintenant, est-il juste que cet homme, dont les services datent d’une époque antérieure à la reprise du canal par le Hainaut, soit mis de côté, sans voir ses services rémunérés comme ceux de tous les autres employés de l’Etat ?
Il est à remarquer qu’en décrétant la reprise du canal de Mons à Condé, par l’administration des domaines, la chambre s’est appuyée sur cette considération que ce canal était un domaine de l’Etat, qu’il n’avait pas cessé d’être un domaine de l’Etat, et que le Hainaut n’avait eu que la jouissance provisoire des revenus. Cela étant, il est vrai de dire que le sieur Gouy a été attaché à un domaine de l’Etat, et que, par conséquent, ce ne sont pas des services provinciaux qu’il a rendus ; or, s’il a été, je le répète, attaché à un domaine public, il me paraît être dans une position bien différente de celle des agents forestiers qui ont passé avec un domaine particulier dans le domaine public.
Voilà les considérations que l’avais à faire valoir en faveur du sieur Gouy. Il serait dur et peu équitable de mettre, pour ainsi dire, cet ancien employé à la porte, sans aucune récompense pour ses 40 années de service.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je n’ai pas parfaitement compris la distinction qui vient d’être exposée à la chambre ; cependant, il m’a paru que l’honorable préopinant a plutôt traité ici la question en équité qu’en droit. De là semble résulter la nécessité d’une loi.
Quant à moi, je dirai avec l’honorable membre, qu’il y a plus de raison pour accorder des pensions aux employés dont il a parlé, mais je pense qu’il est également équitable de compter les services intermédiaires des employés de l’Etat qui ont été momentanément attachés à la surveillance de la forêt de Soigne. Dans tous les cas, l’honorable préopinant sera d’accord avec moi qu’il convient de soumettre spécialement cette question à la chambre, et non d’en faire l’objet d’une discussion purement incidente.
Plusieurs membres – A demain ! à demain !
- La chambre décide qu’elle se réunira demain en séance publique, à 11 heures.