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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 novembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 93) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Brenier, docteur en médecine, demande la création de bibliothèques médicales provinciales. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les cultivateurs et marchands de houblon de Welle demandent que les houblons étrangers soient soumis au même droit d’entrée que celui établi en France. »

« Même demande des cultivateurs et marchands de houblons d’Erembodeghem, Denderleeuw, Herdessen et Meldem. »

- Renvoi à la commission permanente d’industrie.


« Le sieur Bourguignon, bourgmestre à Rochefort, demande qu’un traitement de 300 fr., soit accordé aux fonctionnaires chargés, par la loi, de faire l’office du ministère public près les tribunaux de simple police. »

« Les sieurs Vermin et Karmegiesses, commissaires de police à Tongres et à Saint-Trond, renouvellent leur demande tendant à ce qu’il soit accordé une indemnité aux commissaires de police, faisant fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police. »

« Les commis-greffiers du tribunal de première instance de Liége demandent que le traitement des commis-greffiers de première classe soit porté à 2,500 francs. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux traitements de l’ordre judiciaire.


Il est fait hommage à la chambre :

1° Par M. le gouverneur du Brabant, de cinq exemplaires des procès-verbaux du conseil provincial pendant la session de 1844 ;

2° Par M. Huytens, d’un exemplaire de son recueil intitulé : Des sessions du congrès national.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de la justice adresse à la chambre la demande en naturalisation du capitaine Black, accompagnée de renseignements.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de budget de la chambre de l'exercice 1845

Depot

M. Mast de Vries – Messieurs, la commission de comptabilité a examiné les comptes de 1843 qui lui ont été soumis par la questure ainsi que le budget de la chambre pour 1845. J’ai l’honneur de déposer son rapport sur le bureau.

M. le président – Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion.

Projet de loi augmentant le traitement des membres de l'ordre judiciaire

Discussion générale

M. Zoude – C’est un hommage rendu unanimement à la vérité, que les capacités n’ont pas fait défaut à la magistrature, chaque fois qu’il y a eu un siège vacant.

Mais le concours de capacités et de lumières n’a-t-il pas été encouragé par la confiance des magistrats dans la promesse du gouvernement et des chambres, que leur sort serait sensiblement amélioré aussitôt que nos embarras financiers auraient cessé ? Ce moment, si longtemps attendu, étant enfin arrivé, l’heure de la justice doit sonner.

Messieurs, dans la disposition favorable où la chambre se trouve à cet égard, malgré les discours éloquents et consciencieux de quelques adversaires, je me serais abstenu de prendre la parole, si M. le ministre de la justice s’était rallié au projet de la section centrale qui supprime les tribunaux de quatrième classe ; c’est à l’appui de cette suppression que je dirai quelques mots.

L’opinion est assez générale que les tribunaux de cette catégorie étant placés dans des localités d’assez faible population, un traitement moins élevé permet à un magistrat de vivre avec plus d’aisance que dans des villes plus populeuses. C’est une erreur ; je vais tâcher de vous en convaincre.

D’abord, dans les petites villes, il y a rarement de spéculateurs en bâtiments ; chaque habitant a sa maison, et si, par exception, il en est un de disponible, le propriétaire, qui ne craint pas la concurrence, fait la loi ; c’est ainsi, que dans le chef-lieu du district auquel j’appartiens, un juge pour un logement très-modeste, doit payer de 7 à 800 fr., et la dépense pour plusieurs objets de ménage est dans la même proportion, parce qu’il n’y a pas de marché hebdomadaire comme dans les cités populeuses.

Mais il est un autre inconvénient qui rend leur position plus fâcheuse : c’est l’absence d’établissement d’instruction.

Dans ces localités il n’y a généralement que des écoles primaires, tandis que dans les villes de quelque importance il y a des collèges, des athénées ; les enfants sont élevés, instruits sous les yeux paternels. Chez nous, au contraire, il faut envoyer au loin et dès leur tendre âge ceux qu’on destine à l’étude, et souvent, ce qui est aussi pénible que la dépense, c’est l’inquiétude de devoir les confier à la surveillance étrangère.

Vous, pères de famille, qui siégez dans cette enceinte, vous apprécierez la position de nos juges, et vous l’adoucirez en adoptant la suppression proposée par la section centrale.

Les propositions de la section centrale, je les apprécierai encore, en ce qui concerne les tribunaux de première instance de Bruxelles, Gand et Anvers. A la vérité, les magistrats y jouissent du bienfait inappréciable d’être au foyer de toutes les lumières, mais là aussi sont les dépenses les plus grandes, l’excessive exagération des loyers et de toutes les commodités de la vie ; là aussi une tenue plus rigoureuse est impérieusement commandée ; là enfin, il ne suffit pas à un magistrat d’avoir de la dignité sur son siége, il faut qu’elle se montre dans tout ce qui l’entoure.

Par ces considérations, je voterai le chiffre de la section centrale en ce qui concerne ces tribunaux.

M. Desmet – Je regarde comme un devoir impérieux de combattre la majoration qui vous est demandée pour la magistrature. Vous me permettrez de dire mes motifs. Que dit-on ? On veut améliorer le sort de la magistrature, c’est-à-dire qu’on veut élever à 16 et 15 mille francs des traitements de 14 mille francs, porter à 10 et 11 mille francs de traitements de 9 mille francs, ainsi de suite. Le sort de ceux qui touchent ces traitements est-il si malheureux qu’on le dit, quand parmi tous les fonctionnaires de l’ordre administratif, je n’en vois aucun qui ait un traitement aussi élevé que la magistrature. J’en prendrai un seul exemple : le commissaire de district ; il en est qui n’ont que 1,400 fr. Sous le rapport du savoir, ces administrateurs ont besoin d’en avoir autant que les magistrats. Sous le rapport de la besogne, on sait que le commissaire de district ne peut pas quitter son commissariat un seul jour. Il faut qu’il y reste toute l’année. On me dira qu’ils ont des frais de bureau, je le sais ; mais je sais aussi qu’ils sont insuffisants. Je demande, après cela, si le sort de la magistrature est aussi malheureux qu’on le dit. 14,000 et 9,000 francs sont un assez beau revenu en Belgique, et ceux qui le possèdent ne sont pas à plaindre.

Avant d’augmenter le budget des dépenses, je demanderai s’il n’y a pas nécessité de le faire, ou pour mieux dire, si la nécessité en est bien constatée. Que vois-je ? la section centrale n’est pas d’accord avec le ministre. Elle ne veut rien accorder à la cour de cassation ni à la haute cour militaire, elle n’accorde d’augmentation que pour les juges des tribunaux de première instance, c’est-à-dire pour ceux qui peuvent plutôt en avoir besoin. Je trouve cela assez rationnel et assez juste. Le ministre réserve toute son affection pour les premiers présidents de la cour de cassation et des cours d’appel, ainsi que pour les avocats généraux. Il porte aussi une affection toute particulière aux substituts de la haute cour militaire dont il propose d’élever le traitement de 3,700 fr. à 6,000 fr.

Je ne sais pas si la section centrale tombera d’accord avec le ministre sur ses amendements. Je ne sais pas non plus si l’honorable député de Bruxelles qui s’attribue, avec raison, l’initiative de la proposition, sera d’accord avec le ministre. Je vois que les partisans de l’augmentation ne sont pas d’accord entre eux sur ceux qu’on doit augmenter. J’en conclus que la nécessité de l’augmentation n’est pas démontrée. Quand on considère l’état de nos finances, l’impossibilité d’équilibrer les recettes avec les dépenses, on ne doit pas admettre des dépenses nouvelles dont la nécessité n’est pas parfaitement démontrée. Car ce qu’on nous présente n’est qu’un simulacre d’équilibre, car le budget ne contient pas plusieurs dépenses que nous pouvons très-bien prévoir. Il y a dans le budget exagération de dépenses mais seulement en ce qui concerne le personnel, mais il n’en est pas de même en ce qui concerne les travaux utiles, excepté le demi million demandé pour le chemin de fer. Mais les autres travaux, qui cependant sont souvent plus utiles, n’ont pas la même faveur que le railway. On a cité plusieurs travaux d’une nécessité urgente et dans l’intérêt général. Mais il est un objet bien important qu’on a oublié de citer, de mentionner dans le budget, et que le pays réclame avec instance : c’est le moyen de faire écouler les eaux. De tous côtés des plaintes vous arrivent à cet égard ; et vous savez, messieurs, combien sont grands les dégâts qui ont lieu par les inondations inopportunes. Des contrées entières en sont victimes, et cependant, je le répète, le budget ne prévoit rien pour cet objet.

Messieurs, pouvez-vous augmenter les traitements de la magistrature dans un moment où la misère est si grande ? Vous avez entendu l’honorable M. Devaux vous dire que, dans la ville de Bruges, sur 45 mille âmes, on compte vingt mille indigents. Je voudrais que les honorables membres se rendissent dans le district d’Audenarde et quelques autres parties des Flandres ; ils verraient jusqu’où va la misère ; j’invoque, à cet égard, le témoignage de MM. Thienpont, président, et de Villegas, procureur du roi.

Pour tâcher de faire passer l’augmentation proposée, on a eu recours à l’histoire ancienne, on a remonté jusqu’à 60 ans, on a parlé du régime autrichien et des épices, et on a prétendu qu’alors la magistrature était plus payée qu’aujourd’hui. L’honorable M. Lange a cité la cour souveraine du Hainaut où les conseillers n’avaient que 4 cent livres tournois de traitement, mais, avec les épices, au-delà de ce qu’on propose de leur donner aujourd’hui.

Les épices dont jouissaient les membres du conseil du Hainaut étaient de 26 patars par heure…

M. Lange – 36.

M. Desmet – Il faut travailler bien des heures pour obtenir une grosse somme et arriver jusqu’à celle qu’on propose dans le projet.

(page 94) Le fiscal de la cour de Flandre avait 2 mille florins sans épices, sans casuel ; c’était une des plus belles places de nos provinces. Je voudrais qu’on fît le calcul par épices, pour établir le traitement des conseillers de cours d’appel. En 1835, je pense, la totalité des causes jugées, d’après le rapport, a été de 586 ; à 36 patards par heure, la somme ne serait pas lourde. Faites le calcul ; ces 586 causes ont été jugées par 66 conseillers ; ces 66 conseillers ont coûté 351 mille francs, ce qui fait 511 fr. par cause pour les cours d’appel. C’est une justice bien chère quand on paye 511 fr. par cause. Je ne vois pas de motif pour majorer de semblables traitements.

Ce calcul n’est pas fautif, car il est basé sur un rapport qui vous a été présenté.

Il faut le répéter : au lieu d’améliorer le sort de la magistrature, ne ferait-on pas mieux d’améliorer le sort des justiciables ?

La province à laquelle j’appartiens, qui a près de 900,000 habitants, n’a que trois arrondissements. Si on lui en donnait un quatrième, non-seulement les justiciables y gagneraient, mais le trésor y gagnerait aussi par les frais de justice qui diminueraient considérablement. Aujourd’hui, il y a des justiciables qui ont douze lieues à faire pour se rendre au chef-lieu d’arrondissement.

Qui le croirait ! dans le district d’Audenarde il y a des communes qui sont situées à la frontière du Brabant et à une lieue et demie au-delà de la ville d’Alost. Si nous avions une bonne circonscription, on pourrait fixer les chefs-lieux d’arrondissement de manière que les rayons ne seraient que de trois lieues à trois lieues et demie, et que les justiciables, pour se rendre à leurs tribunaux respectifs, au lieu d’employer trois jours, c’est-à-dire, un jour pour aller, un de séjour et un troisième pour retourner chez eux, n’auraient besoin que d’un seul jour.

Voyez, messieurs, la grande économie qui en résulterait pour les habitants et le trésor n’y gagnerait pas moins, car aujourd’hui le montant des frais de justice est énorme dans la Flandre orientale.

C’est un point assez important, pour que je prie M. le ministre de la justice d’y attacher son attention, car je crois qu’il y a un grand besoin pour notre pays de viser à l’économie et de soulager le sort des justiciables : c’est bien plus dans l’intérêt général que de majorer des traitements qui sont déjà élevés.

Je pense aussi que nous avons le droit de réclamer, pour que dans notre province, et particulièrement dans notre district, l’accès de la justice soit plus facile pour les habitants.

Si je vote contre l’augmentation des cours et des tribunaux, je ne pourrai pas voter contre l’augmentation des traitements des juges de paix.

Les juges de paix n’ont aujourd’hui qu’un traitement de 900 à 1,400 fr. dans l’une des premières séances, on a parlé des émoluments, du casuel ; on a même été jusqu’à dire que le casuel élevait leur traitement jusqu’à 6,000 fr.

Je ne sais si le casuel est aussi élevé à Gand et à Bruxelles. Mais je suis certain qu’il n’en est pas ainsi dans le plat pays ; or, c’est là que l’action du juge de paix est la plus efficace. Dans cette partie du pays, le casuel ne va pas au-delà de 400 fr. J’en sais quelque chose, puisque j’ai été juge de paix. Dans les provinces de Namur et de Luxembourg, le casuel ne s’élève pas même à ce chiffre. Ainsi voilà pour le juge de paix un traitement de 1,500fr. Et qu’est-ce qu’un juge de paix ? A mes yeux, c’est bien moins un juge qu’un père de famille, appelé à concilier plutôt qu’à agir avec rigueur.

Je pense qu’un juge de paix devrait avoir un traitement de 2,000 fr, indépendamment du casuel, qui est en moyenne, de 400 fr.

Qu’il y ait des abus, je n’en disconviens pas. Il y a abus en ce qu’on nomme aux fonctions de juge de paix des jeunes gens qui ne font rien pour la tranquillité des campagnes. Ils viennent juger et retournent en ville. Je dis donc que, s’il y a abus, il tient au choix, et non à l’instruction qui est excellente.

Je reconnais qu’il y a quelque abus quant au casuel. Il y a des juges qui ne songent qu’à faire de l’argent, qui font des frais qui ne sont pas nécessaires. Mais c’est l’exception. Qu’on fasse de bons choix ; qu’on nomme aux fonctions de juges de paix non pas de jeunes avocats, mais des personnes qui jouissent d’une considération plus nécessaire ici que la science, et cela n’arrivera plus.

M. Dumortier – Lorsqu’il y a quelques semaines M. le ministre des finances est venu annoncer à la tribune que le budget de l’Etat présentait un boni de 1,200,000 fr., je m’attendais à voir cette assemblée, avant d’employer cet excédant, commencer par discuter quel pouvait en être le meilleur emploi.

Avant de vous lancer dans la carrière des dépenses, il s’agissait de voir quelles étaient celles qui devaient obtenir notre approbation, qui nécessitait notre premier vote. Mais nous ne procédons pas ainsi ; nous commençons par voter des dépenses permanentes, et quand on aura voté ces dépenses, on nous demandera de nouvelles ressources, ou, suivant l’expression de M. le ministre des finances, de nouveaux efforts, afin de pouvoir suffire aux dépenses reconnues nécessaires le système où nous entrons est donc nécessairement vicieux.

Encore une fois, ce qu’il fallait faire en présence d’un excédant de 1,200,000 fr., c’était de commencer par avoir un système d’emploi des fonds. Le gouvernement devait commencer par là. Mais non ; nous ignorons quelles dépenses nous seront proposées, et l’on commence par nous demander d’employer en majorations de traitements l’excédant des recettes. Ce système est, je le répète, éminemment vicieux ; je ne puis m’empêcher de le désapprouver hautement, surtout lorsqu’il s’agit d’une dépense non pas temporaire, mais permanente, et qui se reproduira chaque année.

L’augmentation demandée forme un total de 5 à 6 cent mille francs, au delà d’un demi million. Vous allez grever annuellement votre budget d’un demi million, sur l’apparence d’un excédant ; mais êtes-vous sûr que vous en aurez un chaque année ? Vous grevez votre budget, alors que vous avez une dette flottante qui existe toujours.

On vous l’a dit hier, depuis quatorze ans, il n’y a jamais eu équilibre entre les recettes et les dépenses ; pour la première fois nous sommes à même d’établir cet équilibre. Mais commençons au moins par supprimer notre dette flottante, qui s’élève à 7 millions de francs ; voilà ce que ferait un père de famille avant de faire des dépenses ; il commencerait par payer ses dettes et surtout les dettes exigibles.

Il me semble donc que la voie où entre le gouvernement, en commençant par proposer des dépenses sans s’inquiéter des besoins, est vicieuse.

Messieurs, s’il ne s’agissait que de décréter une augmentation de traitement en faveur des juges de paix, je serais le premier à me rallier à cette opinion, et pourquoi ? Parce que l’on a augmenté en 1832 les appointements de tous les membres de la magistrature, à l’exception des juges de paix, que nous avons renvoyés seuls à une époque meilleure.

La cour de cassation, les cours d’appel, les tribunaux ont été compris dans la loi de 1832 ; on n’a pris, quoiqu’on ait pu dire, aucun engagement envers les membres de ces corps judiciaires. Les juges de paix seuls n’ont pas été augmentés ; l’on a remis cette majoration à des temps meilleurs. Il est donc temps de faire pour eux ce que l’on a fait pour les autres. S’il ne s’agissait que de cela, je serais le premier à donner mon vote à la loi qui vous est soumise, parce que ce serait une question de justice distributive. Mais est-ce un acte de justice distributive que d’augmenter les traitements qui déjà ont été augmentés ? Je ne le crois pas.

On a beaucoup parlé de l’indépendance de la magistrature, de la considération dont elle devrait jouir. Il y aurait beaucoup à dire sur ce chapitre. Pour moi, je crois que l’indépendance de la magistrature ne consiste pas dans une augmentation que quelques cents francs de traitement. La magistrature ne serait donc indépendante que quand on aurait augmenté ses traitements ? mais veuillez y réfléchir ! N’est-ce pas déclarer que la magistrature n’a pas été jusqu’à présent indépendante ? S‘exprimer ainsi, c’est faire à la magistrature le plus sanglant outrage.

La magistrature est indépendante, très-indépendante. Elle continuera de l’être, sans qu’il soit nécessaire, pour cela, d’augmenter ses traitements. L’élévation des traitements ne fait rien à l’indépendance du juge ; ainsi la magistrature, alors même qu’elle était mieux rétribuée, n’a pas toujours montré la même indépendance. Vous avez pour témoin ce qui s’est passé sous le roi Guillaume.

Ici, l’indépendance dont on nous parle est un grand mot qu’on emploie pour obtenir une augmentation de traitement. Mais les traitements actuels sont certainement bien suffisants pour assurer l’indépendance de la magistrature. Cette question d’indépendance n’est en pas une dans la discussion qui nous occupe.

Messieurs, toute la question qui surgit de nos débats est celle-ci : la magistrature est-elle, oui ou non, suffisamment rétribuée ? c’est là la seule chose à examiner en ce moment. Or, si vous voulez placer la question sur ce terrain, vous serez obligés de reconnaître qu’il n’y a pas en Belgique de position plus convenablement rétribuée, et surtout de position plus favorisée que celle des magistrats ; et cette solution deviendra encore plus évidente si vous comparez leur position à celle des magistrats des pays voisins, vous verrez que c’est en Belgique qu’ils sont le mieux rétribués. Ainsi, il est évident que rien ne justifierait une augmentation.

Je ne reproduirai pas les arguments présentés par mon honorable ami M. Castiau ; quoiqu’on ait tenté de les réfuter, ces arguments sont restés sans réfutation.

L’indépendance, la considération de la magistrature, ne consistent en aucune manière, en une légère augmentation de traitement. L’indépendance du juge, ce n’est autre chose que le sentiment de la dignité de son siège ; la considération, il doit la puiser dans l’exemple du désintéressement et non dans la solution d’une question d’argent. Ce n’est pas en demandant une augmentation de traitement, en se présentant en suppliante que la magistrature augmenterait sa considération.

M. Verhaegen – La magistrature n’a rien demandé.

M. Dumortier – Soit, mais on a demandé en son nom, et vous-même n’avez-vous pas dit vingt fois qu’elle réclamait des augmentations ?

Messieurs, comment les choses se sont-elles passées depuis la révolution ? A la suite de notre émancipation politique, en présence du grand mot « économie » inscrit sur nos barrières, loin d’augmenter les traitements des autres départements, nous avons notablement réduit une grande partie des traitements des fonctionnaires publics, et dans le même moment nous avons amélioré la position des juges.

Ainsi les ministres avaient un traitement de 20,000 fr., soit 42,000 fr. ; vous l’avez réduit de moitié ; vous avez fixé à 21,000 fr. le traitement des ministres. Dans le même moment nous augmentions les traitements de la magistrature !

Aux affaires étrangères, les traitements avaient atteint un chiffre monstrueux. Ainsi l’ambassadeur des Pays-Bas à Londres avait un traitement de 100,000 florins, nous l’avons réduit à 70,000 fr., c’est encore fort bien mais toujours est-il qu’il y a une réduction de 140,000 fr., ou des deux tiers environ ; et, dans le même moment, nous augmentions les traitements de la magistrature.

Les gouverneurs de province avaient un traitement de 10,000 fl., ou (page 95) 21,000 fr. ; nous l’avons réduit à 15,000 fr. Et dans le même moment nous augmentions les traitements de la magistrature !

Les évêques avaient 21,000 fr., nous avons réduits leur traitement à 15,000 fr. Et dans le même moment nous augmentions les traitements de la magistrature.

Les commissaires de district ont été également réduits à la chétive somme de 15 à 1700 francs. Les petits percepteurs des finances ont été réduits au-delà de ce qu’on peut dire. Et dans le même moment nous augmentions les traitements de la magistrature !

Et c’est lorsqu’on a agi ainsi, que l’on vient nous parler de l’état pénible de la magistrature, qu’on vient représenter la magistrature comme étant dans un état d’infériorité. Mais c’est réellement de la dérision !

Messieurs, ce n’est pas lorsque la magistrature a joui de telles faveurs, lorsqu’elle a vu ses traitements augmentés, sa considération amplifiée, lorsqu’elle a été douée de cette inamovibilité qui a une valeur inappréciable, qu’il faut représenter sa position comme déplorable. En présence des faits que je viens de signaler, j’ai dit qu’il n’y a pas de position plus favorisée en Belgique que celle de la magistrature, favorisée par des augmentations de traitement qu’elle a reçues, favorisée par la puissance de son organisation, par ses avancements rapides, favorisée surtout par cette indépendance, cette inamovibilité qui la place au premier rang des fonctionnaires publics et la met à l’abri de toutes les vicissitudes, j’ajouterai aussi favorisée par le peu de choses qu’elle a à faire. Car certainement personne ne comparera la besogne d’un membre de l’ordre judiciaire à celle d’un ministre, d’un gouverneur, d’un évêque, ni même à celle d’un commissaire de district, d’un employé des finances, dont le travail est de touts les jours, de tous les instants.

Les membres de l’ordre judiciaire siègent trois fois par semaine pendant quelques heures. C’est vraiment un otium cum dignitate.

M. Verhaegen – Les autres jours ils délibèrent.

M. Dumortier – Ou ils se reposent. Ils ont, de plus, deux mois de vacances. Tout cela forme des avantages très-considérables que ne possède aucun fonctionnaire public.

Remarquez en outre, messieurs, que tandis que les premiers pas dans les carrières administratives sont lents et pénibles, dans la magistrature vous entrez d’emblée avec une position faite, un bon traitement. De plus, il n’y a pas, en Belgique, de situation où il y ait lieu et où il y aura toujours un avancement aussi rapide. Pourquoi ? Parce que, dans la magistrature, les corps élevés sont extrêmement considérables en raison des corps inférieurs. Un avocat qui entre dans l’ordre judiciaire commence pour toucher un traitement de 2 à 3 mille francs. Ce sont les traitements les moins élevés. Au bout de quelques années, il demande de l’avancement ; il l’obtient et a un traitement de 5 mille francs. Quand il devient plus âgé, il sollicite un siège à la cour de cassation et il en devient membre.

Mais où sont donc les carrières où vous avez de pareilles augmentations de traitements et un pareil système d’ascension ? Rien de semblable n’existe dans aucune fonction publique. Cela est tellement vrai qu’aujourd’hui à la cour d’appel de Bruxelles il n’y a plus qu’un seul conseiller qui ait fait partie de cette cour sous le roi Guillaume. Cependant, quinze années seulement nous sépare du gouvernement précédent.

Vous le voyez donc, il faut aussi tenir compte de l’ascension qui est réellement un grand bénéfice, bénéfice qui se répartit sur un très-petit nombre de personnes.

Voulez-vous, messieurs, comparer les traitements de la magistrature en Belgique avec les traitements de la magistrature dans les pays voisins ? Jetez les yeux sur les budgets de France ; parcourez les villes qui vous environnent et partout on vous répondra. Allez à Douai, par exemple. Vous apprendrez qu’un conseiller à la cour d’appel de Douai, comme à toutes les cours de France, cinq exceptées seulement, a 2,850 fr. de traitement.

Un membre – Trois mille francs.

M. Dumortier – Pardonnez-moi. J’étais à Douai, il y a cinq jours ; j’ai été trouver des conseillers ; ils m’ont dit qu’ils recevaient 2,850 fr. de traitement et que, s’ils en recevaient 3,500 ou 4,000, ils se trouveraient fort heureux. Le traitement était en principe fixé à 3,000 fr., mais depuis 1814, il a été fait une retenue de 5 p.c. à titre de dépenses de guerre Il y a aujourd’hui prescription ; on n’en parle plus, et le traitement se trouve réduit à 2,850 fr.

Quel est, en France, le traitement des juges ? Mais allez encore dans ces villes ; on vous le dira partout. Le traitement des juges est de 16 à 1,800 fr. Et ici les traitements sont de 2 à 3,000 et à 3,600 fr., et l’on se plaint d’un tel ordre de choses comme d’un état pénible !

Réellement, cela est inconcevable. Quant à moi, je vous déclare que je ne vois pas les motifs des augmentations que l’on demande, alors que le trésor se trouve dans un pareil état de gêne, alors que nous nous trouvons en présence de lourdes impositions et de beaucoup de besoins.

L’honorable M. Verhaegen, pour défendre la proposition qu’il a faite dans le temps, nous a dit que la magistrature occupait un rang élevé, qu’elle traitait avec le gouvernement de puissance à puissance ; et l’honorable M. Malou, qui a pris aussi la défense des augmentations de traitement, s’est appuyé principalement sur ce qu’elle avait, en Belgique, un caractère démocratique.

D’abord, que la magistrature ait un caractère démocratique, puisqu’elle se recrute elle-même, c’est vrai. Mais faut-il en conclure qu’on doive pour cela augmenter ses traitements ? Si nous examinons ce qui se fait dans nos institutions démocratiques, vous trouverez dans ce caractère de la magistrature, non pas un motif pour augmenter les traitements, mais un motif pour les diminuer. En effet, tout ce qui, dans ce pays, tient à l’élément populaire, tout ce qui émane du peuple n’a que des traitements très-faibles, n’a pas de pension, pas d’avancement, ou même n’a pas de traitement. Ainsi, nous qui siégeons ici, avons-nous droit à une pension pour les services que nous rendons au pays pendant une partie de notre vie ? Nous aurons vieilli en servant le pays ; nous nous retirerons, nous ne serons pas réélus, et nous n’aurons pas de pension ! Pourquoi ? parce que nous émanons de l’élément démocratique.

Les conseillers provinciaux ont-ils droit à un traitement ? Et les tribunaux de commerce, qui eux aussi forment une magistrature, un sacerdoce, où donc est le traitement qu’ils touchent ? Reconnaissons-le : dans nos institutions, on s’est partout montré très-parcimonieux pour les autorités qui naissaient de l’élément démocratique.

Ainsi, loin que ce caractère démocratique soit un motif pour augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire, ce serait comme je l’ai dit, un motif pour les diminuer, alors surtout que ce caractère démocratique peut engendre de très-grands inconvénients pour l’Etat ; et ces inconvénients me conduisent à rencontrer l’observation de M. Verhaegen.

En Belgique, messieurs, c’est précisément ce que je ne veux pas. Oui, la magistrature traite avec le gouvernement de puissance à puissance ; mais il est regrettable de le dire, la magistrature traite avec l’Etat comme de grande puissance à petite puissance. Dans l’absence d’une loi sur les conflits, quel est le spectacle affligeant qui se présente chaque jour à nos yeux ? Nous voyons continuellement la magistrature envahir sur le domaine du pouvoir législatif, du pouvoir dont le dépôt nous est confié, et de qui émanent tous les pouvoirs en Belgique ?

Vous rappellerai-je ici certains arrêts ? Je vous le demande, comment qualifier un tribunal qui condamne la Belgique à payer le traitement de Mgr de Broglie, du jour de sa déplorable destitution jusqu’à sa mort ? Messieurs, je regrette beaucoup Mgr de Broglie ; j’ai déploré l’acte brutal qui l’a destitué ; mais est-ce là un motif pour que la Belgique soit condamnée à payer les violences du roi Guillaume ?

Des augmentations de traitements, des « toelagen », des traitements d’attente avaient été accordés par le roi Guillaume à des favoris ; la chambre les rejette ; on attaque le gouvernement belge devant les tribunaux, et nous serions obligés à payer ce que nous avions rejeté dix fois ! Nous avons, par dix votes successifs, repoussé les réclamations, quant à ces traitements d’attente, nous l’avons fait après de longues discussions, et voici qu’un seul arrêt de la justice nous oblige à revenir sur nos votes.

M. Verhaegen – Nous n’avons pas à critiquer la justice.

M. Dumortier – Moi je la critique.

M. Verhaegen – Vous n’avez pas ce droit.

M. Dumortier – Nous ne sommes pas ici des avocats, ni des juges, mais les représentants du peuple, appelés par notre mandat à tout contrôler en Belgique et à empêcher des empiétements sur nos prérogatives, empiétements qui mènent droit à l’anarchie des pouvoirs. Pour nous, c’est non-seulement un droit, c’est notre devoir. Nous avons certainement le droit de rejeter les budgets lorsqu’ils renferment des allocations que nous n’approuvons pas, et nous ne pouvons déléguer à l’ordre judiciaire le droit de voter les dépenses de l’Etat.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la parole.

M. Dumortier – Dans une province voisine, une contestation s’élève à l’occasion du vote de la chambre relativement à la reprise des canaux et des rivières par l’Etat. La chambre, sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur, décrète que l’Etat reprendra certaines rivières et certains canaux qui jusqu’alors avaient été laissés à une province. Cette province attrait l’Etat devant les tribunaux pour se voir condamné dans le vote de ses représentants. Que fait la cour ? Elle se déclare compétente ; elle dit qu’elle a le droit d’examiner cette question, alors que les deux chambres l’avaient souverainement décidée.

Je vous le demande, n’est-ce pas monstrueux ? n’est-ce pas un empiétement de pouvoirs qui mène droit à l’anarchie. Vous dites qu’en Belgique les tribunaux traitent avec le gouvernement de puissance à puissance. Oui, mais je le répète, elle traite de grande puissance à petite puissance.

Je dis que la première chose qu’il nous faut, c’est une bonne loi sur les conflits, pour empêcher le retour de pareils empiétements, de pareils désordres. Il ne faut pas que le pouvoir judiciaire puisse absorber le pouvoir législatif qui représente la nation. Restons chacun dans nos attributions ; respectons les arrêts des tribunaux, et que les tribunaux respectent nos prérogatives, nos prérogatives qu’un devoir impérieux doit toujours nous commander de défendre ! Dans toutes les questions qui sont du ressort des chambres, du domaine législatif, les tribunaux n’ont rien à faire, autrement ce serait une perturbation continuelle en Belgique, une véritable anarchie.

Je demanderai donc à M. le ministre de la justice, qui nous a présenté plusieurs bonnes lois sur son département, de vouloir nous dire si nous aurons bientôt une loi sur les conflits. J’attache une très-grande importance à avoir cette loi, pour faire cesser ces désordres judiciaires et ne plus voir les tribunaux venir envahir sur les prérogatives du parlement.

C’est, messieurs, en présence de pareils faits, lorsque la magistrature empiète ainsi sur nos prérogatives, qu’on vient nous demander encore des augmentations de traitements en sa faveur ! Que chacun reste dans son domaine, et tout sera pour le mieux. Mais lorsqu’on vient se poser en législateur, qu’on vient voter des dépenses et nous obliger à les payer, c’est réellement aller trop loin !

(page 96) Messieurs, avant de voir si nous devons employer notre excédant de recettes à des augmentations de traitements, il serait bien plus sage d’examiner s’il n’y a pas des augmentations de choses à faire, et surtout s’il n’y a pas de réductions d’impôts à apporter. Nous avons en Belgique des impôts qui grèvent au plus haut point le contribuable. De tous les côtés il n’y a qu’un cri contre les vexations fiscales qui se commettent en ce moment, et qui ont le caractère le plus odieux.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – C’est inexact.

M. Dumortier – C’est la vérité, et vous serez rendu responsable par moi de ces vexations.

Chaque jour le gouvernement est condamné pour les vexations et les poursuites qu’on intente aux particuliers. Vous obtenez des recettes par ce moyen ; mais ce sont des recettes odieuses dont je ne veux pas !

Messieurs, avant d’augmenter les dépenses publiques par l’accroissement des traitements, il est plusieurs impôts qui devraient être réduits. Vous avez l’impôt personnel, l’impôt des patentes, qui pèse si lourdement sur les classes laborieuses de la société, et qui est si odieux en Belgique. On avait promis, à la révolution, de diminuer cet impôt. On l’a fait d’abord ; mais les nécessités de la guerre nous ont mis dans la dure nécessité de les augmenter ensuite, et ces lourds impôts, les plus onéreux pour les contribuables, pèsent encore sur le peuple£.

Et l’on voudrait augmenter les dépenses, au lieu de réduire ces impôts qui ne contribuent nullement à rendre le gouvernement populaire !

Pour moi, messieurs, je voudrais, avant de voter des budgets semblables à la loi que nous discutons, examiner ce que nous avons à faire de l’excédant de crédit, discuter loyalement l’emploi que nous avons à lui donner, et nous trouverions à l’appliquer à des dépenses bien plus utiles que des augmentations de traitements, qui sont bien suffisants, et à réduire les impôts que l’on avait promis, en 1830, de diminuer. Ce serait là remplir les promesses de la révolution, promesses que la nation a bien droit de voir enfin se réaliser.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable préopinant vient de parler de prétendues vexations. Il ferait bien de citer des faits au lieu de se borner à de simples allégations

Je déclare que jamais les impôts ne sont rentrés avec moins de poursuites qu’à l’époque actuelle. Ils sont recouvrés avec facilité. Jamais le département des finances n’a reçu moins de réclamations du chef de poursuites contre les contribuables.

J’en fait ici la déclaration formelle, et les allégués de l’honorable membre sont complètement inexacts.

M. Dumortier – Messieurs, il n’est point dans mes habitudes de répondre aux interpellations des ministres ; les ministres n’ont pas le droit d’interpeller les membres de cette chambre ; tout ce qu’ils ont à faire, c’est de répondre aux interpellations que nous leur adressons ; mais enfin, puisque M. le ministre des finances me reproche de me renfermer dans des accusations vagues, je lui dirai qu’à l’occasion de l’exécution de la seule loi des droits différentiels, il y a eu à Anvers 50 protêts en un seul jour.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – C’est une question d’interprétation de la loi qui reste à examiner.

M. Dumortier – Si cette interprétation est vicieuse !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je n’ai pas demandé la parole pour répondre au discours que vient de prononcer l’honorable M. Dumortier, en ce qui concerne la loi même qui vous est soumise ; déjà trois fois, dans cette discussion, j’ai développé les motifs qui me portent à soutenir le projet dont vous êtes saisis, en vous faisant voir le but utile que la loi doit atteindre. J’ai demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable M. Dumortier attaquer d’un manière violente le pouvoir judiciaire et les décisions qu’il a rendues ; je dois exprimer le sentiment d’étonnement et de peine que j’ai éprouvé en entendant les paroles de l’honorable membre. La doctrine avancée par l’honorable M. Dumortier aboutit à une véritable confusion de pouvoirs, dont les conséquences seraient graves et déplorables. Si le pouvoir législatif se croyait en droit de contrôler les arrêts du pouvoir judiciaire et de proclamer qu’il ne faut pas les respecter, le pouvoir judiciaire ne pourrait-il pas, de son côté, s’arroger le droit de contrôler les actes du pouvoir législatif, examiner si ces lois sont bonnes ou mauvaises, si elles sont, oui ou non, contraires à la constitution ?

Eh bien, messieurs, je le demande, si le pouvoir judiciaire agissait ainsi, n’amènerait-il pas une véritable anarchie, et le pouvoir législatif n’encourrait-il pas le même reproche s’il entrait dans la voie que lui indique l’honorable M. Dumortier ? L’art. 30 de la constitution doit être une vérité, de même qu’il est une garantie pour tous. Le pouvoir judiciaire agit dans le cercle des ses attributions avec la même indépendance que le pouvoir législatif ; et je ne crains pas de le dire, il n’appartient à aucun membre de cette chambre d’attaquer la force obligatoire des arrêts souverainement rendus.

M. Dumortier a demandé, à cette occasion si le gouvernement présenterait bientôt une loi sur les conflits. Je me suis occupé de cette question, qui est excessivement grave, et je puis annoncer à l’assemblée qu’avant un mois elle sera probablement saisie d’un projet de loi sur cette matière importante.

M. Dolez – Messieurs, je ne comptais point prendre part à ce débat dans lequel déjà tant d’orateurs s’étaient fait entendre ; je croyais n’avoir à y apporter d’autre tribu que celui de mon vote. Mais le silence que j’étais disposé à garder, quelques paroles de l’honorable M. Dumortier sont venues me forcer à le rompre.

Je comprenais, messieurs, qu’on pût différer d’opinion sur le principe de la loi, et je respectais la conviction de ceux de mes collègues qui ne croyaient point devoir s’associer à ce que je regarde, pour mon compte, comme un acte de haute justice ; mais je ne m’attendais pas, je l’avoue, à voir la magistrature citée en quelque sorte à cette barre pour y entendre méconnaître ses travaux et censurer ses arrêts. C’est pourtant ce que vient de faire l’honorable M. Dumortier.

C’est avec un profond sentiment de regret que j’ai entendu cet honorable orateur, au moment où il se livrait à l’appréciation de l’étendue des travaux du magistrat, repousser par l’expression d’un doute énergique l’intervention d’un collègue qui siège de ce côté de la chambre, qui lui avait rappelé les nombreuses séances de délibérations qui occupent le magistrat, pendant les jours qu’il ne consacre pas aux audiences. Emettre un tel doute, c’est douter de la justice elle-même.

M. Dumortier – Vous ne m’avez pas compris.

M. Dolez – Je crois pourtant que vos paroles étaient faciles à saisir. L’honorable M. Verhaegen vous rappelait que, quand les magistrats ne siégeaient pas, ils délibéraient, et vous avez répondu qu’ils délibéraient ou ne délibéraient pas !

M. Dumortier – Les trois autres jours !

M. Dolez – Je suis heureux d’entendre l’honorable M. Dumortier expliquer sa pensée ; c’était contre celle que semblaient comporter ses paroles que j’avais senti le besoin de protester. Par les travaux de ma carrière, j’ai l’honneur d’être chaque jour le témoin des travaux de la magistrature, le témoin de l’assiduité et du zèle consciencieux avec lesquels elle s’y livre ; une protestation devait donc jaillir de ma conscience, lorsque je croyais qu’on venait les révoquer en doute. C’est à cette impression que j’ai cédé, en demandant la parole. L’explication de l’honorable M. Dumortier, quant à ce point, et la réponse que lui a fate M. le ministre de la justice, quant à ce qu’il a dit de certains arrêts que l’honorable membre a rendus l’objet de sa censure, pourraient me permettre de m’arrêter. Je demanderais pourtant à la chambre la permission de lui soumettre rapidement quelques observations sur le projet de loi lui-même.

On a, messieurs, contesté à ce projet le seul caractère qui puisse lui appartenir, celui d’un acte de justice ; je ne puis croire qu’on soit parvenu à le lui ravir. Je ne crois pas d’abord qu’il soit exact, comme le dernier orateur l’a sans cesse avancé, que la magistrature, en général, ait vu améliorer sa position depuis les événements de 1830. Il est vrai qu’une partie de la magistrature, les membres des tribunaux de première instance, ont vu augmenter leurs traitements par la loi de 1832, mais il est vrai aussi que la magistrature supérieure, celle des cours d’appel, a vu, au contraire, diminuer ses traitements.

En effet, messieurs, les conseillers des cours d’appel recevaient, avant 1830, un traitement normal de 5,000 francs, ils recevaient une indemnité de 1,000 francs comme faisant le service de la cour de cassation, et, enfin, toutes les fois qu’un membre de la cour était envoyé en mission pour présider une cour d’assises, il recevait une indemnité de 900 francs, ce qui faisait à peu près 7,000 francs. Aujourd’hui, le traitement est réduit à 5,000 francs, et l’indemnité de présidence des cours d’assises se borne à 500 fr. Cette partie de la magistrature a donc subi une diminution de traitement, bien loin de recevoir une augmentation, comme le disait l’honorable membre.

Il faut, du reste, messieurs, considérer la question non point comme beaucoup d’orateurs l’ont fait, au point de vue de ce qui se passe dans un autre pays, mais surtout au point de vue des nécessités du nôtre. En France, messieurs, la magistrature se recrute encore, dans beaucoup de cours, parmi les anciennes familles de parlements, dans les familles opulentes dont les membres peuvent se passer de traitements de quelque importance ; je puis comprendre sans peine que les traitements soient modiques ; mais je ne le comprends pas chez nous, où la magistrature presque toute entière appartient à l’élément populaire.

Il y a quelques mois, lorsque, d’accord avec l’honorable M. Dumortier et d’autres de nos collègues, je proposais dans cette enceinte d’accorder une pension aux ministre, j’invoquais, à l’appui de la proposition, ce grand principe populaire qui domine dans nos institutions, en vertu duquel les fonctions publiques sont accessibles à tous les citoyens. Je ne fais aujourd’hui que me montrer fidèle à ce principe, que je regrette de voit complètement déserté par l’honorable M. Dumortier.

Ne pas accorder un traitement convenable aux membres de l’ordre judiciaire, c’est interdire l’accès de la magistrature à l’élément populaire Et qu’on ne dise pas, comme on l’a trop répété dans ce débat, que cette crainte n’est pas sérieuse, puisque les candidats ne manquent pas chaque fois qu’une place devient vacante.

Il est vrai, messieurs, que les candidats sont généralement assez nombreux ; mais a-t-on bien interrogé la cause de ces nombreuses candidatures ? Ne s’est-on pas mépris en y trouvant la preuve que les avantages attachés aux fonctions judiciaires sont ce qu’ils doivent être ? Pour moi, messieurs, je n’hésite point à le croire. Si tant de candidats se présentent pour occuper des fonctions mal rétribuées, j’en accuse cette imprévoyance qui pousse une foule de personnes vers la carrière des emplois ; j’en accuse surtout ce grand mal de notre époque, cette impatience qu’éprouve la jeunesse d’acquérir une position toute faite, sans calculer si cette position suffira plus tard aux exigences de sa carrière. Aussi n’arrive-t-il que trop souvent que le magistrat ne voit plus qu’une cause de regrets dans la position qu’il avait avidement convoitée et à laquelle il se trouve fatalement enchaîné, arrivé qu’il est à une époque de la vie où une nouvelle carrière ne se forme pas ! Trop souvent les besoins impérieux de la famille lui font sentir que sa position ne lui suffit pas et lui font éprouver le regret de l’avoir acquise.Or, messieurs, (page 97), c’est un grand mal politique et social que de voir les fonctionnaires mécontents de la position qu’ils occupent dans l’Etat.

On nous a parlé, messieurs, de la comparaison entre les traitements des fonctionnaires de l’ordre judiciaire et ceux des fonctionnaires de l’ordre administratif, de l’ordre militaire et de l’ordre ecclésiastique, et l’on nous a fait remarquer quelle différence, au préjudice de la magistrature, résultait de cette comparaison ; mais il est un autre élément de la question que je n’ai point entendu signaler à la chambre, et que je crois devoir lui soumettre. Dans l’ordre administratif, le jeune homme à peine sorti du collègue, occupe immédiatement une position qui, quelque modeste qu’elle soit, est cependant lucrative : à 18, à 19, à 20 ans, l’employé de l’ordre administratif reçoit un traitement ; il voit ce traitement s’accroître d’année en année ; il voit ses services s’accumuler, et lui former des titres à l’ancienneté et à une pension importante ; le magistrat, au contraire, passe une grande partie de sa vie à des études qui, non-seulement sont improductives, mais qui absorbent presque toujours le faible patrimoine qu’il peut tenir de sa famille. Jusqu’à 30 ans l’homme qui se destine à la magistrature dépense tout son temps et un capital important, pour acquérir le savoir dont il a besoin, et lorsqu’à 30 ans il aborde la carrière judiciaire, il ne la touche que par ses premiers degrés.

Ainsi, messieurs, dans l’évaluation de ce traitement si modeste, si humble que l’on donne au magistrat, il faut tenir compte du capital important qu’il a dépensé pour ses études et du capital non moins important des années qu’ils a consacrées à acquérir les connaissances dont il a besoin. Si vous ajoutez, messieurs, cet élément d’appréciation à ceux qui nous ont déjà été indiqués par plusieurs de mes honorables collègues, n’est-il pas évident qu’aucun ordre de fonctionnaires n’est aussi mal traité que la magistrature ?.

Ensuite, messieurs, le magistrat n’a-t-il point des charges qui résultent de sa position, non pas de ces charges de luxe que certains membres ont si vainement supposé que nous voulions entrevoir pour la magistrature, mais des charges inhérentes à sa profession, telle que l’obligation de se procurer et d’accroître chaque jour une bibliothèque importante, l’obligation de se tenir au courant de la science en achetant tous les livres nouveaux, de s’abonner aux recueils de jurisprudence et aux bulletins de lois ? Tout cela diminue encore le faible traitement du magistrat, et lorsqu’à la fin de l’année, il a tenu compte de l’intérêt du capital qu’il a dépensé pour ses études, lorsqu’il a tenu compte des sommes consacrées à la formation et à l’accroissement d’une bibliothèque, le traitement qui lui reste se réduit à bien peu de chose.

Oui, sans doute, messieurs, il faut que le magistrat se livre à une vie de méditation, à une vie de retraite ; oui, sans doute, il faut qu’il reste étranger aux agitations du monde, mais il faut tout au moins que la gêne ne soit point à son foyer domestique, il faut tout au moins qu’une tentative mauvaise ne puise jamais trouver accès auprès de lui. Eh bien, messieurs, voyez ce que coûte l’existence la plus modeste dans chacune de nos villes, et dites-moi s’il est possible que le magistrat le plus humble, le plus adonné à la vie de retraite, puisse avec son traitement subvenir aux besoins de sa famille ? Je ne demande point pour lui la possibilité d’avoir une existence de luxe, mais je demande pour le magistrat la possibilité de maintenir ses enfants dans la position que lui-même occupe. Je demande pour lui la possibilité d’envoyer ses fils à nos écoles publiques, aux universités, pour qu’ils puissent devenir magistrats comme lui ; voilà tout ce que je demande.

Je rencontrais tout à l’heure l’argument sur lequel on a surtout insisté, c’est-à-dire le nombre des candidats qui se présentent toutes les fois qu’une vacature se produit dans la magistrature ; mais tous les honorables membres qui caresse cet argument, sont d’avis qu’il faut améliorer la position des juges de paix. Eh bien, pour les fonctions de juge de paix, quelque modestes qu’elles soient, les candidats ne manquent pas non plus ; les candidats sont même plus nombreux pour les places de juge de paix que pour celles de conseiller dans les cours supérieures.

Je vois l’honorable M. de Naeyer faire un signe négatif ; je puis lui affirmer qu’il en est bien ainsi, et que le nombre des postulants est bien plus considérable pour les justices de paix qu’il ne l’est pour les degrés plus élevés de la magistrature.

En outre, le juge de paix habite presque partout la campagne ; il lui est libre de se livrer à des travaux d’agriculture, il lui est libre d’avoir une position seconde qui améliore la position de magistrat qu’il occupe. Du reste, je ne suis pas contraire aux propositions qui sont faites en faveur des juges de paix ; je les appuierai de mon vote. Je les crois basées sur la plus stricte justice ; mais je signale ce fait que les candidats abondent pour les justices de paix, pour démontrer que cette abondance de candidats n’est point une preuve que la position qu’ils réclament soit convenablement rétribuées ; je la signale pour renverser l’objection la plus spécieuse qui ait été produite par ceux qui refusent à la magistrature des tribunaux et des cours toute amélioration de position, et qui gardent toute leur sympathie pour les juges de paix.

Dans la séance d’hier, un honorable collègue, adversaire du principe de la loi, a prétendu que la plus grande partie du temps des magistrats se passait en repos, en vacances.

Il est vrai que l’ordre judiciaire et toutes les carrières qui s’y rattachent, jouissent de l’avantage d’avoir un repos de deux mois. Mais ce repos n’est-il donc pas nécessaire à celui qui passe toute sa vie aux travaux les plus ardus qui puissent occuper l’intelligence humaine, à l’homme qui, tous les jours, se livre à la discussion des questions les plus difficiles de droit ? D’ailleurs, ces vacances, dans le ressort dans lesquels j’ai l’honneur d’exercer ma profession d’avocat, ces vacances ne sont pas de trois mois, comme l’a dit cet honorable membre, mais seulement de deux mois. La cour d’appel de Bruxelles et les tribunaux de son ressort ont repris le cours de leurs travaux dès le 17 octobre dernier ; le 17 octobre j’avais l’honneur de plaider devant la cour.

Un membre – Et les vacances de Pâques ?

M. Dolez – La cour d’appel de Bruxelles et les tribunaux de son ressort siègent le lundi de Pâques. Je puis le garantir encore.

Ne pensez pas d’ailleurs, messieurs, que pendant les vacances la justice soit désertée, que les citoyens dont les intérêts seraient en péril, s’ils n’obtenaient immédiatement justice, soient dans l’impossibilité de l’obtenir ; non, messieurs, si la justice se repose, elle ne dort pas. (On rit.) Il y a des chambres de vacation en permanence, pour vider les questions urgentes. Ainsi le repos accordé à la magistrature se réduit au plus strict nécessaire.

Messieurs, en terminant j’éprouve le besoin de le redire, les quelques observations que je viens d’avoir l’honneur de soumettre à la chambre, m’ont été inspirées par les paroles que l’honorable M. Dumortier a prononcées ; je ne comptais point prendre part au débat actuel, sauf peut-être en ce qui concerne la discussion de quelques articles. Je dois donc réclamer l’indulgence de la chambre pour le désordre et la rapidité avec lesquels j’ai présenté mes idées.

M. Castiau – A mon tour, messieurs, je dois m’approprier les dernières paroles de l’orateur que nous venons d’entendre ; comme lui, je vais réclamer l’indulgence de la chambre ; seulement ce qui était pour lui une précaution oratoire superflue, devient pour moi une nécessité ; l’indulgence de la chambre m’est d’autant plus nécessaire que c’est la seconde fois que je prends la parole dans cette circonstance, et que pendant trop longtemps déjà j’ai abusé de la bienveillance de la chambre.

Aussi mon intention n’est-elle pas de répondre à toutes les parties du discours que nous venons d’entendre. Je m’attacherai uniquement à celle des considérations présentées par l’honorable membre, qui m’a le plus vivement frappé.

L’honorable membre a débuté par une considération d’une haute portée morale ; à l’occasion de l’influence des compétiteurs pour les fonctions judiciaires, affluence qu’il a dit exister pour tous les degrés de la hiérarchie, il vous a fait sentir quels étaient les inconvénients de cette recherche impatiente et inquiète des fonctions publiques par une partie de la jeunesse ; il a blâmé cette impatience d’acquérir d’emblée et dès le début dans la vie sociale, des positions dans la magistrature et des autres fonctions publiques. C’est là, en effet, il faut le reconnaître, une des maladies de notre siècle. Cette tendance, cette manie qui change une partie de la jeunesse en actifs solliciteurs, a pour effet de constituer au sein de la société une masse flottante qui se précipite vers les fonctions publiques avec acharnement, et qui se change aussitôt en mécontents lorsqu’elle n’obtient pas l’objet de ses désirs. Il y a donc là un grave danger ; mais après l’avoir signalé, ce danger, comment l’honorable préopinant n’a-t-il pas senti qu’il manquait à sa logique habituelle quand il est venu demander qu’on augmentât encore l’attrait qui porte déjà aujourd’hui tant d’ambitions vers les fonctions publiques ? N’est-ce pas là ajouter à la gravité du mal que l’honorable membre avait signalé ? N’est-ce pas développer, irriter davantage encore cet esprit d’envahissement des fonctions publiques par tant de compétiteurs impatients ? Après avoir déploré ces tendances fâcheuses, pourquoi n’a-t-il pas cherché, au contraire, à arrêter les ravages du mal, en s’opposant avec nous à cette augmentation de traitement qui va ajouter encore à l’activité des sollicitations ?

Je bornerai à ce peut de mots la seule observations que j’avais à faire, en réponse à l’honorable préopinant, car je n’avais pas pris la parole pour prolonger inutilement le débat et rentrer dans la discussion générale ; je l’avais demandée pour donner une explication toute personnelle à M. le ministre de la justice.

Déjà dans la séance d’hier, j’eusse été, à la rigueur, en droit de demander la parole pour un fait personnel, car s’il est vrai que MM. les ministres n’ont pas le droit d’interpellation, ainsi que vient de le prétendre l’honorable M. Dumortier, M. le ministre de la justice, il faut le reconnaître, a usé et abusé hier largement, je ne dirai pas de ce droit, mais de cette usurpation.

J’aurais donc pu à la rigueur demander la parole pour répondre immédiatement à ces interpellations personnelles qui se reproduisaient d’une manière fatigante, car mon nom tombait et retombait invariablement au commencement ou à la fin de chacune des périodes de M. le ministre. Mon intention cependant n’est pas de m’en plaindre en ce moment ; je n’attacherai pas plus d’importance qu’il n’en faut à cet incident assez futile ; j’irai même plus loin : je rendrai à M. le ministre de la justice, en cette circonstance, le bien pour le mal, et je lui donnerai franchement une explication à laquelle il paraissait hier attacher quelques importance.

Messieurs, il m’était arrivé de faire peser sur la tête de M. le ministre de la justice une double accusation : je l’avais accusé tout à la fois de positivisme et de matérialisme. Quant à l’accusation de positivisme, vous l’avez entendu, M. le ministre de la justice l’accepte, il s’en honore, il s’en glorifie. Le siècle, en effet, est tout positif, et dans un siècle aussi positif, il y a quelque mérite pour un ministre de la justice à passer pour un homme positif par excellence ! Mais, quant à l’accusation de matérialisme, il paraît que c’est bien autre chose ; c’est une accusation qui pourrait aujourd’hui ébranler un ministre ; aussi s’est-on empressé de protester contre cette accusation et de déclarer qu’on ne la comprenait pas ; et cependant pouvait-il exister quelque ambiguïté par le rapprochement des deux mots dont je m’étais servi ? Y avait-il là quelque chose qui pût faire croire que je faisais allusion à une question religieuse, quand je n’entendais parler que de la nécessité où se trouvait le ministre de faire prévaloir les questions d’intérêt matériel sur les questions d’intérêt moral ?

(page 98) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne l’ai pas cru un moment

M. Castiau – Cependant vous avez déclaré ne pas comprendre. Je tenais donc à faire disparaître le scrupule de conscience que vous paraissiez éprouver.

Je me suis empressé de retirer hier l’expression qui avait froissé la susceptibilité de M. le ministre ; je la désavoue de nouveau aujourd’hui ; je veux que l’orthodoxie de M. le ministre soit pour tous à l’abri de tout doute et de tout soupçon. Je désire cependant que cette orthodoxie ne le pousse pas trop loin ; qu’elle ne lui fasse pas oublier parfois l’impartialité si nécessaire dans l’exercice de ses attributions ; je désire qu’il se appelle que les citoyens, quelles que soient leurs opinions politiques et religieuses, sont tous égaux devant la loi, et devraient l’être également devant M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne l’ai jamais oublié !

M. Castiau - Il me reste maintenant à rétablir un fait qui a été quelque peu dénaturé par M. le ministre de la justice dans sa réponse. J’avais comparé notre organisation judiciaire actuelle avec les institutions anglaises, et en regard de notre ordre judiciaire si nombreux, j’avais fait apparaître l’Angleterre et ses douze jurés. M. le ministre de la justice m’a répondu, en ouvrant je ne sais quel recueil, l’almanach de la Grande-Bretagne, je pense, recueil dans lequel il a trouvé la nomenclature de 32 cours de justice qui existeraient en Angleterre. Mais ce que M. le ministre de la justice aurait dû vous dire, c’est que la plupart de ces 32 cours de justice, constituent des tribunaux d’exception, et non de droit commun. Si nous voulions faire aussi l’énumération de toutes les juridictions ordinaires ou exceptionnelles qui existent ou ont existé en France : cours prévôtales, cours martiales, cours spéciales, tribunaux administratifs, conseils de guerre et de révision, etc., nous arriverions à un nombre de juridictions exceptionnelles aussi considérables sans doute qu’en Angleterre. Ce que M. le ministre de la justice doit savoir, c’est qu’en Angleterre, pour le droit commun, il n’y a, en quelque sorte, qu’une seule cour, la cour des plaids communs, et que cette cour absorbe toutes les affaires de quelque importance. Ce qu’il doit savoir, c’est qu’il n’existe, comme juridiction régulière, que trois cours souveraines et que chacune de ces cours ne compte que quatre membres ; c’est, enfin, qu’ainsi que je l’ai annoncé, ces douze magistrats jugent les affaires importantes, tant au civil qu’au criminel, non-seulement dans l’immense ville de Londres, mais encore dans tous les districts de l’Angleterre qu’ils sont obligés de parcourir.

Voilà ce que M. le ministre de la justice doit savoir et ce qu’il aurait dû ajouter pour ne pas dénaturer l’importance que j’attachais au fait que j’avais invoqué. Du reste, si j’ai fait l’éloge de la magistrature anglaise, c’est bien moins au point de vue de l’économie que de la responsabilité, qui pèse sur elle. La responsabilité de la magistrature avec le système d’unité judiciaire cesse d’être un vain mot. Le magistrat est obligé de répondre de ses œuvres devant les justiciables et devant l’opinion ; il ne peut pas se réfugier derrière les délibérations mystérieuses d’une chambre du conseil dont nul ne peut pénétrer le secret.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Et le jury ?

M. Castiau – Le jury n’existe que pour la question de fait. A côté de la question de fait se trouve la question d’application du droit pour laquelle la responsabilité surtout doit exister.

Elle n’existe et n’existera qu’autant que le magistrat qui la décide se trouve seul sur son siège. Elle n’existe pas là où il y a le concours simultané de plusieurs opinions et de plusieurs têtes ; où la délibération est l’œuvre de tout le monde et n’est l’oeuvre de personne, et où la publicité ne peut porter ses lumières et ses garanties. Aussi, malgré toute la confiance que je puis avoir dans la magistrature belge, et tout le respect que je puis professer pour son caractère, si j’avais le malheur d’avoir un procès, j’aimerais mieux être jugé par un seul magistrat responsable agissant sous l’œil de la publicité, que par trois, cinq ou sept juges ou conseillers irresponsables et protégés par un secret impénétrable.

Je terminerai, messieurs, en adressant quelques mots de réponse à des interpellations trop directes pour ne pas être relevées.

M. le ministre m’a dit : Mais vous qui poursuivez de vos reproches incessants le ministère ; vous qui prétendez qu’il ne fait rien, qu’il oublie et dédaigne les améliorations populaires, quels sont donc vos projets de réforme ? Qu’ai-je donc fait depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette enceinte, si ce n’est développer, et à satiété, tous ces idées de réformes, sur lesquelles on m’interpelle en ce moment ? N’ai-je pas demandé, avec une instance fatigante, et dans toutes les occasions, la première des réformes populaires, la révision de nos lois financières ? N’ai-je pas demandé qu’on dégrevât le peuple des impôts de consommation qui pèsent sur lui, et qu’on les remplaçât par des impôts sur le luxe, sur la richesse et le revenu ? Qu’ai-je fait, si ce n’est défendre l’amélioration des classes pauvres, et de remplacer d’abord l’humiliation de l’aumône par la dignité du travail ? Qu’ai-je fait, si ce n’est défendre en toute circonstance la cause de ces intérêts populaires et de reproduire, avec une véritable importunité, vingt projets de réforme ? Et quand il nous arrive de produire nos idées et nos plans d’améliorations, populaires, que fait-on ? On vous répond, comme l’a fait hier M. le ministre de la justice, le sarcasme à la bouche ; on nous dit que nous poursuivons des illusions et des chimères.

Eh bien, qu’on le sache ; nous n’en poursuivrons pas moins avec constance la réalisation de ces illusions et de ces chimères ; nous avons foi dans nos doctrines et dans l’avenir, et nous avons pour nous deux puissances irrésistibles, celle du temps et celle des idées.

Je n’en poursuivrai pas moins aussi l’inaction et l’apathie du gouvernement à l’endroit des intérêts populaires. Je persiste à soutenir qu’à l’exception de ce qu’il a fait, sous l’influence de la chambre, pour les tisserands des Flandres, le gouvernement n’a rien fait encore dans l’intérêt des classes ouvrières. Il n’a pas même préparé ce projet de loi sur le travail des enfants dans les manufactures, dont il avait lui-même proclamé l’urgence.

On avait porté, il y a un an, l’annonce de ce projet dans cette enceinte avec une sorte d’ostentation, et depuis lors il n’en a plus été une seule fois question.

Le ministère lui-même n’a-t-il pas du reconnaître, hier, que le gouvernement, au lieu d’être à la tête des idées de progrès, se traînait, au contraire misérablement, à la suite des efforts individuels ; il vous a parlé d’une maison de refuge qui existe à Namur pour les femmes libérées ; il a fallu pour cela le zèle individuel. Ces ateliers de refuge, ces sociétés de patronage, ils existent dans d’autres pays ; depuis quinze ans déjà, ils devraient exister en Belgique, et l’on en est encore à un essai tout individuel, quand le gouvernement aurait dû prendre l’initiative !

Aussi, je dois le dire hautement, je n’ai pas grande foi dans les améliorations populaires qu’on pourrait attendre encore en ce moment de M. le ministre de la justice. Loin d’attendre des améliorations libérales et progressives du ministre de la justice, nous ne pouvons pas même obtenir les améliorations législatives usuelles les plus urgentes et qui devraient aller le mieux à un esprit tout positif comme veut le paraître le ministre.

Dans un pays voisin, où certes l’innovation est accueillie avec assez de faveurs, on a réalisé depuis longtemps les principales de ces améliorations que nous attendons encore.

On a révisé le Code pénal, le Code d’instruction criminelle, le titre des faillites, les dispositions les plus abusives du Code de procédure ; on a réformé les cours d’assises et fait justice de l’odieuse loi sur la contrainte par corps. Voilà douze ans que ces mesures nouvelles sont décrétées en France, malgré les agitations politiques qui, à chaque pas, sont venues embarrasser les travaux législatifs dans ce pays. Ici, après quinze ans, on tente, on est encore à réclamer inutilement l’exécution des promesses ministérielles. N’est-ce pas à ces promesses que devraient s’appliquer les expressions d’illusions et de chimères dont M. le ministre s’est servi en parlant de mes doctrines ?

Je suis donc amené à croire et à déclarer que le principe qui domine en ce moment au ministre de la justice, ce n’est pas le principe du progrès, c’est celui de l’immuabilité. La tradition de cette administration, c’est suivant les apparences, une impassible quiétude et une douce somnolence.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – C’est l’otium cum dignitate.

M. Castiau – Oui, M. le ministre, la devise de la magistrature, mais avec une variante et avec le retranchement des deux derniers termes. Et puisque vous repoussez avec tant de force l’application de cette devise de la magistrature, il ne vous reste qu’à en faire l’application avec le retranchement dont je viens de parler, non à vous, car je veux soigneusement écarter toute personnalité de cette discussion, mais à l’administration que vous dirigez. Pour elle, ce sera le repos sans la dignité.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Chapitre premier. Des traitements

Article 1er. Paragraphe 1er. Cour de cassation

M. le président – Je vais consulter la chambre sur l’ordre à suivre dans la discussion de l’article 1er. Il y a des orateurs inscrits sur les 2e et 3e paragraphes. La question est de savoir si on procédera par division, nous commencerons par la cour de cassation. Je fais cette remarque, parce que les orateurs devront alors se renfermer dans la question qui concerne cette cour.

M. Rodenbach – J’ai demandé la parole pour gagner du temps. Il me semble qu’on pourrait discuter la question de savoir s’il y a lieu d’augmenter les traitements de la cour de cassation, oui ou non. Nous gagnerions, je pense, beaucoup de temps à restreindre la question à cela.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne pense pas qu’on puisse procéder de cette manière, parce que certains membres voudraient peut-être augmenter le président et le procureur-général, qui ne voudraient pas augmenter les avocats-généraux, et vice versâ. Si on décidait qu’il y aura augmentation, cette décision n’impliquerait pas que le président et le procureur-général seraient augmentés et que les avocats-généraux ne le seraient pas ; ou que ceux-ci le seraient et que ceux-là ne le seraient pas.

M. le président – Nous allons donc procéder par division, comme je l’ai proposé.

Le paragraphe en discussion est celui relatif à la cour de cassation.

M. Orts – Je me suis abstenu de prendre la parole dans la discussion générale, parce que tant d’orateurs éloquents, pénétrés de l’importance de la question, lui ont donné tous les développements dont elle était susceptible. Mon opinion sur le principe de la loi n’a pas été un instant douteux ; je pense que l’augmentation des traitements de la magistrature est une dette du pays, et je vois avec bonheur le moment où le pays va acquitter cette dette. Le projet ministériel, différant en ce point avec celui de la section centrale, propose pour la cour de cassation trois catégories d’augmentation.

Il propose d’abord de porter les traitements du premier président et du procureur-général à 15,000 fr., pour les avocats-généraux à 10,500 fr., pour les commis-greffiers à 3,500 fr.

Messieurs, pour ce qui concerne le premier poste, c’est une augmentation de mille fr. par personne, soit 2 mille francs. Cette augmentation, dont le chiffre est minime, est-elle réclamée par des considérations de rang hiérarchique ? S’il en est ainsi, je ne pense pas que ce sera devant une allocation de deux mille fr. que la chambre reculera. Or, en portant le traitement de ces deux (page 99) magistrats suprêmes de 14 à 15 mille francs, vous ne faites autre chose que détruire une disparité réellement choquante quand vous consultez la hiérarchie judiciaire et quand vous la comparez avec d’autres positions analogues dans les différentes administrations. En effet, non-seulement le clergé, mais encore les gouverneurs, sommités du pouvoir administratif, jouissent d’un traitement plus élevé que le chef suprême de la magistrature en Belgique. L’archevêque a un traitement de 30 mille fr., et ses évêques suffragants, indépendants pour l’administration de leurs diocèses, mais placés dans un rang inférieur à celui de l’archevêque, ont 14,700 fr.

A la tête de la cour de cassation et de son parquet se trouvent le premier président et le procureur-général, dont je puis comparer la position sociale, en rapport avec celle du premier président et du procureur-général des cours d’appel, à la position de l’archevêque envers celle des évêques dans la hiérarchie ecclésiastique.

Les évêques ont un traitement de 14,700 fr. ce n’est donc rien de trop que de fixer à 15,000 fr. le traitement du premier président et du procureur-général près la cour de cassation.

Les gouverneurs de province sont même, dans l’ordre hiérarchique, au-dessous du premier président et du procureur-général près la cour de cassation. Il n’y a qu’une cour de cassation : c’est la juridiction suprême le gouverneur n’est à la tête que de l’administration d’une province. Le premier président de la cour de cassation, comme chef de la compagnie, le procureur-général comme chef du parquet ont pour ressort tout le royaume.

Je pense donc qu’il y a des motifs suffisants pour donner à ces magistrats un traitement de 15,000 fr. Il y aurait de ce chef une augmentation de 2,000 fr.

Je passe aux avocats-généraux :

Ici, il ne faut pas se dissimuler la nature des travaux auxquels ils doivent se livrer. Il faut rapprocher leurs occupations de celles des autres membres du ministère public dans tout l’ordre judiciaire.

En cassation, il n’y a pas une cause où le ministère public, par l’organe des avocats-généraux, ne doive porter la parole. L’intervention du ministère public est toujours obligée. Toute affaire en cassation doit non-seulement être étudiée par les magistrats du ministère public dans le silence du cabinet, mais il faut encore qu’ils préparent leur travail, pour porter la parole à l’audience.

Les conseillers à la cour de cassation sont nombreux ; ils sont au nombre de dix-huit ; il y a deux chambres ; sept membres siègent dans chaque chambre. Chaque conseiller prend une affaire et est chargé du rapport. L’avocat général a donc sept affaires contre une. Chaque chambre étant composée de sept membres, il y a toujours deux conseillers qui ne siègent pas et qui peuvent s’occuper d’études. Lorsqu’une affaire est terminée, ils remplacent deux conseillers qui siégeaient. Mais l’avocat général ne quitte pas son siége ; on vous propose pour eux une augmentation de 1,500 fr.

Les magistrats de la cour de cassation doivent posséder à fond les principes de droit. Il faut que ce soient des jurisconsultes profonds, des hommes de science et d’intelligence. Ces qualités sont également essentielles pour les avocats-généraux. Mais il ne suffit pas qu’ils soient de profonds jurisconsultes, il faut encore qu’ils soient éloquents ; car ils ne doivent pas être au dessous des avocats plaidant devant la cour. Il faut donc qu’à l’étude des beaux modèles de l’éloquence, ils joignent la connaissance approfondie du droit.

Maintenant j’aborderai une considération plus grave. Il ne faut pas que l’avocat général à la cour de cassation désire trop promptement passer dans les rangs de la cour. Deux fois cela est arrivé. Deux fois des magistrats du parquet de la cour de cassation ont quitté le parquet où ils ont laissé des souvenirs fort honorables, à un âge auquel ils pouvaient briller longtemps encore dans la carrière du ministère public ; ils ont sollicité d’entrer dans le sein de la cour. La cour a fait un acte de sagesse en agréant leur demande, parce qu’elle est intéressée à se recruter de capacités de premier ordre.

En élevant le traitement de l’avocat-général de 9,000 fr., ce qui est le traitement des conseillers à 10,500 fr., vous lui accorderez au moins un avantage de 1,500 fr. Il est possible, il est même probable qu’à raison de cet avantage et de sa position élevée, il ne songera à solliciter l’honneur d’entrer à la cour comme conseiller que lorsque les fatigues attachées aux fonctions du ministère public lui auront fait sentir le besoin de l’otium cum dignitate dont on a tant parlé.

Je pense donc qu’à raison de toutes ces considérations, la majoration de 1,500 fr., pour chaque avocat-général (ce qui fait une somme totale de 3,000 fr.) n’est pas de nature à pouvoir être contre-balancée par les avantages réels que j’ai indiqués.

Les commis-greffiers sont au nombre de deux. On vous demande pour chacun d’eux une majoration de 500 fr. Il y a une considération de hiérarchie qui ne peut vous échapper.

Le traitement des commis-greffiers près des cours d’appel a été fixé à la moitié du traitement d’un conseiller ; il est donc de 2,500 fr. sous le régime de la loi actuelle ; on vous propose d’élever le traitement des conseillers à 6,000 fr. Il en résulterait que le traitement des commis-greffiers près des cours d’appel serait de 3,000 fr. Ce chiffre est celui proposé par la section centrale et par le gouvernement.

Maintenant il arriverait que les commis-greffiers près la cour de cassation, qui sont dans une position hiérarchique supérieure, n’auraient qu’un traitement de 3,000 fr., comme les commis-greffiers près des cours d’appel.

Comparez les deux positions sous le rapport des conditions d’admissibilité voulues par la loi. La loi organique de 1832 exige, pour être admis aux fonctions comme commis-greffier à la cour de cassation, le grade de docteur en droit. Il faut donc que ce fonctionnaire ait fait toutes ses études universitaires.

La loi exige qu’il présente les mêmes conditions d’admissibilité que le juge. Toutefois, elle établit une exception. S’il n’est pas docteur en droit, il faut, aux termes de l’article que je viens d’indiquer, qu’il ait été, pendant cinq ans, commis-greffier d’une cour d’appel. C’est là une espèce de stage.

Il y aurait une singulière anomalie à ce que celui qui, après un noviciat de 5 ans, passe à une position supérieure, n’eût, comme le commis-greffier de la cour d’appel, qu’un traitement de 3,000 fr. Il y aurait réellement incohérence, ce serait un véritable non-sens que de ne pas admettre l’augmentation demandée à ce titre.

A raison de ces considérations, je propose d’accorder les majorations demandées pour la cour de cassation, lesquelles s’élèvent au chiffre global de 6 mille fr.

M. Verhaegen – L’honorable M. Rodenbach aurait désiré que la question concernant la cour de cassation fût résolue dans son ensemble, que l’on n’admît pas de division pour les différentes positions. Quant à moi, je verrais un grand inconvénient à procéder de cette manière et je me permets de fixer sur ce point votre attention.

Messieurs, il pourrait y avoir des membres qui n’admissent pas les augmentations pour les sommités, et qui les admissent pour d’autres membres de la cour de cassation, par exemple, pour les commis-greffiers ; sans la division que je réclame instamment, le vote ne serait pas libre.

J’appuie toutes les observations de mon honorable ami M. Orts quant au premier président, au procureur-général et à MM. les avocats-généraux ; j’appuie également et de toutes mes forces celles relatives aux commis-greffiers.

En effet, n’y aurait-il pas anomalie, absurdité évidente à n’allouer aux commis-greffiers de cassation que 3,000 francs alors qu’on paraît d’accord pour porter à ce taux les appointements des commis-greffiers des cours d’appel ? Il y a entre ces fonctions une différence hiérarchique qui doit de retrouver dans la fixation des traitements.

Les commis-greffiers à la cour de cassation sont d’ailleurs dans une position toute différente de celle des commis-greffiers des cours d’appel ; s’ils ne sont pas docteurs en droit, il leur fait commencer par faire un noviciat au greffe d’une cour ou d’un tribunal de première instance ; il n’y a que les commis-greffiers des cours d’appel ou les greffiers des tribunaux de première instance qui puissent être nommés commis-greffiers à la cour de cassation. Il convient donc que le traitement de ces dernières fonctions soit plus élevé.

Il est une autre considération : c’est que le traitement des commis-greffiers des cours d’appel est fixé à la moitié du traitement des conseillers. En s’élevant à 3,500 fr. le traitement des commis-greffiers à la cour de cassation et en maintenant à 9,000 fr. celui des conseillers, on n’accorde guère aux commis-greffiers au-delà du tiers du traitements des conseillers devant lesquels ils remplissent leurs fonctions.

Il y a donc convenance, nécessité même, sous le rapport de la hiérarchie, d’élever au moins à 3,500 fr., le traitement des commis-greffiers en cassation et cela avec d’autant plus de raison qu’ils doivent remplir des conditions qui ne sont pas exigées pour les autres.

M. le ministre de la justice a reconnu qu’à cet égard il s’était trompé. Cette erreur involontaire a également été commise par la section centrale ; je suis persuadé que son honorable rapporteur s’empressera de la rectifier.

M. Delehaye, rapporteur – Dans l’opinion de la section centrale, l’augmentation demandée pour les membres de la magistrature ne doit pas augmenter la considération dont ils jouissent. La section centrale est convaincue que la magistrature belge, par sa conduite, par ses connaissances, par son désintéressement, est assez haut placée dans l’estime publique pour ne pas avoir besoin d’augmentation de traitement. Mais elle a voulu que la carrière de la magistrature ne fût pas interdite aux hommes de talent, sans fortune. C’est ce qui l’a déterminée à proposer des augmentations. Elle a voulu encore que le traitement fût assez élevé pour que le plaideur y trouvât une garantie de l’impartialité du juge. Parmi les augmentations qu’elle n’a pas admises, se trouvent celles demandées pour la cour de cassation. Mais nous n’avons pas examiné la question des commis-greffiers. Je suis autorisé à déclarer, au nom de la section centrale, qu’à cet égard, nous avons commis une erreur.

La section centrale, à l’unanimité de ses membres moins un, propose d’allouer l’augmentation demandée pour les commis-greffiers à la cour de cassation.

Je viens combattre, au nom de la section centrale, et au mien, la proposition qui vous est faite par M. le ministre de la justice pour le chef de la cour de cassation et pour le chef de son parquet.

Il est très-vrai, comme on vient de le dire, que plusieurs fonctionnaires, moins haut placés que le procureur-général et le premier président de la cour de cassation, jouissent cependant d’un traitement supérieur à celui de ces magistrats. Mais il est bon de dire qu’il existe déjà entre le traitement des conseillers à la cour de cassation que l’on ne se propose pas d’augmenter, et celui du premier président, une différence assez forte pour que les rangs respectifs soient suffisamment respectés.

Vous ne perdrez pas de vue, non plus, que les membres de la cour de cassation jouissent de l’inamovibilité. Cette inamovibilité a été établie à la vérité dans l’intérêt des justiciables ; mais, comme on vous l’a fait observer, elle profite aussi à ceux à qui elle est accordée. Il a donc fallu tenir compte de cette inamovibilité dans la fixations des traitements.

L’inamovibilité, messieurs, est un avantage qu’il ne faut pas méconnaître. On a parlé des gouverneurs qui ont un traitement supérieur au premier président (page 100) de la cour de cassation ; mais remarquez qu’il ne faut qu’un caprice d’un ministre pour l’obliger à quitter son poste. Un gouverneur se sera concilié, par sa sage administration, l’approbation générale, l’affection publique ; il aura mérité, par son impartialité, l’approbation générale de ses administrés ; tout cela ne le garantira point contre l’arbitraire du ministre, il sera obligé d’aller ailleurs. Il n’en est pas de même du premier président de la cour de cassation. Il a un traitement inférieur à la vérité ; mais il n’est pas soumis aux caprices souvent ridicules du gouvernement ; il ne peut être forcé par M. le ministre de l'intérieur d’abandonner un poste où il est aimé, où il a fixé ses relations d’amitié.

Ainsi, cette comparaison qu’on a faite entre le premier président de la cour de cassation et les gouverneurs, ne me paraît nullement juste.

Un membre – Le procureur-général n’est pas inamovible.

M. Delehaye – On me dit que le procureur-général n’est pas inamovible comme le premier président. C’est vrai ; aussi, s’il convenait de placer le procureur-général au-dessus du premier président, je ne balancerais pas à lui donner un traitement supérieur. Mais ne perdez pas de vue que, d’après tous les antécédents, que, d’après les lois qui nous régissent, les procureurs-généraux, de même que les procureurs du Roi, n’ont jamais été placés au-dessus des présidents des corps auxquels ils appartiennent. C’est le motif pour lequel je ne pourrai voter en faveur de l’augmentation pour le procureur-général de la cour de cassation.

J’en viens, messieurs, aux avocats-généraux. Je conviens que les attributions des avocats-généraux sont extrêmement étendues ; je conviens aussi qu’il importe de les maintenir à la place qu’ils occupent. Cependant, je dois relever une observation qui a été faite, il y a un instant, par un honorable député de Bruxelles.

L’honorable M. Orts vous a dit que des avocats-généraux avaient abandonné leur poste pour devenir conseillers à la cour de cassation. Il a ajouté que la cour était heureuse de faire de pareilles acquisitions, mais que, d’un autre côté, le parquet aurait été heureux de les conserver. Messieurs, j’ai la persuasion intime que ce n’est pas une considération d’argent qui pourrait porter les avocats-généraux à quitter leurs postes. Je connais trop bien les avocats-généraux auxquels on fait allusion, pour être convaincu que jamais une question d’argent n’a pu les porter à rechercher une autre position. Voici les motifs qui m’ont porté à soutenir la proposition que fait M. le ministre de la justice : c’est que, dans les cours d’appel, les avocats-généraux ont un traitement supérieur à celui des conseillers.

Pourquoi dès lors n’en pas accorder aux avocats généraux près la cour de cassation. Cette augmentation se justifie par l’étendue de leurs fonctions. Ils sont obligés, comme on vous l’a dit, de rendre la parole dans toutes les affaires ; ils doivent guider les conseillers dans les résolutions qu’ils ont à prendre. C’est là une considération qui m’engage à leur accorder une augmentation de traitement.

Je ferai une observation relativement aux commis-greffiers.

Les commis-greffiers près la cour de cassation doivent avoir un traitement supérieur à celui des commis-greffiers des cours d’appel. En voici les motifs : c’est qu’aux termes de la loi qui nous régit, le commis-greffier près de la cour de cassation doit présenter des qualités qu’on n’exige pas des commis-greffiers des cours d’appel. Le commis-greffier de la cour de cassation doit être docteur en droit, ou il doit avoir rempli pendant cinq ans les fonctions de commis-greffier près d’une cour d’appel.

Vous remarquerez, en outre, que les commis-greffiers de la cour de cassation sont réellement plus haut placés que les commis-greffiers des cours d’appel ; c’est une conséquence du rang qu’occupe chaque cour. Ils ne sont d’ailleurs qu’au nombre de deux ; l’augmentation sera donc de 1,000 fr.

Par ces motifs, je me rallie aux propositions de M. le ministre de la justice pour les avocats-généraux et les commis-greffiers, mais je serai obligé de voter contre celles qui concernent le premier président et le procureur-général.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, il me reste peu de choses à dire, après ce que vous avez entendu de la part des honorables députés de Bruxelles, pour établir combien est fondée la proposition que j’ai faite d’augmenter les traitements du 1er président, du procureur-général et des avocats-généraux près la cour de cassation.

Je ferais observer que le gouvernement, lors de la présentation de son premier projet, avait demandé pour le procureur-général et le premier président un traitement de 16,000 fr., pour les présidents de chambre un traitement de 12,500 fr. et pour les conseillers un traitement de 10,000 fr.

Messieurs, je ne trouve pas que 10,000 fr. pour des conseillers à la cour de cassation, soient un traitement trop élevé. Néanmoins, dans l’état actuel de nos finances, j’ai pensé devoir me borner à maintenir le traitement actuel, et à regret je n’ai pas demandé d’augmentation pour ces magistrats d’un rang supérieur. J’ai donc adopté pour base le chiffre de 9,000 fr., qui est actuellement le traitement des conseillers à la cour de cassation.

Partant de ce chiffre et admettant la proportion proposée entre le premier président et les conseillers à la cour d’appel, à l’égard desquels je suis d’accord avec la section centrale, j’ai recherché le chiffre qui donnerait la même proportion appliquée à la cour de cassation, et je suis arrivé à ce résultat qu’en maintenant les traitements actuels pour la cour de cassation, le premier président et le procureur-général près cette cour ne seraient pas, relativement aux conseillers de cette cour, placés dans la même position que le premier président d ‘une cour d’appel relativement aux conseillers, et le procureur-général relativement aux avocats-généraux.

Certes, s’il y avait une distinction à faire, il faudrait que la différence à établir fût plus grande pour la cour suprême, à cause de la position spéciale où se trouvent un premier président et un procureur-général de la cour de cassation, magistrats uniques, sommités judiciaires, occupant dans l’Etat un des rangs les plus élevés.

Je pense donc que tout se réunit pour justifier et faire adopter le chiffre que j’ai proposé.

L’honorable rapporteur de la section centrale combat cette proposition et il la combat principalement parce que le premier président de la cour de cassation jouit de l’inamovibilité. L’honorable rapporteur nous dit que, si on pouvait augmenter les appointements du procureur-général sans augmenter ceux du premier-président, il y consentirait volontiers, parce que le procureur-général ne jouit pas du bénéfice de l’inamovibilité.

Mais, messieurs, est-il donc nécessaire de répéter que l’inamovibilité est plutôt un bienfait pour les justiciables que pour les fonctionnaires, et dans tous les cas serait-il juste de faire tourner ce bienfait contre le fonctionnaire lui-même ? Il y aurait surtout injustice à priver le procureur-général d’une augmentation à laquelle on lui reconnaît des droits, à cause de l’inamovibilité de premier président de la cour à laquelle il est attaché.

Il me semble donc que la position hiérarchique qu’occupent le procureur-général et le premier président de la cour de cassation, et la proportion observée entre les différents membres des cours d’appel, justifient suffisamment l’augmentation demandée pour ces deux hauts fonctionnaires.

J’arrive à l’augmentation que j’ai demandée pour les deux avocats-généraux.

En proposant cette augmentation, j’ai voulu non seulement mettre les avocats-généraux à la cour de cassation, dans la même position relative que les avocats-généraux à la cour d’appel, mais j’ai, en outre, pris en considération combien sont importantes, combien sont nombreuses les fonctions qui leur sont confiées et combien leurs travaux sont plus multiples que ceux des conseillers de la même cour.

Messieurs, les avocats-généraux à la cour d’appel ont un sixième en plus du traitement des conseillers. Ces bases n’ont pas été jusqu’à présent contestées, et il me semble qu’il est important de les adopter également à la cour de cassation ; car les avocats-généraux à la cour de cassation ont, relativement aux conseillers, plus d’ouvrage que n’en ont les avocats-généraux des cours d’appel relativement aux conseillers de ces mêmes cours. Comme vous l’a très-bien fait observer l’honorable M. Orts, les avocats-généraux à la cour de cassation doivent porter la parole dans toutes les affaires, tandis qu’en cours d’appel il n’y a que certaines affaires communicables au ministère public.

A la vérité, les avocats-généraux des cours d’appel ont encore d’autres besognes, qui justifient le traitement supérieur à celui de conseiller qui leur est assigné, mais il n’en est pas moins vrai que les avocats-généraux à la cour de cassation doivent relativement être mis au moins sur la même ligne.

Messieurs, je demanderai à la chambre la permission de lui lire un message d’un discours prononcé le 2 décembre 1837, par l’honorable M. Ernst. Je pense que l’opinion de M. Ernst sera d’un grand poids pour la chambre et je suis heureux de pouvoir invoquer l’appui de cette opinion.

C’était, messieurs, sur une interpellation qui avait été adressée au ministre de la justice d’alors, par l’honorable M. Verhaegen ; et voici ce que M. Ernst a répondu :

« Je terminerai, messieurs, en accueillant une observation qui a été faite par l’honorable préopinant. Il est certain qu’il serait juste et d’une très-bonne politique d’augmenter le traitement des avocats-généraux, de la cour de cassation. Il n’est pas juste que les avocats-généraux qui sont chargés d’un travail beaucoup plus difficile que les autres magistrats, n’aient pas un traitement plus élevé. Il importe, messieurs, d’attacher au ministère public des hommes capables, des hommes d’expérience. Or, si nous n’augmentons pas les traitements des avocats-généraux, il arrivera presque toujours que nous perdrons ces magistrats. Nous avons déjà perdu un de ces avocats-généraux (M. Defacqz) qu’il est extrêmement difficile de remplacer, quel que soit le talent de son successeur (M. de Cuyper). »

Eh bien, messieurs, ce que disait M. Ernst s’est encore vérifié depuis.

J’espère donc que la chambre votera l’augmentation que je demande pour les avocats-généraux de la cour de cassation ; cette augmentation est entièrement dans l’intérêt bien entendu du service, dans l’intérêt d’une bonne justice ; j’ai donc l’espoir fondé que la chambre ne la refusera pas.

Je crois, messieurs, n’avoir rien à ajouter aux observations que je viens de faire et qui résument en quelque sorte celles qui vous ont déjà été présentées.

J’appuie également le chiffre proposé pour les commis-greffiers ; les motifs qui ont été développés à l’appui de cette augmentation et qui, loin d’avoir été combattus par l’honorable rapporteur de la section centrale, ont, au contraire, été appuyés par lui, ces motifs la justifient suffisamment ; si elle n’est pas accordée, il en résultera une véritable anomalie dans la position des commis-greffiers de la cour de cassation relativement à ceux des cours d’appel.

M. Delehaye, rapporteur – M. le ministre de la justice, pour appuyer le traitement qu’il a proposé pour le premier président de la cour d’appel, a invoqué le chiffre du traitement que la section centrale propose pour les premiers présidents des cours d’appel. En effet, messieurs, le chiffre proposé par la section centrale pour ces magistrats, ne me paraît pas admissible. Si la chambre croyait devoir l’admettre, il y aurait lieu à augmenter le traitement du premier président de la cour de cassation. Je combattrai les deux propositions.

Voici, messieurs, le calcul que la section centrale a fait ; elle a dit : Les (page 101) membres d’un tribunal de première instance de première classe doivent toucher 4,000 fr ; en augmentant ce chiffre de ¼ pour les vice-présidents et de ½ pour les présidents, le traitement des premiers sera fixé à 5,000 fr. et celui des seconds à 6,000 fr. Pour les cours d’appel, dont les conseillers ont 6,000 fr., elle aurait dû suivre le même raisonnement et accorder 9,000 fr. au premier président. Messieurs, c’est ce dernier chiffre que je viens appuyer pour le premier président des cours d’appel et pour le procureur-général après de ces cours. Si l’on admet ce chiffre on peut sans inconvénient maintenir celui de 14,000 fr. pour le premier président et le procureur-général de la cour de cassation.

D’après la proposition que je viens d’indiquer, M. le ministre de la justice, qui propose 15,000 fr. pour le premier président et pour le procureur-général de la cour de cassation, aurait dû proposer une augmentation pour les conseillers, ou bien il aurait fallu réduire le traitement du premier président et du procureur-général à 13,500 fr., ce qui ferait la moitié en sus du traitement de 9,000 fr. dont jouissent les conseillers.

Dans la discussion générale, on a cru justifier l’augmentation demandée pour les chefs des cours, en disant qu’ils étaient tenus à des frais de représentation. Messieurs, en fait comme en droit cela n’est pas exact. En fait, cela n’existe certainement pas, au moins dans les localités que je connais. En droit, cela ne peut pas exister non plus, car lorsqu’un président ne se soumettrait pas à cette exigence, quel moyen y aurait-il de l’y contraindre ?

D’après ces considérations, messieurs, je pense qu’il faut repousser la proposition faite par M. le ministre de la justice et de nous en tenir au statu quo qui répond à tous les besoins.

M. de La Coste – J’ai demandé la parole, messieurs, pour faire une simple observation d’ordre. La chambre doit s’apercevoir que l’on a constamment augmenté, pour la cour de cassation, de ce que l’on va faire pour les cours d’appel. Ainsi, pour le premier président, pour le procureur général, pour les avocats généraux, pour les commis greffiers de la cour de cassation, l’on argumente toujours de ce qui va avoir lieu pour les fonctionnaires d’un ordre correspondant, appartenant aux cours d’appel. Je proposerai donc de réserver le vote sur les propositions relatives à la cour de cassation jusqu’à ce que l’on ait statué sur le paragraphe qui concerne les cours d’appel. Quant à moi, si l’on ne suit pas cette marche, je devrai m’abstenir.

M. le président – J’ai consulté la chambre, et elle décide que l’on commencerait par le paragraphe relatif à la cour de cassation.

- La proposition qui tend à porter à 15,000 fr. le traitement du premier président de la cour de cassation est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée. Il en est de même du chiffre de 15,000 fr. proposé pour le procureur-général.

On passe au vote sur le chiffre de 10,500 fr. proposé pour les avocats-généraux ; deux épreuves étant douteuses, il est procédé à l’appel nominal :

71 membres sont présents.

1 (M. de La Coste) s’abstient.

35 adoptent.

35 rejettent.

En conséquence, la proposition n’est pas adoptée.

Ont répondu oui : MM. de Mérode, Deprey, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Dolez, Donny, Duvivier, Fallon, Fleussu, Goblet, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Pirson, Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen, Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Chimay, Delehaye, d’Elhoungne.

Ont répondu non : MM. De Meester, de Naeyer, de Renesse, de Roo, Desmet, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lesoinne, Mast de Vries, Morel-Danheel, Pirmez, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons, Thienpont, Vanden Eynde, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Castiau, de Corswarem, Dedecker, de Florisone, de Haerne, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel.

M. le président – M. de La Coste est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. de La Coste – Je crois les avoir indiqués dans l’observation que j’ai faite avant le vote. Je pensais que ce qui serait fait pour la cour de cassation devait être la conséquence de ce que l’on aurait décidé pour les cours d’appel.

- Le chiffre de 5,500 fr., proposé pour les commis-greffiers, est mis aux voix et adopté.

La chambre adopte ensuite l’ensemble du paragraphe relatif à la cour de cassation, qui se trouve maintenant réduit à disposition concernant les commis-greffiers.

Article premier. Paragraphe 2. Cours d’appel

M. le président – Nous passons à la discussion du § 2, Cours d’appel. La parole est à M. Orts.

M. Orts – Messieurs, les amendements de M. le ministre de la justice apportent quelques changements au projet de la section centrale. Avant de m’occuper de ces amendements spéciaux, je crois qu’il importe d’examiner, par rapport aux magistrats des cours d’appel, deux questions importantes qui se rattacheront, à la vérité, à de pareilles questions déjà agitées dans la discussion générale, mais qui, au moyen de quelques considérations spéciales, recevront une application directe aux magistrats des cours d’appel.

Ces deux objections sont celles-ci : 1° les traitements actuels des magistrats des cours d’appel sont assez élevés ; 2° ces traitements sont, à coup sûr, assez considérables, eu égard aux occupations dont ces magistrats sont chargés.

Messieurs, il suffit de jeter un coup d’oeil rétrospectif très-rapide sur la positon antérieure des magistrats des cours d’appel et de la comparer avec leur positon actuelle, pour être convaincu qu’à leur égard une augmentation est de stricte nécessité.

Sous l’empire, les magistrats de la cour d’appel de Bruxelles avaient, comme chiffre normal, et j’appelle chiffre normal celui du traitement du conseiller, parce que c’est de ce point que l’on part pour augmenter ou diminuer le traitement, suivant l’élévation du grade ; les magistrats des cours d’appel, dis-je, avaient 3,600 francs. Le premier président de ce corps avait 20,000 francs. A peine l’empire se fut-il écroulé, qu’un des premiers actes du gouvernement des Pays-Bas a été d’élever le traitement de conseiller à 5,000 francs ; mais on reconnaissait en même temps que le chiffre de 20,000 francs était trop considérable ; ce chiffre fut réduit à 14,000 fr. ; c’était un sage équilibre qu’on voulait établir entre les titulaires de la proscription d’un système essentiellement vicieux, celui de l’empire, qui consistait à élever très-haut les traitements des chefs, et à ne donner qu’un traitement très-faible aux autres magistrats, à ceux qui avaient la plus grande besogne.

Mais ce n’est pas à la somme de 5,000 francs que se borna la première augmentation ; 500 florins furent attribués aux conseillers de cours d’appel comme indemnité, disait-on, à titre du service dont ils étaient chargés, lorsqu’ils siégeaient en cour de cassation. On pourra m’objecter qu’aujourd’hui ils ne font plus le service de la cour de cassation. Je me hâte de répondre à cette objection.

Les fonctions que remplissaient les conseillers de cours d’appel siégeant en cassation, ne leur donnaient pas un surcroît de besogne, parce qu’aux termes de l’arrêté du 15 mars 1815 (art. 7), deux chambres jugeaient en cassation des arrêts portés par la troisième chambre en degré d’appel ; mais pendant que ces deux chambres siégeaient comme cour de cassation, elles ne s’occupaient pas des affaires en degré d’appel ; de manière que toute la différence était celle-ci : c’est qu’au lieu de siéger comme juges d’appel, les conseillers siégeaient comme juges de cassation.

Les présidences des assises étaient rémunérées au moyen d’une allocation de 900 fr. pour chaque session ; les assises étaient à cette époque moins longues, moins laborieuses qu’elles ne le sont aujourd’hui. En effet, le pays ne jouissait pas de l’institution du jury ; l’établissement du jury a été cause que les audiences des cours d’assises sont devenues beaucoup plus longues, à raison même des formalités attachées à la procédure par jury.

Avant le rétablissement du jury en matière criminelle, les assises tenues devant les magistrats mêmes ne duraient que 15 jours ou trois semaines ; aujourd’hui, à Bruxelles, par exemple, il n’est pas une seule session d’assises où il n’y ait deux séries, dont chacune se compose de 15 jours, de manière que les assises les plus courtes sont au moins d’un mois tout entier. Tous les ans, il y a des sessions composées de trois séries ; il y a eu même des sessions qui ont eu deux mois et demi de durée.

Voyons quelle est la position des magistrats des cours d’appel dans cette circonstance. Les jurés ne siégent que pendant une série, c’est-à-dire pendant 15 jours ; les magistrats sont obligés de prendre part à toutes les affaires des différentes séries, il en résulte pour eux une occupation excessivement longue et fatigante.

Résumons maintenant les traitements des conseillers des cours d’appel, tels qu’ils ont existé jusqu’à la révolution. Ils avaient comme traitement fixe 6,058 fr. 20 c. ; les assises, qui leur valaient 900 fr., par conséquent 400 fr. de plus qu’aujourd’hui, formant encore une somme de 400 fr. et qui, ajoutée aux 6,058 fr. 20 c. donne un total de 6,458 fr. 20 c., comme chiffre à peu près normal du traitement du conseiller de la cour supérieure de justice de Bruxelles avant la révolution.

Lorsque le roi Guillaume proposa aux états-généraux le projet de loi d’organisation judiciaire qui devra être mis à exécution en 1831, il fut porté pour la cour provinciale du Brabant méridional 3,000 fl. des Pays-Bas, soit 6,349 fr. 20 c., dont le chiffre proposé alors pour l’organisation définitive était de 350 fr. supérieur aux 6,000 fr. que la section centrale et M. le ministre de la justice demandent aujourd’hui.

Depuis la nouvelle organisation judiciaire en Hollande, c’est encore la somme de 3 mille florins qui forme le chiffre du traitement des membres des cours de la Hollande septentrionale et de la Hollande méridionale.

Or, messieurs, s’il est vrai que déjà en 1830 on proposait comme chiffre normal 3 mille florins, à une époque où tout n’était pas aussi cher qu’aujourd’hui, il me paraît que le chiffre de 6 mille fr. n’a rien que de très-raisonnable. Maintenant, lorsque vous considérez que le traitement d’un conseiller de cour d’appel, au taux actuel de 5 mille fr., est inférieur au traitement d’une foule de fonctionnaires pris dans tous les ordres de l’Etat, et qui, dans la hiérarchie, se trouvent certainement placés au-dessous des conseillers des cours d’appel, il me paraît qu’il existe là un motif nouveau pour ne pas reculer devant l’allocation de 6 mille fr.

Il me reste maintenant à examiner cette autre question : les occupations des membres des cours d’appel sont-elles assez multipliées, exigent-elles de leur part un travail tellement suivi qu’il ne faille pas reculer devant la légère augmentation de 1,000 francs. C’est ici que j’aurai l’occasion de vous démontrer par quelques faits ce qui a déjà été prouvé en thèse générale, à savoir qu’on ne peut pas qualifier la position de ces magistrats par l’adage qu’on a jugé à propos d’énoncer ; Otium cum dignitate. Vous verrez quelles sont les « douceurs » (le mot a été dit) de la vie d’un conseiller de cour d’appel.

Il ne siège, dit-on, que quelques heures pendant trois jours de la semaine. Si, siéger depuis 10 heures du matin et jusqu’à une heure et souvent jusqu’à deux, si pendant ce temps, entendre attentivement les plaidoiries ; si, se (page 102) pénétrer de tout ce qui est présenter dans des sens différents ; si c’est là un travail journalier, dont il faille tenir si peu de compte, je ne sais plus ce qu’il faudra pour constituer une carrière laborieuse.

Mais, messieurs, les conseillers des cours d’appel ne travaillent pas seulement pendant trois jours de la semaine ; ils ont, toutes les semaines, et un honorable membre m’a assuré qu’à Liége c’était comme à Bruxelles, ils ont toutes les semaines une matinée au moins et très-souvent deux matinées entièrement consacrées à délibérer sur les affaires qui ont été plaidées. Prenez seulement un jour, et avec les trois autres jours, en voilà déjà quatre par semaine pendant lesquels le conseiller est occupé. Maintenant est-ce trop que de lui accorder une matinée, pour examiner, comme rapporteur, les affaires mises en délibéré, pour rédiger l’arrêt qui doit être prononcé ? Ainsi, voilà que les trois jours sont déjà portés à cinq ; et comme il arrive souvent que les délibérations absorbent deux matinées, on verra que les conseillers sont occupés pendant les six jours de la semaine, et qu’ils n’ont pour eux que les dimanches.

Maintenant, la chambre des mises en accusation est encore une des attributions des chambres civiles. Sous l’ancien gouvernement, il y avait une chambre spéciale pour cette branche du service. Mais là ne se bornent pas encore les occupations des membres des cours d’appel. A-t-on oublié qu’ils sont commissaires aux enquêtes, aux interrogatoires sur fait et articles, etc., etc., qu’ils instruisent les demandes de sursis ? Et toute cette besogne ils ne la font pas pendant les heures d’audience, ils s’en acquittent pendant le jour qui peut leur rester dans la semaine.

Maintenant, je reviens à leurs occupations comme conseillers siégeant aux assises ; ce que je vais dire s’appliquera naturellement aux juges de première instance dans les chefs-lieux où les assises sont tenues par le tribunal de première instance, présidé par un conseiller.

Dans les trois chefs-lieux de cour d’appel, ce sont cinq magistrats de la cour qui sont chargés du service pénible des assises. Ce service est pour eux infiniment plus fatigant que le jury, parce qu’il est beaucoup plus long. Le jury, comme je l’ai dit, n’a qu’une série de quinze jours. Les conseillers ont quelquefois quatre et cinq séries. Pendant ce temps ils ne peuvent s’absenter un instant. Ne pensez pas qu’ils soient dispensés de prêter à l’instruction orale moins d’attention que le jury ; car ils peuvent être appelés à faire partie intégrante du jury ; aux termes de notre législation, quand il n’y a pas de majorité absolue, ils doivent prendre part à la délibération du jury ; ils ne peuvent pas distraire un instant leur attention de tout ce qu’une procédure peut présenter de difficultés et de complication.

On a parlé des vacances, mais je n’ajouterai qu’un mot à ce qu’a dit à cet égard mon honorable ami M. Dolez. Il y a deux mois de vacances ; mais il est tellement vrai que c’est un besoin impérieux pour la magistrature, que cet usage remonte à la plus haute antiquité. Les Romains avaient des vacances sous le nom de feriae ; les lois romaines prescrivaient de ne juger en temps de vacances que certaines causes, c’est-à-dire les affaires urgentes, celles qui ne pouvaient souffrir aucun retard.

A ces affaires les cours ne font pas faute ; cinq magistrats, à tour de rôle, chaque année, sont obligés de rester pour juger les affaires urgentes en vacation. Les vacances ne sont pas seulement établies pour les magistrats, elles sont indispensables pour le barreau. Je défie un avocat qui s’occupe avec soin de ses affaires, et qui a une clientèle «étendue, de travailler sans relâche pendant tout le courant de l’année. Les cours ne prennent pas un jour de vacances en dehors du terme fixé par la loi. Les vacances cessent le 15 octobre, et le lendemain de l’audience solennelle de rentrée, les cours reprennent leurs travaux. Elles n’ont pas, comme nous, quinze jours de vacances à Noël, trois semaines à Pâques.

Fidèles observateurs de la loi, les magistrats de la cour d’appel siègent même le 2e jour de Pâques, de Noël et de la Pentecôte, ces fêtes étant supprimées par le concordat. Vous voyez quelle est cette vie pleine de « douceurs » ; quelle est cette espèce d’Eldorado judiciaire !

Qu’il me soit permis, avant de terminer, de vous citer, à propos des vacances un trait qui honore une de nos cours d’appel. Celle de Gand, pendant les dernières vacances, a appelé dans une affaire les parties ad accordandum ; elle s’est réunie extraordinairement à cette fin.

C’était là un acte de dévouement de la part de ces magistrats pénétrés de leur plus belle mission : celle de concilier les parties. Ce qu’a fait dans cette circonstance la cour de Gand, celles de Liége et de Bruxelles l’eussent fait également ; un même zèle et un même sentiment du devoir animent tous nos magistrats.

On a fait quelques objections qui se rattachent à la cour d’appel : on a dit : Si un membre de la chambre des représentants peut vivre honorablement avec 200 fl. par mois, pourquoi n’en serait-il pas de même d’un conseiller ? Les membres de la chambre qui touchent 200 florins par mois, à titre d’indemnité, peuvent avoir une autre position lucrative ; il n’est défendu à aucun d’eux de s’intéresser dans des spéculations ; ils peuvent s’occuper des différentes affaires que l’art. 18 du projet interdit aux magistrats d’appel et de première instance. Cet art. 18 n’est que la sanction d’une ancienne disposition ; il statue que ceux qui ne se conformeraient pas à ses prescriptions, seront passibles de peines disciplinaires. Un magistrat de première instance et de cours d’appel ne peut s’occuper directement, ni indirectement, d’aucun commerce ; son traitement est donc sa seule ressource.

Les conseillers et les juges, dit-on, peuvent se passer d’éloquence ; il leur suffit d’avoir des connaissances positives en droit.

Mais on oublie le parquet, qui doit être fortement organisé. La raison en est simple ; c’est que dans toute bonne guerre, il faut tâcher de combattre à armes égales. Quels sont ceux que les avocats ont pour adversaires au criminel et au correctionnel ? Les magistrats du parquet. Il est indispensable que ceux-ci soient, par leurs connaissances positives et par leur éloquence, à la hauteur de leur mandat, c’est-à-dire qu’ils puissent être opposés avec succès aux sommités mêmes du barreau.

On a dit : Mais pourquoi voulez-vous augmenter le traitement actuel des conseilles, puisqu’aucun d’entre eux ne consentirait à reprendre la robe d’avocat ? Je demanderai si c’est à 40 ou 50 ans qu’il est possible de se faire une clientèle. Les clientèles se font péniblement et à la longue. Tel magistrat, homme d’un grand mérite, s’il rentrait dans la carrière du barreau, serait fort embarrassé de trouver autant d’occupations qu’un avocat qui lui serait bien inférieur par le mérite, mais qui aurait eu le temps de se faire une clientèle.

Qu’on n’argumente pas de ce que des avocats distingués sont entrés à la cour d’appel avec le traitement de 5,000 fr. Vous remarquerez qu’à l’époque de 1830, il était certain que l’organisation judiciaire allait être incessamment établie, en vertu de la constitution qui en faisait un devoir. La réalisation de cette promesse ne s’est pas fait attendre, car dès 1832, la cour de cassation était organisée. Beaucoup d’avocats de talent sont entrés dans la magistrature avec la perspective, qui s’est bientôt réalisée, d’entrer à la cour de cassation. Qu’on ne dise point qu’à cette époque on n’a pas trouvé des hommes capables ; on a trouvé, au contraire, des hommes d’un très-grand mérite. Consultez les arrêtés de nomination de 1830, en octobre et novembre, vous verrez que presque tous ceux qui sont alors entrés à la cour supérieure de justice, siègent aujourd’hui à la cour de cassation, ou se trouvent à la tête des cours d’appel.

En adoptant le chiffre du projet ministériel et de la section centrale, au lieu de 6,500 fr., comme avant la révolution, vous n’accorderez aux conseilles des cours d’appel que 6 mille francs. Je pense que ce chiffre n’a rien d’exagéré et que la chambre s’empressera d’accueillir cette double proposition.

Maintenant, j’aborde une deuxième question. C’est ici qu’il y a dissentiment entre la section centrale et le gouvernement. Le projet ministériel supprime le premier avocat-général près des cours d’appel. Cette mesure est-elle convenable ? Je pense que non. Voici les motifs dont j’étaye mon opinion. Le premier avocat-général, dont l’institution remonte à l’organisation des cours impériales en 1811, est le remplaçant-né du procureur-général.

Toutes les fois que le procureur-général, soit pour cause de maladie, soit pour tout autre motif légitime d’absence, ne peut s’occuper du service du parquet, c’est le premier avocat-général qui remplir ses fonctions.

On me dira : Le doyen des présidents de chambre remplace aussi le premier président. Mais ne perdons pas de vue que les fonctions du parquet sont infiniment plus étendues, sous le rapport de ce que j’appellerai la partie administrative du parquet, que les fonctions de premier président. En effet, le procureur-général est en relations continuelles avec tous les procureurs du Roi du ressort de la cour ; il a avec eux une correspondance de tous les jours.

Le premier président de la cour d’appel n’a évidemment pas autant de travail. De manière que lorsque le doyen des présidents de chambre remplace le premier président, il n’aurait pas ce surcroît d’occupation qu’a le premier avocat-général. Je pense donc qu’il y a lieu de maintenir les fonctions de premier avocat-général.

A ces considérations, j’en ajouterai une autre plus puissante : c’est que vous ne pouvez, dans une loi qui a pour objet la fixation des traitements, porter atteinte à la loi organique, qui établir un premier avocat-général, des avocats-généraux et des substituts du procureur-général, ces derniers spécialement attachés au service du parquet des assises. Sous ce rapport, le projet du gouvernement change la loi organique sans que j’en comprenne le motif.

Si vous maintenez le premier avocat-général, comme vous devez le faire, il faut le mettre sur le même rang que les présidents de chambre.

Le projet du ministère fait disparaître les substituts du procureur-général et les élève au rang d’avocats-généraux ; établit deux classes d’avocats-généraux ; les uns ont mille francs de moins que les autres. Je ne vois pas davantage la nécessité de toucher ici encore une fois à la loi organique. Les avocats-généraux sont spécialement chargés des affaires devant les chambres civiles. Les substituts du procureur-général sont spécialement attachés à la cour d’assises. On renverse tout cela sans que j’en voie le motif. Dans l’état actuel des choses, lorsqu’un substitut du procureur-général n’a pas, par son travail et son mérité gagné, si je puis m’exprimer ainsi, les épaulettes d’avocat-général, il reste substitut, alors même que le fauteuil d’avocat-général vient à vaquer ; dans ce cas, un autre magistrat y est appelé. Si, au contraire, vous admettez la proposition du gouvernement, le substitut du procureur-général devient avocat-général, aux appointements de 6,000 fr., et lorsqu’un siège d’avocat-général aux appointements de 7,000 fr. vient à vaquer, l’avocat-général, aux appointements de 6,000 fr., lui succède de plein droit, sans nomination, sans intervention du pouvoir exécutif. Cela est-il rationnel ? Et ne serait-il pas quelquefois préférable que le gouvernement pût nommer aux fonctions d’avocat-général un procureur du Roi qui possèderait des connaissances plus profondes en matière civile ?

Par ce changement, que le ministère veut introduire dans la législation existante, le gouvernement se priverait de la faculté de nommer des magistrats autres que ceux qui sont maintenant substituts du procureur-général. Je ne veux pas de cet avancement de plein droit. Pour être nommé avocats-généraux, les substituts du procureur-général doivent avoir fait leur preuves.

(page 103) Voilà les observations que j’avais à faire contre les amendements présentés par M. le ministre de la justice, relatifs à la suppression du premier avocat-général et des substituts du procureur-général.

Le gouvernement propose une diminution sur le traitement du greffier et une augmentation de traitement pour les présidents de chambre. Je ne discuterai pas actuellement ces deux propositions ; je désire, avant tout, savoir quels peuvent être, à cet égard, les motifs de M. le ministre de la justice.

Je crois avoir ainsi démontré que les propositions de la section centrale doivent être acceptées.

M. Osy – Je suis disposé à voté les chiffres proposés par la section centrale, pourvu que M. le ministre de la justice et le gouvernement en général entendent l’art. 103 de la constitution dans le sens dans lequel il a été porté. Cet article porte que les juges ne peuvent accepter des fonctions salariées. A plusieurs reprises, j’ai demandé que le gouvernement appliquât l’art. 103 aux magistrats nommés membres de commissions dont les travaux se prolongent pendant longtemps ; j’ai fait remarquer que ces magistrats ne doivent pas toucher l’indemnité attachée à la qualité de membre de ces commissions.

J’ai indiqué une commission où siègent des magistrats, dont chaque membre reçoit 250 fr. par mois. Les travaux de cette commission durent depuis deux ans ; ainsi, voilà des magistrats qui ont touché une indemnité de 6,000 fr. Cette manière d’agit du gouvernement ne me paraît guère en rapport avec les paroles que M. le ministre de la justice a prononcées à l’ouverture de la discussion : « Les magistrats (a-t-il dit) doivent être à l’abri de toute influence, ne peuvent être distraits de leurs fonctions. »

Je crois que l’art. 103 de la constitution doit être entendu comme il l’a été au congrès, c’est-à-dire en ce sens qu’une indemnité doit être considérée comme un salaire attaché aux fonctions. C’est ainsi que l’entend un ancien membre du congrès qui, faisant partie du jury d’examen, ne touche pas l’indemnité attachée à ces fonctions.

Je voterai le chiffre de la section centrale, si le gouvernement veut entendre ainsi l’art. 103 de la constitution.

M. Pirson, rapporteur – J’ai déjà fait connaître à la chambre les motifs qui me déterminent à repousser l’augmentation proposée pour le premier président et pour le procureur-général près des cours d’appel.

Quant aux modifications proposées par le gouvernement, je ne puis les approuver non plus, parce que ce sont des dérogations à la loi organique, qui ne peuvent, ce me semble, trouver place dans une loi relative à la fixation des traitements de la magistrature.

M. le ministre de la justice a dit que tous les avocats-généraux devaient être placés sur la même ligne, que tous étaient aptes à remplacer le procureur-général, en cas d’absence. Il les a comparés aux avocats-généraux à la cour de cassation, aux substituts des procureurs du Roi près les tribunaux de première instance. Il est vrai que, sous le rapport du travail, il n’y a aucune distinction entre les avocats-généraux. La section centrale ne l’a pas contesté ; mais elle n’a pas voulu, dans une loi sur les traitements, introduire des modifications à la loi organique.

M. le ministre de la justice ne se borne pas à supprimer les premiers avocats-généraux ; il élève les substituts du procureur-général au rang des avocats-généraux, et cela d’un trait de plume. Voilà les innovations que je vois dans la proposition de M. le ministre de la justice. Il fait disparaître le premier avocat-général parce que tous rendent les mêmes services. Mais dès lors il est inutile d’élever les substituts du procureur-général au rang des avocats-généraux en admettant une différence de 1,000 fr., quant aux appointements ; car ils rendent les mêmes services que les avocats-généraux ; ils représentent le ministère public dans la chambre à laquelle ils sont attachés.

Au reste, peu m’importe le nom qu’on leur donne. Je ferai remarquer seulement que M. le ministre de la justice favorise les substituts du procureur-général aux dépens du greffier. Il est évidemment injuste d’ôter au greffier pour donner aux substituts du procureur-général. C’est contre cette injustice que je m’élève. Avant 1830 la loi organique assimilait le greffier aux conseillers ; elle lui accordait les mêmes appointements. M. le ministre de la justice modifie ce système ; il propose de donner au greffier un traitement moins élevé ; il ne tient aucun compte de la position du greffier. Remarquez que, depuis quelque temps, on a singulièrement empiré la position des greffiers. Vous avez permis aux tribunaux de correctionnaliser un grand nombre d’affaires qui étaient pour les greffiers des cours d’appel une source de revenus ; en outre, vous avez augmenté la compétence des tribunaux civils ; il en résulte une diminution d’affaires pour les cours et une diminution dans le casuel pour les greffiers. Là ne sont point bornées les modifications introduites à l’égard des greffiers. Vous avez encore imposé à ces fonctionnaires un surcroît de besogne. Vous exigez d’eux des relevés, des tableaux statistiques qui absorbent une grande partie de leur temps et qui, bien loin de leur procurer quelque avantage, les forcent souvent à des sacrifices pécuniaires. Car plusieurs greffiers sont obligés de prendre des expéditionnaires qu’il doive payer de leur bourse.

Ainsi, vous avez diminué leurs ressources et augmenté leurs dépenses. Est-ce là de la justice ? Fallait-il s’attendre à un acte de cette nature de la part de M. le ministre, qui devrait prendre la défense des fonctionnaires de son département ? N’aurait-il pas dû s’en tenir à la proposition de la section centrale, qui augmente le traitement des greffiers, tout en laissant entre ce traitement et celui des conseillers la distance qui existe déjà dans la loi. La section centrale a respecté cette distance ; elle n’a pas voulu que le greffier fût assimilé au conseiller. M. le ministre de la justice n’a tenu aucun compte de ces considérations. C’est contre cette manière d’agir, contre sa trop grande sollicitude pour les chefs de corps et l’espèce d’abandon dans lequel il laisse les inférieurs que je dois m’élever.

Si M. le ministre de la justice s’était bien pénétré des intentions de la section centrale, je crois que cette discussion aurait été bien plus tôt terminée. Le travail de la section centrale a été bien accueilli non-seulement dans cette chambre, mais dans le public ; ses propositions étaient conformes à la justice, et je suis persuadé qu’elles auraient obtenu très-facilement l’assentiment de la chambre, si M. le ministre de la justice avait voulu s’y rallier.

J’ai une dernière observation à faire. M. le ministre de la justice a assimilé les substituts aux avocats-généraux. Mais si cette proposition était adoptée, plus tard on ne manquerait pas de tenir le même raisonnement qu’on a déjà tenu aujourd’hui. On dirait qu’il n’y a pas de distinction entre les avocats-généraux et les substituts, et on nous amènerait à une nouvelle dépense.

Du reste, ainsi que vous l’a très-bien dit l’honorable M. Orts, si vous mainteniez la proposition de M. le ministre de la justice, vous enlèveriez au gouvernement la faculté de placer au premier rang un homme à qui ses talents assigneront cette place. Il peut, en effet, arriver qu’un magistrat remplisse convenablement les fonctions de substitut, sans pour cela pouvoir briller à un rang supérieur à celui d’avocat-général.

Si une place d’avocat-général vient à vaquer, s’il n’y a plus de différence entre ce fonctionnaire et le substitut, celui-ci pourra faire valoir son ancienneté pour obtenir la place, et écarter ainsi un homme bien plus capable. La proposition de M. le ministre a pour effet de limiter ses attributions : l’ancienneté seule devant, dans la suite, être considérée comme titre à l’avancement.

- La séance est levée à 4 heures et demie.