(Moniteur belge n°165, du 14 juin 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. Scheyven donne lecture, du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les médecins, chirurgiens et accoucheurs établis à Tirlemont demandent l’abolition de l’impôt patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les patentes.
« Un grand nombre d’armateurs, banquiers, négociants, commissionnaires, fabricants et courtiers composant l’association générale du commerce d’Anvers, prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les tabacs. »
« Même demande des fabricants, débitants et planteurs de tabac à Louvain, à Bruxelles et dans le district de Nivelles. »
M. Osy. - Messieurs, parmi ces pétitions, il en est une d’Anvers couverte de 300 signatures. J’en demanderai l’insertion au Moniteur.
M. Verhaegen. - Il y en a aussi une signée par un grand nombre de fabricants et de détaillants de Bruxelles. J’en demande l’insertion au Moniteur et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les tabacs.
M. de La Coste. - Je ferai la même demande relativement à la pétition de Louvain.
- La chambre décide que les trois pétitions seront insérées au Moniteur.
M. Delehaye. - Avec les signatures.
M. le président. - Avec les signatures, au moins avec celles qu’on pourra lire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) transmet à la chambre cinq demandes en naturalisation, avec renseignements y relatifs.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Lejeune. - J’ai l’honneur de déposer deux rapports sur des demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
La chambre fixera ultérieurement le jour où elle s’occupera de la prise en considération.
M. Dubus (aîné) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la motion que j’ai l’honneur de faire a pour objet l’opération que la chambre a mise à l’ordre du jour pour demain. Elle tend à abréger cette opération, à ménager les moments de la chambre.
La nomination des membres du jury d’examen se fait, d’après nos dispositions réglementaires, par un scrutin de liste. Mais on a ordonné qu’un premier scrutin n’aurait pour objet que la nomination des membres des quatre jurys, et qu’un second scrutin aurait pour objet la nomination des membres des deux autres jurys. On a divisé ainsi la nomination des membres titulaires du jury d’examen en deux scrutins et celle des suppléants également en deux scrutins, ce qui fait quatre scrutins.
On l’a fait ainsi, parce que, pour le droit, ainsi que pour la médecine, il y a deux jurys ; celui du doctorat et celui de la candidature ; et l’avantage qu’on se proposait de cette division, c’était que la personne qui n’aurait pas obtenu la majorité des suffrages pour faire partie du jury du doctorat, pût encore concourir pour le jury de la candidature. Mais l’expérience a démontré que ce motif n’avait aucun fondement ; que, d’une part, l’intervalle qui s’écoule entre la proclamation du résultat du premier scrutin et l’ouverture du second, n’est pas suffisant pour assurer la candidature d’une personne à laquelle on n’aurait pas pensé d’avance, que d’une autre part les matières qui composent l’examen de docteur et celles qui composent l’examen de candidat étant différentes, étant même enseignées en général par des professeurs différents, il n’arriverait pas ou il n’arriverait que rarement qu’un même professeur pût être nommé indifféremment membre de l’un ou de l’autre de ces jurys. De sorte qu’il n’y a pas eu d’exemple depuis 1835 jusqu’aujourd’hui, qu’une personne qui aurait eu la minorité des voix au premier scrutin en aurait obtenu ensuite un nombre quelque peu notable au second, pour un autre jury d’examen que celui auquel on la destinait d’abord.
Si réellement les motifs qu’on a eus de diviser ainsi le scrutin de liste en deux scrutins, manquent de fondement, je crois qu’il y a un motif déterminant de n’avoir qu’un seul scrutin, c’est que nous gagnerons beaucoup de temps ; c’est que l’opération ne prendra qu’environ la moitié du temps que nous consacrons maintenant à ces scrutins.
Ainsi, si la chambre partage mon opinion, au lieu de quatre scrutins, nous n’en aurions que deux : un premier scrutin, qui comprendrait les noms de tous les titulaires, et si ces titulaires sont tous nommés au premier scrutin, le second comprendrait les noms de tous les suppléants.
Cela fera pour l’opération de demain un premier scrutin qui comprendra douze noms et un second scrutin qui comprendra également douze noms ; mais lorsque par suite du tirage au sort qui a été ordonné par la nouvelle loi votée par les chambres et sanctionnée par le Roi, nous n’aurons plus que six membres du jury d’examen à nommer annuellement, le premier scrutin ne comprendra plus que six noms, le second également que six noms, et l’opération deviendra extrêmement simple.
J’ai en conséquence l’honneur de proposer à la chambre de décider que lors de la nomination des membres du jury d’examen, un seul scrutin comprendra les noms de tous les titulaires et qu’il sera également procédé par un seul scrutin à la nomination de tous les suppléants.
M. Delehaye. - Il a été assez difficile de saisir les développements de la proposition. Comme la nomination des membres du jury d’examen ne doit avoir lieu que demain, je pense qu’il conviendrait de faire imprimer la proposition de l’honorable membre et de ne la discuter qu’à l’ouverture de la séance de demain. De cette manière, nous pourrons consacrer toute la séance actuelle à la discussion du projet de loi sur les tabacs, et si la proposition de l’honorable membre ne présente aucun inconvénient, elle pourra être adoptée demain, immédiatement après l’ouverture de la séance, de sorte que nous pourrons passer aussitôt après à la nomination des membres du jury.
M. Dubus (aîné). - Je croyais que la proposition que j’avais faite était facile à comprendre pour tout le monde. Il n’est pas ici question d’une opération à laquelle il s’agisse de procéder pour une première fois. Chaque année la chambre a nommé deux membres titulaires et deux membres suppléants de chacun des jurys d’examen ; et chacun de nous se souvient comment cette nomination s’est faite et combien de temps elle a exigé.
Ma proposition avait pour but de gagner du temps ; mais si l’on veut renvoyer la discussion à demain et si nous devions perdre en discussion le temps que nous aurions dû gagner par l’adoption de la proposition que j’ai faite, je préférerais la retirer.
M. Orts. - Messieurs, le motif de la proposition a été de gagner du temps. J’aime beaucoup de gagner du temps, mais j’aime aussi beaucoup d’examiner à fond une proposition toute nouvelle et qui d’ailleurs est de nature à ne recevoir son application qu’une seule fois ; car, ces nominations faites, nous entrons dans un autre ordre de choses qui résulte des dispositions de la loi nouvellement votée.
L’honorable député de Turnhout nous a dit qu’il était impossible, ou au moins fort difficile de comprendre dans la seconde liste une personne qui n’aurait pas réussi au premier scrutin, qu’il n’y a pas assez de temps pour que l’on s’entende. Je ne trouve pas cela ; je crois qu’il est fort possible que des membres qui auraient porté leur vote sur tel professeur ou sur tel magistrat à un premier scrutin auquel il n’aurait pas été nommé, puissent porter ce même candidat immédiatement sur la seconde liste. Dès lors, le motif déterminant de l’honorable M. Dubus vient à cesser ; et cela diminue singulièrement la valeur de l’autre motif qui l’a porté à faire la proposition, à savoir l’économie de temps.
Je crois donc que la proposition est digne d’être sérieusement méditée, et 2 heures ne sont pas trop pour examiner mûrement une proposition, qui peut-être, sera de nature à être accueillie.
M. Dubus (aîné). - Je retire ma proposition.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, dans la séance d’hier, un honorable membre m’a demandé quelles avaient été les déclarations faites en douane depuis le 1er janvier de cette année. Le chiffre des déclarations pour les cinq mois jusqu’au 1er juin est de 2,195,000 kilog,
M. Cogels. - M. le ministre des finances nous a fait distribuer hier des questions de principe. Je désire savoir si son intention est que ces questions de principe soient posées comme questions préalables, c’est-à-dire qu’elles soient résolues avant qu’on s’occupe de la discussion des articles de la loi, ou bien s’il les a présentées comme la marche à suivre dans la discussion, si ce n’est qu’une indication des questions à traiter dans la discussion générale.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ces questions de principe me paraissent embrasser tous les principes de la loi. Par conséquent il serait assez convenable qu’elles fussent décidées ayant de discuter les dispositions réglementaires de la loi. Car cette discussion implique l’adoption ou le rejet de dispositions fondamentales.
Je réponds donc d’une manière affirmative à la demande de l’honorable M. Cogels, excepté cependant pour une seule question qui me semble pouvoir être discutée isolément : c’est la dernière qui concerne les approvisionnements. Toutes les autres questions pourraient être décidées, me semble-t-il, avant d’entamer le projet de loi.
M. le président. - M. le ministre entend-il que l’on comprendra dans la discussion générale toutes les questions de principe, ou bien la discussion générale étant close, ouvrira-t-on une discussion sur chacune de ces questions de principe ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je pense, M. le président, qu’après la discussion générale, ces questions de principe pourront être mises aux voix.
M. le président. - Du reste, ce sera à la chambre à se prononcer sur la position de la question.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Certainement, c’est à la chambre à se prononcer à cet égard ; mais l’honorable M. Cogels m’a demandé mon opinion, et, en lui répondant, je n’ai entendu exprimer que mon opinion personnelle.
M. Lebeau. - S’il est reconnu que rien n’est préjugé sur le point de savoir si la chambre votera les questions de principe, de préférence aux articles de la loi, je pense que l’incident ne doit pas continuer. Mais si, par une suite d’antécédents successifs, on voulait engager peu à peu la chambre à changer pour ainsi dire son règlement, à substituer au vote par articles le vote par questions de principe, cela pourrait être, j’en conviens, très commode pour le gouvernement, mais cela paraîtrait changer singulièrement les attributions de la chambre. On la transformerait en quelque sorte ainsi en un corps purement consultatif chargé de donner exclusivement une direction aux ministres. Je pense qu’avant d’entrer dans une semblable manière de procéder, il faudrait y songer à deux fois.
Je ferai remarquer que lorsqu’on procède par questions de principe, beaucoup de députés peuvent se trouver dans une position singulière, dans une position si étrange, qu’il leur serait impossible de répondre ni oui ni non. Ainsi, par exemple, pour me renfermer dans la première question, l’on demanderait à la chambre si l’impôt sur le tabac sera augmenté. La réponse sera oui, pour certains membres, si l’on n’adopte pas un mode d’impôt et des mesures d’exécution qui leur répugnent telles que l’exercice des visites domiciliaires et autres mesures inquisitoriales auxquelles on a fait allusion dans la séance d’hier. La réponse sera non pour les mêmes membres, si l’augmentation de l’impôt devait impliquer l’adoption de ces mesures.
Sur la plupart des questions, on mettrait ainsi une fraction nombreuse de la chambre dans l’impossibilité de répondre, parce que la réponse affirmative ou négative dépend du mode d’impôt et des moyens d’exécution. J’appelle dès maintenant l’attention de la chambre sur ce point, afin qu’on ne pose pas peu à peu le principe d’une jurisprudence qui substituerait le vote sur des questions de principe au vote sur des articles de loi. C’est à la chambre seule, dans certains cas exceptionnels, pour faciliter la discussion, lorsque les questions qui la dominent sont trop complexes, à poser elle-même ces questions, mais je ne voudrais pas qu’on en vînt à substituer insensiblement et par une suite d’antécédents, un nouveau mode de procéder à celui qui a été suivi jusqu’à présent et que le règlement à formellement établi.
M. le président. - La chambre est saisie d’un projet de loi, il lui appartient de fixer l’ordre de ses délibérations. Lorsque la discussion générale sera close, la chambre décidera si elle passera au vote des questions de principe ou à la discussion des articles du projet de loi. Il est donc inutile de prolonger encore cette discussion incidentelle.
M. de Garcia. - Je désire dire quelques mots sur l’incident : les idées que vient d’émettre l’honorable M. Lebeau, sont fort justes, et je crois que les résolutions de la chambre par mode de question de principe, doivent être prises dans le sens indiqué par l’honorable préopinant et ici reconnu ; l’on ne peut méconnaître que dans bien des circonstances il est utile de procéder de cette manière. Ce n’est pas la première fois que la chambre adopte ce mode. Depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette enceinte, chaque fois que des lois plus ou moins complexes nous ont été soumises, la chambre a presque toujours posé des questions de principe. J’entends bien toutefois que le vote que j’émets sur une question de principe ne me lie en rien pour l’adoption ou le rejet des articles relatifs à cette question, car la décision à prendre sur tel ou tel article d’une loi dépend souvent de la résolution prise à l’égard d’autres articles ou de l’étendue que l’article sur lequel il s’agit de voter donne au principe d’abord adopté. C’est ainsi, par exemple, qu’après avoir voté en principe pour une élévation de l’impôt sur le tabac, je me croirais parfaitement libre de rejeter l’article qui porterait ce droit à un chiffre trop élevé.
M. Rogier. - Messieurs, nous avons vu récemment l’inconvénient qui résulte du mode de procéder par questions de principe. Ce mode place souvent les membres de la chambre dans une position fort difficile. Il peut arriver qu’après l’adoption d’un principe, la manière dont ce principe est appliqué dans les articles, le renverse complètement ; dans ce cas les membres qui ont adopté le principe, se trouvent dans le plus grand embarras. Ce qui est arrivé sous ce rapport dans la discussion de la loi sur les droits différentiels, pourrait se renouveler pour la loi actuelle, d’autant plus que M. le ministre des finances pose des questions tout à fait contradictoires.
Ainsi, le gouvernement demande : « Aura-t-on recours à un droit d’accise ? » Et c’est une question qui résulte de la loi. Mais il demande ensuite : « Aura-t-on recours à un droit de douane ? » Cette question sort entièrement de la loi. Le principe d’un droit de douane renverse complètement la loi. Comment M. le ministre peut-il poser à la fois deux questions aussi opposées entre elles, deux principes dont l’un renverse entièrement l’autre ? M. le ministre est-il indifférent à l’adoption de l’un ou de l’autre de ces principes ? J’ai peine à le croire.
Il doit tenir au principe du droit d’accise qui sert de base à la loi adoptée par la section centrale. Le gouvernement, après avoir vu renverser ce principe, se réserve-t-il d’adopter le principe contraire ? S’il faut opter entre les deux, je désire pour ma part que la chambre adopte le principe d’un droit de douane, mais toujours faut-il que le gouvernement ait une opinion et ne soumette pas à la chambre de simples doutes. S’il veut renoncer au droit d’accise, que je crois condamné par la majorité parlementaire, alors qu’il le déclare, cela simplifiera beaucoup la discussion. Si le gouvernement veut se rallier franchement des maintenant à un droit de douane modéré, il nous épargnera des débats qui pourront être fort longs et probablement il rencontrera alors autant d’adhésions que son projet rencontre maintenant d opposition.
Je demande donc que le gouvernement veuille bien nous faire connaître ses intentions définitives relativement à la base de l’impôt qu’il veut établir.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Le gouvernement a un devoir à remplir, c’est de créer des ressources pour faire face aux dépenses publiques. La question principale n’est pas de savoir si l’on établira un droit d’accises ou un droit de douane, la question principale est de savoir si l’on donnera au trésor des ressources qui lui sont indispensables.
Après cela, je soutiendrai qu’un droit d’accise est préférable à un droit de douane ; mais irai-je renoncer aux ressources que le tabac peut fournir, par cela seul que la chambre préférerait un droit de douane ?
Je demande un droit d’accise, parce que le régime des accises permet de surveiller plus activement la fraude, parce qu’il donne des armes plus efficaces à l’administration, parce qu’enfin il comporte un droit plus élevé. Cependant je n’irai pas renoncer aux ressources que la chambre consentirait à donner au trésor, alors que je suis pénétré de la nécessité de ces ressources,
Ainsi, messieurs, en premier lieu je demande une augmentation de l’impôt sur le tabac, parce que cette augmentation est indispensable ; en second lieu, je préfère le régime des accises à celui des douanes, mais si la majorité de la chambre, après discussion, après m’avoir entendu, préfère un droit de douane, je n’irai pas refuser des ressources nécessaires au trésor.
M. de Haerne. - Messieurs, sans entrer dans la question de savoir si, en général, la chambre fait bien de procéder par questions de principe avait la discussion des articles, je pense que, dans la discussion qui nous occupe, cette marche est très rationnelle et qu’elle abrégera beaucoup la discussion. Mais je crois que l’on pourrait poser les questions dans un autre ordre, car l’observation faite par l’honorable M. Lebeau, me paraît tout à fait fondée. La première question est celle-ci : L’impôt des tabacs sera t-il augmenté ? Pour répondre à cette question, il fait savoir quelle sera la nature du droit.
Certainement s’il s’agit d’établir un droit d’accises, je répondrai négativement, mais s’il s’agit d’un droit de douane, alors je consentirai volontiers à une certaine augmentation.
Je pense donc, messieurs, qu’il faudrait changer l’ordre des questions.
M. le président. - Ce sera à la chambre à se prononcer à cet égard.
M. Delfosse. - Ainsi, rien n’est préjugé.
M. le président. - Non.
M. Cogels. - Je regrette d’avoir fait perdre du temps à la chambre, mais j’avais besoin d’être fixé sur la question que j’ai soulevée, pour savoir quelle étendue je devais donner à mes observations ; car si une deuxième discussion devait avoir lieu après l’examen des questions de principe, alors j’aurais pu me restreindre beaucoup aujourd’hui.
Messieurs, je conçois tout ce qu’il y a d’ingrat dans la position d’un ministre des finances lorsqu’il doit venir proposer une loi d’impôt ou de majoration d’impôt. Certainement, si je reconnaissais la nécessité ou seulement l’utilité de cette loi, je la soutiendrais, je braverais l’impopularité qu’une semblable conduite attire ordinairement. Mais je pense, messieurs, que la loi n’est ni nécessaire ni utile, et c’est ce que je vais chercher à prouver.
Le premier argument sur lequel s’est fondé le gouvernement, c’est notre situation financière, c’est le déficit. Nous avons donc à examiner d’abord si le déficit existe, s’il est aussi considérable qu’on le prétend, et en second lieu si, alors même qu’il en serait ainsi, ce serait bien à la fabrication des tabacs, au commerce des tabacs qu’il faudrait demander les ressources nécessaires pour couvrir le découvert du trésor.
D’abord, messieurs, je ne crois pas que la situation financière soit aussi mauvaise qu’on veut la dépeindre. S’il existe un déficit momentané dans nos ressources, nous avons la presque certitude de voir combler ce déficit dans les exercices futurs, car déjà nous avons réalisé une économie par la conversion de la rente, et nous avons, dans un terme qui n’est pas éloigné, une nouvelle économie plus considérable peut-être à rivaliser par le même moyen.
Ensuite, messieurs, faut-il toujours augmenter les ressources, faut-il toujours proportionner les ressources aux dépenses ? N’y a-t-il pas de dépenses sur lesquelles des économies puissent être faites ? Nous avons encore un budget à discuter et c’est le budget sur lequel la grande majorité de la chambre a toujours désiré voir opérer des réductions. Je pense que, cette année, surtout si l’organisation de l’armée est votée avant le budget de la guerre, la chambre sera conséquente avec le vœu qu’elle n’a cessé d’émettre et qu’elle fera une réduction notable sur le budget de la guerre, réduction qui suffira peut-être pour combler entièrement le déficit.
Et quand il en serait autrement messieurs, je sais bien que lorsque des économies sont impossibles, il n’y a d’autre ressource pour combler le déficit que d’établit de nouveaux impôts ou de recourir à l’emprunt ; je sais aussi qu’il ne faut avoir recours à l’emprunt que dans des circonstances tout à fait extraordinaires ; mais, messieurs, avant d’établir un impôt, il faut examiner quels sont les impôts qui peuvent être établis avec le moins d’inconvénient.
M. le ministre a dit que les populations étaient généralement hostiles à l’impôt. Cela est vrai, et pourquoi ? pour plusieurs motifs. Et pourquoi en Belgique, peut-être plus qu’ailleurs ? c’est qu’on y a payé, pendant longtemps, l’impôt comme un tribut à l’étranger ; ce n’est que depuis quatorze ans que nous pouvons dire que l’impôt et vraiment payé au profit de la Belgique, c’est-à-dire qu’il est employé entièrement en Belgique. Un second motif, c’est que souvent l’impôt a été mal dépensé, et plus souvent encore mal appliqué.
Pour qu’un impôt puisse être établi, la première question à examiner, c’est celle de savoir s’il ne peut nuire au développement de la fortune publique ; car il ne faut pas considérer l’impôt seulement sous son point de vue fiscal, mais il faut encore et surtout le considérer sous son point de vue économique.
Si vous établissez un impôt susceptible d’amener dans les caisses du trésor une somme de 3 millions, et que vous priviez par là le commerce et l’industrie d’un bénéfice annuel de 2 millions vous ferez une très mauvaise opération, parce qu’en résultat, vous aurez appauvri annuellement le pays de deux millions.
Voila exactement la position dans laquelle on se trouve maintenant en établissant un impôt sur les tabacs ; lors même qu’un impôt vous produirait toutes les ressources que vous vous promettez (chose que je conteste et que j’examinerai plus tard), vous auriez fait un acte extrêmement impolitique, parce que vous auriez prive votre pays d’un bénéfice annuel qui serait plus considérable que l’impôt même que vous prélèveriez.
Messieurs, on ne s’est pas formé une idée très exacte de la fabrication et du commerce des tabacs. On a perdu de vue que la Belgique n’a vu s’introduire chez elle cette nouvelle industrie, qu’après sa séparation de la Hollande ; que depuis lors, quoi qu’en ait dit M. le ministre des finances, si nous en exceptons quelques temps d’arrêt, nous avons vu cette industrie constamment se développer, et nous pouvons espérer de la voir se développer encore, si nous ne portons pas obstacle à ses développements.
On nous a donné dans le rapport de la section centrale, et d’après les indications du gouvernement, une statistique du nombre des fabriques et des ouvriers qui y sont employés ; j’engage la chambre à ne pas s’arrêter à ces tableaux, car ils manquent complètement d’exactitude. Il est impossible d’obtenir des renseignements positifs sur le nombre des ouvriers que la fabrication des tabacs emploie.
Dans la fabrication du tabac, proprement dit, on peut connaître ce nombre d’une manière approximative mais il est impossible d’avoir ce renseignement, en ce qui concerne la fabrication des cigares ; et c’est cette fabrication qu’il est le plus utile d’encourager, parce que généralement l’ouvrier qui y est employé, s’en occupe chez lui, et que toute sa famille travaille avec lui. Parmi ces ouvriers, il en est même qui ne sont attachés à aucun fabricant.
Mais, messieurs, pourquoi devons-nous chercher des ressources, de préférence sur le tabac ? On nous a cité comme exemple, la France, l’Angleterre, la Prusse et d’autres pays encore où l’on obtient par le tabac des ressources fort considérables, grâce, soit à l’existence du monopole, soit à l’interdiction à la plantation, soit enfin à des mesures qu’on ne consent et qu’on ne consentira jamais à introduire en Belgique.
Mais la situation de la Belgique peut-elle être assimilée à celle de ces pays ? Non, certainement ; le pays avec lequel la Belgique a le plus de rapports, c’est la Hollande, pour ce qui concerne la fabrication du tabac. Et, bien, tout le monde sait quelles sont les difficultés financières qu’a éprouvées la Hollande dans ces dernières années ; or a-t-elle jamais songé à chercher une ressource dans la fabrication des tabacs ? Nullement, elle a préféré recourir à des mesures qui devaient soulever assurément bien plus de réclamations, de la part de la généralité de la nation, que ne l’aurait fait un impôt sur les tabacs. Le gouvernement hollandais, en sage économiste, a senti qu’il ne devait pas priver la Hollande d’une industrie qui a contribué pendant des siècles à sa prospérité.
Ainsi donc, je m’occuperai d’abord de la première question :
« L impôt du tabac doit-il être augmenté ? »
Eh bien, je ne dirai pas complètement non ; et je crois que la grande majorité de la chambre consentirait à une augmentation modérée ; il y a plus, c’est que, selon moi, un droit de douane modéré serait tout à la fois plus productif et plus utile qu’un droit d’accise.
Lors de l’examen de la loi au sein de la section centrale, on avait commencé par poser cette question, et elle avait été résolue affirmativement. Il est vrai qu’on avait dit alors que toutes les résolutions qui se prenaient n’étaient encore que provisoires ; on avait posé le chiffre de 15 fr. : je m’y suis opposé, et je n’ai consenti qu’au chiffre de 10 fr. ; cependant le chiffre de 15 fr. a été adopté à une faible majorité ; mais toujours est-il que je l’ai combattu.
On dit aujourd’hui dans le rapport de la section centrale que le chiffre de 35 fr. a été rejeté par 4 voix contre 3, et que 4 autres voix contre 3 ont trouvé que 30 fr. étaient suffisants. La chambre pourrait inférer de là que les trois membres qui se sont opposés au chiffre de 30 fr., auraient trouvé que ce chiffre n’était pas suffisant. Il n’en est pas ainsi : ces trois membres qui se sont opposes au chiffre de 30 fr., s’étaient également opposés au chiffre de 35 fr. Ils avaient trouvé l’un et l’autre exorbitants.
De l’aveu même de M. le ministre des finances, le droit qu’il avait proposé, devrait porter un grand changement dans nos relations ; M. le ministre a évalué à 2 millions de kilog, la diminution de nos infiltrations dans les pays voisins. J’admets ce calcul, et je crois que cela pourrait aller au-delà ; mais en admettant ce chiffre et en admettant encore, conformément à l’avis de M. le ministre des finances (non en sa qualité actuelle, il est vrai, mais en sa qualité de rapporteur de la section centrale en 1838), en admettant qu’avec un droit de 30 fr., nous eussions une infiltration égale à peu près à celle de la Hollande, il y aurait donc une perception de droits qui échapperait au trésor sur une quantité de 4 millions de kilog. Or, en admettant encore les calculs du gouvernement. en admettant 6,800,000 kilog. de tabac exotique et 2,200,000 kilog. de tabac indigène, ce qui ferait, en retranchant les 4 millions, que le gouvernement ne percevrait des droits que sur cinq millions au lieu de neuf.
Messieurs, on nous dira que nous n’avons pas à redouter la fraude de la part de la Hollande. Je dis que vous devez la redouter, et vous ne pouvez pas y échapper. Voici comment se fait la fraude en France. Elle se fait d’abord par les fraudeurs proprement dits, et ensuite, si je puis m’exprimer ainsi, par ce mouvement de va et vient de toutes les populations voisines de la frontière qui viennent prendre leurs approvisionnements en Belgique, et qui viennent y prendre, soit la quantité dont la circulation est libre, soit une quantité plus forte qui peut facilement se soustraire à la surveillance des employés.
Il n’y aurait ici qu’un changement de rôle, un déplacement, c’est-à-dire que les fabriques de tabac que nous voyons établir maintenant sur notre frontière du Midi, la Hollande les établirait sur la frontière méridionale ; et comme notre ligne de douanes est beaucoup moins bien servie que celle de France, que nous n’avons pas à côté de notre ligne de douanes la grande surveillance des droits réunis qui est extrêmement sévère, eh bien, ce mouvement de va et vient s’établirait nécessairement sur la frontière de Hollande, et vous verrez sur toute la frontière hollandais naître des fabriques et des débits de tabac qui viendraient infiltrer des tabacs chez vous comme nous en infiltrons maintenant en France.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que le commerce interlope est un commerce immoral. Ce commerce ne peut pas se comparer à la fraude proprement dite. Il est bien certain que le cultivateur qui, les dimanches et les fêtes, et même tous les jours de la semaine, dépasse la frontière d’un pays voisin pour y faire un petit approvisionnement, vous ne pouvez pas dire que cet homme se démoralise ; ce cultivateur est autant honnête homme que celui qui ne se livre pas à ce que j’appellerai cet innocent trafic.
Vous voyez donc que, malgré l’opinion manifestée par M. le ministre des finances, vous ne pourriez pas vous défendre des infiltrations en exemption de droit.
Je citerai encore un exemple. Je rappellerai l’influence qu’a eue une majoration de droit dans un pays où l’on peut plus facilement se garantir de la fraude. Je veux parler de l’Irlande. En 1798, le droit était de 8 deniers par lire, et la consommation s’élevait à 7,337,000 livres ; en 1842, le droit était de 3 schellings, et la consommation ne s’élevait plus qu’à 5,300,000 livres environ, tandis que l’usage de tabacs a pris, depuis 1798, en Irlande, un développement plus général, et que la population de ce pays a doublé ; et de l’aveu même fait par M. Poulet-Thompson, en 1830, aveu consigné dans les actes parlementaires d’Angleterre, plus de la moitié du tabac consommé en Irlande et en Ecosse échappe au droit ; il en est de même du tiers des tabacs consommés en Angleterre.
Or, je vous le demande, où trouverez-vous une frontière aussi facile à garder que celle de l’Angleterre ? Et cependant, en une seule année, au su de l’administration, il a été fraudé 70 cargaisons, formant 3,614,000 livres.
Vous voyez donc qu’un droit de 10 fr. serait, sinon aussi productif qu’un droit de 30 fr., serait au moins équivalant aux trois cinquièmes. Vous devez ensuite déduire du produit du droit de 30 fr. les frais que devrait faire le gouvernement pour les percevoir. C’est encore là une considération dont il faut tenir compte, il faut voir si la perception est facile. Il faut éviter les impôts qui peuvent donner lieu à de grands frais ou à de grandes vexations.
Mais, messieurs, un droit de douane, nous dit-on, n’est pas suffisant pour assurer la perception de l’impôt. Cela peut-être vrai lorsqu’on met un impôt exagéré, mais cela ne l’est pas quand on se renferme dans les bornes de la modération. Là encore il y a une inexactitude dans le rapport de la section centrale. L’unanimité de la section centrale n’a pas demandé un droit d’accise.
M. de Corswarem. - Elle l’a admis.
M. Cogels. - Oui, elle l’a admis comme l’homme qui est condamné à mort admet les travaux forcés à perpétuité, parce qu’il n’y avait plus à opter qu’entre le droit de fabrication et les vexations auxquelles il devait donner lieu, et le droit d’accise. Le droit de douane était hors de cause, sans cela tous les membres de la minorité de la section centrale, moi le premier, nous nous fussions opposés avec énergie à l’établissement d’un droit d’accise. C’est ce que tous les membres de la section centrale s’empresseront d’attester.
Je ne sais si, sous ce rapport, mes renseignements sont exacts, mais on paraît avoir consulté pour l’établissement de ce nouvel impôt, non seulement les lois françaises, mais les membres de l’administration française. On a été, si je puis me servir de cette expression, à confesse au diable. Ce serait à peu près comme si, quand nous avons un emprunt à faire, nous allions demander à messieurs les princes de la finance de nous en indiquer les conditions et le taux.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - On n’a pas consulté l’administration française.
M. Cogels. - D’après mes renseignements, si l’avis de l’administration française n’a pas été demandé, il a été donné officieusement.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Nous avons demandé des documents et rien de plus.
M. Cogels. - Maintenant, pour chercher à rendre la loi plus acceptable par les fabricants et négociants surtout on a cherché à amoindrir autant que possible l’importance du commerce interlope. Il est impossible d’avoir sur ce commerce des données exactes, mais les calculs qu’on a posés pèchent par leur base. Ainsi, pour la consommation de la Belgique, on a établi une règle de comparaison basée sur les ventes qui se faisaient, en ajoutant la part du commerce interlope dans les départements voisins qui tombent dans les zones où se vend ce tabac de cantine, mais on a oublié de remarquer que ce qui se passe de la Belgique vis-à-vis des départements limitrophes, se passe également de ces départements limitrophes vis-à)-vis des départements du centre. Il est évident que si le tabac de cantine, dans certaines zones, se vend 2 fr. et plus loin 4 et 5 fr., une infiltration doit se faire des zones privilégiées dans les zones du centre où le tabac est beaucoup plus cher.
Il est un autre motif qui doit nous faire repousser un droit d’accise. C’est que ce serait pour nous l’anéantissement complet de l’industrie du tabac en tant qu’elle touche à la fortune publique, c’est-à-dire, à nos relations avec l’étranger.
L’introduction du régime d’accise bornerait la fabrication, je ne dirai pas aux besoins de la consommation, mais seulement d’une partie de la consommation, car il faut en distraire ce qui serait fourni en fraude par les pays voisins. Je m’explique d’après le régime d’accise dans le rayon réservé, c’est là que vous avez le plus grand nombre de débits et de fabriques. Vous ne pouvez établir de débits ou de fabriques qu’avec l’autorisation du gouvernement.
Il est vrai que M. le ministre a déclaré qu’il ne comptait faire usage des pouvoirs que la loi lui donne que sur les frontières où nous avons à nous défendre contre l’introduction des produits étrangers, mais non sur la frontière où nous avons à favoriser nos exportations. Cette déclaration ne me suffit pas, parce que les ministres changent et qu’on ne sait pas par qui ils peuvent être remplacés. On ne sait pas d’ailleurs quelles influences peuvent les dominer plus tard. Il suffirait de l’exigence de l’une ou l’antre des puissances qui exercent de l’influence sur notre gouvernement, pour faire dévier un ministre de la marche qu’il se propose de suivre et que peut-être il ne lui serait pas facultatif de suivre dans l’avenir. Vous voyez donc que le régime de l’accise ne peut pas être appliqué au tabac si vous voulez conserver le commerce que vous en faites.
Maintenant nous avons une autre question qui se rattache intimement à celle dont je viens de m’occuper. Dans le cas où la chambre se rallierait à un chiffre très modéré, comme droit de douane, que ferez-vous pour la culture du tabac indigène ? Je pense qu’il sera nécessaire de lui accorder au moins la protection dont elle jouit maintenant. On pourra même l’étendre un peu, mais il faudra frapper ses produits d’un certain droit. Au reste, cette question je ne ferai, que l’effleurer, parce que d’autres membres seront mieux à même de la traiter en pleine connaissance de cause.
Reste le droit sur le débit. Le droit de débit, tel qu’il avait été proposé par le gouvernement et que M. le ministre des finances semble vouloir le maintenir, oblige les débitants tenir des registres que plusieurs seraient incapables de tenir. C’est pour ces motifs que la section centrale a repoussé ce droit de débit. Il nécessitait d’ailleurs une surveillance de débit qui aurait occasionné des frais très considérables. Car, ainsi que vous aurez pu le voir par le tableau, le nombre des débitants est beaucoup plus considérable que celui des fabricants. Il est de 14 mille. Si cet exercice devait se pratiquer chez 14 mille individus, voyez quel nombre d’employés il faudrait pour y suffire.
Maintenant ii ne me reste pus qu’une seule question à traiter. C’est la plus grave, c’est celle de la rétroactivité. Ici, messieurs, je m’applaudis de la situation que je me suis faite, quand il s’est agi de la réclamation des marchands de vin. Vous vous rappelez que, combattant cette réclamation qui a été admise par la chambre, j’ai dit : Prenez-y garde, car le principe que vous allez consacrer est très dangereux, ou pourra le faire tourner contre vous dans des questions qui atteindront d’une manière bien plus grave votre commerce et votre industrie.
M. Delehaye. - La question n’était pas la même.
M. Cogels. - Cependant il y avait beaucoup d’analogie. C’est un des arguments que j’ai fait valoir. Je conçus que les membres qui ont voté dans un autre sens que moi n’aient pas eu l’intention de consacrer la rétroactivité comme principe. J’admets que la réclamation des marchands de vin ne renfermait pas le principe de la rétroactivité ; cependant si on l’avait admise, cette réclamation, on aurait pu l’invoquer aujourd’hui contre nous comme un argument.
Lorsque M. le ministre nous a demandé hier : Mais l’impôt est-ce le négociant, le fabricant qui le paye ? J’ai dit oui ; mais oui en partie
Le il a recueilli un oui absolu. Je dirai encore oui en très grande partie et quelquefois il peut être obligé de le payer intégralement. Quand un article est menacé d’un impôt considérable, qu’arrive-t-il ? des importations un peu plus considérables certainement. Mais le ministre dit qu’il y a des approvisionnements très considérables constatés. Je crois qu’il y a là de l’exagération, que les approvisionnements ne sont pas aussi considérables qu’on le prétend. D’ailleurs, les approvisionnements n’ont pas seulement été faits par les négociants, mais par tous les consommateurs, dans la prévision d’une augmentation de droit. Ces approvisionnements diminuent pendant un certain temps la demande de l’article et nuisent considérablement au mouvement du commerce.
M. le ministre dit encore : Il vous serait impossible d’empêcher si le principe de rétroactivité pouvait être consacré, il vous serait impossible d’empêcher qu’une grande partie des approvisionnements fût soustraite à l’impôt. Quelle est la position du négociant de bonne foi ? Il supporte les droits entiers et ne peut vendre, parce qu’on ne voit pas la marchandise s’élever tout à coup de toute la quotité du droit, mais rester souvent au même prix ct quelquefois baisser au-dessous du prix antérieur à l’établissement du droit, parce que, comme il y a des approvisionnements plus considérables qu’il ne faut pour les besoins de la consommation, par suite de ces approvisionnements, il y a ralentissement dans les demandes, et ensuite des ventes forcées qui ont pour effet de faire laisser l’article au-dessous du taux auquel il était avant l’établissement du droit. Je m’appuierai d’un exemple récent ; quand nous avons augmente le droit sur le sucre, nous avons fait aux raffineurs la position déplorable dans laquelle ils sont maintenant, Avons-nous vu une grande hausse sur le sucre ? Ce qu’il y a eu, c’est que la position du consommateur est restée la même, et la position du raffineur est devenue désastreuse. Voilà toutes les conséquences qu’aura le recensement pour les fabricants de bonne foi.
Mais comment ferez-vous pour le tabac qui doit rester en fermentation pendant longtemps ? Comme on vous l’a très bien expliqué dans un mémoire qui vous a été distribué, il y a du tabac qui doit rester en fermentation pendant un, deux et même jusqu’à 8 ans pour acquérir une bonne qualité. Obligerez-vous le négociant à faire le déboursé du montant des droits ? Ou si vous l’admettez à fournir un cautionnement, quel délai lui accorderez-vous ? Vous ne lui accorderez certainement pas le délai nécessaire pour vendre. Il faudra qu’il paye ; ce sera une espace d’expropriation ; vous amènerez la ruine du négociant qui se borne à ses capitaux et dont la fabrication se trouve rigoureusement en rapport avec ses moyens. Il sera ruiné par la dépense considérable que vous lui imposerez.
C’est par ces motifs, que j’ai fait valoir dans la section centrale, que je me suis opposé à la rétroactivité. Je ne pense pas que la chambre consacre un principe qui aurait des conséquences aussi funestes.
Mais, dit-on, il y a des approvisionnements considérables ; vous allez procurer au négociant riche de très gros bénéfices, qui seront payés par le consommateur, bénéfices que n’aura pas le négociant dont la caisse n’est pas aussi bien garnie. Voyous donc si ces approvisionnements sont aussi considérables qu’on veut bien le dire. La consommation du tabac exotique serait de 6,800,000 kilog. d’après les calculs de M. le ministre des finances. Les importations ont été :
En 1842, de 10,370,789 kilog.
En 1843, de 9,276,327 kilog.
Total, 19,647,116 kilog.
Dont à déduire la consommation pendant cinq ans 13,600,000 kilog.
Reste, 6,047,116 kilog.
J’ajoute les importations pendant les cinq premiers mois de l’année, 2,195,000 kilog.
Total, 8,242,116 kilog.
D’où à déduire le montant de la consommation probable pendant ces mêmes cinq premiers mois, 2,842,116 kilog.
Reste, 5,400,00 kilog.
Vous voyez que ce ne sont pas là des approvisionnements considérables ; car ils ne représentent pas la consommation moyenne d’une année.
Je n’abuserai pas plus longtemps de votre attention car je ne crois pas que la chambre désire prolonger cette discussion générale. Mais je crois que, d’après les considérations que j’ai fait valoir, la chambre ne consentira à admettre ni le droit d’accise, ni la rétroactivité, ni une augmentation de droit considérable.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Au début de son discours, l’honorable préopinant a cherché à établir que l’impôt demandé était inutile. Il nous a cité comme diminution de dépenses la conversion qui a été opérée récemment de l’emprunt de 1831. Il est vrai, comme je l’ai déjà reconnu, que cette conversion a amené une économie notable. Mais je rappellerai encore que cette économie était prévue, lorsque les budgets de 1841 ont été présentés, et que nous avons en vue d’obtenir au moyen de ces économies quelques excédants de recettes et de dépenses, parce que nous savons qu’il y a toujours des dépenses imprévues. Malgré toute l’attention du gouvernement à comprendre dans les budgets toutes les dépenses, il y en a toujours qui échappent à ses prévisions. Chaque année, il y a des charges imprévues, nous ne pouvons avoir la prétention de tout prévoir, quoique nous nous efforcions de le faire.
Par exemple, nous ne savons pas à cette époque, et peut-être ne connaissons-nous pas même aujourd’hui le chiffre exact de la dépense à faire pour compléter nos lignes de chemin de fer. Chacun sait qu’il faudra une double voie sur différentes lignes. Il est probable qu’on ne pourra compléter ces lignes qu’au moyen d’une nouvelle dépense de 10 à 12 millions. Dès lors, nouvelle dépense à porter chaque année à nos budgets.
Il est vrai que l’honorable membre a pensé à des économies que nous pourrons réaliser dans l’avenir. Si nous escomptons toujours ainsi les avantages de l’avenir, sans prendre en considération les dépenses qui peuvent se présenter, je crains bien que nous ne soyons pris au dépourvu quant le moment sera venu, et que nous ne restions dans le statu quo quant à l’insuffisance de nos ressources. Il me sera permis de dire, en passant, que je ne partage pas l’opinion de l’honorable préopinant sur les économies à apporter au budget de la guerre. Je crois que de hautes considérations et le sentiment national nous font une loi de tenir notre armée sur un pied respectable.
L’honorable membre fait observer avec raison qu’il faut considérer la nature de l’impôt ; sans doute, mais à tout impôt on trouve des objections. Jamais le gouvernement n’a présenté un impôt, sans qu’on ait soutenu que c’est l’impôt le plus détestable qu’on pût trouver. Chaque impôt, chaque augmentation d’impôt, si faible qu’elle soit, a été combattue avec les expressions les plus énergiques.
L’honorable préopinant a cité la Hollande ; elle se gardera bien, dit il, d’imposer le tabac. Mais les intérêts des Pays-Bas ne sont pas les mêmes que ceux de la Belgique. La Hollande frappe la houille d’un droit d’accise, d’un droit de consommation. Comment une telle proposition serait-elle accueillie dans le pays ? La Hollande ouvre ses frontières en quelque sorte à l’importation de tous les tissus, c’est-à-dire qu’elle ne les frappe que d’un droit de 4 p. c. Comment encore une telle proposition serait-elle reçue en Belgique ? Nous ne pouvons donc comparer le système économique de la Hollande à celui de la Belgique. Il y a d’autres nécessités en Belgique que dans les Pays-Bas.
L’honorable membre pense qu’un droit de douane serait préférable, que son produit serait même supérieur à celui de l’accise ; il nous a cité l’Angleterre comme point de comparaison ; il nous a dit que, malgré tous les moyens de répression de la Grande-Bretagne, la fraude, surtout celle du tabac, pénètre dans ce pays. Je le conçois ; il s’agit d’un droit vingt-deux fois plus fort que celui que nous proposons.
Le droit de 30 fr. sera la vingt-deuxième partie du droit du Royaume-Uni. On conçoit qu’avec un tel appât, la fraude renverse tous les obstacles ; mais ici, la fraude n’a qu’un bien faible bénéfice, qui ne balancerait pas les dangers de la fraude ; car, quoi qu’on ait dit, la loi du 6 avril a jeté l’épouvante parmi les fraudeurs. Aujourd’hui les porteurs sont bien plus difficiles à trouver pour notre pays.
M. Delehaye. - On a souvent saisi des tissus.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Sans doute ; mais plusieurs bandes de fraudeurs ont été anéanties, elles ne se représentent plus maintenant.
L’honorable préopinant ne veut pas que l’on considère comme immoral le trafic qui se fait sur notre frontière. J’avoue que j’ai toujours éprouvé quelque embarras à expliquer que nous conservons notre commerce interlope. La fraude ne se fait pas toujours de la manière indiquée par l’honorable membre. Une partie se fait de cette manière ; elle se fait aussi par bandes à pied et par bandes à cheval.
L’honorable membre a supposé qu’on avait cherché à amoindrir l’importance du commerce interlope. Je m’en suis procuré le chiffre, j’ai cherché à le vérifier par tous les moyens possibles. J’ai fait faire une enquête sur toute la ligne. Le chiffre coïncidait parfaitement avec notre consommation probable. Il est vrai que nous ne pouvons l’établir que par des probabilités.
L’honorable membre paraît d’accord avec moi, quant à ces probabilités ; il ne les a combattues que relativement à deux points de comparaison.
On a comparé la consommation du département du Nord avec la consommation de la Belgique. C’était plutôt comme preuve de nos indications que pour établir notre consommation. Après avoir établi notre consommation par les différents moyens qui ont été indiqués, nous avons comparé notre consommation à celle du département du Nord.
L’honorable membre a fait une observation très juste ; il a dit : La mise en consommation du tabac de cantine n’a pas lieu exclusivement dans le département du Nord ; sans doute, il doit s’en infiltrer une partie dans les départements voisins. Mais, d’un autre côté, l’inhumation du tabac étranger dans le département du Nord remplace le tabac de cantine qui passe dans les départements de l’intérieur. Je ne soutiens pas que tous les tabacs qui pénètrent en France restent dans les départements limitrophes ; j’ai déjà établi qu’il n’en était pas ainsi ; mais j’affirme qu’il en reste nécessairement une partie.
Il y a d’ailleurs, messieurs, une raison de croire que la consommation en Belgique est plus forte que dans les départements limitrophes : c’est que les prix ont toujours été plus modérés en Belgique et que nécessairement la modération des prix augmente la consommation.
L’honorable M. Cogels a parlé du droit de débit. Je ne ferai en ce moment qu’une seule observation, me réservant, s’il y a lieu, de prendre ultérieurement la parole : c’est que nous avons supprimé tous ces exercices dont a parlé l’honorable membre, tous les exercices du moins qui pouvaient être considérés comme trop gênants pour les débitants et comme devant nécessiter un grand accroissement de personnel dans l’administration. Je déclare que la dépense qui devrait résulter de l’exécution de la loi qui est en ce moment en discussion, telle qu’elle a été proposée par la section centrale et adoptée par moi, ne donnera lieu qu’â une très faible dépense, que je n’évalue pas à plus de 20 à 30 mille fr.
Messieurs, j’entends que l’on veut contester ce chiffre de la dépense. Je dirai que les employés qui sont attachés au service de surveillance des fabriques de sucre indigène, seront une partie de l’année sans occupation, et que, dans cette partie de l’année, ils surveilleraient la culture et le mouvement du commerce du tabac.
Vous remarquerez, messieurs, qu’il s’agit d’une simple surveillance sur les planteurs et sur les débitants. Cette surveillance ne doit pas durer toute l’année ; elle doit se faire à certaines époques imprévues. D’ailleurs, elle ne se ferait que très rarement et pour les débitants soupçonnés de se livrer à la fraude ; elle ne se ferait pas rigoureusement.
Quant aux approvisionnements, je dois faire une simple rectification. Dans l’exposé des motifs l’année 1842 avait été comprise pour former la moyenne. Je crois que c’est à tort ; notre consommation des tabacs étrangers ne doit pas être évaluée à 6,700,000 kil. Je crois que nous serons beaucoup plus près de la vérité en écartant l’année 1842, parce que les importations de cette année ont été tout à fait anormales.
Voilà l’observation que je fais en ce qui concerne les approvisionnements. Je me réserve de prendre la parole plus tard sur la question de rétroactivité.
M. de Corswarem, rapporteur (pour un fait personnel). - Messieurs, l’honorable M. Cogels m’a accusé tantôt d’avoir rendu infidèlement les décisions de la section centrale.
M. Cogels. - Je n’ai pas dit cela. J’ai dit : avec inexactitude.
M. de Corswarem, rapporteur. - Je tiens à expliquer à la chambre en quoi consiste cette inexactitude. Voici, messieurs, le procès-verbal de la section centrale même, rédigé par M. le président :
(L’orateur a donné lecture de ce passage.)
Maintenant voici comment j’ai analysé ce procès-verbal : « La section centrale trouve, par 4 voix contre 3, que ces derniers droits combinés dans leur ensemble, sont encore trop élevés ; et par 4 autres voix contre 3, qu’un droit unique de 30 fr. est suffisant.
« Ce dernier étant admis, elle a demandé à l’unanimité qu’il fût perçu comme droit d’accise. »
L’honorable M. Cogels trouve que j’ai commis une inexactitude, en disant que la section centrale a demandé à l’unanimité ; je conviens qu’il aurait été plus exact de dire qu’elle a décidé à l’unanimité de proposer qu’il fût perçu comme droit d’accises.
Cette différence de rédaction est cependant si peu importante, que je ne m’y serais pas attaché si je ne voulais profiter de l’occasion pour signaler une erreur qui s’est glissée dans le rapport même. Je tiens à la signaler, parce que peut-être pourrait-on argumenter de cette erreur.
A l’art. 60 du projet du gouvernement et 47 de celui de la section centrale, il est dit : « Les tabacs existants dans le royaume. » Dans la pensée de M. le ministre, comme dans celle de la section centrale, on a voulu dire par là : « Les tabacs tant fabriqués que non fabriqués. »
Messieurs, la précipitation avec laquelle j’ai été obligé de faire mon travail ne m’a pas permis de bien vérifier la correction des épreuves. Il se trouve qu’au folio 41, § 4 : « Le recensement des tabacs non fabriqués. », il faut : « Le recensement des tabacs fabriqués et non fabriqués. »
M. Malou. - Messieurs, dans tous les pays où il existe une représentation des intérêts généraux, le vote des lois d’impôt a toujours été considéré comme un vote de confiance ; comme l’occasion naturelle pour les représentants de la nation quels qu’ils soient, d’expliquer quels sont ses vœux, quels sont ses besoins.
Cette vérité, messieurs, existe, soit qu’il s’agisse de la loi générale qui règle nos impôts, soit qu’il s’agisse d’une loi particulière comme celle dont nous nous occupons.
En énonçant ce principe, je n’entends cependant pas faire un retour sur le passé ; je n’entends pas examiner dans tous ses détails la situation telle que nous l’ont faite des événements récents qui ont dissipé, je puis le dire, beaucoup d’illusions. Une réserve m’a cependant paru nécessaire. C’est pour la faire, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, que je me suis permis d’attirer un instant l’attention de la chambre sur le caractère inhérent à la loi qui nous est soumise.
Disposé à combattre cette loi, je ne le suis pas à combattre l’impôt sur les tabacs. Nous ne pouvons nous dissimuler, messieurs, que les dépenses accumulées depuis le petit nombre d’années que nous existons comme nation, que les besoins surtout de l’avenir, si nous voulons être prudents, lorsque le temps est calme, en vue des jours d’orage, ne nous imposent, ne doivent imposer au pays, s’il comprend ses vrais intérêts, quelques nouveaux sacrifices.
La situation financière s’est améliorée depuis quelque temps. Cependant il est certain que la moindre crise au-dehors ou au-dedans peut nous mettre dans la nécessité de recourir immédiatement aux moyens les plus extrêmes. C’est à ce point de vue, messieurs, que lors de la discussion du budget des voies et moyens, que dans les circonstances actuelles encore, ou est revenu sur la nécessité impérieuse de faire plus, d’aller plus loin que de vouloir se mettre au courant, de chercher mieux que l’équilibre de nos budgets.
Ce n’est pas, messieurs, que j’espère voir immédiatement se réaliser ces idées. Nos institutions, si belles d’ailleurs, peuvent aussi avoir quelques défauts en ce sens que peut-être mal comprises, elles donneraient à notre gouvernement un caractère dépensier. C’est un écueil contre lequel les gouvernements constitutionnels en général, et je puis le dire, le nôtre en particulier, ont grand besoin de lutter. Il ne faut donc pas croire qu’en créant de nouveaux impôts, nous allons considérablement améliorer notre situation financière, si en même temps, nous ne travaillons de tous nos moyens à réaliser des économies.
Et ici ce n’est pas à la chambre surtout que je m’adresse, c’est au gouvernement. Je dis qu’en matière d’économies, la résistance doit naturellement venir de lui. Qu’avons-nous vu, au contraire, dans quelques circonstances ? Nous avons vu résoudre des questions difficiles, mais nous les avons vu résoudre à coup de millions. Le gouvernement aurait dû résister et peut-être la situation dans laquelle nous sommes, n’existerait pas
Tout n’est pas dit, messieurs, lorsqu’on reconnaît que l’intérêt public bien entendu exige une augmentation d’impôts. Il doit être satisfait à cet intérêt avec les ménagements que commandent les intérêts particuliers. Et ici je ne crains pas du tout que l’on m’accuse de défendre des intérêts particuliers. Hier, M. le ministre des finances allait plus loin ; il faisait un grief en quelque sorte des réclamations qui s’étaient élevées ; on cédait à des obsessions, on voulait défendre ici des intérêts particuliers.
Et qu’est-ce donc que notre gouvernement ? N’est-ce pas, comme on l’a dit ailleurs, la consultation perpétuelle de tous les intérêts ? De quoi se plaint-on ? Ces intérêts se font jour. Mais n’est-ce pas pour que ces intérêts puissent se faire valoir que le régime constitutionnel, que la publicité existent ? Il y a plus, il y a des pays où il s’est formé une ligue permanente qui présente des candidatures dans le but avoué de renverser une loi ? Et personne ne s’en plaint ; personne ne le trouve étrange ! C’est la conséquence naturelle des institutions.
Lors donc que je viens défendre ce qu’on a appelé hier des intérêts particuliers, je ne crois nullement manquer à mon devoir, du moment que je ne propose pas à la chambre de sacrifier les intérêts généraux à ces intérêts particuliers. Et c’est là la distinction qui doit être faite et qui hier a été perdue de vue.
On pourrait aller plus loin, messieurs, on pourrait dire qu’ici il ne s’agit pas d’intérêts particuliers, qu’il s’agit d’un intérêt qui touche la plus grande partie du royaume. La culture, par exemple ? C est là un intérêt particulier. Mais quel sera donc le caractère d un intérêt général ?
En effet, s’il s’était agi d’un intérêt individuel, concevrait-on l’émotion, j’ose le dire, sans exemple depuis 1830, qu’a causée, dans certaines parties du royaume, la présentation de ce projet de loi ? Aucune mesure politique où l’intérêt matériel n’y a causé une émotion plus grande que la présentation du projet de loi. Et je me hâte d’ajouter que les populations ne se sont pas méprises ; qu’elles ont fort bien compris que l’on entrait ici, en matière d’impôts, dans une voie tout fait nouvelle, dans une voie antipathique à notre législation, antipathique à nos mœurs et à nos idées.
On entre dans une voie nouvelle, car l’exercice résultant du régime des accises n’existe point dans notre pays, comme on veut l’établir par la loi. Sous ce rapport l’observation faite hier par l’honorable comte de Mérode et par M. le ministre des finances, me paraît complètement inexacte. L’exercice existe, par exemple, pour les fabriques de sucre, pour les distilleries, pour les brasseries, mais ce que l’on propose d’établir ici, c’est le régime de l’accise, l’exercice appliqué à des populations tout entières. Eh bien, je dis que c’est là ce qui n’existe point, ce qui est antipathique au sens du pays, ce que vous ne pouvez pas établir.
Le régime que l’on propose est hostile aux intérêts du commerce régulier : il est également aux intérêts du commerce que j’appellerai irrégulier. Sur le premier point, je n’insisterai pas après les développements présentés tout à l’heure encore par l’honorable M. Cogels. Quant au commerce irrégulier, il m’est extrêmement difficile de comprendre le puritanisme dont on fait étalage. Quelle idée morale est donc blessée lorsqu’un habitant de la frontière vient à Menin, par exemple, s’approvisionner de tabac ? Où donc est l’immoralité ? Pour que la morale soit sauve, il faudra donc, pour venir acheter du tabac, se munir de son extrait de naissance et d’un certificat de domicile. Il faudra que le fabricant, avant de vendre, demande à l’acheteur une déclaration qu’il ne veut pas introduire son tabac en France !
Lorsque je fais cette objection, messieurs, je suis dans la réalité des faits, car c’est ainsi que presque toujours l’infiltration se fait. Ainsi, messieurs, se trouve résolue l’objection que l’on a faite, que le commerce interlope entretient sur la frontière une population immorale, criminelle, peut-être. J’ai vu pendant bien longtemps tout ce qui est relatif à la statistique criminelle, mais je n’ai pas rencontré de crimes résultant de la fraude du tabac. C’est là un fait entièrement nouveau pour moi.
Entre nations, messieurs, quelle est la première loi, la loi qui règle tous les procédés ? C’est la réciprocité. Je ne connais guère que celle-là. Sans doute, si l’on pouvait arriver à n’avoir plus de douanes, ce qui est une vaine utopie, si l’on pouvait arriver à ne plus se faire une guerre sourde de douanes à côté de la guerre officielle des tarifs, sans doute nous devrions supprimer, en tant qu’il serait en nous, ce qu’on appelle le commerce interlope ; mais lorsqu’on use si largement à notre égard, de ce commerce, lorsque l’infiltration en Belgique est en quelque sorte favorisée par des combinaisons de la loi ou de l’administration étrangère ; vraiment je ne comprends plus ce puritanisme de moralité. Je n’éprouve donc, en ce qui me concerne, aucun embarras pour dire qu’aussi longtemps que les choses resteront dans le même état, il sera parfaitement légitime de laisser subsister le commerce interlope, je dirai même de le respecter.
M. le ministre des finances a dit que ce commerce est incertain, qu’il peut venir à cesser par suite de mesures qui seraient prises à l’étranger, et l’étrange conséquence qu’il tire de là, c’est qu’on peut le tuer immédiatement.
J’ai entendu bien des fois, messieurs, considérer en quelque sorte, comme un bienfait, le monopole des tabacs, en présence de la loi proposée à la chambre. En effet, lorsqu’on y réfléchit bien, on voit que le monopole, s’il a de mauvais résultats, a aussi son bon côté pour le trésor, car il est très productif pour le cultivateur. Car, en plantant sous le régime du monopole, il est au moins certain de réaliser immédiatement, et j’ajouterai, d’après ce qui se fait en France, certain de réaliser à un assez bon prix. Que nous propose-t-on, au contraire ? On nous propose d’établir un impôt très fort qui présentera les inconvénients du monopole quant à la perception, et qui, d’un autre côté, n’en présentera pas les avantages ; car enfin lorsque l’on aura établi ce droit, si la culture continue, ce dont je doute, lorsque le cultivateur aura payé le droit, s’il peut le payer, sera-t-il certain de vendre, sera-t-il certain de réaliser un bon prix ? Mais il reste soumis à toutes les éventualités du commerce, tandis qu’en France, après avoir fait tous les sacrifices, après avoir eu les commis de la régie chez lui ou dans son voisinage immédiat, presque tous les jours, le cultivateur est certain, au moins, de réaliser et d’être immédiatement payé. Quant à la fabrication, si vous établissiez le monopole, les fabricants seraient au moins indemnisés ; ils seraient expropriés pour cause d’utilité publique ; on détruirait l’industrie, mais au moins on ne la détruirait pas dans le naufrage d’un grand nombre de fortunes particulières.
On vous a dit, messieurs, que malgré l’augmentation du droit, le commerce interlope ne sera pas anéanti, et l’on a trouvé, en effet, en établissant une moyenne, qu’il y avait encore une certaine différence entre le prix des tabacs français et le prix des tabacs belges ; mais on perd de vue qu’en annihilant la différence on rend l’infiltration impossible, précisément parce qu’il n’y aura plus la marge nécessaire pour que l’infiltration se fasse.
Quant à la frontière du Nord, je ne veux invoquer aucun souvenir, mais lorsqu’il s’est agi d’un objet beaucoup moins facile à frauder que le tabac, on a toujours soutenu qu’une augmentation du droit serait excessivement dangereuse ; je crois que lorsqu’il s’est agi du genièvre, il a été dit que si vous augmentiez quelque peu le droit, il en résulterait une infiltration considérable, je ne nomme personne, M. le ministre des finances, si mes souvenirs sont exacts, pourra se reconnaître. (On rit.)
D’après ces considérations, messieurs, et pour arriver au but que j’indiquais tout à l’heure, c’est-à-dire de concilier les intérêts de l’industrie avec les intérêts généraux, dont les intéressés eux-mêmes, je puis le dire, reconnaissent les exigences, je pense qu’on ne peut admettre autre chose qu’un simple droit de douane sur le tabac exotique. Faut-il combiner ce droit avec un droit à la culture ? Quant à moi, je ne le pense pas.
D’abord, en principe qu’est-ce qu’un droit à la culture ? C’est un impôt sur la production, un impôt qui doit empêcher la production ou du moins la paralyser. L’on objecte que la culture du tabac envahira le sol belge. Nous pourrions dans quelque temps être menacés de famine parce qu’on ne planterait plus que du tabac. (On rit.) En faisant cette objection, l’on ne tient pas compte des réalités. Plusieurs circonstances s’opposent à ce qu’il en soit ainsi. La première, et la plus décisive de toutes, c’est que le tabac indigène est d’une autre qualité, qu’il a un autre emploi, une autre spécialité que le tabac exotique. Sans doute, si par quelque secret que j’ignore, on parvenait à cultiver en Belgique du tabac varinas ou même du tabac dit d’Amérique, je crois que l’on pourrait établir des droits assez forts à la culture sans qu’elle en souffrît, et qu’elle pourrait s’étendre beaucoup. Mais en établissant des droits sur le tabac exotique sans en établir sur le tabac indigène, vous ne développerez pas la culture, parce que le tabac du pays trouve aujourd’hui tout l’emploi et trouverait encore désormais tout l’emploi auquel sa qualité le rend propre.
J’ajouterai que tous les terrains ne conviennent pas à la culture du tabac. La culture est encore limitée sous ce rapport ; ainsi il existe dans les environs d’Ypres, des terres que l’on appelle terres à tabac, qui sont de première classe, et qu’il me soit permis de le dire en passant, spécialement imposées en cette qualité. Il y a plus, pour la culture du tabac il faut une expérience assez longue, il faut connaître non seulement la culture elle-même, mais encore les manipulations que le tabac récolté exige. On ne doit donc pas craindre que la culture du tabac, en l’absence d’un droit, prenne un développement nuisible aux produits du trésor.
Je ne verrais, du reste, aucun inconvénient à ce que la culture du tabac se développât un peu ; elle est utile à l’agriculture et productive ; elle entre dans l’économie des assolements. Notre législation relative aux tabacs présente même une anomalie hostile aux intérêts de la culture et qui est vraiment incompréhensible. Je veux parler de l’introduction du tabac français en Belgique. D’après les documents statistiques, les quantités de tabac français introduites en Belgique sont considérables. Il arrive ainsi que les cultivateurs dans un pays soumis au monopole, plantent et pour la régie, et pour l’exportation. Ils réalisent un bon prix du tabac qu’ils vendent à la régie et suivant que le prix de telle ou telle qualité est plus avantageux. Ils nous vendent moyennant le payement d’un droit minime à l’entrée ce qu’ils n’ont pas vendu à la régie.
Le produit planté ainsi dans d’autres conditions, sous le régime du monopole, vient déprécier en Belgique le produit de la culture belge. C’est là une anomalie que nous ferons, j’espère, disparaître.
Je m’aperçois, messieurs, que j’ai été ingrat envers M. le ministre des finances : ce n’est pas pour nuire à la culture, c’est pour la protéger qu’il propose sa loi, et la protection, qu’il me soit permis de le faire remarquer de nouveau, la protection croît en raison directe du chiffre, de sorte que plus on l’imposera plus elle sera protégée. (On rit.)
D’abord, messieurs, nous sommes très souvent assaillis de réclamations de la part d’industries qui demandent protection, et qui ont quelquefois beaucoup de peine à réussir ; mais ici voilà une industrie dans une position toute particulière, elle ne demande pas à être protégée, et l’on veut la protéger malgré elle.
On dit que la protection résulte de la différence qui existe entre le chiffre proposé sur le tabac exotique et le chiffre proposé sur le tabac indigène, et, pour le démontrer, on invoque la loi relative aux sucres. Mais il s’agit de matières tout à fait différentes. Le sucre de betterave, je m’imagine, est un sucre propre à presque tous les usages auxquels on emploie le sucre de canne. Mais il n’en est pas de même du tabac. Le tabac indigène a une autre qualité et un autre emploi que le tabac exotique. Dès lors, la comparaison manque entièrement de justesse.
Cette protection que j’appellerai négative, à quel prix est elle acquise ? au prix du régime de l’accise. L’on a beau effacer dans la loi les articles concernant les formalités de l’accise, l’on peut simplifier autant qu’on voudra, la rédaction de la loi, tant que le principe reste, tant que le germe en est déposé dans la loi, la culture est soumise à l’exercice.
Lorsqu’on efface cette disposition, lorsqu’on nie la gêne qui résulte de l’accise, on admet une cause et l’on ne veut pas en admettre les effets nécessaires. Car, de deux choses l’une, ou vous avez le contrôle de la culture, et vous l’exercez avec exactitude et sévérité, et les vexations pour lesquelles les populations ont tant d’appréhension existeront, ou vous ne le faites pas, et dès lors vous n’avez aucune garantie que l’impôt donne des produits, en supposant (ce que je continue à nier), que la culture survive à votre loi.
Le contrôle doit donc être incessant, ou le produit disparaît.
Si, malgré ces considérations, malgré la faveur que réclame naturellement un produit du sol belge, il était reconnu qu’un impôt doit être établi sur la culture, je ne pourrais l’admettre que dans des limites très modérées, et seulement d’après le système prussien, et déjà, en disant d’après le système prussien, il me semble que je résous les objections qui ont été présentées hier par M. le ministre des finances. On nous a parlé de ce système comme d’une utopie, comme d’une idée tombée du ciel. Mais ce système existe, il n’est pas injuste dans sa répartition, il n’est pas ruineux ; ce système, s’il était injuste, ruineux, les intéresses eux-mêmes ne le demanderaient pas subsidiairement, car apparemment ils ne courraient pas volontiers à leur ruine.
Certaines terres, dit-on, sont de moyenne qualité : il y a inégalité dans la production d’une année à l’autre. Ce sont là des motifs pour établir un droit très peu élevé. Mais si vous calculez sur une moyenne de produits, l’inégalité des produits, d’une année à l’autre, est absolument indifférente, car la moyenne est établie, pour les produits, quant aux cultivateurs, en rapport avec la moyenne, quant à l’impôt.
Il me reste à dire un mot de la question toute spéciale du recensement. Cette question pourra être mieux traitée lorsque nous serons arrivés à la discussion des articles ; cependant, comme j’entends parler beaucoup de rétroactivité et de non-rétroactivité, je demanderai la permission de définir comment je comprends la rétroactivité.
La loi ne régit que les actes posés depuis qu’elle existe. Lorsque la loi frappe un droit acquis ou un fait posé antérieurement à son émanation, elle rétroagit. Il me semble que c’est la l’idée la plus simple de la rétroactivité.
En jugeant d’après ce principe, il me paraît évident qu’il y a rétroactivité dans le projet de loi qui a été présenté par M. le ministre des finances. (Interruption.)
C’est une disposition transitoire, me dit-on ; mais je voudrais bien connaître une rétroactivité qui ne fût pas transitoire ; cela est tellement vrai, que sur l’article du code civil, relatif à la non-rétroactivité, on a fait un ouvrage qui traite uniquement des questions transitoires. Toute rétroactivité est transitoire, parce qu’on ne peut pas frapper d’une manière permanente de faits antérieurs à la loi. (C’est vrai !)
Les arguments qu’on a fait valoir contre un principe si clair, me paraissent être ce que j’appelle des arguments utilitaires ; dans l’opinion de M. le ministre des finances, le fait emporte le droit.
Je ferai voir d’abord le danger qu’il y a de laisser dans la législation, le fait l’emporter sur le droit. Il n’existe aucune garantie, si la législation est dominée par des idées d’expédient et d’utilité, au lieu de l’être par les vrais principes. On peut atteindre un résultat financier quelconque dans une circonstance donnée, mais on s’engage dans une voie fausse, et la lésion qui peut en résulter plus tard, peut être aussi incalculable.
Les arguments d’utilité... on pourrait même combattre la disposition sur ce terrain. Des fabricants ont fait des approvisionnements, des particuliers en ont fait ; les uns les ont faits de très bonne foi, et vous les frappez par votre disposition ; d’autres ont fait des approvisionnements considérables, en vue de frauder la loi, je l’admets pour un moment ; eh bien, vous placez les uns et les autres exactement sur la même ligne.
Il est certain que les approvisionnements existent. Mais existent-ils à raison de la présentation du projet de loi ? Le contraire est démontré notamment par les renseignements que M. le ministre des finances a donné tout à l’heure. Les importations depuis le mois de janvier dernier ont notablement diminué. Ainsi, il y a eu en douane des déclarations pour 2,195,000 kil. Or, si j’établis un calcul sur la moyenne des treize dernières années, telle qu’elle est indiquée dans les documents joints au rapport de la section centrale, l’importation, pendant les cinq premiers mois de cette année, aurait dû, d’après cette moyenne, être de 2,804,610 kil. J’écarterai même la moyenne spéciale des deux dernières années, qui serait beaucoup plus forte. Il ne s’est donc pas fait d’approvisionnements depuis la présentation du projet de loi. S’en est-il fait auparavant ? Comment aurait-on pu prévoir et l’avènement de M. le ministre des finances, et l’éventualité de la présentation d’un pareil projet ?
En reconnaissant en quelque sorte ce fait, l’honorable M. Mercier disait dans la séance d’hier : « Mais les entrepôts flottants sont là ; n’en doutez pas, vous aurez des arrivages immenses, dès que le vote de la loi sera assuré. »
Eh bien, je déclare très franchement que je ne veux pas que ces arrivages échappent au droit quel qu’il soit. En respectant le principe, nous pouvons très bien empêcher que cette lésion ne soit encourue par le trésor public, et lorsque nous arriverons à l’article relatif au recensement, j’espère l’établir. Je me borne, pour le moment, à dire qu’il y a moyen d’empêcher que les arrivages des entrepôts flottants ne viennent frauduleusement détruire les effets utiles que vous devez attendre de la loi, quelle qu’elle soit.
Pour résumer ces observations, je dirai : Dans mon opinion, la loi se vote, pour moi du moins, en elle-même, indépendamment de toute idée de confiance ou d’adhésion politique.
J’admets un droit de douane très modéré.
Il ne m’est pas démontré que ce droit doive être combiné avec un droit à la culture.
J’insiste, dans tous les cas, pour que ce droit, s’il est décrété, soit établi par surface cultivée, et je pense qu’il nous sera facile de prouver que cela est praticable.
J’insiste enfin pour que la chambre, quel que puisse être l’intérêt de fait qui s’attache à cette question, respecte les vrais principes de législation, en ce qui concerne la rétroactivité,
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’ai entendu avec satisfaction que l’honorable préopinant reconnaît qu’il faut plus que l’équilibre entre les budgets des recettes et des dépenses ; mais il refuse à la loi en discussion, quant à la quotité du droit, le caractère de modération que je lui ai attribué ; voilà en quoi principalement nous différons d’opinion.
L’honorable membre pense que le droit qui est proposé, n’est pas un droit modéré. Je soutiens que ce droit est très modéré, si on le compare, comme on doit le comparer, au droit qui existe dans l’un on l’autre des nombreux pays cités dans le rapport de la section centrale.
Messieurs, l’honorable préopinant a pris la défense du commerce irrégulier. « Peut-on, dit-il, faire un crime à un habitant au-delà de la frontière, de venir s’approvisionner en Belgique ? » Mais, messieurs, il est incontestable qu’il se fait un autre trafic. Ce n’est pas l’habitant de la frontière qui consomme l’immense quantité de tabac qui, dit-on, fait l’objet du commerce interlope. J’ai déjà dit que ce commerce se fait aussi par bande.
Si j’ai dit que le commerce interlope crée une population immorale, quelquefois même criminelle, je n’ai pas seulement voulu faire allusion au commerce du tabac, j’ai voulu parler de toutes espèces de commerce de fraude, qui crée des habitudes funestes comme en engendre également le braconnage, et ce sont ces habitudes de fraude qui peuvent entraîner des résultats très pernicieux pour la société : vérité, qui, tout récemment encore, a été reconnue dans les chambres françaises.
Messieurs, l’honorable membre a prétendu que nous allions avoir tous les inconvénients du monopole, sans en obtenir les avantages.
Mais, messieurs, le monopole est sans objet, alors qu’il s’agit d’un droit aussi faible ; nous percevons l’intégralité du droit par les moyens qui vous sont proposés et qui certes sont bien préférables à ceux du monopole. Mais le monopole s’établit, lorsque proportionnellement aux produits obtenus dans d’autres pays, on veut réaliser pour la Belgique des produits de 8 ou 10 millions par exemple. Du reste, s’il s’agissait de discuter le monopole, je prouverais facilement qu’il serait à peu près impossible de l’établir en Belgique à des conditions favorables.
Je conviens de nouveau que des droits trop élevés peuvent donner lieu à la fraude, et si, dans une autre circonstance, rappelée par l’honorable préopinant. j’ai manifesté quelques craintes, par rapport au genièvre, c’est que non seulement les droits allaient augmenter les prix de l’eau-de-vie indigène, mais que cette eau-de-vie avait encore à lutter contre un produit étranger, produit qu’on préfère et qui s’obtient à des conditions infiniment plus favorables, abstraction faite de tout droit.
D’ailleurs, le droit sur les eaux-de-vie indigènes, en l’établissant à 1 fr., revient à 20 centimes par litre. L’élever d’avantage en présence d’un produit étranger auquel on donne la préférence eût été dangereux.
Messieurs, l’honorable membre a pensé que la culture du tabac indigène ne se développerait pas, alors même qu’elle ne serait pas frappée d’un impôt et en présence d’une augmentation de droit sur les tabacs exotiques. Je ne puis partager cette opinion. Il a cité l’exemple de la Prusse.
Dans le Zollverein, si mes renseignements sont exacts, le tabac indigène fournit à peu près la moitié de la consommation, Je ne dis pas que la production en Belgique s’étendrait indéfiniment, que les goûts des consommateurs se modifieraient, mais elle prendrait beaucoup d’extension et réduirait beaucoup le produit qu’on attend du droit à quelque taux qu’on l’établisse.
L’honorable membre a ajouté que toutes les qualités de terre ne sont pas propres à la culture, Mais il reconnaîtra que plus de 1,100 hectares peuvent être cultivés en tabac, qu’il ne serait pas difficile de trouver dix fois autant de terres propres à cette culture. Ce ne serait pas là un obstacle au développement de la culture du tabac.
L’honorable membre est revenu sur l’objection faite hier et à laquelle j’avais répondu. J’ai dit que la culture du tabac, par suite du projet de la section centrale, trouverait une plus grande protection que celle dont elle jouit. Je maintiens cette assertion.
Je conçois que la fabrication craigne quelque gêne dans son industrie, mais quant au produit net qu’elle retirera, il sera plus considérable, car il y a une plus grande protection.
M. Dumortier. - On a fait observer que c’était une plaisanterie ; cet argument n’aurait pas dû être reproduit.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est votre observation qui est une plaisanterie.
M. Malou a dit : Le bénéfice du fabricant ou du cultivateur serait donc en raison de l’élévation du droit ? »
Je n’hésite pas à lui répondre : Oui, si on ne craignait la fraude d’un côté et la diminution de l’autre. Oui, sans doute, si nous n’avions pas à craindre la fraude et si la consommation ne devait pas diminuer. Un droit de 1,000 fr. sur le tabac étranger et de 800 fr. sur le tabac indigène aurait pour effet de développer tellement la production du tabac indigène qu’il empêcherait d’introduire le tabac étranger ; mais il faudrait les deux conditions, impossibles à réaliser, dont j’ai parlé.
Mais, avec un droit modéré, la consommation ne diminuera pas et la fraude n’aura pas lieu.
Je n’ai pas dit que c’était parce la disposition était transitoire que la rétroactivité devait être donnée au nouveau droit, j’ai dit que c’était une disposition transitoire en ce sens qu’elle ne tenait pas au régime de la loi, qu’elle pouvait être adoptée ou rejetée sans porter atteinte à ce régime. Il ne faut pas dénaturer mes observations.
Je sais qu’en présentant ce projet, j’ai contrarié vivement certains intérêts, il fallait que ma conviction de son utilité fût bien forte, pour me décider à venir le soutenir. Je sais que je me suscite des inimitiés qui ne seront compensées par aucune reconnaissance, mais je m’en console parce que j’ai la conviction que je remplis un devoir.
Je demande à une industrie de payer un impôt que supportera la consommation. Si, par un moyen administratif, nous avons mis un intermédiaire entre le consommateur et le trésor, cela dénature-t-il le caractère de l’impôt ? Si ce n’était qu’on y trouve plus de facilité, nous aurions demandé au consommateur directement l’impôt. Nous avons trouvé un moyen administratif préférable. Ce moyen est l’intermédiaire entre le consommateur et le trésor. A cause de ce moyen, on prétendrait qu’on assujettira le consommateur à un droit pour ce qui n’est pas entre ses mains, qu’on violerait le principe de non-rétroactivité, c’est ce que je n’admets pas. La chambre en jugera.
M. Osy. - La première chose à établir pour savoir s’il faut un impôt, c’est de nous rendre compte de notre situation financière.
M. le ministre ne tient plus le même langage que lorsqu’il nous a présenté son budget. Alors le budget se soldait par un déficit de 517,000 fr.. M. le ministre nous disait :
« Il est peu considérable, et nous n’aurions guère à nous en occuper, si, dès à présent, en portant nos investigations plus loin, nous n’apercevions d’une part de nouvelles dépenses auxquelles il faudra pourvoir, et d’autre part la privation de certaines ressources. »
Les dépenses déjà prévues se rapportent à l’augmentation du traitement de la magistrature, quelques suppléments pour le chemin de fer, aux recettes a créer pour Zelzaete et le polder de Lillo, qu’on évaluait à 1,300,000 fr., et des ressources extraordinaires qui ne se reproduiront plus. 1,370,000 fr. Total 2,670,000 fr.
Certainement le déficit de 217,000 fr. sera couvert par l’excédant de recettes sur les prévisions d’après l’état du premier trimestre, et par ce que nous connaissons du chemin de fer.
Les dépenses pour le canal de Zelzaete et l’endiguement de Lillo ne sont pas des dépenses permanentes, et même cette dernière dépense ne dépasse guère 500,000 fr. au lieu de 900,000 fr. sur lesquels on avait compté.
Ensuite ne perdez pas de vue, messieurs, que si nous avons des recettes qui ne se reproduiront plus, vous avez également des dépenses qui s’éteignent ; entre autres 661,000 fr. dus aux concessionnaires de la Sambre, et qui ne sera plus payé que pour 7/12 jusqu’au 31 juillet 1846 ; et ne perdez pas de vue que le rendiguement de Lillo ne se paye également qu’en novembre 1845.
Les produits des ventes des domaines doivent continuer à être portés en recettes, comme il a été décidé qu’ils doivent servir à l’extinction de la dette, comme les chemins de fer sont des domaines qui remplacent ceux que nous vendons, et de ce chef seul, pendant dix ans, nous devons vendre pour dix millions de domaines.
Les intérêts de nos emprunts, ainsi que l’amortissement, devant être portés au budget, il faut continuer à porter en recettes les domaines ; donc, de ce chef, il ne faut pas vous occuper de la somme de fr. l,370,000, dont M. le ministre nous a entretenu dans son rapport à l’appui du budget.
Reste seulement la première somme de fr. 1,300,000, dont il faut déduire la dépense pour Zelzaete et Lillo. ; il ne restera donc comme dépense permanente que l’augmentation de la magistrature, ce qui ne pourra pas se monter à la somme de 661 mille fr. dont nous allons être dégrevé à partir de 1846, pour la Sambre.
M. le ministre a voulu rembrunir hier notre position financière, pour nous faire passer par un impôt odieux, et, plus tard, je vous dirai, messieurs, jusqu’où va la nationalité de nos ministres, pour nous engager de rétablir l’impôt le plus vexatoire, et que l’honorable M. Dumortier a très bien appelé le rétablissement des droits réunis. Je suis assez âgé pour me rappeler de la satisfaction que le pays a ressentie de l’abolition de cet impôt à l’entrée des alliés, en 1814, pour ne jamais donner la main à leur rétablissement, même sous le nom d’accises, comme M. le ministre veut le décorer.
Je viens de vous prouver, messieurs, que le déficit sera couvert par l’excédant de recettes de 1844, que les fr. 2,676,000 fr. font M. le ministre nous a entretenus ne sont pas des dépenses permanentes que les revenus et les ventes doivent figurer au budget pour faire face à la dette, portée également en dépense ; reste donc de tout cet échafaudage, l’augmentation du traitement de la magistrature, qui pourra avoir lieu sans augmentation d’impôt, être payé par les 667,000 fr. que vous n’avez plus à porter en dépense pour la Sambre canalisée.
M .le ministre aurait déjà, d’après ses promesses, dû nous présenter un projet de loi pour l’extinction de la dette flottante, pour lequel nous avons voté un emprunt de 10 millions, et les sommes reçues de la Hollande et de la société générale, doivent éteindre le restant. Nous sommes donc rassurés de ce côté.
Depuis quatre ans nous portons en dépense fr. 870,000 pour l’amortissement de l’emprunt 1840. Vous avez donc de ce chef, une somme de fr. 3,400,000 et pour l’emprunt de 1842 fr. 650,000.
Voilà quatre millions non dépensés et qui vont diminuer la dette publique, et j’espère bien qu’en 1846 nous pourrons faire la réduction en 4 p. c. au lieu de 4 et demi ; mais, admettant le dernier chiffre, vous aurez de ce chef tous les ans une nouvelle réserve de francs 420,000, qui sera portée à fr. 570,000 dès 1848, lors de la conversion de l’emprunt de 1842.
J’ai si fortement insisté pendant toute la session sur la conversion de l’emprunt de 1832, parce que je voulais ôter tout prétexte au gouvernement de rétablir les droits réunis (sous un autre nom), et maintenant, à partir du mois de novembre, nous avons, comme l’a très bien dit M. Dumortier, à porter en moins en dépenses ou économie (chiffre rond) fr. 1,500,000.
La capitalisation des 2 millions vous donnera en intérêt une nouvelle économie de 420,000 fr.
Ensemble près de 2 millions. Ainsi je ne parlerai pas des excédants de revenus de la loi des droits différentiels, que j’évalue à fr. 900,000 avec l’augmentation de l’impôt du sel et des eaux-de-vie étrangères.
Etant donc tout à fait rassuré sur notre situation financière, je puis repousser la loi qu’on nous propose, le trésor ne l’exige pas et je veux éviter un nouvel impôt qui serait odieux à tout le pays et qui détruirait la seule branche qui a grandi depuis la révolution sans vous demander jamais le moindre secours, ce que vous ne pouvez pas dire d’aucune industrie.
Avant la révolution nous importions tout au plus 800,000 kil. de tabac, toutes les fabriques étant en Hollande.
De 1832 à 1837 nos importations se sont déjà montées en moyenne à près de 6 millions, et l’année dernière l’importation a été prés de 10 millions, et si nous n’augmentons pas notre droit de douane, cette industrie doit encore grandir, depuis l’ouverture du chemin de fer, et nous pourrons lutter avec Brême et Hambourg pour approvisionner l’Allemagne et la Suisse, car ce pays a, comme nous, un grand commerce interlope en France et en Savoie et c’est vous qui l’alimenterez si vous n’augmentez pas les droits d’entrée.
La Hollande, pendant tous ses embarres financiers, s’est bien gardée de trouver des ressources par les tabacs, car là au moins on ne calcule pas ce qui entre au trésor par la douane, mais ce qui alimente par toutes les voies indirectes le trésor, si vous avez une branche importante florissante. Le bien-être de vos populations augmente le débit de ce qui augmente les revenus publics, les importations considérables augmentent le pilotage, le tonnage et les frais de port, et les fortes exportations, sont de nouveaux revenus pour le chemin de fer.
Nos exportations par nos frontières du Midi nous amènent une masse de consommateurs de l’étranger qui dépensent dans le pays une grande partie de leur bénéfice.
Une importation de 10,000,000 kil. donne en revenus de douane près de 400,000 francs, et je n’exagère pas en disant que le trésor indirectement en tire encore près de 6,000,000 fr. de plus.
La malheureuse loi du ministre fera descendre vos entrées à deux millions, car vous perdrez l’exportation du Midi et vous aurez de fortes importations par les provinces du Nord, et en voyant les revenus diminuer, vous augmenterez vos dépenses pour renforcer vos lignes de douane et la surveillance des fabriques et des débitants vous coûtera au moins 250,000 fr. Voilà le bilan de votre loi.
Je croyais que, comme la Hollande, nous étions une nation éminemment commerciale, mais le ministre des finances est assez patriote, pour grandir la Hollande et nous abaisser. Je conviens que de la manière dont M. Nothomb et M. Mercier dirigent nos affaires, nous grandirons la Hollande et que nous devons de plus en plus déchoir ; heureusement que les chambres les arrêteront, j espère, dans leur marche funeste.
Je ne puis concevoir comment il a pu entrer dans l’esprit de M. le ministre des finances de nous présenter une pareille loi. M. le ministre a répondu à l’honorable M. Cogels, qu’il n’avait pas consulté la France, mais je dois l’attribuer à des visites qu’il aura eues l’année dernière de celui qui dirige la régie de France et qui lui aura donné pour modèle la loi de l’an VII qui avait été présentée au corps législatif et qui même a été rejetée.
Voilà de beaux exemples à suivre et qui rétabliraient les droits réunis seulement portant un autre nom. Le nom n’y fait rien, mais le but est le même.
Je conçois que la France nous engage dans cette voie pour nous rapprocher peu à peu du monopole, car les calculs que vous trouvez dans un journal du matin sont exacts, et les conseils qu’on vous donne augmenteront les revenus de France de 15 millions. Vous faites parfaitement les affaires de la France et de la Hollande, mais vous ruinez les nôtres qui devraient vous être les plus sacrées, mais malheureusement le gouvernement ne peut pas se défendre des sollicitations de l’étranger, qui ont beaucoup plus de poids sur le ministère, que celles de la nation et nos avis.
Il est loin d’arrêter un pouvoir qui ne sait pas être indépendant, et on dirait vraiment qu’il ne bouge que sur les injonctions de la France et de l’étranger.
Je ne puis pas croire à une réunion douanière, mais adoptez la loi même de la section centrale, et la France n’aura plus rien à vous demander et elle n’a plus d’intérêt à la solliciter, Car les droits réunis rétablis, le pas à franchir pour venir au monopole ne sera plus grand ; il faut commencer à détruire votre industrie florissante et le gouvernement s’y prend parfaitement.
Voyez, Messieurs, le rapport de 1838 de M. Mercier, il disait :
« Votre section centrale, se fondant sur les mêmes motifs des sections, en a partagé l’avis à l’unanimité ; se renfermant dans la proposition du gouvernement, elle n’a pas cru devoir s’occuper du principe d’un droit d’accise sur la consommation du tabac. »
M. Mercier disait encore dans ce même rapport : « Une autre circonstance semble encore s’opposer à ce que l’Etat obtienne un revenu certain, d’une certaine importance, de l’impôt sur le tabac, c’est le voisinage de la Hollande, qui ne manquerait pas de profiter du prix élevé de cette matière dans notre pays, pour alimenter par la fraude une grande partie de notre consommation. »
Vous voyez, messieurs, que nous ne pouvons pas trouver de meilleur avocat pour repoussera la loi, que M. Mercier de 1838 ce qu’il a dit alors détruit les considérants de son exposé de la loi et de ce qu’il nous a dit hier.
Il ne me reste qu’à vous parler de la rétroactivité.
Déjà, aux états-généraux, un de nos députés disait : « Ce n’est qu’avec douleur que nous avons vu former quelque doute sur un point aussi essentiel de notre législation ; si nous avons le malheur de donner un effet rétroactif à la loi, nous nous séparerions de toutes les nations civilisées, et les forêts les plus épaisses ne pourraient cacher la honte d’un peuple dégradé à ce point. »
Apres la révolution un des grands griefs contre l’ancien gouvernement a été le système de rétroactivité qui a eu lieu plusieurs fois et on devait croire que ce système réprouvé aurait été banni chez nous à toujours, et cependant nous avons un ministre qui ose venir le soutenir devant nous.
Nous avons beaucoup de tabac appartenant à des maisons américaines et qui ont payé les droits actuels ; attendez-vous a de justes réclamations, si vous ne les avez pas déjà reçues, ce que je demande à M. le ministre des affaires étrangères ; et soyez persuadés que si, contre toute attente, le principe de M. Mercier pouvait prévaloir, le gouvernement américain prendra contre vous des mesures de représailles.
Je suis persuadé que si vous mettez un droit de 30 francs, les deux premières années les tabacs n’augmenteront pas de 10 fr., et ce ne sera pas le consommateur qui payera, mais le propriétaire qui les perdra. Car ne croyez pas qu’avec toutes vos vexations, vous découvrirez tous les tabacs qui sont dans le pays, et ceux qui ont des tabacs non recélés seront les premières victimes de la mesure liberticide qu’on vous propose, mais je sais que la chambre en fera prompte justice.
L’exemption demandée pour les marchands de vin était seulement pour des vins pris en charge et qui n’avaient pas encore payé les droits. Cependant l’honorable M. Smits, au conseil des ministres, a dû proposer de ne pas sanctionner la loi, pour ôter tout prétexte de rétroactivité. De l’ancien ministre, il ne reste plus que M. Nothomb : en 1843 il ne voulait pas de prétexte de rétroactivité et en 1844 il propose une mesure directe de rétroactivité.
Voilà encore de la part de, M. Nothomb des convictions bien établies ; en 1843, c’étaient des Belges qui le demandaient, mais en 1844, nous sommes poussés par l’étranger et il faut de suite donner satisfaction.
Véritablement, comment pouvons-nous supporter plus longtemps de pareils ministres, qui, tous les jours, sont en contradiction avec eux-mêmes et qui sont loin de faire les affaires du pays ?
Pendant sept semaines, nous avons été occupés à faire une loi pour développer le commerce et la marine marchande, et maintenant on nous propose une loi qui nuira de la manière la plus évidente à notre commerce et notre industrie.
Pour moi, je n’y donnerai pas la main ; l’état du trésor n’a pas de besoins et je ne veux pas détruire la seule industrie qui a grandi depuis 1830, sans aucun secours, mais à cause de notre heureuse position.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, en présentant la loi soumise à vos délibérations, j’ai accompli un devoir rigoureux. Mais qu’il me soit permis de le dire : en fait de patriotisme et de dévouement pour l’indépendance nationale, ce n’est pas auprès de l’honorable préopinant que j’irai chercher des exemples. Il lui appartient moins qu’à tout autre de venir nous reprocher de manquer d’esprit national.
M. Osy. - La preuve s’il vous plaît ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - La preuve, je la trouve dans les regrets que vous êtes encore venu exprimer naguère.
L’honorable membre se met fort à l’aise pour ne pas voter les ressources indispensables au trésor ; il suppose que ces ressources sont inutiles. Il interprète de la manière la plus singulière le discours que j’ai prononcé lors de la présentation des budgets. Comment peut-il croire que les 1,300 mille fr. représentent toute la dépense nécessaire pour le complément de la double voie du chemin de fer, celle du canal de Zelzaete, celle du réendiguement du poldre de Lillo, alors que le canal lui-même absorbait une somme plus considérable, et que l’on savait que plusieurs millions seraient nécessaires encore pour le chemin de fer seulement. Est-ce sérieusement et de bonne foi qu’il me reproche d’avoir indiqué ce chiffre de 1,300 mille fr. en présentant les budgets, et de signaler aujourd’hui d’autres dépenses ? Ces dépenses, j’aurais pu ne pas les prévoir, que l’honorable membre n’aurait pas dû encore m’en faire le reproche en termes aussi acerbes. Mais il savait, avant de prendre la parole, que les dépenses du canal de Zelzaete et du complément du chemin de fer étaient comprises dans les 1,300 mille fr., non pour le capital, mais pour l’intérêt du capital affecté à ces travaux. Si c’est sur de pareils raisonnements que l’honorable membre base sa conviction, il s’abuse étrangement. Au reste, dit l’honorable membre, vous pouvez établir l’équilibre au moyen de la vente des domaines qui doit être échelonnée en dix ans. En procédant de cette façon, on couvre ses dépenses jusqu’au moment où on arrive à une ruine complète. Ici encore ce ne sont pas les conseils de l’honorable membre que le suivrai.
Messieurs, je considère le droit proposé comme le droit modéré. Je sais qu’on met en opposition le rapport que j’ai fait en 1838 au nom de la section centrale. Evidemment à cette époque, je n’ai pas pu me livrer à une enquête, à de nombreuses investigations, comme je l’ai fait quant il s’est agi de présenter la loi qui vous est soumise, et comme je l’ai reconnu, comme je l’ai avoué le premier jour de la discussion, je croyais que le commerce interlope aurait subi une réduction ; mais des recherches plus minutieuses m’ont donné une conviction contraire. Je n’ai pas attendu les observations de l’honorable membre pour faire cet aveu.
Le projet est, dit-on, dans l’intérêt de la France qui va trouver, par suite de sa mise à exécution, un bénéfice de quinze millions. L’administration française est assez éclairée pour n’avoir pas besoin de notre loi pour réaliser ce bénéfice. Si unie différence de 30 cent. devait la lui donner, elle diminuerait tout simplement ses prix de trente centimes dans certaines zones. La consommation de la France est de 16,800,000 kil. Je suppose que dans les départements qui nous avoisinent, à une certaine profondeur, notre commerce interlope vienne nuire a la fabrication de la régie pour un tiers de la consommation française, et que la régie diminue ses prix de 30 cent. sur notre frontière, à une certaine profondeur ; en faisant un sacrifice de 30 c. sur 5 millions de kilog, c’est-à-dire 1,500,000 fr., la France trouverait une augmentation de recettes de 15 millions. Je suppose qu’au lieu de porter sur le tiers le sacrifice porte sur la moitié ; pour prendre une ligne plus profonde, le sacrifice serait de 2,400,000 fr. ; au moyen de ce sacrifice, elle trouverait une augmentation de recettes de 15 millions.
De ce rapprochement on peut conclure que l’avantage qu’on entrevoit pour la France n’existe pas, ou que notre commerce interlope ne peut pas souffrir d’une pareille augmentation de droit. Voilà la réalité. Cette augmentation ne peut pas avoir l’influence qu’on semble craindre.
M. Osy. - M. le ministre des finances vient de dire que ce n’est pas moi qui lui donnerai des leçons de patriotisme pour quelques paroles que j’ai prononcées la semaine dernière. Il est vrai, je n’étais pas pour la révolution, je l’ai regardée comme un malheur quand on l’a faite ; mais aussitôt que Sa Majesté est arrivée, je m’y suis rallié, j’ai donné alors une grande preuve de dévouement et de patriotisme. Vous étiez dans les plus grands embarras financiers. Qui est allé à Londres pour faire l’emprunt ? Si j’avais été contraire à la Belgique, me serais-je chargé de cela dans la position douloureuse où je me trouvais, car je venais de perdre mon père ? Je suis allé trois fois à Londres, je suis allé à Calais, j’y ai conduit six banquiers français ; c’était dans les moments les plus difficiles, les banquiers n’offraient que 60 p. c.
Je suis revenu, après avoir contracté un emprunt, au taux de 72 1/2.
Jusqu’à l’arrivée du Roi, j’ai considéré la révolution comme un malheur pour le pays. C’est une opinion que les personnes les plus attachées à la révolution ont respectée. Depuis l’arrivée du roi, j’ai donné plus d’une preuve de patriotisme. Ma position ne m’oblige pas à être ici. Je donne mon temps aux affaires du pays. Je fais tout ce que je puis pour le bien du pays. Les paroles de M. le ministre me touchent donc fort peu.
J’ai assez prouvé, depuis l’arrivée du Roi, mon attachement au pays. Quand je parle de nationalité, c’est que je voudrais inspirer ce sentiment aux ministres ; je voudrais qu’ils consultassent l’intérêt du pays, au lieu de prendre conseil de l’étranger.
M. le ministre dit qu’il n’a pas demandé de conseil à l’étranger. Je lui demanderai s’il n’a pas été sollicité par certain fonctionnaire français, qui est venu à Bruxelles l’an dernier ? Je pense que l’idée du projet de loi date de là.
M. Rogier. - Aux élections, le ministère n’a pas suspecté le patriotisme de M. Osy.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ferai remarquer que c’est l’honorable M. Osy qui a pris l’initiative des reproches. Je croyais avoir été assez explicite à l’égard de prétendus conseils reçus de l’étranger. Je déclare qu’aucun conseil n’a été donné, qu’aucune demande n’a été faite, que ce n’est qu’à raison de la nécessité que nous avons reconnue de pourvoir aux besoins de l’Etat que nous avons fait notre proposition.
D’ailleurs, je ne sais comment on peut supposer qu’un intérêt étranger exerce quelque influence sur les actes d’un ministère belge.
M. Osy. - Et la visite du ministère français dont j’ai parlé ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ceci tombe dans l’absurde ; je confesse que j’ai reçu une visite qui a duré à peu près cinq minutes. Je n’ai pas cru, je l’avoue, devoir faire là-dessus un rapport à la chambre.
M. Van Cutsem. - Messieurs, en prenant la parole dans une discussion dans laquelle la chambre va décider du sort de plusieurs milliers de négociants, de fabricants, de boutiquiers et de travailleurs, je serai modéré, parce que l’exagération ne peut que nuire aux meilleures positions et qu’il serait déplorable de donner gain de cause au gouvernement et aux partisans du projet de loi élaboré par la section centrale, en nous livrant à des récriminations personnelles sur les intentions du gouvernement et de la majorité de la section centrale, alors que nous n’avons besoin que de nous occuper de la loi elle-même pour prouver que vous ne pouvez la voter sans détruire en Belgique et la culture du tabac, sa fabrication et son commerce.
Nous serons modérés parce que nous ne sommes dans cette enceinte que pour éclairer le gouvernement sur les conséquences de ses actes et que pour nous rendre les échos de certains bruits répandus sur le mobile qui a donné naissance au projet de loi ; nous n’admettrons donc qu’une seule supposition : la seule qui puisse être vraie, c’est que c’est la nécessité de créer des ressources nouvelles au trésor qui a donné lieu au principe de la loi qui nous est présentée par le gouvernement et la section centrale ; nous n’hésiterons pas encore à avouer que le tabac est susceptible de rendre plus au trésor qu’il ne le fait aujourd’hui, tout en ajoutant au même moment que l’augmentation proposée par le gouvernement et la majorité de la section centrale est forte et que ce mode de perception de l’impôt ne peut convenir à la Belgique, parce que cet impôt tel qu’il est proposé détruirait notre commerce, notre industrie et notre agriculture des tabacs et parce qu’il nous rappellerait, par le contact à peu près constant de l’employé du fisc avec le contribuable, un régime odieux, celui des droits réunis que nous ne voulons à aucun prix voir rétablir en Belgique.
C’est donc le déficit qui existait au mois de novembre 1843, dans les caisses de l’Etat, qui a porté le gouvernement à nous préposer un projet de loi sur les tabacs ; mais en nous reportant à cette époque où le déficit de trois millions existait réellement dans les coffres du fisc, nous ne pouvons pas nous empêcher de demander au ministère pourquoi il a voulu faire combler par le commerce, l’industrie et la culture du tabac seuls, le déficit du trésor, par cela seul que quelques voix s’étaient élevés au sénat et à la chambre des représentants pour dire que le tabac ne produisait pas pour le trésor tout ce que le fisc pouvait en retirer.
Mais en vous disant à vous, gouvernement, que le tabac pouvait produire plus qu’il ne rendait, les honorables sénateurs et représentants qui vous ont fait connaître leur opinion, à cet égard, ne vous ont pas dit qu’il fallait augmenter le produit de l’impôt sur les tabacs en nous présentant une loi contraire, antipathiques aux usages, aux moeurs de la nation, et la destruction du commerce, de l’industrie et de l’agriculture des tabacs. Les sénateurs et représentants qui ont dit au gouvernement de faire rendre au tabac tout ce qu’il pouvait produire pour le trésor, avaient cette pensée, que le gouvernement ne pouvait pas oublier, en nous présentant une loi d’impôt sur le tabac, que la première condition requise, pour toute bonne loi d’impôt est de ne pas nuire au commerce, à l’industrie et à l’agriculture, ce que faisait le projet du gouvernement avant qu’il n’y eût renoncé, ce que fait encore à présent le projet de la section centrale ; si les sénateurs et les représentants qui ont demandé une augmentation sur l’impôt des tabacs n’avaient pas eu cette conviction, ils se seraient bien gardés d’attirer l’attention du gouvernement sur la majoration de cet impôt.
Que le gouvernement ne s’étonne donc pas que, parmi ceux mêmes qui le combattent aujourd’hui, il rencontre des hommes qui ont voulu qu’il augmentât l’impôt sur les tabacs, puisqu’il ne les a pas compris ; si, au lieu de demander un droit élevé sur la fabrication et un droit par feuille de tabac, comme il a commencé par le faire, ou de vouloir, comme aujourd’hui, un droit exorbitant d’accises, il avait demandé un droit modéré sur les tabacs exotiques à leur entrée en Belgique, les intérêts privés n’auraient pas jeté le cri d’alarme, et s’ils l’eussent poussés, on ne les eût pas écoutés, et la représentation et le sénat auraient voté à l’unanimité un impôt réclamé par la position critique du trésor.
Si le ministre n’a pas fait ce que lui commandaient les intérêts du trésor, il peut le faire encore ; et quoique plusieurs orateurs nous aient démontré que le déficit au trésor n’était plus aujourd’hui ce qu’il était au mois de novembre dernier, parce que la conversion des différents emprunts lui donnait aujourd’hui des ressources qu’il n’avait pas à cette époque, parce que les chemins de fer dépasseront de quelques cent mille francs les prévisions portées au budget des voies et moyens, parce que les droits différentiels produiront quatre ou cinq cents mille francs au gouvernement, que le sel donnerait deux cent mille francs de plus qu’on avait eu l’espoir, parce qu’on a fait quelques économies sur les différents budgets et qu’il est encore possible d’en faire d’autres sur le budget de la guerre, nous sommes encore disposés, pour en finir une bonne fois pour toutes avec le fisc ; à ne pas nous opposer à une augmentation modérée sur le droit de douanes tel qu’il existe aujourd’hui.
Nous ne pouvons accueillir qu’une augmentation de droit de douane et aucun autre impôt, parce que tout autre impôt anéantirait notre commerce extérieur et détruirait notre agriculture en nous enlevant nos infiltrations à l’étranger, et en donnant des aliments à la fraude du côté de nos frontières du Nord.
M. le ministre des finances a senti que nous nous serions fait contre sa loi un crime de la diminution de notre commerce interlope qui devait être la conséquence nécessaire de l’adoption de son projet de loi comme de celui de la section centrale, et pour en atténuer l’effet, il nous avait déjà dit, dans l’exposé des motifs de la loi, que ce commerce étant en souffrance et diminuant chaque jour, on ne devait pas hésiter à le frapper ; depuis il a sans doute senti que lorsqu’un commerce est en souffrance, il y a d’autres mesures à prendre que celles qui doivent nécessairement l’anéantir, il a cherché à nous prouver que le commerce interlope de tabacs que nous faisons avec l’étranger ne doit subir qu’une légère atteinte avec le droit proposé par la section centrale.
Pour prouver son assertion, l’honorable ministre a comparé le prix des tabacs de la régie française dans les trois zones au prix de nos tabacs et il en a déduit la conséquence que les tabacs de cantine se vendant à 2 fr. les tabacs ordinaires à 8 fr. et les tabacs intermédiaires à 6 fr. 30 le kil. et les nôtres à un prix moyen de 1 fr. 29 c., il y avait encore assez de marge pour continuer nos infiltrations de tabac dans ce pays ; je commencerai d’abord par dire que le tabac que nous introduisons en France au prix moyen d’un fr. 29 cent. ne peut faire concurrence qu’au tabac de cantine à 2 fr. et non à celui de 6 fr. 50 et de 8 fr., que le prix moyen de 1 fr. 29 c. doit être augmenté au bénéfice du débitant de la frontière qu’on peut sans exagération porter à dix c. par kil., que l’introduction, eu égard aux risques qu’il court, reçoit au moins 80 c. par kil. de transport, que l’habitant chez qui il dépose son tabac prend au moins 30 centimes par kil. pour se payer des risques auxquels il est exposé, ce qui porte le prix du kil. lorsqu’il est vendu en France à 2 fr. 49 c.
Nos tabacs coûtent donc déjà aujourd’hui plus que les tabacs français dits de cantine, et si on les prend malgré leurs prix, c’est qu’ils sont infiniment supérieurs aux tabacs de la régie française de cette catégorie, mais si on allait encore ajouter 30 cent. à la différence qui existe déjà entre le prix du tabac de la régie et le tabac belge, il serait bien à craindre que nous ne pourrions plus lutter avec le tabac de cantine.
Si la différence de 30 cent. pouvait empêcher toute introduction de notre tabac en France, nous a dit M. le ministre, pensez-vous que la France ne diminuerait pas de cette somme son tabac de cantine ?
Je pense, comme M. le ministre, que la régie française prendrait cette mesure si elle pouvait empêcher par là toute infiltration de tabac étranger en France ; mais comme la régie n’a pas seulement à se défendre contre la fraude de l’étranger mais encore contre celle qui peut se faire de la première zone dans la seconde, et de la seconde dans la troisième, elle ne peut baisser autant qu’elle le voudrait le tabac de la première zone sans donner un encouragement à l’infiltration dans la seconde et comme la quantité de tabac délivrée aux débitants de la première zone est limitée, si le tabac de la première zone passe à cause de son bas prix excessif dans la seconde, les habitants de la première zone doivent nécessairement venir s’approvisionner à l’étranger pour ne pas consommer du tabac à et 8 fr. la livre.
Cet état de choses vous donnera sans doute la conviction que notre commerce interlope n’est pas tout à fait à la merci de ceux que nous approvisionnons et qu’une mauvaise loi seule, votée par la législature belge pourrait nous l’enlever.
Des arrêts du ministre des finances permettent la fabrication du tabac de cantine, mais la régie en fait un usage très restreint, parce que cette fabrication ne lui donne aucun bénéfice ; la régie ne satisfait pas aux besoins de la consommation du tabac de cantine, chaque débitant n’en reçoit qu’une faible quantité, il la reçoit le lundi matin, et le lundi soir les débitants n’en ont plus à vendre ; ce ne sont pas les consommateurs des départements frontières qui en font usage, mais les frontières qui les enlèvent en presque totalité, pour les porter dans les départements où le tabac de cantine n’est pas autorisé.
Si nous admettons le droit proposé par la section centrale, nous perdrons notre commerce interlope avec la France, et si nous l’avons conservé pendant des années où les prix des tabacs étaient plus élevés d’autant de plus que le droit proposé par la section centrale, ce n’est que parce qu’à cette époque nous avions encore dans le pays des provisions de tabac ; que parce que nous avons remplacé les tabacs de Kentucky et de Virginie par le tabac hollandais d’Amersfoort, dont nous avons employé environ 2 millions 30 mille kilogrammes en 1839 ; tandis qu’en 1843 et 1844, nous n’en avons pas importé un seul kilog. en Belgique ; si nous avons continué nos exportations pendant ces années, où le prix de revient du tabac était beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, cela n’a été encore que parce que le fabricant et le débitant ont fait des sacrifices pour conserver pour de meilleurs temps leurs relations commerciales.
Le cumul des droits d’importation, de fabrication et de débit porte le droit à 13 francs par 100 kilog., tandis que dès aujourd’hui et dans la prévision de l’admission du droit, on prend l’engagement d’introduire jusqu’à trois lieues en Belgique, sur un point à fixer, franc de tous droits et transports, les tabacs en feuille et coupés pour 10 fr., et en poudre, en carottes et en rouleaux à 7 fr. 50 c. par 100 kilog.
En face de pareilles offres, comment ferons-nous pour ne pas être encombrés de tabacs fabriqués à l’étranger ? que le projet de loi de la section centrale soit voté par la législature et vous verrez les fabricants de tabacs, tant hollandais que belges, établir des fabriques sur la frontière du grand duché du Luxembourg, de Prusse et de Hollande, et le tabac s’introduira en Belgique comme il s’introduit aujourd’hui en France, quelles que soient l’activité et la vigilance de la douane : si la loi qu’on nous propose est votée, nos arrivages et notre fabrication diminueront de toute l’importance de notre commerce interlope, commerce trop lucratif, alors même qu’ils ne s’élèveraient, comme le dit M. le ministre des finances, qu’à 2,500,000 kilog, pour le perdre, et nous perdrons encore avec ce commerce la moitié de la consommation intérieure qui sera approvisionnée par la Hollande.
Je ne suis pas le premier à dire qu’un droit exagéré sur la fabrication du tabac, sur les tabacs à leur entrée en Belgique causerait un préjudice considérable à l’industrie tabagique ; l’honorable ministre des finances tenait le même langage lorsqu’il était rapporteur de la loi de 1838. Il ne voulait pas, lui aussi alors, des droits élevés, parce que ces droits devaient paralyser une industrie existante, un commerce établi, des bras occupés et des capitaux engagés, et parce qu’il ne voulait pas procurer à la Hollande le moyen d’alimenter par la fraude une grande partie de notre consommation.
Voilà ce que pensait l’honorable ministre, en 1838, d’un droit quelconque qui aurait fait hausser trop le prix de revient du tabac et malgré qu’il convienne encore aujourd’hui, dans son exposé de motifs comme la section centrale dans son rapport, que les droits proposés mettront des entraves à nos exportations à l’étranger et faciliteront les importations de la Hollande en Belgique, le ministre comme la section centrale n’en persistent pas moins à soutenir les droits élevés de 30 et de 26 francs ajoutés aux droits actuels de douane et on s’étonne après cela que les intérêts privés poussent de grands cris. Que répond-on à ces intérêts privés alarmés, on leur dit : vos cris ne nous étonnent pas, parce que toute loi d’impôt sera désormais mal reçue et cela pour un motif très simple : c’est qu’elle ne peut être sanctionnée par le pouvoir législatif sans froisser des intérêts, et on ne fait aucune distinction entre l’impôt qui froisse légèrement l’intérêt du consommateur , en lui faisant payer un peu plus cher une denrée dont il fait usage et l’impôt qui enlève au commerce, à l’industrie et à la culture le moyen de lutter avec les industries similaires des pays voisins. Le projet de loi primitif du gouvernement, celui de la section centrale qui est soumis en ce moment à nos délibérations, ne nous enlèvent pas seulement notre commerce interlope en faisant encore fournir par l’étranger à la moitié des besoins de notre consommation intérieure, mais il tue la culture du tabac en Belgique, en imposant ce produit national, exempt jusqu’aujourd’hui de tout impôt, d’un droit d’accise de 26 francs, impôt qu’il fera percevoir, non pas sur l’étendue du terrain planté de tabac, mais sur chaque pied, sur chaque feuille de ce produit.
C’est dans la Flandre occidentale que la culture du tabac est la plus importante, et l’on veut lui donner le coup de mort à une époque où ses habitants souffrent déjà tant par la malheureuse position de l’industrie linière ; on veut encore enlever dans ce pays, à la classe ouvrière, une partie de ses moyens l’existence.
On veut empêcher par la loi qu’on nous propose l’amélioration de notre terrain, on ne veut plus que la terre soit rendue plus fertile par une culture qui prend de 8 à 10,000 tourteaux par hectare, et on prend de pareilles dispositions quand la tendance à la baisse de la plupart des céréales, et le haut prix des terres doivent engager le gouvernement, s’il veut empêcher la ruine de nos fermiers et de l’agriculture, à encourager la culture des plantes précieuses qui, tout en assurant un bénéfice au cultivateur, lui fournissent les moyens de varier les assolements et d’empêcher le retour trop fréquent de certaines cultures. On nous propose de frapper d’un droit d’accise un produit du sol qui a été jusqu’à présent exempt de tout droit, et cela dans un moment où le tabac américain se vend à des prix de beaucoup inférieurs à ceux du tabac récolté en Belgique, dans un moment où on vient de constater par une enquête administrative que la culture du tabac indigène a besoin de protection, pour pouvoir continuer à approvisionner nos fabriques.
Mais n’avez-vous pas la protection que vous avez réclamée pour la culture des tabacs dans le projet de la section centrale, nous dit M. le ministre puisque le tabac exotique payerait 5 fr. de plus aux 2,200 kil. que le tabac indigène, et qu’aujourd’hui il n’a qu’un avantage de 62 fr. sur la même quantité de tabacs.
La différence du droit à payer par le tabac indigène et par le tabac exotique n’existera d’abord que pour la grande culture ; la petite culture, sur laquelle on veut prélever un droit de plusieurs cents francs, ne fait pas concurrence au tabac exotique, il est consommé par le pauvre, le riche seul se sert du tabac exotique.
En Prusse tout cultivateur qui ne plante que pour sa consommation ne paye rien, et en Belgique, cette terre classique des libertés publiques, il ne peut le faire qu’en payant un droit de quatre à cinq cents francs à l’hectare.
On agit, à l’égard du tabac indigène comme s’il faisait concurrence à la fabrication du tabac exotique, comme le sucre de betterave au sucre de canne, tandis qu’il n’y a pas deux fabrications distinctes, tandis que le tabac exotique et le tabac indigène se fabriquent ensemble, et on frappe ainsi d’un double droit une fabrication, en atteignant de droits élevés deux de ses matières premières. Quand on a soutenu devant vous que le cultivateur de tabac aura par la loi actuelle une protection dont il n’a pas joui jusqu’ici , on perd de vue qu’on lui fait payer à peu près six cents francs pour des produits qui aujourd’hui ne payent rien ; on perd de vue qu’en le mettant à même de lutter avec les tabacs américains, on lui crée une concurrence de plus en donnant lieu à l’introduction frauduleuse des tabacs hollandais et des tabacs plantés par le cultivateur français pour l’exportation. Savez-vous ce qu’il faudrait faire pour protéger la culture des tabacs en Belgique ? Il faudrait la laisser grandir sans droits, il faudrait défendre l’entrée des tabacs français par terre dans le pays ; en prenant la mesure que je vous indique, vous ferez un bien immense à notre culture, vous empêcherez des introductions de tabac français, qui se sont élevés, comme le constatent des documents officiels que je puis vous montrer, en 1839 à 134,222 kilog., en 1840, à 387,750 kilog., en 1841, à 114,125 kilog., en 1842 à 88,000 kilog.
L’honorable ministre des finances veut donner un effet rétroactif à la loi, parce que sur les 95 membres qui composent la chambre, 17 ont admis en section que la loi devait avoir un effet rétroactif pour atteindre les approvisionnements immenses que le commerce et l’industrie avaient faits dans la prévision d’une augmentation d’impôt sur le tabac ; mais quelle influence peut exercer sur la décision d’une assemblée composée de 95 membres l’opinion émise provisoirement par 17 membres qui, pour décider définitivement la même question, s’entoureront de nouvelles lumières et énonceront peut-être alors une tout autre opinion que celle qu’ils ont eue en premier lieu ?
Mais, messieurs, pour quiconque vent réfléchir un moment sur les approvisionnements qui ont été faits en 1842, en 1843, à une époque où le projet du gouvernement n’était pas encore connu du pays, ne devra-t-il pas dire que ce n’est pas la prévision d’une augmentation de droits qui a donné lieu aux arrivages extraordinaires que la Belgique a reçus, mais que c’est le bas prix du tabac américain qui a poussé le négociant et le fabricant à se pourvoir de plus grandes quantités de tabac que celles qu’il prenait quand le tabac se vendait à des prix élevés ? ce n’est pas la prévision de la loi qui nous est soumise qui a donné lieu à ces approvisionnements extraordinaires, puisque depuis qu’elle est connue, on a mis plus d’un million de moins de tabac en consommation qu’on ne l’avait fait les années précédentes, à pareille époque de l’année.
Le recensement ne peut donc avoir lieu, parce qu’il enlèverait au commerce des bénéfices auxquels sa prévoyance lui donne des droits ; il ne peut encore avoir lieu parce qu’il ne pourrait se faire simultanément dans toutes les parties de la Belgique, et que, ne pouvant se faire au même moment partout, il faudra que le commerce de tabac chôme pendant que le gouvernement fera le relevé du tabac existant en Belgique.
Que l’on ne craigne pas que le fabricant de tabac fasse payer l’impôt qui ne sera pas perçu sur le tabac non recensé par le consommateur ; le consommateur saura bien apprécier ce fait pour ne pas permettre au débitant d’ici à quelque temps de lui faire payer un droit qu’il n’aura pas acquitté lui-même, et si le consommateur ne mettait obstacle à cette perception, la concurrence que se fera le commerce de tabac empêchera bien de faire payer au consommateur un droit qui ne sera pas entré dans les caisses de l’Etat.
Pour ce qui concerne le droit de débit, je n’en veux pas plus que la section centrale, parce qu’il donne matière à une surveillance qui peut devenir vexatoire, et plus encore parce qu’il peut faire connaître aux derniers employés du fisc des opérations commerciales qui, révélées par lui à un concurrent, peuvent faire le plus grand tort aux affaires de celui dont on aura trahi le secret.
Je veux enfin, si le tabac doit être imposé, qu’on l’impose d’un droit de douane plus élevé que celui auquel il est assujetti aujourd’hui, je ne veux pas de droits d’accise parce que le droit d’accise doit gêner nos relations à l’étranger ; que ce droit doive gêner nos relations commerciales avec les pays voisins où nous exportons, cela est tellement vrai que M. le ministre n’ose soutenir le contraire, puisqu’il consent à rendre facultatives dans telle partie du pays les mesures qui en sont la conséquence, tandis que dans cette autre localité elles seraient obligatoires.
Je voterai donc contre le projet de la section centrale, parce que je veux conserver à mon pays un commerce, une industrie et une culture qui font sa richesse et donnent du pain aux classe ouvrières ; je voterai contre le projet de la section centrale, parce que les dispositions législatives qu’il renferme seraient un non-sens dans un pays comme la Belgique, et enfin qu’elles feraient tache au milieu de ces belles lois qui assurent toutes les libertés possibles à toutes les classes de la société.
M. Savart-Martel. - Il est vrai que de toutes parts on a réclamé un impôt sur le tabac pour couvrir le déficit du budget ; et je crois sincèrement que si le ministère ne nous avait point saisi d’un projet à cet égard, on lui en eût fait un grief. Je suis loin d’ailleurs de l’assimiler aux exercices des droits réunis.
Je les ai vus de près, je les ai appréciés, jamais je ne voudrais les admettre et Belgique.
Mais les vœux de la majorité de la chambre (et moi-même, je l’avoue, j’ai fait partie de cette majorité) doivent-ils nous lier, quand il nous est démontré que les circonstances sont telles que l’adoption serait un mal ? Poser cette question, c’est la résoudre.
Je ne partage pas l’avis de ceux qui voudraient qu’en économie matérielle l’opinion soit du ministère, soit de la chambre dût être invariable. Le temps, les circonstances, l’opportunité plus ou moins prononcée doivent naturellement influencer les opinions.
Cette espèce d’argument a priori ne me touche guère, car il ne doit y avoir d’invariable chez l’homme d’Etat que les hauts principes d’administration constitutionnelle.
J’écarte donc tout ce qui a été dit de nos opinions antérieures à l’amélioration du trésor ; je fais des questions qui nous occupent ici, non une question politique, mais une question d’intérêt matériel.
Il arrivera de nouveaux besoins, dit-on ; je le crois, mais nous aviserons alors de nouvelles ressources.
Je pense, moi, que plus nous aurons d’argent en caisse, puis nous en dépenserons. Nous devons vivre, non pas au jour le jour, mais d’années en années, car quelle que puisse être votre épargne pour les éventualités, vous ne sauriez y suffire. En cas de guerre, par exemple, vos économies de dix ans suffiraient à peine pour le premier coup de fusil ; bon gré, mal gré, ayons confiance dans les destinées de la Belgique.
Mais, messieurs, pourquoi donc prévoir toujours les besoins, et jamais les économies ? L’économie dans le pays constitutionnel est chose très difficile sans doute, mais elle n’est point impossible. Avec une volonté constante, une volonté de fer, cent millions suffiraient pour nos charges et besoins, et je compte encore sur le zèle et les lumières de l’honorable ministre des finances.
D’ailleurs, est-il donc décidé qu’il n’y aura aucune économie sur le département de la guerre ? Cela serait d’autant plus douloureux, que cet argument a été singulièrement vanté lors d’un traité de triste mémoire ; il y aurait là une amère déception.
Pourquoi, d’ailleurs, conserver des domaines qui ne produisent rien, des domaines dont plusieurs nous sont même onéreux ?
Leurs prix pourraient servir à rembourser une partie de la dette, la position budgétaire s’en améliorerait encore.
Il n’y a donc pas nécessité de grever le pays de nouveaux impôts. Mais il y a plus ; autant que possible, il faut gouverner le pays suivant ses vœux.
Or, ce ne sont point les intéressés seulement qui ont jeté le cri d’alarme ; ce ne sont pas seulement les commerçants, les fabricants, les marchands, les planteurs qui repoussent de toutes leurs forces l’impôt prononcé ; c’est l’assemblée des notables tenue à Malines en janvier 1844 ; ce sont toutes, ou presque toutes les chambres de commerce ; ce sont les comités d’agriculture... Nous avons entendu ici des hommes spéciaux, des hommes qui représentent le haut commerce ; tous ont motivé leur opinion, tous nous ont fourni des motifs du plus grand poids !...
D’après le projet de loi, le fermier aurait à payer 570 fr. par chaque hectare de plantation de tabac.
C’est un avantage, dit-on, parce que le tabac exotique payera davantage encore. L’honorable M. Malou a utilement critiqué ce sophisme, je m’en rapporte à ce qu’il a dit. Soyez certains, messieurs, qu’il n’est guère de fermier qui ne repoussât ce chimérique avantage, ce prétendu bienfait. Tous ne l’envisageront que comme une amère dérision. Ils vous répondront que la contribution foncière est déjà une énorme charge, surtout quand on y joint ce luxe de centimes communaux et provinciaux, véritable paie qui augmente chaque année.
Voire loi, messieurs, c’est la destruction du tabac indigène, c’est sa mort, c’est le triomphe de la régie française à laquelle nous allons concéder 12 à 13 millions au préjudice de la Belgique.
Et comme l’a très bien dit l’honorable M. Malou, c’est nous grever d’un monopole odieux sans nous en laisser les avantages. Je crains aussi qu’un nouveau personnel financier ne mange une partie de l’impôt.
Notre pays, messieurs, n’est point heureux.
Naguère vivait une industrie qui ne coûtait rien au pays, et dont le profit, depuis la matière première jusqu’à sa dernière fabrication, contournait à l’avantage de la population. Cette industrie, on l’a tuée, au profit des esclaves de l’Amérique dont nous devons payer les sueurs, et cela sous le prétexte de favoriser des voyages de long cours.
Hier sous prétexte du commerce transatlantique, dont on ressentira les mauvais effets de suite, et les bons effets, s’il en est, dans 7 à 8 ans, c’est-à-dire quand nous aurons créé des bâtiments et des marins, quand nous aurons établi des comptoirs dans les Indes, on a jeté la perturbation dans le haut commerce, et mécontenté l’Escaut et la Meuse.
Quant à l’industrie, qui nous demandait au moins les marchés intérieurs, on lui a répondu qu’on n’avait pas le temps de s’en occuper.
Il nous restait l’un des commerces les plus importants, le seul qui ait pris une grande extension depuis 1830, puisqu’il est décuplé, et voila qu’on veut l’annihiler pour un malheureux impôt.
Je crois, messieurs, que ce serait tuer la poule aux œufs d’or.
Cependant je ne puis me dispenser de lire un passage des observations de la commission d’agriculture du Hainaut :
« Parmi les divers cantons de la province qui auraient le plus à souffrir du projet de loi, s’il venait à être adopté sans modifications radicales, il s’en trouve qui sont en grande partie peuplée de tisserands, autre industrie à l’agonie, et aux plaintes nombreuses et pressantes qu’ils ont adressées, on répondrait en leur ôtant leur dernière ressource ; car, depuis quelques années, surtout dans les environs d’Acren, de Lesinnes et Ath, la culture du lin s’est considérablement restreinte et celle du tabac s’était emparée d’une grande partie des terrains abandonnés par la première. »
Je n’entre point en ce moment dans d’autres détails, parce qu’éventuellement je les rencontrerai au fur et à mesure que seront discutés les articles du projet ; car je ne saurais admettre ni le recensement avec payement d’impôt, ni même le cautionnement, qui mettrait presque tous nos cultivateurs à la merci d’agents subalternes.
J’avais à vous proposer aussi les observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. Cogels ; mais je ne ferai ici qu’une répétition peut-être fastidieuse dans l’état où se trouve actuellement la chambre.
Je voudrais que le projet, même amendé par la section centrale, soit rejeté avec honneur. J’émets ce vœu dans l’intérêt du commerce maritime, dans l’intérêt de la culture indigène, dans l’intérêt de la fabrication, dans l’intérêt même de la tranquillité publique, sauf le cas où sa discussion amènerait de graves modifications ; tel serait, par exemple, un droit de douane.
(Moniteur belge n°167, du 15 juin 1844) M. Verhaegen. - On a oublié bien des discours ; on est loin de 1838 ; il semble même qu’on est déjà loin du commencement de la session actuelle.
Quant à moi, j’aime à me rappeler ce que je disais naguère dans des circonstances à peu près identiques ; j’aime aussi à rappeler à mes collègues leurs discours d’autrefois.
Dans la discussion du budget des voies et moyens (séance du 9 décembre), je disais :
« La mission d’un ministère est facile quand il s’appuie sur le fort et qu’il méprise le faible, alors surtout qu’il ne présente aucune réforme. A de telles conditions, le premier venu peut être membre d’un cabinet.
« S’agit-il jusqu’à présent de questions sociales ? Non, il ne s’agit que de questions de justice et d’équité, qui ne doivent amener aucune réforme proprement dite. Depuis 1830 on a traité beaucoup d’affaires dans cette enceinte, mais s’est-on bien occupé des intérêts de la grande masse de la nation, des intérêts de la classe ouvrière, de la classe nécessiteuse, je dirai même de la classe moyenne ? Non, ces intérêts ont été négligés ; les seuls dont on ait pris soin sont les intérêts d’une classe privilégiée, des riches en un mot. »
A cette occasion , j’ai passé en revue tout notre système d’impôts ; j’ai établi, je pense, à la dernière évidence, que tous les impôts que le ministère a maintenus, étaient des impôts odieux, qui, depuis longtemps, auraient dû disparaître : l’impôt sur le sel, le plus odieux de tous, a été successivement augmenté de plusieurs centimes additionnels et si l’honorable M. Eloy de Burdinne vote aujourd’hui un droit sur les tabacs, dans l’espoir d’obtenir plus tard une diminution de droits sur le sel, je crains fort qu’il ne soit trompé dans son attente, car pour le gouvernement, ce qui est bon à prendre est bon à garder, et en matière d’impôts productifs, je maintiendrai est sa devise.
Les patentes, cet impôt sur le travail, sur les sueurs de l’ouvrier, ont été depuis quelques années, considérablement augmentées.
L’impôt personnel, injuste et odieux à tous égards a été maintenu et grevé de centimes additionnels nonobstant nos incessantes réclamations.
Messieurs, je n’entrerai pas dans toutes les considérations que j’ai eu l’honneur de développer, dans la discussion du budget des voies et moyens ; je rappellerai seulement que j’ai indiqué alors une masse d’objets essentiellement imposables, d’objets de luxe.
J’ai plus d’une fois signalé au ministère les moyens de pourvoir aux besoins du trésor, en frappant la consommation du riche ; mais il s’est bien gardé d’entrer dans cette voie qui lui paraissait dangereuse, il a mieux aimé s’appuyer sur le fort et écraser le faible. C’est la marche qu’il a suivie dans cette chambre depuis son avènement et qu’il continuera à suivre aussi longtemps que vous lui permettrez de vivre. Le projet de loi sur les tabacs est une preuve nouvelle de ces vues financières que je considère commue fatales au pays.
Le principe des droits différentiels tant vanté, que produira-t-il ? Je crains fort que ce principe n’aura en définitive d’autre résultat que d’augmenter les droits sur le café, sur le riz, le stockvisch et autres objets de même nature ; aussi je le déclare tout haut, si le ministère assumant tout la responsabilité d’une négociation entamée depuis plusieurs années, n’avait pas présente les droits différentiels comme la dernière planche de salut pour le commerce et l’industrie, je ne les aurais jamais appuyés de mon vote ; en n’en écartant pas définitivement le principe, j’ai consenti à faire un essai pour que plus tard on ne put faire aucun reproche à la chambre.
Aujourd’hui, on veut frapper le tabac. Mais quel tabac ? Le tabac du pauvre comme celui du riche ; le tabac, principale consolation des malheureux qui n’ont pas d’autre jouissance !
En frappant les tabacs, comme M. Mercier le propose, on anéantit d’ailleurs une industrie importante, et cela est si vrai que, si la loi passe, nos principaux fabricants n’auront d’autre ressource que de déserter la Belgique, et de s’établir en Hollande ou en Allemagne.
Moi qui voulais et qui veux encore un impôt sur le luxe, j’ai indiqué un grand nombre d’impôts qui pourraient être établis. Voici ce que je disais dans la séance du 9 décembre :
« On vous parlait tantôt des tabacs, c’est un de mes honorables amis qui a soulevé cette question ; vous avez en effet des moyens pour frapper le tabac de luxe, tout en épargnant le tabac du pauvre, et rien de plus facile ; on consomme une quantité de cigares, de cigares que paye 30 ou 40 centimes ; pourquoi ne pourrait-on pas frapper ces cigares d’un droit de douane assez fort ? »
Vous voyez que je voulais épargner le tabac du pauvre et frapper le tabac du riche, et je suis encore du même avis. Les cigares de la Havane, frappez-les d’un fort droit de douane ; les feuilles de tabac exotique de première qualité, frappez-les de même. La culture du tabac n’augmentera pas pour cela en Belgique, car le mélange d’une certaine quantité de tabac exotique avec le tabac indigène est reconnue indispensable dans la manipulation.
Mais on veut tout autre chose. Le gouvernement avait proposé par son premier projet un droit sur la culture, un droit sur la fabrication et un droit sur le débit, et cela avec toutes les conséquences, comme on vous l’a dit, du régime odieux des droits réunis ; aussi n’y a-t-il eu contre ce projet qu’un cri de réprobation dans tout le pays.
Il semble réellement que le gouvernement ait pris à tâche de faire crier toutes les industries et de jeter la perturbation dans toutes les provinces ; les pétitions arrivent en masse et de toutes parts ; voyez les pétitions d’Anvers, de Gand, de Liège, de Bruxelles ; tous les grands centres sont en émoi, le gouvernement cède parfois des démonstrations énergiques, mais son système reste le même.
La section centrale a substitué au système du gouvernement un autre système auquel M. le ministre des finances a été heureux de se rallier : c’est un système d’accise avec toutes les vexations qu’il comporte. M. le ministre, à tout prix, voulait éviter un échec, mais le projet de la section centrale avait été accueilli tout aussi défavorablement que le projet primitif du gouvernement ; il fallait donc se réserver une nouvelle retraite.
M. le ministre croit l’avoir trouvée en venant nous présenter un système auquel il serait difficile de donner un nom ; il vient nous proposer aujourd’hui de résoudre des questions de principe, au nombre de dix, dont les unes sont contradictoires avec les autres.
M. le ministre dit à la chambre : On n’a pas voulu de mon projet ; je l’ai abandonné. Le projet de la section centrale ne convient pas non plus à la majorité. Eh bien, voyons : je vais vous interroger, vous, membres de la législature ; je vais vous demander ce qui vous convient, et quand vous aurez bien voulu me le dire, vous ferez un projet de loi, et je serai assez heureux de pouvoir l’accepter.
Le ministère croit qu’en intervertissant les rôles il aura rempli sa tâche, et qu’il échappera à un échec que moi je crois inévitable, quoi qu’en ait dit M. Savart.
Je suis fâché de ne pouvoir, en cette circonstance, partager l’opinion de l’honorable M. Savart, qui, du reste, n’a été partagée sur aucun des bancs de la chambre ; car l’honorable M. Malou, tout en disant qu’il refusait au gouvernement un droit d’accise, a ajouté qu’il lui refusait aussi sa confiance.
C’est donc une question bien plus importante que ne le croit l’honorable M. Savart ; sur les bancs de la droite comme sur les bancs de la gauche, c’est une question de confiance, et l’honorable M. Malou n’a fait en le déclarant que suivre la voie qui avait été prise par l’honorable M. Dumortier, lorsqu’il disait, il y a quelques jours, que le ministère n’avait la confiance d’aucun parti.
A-t-on d’ailleurs déjà oublié la séance du 5 juin, et le vote de la majorité qui, certes, était bien un vote de confiance ? ou plutôt, pour être plus clair, un vote de défiance ? Car, une question posée comme question de confiance, résolue négativement, emporte un vote de défiance.
Messieurs, quelle est donc la base du projet malencontreux que nous discutons ? Le trésor, dit-on, a besoin de ressources ; il faut nécessairement en créer. Mais si le trésor avait besoin de ressources, nous en avons indiqué depuis longtemps. Que ne nous suivait-on sur le terrain que nous avons choisi ? mais, le ministère s’en est bien gardé, il a trouvé des dangers dans cette voie et il l’a évitée soigneusement.
Aussi, si des ressources étaient nécessaires, nous en avions indiqué, et nous n’étions pas en défaut.
Mais, messieurs, on vient de prouver, et à la dernière évidence, que les ressources, dans l’état actuel des choses, ne manquent nullement. Et en effet, il a été fait à cet égard des calculs auxquels M. le ministre des finances n’a rien répondu. Les avantages de la dernière opération financière sont considérables, car aux résultats de la conversion, il faut ajouter ceux qui résulteront du rachat de la rente hollandaise, de l’amortissement de la dette flottante ; et en additionnant tous ces chiffres, on arrive de ce côté seul à environ 3 millions d’économie par an.
Toutefois, à chacun ses œuvres : que le ministère ne s’attribue pas le mérite de ces beaux résultats, et je ne suis pas fâché de m’en expliquer ; ce n’est pas au ministère que nous devons les avantages de la conversion, c’est au temps, c’est aux circonstances favorables qui lui ont été signalées si souvent par l’honorable M. Osy. Le germe en avait été jeté par l’honorable M. d’Huart en 1838 ; mais alors des circonstances fâcheuses avaient empêché cet honorable ministre de réaliser son projet. Les circonstances étant devenues favorables, l’honorable M. Osy a souvent insisté, et M. le ministre des finances a reconnu lui-même, si je ne me trompe, dans l’exposé des motifs de son projet de conversion, qu’un honorable membre de cette chambre avait encore insisté, peu de jours auparavant, pour que le projet fût enfin présenté. Et c’est cependant cet honorable membre à qui nous devons cet avantage qui vient d’être l’objet des attaques, je puis dire les plus inconvenantes, de la part du ministre des finances.
M. le président. - Vous n’êtes pas dans la question.
M. Verhaegen. - Je crois, M. le président, que je suis dans la question, dans la discussion générale. Il s’agit entre autres de savoir si le ministère a besoin de ressources ; il m’est permis, en réponse à une attaque inconvenante, de dire que le pays doit de la reconnaissance à l’honorable M. Osy, pour la persistance qu’il a mise à améliorer la position du trésor ! C’est dans cette amélioration de la position du trésor que je trouve un argument pour combattre le projet du gouvernement.
Je répéterai donc que toujours nous avons rencontré l’honorable M. Osy lorsqu’il s’est agi de quelque mesure qui pût être utile au bien-être du pays. Ceux qui l’ont connu au Congrès, comme vous tous qui le voyez tous les jours dans cette enceinte défendre les intérêts généraux, devez être convaincus qu’il ne méritait pas les reproches qu’on a osé lui adresser des bancs ministériels, alors surtout qu’il s’oppose avec chaleur aux avantages qu’on veut accorder constamment à l’étranger et surtout à la Hollande.
Le trésor ne manque donc pas de ressources et ainsi les motifs qui ont servi de base à la présentation du projet n’existent pas.
Messieurs, on vous l’a démontré, l’adoption du projet serait la ruine de nos fabriques et à cet égard aucune réponse sérieuse n’a été faite par M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances, messieurs, s’est trouvé ainsi que je vous le disais en commençant, en contradiction flagrante avec ses précédents, et quant à moi, je trouve parfaitement inutile de reproduire encore tous les arguments qu’ont fait valoir les adversaires du projet, parce qu’on ne peut mieux faire que d’opposer M. le ministre des finances d’aujourd’hui à M. Mercier, représentant en 1838.
On vous a donné lecture, messieurs, du rapport que M. Mercier a fait en 1838, sur un projet de loi qui avait alors pour objet une légère augmentation de droits de douane sur les tabacs, là l’honorable M. Mercier a répondu à toutes les objections qui pouvaient être faites et à celles que lui-même vient reproduire aujourd’hui. Il l’a fait, messieurs, avec une clarté, avec une lucidité qu’il serait impossible de rien y ajouter.
Les convictions particulières peuvent changer, dit-on, mais les convictions particulières ne sont le plus souvent que les conséquences des convictions politiques, malheureusement très mobiles : l’homme qui dit blanc aujourd’hui dit noir demain, quand sa position politique l’exige.
Ce ne sont pas les réflexions que M. Mercier a pu faire depuis 1838 qui l’on engagé à adopter un autre système. En 1838, M. Mercier n’était pas ministre et disait alors ce que sa conviction l’engageait à dire. En 1844, M. Mercier est ministre des finances, il dit ce que veut sa position ! Il y a, messieurs, d’utiles enseignements dans le rapport de la section centrale de 1838, mais nous croirions abuser des moments de la chambre, si nous insistions davantage sur ce point.
M. Mercier craignait en 1838, par une faible augmentation de 5 fr., les infiltrations de la Hollande ; et, aujourd’hui qu’il s’agit d’un droit de 45 fr., nous n’avons d’après lui rien à craindre de ce côté ! Il y a plus : M. le ministre des finances, dans son exposé des motifs, nous disait, au mois de janvier, je pense, qu’il était inutile de nous occuper du commerce interlope qui se fait sur notre frontière du Midi que ce commerce devenait insignifiant, et que bientôt il aurait complètement cessé. Ainsi, messieurs, sans droits nouveaux, le commerce interlope aurait bientôt cessé, et avec un supplément de droits de 30 ou 40 centimes, ce commerce ne souffrira pas et continuera comme par le passé. Je voudrais bien que M. le ministre des finances nous expliquât cette contradiction.
Mais il y a une observation bien plus saillante encore, et je supplie M. le ministre des finances de vouloir à cet égard me donner une réponse catégorique : Nous n’avez rien à craindre, nous dit M. Mercier, de l’infiltration du côté de la Hollande avec une augmentation de droit de 30 ou 40 centimes, alors que, pour arriver en Belgique, le tabac hollandais ne doit traverser qu’une seule ligne de douane ; et quand il s’agit des infiltrations en France, dont nous profitons, ces 30 ou 40 centimes d’augmentation, d’après lui, ne feraient rien à l’affaire, et cependant là il y a trois lignes de douanes à traverser.
Savez-vous, messieurs, ce qui résultera de l’adoption du projet de loi ? C’est que, d’un côté, nous aurons les infiltrations de Hollande en Belgique, qui nous porteront préjudice, et que, d’un autre côté, nous n’aurons plus les infiltrations dont nous profitons aujourd’hui sur la frontière de France. Nous serons frappés à la fois et du côté du Nord et du côté du Midi. Je suis convaincu que M. le ministre des finances ne répondra pas à cet argument, qui suffit à lui seul pour saper la loi par sa base.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’y ai répondu avant que vous ne l’eussiez produit.
M. Verhaegen. - Est-ce dans le rapport de 1838 que se trouve votre réponse ? Dans ce rapport se trouve au contraire la confirmation de tout ce que je viens de dire : « Une autre circonstance, disait M. Mercier, semble encore s’opposer à l’augmentation de l’impôt sur le tabac, c’est le voisinage de la Hollande, qui ne manquerait pas de profiter du prix élevé de la matière dans notre pays pour alimenter par la fraude une grande partie de notre consommation. » Certes, cela ne répond pas à ce que viens de dire ! C’en est au contraire la confirmation. Vous n’y avez pas répondu et vous n’y répondrez pas, car il est impossible de répondre à des chiffres.
Serait-il vrai, messieurs, et je ne suis pas éloigné de le croire, que l’on ait cédé à la fois et aux exigences de la France et aux exigences de le Hollande ? On jette les hauts cris quand on entend des objections de cette espèce ; c’est cependant ce qui arrive tous les jours. Depuis que nous siégeons ici, nous n’avons pas vu autre chose que des concessions continuelles faites à l’étranger, et quand il s’agit, comme l’a dit l’honorable, M. Osy, de faire quelque chose dans l’intérêt de l’industrie belge, jamais on ne trouve d’appui dans le gouvernement. Au reste, l’arrêté dont a parlé l’honorable M. Osy et dont nous aurons sans doute à nous occuper bientôt, prouve que ce qui a été dit à cet égard est loin d’être dénué de fondement.
En résumé, messieurs, le projet de loi primitif a été condamné dès le moment où il a été connu du pays ; le gouvernement lui-même l’a senti et c’est pour cela qu’il s’est empressé de se rallier au projet de la section centrale qui cependant ne pourra pas se soutenir davantage.
Maintenant la chambre voudra-t-elle descendre à jouer un rôle qui est indigne d’elle ? Voudra-t-elle répondre à des questions que lui soumet M. le ministre des finances. Voulez-vous un droit sur le tabac ? Voulez-vous un droit d’accises ? Voulez-vous un droit de douane ? Voulez-vous un droit sur la culture ? Voulez-vous un droit sur la fabrication ? En voulez-vous un sur le débit ? Expliquez-vous, et quand vous aurez dit ce que vous voulez, quand j’aurai vu de quel côté souffle le vent, alors il n’y aura plus de danger, alors je dirigerai ma barque et j’arriverai au port. Voilà, messieurs, le langage que vous tient M. le ministre des finances.
Mais cela ne s’appelle pas gouverner, ce n’est pas ainsi que doit agir un ministère. Quand un gouvernement a étudie une question et qu’il présente à la chambre un projet de loi, il faut qu’il ait le courage de soutenir son oeuvre. C’est un oui ou un non qu’il doit demander, c’est un triomphe ou un échec qui l’attend. Du reste, messieurs, depuis quelque temps nous sommes habitués à cette manière d’agir.
La loi sur le jury d’examen en est un exemple, la loi sur les droits différentiels en est un second. Savez-vous, messieurs, car il faut que je vous dise toute ma pensée, savez-vous qui, en définitive, gouverne en ce moment en Belgique ? Ce sont les députations qui se présentent chez les ministres ; ce sont les députations de 50 ou de 100 personnes, qui font les lois.
Quant à moi, je pense, messieurs, que de la manière dont les choses se présentent, il ne s’agit pas ici d’une de ces questions à proportions mesquines que l’on peut résoudre sans inconvénient dans l’un ou dans l’autre sens, comme l’a pensé l’honorable M. Savart. C’est au contraire une question capitale, une question d’existence pour le ministère. Ce n’est pas une simple question d’accises, c’est une question de confiance, comme l’a dit l’honorable M. Malou, comme l’a dit l’honorable M. Dumortier, et en rejetant la loi, vous renouvellerez le vote du 5 juin.
Que les comédies cessent une bonne fois et que le rideau tombe !
Un gouvernement, pour être utile au pays, doit être respecté avant tout, et il ne peut l’être aussi longtemps qu’il restera dans l’ornière où il se trouve aujourd’hui.
(Moniteur belge n°165, du 14 juin 1844) M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a cité mon rapport de 1838 qu’on avait déjà cité précédemment mais je ferai observer que les deux passages dont il a donné lecture ne s’appliquent pas, comme il l’a dit, à un droit de 5 fr. Il faut, avant tout, être de bonne foi. Je puis ne pas avoir connu la question comme l’étude que j’en ai faite maintenant me l’a fait connaître, mais on ne doit pas défigurer mes opinions. Voici, messieurs, à quel passage de mon rapport de 1838, s’applique l’observation citée par l’honorable M. Verhaegen :
« En prenant la population pour base de la consommation, l’impôt sur le tabac produirait en Belgique, dans la proportion des droits qui les frappent en Angleterre, une somme de plus de 15 millions de fr., et d’après le système français, une somme d’environ 6,500,000 fr. »
Immédiatement après cela vient l’observation : « En présence d’un état de choses, lorsque l’opinion publique semblait désigner cette matière imposable comme moyen d’alléger d’autres charges, et qu’à chaque discussion des lois de finances des membres de la législature insistèrent sans contradiction pour qu’elle fût soumise à des droits élevés, il a fallu de bien puissants motifs pour ne pas user d’une ressource si populaire et en apparence si juste et si facile. »
Vous voyez, messieurs, que cela ne s’applique pas à un droit de 5 fr., comme on l’a insinué, mais à l’établissement d’un droit élevé dans la proportion de celui qui existe en Angleterre et en France.
Plus bas vient l’autre observation :
« Une autre circonstance semble s’opposer ce que l’Etat obtienne un revenu d’une certaine importance de l’impôt sur les tabacs, c’est le voisinage de la Hollande qui ne manquerait pas de profiter du prix élevé de cette matière dans notre pays pour alimenter par la fraude une grande partie de notre consommation. »
C’est toujours la conséquence de la première phrase où il s’agissait d’un droit analogue à celui qui grève cette marchandise en Angleterre et en France.
Néanmoins dans mon rapport, j’appuie la proposition du gouvernement. Il n’y en avait pas d’autre ; seulement une section avait exprimé un avis différent, mais je pensais qu’il valait mieux s’en tenir à la proposition du gouvernement.
Je pourrais, messieurs, m’être trompé en 1838, alors que, comme rapporteur, je n’avais pas entre les mains les moyens nécessaires pour connaître exactement tous les faits, pour apprécier cette espèce de commerce dont on a tant parlé.
L’honorable M. Verhaegen a demandé aussi une réponse catégorique à une question qu’il m’a posée relativement à une espèce de contradiction qu’il croit avoir trouvée dans mes paroles. Il a dit : « Comment se fait-il que la fraude n’aura pas lieu de Hollande en Belgique, et que le commerce interlope continuera sur la frontière du Midi ? » Mais, messieurs, la raison en est toute simple, c’est que nous ne voulons grever le tabac que de 30 fr. par 100 kilog., ce qui ne présentera pas un appât assez considérable à la fraude, tandis que sur la frontière du Midi le commerce interlope présentera encore un bénéfice qui ne sera à la vérité que de 41 fr. pour une seule espèce de tabac, mais qui s’élèvera à 241 fr. pour une deuxième qualité, à 651 fr. pour une troisième et à 671 fr. pour une quatrième.
Voila, messieurs, l’explication de la contradiction signalée par l’honorable M. Verhaegen. Je n’ai, du reste, pas attendu son observation pour y répondre ; la réponse à cette observation se trouve dans mon premier discours.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.