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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 mai 1844

(Moniteur belge n°152, du 31 mai 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart. La séance est ouverte.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Le sieur Vanderwerf, ancien militaire et douanier, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le payement du capital et des intérêts de son fonds de douanier français à Hambourg. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants du hameau de Royghem, dépendant de la ville de Gand, demandent que ce hameau soit érigé en commune spéciale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Sap présente des observations contre la proposition de revenir à la loi de vendémiaire sur la vente des bois, et demande qu’on prenne des mesures en faveur de la propriété boisée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.


M. Cogels informe la chambre que par suite de la mort de sa belle-sœur, il ne peut assister à la séance.

- Pris pour notification.

Projet de loi rendant applicable le tarif sur le bétail à toutes les frontières

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) dépose un premier projet de loi, tendant à rendre applicable à toutes les frontières du royaume la loi du 31 décembre 1835, sur le bétail.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet qui sera imprimé et distribué. La chambre en ordonne le renvoi aux sections.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je résumerai dans un tableau général les avis émis par les commissions que le gouvernement a consultées ; je déposerai sur le bureau, et communiquerai, au besoin, aux sections et à la section centrale, les avis originaux de ces commissions. Ces avis sont très étendus et formeraient un très gros volume. Je n’ai pas cru qu’il fût nécessaire de les imprimer entièrement.

M. Delehaye. - Je demande que l’on fasse imprimer à l’appui du projet de loi, les articles de la loi de 1835 auxquels on se réfère dans le projet.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Cela sera fait, messieurs.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Le Roi m’a chargé de présenter un second projet de loi, tendant à terminer par transaction un procès entre le gouvernement et les héritiers Dapsens, et demandant, dans ce but, un crédit de 52,000 fr.

- Ce projet sera imprimé et distribué. La chambre en ordonne le renvoi aux sections.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion du tableau des tarifs

Bois

M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - L’honorable M. Sigart a présenté hier un amendement en faveur des bois employés dans les houillères ; j’aurai peut-être aussi un amendement à présenter, mais avant tout je désire avoir une explication de MM. les ministres : je désire savoir quel sera, d’après le projet de loi, le droit d’entrée sur les perches et bois de sapin qui nous viennent de la Hollande et de la partie cédée du Limbourg par la Meuse.

Jusqu’à présent ces bois, dont on fait un grand usage pour les houillères, ont payé, alors même qu’ils étaient équarris à la hache, un droit d’entrée de 6 p. c. à la valeur. Je désire savoir si ce droit est modifié par le projet de loi qui ne me paraît pas très clair sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je répondrai à l’honorable membre que les perches dont il vient de parler, ne sont pas comprises dans le projet qui est actuellement soumis à la chambre.

Ces perches continueront à être imposés au droit de 6 p. c., comme elles le sont aujourd’hui. Il ne s’agit pas de bois de construction.

M. Delfosse. - Je prends acte de la déclaration qui vient d’être faite par M. le ministre des finances. Il en résulte que le projet de loi ne porte pas sur les perches et bois de sapin de la Hollande et de la partie cédée du Limbourg ; il en résulte que, quel que soit le vote de la chambre sur les divers amendements qui lui sont soumis, le droit d’entrée sur ces bois ne sera pas modifié.

Il y aura lieu d’examiner, messieurs, s’il ne conviendrait pas de réduire ce droit. En France, le droit d’entrée sur les perches et les échalas n’est que de 25 centimes au mille. La réduction du droit serait favorable, non seulement à nos houillères, mais aussi à quelques branches de l’industrie agricole.

Je ne ferai pas de proposition en ce moment ; j’attendrai que la chambre ait pris une résolution sur les divers systèmes qui sont en présence ; j’en ferai peut-être une au second vote, cela dépendra du système qui sera préféré. Je demande qu’il me soit permis d’attendre le second vote pour formuler une proposition, si toutefois je me décide à en présenter une.

M. de Garcia. - Messieurs, il y a bientôt six semaines que nous sommes engagés dans cette discussion qui devient de jour en jour plus pénible. Le projet de loi primitif sur les droits différentiels ne sera bientôt plus reconnaissable entre les amendements qui ont été successivement présentés. Or, si on se réserve le droit de déposer des amendements nouveaux lors du second vote, il faut convenir que la discussion ne sera pas terminée dans deux mois. Je ne vois pas pourquoi dans ce débat qui a déjà été si long, l’on s’écarterait de la marche ordinaire, et quant à moi, je m’oppose à ce qu’on puisse présenter lors du second vote de dispositions nouvelles étrangères à des dispositions amendées et adoptées. Si nous entrons dans cette voie, nous perdrions un temps précieux, dont l’emploi est réclamé par d’autres matières très urgentes, et particulièrement les lois nouvelles d’impôts rendues indispensables par le déficit du trésor.

Dans cet état, je convie les membres de cette assemblée de mettre un terme nos discussions, et je désire que dès aujourd’hui la chambre puisse voter la question des bois. (Oui ! oui !) On ne peut plus rien dire de neuf sur ce point, on ne peut plus que se répéter. Rien n’empêche donc d’accélérer un peu le dénouement des questions soumises à la chambre.

M. le président. - Je dois faire observer que lors du second vote, on peut présenter des amendements à des dispositions qui ont été elles-mêmes adoptées, comme amendements lors du premier vote.

M. Delfosse. - Je ferai remarquer à l’honorable M. de Garcia qu’il m’est impossible de formuler une proposition en ce moment.

Si la chambre adoptait l’amendement de l’honorable M. de Corswarem, qui veut des droits très élevés, il n’y aurait probablement pas lieu de demander la réduction du droit de 6 p. c. sur les perches et bois de sapin de Hollande et de la partie cédée du Limbourg.

Si au contraire on adoptait la proposition plus modérée du gouvernement ou celle de l’honorable M. Donny, la réduction du droit de 6 p. c. pourrait entrer dans les intentions de la chambre ; une proposition faite dans ce sens aurait alors quelque chance d’être accueillie.

L’honorable M. de Garcia doit reconnaître que je suis forcé d’attendre le second vote. Du reste, l’observation que M. le président vient de faire tranche la question. La proposition que je présenterai au second vote, si j’en présente une, se rattachera à l’amendement qui aura été adopté. Dès lors on ne pourra pas me contester le droit de la présenter.

M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé hier par M. Sigart :

« Sont exempts de tous droits les perches et les bois de cuvelage nécessaires à l’exploitation des houillères. »

M. Sigart. - Avant de développer mon amendement, je voulais demander aussi à M. le ministre des finances l’explication réclamée par l’honorable M. Delfosse. Mais j’en avais encore une autre à solliciter.

Pour mesurer la portée de mon amendement, il faut savoir comment le gouvernement entend appliquer le tarif au bois de cuvelage.

Le bois de cuvelage, messieurs, est en chêne scié de premier choix servant à revêtir les parois de puits d’extraction. Dans quelle catégorie doit-il être rangé ? Est-ce parmi les douves au droit de 6 p.c. ? Ces bois sont bien d’énormes douves, mais ils n’en ont pas le nom. Est-ce dans la catégorie autres bois au droit de 19 p. c ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, mon collègue, M. le ministre des finances, vient de déclarer que les perches et échalas ne seraient pas compris dans le tarif actuel. Ce ne sont pas des bois de construction.

Il n’en est pas de même des bois de cuvelage. Ces bois sont compris dans le tarif actuel, non pas qu’on les ait considérés comme des douves, mais on les a considérés comme bois sciés de construction.

Les bois destinés au cuvelage dans les houillères, ont été traités jusqu’à présent et continueront à être traités comme bois sciés de construction. Par conséquent, le tarif nouveau leur serait applicable.

Vous voyez dès lors que, si l’on adopte un chiffre élevé, il se peut que les droits sur l’entrée de ces bois soient augmentés. Il faudra donc examiner plus tard s’il n’y aura pas lieu de faire une exception en faveur de ces bois. Cela dépend du chiffre qui sera adopté.

J’ajouterai qu’il ne faut pas exagérer l’importance de cette question. Les bois dont il s’agit sont ordinairement des bois de hêtre, et l’on en fait venir très peu de l’étranger.

M. Sigart. - C’est une erreur. Le bois de cuvelage est en chêne et même en chêne de première qualité. Au reste, cela ne changerait rien an droit. Le chêne et le hêtre sont frappés de même par le tarif.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ainsi, en me résumant, je dis que les bois de cuvelage sont compris dans le tarif ; ce sont des bois sciés de construction. Dès lors, si on adopte un chiffre considérablement augmenté, la condition de l’entré de ces bois de cuvelage est aggravée ; il y aura lieu d’examiner s’il ne conviendrait pas de faire une exception en faveur de ces bois comme on en a fait une en faveur des bois employés aux constructions navales. C’est une question qu’on peut tenir en suspens. C’est un sous-amendement subordonné à l’adoption de l’un ou l’autre des amendements proposés. Aux termes du règlement, un amendement de ce genre serait recevable même au deuxième vote. L’honorable M. Sigart peut être sans inquiétude sur ce point.

M. Sigart. - Alors j’ajournerai les développements de mon amendement.

M. Lesoinne. - J’avais demandé la parole pour appuyer l’amendement de mon honorable ami M. Sigart. Je ne crois pas devoir rentrer dans la discussion générale ; on a fait valoir en faveur des droits modérés toutes les raisons possibles, il me paraît inutile d’entrer dans de nouveaux développements à cet égard ; je renonce à la parole.

Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Rogier. - Je demande la parole contre la clôture. Dans la séance d’hier, la plupart des orateurs qui ont parlé ont défendu un système que je considère comme exagéré, et ont combattu la proposition du gouvernement. Je ne pense pas qu’on ait entendu un seul orateur en faveur du système que j’appellerai modéré. Il me semble que la chambre ne peut pas, sans injustice, se refuser à entendre encore un ou deux orateurs avant de prononcer la clôture.

- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

M. Rogier. - Reportons-nous, messieurs, à la discussion de 1838 ; au sénat seul, elle a duré trois jours. Alors les partisans des droits modérés étaient en très grande majorité dans cette chambre. La faible augmentation demandée consistait à porter le droit à 6 p.c. ad valorem. Cette augmentation fut combattue avec beaucoup d’énergie par des députés étrangers à nos villes maritimes. Il a été dit que le seul intérêt du port d’Anvers s’opposait à l’augmentation de droits qu’on propose. Eh bien, en 1838, l’augmentation des droits, si modérée qu’elle fût, a été vivement combattue par des députés appartenant aux diverses localités du royaume.

Je ne veux pas vous citer les discours qui furent prononcés, il suffit de vous les rappeler et de vous renvoyer au Moniteur. Le député d’Alost, des députés de Tournay, de Namur, de Charleroy, se sont opposés à toute aggravation de droits. Un nouveau député de Tournay qualifiait même l’augmentation si faible qui été proposée, comme tellement grave qu’il était impossible de l’admettre sans un plus ample informé. Aujourd’hui vous avez reçu des pétitions de diverses localités entièrement étrangères au district d’Anvers.

Relisez ces pétitions Elles méritent une attention sérieuse. Nous en avons reçu d’Ostende, de Furnes, de Thielt, de Roulers, de Dixmude ; dans toutes ces pétitions on se prononce fortement contre toute augmentation du tarif ; on a établi même que l’augmentation de 1838, qui n’est devenue définitive qu’en 1840, a porté une grave atteinte à ce commerce si important, non seulement pour les ports qui reçoivent les bois du Nord, mais pour toutes les industries qui en vivent. Je regrette que ces pétitions n’aient pas été insérées au Moniteur. Elles présentent beaucoup d’intérêt et des observations souvent très judicieuses. Les droits votés en 1838 par la chambre furent trouvés insuffisants au sénat. Mais que fit le sénat ? Eleva-t-il les droits au taux que l’on propose aujourd’hui ? Non ; le sénat, sur la proposition de M. Cassiers, éleva le droit de 10 p. c. à la valeur.

Ce droit de 10 p.c. avait été proposé dans cette chambre par l’honorable M. de Mérode. Mais sa proposition avait paru exagérée et avait été repoussée. Le sénat ayant adopté le droit de 10 p. c., ce droit fut transformé en un droit de 4 fr par tonneau pour le bois scié et ainsi voté par la chambre des représentants au mois d’avril 1840. Voilà l’historique de la législation. C’est le sénat qui a fait le tarif actuel qui soumet au droit de 4 fr. par tonneau le bois scié venant du Nord, car c’est surtout de celui-là qu’il s’agit. Eh bien, ce tarif fait par le sénat, aujourd’hui on le trouve insignifiant ; on ne veut pas même de la proposition du gouvernement qui double ce droit. Voyez, comme le disait à cette époque, un honorable député de Namur, comment procède le système restrictif.

Le 22 décembre 1842, l’honorable rapporteur de la commission d’industrie proposa un nouveau tarif sur les bois. Il proposait de porter le droit sur les bois non scies de 60 c. à 3 fr., et sur les bois sciés de 4 fr. à 8 fr. Et dernièrement, par le même organe, on est venu proposer de porter le droit sur le bois scié de 4 à 18-75 par pavillon national et à 25-50 par pavillon et étranger. Soit donc une aggravation de 4 fr. et 25 50 ; attendu que c’est toujours par pavillon étranger que le bois du Nord arrivera.

L’honorable M. de Corswarem, qui a modifié sont premier amendement, maintient toujours pour le bois non scié un droit de 6 francs par pavillon national et un droit de 9 francs par pavillon étranger ; c’est-à-dire qu’il propose de porter de 60 centimes à 9 francs le droit actuel, c’est quinze fois le tarif du sénat. N’est-on pas en droit de qualifier d’exagéré un pareil droit ? En adoptant les dernières propositions du gouvernement qui doublent le droit actuel, je me rattache au système que je considère comme le moins exagéré.

Si je me prononce en faveur d’une augmentation de droit, c’est que je crois utile et juste à certains égards d’accorder une protection aux propriétés du pays ; toutefois, je ne saurais admettre tous les motifs qu’on fait valoir en faveur de cette augmentation. On dit qu’il y a dépréciation des forêts, je crois que cette thèse aurait besoin d’être démontrée. Que dans certaines localités, il y ait dépréciation dans les prix, je ne le nie pas ; mais il n’en est pas de même partout. Quand il s’est agi de racheter la forêt de Soignes, qu’a fait le gouvernement en faveur de la proposition qu’il a faite ? Il nous a dit que depuis sept à huit ans, la valeur de cette forêt avait doublé, que pour cette raison, il fallait la payer au double de l’évaluation de 1837.

S’il faut en croire une pétition venue de Thielt, la valeur de bois dans ce district aurait toujours été en croissant, depuis 1830. Il est positif d’ailleurs, et tout le monde le reconnaît, que la propriété foncière, en général, n’a jamais été à un prix plus élevé qu’aujourd’hui.

Plusieurs des causes de la dépréciation des bois ont déjà été indiquées ; elles sont très simples. Les bois rencontrent en concurrence non seulement les sapins du Nord, mais même les sapins du pays. Ainsi, dans la Campine, on a singulièrement multiplié les plantations de sapins. C’est le sapin campinois qui lutte contre le sapin campinois et qui en amène la dépréciation. Cette dépréciation pourra augmenter à mesure que les plantations de la Campine prendront du développement.

La concurrence est donc ici dans le pays même.

Vous ne pouvez empêcher non plus que la houille ne fasse concurrence au bois de chauffage. D’année en année, la houille gagnera des zones où elle n’a pas encore pénétré. Ou pourrait suivre, pour ainsi dire jour par jour, l’invasion progressive de ce précieux combustible dans des parties du pays qui lui étaient auparavant fermées. L’extension donnée à l’emploi du fer est aussi une cause de la dépréciation de nos bois.

Enfin, il faut que la qualité de nos bois, comparée à la qualité des bois du Nord, soit bien inférieure, s’il est vrai, comme en l’a dit à différentes reprises, que les qualités qu’on nous envoie et contre lesquelles on demande protection, sont détestables ; si nos bois sont supérieurs, comment ces bois du Nord, de si mauvaise qualité, leur font-ils une concurrence si redoutable ? Cette qualité inférieure de nos bois, les droits protecteurs ne pourront rien pour la changer. Cela tient à des conditions de climat contre lesquelles les tarifs ne pourront jamais prévaloir. Jamais, vous ne pourrez produire, dans le pays, des sapins de la qualité des sapins du Nord, pas plus que nous ne parviendrons du faire du vin de Bourgogne et de Bordeaux.

Un autre intérêt qu’on a mis en avant, qui nécessite aussi une augmentation du tarif, c’est l’intérêt du trésor ; cet intérêt me touche. Si nous portons le droit sur les bois étrangers de 4 à 8 fr., nous allons probablement doubler le revenu du trésor, en admettant bien entendu, que l’importation restera la même.

Si, au contraire, nous quadruplons et décuplons le droit, l’importation diminuera, et alors le trésor se trouvera frustré. Le trésor reçoit aujourd’hui 150,000 fr. Si nous doublons le droit, la recette sera de 300,000 fr., toujours en supposant que les importations ne s’en ressentent pas. N’est-ce pas là un revenu suffisant sur un seul article ?

Cependant, en principe (et il me sera permis de dire un mot des principes), je ne considère pas les bois commue une matière éminemment imposable. Je pense, avec un honorable député d’Alost, que le bois est une matière première, de première nécessité. C’est ainsi que l’a considéré le gouvernement anglais. Dans sa grande loi financière, défendue avec tant de courage, de talent et de persistance, sir Robert Peel a traite le bois comme une matière première, qu’il a appelée de grande consommation.

Il a mis le bois sur la même ligne que le café, le sucre, et comme matière de grande consommation, il l’a fait jouir d’une réduction de tarif très considérable. Ainsi, malgré l’état de pénurie du trésor anglais, l’époque de la présentation de la loi, Sir Robert Peel n’a pas hésité à présenter sur les bois une réduction de droits montant à 15 millions de francs par an. Et c’est surtout dans l’intérêt de l’industrie, des manufactures, qu’il l’a fait.

Le bois entre en effet pour beaucoup dans les frais généraux de l’industrie et des manufactures, pour la construction non seulement des bâtiments, mais encore de toute espèce de machines et de modèles.

M. de Garcia. - Le droit est à 75 p. c.

M. Rogier. - Je ne dis pas qu’il soit au taux où nous voulons le fixer. Le tarif anglais est encore élevé ; mais il faut voir de quelle base on est parti pour établir le système actuel.

Le gouvernement anglais procède par dégrèvement successif. C’est aujourd’hui son système ; les chefs des deux partis parlementaires semblent d’accord pour arriver à des tarifs modérés. Dans la discussion de la grande loi de douane et de finances, qui fait l’honneur de sir Robert Peel, il s’est déclaré contraire au système prohibitif et restrictif. Sir John Russell l’en a remercié ; il a dit qu’il appuierait ce système modéré, et que plus ce système serait modéré, plus il l’appuierait.

Un troisième intérêt qu’on met en avant, c’est l’intérêt des ouvriers scieurs, de la scierie nationale.

D’abord, je ne sais si l’industrie des ouvriers scieurs est une industrie si attrayante qu’il faille beaucoup l’encourager. Je crois qu’un grand nombre d’ouvriers trouvent une vie beaucoup plus douce dans d’autres occupations.

Est-il d’ailleurs une industrie quelconque qui occupe autant de bras que la manipulation du bois, le transport, le chargement, le déchargement, le débit, les applications de toute espèce qu’il reçoit ? Tous les ouvriers occupés à ces travaux méritent bien autant de considération que les ouvriers scieurs.

J’en appelle aux six pétitions des localités que j’ai citées. C’est au nom des ouvriers qui manipulent le bois sous toutes les formes, qu’on demande le maintien du tarif actuel, tarif que l’on considère déjà comme préjudiciable à l’industrie belge.

Quant à la scierie à la mécanique, j’ignore si elle a réclamé. Mais un honorable député de Liège me disait tout à l’heure que le directeur d’une scierie, à lui très connu, avait refusé de s’associer à une réclamation contre les bois étrangers.

Nous devons songer aux ouvriers qui non seulement dans les ports de mer, mais partout ailleurs, trouvent de l’occupation dans le commerce et l’industrie des bois ; leur nombre est bien plus considérable que celui des ouvriers scieurs.

Dans tous les cas, je ne pense pas que le système actuel nuise le moins du monde à l’industrie des scieurs.

Un membre. - Et les bûcherons ?

M. Rogier. - L’industrie des bûcherons continuera ; elle sera même plus protégée.

Vous voyez que je n’ai pas craint de reconnaître les intérêts qu’il s’agit de ménager, de favoriser. Reste à fixer l’étendue de la faveur à accorder. Mon opinion est qu’il ne faut pas la pousser trop loin, parce que, à côté de ces intérêts à favoriser, il en est d’autres non moins importants qu’il faut aussi ménager.

Ainsi se présentent, en premier lieu, les constructions navales et civiles. Pour les constructions navales, je reconnais que la loi fait une exception favorable. Restent les constructions civiles. Mais c’est là une industrie bien plus importante que les constructions navales. L’industrie du constructeur civil se lie à une multitude d’autres : qui dit construction civile, dit emploi des briques, des tuiles, des ardoises, des charpentes, de la serrurerie, de l’ébénisterie, de la tapisserie. C’est une foule d’intérêts qui s’enchaînent ; il ne suffit pas de bâtir une maison ; il faut la meubler. On peut même dire que les constructions civiles offrent un utile débouché aux bois du pays. En favorisant l’emploi des bois du Nord, comme matière principale, vous favorisez l’emploi du bois de chêne du pays, qui entre pour une partie dans les constructions civiles.

Telle est l’utilité des bois du Nord qu’un grand propriétaire qui fait construire en ce moment une maison au milieu de ses bois, m’avouait que c’était avec du bois du Nord que se faisait la charpente de cette maison. Cela ne tient pas à ce que le bois du Nord est meilleur marché que les bois du pays, mais à ce qu’il est beaucoup plus léger, et qu’il remplace très avantageusement le bois que l’on employait autrefois. L’architecture moderne procède autrement que celle du moyen-âge. Il faut bien en prendre son parti.

Notre législation (c’est une observation qui a été faite en 1838) favorise aujourd’hui les constructions civiles. Les maisons nouvelles sont exemptes d’impôts pendant un certain nombre d’années. Augmenter les frais de construction, c’est augmenter les loyers, c’est indirectement détruire la faveur de l’exemption ; c’est contrarier les effets de la législation actuelle.

Sans vouloir mêler à cette discussion la question des classes pauvres, qui mérite cependant un examen si sérieux de la part des chambres et du gouvernement, je dirai cependant que dans l’intérêt des classes pauvres, il est très important de maintenir les constructions civiles à bas pris. Jetez les yeux sur les misérables demeures de la plupart des ouvriers et dites si tout le monde, dans toutes les opinions, ne doit pas désirer de voir successivement s’améliorer les habitations de ces classes pauvres et laborieuses.

On a dit : mais toutes les matières qui existent dans les constructions civiles sont frappées d’un droit protecteur ; il faut que les bois subissent le sort de toutes les autres matières. Mais il me semble que c’est précisément parce que les autres matières destinées aux constructions civiles sont frappées de droits élevés, qu’il faudrait ménager, autant que possible, les autres matières nécessaires à ces constructions.

Enfin, messieurs, il est encore un intérêt important à ménager.

Je ne parlerai pas de l’intérêt commercial. Il est établi que dans la loi commerciale que l’on veut faire, il sera introduit une loi anti-commerciale. Car, quelle que soit la modération de l’augmentation qui sera adoptée, il est certain que cette aggravation de tarif nuira aux opérations commerciales.

Je sais bien qu’un honorable député de la province d’Anvers vous a dit : Mais l’intérêt commercial n’y est pour rien ; le bois du Nord arrive sous pavillon étranger, et dès lors l’intérêt maritime du pays vient à cesser. Je dirai à cet honorable membre qu’il est grandement dans l’erreur s’il croit que le pays n’est intéressé qu’au simple commerce qui se fait par pavillon national. Il ne peut ignorer que dans aucune hypothèse le pays ne peut être réduit à faire le commerce sous pavillon national ; que du jour où le commerce serait restreint aux arrivages et aux départs de marchandises sous pavillon national ce serait fait de son commerce ; que dans tous les pays du monde ceux où le pavillon national est protégé comme ceux où il n’est pas protégé, c’est surtout par le concours des étrangers que fleurit et que se développe le commerce.

Ainsi, messieurs, je suis peu touché de cette circonstance, que le bois du Nord ne serait importé que par pavillon étranger. Ce n’en est pas moins un objet de commerce très important, et que l’on aurait dû, sinon favoriser, au moins ne pas frapper dans une loi qui a pour but, dit-on, l’extension de nos relations commerciales.

Mais il y a un intérêt industriel aussi à ménager, et ceci rentre dans l’objet même de la loi. Nos relations avec le Nord ne sont pas à dédaigner. Quel est le but de la loi que nous discutons ? C’est, vous a-t-on dit, de favoriser l’exportation de nos produits. Eh bien, le commerce du bois favorise l’exportation de nos produits vers le Nord. Cette exportation même a pris des accroissements successifs remarquables. Je ne parle que nos relations avec la Suède et la Norwége, pour ne pas compliquer la discussion.

Voici quel a été le mouvement commercial entre ces pays et le nôtre depuis 1836 (successivement : importations, exportations) :

1836 : 2,027,350 297,328

1837 : 2,570,000 312,000

1838 : 2,134,0000 305,000

1839 : 2,086,000 436,000

1840 : 2,045,000 791,000

1841, 2,472,000 1,004,000

1842, 2,070,000 1,497,000

Remarquez-le bien, messieurs, alors que les importations sont, pour ainsi dire, demeurées stationnaires et n’ont pas sensiblement varié entre 2 millions et 2,400,000 francs par an, nos exportations ont subi une progression tendante de 297,000 francs à 1 million et demi.

Voilà, messieurs, un état de choses qui doit frapper l’attention de ceux qui veulent sérieusement favoriser l’exportation des produits nationaux.

On a dit que c’était simplement du sucre raffiné que nous exportions vers la Suède et la Norwége ; lors même qu’il en serait ainsi, le sucre raffiné est un objet d’industrie qui mérite protection comme toutes les industries. Mais nous avons exporté autre chose que du sucre raffiné vers la Suède et la Norwége ; nous y envoyons un très grand nombre d’articles dont j’ai recueilli la liste : en voici quelques-uns pour 1842 : machines à vapeur et autres ; ouvrages de terre, 100,000 pièces ; tuiles, 158,000 pièces ; papier, marbre, savon, tabac de diverses qualités, céruse, colle-forte, cuir tanné, fers ouvrés, clous, houblon, lin, tissus de laine, toiles à voiles, verreries, etc.

Voilà, messieurs, différents articles d’industrie qui, à la vérité, ne figurent pas tous pour des sommes très fortes, mais dont l’importation a été croissant depuis 1834. Si la Suède et la Norwége commencent à prendre goût à nos produits, d’année en année, ces exportations pourront s’accroître.

On nous dit : Elevons les droits contre la Suède et la Norwége, et cela nous donnera l’occasion de faire un traité de réciprocité. C’est une observation qui a été faite à la séance d’hier par un honorable député de la province d’Anvers.

Mais, messieurs, quel traitement meilleur avons-nous à attendre de la Suède et de la Norwége que celui d’aujourd’hui ? Voici le traitement que nous avons dans ces contrées : la Suède et la Norwége reçoivent les marchandises belges sous pavillon belge aux mêmes conditions que sous pavillon suédois, alors même qu’il n’y a pas réciprocité en Belgique vis-à-vis de ces pays, puisque leurs pavillons continuent à être frappés de la surtaxe de 10 p.c. Je ne pense pas, messieurs, que nous puissions espérer de la Suède un meilleur traitement que celui qu’elle accorde à ses propres navires.

N’est-il pas, au contraire, à craindre qu’une augmentation trop considérable de droits sur les bois (qui sont les produits de la Suède, comme le café et le sucre sont les produits des pays transatlantiques) n’amène de sa part aussi une augmentation contre les produits belges, et que, dès lors, nous ne voyons entravées nos exportations qui se développaient d’une manière si remarquable ?

Je pense, messieurs, que nous ne devons pas agir aveuglément, que nous devons, tout en songeant à nos intérêts, ne pas perdre de vue les intérêts des puissances auxquelles les nôtres sont liés.

Ce que je dis, messieurs, vous démontre d’ailleurs combien la loi spéciale que nous discutons se présente d’une manière inopportune au milieu de notre loi commerciale et maritime. Je ne puis que renouveler le regret que j’ai exprimé dans une séance précédente. Nous faisons ici une législation à contrastes, une législation tout à fait disparate dans ses dispositions.

Nous avions admis en principe que l’on ménagerait les matières premières. Nous arrivons à l’article Bois, matière première considérée comme telle dans tous les pays, et une première déviation au principe vient déjà à se présenter. Nous faisons une loi pour protéger le pavillon national, et cette augmentation de droits sur les bois n’accordera point en fait la moindre faveur au pavillon national. Nous voulons étendre l’exportation de nos produits, et dès le second article que j’appellerai le premier, vu le peu d’importance de celui que nous avons voté, nous prenons une mesure qui peut tendre à restreindre beaucoup l’exportation de nos produits vers les pays où cette exportation a été en progressant d’année en année, alors que les importations de ces pays n’ont pas augmenté.

Vous voyez, messieurs, que nous marchons sans système, sans principes, sans unité de vue. Je ne sais pas ce que l’avenir de la discussion nous réserve, mais je crains encore de nouvelles et graves déviations au principe. Car enfin, puisque vous admettez dans une loi commerciale des restrictions anti-commerciales pour le bois, que répondrez-vous à ceux qui vous demanderont une restriction au tarif en faveur des céréales, par exemple ? Déjà l’honorable M. de Garcia a annoncé l’intention de le faire. Que répondrez-vous à ceux qui demanderont des restrictions en faveur des tissus de coton ? Les cotons, depuis 1834, n’ont pas obtenu d’augmentation de droits ; ils n’ont pas été traités aussi favorablement que le bois, qui, en 1840, a obtenu du sénat une augmentation qui ne nous satisfait plus aujourd’hui.

Je ne sais où nous marchons. Mais je ne puis me dispenser de répéter combien je regrette qu’on ait rattaché cette question des bois à la question générale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je regrette de n’avoir pu donner plus tôt à l’honorable préopinant les renseignements qu’il a demandés hier. Je viens d’en recevoir une partie, et même tout ce que l’honorable membre peut, je crois, désirer avoir pour remplir le but qu’il se proposait.

Voici l’exportation de la Belgique en Suède, en Norwége, en Russie et en Danemarck pour 1843. Les changements par rapport aux années précédentes ne sont pas bien considérables ; pour la Russie, 1843 présente sur l’article machines une augmentation, mais ce n’est que relativement à 1842, car si l’on établit la comparaison avec d’autres années, le chiffre de 1843 est moindre. Ce chiffre était pour 1842 de 45,000 fr., et il a été pour 1843 de 380 mille francs ; mais pour 1839 il a été de 400 mille francs ; il était pour 1838 de 1,549,000 fr., et pour 1837 de 738 mille. fr.

Je tire de là cette conséquence, que ces chiffres sont plus ou moins accidentels, et surtout qu’il n’y a point de progression.

M. Rogier. - J’ai dit que la progression était pour la Suède et la Norwége.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Quant à la Suède et à la Norwége, il y a quelques différences ; mais ce sont en général des différences en moins ; elles ne sont, du reste, pas considérables. Pour le sucre, le chiffre a diminué, il est descendu de 886,000 fr. à 726,000 fr. Pour les cuirs il y avait 163,000 fr,, il n’y a plus que 81,000 fr. Il y a quelques autres légères différences, elles sont toutes en moins. Quant au total, je ne l’ai point, parce que l’on n’a relevé que les principaux articles ; il doit avoir sur l’ensemble une légère diminution dans nos exportations.

Je ferai cependant à l’honorable membre une observation. Il est bien vrai qu’en 1842 nos exportations vers la Suède et la Norwége étaient de 1,400,000 fr. Mais dans ce chiffre se trouvait compris l’art. sucre, et certainement l’exportation de cet article n’a pas augmenté la richesse nationale. Je ne reviendrai pas sur ce point, que j’ai suffisamment traité dans la discussion de la loi des sucres ; je répéterai seulement que c’est, selon moi, un marché de dupes de vendre à l’étranger un objet auquel on a donné une main-d’œuvre, dont le pays ne reçoit aucune espèce de salaire. Voila donc un article essentiel qu’il faut retrancher du montant de nos exportations, qui ne s’élèvent plus dès lors qu’à environ 600,000 fr.

Pour le Danemarck, nos exportations sont restées complètement stationnaires ; elles étaient, en 1837, de 190,000 fr., et en 1842 de 227,000 fr., que l’on peut considérer comme le même chiffre.

M. Rogier. - Ce sont les importations qui sont restées les mêmes, mais les exportations ont augmenté.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est une erreur ; en 1842, la valeur des marchandises belges exportées vers le Danemark, a été de 217,000 fr. ; ces exportations se sont élevées à 217,000 fr. en 1840, et à 224,000 fr. en 1841.

Pour 1843, nos exportations vers le Danemarck présentent quelques légères augmentations. Ainsi, les verreries se sont augmentées de 32,000 fr., les machines et mécaniques se sont élevées à 148,000 fr. Les autres articles présentent à peu près les mêmes chiffres que pour les années précédentes.

Je remettrai, du reste, ces tableaux à l’honorable membre, il pourra en tirer d’autres conséquences, s’il le juge utile.

Comme je n’ai demandé la parole que pour donner des renseignements à la chambre, je laisserai à d’autres membres le soin de répondre à l’honorable préopinant. L’honorable membre prétend qu’il soutient le projet du gouvernement.

Il a cependant fait plusieurs observations critiques tendant à démontrer que le gouvernement a eu tort de présenter les dispositions relatives aux bois, dans une loi sur les droits différentiels ; je ne suis pas de son avis, d’abord parce qu’il existe aujourd’hui sur les bois un droit différentiel dont M. le ministre de l’intérieur a fait voir les inconvénients ; ensuite parce que le projet qui nous occupe, a pour but, non pas d’introduire le système des droits différentiels, mais de modifier et d’étendre celui qui existe déjà. Si, en touchant à la tarification des bois, le gouvernement a cru qu’il y avait lieu d’apporter en même temps une assez légère augmentation, je ne pense pas qu’il ait agi avec inconséquence en proposant cette augmentation aujourd’hui plutôt que de la présenter dans quelques semaines ou dans quelques mois.

- La clôture est demandée.

M. d’Hoffschmidt. - Je désirerais répondre quelques mots à l’honorable M. Rogier, je serai très bref.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Il s’agit maintenant de savoir par quel amendement on commencera le vote. Il faudra, je pense, commencer par l’amendement qui s’écarte le plus de la proposition principale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y aurait d’abord une première question à examiner ; mais je pense que l’on est d’accord sur cette question. Il ne s’agit plus que d’une tarification à la dimension ou au volume. Je pense, en un mot, que la première rédaction de l’amendement de M. de Corswarem est censée non avenue. (Oui, oui.) On peut donc mettre aux voix les divers amendements, ou procéder par question de principe. On pourrait, par exemple, poser d’abord la question de savoir si l’on fera une distinction entre le sapin et les autres bois.

M. Manilius. - Je demanderai, dans le cas où l’on adopterait un droit élevé, ce que l’on fera pour les cargaisons qui sont maintenant en charge.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question fait l’objet du dernier paragraphe de l’art. 2, qui s’applique encore à beaucoup d’autres articles.

M. de Mérode. - Je ne sais pas si l’on a fait une distinction pour les bois qui arrivent par terre : par le Limbourg, par exemple, ou de la France ? Ceux-là ne doivent point être assimilés aux bois étrangers importés par mer.

M. de Corswarem. - Messieurs, il est un point capital qu’il importe de décider préalablement au taux du droit, c’est celui de savoir ce qu’on entend par bois en grume. J’avais toujours cru que du bois en grume était du bois brut, non façonné, même pas grossièrement. Mais j’étais en erreur, du moins sous le point de vue gouvernemental ; car le bois, à l’entrée dans le pays, n’est considéré comme scié que lorsqu’il l’est entièrement et à arêtes vives. Cependant, celui dégage de son aubier et en tout ou partie équarri à la hache, n’est plus matière première, mais est matière façonnée pour une foule d’usages. Il est, entre autres, matière façonnée pour être employé comme poutre, solive, moulant, support, gîte, chevron, etc.

Je demande donc que la chambre veuille décider, préalablement à la question principale, si du bois partiellement équarri à la hache doit encore être traité comme bois en grume. Il importe d’autant plus de décider ce point en premier lieu, qu’il doit exercer une grande influence sur le vote de la chambre au sujet des amendements. Car, s’il est décidé que les pièces partiellement équarries à la hache seront traitées comme bois en grume, les poutres de Riga ne seraient soumises, d’après le tarif proposé par l’honorable M. d’Hoffschmidt, qu’à un droit de 4 p. c. de leur valeur, tandis que d’après celui proposé par moi, elles le seraient à un droit de 9 p. c. Les membres qui trouvent qu’un droit de 4 p. c. sur ces poutres, qu’on nous importe en très grandes quantités, est suffisant, adopteront l’amendement de l’honorable M. d’Hoffschmidt, tandis que ceux qui trouvent le droit de 4 p. c. insuffisant pourront voter pour celui que j’ai eu l’honneur de présenter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, si vous admettiez la définition du bois en grume que présente l’honorable M. de Corswarem, alors je pense qu’on n’aurait jamais vu du bois en grume dans le pays. Ces bois nous arrivent de pays très éloignés et dés lors on a soin d’enlever tout ce qui n’est pas utile : on enlève les branches, les écorces, une partie des sinuosités de l’arbre ; en un mot les arbres sont généralement équarris. Ainsi, messieurs, si vous admettiez la définition de M. de Corswarem, autant vaudrait supprimer la catégorie des bois en grume. Je pense donc qu’il faut s’en tenir aux nomenclatures du tarif actuel.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’aurais une explication à demander sur l’amendement de l’honorable M. Donny.

M. le président. - Vous pourriez demander cette explication lorsque nous en serons à l’amendement de M. Donny, car si cet amendement se trouvait écarté par suite de l’adoption d’un amendement qui s’écarte davantage de la proposition principale, alors votre question deviendrait inutile.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il s’agit d’une définition qui s’applique à tous les systèmes.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’amendement de M. Donny est ainsi conçu :

« Dans tous les cas, l’importateur pourra s’affranchir du cubage réel, en payant le droit calculé sur la capacité légale du navire, augmentée de 10 p.c. »

Il est à observer que souvent on charge sur le pont du navire d’énormes quantités de bois, qui peuvent s’élever à 50 p. c. d’excédant de chargement. Je présume que l’honorable M. Donny a entendu parler du chargement intérieur, et dès lors, je serai d’accord avec l’honorable membre ; mais alors il sera nécessaire d’ajouter à l’amendement une disposition qui serait conçue en ces termes :

« Cette disposition ne s’applique qu’au chargement intérieur du navire.

« La partie du chargement qui se trouvera sur le pont, sera toujours soumise au cubage. »

M. Donny. - Je ne pense pas qu’on charge sur le pont des quantités aussi considérables que celles que vient de signaler M. le ministre des finances ; mais, en tout cas, il faut que le commerce paye les droits sur ce qu’il importe. Lorsqu’on chargera quelque chose sur le pont, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on soumette ce chargement supplémentaire au cubage matériel. Je ne veux donc pas combattre le sous-amendement présenté par M. le ministre ; il rendra l’adoption de mon amendement plus facile.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la priorité à donner dans le vote aux amendements.

M. Desmet. - Je pense qu’il est nécessaire d’ajouter dans les amendements de MM. de Corswarem et d’Hoffschmidt les mots : « importés directement par mer. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Soit, quoique ce soit peut-être surabondant.

- La chambre consultée, décide qu’elle votera d’abord sur l’amendement de M. de Corswarem.

M. le président donne une nouvelle lecture de cet amendement.

Des membres demandent l’appel nominal.

Il est procédé à l’appel nominal.

64 membres répondent à l’appel.

47 répondent non.

17 répondent oui.

En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.

Ont répondu non : MM. Brabant, David, de Baillet, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Meester, de Naeyer, de Nef, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, d’Hoffschmidt, Donny, Fleussu, Goblet, Henot, Jonet, Kervyn, Lange, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Dubus (aîné), Pirmez, Rodenbach, Rogier, Savart-Martel, Scheyven, Sigart, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen,

Ont répondu oui : MM. Coghen, de Corswarem, de Garcia, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Renesse, Desmet, de Tornaco, Dumortier, Fallon, Huveners, Jadot, Lejeune, Pirson, Simons, Thienpont, Zoude.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix l’amendement de M. d’Hoffschmidt, amendement que chacun de vous a sous les yeux.

Des membres. - L’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

En voici le résultat :

67 membres répondent à l’appel.

45 répondent oui.

22 répondent non.

En conséquence, l’amendement est adopté.

Ont répondu oui : MM. Coghen, de Baillet, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Florisone, de Garcia, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Nef, de Renesse, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dumortier, Fallon, Henot, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn, Lejeune, Liedts, Malou, Manilius, Mast de Vries, Dubus (aîné), Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude.

Ont répondu non : Brabant, d’Anethan, David, de Brouckere, Dechamps, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, Donny, Fleussu, Goblet, Lange, Lesoinne, Lys, Maertens, Mercier, Morel- Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Rogier, Sigart.

M. le président. - Vient maintenant la proposition de M. Donny, avec la disposition additionnelle de M. le ministre des finances.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’amendement de l’honorable M. Donny, avec la disposition additionnelle de M. le ministre des finances, suppose néanmoins le maintien de la disposition particulière A, disposition particulière ainsi conçue :

« Pour les bois dont les droits sont fixes par tonneau, le gouvernement déterminera le mode de constatation des quantités. »

Les deux autres dispositions viendraient ensuite.

M. le président. - Il me semblait que l’amendement de M. d’Hoffschmidt avait été adopté avec les notes marginales. (Oui ! oui !)

Je dois faire remarquer à cette occasion que, dans l’amendement de M. d’Hoffschmidt, il s’est glissé une erreur d’impression, c’est-à-dire qu’après le littera A doit venir le littera D.

Ainsi, c’est à la suite du littera A que viendrait l’amendement de M. Donny, avec la disposition additionnelle proposée par M. le ministre des finances.

Je mets l’amendement aux voix,

M. Dumortier. - Et s’il y a surcharge ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le droit sera payé sur la surcharge ; d’après la disposition, le droit sera calculé pour l’intérieur, d’après la capacité légale du navire augmentée de 10 p.c. ; on payera en outre le droit sur tout ce qui se trouvera sur le tillac, et ce, d’après un cubage réel.

M. Donny. - Si j’ai bien compris l’observation de M. le président, la note placée sous le littera D a été appliquée par erreur aux mots : « Bois sciés importés autrement. » Cette note doit former un § du littera A.

M. d’Hoffschmidt ; - C’est par une erreur d’impression que le littera D ne s’applique qu’aux bois sciés, tandis que, dans mon intention la restitution dont il y est question doit s’appliquer au bois scié comme au bois non scié, qu’il soit importé par pavillon national ou autrement. Par conséquent, cette disposition doit former le 3ème § du littera A.

- L’ensemble de l’article est adopté.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous avons fait une réserve. J’ai déclaré, en répondant à l’honorable M. Sigart, que les bois destinés au cuvelage des houillères étaient considérés comme bois scié. Cette espèce de bois va subir une augmentation de droit. On en fait venir de l’étranger. Nous avons dit, que s’il y avait augmentation assez notable de droit, il y aurait lieu d’examiner s’il ne fallait pas étendre la faveur de la restitution des 3/4 à cette espèce de bois. Comme l’augmentation de droit a été adoptée, il y a lieu de proposer la disposition additionnelle.

Voici ce qu’on a voté :

« La restitution des 3/4 du droit payé sera accordée aux bois qui seront employés à la construction navale d’après les formalités à déterminer par le gouvernement. » Je proposerai d’ajouter : « Ainsi qu’aux bois destinés au cuvelage des houillères ».

Nous attendrons, pour statuer sur cette addition, que nous en soyons au second vote.

M. le président. - Le vote sur l’ensemble de l’article ayant eu lieu, cet amendement n’est admissible qu’au second vote.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’annonce dès à présent que je proposerai cet amendement au second vote.

M. David. - Et les étançons !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une autre question sur laquelle des explications ont été données au commencement de la séance.

Article « Autres bois »

M. le président. - Nous reprenons le tarif à l’article : Bois d’acajou d’ébénisterie. La commission d’enquête propose pour le bois d’acajou venant directement des pays de production, 6 p. c. de la valeur par pavillon national, 12 p. c. par pavillon étranger, pour ceux venant d’ailleurs et par canaux et rivières, 16 p. c. de la valeur par pavillon national, 18 p. c. par pavillon étranger, et par terre 20 p. c.

Voici les propositions du gouvernement :

« Bois de buis, de cèdre, de gaïac

« Des pays de production, d’un port au-delà du cap de Bonne-Espérance ou d’un port au-delà du détroit de Gibraltar, par 100 kil. 50 c. par pavillon national, 1 fr. 50 c. par pavillon étranger

« D’ailleurs, par 100 kilog., 2 fr., quel que soit le pavillon.

« Le droit de sortie est de 5 c. »

Propositions de la commission d’enquête parlementaire :

« Bois d’ébénisterie :

« Directement des lieux de production (ad valorem). Pavillon national : 6 p. c. Pavillon étranger : 10 p. c.

« D’ailleurs et par canaux et rivières (ad valorem). Pavillon national : 12 p. c. Pavillon étranger : 16 p. c.

« Par terre : 18 p. c. »

« Bois d’ébénisterie autres que ceux dénommés ci-dessus (non compris le noyer raboté pour fusils (proposition du gouvernement)

« Par mer et directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne Espérance, par 100 kil., 1 fr. 50 c.par pavillon national, 3 fr. par pavillon étranger.

« De pays transatlantiques autres que ceux de production, par 100 kil. 3 fr. par navire national, 4 fr. 50 par pavillon étranger.

« D’ailleurs, par 100 kil., 6 fr. sans distinction de pavillon ; droit de sortie, 5 c.

« Scié en planches ou feuilles d’un centimètre ou moins, par 100 kil., 30 fr. sans distinction de pavillon ; droit de sortie, 5 c.

« Scié à une plus grande épaisseur, par 100 kil., 15 fr. sans distinction de pavillon ; droit de sortie, 5 c.

« Meubles de toute espèce et ouvrages de bois, par 100 fr., 20 fr. sans distinction de pavillon ; droit de sortie, 5 c. »

- La proposition du gouvernement est adoptée.

Article « Bois de teinture »

« Bois de teinture (proposition de la commission d’enquête)

« Directement des lieux de production (de toute espèce, non moulu, autre que le Fernambouc, les 100 kil , par pavillon national 20 c., par pavillon étranger 2 fr, 50.

« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national 3 fr., par pavillon étranger 4 fr.

« Par terre, les 100 kil., 5 fr. »

« Bois de teinture de toute espèce non moulu à l’exception des bois de Fernambouc (proposition du gouvernement)

« Directement d’un pays transatlantique, les 100 kil., 1 c., par pavillon national, 70 c., par pavillon étranger.

« D’ailleurs, les 100 kil., 1 fr. sans distinction de pavillon, droit de sortie, 05 c. »

M. David. - J’espère que les bois de teinture jouiront de la même faveur que les cotons. M. le ministre a dit qu’il y aurait pour les cotons réduction de la moitié du droit la première année. J’espère qu’il en sera de même pour les bois de teinture.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est mon opinion, mais cette question sera examinée d’une manière générale quand nous nous occuperons de l’art. 2.

- La proposition du gouvernement quant aux bois de teinture est adoptée.

Article « Bois de Fernambouc »

« (Proposition de la commission d’enquête) :

« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 2 fr. ; par pavillon étranger, 4 fr.

« D’ailleurs, et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 5 fr. ; par pavillon étranger, 6 fr.

« Par terre, les 100 kil., 7 fr. »

« (Proposition du gouvernement) :

« Directement des pays de production, les 100 kil., 2 fr. par pavillon national, 4 fr. par pavillon étranger.

« D’ailleurs, les 100 kil., 5fr., quel que soit le pavillon.

« Droit de sortie, 5 c. »

- La proposition du gouvernement est adoptée.

Boissons distillées »

« (Proposition de la commission d’enquête) :

« Boissons distillées

« En cercles ou en futailles, rhum, arack, liqueurs, y compris les genièvres de Hollande, directement des lieux de production par hectolitre par pavillon national 2 fr., pavillon étranger 3 fr. 50 c.

« D’ailleurs, et par canaux et rivières, l’hectolitre par pavillon national 3 fr. 75 c., par pavillon étranger 4 fr.

« Par terre, l’hectolitre, 4 fr. »

« Rhum et mach en cercles (Proposition du gouvernement)

« Par mer et directement des pays de production transatlantiques ou d’un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, l’hectolitre par pavillon national 4 fr. 25 c., par pavillon étranger 6 fr. 50 c.

« D’ailleurs ou autrement, l’hectolitre sans distinction de pavillon 8 fr.

« En bouteilles de 116 et plus à l’hectolitre, les 100 bouteilles sans distinction de pavillon 12 dr.

« Eau-de-vie, genièvre et liqueurs de toute espèce (Proposition du gouvernement)

« En cercles importés par mer, l’hectolitre par pavillon national 4 fr. 25 cent.

« Par pavillon étranger, 5 fr. 50 c.

« Autrement, l’hectolitre sans distinction de pavillon 7 fr.

« En bouteilles de 16 et plus à l’hectolitre, les 100 bouteilles, sans distinction de pavillon 12 fr.

« Liquides alcooliques quelconques non soumise aux accises, contenant en mélange ou en solution, des substances qui en allèrent le degré, tarif actuel.

« Droit de sortie, 5 centimes. »

M. de Corswarem. - J’ai à faire une observation qui se rapporte, non pas aux droits différentiels, mais à l’exportation. Depuis la nouvelle loi sur les boissons distillées, on n’a plus exporté du tout de genièvre fabriqué dans le pays. Avant cette loi on exportait. Ce changement tient à ce que, d’après la nouvelle loi, on paye 1 fr. par contenance de cuves matières, par 25 heures de travail. Il faut donc que le genièvre soit distillé au bout de 24 heures. Comme ce temps ne suffit pas, on emploie, pour faire le genièvre, du grain qui n’est pas mûr. Ce qui équivaut à du vin fait avec du raisin vert. En général, ce genièvre ne supporte pas la mer. Il est à ma connaissance qu’on a essayé d’en exporter qui avait été fabriqué dans nos provinces maritimes et que le genièvre était gâté avant qu’on fût arrivé à destination.

Je voudrais que l’on pût ajouter à cet article, qu’outre le drawback ou restitution du droit, on accorderait 5 fr. par hect. au genièvre exporté. Ce ne serait pas une prime, mais la restitution du droit que payerait le fabricant pour le genièvre destiné à l’exportation, puisque pour ce genièvre 24 heures ne suffisent pas, et que, par suite, le fabricant doit payer un droit plus élevé que celui fixé par la loi. S’il n’y avait pas d’exportation, il n’y aurait pas de restitution de droits. Peut-être ces 5 fr. suffiraient-ils pour faire exporter ! S’il en était autrement, on pourrait plus tard augmenter la ristourne. Pour le moment, et à titre d’essai, une restitution de 5 fr. pourrait être suffisante.

Aujourd’hui la Hollande seule exporte dans les pays transatlantiques, où ci-devant nous exportions cependant aussi bien qu’elle.

M. Coghen. - La proposition faite par l’honorable préopinant peut avoir son côté utile. Mais convient-il d’examiner maintenant la question de la ristourne, que la loi accorde pour l’exportation des genièvres ? Cet objet est réglé par une loi d’accise. Or, nous nous occupons d’une loi de douane. Si nous mêlons l’une et l’autre législation, nous allons établir une confusion complète.

Si l’honorable M. de Corswarem veut proposer une augmentation du drawback sur les genièvres, on examinera jusqu’à quel point cela peut être utile, et si le drawback actuel n’est pas suffisant.

Mais, je le répète, si nous nous en occupons aujourd’hui, je crains qu’il n’en résulte de la confusion. (Adhésion.)

M. Donny. - Il y a au moins huit ans que j’ai eu l’honneur de vous présenter périodiquement les observations de l’honorable M. de Corswarem. Je n’ai cessé de vous dire que pour exporter des genièvres, il fallait qu’ils fussent fabriqués d’une manière plus lente que ne le permet la loi sur les distilleries. J’ai prédit que le drawback ne serait pas suffisant, que, sous le régime établi par la loi des distilleries, on n’exporterait pas ; or, on n’a rien exporté.

Cependant, cette exportation est très utile ; c’est du grain que nous exportons, après qu’il a donné un bénéfice au pays , un emploi utile aux bras de nos ouvriers, aux capitaux de nos distillateurs, et fourni à l’agriculture un engrais précieux. On devrait donc encourager cette exportation tout autrement qu’on ne l’a fait.

Je conviens que nous ne nous occupons pas d’une loi d’accise ; mais je ne sais pourquoi l’on ne s’occuperait pas d’exportation dans une loi de douane.

Cependant si l’on ne croit pas le moment opportun, je n’insiste pas.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Cette question a été longuement discutée, quand on a révisé la loi des eaux-de-vie indigènes, Je me rappelle que l’honorable M. Donny a présenté des amendements ; je crois que jusqu’à un certain point on y a eu égard.

Le drawback est calcule non pas sur 24 heures de travail, comme paraît le supposer l’honorable M. de Corswarem, mais sur plus de 36 heures de travail.

Sans doute, je comprends l’intérêt qu’on peut porter à ces exportations.

Plusieurs membres. - L’ordre du jour !

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai peut-être tort d’examiner le fond de la question ; car la discussion pourrait être très longue.

Je demande donc que la chambre ne s’occupe pas de cet objet. S’il est présenté des observations, j’y répondrai. Mais je crois qu’il serait préférable d’ajourner cette discussion.

M. de Corswarem. - Je ne fais pas de proposition. J’ai voulu attirer l’attention du gouvernement sur un fait. J’espère qu’à l’occasion il aura égard à mes observations.

M. Rodenbach. - Je partage l’opinion que ce n’est pas le moment de s’occuper de cela ; l’auteur de l’amendement lui-même vient de le dire. Mais je pense que puisque dans ce moment on s’occupe de la question de M. de Haerne (car je crois que c’est un système de primes que sa proposition) on pourrait avoir égard à l’exportation du genièvre ; car c’est un fait qu’on n’a pas exporté ; on pourrait exporter comme la Hollande, qui donne une prime de 2 fl. Là ils osent avouer que c’est une prime. Mais nous, nous n’osons pas accorder de primes.

Quand la commission d’enquête examinera avec attention la proposition de l’honorable M. de Haerne, elle pourra s’occuper des moyens de faciliter l’exportation de nos genièvres.

M. Dumortier. - Il est toujours fort désirable de voir l’industrie du sol exporter ses produits. Je désire beaucoup que les distilleries, comme les autres industries, exportent leurs produits. Mais, pour arrivera ce résultat, il y a un moyen bien simple ; ce serait de revenir au système si favorable au trésor public qu’on avait autrefois, système qui régit encore la Hollande. S’il est une matière imposable, ce sont certainement les spiritueux. C’est non seulement une source de revenu, mais encore un moyen de moralisation, puisque c’est augmenter le prix d’une matière qui bue en grande quantité par l’ouvrier, devient une source de malheurs. Je pense qu’il n’y a pas à hésiter, que l’on doit revenir à l’ancien système. Alors on pourra restituer le droit. Mais il serait réellement trop commode de payer de faibles droits et d’obtenir des primes. Cela n’est pas admissible.

La loi funeste qui nous régit a soulevé d’unanimes réclamations. (Dénégation.) N’avez-vous pas eu les réclamations de Bruxelles, de Liége, d’Anvers, de Tournay ? (Interruption.)

Si mes observations ne sont pas agréables à quelques honorables membres, je les prie d’avoir la patience de m’écouter jusqu’au bout. Moi, j’ai eu la patience de les écouler jusqu’au bout ; j’ai eu la patience de subir la loi qui nous régit ; j’ai droit, comme eux-mêmes, à exprimer mes opinions.

Je dis que la loi a des résultats déplorables pour la morale publique, que dans l’intérêt du trésor public et des finances de nos villes il est nécessaire de revenir à l’ancienne loi ; car la loi actuelle n’a que des résultats désastreux au point de vue financier, et au point de vue de la morale publique.

M. Osy. - N’ayant pas devant moi la convention avec la France, je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si, en adoptant les chiffres de 4 fr. 25 c., et de 5 fr. 50 c. pour les eaux-de-vie de France, nous ne contrevenons pas à ce traité ; s’il n’a pas ce traité sous la main, on pourrait se réserver d’amender, s’il y a lieu, cet article, au second vote. (Adhésion.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas que ce soit contraire au traité.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Cacao

« Cacao :

« En fèves : directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap Horn, les 100 kil. : 2 fr. par pavillon national, 7 fr. 50 c. par pavillon étranger ; droits de sortie 5 c.

« En fèves : de pays transatlantiques, autres que ceux de production, les 100 kil. : 7 fr. 50 c. par pavillon national, 10 fr. par pavillon étranger ; droits de sortie 5 c.

« D’ailleurs, les 100 kil. : 12 fr. 50 c. quel que soit le pavillon ; droit de sortie, 5 c.

« (Pelures de cacao) de toute provenance, les 100 kil. : 63 c. quel que soit le pavillon ; droit de sortie, 5 c. »

Cet article est adopté.

Cachou et terra japonica

« Cachou et terra japonica :

« Directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne-espérance, les 100 kil. : 10 fr. par pavillon national, 1 fr. 25 c. par pavillon étranger ; droits de sortie 5 c.

« D’ailleurs, les 100 kil. : 2 fr. quel que soit le pavillon ; droit de sortie, 5 c. »

- Cet article est adopté.

Café

« Café :

« Directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne-espérance, les 100 kil. : 9 fr. par pavillon national, 11 fr. 50 c. par pavillon étranger ; droits de sortie 5 c.

« De pays transatlantiques, autres que ceux de production, les 100 kil. : 11 fr. 50 c. par pavillon national, 13 fr. 50 par pavillon étranger ; droits de sortie 5 c.

« D’ailleurs, les 100 kil. : 15 fr. 50 quel que soit le pavillon ; droit de sortie, 5 c. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il sera nécessaire de procéder par division ; il est bien entendu que c’est sans préjudice de l’examen en comité secret du système d’exception, que je propose quant au café, système qui sera examiné, soit qu’on veuille l’appliquer seulement à l’article café, soit qu’on veuille l’appliquer à d’autres articles. Nous discuterons le tarif, le comité secret aura lieu, et on pourra alors apprécier les dispositions que l’un ou l’autre membre proposerait.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La question qui se présente maintenant, et que l’on peut très bien discuter, est celle-ci : Nous procéderons par division pour ne pas compliquer. Occupons-nous donc seulement des provenances des pays de production. Voici la proposition du gouvernement

« Directement des pays de production, pavillon national 9 fr, pavillon étranger 11 fr. 50 c.

C’est-à-dire qu’il y aurait une faveur de 2 fr. 50 pour le pavillon belge, ou si l’on veut, une surtaxe de 2 fr. 50 pour le pavillon étranger venant des lieux de production.

Il n’y a pas eu de majorité dans la commission d’enquête sur cette question ; elle a été divisée. Il y avait 6 membres présents ; deux ont proposé 2 fr., deux 3 fr. et enfin les deux autres membres 4 fr. Nous proposons 2 fr. 50. Je crois, messieurs, qu’il faut décider cette question séparément et qu’on peut la décider dès à présent.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne comprends pas trop comment il est possible de voter un chiffre quelconque, sans avoir au préalable tous les éclaircissements que la question comporte. Il me semble qu’il serait plus simple d’avoir ces éclaircissements avant qu’après le vote. Car si nous admettons un système quelconque et que les éclaircissements qui nous seront donnés ensuite viennent nous prouver que nous avons eu tort, nous auront fait un travail inutile.

Toutefois si l’on arrive tout à l’heure à la discussion du système, je dirai quelques mots. Il ne me paraît pas que les chiffres du gouvernement soient assez élevés ; ceux de la commission d’enquête me paraissent préférables. Ainsi que vous l’a dit l’honorable M. Rodenbach, la faveur que le gouvernement propose d’accorder au pavillon national n’est que de un centime un quart par livre de café ; c’est là une protection tout à fait insignifiante.

Si vous voulez obtenir des concessions de l’étranger, faire des traités de commerce et de réciprocité en une matière quelconque, il faut avoir quelque chose à lui offrir ; et en admettant des chiffres aussi bas, véritablement si vous offriez quelque chose, vous finiriez par tuer le principe.

Sous ce rapport, il me paraît que les chiffres de la commission d’enquête étaient préférables ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Quels chiffres ?

M. Dumortier. - 7 fr. et 10 fr., c’est-à-dire 3 fr. de protection pour le pavillon national. C’est la proposition intermédiaire entre les diverses opinions qui se sont produites dans la commission d’enquête.

M. le président. - La question est pour le moment de savoir si l’on adoptera le mode de discussion proposé par M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je trouve qu’il n’y a rien d’illogique à voter un principe, lorsqu’il est entendu que l’exception faire à ce principe sera ultérieurement discutée. Au contraire, on peut mieux apprécier l’étendue et la portée de l’exception qui est proposée ou qui peut l’être.

Je me suis permis d interrompre tout à l’heure l’honorable M. Dumortier qui supposait que la commission d’enquête avait fait une véritable proposition.

M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une erreur. Il y avait six membres présents ; deux ont proposé 2 fr. ; deux autres ont proposé 3 fr., deux autres ont proposé 4 fr. de différence en faveur du pavillon national.

Nous proposons 2 fr. 50. J’ai entendu dire : Vous auriez dû faire une proposition intermédiaire. Mais c’est précisément ce que nous faisons. 2 fr. avec les additionnels font 2 fr. 90 ; de sorte que nous sommes près de 3 fr.

M. Rogier. - Messieurs, on demande d’ajourner la discussion aux paragraphes 2 et 3 de l’article café, relatifs aux entrepôts.

Le café, messieurs, forme un des articles essentiels de la loi des droits différentiels. C’est surtout pour le café que les droits différentiels ont été réclamés, ce sont les importations des entrepôts européens qui ont provoqué tout d’abord les réclamations du commerce contre le régime existant.

Le café et le sucre forment les deux véritables bases de la loi des droits différentiels, car la chambre n’attachera pas plus d’importance qu’il ne faut à une série d’articles insignifiants. Ainsi rien ne s’oppose si l’on veut, à ce que nous votions les articles Cannelles, Cendres gravelées, Chanvres, Cheveux, Crins et Poils, Cornes et Bouts de cornes, Quercitron, etc. Mais ajourner la discussion ou réserver une partie de la discussion sur l’art. Café, c’est réserver, pour ainsi dire, toute la discussion. Quand nous arriverons à l’article Sucre, il faudra également que M. le ministre de l’intérieur, pour être conséquent, demande que cette question soit agitée ultérieurement. Car la question des entrepôts européens se présente pour les sucres comme pour les cafés.

Messieurs, je ne vois pas ce que nous gagnerons à voter dès maintenant, un quart de la disposition, et à remettre les trois autres quarts à une discussion ultérieure. M. le ministre de l’intérieur a-t-il des motifs de croire que la discussion ira plus vite, aboutira plus sûrement à un résultat, en votant d’abord une fraction de cette disposition et en réservant le restant pour une discussion spéciale ultérieure ? Je crois au contraire que la marche proposée par M. le ministre de l’intérieur, va encore ajourner le résultat qu’on veut atteindre. Car nous allons avoir une première discussion ; puis nous devons recommencer une autre en comité secret.

Je crois, messieurs, que nous devons réserver tout l’article pour la discussion spéciale que M. le ministre de l’intérieur demande. Maintenant faut-il ajourner cette discussion spéciale ? C’est ce que j’ignore, mais il me paraît impossible de scinder la discussion relative au café, car les dispositions que nous adopterons relativement au café des entrepôts, pourraient renverser celles que nous aurions votées relativement au café transatlantique. Ces diverses dispositions se lient essentiellement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je n’ai pas proposé que l’on réservât tout l’article Café, j’ai demandé que l’on réservât seulement pour le comité secret la discussion des exceptions à faire en faveur des entrepôts hollandais, soit pour l’article Café comme le propose le gouvernement, soit pour tout autre article à l’égard duquel on ferait une proposition.

Je me permettrai de répondre à l’honorable préopinant qu’il n’est pas exact de dire que l’article Café soit la base de tout le système. Cela est surtout inexact en ce qui concerne le café java à l’égard duquel il s’agit de faire une exception. Ce café n’entre en définitive que pour environ 40 p. c. dans la consommation, ou plutôt dans les importations du pays. Et quant à tous les petits articles qu’il vous a énumérés avec tant de dédain, ils forment 60 à 70 millions. Lisez le tableau que j’ai fait imprimer et qui forme le n°311 de vos pièces.

Je ne veux pas en dire davantage, parce que j’anticiperais sur le comité secret. Je m’en réfère aux explications que j’ai données en présentant l’exception qui concerne le café.

Je crois donc que sans inconséquence on peut voter tous les articles du tarif. Il est entendu qu’il y aura un comité secret pour examiner l’exception que j’ai proposé quant au café et toutes les autres exceptions que d’autres membres se proposent de vous présenter. Ceci est tellement vrai, messieurs, que chaque article sera noté tacitement sous la réserve de ces exceptions. L’article Sucre, par exemple, pourra être voté et il sera entendu que l’honorable M. Delfosse, par exemple, pourra demander une exception qui sera discutée en comité général. Ainsi, l’honorable M. Delfosse pourra voter pour l’article Sucre sans que ce vote l’engage contre l’exception qu’il voudrait proposer.

Je désire que l’honorable M. Rogier partage ma manière de voir. Je pense que si nous passons ainsi en revue tout le tarif, nous aurons fait un grand pas dans cette discussion. A la suite de ce premier vote de tout le tarif nous discuterons au comité général tout le système des exceptions aux entrepôts hollandais.

M. Delfosse. - Je ferai remarquer à la chambre qu’elle s’est déjà prononcée sur la marche qui doit être suivie. La chambre a décidé qu’il y aura des exceptions pour les entrepôts européens et elle s’est réservé de fixer ultérieurement les limites de ces exceptions. Ces exceptions pourront s’appliquer non seulement à l’art Café, mais encore à d’autres articles, notamment à l’art. Bois, qui vient d’être voté. Lorsque nous avons commencé la discussion de l’art. Bois, j’ai fait une réserve expresse. J’ai dit : « Il est bien entendu que la question des entrepôts européens reste intacte. » C’est alors que l’honorable M. Rogier aurait dû présenter ses observations ; aujourd’hui, elles sont tardives. La question des entrepôts européens est assez importante pour donner lieu à une discussion spéciale, si l’on n’a pas trouvé d’inconvénient à examiner la question des entrepôts européens après le vote de l’article Bois, pourquoi en trouverait-on à l’examiner après le vote de l’article Café ? Je ne vois pas quel intérêt les députés d’Anvers peuvent avoir à ce que cette question soit discutée en même temps que te tarif.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - En un mot, messieurs, c’est comme s’il y avait après chaque article, à la suite du mot d’ailleurs, sauf les exceptions.

Un membre. - Alors nous ne votons rien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous votez des règles générales, vous discuterez ensuite les exceptions que vous jugerez devoir admettre ; vous ne pouvez même procéder autrement.

M. de Brouckere. - A voir la physionomie que présente la chambre, il y a lieu de croire que la marche indiquée par M. le ministre de l’intérieur sera suivie. Je ne viens donc pas précisément m’opposer à cette marche, mais je veux cependant faire voir à la chambre quel en sera le résultat inévitable. Vous venez d’entendre dire, messieurs, que nous allons voter tous les articles du tarif l’un après l’autre, mais avec faculté pour chaque membre de la chambre de présenter plus tard des exceptions à chacun de ces articles. Eh bien, messieurs, d’après moi, il résultera de cette marche que nous discuterons la loi deux fois ; car, je le demande, qu’est-ce qu’adopter un chiffre pour chacun des articles du tarif et laisser la faculté à chacun de nous de présenter plus tard des exceptions qui pourraient être tellement étendues qu’il serait possible qu’elles devinssent la règle ? Voilà quel serait le résultat inévitable de la marche que nous allons suivre.

Pour m’en tenir à l’amendement présenté dernièrement par M. le ministre de l’intérieur, je dirai très franchement que quand cet amendement a été proposé et développé, j’y étais assez favorable parce que je n’y voyais qu’une exception assez minime dans ses proportions, mais depuis lors la question a été examinée à fond et je crois avoir reconnu que les chiffres présentés par M. le ministre de l’intérieur étaient erronés et que l’exception qu’il a proposée deviendrait tellement étendue qu’elle serait la règle, qu’elle absorberait le principe.

Ainsi, messieurs, si nous suivions la marche indiquée par M. le ministre de l'intérieur, le résultat inévitable en sera que nous aurons deux discussions au lieu d’une, nous aurons une discussion sur ce que l’on dit être la règle générale et une autre discussion sur ce que l’on présentera comme l’exception, mais qui, n’étant nullement bornée, pourra être substituée en définitive à la règle générale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette, messieurs, que l’honorable préopinant ait changé d’opinion relativement à l’exception proposée, quant au café. Je regrette aussi qu’il se soit empressé de déclarer que mes chiffres étaient erronés. Je maintiens l’exactitude de mes chiffres. Les chiffres, je les ai puisés dans des documents officiels. Je puis à l’instant même produire le tarif officiel des Indes hollandaises, d’où ils sont extraits.

Je maintiens donc l’exactitude de mes chiffres, mais alors même que mes chiffres seraient inexacts, je n’en maintiendrai pas moins l’exception que j ai proposée parce que cette exception je ne l’ai pas seulement justifiée par les chiffres dont il s’agit, je l’ai justifiée encore et principalement par des considérations politiques. Du reste, il ne faut pas anticiper sur le comité général. (Interruption.)

Je me borne donc à répéter que je maintiens l’exactitude de mes chiffres. Ces chiffres, je les ai puises dans le tarif officiel de l’île de Java, imprimé en 1841 à Amsterdam. J’ai, de plus, fait écrire à des négociants de Rotterdam, entre autres, et je produirai au besoin, les lettres de ces négociants, lesquelles constatent que le droit de sortie à Java est de 5 florins par picul sur le café exporté à l’étranger par navire étranger.

« Prenez-y garde, dit l’honorable membre, vous aurez deux discussions. » C’est là, messieurs, pousser les choses à l’extrême. Je ne pense pas qu’il entre dans les intentions de qui que ce soit dans cette chambre, de demander des exceptions à tous les articles du tarif, à partir de l’article Fanons de baleine jusqu’à l’article Vanille. Je dis que tout au plus on proposera, indépendamment de l’exception que j’ai présentée, des exceptions à deux ou trois autres articles.

Voici au contraire ce qui arriverait si en présence de tout le vague que présente le tarif, vous discutiez en ce moment les exceptions. Chacun dirait : « Je me réserve lorsque l’on aura discuté tout le tarif, de réclamer encore une exception à l’un ou à l’autre article. Eh bien, il vaut infiniment mieux discuter d’abord tous les articles et examiner ensuite l’exception présentée par le gouvernement à l’article Café ainsi que les quelques autres exceptions qui pourront être réclamées par certains membres de la chambre ; si, contre mon attente, l’exception pour le café était rejetée il n’y aurait plus même lieu à examiner d’autres exceptions Vous voyez donc, messieurs, que la meilleure manière de marcher rapidement, c’est de suivre la marche que j’ai indiquée et en faveur de laquelle j’insiste.

M. Dumortier. - Messieurs, je pense avec M. le ministre, qu’il ne faut point anticiper sur le comité général ; mais je crois que le système qu’il veut faire prévaloir, est une véritable anticipation sur le comité général. En effet, qu’allons-nous faire ? Nous allons adopter un système quelconque mais immédiatement après, en comité général, on pourra renverser le système que nous aurons d’abord admis. Eh bien messieurs, je le demande, est-ce une chose désirable que de voir le parlement ainsi se déjuger d’un moment à l’autre. Pour mon compte, je veux voter en connaissance de cause, et je ne puis le faire qu’en connaissant parfaitement les motifs qui militent pour ou contre telle ou telle proposition.

Le gouvernement demande que nous votions purement et simplement le tarif, sauf à voter plus tard les exceptions ; mais ce serait là enlever à la chambre la plus belle de ses prérogatives, la libre discussion, car nous ne discutons pas librement lorsque nous ne savons pas quelle sera la portée des propositions sur lesquelles nous avons à nous prononcer.

Je demande donc, messieurs, que l’on ajourne purement et simplement l’article Café et les autres articles à l’égard desquels des exceptions pourraient être demandées. Nous voterions maintenant les articles auxquels il ne s’agit pas de faire des exceptions, et nous voterions les autres après le comité secret. Nous verrions alors si nous devons adopter les exceptions proposées par le gouvernement, si nous devons les rejeter ou bien si nous devons les amender ; car il y a une troisième chose à faire, c’est de modifier les propositions du gouvernement. Cette faculté, nous ne pouvons pas l’aliéner, nous ne pouvons pas nous mettre dans une position telle, que les propositions du gouvernement soient pour nous une chose à prendre ou à laisser. Pour mon compte, je veux examiner le système dans son ensemble ; je veux voir en quoi il peut être accepté ou rejeté, et en quoi il peut être modifié.

M. de Brouckere. - Je prie d’abord la chambre de croire que personnellement je n’ai pas le moindre intérêt dans la question. Tout ce que je désire, c’est que l’on simplifie les débats afin que nous arrivions le plus tôt possible à un résultat. Or, quel est le moyen le plus simple d’atteindre ce but ? M. le ministre de l’intérieur nous l’a indiqué sans le vouloir, c’est de discuter d’abord en comité secret l’article Café. Comment M. le ministre nous a-t-il indiqué ce moyen ? En nous disant que si l’exception à l’article Café était rejetée, tout le système des exceptions serait rejeté en même temps, qu’il n’y aurait plus moyen alors de demander des exceptions ni pour les sucres, ni pour les bois, ni pour aucun autre article.

Le moyen le plus simple est donc ou de continuer l’examen du tarif en laissant en arrière les articles susceptibles d’exception, ou de discuter immédiatement en comité général l’article Café, car de la manière dont vous vous prononcerez sur l’exception proposée par M. le ministre de l’intérieur, dépendra la décision à prendre sur les autres exceptions présentée ou à présenter.

Je me résume donc, et je crois que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’adopter la proposition de l’honorable M. Dumortier, c’est-à-dire de continuer la discussion des articles du tarif sur lesquelles il n y a pas d’exception présentée ni a présenter, ou bien à entamer l’article Café en comité secret.

M. Delfosse - Je ne puis laisser sans réponse une observation de l’honorable M. de Brouckere. L’honorable membre vient de dire que si les propositions du gouvernement en ce qui concerne le café, étaient rejetées, il n’y aurait plus lieu d’examiner la question des entrepôts européens. C’est une erreur. Cette question pourrait être examinée pour d’autres articles, entre autres pour l’article Bois, (erratum Moniteur belge n°153, du 1er juin 1844 :) il a été convenu que la question des entrepôts d’Europe resterait intègre pour tous les articles du transit.

M. Rogier. - J’ai peine à comprendre l’insistance que met M. le ministre de l’intérieur dans la marche qu’il a d’abord proposée. Nous voulons arriver à un résultat, nous voulons éviter des discussions inutiles. Eh bien, il est reconnu que l’article Café est un des articles essentiels de la loi, et si l’on suit la marche indiquée par M. le ministre de l’intérieur, on va donner lieu à une double discussion. Il y a une corrélation tellement intime entre les diverses dispositions relatives au café qu’il et impossible de les séparer. M. le ministre a réserve la question des entrepôts européens ; eh bien, il nous serait impossible de régler définitivement le chiffre relatif au café venant des pays transatlantiques, sans connaître quel sera le droit qui frappera les cafés venant des entrepôts d’Europe.

Pour quel motif discuter d’abord les droits relatifs aux pays de provenance, en réservant les questions des entrepôts ? Mais, messieurs, la question des entrepôts est ici la question principale.

Si l’on veut que la discussion fasse des progrès, il faut qu’on discute tous les articles qui ne doivent pas donner lieu à des exceptions, et qu’on réserve pour une seule discussion les articles qui doivent donner lieu à des exceptions. De ce qu’on a voté l’article Bois et qu’on s’est engagé dans une mauvaise voie, il ne s’en suit pas qu’on doive continuer à y marcher. Or, l’honorable M. Delfosse a trop de justesse dans l’esprit pour ne pas reconnaître que cette voie est mauvaise, en ce qu’elle donnera lieu à une nouvelle discussion.

Disons plus. Si l’on admet pour le café et pour le sucre des exceptions qui détruisent la règle, le système des droits différentiels sera frappé dans sa base et toute la loi sera renversée.

Vainement M. le ministre de l’intérieur vient nous dire, que le café et le sucre ne forment pas la base essentielle des droits différentiels. Cela est complètement inexact, cela est contraire a tous les faits : le café et le sucre forment la base des droits différentiels ; d’après les principes déjà adoptés, les droits différentiels ne pèseront que très légèrement sur la plupart des autres articles.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je crois, contrairement à l’honorable préopinant, qu’alors même que nous serions disposés à discuter actuellement toutes les questions, il faudrait, dans l’intérêt même de la discussion, admettre la division, c’est-à-dire établir d’abord des droits différentiels en général, et examiner ensuite d’une manière spéciale s’il y a lieu à faire des exceptions. Eh bien, ce qu’on devrait faire, si l’on voulait vider immédiatement cette double question, ne peut-on pas le faire en deux discussions distinctes ?

D’ailleurs, l’honorable préopinant pose mal la question en ce qui concerne les entrepôts d’Europe. Il ne s’agit pas des entrepôts d’Europe en général ; il s agit de savoir si pour les importations des entrepôts d’Europe, il y a lieu à faire une exception. Eh bien, cette question est spéciale, elle peut être discutée séparément. D’après le système de nos honorables contradicteurs il faudrait un comité secret pour chacun des articles pour lesquels on demanderait une exception ; les principaux articles des droits différentiels devraient être discutés pour le fond et pour l’exception en comité secret ; c’est ce que la chambre n’a pas voulu : nous avons vu quelle répugnance elle a montré pour de longs comités secrets ; nous avons vu que dans ces comités secrets, nous perdons les deux tiers de notre temps soit à discuter la position des questions, soit à demander la levée du comité secret. C’est ce que le gouvernement veut éviter par la proposition que vous a faite M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je pourrais demander la question préalable sur la motion d’ordre. J’étais loin de m’attendre à cette motion ; je crois qu’il était convenu qu’on discuterait tout le tarif. Cela a été même formellement décidé. Il a été entendu aussi qu’après le vote du tarif, chaque membre de la chambre serait recevable à présenter toute espèce d’exception. J’ai dès lors peine à comprendre l’insistance de l’honorable M. Rogier, pour me servir de l’expression dont il s’est servi à mon égard.

Je répète, et je prouverai que les 7 millions de café hollandais n’ont jamais été considérés comme la base des droits différentiels. (Aux voix ! aux voix !)

M. Delfosse. - Il y a une raison bien simple qui doit faire repousser la proposition des honorables députés d’Anvers. Pourquoi M. le ministre de l'intérieur a-t-il proposé une exception en faveur des entrepôts hollandais ? C’est en grande partie pour accorder à quelques provinces une compensation du mal que le projet de loi doit leur faire. Eh bien, pour savoir quelle doit être cette compensation, il faut connaître quel sera le mal, et on ne le connaîtra qu’après le vote du tarif.

- La discussion sur la motion d’ordre est close.

M. le président met aux voix la question suivante :

« La chambre entend-elle continuer la discussion du tarif, en réservant, pout une discussion spéciale, soit en comité secret soit en séance publique, l’examen des exceptions présentées ou à présenter ? »

- Cette question est résolue affirmativement.

La chambre revient au tarif.

« § 1er Café directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne Espérance, au droit de 9 francs les 100 kilog, pour le papillon national, et à celui de 11 fr.50 c. pour le pavillon étranger. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement propose une surtaxe de 2 fr. 50 c. en faveur du pavillon national. Cette surtaxe se rapproche beaucoup du chiffre intermédiaire que propose la commission d’enquête. La commission a été partagée entre 2, 3 et 4 francs, nous proposons 2 fr. 50 c. et en y ajoutant les centimes additionnels, on arrive au chiffre de 2 fr. 90.

M. Rodenbach. - Mon honorable ami M. Dumortier et moi, nous sommes dans l’intention de déposer un amendement sur le café.

D’après la proposition du gouvernement, les navires nationaux payeront 9 fr., et les navires étrangers, 11 fr. 50 ; ce qui fait une différence de 2 fr. 50 par 100 kil. en faveur des premiers.

Cette différence paraît être très considérable, et en réalité, messieurs, ne l’est pas. Quel est le but que nous avons en vue pour l’établissement des droits différentiels ? C’est de provoquer les exportations. Eh bien, les navires étrangers qui importeront directement du café des lieux de production, payeront 2 fr. 50 de plus par 100 kil. Cela fait un centime un quart par livre. Voila donc la protection qu’on accorde aux navires nationaux. Est-ce là je vous le demande, une protection considérable comme on le prétend ? Les navires étrangers qui viennent de leurs propres colonies, quels immenses avantages n’ont-ils pas quand ils y achètent du café ? Ils n’ont pas de droits de sortie à payer comme nous, et ils jouissent d’autres avantages que nos navires n’ont pas. Ces avantages sont au moins d’un centime un quart par livre. Le café leur coûtant moins qu’à nos navires, ils continueront à nous en approvisionner comme ils le font maintenant, pour les sept huitièmes de ce que nous consommons. Ne croyez pas que les navires étrangers qui nous importent ces cafés exporteront vos produits manufacturés ; non, après nous avoir apporté des cafés, ils vont chercher des produits de leurs propres manufactures pour les exporter.

Ils gagnent sur ces marchandises et dans le pays où ils les transportent, et ils achètent le café à meilleur marché que nous. De sorte qu’après nous avoir importe du café, ils partent avec nos écus sans rien exporter de nos produits.

Si vous voulez protéger votre marine nationale et provoquer l’exportation de vos produits, vous devez favoriser les navires nationaux, les encourager à se rendre dans les pays d’outre-mer pour acheter des cafés. L’amendement que nous proposons consisterait à porter le droit de 11 fr. 50 c. à 12 fr. 50. Pour les autres articles, nous suivons les mêmes proportions que le gouvernement ; comme nos navires auront des avantages réels quand ils iront chercher des cafés aux lieux de production, ils se décideront à y aller et ils exporteront de nos produits.

La protection que je propose ne sera pas exagérée, car elle ne sera que de 1 centime trois quarts par livre. Si nos navires n’ont pas une protection de 1 centime par livre de café, la protection sera illusoire. Le but qu’on se propose ne serait pas atteint. Il est inutile d’établir des droits différentiels si la protection n’est pas efficace. Il faut avoir le courage d’augmenter tout de suite suffisamment les droits qui sont susceptibles de l’être ; autrement dans deux ou trois ans nous verrons que nous n’avons rien fait, que nous n’avons pas changé le statu quo. J’attendrai pour en dire davantage, qu’on ait combattu mon amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le chiffre de 2 fr. 50 que nous proposons comme faveur additionnelle ou comme surtaxe, s’élève, avec les additionnels, à 2 fr. 90. L’honorable préopinant croit qu’il faut aller plus loin pour encourager l’exportation de nos produits ; il faut, selon lui, repousser la marine étrangère qui, bien que venant des pays de production pour nous apporter les produits de son pays, n’exporte pas, dit-il, nos produits : c’est là une assertion que nous avons souvent contestée. Nous avons placé, il est vrai, avant tout, la marine belge, mais nous n’avons jamais conclu que la marine étrangère venant du lieu de production, n’exporte jamais de nos produits ; nous croyons qu’il y a profit à nouer des relations directes, continues, avec les pays transatlantiques, soit par pavillon belge, soit par pavillon étranger ; mais toutefois, je le répète, de préférence sous pavillon belge.

Je me permettrai de prémunir l’honorable préopinant et l’assemblée contre un danger. Vous voulez l’exportation de nos produits par pavillon belge. Vous croyez amener l’exportation de vos produits industriels, en donnant une faveur très forte au pavillon national. C’est précisément comme cela que vous manquerez votre but. Si vous donnez une faveur trop forte au pavillon belge pour l’importation du café, par exemple, les armateurs belges se contenteront d’importer du café, ils ne s’occuperont nullement de vos exportations industrielles. C’est là une observation extrêmement importante que je trouve dans différents rapports de la chambre de commerce d’Anvers, et que je me permets de recommander à vos méditations les plus sérieuses. Nous proposons un droit différentiel de 2 fr. 90 ou 29 fr. par tonneau. N’est-ce rien ? C’est la moitié au moins du fret. N’est-ce donc rien faire en faveur de la marine belge ? (Interruption.) On dit que ce n’est pas assez ; je sais qu’on peut prétendre davantage, vous devez ajouter, je m’adresse à la marine belge, d’autres profits aux bénéfices de cette faveur de 29 fr. qui ne couvre pas entièrement le fret. Je ne veux pas qu’il y ait dans le droit différentiel un gain suffisant pour que la marine belge aille chercher du café sans exporter. Si vous procédez autrement, vous n’aurez fait qu’accorder une faveur au pavillon belge, qui se bornera à importer du café et ira le chercher sur lest, la taxe différentielle lui offrant un prix suffisant. Le but qu’on veut atteindre pourrait être complètement manqué en allant plus loin que ce que propose le gouvernement.

M. Osy. - Vous savez tous que je suis partisan des droits différentiels. Dans les discussions soit en comité secret, soit en séance publique, je vous ai exposé mes motifs. Mais je suis pour un système modéré. La commissions d’enquête avait proposé 7 et 9, 7 et 10 et 7 et 11. La moyenne est 7 et 11. La chambre de commerce avait proposé une différence de 15 francs par tonneau. Je sais qu’à Anvers, toutes les opinions de la chambre de commerce ne sont pas partagées par le commerce. Les uns ne voudraient pas de droits différentiels, d’autres voudraient aller plus loin. J’ai longuement réfléchi sur cette question. Membre de la chambre de commerce j’ai toujours voté pour le chiffre de 25 fr.

Il me serait impossible d’aller plus loin, d’autant plus qu’il ne faut pas perdre de vue que 25 fr. font 29 fr. avec les centimes additionnels, tandis que la proposition de M. Rodenbach irait de 34 fr. 80 centimes par tonneau. Pour un navire de 400 tonneaux la prime serait de 15 mille francs. Le chiffre de 25 fr. proposé par le gouvernement, donne encore une prime de 10 mille francs. Il me serait impossible d’aller au-delà de la proposition du gouvernement.

Je dirais à cette occasion que, comme nous nous augmentons fort le droit sur l’article café, par pavillon étranger, j’aurais désiré qu’on prît pour point le départ un chiffre plus bas. Lors de la discussion de l’augmentation de 2 fr. du droit sur les cafés, nous avons prouvé qu’au droit de 10 fr. le commerce interlope de la Hollande pouvait se faire chez nous, tandis, que le nôtre diminue. Si nous augmentons considérablement les droits, ce commerce augmentera en Hollande, en le nôtre diminuera encore. En conservant la proposition du gouvernement, je voudrais commencer à 8 et 11, 11 et 13 et fixer la troisième catégorie à 15 au lieu de 15-50.

Je ne pourrais pas me rallier au système de M. Rodenbach. Je ne dépasserai pas le chiffre de 25 fr. par tonneau, mais je voudrais commencer par un chiffre un peu plus bas. Le trésor y perdrait peu de chose, s’il y perdait, il serait possible qu’il y gagnât, car parce que la fraude trouverait moins d’avantage.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’ai pas demandé la parole pour parler de l’amendement de M. Rodenbach mais pour répondre à une observation de l’honorable M. Osy. D’après lui, le droit actuel donnerait lieu à une certaine fraude du café étranger. Je déclare, de la manière la plus formelle que cette fraude n’a pas lieu. Les renseignements donnés à l’honorable membre sont inexacts. Si d’autres considérations n’empêchaient pas d’augmenter le droit plus que ne le propose le gouvernement, on pourrait aller beaucoup plus loin.

M. de Brouckere. - J’avais demandé la parole pendant qu’un des auteurs de l’amendement présentait les développements à l’appui de cet amendement. J’ai été prévenu par M. le ministre de l’intérieur et par l’honorable baron Osy, qui me semblent avoir réfuté les considérations développées par l’honorable M. Rodenbach.

Je n’ajouterai qu’un mot. L’honorable M. Rodenbach prétend que la protection de 2 fr. 50 c., qui serait donnée au pavillon national, sera tout à fait insignifiante, qu’il faut le chiffre qu’il propose afin d’exclure le pavillon étranger. (Dénégations de la part de M. Rodenbach.) Permettez. Je prétends que la protection de 2 fr. 50 c. donnée au pavillon belge serait suffisante, pour qu’il eût toujours la préférence sur le pavillon étranger ; quant à donner le monopole du transport du café à la marine belge, personne n’y peut songer ; car il est à la connaissance de tout le monde qu’elle n’y suffirait pas ; elle n’est pas assez considérable pour suffire au transport des produits des pays transatlantiques.

Pour vous faire sentir combien serait insignifiante la protection de 2 fr. 50 c. donnée au pavillon national, l’honorable M. Rodenbach vous a dit que cette protection se réduit à un centime et un quart par livre. Je prie la chambre de remarquer qu’on ne transporte pas le café des pays transatlantiques en Europe, livre par livre. Ce n’est donc pas livre par livre qu’il faut calculer. Il faut prendre une cargaison pour raisonner avec justesse. Je prends un bâtiment de 200 tonneaux. Ce n’est pas un très fort tonnage. Au taux proposé par le gouvernement, la faveur serait de 5,700 fr. pour un navire de ce tonnage. Une telle faveur donnée au pavillon national serait suffisante pour que, dans tous les pays où se cultive le café, on donnât la préférence au navire belge, s’il y en avait un en charge.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - 200 tonneaux, c’est bien peu.

M. de Brouckere. - Je le sais ; j’ai pris un faible tonnage, pour faire comprendre jusqu’où va la protection accordée au pavillon national.

Je disais donc, lorsqu’on m’a interrompu, que cette protection suffisait pour qu’on donnât la préférence au navire belge qui serait en charge. Mais faut-il que le droit différentiel soit tellement élevé que, s’il n’y a pas de navire belge prêt à prendre charge, on n’expédie pas par navire étranger ? Faut-il rendre impossible les expéditions par cette voie ? Non. Je crois que ce serait faire un tort réel au pays. M. le ministre de l'intérieur l’a démontré.

La chambre ne perdra pas de vue ce qu’à dit l’honorable M. Osy, c’est que la chambre de commerce d’Anvers n’avait demandé qu’un droit différentiel de 1 fr. 50 c.

Pour moi, je me rallie à la proposition du gouvernement. Je la crois sage, modérée. M. le ministre de l’intérieur a fait valoir une considération qui n’est pas sans importance, c’est que dans certains pays où l’on calcule par liv. st., on n’apprécierait pas une différence de 15 fr. au tonneau, tandis qu’une différence de 1 liv. st. par tonneau frappera tout le monde. Tout le monde comprendra l’énorme avantage qu’il y aura à expédier par un navire belge plutôt que par un navire étranger.

M. Dumortier. - Il est extrêmement commode, pour combattre ses adversaires, de donner un caractère absurde à leurs assertions.

L’honorable ministre de l’intérieur a commencé par dire que l’honorable M. Rodenbach veut repousser la marine nationale. J’ai été surpris d’entendre l’honorable M. de Brouckere reproduire en partie cette argumentation. Je vous demande si une faveur d’un demi-centime sur une livre de café est l’exclusion de la marine étrangère, s’il n’est pas déraisonnable, s’il est même convenable de discuter ainsi. Prenez nos opinions comme elles sont ; mais ne nous prêtez pas de absurdités.

Je dis qu’une faveur de 50 centimes par 100 kilog. accordée à la marine belge ne repoussera jamais de la Belgique la navigation étrangère, que, par conséquent, on ne devrait pas changer ainsi la portée d’une proposition et la rendre par suite, ridicule, quand elle est essentiellement raisonnable.

La proposition du gouvernement donne à un navire belge de 200 tonneaux un privilège, non pas de 5,700 fr., comme on la dit, mais de 5,000 fr.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - de 5,800 fr.

M. Dumortier. - Vous faites un faux calcul ; vous calculez les centimes additionnels payés par le navire étranger, et vous ne calculez pas les centimes additionnels payés par le navire belge.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable membre se trompe. La faveur faite à un navire belge de 200 tonneaux s’élève positivement a 5,800 fr.

M. Dumortier. - Soit ; je veux admettre ce chiffre. Un navire fera deux voyages par an ; il gagnera donc 11,600 fr. Je demande si c’est là un lucre extraordinaire. En France un navire de ce tonnage a un avantage de 54,000 fr. sur le navire étranger. L’avantage s’élève à 81,000 fr. pour un navire de 300 tonneaux. En Angleterre c’est pis encore. La protection que nous proposons n’est-elle pas comparativement insignifiante ?

L’honorable ministre de l’intérieur reconnaît que le droit différentiel qu’il propose ne peut atteindre le but. Mais il faut, dit-il, y ajouter le bénéfice sur l’exportation des marchandises. Mais si le droit différentiel n’est pas assez considérable, s’il ne donne pas assez d avantages à l’armateur, on ne construira pas de navires ; le but de la loi sera donc manqué.

Remarquez que la construction des navires coûte beaucoup moins en Amérique qu’ici, et que de cette différence dans les frais de construction, il résulte pour la marine américaine un avantage bien supérieur à celui que nous faisons à notre pavillon par les droits différentiels.

Ce n’est que par les avantages que vous ferez à notre marine que vous encouragerez l’exportation.

Ici, je rappellerai à M. le ministre de l’intérieur ce qu’il a dit dans une séance précédente. N’est-il pas connu que sur 6 millions et demi, 5 millions sont exportés par navire belge, et un million et demi par navire étranger. Vous voyez donc qu’un navire belge exporte toujours des produits du sol. Comment un armateur ne chercherait-il pas à faire les bénéfices de l’exportation de nos produis ! La sortie d un navire belge sur lest n’aura lieu que dans des cas très rares, comme un départ immédiat, à raison de besoins urgents, sans qu’on ait le temps de prendre une cargaison d’exportation. Hors ce cas exceptionnel, un navire belge trouvera toujours des produits à exporter.

Nous devons donc nous efforcer de nous créer une marine, de créer chez nous l’esprit d’entreprise, de modifier l’esprit commercial d’Anvers, parce qu’au lieu de faire réellement le commerce, on ne fait guère que la commission. Aussi je conçois que le droit proposé par la chambre de commerce d’Anvers soit moins élevé, c’est que ce corps est un peu dans le système du commerce de commission.

Vous le voyez, le principe de la loi est engagé tout entier dans l’article maintenant en discussion. C’est l’article principal de notre tarif, dit l’honorable M. Rogier. Si nous voulons la fin, nous devons vouloir les moyens. Le but ne sera pas atteint, si vous avez des droits aussi faibles.

Ce n’est pas tout : si vous voulez des arrangements commerciaux avec une nation voisine, il est nécessaire d’admettre des droits élevés.

Pour moi, je l’ai déclaré dès le début de la discussion, le gouvernement me trouvera disposé à appuyer les arrangements commerciaux avec la Hollande.

Mais comment ferez-vous des arrangements commerciaux, si nous n’avons rien à concéder ? Ne commettez pas pour le système maritime la faute que vous avez commise pour le système douanier. Quand la France vous a dit : « Je suis prête à traiter, qu’avez-vous à offrir ? », vous avez eu à lui offrir la liberté commerciale, et rien en compensation, parce que vos droits étaient tellement peu élevés à la frontière que vous ne pouviez rien offrir sans tomber dans le système de la liberté commerciale.

C’est là le côté vicieux, le côté éminemment fâcheux de notre système douanier. Et cependant, ce système ont veut l’adopter comme base de notre système maritime. C’est là ce que je repousse de toutes mes forces. Car, si après avoir vu que pendant douze années nous avons été dans l’impossibilité de rien obtenir des autres puissances, parce que, par suite des vices de notre système de douanes, nous n’avions rien à leur offrir, nous allions admettre un système analogue en matière de navigation, je dirais que les leçons de l’expérience ne sont pas faites, ni pour le gouvernement, ni pour les hommes d’Etat, ni pour les chambres. Mais j’espère qu’il n’en sera pas ainsi ; j’espère que vous comprendrez que, s’il ne faut pas adopter un système exagéré comme celui qu’a la France, il n’en faut pas admettre non plus un qui présente les défauts contraires. Il me paraît qu’en accordant à un navire qui aura fait deux voyages vers les contrées transatlantiques une faveur de 15,000 fr. sur l’étranger, vous n’aurez pas fait de mal au pays, mais que vous aurez protégé une navigation marchande que le pays réclame avec tant d’instance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas qualifié d’absurde l’opinion de l’honorable M. Rodenbach. C’est une expression dont je ne me sers jamais, et dont je ne me servirai pas surtout à l’égard de cet honorable membre, qui n’en a jamais donné l’exemple.

J’ai dit qu’il y avait un écueil à éviter. L’honorable M. Rodenbach s’est montré préoccupé d’une idée qui est vraie : c’est que le but de la loi était surtout d’amener des exportations, il fallait donner un encouragement suffisant au pavillon national. Je me suis permis de lui faire remarquer qu’il y avait ici une ligne de démarcation qu’il fallait avoir soin de ne pas dépasser, et que, si l’armateur belge trouvait un gain suffisant dans la faveur différentielle, il ne s’occuperait pas, ou il ne s’occuperait qu’accessoirement d’exportations industrielles. C’est là une observation sur laquelle j’ai appelé l’attention de l’honorable M. Rodenbach et de la chambre.

M. Dumortier. - Ainsi en Angleterre et en France on n’exporte pas !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre me cite l’Angleterre et la France. Je sais parfaitement qu’il y a en Angleterre et en France un système de droits différentiels exorbitant. Je dirai plus, c’est que ce système n’est pas sincère, c’est au fond l’exclusion de la marine étrangère. Aussi la marine étrangère fait-elle bien faiblement concurrence à la marine française pour l’importation du café. Mais vous n’en êtes pas là ; vous ne disposez pas comme la France et bien moins encore comme l’Angleterre, d’une marine marchande puissante. Vous n’avez que 130 navires, et ces 130 navires sont loin d’être tous en état de faire des voyages de long cours. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier.

Nous prétendons que la faveur de 2 fr. 90 c. ou de 29 fr. par tonneau de 1,000 kilog., est suffisante pour encourager efficacement la marine marchande. Elle équivaut tout au moins à la moitié du fret ordinaire du Brésil à Anvers, et je dis que c’est un très bel avantage que de ne rien risquer pour ainsi dire quant au fret, et d’être assuré de la préférence pour les navires étranges, pour les importations en Belgique.

On a la chance de tous les bénéfices ; d’abord la chance du bénéfice sur la vente même du café, quand l’importation se fait au compte propre ; on a la chance encore du bénéfice sur les exportations industrielles que vous devez engager les armateurs belges à faire. Ce sont toujours les armateurs belges qui inspireront le plus de confiance ; ils demeurent et ils sont connus dans le pays ; ils y ont des relations établies ; c’est à eux qu’on s’adressera de préférence pour les exportations.

Il ne faut pas accorder une faveur telle qu’on se bornerait à aller sur lest chercher du café, et à un pareil négoce contraire aux intérêts du commerce d’importation.

Il faut se garder de risquer d’enlever à l’armateur l’intérêt qu’il doit avoir de prendre et d’attendre un chargement de sortie avant de se rendre aux colonies.

Aujourd’hui, messieurs, le pavillon belge jouit de 10 p. c. de protection. Le droit étant de 10 fr., le pavillon belge paye 9 fr. ; la faveur est donc d’un franc. Eh bien, messieurs, cette faveur, bien minime, a déjà eu de bons résultats. Ouvrez le tableau de la statistique générale, et vous verrez que cette faveur d’un franc est telle, que le pavillon national a importé en 1842, 4 millions de kilogrammes de café.

M. Rodenbach. - Pas de provenances directes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre m’interrompt, et je dois vraiment l’en remercier. Car il me fournit l’occasion de dire que c’est surtout le pavillon national qui a importé des pays transatlantiques. Il n’y a que sept chiffres, et vous allez voir ce que le pavillon national a déjà fait, grâce à la faveur différentielle d’un franc par 100 kil., c’est-à-dire de 10 fr. par tonneau.

Le pavillon national a importé, de villes anséatiques seulement, 13,000 kil. de café, et de l’Angleterre, 958,000, kil. Mais pour les cinq autres lieux d’importation, voici les chiffres :

Syngapour, 152,000 kil.

Sumatra, 125,000 kil.

Etats-Unis, 53,000 kil.

Haïti, 1,382,000 kil.

Brésil, 1,417,000 kil.

Vous voyez donc, messieurs, que le pavillon national a déjà importé sur 4,000,000 de kil., plus de 3 millions des lieux transatlantiques, et cela grâce à la minime faveur d’un franc. Je dis donc que si vous accordez une protection de 2 fr. 90 au pavillon national, vous pouvez espérer qu’il fera mieux qu’il n’a fait jusqu’à présent.

Le pavillon étranger a importé 11 millions de kil. de café. Je l’avoue, c’est lui qui a fait le plus. Aussi, la faveur accordée au pavillon national n’était-elle pas suffisante ; c’est pour cela que nous demandons une faveur plus forte.

Messieurs, je crois que, pour ne pas tomber dans des exagérations qui pourraient tourner contre le but que nous avons tous en vue, il faut se borner, eu égard surtout à l’état actuel de notre marine, à accorder une faveur de 2 fr. 50, ce qui fait, additionnels compris, une faveur de 2 fr. 90. Je pense que le pavillon national, qui a déjà pu aller prendre du café dans les lieux transatlantiques, grâce à la faveur différentielle d’un franc, fera mieux encore à l’avenir.

M. Coghen. - Messieurs, lors de la discussion générale, j’aurais voulu présenter quelques considérations en faveur du système différentiel. Mais avant que mon tour de parole fût venu, la discussion a été close, et il ne m’a pas été permis d’énoncer mon opinion. Aujourd’hui je me bornerai, à l’occasion de l’article spécial qui forme le sujet de la discussion actuelle, à dire que je suis partisan des droits différentiels, parce que je crois qu’il est impossible pour mon pays d’avoir un avenir commercial et l’exportation de nos produits industriels, si vous ne créez pas de marine nationale ; et vous ne pouvez jamais espérer d’en avoir une sans une protection efficace.

Je veux, messieurs, une protection pour cette marine ; mais je ne veux pas d’exagération. Le système proposé par le gouvernement me convient pour le moment. Si plus tard la nécessité d’une protection plus forte se fait sentir, je serai le premier à la demander ; le gouvernement saura remplir son devoir, et mon appui ne lui manquera pas.

Mais je ne puis laisser sans réponse l’idée qu’on paraît vouloir faire naître dans le pays et dans cette chambre, que la protection qu’on accorde est immense ; il n’en est rien, messieurs ; c’est une protection excessivement modérée ; car si, pour le café, vous établissez 25 francs par tonneau en faveur du pavillon national, il ne faut pas croire que ces 25 francs seront acquis au navire. La pratique prouvera le contraire.

Posons seulement un exemple. Supposons qu’il se trouve à Rio, qu’on a cité si souvent comme point de comparaison, deux navires, l’un belge et l’autre hambourgeois, et que le fret soit à 3 livres par tonneau. Evidemment le navire belge devrait recevoir 4 livres sterling par tonneau pour profiter de l’avantage accordé par notre tarif différentiel mais il n’en sera rien. L’expéditeur, si vous l’obligez à donner toute la différence établie par votre tarif, peut prendre le navire étranger, parce que les deux navires sont alors sur la même ligne et ce n’est qu’au moyen d’une espèce de partage de la différence qui existe entre le pavillon national et le pavillon étranger qu’on vous donnera la préférence.

Ainsi l’énorme avantage qu’on suppose devoir résulter de votre tarif différentiel, n’existera pas en faveur des armateurs. Le partage se fera au profit de la cargaison. On vous accordera 3 liv. 10 sh. pour fret, la cargaison profitera de 10 sh., et on ne vous accordera jamais la totalité de la différence, parce qu’il y a toujours un grand nombre de navires à affréter.

Le résultat avantageux que je vois dans les droits différentiels pour la marine nationale, c’est qu’au moins elle sera sûre de trouver un fret là où elle se présentera qu’elle ne sera plus réduite comme aujourd’hui à rester dans les mers lointaines faire le cabotage ! et contrainte d’accepter des voyages du Brésil aux côtes d’Afrique, à défaut de fret pour l’Europe.

Je bornerai là, pour le moment, mes observations. Je ne saurais appuyer la proposition de l’honorable M. Rodenbach. Je crois que le système différentiel proposé par le gouvernement est pour le moment suffisant. Si la nécessité exige davantage plus tard, on pourra le faire. Mais je crois que maintenant que nous n’avons encore qu’une marine peu nombreuse, il serait dangereux d’aller plus loin.

M. Rodenbach. - Messieurs, d’après ce que nous a dit tout à l’heure M. le ministre de l’intérieur, il semblerait que notre amendement est une proposition exagérée. Eh bien, quelle est cette immense exagération ? Nous demandons 1/2 fr. de plus que ce que propose le gouvernement. Au lieu de 2 fr. 50 c. nous demandons 3 fr. Voilà la proposition que l’on taxe d’exagération.

L’honorable préopinant vient de déclarer lui-même que la proposition du gouvernement suffit pour le moment. Ainsi, lui qui est armateur, lui qui a eu des navires forcés de rester dans les ports sans pouvoir naviguer, il convient que la protection proposée par le gouvernement n’est efficace que pour le moment, et il s’attend déjà à ce que plus tard on doive voter une augmentation de droits.

On dit que nous n’avons que 134 navires, dont le tiers seulement est propre aux voyages de long cours, et l’on en conclut que l’on va laisser la Belgique sans café. Ne craignez rien à cet égard, messieurs, l’étranger qui exploite la Belgique depuis 1830, continuera à nous importer des quantités immenses de café ; malgré les 5,800 fr. qu’ils auront à payer pour une cargaison de 200 tonneaux, les navires étrangers continueront à nous importer tout le café dont nous aurons besoin et que les navires nationaux n’importeront pas. On ne laisse pas un pays, riche comme la Belgique, sans marchandises. Aussi longtemps que nous aurons des écus, on nous importera du café en abondance. Eh bien, chaque cargaison de 200 tonneaux de café qui nous sera importée par navires étrangers, payera au trésor une somme de 5,800 fr. Or c’est là un revenu que nous ne devons pas dédaigner, alors que nous sommes obligés d’imposer le tabac, de faire peser des charges exorbitantes sur l’agriculture, de rétablir en quelque sorte les droits réunis au petit pied, quand nous devons avoir recours à des lois pour ainsi dire odieuses. Je crois, messieurs, que, dans ces circonstances, un droit sur le café importé par navires étrangers serait un droit très populaire ; ce droit vous rapporterait plusieurs millions et vous dispenserait d’établir des impôts que le pays repousse.

Le café, messieurs, ne nous manquera pas, la marine étrangère nous importera tout ce que nos propres navires ne pourront pas nous importer. Les navires étrangers ont d’ailleurs de grands avantages sur les nôtres. Les Américains, par exemple, peuvent construire des bâtiments à beaucoup meilleur marché que nous. Les Américains iront à la Havane, par exemple, où ils importeront des farines en échange desquelles ils prendront du café ; ce café ils nous l’importeront, et lorsqu’ils auront payé les droits que nous proposons, ils réaliseront encore des bénéfices considérables.

D’après ces considérations, messieurs, je soutiens notre amendement avec plus de force que jamais.

- La clôture est demandée.

M. Dumortier. - Je ne pense pas que la chambre me refuse de répondre quelques mots à M. le ministre de l’intérieur. M. le ministre de l’intérieur m’a répondu en citant des chiffres inexacts ; il a cité des faits complètement inexacts. Je demande à pouvoir dire quelques mots. Je ne serai pas long.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je demanderai la parole après l’honorable M. Dumortier.

- La clôture est mise aux voix. Elle n’est pas prononcée.

M. Dumortier. - M. le ministre de l’intérieur a taxé ma proposition d’exagération. C’est une chose inouïe, encore une fois, de venir ainsi donner aux propositions faites par des membres de cette chambre, une couleur qui tend à l’absurde. (Interruption.) Je sais bien que M. le ministre n’a pas dit que ma proposition était absurde, mais lorsqu’il la qualifie d’exagérée, il la qualifie d’une manière beaucoup plus dure encore.

Je dis que ma proposition n’a rien d’exagéré, qu’elle est, au contraire, excessivement raisonnable. En effet, messieurs, quels sont les droits différentiels qui existent en Angleterre sur l’article qui nous occupe ? En Angleterre le café venant des colonies par navires anglais, paie 4 deniers la livre, et le café introduit par navires étrangers paie 8 deniers la livre, Ainsi la différence est de 4 deniers sterlings, c’est-à-dire de 40 centimes la livre. Eh bien, messieurs, quelle est l’augmentation que nous demandons ? Une augmentation de 1/2 centime la livre ! Voilà la proposition que l’on qualifie d’exagérée. Mais s’il y a exagération quelque part, c’est dans la manière dont on représente une semblable proposition.

Et ce droit, messieurs, dont l’Angleterre frappe le café importé par navires étrangers, empêche-t-il l’importation du café étranger ? Nullement, et ici je dois relever une erreur dans laquelle est tombé M. le ministre de l’intérieur dans la discussion générale et qui a été reproduite par M. le ministre des travaux publics. Ces honorables ministres sont venus vous dire qu’en Angleterre le café étranger n’est point reçu dans la consommation. Eh bien, si M. le ministre veut jeter les yeux sur les tableaux des importations de l’Angleterre, il verra qu’il y entre 17,299,000 livres de café provenant des colonies anglaises, et 11,219,000 livres provenant des colonies étrangères, le tout pour la consommation du pays. C’est donc une grave erreur de dire que le café étranger n’est point admis dans la consommation de l’Angleterre.

Ainsi, messieurs, il n’y a aucune espèce de similitude à établir entre le droit que nous proposons et le droit qui existe chez nos voisins.

Je dis que le système proposé par mon honorable ami M. Rodenbach et moi, loin d’être exagéré, n’est pas encore assez efficace. On nous répond que la différence de 10 p. c. qui a existé jusqu’ici a suffi pour nous procurer des exportations. Je réponds que si cette différence a suffi pour nous procurer quelques exportations elle n’a point suffi pour augmenter la marine nationale qui va toujours en diminuant. Il y a trois ans nous avions encore 150 navires, aujourd’hui nous n’en avons plus que 130. En établissant un droit différentiel efficace, vous contribuerez non seulement à augmenter notre marine, mais vous ferez revenir de la Hollande cette magnifique marine qui a quitté nos ports en 1830. (Interruption). Elle reviendra si le droit est efficace, mais s’il n’est pas efficace elle ne reviendra pas.

M. le ministre de l’intérieur a reproduit encore cet argument qu’il faut faire en sorte que nos navires ne partent pas sur lest. Mais en France et en Angleterre, où il y a des droits différentiels si élevés, les navires partent-ils sur lest ?

Est-ce que dans ces pays les exportations ne se font pas par la marine nationale, qui jouit de faveurs si grandes ? Mais, messieurs, plus vous aurez de navires, plus vous aurez d’exportations. Ce qui se passe en France et en Angleterre se passera chez nous, et vos navires ne partiront pas plus sur lest que ne le font les navires anglais et les navires français.

Ne tombons pas dans un système exagéré par l’élévation des droits, mais ne tombons pas non plus dans un système exagéré par la faiblesse des droits, car ce dernier système serait tout aussi préjudiciable et plus préjudiciable que l’autre à vos exportations.

D’ailleurs, messieurs, et j’appelle sur ce point toute votre attention, si plus tard nous voulons pouvoir faire quelques concessions à l’étranger, il faut que notre tarif soit combiné de manière que nous puissions faire ces concessions sans sacrifier le principe même de notre loi, et ici je rencontrerai l’objection présentée par l’honorable comte Coghen. Certes personne n’est meilleur juge que l’honorable membre dans une semblable question.

Un membre. - Juge et partie.

M. Dumortier. - Eh bien, j’aime les gens qui sont juge et partie en semblable matière. D’ailleurs, l’honorable membre a prouvé qu’il savait rendre service au pays, qu’il savait concourir efficacement à nos exportations.

L’honorable comte Coghen a avoué que beaucoup de navires ont dû rester dans l’inaction, parce que la navigation nationale n’était pas suffisamment protégée. Il croit que le droit proposé par le gouvernement suffit pour le moment, mais il ajoute que si plus tard ce droit ne suffit plus, il faudra l’élever.

Eh bien, messieurs, je n’aime pas un pareil système, je n’aime pas à voter aujourd’hui des droits que je prévois devoir élever plus tard. Je pense qu’il vaut mieux adopter dès à présent un chiffre raisonnable que de livrer plus tard la question à de nouvelles discussions qui peut-être ne se représenteraient plus. Or, messieurs, il me semble que le chiffre que nous proposons, l’honorable M. Rodenbach et moi, et qui est la moyenne des propositions de la commission d’enquête, il me semble que ce chiffre est réellement raisonnable, qu’il n’a rien d’exagéré, qu’il n’a rien qui puisse empêcher ni le commerce étranger, ni l’exportation de nos produits par la navigation nationale, ils me semble que ce chiffre est de nature à donner une protection modérée, raisonnable, à notre marine. Or l’expérience a démontré que, sans une marine nationale suffisamment développée, il n’est pas d’exportations possibles.

Je suis d’ailleurs étonné de voir le gouvernement combattre une proposition qui doit assurer des revenus au trésor, et cela sans porter le moindre préjudice au pays. Je suis surpris de voir le gouvernement venir demander un impôt sur le tabac, demander des mesures odieuses, des mesures rétroactives même, et de refuser un droit sur le café importé par navires étrangers.

Il me semble beaucoup plus sage d’établir des droits qui à la fois assurent de bons revenus au trésor public, et favorisent l’exportation de nos produits manufacturés. Nous ferons à la fois les affaires de l’industrie et celles du trésor public ; et cela vaudra beaucoup mieux que de se lancer dans des impôts odieux aux populations.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - La question d’impôt doit être écartée de la discussion des droits différentiels. Il ne s’agit que de savoir quelle sera la surtaxe dont seront frappés le pavillon et certaines provenances. S’il s’agissait d’une question d’impôt, elle s’appliquerait non seulement aux importations par pavillon étranger, mais aussi aux importations par pavillon belge. Je laisse donc de côté cette question.

J’ajouterai seulement que, si la surtaxe pour le pavillon étranger était trop forte, il en résulterait nécessairement que toutes les importations se feraient par navires belges, qu’il y aurait monopole pour nos navires, et qu’ainsi nous ne percevrions que le droit le plus faible, celui de 9 francs ; il y aurait donc préjudice pour le trésor. Cela est de toute évidence.

Je désire prouver à la chambre que ce que nous proposons excède même ce que l’honorable M. Dumortier croyait obtenir par l’amendement de l’honorable M. Rodenbach, lorsqu’il a pris la première fois la parole. C’est cette démonstration que je tiens à faire à la chambre (Parlez !)

L’honorable M. Dumortier a pensé, et l’honorable M. Rodenbach était du même avis, que le droit différentiel n’était que de 2 fr. 50 centimes, et il perdait de vue les centimes additionnels, dont cette surtaxe doit être frappée.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Mais pardon ; vous vouliez rectifier le chiffre de 5,800 francs qui avait été indiqué par l’honorable M. de Brouckere ; vous nous avez fait remarquer que cette protection pour un navire de 200 tonneaux ne serait que de 5,000 fr., et c’est sur l’observation par laquelle je vous ai interrompu, que vous êtes convenu ensuite que les 2 fr. 50 centimes doivent être frappés de centimes additionnels.

L’honorable M. Rodenbach a proposé une surtaxe de 3 fr. 50 c. Cette surtaxe, appliquée à un navire jaugeant 200 tonneaux, donnerait, d’après tous les calculs qu’on a faits jusqu’ici, une protection de 7,000 fr. Mais, messieurs, notez bien que les navires de 200 tonneaux sont les navires du plus faible tonnage qui font la navigation transatlantique.

J’admets cependant ce navire de 200 tonneaux comme base de mon raisonnement ; mais je ferai remarquer que ces 200 tonneaux forment un chargement, non pas de 200,000, mais de 300,000 kilog. ; d’abord parce qu’il est passé en usage d’établir la capacité du navire avec une certaine tolérance, et ensuite parce que le tonneau de jauge est d’un mètre cube et demi et non d’un mètre cube seulement. Or, il résulte de là que, par notre proposition, la protection accordée à un navire de 200 tonneaux de jauge sera, non pas de 5,000 fr., comme l’avait d’abord supposé l’honorable M. Dumortier, non pas de 5,800 fr., comme on l’a dit tout à l’heure, ni même de 7,000 fr., résultat de l’application de la surtaxe de 3 fr. 50 au nombre de 200 tonneaux, mais de 8,700 fr., c’est-à dire de 1,700 fr. de plus que ce que l’honorable M. Rodenbach croyait accorder à un navire belge de 200 tonneaux par la surtaxe de 3 fr. 50.

Voilà les observations que j’avais à présenter à la chambre. (Aux voix aux voix !)

- La discussion est close.

L’amendement de MM. Dumortier et Rodenbach est mis aux voix et n’est pas adopté.

Le chiffre de 9 francs, proposé par le gouvernement à l’importation de 100 kilog. de café par pavillon national venant directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, est ensuite mis aux voix et adopté.

Demain, on votera, sans nouvelle discussion, les autres paragraphes de l’article café.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.