(Moniteur belge, n°87, du 27 mars 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure. La séance est ouverte.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners communique les pièces de la correspondance.
« Plusieurs ouvriers typographes de Bruxelles demandent l’organisation du travail et la reforme électorale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Henot. - J’ai l’honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.
M. le président. - Ces rapports seront imprimés et distribués. La mise à l’ordre du jour sera ultérieurement fixée.
M. Lejeune. - J’ai l’honneur de déposer les rapports sur les projets de loi de grande naturalisation concernant le général Chazal, le colonel Chapelié et le major Colins.
M. le président. - Ces rapports seront imprimés et distribués. Je propose de les mettre à l’ordre du jour.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La parole est continuée à M. de Haerne.
M. de Haerne. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, j’ai eu l’honneur de vous faire voir que, dans mon opinion, tous les établissements doivent être placés sur la même ligne, je vous ai dit que, constitutionnellement parlant, nous ne devons avoir de préférence ni pour une université, ni pour une autre, pas plus pour les universités de l’Etat que pour les universités libres.
Je vous ai fait voir les influences diverses qui s’exercent réciproquement de la part des universités et je vous ai démontré que ces influences, loin de devoir être funestes, doivent être considérées comme favorables, comme avantageuses à tous les établissements. Je vous ai fait voir les avantages qui résultent en particulier pour l’université catholique, de la concurrence qui est faite par des établissements rivaux. Je pourrais prouver de la même manière que ces derniers établissements gagnent aussi à la concurrence, et cela non seulement sous le rapport du progrès de la science, mais je dirai même sous le rapport des saines doctrines, car personne ne me contestera que la concurrence ne tende à maintenir les divers établissements dans les bornes de la modération.
Messieurs, c’est à ce sujet que j’ai fait hier un appel à l’union, principe que j’envisage comme fondamental et que j’ai cru devoir appliquer à la matière qui nous occupe. Je vous ai entretenu assez longtemps de ce sujet. Mais la raison en est que le système universitaire, que j’aurai l’honneur de vous exposer, en découle comme un corollaire ; dans mon système le jury est composé de telle manière que les établissements n’ont rien à craindre de la part d’un établissement rival ; je les mets au-dessus des diverses influences, au-dessus des influences ministérielles aussi bien qu’au-dessus des influences parlementaires. Il y a dons égalité absolue pour tous ces établissements, ce qui est conforme à l’union.
La section centrale, messieurs, s’est attachée à suivre le ministère dans ses développements, en acceptant du projet ministériel tout ce qui lui paraissait acceptable, sauf à corriger le projet dans le sens de la liberté, et dans ce sens, je suis d’accord avec la section centrale, quant au principe. Mais pour ce qui regarde la partie que je puis appeler, en quelque sorte, matérielle, ou la partie organique de la question, l’organisation du jury universitaire, j’ai cru devoir, messieurs, vous exposer un système que j’ai conçu depuis longtemps et qui diffère de celui de la section centrale et de celui du gouvernement. Mon système est conçu dans la pensée d’écarter toute lutte de parti, c’est là l’idée dominante, le point culminant de la question pour moi.
Ensuite j’ai eu pour but de favoriser le développement, le progrès des sciences, et surtout de placer les récipiendaires dans une position telle qu’ils puissent s’attacher entièrement à leurs professeurs, à leurs universités respectives, ne s’inquiéter d’aucun autre système, d’aucune autre doctrine. J’ai eu particulièrement en vue les jeunes gens. Ni le projet ministériel, ni celui de la section centrale ne me satisfont pleinement à cet égard. D’un côté, on s’occupe de la nécessité de conserver la prérogative parlementaire ; d’un autre côté, on tâche de fortifier l’action du gouvernement ; ou du moins on croit devoir lui attribuer la nomination du jury universitaire. Mais il me semble qu’on ne s’est pas assez occupé de la position des jeunes gens, car il est bien à remarquer que, dans tous les systèmes exposés jusqu’ici, les récipiendaires se présentent devant des jurys mixtes, devant des jurys composés de membres appartenant aux diverses universités professant des opinions contraires. Dans aucun de ces systèmes rien n’est stipulé, afin de ne pas exposer les jeunes gens à la fluctuation des doctrines. Je trouve que c’est là un grand inconvénient, un inconvénient sous le rapport scientifique, parce que ce système doit engendrer le doute, l’incertitude, et éteint la conviction qui doit accompagner toute étude sérieuse sous le rapport des doctrines, de la liberté des opinions et de la liberté de conscience même ; il se présente dans un jury mixte un inconvénient qui n’est pas moins grave, car un élève rationaliste aura à se présenter devant un juré catholique et un élève d’une école catholique aura à se présenter devant un juré rationaliste. Quelle que soit la modération, l’impartialité qu’on puisse supposer aux jurés, il est impossible qu’ils se dépouillent de leur opinion, que, dans un certain cas, les récipiendaires ne soient pas victimes des opinions, des préjugés de leurs juges.
Messieurs, dans mon opinion, il devrait y avoir un jury particulier pour chaque université, et ce jury serait composé de telle manière qu’il y entrerait deux éléments essentiels ; l’élément universitaire nommé directement par chaque université ; l’élément législatif nommé d’un côté par les chambres, de l’autre par le ministère.
Voici comment j’ai rédigé mon projet :
Organisation du jury d’examen
Il y a un jury spécial pour chaque université. Il est composé de 7 membres d’après les conditions suivantes :
1° Chaque université nomme directement pour les récipiendaires qui lui appartiennent, quatre jurés dans son sein ou en dehors pour chaque faculté ;
2° Le sénat, la chambre des représentants et le ministère nomment annuellement en-dehors des universités chacun deux membres et deux suppléants, qui siègent à trois pour toutes les universités, un comme représentant chaque branche du pouvoir législatif, et qui subissent un roulement dans l’ordre suivant :
Immédiatement avant chaque session de jury, chacune des trois branches du pouvoir législatif procède à un tirage au sort pour désigner les membres titulaires qui doivent siéger. Celui qui siège le dernier n’est rééligible qu’après un an d’intervalle.
3° Les sept membres ont chacun son vote pour l’adoption du système et de la méthode à suivre dans les examens ;
4° Les trois membres législatifs unis aux quatre membres universitaires posent les questions. Ce derniers n’ont en ceci que voix consultative ;
5° Tous le jurés discutent et votent à suffrage équivalents sur les titres et admissions des récipiendaires ainsi que sur les distinctions ;
6° L’examen oral est remplacé par un second examen écrit, qui est spécial pour chaque candidat ;
7° A la demande d’un membre du jury, l’admission du récipiendaire sera suspendue. Dans ce cas, les deux examens du récipiendaire seront soumis à la sanction d’un des autres jurys de la manière suivante :
Pour Bruxelles et Louvain on se référera au jury d’une des universités de l’Etat à désigner par le sort ; pour les universités de l’Etat on en référera à un des jurys des universités libres. Ce jury statuera en dernier ressort.
Il y aura ainsi un jury de première instance et un jury d’appel ;
8° Dans le jury d’appel ou de la deuxième épreuve, les quatre membres universitaires n’auront que voix consultative pour la fixation du système et de la méthode à suivre ;
9° A la demande d’un membre du jury d’appel, les examens seront publics :
10’ Les récipiendaires inscrits pour études privées se présenteront devant un des jurys qu’ils choisiront. Si c’est celui d’une des universités de l’Etat, alors, en cas de sursis pour l’admission, l’appel se fera devant le jury d’une université libre, à désigner par le sort et réciproquement. Les quatre membres universitaires dans ces deux jurys, et pour ce cas, n’auront ensemble que deux voix, pour donner plus de garantie d’impartialité à l’étudiant privé.
Les universités nommeraient, comme vous le voyez, d’après cet exposé, quatre membres, et les chambres avec le gouvernement en nommeraient trois. Les universités nommeraient soit dans les universités mêmes, soit en-dehors, et les chambres ainsi que le gouvernement seraient obligés de prendre leurs membres respectifs en dehors des universités.
Messieurs, dans mon système, la rotation ou le roulement ne serait pas également nécessaire. Vous allez comprendre tout de suite quelle en est la raison.
Pourquoi, en effet, a-t-on tant insisté et dans l’exposé des motifs du gouvernement et dans le rapport de la section centrale, sur la nécessité d’introduire un roulement parmi les membres du jury ? Parce qu’il faut que l’élève se présente devant l’inconnu, car s’il connaissait d’avance le membre du jury qui siégera, quand il se présentera devant ce tribunal, il s’attacherait à étudier le système du jury plutôt que celui qui est enseigné dans son université. Les professeurs de cette université deviennent des répétiteurs, les répétiteurs des jurés. C’est une vérité ; personne ne le sait mieux que moi ; je le sais par expérience ; je sais ce qui s’est passé, de qui se passe encore, je sais comment les élèves des diverses universités se passent leurs cahiers, étudient les cahiers des professeurs qui doivent siéger au jury. Mais s’il y a un jury spécial pour chaque université, l’élève n’aura plus à craindre de se présenter devant un jury qui lui présentera un autre système que celui qu’il a étudié, il n’aura plus besoin d’étudier un système différent de celui de son université.
Cependant, messieurs, quoique le roulement ne soit pas absolument nécessaire dans mon système, j’ai voulu l’admettre comme vous l’avez entendu d’après l’exposé que je vous ai donné. On pourrait peut-être me dire qu’avec la composition de ce jury, l’admission sera trop facile. L’admission était plus facile encore avant 1830 ; il y a eu des abus, il est vrai, mais on s’est trop appesanti sur les abus résultant de la facilité de l’admission aux grades, car nous ne pouvons pas nous plaindre de n’avoir pas assez de bons avocats ou de bons médecins. J’ai tâché cependant de prévenir les abus possibles par un deuxième jury, une espèce de jury d’appel dont je parlerai encore tout à l’heure.
Les sept membres du jury nommés comme je viens de le dire voteraient à parité de suffrages sur la méthode à suivre. Je vous prie de faire bien attention à cette disposition.
Je dis que les membres du jury nommés, quatre par les universités, trois par le gouvernement et les chambres, procéderaient à la question de savoir d’après quelle méthode on doit interroger les récipiendaires.
Ici, messieurs, comme il y aurait quatre membres de chaque université particulière et trois membres dont la nomination n’émanerait pas de l’université, il est évident que la majorité de chaque jury devrait imposer le système, la méthode de l’université à laquelle il appartient.
Lorsqu’il s’agit de s’entendre sur la position des questions particulières, alors je ne donne plus aux quatre membres universitaires que voix consultative ; et les trois membres législatifs ont alors voix délibérative.
De cette manière on éviterait un autre inconvénient, celui de la collusion qu’on pourrait supposer entre les professeurs de l’université et les élèves qui lui appartiennent ; car, dans la position des questions, s’il y avait collusion entre les professeurs et les élèves, l’admission ne serait plus qu’une simple formalité.
Il est essentiel, d’un côté, que le système de chaque université prévale. D’un autre côté, il est essentiel que les élèves ne sachent pas quelles seront les questions qui seront posées.
Il est un autre point que j’envisage comme essentiel dans l’organisation du jury, c’est la suppression de l’examen oral. C’est une innovation qui est en dehors des deux projets, du projet ministériel, aussi bien que de celui de la section centrale. Je crois que l’examen oral est souvent la cause du rejet de certains sujets qui mériteraient d’être admis ; en effet, c’est une prime offerte à la hardiesse, à l’assurance, à celui qui a le plus de front ; tandis que celui qui possède ses matières, qui est capable, mais timide, se trouble, et ne peut répondre. C’est donc un piège tendu à la timidité, une prime offerte à l’assurance, à la hardiesse. C’est un grave inconvénient.
Je vous le demande, quel est, je ne dirai pas l’élève, le jeune homme, mais le mathématicien consommé, qui devant travailler en public, sous les yeux de supérieurs, de juges, à des opérations quelconques de mathématiques, depuis l’addition jusqu’aux théorèmes de Mac-Laurin ou de Taylor, depuis l’arithmétique, jusqu’au calcul différentiel et intégral, pourra être sûr d’avance de ne pas se troubler ? Voilà ce qui arrive tous les jours devant les jurys. Voilà ce qui fait échouer bien des élèves qui mériteraient de passer avec distinction !
Il est une autre raison pour laquelle je voudrais supprimer l’examen oral. C’est une raison à laquelle a fait allusion M. le ministre de l’intérieur. Il vous a dit, et avec raison, dans l’exposé des motifs, que les opérations du jury durent trop longtemps, qu’il en résulte un grand inconvénient en ce que les jurés qui appartiennent aux universités, devant se rendre à leur poste, ne peuvent donner des leçons, quand les cours académiques sont déjà ouverts. Si l’examen oral est remplacé par un second examen écrit, comme je l’ai exposé, vous abrégerez la besogne de plus de moitié ; cela est incontestable.
Le deuxième examen écrit doit se faire, dans mon opinion, d’une manière spéciale pour chaque récipiendaire ; il doit être calculé sur le résultat du premier examen écrit ; car le but de l’examen oral actuel ne peut être, ce me semble, que de s’assurer si l’élève a réellement les connaissances qu’il annonce dans son premier examen ; ce doit être le contrôle de la première épreuve ; or, ce contrôle peut avoir lieu au moyen d’un deuxième examen écrit. Cet examen serait fait d’après les réponses données dans le premier examen.
C’est ainsi qu’on obtiendrait un deuxième avantage ; celui de donner plus de temps aux professeurs des universités.
Je vous ai dit tout à l’heure que, pour prévenir l’inconvénient de la trop grande facilité, en fait d’admission, il faudrait qu’il y eût un deuxième jury, de manière que le premier jury, celui dont je viens de vous expliquer la composition, serait en quelque sorte un jury de première instance, le deuxième, un jury d’appel.
Voici d’abord dans quel cas on devrait recourir au jury d’appel, toujours pour prévenir les admissions trop faciles. Je voudrais que, dans le jury de première instance, un seul membre (nommé par le ministère, le sénat ou la chambre) eût la faculté de pouvoir, par son vote, suspendre l’admission du récipiendaire, et, dans en cas, voici à quelle nouvelle épreuve il serait soumis : son premier examen écrit serait renvoyé à un jury d’une autre université. Ainsi, par exemple, pour les deux universités de l’Etat, l’examen de l’élève qui ne serait pas admis en première instance serait renvoyé devant le jury d’une université libre désigné par le sort ; et les élèves appartenant à une université libre devraient renvoyer leurs examens à un jury d’une université de l’Etat à designer par le sort.
Dans cette deuxième épreuve, ce deuxième jury, considéré comme jury d’appel, examinerait de nouveau les pièces, porterait de nouveau un jugement sur les premiers examens, et statuerait, en dernier ressort, sur l’admission du récipiendaire.
Dans ces divers jurys, le jury pour la première épreuve, que j’appelle jury de première instance, et le jury pour la deuxième épreuve, que j’appelle jury d appel, vous aurez les trois membres nommés par les trois branches du pouvoir législatif, toujours les mêmes à côté des quatre membres nommés par les universités respectives ; vous voyez comment vous éviterez l’inconvénient des admissions trop faciles, car, je vous prie d’y faire attention, il se fera de cette manière entre le jury de première instance et le jury d’appel une espèce de balance d’intérêt, d’espoir et de crainte.
Un jury de première instance ne se montrera pas trop facile, dans la crainte de voir réformer son jugement, par le jury d’appel.
Et celui-ci se gardera de se montrer trop sévère, dans la crainte de provoquer plus tard, pour ses propres sujets, la même sévérité, de la part d’un jury rival. Cette crainte réciproque sera une garantie d impartialité.
M. le président. - L’honorable membre a-t-il l’intention de déposer un amendement ?
M. de Haerne. - J’ai déclaré hier que mon intention n’était pas de présenter un amendement formel. J’attendrai le cours de la discussion. Je verrai jusqu’à quel point mes idées mériteront l’attention de la chambre.
M. le président. - Je crains que la chambre, sachant qu’elle ne sera pas saisie d’un amendement, ne prête que peu d’attention au système que développe l’honorable membre.
M. de Haerne. - Je n’ai qu’un mot à ajouter sur ce point. Si l’on voulait avoir une garantie de plus contre la trop grande facilité des admissions, on pourrait recourir à la publicité, comme je l’ai stipulé, on pourrait accorder au deuxième jury la faculté de publier les examens. Ce serait une grande garantie.
Examinons maintenant les inconvénients qui ont été signalés dans la composition du jury, tel qu’il existe actuellement ; ces inconvénients sont aux yeux du gouvernement : 1° la permanence ; 2° la longue durée des réunions des jurys ; 3° le nombre indéfini des universités. Voilà les inconvénients dont il a été fait mention dans l’exposé des motifs. D’après ce que j’ai eu l’honneur de dire, ces inconvénients ne se présentent pas dans mon système.
Je vais encore plus loin en fait d’inconvénients, je trouve que M. le ministre de l’intérieur aurait pu encore renforcer ses idées par rapport à l’inconvénient qui résulte de la permanence, et je crois même que la nomination, dût-elle être annuelle, comme le propose le gouvernement, il n’atteindrait pas son but, en ce sens qu’il ne pourrait empêcher que les professeurs des universités ne fussent, en quelque sorte, les répétiteurs du jury. Car, messieurs, il faut savoir comment les jeunes gens des universités se préparent aux examens. Il ne faut pas croire qu’il leur faut deux ans d’avance pour étudier les cahiers des professeurs qui vont siéger au jury. D’abord, je vous dirai que toutes les sciences n’exigent pas les mêmes précautions ; les mathématiques, par exemple, les sciences naturelles, la chimie, sont des sciences positives, qui ne demandent pas cet ordre, cette méthode particulière qui caractérise chaque professeur particulier. Les matières sont tracées, sont classées d’elles-mêmes et ne diffèrent guère d’un professeur à un autre. Dans d’autres branches, il suffit de quelques mois pour se mettre au courant du système, du cahier d’un professeur. Il est à ma connaissance, messieurs, que des jeunes gens se sont préparés ainsi à l’examen quelques semaines avant de se présenter au jury et qu’ils se sont fort bien tirés d’affaires. Cela dépend quelquefois de la clarté, de la facilité de la méthode d’un professeur qui siège comme juré.
Ainsi donc, par une nomination annuelle, vous n’évitez aucunement l’inconvénient, parce que l’élève saura toujours assez tôt devant qui il doit se présenter, pour pouvoir se préparer. Il résulte aussi de là, messieurs, une inégalité entre l’élève qui se présente dans la première session et celui qui se présente à la seconde session du jury. Celui qui se présente à Pâques n’a pas les mêmes facilités pour se préparer d’après la méthode d’un professeur connu que celui qui se présente au mois d’août.
Messieurs, à cet égard permettez-moi de faire une comparaison entre le projet de la section centrale et le projet du ministère. Je dois vous dire franchement, messieurs, que, je crois que, pour éviter l’inconvénient de la permanence signalée à juste titre par M. le ministre de l’intérieur, je crois et je suis convaincu qu’un tirage au sort établi à deux fois et immédiatement avant chaque session du jury, serait bien préférable à une nomination annuelle.
Et, remarquez-le bien, messieurs, il ne suffirait pas que le gouvernement nommât les membres du jury immédiatement avant la session ; en suivant le mode de nomination sans tirage au sort, le gouvernement ne pourrait pas nommer immédiatement avant la session, parce que alors vous tomberiez dans un autre inconvénient qui, n’est pas moins grave, celui de mettre les jurés eux-mêmes dans l’impossibilité de se préparer aux examens. Car il ne faut pas croire que ces messieurs se présentent aux examens sans être préparés ; il y aurait négligence de leur part à en agir autrement.
Il faut donc que, d’une part, le jury ne soit connu de l’élève que peu de temps avant la session du jury, et, d’un autre côté, il faut que les jurés aient au moins le temps de se préparer à l’exercice de leurs fonctions. Je ne vois donc pas d’autre moyen que de faire une nomination annuelle et un tirage au sort immédiatement avant chaque session du jury.
Messieurs, vous voyez que, d’après le système que je viens d’avoir l’honneur de vous développer, les divers établissements ne peuvent plus prendre ombrage l’un de l’autre ; car le jury est placé tout à fait au-dessus de l’action des chambres et au-dessus de l’action gouvernementale ; la question politique n’existe donc plus ; la lutte des partis devient donc impossible ; et c’est là, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, le point essentiel, le point culminant de la question. De cette manière, messieurs, on ferait renaître la paix, on ferait renaître la concorde et l’union parmi les établissements rivaux.
Ce serait là sans doute le triomphe de la cause nationale, et c’est pour cela, messieurs, que j’ai pris hier la liberté d’appeler votre attention sur ce point important, qui tient d’une manière si intime à notre existence nationale.
Tons les principes de liberté, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, se tiennent et s’enchaînent ; on ne peut toucher à une seule sans les ébranler toutes. La liberté de l’enseignement, messieurs, la liberté de l’enseignement oral d’un côté, la liberté de l’enseignement écrit de l’autre, ou la presse, sont deux libertés qui se résument dans la liberté d’opinion ou dans la liberté de la manifestation des opinions, et cette liberté, messieurs, c’est la clef de voûte de la constitution.
Sans cela vous ne pouvez maintenir l’état constitutionnel, vous ne pouvez espérer de maintenir la nationalité. Sans cela il n’y a plus pour la Belgique de caractère national ; c’est dans l’existence de ces libertés, et dans leur consécration égale, dans leur existence simultanée que consiste le cachet national de la Belgique ; nous n’avons pas autre chose pour nous maintenir. C’est là notre force, messieurs ; qu’aurions-nous, en effet, pour nous soutenir contre les influences étrangères, si ce n’est nos libertés ? Qu’aurions-nous si ce n’est le respect que nous devons inspirer par notre union à ceux qui nous entourent ? Serait-ce peut-être les intérêts matériels ? Mais, messieurs, de la manière dont ils ont été traités, le plus souvent on pourrait dire que l’on a compromis plutôt l’existence de la nation qu’on ne l’a consolidée.
Serait-ce le chemin de fer dont on parle tant à l’étranger ? C’est là une belle entreprise, une conception glorieuse pour la Belgique ; mais, messieurs, à mesure que les réseaux de chemin de fer s’étendent, l’intérêt qui s’y attache en Belgique semble diminuer ; nous sommes entrés les premiers dans cette voie ; mais bientôt nous n’aurons plus d’autre privilège que d’être, en quelque sorte, la station centrale, la Malines de l’Europe. Serait-ce peut-être nos frontières ? mais vous savez qu’elles sont resserrées et mal coupées d’ailleurs. Serait-ce nos forteresses ? Mais dans ce siècle surtout, ce ne sont pas les canons, c’est l’opinion qui gagne les batailles ; c’est l’opinion qu’on se fera de votre constitution, de vos libertés qui vous fera triompher de vos ennemis, parce que tous les peuples s’intéresseront à votre indépendance.
Messieurs, la France a plus d’égalités que l’Angleterre ; l’Angleterre a plus de liberté que la France, et nous avons tout à la fois et plus d’égalité et plus de liberté que ces deux nations. Sachons maintenir nos droits, nos libertés en consacrant par un vote solennel dans cette circonstance, l’union dont ils dépendent. Serrons-nous autour de ce drapeau. L’union, messieurs, jettera, j’ose le dire, un nouvel éclat sur la couronne belge, dont elle est la plus belle perle, elle fera l’honneur de la législature et affermira notre nationalité !
M. Delehaye. - Comme plusieurs de mes honorables collègues, je regrette que le gouvernement nous ait présenté ce projet, au moment où nous allions nous occuper de la discussion des questions soulevées par la commission d’enquête. (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Je crains aussi que les dissentiments politiques que fera naître cette discussion ne pèsent de tout leur poids sur les débats auxquels nous devions nous livrer après les vacances de Pâques et qui sont vivement réclamés par le commerce et par l’industrie.
Messieurs, je ne prétends pas que cette fois-ci, le gouvernement ait obéi à quelque injonction étrangère ; mais il doit paraître étrange que M. le ministre de l’intérieur, jusqu’ici si soucieux de la conservation de la majorité, soit venu tout à coup présenter un projet qui change en sentiment d’hostilité la bienveillance qu’elle lui avait témoignée. Le temps nous apprendra quel peut avoir été le motif qui a engagé M. le ministre de l’intérieur à rompre tout à coup en visière à ce parti. Messieurs, qu’il me suffise de dire à la chambre que, dans mon opinion, la prudence dont M. le ministre de l’intérieur a fait preuve jusqu’ici, le soin qu’il avait mis constamment à ménager la majorité me paraissent devoir éloigner cette opinion que la présentation de ce projet ait été le résultat de son libre arbitre. Je suis porté à croire involontairement qu’il doit y avoir là un secret que le temps nous fera bientôt connaître.
J’aborde la matière.
En 1835, les chambres ont adopté la loi qui nous régit aujourd’hui. Le législateur se trouvait placé sous l’empire d’une situation toute nouvelle, qui lui imposait la plus grande prudence dans les mesures qu’il prendrait ; il a voulu, en effet, remettre au temps le soin de proclamer les vices ou les perfections de son œuvre.
Nous sommes, messieurs, en présence d’une expérience de huit années ; tous les renseignements, tous les résultats de l’expérience à laquelle a donné lieu la formation des jurys d’examen, vous ont été communiqués. Qu’en est-il résulté ?
Mais avant de répondre à cette question, qu’il me soit permis de vous dire que, dans mon opinion, dès 1835, le législateur a manqué au grand principe de la liberté d’enseignement. Selon moi, il ne fallait pas de jury pour la collation des grades académiques ; la société ayant proclamé ce grand principe à tort ou à raison, elle devait en subir les conséquences. Qu’importait-il à la société que les universités conférassent les grades scientifiques ; qu’importait-il à la société que des grades de docteurs en philosophie et lettres, de docteurs en science fussent accordés par les universités elles-mêmes ? Ce qu’il lui importait, c’était que le gouvernement exerçât une surveillance sur la collation des grades auxquels la loi attache certaines prérogatives. Je comprends que le gouvernement ait voulu surveiller d’une manière rigoureuse si ceux qui se présentaient pour suivre la carrière de la médecine ou du droit offraient assez de garantie sous le rapport des connaissances, pour qu’on pût leur confier les intérêts importants qui leur seraient confiés ; mais je ne comprends pas comment il se fait que, pour des grades auxquels on n’attache aucune importance, on n’ait pas reculé devant le principe de la liberté d’enseignement.
Messieurs, après avoir émis cette opinion, vous direz peut-être que j’aurais dû proposer une mesure conforme à ces principes et qu’il y a une espèce d’inconséquence de ma part à vous présenter un amendement qui les détruit en partie. Mais, messieurs, on n’est pas libre de faire tout ce qu’on désire ; je n’aurais pu venir vous proposer mon système en présence de l’accueil qui avait été fait à la proposition de supprimer la collation d’une partie des grades académiques par le jury. Il y avait nécessité pour moi à ne pas me présenter devant vous avec un projet qui avait été repoussé.
La suppression de la collation de ces grades ou du jury central avait été proposée par une université qui appartient à la même localité que moi. Eh bien, cette université qui, selon moi, avait bien agi, est venue retirer l’opinion qu’elle avait émise auparavant. C’était donc pour moi un devoir de ne plus revenir sur cette proposition ; je devais dès lors prendre celle du gouvernement en la modifiant de manière que je pusse lui donner mon assentiment.
Messieurs, depuis huit ans la chambre a été appelée à coopérer à la nomination des membres du jury d’examen. A-t-elle pu faire des choix qui répondissent à toutes les exigences d’une bonne organisation du jury d’examen ? Répondons à cette question avec une entière franchise ; nous savons tous ce qui s’est passé chaque année ; chacun de nous avait un candidat de préférence ; il le recommandait à son voisin avec promesse de voter aussi pour le sien.
Quant à moi, je vous avoue que le seul désir que j’aie eu, c’est de faire entrer dans le jury autant de professeurs de l’université de Gand que possible, et je crois que chacun de nous en a agi de même. Aussi, de tous les membres du jury nommés par la chambre, il en est peu qui fussent connus, je ne dirai pas de la majorité, mais du tiers de l’assemblée.
Messieurs, il est fâcheux que la chambre doive en agir ainsi dans l’usage qu’elle fait d’une prérogative aussi belle. Je n’adresse d’injure à personne, mais tout le monde doit convenir que nous sommes dans une ignorance complète, quant à la formation du jury, que nous ne connaissons pas assez le personnel scientifique.
Je comprendrais, messieurs, la formation du jury par la chambre seule, car alors nous pourrions consulter quelques-uns de nos amis, nous mettre au courant du personnel scientifique et arriver à une combinaison quelconque. Mais lorsque trois pouvoirs concourent à la formation du jury, et cela sans se mettre en rapport, sans s’entendre sur les choix des candidats, comment voulez-vous que le jury réponde à toutes les exigences, quelle coordination peut-il y avoir entre nos choix ?
Et quelles sont les exigences dans un pays où la liberté d’enseignement a été proclamée ? C’est d’abord que tous les établissements soient représentés dans le jury. Il est une autre condition, c’est que toutes les sciences qui font partie de l’examen y soient représentées également. Eh bien, je dis que cela est impossible, tant que trois pouvoirs concourent à la formation du jury, alors qu’il n’y a entre eux aucun rapport. Ce n’est point l’esprit de parti qui a rendu permanentes les listes présentées par les chambres, c’est le défaut de notions sur le personnel scientifique, nous ignorons quelles sont les sciences à représenter. Les deux chambres ne sont point d’accord sur les choix à faire. De là cette étrange disparate contre laquelle on s’est tant récrié.
La section centrale maintient ce défaut dans son projet, elle conserve aux chambres des prérogatives pour l’exercice desquelles elles ne possèdent point des notions suffisantes, elle abandonne aux majorités une nomination qui, quoique faite avec conscience, peut porter atteinte à la représentation fidèle de tous les établissements scientifiques.
Par cela seul que les majorités des chambres ne peuvent pas se soustraire à toute considération politique, que leurs actes doivent essentiellement s’en ressentir, je dois refuser mon vote au projet de la section centrale.
(Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur, de ce défaut de rotation, de cette permanence des listes, il résulte ce grave inconvénient, que nous favorisons, sans le vouloir, l’empire exclusif d’une doctrine alors même qu’elle ne serait pas la meilleure ; l’élève qui ne cherche qu’à réussir dans les examens, ne songe guère à la science ; les professeurs eux-mêmes connaissant les principes dominants des examinateurs, satisfont à ces exigences sans tenir aucun compte des progrès de la science ; les opinions bien connues des membres des jurys, s’imposent aux professeurs qui n’en font point partie, et qui, dès lors, dans l’intérêt des élèves, doivent puiser les matières de leur enseignement dans un système peut-être vicieux, mais sur lequel ils savent que porteront les questions des examinateurs.
Cette permanence met obstacle aux progrès des sciences, elle accorde un avantage à l’établissement représenté et la doctrine que l’on y professe est forcément imposée aux autres établissements. Elle engage les élèves à ne s’occuper que des questions que l’on sait être familières aux membres du jury, et, à cette fin, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) ils se passent mutuellement le cahier contenant les questions, certains d’avance que l’on ne produira guère que ce qui a été présenté les années précédentes. C’est encore à cette permanence, qu’il faut attribuer le défaut d’auditeurs que l’on remarque dans les cours non représentés au jury.
Je viens actuellement au projet du gouvernement.
Le gouvernement est-il plus en mesure de faire un bon choix, de composer un jury qui réponde à toutes les exigences ? Je n’hésite pas à dire que si le gouvernement était libre, s’il pouvait se soustraire à toutes les exigences, à toutes les influences étrangères, il remplirait toutes les conditions nécessaires pour composer un bon jury ; car il a des notions suffisantes sur le personnel, et il connaît toutes les parties de la science qui doivent être représentées dans le jury. Ce que je conteste au gouvernement, c’est cette liberté d’action, qui ne se ressente d’aucune considération étrangère.
M. le ministre veut que chaque établissement, ainsi que les sciences, objets de l’examen, soient représentés au jury.
Ces dispositions ne sont pas seulement sages, elles sont rigoureusement nécessaires à la formation d’un bon jury mais tout en remplissant rigoureusement ces conditions, la partialité, le mauvais vouloir, ne peuvent-ils pas favoriser considérablement l’un ou l’autre établissement aux dépens de ses concurrents ? Qui pourra empêcher le gouvernement de faire représenter au jury une université qui n’aura pas ses sympathies par un examinateur indifférent aux élèves ou en qui ils n’ont pas confiance, enseignant une partie de la science peu importante, dont les capacités mêmes sont problématiques, alors que d’autres universités seraient représentées par des hommes d’un mérite transcendant, enseignant les parties dominantes de l’examen.
D’autres fois, pour se donner les apparences de l’impartialité, il représentera une université dont la chute lui paraitrait utile, par un professeur de capacités reconnues, haut placé dans le monde scientifique ; mais alors seulement que le nombre de candidats appartenant à cet établissement sera peu considérable. Enfin, messieurs, combien de moyens le ministre de l’intérieur ne possède-t-il pas pour éluder l’espoir que le parti libéral aurait dans ses promesses ? Quand la majorité doit s’entendre sur le choix de plusieurs personnes, il peut y avoir désaccord, quelques voix récalcitrantes ; mais quand un seul homme peut présider aux affaires d’un parti qu’il veut favoriser, n’y a-t-il pas dans ses actes un ensemble qui confond ses adversaires et devant lesquels sa responsabilité est à l’abri de toute attaque.
Cette responsabilité, dira-t-on, impose au gouvernement l’impartialité la plus grande. Messieurs, c’est là bien peu connaître ce qui se passe chez nous depuis la révolution. La responsabilité doit être un mot vide de sens, ou l’opposition bien exagérée, même injuste dans ses attaques.
La responsabilité, en effet, n’est qu’un vain mot, alors surtout qu’il s’agit de personnes. Et, messieurs, viendrez-vous dire à M. le ministre, les nominations connues que tel professeur n’a pas assez de savoir, qu’il défend mal les intérêts de ses élèves ? (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Direz-vous que telle science plus importante a été mal représentée, mais comme je vous l’ai déjà dit : Sous les apparences mêmes de la plus grande impartialité, il pourra, par la nomination des membres du jury, faire déserter, au bout de quelque temps, l’établissement dont il a décrète la ruine. Et, messieurs, pour nous surtout, députés des Flandres qui tenons à la conservation de l’université de Gand, si jamais le gouvernement venait à partager l’opinion d’hommes haut placés, opinion qui ne se cache pas d’ailleurs, qu’il suffit d’une seule université salariée par l’Etat, que l’économie autant que la solidité des études exige la suppression de l’une des deux universités, sommes-nous bien certains que ce ne sera pas la nôtre qui tombera sous l’influence de nominations d’examinateurs habilement combinées, de manière à détruire la confiance des élèves dans celui qui doit les représenter au jury ? Qu’on y songe bien ; pour nous, ce qu’il nous faut, c’est l’impossibilité pour le gouvernement, de s’écarter de la voie de l’impartialité et de la justice. La responsabilité ministérielle ne nous garantira pas contre le mauvais vouloir. D’ailleurs, messieurs, à qui le ministère rendra-t-il compte de sa responsabilité ? N’est-ce pas à la majorité ? Le ministère fera donc ce que ferait cette majorité. Soucieux, avant tout, de la conservation de son portefeuille, il ne consultera que les exigences de cette majorité.
Dans un gouvernement représentatif, la responsabilité n’atteint que le ministre, qui s’écarte des vœux, de la volonté de la majorité.
Permettez-moi de le dire, avec pleine franchise, il a fallu une conviction bien profonde pour que je ne me range pas à l’avis de M. le ministre de l’intérieur. J’ai été en butte, à ce sujet, à des insinuations assez malveillantes ; je n’en ai tenu compte pour ne céder qu’à ma conviction ; et j’avoue que je ne conçois pas comment les universités, qui, elles aussi, agissent avec une conviction que je respecte, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) ont pu nous engager à adopter le projet du gouvernement. Est-ce que nous, habitants de Gand, avons donc tant de sujet d’avoir confiance dans le ministère ? Souvent nous avons élevé la voix pour réclamer les droits qui nous étaient dus ; constamment nous avons été repoussés.
Ne devons-nous pas avoir une grande méfiance dans un projet de loi qui donnerait au gouvernement le droit de composer les jurys universitaires, alors que ce droit peut donner lieu a de si grands abus ?
(Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) La responsabilité ne saurait nous soustraire à l’emploi qu’on pourrait faire contre nous de cette prérogative. Rappelez-vous, messieurs, qu’on l’a invoquée chaque fois qu’on est venu vous demander un accroissement de pouvoir. C’est le cheval de bataille qu’on met en avant en toute occasion. Lorsque vous avez modifié la loi communale, lorsque vous avez organisé l’enseignement primaire, le gouvernement a demandé, dans la première de ces lois, le droit de nommer les bourgmestres hors du conseil, et dans la deuxième le droit de nommer les inspecteurs provinciaux et cantonaux. A ceux qui ont témoigné quelque méfiance, on a répondu que le gouvernement était plus à même d’apprécier les exigences des localités et les capacités des individus, qu’il tiendrait compte, dans ses choix, du dévouement et de la position sociale, que jamais il ne céderait à des considérations politiques.
Eh bien, vous avez tous vu les nominations des bourgmestres et des inspecteurs cantonaux et provinciaux. Qui d’entre vous oserait dire qu’aucune de ces nominations n’a été faite sous l’influence de considérations politiques. Qui oserait dire que tous les inspecteurs cantonaux nommés jusqu’à présent l’ont été par des considérations étrangères à la politique ? J’en connais qui ont été nommés pour des services rendus, non au gouvernement ou à l’Etat, mais à tel ou tel individu à l’influence duquel le gouvernement ne pouvait se soustraire.
Il en serait de même si le gouvernement était investi des pouvoirs qu’il demande par son projet de loi. La responsabilité du gouvernement ne le lie que devait la chambre. Ne serait-ce pas vainement que nous, minorité, nous invoquerions la responsabilité ministérielle devant la majorité, qui aura imposé au gouvernement les choix qu’il aurait faits ?
J’ai fait connaître les motifs qui me portent à refuser mon assentiment au projet de la section centrale. Je vous ai fait connaître mon opinion sur le projet du gouvernement. Il ne me reste plus qu’à développer l’amendement que j’ai déposé sur le bureau. Cet amendement répond à toutes les exigences, il soustrait les jurys d’examen à toutes les influences autres que celle que nous pouvons admettre.
Il ne s’agit plus de l’intervention du gouvernement, non plus que de celles des chambres. Les établissements qui ont un grand intérêt à se faire représenter, les études libres elles-mêmes, ont un représentant.
Le jury est composé de 5 membres. J’admets ce chiffre, parce que je pense que toutes les branches de la science peuvent être divisées en cinq classes. (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) De ces cinq membres, quatre sont nommés par les quatre universités.
Les études privées y seront représentées par des corps assez haut placés dans l’estime du pays, pour que leur impartialité ne puisse être mise en doute. Je sais que les études privées pourraient avoir de plus grandes exigences.
Mais il est impossible de les faire représenter par un corps qui inspire plus de confiance.
D’ailleurs, je suis plus heureux sur ce point que la section centrale et le gouvernement ; car, ni l’un ni l’autre n’ont respecté les droits des études privées.
La cour de cassation connaît toutes les parties de l’examen de droit pour lesquelles l’examinateur doit être nommé.
Elle possède toutes les notions nécessaires, elle sait d’avance quelles sont les connaissances qu’on doit exiger chez l’examinateur.
S’agit-il de la médecine ? J’ai recours à l’académie royale de médecine. Cette académie est composée de toutes les notabilités médicales du pays ; ce sont des hommes qui sont placés en dehors de la sphère politique, ils n’ont aucun intérêt à favoriser un établissement aux dépens d’un autre ; ils donnent la garantie la plus complète aux études privées.
S’agit-il du doctorat en sciences ? le cinquième examinateur sera nomme par l’Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Ce corps représente toutes les sciences. Les membres appartiennent à toutes les localités du pays ; ils pourront apprécier quelles sont les connaissances que devra posséder l’examinateur pour faire partie du jury des sciences.
C’est donc à ces trois corps, la cour de cassation, l’académie royale de médecine et l’académie royale des sciences, que je veux attribuer la nomination du cinquième juré dans chaque section du jury.
Les élèves peuvent compter sur l’impartialité d’un jury. (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Ils se présenteront devant lui avec confiance, certains, d’ailleurs, que leurs droits y seront défendus par un homme qui obtiendra sa part dans leurs succès.
La seconde condition, de la formation d’un bon jury, c’est la représentation des parties de l’enseignement qui font l’objet de l’examen. Ne voulant rien accorder à l’arbitraire, après avoir admis la représentation des établissements par l’homme de leur choix, et la représentation des études privées par l’homme choisi par ces corps indépendants, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) il a fallu remettre au sort le soin d’indiquer pour quelle partie de la science se feront les nominations.
Les différentes parties de l’examen, pour toutes les branches de l’enseignement, peuvent se partager en cinq groupes différents. Cette classification se fera par le gouvernement, d’accord avec des délégués de chaque université ; un arrêté fera connaître cette classification, un tirage au sort fait en présence des délégués des universités indiquera la partie de la science pour laquelle chaque corps sera appelé à faire sa présentation.
Par là, messieurs, vous aurez satisfait aux deux conditions essentielles de la formation d’un bon jury : représentation des établissements et des études privées, et représentation des sciences ; vous aurez écarté tout arbitraire. Formé de cette manière, le jury donne la garantie la plus complète de son indépendance et de son impartialité. Pris dans le corps enseignant, les examinateurs ont suivi les progrès des sciences, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) et représentent en outre toutes les parties de l’enseignement qui fait l’objet de cet examen, celui-ci portera nécessairement sur toutes les conditions de garantie que peut réclamer la société.
Il ne me reste, plus, messieurs, qu’à vous faire connaître la dernière disposition de la proposition qui vous est soumise.
Pour mieux atteindre la rotation dans le personnel du jury, condition reconnue si nécessaire et par le ministère et par la section centrale et vivement réclamée dans l’intérêt de la science, je n’admets pas que la même personne siège deux années consécutives au jury.
Par cette disposition nous atteignons le but que se sont proposé, d’un côté, le gouvernement qui ne croit pas que les chambres aient des notions suffisantes sur les exigences scientifiques de la composition d’un bon jury, et, d’autre part, la section centrale qui suppose au pouvoir, et avec raison, des vues politiques qui pourraient réagir sur les nominations.
Le ministre, d’après elle, harcelé par les partis qui lui demanderont des gages éclatants, ne pourra se maintenir dans la ligne d’impartialité qu’il se sera tracée.
A ces motifs avoués par la section centrale, nous ajouterons que si, ce qui peut se réaliser prochainement, la majorité actuelle devait céder la place à une nouvelle, la cause qu’elle défend aujourd’hui pourrait se trouver exposée à un grand danger. Ce danger nous l’écartons pour toujours. Notre projet plane au-dessus de l’esprit de parti, il n’en subit aucune atteinte. Quelle que soit l’opinion qui domine, les établissements libres n’ont rien à craindre, leur intervention ne sera plus menacée.
A ceux qui ne veulent pas que des changements ministériels ou des fluctuations des majorités puissent compromettre leurs droits, notre projet apparaîtra toujours comme étant le seul qui, soustrayant à tout arbitraire l’une de nos plus précieuses institutions, consacre dans toute son étendue le principe le plus large et le plus impartial.
M. Thyrion. - Messieurs, la liberté de l’enseignement est une des plus belles et des plus précieuses conquêtes de notre révolution.
Elle est belle, parce qu’elle est une cause perpétuelle d’émulation et de progrès.
Elle est précieuse, parce qu’elle garantit au père de famille le libre exercice d’un droit naturel, celui de faire donner à ses enfants l’éducation qui lui convient le mieux, et de les faire élever dans toute la pureté de ses croyances religieuses.
On peut dire, messieurs, que la liberté de l’enseignement est au bonheur des familles, ce que la liberté de la presse est au maintien de nos libertés constitutionnelles.
C’est à ces titres que l’une et l’autre doivent trouver dans cette enceinte de zélés défenseurs, parce que l’une et l’autre contribuent puissamment au bonheur de la nation, but unique de toutes les lois.
Si donc le projet de loi proposé par le gouvernement met en péril la liberté de l’enseignement, il faut le repousser ; il faut le repousser avec énergie, comme il faudrait repousser avec énergie toute mesure qui tendrait à mettre en péril la liberté de la presse.
Mais en est-il ainsi, messieurs ? est-il vrai que la proposition du gouvernement soit menaçante pour cette liberté d’enseignement qui fut notre gloire, et que nous voulons maintenir intacte ? N’est-il pas vrai plutôt qu’elle tend évidemment à la consolider ?
La première et la principale chose que la liberté d’enseignement doit désirer dans le personnel du jury universitaire, c’est l’impartialité.
C’est donc à obtenir cette impartialité que tous nos efforts doivent tendre. Ne l’obtiendra-t-on point en remettant les nominations au gouvernement ?
Qu’il me soit d’abord permis de dire que c’est tout au moins par une déviation des règles gouvernementales que les chambras législatives ont été appelées, momentanément, à participer à la nomination des membres du jury d’examen.
Il faut se demander d’abord si cette déviation a été heureuse.
Non, messieurs, elle ne l’a pas été. Elle ne l’a pas été, parce qu’elle a donne lieu à des choix politiques ; parce que les opinions politiques ont été des causes de nomination et des causes d’exclusion.
Les opinions politiques ont été introduites dans le jury universitaire, la où l’on ne devait introduire que l’impartialité et la science.
Je ne dis pas que les chambres n’y ont pas aussi introduit l’impartialité, mais je dis qu’elles y ont introduit la politique, qui n’est pas toujours la sœur de la première, et que, si jusqu’à présent la deuxième y a accompagné l’autre, elle pourrait bien finir un jour par y demeurer seule, ce qui détruirait complètement cette liberté que nous voulons conserver.
L’honorable rapporteur de la section centrale reconnaît que les choix de la chambre ont été politiques. Je n’ai donc rien hasardé en le disant. J’ai été, sur ce point, de l’avis de la majorité de la section centrale, et on peut, à ce sujet, s’en rapporter à elle.
Mais si la majorité de la section centrale a bien fait de constater ce fait important, n’est-elle pas allée beaucoup trop loin en cherchant, non pas à l’excuser, mais à le justifier.
Voici comment elle s’exprime à la page 6 de son rapport :
« Pourquoi n’en conviendrait-on pas ? vos choix sont des choix politiques, c’est-à-dire qu’ainsi que l’a voulu le législateur de 1835, ils expriment les sentiments, les vœux de la nation, relativement à ses intérêts de l’ordre le plus élevé. »
La section centrale représente donc les majorités parlementaires comme exprimant les sentiments et les vœux de la nation, et elle le fait de manière à autoriser cette conséquence.
Qu’une majorité catholique exprime les vœux et les sentiments de la nation en composant le jury d’examen d’hommes appartenant à sa couleur politique, comme une majorité libérale exprimerait aussi les vœux et les sentiments de la nation en composant le même jury d’hommes politiques de son opinion.
Messieurs, personne ne peut contester sérieusement le principe que les majorités représentent les vœux de la nation. C’est une fiction, il est vrai, mais enfin c’est une fiction nécessaire.
Mais ce que je conteste formellement, c’est l’application abusive, selon moi, que la majorité de la section centrale fait de ce principe.
Je suppose qu’une disposition écrite dans la constitution ne plaise pas à une majorité parlementaire, cette majorité, en se fondant sur le principe qu’elle représente les vœux de la nation, pourra-t-elle donc supprimer cette disposition, ou, ce qui est à peu près la même chose, en paralyser ou en fausser l’exécution ?
Non, messieurs ; quand la nation nous envoie ici, ses premiers sentiments, ses premiers vœux sont que nous maintenions la constitution, comme notre premier acte est de jurer de l’observer.
Il ne peut donc être permis à personne, pas même à une majorité, de supposer à la nation des vœux contraires au pacte fondamental, et j’ajouterai que si ces vœux étaient bien constatés, ils ne donneraient pas encore aux majorités le droit de fausser la constitution ; elles ne pourraient, en pareil cas, que recourir à la mesure autorisée par l’article 131 de la loi constitutionnelle.
La constitution consacrant le principe de la liberté de l’enseignement, je ferai maintenant cette question : La composition du jury universitaire peut-elle avoir une influence sur cette liberté ?
Je pense que personne, dans cette enceinte, ni en dehors, ne répondra non à cette question. Je crois que tout le monde sera d’avis qu’un jury, composé de certaine manière, pourrait porter une très forte atteinte à cette liberté, qui n’a pas été érigée en principe constitutionnel dans l’intérêt d’une seule opinion, mais dans l’intérêt de toute les opinions.
Puisqu’il en est ainsi, messieurs, comment donc expliquer cette pensée de la section centrale, qu’il serait permis aux majorités de faire des choix politiques ?
N’est-il pas évident que si cela leur était permis, il leur serait également permis de porter atteinte à la constitution, puisque, composer le jury dans l’intérêt d’une opinion, ce serait évidemment le composer contre l’intérêt des autres opinions. Ce serait, en un mot, faire servir contre la liberté de l’enseignement une mesure instituée tout exprès pour assurer cette liberté.
Non, messieurs, il n’est pas permis aux majorités parlementaires de faire des choix politiques, parce que ces choix tendent évidemment à faire prédominer un enseignement sur l’autre, et à détruire par le fait une liberté à laquelle le pays attache une grande importance.
Aussi, suis-je disposé à croire que si la section centrale a été amenée à justifier de tels choix, ç’a été parce qu’elle a senti que des choix faits en pareille matière par des corps politiques ne pouvaient jamais être que des choix politiques.
Voilà, messieurs, il ne faut pas le perdre de vue, voilà le défaut de la position. En matière d’instruction surtout, dans notre pays surtout, les choix des corps politiques seront toujours, quoi qu’on fasse et quoi qu’on promette, des choix politiques. Espérer autre chose, ce serait espérer que ces corps manqueraient à ce qui est de leur essence, la domination de leur opinion.
Les chambres nous donneront donc toujours des choix politiques, et, par suite, leur intervention tendra toujours à fausser le principe de la liberté de l’enseignement.
Voilà, messieurs, pourquoi je repousse cette intervention, et pourquoi j’engage les hommes qui veulent sincèrement cette liberté, à la repousser avec moi.
Je n’ai pas besoin de rechercher quelle est aujourd’hui la majorité de cette chambre, mais je dirai que cette majorité pourrait très bien devenir la minorité dans un temps plus ou moins long, plus ou moins rapproché, et qu’elle deviendrait ainsi la victime d’une mesure qu’elle aurait elle-même posée.
Voyons, maintenant, messieurs, si le gouvernement nous présente plus de garanties d’impartialité.
Les gouvernements, dit-on, sont le produit des majorités politiques ; ils ne peuvent vivre que par elles, ils sont placés dans leur domination et, par conséquent, leurs choix ne peuvent être aussi que des choix politiques.
Voilà l’objection.
Je répondrai que si les gouvernements sont le produit des majorités politiques, l’expérience démontre, qu’en Belgique surtout, un ministère ne peut vivre que très peu de temps s’il se fait l’esclave d’une opinion. Il n y a pour lui d’existence durable qu’en marchant entre les deux opinions, et en donnant à chacune d’elles, sinon des gages de sympathie, au moins des gages d’impartialité.
Personne de vous ne croira, messieurs, que les ministères n’aiment pas vivre et nous pouvons d’autant mieux nous reposer sur eux du soin de remplir cette condition nécessaire à leur existence, que son accomplissement sera toujours pour eux un véritable titre de gloire.
Nous avons donc déjà en faveur de l’impartialité du gouvernement l’intérêt du gouvernement lui-même, et c’est beaucoup.
Nous avons ensuite sa responsabilité.
Je sais tout ce qu’on peut dire là-dessus. Je sais que cette responsabilité est aujourd’hui considérée, à tort sans doute, comme un mot sans grande portée. Mais pourquoi ?
Je dirai, messieurs, toute ma pensée. Je crois qu’il y a dans la chambre une trop forte tendance à s’emparer des questions administratives. Je pense que la chambre assume trop, et ne laisse pas assez à l’action gouvernementale. Il n’est pas difficile de concevoir que si les chambres veulent poser tous les actes importants, décider toutes les questions majeures, la responsabilité ministérielle ne portant plus alors que sur des petites choses, deviendra complètement illusoire.
Quoi qu’il en soit, je pense que si la nomination des membres du jury universitaire est abandonnée au gouvernement, la responsabilité ne serait pas pour lui un vain mot s’il venait à se montrer partial dans ses choix. Je crois, au contraire, que le pays, blessé dans l’une de ses libertés les plus chères, ne tarderait pas à régler avec lui.
Nous avons donc, en faveur du gouvernement, son intérêt d’abord, et, en second lieu, sa responsabilité.
Trouverions-nous donc ces garanties dans les chambres législatives, où les choix se font au scrutin secret, et ou, par conséquent, personne n’est responsable, parce que personne n’est connu ?
Mais pourquoi, dit la section centrale, quitter une voie suivie sans inconvénients depuis 8 ans, pour marcher vers l’inconnu ?
Les inconvénients de la voie suivie depuis 8 ans sont suffisamment constatés, et si, jusqu’à présent, ils n’ont point produit de fâcheux résultats, rien ne nous garantit qu’ils n en produiraient pas à l’avenir. Je ne crois pas qu’il soit sage de prolonger indéfiniment une loi dont l’expérience a prouvé les inconvénients sous le prétexte que jusqu’à présent elle n’a produit aucun mal réel. N’est-il pas vrai que le premier devoir du législateur est de prévenir le mal, et qu’il manque à sa vocation s’il attend que le mal existe pour le réparer ?
Mais est-il vrai que confier aujourd’hui au gouvernement la nomination de tous les membres du jury universitaire, ce serait marcher vers l’inconnu ?
Je crois, messieurs, que les faits sont là pour repousser cette assertion.
Les ministères qui se sont succédé depuis huit ans n’ont pas toujours eu le même drapeau, et cependant voyez ce qu’ils ont fait. Ont-ils fait des choix politiques ? Ont-ils cherché à faire prédominer un enseignement sur l’autre ? Ont-ils exclu tel établissement libre et favorisé tel autre ?
Non, messieurs, tous les ministères ont pris à tâche de rétablir l’équilibre que les choix de la chambre tendaient constamment à rompre. Ils ont compris que leur responsabilité serait trop fortement engagée, s’ils ne donnaient pas au pays cette preuve d’impartialité.
Qu’on ne dise donc point que ce serait marcher vers l’inconnu. Les ministères de toutes les couleurs ont fait leurs preuves, la chambre a aussi fait les siennes. D’un côté la politique, de l’autre côté l’impartialité et le respect pour le grand principe de la liberté d’enseignement, voilà le résultat de l’expérience ; et ce n’est point marcher vers l’inconnu. Que de prendre l’expérience pour guide de nos décisions.
C’est donc bien inutilement que la section centrale dit que tout ministère chargé d’exécuter la loi aura des vues politiques qui réagiront sur cette exécution. C’est bien inutilement qu’elle manifeste la crainte que, placé au milieu des partis, soutenus d’ordinaire par des partis, soutenu d’ordinaire par l’un d’eux, qu’il faudra satisfaire, harcelé par l’autre qu’il faudra, désarmer et qui lui demandera des gages éclatant, le ministère ne se maintienne pas toujours dans la ligne d’impartialité qu’il se serait tracée, car c’est trouver des motifs de crainte, dans des circonstances qui doivent être, au contraire, pour nous des motifs de sécurité.
N’est-il pas évident, en effet, que c’est justement parce que les ministères sont placés entre les exigences des partis, et parce qu’ils sont obligés de satisfaire les uns et les autres, ou tout au moins de n’en blesser aucun, qu’ils devront, sous peine de mourir, se maintenir dans cette voie d’impartialité, dont on pourrait craindre qu’ils ne s’écartent ?
Mais pourquoi, et c’est, ici le grand moyen, pourquoi changer le mode de nomination, puisque le gouvernement reconnait, que jusqu’ici, le jury s’est toujours montré impartial ?
Je ne conteste pas l’assertion du gouvernement, mais en vérité, messieurs, la question n’est pas là. La véritable question est celle-ci : Les choix de la chambre ont-ils été faits avec impartialité ?
Voilà la vraie question.
Sans doute que le jury a été impartial ; mais est-ce par un fait de la chambre ? N’est-ce pas, au contraire, par le fait du gouvernement, qui, comme je le disais tantôt, a constamment pris à tâche d’établir l’équilibre ? Cette impartialité que nous réclamons aurait-elle été obtenue, si le gouvernement avait suivi l’exemple qui lui était donné ? Peu importe donc, pour résoudre la grande question qui nous occupe, que le jury ait été impartial jusqu’à présent ; ce qu’il faut voir, ce qu’il faut rechercher, c’est si la chambre n’a pas mis de la politique, c’est-à-dire, de la partialité dans ses choix, et si elle n’a pas ainsi montré une tendance contraire à la conservation du principe de la liberté d’enseignement.
Il est donc évident, messieurs, qu’on ne peut argumenter, en faveur de la chambre, d’une circonstance qu’elle n’a pas favorisée, et qu’il n’a pas dépendu d’elle d’empêcher.
Je bornerai là mes observations.
Messieurs, je ne suis pas un homme politique dans le sens étendu que l’on attache ordinairement à ce mot, et je ne veux pas l’être.
J’apprécie en elles-mêmes, et sans préoccupation de parti, les questions qui nous sont, soumises, et j’entends rester toujours le maître de les décider d’après les faibles lumières de ma raison. Ce que je veux surtout et avant tout, c’est que nos libertés constitutionnelles restent intactes, et qu’elles soient exécutées franchement, loyalement et sans arrière-pensée. Je le veux ainsi, parce que j’ai l’intime conviction que c’est le seul moyen de maintenir et de faire renaître dans le pays cette union si nécessaire à son bonheur et à sa prospérité.
C’est avec ces sentiments que j’ai examiné la question qui nous occupe.
Ne me reconnaissant pas le droit de mettre en question un principe constitutionnel, je ne me suis pas demandé si l’enseignement devait être libre ; je ne me suis pas demandé non plus si les chambres sont des corps politiques ; c’eût été mettre en doute ce qui est de leur essence.
Mais je me suis demandé si, en confiant aux chambres, corps éminemment politiques, une participation dans la nomination des membres du jury universitaire, on ne donnerait pas à ce jury une couleur politique, et si cette couleur originelle ne compromettrait pas le principe de la liberté d’enseignement.
Jetant ensuite un coup d’œil sur les partis en Belgique, il ne m’a pas été difficile de reconnaître que l’instruction publique n’est pas la moindre cause de l’existence de ces partis, qui, se trouvant dans la nation, ne peuvent manquer de se retrouver dans des chambres électives.
L’état des choses ainsi reconnu, il est devenu évident, pour moi, que non seulement les choix des chambres seraient toujours des choix politiques, mais qu’ils seraient toujours des choix politiques au point de vue de la suprématie d’un enseignement sur l’autre, et que, par suite, ils pourraient porter une atteinte très grave à la liberté que nous voulons conserver.
C’est pour éviter cette atteinte, c’est parce que je veux une exécution large et impartiale du principe constitutionnel, c’est parce que je ne puis espérer d’obtenir cette exécution d’hommes politiques chez lesquels la matière de l’enseignement est un sujet de profondes divisions, que, placé entre deux projets, dont l’un consacre l’intervention des chambres et dont l’autre attribue toutes les nominations au gouvernement, je me suis déterminé à donner à ce dernier l’appui de mon vote.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens vous parler au nom de la science et de la liberté, c’est vous dire assez que je ne puis appuyer le projet présenté par le gouvernement, qui doit à mon avis, s’il était adopté, porter une atteinte funeste à l’une et à l’autre.
Toute science exclut le monopole, le monopole y est absolument opposé ; or, le projet du gouvernement n’a qu’un but, n’aura qu’un résultat, c’est d’établir au sommet de l’échelle de l’instruction le monopole entre les mains, du gouvernement, dès lors le projet est directement contraire au progrès des sciences.
Le jury, tel que nous l’avons organisé, empêche la science d’être stationnaire ; par les nominations successives, faites en dehors des corps universitaires, il force les universités elles-mêmes à se tenir au niveau du progrès que les sciences causent dans les autres pays.
Mais si le projet du gouvernement est adopté, lorsque le jury sera pris exclusivement dans les universités, alors vous verrez nécessairement la science rester stationnaire, vous verrez de toute nécessité les mêmes abus qui existaient dans le passé, se produire de nouveau.
Je conteste complètement ces assertions, et je puis établir le contraire d’une manière victorieuse, car un fait notoire, c’est qu’à aucun époque, les études n’ont été plus fortes, plus avancées en Belgique qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est un fait que tous ceux d’entre vous qui ont fait leurs études dans les anciennes universités peuvent affirmer mieux que moi ; mais je dois le dire, je n’ai pas vu une seule personne qui ait fait ses études sous le gouvernement précédent, et qui ne se soit empressé de reconnaître que le régime actuel a été infiniment favorable aux études, et a aidé puissamment au développement des sciences.
Ainsi, il faut bien le reconnaître, et c’est le régime actuel qui a amené cet immense développement de la science ; c’est grâce à lui, que des hommes qui avaient passé leurs examens dans les pays voisins, en France, et en Allemagne même, n’ont pu qu’à grand’peine subir la même épreuve devant le jury belge, que plusieurs docteurs étrangers n’ont pu être admis en Belgique. Tant il est vrai que l’organisation actuelle des études a pris un tel développement, un tel ascendant en Belgique, qu’elles sont devenues plus fortes que dans aucun des pays qui nous avoisinent : fait bien honorable pour la Belgique qui prouve ce que peut la liberté, ct qui est attesté par quelques-uns des principaux écrivains de la France et de l’Allemagne.
Je ne puis cependant méconnaître qu’il nous reste encore beaucoup à faire, et, à mes yeux, s’il est vrai, que le régime actuel a contribué puissamment. Au développement des sciences, je dois dire qu’on a eu le tort grave de multiplier outre mesures les matières d’examen. Voulez-vous faire progresser de plus en plus les sciences en Belgique ? Simplifiez les matières d’examen. Ce n’est pas en formant 20 ans des têtes encyclopédiques qu’on travaillera au développement des sciences ; mais réduisez, divisez, coordonnez mieux les matières d’examen, et vous aurez des hommes forts dans chaque partie de la science.
Oui, messieurs, la multiplicité des matières d’examen est le reproche que j’adresse au système actuel. Il n’est plus un élève qui, s’il était admis à. votre barre, ne vînt vous dire que les admissions seraient impossibles si le jury voulait être rigoureux sur toutes les branches de l’examen. Je vais plus loin, je dis que si les élèves avaient à examiner leurs examinateurs, pas un de ceux-ci ne pourrait répondre sur toutes les matières d’examen. (On rit.)
Voilà, donc où est le vice réel, le vice unique du système qui nous régit ; ce vice résulte dans la multiplicité des matières d’examen, et ce n’est que lorsqu’on aura porté un remède à un aussi grand mal que vous obtiendrez plus de force encore dans les études ; alors vous aurez des spécialités d’autant plus éminentes, que les élèves n’auront plus à s’occuper de matières qui leur sont complètement inutiles et que vous pourrez être d’autant plus exigeant dans les sciences auxquelles ils se destinent.
On me dira que par là les cours de tel ou tel professeur seront négligés ; mais que nous importe à nous cette considération ? ce n’est pas l’intérêt du professeur, mais l’intérêt de la science que nous avons à examiner.
Ainsi donc, c’est dans la simplification des matières d’examen qu’on doit trouver le remède au régime actuel. Je dis que les études ont fait en Belgique, par la liberté, des progrès plus grands que dans aucun des pays qui nous avoisinent ; mais j’ajoute qu’en simplifiant les matières d’examen, et en maintenant en même temps le mode de nomination du jury, nos fortifierons puissamment les études.
Voilà ce que nous devons faire dans l’intérêt des sciences ; si nous ne réalisons pas cette amélioration, nous compromettrons chaque jour davantage le sort des études.
Loin de moi la pensée que par le système que j’indique, je veuille me borner à créer des hommes purement pratiques ou, comme on l’a dit, des praticiens, Je repousse une telle pensée, et je me hâte de le répéter, crainte d’une interprétation fâcheuse ; je ne veux pas des hommes pratiques, mais je veux des spécialités savantes ; je veux des hommes d’autant plus forts qu’ils n’auront à répondre qu’aux branches qui leur sont nécessaires. Que sert par exemple, l’avocat, d’être interrogé sur les hautes mathématiques, sur la statistique, sur le grec même ? Que sert au médecin, d’être interrogé sur une foule de sciences qui lui seront désormais étrangères ? Exigez du médecin et de l’avocat qu’ils approfondissent davantage les sciences auxquelles se rapporte plus particulièrement la carrière qu’ils ont embrassée, vous rendrez service à la science et à la société.
Je sais qu’il n’est pas impossible d’acquérir des connaissances dans plusieurs branches de la science et d’y arriver à un degré quelque peu éminent, mais j’ai la conviction profonde que, pour arriver à ce résultat, il faut s’abstraire ; qu’il faut commencer par posséder parfaitement une science avant d’en aborder une seconde ; je dis qu’il faut s’abstraire beaucoup pour posséder une science. Or, cela est-il possible pour des jeunes gens qui, quand ils se livrent à l’étude d’une science, doivent en étudier beaucoup d’autres. Etrange contradiction ! Vous prêchez la division du travail manuel et vous voulez la multiplicité du travail de l’intelligence.
Si l’utilité de la division est vraie, quant au travail matériel, l’est-elle moins quant au travail intellectuel ? On a reproché au jury la permanence, et on présente comme une chose dangereuse que l’inconnu n’existait pas.
Je vais rencontrer ces deux observations Quant à ce qui est de l’inconnu, dans l’état actuel de nos matières, l’inconnu, dans son sens le plus absolu, serait une chose fâcheuse, pernicieuse même ; un élève qui devrait se présenter à un examen ne saurait de quel côté tourner la tête, il lui serait impossible d’arriver à des grades.
Sans doute il ne faut pas que les élèves puissent arriver aux examens en consultant les cahiers des professeurs, par là il n’y aurait pas d’inconnu, ce serait une véritable calamité, et l’on ne pourrait espérer aucun progrès dans les sciences ; mais vouloir arriver à l’inconnu d’une manière rigoureuse, ce serait, avec la multitude des matières d’examen, un danger plus grand encore. Quant à la permanence, je ne suis pas de ceux qui croient que ce soit un si grand mal. Ainsi que l’a dit hier mon honorable ami le vicomte Vilain XIIII, la permanence des examinateurs existe dans tous les pays qui nous avoisinent, sans qu’on en ait vu d’inconvénients et, chez nous, elle existe pour l’école militaire et pour l’école des mines. Ne sont-ce pas aussi des examinateurs permanents qui sont attachés aux conservatoires de musique ? Où a-t-on trouvé que ce soit un si grand mal ? S’il y avait à opter entre la permanence et la non-permanence des jurys, je me prononcerais pour la permanence ; car il faut qu’il y ait des traditions dans les examens.
Le jury du lendemain ne doit pas faire le contraire du jury de la veille, les jugements du jury doivent pouvoir être comparatifs, ce qui ne peut avoir lieu sans un élément de permanence qui transmette les traditions.
Nous avons, dans le projet de la section centrale, cherché à concilier les nécessites de la permanence et du roulement. Sous ce rapport, le projet de la section centrale est inattaquable. Le jury, tel qu’il est constitué en Belgique, est un corps régulateur de l’enseignement ; placé au-dessus de toutes les universités,, il fait voir le progrès de l’enseignement en Belgique. En serait-il de même si le gouvernement en avait la nomination ? Non, messieurs, si le système qu’il propose était admis, il aurait pour résultat la perte des études en Belgique.
On trouvera, peut-être cela paradoxal, mais j’en appellerai aux précédents, et je pourrai démontrer que le gouvernement a désorganisé toutes les branches d’instruction sur lesquelles il a porté la main.
Messieurs, il y a quelques années, un jury fut formé, dans l’intérêt des études humanitaires. Ce fut l’honorable M. Rogier qui donna l’exemple de ce jury. Sans examiner la question constitutionnelle, je dirai que les bases primitivement adoptées devaient avoir pour résultat de stimuler considérablement le développement des études humanitaires et de les améliorer. L’honorable M. Rogier avait pris pour bases de son concours les matières les plus élevées de l’enseignement ; en second lieu il n’avait exigé qu’un examen écrit.
Enfin, il, avait fixé l’époque des examens à la fin des cours humanitaires. Eh bien, ces trois bases, qui étaient les seules sur lesquelles le développement des études et la justice du concours pouvaient reposer ont été successivement renversées. Le gouvernement a fait des règlements pour favoriser tel établissement au préjudice de tel autre. Je m’explique.
En 1841, quel fut le premier acte du gouvernement ? Ce fut de proscrire de l’examen humanitaire les mathématiques supérieures, c’est-à-dire, la géométrie analytique. Un seul établissement en Belgique avait brillé au concours d’une manière tellement remarquable, que l’honorable. M. Rogier avait cru devoir attacher lui-même en public le signe de l’honneur sur la poitrine du professeur éminent qui avait conquis de si beaux lauriers.
Un seul établissement avait répondu aux vues du gouvernement et aux besoins de la science ; dans cet état de choses ; il y avait deux choses à faire : ou bien, exciter l’émulation des autres établissements pour les pousser au niveau de celui qui venait de remporter de si magnifiques succès, ou bien abaisser les études au niveau de la médiocrité. Le croirait-on ? c’est à ce dernier système que M. le ministre a donné la préférence. Il a commencé par retrancher du concours les mathématiques supérieures ; par conséquent, il a abaissé les études, lui qui veut se donner comme le protecteur des hautes études. Ce n’est pas tout ; au lieu de fixer le concours après les études humanitaires, on l’a fixé au 19 juillet et, de proche en proche, au mois de juin, quand il restait encore deux mois d’études humanitaires. En 1842 c’est plus encore, on organise le tirage au sort des classes qui devront concourir ; la rhétorique est le résumé de toutes les études humanitaires ; par la rhétorique vous pouvez juger les établissements. C’est ce qu’avait compris le prédécesseur de M. le ministre. Que fait-il ? Il institue un tirage au sort, de manière à donner le grand prix du pays à des élèves de septième, à poser la couronne sur de jeunes têtes dans lesquelles il n’est pas nécessaire de jeter des idées d’ambition, tandis que cela sied très bien à un élève qui a fini ses études. Car il est convenable qu’une noble ambition fermente dans son cœur.
On tire donc au sort les classes qui doivent concourir ; mais en retranchant la rhétorique, on va même plus loin, on retranche les équations du 2ème degré et la géométrie des trois dimensions. Voilà donc comment on procède, en abaissant les études élevées au niveau des parties les plus infimes de l’enseignement secondaire. Au lieu de pousser les études dans les hautes régions, on les abaisse dans les régions infimes. Et vous viendrez dire ensuite que le gouvernement est le promoteur de la science, qu’il faut lui confier le sort de notre avenir scientifique. Les faits que je viens d’exposer sont en opposition avec cette prétention,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je répondrai.
M. Dumortier. - J’aurai beaucoup de plaisir à entendre voire réponse.
Mais le ministre ne s’arrête pas en si beau chemin. A quelle époque indique-t-il les programmes du concours ? Veuillez-le remarquer, il le fait paraître le 12 mai et par le même contexte il fixe le concours au 27 juin, de sorte qu’on donne sept semaines aux élèves pour se préparer sur des matières qui ne sont enseignées dans presque aucun athénée. Vous croyez peut-être que le concours va porter sur les matières qu’il faut connaître pour entrer à l’école militaire, soit pour passer les examens de sciences et lettres, soit pour entrer à l’école du génie civil ou à l’école des mines ? Pas du tout ; on demande, quoi ? on demande de faire un thème grec ! Mais les thèmes grecs ne s’enseignent dans presque aucun athénée ou collège, non seulement de Belgique, mais d’aucun pays de l’Europe. Voilà comment on arrange les choses.
La véritable science, la haute littérature latine et française se trouvent bannies, pour être remplacées par un thème grec, et on ne donne que six semaines aux élèves pour se préparer sur une pareille matière ; la mesure était d’autant plus insolite que, si dans tous les établissements l’on enseigne les versions grecques, non seulement on n’y enseigne pas le thème, mais que même nulle part on n’y trouve de dictionnaire français-grec. Et c’est le sort, le funeste sort qui vient designer de pareils concours ; mais le sort s’est fait en partie lié ; nous savons comment il s’est fait.
Quant aux mathématiques des branches supérieures, on admet encore la trigonométrie, mais on dit qu’on n’admettra plus à concourir que les élèves qui suivent en même temps la rhétorique.
Pourquoi en agissait-on ainsi, parce qu’on savait que dans l’établissement qui avait remporté de si belles couronnes la trigonométrie s’enseignait, non en rhétorique, mais en seconde et qu’on voulait en éliminer les élèves. Le ministre ne l’ignorait pas ; car il avait fait demander deux mois avant le programme des cours de l’établissement. Voila pour l’impartialité. J’ai fait tout à l’heure la part de la science ; on vient de voir celle de l’impartialité.
On a voulu écarter du concours un établissement qu’un ministre de la guerre avait présenté comme modèle aux autres, un établissement qui deux fois avait obtenu les plus brillants succès. Après avoir, deux mois avant, on fait chercher le programme de l’établissement, on a mis d’abord à l’écart du concours les hautes mathématiques ; puis, comme on savait que la trigonométrie s’y enseignait en seconde, on a dit que, pour concourir sur cette matière, il faudrait être en rhétorique. De cette manière, le gouvernement a éliminé des établissements qui avaient été présentés pour modèle aux autres.
Si on voulait le progrès des sciences, on ne donnerait pas six semaines pour étudier des matières inconnues et dix jours pour repasser des mathématiques. Vous jugez ce que peut avoir amené un pareil système. Ou est arrivé à ses fins, à ce qu’on voulait faire. Ce n’est pas tout, déjà l’honorable M. Devaux vous a entretenus de ces sujets de composition éminemment ridicules, et, en quelque sorte, apocalyptiques, de ces textes grecs et français remplis de fautes ; il vous a montré ce sujet de thème où l’on représentait Crésus comme membre du conseil d’Etat de Cirus. Est-ce là favoriser l’enseignement ? Est-ce là vouloir le progrès des sciences comme on le proclame ? Que voulez-vous donc attendre du gouvernement, si vous lui confiez à l’avenir l’enseignement quand vous avez devant vous des faits aussi criants d’obscurantisme et de scandaleuse partialité.
Je viens de vous expliquer la marche du gouvernement dans les opérations du jury relatif à l’enseignement humanitaire. Voyons maintenant si le jury, en lui-même, nommé par le pouvoir, nous offre les garanties d’impartialité que nous sommes en droit d’en attendre. Voyons si, dans ses opérations, il ne mérite pas le reproche de partialité, ou du moins de faiblesse ? Voyons si la partialité n’est pas souvent en jeu, sinon pour le jury, au moins pour le ministre de l’intérieur.
En 1841, après que ce jury fut dissous, que ses opérations furent complètement terminées, son procès-verbal clos, qu’il fut functus officio, M. le ministre de l'intérieur se ravise tout à coup et, foulant aux pieds les règles du concours qu’il avait institué, il se constitue jury et, à son tour, donne les prix les plus importants. En l’absence du jury, qui avait terminé toutes ses opérations, il constitue dans son cabinet un concours supérieur, en opposition directe avec le programme qui avait été publié précédemment ; car le programme de 1841 portait qu’un prix serait décerné pour chaque branche d’instruction différente et établissait ainsi la dissolution du concours.
A la fin du programme, je lis un extrait d’un arrêté portant qu’un prix spécial sera décerné à chacune des trois branches qui seront jugées séparément. Le programme établissait donc la disjonction ; le jury avait jugé en conséquence. Les élèves qui croyaient et qui étaient autorisés à croire à la disjonction avaient concouru sur des branches spéciales. Que fait M. le ministre de l’intérieur ? Il forme un nouveau programme, qui a pour résultat de donner le prix d’excellence à des établissements qui n’avaient pas même de prix dans le premier concours. Quelle garantie après cela aurions-nous, si nous remettions entre les mains du gouvernement le sort, l’avenir de la jeunesse, en Belgique ? l’impartialité des examens !
Mais le ministre ne s’arrête pas là ; il institue un examen oral qui doit contrebalancer les effets de l’examen écrit. Que fait-il à cet égard ? Il catégorise les élèves non par le sort, mais à la main ; on divise les élèves par séries, de manière à pouvoir favoriser ceux qu’il désire ; vous concevez combien la partialité peut jouer un grand rôle, lorsque les établissements sont placés dans des catégories différentes ; car on peut ne poser les mêmes questions aux diverses séries ; l’on sera interrogé d’une manière plus facile dans une série et plus difficile dans une autre. Dès lors il n’y a plus de garantie d’impartialité. Cette garantie que l’honorable M. Rogier a voulu donner à l’enseignement humanitaire n’existe plus, et pour comble d’iniquité, on compte pour 800 points le travail écrit, pour lequel les élèves sont tenus en loge pendant 8 heures, et pour l’examen oral, qui prête à tous les inconvénients possibles, qui n’est, comme l’a fort bien dit un honorable préopinant, qu’une prime offerte à l’assurance, on compte 1,200 points ! Ainsi, on anéantit la base du système, pour livrer à l’arbitraire le système tout entier.
Voilà, messieurs, des faits qui me paraissent extrêmement significatifs. Aussi de Gand, de Tournai, de toutes parts, il est arrivé des protestations contre ce système de désorganisation et de partialité. Ces établissements ont protesté, et avec raison ; s’ils n’ont pas publié leurs protestations, c’était pour donner au ministre de l’intérieur le moyen de revenir sur sa décision, il n’en est pas revenu ; il a persisté dans son système, qui consiste non pas à décerner les palmes, mais à les donner à sa fantaisie.
Voilà quelle a été la marche du gouvernement, depuis trois ans, dans l’enseignement humanitaire. Voilà ce que les jurys des établissements secondaires et des collèges ont vu faire et ce qui prouve combien les jurys nommés par le gouvernement offrent peu d’impartialité ; ils ont déploré ces misérables roueries et n’ont pas eu la force de protester contre de tels actes.
En résumé, dans le système de l’action unique du gouvernement, que trouvons-nous ? Abaissement des études par la suppression des branches les plus essentielles ; bouleversement continuel des matières de concours et ainsi de l’enseignement ; désorganisation des études en publiant en avril et mai des programmes qui introduisent des matières nouvelles, et nécessitent l’abandon de toutes les branches les plus essentielles de l’enseignement ; désorganisation des études, par le choix de l’époque des concours, en suspendant les études, deux mois avant la fin de l’année scolaire ; désorganisation par le choix ridicule des questions, et par les fautes plus ridicules encore ; d’un autre côté, découragement parmi les professeurs qui trouvent, au lieu de la justice, la plus révoltante partialité, qui au lieu de la palme à laquelle ils ont droit, viennent recevoir un affront du ministre, le, succès ou le revers, l’humiliation, au lieu de la gloire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est faux.
M. Dumortier. - C’est vrai.
Justifiez votre système, si vous pouvez, et par-dessus cela, justifiez la violation des règles du concours,, la substitution de l’examen oral à l’examen écrit, la distribution des grands prix en l’absence du jury !
Messieurs, si nous en jugeons par les précédents, nous devons nous faire une idée de ce que nous avons à attendre de l’action du gouvernement, quand nous aurons fait de lui l’arbitre suprême de l’enseignement supérieur.
Voulez-vous encore un exemple de l’action du gouvernement ? Je le puiserai dans le concours universitaire. Le gouvernement, non content d’avoir, par son système de concours, bouleversé, l’enseignement humanitaire, a voulu ensuite établir le concours universitaire.
Remarque, messieurs, que le système établi par M. le ministre de l’intérieur pour le concours universitaire est précisément le même qu’il veut introduire pour les examens. (Dénégations de la part de M. le ministre de l’intérieur.) C’est le même sans aucune différence.
Dans ces jurys, le gouvernement a réduit le nombre des examinateurs de 7 à 5. C’est contraire à l’intérêt de la science ; car 7 membres ne sont pas de trop pour représenter les diverses branches de la science. Dans ce jury, comme dans le projet de loi, vous mettez un membre de chaque université…
M. le président. - J’engage l’honorable membre à parler, soit à la chambre, soit au président.
M. Dumortier. - Je parle à qui de droit.
M. le président. - Le règlement, qui est au-dessus de votre volonté et de la mienne, prescrit à l’orateur de s’adresser à la chambre ou au président.
M. Dumortier. - Eh bien, je parlerai au président !
Qu’a donc été, entre les mains du gouvernement, ce jury de concours universitaire dont on a tant parle ? A-t-il servi à faire marcher les études ? a-t-il été favorable au développement des sciences, et des lettres ? Entre les mains du gouvernement, le jury du concours universitaire a été réduit à n’être rien pour les études, à n’être qu’un concours entre les professeurs.
Plusieurs membres. - Cela est vrai.
M. Dumortier. - C’est une vérité que chacun sait aussi bien que moi. Je l’ai entendu dire à plusieurs professeurs des universités libres et de l’Etat. J’ai entendu dire à des professeurs : « C’est mon élève qui remportera le prix ; c’est moi qui ferai son mémoire. » Ce jury n’a donc été qu’un germe de discorde et de zizanie entre les établissements d’instruction publique ; il n’a amené aucun avantage ; il a empêche les élèves de se livrer à la carrière à laquelle ils se destinaient, en les conviant à des travaux où ils étaient puissamment aidés par leurs professeurs.
Ce n’est pas tout. Qu’est-il arrivé dans le concours universitaire ? Vous le savez comme moi, messieurs, c’est qu’on a cherché à faire prévaloir un enseignement sur un autre. C’est un grief immense qui plane sur le gouvernement, et que je ne veux pas faire revivre dans la loi sur la collation des grades universitaires. Si le jury est institué pour faire prévaloir un enseignement sur un autre, c’est une véritable calamité pour le pays et nous ne pouvons nous prêter à ce qu’un tel système soit étendu à tous les élèves. Oui, le jury a cherché à faire prévaloir un enseignement sur un autre ; car, vous le savez comme moi, messieurs, il est tel mémoire couronné qu’on n’a osé faire imprimer, qu’après l’avoir fait corriger. Or, quand on est obligé de faire corriger ce qu’on a couronné, cela ne dénote-t-il pas une partialité, une injustice révoltante ! Un tel système, je le répète, n’a qu’un but, c’est de faire prévaloir un enseignement sur un autre, et, par conséquent, de s’opposer au progrès des sciences, de détruire tout germe, toute apparence d’impartialité.
Voilà, messieurs, ce qui arriverait au pays si nous admettions le système du gouvernement, système qui pèche en ce que les choix sont faits presque exclusivement dans les universités, choix qui manquent de garantie, et en ce que les tierces-personnes étrangères à ces universités n’y sont pas en assez grand nombre et ne peuvent pas s’interposer dans ces querelles des établissements entre eux.
En effet, si l’on pouvait compter sur un jury exclusivement de personnes étrangères aux universités, vous auriez là une puissante garantie pour le développement de la science et un gage d’impartialité, parce que ces personnes n’auraient pas un intérêt personnel, direct à faire valoir, en ce qu’ils ne seraient pas préoccupés de faire venir les élèves à leurs leçons.
Mais lorsque, dans un jury, ce sont les professeurs qui prédominent, lorsqu’on voit le gouvernement lui- même donner les mains la prédominance d’un enseignement sur un autre, je le demande, où y a-t-il une garantie pour la science et la liberté ?
Messieurs, la liberté d’enseignement est celle qui est la plus chère à tous les Belges. L’honorable préopinant a dit, avec infiniment de raison, que la liberté d’enseignement était la plus belle de toutes, que cette liberté était au père de famille ce qu’est la liberté de la presse à la société tout entière. Nous ne pouvons donc consentir à sacrifier cette liberté aux exigences du gouvernement.
Je dis qu’adopter le projet du gouvernement, c’est tuer la liberté d’enseignement, car le jury universitaire, c’est la clé de voûte de l’édifice élevé à cette liberté ; mettre cette clé de voûte entre les mains du gouvernement, c’est lui donner la faculté de détruire à son gré l’édifice tout entier.
Donnez au gouvernement le choix du jury, ce ne sera pas un jury ; ce sera une commission gouvernementale ; on ne sera jugé et condamné non par des juges, mais par des commissaires. Que diriez-vous si le gouvernement venait vous demander de lui confier la formation du jury de la presse ; je dis qu’il n’y aurait pas assez de rires en Belgique pour accueillir une telle proposition.
Messieurs, voilà 8 ans que le jury d’instruction existe, et c’est une chose digne de remarque, depuis huit ans aucun reproche de partialité ne lui a été adressé. Je conviens qu’une université n’a pas été suffisamment représentée, et à mon grand regret. Je l’ai déploré, et je ne me suis pas toujours associé au vote de la majorité.
Mais l’établissement qui n’était pas assez représenté a toujours trouve le jury impartial, je dirai même indulgent. Prenez tous les chiffres de la statistique ; ils prouveront hautement la vérité de ce que je viens de dire. Il sera établi par des faits que le nombre des élèves rejetés de cette université est moins grand que celui de toutes les autres.
Si l’établissement au nom duquel on se plaint est celui qui a été le plus favorisé par le jury, c’est bien la meilleure preuve d’impartialité.
Ainsi donc, messieurs, il est démontré qu’aucun reproche de partialité ne peut être adressé jusqu’aujourd’hui au jury ; et, remarquez-le bien, les examens sont publics ; la presse était là pour signaler les abus, s il y en avait eu, et elle n’aurait pas manque de le faire, et les élèves eux-mêmes se seraient empressés de réclamer contre les décisions du jury, et ces réclamations, nous sommes encore à les attendre.
On veut, messieurs, transformer les choses ; on veut mettre le jury entre les mains du gouvernement. Je dis que le jury entre les mains du gouvernement ne présentera pas assez d’indépendance, qu’il n’offrira aucune garantie d’impartialité.
Que deviendra le jury entre les mains du pouvoir ? Il deviendra d’abord un moyen pour frapper les élèves qui montreront trop d’indépendance, qui ne lui seront pas assez asservis. Voulez-vous des précédents ? Rappelez-vous ce qui s’est passé sous le gouvernement des Pays-Bas ; alors on a vu un homme dont le talent brille aujourd’hui au barreau de la capitale, rejeté pour le fait de ses opinions pour les doctrines politiques. C’est qu’alors les universités étaient sous la férule du gouvernement ; pareille chose ne pourrait plus arriver aujourd’hui, à moins qu’on ne donne au pouvoir la nomination du jury.
D’un autre côte, messieurs, dans le système du gouvernement, que devient la liberté d’enseignement ? Que deviennent les études privées ? Ouvrez encore la statistique des élèves qui se sont présentés devant le jury d’examen ; vous verrez qu’environ un cinquième de ces élèves ont fait des études privées. Or, dans le système du gouvernement, ces études ne sont plus représentées, et dès lors il y a monopole au profit des établissements d’instruction publique.
Messieurs, la liberté d’enseignement ne signifie pas seulement qu’il est loisible à chacun d’ouvrir une université, elle signifie avant tout qu’il y a liberté pour le père de famille, qu’il peut faire étudier son fils comme il l’entend ; qu’il peut l’envoyer à telle université qui lui convient, qu’il peut l’envoyer à l’étranger, l’instruire par des maîtres particuliers, lui faire donner en un mot, telle instruction qu’il désire. Voilà la véritable base de la liberté d’instruction, telle qu’elle est écrite dans notre pacte fondamental.
Eh bien, par le système que présente le gouvernement, par le système des commissions, le gouvernement nomme, pour examiner les élèves, des commissions prises exclusivement dans les universités. Je dis que de cette manière les études privées, que la partie la plus respectable de l’instruction supérieure, sont mises à néant, qu’elles sont frappées de mort.
D’un autre côté, on ne peut méconnaître que le gouvernement agira toujours dans l’intérêt de ses propres établissements. Le gouvernement a une affection particulière pour les universités de l’Etat ; et cela se conçoit : ce sont ses administrateurs qui dirigent les universités ; les professeurs sont nommés par lui ; les faveurs c’est lui qui les accorde ; les traitements, c’est lui qui les paie. Dès lors, il est assez naturel que les professeurs soient à son bon vouloir ; et il va de soi que, dans un pareil état de choses, un ministre puisse faire prévaloir ses établissements.
Le gouvernement agira donc beaucoup trop en faveur des universités de l’Etat. En voulez-vous une preuve ? rappelez-vous ce qui s’est fait en d’autres matières, et vous verrez ce qu’il y a à attendre pour les établissements libres, si vous accordez au gouvernement les pouvoirs qu’il demande.
Il existe en Belgique un jury différent de ceux que je viens de nommer, c’est un jury pour l’art vétérinaire. Il y a quelques années, il y avait deux écoles vétérinaires, l’une à Bruxelles, l’autre à Liége. Pour conférer les grades, pour donner le droit d’exercer l’art vétérinaire, le gouvernement a nommé, sans loi et en violation de la constitution, un jury d’examen. Et comment a-t-il formé ce jury ? ici, messieurs, j’appelle toute votre attention, cet exemple du passé va encore vous éclairer sur l’avenir. Le gouvernement a presque toujours nommé les examinateurs exclusivement dans les professeurs de l’école qui lui appartenait ; et c’est à peine si quelquefois un élève de l’école de Liége a pu être admis devant ce jury. Aussi, qu’est-il arrivé ? C’est que l’école de Liége est bientôt tombée, parce que le gouvernement voulait le monopole, et qu’il y est parvenu.
Voilà, messieurs, ce que nous devons attendre du gouvernement en matière de jury ; c’est de le voir faire tomber les écoles libres, en faveur de ses propres écoles.
On invoque, messieurs, la responsabilité des actes du gouvernement. Mais cette responsabilité, il faut la réduire à ce qu’elle est. Messieurs, la responsabilité ministérielle est écrite dans notre loi fondamentale, mais jusqu’ici nous n’avons vu dans cet article qu’une lettre morte ; et en réalité la responsabilité, n’étant pas organisée par la loi, est une véritable chimère. Je sais qu’on me dira que les chambres sont investies de tout pouvoir jusqu’à ce que cette loi soit votée. Mais c’est précisément parce que les chambres sont investies de tout pouvoir, c’est parce que les cas de responsabilité ne sont pas déterminés, c’est parce que nous n’avons pas, comme en Suède, une loi qui punisse d’amende les ministres qui s’écartent de la légalité, que la responsabilité est une véritable chimère. C’est, passez-moi l’expression, un pont-aux-ânes parlementaire, c’est un moyen de faire passer beaucoup de choses et de jeter de la poudrer aux yeux des simples.
La responsabilité ministérielle chez nous n’est qu’un vain mot. En voulez-vous des preuves ? Prenez les faits que je viens de vous signaler. Vous avez vu les actes du gouvernement dans la formation du jury vétérinaire, actes qui ont eu pour effet de faire tomber une école. A-t-on adressé des reproches au gouvernement ? L’a-t-on mis en accusation ? Vous avez vu ses actes dans l’enseignement secondaire, actes qui ont eu pour résultat de désorganiser les études, d’anéantir l’étude des hautes sciences en Belgique. Car le gouvernement, en supprimant les examens sur ces hautes études, a engagé par là les établissements d’instruction à ne plus s’en occuper. Avez-vous mis pour cela le ministère en accusation ? Il en sera de même lorsque vous aurez autorisé le gouvernement à composer le jury universitaire comme il l’entendra.
Je dis que la responsabilité ministérielle, invoquée en présence de pareils faits, invoquée en présence d’une pareille loi, n’est autre chose qu’une chimère. Il ne faut pas s’y méprendre ; lorsque le gouvernement voudra faire tomber un établissement, s’il est armé d’un pareil droit, il aura bientôt fait, il s’y prendra comme pour l’école vétérinaire de Liége.
Messieurs, en 1835, lorsque nous fûmes appelés à nous prononcer sur la loi qui nous régit, on représentait la chambre comme incapable de former un jury, comme incapable de faire de bons choix. Et cependant, qu’est-il arrivé ? C’est que tous les bons choix, c’est que toutes les sommités qui ont figuré dans le jury, à l’exception de quelques-uns peut-être, sont partis de l’initiative des chambres. Tous les hommes haut placés dans la science, soit dans la carrière universitaire, soit en dehors de la carrière universitaire, tous les hommes éminents qui se sont fait connaître par des écrits, qui se sont fait un nom non seulement en Belgique, mais encore à l’étranger, doivent leur nomination dans le jury à l’initiative des chambres. Je ne citerai pas des noms, parce que je n’aime pas à nommer les personnes, mais je puis vous prouver à l’évidence que tous les grands noms qui sont entrés dans le jury sont dus à l’initiative parlementaire.
Et pourquoi en a-t-il été ainsi ? C’est que dans les chambres, une médiocrité ne pourrait l’emporter ; c’est qu’il faut qu’un homme soit connu du pays tout entier, pour obtenir les votes des députés de la nation. Les chambres doivent choisir les sommités de la science parce que nous devons atteindre, par la grandeur du jury, l’élévation des études.
Dans le système qui nous régit aujourd’hui, messieurs, ce que j’ai toujours trouvé de plus important, c’est le gage d’impartialité. J’irai même plus loin, je dirai que l’impartialité est la première de toutes les garanties, non seulement pour les élèves, mais encore pour la science ; car à quoi sert la science, si vous avez un jury partial qui écarte les personnes qui la possèdent ?
L’impartialité est donc la première chose à obtenir. Or, il est incontestable que le jury actuel n’a pu être accusé de partialité ; les membres qui soutiennent le projet du gouvernement ont été d’accord pour dire qu’on ne pouvait taxer de partialité les décisions du jury.
Pour arriver à l’impartialité, que faut-il faire ? Là est sans doute la difficulté de la situation. Eh bien, à mes yeux, il n’est aucun gage d’impartialité qui puisse être comparable à celui de la triple intervention actuelle par les trois branches du pouvoir législatif. C’est cette triple intervention qui assure l’impartialité du jury, parce que, par son moyen, il est impossible que la formation du jury soit le résultat d’un fait de colère. Il est impossible que la chambre, le sénat et le gouvernement s’entendent entre eux pour composer un jury partial ou violent ; s’il pouvait en être ainsi, il faudrait désespérer de l’avenir des études, de l’avenir de la patrie.
Mais voyons comment les choses se passent. Les trois pouvoirs font leurs nominations à distance ; dès lors, si la chambre s’est montrée dans ses choix trop favorable à quelque établissement, le sénat, le gouvernement peuvent rétablir l’équilibre, et c’est ce qui est toujours arrivé. Examinons donc le jury dans son ensemble, et nous devrons convenir que, formé ainsi au moyen de la triple intervention, il a donné au pays tous les gages d’impartialité. Jamais un jury nommé par une seule personne, en un seul jour, ne pourra offrir les mêmes garanties. Un jury ainsi nommé peut être le résultat d’un fait de colère ; ce sera tantôt une université, tantôt une autre qu’on pourra ainsi renverser. Je vous prie donc, messieurs, de bien vous pénétrer de cette pensée ; c’est que les plus grandes garanties d’impartialité se résument dans cette triple intervention, et qu’ailleurs vous ne pouvez les trouver.
Messieurs, tout en admettant que le système de la triple intervention des trois branches du pouvoir législatif dans la formation du jury, est celui qui peut offrir le plus de certitude d’impartialité, j’ai toujours désiré que l’on pût donner à l’opinion qui croit avoir droit de se plaindre, toutes les garanties possibles, et je vous le déclare, j’ai donné le plus grand soin à l’examen de la loi actuelle ; j’ai recherché avec la plus sérieuse attention les moyens de donner aussi satisfaction à cette opinion. Eh bien, messieurs y sommes-nous parvenus ? Je crois que oui. En limitant le nombre des examinateurs qui peuvent être pris dans chaque université, en défendant qu’aucune université puisse avoir plus de deux examinateurs sur sept, nous avons donné à toutes les opinions les plus grandes garanties pour l’avenir.
D’un autre côté, nous admettons aussi un système de roulement mais nous admettons ce système avec cette restriction exigée par la prudence, qu’il restera toujours dans chaque jury un certain nombre d’anciens membres pour transmettre les traditions de manière à ce que l’on puisse donner des grades comparatifs.
De plus, au moyen du tirage au sort, nous sommes arrivés jusqu’à permettre ce que désire tant M. le ministre de l’intérieur, l’inconnu dans les matières de l’examen. A mon avis, sous ce rapport, on a été trop loin ; aussi longtemps que les matières de l’examen ne seront pas moins nombreuses, cette disposition empêchera l’admission de beaucoup d’élèves. Du reste, nous pouvons adopter la mesure, puisqu’il devra incessamment nous être soumis une loi qui nous fournira l’occasion de réviser ces matières et de faire ainsi droit non seulement aux plaintes des élèves, mais aussi à celles des corps enseignants eux-mêmes.
Mais, dit-on, en laissant aux chambres le droit de nommer les membres du jury d’examen, on dénature le pouvoir législatif. Voilà, messieurs, une objection entièrement nouvelle, à mes yeux ; ainsi le pouvoir législatif ne serait plus investi que du droit de faire des lois
Mais c’est là combattre la constitution tout entière. Lisez la constitution, messieurs, vous y verrez à chaque page que le congrès n’a pas voulu restreindre la représentation nationale à d’aussi mesquines proportions, qu’il lui a donné une action quotidienne sur le gouvernement, sur la gestion tout entière des affaires du pays. Qui est-ce, par exemple, qui nomme les membres de la cour des comptes ? N’est-ce point la chambre des représentants, et dira-t-on qu’elle fait là un acte politique ? Qui est-ce qui présente les membres de la cour de cassation ? N’est-ce point le sénat ? et dira-t-on que le sénat fait des choix politiques ? Qui est-ce qui présente les candidats pour les cours d’appel ? Ne sont-ce pas les conseils provinciaux, et ces corps font-ils là des nominations politiques ? Enfin qui est-ce qui confère la naturalisation ? N’est-ce pas encore le pouvoir législatif ? La constitution a donc attribué aux chambres d’autres droits que celui de concourir à la confection des lois ; elle leur a donné une action, une grande, une action incessante sur toute l’administration du pays.
Devons-nous chercher, nous qui sommes les représentants de la nation, devons-nous chercher à amoindrir les prérogatives parlementaires ? Habitants passagers de ce noble édifice, nous devons transmettre les prérogatives parlementaires à nos successeurs, telles que nous les avons reçues de ceux qui nous ont précédés. Il ne nous est point permis de porter atteinte aux libertés du peuple, à la dignité de la représentation nationale. Nous devons maintenir intactes la constitution et les prérogatives parlementaires, qui ne sont pas déjà trop grandes. Y porter atteinte, serait manquer à notre devoir, et ce ne serait certes pas travailler au progrès des sciences ni au progrès de la liberté. (Très bien, très bien).
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois reconnaître que l’honorable préopinant a un merveilleux talent pour dénaturer les faits. (Interruption.) La responsabilité ministérielle n’est rien selon lui, et cependant, pour prouver qu’elle est quelque chose, il suffira de citer l’acte d’accusation qu’il vient de dresser contre moi. (Nouvelle interruption.) La responsabilité ministérielle est avant tout une responsabilité morale, et certes l’honorable préopinant vient de l’exercer assez largement.
« N’augmentez pas, dit-il l’intervention du gouvernement dans l’instruction publique, car tout ce qu’il a touché, il l’a gâté. » Je dois avouer encore que l’honorable préopinant a procédé avec une certaine adresse en me séparant, en ce qui concerne le concours de l’enseignement moyen, en me séparant de mon honorable prédécesseur.
Il a trouvé bien fait ce qu’avait tenté mon honorable prédécesseur quant à l’instruction moyenne ; il a trouvé très mal fait ce que moi j’ai essayé depuis ; vous avez, dit-il, faussé le concours de l’instruction moyenne. Je vous dirai, messieurs, le secret de toute cette accusation. L’honorable M. Rogier, en 1840, improvisant en quelque sorte le concours de l’instruction moyenne, a appelé au concours la rhétorique, et selon moi, il a très bien fait ; le temps lui manquait pour établir le concours sur une autre base ; mais faut-il, messieurs, en conclure que chaque année il faille invariablement appeler la rhétorique au concours de l’instruction moyenne ? C’est là une question très controversée.
Quant à moi, je suis d’avis qu’il ne faut pas, chaque année, appeler invariablement la rhétorique au concours ; c est mon opinion, et elle est partagée par la grande majorité, je dirai l’unanimité des professeurs, en exceptant les professeurs de rhétorique. (On rit.)
Je dis, messieurs, que pour que le concours de l’instruction moyenne soit un véritable concours, il faut d’abord que les élèves des divers établissements restent le plus longtemps possible devant l’inconnu, qu’ils ne sachent pas trop longtemps à l’avance que telle classe sera nécessairement appelée.
Je dis qu’il faut, en second lieu, pour cette raison même, que ce ne soit pas nécessairement invariablement la même classe et la classe la plus élevée. Est-il vrai, comme le dit l’honorable préopinant, que la rhétorique soit en quelque sorte le résumé de tout l’enseignement moyen, et que pour juger de la bonté d’un établissement, il suffit d’examiner la classe de rhétorique ? Mais rien, messieurs, n’est moins fondé que cette assertion ; il faut, qu’il me soit permis de le dire, être complètement étranger à l’enseignement moyen pour trouver la seule règle d’appréciation de l’enseignement dans la rhétorique.
Mon honorable prédécesseur, improvisant en quelque sorte le concours de l’enseignement moyen (et je le prie de croire qu’en me servant de ses expressions mon intention n’est nullement de le blesser), mon honorable prédécesseur a appelé au concours la rhétorique. C’était en 1840. Il n’a appelé que les établissements subventionnés par l’Etat. (Interruption.) Mon intention, messieurs, n’est pas d’entrer dans tous les détails, je veux seulement vous indiquer quelques traits généraux pour vous montrer ce que le concours de l’enseignement moyen est devenu entre mes mains.
En 1841, j’ai appelé au concours non seulement les établissements subventionnés, pour lesquels le concours continue à être obligatoire, mais j’ai déclaré le concours facultatif pour les établissements libres. Cette année encore, j’ai désigné la rhétorique. Cette désignation a été l’objet de beaucoup de réclamations ; c’est cette désignation ainsi renouvelée qui a jeté le découragement dans les établissements d’instruction moyenne. (Interruption.) Vous vous êtes servi du mot de découragement ; eh bien, cette désignation uniforme de la classe supérieure a jeté le découragement parmi les professeurs des cours autres que la rhétorique. On est venu me dire : Notre cours n’est-il donc rien ?...
M. Dumortier. - C’est l’intérêt des professeurs, mais ce n’est pas celui de la science.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je prouverai que c’est l’intérêt de la science, et je montrerai de plus tout à l’heure quel est l’intérêt spécial, local, que vous avez en vue.
J’avais donc, en 1841, appelé la rhétorique, comme l’avait fait en 1840 l’honorable M. Rogier ; cette désignation longtemps présumée d’avance et considérée comme devant se reproduire indéfiniment à l’avenir, cette désignation a jeté le découragement non seulement parmi les professeurs, mais aussi et surtout parmi les élèves de tous les autres cours.
En 1842, voici ce que j’ai fait : J’ai déclaré qu’on tirerait au sort la classe qui serait appelée au concours ; la classe a été tirée au sort et le sort a désigné une classe inférieure. En 1843, un autre essai a été fait ; on a trouvé que c’était trop s’en remettre au sort ; et l’on a décidé que deux des sept classes formant l’enseignement moyen seraient annuellement appelées au concours, que le sort désignerait l’une, et le gouvernement l’autre. D’abord on fait le tirage au sort et si le sort désigne une classe inférieure, par exemple, le ministre désigne une des classes supérieures, et vice-versa. C’est là, messieurs, le dernier état du concours de l’enseignement moyen, c’est ainsi que le concours a été fait en 1843 et maintenu en 1844 ; j’ose dire que cette combinaison du sort et de la désignation ministérielle a été généralement approuvée.
M. Donny. - C’est vrai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ainsi, messieurs, à quoi se réduit l’accusation de l’honorable préopinant, quant au concours d’enseignement moyen et aux différents essais qui ont été faits ?
En accordant à mon honorable prédécesseur des éloges pour lesquels je me joins à lui, il prétend qu’il aurait fallu invariablement désigner la rhétorique comme classe appelée au concours. Je dis, au contraire, que c’eût été fausser complètement le concours, il eût valu autant y renoncer.
En me résumant, messieurs, sur ce premier chef d’accusation, je crois qu’il ne faut pas invariablement appeler au concours de l’enseignement moyen une seule classe, la classe de rhétorique connue d’avance ; je dis que cela conduirait à la plus fausse appréciation des établissements.
A mes yeux, un établissement d’instruction moyenne ne consiste pas seulement dans la classe de rhétorique, il consiste dans l’ensemble des classes. Pour qu’un établissement soit bon il ne faut pas seulement pouvoir dire qu’il possède un bon professeur de rhétorique qui met peut-être en serre chaude quelques élèves doués de facultés particulières, mais il faut pouvoir dire que cet établissement offre la réunion de cours bien donnés, à partir de la septième jusqu’à la rhétorique.
Un membre. - C’est juste.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est d’après ce principe que j’ai fait successivement des essais, et je regarde, jusqu’à preuve du contraire, le dernier essai comme assez heureux, je veux parler de celui qui combine le sort avec la désignation ministérielle.
Maintenant, messieurs, voulez-vous savoir quel est le motif des grands regrets de l’honorable préopinant ?
Il existe dans une ville du pays un athénée, très remarquable, d’ailleurs, près duquel se trouve instituée, par exception, une faculté de philosophie et lettres.
Dans cette faculté, on donne des cours qui n’appartiennent pas à l’enseignement moyen, à moins qu’on ne soutienne que les branches d’enseignement d’une faculté de philosophie et lettres, font partie de l’instruction moyenne.
Auriez-vous un véritable concours de l’enseignement moyen, si vous appeliez à y participer des cours qui rentrent dans le cercle des études d’une faculté de philosophie et lettres ? Non, messieurs ; aussi, je n’appelle plus au concours les hautes mathématiques parce que cette branche d’enseignement appartient à la faculté de philosophie et lettres, et s’il existe dans le pays un établissement d’instruction moyenne qui possède une semblable faculté, je l’en félicite, mais de cette exception je ne puis faire dériver le droit de fausser l’enseignement moyen au profit de l’établissement privilégié et de déclarer qu’à l’avenir les études de la faculté de philosophie et lettres doivent rentrer dans l’enseignement moyen.
M. Dumortier. - Je proteste contre la pensée que vous me prêtez.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’énonce des faits.
Je dis, messieurs, que c’est là le véritable motif pour lequel les hautes mathématiques n’ont plus été appelées au concours.
Les langues anciennes ont été appelées au concours. Je voudrais bien savoir si les langues anciennes ont cessé de faire partie de l’enseignement moyen. Est-ce que le grec ne fait pas partie de l’enseignement moyen ? Ne doit-il plus être appelé au concours de l’enseignement moyen ? Autant vaudrait déclarer que le grec sera banni de l’enseignement moyen ce que, pour ma part, je ne ferai pas. L’honorable préopinant a beaucoup parlé de science ; je regarderais cette idée, de bannir le grec de l’enseignement moyen, comme une idée très anti-scientifique.
Je maintiens donc l’enseignement moyen dans la sphère qui lui est assignée, c’est-à-dire que toutes les branches qui constituent véritablement l’enseignement moyen, doivent avoir des chances égales à être appelées au concours. Je ne concentre pas le concours de l’enseignement moyen dans la seule classe de rhétorique, invariablement désignée à l’avance. J’admets au concours, soit par la désignation du sort, soit par la désignation ministérielle, les différentes matières qui font partie de l’enseignement moyen ; je ne puis y admettre les objets qui sortent du cercle de l’enseignement moyen.
Passons maintenant au deuxième chef d’accusation. Vous avez été malheureux, m’a-t-on dit, dans l’institution du concours universitaire.
Le concours universitaire est une institution dont la légalité est incontestable, l’institution est autorisée par l’art. 32 de la loi du 27 septembre 1835.
Le jury que vous avez institué, a dit l’honorable préopinant, est précisément le jury que vous voulez instituer pour les examens universitaires.
C’est là une erreur ; d’après le projet de loi, c’est le gouvernement qui nommerait les cinq membres de chaque jury, en prenant un membre dans chaque université et en consultant seulement les chefs des établissements ; c’est bien là le projet de toi ; eh bien, je vais vous dire quel est le jury du concours universitaire.
Le jury du concours universitaire a beaucoup d’analogie avec le jury tel que le veut instituer l’honorable M. Delehaye. Voici comment les choses se passent : des questions destinées à être mises au concours sont envoyées par chaque faculté au ministre de l’intérieur ; le ministre de l’intérieur réunit chez lui les quatre recteurs ; on fait un triage des questions, et le sort désigne celles qui doivent être traitées dans chaque faculté : Remarquez l’analogie qui existe entre cette combinaison et celle que propose l’honorable M. Delehaye ; l’honorable membre groupe par jury les sciences qui doivent être représentées, un tirage au sort se fait, et à chaque université se trouve assignée la matière que l’université est appelée à représenter. De même ici, les questions sont tirées au sort, on sait donc que telle question sera traitée ; si un mémoire en réponse à la question est adressée au ministre de l’intérieur, le ministre de l’intérieur le fait savoir aux universités, et chaque université envoie au jury celui de ses professeurs qui, par sa spécialité, est le plus capable d’apprécier le mémoire. Je m’explique d’une manière plus claire encore : Je suppose une question de chimie : le ministre de l’intérieur reçoit des mémoires en réponse à la question de chimie, il en informe chacune des universités, qui envoie au jury un professeur en état de juger des questions de chimie. Nous avons donc exactement le jury tel que le propose l’honorable M. Delehaye. Voici comment est conçu l’art. 17 de l’arrêté royal du 13 octobre 1841 :
« Art. 17. Les mémoires et la défense publique sont jugés par autant de jurys qu’il y a de facultés prenant part au concours.
« Les jurés sont désignés, ainsi qu’il suit :
« Chaque université désigne un juré par faculté ; le gouvernement en désigne un en dehors du corps enseignant des universités. »
Le jury du concours universitaire est le même que celui que désire l’honorable M. Delehaye pour les examens universitaires, mais ce n’est pas le jury que je propose. Vous voyez donc, messieurs, que l’honorable préopinant est complètement dans l’erreur, quand il soutient que les deux institutions seraient les mêmes.
Et ici je dois exprimer la peine que j’ai éprouvée, lorsque j’ai vu l’honorable préopinant jeter du blâme sur le concours universitaire. D’après lui, le concours universitaire a abaissé les hautes études, ce ne serait qu’un concours entre les professeurs.
Je dis, messieurs, que jamais on n’a pris plus de précautions pour instituer un concours ; je vais le démontrer en peu de mots. (Exclamations.) Je regrette de devoir m’éloigner encore de la question, il le faut bien, puisque je dois justifier des précédents qu’on a invoqués pour établir en quelque sorte l’incapacité du gouvernement en matière d’enseignement.
Le concours universitaire, dit-on, n’est, au fond, qu’un concours entre les professeurs qui font les mémoires ; on sait même à l’avance que tel professeur se propose de faire couronner tel élève.
Voyons quelles sont les épreuves qu’on exige. La question est tirée au sort. Il y est répondu par l’élève. J’avoue que, comme tout autre auteur, l’élève peut ne pas consulter seulement des ouvrages, mais qu’il peut consulter aussi n’importe quel savant, sans excepter son professeur ; vous ne pouvez pas éviter cela. Mais les épreuves ultérieures auxquelles le concurrent est soumis, sont les suivantes :
L’élève doit soutenir publiquement son mémoire, c’est-à-dire qu’il doit être tellement maître de son sujet, qu’il puisse défendre publiquement toutes les propositions qui se trouvent dans son mémoire écrit. Il faut donc qu’il ait fait lui-même le travail, ou qu’il se le soit tellement approprié, qu’il se soit tellement identifié avec son sujet, qu’il soit en état de le traiter, comme s’il avait fait le mémoire, N’est-ce rien ? C’est exiger de lui ce qu’on n’exige pas d’un auteur : quiconque a envie d’écrire, peut consulter les auteurs morts ou vivants, et faire un ouvrage. Mais ici on va plus loin : il faut que l’auteur du mémoire le défende publiquement. Ce n’est pas tout : avant cette défense publique, une question est tirée au sort ; l’élève est mis en loge ; là, abandonné à lui-même, il doit traiter ce nouveau sujet. Voilà certes une garantie extrêmement forte. Cette garantie précède l’épreuve de la défense orale du mémoire.
Je dis qu’il faut renoncer à tout concours universitaire, ou qu’il est impossible d’entourer un concours de plus de garanties. Cependant, comme nous n’avons pas la prétention de réussir en tout, et surtout de prime abord, nous avons ajouté une nouvelle précaution. On nous a fait cette objection-ci : « Est-il bien vrai que l’élève subisse une grande épreuve, en défendant publiquement son mémoire écrit ; mais personne n’est en état de l’interroger ; ce mémoire n’est pas imprimé, il n’est connu que des cinq membres du jury. » Eh bien, d’après une disposition prise l’année derrière, l’élève qui traite une des questions mises au concours, est tenu de faire suivre son mémoire d’un certain nombre de propositions sur lesquelles repose sa réponse. Ces propositions, qui forment en quelque sorte l’analyse du mémoire, seront imprimées, et envoyées aux universités ; elles pourront même être publiées dans le Moniteur ; de manière qu’il y aura un public en état d’interroger l’élève sur le mémoire écrit qu’il aura envoyé au concours.
Je le répète, il faut recourir à tout concours universitaire, ou déclarer qu’il est impossible d’entourer le concours de plus de garanties. Les cinq membres du jury qui ont examiné le mémoire, pourront forcer l’auteur à le défendre publiquement ; ses condisciples et d’autres professeurs pourront aussi venir l’interroger, puisqu’une liste des propositions que contient le mémoire sera imprimée, et même si l’on veut affichée.
Un autre reproche de l’honorable préopinant, que je ne dois pas laisser inaperçu, est celui-ci : il est connu qu’un de ces mémoires a dû être entièrement refait. Il est arrivé là ce qui arrive souvent pour les mémoires couronnés ; les auteurs ayant rapidement travaillé refont ensuite leur travail. Après avoir remporte un prix, ils demandent à revoir leur mémoire avant qu’on l’imprime ; mécontents alors de leur premier travail, ils désirent qu’il ne soit imprimé qu’avec les changements qu’ils ont cru devoir y faire, avec les développements qu’ils ont cru devoir donner à certaines parties.
Une voix. - Cela ne doit pas être.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est arrivé là ce qui arrive dans toutes les académies. L’élève dont on veut parler a envoyé son mémoire. Ce mémoire, après avoir été couronné, lui a été rendu pour qu’il pût le revoir. Quand le travail refait m’a été restitué, j’ai dit à l’élève : Votre premier mémoire peut seul être inséré dans les annales des universités ; si vous aimez mieux qu’on imprime votre travail refait, ce sera l’objet d’une publication spéciale.
Quelque jugement qu’on puisse porter sur ce mémoire, il est de fait qu’il dénote une intelligence très remarquable de la part de son auteur, et j’engage l’honorable préopinant à lire ce mémoire. Toutefois on n’a eu l’intention de ne tromper personne ; car il est dit en tête de la publication que c’est un travail refait. Quand on avoue une chose aussi franchement, on doit rendre justice à la bonne foi de celui qui a autorisé la publication et de l’élève qui reconnaît qu’il a refait son travail.
Une voix. - Il n’a pas osé publier son premier travail.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On dit à côté de moi : Il n’a pas osé publier son premier travail ; je l’ignore ; mais encore il y aurait là quelque chose d’honorable, si, en revoyant son travail, il avait trouvé qu’il avait avancé des choses trop hardies et les avait atténuées.
Il ne faudrait pas voir là un acte d’accusation, il faudrait au contraire savoir gré au lauréat d’avoir bien voulu renoncer à publier des choses qu’on aurait pu trouver trop hardies.
Enfin, messieurs, le troisième précédent qu’on a critiqué, c’est celui du jury vétérinaire qu’on prétend avoir été institué de manière à faire tomber l’école libre de Liége. Ce fait m’est inconnu, il faut qu’il se soit passé sous l’administration de M. Rogier ou plutôt de M. de Theux. Je ne sais comment on s’y est pris. Tout ce que je sais, c’est qu’elle est morte d’elle-même et que mon honorable prédécesseur n’a pas composé un jury exprès pour tuer cette école libre.
L’honorable M. de Theux a prouvé par les trois choix qu’il a faits, pendant cinq ans, des membres du jury universitaire, qu’il entrait dans ses intentions de laisser vivre tous ceux qui ont le droit de vivre. Par conséquent il aurait laissé vivre l’école vétérinaire de Liège, si elle se fût trouvée vivante ou viable.
Ainsi, si cette école n’existe plus, c’est qu’elle est morte d’elle-même.
Vous voyez à quoi se réduisent les faits que l’honorable préopinant a allégués non pas contre moi précisément, mais contre le gouvernement, dans l’intention de prouver l’incapacité, ou, si l’on veut, d’établir l’incompétence du gouvernement en matière d’instruction publique.
L’honorable membre attache une grande importance à la question de la révision des matières, c’est-à-dire à la réduction des matières. Je crois que cette question a besoin d’être examinée de très près et très mûrement. Deux opinions se sont trouvées en présence quand on a, en 1835, organise le haut enseignement. On s’est demandé s’il ne fallait pas créer des écoles spéciales d’où serait banni tout luxe scientifique, les superfluités telles que le grec, le droit romain, pour ne former que des praticiens (interruption), ce qu’on appelle autrement des spécialités (il paraît que le mot praticien ne plaît pas ; ces spécialités ne seront au fond que des praticiens), ou bien, s’il fallait avoir de grands établissements scientifiques, où l’on ne forme pas seulement des spécialités, mais où l’on rend un culte à la science, où l’on forme des hommes de sciences.
Voilà les deux opinions qui se sont trouvées en présence. La chambre fort heureusement a donné la préférence à la dernière opinion ; elle a voulu de grands établissements scientifiques. Je crois que si on n’avait pas établi sur de si grandes bases nos universités, la civilisation du pays aurait eu à en souffrir. Il eût été facile alors de créer des universités libres autant qu’on aurait voulu. Tel établissement même qui se résigne modestement à n’être qu’un athénée aurait pu monter d’un cran et devenir université.
Je crois que cette question de la réduction des matières est extrêmement grave, c’est une question fondamentale. Je me rappelle tous les efforts qu’on a faits lors de la discussion de 1835 pour écarter cette idée d’écoles spéciales et pour avoir de grands établissements scientifiques où il ne s’agit pas seulement de former des praticiens, mais où il s’agit de maintenir et de faire avancer la civilisation du pays. Dans nos universités, nous ne formons pas seulement des hommes destinés à devenir avocats, juges ou médecins, mais des hommes qui doivent venir prendre rang dans cette chambre et y apporter des notions politiques, historiques et philosophiques. Le gouvernement représentatif exige autre chose que des spécialités ; elles peuvent suffire dans les gouvernements absolus, mais non dans les gouvernements représentatifs où la grande carrière politique est ouverte à tout le monde. Cette carrière exige des notions scientifiques, politiques, des connaissances générales.
La chambre me permettra, c’est par là que je terminerai, de revenir et d’insister sur l’idée fondamentale que j’ai développée dans la première partie de l’exposé des motifs.
J’ai dit que, depuis 1835, le jury avait été, de fait, permanent ; et que cette permanence présentait les plus grands inconvénients scientifiques. Le fait, on ne peut pas le nier. Mais l’honorable préopinant et hier un autre honorable orateur ont cherché à atténuer sinon à nier les inconvénients scientifiques de la permanence. Les élèves ne se sont pas plaints de la permanence, ils n’y ont pas vu une partialité contre eux. L’absence de plaintes de la part des élèves ne me touche pas. Ils se trouvent très bien d’avoir un jury scientifique faible, ils sont très contents de savoir que l’examinateur pour la logique sera tel professeur ; connaissant leurs examinateurs, ils étudient au point de vue de l’examinateur, Ils s’en sont très bien trouvés.
Quant aux professeurs membres du jury qui se sont trouvés examinateurs d’une manière immuable, ils n’ont pas eu non plus raison de se plaindre. Il faut placer la question ailleurs et plus haut et se demander si, dans l’intérêt de la science, la permanence du jury n’est pas un mal.
On cite la France, où les commissions d’examen sont toujours composées des mêmes professeurs. Mais je ferai observer que là il n’y pas de concurrence entre les établissements de l’Etat et des établissements libres. Les jurés sont d’ailleurs très peu connus. Les professeurs dont les élèves se présentent à l’examen n’ont pas voix délibérative. Ils ne peuvent qu’interroger.
Du reste, je ne puis assez le dire, la situation est tout à fait différente. Ce qui rend notre situation toute particulière, c’est l’existence de quatre établissements dont deux se trouvent être des établissements libres. Il est évident que si, sur les quarante-deux jurés, trente professeurs se sont trouvés depuis huit ans constamment nommés, sauf les démissions et les décès, ces trente professeurs ont eu de fait le gouvernement de l’instruction publique sous le rapport scientifique, ils ont formé le conseil de perfectionnement avec cette différence qu’il n’y a pas eu perfectionnement, il y a eu un véritable monopole scientifique pour eux, et immobilité.
Ceci existe depuis huit ans. Cet inconvénient avait frappé les hommes qui se sont occupés de l’instruction supérieure dès les premières années ; il ne se présentait pas alors avec le caractère de gravité qu’il a aujourd’hui.
Je vous demanderai la permission de vous donner lecture de deux écrits.
M. de Mérode. - On peut faire un livre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mais nous faisons un livre, M. le comte : le recueil de nos discours formera un livre, et je l’espère un bon livre ; c’est une question qu’il faut discuter. On ne peut pas assez discuter cette question. On a contesté encore hier les inconvénients de la permanence ; on m’a même ridiculisé. Si j’ai osé aborder cette question dangereuse, c’est que je suis frappé de l’écueil qui se présentait pour les hautes études en Belgique.
Une voix. - Pourquoi cette question est-elle dangereuse ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a même qualifié aujourd’hui d’imprudente ma conduite. Quand je remplis un devoir, je ne me crois pas imprudent.
Je me suis dit : La liberté d’enseignement fait partie du droit public des Belges. Il ne faut pas que par la permanence du jury et la création d’un monopole en faveur de quelques professeurs, les hautes études soient immobilisées. Je ne l’ai pas voulu, dans l’intérêt de la liberté d’enseignement que je défends aussi sincèrement que ceux qui sont en ce moment mes contradicteurs,
Voici comment s’exprime l’évêque de Liége dans son ouvrage sur l’instruction publique. Il écrivait en 1839, c’est-à-dire, alors que le jury n’était institué que depuis 4 ans. La permanence n’existait pas alors depuis 8 ans :
« On a agité la question de savoir si la composition du jury ne devait pas être soumise à une modification périodique, et si tous ses membres pouvaient être réélus indéfiniment. Nous croyons que cette dernière combinaison pourrait présenter quelqu’inconvénient, en donnant à un professeur, chargé exclusivement dans le jury de l’examen sur telle ou telle branche de nos connaissances, une prépondérance marquée sur d’autres professeurs qui enseignent la même partie. Ne vaudrait-il pas mieux que le jury d’examen fût renouvelé tous les ans par moitié, et qu’aucun professeur d’université ne pût faire partie de la même section du jury pendant plus de 2 années consécutives ? Nous ne visons qu’au plus des garanties pour l’impartialité des décisions. »
Vous voyez donc que dès 1839, ou 1840, les inconvénients de la permanence avaient déjà frappé l’auteur de l’exposé des vrais principes de l’instruction publique. Il va même plus loin ; il est également frappé de l’idée que le même établissement pourrait ne pas être suffisamment représenté, soit par une exclusion véritable, soit parce que cet établissement n’aurait que des professeurs représentant des branches secondaires.
Voici comment il s’exprime :
« Tout ce que l’on pourrait désirer c’est qu’il fût stipulé dans la loi que chaque section du jury devrait comprendre au moins un professeur des diverses universités du pays. »
Il ajoute en note :
« Jusqu’ici cela s’est pratiqué ; il y a presque toujours eu dans chaque jury un nombre à peu près égal de professeurs de chaque université. »
Un membre. - Cela n’est pas exact.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il nous suffit de voir que l’évêque croyait qu’il en était ainsi. Sa croyance prouve qu’il avait le sentiment de la justice de ce fait, qu’il désirait que cela fût.
Je reprends la lecture du texte : « Ce serait le meilleur moyen de combiner avec le caractère essentiel du jury, qui est la garantie de la liberté d’enseignement, une représentation de toutes les universités. »
Vous voyez que le danger de la permanence frappait déjà l’évêque de Liège en 1839 ou 1840.
En avait 1837, un homme que beaucoup d’entre nous ont connu comme membre de cette chambre, qui est aujourd’hui sénateur et administrateur-inspecteur d’une université de l’Etat, et dont le dévouement à la science a pu être apprécié par tout le monde, M. d’Hane, a publié un écrit sur le jury universitaire ; je le relisais ce matin ; malgré tout ce que j’ai écrit moi-même depuis et tout ce que j’ai entendu, cet écrit m’a vivement frappé.
Je demanderai à la chambre la permission de lui en lire un extrait un peu long peut-être.
Plusieurs voix. - Lisez, lisez.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - « Pour qu’un jury pareil puisse remplir sa mission, il doit, dans le triple intérêt de l’Etat, de l’instruction et des écoles libres, offrir des garanties de lumières et d’indépendance. Il est le pivot sur lequel repose tout le système du haut enseignement, car à sa composition bonne ou mauvaise est attachée à la prospérité ou l’anéantissement des fortes études ; ce sujet mérite donc l’attention la plus sérieuse ; et comme l’organisation actuelle, adoptée provisoirement, doit être soumise à une nouvelle discussion législative après trois ans d’expérience, le montent est venu de la soumettre à un examen attentif et impartial. Pour notre part, appelé par la nature même de nos fonctions à considérer les choses de plus près, nous allons consigner ici quelques réflexions sur la nature de cette institution et les moyens d’en assurer le succès, sans néanmoins prétendre épuiser le sujet, ni l’embrasser dans toute son étendue.
« La haute prérogative que la loi donne au jury de prononcer sans appel sur l’aptitude et l’instruction de tous ceux qui doivent comparaître devant son tribunal, le constitue par ses décisions l’arbitre suprême du haut enseignement. C’est une espèce de souveraineté intellectuelle qu’il est appelé à exercer : ce fait important domine toute autre considération et suffit pour prouver combien est grande la mission dont il est investi. Plus ce pouvoir est élevé, plus on doit se tenir en garde contre les écarts qu’il pourrait commettre.
« Quel est le droit du jury ? C’est en général de juger de la capacité des élèves, et en particulier de les examiner sur les connaissances positives déterminées par la loi. Tel est son droit, et là aussi est la limite de son devoir. Supposons maintenant qu’au lieu de faire rouler les questions sur la science même, le jury s’attachât à un système de doctrines soit politiques soit religieuses, n’est-il pas évident qu’il substituerait, contre le but de son institution, au simple rôle d’examinateur, celui de propagateur de telle opinion qu’il voudrait faire prévaloir, et l’autorité dont-il est revêtu serait trop décisive pour que bientôt sa tendance ne s’imposât arbitrairement à la génération universitaire ? Rien ne garantit que telle ne serait pas en effet sa conduite, si au lieu d’être annuelle, sa mission devait avoir une existence plus prolongée.
« Le nom que la loi donne à cette institution est significatif ; il désigne des fonctions temporaires, d’une durée même restreinte, et exclut toute idée d’une commission permanente.
« Toutefois elle revêtirait infailliblement cette dernière forme, si les élections annuelles, arrêtées par la loi, amenaient au jury les mêmes hommes, ou si elles les maintenaient presque tous dans leurs fonctions. Le jury serait ainsi dépouillé de ce caractère de mobilité, qu’il est dans son essence d’avoir, et qu’il ne peut perdre sans détruire les espérances qu’on a placées en lui.
« Ce que nous avons dit plus haut d’un ensemble de doctrines qui pourrait s’établir dans son sein, si le même jury était conservé pendant plusieurs années, doit s’appliquer avec plus de motifs encore à chacun de ses membres, par rapport à un système scientifique particulier qu’il parviendrait à faire prévaloir. Car l’on conçoit que si tout un jury montait une tendance exclusive et particulière vers un système politique ou religieux quelconque, cette tendance ne tarderait pas à être connue et le remède se trouverait naturellement dans la réaction de l’opinion publique. Mais il n’en est pas de même d’un système scientifique ; un moins grand nombre de personnes seraient compétentes pour en juger, il échapperait peut être à nos regards et aurait ainsi une plus longue chance de durée. Choisissons pour exemple le jury de philosophie et lettres ; que le juré qui doit interroger sur la philosophie appartienne au système sensualiste, il interrogera dans le sens de ce système. Que l’on nous accorde qu’il continue à faire partie du jury pendant un certain nombre d’années, n’est-il pas certain que le père de cette philosophie, que Locke deviendra le vade mecum de tous les élèves qui se prépareront aux examens, qu’ils l’étudieront, lui et son école, de préférence à tout autre système philosophique !
« Dans l’intérêt de l’enseignement, il faut que le jury soit composé d’hommes qui se maintiennent à la hauteur des progrès des sciences ; car il entre dans sa mission de servir de véhicule aux études universitaires et d’empêcher qu’elles ne restent stationnaires. Son influence ne s’étendra pas seulement sur les élèves qui comparaissent devant lui, elle ira atteindre les professeurs dans leurs chaires ; par conséquent plus le jury se montrera familier avec les découvertes nouvelles, plus les uns et les autres s’efforceront de les connaître. Le jury réagira particulièrement sur l’esprit des jeunes gens ; ils le considéreront comme la boussole qui doit les diriger dans leurs travaux, les études seront toujours réglées sur le plus ou le moins de sévérité qu’il mettra dans ses jugements. Cependant on ne doit pas souhaiter trop de sévérité ; si on voulait trouver des savants accomplis dans les élèves, loin de les exciter au travail, on jetterait le découragement dans leur esprit. Trop ou trop peu de sévérité, sont deux écueils que le jury doit éviter avec soin. Mais il reste toujours vrai, qu’une pensée unique domine en général les élèves, celle d’être en état de subir leurs épreuves ; ils s’inquiètent assez médiocrement si leurs connaissances sont ou non au niveau de la science : car le grand nombre n’étudient point par un goût désintéressé, mais dans le seul but d’obtenir le diplôme qui doit couronner leurs études académiques.
« Afin de suppléer à ce défaut d’amour de la science pour elle-même, il convient, selon nous, que la moitié au moins du jury soit renouvelée tous les ans, afin que les élèves ne pouvant préjuger le système qui y sera représenté dans chaque branche, se préparent à toutes les questions qui pourront leur être faites ; leur études deviendront plus fortes, plus larges, et ils feront par nécessité ce que l’ardeur seule de la science aurait dû leur inspirer.
« Si pour conserver cette tradition si nécessaire à tout corps qui se renouvelle, quelques membres peuvent être continués dans leurs fonctions, aucun ne doit pouvoir siéger au-delà de la deuxième session.
« Nous trouverions d’ailleurs un autre avantage à voir ce mouvement de rotation s’établir dans le mécanisme de l’institution du jury ; chaque système scientifique, n’étant ainsi représenté que temporairement, serait par là-même disposé à l’indulgence pour les systèmes contraires par la crainte des représailles, et de cette manière l’institution du jury serait conservée dans la pureté de sa destination primitive, qui est de juger non pas les opinions des élèves, mais leur capacité et leurs connaissances.
« C’est donc ici dans l’intérêt des études, dans l’intérêt des élèves et dans l’intérêt de la liberté d’enseignement que nous élevons la voix, lorsque nous désirons que tous les hommes distingués dans une branche quelconque, à quelque établissement qu’ils appartiennent, soient appelés successivement, s’il est possible, à entrer dans ce tribunal suprême, sans que, dans aucun cas, le même membre puise en faire partie dans trois sessions consécutives. »
Vous voyez que, dès 1837, on prévoyait le danger de la permanence du jury ; on était loin de croire que cette permanence se présenterait ensuite avec tant de ténacité, si je puis parler ainsi. Il a fallu peut-être la forte secousse que nous éprouvons en ce moment pour qu’on reconnût la nécessité de sortir de l’ornière.
Ce sont ces inconvénients prévus par l’évêque de Liége, en 1839, par M. d’Hane, dès 1837, qui m’ont frappés.
Je dois rendre justice à la section centrale ; elle a reconnu avec moi que la permanence est un mal, qu’il faut y remédier, elle a indiqué un remède dont l’efficacité ne m’est pas démontrée.
Permettez-moi de revenir sur la réflexion que je faisais tout à l’heure ; on ne peut nier les inconvénients scientifiques de la permanence du jury ; dans l’intérêt même de la liberté d’enseignement, il faut faire en sorte que ces inconvénients viennent à cesser. Le principe de la liberté d’enseignement même serait compromis, parce qu’on s’en prendrait à la loi, et on accuserait d’avoir amené un état stationnaire dans les hautes études.
M. Donny. - Si nous sommes tous d’accord sur ce point, que nos efforts doivent tendre à procurer au pays la plus grande somme de prospérité, nous ne le sommes plus, quand il s’agit des moyens d’atteindre ce but.
Les jurys pensent qu’il faut, avant tout, se préoccuper du côté politique que présentent les questions que nous avons à débattre. Je respecte cette opinion ; mais je ne puis la partager.
D’autres rangent en première ligne les intérêts matériels du pays, et si leurs vœux étaient exaucés, le caractère politique qu’affectent quelques-unes de nos discussions deviendrait de plus en plus rare.
C’est parmi ces derniers que je me suis toujours rangé, parce que je me crois envoyé dans cette enceinte, non pour lutter contre telle ou telle opinion politique, mais pour travailler, autant qu’il est en moi, à perfectionner notre législation, à développer notre commerce, à protéger notre industrie. C’est, messieurs, en prenant cette manière de voir pour règle que je vais m’expliquer sur le projet de loi qui nous est soumis.
A mes yeux, ce projet renferme deux choses bien distinctes. J’y ai trouvé, d’une part, des améliorations notables apportées aux études ; j’y vois, d’autre part, des changements aux attributions actuelles des grands pouvoirs de l’Etat. Les premières dispositions sont ce que j’appellerai le côté scientifique de la question ; les autres en forment le côté politique.
Pour ceux d’entre nous qui attachent un grand prix à la politique, la question du changement des attributions doit être la partie principale de la loi ; mais pour moi, la loi presque tout entière se trouve dans les améliorations que nous promet le projet.
La principale de ces améliorations, c’est ce que l’honorable rapporteur de la section centrale a nommé l’imprévu pour les élèves. Dans le projet du gouvernement, cet imprévu se présente avec un caractère absolu ; il est impossible à l’élève, dans ce système, de calculer d’avance devant quels examinateurs il devra se présenter. Dès lors, il est obligé d’étudier la science, non pas pour en savoir assez afin de satisfaire tel ou tel examinateur connu d’avance, mais dans le but d’en savoir assez pour répondre aux exigences raisonnables d’un examinateur quelconque. C’est là, messieurs, un grand bien pour la science, un véritable bienfait pour la société.
Je sais que l’honorable M. Dumortier n’est pas de mon avis ; l’honorable membre vient de nous le dire, il y a un instant, à ses yeux, l’imprévu absolu, c’est un système pernicieux, un système qu’il faut écarter. Messieurs, il faut s’entendre dans la discussion. L’imprévu dont l’honorable membre vous a parlé, ce n’est pas l’imprévu des examinateurs, c’est l’imprévu des matières : or, ce n’est pas de cet imprévu-là dont j’entends parler. Je suis d’accord avec l’honorable membre qu’il ne faut pas trop d’imprévu, qu’il n’en faut même pas du tout, en ce qui concerne les matières. Mais l’imprévu, quant aux examinateurs, est tout autre chose ; il ne saurait nuire en aucune manière ni aux études solides, ni aux bons élèves, ni au mérite des examens. Je suis, au reste, d’accord avec l’honorable membre que les matières d’examen sont aujourd’hui trop multipliées ; je crois que l’élève est chargé d’approfondir trop de sciences à la fois, mais je dirai à l’honorable membre que le remède à ce mal ne se trouve pas dans une disposition dont le but serait d’écarter l’imprévu quant aux personnes ; que ce remède ne peut consister que dans des dispositions nouvelles qui restreindraient, non pas les matières d’enseignement (idée que M. le ministre de l’intérieur a paru nous prêter et qui n’est pas la nôtre), mais qui restreindraient les matières de l’examen en conservant à l’enseignement la haute position qu’on lui a donnée.
Je dirai encore à l’honorable M. Dumortier que le remède à l’état de choses dont il se plaint peut se trouver dans un programme déterminé, qui serait arrêté comme règle pour chacun des jurys, pour chacun des examinateurs. Et ici, je dois le dire, j’indique une idée qui ne vient pas de moi ; elle tient à un autre membre qui, je pense, la présentera en temps et lieu.
Une seconde amélioration que nous présente le projet du gouvernement, c’est le roulement introduit dans le personnel du jury, ce roulement qui doit détruire la permanence dont aujourd’hui, je pense, personne ne veut plus, excepté peut-être l’honorable M. Dumortier, car ici encore nous ne sommes pas parfaitement d’accord.
Pour démonter que la permanence ne produit pas des effets trop nuisibles, l’honorable membre vous a cité ce qui se passe pour les examens de l’école militaire, de l’école du génie civil et de l’école des mines. Pour tous ces examens, vous a-t-il dit, il y a permanence du jury et permanence utile. Mais, messieurs, les positions ne sont pas les mêmes. Lorsqu’il s’agit d’examens pour l’école militaire, pour l’école du génie civil, pour l’école des mines, il ne se trouve jamais en présence que des établissements de même nature, des établissements du gouvernement, et dès lors il est rationnel que les élèves de ces établissements soient examinés par des hommes nommés par le pouvoir.
Mais quant aux examens devant le jury, c’est autre chose. Là il y a quatre établissements rivaux en présence. Il faut donc que l’on suive dans la nomination des examinateurs pour enseignement universitaires une marche tout autre que celle qu’on peut suivre pour le choix des examinateurs des élèves provenant des seuls établissements de l’Etat.
Les deux améliorations dont je viens de parler, l’imprévu absolu pour les élèves, l’établissement d’un roulement sérieux dans le personnel du jury, sont des changements auxquels j’attache tant de prix que je dirais volontiers et au gouvernement et aux chambres : Garantissez-moi cette double amélioration, et je me déclare dès aujourd’hui satisfait de la loi, quel que soit le parti que vous puissiez prendre à l’égard de nos attributions respectives, à l’égard de ces attributions sur lesquelles la chambre a été divisée par moitié en 1835, sur lesquelles peut-être encore aujourd’hui, elle restera divisée à peu près dans la même proportion.
Ce n’est pas, messieurs, que je sois complètement indifférent à la question des attributions ; loin de là, toutes autres choses égales d’ailleurs, je préfère maintenir ce qui est, je préfère conserver aux trois pouvoirs de l’Etat les attributions dont ils sont en possession aujourd’hui. Mais cette préférence ne va pas jusqu’à me faire abandonner des améliorations que je veux, moi, obtenir à tout prix, des améliorations qui me feront voter pour le projet du gouvernement, si je ne puis les obtenir.
J’ai donc à me poser la question de savoir s’il peut exister quelque combinaison réalisable et pratique, au moyen de laquelle on puisse faire marcher de front et l’imprévu absolu pour deux élèves (en ce qui concerne les examinateurs et non les matières) et un roulement sérieux, quant au personnel du jury, et enfin le concours des trois grands pouvoirs de l’Etat à la nomination de ses membres.
Quand j’examine cette question, j’ai à m’occuper en premier lieu du projet de la section centrale. Ce projet remplit une de mes trois conditions, il consacre le concours des trois grands pouvoirs de l’Etat. Mais c’est là précisément, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, la condition à laquelle j’attache ici moins d’importance. Quant à la condition de l’imprévu pour les élèves, quant à la condition d’un roulement sérieux dans le personnel du jury, je suis fâché de devoir le dire à la section centrale, son projet ne me les donne pas.
Je ne trouve pas dans le projet de la section centrale un imprévu satisfaisant. Et, en effet, messieurs, qu’arrivera-t-il si ce projet est adopté par la législature ? Au bout de deux nominations, tout au plus de trois, la marche des chambres sera connue ; les élèves sauront, par exemple, que pour un jury déterminé, la chambre des représentants portera toujours ses choix sur Pierre, Jean et Paul ; ils sauront qu’ils trouveront dans ce jury, comme examinateurs de la part de la chambre, ou bien Pierre et Jean, ou bien Pierre et Paul, ou bien Jean et Paul, suivant les caprices du sort. Ils feront le même raisonnement quant aux nominations faites par le sénat ; et comme le gouvernement est obligé de régler plus ou moins les choix d’après les nominations faites par les deux chambres, ils pourront encore, avec un peu de perspicacité et en tenant compte de l’expérience, savoir à peu près quels seront les nominations que le gouvernement fera. Dès lors ils suivront les cours de quelques-uns des examinateurs futurs, ils se procureront les cahiers des autres, et il n’existera plus pour eux d’imprévu, ou, s’il en existe un, il sera à peu près de même valeur que celui qui existe aujourd’hui. Cet imprévu-là ne me convient pas.
J’ai dit que le projet de la section centrale ne me présentait pas non plus de roulement sérieux dans le personnel du jury, et pour justifier cette opinion, messieurs, je n’ai qu’à vous rappeler ce qui s’est passé depuis huit ans.
Depuis huit ans, les nominations faites, et par la chambre et par le sénat, ont été tellement fixes, tellement invariables, qu’on aurait pu, sans le moindre inconvénient, stéréotyper d’avance la liste des nominations à faire par ces deux corps. Ce qui s’est fait dans le passé se fera encore dans le futur ; il n’y a pas le moindre doute à former sur ce point. C’est là, en effet, la marche naturelle de tous les corps nombreux quand ils ont des nominations à faire ; toujours ils tendent vers la stabilité ; s’il en est ainsi, on pourra, sans le moindre inconvénient, stéréotyper pour l’avenir la liste des nominations, comme on aurait pu le faire pour le passé, avec cette seule différence qu’au lieu de mettre sur la liste deux noms par jury et par chambre, il faudra en mettre trois, en se rappelant que le sort est appelé à éliminer une des trois personnes qui se trouvent sur cette liste. Ce n’est pas là un roulement désireux, un roulement qui puisse me contenter.
Après avoir parlé d’un projet de la section centrale, j’ai maintenant à dire un mot de l’amendement déposé par l’honorable M. Delahaye. Cet amendement me prouve l’imprévu absolu pour les élèves ; il m’assure aussi un roulement des membres du jury ; mais il s’écarte tellement de ce qui s’est fait jusqu’aujourd’hui que j’hésiterais à y donner mon approbation. S’il fallait choisir entre cet amendement et le projet de la section centrale, j’adopterais le projet de l’honorable M. Delehaye, mais mon choix ne sera pas restreint de cette manière.
« Mais, dira-t-on, si vous désirez le concours des trois grands pouvoirs de l’Etat dans la nomination du jury d’examen, concours inconciliable, d’un côté, avec le projet du gouvernement, de l’autre côté, avec la proposition de l’honorable M. Delehaye ; si de plus vous repoussez le projet de la section centrale, qu’est-ce dont que vous voulez ? » Je vais m’expliquer à cet égard.
J’ai déjà dit ce que je voulais en principe ; l’imprévu absolu pour les élèves, un roulement sérieux pour le jury, et le concours des trois pouvoirs, ce principe peut-il recevoir une application pratique, par la réalisation des trois conditions qui en forment la base ? Oui, dans mon opinion cela est possible, je vais vous le démontrer en vous indiquant quelques combinaisons qui réunissent les trois conditions dont il s’agit.
Je commence pur poser deux règles applicables à tous les systèmes.
Je pose pour première règle qu’il ne peut y avoir dans chaque jury plus de deux membres d’un même établissement d’instruction publique.
Je pose pour deuxième règle qu’aucun membre du jury ne peut rester en fonctions pendant plus de deux anodes.
Ces règles ne seront contestées par personne, car elles se trouvent, en grande partie du moins, dans tous les systèmes dont nous sommes saisis.
Je vais maintenant vous indiquer les combinaisons dont je viens de parler.
Première combinaison : Le jury est composé de 7 ou de 5 membres, comme on veut ; la nomination des membres du jury est le résultat d’un concert entre le gouvernement représenté par le ministre de l’intérieur, la chambre et le sénat, représenté soit par leurs présidents, soit par des commissions nommée ad hoc. Cette combinaison, messieurs, n’est pas une idée qui vient de moi, elle a été, si je ne me trompe, déjà proposée antérieurement ; aussi, je ne fais que l’indiquer.
Deuxième combinaison : Le jury est composé de 7 membres ; 6 de ces membres sont nommés comme suit : 2 par la chambre, 2 par le sénat, 2 par le gouvernement après la nomination de ces six premiers membres, le gouvernement en nomme un septième pour compléter le jury. Les nominations des six premiers membres ne se font pas invariablement dans le même ordre, comme elles se font aujourd’hui ; d’abord 2 membres par la chambre, ensuite 2 membres par le sénat, enfin 2 membres par le gouvernement ; elles se font d’après un ordre indiqué annuellement par un tirage au sort, fait lui-même alternativement au sein de la chambre et au sein du sénat.
Troisième combinaison : Le jury est composé de 7 membres. 4 membres sont nommés en premier lieu par les deux chambres, 3 membres sont nommés en dernier lieu par le gouvernement. Les nominations des chambres se font dans un ordre à fixer annuellement par un tirage au sort. Dans cette combinaison chaque chambre nomme d’abord pour chaque jury 4 membres, mais aussi la nomination faite, ces 4 membres sont réduits à 2 par la voie du sort.
Vous concevez, messieurs, qu’il serait possible d’augmenter encore le nombre de pareilles combinaisons ; mais je m’arrête, il me suffit d’avoir démontré qu’il est possible de faire marcher de front et l’imprévu absolu pour les élèves et un roulement sérieux du personnel du jury, et le concours des trois pouvoirs de l’Etat. Si le projet de la section centrale, convenablement amendé peut me donner un résultat sensible, je le voterai de préférence ; sinon je voterai le projet du ministre.
Il me reste, messieurs, un devoir à remplir ; d’après ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, vous pouvez juger qu’il m’était impossible de me faire inscrire pour parler en faveur du projet du gouvernement, puisque, éventuellement, je puis être amené à voter contre ce projet ; vous voyez encore qu’il m’était impossible de me faire inscrire pour parler contre le projet du gouvernement, puisque, éventuellement, je peux être amené à l’appuyer de mon vote ; il ne me restait donc qu’à me faire inscrire sur le projet, mais le règlement impose à ceux qui se font inscrire pour parler sur une proposition, l’obligation de déposer un amendement. Eh bien, messieurs, cette obligation, je viens la remplir et la remplir sérieusement ; en déposant un amendement qui n’est que la reproduction de la troisième des combinaisons que je vous ai indiquées. Sans la disposition expresse du règlement, je n’aurais peut-être pas présenté mon amendement en ce moment-ci : toutefois, cette présentation n’est pas sans utilité ; elle est même dans l’intérêt de la discussion ; car on pourra l’imprimer et la distribuer pour que chacun puisse en étudier la portée.
Au reste, messieurs, ce n’est point, je vous prie de le croire, pour avoir la parole un peu plus tôt que j’ai présenté mon amendement ; cet amendement est sérieux, puisqu’il est la reproduction d’une des trois combinaisons que je vous ai indiquées. Seulement, si j avais pu parler sans le présenter immédiatement, j’aurais pu rechercher des combinaisons nouvelles et vous présenter peut-être une proposition plus digne encore de votre attention.
Voici, messieurs, mon amendement. (Nous donnerons cet amendement.)
M. Dedecker, secrétaire, donne lecture d’une lettre par laquelle il est donné connaissance à la chambre que M. Pierre Peeters, représentant, est décédé aujourd’hui, 4 heures du matin, à Bruxelles.
- La chambre charge le bureau de faire connaître à la famille de M. Peeters toute la part qu’elle prend à sa douleur. Elle décide ensuite, qu’une députation, désignée par le sort, sera chargée d’assister aux obsèques.
M. le président procède au tirage au sort de cette députation ; elle se compose de MM. Rodenbach, Mat de Vries, de Chimay, Osy, Orts, de Renesse, Rogier, Kervyn, de La Coste, Desmaisières et de Theux.
La séance est levée à 4 h. et 1/2.