(Moniteur belge n°72, du 12 mars 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente, la rédaction est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Menin présente des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
M. de Haerne. - Messieurs, à l’occasion de cette pétition, je demanderai quand la section centrale pourra faire son rapport sur le projet de loi relatif aux tabacs, auquel se rapporte la pétition de Menin dont je demande le renvoi à la section centrale. Cet objet est de la plus grande urgence ; vous savez, messieurs, que, dans certaines parties du pays, le tabac entre comme produit d’assolement dans la rotation de la culture ; or, nous sommes arrivés à l’époque à laquelle les planteurs de tabac vont devoir se livrer à leurs travaux ; le projet de loi, vous ne l’ignorez pas, messieurs, est écrasant pour la culture, et par conséquent les cultivateurs ne peuvent pas rester sous le coup d’une menace, ils ne peuvent pas rester dans l’incertitude ; ils seraient forcés de restreindre leur culture et ils essuieraient des pertes considérables. Je demande donc que le rapport soit fait le plus tôt possible et qu’alors le projet soit mis à l’ordre du jour sans aucun retard. Ce projet est le plus urgent de ceux dont la chambre est saisie dans ce moment.
- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les tabacs.
« Le sieur Heidemann, commissaire de police à Ostende, demande que les commissaires de police soient pensionnés par l’Etat. »
- Renvoi à la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi sur les pensions.
« Le sieur Petrement, fabricant de draps à Saint-Léger, demande l’abrogation de la loi de 1839 qui établit des privilèges en faveur des fabricants de draps de la partie cédée du Luxembourg.
M. de Tornaco. - Vous avez déjà reçu, messieurs, une pétition dans le même sens que celle dont vous venez d’entendre l’analyse ; cette première pétition, vous l’avez renvoyée à la commission qui a conclu au renvoi à M. le ministre de l’intérieur avec demande d’explications. Ces conclusions ont été adoptées par la chambre, et je demanderai que la pétition dont il s’agit en ce moment soit également renvoyée à M. le ministre de l’intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
« Les habitants de Curange demandent la suppression d’une taxe communale de 1,050 francs qu’ils sont obligés de payer annuellement.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
Il est fait hommage à la chambre, par M. Visschers, de 100 exemplaires de son mémoire sur les bases d’une bonne loi des pensions.
- Ces exemplaires seront distribués à MM. les membres de la chambre.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à contracter un emprunt pour opérer le rachat de la rente de 80 millions de florins dont il est parlé au n°7 de l’art. 63 du traité du 5 novembre 1842.
- Personne ne demandant la parole sur l’ensemble du projet la chambre passe à la discussion des articles.
M. le président. - L’article 1er proposé par la section centrale est ainsi conçu :
« Art. 1er, Le gouvernement est autorisé à ouvrir, en une ou en plusieurs fois, un emprunt de quatre-vingt-quatre millions six cent cinquante six mille francs (fr. 84,656,000) pour effectuer le rachat du capital de 80,000,000 de florins à 2 1/2 pour cent, dont il est fait mention au n° 70 de l’article 63 du traité du 5 novembre 1842, approuvé par la loi du 3 février 1843 (Bulletin officiel, n°24.)
« Il pourra être consacré à l’amortissement de cet emprunt un pour cent par an au plus du capital nominal, indépendamment des intérêts des obligations amorties. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) déclare se rallier à la proposition de la section centrale.
M. Castiau. - Je viens proposer d’imposer au gouvernement l’obligation d’ouvrir l’emprunt avec concurrence et publicité et, de préférence, par souscription ouverte au public.
C’est un amendement à ajouter aux premiers mots de l’article 1er.
La pensée de mon amendement ne m’appartient pas. Mon amendement n’est que la reproduction d’une opinion exprimée dans deux des sections pendant les débats auxquels a donné lieu l’examen préalable du projet.
La section centrale a transmis à M. le ministre l’expression de ce vœu et nous voyons que ce fonctionnaire a déclaré s’y associer et éprouver le désir de recourir pour l’emprunt projeté aux formes de concurrence de publicité et de souscription nationale, de préférence.
Cette déclaration est rassurante, sans doute, mais, au milieu des fluctuations ministérielles, il est bien permis de ne pas s’en tenir à la déclaration d’un ministre et de placer nos garanties dans la loi elle-même.
C’est dans l’intérêt des ministres eux-mêmes que j’insiste pour l’introduction dans la loi du principe de publicité et de concurrence. C’est une garantie qui leur est nécessaire eux-mêmes pour n’être pas à la discrétion des influences financières qui, parfois, peuvent les déborder et les entraîner.
Quant aux intérêts de l’Etat, il est inutile de s’étendre pour prouver ce qu’ils auraient à gagner à l’adoption du système proposé. La publicité et la concurrence sont de ces garanties dont personne aujourd’hui ne peut raisonnablement contester les bienfaits. On en fait l’application dans les autres administrations publiques, pourquoi ne pas l’appliquer à l’administration des finances et aux emprunts ? N’est-ce pas un moyen infaillible d’obtenir des capitaux au meilleur marché et de contracter l’emprunt aux conditions les plus favorables ?
La souscription nationale, si elle a la préférence, comme je le demande, serait la mesure de la puissance du crédit national, de ce crédit qu’on veut affranchir des influences étrangères. Si elle se réalise, l’on aura le double avantage d’arriver à cette émancipation financière dont on a parlé et d’entraîner le plus grand nombre de citoyens paisibles au développement du crédit public.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ce n’est pas la première fois, messieurs, qu’une proposition semblable à celle de l’honorable préopinant, est présentée à la chambre ; un amendement analogue a été proposé dans la discussion de la loi d’emprunt de 1831 ; il a été écarté alors parce que l’on a pensé qu’il ne fallait pas lier le gouvernement, qu’il importait de le laisser en position de profiter de toutes les chances favorables qui pourraient se présenter. Le gouvernement, messieurs, a suffisamment prouvé qu’en semblable matière il ne voit que l’intérêt du pays, et qu’au besoin il saurait résister à toute espèce d’obsession, dès lors il n’y a aucun motif pour en agir autrement qu’on ne l’a fait précédemment. La loi qui vient d’être votée par la chambre est la preuve de l’indépendance avec laquelle agit le gouvernement.
Je crois, messieurs, que la déclaration si positive faite par le gouvernement à la section centrale, doit paraître suffisante ; cette déclaration doit lier le gouvernement quel que soit le ministère qui soit chargé de cette opération ; la déclaration tient en quelque sorte à la loi elle-même, elle en explique l’esprit.
Nous ne pouvons prévoir dès à présent quelles seront les circonstances politiques ou financières dans 8 ou 10 mois, ou dans un an, lorsque l’emprunt dont il s’agit pourra être conclu ; si les circonstances sont favorables, l’emprunt sera fait avec concurrence et publicité, et très probablement par la voie de souscription publique, mais si elles étaient contraires, peut-être le gouvernement se trouverait-il dans la nécessité de traiter avec de grandes maisons de banque. C’est pour ce motif, messieurs, que la section centrale a accepté la déclaration que j’ai faite et qu’a rappelée l’honorable préopinant.
Je crois donc, messieurs, qu’il est de l’intérêt véritable du pays que le gouvernement ne soit pas lié sur ce point. Si je n’écoutais que mes convenances personnelles, le soin de ma responsabilité, j’accepterais avec empressement l’amendement de l’honorable membre, mais je vois les choses sous un autre point de vue, celui de l’intérêt public, et je fais abnégation de moi-même.
Certes, s’il plaisait à la chambre de lier le gouvernement à ce point, aucune responsabilité réelle ne pèserait plus sur lui. La souscription établie, si elle échoue, la responsabilité de cet échec retombe sur la chambre, vu qu’il n’aura pas dépendu du gouvernement d’éviter les dangers d’une pareille mesure dans les circonstances que nous ne pouvons pas prévoir, et peut-être même lorsque la chambre ne sera pas réunie.
Par ces considérations, je ne puis accepter l’amendement qui a été présenté par l’honorable M. Castiau.
M. Osy. - La question soulevée par l’honorable M. Castiau, a préoccupé la section centrale. Tous, nous avons désiré que non seulement on pût faire l’emprunt avec publicité et concurrence, mais encore qu’on pût donner la préférence à la voie de la souscription publique.
D’après la déclaration de M. le ministre des finances, nous avons pensé qu’il serait dangereux de mettre dans la loi même une inscription formelle, parce qu’il pouvait arriver tel événement qui mettrait le gouvernement dans le cas de ne pouvoir suivre la loi sans de grands risques.
Nous avons, il est vrai, devant nous, un délai de 8 ou 9 mois ; mais il peut survenir dans l’intervalle telle circonstance qui oblige le gouvernement à faire l’emprunt. Je crois que la déclaration qui a été faite par le gouvernement, et qui est consigné dans le rapport de la section centrale, doit nous donner la garantie que si le gouvernement trouve qu’il est possible de faire ce qu’on réclame il le fera.
Au mois de juillet 1840, lorsque les fonds publics étaient presqu’aussi élevés qu’ils le sont aujourd’hui, on avait aussi espéré de faire un emprunt par souscription publique ; mais les événements du 15 juillet sont survenus, et l’on a été heureux de pouvoir contracter un emprunt de 20 millions que le public n’aurait pas donnés. Car, ce que je puis déclarer, c’est qu’après que la société générale avait fait l’emprunt, l’emprunt donné au public n’a pas été rempli.
M. Cogels, rapporteur. - Messieurs, lors de l’emprunt de 1840, je fus un des membres qui défendirent avec le plus de persistance le principe de l’émission avec concurrence et publicité, ou par souscription publique, car je n’avais pas exigé la concurrence et la publicité d’une manière absolue ; j’avais confiance dans une souscription ouverte au public, pour autant qu’on ne fît pas à la fois l’emprunt de 82 millions. Si on avait eu recours alors à une souscription publique, on aurait pu devancer les événements qui sont venus plus loin qu’on n’aurait pu s’y attendre, vu la hausse progressive des effets publics à cette époque. Qu’a-t-on fait ? Le ministère des finances a fait un appel à des banquiers pour faire des propositions.
Le délai expirant le 1er août, voici d’où est venu tout le mal, et je dois la justice de le dire, il était impossible au ministère d’alors de prévoir les événements qui allaient avoir lieu ; mais par une circonstance fatale, on s’est trouve par là dans l’impuissance d’agir. Si même avant le 20 juillet, car ce n’est que le 25 de ce mois que la baisse sur les fonds a commencé, si, dis-je, avant cette époque, on avait ouvert une souscription publique, elle aurait été remplie.
Dans la circonstance actuelle, je me suis rallié à l’opinion émise unanimement par la section centrale. Je dirai plus, c’est que j’ai soutenu cette opinion. Ici, nous sommes en présence d’un délai beaucoup plus long, et, comme l’ont dit l’honorable M. Osy et M. le ministre des finances, il est impossible de prévoir les événements qui pourront surgir d’ici à 8 mois, terme le plus rapproché auquel nous aurons à nous prononcer.
Je trouve dès lors qu’il serait dangereux d’imposer une obligation au gouvernement, et que nous devons nous contenter de ses déclarations. J’espère que les circonstances seront telles qu’il sera permis de faire un nouvel essai de tout ce que peut le crédit public en Belgique.
Ce n’est pas la première fois qu’on a fait un appel à la souscription publique. En 1836, on sait quel est l’énorme succès qu’on a eu, car pour 30 millions offerts au public, il y a eu 690 millions de souscription.
En 1840, je ne me rappelle pas exactement la date, mais je pense que c’était au mois de septembre, la société générale, comme vient de le rappeler l’honorable M. Osy, a ouvert une souscription au public pour 10 millions. Cette souscription a été remplie, c’est-à-dire qu’on nous a annoncé qu’elle avait été plus que remplie. Maintenant on vient dire qu’elle ne l’a pas été. J’avoue que ceci me paraît extrêmement étrange, car lorsqu’un établissement annonce officiellement que pour 10 millions offerts, on a souscrit 11 millions, cet établissement me permettra de ne pas lui faire l’injure de ne pas croire à sa déclaration, consignée dans les journaux, j’ai été souscripteur. On m’a dit que je pouvais renoncer à une partie de ma souscription. Et néanmoins, comme j’avais confiance dans le crédit public du pays, et malgré la baisse qui avait eu lieu sur les fonds, à Paris, j’ai accepté la totalité de ma souscription, et j’en ai pris livraison.
Il y a encore un point qu’il ne faut pas perdre de vue. On n’avait pas fait un appel à tous les capitaux. La souscription à été annoncée le lundi, et le mercredi suivant, les souscriptions devaient être fermées. Par là, on s’est trouvé dans l’impossibilité de recourir aux capitaux étrangers. On a même fait un appel à tous les capitaux du pays. Les capitalistes qui étaient à la campagne n’ont pas eu le temps de donner des ordres à leurs agents d’affaires ; on n’a eu que deux fois 24 heures, et pas davantage.
Une nouvelle souscription a été ouverte en novembre 1840, pour une faible part, il est vrai, dans l’emprunt contracté avec la maison Rothschild. Cette souscription a encore été remplie.
En dernier lieu, pour l’emprunt de 14 millions contracté par la ville de Bruxelles, une souscription a été ouverte par la société générale ; sur les 14 millions on a offert au public 7 millions ; j’ai eu le bonheur d’être le cinquième souscripteur et par là, j’ai eu la part que j’avais demandée, mais le sixième ne pas eue. Telle était la convenance.
Reportons-nous maintenant à une autre époque où les capitaux n’étaient pas aussi abondants, où la Belgique n’avait pas certainement dans le crédit national une confiance aussi grande qu’elle l’a aujourd’hui, je veux parler de l’année 1823.
Le 1er septembre 1823, le syndicat d’amortissement ouvre une souscription pour 80 millions de florins au cours de 95 p. c. C’était du 4 1/2 avec des lots qui pouvaient représenter en valeur de 4 à 5 p. c. Eh bien, le 2 septembre, la souscription a été remplie ; elle avait été ouverte chez tous les receveurs généraux du royaume, et la Belgique y a pris une part très considérable : chez le receveur général à Anvers, il a été souscrit pour plusieurs millions, je me rappelle que, par mon entremise, il a été souscrit pour un million de florins.
Vous voyez donc que les souscriptions ouvertes au public ont en Belgique plus de chance que partout ailleurs, et j’espère bien qu’il sera permis au gouvernement d’y avoir recours.
Et ici on a professé une doctrine que je dois combattre de nouveau, c’est qu’il est avantageux à la Belgique d’emprunter à l’étranger. Ceci m’étonne d’autant plus que cette opinion est défendue par d’honorables membres qui, d’un autre côté, défendent la doctrine de la balance commerciale. Eh bien, cette balance commerciale, qui est fort obscure dans d’autres circonstances, elle est ici aussi claire, aussi nette qu’il est possible de l’établir.
Il est bien certain que lorsque la Belgique a recours à des banquiers étrangers, pour faire un emprunt au taux de 92 p. c., et que quelques mois après, ces banquiers étranges viennent rendre ces fonds à la Belgique à 98, sur 100 millions la Belgique procure un bénéfice de 6 millions à ces banquiers.
Il y a encore une autre balance commerciale à établir, c’est que si la Belgique prête à 4 p.c. à la Russie, à l’Autriche, au Danemarck, à la Prusse, et à tous les Etats dont elle a des obligations (et nos capitalistes ont énormément de ces bons), et qu’en même temps, elle emprunté à l’étranger à 5 1/2 p. c., elle fait une mauvaise opération.
Voilà, messieurs, indépendamment des considérations de nationalité et de l’intérêt que l’on doit porter au bien-être du pays, les motifs purement financiers qui doivent militer en faveur d’un emprunt fait pour le pays, par le pays et dans le pays.
Messieurs, nous devons avoir foi dans le crédit de la Belgique. On a dit dans une autre séance qu’on devait se défier des flatteurs du crédit public. Je ne flatte pas le crédit public, je sais tout ce que le pays renferme de ressources, et quand je vois la plupart des obligations émises à l’étranger, rentrer peu d’années après dans le pays, je crois que, de prime abord, on pourrait placer ces obligations en Belgique. La Belgique ne paye-t-elle pas des frais considérables de commission à l’étranger ? Ne vaut-il pas mieux laisser le pays jouir de ce bénéfice ?
Je rappellerai encore une circonstance. En 1815, lorsque le royaume des Pays Bas fut constitué, le crédit public en Hollande avait besoin d’être relevé ; ce crédit avait souffert de graves atteintes, par suite de la domination de l’Empire.
Le roi Guillaume qui, cependant, était un bon calculateur, fit alors un très faux calcul. Pour relever le crédit public, il prit un arrêté qui était un des actes les plus maladroits qu’il ait posés de sa vie ; ce fut de défendre aux banquiers de se charger en Hollande des emprunts étrangers. Cette mesure eut pour conséquence que les banquiers du pays ne recueillirent plus les bénéfices de ces emprunts, car ces emprunts se firent à Londres, en Allemagne, en Prusse et vinrent ensuite se placer à la bourse d’Amsterdam ; les rentiers hollandais étaient toujours là. Qu’arrivait-il, que les rentiers, au lieu d’acheter au prix d’émission, achetaient à 10 p. c. plus cher.
Le gouvernement, voyant que son but était manqué, rapporta l’arrêté et permit aux banquiers hollandais de faire les emprunts pour le pays et pour l’étranger. Depuis, la Russie fait ses emprunts en Hollande, elle a eu recours à la maison à laquelle elle était habituée de s’adresser. La Hollande a recueilli les bénéfices de ces emprunts. Je ne demande pas que nous fassions les emprunts pour l’étranger, mais que nous fassions du moins les nôtres.
Comme il n’y a pas eu de discussion générale et que la discussion actuelle doit se renfermer dans la disposition de l’article 1er, j’appellerai l’attention de la chambre sur un vœu émis par la 6ème section et partagé par la section centrale ; c’est que l’emprunt ne se fasse pas à capital fictif, mais au pair ou au taux le plus rapproché possible du pair. Ne perdons pas de vue que, dans la situation actuelle de l’Europe, si nous avons le bonheur de conserver la paix, dans peu d’années, le développement de notre crédit sera tel que les réductions de l’intérêt de nos emprunts seront très faciles, et la Belgique pourra faire en 10 ou 12 années, ce que l’Angleterre n’a pu faire qu’en 22 ans. En faisant des emprunts à capital fictif, c’est-à-dire à bas intérêt, pour un léger bénéfice que vous faites dans le présent, vous renoncez à tous les avantages de l’avenir.
Il y aurait un autre avantage à ne pas faire l’emprunt à capital fictif. Dans le cas où l’on voudrait le faire en 3 p. c., on ne le pourrait qu’en le dotant de 1 p. c. du capital nominal ; sans cela, vous établiriez une véritable défaveur, car le 3 p. c. de 1838 est doté de 1 p. c. d’amortissement, et, dans le contrat de cet emprunt, il y a une clause qui interdit la confusion des deux fonds d’amortissement, si le nouveau fonds à émettre n’est pas doté d’une part égale, c’est-à-dire si la dotation ne s’élève pas à 1 p. c. Je désirerais connaître les intentions de M. le ministre et savoir s’il se propose d’avoir égard au vœu de la sixième section auquel s’est ralliée la section centrale à la majorité de 6 voix contre une.
M. Meeus. - J’ai demandé la parole en entendant l’honorable M. Cogels répondre à M. Osy, qu’il ne croyait pas que la souscription en 1840 n’avait pas été remplie, puisque, dit-il, la société générale a annoncé à cette époque qu’elle avait été remplie. L’honorable M. Cogels qui connaît autant que moi l’importance du crédit, ne peut pas croire que la société générale, en annonçant une souscription, n’avait pas pris toutes les mesures pour s’assurer qu’elle serait remplie. Si elle ne l’avait pas fait, elle aurait encouru la plus grave responsabilité, le gouvernement aurait pu lui dire : vous avez manqué à votre mission, vous avez porté atteinte au crédit public. Quand un établissement ouvre une souscription en faveur d’un emprunt de l’Etat, il doit être certain qu’elle sera remplie, sans cela il s’exposerait à porter atteinte au crédit de l’Etat.
Qu’avait fait la société générale ? Je vais vous le dire franchement, ouvertement. Il était très probable que la souscription, si les cours de Paris arrivaient en baisse, ne pourrait pas être remplie par des particuliers. Tous les jours les cours de Paris baissaient par suite des événements politiques qui devenaient plus graves de jour en jour. On s’est dit : Cette souscription pourrait ne pas être remplie ; nous allons engager les sociétés, sous le patronage de la société générale, à assurer la souscription, et, entre autres, M. le baron Osy, à Anvers, fut chargé de souscrire pour tout ce que le public ne prendrait pas. Il fallait, avant tout, assurer le succès de l’opération.
Je vais vous dire le chiffre auquel s’est élevée la souscription des particuliers. Il a été, je trois, de cinq millions et quelques centaines de mille francs. Si on avait attendu deux jours plus tard pour ouvrir la souscription, il n’y en aurait pas eu, car les cours de Paris faisaient tomber le taux de la souscription à 2 p. c. de perte. Deux ou trois jours après la clôture de la souscription, les particuliers qui y avaient pris part perdaient donc deux pour cent sur la souscription.
Vous voyez combien il importait, à cette époque, de marcher vite et à coup sûr. Je vous l’ai déjà dit, je partage entièrement le désir de tous les membres de cette chambre, que la Belgique peut supporter tout le poids de sa dette. Mais le peut-elle déjà ? pour moi toute la question est là.
La Belgique, qui, avant 1830, n’avait pas foi dans le crédit national, qui avait pris très peu de part aux emprunts des Pays-Bas, a dû faire son éducation en fait de dette nationale.
Tous les jours la Belgique comprend qu’il lui est plus avantageux de posséder sa dette que de posséder la dette d’autres pays. Tous les jours les particuliers vendent leurs fonds métalliques, russes, brésiliens, enfin des fonds sur l’étranger, pour rentrer dans la rente belge. Cela se voit surtout depuis 1840.
Malgré cela, je maintiens que, dans le moment actuel, nous n’avons pas 3/5 de toute la dette belge en Belgique. Est-ce à dire que la Belgique est moins bien partagée qu’une autre nation qui a toute sa dette ? Je ne saurais le comprendre. Posséder c’est posséder. Si on ne possède pas la dette belge, on possède autre chose. Je ne vois pas quel mal cela peut faire à la Belgique.
Je vois que notre crédit se relève dans la confiance de l’étranger. Si on veut suivre ce qui s’est passé depuis plusieurs années, on verra que la hausse de nos fonds résultait le plus souvent des cours de Londres et de Paris, qu’elle n’était pas imprimée ordinairement par la Belgique. En ce moment même où j’ai l’honneur de parler, c’est à Paris que les fonds belges sont cotés plus haut. Il faut le dire à la louange de la Belgique. Savez-vous le moment où elle est le plus rentrée dans sa propre dette, où les particuliers ont pris une plus grande part de la dette nationale ? C’est précisément en 1840. A cette époque les capitalistes français se défaisaient des fonds belges. Cela prouve que notre nationalité a singulièrement grandi. On avait vendu beaucoup de fonds métalliques qui avaient peu baissé en comparaison des autres fonds, et on était entré largement dans les fonds belges.
L’honorable M. Cogels partagera mon opinion à cet égard sur ce qui s’est passé à cette époque.
Maintenant de quoi s’agit-il ? de faire un emprunt de 84 millions. Quelques personnes croient que cet emprunt par souscription peut être réalisé rien que par les capitaux belges. Pour moi, je ne saurais partager une semblable opinion. Je crois que cela est impossible. Maintenant, cela étant, faut-il ôter au gouvernement le moyen de recourir à l’étranger ? Pour recourir à l’étranger, il y a deux moyens : ouvrir en Belgique une souscription à laquelle les étrangers puissent participer, si on est sûr de réussir ainsi, c’est la meilleure des opérations, si vous croyez pouvoir obtenir et des Belges et des étrangers la somme dont vous avez besoin ; la souscription publique, avec concurrence, c’est le mode le plus en usage chez les nations qui ont le plus de crédit, Que M. le ministre des finances annonce que tel jour sera ouverte une souscription à tel taux, s’il est certain que cette souscription sera remplie, il fera une chose très utile au crédit national. Mais quand il aura fait une souscription pour 40 millions, il faudra qu’il en fasse encore une pour 45, et il faudra être sûr de faire la seconde opération comme la première ; sans cela vous auriez fait une mauvaise opération, car recourir, après une souscription aux banquiers étrangers, serait une mesure peu nationale.
De tels actes doivent donc être laissés à la discrétion du gouvernement. Il est impossible aux chambres de décider dès à présent de quelle manière doit être fait l’emprunt. Ce sont les circonstances politiques et les circonstances financières du moment qui devront décider le gouvernement à agir de telle manière plutôt que de telle autre.
Vouloir décider dès à présent comment on agirait dans un délai aussi éloigné, c’est être imprudent, c’est compter sans l’avenir.
M. Castiau. - Vous voyez, messieurs, que le principe de mon amendement rencontre des sympathies sur tous les bancs et qu’il a pour lui l’appui des hommes spéciaux. L’honorable M. Meeus et l’honorable M. Cogels rendent également hommage au principe dont je demande la consécration.
M. Cogels vous a même fait l’aveu qu’il avait, en 1840, soutenu avec insistance l’adoption de ce principe. Toutes les observations, qu’il vient de vous soumettre, tendent à en faite ressortir fortement les avantages. Comment donc expliquer qu’il s’oppose à l’insertion dans la loi d’un principe qui est le sien et qu’il a précédemment si chaudement défendu ?
Les membres de la section centrale, M. Osy, tous enfin sont d’accord sur les avantages de la publicité et de la concurrence, et quand il s’agit d’en consacrer le principe dans la loi, tous se retranchent derrière des fins de non-recevoir et des questions d’opportunité.
La déclaration de M. le ministre, je l’ai dit déjà, cette déclaration devant laquelle s’est arrêtée la section centrale, ne doit pas nous suffire, c’est une déclaration personnelle qui passera avec le ministre qui l’a faite.
D’ailleurs, les motifs ne manquent jamais pour éluder de telles déclarations. Il est toujours facile, quand on veut éviter le contrôle de la publicité et la loi de la concurrence, il est toujours facile de faire apparaître ces circonstances extraordinaires dont on parle et de se jouer ainsi des assurances qu’on a pu donner. Et certes, les exemples ne manqueraient pas, si je voulais en citer.
Bien souvent dans cette assemblée et dans une autre enceinte, on a annoncé hautement l’intention de recourir à la concurrence et à la publicité et à la souscription nationale, et presque toujours les assurances données ont été oubliées et les espérances qu’on avait données aux représentants du pays se sont évanouies.
On se laisse, ce me semble, par trop l’influencer par ces événements politiques qu’on fait sans cesse apparaître comme un épouvantail. Les complications politiques de 1840 qu’on a citées ne sont pas de nature à se reproduire suivent maintenant dans la vie de peuples ; il faut l’espérer, du moins. Plus le délai de l’emprunt est prolongé et plus le ministre est le maître du choix de l’époque, et moins il est pressé par la nécessité. La latitude laissée au gouvernement est donc, en définitive, un nouvel argument en faveur de l’amendement que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.
Quelles que soient les circonstances, du reste, le mode d’émission qu’on veut imposer au gouvernement, ne peut que produire des effets avantageux. En temps ordinaire, tout le monde est d’accord. Eh bien, en temps de crise, c’est encore le meilleur système financier. N’est-ce pas alors surtout que vous devez faire appel à la concurrence et à la publicité ? N’est-ce pas alors surtout qu’il faut s’adresser au crédit national ? Les banquiers étrangers auront-ils donc plus du patriotisme que les habitants du pays ? Vous offriront-ils des conditions plus favorables ? Non certes, ils profiteront de vos embarras et les exploiteront.
Le meilleur moyen de nous affranchir, c’est donc de faire appel aux ressources réunies de la concurrence et de la publicité, et d’accueillir tous les capitaux, les capitaux du pays comme ceux de l’étranger.
Tel est le but de mon amendement, et je crois devoir persister à demander son adoption.
M. Cogels, rapporteur. - Distinguons bien, et ne confondons pas la concurrence et la publicité avec la souscription ouverte au public.
L’émission avec concurrence et publicité, c’est un appel fait à des compagnies de banquiers, pour négocier l’emprunt au taux le plus élevé qui sera offert. Dans ce cas, le ministre dépose sur le bureau le minimum ; ce minimum n’est rendu public que pour autant que la souscription n’a pas été admise. Ainsi l’emprunt avec concurrence et publicité n’est pas un appel à tout le public, mais un appel à des compagnies puissantes, et l’adjudication à celle qui offre le prix le plus élevé.
Pour la souscription ouverte au public, le gouvernement fixe son prix, ses conditions ; ces conditions sont publiées ; la souscription est ouverte ; on fait un dépôt préalable ; chacun peut y prendre part. Si la somme offerte est dépassée le premier jour, on la répartit entre les souscripteurs au marc le franc. Si la souscription n’est pas comblée le premier jour, on continue le second, le troisième jour, jusqu’à ce quelle soit parfaite ; on ne la ferme que quand la somme offerte est entièrement prise. Alors ce sont les premiers venus qui ont la préférence.
C’est pour la souscription que la section centrale a manifesté sa préférence. C’est également pour la souscription ouverte au public que la grande majorité de la chambre paraît se prononcer, si des événements importants ne venaient y mettre obstacle.
L’honorable M. Castiau vous a dit que la section centrale ne s’était arrêtée que devant la déclaration du ministre. Cela n’est pas exact. La section centrale a pensé que, dans la position actuelle des choses, dans l’incertitude où nous sommes sur l’époque où l’emprunt sera contracté, il fallait se contenter de la déclaration formelle du ministre, rendue encore plus formelle par les débats qui ont lien en ce moment ; elle a considéré qu’il était impossible de prévoir les événements politiques ou financiers qui pourraient, d’ici à 8 mois, mettre obstacle à la souscription ouverte an public.
L’honorable M. Castiau a dit que les événements de 1840 étaient de ces événements qui ne se reproduisent pas deux fois dans la vie d’une nation. Ma vie n’est pas celle d’une nation ; cependant, depuis 20 ans que je me suis occupé d’affaires de finances, j’ai vu sept crises politiques ou financières, qui auraient rendu impossible la conclusion d’un emprunt.
Nous avons eu :
1° La grande crise de 1815.
2° La crise de 1818.
3° La crise de 1825.
4° La crise de 1830.
5° La crise américaine de 1837.
6° La crise politique de 1838 à 1839.
7° La crise politique du traité du 15 juillet.
En voilà bien sept.
Un membre. - Il y en a même eu huit.
M. Cogels, rapporteur. - En effet, j’en ai oublié une, celle qui s’est reproduite après la mort de l’empereur de Russie, mais ce n’était qu’une recrudescence.
Vous voyez qu’il ne faut pas la vie d’une nation pour avoir plus d’une crise.
J’aurai encore quelques mots à répondre à 1’honorable M. Meeus.
Cet honorable membre nous a dit que les emprunts belges étaient cotés plus haut à Paris qu’ils ne l’étaient ici. Je crois devoir donner sur ce point quelques explications, parce que, comme la plupart des honorables membres de cette chambre ne sont pas initiés aux secrets de la bourse, la cote peut effectivement paraître plus élevée à Paris, sans qu’elle le soit en réalité.
Ainsi nous voyons nos 5 p.c. qui sont soumis à la conversion, cotés à 105 à Paris, tandis qu’à la bourse de Bruxelles, ils ne sont cotés qu’à 103 1/8 ; mais ils n’étaient qu’à 104 1/12, vendredi, cours correspondant à celui de samedi à Bruxelles, qui est 103 1/8. Eh bien, 104 1/2 à Paris fait 102 1/2 à Bruxelles, si vous calculez 1’intérêt.
L’emprunt 3 p. c. était coté, le 8, à Paris, à 77 ; à Bruxelles il était 77 1/8 et à Anvers à 77 1/4. Il y a six semaines d’intérêt ; cela fait de sorte que la cote de 77 à Paris ne fait que 76 5/8, tandis que nous avons ici 77 1/8. Au reste, en général, depuis une couple d’années, les fonds belges ont été plus élevés en Belgique qu’en Angleterre et qu’en France, et généralement on en a reçu ici de ces pays, tandis qu’on a eu très peu d’occasions d’y en envoyer. Ceci est fort naturel et s’explique facilement, parce que, dans tous les pays qui ont un crédit bien établi, la dette nationale finit toujours par se classer dans le pays même.
C’est ainsi que nous avons vu l’Angleterre négocier dans les temps de crise ses emprunts en Hollande, en Belgique et sur le continent, et qu’a présent il n’y a presque plus un seul étranger, comparativement à la grande masse de la dette anglaise, qui y soit intéressé, parce qu’ils trouvent dans leurs propres fonds un placement plus avantageux.
C’est ainsi que nous avons vue de 1816 à 1822, la rente française et les reconnaissances de liquidation se placer principalement en Hollande et en Angleterre, et que l’on a vu la plus grande partie de ces fonds faire retour en France, depuis que le gouvernement y est solidement établi, que le crédit y a pris tout son développement.
C’est ainsi que nous avons vu disparaître des bourses belges les fonds de Naples, les fonds d’Autriche, enfin les fonds de la plupart des Etats qui ne font pas des emprunts nouveaux considérables et que nous les avons vus remplacer par les emprunts de Russie et d’autres Etats qui font des emprunts nouveaux, tandis que les autres fonds sont allés se classer dans les pays auxquels ils appartiennent, sont allés se nationaliser.
Je suis fâché d’avoir eu à m’occuper dans cette chambre de la souscription de 1840, à laquelle j’avais pris part. Je m’explique maintenant les motifs qui ont fait agir la société générale comme elle l’a fait. Il n’en est pas moins vrai de dire que si les sociétés qui étaient sous son patronage, ont pu prendre une part à cet emprunt, la souscription a été remplie. Et s’il s’était agi seulement de contrebalancer le mauvais effet qu’aurait pu causer un échec, on aurait pu se borner à dire que la souscription était remplie.
Il n’aurait pas fallu déclarer que, sur 10 millions qui étaient offerts, au-delà de 11 millions avaient été souscrits ; il n’aurait pas fallu réduire à les souscriptions faites à Bruxelles et offrir une réduction d’un dixième ou d’un huitième aux souscripteurs d’Anvers ; réduction qui m’a été offerte, mais que, comme j’ai eu l’honneur de le dire, je n’ai pas acceptée.
M. Rogier. - Messieurs, je ne sais si je dois féliciter l’honorable préopinant de la conversion qui, s’est opérée dans son opinion en matière d’emprunt. En 1840, l’honorable préopinant soutint avec beaucoup d’énergie le principe de la concurrence et de la publicité. A cette époque, toutes les crises dont on vient de vous donner la série, avaient eu lieu, et cependant ces circonstances ne l’empêchaient pas de soutenir, avec une grande insistance contre l’administration d’alors, la nécessité d’introduire dans la loi le principe de la concurrence et de la publicité.
Cette opinion fut alois combattue par le ministère et il y avait des motifs pour cela. Le ministère disait qu’une pareille injonction dans la loi pouvait, en cas de crise, le placer dans l’impossibilité de créer l’emprunt ; et cependant il fallait de toute nécessité alors emprunter, il fallait de l’argent. Ainsi en 1840 une pareille injonction pouvait avoir de très graves conséquences, et cet inconvénient capital d’empêcher la réalisation d’un emprunt tout à fait nécessaire.
M. Cogels. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Les circonstances, messieurs, sont tout autres en 1844, et s’il fallait admettre dans la loi ce principe nouveau, ce serait le cas ou jamais. Voici pourquoi.
Le gouvernement demande de faire un emprunt ; dans quel but ? Ce n’est pas que le gouvernement ait besoin d’argent, il peut avoir à racheter, en la capitalisant, la seconde moitié de la dette de la Hollande, lorsqu’elle aura justifié de l’amortissement de la première moitié. Mais le gouvernement n’est pas obligé d’emprunter pour cela. Si, à l’époque voulue, les circonstances ne sont pas favorables, le gouvernement n’empruntera pas ; il transportera tout simplement à son grand-livre la dette hollandaise,
Ainsi dans cette circonstance le principe préconisé par l’honorable M. Cogels en 1840, pourrait être inscrit dans la loi sans inconvénient. Car à l’époque des arrangements définitifs avec la Hollande, les circonstances seront favorables ou elles ne le seront pas. Si les circonstances sont favorables, l’honorable M. Cogels le reconnaît lui-même, le gouvernement pourra faire un appel à la concurrence et à la publicité, pourra faire un appel à la souscription nationale. Si, au contraire, les circonstances ne sont pas favorables, si le gouvernement ne peut emprunter, par exemple, qu’à 5 1/2, rien ne serait plus facile pour lui que de transférer la dette hollandaise, à raison de 2 1/2 pour cinquante, et tout sera dit.
Je ne comprends donc pas comment, après avoir défendu en 1840 le principe de la publicité, alors qu’il pouvait être suivi de graves inconvénients, on semble l’abandonner en 1844, alors qu’il ne présenterait aucun inconvénient.
Messieurs, je suis, quant à moi, en 1844, bien plus porté que je ne l’étais en 1840, à admettre dans la loi le principe de la publicité, ou de la souscription volontaire, et je viens de dire pourquoi. Ce n’est pas cependant que je veuille pousser aveuglément à cette espèce d’émancipation financière que l’on conseille à la Belgique avec beaucoup de patriotisme, mais avec un entraînement que je ne puis partager que sous une réserve.
Il importe aussi de s’entendre sur ce qu’on appelle notre indépendance financière. Il ne faudrait pas échapper à la dépendance de la bourse de Paris, par exemple, pour retomber sous la dépendance de la bourse d’Anvers ou de Bruxelles. Ne pas recevoir la loi du préteur quel qu’il soit mais la lui donner ; voilà ce que j’appelle de l’indépendance et tel doit être le rôle d’un Etat qui a confiance dans sa force.
A ce point de vue je crois que le gouvernement veut marcher dans toute sa liberté, il n’a pas d’autre voie à suivre que celle de la souscription publique, l’appel aux capitaux belges et étrangers, et non pas aux gros capitalistes seulement, mais à quiconque possède des capitaux, et j’ajouterai surtout de petits capitaux.
Sous ce rapport je crois que la Belgique serait parfaitement en mesure de faire face à l’emprunt de 84 millions qu’on demande l’autorisation d’ouvrir éventuellement. Beaucoup de capitaux dorment en Belgique ; beaucoup de capitaux ne produisent à leurs propriétaires aucune espèce d’intérêts. Je pose, en fait, que si la rente belge, qui est encore aujourd’hui dans le domaine de l’aristocratie financière, parvenait à se démocratiser, à se faire apprécier et accepter dans les classes intérieures de la population, vous trouveriez là un appui immense.
Dans beaucoup de nos campagnes nos cultivateurs n’ont aucune idée du crédit national ; se tenant sous ce rapport dans une grande défiance vis-à-vis du gouvernement, ils se gardent de confier leurs capitaux à l’Etat. Il faudrait éclairer ces petits capitalistes ; il faudrait les encourager à venir vers le gouvernement ; il faudrait former une grande association de rentiers du haut et bas de la société belge, une association qui serait intéressée au maintien du crédit, de l’ordre public et de la nationalité.
Nos cultivateurs, ai-je dit, se défient du gouvernement, ils n’osent pas placer leur argent dans les fonds publics. Mais c’est un préjugé qu’il faut tâcher le détruire. Je crois que le gouvernement a beaucoup de moyens de faire connaître et de répandre les avantages de la rente nationale jusque dans nos derniers hameaux.
En cas donc de souscription publique, je voudrais que le gouvernement (il a tout le temps à lui pour cela), fît un appel d’abord à toutes les administrations provinciales et communales, aux bureaux de bienfaisance, aux conseils de fabrique. Il y a là beaucoup de capitaux, pour lesquels souvent on ne trouve qu’un difficile emploi. Faute de mieux on en fait le dépôt aux caisses d’épargne. Je crois que ces capitaux seraient tout aussi bien placés et bien plus nationalement placés, si on les transformait en fonds publics.
Du moment où les bureaux de bienfaisance, les conseils de fabrique, les administrations rurales surtout, auraient pris l’habitude de placer leurs capitaux dans les fonds publics, ces habitudes s’étendraient naturellement aux particuliers. Ils verraient ce que ces inscriptions de rente ont de simple et de commun, comment les intérêts en ont régulièrement payés, et ils finiraient par y prendre goût et par y avoir confiance.
Mon but, messieurs, serait de nationaliser de plus en plus le gouvernement, de faire descendre de plus en plus les bienfaits du crédit public, jusque dans les dernières classes de la population, celle des petits capitalistes, des industriels, des agriculteurs qui, en définitive, constituent la force principale du pays.
Nous sommes, messieurs, sous ce rapport, si nous voulons faire un essai, dans une position toute favorable. Car remarquez bien qu’il s’agit ici d’un emprunt purement facultatif. Si même la souscription, l’appel aux grands et aux petits capitalistes ne réussissait pas, qu’arriverait-il ? On ne ferait pas d’emprunt. Le gouvernement ne serait pas pour cela au dépourvu, puisqu’il lui suffirait de transcrire la dette de la Hollande. Il n’y a pas force majeure d’emprunter ; c’est donc un terrain excellent pour faire l’essai dont je parle.
Pour moi j’ai tellement confiance dans le pays, que si j’avais l’honneur d’être ministre des finances, je n’hésiterais pas à faire un pareil appel. Si l’on croit que ce serait trop oser que de faire cet appel pour les 84 millions à la fois, qu’on commence d’abord par 20 millions, et j’ai la confiance que du jour au lendemain la souscription pour ces 20 millions, sera remplie, si l’on réussit pour ces 20 millions, on offrira 20 autres millions, et ainsi de suite, jusqu’aux 84 millions.
Si l’on trouvait la somme trop forte pour une souscription publique, on pourrait la partager. On pourrait faire un appel à la souscription pour la moitié, et chercher un autre moyen pour l’émission de la seconde moitié.
Aujourd’hui les caisses d’épargne renferment, dit-on, 60 millions de francs, pour lesquels elles payent un intérêt de 3 ou de 4 p. c. Serait-il donc si difficile de faire comprendre aux déposants à ces caisses d’épargne que par des inscriptions sur le grand-livre de la dette nationale, ils recevraient, au lieu de 3 p. c., 4 et même 4 1/2 p c. suivant le taux auquel l’emprunt sera contracté ? Serait-il si difficile de leur inspirer autant de confiance dans le crédit de l’Etat que dans le crédit des établissements auxquels ils confient leurs dépôts.
Du reste, je ne crois pas, messieurs, émettre ici une opinion qui soit en contradiction avec celle de l’honorable M. Cogels, ni avec l’intention de M. le ministre des finances. J’aime à croire que si M. le ministre des finances se résout à faire l’emprunt par souscription publique, il s’adressera avec confiance au pays tout entier, et je suis convaincu qu’il ne s’en repentira pas.
M. Cogels, rapporteur. - Je regrette que l’honorable préopinant ait pu voir, dans ce qu’il appelle ma conversion d’aujourd’hui, une sympathie ministérielle ; lorsque j’ai soutenu le principe de la concurrence et de la publicité en 1840, je l’ai fait parce que, à cette époque, l’emprunt devait se conclure et pouvait se conclure immédiatement, que par conséquent le temps qui devait s’écouler entre mon vote et la négociation de l’emprunt, était naturellement beaucoup moins gros d’événements qu’un espace de 12 mois.
Lorsque j’ai soutenu la concurrence et la publicité en 1840, il n’y avait, de ma part, aucune opposition au ministère d’alors, au contraire, à cette époque j’avais encore soutenu dans la plupart des mesures qu’il avait présenté un gouvernement auquel j’ai refusé, il est vrai, mon appui plus tard, pour des motifs sur lesquels il est inutile de revenir maintenant, mais qui ont été bien mal interprétés. Au reste, messieurs, lors même qu’il y aurait conversion, cette conversion ne serait-elle pas bien plutôt louable que de nature à attirer un blâme ? Si, après avoir senti les inconvénients du système que je soutenais en 1840, je reviens sur mon opinion d’alors, ne serait-ce pas un devoir que j’aurais rempli ? Je me vois à regret forcé de donner ces explications à l’honorable membre, mais je le prie de croire que, dans aucun de mes votes, il n’y a jamais eu d’opposition systématique, d’hostilité personnelle contre qui que ce fût.
L’honorable M. Rogier qui, lui aussi, paraît être converti à une autre opinion que celle qu’il défendait alors, l’honorable M. Rogier vient aujourd’hui défendre plus ou moins un système qu’il combattait à cette époque ; car c’est lui, je pense, que j’avais pour adversaire. Il nous a dit qu’il y avait d’autant moins d’inconvénients à introduire aujourd’hui la disposition dans la loi, qu’il ne s’agit pas d’un emprunt dont on ait un besoin absolu, qu’il s’agit seulement du transfert d’une partie de la dette hollandaise, qui pourrait s’opérer purement et simplement si les circonstances étaient défavorables. Mais, messieurs, c’est précisément ce transfert pur et simple que nous devons chercher d’éviter, car si nous ne profitons pas de l’avantage que nous offre l’art. 63 du traité, nous resterons grevés d’une dette de 80 millions de florins dont nous pouvons maintenant réduire le capital nominal à 40 millions et sur les intérêts de laquelle nous pourrons faire une économie de deux ou quatre cent mille florins par an, économie qui pourra être augmentée plus tard. L’emprunt dont il s’agit est donc aussi d’une impérieuse nécessité.
L’honorable M. Rogier a dit aussi qu’il ne partageait pas des idées d’indépendance financière complète que l’on voudrait faire prévaloir, que par exemple il ne refuserait pas le concours des banquiers étrangers.
Eh bien, messieurs, je ne refuse pas non plus le concours des banquiers étrangers, mais je ne veux pas subir leur loi ; ce n’est pas au mode de concurrence et de publicité que j’accorde la préférence ; j’accorde la préférence à une souscription offerte au public ; eh bien, si une souscription est ouverte au public, on fait un appel aux grands comme aux petits capitaux. Dans cette souscription ouverte au public, on pourra voir en 1844, comme on l’a vu en 1836, des maisons étrangères faire concurrence aux grands et petits capitalistes belges.
L’honorable M. Rogier nous a dit encore qu’il fallait chercher à démocratiser la rente belge. C’est là une opinion, messieurs, que je partage entièrement et que j’ai déjà eu l’occasion de développer. J’ai toujours trouvé qu’on avait rendu l’accès de notre grand-livre trop difficile, car pour faire un appel à tous les petits capitaux, pour démocratiser la dette publique belge, il faut nécessairement introduire quelques changements ; tant que toutes les obligations seront au porteur, vous ne pourrez admettre que des sommes dont les personnes appartenant aux classes peu aisées ne peuvent pas toujours disposer. Celui, par exemple, qui n’a que 500 fr. à placer ne peut pas prendre part à nos emprunts ; celui qui n’a que 1500 fr. ne peut y prendre part que pour 1000 fr. En France, au contraire, on peut placer sur le grand-livre toute somme quelconque jusqu’à concurrence de 10 fr. de rente. Aussi en France il y a au grand-livre plus de cent mille inscriptions dont plus de 50,000 ne dépassent pas 200 francs de rente. En Angleterre il y a plus de 270,000 titres nominatifs dont 87,000 ne sont que de 5 livres de rente ou au-dessous.
Ensuite, messieurs, les obligations au porteur peuvent être volées ou perdues, elles ne conviennent donc qu’à l’homme qui a un coffre-fort inaccessible aux voleurs, qui a un bureau ou une maison à lui ; elles ne sont pas faites pour les ouvriers ou pour les domestiques que vous obligez maintenant à accorder toute leur confiance aux caisses d’épargnes, où leurs dépôts sont inscrits en leur nom sur des livrets dont ils peuvent obtenir un double.
C’est là un objet sur lequel j’appelle particulièrement l’attention du gouvernement ; certainement, si nous pouvions avoir, comme en France, un grand-livre sur lequel viendraient se faire inscrire les classes ouvrières, les domestiques, ces classes intéressantes qui travaillent pendant toute leur vie pour se faire un sort dans leurs vieux jours, certainement alors, messieurs, votre crédit public serait le premier du monde.
M. Rogier. - Je n’ai pas voulu, messieurs, réveiller des questions personnelles, j’ai seulement constaté des faits.
M. Devaux. - Messieurs, nous sommes tous d’accord sur les avantages de la souscription publique. Seulement, il y a dissidence sur le point de savoir s’il faut l’écrire dans la loi. M. le ministre des finances a combattu la proposition qui tend à faire insérer dans la loi que l’emprunt sera fait par souscription publique, et je conçois très bien qu’il l’ait fait ; il a rempli en cela son rôle naturel, il a défendu une prérogative du pouvoir ; moi-même, messieurs, j’ai défendu cette prérogative aussi longtemps que je l’ai cru utile, que j’ai cru qu’il l’exerçait librement, mais je dois dire que maintenant mon opinion sur l’utilité de la latitude réclamée par le gouvernement a été singulièrement ébranlée par ce qui s’est passé dans nos finances depuis quelque temps. M. le ministre des finances vient de nous dire qu’il préfère la souscription publique, qu’il y aura recours, si cela est possible. Je ne mets aucunement en doute la bonne foi dans cette déclaration, et cependant je crains d’après toutes les probabilités, que l’emprunt ne se fasse pas par souscription si vous ne le mettez pas dans la loi. La section centrale s’est rendue à cette déclaration de M. le ministre des finances ; eh bien, l’honorable M. Smits, dans la discussion de l’emprunt de 1842, avait fait au sénat une déclaration tout aussi explicite, et l’emprunt de 1842, sans qu’il y ait eu des événements graves, n’a pas été fait par souscription publique ; cependant, je n’inculpe en aucune façon la bonne foi de M. Smits ; je suis persuadé que, comme M. le ministre des finances actuel, il était de bonne foi, c’est-à-dire que ce qu’il déclarait était son intention.
Je crois donc que si la chambre veut que l’emprunt se fasse par souscription publique il faut qu’elle l’écrive dans la loi. M. le ministre des finances a dit tout à l’heure que, par le premier projet de loi que nous avons voté, le gouvernement a montré qu’il s’était dégagé des obsessions qui l’entouraient, nous devons lui en savoir gré sans doute ; mais, messieurs, en matière de gouvernement, un acte du lendemain est-il toujours de la même couleur que l’acte de la veille ? N’est-ce pas même quelquefois à raison d un acte posé, qu’on pose un acte ultérieur d’une couleur opposée ? N’est-ce pas quelquefois parce que par un acte on a blessé telle influence ou telle opinion, que par un autre on cherche à guérir la blessure qu’on a faite ? Ce système qu’on appelle vulgairement bascule s’est vu pratiquer quelquefois dans plus d’un pays.
On objecte, messieurs, le délai de la loi, et c’est à peu près là le seul argument que l’on ait fait valoir pour établir une différence entre cette loi-ci et celle de 1840. Je crois, quant à moi, que toute la différence est en faveur de la loi actuelle, parce que d’abord, comme on l’a dit, il n’y a pas nécessité absolue de contracter l’emprunt s’il avait de grands événements, si le crédit public était ébranlé à ce point, que vous ne puissiez pas émettre du 5 p. c. au pair, vous auriez toujours la ressource de ne pas opérer le rachat de la dette hollandaise.
Le délai est long, il peut aller à un an, il peut aller même plus loin ; mais remarquez que ce délai a dépendu du gouvernement ; si le gouvernement trouve le délai trop long, il n’y a pas la moindre nécessité à ce que nous votions aujourd’hui la loi.
Le gouvernement est donc maître de la présenter plus tard, comme il est maître de la suspendre. Quand peut-on faire usage de la loi ? On peut faire usage de la loi, seulement pour racheter l’inscription hollandaise ; les fonds pour le premier quart du remboursement ne doivent être faits que quatre mois après que nous aurons déclaré que nous rachetons. Quand devons-nous faire cette déclaration ? Cinq mois après que le gouvernement hollandais nous aura remis les anciens titres amortis. Voilà donc neuf mois avant le premier versement. Quant le gouvernement hollandais remettra-t-il ses rentes amorties ? Jusqu’ici le gouvernement hollandais n’a pris, que je sache, aucune mesure pour faire cet amortissement. Evidemment il faudra un certain temps au gouvernement hollandais pour amortir les rentes ; il faudra aussi quelque temps pour nous transmettre les titres.
Il n’y avait donc pas de nécessité à voter la loi en ce moment. On ne peut dont pas nous opposer le délai, car le délai est tout à fait volontaire de la part du gouvernement. Si le gouvernement trouve le délai trop long, rien n’empêche que la loi ne soit votée plus tard. Elle n’est pas nécessaire à la conversion, elle lui est plutôt défavorable. Si l’on n’avait pas parlé de cette loi, la conversion ne s’en serait faite que plus facilement.
Le gouvernement n’a pas besoin de la loi maintenant ; il peut la préparer, quand il saura que la Hollande commence son amortissement ; il peut la demander aux chambres quelques mois après. Il faut peu de temps pour une souscription publique ou pour prévenir les banquiers, chaque fois que cette opération atteint la finance. Le moment seul est incertain. Par conséquent, il n’importait en rien que l’emprunt fût voté dès aujourd’hui.
Comme l’honorable M. Cogels, je fais une grande différence entre la publicité et la concurrence d’un côté, et la souscription publique, de l’autre. Si l’honorable M. Castiau insiste pour conserver cette double disposition dans son amendement, il faudrait voter séparément sur l’une et sur l’autre partie. Evidemment, par la concurrence publique, on s’adresse exclusivement aux grands capitalistes, tandis que par la souscription on s’adresse à tout le monde.
J’engage beaucoup le gouvernement, avant d’avoir recours à l’emprunt ou au rachat, de présenter à la chambre une loi qui oblige les communes et les autres établissements publics à placer dans la dette publique les fonds dont ils ne doivent pas immédiatement disposer. Ce sera un moyen de relever le crédit et d’emprunter par conséquent à un taux plus favorable.
J’abonde aussi dans les observations qui ont été faites, pour qu’on subdivise et les inscriptions au grand-livre, et les obligations au porteur de manière à descendre à 500 et même à 250 francs. Si l’on veut que la Belgique se prête à elle-même, c’est la mesure qu’il faut prendre. De petits industriels, des ouvriers, des cultivateurs, des domestiques prendraient des obligations de 500 et de 250 francs et ne peuvent atteindre à celles de 1,000 francs.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’ai déclaré dans cette enceinte comme dans le sein de la section centrale, qu’il était très probable que l’emprunt se ferait avec concurrence et publicité, et de préférence encore par voie de souscription publique ; j’ai dit que telle était mon intention, à moins que des circonstances extraordinaires ne vinssent y mettre obstacle. Cette déclaration, non seulement je l’ai faite en mon nom, mais je suis autorisé à la faire au nom du conseil des ministres. Si une chose m’a étonné, c’est de voir l’honorable préopinant et un autre honorable membre appuyer une proposition qui tend à ce qu’on inscrive dans la loi la clause formelle, que le gouvernement sera tenu de faire l’emprunt avec concurrence et publicité, ou par voie de souscription ; je dis que j’en ai été étonné, parce que de semblables principes sont contraires aux doctrines qu’ils ont toujours défendues au point de vue gouvernemental et sur la question même qui nous occupe.
Lorsqu’en 1840 nous avons soutenu qu’une disposition formelle, impérative, ne devait pas être insérée dans la loi, c’était parce que nous croyions qu’il fallait réserver au gouvernement toutes les chances favorables. Or, d’après moi, les motifs sont aujourd’hui plus puissants pour écarter une pareille disposition.
En effet, tout se résume en une question d’argent, En 1840, comme aujourd’hui, nous étions toujours sûrs, à un prix quelconque, de trouver les 82 millions. Il s’agissait seulement d’obtenir les meilleures conditions possibles. Aujourd’hui, il s’agit aussi de réaliser les plus grands bénéfices possibles.
Sous ce rapport, la question est donc la même qu’à cette époque. La seule différence, c’est qu’en 1840, les circonstances étaient telles au moment de la discussion, qu’elles pouvaient faire espérer le succès de l’opération financière qui devait la suivre immédiatement. L’honorable M. Cogels pouvait, en 1840, faire valoir, à l’appui de ce qu’il demandait alors, des motifs plus plausibles qu’on ne peut en alléguer aujourd’hui ; il pouvait dire : les circonstances sont bonnes, vous pouvez faire un emprunt dans trois semaines à un mois, il est peu probable que, dans ce court intervalle, une crise vienne à surgir. Voilà ce que l’honorable membre pouvait dire en 1840, et ce qu’il ne peut pas alléguer aujourd’hui.
Il doit aujourd’hui s’écouler nécessairement quelque temps avant que l’emprunt soit contracté. S’il devait se faire dans un mois, les circonstances seraient exactement les mêmes qu’en 1840, et dans ce cas, l’honorable M. Cogels aurait pu exprimer la même opinion que celle qu’il soutint, il y a quatre ans. Une autre opinion a été émise : rien ne presse, dit-on ; ajournez cette question.
Messieurs, la même proposition a été faite avant-hier par le même honorable membre. Lorsque la chambre s’occupe d’un objet, pourquoi l’ajourner ? L’expédition des affaires pourrait-elle se faire, si, pour des prétextes spécieux, on devait ajourner des discussions commencées ? Vous pouvez présenter la loi plus tard, dit l’honorable membre.
Si je viens proposer la loi dans trois mois, au terme de la session, par exemple, il peut encore s’écouler 4, 5 ou 6 mois avant que l’opération se fasse ; nous serons donc dans la même position. Je ne pourrai pas plus accepter alors cette condition impérieuse que je ne le puis aujourd’hui.
Et d’ailleurs les termes du traité n’excluent pas une convention avec les Pays-Bas, convention par laquelle on devancera le délai des paiements. Si le gouvernement des Pays-Bas venait nous exhiber les titres annulés, et si les circonstances étaient favorables, nous pourrions peut-être, à l’instant même, ouvrir une souscription publique. Nous obtiendrions immédiatement les bénéfices de l’opération. Du reste, ce n’est là qu’une hypothèse. C’est un argument que je fais valoir contre l’ajournement de la discussion.
Messieurs, je le répète, tout se résume aujourd’hui, comme en 1840, dans une question de bénéfice plus ou moins grand. Nous nous trouvons aujourd’hui dans la même position, sauf seulement que nous ne pouvons faire l’emprunt immédiatement. Il est vrai qu’en 1840, il est surgi des événements auxquels on ne s’attendait pas, mais à l’époque où l’emprunt a été voté, on ne pouvait pas penser que, dans l’espace d’un mois, ces événements viendraient à éclater ; aussi, nous nous sommes principalement appuyés sur cette considération, qu’on devait réservera à l’Etat toutes les conditions favorables.
Je me rappelle que dans la discussion qui a eu lieu au sénat, un membre du cabinet a fait sentir que des événements pouvaient surgir, qui compromettraient le succès de l’emprunt que l’on semblait vouloir ajourner en partie ; cette observation a été faite pour déterminer le sénat et ne pas scinder le projet qui, dans ce cas, aurait dû être encore renvoyé a la chambre des représentants. Je sais, d ailleurs, que cet honorable membre du cabinet ne pensait, en aucune manière, que ces événements fussent aussi prochains.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, on a cité l’emprunt autorisé par la loi du 29 septembre 1842, on a cité le contrat fait en vertu de cette loi, comme un motif de défiance contre le gouvernement.
Comme, dans le ministère actuel, je suis le seul membre qui était aux affaires en septembre 1842, je crois de mon devoir, en l’absence de M. Smits, de donner quelques explications sur ce fait.
Ainsi que l’a très bien dit mon honorable collègue, M. le ministre des finances, la question se réduisait en définitive à savoir par quel mode on pouvait obtenir les conditions les plus avantageuses, le plus d’argent.
L’emprunt de septembre 1842 s’est fait à un taux très élevé. Nous devons nous demander si, à cette époque, et eu égard aux circonstances, nous pouvions avoir un taux aussi avantageux par souscription. Je n’hésite pas à répondre négativement.
Notre intention première était d’ouvrir l’emprunt au pair par souscription. Il nous aurait fallu la garantie d’une maison de banque, pour la partie de la souscription qui aurait pu ne pas être couverte, et pour obtenir cette garantie, il aurait fallu lui accorder une prime. Voilà quel était le projet du gouvernement. Nous étions, messieurs, en présence de trois circonstances que nous avons dû prendre en considération, à savoir : nos affaires avec la Hollande n’étaient pas arrangées, nos affaires avec la société générale n’étaient pas terminées non plus et enfin le crédit de la ville de Bruxelles n’était pas rétabli. Ces trois circonstances, nous avons dû les prendre en considération ; le conseil a décidé à l’unanimité que l’emprunt serait offert à la maison Rothschild à un taux même quelque peu supérieur à celui auquel on devait l’offrir à la souscription. Le chef de maison Rothschild a accepté ; s’il n’avait pas accepté, on aurait eu recours à la souscription. De sorte que tout est dans une question de fait, le taux et les circonstances.
L’emprunt de septembre 1842 s’est fait à un taux très avantageux, au-dessus du pair, à 100 3/4 net ; vous n’auriez pas eu 100 3/4 net par la souscription. Voilà ce que je pose en fait. Du moment que vous ne l’auriez pas eu au même taux par la souscription, je dis qu’il fallait accepter de traiter de la main à la main, d’autant plus que nous avions d’autres affaires et des grandes affaires à terminer. Nous avions précisément alors à conclure avec la Hollande, à nous entendre avec le gouvernement hollandais sur un transfert qui vous offrirait les chances d’un bénéfice pour les capitalistes. C’est ce que vous avez obtenu de la Hollande. (Interruption.)
Je dis qu’étant engagé dans une négociation avec la Hollande, il y aurait eu imprudence de recourir sans nécessité à la souscription pour obtenir mieux que vous ne pouviez retirer sans rien risquer d’une convention de la main à la main. Je regrette l’absence de l’ancien ministre des finances, l’honorable M. Smits, qui vous aurait confirmé tous ces faits, en entrant dans les plus grands détails. Au reste l’honorable M. Van Volxem, qui est ici, peut vous confirmer ce que je viens de dire (marques d’assentiments de M. Van Volxem.) La première intention du gouvernement était de traiter la souscription pour obtenir le pair ; nous avons obtenu mieux en traitant de la main à la main ; et cette négociation avec le chef de la maison Rothschild a été conclue en quelques minutes, dans une conférence que M. le ministre des finances a eue avec lui dès son arrivé à Bruxelles, il lui a demande s’il voulait l’emprunt à tel taux, que c’était à prendre où à laisser, que s’il ne le prenait pas, il ouvrirait une souscription.
Pour apprécier cette opération de l’emprunt de 1842, je prends en considération, non seulement le taux auquel il a été conclu, mais encore les circonstances dans lesquelles on se trouvait. Le taux suffirait pour justifier l’acte, mais il faut encore reconnaître que la situation n’était pas aussi bonne qu’aujourd’hui. Nous étions dominés par les trois circonstances que j’ai rappelées. Notre situation est aujourd’hui bien meilleure.
Je suis aussi de ceux qui pensent que le gouvernement belge doit se constituer d’une manière indépendante et par là même plus nationale sous le rapport financier. Mais je veux arriver à ce résultat graduellement sans secousse et avec le moins d’incertitude possible.
Les trois faits que j’ai cités, sont accomplis et très heureusement accomplis selon moi, grâce à ces trois événements, nous pouvons faire quelques pas vers ce qu’on a appelé tout à l’heure l’émancipation financière du pays ; ce que vous n’auriez pas pu tenter avant l’accomplissement de ces trois faits, vous pouvez le tenter aujourd’hui.
Ce serait une erreur, et cette erreur on la commet souvent, que de juger les actes d’un gouvernement, abstraction faite des circonstances. Il n’y a pas de principe absolu pour juger des actes de ce genre ; il faut les juger eu égard aux circonstances. C’est pour cela que j’ai rappelé celles dans lesquelles on s’est trouvé en septembre 1842, Je le répète ce que vous ne pouviez pas tenter alors pour l’émancipation financière du pays, vous pouvez le tenter aujourd’hui ; et la déclaration qui vous est faite par M. le ministre des finances, j’espère que les circonstances permettront cette fois de l’accomplir à la lettre. Mais il faut laisser le gouvernement juge de la position que nous ne pouvons pas prévenir aujourd’hui en tout point.
En avril 1840, je me suis trouvé être membre de la section centrale pour l’emprunt qu’il s’agissait d’autoriser alors ; j’ai soutenu seul, à la section centrale, qu’il ne faut pas inscrire dans la loi que l’emprunt sera fait nécessairement de telle manière, j’ai soutenu qu’il fallait se contenter des déclarations du gouvernement. A cette opinion je reste fidèle, je n’étais pas alors membre du cabinet, je l’ai soutenue en faveur de ceux qui étaient alors au pouvoir, je m’y retrouve aujourd’hui, et je reproduis la même opinion.
M. Coghen. - MM. les ministres des finances et de l’intérieur ont traité beaucoup de points que je me proposais de traiter. Toutefois je dirai que jusqu’ici je me suis toujours opposé à ce qu’on insère dans les lois d’emprunt, des prescriptions formelles et impératives qui ordonnent au gouvernement de se comporter d’une manière déterminée sans savoir si les circonstances lui permettront de le faire. Messieurs, la leçon reçue en 1840, indépendante tout à fait de la volonté du ministre, mais occasionnée par les événements, cette leçon est si désastreuse pour nos finances que je désire vivement qu’on ne retombe pas dans la même faute et qu’on n’insère dans la loi aucune prescription qui ordonne tel mode de faire la capitalisation des 80 millions de florins à 2 1/2 p.c. de rente. Il ne faut pas perdre de vue que des événements graves peuvent survenir qui produisent des circonstances telles que, par la détermination d’un mode, on aurait commandé une opération des plus désastreuses pour le trésor. Il faut même que le gouvernement anticipe sur le délai qu’il a devant lui, il faut qu’il saisisse l’occasion favorable où se trouve le crédit de toutes les nations pour faire l’opération qui va réduire de 40 millions notre dette et 500,000 fr. à un million la rente annuelle. C’est un devoir pour le gouvernement de saisir le plus promptement possible l’occasion de la hauteur des fonds publics pour faire cette opération, comme ont fait toutes les autres nations qui ont voulu réduire les intérêts de leur dette.
Je crois qu’il serait utile d’émettre des obligations d’une somme peu importante. Je partage l’opinion de l’honorable M. Rogier, qu’il serait heureux qu’un plus grand nombre de Belges puissent participer à nos emprunts et avoir des fonds publics comme ressources et comme revenus. Toutefois, on ne doit pas se faire illusion. Ce n’est que le temps, la consolidation de notre nationalité qui peut amener ce résultat.
On invoque l’exemple de la France et de l’Angleterre ; Mais ces nations existent depuis des siècles comme nations, tandis que la Belgique est née d’hier ; mais nous devons espérer qu’il ne nous faudra pas autant de temps pour intéresser les Belges au crédit public. Pour y parvenir, je pense qu’il serait bon de permettre l’émission d’obligations de 500 fr, et surtout avec inscription au grand-livre.
Je répète, en terminant, qu’il serait imprudent de faire la moindre stipulation dans la loi qui nous est soumise. Je me rallie, en conséquence, à la proposition et à la rédaction de la section centrale, conjurant le gouvernement, quand il aura obtenu la loi de la législature, de ne pas attendre pour préparer son opération, que la Hollande nous donne les rentes qu’elle doit justifier avoir anéanties, mais d’anticiper et le plus promptement possible, car ce sera nous faire jouir plus tôt de l’avantage qui doit résulter de cette opération.
M. de Foere. - Je commence par reconnaître que la question dans laquelle nous nous trouvons est délicate et même grave ; mais je pense aussi qu’il faut oser, c’est-à-dire qu’il faut admettre la souscription publique et inscrire la disposition dans la loi. Je tâcherai de ne répéter aucun des arguments qui jusqu’à présent ont été présentées à la chambre comme favorables à cette disposition. Une souscription publique à un emprunt levé par un Etat qui jouit d’un crédit bien établi, excite vivement les intérêts des banquiers et des capitalistes nationaux et étrangers.
Il s’agit de bénéfices à faire, d’avantages à recueillir. Le résultat de la souscription dépendra donc du taux auquel elle sera ouverte. Si le taux est avantageux relativement au prix de l’argent sur les principaux marchés de l’Europe, il me paraît que nous ne devons pas craindre des lacunes dans les souscriptions. Les intérêts avantageux et les bénéfices qu’on pourra recueillir feront affluer les capitaux à la table de souscription. En tout, ces lacunes ne sont pas à craindre quand la souscription ne serait pas remplie, il y aurait d’autres moyens de la parfaire. Un moyen a déjà été indiqué. Je n’en indiquerai pas un autre publiquement ; mais je le communiquerai, en cas de besoin, à M. le ministre des finances, si tant est qu’une lacune doit être comblée.
On a craint des obstacles éventuels à la souscription ; si dans l’intervalle de la loi et de la souscription, il surgissait inopinément des circonstances qui seraient de nature à entraver la souscription, le gouvernement n’aurait qu’à proposer un bout de loi pour abroger la disposition insérée dans la loi ; de sorte que, par ce moyen très facile et très simple, les obstacles, s’il en survenait, seraient enlevés.
Je ne terminerai pas sans m’opposer à l’idée suggérée par l’honorable M. Rogier, et appuyée par l’honorable M. Coghen, d’émettre l’emprunt par parties, et de commencer par une somme de 20 millions.
En premier lieu, ce renouvellement continuel d’emprunts belges agit très défavorablement sur notre crédit public. Si vous commencez par 20 millions, il faudra ouvrir un autre emprunt, puis un autre encore. Ce renouvellement continuel d’emprunts est très nuisible au crédit du pays.
En second lieu, vous rencontreriez un grand nombre de banquiers et de capitalistes qui hésiteraient dans l’alternative de souscrire ou de ne pas souscrire au premier emprunt. Ils auraient des motifs pour ne pas concourir à ce premier emprunt, dans l’espoir que si cet emprunt ne réussit pas, ils obtiendront de meilleures conditions dans le second.
En troisième lieu, vous aurez à craindre une coalition des grands banquiers, qui conviendraient de s’abstenir dans le premier emprunt. S’il en était ainsi, les capitalistes, conseillés par les banquiers, s’abstiendraient aussi dans l’espoir que le gouvernement serait forcé d’offrir, pour le deuxième emprunt, des conditions plus favorables. Je me bornerai à ces simples considérations.
M. Rogier. - MM. les ministres des finances et de l’intérieur paraissent faire grand cas de la persistance dans les opinions. Je les en félicite ; je les en félicite sincèrement ; cette déclaration de leur part sera sans doute considérée comme d’un bon augure pour l’avenir. Je serais désolé toutefois d’avoir eu une leçon à recevoir sous ce rapport de la part des honorables ministres de l’intérieur et des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas eu la pensée de donner une leçon.
M. Rogier. - J’ai défendu aujourd’hui le système de la souscription publique. J’ai toujours été partisan de ce système, en 1840 comme en 1844.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) et M. le ministre des finances (M. Mercier) - Nous aussi.
M. Rogier. - J’ai fait valoir les motifs qui me semblent plus favorables à ce système en 1844 qu’en 1840. J’ai fait remarquer à l’honorable M. Cogels que, s’il y avait des raisons, en 1840, pour s’opposer à inscrire dans la loi le principe de la souscription publique, ces raisons étaient beaucoup moins déterminantes en 1844. J’ai osé un dilemme auquel on n’a pas répondu. En 1840, il y avait obligation d’emprunter à tout prix ; en 1844, il n’y a pas obligation d’emprunter. L’opération est toute facultative : si elle ne peut se faire d’une manière avantageuse, quand le moment sera arrivé on pourra tout simplement se borner à transcrire la dette hollandaise à raison de 5 p.c.
Tout en soutenant, en 1840, comme je le soutiens en 1844, le système de la souscription publique, je n’ai pas été jusqu’à demander l’insertion du principe dans la loi.
On nous parle du grand désir qu’on a de se montrer indépendants ; ne soyons pas indépendants à demi. Osons faire un appel au pays. Ne passons pas de la dépendance à de tels grands capitalistes sous celle de tels ou tels autres ; adressons-nous avec confiance à tous les capitaux. Quand on dépend de tout le monde, on ne dépend de personne.
J’ai voulu engager M. le ministre à persister dans son opinion de 1840 ; il voulait alors la souscription publique. Je l’ai engagé à persévérer dans cette voie. Je suis parfaitement conséquent avec moi-même. Tout en restant conséquent avec moi-même, je puis dire qu’un principe, qui n’aurait pu, sans préjudice, être inséré dans la loi en 1840, pourrait sans inconvénients être introduit dans la loi actuelle, les circonstances n’étant pas les mêmes. Cependant, tout en n’y voyant pas d’inconvénient, je n’ai pas demandé cette insertion,
Je crains, je l’avoue, d’après la tournure que prend cette discussion, qu’il n’y a des engagements.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est ce qu’on nous disait en 1840.
M. Rogier. - Je vous en supplie, pour vous-même, M. le ministre, ne m’amenez pas sur le terrain politique.
Je crains qu’après avoir fait acte d’indépendance d’un côté, on ne soit amené à faire acte de dépendance d’un autre côté. Si le gouvernement déclarait qu’il est entièrement libre de tout engagement pour le présent et pour l’avenir, j’ajouterais foi volontiers à cette déclaration. Mais il me sera permis d’exprimer ici quelques doutes que je suis prêt à retirer si l’on fait la déclaration formelle qu’il n’y a aucun engagement vis-à-vis d’aucun capitaliste.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je regretterais beaucoup que l’honorable membre eût pensé que mon intention était de lui donner une leçon. J’ai fait une simple observation. Quant à une leçon, je crois qu’il ne l’accepterait pas plus de moi que je ne l’accepterais de lui. Mais j’ai exprimé quelque étonnement de ce que l’honorable membre (c’est ainsi que je l’avais compris), eût manifesté l’opinion qu’il serait convenable d’écrire dans la loi ce principe que l’emprunt doit se faire avec concurrence et publicité, ou par souscription publique.
M. Rogier. - Je ne l’ai pas dit.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je suis charmé d’avoir mal compris. J’accepte cette déclaration. J’avais compris que vous appuyiez l’amendement de M. Castiau. Je suis heureux de m’être trompé.
L’honorable M. Rogier, nous disant qu’il craignait que les engagements ne fussent déjà pris, je n’ai pu m’empêcher de l’interrompre, parce que je me suis senti frappé de cette idée, qu’en 1840 plusieurs membres avaient fait cette même objection. Comme alors, je déclare de la manière la plus formelle, que non seulement il n’y a pas eu d’engagement envers quelque personne que ce soit, mais qu’il n’y a pas même la moindre négociation entamée.
Messieurs, je saisirai cette occasion pour répondre à une demande que me faisait l’honorable rapporteur de la section centrale sur le taux de l’intérêt, auquel probablement pourrait se faire l’emprunt.
Messieurs, j’ai déjà exprimé mon opinion sur ce point. Je pense qu’il faut le moindre accroissement possible de capital. Ainsi, considérant le capital à 40 millions, je dis qu’il faut que l’emprunt se fasse à un taux aussi rapproché que possible du pair et qui permette de ne pas dépasser ce capital. Si l’emprunt devait se faire dans les circonstances actuelles, j’adopterais probablement un 4 1/2 ou un 4 p. c. avec une certaine prime ; je n’aurais pas recours à un 3 1/2 ou à un 3 p. c. Mais si dans huit mois, ou un an, notre crédit venait à prendre un grand essor, et si le 3 p. c. nous offrait un placement très favorable, qu’on pût l’émettre à 85, par exemple, je croirais devoir lui donner la préférence, parce que nous réaliserions immédiatement un bénéfice considérable. Mais à moins de circonstances de cette nature, je crois que nous devons nous en tenir, par les raisons que j’ai données dans l’exposé des motifs à l’appui du projet que nous discutons, à un intérêt qui permette de ne pas accroître ou de n’accroître que facilement le capital.
Messieurs, l’honorable préopinant se fondait sur ce qu’en 1840 nous étions dans la nécessité de contracter un emprunt à tout prix. C’est vrai ; il y avait alors un découvert considérable, et il fallait immédiatement des capitaux. Mais je reproduis l’observation que j’ai déjà faite ; tout se résume dans une question d’argent, dans une question de bénéfice. Nous n’avons jamais douté, en effet, de la possibilité de trouver des capitaux pour faire face à nos besoins, mais il fallait les trouver aux meilleures conditions possibles ; pour cela nous voulions conserver toutes les chances favorables et nous repoussions par conséquent l’insertion dans la loi des mots « avec concurrence et publicité ou par souscription publique. »
Il s’agissait donc d’une question de différence ou dans le taux d’intérêt ou dans le capital. Eh bien, la question est la même aujourd’hui. Nous ne sommes pas pressés par les circonstances, c’est-à-dire que nous ne devons pas affecter les capitaux provenant de l’emprunt à des dépenses publiques. Mais là ne gît pas la question, elle se trouve tout entière dans le taux de l’emprunt. Aujourd’hui, selon moi, il y a une raison de plus pour ne pas écrire la disposition dans la loi : c’est que nous ne connaissons pas les circonstances qui se présenteront à l’époque où l’emprunt sera conclu : tandis que nous savions, en 1840, sous l’empire de quelles circonstances nous allions traiter ; c’était alors dans le moment même, ou à une époque très rapprochée, que l’emprunt devait être contracté. La position est donc moins favorable aujourd’hui sous ce rapport.
M. Devaux. - Messieurs, je dis que, si la chambre veut la souscription publique, je crains bien que le seul moyen de l’obtenir ne soit de l’inscrire dans la loi.
On vous objecte les paroles prononcées dans cette séance et devant la section centrale par M. le ministre des finances. Je vous demande la permission de lire la déclaration qui avait été faite devant le sénat en 1842, par M. le ministre des finances de cette époque ; son successeur vient de vous dire que c’était devant le sénat seulement que cette déclaration avait été faite, comme c’est devant la chambre des représentants seulement qu’on en fait une aujourd’hui. Mais je pense qu’une déclaration faite devant le sénat équivaut à une déclaration sérieuse, et que, qu’elle soit faite devant une chambre ou devant l’autre, la portée doit en être la même.
Voici, messieurs, les paroles de M. le ministre des finances dans la discussion du projet d’emprunt de 1842 :
« Je partage, quant au mode d’emprunt, l’opinion de notre commission. Je pense qu’il faut faire l’emprunt dans le pays et pour le pays. J’émets cette opinion parce qu’à l’étranger il y a une erreur généralement accréditée, c’est que la Belgique ne peut faire ses travaux d’utilité que par les capitaux étrangers. Je dis que c’est une erreur car tous ceux qui sont un peu au courant de la situation des fonds publics, savent très bien que la plupart des valeurs belges sont revenues dans le pays ; et je n’exagérais pas en disant qu’il n’y a peut-être pas pour plus de 2 millions de ces valeurs à l’étranger, toutes les autres ayant été placées dans le pays. Un emprunt par souscription, messieurs, stimule le sentiment national. Il contribue à répandre dans le public le goût et l’habitude des placements d’argent en valeurs de l’Etat ; et, pour ma part, je crois que la nationalité d’un pays n’est jamais mieux garantie que par l’intérêt qu’ont ses propres enfants à sa conservation. C’est l’opinion que je défendrai dans le cabinet et que je défendrai partout ailleurs. »
Voilà, messieurs, en quels termes M. le ministre des finances s’exprimait devant le sénat. L’engagement était-il moins formel que celui qu’a pris aujourd’hui son successeur ?
A la vérité, on dira aujourd’hui que M. le ministre les finances d’alors parlait seul et que M. le ministre des finances d’aujourd’hui a parlé au nom du conseil des ministres. Mais, messieurs, nous savons tous que les conseils des ministres ne sont pas immuables. Les conseils des ministres changent, et certainement je ne suis pas pessimiste, même pour le conseil des ministres actuel, en prévoyant qu’il y aura quelque modification dans son sein d’ici à l’époque où l’emprunt doit se réaliser, c’est-à dire, d’après ce qu’on a déclaré, d’ici à un an, un an et demi. Je demande donc si nous avons plus de garantie aujourd’hui qu’on en avait en 1842 ?
M. le ministre de l’intérieur vient de défendre l’emprunt de 1842 et de dire pourquoi on n’avait pas eu recours à la souscription. Je dirai que les paroles de M. le ministre de l’intérieur me confirment dans cette crainte que, si la souscription n’est pas décrétée par la loi, elle n’aura pas lieu. En effet, messieurs, que vient de vous dire M. le ministre de l’intérieur ? Que la conclusion de l’emprunt avec les maisons qui ont contracté, a été préférée à la souscription publique, parce qu’on n’aurait pu, dit-il, émettre l’emprunt au pair, et qu’on l’a émis à 100 3/4. Or, d’après les calculs que vient de faire l’honorable M. Cogels, mon voisin, bien plus compétent que moi en cette matière, l’emprunt que M. le ministre de l’intérieur dit avoir été conclu au-dessus du pair, et qu’on aurait pu offrir au pair en souscription publique, a été conclu à 97 et une fraction.
M. Cogels. - A peu près 98.
M. Devaux. - Parce qu’il faut tenir compte de la commission d’un p. c. payée à la maison qui a contracté et du change de Londres s’élevant à près de 2 p. c., ces charges qui portent sur l’intérêt atteignent nécessairement le capital.
Ainsi, messieurs, voilà comment l’emprunt de 1842 l’a emporté sur une souscription publique au pair, et s’il suffit d’un motif de préférence semblable pour décider le gouvernement à abandonner la souscription publique, vous sentez qu’on le lui offrira aussi bien cette fois qu’en 1842.
M. Meeus. - Je demande la parole.
M. Devaux. - L’avantage, messieurs, dont on n’a pas parlé, c’était de relever le crédit public, c’était de faire voir à l’étranger ce que pouvait la Belgique par elle-même, de faire voir à la Belgique qu’elle n’était pas vassale d’une maison financière. Voilà l’immense avantage qui serait résulté de la souscription. On aurait relevé la Belgique à ses propres yeux et aux yeux de l’étranger, et son crédit lui-même n’aurait pas tardé à s’en ressentir.
Un honorable membre a dit que la souscription avait reçu une leçon en 1840 ; c’est l’honorable M. Coghen. Messieurs, l’honorable membre se trompe. Si l’on avait eu recours, en 1840, pour l’emprunt de 86 millions, à la souscription, l’emprunt aurait réussi.
Pourquoi n’a-t-il pas réussi ? Parce qu’on a admis un délai, parce qu’on a fait un appel aux capitalistes, avant de prendre un parti sur le mode même, mais si la souscription avait été immédiatement ouverte, elle aurait devancé les événements.
Messieurs, quant au délai, je n’ai pas précisément demandé l’ajournement de la loi ; j’ai plutôt fait voir que ce délai était tout à fait volontaire, que le gouvernement l’avait voulu. On dit que le délai offrira des moments favorables pour faire l’emprunt. Ce serait là une raison de plus pour recourir à la souscription. Vous avez le choix de l’époque, et si ces circonstances favorables que vous prévoyez se réalisent, vous en userez ; ce ne sont pas ces circonstances qui empêcheront la souscription, elles la favoriseront au contraire.
Messieurs, il est beaucoup plus conforme à mes opinions de laisser de la latitude au gouvernement en cette matière. Je sais combien, en administration, le gouvernement a besoin de pouvoir agir librement. Mais, messieurs, est-ce cette liberté que vous lui donnerez ? Voilà ce que je me demande ; voilà ce que je vous demande après ce qui s’est passé en 1842. Je demande si vous ne lui donnez pas, au contraire, la liberté en inscrivant la souscription dans la loi ; ou plutôt le gouvernement a-t-il ici autre chose que le choix des entraves ? Si vous ne décidez pas que l’emprunt se fera par souscription, le gouvernement sera libre devant la loi, mais il ne le sera peut-être pas devant ces obsessions dont M. le ministre des finances nous a parlé aujourd’hui même ; si le pouvoir doit être dépendant, j’aime mieux qu’il le soit de la loi que de ces obsessions. En d’autres circonstances, sous les précédents si récents, et si je pouvais croire que le ministère userait en toute liberté de la latitude qu’il réclame, je ne la lui refuserais probablement pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, pour justifier l’emprunt de septembre 1842, je ne me suis pas borné à dire qu’on n’aurait pas obtenu un taux si favorable par la souscription. Mais j’ai encore cité les circonstances d’alors, circonstances qu’on passe aujourd’hui sous silence. J’ai donc à la fois justifié l’acte par le taux et par les circonstances.
M. Devaux. - La souscription de la société générale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La souscription de la société générale ? Il aurait fallu, pour faire la souscription, traiter avec une maison de banque et obtenir sa garantie à l’aide d’une prime.
Nous étions alors, je le répète, engagés dans une très grande négociation avec la Hollande ; nous devions, avant tout, terminer nos affaires avec ce pays. Nous avons terminé et nous n’avons pas cru sans nécessité devoir tenter l’emprunt par souscription ; ce sont ces circonstances qu’il faudrait discuter.
Je répète donc, messieurs, 1° que, quant au taux l’acte est justifié en ce que le taux est plus avantageux que celui que l’on aurait obtenu à cette époque par une souscription publique ; 2° qu’il y avait des circonstances toutes spéciales, toutes exceptionnelles qui devaient engager le gouvernement à ne pas recourir sans nécessité, dans ce moment-là, à une souscription.
Je dis avec l’honorable préopinant, car en fait nous sommes d’accord, je dis : il faut que cette opération nouvelle se fasse par souscription, si le gouvernement ne la fait pas par souscription, il faut qu’il puisse invoquer des circonstances toutes spéciales pour justifier qu’il n’a pas eu recours à une souscription ; si ces circonstances toutes spéciales ne se présentent pas, il est tenu à ouvrir une souscription et il y a lieu de croire que ces circonstances ne se présenteront pas.
L’honorable préopinant (et je lui en sais gré) a rappelé le discours prononcé au sénat par l’honorable ministre des finances d’alors. Vous aurez remarqué, messieurs, que ce discours n’est pas une déclaration formelle du gouvernement ; M. le ministre des finances disait que, dans son opinion, il fallait en général donner la préférence à la souscription ; que c’est sous ce point de vue que la question serait traitée dans le conseil ; eh bien, cela eut lieu, mais le conseil, à l’unanimité, finit par décider que, eu égard aux circonstances et à moins qu’il fût impossible d’obtenir des conditions assez avantageuses, il fallait recourir à une maison de banque, c’est ce qui fut fait.
Il n’y avait donc pas, messieurs, un engagement positif, irrévocable, pris par le gouvernement ; les expressions rappelées par l’honorable préopinant le démontrent ; il n’y avait qu’une opinion individuelle énoncée par un ministre ; ce ministre disait que l’opinion qu’il exprimait serait soumise au conseil, mais il ne disait pas qu’une résolution avait été prise par le gouvernement.
Dans le discours d’ouverture de la session de 1842 à 1843, on a en soin de faire mention de cet emprunt ; on a dit aux chambres que cet emprunt avait été contracté à un taux avantageux, et c’est à dessein qu’on a inséré cette déclaration dans le discours d’ouverture ; on sentait bien qu’en présence des expressions dont M. le ministre des finances s’était servi au sénat, il fallait appeler franchement l’attention des chambres sur ce point. Eh bien, messieurs, aucune réclamation ne fut élevée, ni dans l’une, ni dans l’autre chambre ; si des réclamations avaient été faites, M. le ministre des finances aurait parfaitement justifié sa conduite et celle du gouvernement. Alors, messieurs, cet acte aurait encore été mieux compris, mieux apprécié qu’il ne peut l’être aujourd’hui, car à une certaine distance des événements on est toujours tenté de considérer les actes isolément, au lieu de les mettre en rapport avec les circonstances au milieu desquelles ils ont été posés : Je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas fait ses réclamations lorsque peu de temps après la conclusion de l’emprunt le discours du trône a appelé d’une manière solennelle l’attention des chambres sur cet acte.
Je ne puis, messieurs, que répéter la déclaration qui a été faite : l’emprunt se fera par souscription, telle est l’intention formelle du gouvernement, et rien ne nous fait prévoir des circonstances qui puissent le forcer à opérer d’une autre manière. Dès lors, j’oserai faire un appel aux principes gouvernementaux qui ont toujours guidé l’honorable préopinant lui-même. Pourquoi dévier des principes, pourquoi insérer une clause restrictive dans la loi, lorsque le gouvernement déclare qu’il aura recours à une souscription, et que rien ne fait prévoir des circonstances qui puissent nécessiter un autre mode d’émission.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Devaux à dit tout à l’heure que l’emprunt de 1842 aurait été contracté au taux de 97 à 98 p.c. ; c’est là une erreur, le chiffre qui m’a été donné est bien celui de 100 3/4 net. Je crois que l’honorable membre qui a indiqué un autre chiffre à l’honorable M. Devaux…
M. Devaux. - J’ai compté la commission et la différence du change.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - La différence du change jusqu’à l’estimation du capital. D’abord le change peut varier, mais ensuite il y a dans le contrat une clause en vertu de laquelle le gouvernement ne s’interdit la faculté de rembourser l’emprunt que pendant six années. Ce terme expiré, nous pouvons faire pour cet emprunt ce que nous ferons pour l’emprunt de 1832, en vertu de la loi que la chambre a votée dans sa dernière séance.
Ainsi, messieurs, il ne faut pas calculer la différence du change pendant 35 ou 36 ans ; il ne faut le supputer que pendant 6 ans et alors vous arriverez certainement à un taux bien supérieur à 98 p. c. J’ai cru devoir présenter cette observation parce qu’elle est importante pour l’objet dont nous nous occupons.
Je dois répondre à une autre objection de l’honorable membre. Il a dit que nous avons le choix du moment pour le rachat du capital de 80 millions dont il s’agit. Non, messieurs, nous n’avons pas le choix du moment, mais il peut se présenter telle éventualité qui nous permette de devancer l’époque indiquée par le traité. De là à avoir le choix du moment il y a loin. Cet argument ne peut donc pas être admis.
Je ne crois pas, messieurs, avoir dit que j’avais été en butte à des obsessions ; si j’avais dit cela, je me serais mal exprimé ; j’ai entendu déclarer que je ne céderais à aucune obsession et que je croyais avoir donné des preuves de mon indépendance. Certes la loi relative à la conversion n’a pas été agréable à tout le monde et je crois qu’elle suffit pour démontrer que je ne céderais pas à des obsessions ; je saurai, messieurs, accomplir mon devoir d’homme politique en matière de finances comme sous tout autre rapport ; je ne m’en laisserai pas écarter par la crainte de soulever contre moi des inimitiés.
M. Verhaegen. - Je dois, messieurs, répondre quelques mots aux deux discours de M. le ministre de l’intérieur. Je suis, moi, partisan de la publicité et de la concurrence ; je suis partisan surtout de la souscription publique, et, quant à ce dernier point, je désire que la condition en soit insérée dans la loi. Sous ce point de vue, je voterai pour l’amendement de M. Castiau, appuyé par l’honorable M. de Foere et par l’honorable M. Devaux qui vient de présenter à cet égard des considérations auxquelles on n’a pas répondu le moins du monde.
L’honorable M. Nothomb vous a dit tantôt, messieurs, que le taux auquel l’emprunt de 1842 a été émis et les circonstances dans lesquelles il a été négocié, prouvent à la dernière évidence que l’on peut traiter plus avantageusement de gré à gré que par souscription publique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit cela d’une manière absolue.
M. Verhaegen. - Vous avez tiré cette conclusion du taux de l’emprunt de 1842, qui a été négocié de gré à gré. Eh bien, messieurs, le fait qui sert de base à cette objection prouve précisément le contraire et je rétorque l’argument contre M. le ministre de l’intérieur. Il faut ne pas oublier ce qui a eu lieu en 1842 ; un grand financier s’était présenté au ministère pour traiter de gré à gré, et les premières offres de ce financier étaient au-dessous du pair. Il avait été question déjà depuis quelque temps d’offrir l’emprunt aux bourses de Hambourg et de Francfort. Les choses en étaient là, lorsque la banque de Belgique est entrée en concurrence et a fait des offres plus avantageuses. Si mes renseignements sont exacts, elle offrait au-delà du pair, et ce n’est qu’alors que le grand financier dont j’ai parlé, voyant qu’il y avait quelqu’un qui offrait mieux que lui, ce n’est qu’alors que ce grand financier a fait les propositions qui ont été acceptées, et encore si je sois bien informé, la banque de Belgique a eu une petite part à l’emprunt. Je ne veux faire aucune réflexion à cet égard, mon but est seulement de démontrer que si les premières offres qui avaient été faites au gouvernement, ont été améliorées, c’est précisément parce qu’il y a eu quelque concurrence ; or il est fort possible que si la concurrence avait été plus grande, la banque de Belgique n’aurait rien obtenu du tout et que les conditions eussent été plus avantageuses pour le gouvernement.
Voilà, messieurs, ce qui a eu lieu en 1842. Que l’on ne vienne donc pas raisonner comme s’il ne s’était agi que de traiter de gré à gré : il y a eu par la force des choses, concurrence, et le grand financier dont il s’agit n’est arrivé à des conditions meilleures que parce qu’il a cru que l’emprunt allait lui échapper, que parce qu’il a cru que la banque de Belgique allait faire l’opération. Cela démontre bien l’utilité de la concurrence et l’on peut dire que la banque de Belgique a fait là une chose très avantageuse au pays.
Le gouvernement demande, messieurs, que nous nous en rapportions à sa déclaration ; je crois, moi que sa déclaration d’aujourd’hui ne renferme pas une garantie plus grande que celle qu’il avait faite en 1842.
L’honorable M. Devaux nous a cité les paroles que M. le ministre des finances avait prononcés au sénat ; elles étaient certes bien explicites ; M. le ministre n’avait pas le moindre doute sur les avantages que devait offrir pour le trésor une souscription publique ; il en faisait même une question de patriotisme ; partout il aurait soutenu cette opinion, devant les chambres comme ailleurs ; cependant l’on vient dire aujourd’hui que ce n’était pas là un engagement ! Mais s’il en est ainsi, tenons-nous en garde, car si des explications de cette nature sont admissibles, il n’y aura plus d’engagement, quelque formel qu’il soit, qui ne puisse être l’objet d’explications au moyen desquelles il sera complètement détruit. Je n’ai rien vu de plus formel que ce qui a été dit en 1842 au sénat par M. le ministre des finances d’alors, et cependant on vient soutenir qu’il n’y avait pas d’engagements.
Pour le mettre à l’aise on vous dit que les circonstances ne sont plus les mêmes qu’en 1842. Je voudrais bien que M. le ministre de l’intérieur nous fît connaître quelles circonstances sont survenues entre le discours prononcé au sénat par M. le ministre des finances, et la conclusion de l’emprunt.
Y avait-il un événement quelconque entre la déclaration de M. le ministre des finances et la conclusion de M. le ministre des finances, qui ait pu obliger le gouvernement à changer de système ? Je dis que non. Pourquoi donc la souscription n’a-t-elle pas eu lieu nonobstant l’engagement formel de M. le ministre des finances, engagement qui n’avait été contredit par aucun de ses collègues ?
On nous répond, en rappelant un discours du trône ; on nous objecte quelques paroles auxquelles nous n’aurions pas en temps utile prêté toute l’attention nécessaire. L’on ne sent pas que nous pouvons avec plus davantage faire valoir cet argument contre le gouvernement, puisque nous pouvons lui dire : un membre du cabinet a pris solennellement devant l’une des chambres l’engagement formel de recourir au mode de souscription volontaire, et aucun de ses collègues ne l’a contredit ; s’ils n’étaient pas d’accord avec lui sur ce point, ils devaient le déclarer à l’instant.
Au sénat, le ministre des finances parle au nom du gouvernement, aucun de ses collègues ne le contredit, l’engagement qu’il prend est donc pris au nom du cabinet tout entier. Si les collègues de M. le ministre des finances n’étaient pas d’accord avec lui sur une question de cette importance, son honneur exigeait qu’il se retirât du ministère, après avoir pris un engagement aussi solennel devant le sénat.
Messieurs, il n’y avait donc aucun motif pour ne pas accomplir une promesse positive. Si alors l’on n’a pas fait ce qu’on avait déclaré vouloir faire, je ne puis avoir confiance dans les déclarations que l’on fait aujourd’hui. C’est pourquoi je demande qu’on insère une clause impérative dans la loi. (Aux voix ! Aux voix !)
M. Meeus et M. Coghen renoncent la parole.
- La chambre ferme la discussion sur l’art. 1er.
M. le président. - Je mets d’abord aux voix l’amendement de M. Castiau, qui consiste à insérer dans l’article les mots : avec concurrence et publicité par une souscription ouverte au public.
Des membres. - La division !
- Les mots : avec concurrence et publicité sont mis aux voix et ne sont pas adoptés.
On met ensuite aux voix les mots : par une souscription ouverte au public. Cette addition n’est également pas adoptée.
L’art. 1er du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté.
- La chambre ajourne à demain la suite de la discussion des articles.
La séance est levée à 4 heures et demie.