(Moniteur belge n°358, du 24 décembre 1843
(Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 11 heures et 1/4.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les sauniers de Soignies présentent des observations concernant le projet de loi sur le sel. »
M. Duvivier. - Messieurs, par la pétition dont il vient d’être donné une analyse, les sauniers de Soignies vous soumettent des observations fort intéressantes ; il est fait droit à plusieurs d’entre elles, notamment en ce qui concerne l’imposition de l’eau de mer ; par le projet de loi déjà adopté par un premier vote et par ce motif, il est impossible d’avoir égard aux autres. Dans cet état de choses, je demande que la pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le sel et son renvoi au bureau des renseignements. »
- Cette double demande est accueillie.
« Les administrations communales du canton de Herve demandent l’exemption du droit d’accise pour le sel employé dans la fabrication du fromage. »
- Dépôt sur le bureau pendant le second vote du projet de loi sur le sel.
« Le sieur Fontaine, cultivateur et entrepreneur de barrières à Saintes, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir du département des travaux publics une indemnité du chef des pertes qu’il a essuyées par suite de l’établissement du chemin de fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les cabaretiers de la commune d’Ophasselt demandent l’abolition de l’impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Même renvoi, avec demande d’un prompt rapport.
« Le sieur Van Hecke, blessé de septembre, demande qu’on lui accorde la gratification allouée aux blessés de la révolution, par l’article 8 de la loi du 11 avril 1835. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vandermaelen réclame l’intervention de la chambre pour obtenir copie des pièces déposées aux archives publiques. »
- Même renvoi.
« Par dépêche en date du 21 décembre, le sénat informe la chambre qu’il a pris en considération la demande en grande naturalisation du sieur Pierre-Emmanuel-Félix Chazal, général-major, commandant de la province du Hainaut. »
- Pris pour notification.
M. Mast de Vries, au nom de la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics, présente le rapport sur le projet de loi tendant à allouer au département des travaux publics un crédit provisoire de 2,002,524 francs, et en propose l’adoption.
- La chambre décide qu’elle passera immédiatement à la discussion du projet de loi.
Personne ne réclamant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles qui sont adoptés sans discussion dans les termes suivants :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministère des travaux publics un crédit provisoire de 2,002,524 fr. à valoir sur les dépenses de l’exercice 1844. »
« Art. 2. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa promulgation. »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ; il est adopté à l’unanimité des 59 membres présents. Il sera transmis au sénat.
Ces membres sont : MM. Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen. Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Angillis, Brabant, Coghen, de Baillet, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Florisone, de la Coste, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Naeyer, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Jadot, Lange, Lesoinne, Lys. Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirson , Pirmez, Rodenbach, Savart, Scheyven, Sigart, Simons et Liedts.
M. le président. - L’ordre du jour appelle le vote définitif du projet de loi sur le sel.
M. le président. - Le premier article amendé est l’art. 4 qui a été adopté dans les termes suivants :
« Art. 4. Le gouvernement pourra accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du poisson provenant de la pêche nationale. Il déterminera les conditions de cette exemption. »
La chambre a supprimé après les mots : pêche nationale, ceux-ci : et à la fabrication du sulfate de soude.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je crois devoir engager la chambre à revenir sur le vote qui a eu lieu à l’égard du sulfate de soude. La fabrication de ce produit chimique ne peut plus exister dans le pays si l’on n’accorde l’exemption de l’accise sur le sel qui y est employé.
Je ferai remarquer à la chambre qu’il n’en est pas des fabriques de sulfate de soude comme des autres fabriques qui, jusqu’ici, avaient joui de l’exemption ; dans les fabriques de sulfate de soude, le sel est l’élément essentiel, c’est la matière première. Si l’on impose le sel qui sert à cette fabrication, on anéantit toutes les fabriques qui existent dans le pays ; il est impossible qu’une seule puisse encore continuer à travailler.
Peut-être me dira-t-on qu’il suffirait d’établir des droits plus élevés à l’importation du sulfate de soude. Mais alors, messieurs, nous aurions à craindre d’abord la fraude, et en second lieu nous verrions tomber beaucoup d’autres établissements industriels.
Les verreries qui emploient le sulfate de soude ne pourraient plus soutenir la concurrence avec les produits similaires introduits de l’étranger, car les droits d’importation ne pourraient être augmentés de manière à pouvoir faire supporter le droit d’accise sur le sel qui entre dans ce produit. Nous détruirions donc, par le fait, nos verreries, qui, aujourd’hui font des exportations assez considérables.
Si, au contraire, nous permettions au sulfate de soude d’être importé de l’étranger aux droits actuels, non seulement nous anéantirions les fabriques de sulfate de soude qui se trouvent dans notre pays, mais nous causerions encore un tort considérable à notre navigation et à nos houillères. Car, on le sait, il se fait dans ces fabriques une grande consommation de houille.
Par ces diverses considérations, j’engage fortement la chambre à revenir sur son vote.
Peut-être d’honorables membres ont-ils pensé que la fraude était à craindre dans ces établissements, comme dans les autres fabriques qui sont répandues en grand nombre dans tout le pays. Messieurs, il n’en est pas ainsi ; l’administration a pris les plus minutieuses précautions à l’égard des fabriques de sulfate de soude. Le sel qui sert à cette fabrication est pesé de nouveau en arrivant à la fabrique ; les magasins sont sous le contrôle de l’administration ; si, lors du recensement, le moindre manquant est constaté, ce manquant est soumis à l’accise, et la faveur serait retirée s’il y avait le moindre indice de fraude. Les employés assistent à toutes les opérations de la fabrique. De cette manière les abus sont rendus à peu près impossibles.
Je n’étais entré, lors de la première discussion, que dans une partie de ces détails, parce qu’il ne s’était guère agi, pour les membres qui s’opposaient à l’article, que d’obtenir l’exemption pour les autres fabriques, de manière que je n’avais pas cru devoir entrer dans des explications développées sur la fabrication du sulfate de soude. J’espère que les considérations que je viens d’exposer vous engageront, messieurs, à revenir sur la première décision de la chambre à cet égard.
M. le président. - L’honorablet M. d'Elhoungne vient de faire parvenir au bureau un amendement ; il est ainsi conçu :
« Le gouvernement pourra accorder la même exemption sur le sel destiné à la fabrication du sulfate de soude.
« Cette exemption sera soumise aux dispositions suivantes :
« a. Nul fabricant ne pourra jouir de l’exemption, s’il n’a fait connaître préalablement à l’administration le lieu de son établissement, ses procédés de fabrication et la quotité de soude qu’il peut fabriquer par année. Il devra en outre, à chaque quantité de sel, pour laquelle il réclamera l’immunité des droits, déclarer la quantité de soude qu’il compte en retirer.
« b. Le sel expédié en exemption de droits pour les fabriques de soude sera préalablement mélangé, sous la surveillance des employés de l’administration, avec des matières qui en rendent l’usage impossible pour les besoins domestiques, et lui donnent une couleur propre à le faire distinguer et reconnaître à la vue.
« Le sel, ainsi mélangé, sera pesé et mis en sac et convoyé par un employé jusqu’au lieu de déchargement.
« c. Au lieu de déchargement, une seconde pesée de ce sel devra se faire en présence de trois employés de l’administration, et il ne pourra être emmagasiné qu’après avoir été mélangé avec des substances qui le dénaturent complètement.
« Un règlement spécial indiquera les matières et substances par l’addition desquelles auront lieu ces deux mélanges successifs, et déterminera dans quelles proportions et d’après quel mode ils s’effectueront.
« d. Indépendamment des sels admis dans les fabriques pour le dépôt desquels il sera concédé des magasins de crédit permanent, conformément à l’art. 24 ci-après, les soudes et tous les produits intermédiaires de fabrication seront disposés dans un magasin fermé à deux clefs dont l’une restera entre les mains du fabricant, et l’autre entre celles d’un employé de l’administration.
« Cet employé résidera sans interruption dans l’enceinte même de la fabrique, et il sera tenu d’être présent à toutes les opérations de la fabrication jusqu’à l’entière confection des soudes.
« e. Il sera tenu, par le fabricant et par l’employé de l’administration résidant dans la fabrique, des registres en double, sur lesquels seront portées les quantités de sel mises en magasin et celles qui en sortiront pour la fabrication ; les quantités de soude fabriquées et celles qui seront vendues.
« f. Tout fabricant qui ne pourra justifier que le sel qui lui aura été livré en exemption de droits a été employé à la fabrication de la soude, encourra les peines comminées par l’art. 29, paragraphe premier, ci- après.
« g. Pour indemniser le gouvernement des frais de l’exercice auquel est attachée la faveur accordée aux fabricants de soude, chaque fabricant payera par année la somme de deux mille francs entre les mains du receveur des droits d’accise au lieu où la fabrique est établie. »
M. d’Elhoungne. - Messieurs, quelle que soit l’étendue de l’amendement que j’ai l’honneur de proposer à la chambre, je pense que je pourrai le justifier en très peu de mots.
Le motif qui a déterminé un grand nombre de membres de cette assemblée à repousser l’exemption demandée pour la fabrication du sulfate de soude, ce motif c’était surtout la crainte des fraudes qui pourraient résulter de cette exemption, fraudes que M. le ministre des finances a signalées lui-même dans l’exposé des motifs de la loi. Et ces fraudes vous ont également été signalées par nos honorables collègues, MM. Osy et Cogels, sans que M. le ministre des finances ait entrepris de réfuter les considérations qu’ils nous ont présentées sur ce point. Dans cet état de choses, j’ai pensé qu’en proposant à la chambre les mesures de précaution nécessaires pour prévenir toute espèce de fraude à l’avenir, une telle proposition comblerait la lacune que présente le projet ministériel, et pourrait dès lors déterminer la majorité à admettre l’exemption qu’elle a repoussée au premier vote. A cette fin, j’ai eu recours à la législation française ; car en France aussi, les fabricants de soude jouissent depuis 1809 de l’exemption des droits d’accise sur le sel ; en France aussi cette immunité accordée aux fabricants a engendré des fraudes, et il a fallu qu’en 1822 M. de Villèle, alors ministre des finances, portât une ordonnance qui obvie par des précautions sagement combinées aux fraudes dont souffraient et le trésor et le commerce loyal.
Cette ordonnance exige, notamment, que le sel destiné aux fabriques de soude subisse préalablement un premier mélange avec des matières qui le rendent facilement reconnaissable et tout à fait impropre aux usages domestiques ; que durant le trajet jusqu’à la fabrique, le sel soit convoyé par des agents de l’administration ; que, dès son arrivée au lieu de déchargement, il subisse un deuxième mélange avec des matières qui le dénaturent complètement ; enfin que durant toutes les opérations de la fabrication, deux employés spécialement attachés à la fabrication suivent l’emploi du sel dans toutes ses transformations successives.
Si je ne me trompe, plusieurs de ces précautions sont déjà prescrites en Belgique par le gouvernement, de sorte que quelques-unes des dispositions de mon amendement reçoivent à cette heure une exécution complète. Je pense dès lors que, d’une part, M. le ministre des finances n’hésitera pas à se rallier à ma proposition, et que, d’une autre part, la majorité de la chambre trouvant dans son adoption des garanties certaines contre les abus qu’elle a voulu proscrire, elle pourra aussi revenir sur son premier vote et admettre l’exemption demandée pour les fabriques de soude. La chambre en effet ne peut vouloir qu’une industrie très importante soit frappée d’un coup irréparable, d’autant plus qu’elle soit de cette industrie se rattache l’existence de plusieurs autres dont la prospérité n’importe pas moins au pays.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je ne puis qu’applaudir fortement aux motifs qui ont porté l’honorable membre à nous proposer son amendement. Le gouvernement a pris des mesures presque entièrement semblables à celles que renferme cet amendement et que l’honorable membre a puisées, comme il vient de le dire, dans une ordonnance française. Je n’ai donc, au fond, aucune objection à faire contre les précautions qui sont proposées, mais je crois devoir en présenter une quant à la forme. Je pense qu’il vaut mieux laisser au gouvernement la faculté de prendre toutes les mesures que les circonstances pourront rendre nécessaires, que de les déterminer dans la loi. En effet, messieurs, si vous établissez par la loi les précautions à prendre et qu’une seule ne soit pas prévue, l’administration pourrait se trouver impuissante à réprimer la fraude. Il est donc préférable d’adopter l’art. 4 qui arme l’administration d’un pouvoir suffisant pour prévenir toute espèce d’abus, puisqu’il porte que le gouvernement déterminera les conditions auxquelles l’exemption sera accordée.
Toutefois, messieurs, si l’absence de stipulations précises était un motif qui pût empêcher d’honorables membres d’admettre l’exemption, j’adopterai l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne, mais je crois qu’en présence des règlements déjà pris par l’administration et qui renferment, pour ainsi dire, toutes les dispositions comprises dans l’amendement, il sera plus sage de donner au gouvernement la faculté que lui accorde l’art. 4, tel qu’il est rédigé.
Je dois ajouter, messieurs, qu’il y a dans l’amendement deux dispositions qui ne sont pas conformes à ce qui s’est fait jusqu’ici, et qui offriraient peut-être certains inconvénients. C’est d’abord la résidence fixe d’un employé dans la fabrique ; jusqu’à présent cela ne s’est pas fait ; l’employé assiste à toutes les opérations essentielles, notamment à la mise en four du sel ; il a la surveillance du sel qui se trouve en magasin et dont la vérification se fait souvent ; en un mot, il est presque constamment dans la fabrique, mais il n’y a pas son domicile.
D’un autre côté, l’amendement veut que le fabricant indemnise l’administration des frais de la surveillance qu’elle devra exercer dans la fabrique ; cette indemnité serait fixée à 2,000 fr. par établissement, et comme il en existe 6 dans le royaume, le gouvernement recevrait de ce chef une somme de 12,000 fr. qui pourrait être une forte charge pour les fabriques et qui ne serait pas d’une grande ressource pour le trésor. D’ailleurs, des agents de l’administration ne sont pas exclusivement attachés à ces établissements, ils peuvent encore exercer leur surveillance dans des localités voisines.
Par ces considérations, messieurs, tout en approuvant, je le répète, les mesures de prévoyance qui sont proposées et que je ne manquerai pas d’introduire, en tant qu’elles n’existent pas déjà, auxquelles même l’administration en ajoutera peut-être encore d’autres, tout en approuvant, dis-je, ces mesures, je préfère l’adoption de l’article 4, tel qu’il est rédigé ; cet article laisse à l’administration la faculté dont elle a besoin pour réprimer efficacement la fraude.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai voté pour l’exemption en faveur du sulfate de soude et je faisais partie de la minorité. Les membres de la majorité, parmi lesquels se trouvent plusieurs de mes honorables amis, ont voté en sens contraire, mais ont-ils bien été mis à même d’apprécier toute la portée de leur vote ? J’ai lieu d’en douter. A qui donc doit-on imputer l’erreur qui a amené ce vote désastreux, si ce n’est au gouvernement, qui n’a pas suffisamment éclairé la chambre ? En effet, messieurs, n’est-il pas étonnant que le gouvernement, lorsqu’il a présenté un projet de loi touchant à un objet si important, n’ait pas donné quelques explications, d’où serait résulté la nécessité d’accorder l’exemption dont s’agit ? Le gouvernement avait amplement parlé des dangers de fraude, mais il ne s’était pas occupé d’autre chose ; dès lors les membres de la majorité étaient naturellement préoccupés de cette idée, qu’en accordant l’exemption, on rendait la fraude possible. Les observations faites par le gouvernement, relativement à la fraude, sont restées, et la justification de l’exemption n’a pas eu lieu cependant. La chose est tellement évidente que personne ne doit avoir le moindre scrupule de revenir de son opinion première.
Messieurs, je me permettrai de compléter les explications qui ont été données aujourd’hui par M. le ministre des finances.
Pour fabriquer 100 kilogrammes de sulfate de soude, il faut 100 kilogrammes de sel marin.
Pour fabriquer 100 kilogrammes de sel de soude, il faut 200 kilogrammes de sel marin.
Le sulfate de soude fourni par l’étranger (la France et l’Angleterre) coûte vendu à Anvers ou à Bruxelles, tous frais et droits compris, 20 francs par 100 kilogrammes, et le sel de soude 40 francs par 100 kilogrammes.
Donc impossibilité d’en fabriquer en Belgique avec un droit de 18 francs par 100 kilogrammes sur le sel marin, puisque cela équivaut un droit de 18 francs sur 100 kilogrammes de sulfate de soude et de 36 francs sur 100 kilogrammes de sel de soude.
Toutes les fabriques de produits chimiques sont perdues en Belgique, donc le produit de l’impôt sur le sel est nul.
Si, pour soutenir ces fabriques, on voulait imposer les produits chimiques étrangers d’un droit correspondant, le prix coûtant de ces produits chimiques deviendrait tel, que pas une verrerie ne pourrait livrer ses fabricats en concurrence avec les fabriques étrangères.
En deux mots : si le vote de la chambre est maintenu, sans que l’on majore les droits actuels sur les produits chimiques étrangers, toutes les fabriques de produits chimiques sont perdues sans remède en Belgique.
Si, au contraire, on majore les droits d’entrée, toutes les verreries sont perdues et avec elles les fabriques de produits chimiques qui n’ont plus d’emploi.
Pour quelques autres industries les conséquences seraient :
Pour la marine ; la perte d’une importation de plusieurs millions de kilogrammes de sel, et la perte d’une exportation d’une quantité de verreries ou cristaux, telle qu’on peut presque dire que le principal aliment de la navigation belge est anéanti.
Pour les charbonnages, la perte annuelle d’une fourniture de 60 à 70 millions de kilogrammes de charbon.
Les diverses fabriques paient environ 2 millions de francs en main-d’œuvre, et emploient en bois, planches, paille, foin et autres produits agricoles, des quantités qu’on ne saurait préciser aujourd’hui, mais qui sont tellement considérables que l’on s’apercevrait bientôt qu’on est trompé au-delà de toute attente.
Cette question, comme je le disais tantôt, n’est donc plus douteuse pour ceux qui, par les explications qui viennent d’être données par le gouvernement, ont pu se fixer maintenant sur les conséquences de l’exemption en faveur du sulfate de soude.
Un amendement est proposé par l’honorablet M. d'Elhoungne et je suis d’avis de l’admettre. Je ne puis partager l’opinion de M. le ministre, qui veut conserver liberté entière sur les moyens à employer. Le gouvernement, dans l’exposé des motifs de la loi, a parlé d’une fraude possible ; il a témoigné ses craintes, à cet égard, à la législature. Mais n’était-il pas du devoir du gouvernement de proposer des mesures propres à prévenir cette fraude ? N’était-ce pas à lui à prendre l’initiative, à étudier la question ? S’il ne l’a pas étudiée, un honorable membre l’a étudiée pour lui. Si M. le ministre des finances est d’un avis différent, qu’il nous communique des motifs, nous les examinerons.
Mais la législature ne peut abandonner à l’administration, des moyens qui, en définitive, pourraient tourner en vexations.
Cette matière était assez importante pour fixer notre attention.t M. d'Elhoungne a pris l’initiative, en proposant son amendement. Je déclare que je voterai pour son adoption.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne répondrai pas à la première partie du discours de l’honorable M. Verhaegen ; car ses imputations concernant la conduite du gouvernement dans cette discussion, sont erronées d’un bout à l’autre ; dans la seconde partie il a prétendu que le gouvernement convenait qu’il n’avait pas encore étudié la question. Le fait est complètement inexact. J’ai dit, au contraire, que le gouvernement avait pris presque toutes les mesures indiquées dans l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne. Si l’honorable préopinant n’écoute pas, ou écoute mal les explications que donne le gouvernement, je le prierai de ne pas lui prêter des paroles qu’il n’a pas proférées. Je n’ai pas dit, je le répète, le moins du monde, que le gouvernement n’avait pas étudié la question ; j’ai déclaré au contraire qu’il l’avait étudiée, et qu’il avait pris la plupart des précautions indiquées par l’honorablet M. d'Elhoungne, sauf deux que j’ai précisées. J’ai ajouté que la nécessité d’une nouvelle précaution non prévue dans l’amendement pouvait surgir, et qu’il fallait que le gouvernement pût la prendre.
Ce que je veux, c’est une discussion franche et loyale. Qu’on attaque les actes ou les paroles des membres du gouvernement : mais qu’on ne lui attribue pas une réponse qu’il n’a pas faite ou des actes qu’il n’a pas posés.
M. Rodenbach. - Si nous adoptons la disposition de M. de Villèle, proposée comme amendement par l’honorable député de Gand, loin d’être favorables aux huit fabricants de soude, nous leur sommes très défavorables. Je vais expliquer pourquoi. En France, les fabriques de soude sont surveillées par les employés, qui y sont en permanence. Ce sont les fabricants qui doivent les payer, je le sais pertinemment ; car naguère, j’ai vu dans le département du Nord, une fabrique de soude ; le fabricant m’a dit qu’il devait nourrir et payer les employés qui étaient constamment chez lui.
En Belgique, nos huit fabriques ne sont pas aussi importantes ; elles n’ont pas besoin d’employés en permanence ce serait un surcroît de charge ; nos fabriques ne sont pas établies sur une échelle assez étendue pour supporter ce surcroît de charges. Quel est, du reste, notre but ? D’empêcher la fraude. Le gouvernement a également intérêt à l’empêcher ; si nous pouvons atteindre ce but, sans ruiner les huit fabriques, c’est tout ce que pouvons désirer.
L’honorable M. Verhaegen a fait connaître des chiffres pour prouver qu’il était nécessaire de ne pas imposer le sel employé à la fabrication de la soude. J’ai voté dans le même sens. Mais je crois qu’il y a quelques erreurs dans les chiffres qu’il a cités. J’indiquerai donc les chiffres que j’ai sous les yeux, et dont le résultat est le même.
Le sulfate de soude ne se vend dans le commerce que 16 fr., et pour faire 100 kilog. de ce sulfate, il faut 100 kilog. de sel, sur lesquels le droit est de 18 fr. Le sulfate de soude ne se vendant que 16 fr., il y aurait évidemment perte de 2 fr., ce serait l’anéantissement des fabriques. Je crois cependant qu’aucun membre de cette chambre ne voudrait l’anéantissement de nos 8 fabriques. D’ailleurs, une nouvelle industrie, celle des glaces, a besoin de sulfate de soude ; c’est pour elle une matière première.
M. Desmet - Certainement, s’il s’agissait d’anéantir nos fabriques, nos usines, s’il s’agissait d’une matière première nécessaire à une industrie importante, je n’aurais aucune répugnance à revenir sur mon vote. Mais que dit-on ? Que nous avons voté sans réflexion, sans connaissance de cause, que nous n’aurions pas voté ainsi, si le gouvernement avait donné des raisons suffisantes. Pour moi, je ne vote jamais sur ce que dit le gouvernement mais d’après la manière dont je vois ou crois voir les choses. Il est vrai qu’on n’a pas tenu compte de nos observations, quand nous avons demandé l’exemption pour toutes les industries qui en avaient besoin. Mais on nous a objecté que l’exemption du droit pouvait être un moyen de fraude. J’admets ce motif et je demande pourquoi il y aurait une exemption exceptionnelle en faveur de la fabrication du sulfate de soude. Je refuse donc l’exemption, d’abord par crainte de la fraude, et ensuite parce que ce serait un privilège exorbitant, que favoriser une seule branche d’industrie. La fabrication du sulfate de soude n’est pas de plus laborieuse, ne coûte pas plus de peine que la raffinerie de sel ; les deux industries ont la même matière première ; en effet, les honorables MM. Verhaegen et Rodenbach vous ont fait le calcul que 100 kil. de sel marin donnent 100 kilog. de sulfate de soude. Vous savez que pour faire le sulfate de soude, on n’a besoin que d’acide sulfurique.
Aujourd’hui, le soufre est à très bon compte ; ainsi, pour obtenir le sulfate de soude, la dépense est la même que pour obtenir le sel raffiné. Que paie une raffinerie de sel ? D’abord le droit de 18 fr. ; elle paye même 19 fr., depuis qu’il n’y a plus de réduction pour le déchet, Que paye la fabrication de sel de soude ? Elle achète le sel marin, 3 ou 4 fr. ; il lui faut de l’acide sulfurique ; mais comme le soufre n’est pas cher, c’est une dépense insignifiante. Combien le vend-on ? 10 fr. Ainsi, il y a un bénéfice exorbitant de 12 fr. pour le moins. Ce sont les chiffres qu’on a indiqués, et que je considérais comme vrais. Ainsi il y a un bénéfice de 12 fr.
Cependant, si l’on disait qu’on a réellement besoin de ce produit, qu’il est indispensable à nos industries, à nos fabriques, soit, je subirais cette exemption. Mais il n’en est pas ainsi.
Quel autre avantage n’y a-t-il pas encore dans la fabrication de la soude ? C’est qu’en même temps on obtient l’acide muriatique que l’on peut vendre, et qu’on vend en effet ; tandis que les raffineurs de sel ont la perte pour déchet, et n’ont que le sel, les fabricants de sulfate de soude ont, indépendamment de ce produit, l’acide muriatique qui sert au blanchiment. Je conviens qu’ils le vendent à bon marché, 10 centimes le kilog. ; mais enfin cela fait 10 francs les 100 kilog. ; vous voyez quel avantage ils ont sur les raffineurs de sel. Je dis donc que l’exemption du droit serait un privilège exorbitant.
Le grand argument est celui-ci c’est une matière première. Je suis enchanté de voir que la chambre commence à sentir le besoin de protéger les matières premières. Mais quand on propose d’établir un privilège si exorbitant en flaveur d’une matière première, on refuse un simple droit de sortie qui aurait pour effet de conserver chez nous une matière première nécessaire à deux millions d’habitants.
M. de Mérode. - C’est impossible.
M. Desmet. - C’est une question ; je dis que l’on pourrait prendre cette mesure sans nuire à l’agriculture.
Je ne cite que le lin, en fait de matière première, pour ne pas abuser des moments de la chambre, et parce que cette matière première intéresse deux millions d’habitants. Faute d’un droit de sortie, nous voyons les Français et les Anglais qui viennent enlever les meilleurs lins sur notre marché. C’est en présence de pareils faits qu’on vient proposer, en faveur de la fabrication de la soude, un privilège révoltant, un avantage de près d’un demi-million.
Vous donnez, comme nous le dit l’honorable M. Rodenbach, 460,000 francs pour huit fabriques. C’est un privilège exorbitant.
On demande une exemption pour la fabrication du tabac, et certainement cette fabrication emploie plus d’ouvriers que la fabrication du sulfate de soude.
On demande aussi une exemption pour les tanneries. Eh bien ! vos tanneries l’on a dur à présent, à cause de la concurrence allemande. On a besoin de sel dans les tanneries, et on ne l’y emploie pas à cause du droit exorbitant.
M. Coghen. - Messieurs, malgré ce que j’ai eu l’honneur de dire à cette tribune jeudi dernier, lorsque vous m’accordiez deux fois la parole, l’honorable préopinant parle d’un privilège exorbitant accordé à une industrie qui est vitale pour le pays. Il s’intéresse vivement aux lins et aux toiles. Je partage sa pensée et ses sympathies, mais il oublie que les produits chimiques lui sont indispensables et que si vous vous mettez à la merci de l’étranger, vous ne pouvez plus blanchir les toiles à des conditions aussi favorables que vous le faites aujourd’hui.
Avant l’existence de la fabrication en faveur de laquelle l’honorable préopinant prétend que l’on constitue un privilège exorbitant, ce qui n’est pas réel, le sulfate de soude valait de 28 à 30 francs. La concurrence belge a fait tomber le prix à 20 francs. L’industrie du pays en a profité, consultez vos manufacturiers, et leur réponse vous prouvera à l’évidence que l’honorable député d’Alost se trompe.
Le trésor public gagnerait-il à la suppression de l’exemption accordée la calcination du sel marin ? Non ! Vous imposeriez le sel brut et au même instant doivent se fermer tous vos établissements ; vous n’aurez donc pas de revenu de ce chef ; vous imposeriez le sulfate de soude étranger mais cet impôt rendrait impossible toute exportation ; à peine pourriez-vous conserver une partie de la consommation du pays et où serait donc le revenu qu on espère ?
L’honorable orateur a oublié que, pour faire du sulfate de soude, il fallait cent kilogrammes de sel, sept kilogrammes d’acide sulfurique à 60 degrés ; que cet acide coûte environ 14 fr. les cent kilogrammes. Vous avez ensuite le sel et le combustible et si on n’avait pas un faible dédommagement, l’acide muriatique ne pourrait pas lutter avec l’Angleterre et la France et déjà, dès aujourd’hui, il n y a aucun avantage, et ce serait la ruine des établissement dont on a doté le pays, si on ne maintient pas ce qui, au reste, existe dans tous les pays où les intérêts de l’industrie sont compris.
Messieurs, que résultera-t-il de la suppression de l’exemption qui était accordée au sulfate de soude ? C est que vous serez à la merci des étrangers pour toutes vos fabriques, et surtout pour vos cristalleries et pour la manufacture de glaces ; vous serez obliges de vous adresser à Saint-Gobain, où l’on fait le sel de soude au degré de pureté, dont vous avez besoin pour vos cristaux et vos glaces. On ne peut même établir convenablement et sans danger, une fabrique de glace, qu’autant qu’on établisse à côté d’elle, une fabrique de produits chimiques.
Aujourd’hui vous exportez vos verres et vos cristaux dans tous les pays du globe, vous rendez possible la formation des cargaisons, vous favorisez ainsi nos relations directes, détruisez la possibilité d’exporter, et vous détruisez nos armements, faute d’objets encombrants. Maintenant, messieurs, votre premier vote, vous anéantissez nos manufactures, vous portez un coup fatal à votre commerce maritime et vous enlevez au petit cabotage le seul moyen qu’il a d’utiliser les navires d’un faible tonnage qui n’ont presque plus d’autres moyens d’être employés que pour le transport du sel depuis l’introduction des bateaux à vapeur entre l’Angleterre et nos ports.
On ne cesse de réclamer du travail pour notre population toujours croissante ; elle est laborieuse et ne demande que l’occasion de travailler ; le nombre de bras oisifs augmente. Consultez la statistique du dépôt de mendicité, voyez ce qui se passe là où les populations sont nombreuses ; nous sommes loin du temps heureux où la manne tombait du ciel et nourrissait l’homme ; aujourd’hui il faut quelque chose de plus substantiel que l’air qu’on respire pour nourrir les travailleurs, et ce qu’il faut ne peut leur être procuré que par le travail, c’est donc un devoir pour nous de protéger le travail national ; faire le contraire c’est trahir la cause du peuple et anéantir une industrie qui occupe des milliers de famille, ce serait, à mes yeux, plus qu’une faute.
L’honorable orateur n’a probablement pas parcouru les localités où sont situés ces établissements industriels. Il n’en peut dès lors connaître l’importance. S’ils les avaient vus de près il n’aurait pas tenu le langage que j’ai cru de mon devoir de relever.
On se préoccupe de la crainte de la fraude. Messieurs, pour ma part, j’applaudis à la proposition de l’honorable député de Gand ; je partage sa sollicitude pour le droits du trésor, et j’appuierai les dispositions qui tendront à donner toutes les garanties possibles contre la fraude.
Mais qu’il me soit permis, messieurs, de flétrir devant vous les perfides insinuations qu’on a sourdement tâché d’accréditer près de vous, on n’a pas rougi d’accuser l’établissement de Ste-Marie d’Ognies, de profiter de sa position, et de frustrer le trésor d’une somme considérable. Je dois à l’amitié de quelques honorables collègues d’être informé qu’on s’efforçait d’accréditer d’aussi infâmes calomnies.
L’administration de ce superbe établissement est composée d’hommes honorables : quatre membres de la législature en font partie. C’est vous dire que toute la garantie morale contre tout abus existe, si cela était nécessaire. Mais rien d’irrégulier ne se passe, les bilans sont connus, le gouvernement même a le droit de les connaître dans tous leurs détails.
Je pense, messieurs, qu’il faut abandonner au gouvernement la précaution à prendre, il y a des nécessités qu’on stipulerait difficilement dans la loi. Il y a déjà de grandes précautions prises ; la fraude est pour ainsi dire impossible, mass pour qu’elle le soit tout à fait, je verrais avec satisfaction que le gouvernement obligeât que le sel brut fût en sortant du magasin particulier, rétabli là où il existe une administration de douanes et accises, fût, dis-je, avant l’expédition pour les fabriques, mélangé avec du goudron de gaz, de l’acide muriatique et même de l’arsenic, bien que cette dernière précaution soit inutile.
De cette manière, aucune fraude ne serait publiquement possible et les intérêts du trésor seraient à l’abri de toute atteinte.
Il y a des abus, dit-on, je ne le crois pas ; aucune contravention n’a été constatée ; je m’en suis informé et, s’il en existe, ils ne seront jamais que de très peu d’importance.
Je me résume en déclarant que je voterai encore aujourd’hui pour le projet présenté par le gouvernement et appuyé par la section centrale.
M. Delehaye. - Messieurs, j’ai voté contre l’exemption des produits chimiques ; en émettant ce vote, je savais très bien ce que je faisais. Dans le discours que j’ai prononcé lors du premier vote de la loi, j’avais dit que ce que je craignais le plus, c’était la fraude qui se fait au moyen de l’exemption. J’avais proposé au gouvernement quelques mesures qui me paraissaient de nature à prévenir ces abus. J’avais dit que, dans mon opinion, on pouvait, alors que l’industrie du pays avait à lutter contre l’industrie étrangère ; on pouvait, dis-je, frapper d’un droit plus élevé l’importation des produits étrangers de l’espèce, et que pour faciliter à l’industrie du pays le moyen de lutter contre l’industrie étrangère sur les marchés étrangers, il convenait d’accorder à nos produits une prime équivalente aux droits sur le sel qu’ils avaient employé dans leur fabrication.
M. le ministre des finances m’avait répondu qu’en augmentant encore les droits qui frappent déjà les produits étrangers, on provoquerait infailliblement la fraude.
Messieurs ce n’est pas moi qui combattrai jamais cette opinion, quoique, pour le dire en passant, je trouve assez étrange que M. le ministre des finances semble aujourd’hui redouter la fraude, alors qu’il ne la craignait pas, quand il s’est agi de matières bien plus susceptibles d’être fraudées que le sulfate de soude.
Oui, messieurs la Belgique est ouverte de toutes parts à la fraude : si vous frappez d’un droit plus élevé l’importation du sel, je suis persuadé que la fraude se commettra. Mais en votant contre les exemptions qu’on demandait, j’ai voulu mettre le gouvernement lui-même en demeure de prendre des mesures propres à réprimer la fraude, je voulais que le gouvernement indiquât ces mesures ; et sous ce point de vue, j’étais fondé à dire que le gouvernement avait lui-même provoqué par son silence le rejet de la disposition au premier vote. Si le gouvernement nous avait donné la certitude que des mesures convenables seraient prises, j’aurais donné un vote approbatif à la disposition.
Messieurs, les produits chimiques, comme matières premières, jouent un grand rôle dans l’industrie. Comme vient de le dire le dernier orateur, ces produits sont même d’une utilité incontestable pour nos toiles des Flandres. Ils forment une charge très grande pour le blanchiment des toiles, et ce n’est sans doute pas moi qui viendrai proposer à cette chambre des mesures qui rendraient plus onéreuses les conditions d’existence de cette industrie.
Je pense, au contraire, que nous devons à cet égard donner aux producteurs toutes les facilités compatibles avec les mesures de précaution, Aussi, messieurs, ai-je été heureux d’apprendre que le gouvernement donnait son assentiment aux dispositions contenues dans la proposition de mon honorable amit M. d'Elhoungne. Cependant il recule devant son adoption ; parce que, dit-il, il craint que mon honorable collègue n’ait pas tout prévu. Eh bien ! J’amenderai la proposition de mon honorable ami de manière à ce que tout soit prévu. Je demanderai à M. le ministre des finances s’il ne se contenterait pas de la modification que je vais avoir l’honneur de lui soumettre : je commencerais ainsi l’amendement :
« Indépendamment des autres précautions que le gouvernement pourra prescrire, cette exemption sera soumise aux dispositions suivantes. »
De cette manière, si mon honorable amit M. d'Elhoungne n’a pas tout prévu, si le gouvernement croit, dans sa sollicitude pour les intérêts de l’industrie et du commerce, devoir prescrire d’autres dispositions, il sera libre de le faire.
J’amenderai encore la proposition sur un autre point. L’honorablet M. d'Elhoungne met à charge de l’industrie les frais de surveillance. Je ne puis me rallier à cette proposition. Remarquez, messieurs, que les précautions que vous prenez, vous ne les prenez pas dans l’intérêt de l’industrie mais dans l’intérêt du trésor. Or, les précautions prises dans l’intérêt du trésor ne doivent pas l’être à charge de ceux envers qui on les prend.
Cette seule considération ne m’arrêterait pas, mais je ne veux pas que les charges qui pèsent sur la matière première soient encore aggravées. Je crains que si vous imposez aux producteurs une nouvelle charge de 2,000 fr., vous ne leur imposiez une charge trop forte. Je connais trop votre sollicitude pour l’industrie, pour ne pas espérer que vous ne rejetterez pas la proposition que je fais, que l’Etat supporte les frais de surveillance, et dans ce but je propose la suppression du dernier paragraphe de l’amendement det M. d'Elhoungne.
Je pense que, lorsque nous voulons favoriser l’industrie, nous ne pouvons lui imposer des charges nouvelles ; il ne faut pas oublier que nous n’avons qu’un marché très limité, et que nous sommes entourés de puissances jouissant de grands avantages.
On me demande si je propose aussi le mélange du sel employé dans les fabriques de sulfate de soude avec d’autres produits qui rendent l’emploi du sel impossible à d’autres usages. D’abord, ce mélange est prescrit dans l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne, mais qu’il me soit permis de faire connaître mon opinion à cet égard. J’ai la persuasion intime que, malgré ce mélange, la fraude serait encore possible, en ce sens qu’on pourra toujours purifier le sel des matières qui y sont mélangées. Mais je crois que la séparation du sel d’avec ces matières ne pourrait se faire qu’à grands frais, à des frais tels qu’on ne doit pas craindre qu’on ait recours à ce moyen de fraude.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ainsi que je l’ai déjà annoncé à la chambre, je ne m’oppose pas à l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne en ce qui concerne ses dispositions. J’ai seulement émis l’opinion qu’il serait peut-être plus régulier que de semblables mesures soient prises par arrêtés. Cependant, comme l’honorable M. Delehaye vient de proposer une modification qui obvie à l’inconvénient principal que j’avais signalé, et qui consistait en ce qu’une précaution dont on reconnaîtrait plus tard l’utilité pourrait être omise dans l’amendement ; si cette modification est adoptée, je ne trouve plus aucun inconvénient à ce qu’il soit adopté.
- La clôture est demandée.
M. Verhaegen. - J’ai demandé la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Je vous l’accorderai après le vote sur la clôture.
M. Jadot. - Je demande aussi la parole pour un fait personnel.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La parole est à M. Verhaegen pour un fait personnel.
M. Verhaegen. - Messieurs, je trouve antiparlementaire, je dirai même très inconvenante, la conduite de M. le ministre des finances à mon égard ; il est allé jusqu’à oser suspecter ma loyauté dans la discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Non ! non !
M. Verhaegen. - Messieurs, ce que j’ai dit je le maintiens, car je suis dans le vrai, le Moniteur est là pour prouver à M. le ministre de finances que, lors du premier vote, il n’a rien dit pour justifier l’exemption en faveur du sulfate de soude ; la conduite qu’il a tenue à mon égard est donc injustifiable.
Depuis quelque temps, M. le ministre s’est placé sur un terrain que, dans son intérêt, il doit abandonner. M. Mercier se permet de donner des leçons de convenance à des membres de la législature : tantôt il ne veut pas qu’ils votent contre ses projets de loi pour tels motifs plutôt que pour tels autres ; tantôt il leur défend de faire telles ou telles observations, Une fois pour toutes, il convient de mettre un terme à cette arrogance.
Si parfois j’ai attaqué les actes de M. le ministre, j’étais dans mon droit, mais j’ai mis dans mes attaques toutes les formes parlementaires, j’ai même évité d’employer des expressions trop dures, à raison de nos anciennes relations d’amitié.
Mais que M. le ministre des finances le sache bien, je lui défends, moi, de me traiter d’une autre manière qu’on ne traite un membre du parlement, et je lui recommande les convenances ; s’il veut que la chambre juge entre lui et moi sous le rapport de la loyauté, j’accepte la provocation, mais alors je ferai usage de tous mes moyens et je mettrai la chambre à même de juger en pleine connaissance de cause. Que M. Mercier se tienne pour dûment informé.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Verhaegen a articulé deux faits sur lesquels il s’est fondé pour m’adresser des reproches.
D’abord, il a prétendu que je n’avais nullement éclairé la chambre sur l’utilité d’exempter du droit d’accise le sel employé dans les fabriques de sulfate de soude. Or, je demande à la chambre entière si plusieurs fois je n’ai pas répété, dans la discussion, qu’il n’en était pas des fabriques de sulfate de soude comme des autres fabriques qui employaient du sel exempt de droit ; que les premières emploient le sel comme élément principal, tandis que les autres ne s’en servent que d’une manière très accessoire, Je vous prie de revoir mes discours et vous verrez que cette observation se trouve dans plusieurs passages de mes répliques.
L’autre fait mentionné par l’honorable membre, et qui fait le thème de la seconde partie de son discours, est celui-ci : le gouvernement n’a pas étudié la question ; il ne sait pas quelles sont les mesures qu’il faut prendre pour empêcher les abus. Cette seconde partie du discours de l’honorable membre était également basée sur une imputation gratuite ; j’avais déclaré un instant auparavant que le gouvernement avait pris toutes les mesures nécessaires et même toutes les précautions signalées dans l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne, sauf deux dispositions que j’ai expressément indiquées. Je n’ai pas reproché à l’honorable membre d’être déloyal, mais j’ai dit qu’une discussion, pour être loyale, devait avoir pour base des faits exacts. Quant à ce qu’a dit, en terminant son discours, l’honorable membre, je ne crois nullement qu’on puisse jamais m’imputer d’avoir manqué de loyauté dans quelque circonstance que ce soit de ma vie politique ou privée.
M. le président. - M. Jadot, vous avez demandé la parole pour un fait personnel, mais votre nom n’a pas été prononcé.
M. Jadot. - M. le président, on a reproché aux membres qui avaient voté contre l’exemption à accorder aux fabriques de sulfate de soude, qu’ils avaient voté sans savoir ce qu’ils faisaient. Je suis dans ce cas, et je tiens à expliquer les motifs de mon vote. Si cependant la chambre croit qu’il n’y a pas là de fait personnel, je n’insisterai pas.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de l’honorablet M. d'Elhoungne.
M. d’Elhoungne. - Je déclare me rallier aux sous-amendements présentés par l’honorable M. Delehaye.
M. le président donne une nouvelle lecture de l’amendement det M. d'Elhoungne sous-amendé par M. Delehaye.
M. Coghen. - Messieurs, à la seconde lecture de l’amendement, je viens d’entendre qu’on prescrit le transport du sel en sac. Ce transport en sac est en quelque sorte impossible, par suite des grands frais qui en résultent.
Plusieurs membres. - La clôture a été prononcée.
M. Coghen. - Messieurs, permettez-moi de vous donner une explication. Je serai très court.
Les sacs ne résistent pas à l’acide muriatique et quand on a transporté le sel vers l’établissement de Sainte-Marie dans des sacs, on a su qu’il était impossible de continuer ce mode de transport, à cause de l’usure trop prompte des sacs et des grands frais qui en résultent sur un objet de si peu de valeur. J’ai prié le gouvernement, dans l’intérêt même du trésor, de ne pas permettre le transport du sel autrement que....
M. le président. - Je ne peux vous laisser continuer, il y a clôture ; si ce mode de transport entraîne plus de frais pour les établissements, on a supprimé les deux mille francs qu’on voulait mettre à leur charge.
- L’amendement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Par suite de ce vote la chambre a implicitement rétabli dans les articles 24, 38 et 39, des dispositions relatives au sulfate de soude qu’on en avait retranchées par suite de la modification apportée à l’article 4.
- Le texte primitif des articles 24, 38 et 39 est définitivement adopté.
Le gouvernement s’étant rallié aux autres amendements introduits dans le projet, il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble de la loi.
76 membres répondent à l’appel.
65 répondent oui.
9 répondent non.
2 se sont abstenus.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de leur abstention.
M. Desmet. - Certainement, j’étais disposé à voter pour le projet de loi, parce qu’il introduit dans la loi sur le sel des modifications nécessaires, mais comme on a accordé à une industrie une exemption de droit qu’on a refusée à une autre à qui elle n’était pas moins indispensable, je n’ai pas voulu donner un vote approbatif à la loi.
M. Eloy de Burdinne. - D’un côté, ne pouvant donner mon assentiment à une loi d’impôt qui, selon moi, accorde des privilèges, qui est inégalement reparti, pesant plus sur certaine classe que sur telle autre, loi que je considère comme immorale ;
D’autre part, l’Etat étant dans une position à avoir besoin de toutes ses ressources pour faire face à ses dépenses, dans l’espoir que cette loi sera révisée pour l’exercice prochain et que les abus qu’elle renferme disparaîtront, pour ces motifs, j’ai cru devoir m’abstenir ; en l’absence de l’espoir d’une révision j’aurais voté contre.
Ont répondu oui : MM. Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Angillis, Brabant, Cogels, Coghen, de Baillet, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Corswarem, de Florisone, de La Coste, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Nef, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Duvivier, Fleussu, Goblet, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Malou, Manilius, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Peeters, Pirson, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons et Liedts,
Ont répondu non : MM. Verhaegen, Delfosse, de Tornaco, Devaux, Henot, Lesoinne, Mast de Vries, Pirmez, Scheyven.
M. Fleussu. - Messieurs, c’est au moment où M. le ministre de la justice venait de nous parler de la double commission de législation que j’ai demandé la parole. J’avais ouï dire que ces commissions avaient depuis longtemps cessé de se réunir. Une mention qui se trouve consignée au rapport de la section centrale sur le budget de la justice avait confirmé les bruits parvenus jusqu’à moi, sur ce point. Enfin à la séance d’hier, M. le ministre a dissipé tous mes doutes en annonçant que le gouvernement regardait ces commissions comme dissoutes et qu’il allait s’occuper de les recomposer.
Grande aura été votre surprise, en apprenant que le gouvernement regardait les commissions de législation comme dissoutes, car vous vous le rappelez, dans les discussions des budgets des années précédentes, lorsque le gouvernement était pressé par des membres de cette chambre de présenter les lois qui avaient été promises par la constitution, le ministre de la justice vous disait souvent que les commissions étaient assemblées, qu’elles travaillaient avec zèle, avec assiduité ; et voilà que nous apprenons tout à coup que ces commissions sont réduites à néant, sans que nous sachions pourquoi ni jusqu’à quel point sont avancés les travaux de ces commissions.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Ils ne sont pas commencés.
M. Fleussu. - On vous dit qu’ils ne sont pas même commencés. Cependant, vous vous le rappelez, on nous avait fait des promesses, on vantait les avantages qu’on allait retirer de ces commissions. Il semblait que l’arriéré des travaux du département de la justice allait être évacué par ces commissions.
M. le ministre de la justice se propose de les recomposer. Je me permettrai de lui donner un conseil ; s’il veut que ces commissions travaillent, fassent quelque chose, dans l’intérêt du pays, il faut qu’il les tienne constamment réunies. Jusqu’à présent, on avait formé ces commissions de membres de l’ordre judiciaire de différents sièges. Il y en avait appartenant à la cour d’appel de Liége et au tribunal de commerce d’Anvers.
Quand les commissions étaient ainsi formées, il était très difficile de les réunir, car quand quelques membres se trouvaient prêts à travailler, les autres étaient retenus par leurs occupations dans leurs sièges respectifs. C’est pour cela que ces commissions n’ont pas produit les résultats qu’on en attendait. Je pense que si M. le ministre veut faire travailler utilement ces commissions, il devrait détacher momentanément de leurs sièges les magistrats dont il composerait ces commissions, les réunir à Bruxelles et les exempter pendant ce temps de leurs fonctions ordinaires, afin qu’ils puissent se livrer entièrement aux nouvelles fonctions qui leur seront confiées.
Il est bon que M. le ministre de la justice se rappelle que son département est celui auquel le congrès, par ses dernières dispositions, je dirai presque par ses dispositions testamentaires, a légué le plus de besogne, et c’est le département qui depuis la révolution a le moins fait jusqu’à présent.
La révolution et le temps ont quelque peu ébranlé notre édifice législatif. Il faut réparer les brèches que la révolution a faites dans noire législation. Il faut aussi rajeunir quelques dispositions que le temps a vieillies, il est plus que temps de mettre la main à l’œuvre.
Déjà plusieurs honorables collègues ont agrandi le cercle de la discussion, pour vous montrer combien de matières attendaient une révision. Je me garderai de les suivre dans ce cercle peut-être trop large, mais je me permettrai de rappeler quelques matières encore qui doivent fixer l’attention du gouvernement ; elles sont des plus urgentes ; elles demandent une révision prochaine. La révolution, comme je le disais tout à l’heure, a ébréché quelques-unes des dispositions législatives, notamment en ce qui concerne les conflits d’attributions.
Vous savez messieurs, que sous le gouvernement précédent il suffisait que l’autorité administrative prétendît que l’objet en contestation était de son ressort, pour que les cours et tribunaux dussent suspendre leur décision.
Lorsque, après la révolution, on eut proclamé l’indépendance du pouvoir judiciaire, on reconnut que c’était porter atteinte à cette indépendance que de tenir le cours de la justice en suspens, sous le prétexte que l’objet du litige était dans les attributions de l’autorité administrative, et la constitution, dans son art. l06, a été établi que la cour de cassation statuerait sur ce point. En effet, cet article porte :
« La cour de cassation prononce sur les conflits d’attributions, d’après le mode réglé par la loi. »
« D’après le mode réglé par la loi. » Or, messieurs, cette loi est encore à faire, aucun projet n’a été présenté, et cependant qu’arrive-t-il ? C’est que ces conflits d’attributions se présentent maintenant devant les tribunaux, sous la forme d’exceptions de compétence ; on se borne à prétendre que la cour ou le tribunal est incompétent et alors la question parcourt tous les degrés de juridiction et n’arrive à la cour de cassation qu’autant que l’une des parties croit convenable de l’y porter, ce qui est très frayeux. Si l’on faisait droit à la prescription de la constitution, si l’on faisait une loi, on pourrait porter directement la question devant la cour de cassation, on éviterait les frais considérables occasionnés par le long circuit qu’il faut parcourir aujourd’hui. Dans tous les cas, nous sommes obligés de faire une loi organique du principe déposé dans la constitution ; et je suis étonné qu’on ait attendu si longtemps pour s’occuper de cette matière.
J’aurai l’honneur de faire observer à M. le ministre de la justice que l’objet dont j’entretiens en ce moment la chambre a été traité d’une manière supérieure par M. le procureur général lors de la rentrée de la cour à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, et je crois que si M. le ministre voulait consulter le travail de M. Raikem, il y trouverait d’utiles aperçus sur cette question.
Messieurs, les sursis sont encore une des matières que la constitution a recommandées à l’attention de la législature qui devait succéder au congrès. En effet, messieurs croiriez-vous que cette matière importante est encore réglée par de simples arrêtés royaux, dont la force obligatoire a même été révoquée en doute ? Ces arrêtés royaux, savez-vous dans quelles circonstances ils ont été pris ? C’était tout au commencement de l’existence du royaume des Pays-Bas, à la suite des événements de guerre qui avaient renversé l’empire. Comme dans de telles circonstances il n’est pas rare que l’industrie et le commerce souffrent, que des personnes de bonne foi se trouvent dans l’impossibilité de satisfaire à leurs obligations, le roi Guillaume établit ce qu’on nomme des sursis. Or, les sursis donnent un démenti à toutes les dispositions du code civil. Vous savez, en effet, messieurs, que ce qui appartient au débiteur est le gage des créanciers ; or, quand il y a sursis, les créanciers ne peuvent exercer aucun droit sur le gage.
Eh bien, ces sursis sont devenus si communs, l’usage s’en est tellement étendu qu’il touche presque à l’abus. Ainsi, par exemple, un créancier comptait sur une rentrée ; il ne peut point obliger à cette rentrée, parce que son débiteur a obtenu un sursis ; il en résulte quelquefois qu’il se trouve à son tour dans la nécessité de demander un sursis, et de cette manière un sursis en amène souvent plusieurs autres. Ces nombreux sursis doivent peut-être s’attribuer aussi à l’état de notre législation sur les faillites, car il arrive souvent que lorsqu’un individu est déclaré en faillite, ce qui reste d’actif est absorbé par les frais de procédure et d’administration. Il me semble qu’on ne saurait trop se hâter de porter remède à un semblable état de choses.
Je ne parlerai pas, messieurs, de la révision des codes ; on s’est occupé assez longuement de cet objet dans la séance d’hier. J’aurai cependant l’honneur de faire observer à la chambre que le code de procédure, qui est un des plus vicieux, a été entièrement révisé à la fin du gouvernement du royaume des Pays-Bas. Les états généraux, dans leur dernière session, avaient arrêté un code de procédure que l’on pourrait très utilement consulter.
Un honorable membre de cette chambre, qui a laissé des traces de son passage au ministère de la justice, avait présenté un projet de code pénal ; je désirerais savoir si ce projet est maintenu ou retiré par le gouvernement. Ce projet avait été envoyé aux cours et tribunaux, mais je crois que les cours et tribunaux ont été invités à ne plus s’en occuper. Cependant, il présente de grands avantages ; il avait été puisé en grande partie dans la législation d’un pays voisin qui a entièrement réformé son code pénal ; ce projet a été l’objet, de la part d’un savant professeur de l’université de Gand, d’un commentaire que je regarde, moi, comme le meilleur commentaire du code pénal qui existe ; je crois que si l’on voulait profiter des observations de M. le professeur Hans, il serait facile de faire un code pénal moins draconien que celui qui nous régit aujourd’hui.
Le code pénal actuel a été adouci par deux arrêtés du roi Guillaume, il l’a été aussi, pour la province de Liége, par un arrêté de M. de Saeken. Là la flétrissure n’existe plus. Ainsi, chose singulière, nous avons en quelque sorte deux législations pour un petit royaume comme le nôtre ; dans toutes les parties de la Belgique qui ont été soumises l’administration de M. de Saeken, la flétrissure est abolie et dans le reste du pays. les tribunaux continuent à la prononcer. Il est vrai qu’on ne l’applique jamais, parce que le Roi, faisant usage de son droit de grâce, en accorde toujours la remise.
Qu’il me soit permis de dire ici que l’usage trop fréquent du droit de grâce porte en quelque sorte atteinte à la dignité de la magistrature. Les magistrats, esclaves de la loi, doivent l’appliquer dans toute sa rigueur. On compte, il est vrai, sur la prérogative royale ; les prévenus eux-mêmes savent que le droit de grâce viendra adoucir leur peine ; les jurés s’y attendent et l’on va jusqu’à annoncer dans les plaidoiries, que le Roi ne manquera pas de faire usage du droit de grâce. Messieurs, ce droit de grâce, contre lequel je me garderais bien de m’élever dans d’autres circonstances, ce droit de grâce devrait, ce me semble, être réservé pour réparer les erreurs possibles de la magistrature ; certainement il n’est pas fait pour corriger la sévérité de la loi : quand la loi est trop sévère, c’est au législateur de l’adoucir.
Il est encore une matière, messieurs, que je me permettrai de recommander à l’attention de M. le ministre de la justice, c’est la question des tarifs, des tarifs en justice civile même. Il est certain, messieurs, que ces tarifs qui remontent au commencement de l’empire, à l’année 1807, ne sont plus en rapport avec les besoins des officiers ministériels : la valeur monétaire a diminué considérablement depuis lors. D’ailleurs, il existe dans ces tarifs une singulière anomalie : vous croyez sans doute, messieurs, que pour tous les tribunaux de première classe, par exemple, les tarifs sont les mêmes ; eh bien, il n’en est rien ; le tarif de Bruxelles est beaucoup plus élevé que les autres : par un décret du 16 février 1807, le tarif de Paris avait été étendu aux villes de Lyon, de Bordeaux, de Rouen et de Bruxelles ; c’étaient ce qu’on nommait autrefois les bonnes villes.
Ce tarif, messieurs, est beaucoup plus élevé que celui des autres cours, et c’est là une véritable anomalie, car nous n’avons plus de bonnes villes en Belgique : nous avons quatre sièges de tribunaux de première classe, c’est-à-dire, Bruxelles, Liège, Anvers et Gand, et dès lors il me semble que pour ces quatre villes il devrait y avoir un tarif uniforme. Les juges des quatre tribunaux que je viens d’indiquer reçoivent le même traitement, la vie est à peu près au même prix dans les villes où siègent ces tribunaux ; il me semble dès lors qu’il serait temps de faire cesser la différence des tarifs, afin que quand on a un procès à soutenir à Bruxelles, on ne paie pas plus que quand on a un procès à soutenir à Gand, Anvers ou à Liège.
Je pense aussi, messieurs, qu’il faudrait réviser les tarifs en ce qui concerne les affaires sommaires ; la ligne de démarcation entre ces affaires et les affaires ordinaires n’est pas assez nettement tranchée, Par exemple, on déclare sommaires les affaires qui exigent de la célérité, et c’est le juge taxateur qui décide si une affaire se trouve dans ce cas. Vous mettez donc en contact un membre du tribunal avec les avoués qui prétendent souvent que le juge taxateur a mal saisi la chose. D’ailleurs, il y a dans les affaires sommaires une masse de vacations qui échappent au tarif. Or, le plaideur qui a gagné son procès, doit supporter les frais de toutes ces vacations, parce que les officiers ministériels n’ont pas l’habitude de faire les choses gratuitement. Il résulte de là, dis-je, que le plaideur qui a gagné son procès doit supporter non seulement tous les honoraires d’avocats, mais encore une partie des frais d’avoués. Il y a donc là encore quelque chose qui appelle l’attention du gouvernement.
Maintenant, messieurs, je me permettrai de faire quelques observations relativement aux 100,000 fr. demandés pour l’érection de deux prisons, l’une à Liége, l’autre à Verviers. A la fin de sa brillante improvisation, un honorable orateur a convié la chambre à ne point accorder ce subside au gouvernement tant qu’il n’aura pas établi le système préconisé par l’honorable membre, c’est-à-dire le système de Philadelphie.
Je crois, messieurs, que dans cette question l’honorable orateur s’est laissé emporter un peu loin par son imagination ; il ne s’agit point ici d’ériger ce qu’on nomme de grandes prisons d’Etat, il s’agit seulement de prisons dites maisons de justice, maisons d’arrêt et maisons de passage.
Là aussi, je le sais fort bien, il faut un régime, mais il importe fort peu que ce soit le régime d’Auburnn ou celui de Philadelphie qui soit adopté.
D’ailleurs, je suis persuadé que l’honorable orateur lui-même, quand il connaîtra l’état des prisons dont je parle, joindra sa voix éloquente à la mienne pour déterminer la chambre à voter la somme pétitionnée, car c’est au nom du malheur, au nom de l’humanité souffrante, je dirai même au nom de la moralité publique, que le gouvernement vous a demandé les 100,000 francs, et que j’appuie cette proposition de toutes mes forces.
Sait-on dans quel état se trouvent les prisons de Liège ? Sait-on que depuis un demi-siècle, on réclame une prison à Liège ? Sait-on que déjà sous l’empire on avait décrété la construction d’une nouvelle prison à Liège, et que c’est parce que l’empire n’a pas subsisté assez longtemps que nous en sommes encore, en 1844, à réclamer l’érection de cette prison ?
Si comme moi (j’ai eu l’occasion de les voir), chacun de vous, messieurs, avait été frappé de l’aspect hideux et repoussant de cette prison, aucun de vous ne balancerait un seul instant à voter le crédit qui est demandé par le gouvernement.
Je sais bien que cette prison ne menace pas précisément d’écraser sous ses ruines les malheureux détenus, je sais bien qu’il n’est pas plus facile de s’échapper de cette prison que de toute autre. Mais je sais aussi que l’homme a besoin d’espace, de jour, d’air, je sais qu’il est impossible d’introduire dans cette prison aucune des améliorations dont on vous a longuement entretenus hier ; je sais enfin que la santé des détenus y éprouve de profondes altérations et qu’il est à craindre qu’il ne s’y commette d’épouvantables désordres.
Pourriez-vous, messieurs, en présence de cette peinture qui est encore en dessous de la réalité, refuser au gouvernement les moyens de porter remède à un pareil état de choses ?
Pour vous donner une juste idée des prisons de Liége, je ne puis mieux faire que de prier la chambre de reporter ses regards sur un rapport fort intéressant que la commission administrative a adressé, le 20 janvier 1836, à l’autorité supérieure, et dont la connaissance a été portée à la chambre dans une autre discussion, à l’occasion du budget de la justice d’un exercice précédent. Vous y verrez, messieurs, que, tant sous le rapport du bien-être que sous le rapport de l’amendement des prisonniers, les améliorations tant de fois signalées comme indispensables se font désirer chaque jour davantage. Vous y verrez que cette commission se montre frappée d’une masse d’inconvénients résultant de la vétusté des bâtiments, du défaut d’appropriation, des constructions vicieuses, du voisinage d’égouts infects, de cellules étroites , manquant d’air, dont les murs et les planchers sont infectés de vermine et dans lesquelles les détenus sont obligés de coucher à deux dans le même lit, de l’impossibilité d’entretenir la propreté et la salubrité dans de semblables réduits, que l’humanité, dit la commission, s’afflige de voir servir encore aujourd’hui de prison dans l’une des premières villes de la Belgique, vous y verrez que MM. les commissaires ne craignent point d’affirmer que l’amendement moral des détenus est impossible et que leur corruption est presque certaine. N’est-il pas affligeant d’apprendre que les condamnés aux travaux forcés se trouvent, relativement à eux, dans un état de bien-être ?
Messieurs, veuillez vous souvenir que le philanthrope anglais qui a mérité le titre d’ami des prisonniers, en visitant les prisons de Liège, sur la fin du siècle dernier, les a stigmatisées en les signalant comme les prisons les plus cruelles, les plus dangereuses qu’il y ait peut-être en Europe.
Je crois, messieurs que ces observations suffiront pour engager la chambre à allouer le crédit demandé par le gouvernement.
M. de Villegas. - Messieurs, je serai, comme d’habitude, extrêmement court, d’autant plus que la chambre a hâte d’en finir avec la discussion générale.
Dans la séance d’hier, je n’avais demandé la parole que pour rencontrer quelques observations qui ont été présentées par l’honorable M. de Brouckere.
L’honorable orateur vous a fait un tableau bien sombre de nos prisons, il a même ajouté que le système d’exécution des peines prononcées par les cours et tribunaux était vicieux à tous égards.
Je ne suis pas entièrement de cet avis, et je ne pense même pas que, dans l’Etat actuel de notre législation, il y ait des moyens pratiques d’empêcher la confusion de l’application des peines. La raison en est bien simple : c’est que dans toutes les prisons le travail productif est à peu près le même, et ne saurait être que le même.
Si l’on voulait l’exécution littérale de l’art. 15 du code pénal qui a été cité par l’honorable orateur, il ne faudrait rien moins que la restauration des bagnes avec ses aménités, ou l’emploi des détenus à des travaux publics, et je ne pense pas que ceci rentre dans la pensée éminemment philanthropique de l’honorable orateur.
Toutefois, je conviens avec lui qu’il reste beaucoup à faire en cette matière, surtout en ce qui concerne les petites prisons, où les détenus sans distinction de catégorie ou d’âge, sont confondus pêle-mêle pendant la nuit comme pendant le jour, où le quartier des femmes n’est pas surveillé par des personnes du sexe, où en un mot on néglige tout amendement moral des détenus.
Toutefois, je me hâte de le dire, nous pouvons proclamer comme un fait constant que, depuis 1830, des améliorations successives ont été introduites dans le système pénitentiaire de nos grandes prisons, grâce aux soins intelligents et infatigables du jeune savant qui se trouve à la tête de cette administration.
Messieurs, il appartient au gouvernement (et à cet égard les honorables MM. Castiau et de Brouckere lui ont soumis des observations très intéressantes), il lui appartient, dis-je, de compléter cette œuvre commencée, de même qu’il est du devoir de la législature de la seconder, le cas échéant, dans ses vues d’intérêt général.
Mais, messieurs, pour atteindre le but moral si chaleureusement invoqué par l’honorable M. Castiau, il faut autre chose que la sévérité des peines. Quant à moi, j’ai une plus grande confiance dans l’efficacité des moyens préventifs. Il faut surtout, si vous voulez voir diminuer le nombre des récidives dont on vous a fait connaître hier le chiffre effrayant, il faut extirper ce fatal préjugé qui repousse de la société les condamnés libérés et qui les forcent en quelque sorte à se précipiter de nouveau dans la carrière du crime. C’est dans, ce but que le ministre de la justice, en 1833, a soumis à S.M. un arrêté royal, relatif à l’organisation d’un patronage pour les condamnés libérés. Je sais que l’exécution de cet arrêté est très difficile ; mais j’espère que le gouvernement fera de cette question l’objet de ses sérieuses méditations, et qu’il ne reculera pas au moins devant une tentative d’exécution.
C’est ainsi, je le répète, qu’on parviendra à diminuer le nombre des récidives.
Je pourrais, messieurs, m’étendre davantage sur les systèmes de réforme pénitentiaire dont vous avez entendu les développements dans la séance d’hier, mais je bornerai là mes observations, pour ne pas abuser des moments si précieux de la chambre, et avec la persuasion que le gouvernement saura mettre à profit les diverses observations que l’on a soumises à l’assemblée dans la présente discussion,
M. Desmet. - Je ne veux pas discuter pour le moment la question des systèmes pénitentiaires ; mais si le gouvernement avait l’intention d’introduire le système américain dans nos prisons, je lui demanderai si, dans ce cas, le gouvernement opérera cette réforme par une loi.
En France, où cette réforme est à l’ordre du jour, on en a fait l’objet d’un projet de loi.
Nous avons eu jusqu’à présent des discussions assez intéressantes sur le régime pénitentiaire ; mais jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas eu de rapport du gouvernement. Je n’en fais pas un reproche au ministre actuel de la justice qui n’est que depuis quelques mois aux affaires ; mais je pense qu’il serait nécessaire de présenter un rapport sur cet important objet.
Messieurs, on a critiqué, hier, le régime actuel des prisons et l’on s’est plaint du peu de réformes qu’on y a introduites. Je crois qu’on a eu tort. En ma qualité de vice-président de la commission de surveillance de la prison d’Alost, je puis assurer qu’on a introduit beaucoup de reformes et qu’on s’en occupe activement. Je n’entrerai pas dans des détails à cet égard, pour ne pas abuser des moments de la chambre.
Tout en louant les réformes qu’on a faites, je ne puis m’empêcher de faire quelques critiques. Les honorables MM. Castiau et de Brouckere trouvent un grand moyen de réforme dans l’élément religieux : alors il faut faire tout ce qu’on peut pour le mettre en œuvre. Je ne parlerai que d’une prison, parce que je ne connais que celle-là, je dirai que dans la prison d’Alost on ne peut pas mettre en œuvre l’élément religieux. Il y a mille cinq cents détenus pour lesquels il n’y a qu’un seul aumônier ; de plus, il n’y a pas de chapelle, on est obligé de prendre pour chapelle l’atelier des tailleurs ; comment voulez-vous qu’on puisse donner aux détenus l’instruction religieuse, qu’on puisse essayer de les améliorer au moyen de la religion. J’engage l’administration à porter remède à cet état de choses. Dans tous les pays protestants, les casernes, les hôpitaux et les prisons ont de beaux temples, et chez nous cela manque partout.
Il y a des frères de charité qui viennent de s’établir, ils seront très utiles, j’espère que M. le ministre voudra bien faire en sorte d’augmenter leur nombre, non seulement pour le service des hôpitaux, mais pour d’autres établissements, ils y introduiront la prière en commun, ce qui n’existe pas et ce qui serait une bonne chose. Comme tout le monde, je regarde le travail comme un bon moyen de reforme, mais il est essentiel de faire un bon choix de travail. On sait qu’à la prison d’Alost on tisse la toile d’Ath et qu’on fait ainsi concurrence à l’industrie de cette ville ; et dans ce moment, où le tissage a besoin d’être protégé, cette concurrence est très nuisible.
Je ferai, en terminant, une dernière observation. Il me semble qu’on a plus ou moins envie de centraliser l’administration des prisons. Il me semble qu’on ne voudrait plus laisser autant d’action aux commissions de surveillance ; cependant elles sont très utiles ; elles rendent de grands services, bien que tous les membres remplissent leurs fonctions gratuitement. Les achats pour les besoins de la prison se faisaient ordinairement dans le lieu où était située la prison, sous les yeux des pères des prisonniers ; aujourd’hui on a supprimé cela, c’est à Bruxelles que tous les marchés se font. Il en résulte cet inconvénient, qu’on ne peut plus savoir si les soumissionnaires sont bons, la qualité des fournitures en souffre. Je ne veux pas formellement critiquer ce qui s’est fait, parce que des erreurs sont possibles partout. Mais naguère, pour des fournitures de céréales, on en a eu de mauvaise qualité, et si les commissions respectives des prisons avaient surveillé les achats, cela ne serait pas arrivé.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, je répondrai d’abord à une question que m’avait adressée hier l’honorable M. Rodenbach et à laquelle j’avais oublié de répondre. L’honorable membre a parlé de la loi sur le domicile de secours et de l’interpellation de l’honorable M. de Muelenaere, à laquelle j’avais répondu, qu’une loi serait présentée prochainement. Je puis renouveler cette assurance, car pour les premiers jours de janvier, j’espère être à même de présenter cette loi. L’honorable membre a parlé également des mendiants admis dans les dépôts de mendicité, en vertu de l’art. 1er de la loi du 13 août 1833, et il vous a indiqué les inconvénients et les abus auxquels cet article donne lieu dans la pratique. Cette loi du 13 août 1833 a été suivie d’un arrêté de la même date, dont l’art. 7 parle des règlements à faire pour les différents dépôts de mendicité, afin d’établir les conditions d’admission et de sortie, de manière à empêcher que des abus n’existent par suite de la disposition de la loi de 1833. Je me suis assuré qu’aucun règlement n’avait été fait depuis l’émanation de cet arrêté. J’ai chargé une commission de la rédaction d’un règlement pour l’entrée et la sortie dans les dépôts de mendicité. Ce règlement est fait, je l’ai fait imprimer et distribuer aux membres de la députation permanente du Brabant, ainsi qu’aux membres du conseil communal de Bruxelles. Ils sont appelés à délibérer sur ce règlement. Nous verrons, d’après les observations qui seront faites, s’il y a lieu de l’adopter tel qu’il est, ou de le modifier ; s’il est adopté, il sera communiqué aux autres provinces, on examinera s’il satisfait à toutes les exigences et s’il doit être admis d’une manière générale pour toutes les provinces.
Je crois avoir répondu à toutes les interpellations de l’honorable M. Rodenbach.
Je regrette de ne pas voir dans cette enceinte l’honorable M. de Brouckere, parce que j’ai une réponse à lui adresser relativement à son dernier discours. Il ne m’a pas été possible de lui répondre hier, la chambre ayant levé la séance après l’avoir entendu. Je crois devoir lui répondre, bien qu’il ne soit pas présent. J’avais dit à l’honorable membre qu’il avait signalé des abus, mais qu’il n’avait pas indiqué de remèdes. J’avais dit qu’il n’avait pas indiqué de remède, parce que ceux dont il avait parlé existaient déjà, et qu’ainsi s’il y avait encore des abus, il fallait signaler d’autres remèdes et non ceux déjà employés.
L’honorable membre a combattu ce que j’avais dit à cet égard et a cité différentes améliorations qui devraient être nos prisons ; 1° l’isolement complet ; 2° la suppression des cantines et de l’argent de poche ; et 3° une différence pour le couchage et la nourriture des détenus. Quant à l’isolement complet, j’ai déjà répondu que cette question n’était pas encore jugée, qu’elle divisait les personnes les plus éclairées qui s’étaient occupées de ce objet, que je ne pensais pas qu’il fallait la trancher d’une manière générale et introduire actuellement le nouveau système dans toutes les grandes prisons. J’aurais pu ajouter que le système était d’une exécution immédiate impossible, attendu qu’aucune des grandes prisons existantes ne pourrait servir si on l’adoptait.
Il faudrait des prisons entièrement neuves, et chacune devrait coûter au moins trois millions, de manière qu’il faudrait, pour satisfaire aux désirs de l’honorable M. de Brouckere, obtenir de la législature une somme de 12 millions. J’en demande pardon à l’honorable M. Castiau, qui a dit que les questions d’argent ne devaient pas nous arrêter. Mais je pense qu’un crédit de 12 millions pour cet objet serait difficilement accordé par les chambres
On a prétendu que la question du système d’isolement était jugée, que tous les pays, la Prusse, la France, la Sardaigne, Genève, l’Amérique, l’Angleterre l’avaient adopté. Je ferai observer qu’en Amérique, les deux systèmes sont encore en présence, que le système de Philadelphie et celui d’Auburnn réunissent l’un et l’autre de nombreux partisans et sont défendus de part et d’autre avec la même énergie.
En Prusse on va faire un essai. Une commission a été nommée pour examiner cette question, elle a fait son rapport, et le gouvernement vient d’ordonner la construction d’une prison, non pour y réunir tous les détenus de la Prusse, mais uniquement quelques-uns à titre d’essai.
En Sardaigne une prison a également été commandée pour y faire l’essai du système de Philadelphie. A Genève c’est le système d’Auburn qu’on a établi, et en France il n’y a que la prison de la Roquette où le système de Philadelphie soit en partie adopté. Quant à l’Angleterre, j’ai dit qu’il n’existait que pour des maisons d’attente.
Puisque j’ai parlé de ce que devraient coûter les prisons si on adoptait le système de Philadelphie, j’en prends occasion pour répondre à l’interpellation de l’honorable M. Desmet. Comme il y aurait des crédits à demander, il est évident que ce système serait établi par une loi, car en demandant des crédits, il faudrait en expliquer l’emploi, et la législature serait appelée à se prononcer sur la bonté ou les défauts du système qu’il s’agirait d’introduire.
J’ai dit que les améliorations signalées par M. de Brouckere étaient déjà en partie introduites. A Gand, il y a des cellules d’isolement où l’on fait des essais. On y renferme les individus qui se conduisent le plus mal et on les y laisse pendant un temps déterminé. Il y a également des cellules à Alost où l’on fait aussi des essais du même système.
L’honorable M. de Brouckere a signalé comme une nécessité la suppression des cantines. J’ai répondu que l’intention du gouvernement était de supprimer les cantines. Les arrêtés sont même déjà minutés pour cet objet, mais nous sommes arrêtés par la difficulté et par les dangers qui peuvent résulter d’une semblable mesure, maintenant qu’on n’a pas des cellules en nombre suffisant pour maîtriser tous les détenus.
Nous croyons, en conséquence, agir avec une sage prudence en présence des événements très graves qui ont eu lieu à Gand et à Alost en ajournant cette mesure que nous avons, au reste, l’intention bien arrêtée d’adopter. A Namur il n’y a plus de cantine, et comme conséquence de la suppression de la cantine, plus d’argent de poche. Nous arriverons à ce résultat à Gand et dans les autres prisons, dès que nous aurons à notre disposition des moyens de répression suffisants.
L’honorable M. de Brouckere a dit que, pour graduer les peines, il fallait modifier le couchage et la nourriture des détenus. C’est impossible. Quant à la nourriture, les médecins ont été consultés avant de déterminer la quantité et la nature des aliments qu’on donne aux détenus. Ils ont déclaré que ce qu’on leur donnait était suffisant, mais qu’on ne pouvait pas le réduire sans altérer leur sauté. On a été, sous ce rapport jusqu’a la limite du possible. Je ne pense pas qu’on puisse aller au-delà. Je ne pense donc pas que le remède indiqué par M. de Brouckere puisse être adopté ; je ne pense pas qu’il puisse avoir les résultats que cet honorable membre en attend.
Quant au couchage, les détenus couchent sur la paille ; à moins de les faire coucher sur la dure, je ne vois pas comment on pourrait aggraver leur position sous ce rapport.
J’ai ainsi répondu brièvement au discours que l’honorable M. de Brouckere a prononcé, en réponse à ce que j’avais dit. Je dois, en terminant sur ce point, exprimer le regret que cet honorable membre qui nous a dit faire partie depuis 20 ans de l’administration des prisons, ait attendu jusqu’à présent pour signaler les abus dont il a parlé, et pour proposer les remèdes qu’il a indiqués hier.
Ces remèdes, au reste, je le répète, ne sont pas nouveaux ; l’administration a déjà employé ceux qui sont réellement efficaces, elle les généralisera dans toutes les prisons quand les localités le permettront ; ce qui a déjà été fait aurait pu faire supposer à l’honorable membre que je n’avais pas l’intention de m’arrêter dans la voie des améliorations.
L’honorable M. de Brouckere a critiqué ce que j’ai dit relativement aux récidives. Il a dit que les récidives étaient bien plus nombreuses ici qu’en Amérique ; il en a fixé le chiffre pour St-Bernard à 75 p. c. J’ai cité aussi des chiffres, et j’ai prouvé par ces chiffres que les récidives ne sont pas augmentées.
Je maintiens ce que j’ai dit ; les chiffres que j’ai cités sont tirés de documents officiels. Il est très vrai, je le reconnais, qu’à St.-Bernard, il y a beaucoup de détenus qui sont considérés, d’après les statistiques, comme étant en état de récidive. Mais voici d’où cela vient : les détenus de Saint-Bernard, considérés comme étant en état de récidive, ne sont pas seulement ceux en état de récidive légale, c’est-à-dire ceux condamnés antérieurement à un an et un jour de prison, mais ce sont ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement, quelque minime qu’elle soit. Ainsi, dans les statistiques, faites maintenant, avec le plus grand soin, on porte, comme dans un état de récidive, tous ceux qui ont subi antérieurement une condamnation, fût-ce un jour de prison, pour une contravention de simple police, telle est la cause de l’élévation du chiffre.
Cotte observation prouve que ce n’est pas au régime des grandes prisons qu’il faut attribuer les nombreuses récidives, que déplore avec raison l’honorable membre ; cette observation ôte aussi à ces récidives le caractère qu’elles auraient, si un séjour antérieur dans les prisons les avait provoquées.
L’honorable membre, pour appuyer son système, a cité l’Amérique ; il a dit qu’en Amérique la proportion des récidives est de 5 p. c., tandis que chez nous elle est de 75 p.c.
Ce qu’il a dit à cet égard ne signifie absolument rien en faveur du système qu’il préconise ; car en Amérique, comme je l’ai dit, il existe deux systèmes : le système adopté en Belgique et le système d’isolement que l’honorable membre veut introduire, De manière que, s’il y a moins de récidives en Amérique, on peut attribuer ce résultat à un système aussi bien qu’à l’autre. Par conséquent, aussi bien au système d’Auburn, qu’à celui de Philadelphie.
J’ajouterai qu’aux Etats-Unis il est impossible de constater exactement les récidives, parce que l’individu qui a commis un délit dans un Etat de l’union, et en commet un second dans un autre Etat, n’est pas considéré dans cet Etat comme étant en état de récidive, tandis qu’en Belgique deux délits commis par un individu dans deux provinces différentes constituent la récidive, parce que le délit antérieur est toujours connu, alors même qu’il est commis dans une autre province et que sa condamnation est subie dans une prison différente.
Je ne sais, du reste, où l’honorable M. de Brouckere a pris les renseignements qu’il a fait connaître hier sur le nombre de récidives en Amérique, mais ils ne sont pas d’accord avec ceux que j’ai recueillis. Je vois que les récidives sont aux Etats-Unis dans la proportion suivante :
Dans la Pennsylvanie, 1 sur 6
Dans le Maryland, 1 sur 7
Dans l’Etat de New-York, 1 sur 9
A Auburn, 1 sur 19.
L’ouvrage de M. Ducpétiaux. d’où j’extrais ces chiffres, ajoute : « Mais il faut remarquer, d’un autre côté, que cette comparaison ne peut être qu’approximative, le nombre des condamnés en récidive des Etats-Unis ne peut être exactement comparé au nombre des condamnés en récidive en France. Aux Etats-Unis, l’administration criminelle proprement dite n’existe pas. Ce n’est en général que le retour du coupable dans la même prison qui établit son état de récidive. En France on a mille moyen de connaître la condamnation antérieure d’un criminel, il s’en suit que le chiffre des condamnés en récidive d’Amérique se rapproche plus du chiffre des condamnés en récidive de France que ne sembleraient l’indiquer les données qui précèdent. »
Ainsi ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere ne peut faire aucune espèce d’impression, et ne peut pas établir la supériorité du système dont il a parlé.
Je dois encore un mot de réponse à l’honorable membre, relativement aux prisons de Liége.
Sur une interpellation de l’honorable M. Castiau, j’ai dit que, pour les prisons de Liége, j’avais l’intention d’admettre le système adopté pour la prison de Tongres, et que je regardais ce système comme indispensable pour les maisons d’arrêt et de justice, et comme devant nécessairement être appliqué aux prévenus pour lesquels il serait un véritable avantage, un grand adoucissement. L’honorable M. de Brouckere a dit que je faisais les choses à rebours. Je lui répondrai en me servant de l’expression obligeante qu’il a employée à mon égard, que je ne crois nullement faire les choses à rebours. J’ai pour moi l’autorité des criminalistes les plus distingués qui se sont occupés de cet objet, même de ceux qui préconisent le système adopté en Belgique, celui de l’isolement pendant la nuit et du travail en commun pendant le jour ; les criminalistes, tout en rejetant le système d’isolement complet pour les condamnés, l’admettent pour les prévenus.
Voici ce que dit, dans son rapport, M. de Tocqueville dont on a parlé :
« La commission, comme le projet de loi, s’est d’abord occupée des maisons destinées à contenir les prévenus et accusés. Ces maisons forment une catégorie absolument séparée, puisqu’elles n’ont pour objet, comme les prisons proprement dites, ni d’effrayer ni de moraliser les détenus qu’elles contiennent, mais seulement de les garder sous la main de la justice.
« Les écrivains qui ont traité jusqu’ici la réforme des prisons sont restés fort divisés sur la question de savoir à quel régime il fallait soumettre les condamnés. Mais tous ont fini par tomber d’accord qu’il convenait d’isoler les prévenus les uns des autres, et de les empêcher d’une manière absolue de communiquer ensemble. Tous les hommes, qui en France et ailleurs se sont occupés pratiquement de la question, sont arrivés à une conclusion semblable. Ils ont jugé qu’il y avait très peu d’inconvénients et beaucoup d’avantages a empêcher toute communication quelconque de prévenu à prévenu.
« Des pays mêmes qui s’étaient prononcés contre l’emprisonnement séparé, quant aux condamnés, l’ont adopté lorsqu’il s’agissait des détenus avant jugement. C’est ainsi que, dans l’Etat de New-York, où le système d’Auburn a pris naissance, à Boston, où on le préconise, à Genève, où on l’a adopté en partie, des maisons cellulaires pour les accusés sont construites ou vont l’être. »
Pareille opinion a été soutenue par M. Charles Lucas, qui s’est occupé également du système pénitentiaire, et qui n’admet pas non plus le système d’isolement absolu. On trouve dans son ouvrage un passage absolument conforme à celui du rapport de M. de Tocqueville. Je ne le lis pas pour ménager les moments de la chambre.
Je crois donc agir sagement en adoptant pour les prisons de Liège le système adopte pour la prison de Tongres.
Quand je parle d’isolement, je n’entends sans doute pas un isolement absolu, un véritable secret, mais la séparation complète des détenus. Le détenu pourra recevoir dans la prison son avocat, les gardiens, les membres de la commission administrative, même des personnes de sa famille. Je veux une séparation complète entre détenus, dans leur propre intérêt et dans l’intérêt de la société. Je veux éviter à l’individu prévenu d’un simple délit le contact de ceux qui sont déjà peut-être souillés par des crimes ; je veux empêcher que celui qui a commis une première faute ne soit entraîné au crime par de perfides conseils ; je veux accorder aux prévenus, non la peine, mais le bienfait de la séparation.
L’honorable M. Fleussu vous a parlé des prisons de Liège ; ce qu’a dit cet honorable membre est exact, l’état de ces prisons est déplorable ; il présente tous les inconvénients que l’honorable membre vous a si bien signalés.
L’honorable M. de Villegas vous a aussi parlé des prisons ; il vous a rappelé un arrêté royal, contresigné par M. Ernst, relatif au patronage.
Dès mon entrée au ministère, je me suis occupé des moyens de mettre en pratique les dispositions de cet arrêté. Les gouverneurs sont consultés sur les moyens d’établir la surveillance projetée par M. Ernst. Déjà dans une ville, celle de Namur, un système de patronage est établi, l’établissement du Bon Pasteur peut servir de modèle : jusqu’ici, il a produit les plus heureux résultats. J’espère pouvoir introduire le patronage pour les détenus des autres prisons. J’ai fait appel aux lumières et à l’expérience de MM. les gouverneurs des provinces.
L’honorable M. de Smet, en parlant des prisons, a exprimé le regret que la prison d’Alost, à l’administration de laquelle il concourt, comme président de la commission, n’eût pas de chapelle, et que de cette manière les détenus fussent dans l’impossibilité de remplir leurs devoirs religieux. Une acquisition vient d’être faite à Alost pour agrandir la prison, il y aura moyen, j’espère, d’acquérir un autre terrain, pour l’érection d’une chapelle et de déférer ainsi au désir de l’honorable M. Desmet.
Je puis lui donner l’assurance que je désire, comme lui, voir introduire les religieux dans les prisons, non seulement pour l’infirmerie, mais encore pour la surveillance dans les ateliers ; je le ferais à l’instant si les religieux étaient en nombre suffisant, mais les deux seuls établissements qui en fournissent manquent de sujets. Le gouvernement, appréciant l’utilité de ces établissements, leur donne des subsides et j’espère que bientôt ils pourront augmenter le nombre des religieux qui se destinent au service des prisons.
L’honorable M. Desmet a parlé des adjudications ; il est vrai qu’on vient de les centraliser ; mais je dois dire que cela a eu le meilleur effet sur les prix d’adjudication, et j’ai tout lieu de croire que les produits ne seront pas moins bons que les années antérieures.
L’honorable M. Fleussu a présenté d’autres observations ; il a appelé l’attention du gouvernement sur les améliorations à introduire dans la législation et sur la nécessité de satisfaire enfin a ce qu’a ordonné le congrès. Il a signalé, messieurs, les conflits, les sursis, le code de procédure, le code pénal et les tarifs. J’ai déjà reconnu les vices de la législation sur ces points ; je promets à l’honorable M. Fleussu que je m’occuperai sans relâche de ces objets.
Je profiterai aussi des conseils qu’il m’a donnés relativement à la composition des commissions. Je trouve les observations qu’il a présentées à cet égard parfaitement justes ; mais il reconnaîtra, d’un autre côté, qu’il est bien difficile de composer des commissions de magistrats, alors que ces magistrats sont régulièrement occupés de leurs fonctions, et que les corps judiciaires ne sont pas composés de membres trop nombreux. Du reste, je composerai ces commissions aussi bien que possible, et je ferai un appel au zèle des magistrats qui voudront bien en faire partie et venir m’aider de leurs lumières dans la tâche extrêmement difficile, je le reconnais, que j’ai à remplir.
J’examinerai également le code de procédure adopté dans les Pays-Bas, et je verrai s’il contient des dispositions que nous puissions adopter.
On m’a demandé si le code pénal présenté par un de mes honorables prédécesseurs était retiré. Non, messieurs, il n’est pas retiré. Ce projet contient des améliorations réelles. C’est un projet très important qui appelle de longues et sérieuses méditations, et en présence des autres objets dont les chambres ont à s’occuper et des travaux auxquels je dois me livrer, il m’est impossible de déterminer l’époque à laquelle nous pourrons nous occuper de ce projet.
Enfin l’honorable M. Fleussu vous a parlé des tarifs et vous a signalé l’inégalité qui existait entre celui en vigueur près la cour de Bruxelles, et ceux en vigueur près des cours de Liège et de Gand.
Messieurs, comme des commissions étaient nommées pour s’occuper des tarifs, il n’a pas encore été fait droit aux réclamations des avoués et des huissiers des tribunaux signalés par l’honorable M. Fleussu, et en voici le motif : c’est qu’il n’est pas décidé si l’on augmentera les tarifs en vigueur dans les ressorts civils cités par M. Fleussu jusqu’à celui en vigueur à Bruxelles, ou si l’on diminuera celui de Bruxelles, jusqu’au tarif des autres cours.
- La clôture est demandée.
M. Savart-Martel (contre la clôture). - Je désire que la clôture n’ait pas lieu. Dans la séance d’hier, l’honorable M. Castiau m’a prêté des intentions que je n’ai pas eues, et même des expressions dont je ne me suis pas servi. J’aurais pu demander la parole pour un fait personnel, immédiatement après le discours de l’orateur, mais l’honorable M. de Brouckere ayant manifesté l’intention de parler, je n’ai pas voulu l’interrompre.
M. de Mérode (contre la clôture). - Messieurs, il me semble que nous ne discutons pas depuis longtemps le budget de la justice, au moins en ce qui concerne la discussion générale, et il y a encore beaucoup d’observations à présenter. Je ne comprends pas pourquoi la clôture serait prononcée si tôt, lorsqu’il s’agit d’objets aussi importants.
M. Lys (contre la clôture). - Il y a très peu de temps, comme vient de le dire l’honorable M. de Mérode, qu’on s’occupe du budget de la justice. Une raison qui m’engage aussi à demander la continuation de la discussion générale, c’est qu’il doit être reconnu dans ce moment qu’il est impossible d’achever aujourd’hui le budget de la justice.
M. Rodenbach (contre la clôture). - Je demande qu’on ne clôture pas encore les débats. Dans le discours que vient de prononcer M. le ministre de la justice, il vous a dit qu’il n’y avait pas suffisamment de frères de la charité dans les prisons. Je voudrais répondre à M. le ministre en lui faisant connaître l’opinion du vénérable chanoine Triest pour lequel on élève un monument, et je suis certain que M. le ministre sera charmé de connaître cette opinion.
- La clôture est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Delfosse. - Messieurs, je crois que la chambre ferait très bien de décider, dès maintenant, s’il y aura des vacances, et quand elles commenceront. Si l’on ne décide pas immédiatement cette question, il est possible que tout à l’heure la chambre ne soit plus en nombre.
M. Lys. - J’appuie ce que vient de dire l’honorable M. Delfosse. Je crois même qu’il est nécessaire qu’on prenne une décision dans ce moment, et voici pourquoi : si tout à l’heure nous ne sommes plus en nombre, M. le ministre de la justice ne pourra pas demander de crédits provisoires. Or je crois qu’il est nécessaire que cette demande soit faite, car lorsque nous nous réunirons de nouveau, le sénat aura à son tour pris des vacances, et le budget ne pourra être promulgué qu’à la fin de février.
- La chambre, consultée, déclare qu’elle s’occupera immédiatement de la proposition de M. Delfosse, et décide qu’elle s’ajourne au mardi 9 janvier.
M. de Theux (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je propose de procéder immédiatement au tirage au sort la députation qui sera chargée de complimenter S. M. le jour de l’an.
- La chambre adopte cette proposition. Il est procédé au tirage au sort de cette commission, qui doit être composée de onze membres, non compris le président.
La commission se composera de MM. Devaux, de Florisone, Dubus, de Mérode, Vilain XIIII, Rodenbach, Pirson, Eloy de Burdinne, Troye, Desmet et d’Hoffschmidt.
M. Savart-Martel. - Messieurs, j’ai demandé la parole pendant le discours de notre honorable collègue M. Castiau, pour faire remarquer qu’à tort l’orateur supposait qu’en provoquant des mesures contre la « haine de cense », j’exigeais des lois plus sévères que celles du code pénal actuel.
En invoquant l’ordonnance de Marie-Thérèse, comme monument à consulter ; en indiquant la mise en station d’un ou deux gendarmes là où règne particulièrement le mauvais gré ; en proposant d’exécuter la sentence sur le lieu même du crime ou sur les lieux circonvoisins, je ne devais point m’attendre qu’on pût y voir des mesures de rigueurs extraordinaires.
Ma pensée était celle d’un philosophe, plutôt que d’un criminaliste, j’invoquais des mesures préventives par suite de l’opinion, qu’il vaut mieux prévenir le crime que de le punir ; et que quand la société se trouve forcée à sévir contre un de ses membres, il faut au moins que la peine soit utile.
Il ne faut pas que le pays puisse croire qu’il existe des membres dans cette chambre qui demandent des supplices, des exécutions sanglantes, des échafauds ; notre arsenal de pénalités est suffisamment pourvu à cet égard. Je voudrais seulement que la peine remplisse son but, je repousse donc de toutes mes forces une sévérité outrée.
J’ai parlé de revoir les lois qui concernent l’emprisonnement en matière civile et commerciale, sans dire un mot qui puisse faire croire que je voulusse étendre ce mode d’exécution des sentences. Je ne pourrais guère le faire ; car, depuis plus de 30 années, j’ai professé publiquement mon antipathie contre l’emprisonnement pour dettes. Je ne voudrais la prison que contre le débiteur frauduleux et de mauvaise foi, qui soustrait tout ou partie de son actif, mais je dis avec tous ceux qui, par état, ont longtemps pratiqué le code de procédure, et comme vient de le dire l’honorable M. Fleussu, que là est une œuvre déplorable, nuisible aux créanciers, sans avantages pour le débiteur de bonne foi. J’ai cité le titre des enquêtes, celui des jugements par défaut, et celui des saisies-immobilières. Je regrette que mon honorable collègue ne m’ait point indiqué un seul titre, un seul article qui contredit l’opinion de presque tous les barreaux.
Quant à la nécessité de maintenir les tours, pour éviter de grands malheurs, elle a constamment été soutenue par moi. Si Mons, chef-lieu de la province, a maintenu son institution, il n’a pas dépendu de moi que Tournai maintînt le sien. Seul ou presque seul, j’ai tout fait, et j’ai voté pour sa conservation. Mais la chambre sentira qu’il est difficile de décider cette question législativement ; car toujours, en pareil cas, il y aurait à consulter des intérêts de localité, des intérêts de clocher.
Quant au régime cellulaire, M. le ministre y a suffisamment répondu ; mais j’ai quelque doute que cette mesure, qui peut devenir une peine très grave, puisse être exercée administrativement.
Répondant maintenant à ce qui a été dit concernant les bureaux de bienfaisance et les hospices, l’on n’a point été juste envers ces établissements. Ceux que je connais (et je me fais honneur d’administrer l’un d’entre eux) ne se bornent point à faire l’aumône. Ils veillent sur les pauvres inconnus comme sur ces infortunés que notre honorable collègue nomme pauvres honteux. Ils leur distribuent avec prudence et discernement les revenus, produits et collectes, aidés par des habitants notables dont le zèle semble augmenter chaque jour. Aux uns ils confèrent des bourses et pitances ; à d’autres des secours mensuels, et parfois extraordinaires. Ils placent les enfants en apprentissage chez des maîtres-ouvriers et l’école d’arts et métiers, ouverte à Tournai, subventionnée par l’Etat et la province, conçue par la commission des hospices civils de cette ville, prouve qu’on ne se borne pas à faire l’aumône. Ces divers établissements s’occupent enfin à moraliser le pauvre, et là aussi est un bienfait.
Sans doute, il serait bon d’extirper le paupérisme, mais la taxe des pauvres, que semble désirer notre honorable collègue, ne ferait qu’augmenter le nombre des indigents et tarirait les sources de la charité privée. Personne n’ignore que la taxe des pauvres est un véritable fléau pour l’Angleterre elle est devenue insupportable. Dieu garde la la Belgique d’une pareille ressource.
Le Belge est naturellement bienfaisant.
Les hautes classes de la société prêchent d’exemples. Le jour où vous établiriez cet impôt, je le répète, cesseraient le zèle, la générosité, le dévouement de ces classes, et vous tripleriez le nombre des pauvres à secourir.
Je n’entrerai point ici, messieurs, dans des faits et circonstances qui m’ont paru présenter de simples questions d’administration. Je l’ai dit hier : « La philanthropie pour le crime, c’est presque de la duperie. »
Je rends justice aux théories professées par notre honorable collègue.
Comme lui, je voudrais qu’il n’y ait plus de pauvres et que chaque semaine l’ouvrier pût mettre la poule au pot. Comme lui, je voudrais que la vindicte publique n’eût plus à remplir sa triste mission, ou que les condamnés sortissent des prisons parfaitement corrigés. Comme lui je voudrais que les aliénés fussent si bien traités que tous vinssent à résipiscence. Ces vœux, je crois, sont ceux de toute la chambre, mais hélas ! il est triste de le dire, ces brillantes théories, c’est, en pratique, la chose impossible.
M. de Mérode. - Je viens demander, messieurs, que le ministre de la justice donne aux chambres la statistique des criminels coupables d’assassinats, et qui ont obtenu commutation de la peine de mort qu’ils avaient méritée. J’ai remarqué jusqu’à quatre et cinq de ces crimes annoncés dans les journaux pendant la même quinzaine. Tantôt c’est un fils qui tue son père ; un frère, sa sœur ; un prétendant qui frappe la jeune fille prête à se marier à un autre ; puis des cultivateurs ayant rapporté chez eux le prix d’objets vendus à la ville voisine et qu’on vient assaillir la nuit dans leur chaumière pour les dépouiller en leur ôtant la vie, même à leur femme, à leurs enfants.
Une chose est à remarquer à l’égard de ces monstruosités, c’est qu’elles s’exercent presque toujours contre des personnes appartenant aux classes populaires. Je ne vois guère de victimes chez les négociants, les avocats, les principaux propriétaires. Parmi les malheureux sacrifiés par l’homicide, on trouve spécialement l’individu qui reçoit quelque somme médiocre, prix d’un laborieux travail, le petit fermier, dont la demeure mal close est placée au milieu d’une campagne solitaire ; la fille, sans autre fortune que son extérieur est convoitée par un être brutal que dévore une grossière jalousie ; ce n’est pas le militaire dont l’uniforme porte de brillantes épaulettes, mais le simple gendarme, père de famille, remplissant avec courage son devoir protecteur de l’ordre. Voila, messieurs, ceux qu’atteint d’ordinaire l’infime meurtrier qu’en Belgique, plus que partout, une flasque douceur, dangereuse par ses résultats, ménage outre mesure.
Aussi le peuple, plus menacé que les classes aisées ou les philanthropes doués d’un cœur trop sensible pour les assassins, ne voit que de mauvais œil l’impunité ou l’insuffisante punition d’actes atroces et la mollesse du pouvoir chargé de la sauvegarde publique. Cette mollesse, qui semble insouciante sur la gravité de l’acte par lequel on arrache à son semblable la vie même, laisse dans certains esprits ignorants l’idée qu’après tout ce n’est pas un si grand mal de tuer un être humain, et malheur au pays où s’enracine cette opinion. Elle a produit des meurtres innombrables et détruit l’horreur qu’ils doivent inspirer. Lorsqu’au contraire les crimes infiniment plus odieux que la plupart des autres sont punis d’une peine terrible en rapport avec leur gravité hors ligne, les méchants sentent que la société met entre le vol de l’argent et l’attentat contre la vie une différence capitale. Le bras de l’homicide s’arrête souvent, pas toujours, sans doute, mais souvent, dis-je, par la crainte du supplice. Aussi dans l’histoire voit-on fréquemment l’éloge des princes bons justiciers, parce que leur glaive sévère a protégé l’innocence avec vigueur et fermeté. On n’accusera pas, assurément, de cruauté, de rigueur excessive le roi Louis-Philippe ; cependant l’assassin, convaincu par la justice en France, n’échappe pas ordinairement, comme en Belgique, à la sentence qui le punit de mort, et, sans l’affirmer d’une manière absolue, je pense que, proportion gardée, plus de personnes périssent dans nos provinces sous les coups du bandit que dans les départements français. Je ne parle pas de la Corse, île italienne, soumise à l’affreuse vendetta et qui n’est encore française que politiquement. Je sais bien qu’il est plus facile, moins pénible pour le pouvoir d’emprisonner l’assassin que de le livrer à l’exécuteur, et la timidité gouvernementale étant à l’ordre du jour, ce que je ne dis pas d’un ministère plus que d’un autre, les plus détestables criminels en sont habituellement quittes pour la réclusion. La marque est également abolie pour eux, et cette flétrissure distinctive qui leur serait bien due, au moins quand on leur fait grâce, ne leur est pas même appliquée.
Messieurs, je prends ici le parti de ceux que le forfait menace contre les malfaiteurs, dût-on dénaturer mes paroles, mes intentions, mes sentiments, peu m’importe, je dis ce que je crois utile et vrai.
L’honorable M. Castiau a défendu comme préférable à tout autre système de réclusion, l’emprisonnement solitaire, sauf les rapports du détenu avec l’aumônier, les gens de service des prisons ; il me semble que c’est le mode le plus sûr pour améliorer autant que possible le condamné Aussi ai-je entendu avec plaisir M. le ministre le la justice annoncer qu’il l’adoptait. On a parlé des aliénés ; il y a certes beaucoup à créer pour eux ; mais encore ici tout dépend des ressources financières du trésor public. Des ressources, obtenues largement nous procureraient le pouvoir de faire le bien de la même manière. Ne l’oublions pas, quand il s’agira de sanctionner de nos votes les projets subsidiaires de voies et moyens. Sans leur aide, nous serons toujours réduits à l’impuissance, à l’immobilité. Messieurs, bien que je réclame la sévérité des peines pour l’assassinat, je partage entièrement les désirs de l’honorable M. de Villegas, qui tendent à diminuer les crimes en procurant aux libérés qui ont accompli leur temps de punition, des facilités de travail. Prévenir le mal est ce qu’il y a de mieux.
M. Orts. - Messieurs, lorsque mon honorable ami, M. Fleussu a signalé à M. le ministre de la justice quelques parties de la législation qui demandent une prompte révision, il a omis un point qui me paraît extrêmement important. Je crois, messieurs, qu’il faudra une loi spéciale pour faire disparaître un inconvénient qui résultera nécessairement de la combinaison des articles 24 et 25 de la loi organique de l’ordre judiciaire, du 4 août 1832. Vous la savez, messieurs, il y a lieu à interprétation législative par vous après deux arrêts de cassation, et jusqu’à ce que la loi interprétative ait été rendue, il y a, aux termes de l’art. 25 de la même loi, un sursis forcé au jugement de la cause dont il s’agit. Un exemple récent vous fait voir, messieurs, dans quelle espèce d’impasse cette législation nous jette : je parle de l’interprétation de l’art. 442 du code de commerce à l’égard de laquelle vous avez été saisis, l’année dernière, d’un projet de loi. Il s’agissait de savoir si le dessaisissement en matière de faillite datait du jour du jugement déclaratif ou du jour de l’ouverture de la faillite ; il s’agissait en outre de déterminer quel est réellement le jour de l’ouverture de la faillite. Eh bien, à cet égard, une opinion a été adoptée par cette chambre, mais l’opinion qui avait prévalu parmi nous n’a pas été partagée par le sénat.
Or, messieurs, ce qui est arrivé pour l’art. 442 du code de commerce peut arriver 10 fois, 20 fois ; en attendant, puisqu’il y a sursis obligé, les parties éprouvent un véritable déni de justice. Ainsi dans l’affaire de l’art. 442, l’arrêt que l’on attend viendra après 8 ou 9 ans de procédure, pourvu toutefois que la chambre et le sénat parviennent à se mettre d’accord sur ce point. Si, au contraire, le dissentiment qui existe en ce moment relativement à cette question, entre deux branches du pouvoir législatif, si ce dissentiment subsiste, les parties pourront attendre éternellement. Il y a donc là un véritable abus.
« Mais, dira-t-on, comment porter remède à ce mal, en présence de l’art. 95 de la constitution qui porte que la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires ? » Je crois, messieurs, que l’état des choses dont je viens de parler ne résulte pas de cet article de la constitution, mais qu’il résulte de la loi organique de l’ordre judiciaire. Aujourd’hui, messieurs, comment se présentent les choses ? Un arrêt est cassé ; il est renvoyé devant une deuxième cour ; cette deuxième cour juge chambres réunies ; si elle statue contrairement au premier arrêt de cassation, la cour de cassation elle-même juge chambres réunies, et si elle casse le second arrêt d’appel, elle déclare qu’il a lieu à interprétation, mais en même temps elle renvoie l’affaire devant une troisième cour, laquelle ne peut s’en occuper que lorsqu’une loi interprétative sera intervenue.
Eh bien, messieurs, ne pourrait-on pas dire que lorsque deux arrêts de cassation auront cassé successivement deux arrêts des cours d’appel, la troisième cours d’appel, jugeant chambres réunies, décidera définitivement et le point de droit et le fond de l’affaire.
« Mais, dira-t-on peut-être, dans ce cas la troisième cour d’appel, jugeant chambres réunies, aura, en définitive, plus d’autorité que la cour de cassation qui, lors du deuxième pourvoi, a aussi jugé chambres réunies ? » A cela, messieurs, je n’aurai qu’une réponse à faire, c’est que cette position est une nécessité. Il vaut mieux investir la troisième cour d’appel du pouvoir de statuer définitivement que de placer les parties dans la situation de ne jamais obtenir justice. Mais il est une autre considération que je soumettrai à M. le ministre de la justice, c’est que dans le cas dont je viens de parler, la troisième cour d’appel s’étant prononcée, dans le même sens que les deux autres, et les trois cours d’appel instituées en Belgique étant ainsi du même avis, cette unanimité peut en quelque sorte contrebalancer l’opinion de la cour de cassation, bien qu’elle ait jugé chambres réunies.
Il y aurait peut-être un autre moyen de sortir du fâcheux état de choses que j’ai signalé : ce serait d’adjoindre à la troisième cour d’appel, siégeant toutes chambres réunies, un certain nombre de professeurs des universités et de jurisconsultes.
Quoi qu’il en soit de ces moyens d’exécution, dont le choix appartient à l’initiative du gouvernement, l’abus que j’ai signalé est grave et l’on doit y apporter un prompt remède, car un grand malheur pour un pays, c’est que les justiciables subissent un déni de justice résultant des dispositions de la loi même.
M. de Nef . - Tout en rendant justice aux bonnes intentions qui ont pu engager le gouvernement à faire tisser dans les prisons et en assez grandes quantités des toiles et des coutils, je crois cependant devoir m’opposer à la continuation de ce système ; ce genre de fabrication est précisément le même que celui qui se trouve maintenant, tant en Flandre qu’à Turnhout, dans un état de stagnation on ne peut plus déplorable ; créer une concurrence nouvelle, c’est réellement lui porter le dernier coup, et enlever à une masse d’ouvriers le seul moyen qui leur restait pour soutenir leur misère ; c’est au point que beaucoup d’ouvriers sont aujourd’hui infiniment plus malheureux et plus mal nourris que des condamnés pour crimes ; cependant, ils ne demandent que du travail, et l’absence de celui-ci a encore pour résultat de faire partager à leurs familles leur sort misérable.
Un pareil état de choses ne peut, par notre silence, recevoir notre approbation ; il faut que le gouvernement s’applique à rechercher les moyens d’employer les détenus, soit aux travaux publics qui demandent un si grand nombre de bras, soit à la fabrication des marchandises que l’on est obligé d’acheter à l’étranger.
Je sais parfaitement que ce système est beaucoup moins commode et que les produits pourront éprouver dans les prisons une assez grande diminution, surtout dans les commencements, mais ces inconvénients doivent cesser devant l’intérêt général et devant les considérations d’humanité, que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.
C’est surtout pour appeler sur cet objet l’attention de M. le ministre de la justice, que j’ai cru devoir faire ces courtes observations ; j’espère qu’il les accueillera favorablement et qu’il les regardera comme étant de nature à attirer sur elles toute sa sollicitude.
M. Rodenbach. - Messieurs, dans le discours qu’il a prononcé tout à l’heure, M. le ministre de la justice a dit que les frères de la charité ne sont pas assez nombreux en Belgique pour qu’on puisse en recevoir tous les services que ces religieux rendent dans les prisons auxquelles ils sont attachés. Je crois devoir faire connaître à cet égard l’opinion d’un ami de l’humanité, du vénérable chanoine Triest ; ce respectable prêtre a dit à M. Ernst qua s’il voulait que toutes les prisons eussent un nombre suffisant de frères de la charité, il n’y avait qu’un moyen d’atteindre ce but, c’était de les exempter de la milice.
A l’exemple de ce que l’on fait pour les élèves en théologie, on pourrait les exemple de la milice, à la condition de rentrer dans les cadres de l’armée s’ils venaient à quitter cette carrière. Ce ne serait donc qu’une exemption provisoire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, je ne suis pas en mesure de satisfaire à la demande qu’a faite l’honorable M. de Mérode. Il m’a demandé un état statistique indiquant le nombre des condamnés pour assassinat, et en regard le nombre des individus graciés. Je ferai faire un tableau semblable et je le soumettrai à la chambre lors de sa prochaine réunion.
Je n’ai maintenant sous les yeux qu’une statistique des crimes et délits, abstraction faite des grâces qu’ont pu obtenir les individus condamnés ; je trouve qu’en 1840, 17 individus ont été condamné, pour assassinat, en 1841, 15, et en 1842, 17.
Maintenant je dois déclarer que je ne suis nullement partisan de l’abolition de la peine de mort. Je pense qu’il est indispensable de la maintenir. Et dès l’instant où il y aura un fait assez grave pour ne pas devoir donner lieu à l’exercice du droit de grâce, je n’hésiterais pas un instant à proposer le rejet de la demande qui serait faite par un condamné. Mais, il est impossible de rendre compte des motifs qui peuvent amener une commutation de peine ; et je ne pense pas que la chambre doive être appelée à les apprécier.
L’honorable M. de Mérode a parlé également de la flétrissure. Je considère cette peine comme cruelle et inutile, et je pense qu’il serait convenable de prononcer légalement et le plus tôt possible sa suppression.
L’honorable M. Orts a appelé mon attention sur divers articles de la loi du mois d’août 1832, relative à l’ordre judiciaire, il a signalé les abus bien réels qui existent dans le système actuel d’interprétation des lois.
Mais j’avoue qu’en présence de la disposition formelle de l’art. 28 de la constitution, il me serait difficile d’admettre l’idée mise en avant par l’honorable membre, de confier à une commission, soit de professeurs, soit de jurisconsultes, la décision sur un point de législation.
Quant l’art. 95, je ne crois pas qu’on puisse le considérer comme un obstacle à ce que la cour de cassation décide en définitive le point de droit, puisque le point de droit ne constitue pas positivement le fond de l’affaire, seul point dont la cour de cassation ne puisse pas connaître.
Le système de l’honorable M. Orts consiste à déférer la décision définitive de l’affaire à une cour d’appel. Eh bien, messieurs, ce système, que du reste j’approfondirai, me paraît présenter au premier coup d’œil le grave inconvénient de faire prévaloir les avis et opinions des cours d’appel sur les opinions de la cour régulatrice.
L’honorable M. de Nef a appelé l’attention du gouvernement sur ce qui se pratique dans les prisons, en ce qui concerne la fabrication des toiles.
J’apprécie les motifs qui ont dicté l’interpellation de l’honorable membre, et je verrai s’il y a moyen de diminuer dans les prisons la fabrication dont il a parlé. Mais l’honorable membre sentira qu’il est impossible de laisser les détenus inactifs, que maintenant les métiers sont établis dans les prisons, et qu’il est difficile de remplacer immédiatement une industrie par une autre.
L’honorable M. Rodenbach a parlé de l’exemption de la milice, qu’il serait convenable d’accorder aux religieux qui se dévouent au service si pénible des prisons Je m’associe tout à fait au vœu de l’honorable membre, et je suis persuadé que M. le ministre de la guerre, à qui il appartient d’accorder ces exemptions, et dont j’appellerai l’attention sur l’observation de l’honorable membre, s’empressera d’y avoir égard.
M. Orts. - Messieurs, M. le ministre de la justice n’a pas bien saisi ce que j’ai dit relativement à la cour nouvelle qui jugerait l’affaire après deux cassations. Effectivement, l’interprétation des lois n’appartient qu’au pouvoir législatif, aux termes de la constitution ; je ne voudrais pas que cette nouvelle cour jugeât par voie d’interprétation du texte de la loi , jugeât par voie parlementaire, mais ma pensée serait, que cette cour formant une troisième épreuve d’appel, pût enfin juger définitivement et le fond et le point du droit entre les parties engagées au procès.
On pourrait, peut-être, pour environner cette dernière instance de plus d’autorité, de plus de garantie, adjoindre, comme je l’ai déjà dit, à la troisième cour d’appel un certain nombre de jurisconsultes et de professeurs des universités.
Lorsqu’en Belgique, avant la révolution française, nous avions la grande révision qui était le remède extrême des membres appartenant aux cours souveraines, d’autres provinces venaient se joindre au conseil de Brabant, c’était alors en quelque sorte une autorité suprême qui décidait les procès, sans recours ultérieur.
M. de Mérode. - Messieurs, lorsque j’ai parlé de la flétrissure, je n’ai pas entendu qu’elle fût appliquée pour tous les délits ordinaires. La peine de peine étant appliquée pour l’assassinat, et la flétrissure étant une peine moindre que la mort, il me semble qu’il y a entre l’exemption de l’exécution capitale et l’emprisonnement sans flétrissure un moyen terme qui peut, en certaines occasions, faire impression sur les malfaiteurs. Je suis d’avis que la flétrissure doit être supprimée pour tout autre crime que l’assassinat, mais je crois, contrairement à l’opinion de M. le ministre de la justice, qu’il faut maintenir cette peine pour l’assassinat.
M. Malou. - Messieurs, les faits ont démontré les vices du système d’interprétation législative, consacré par la loi du 4 août 1832.
Sous ce rapport je partage, entièrement l’opinion de l’honorable M. Orts, mais je ne pense pas qu’on puisse adopter les idées qu’il a émises, pour corriger les vices de ce système.
Et d’abord l’article 28 de la constitution est formel : l’interprétation par voie d’autorité appartient au pouvoir législatif et ne peut appartenir qu’à lui.
L’objection tirée de l’article 95 de la constitution ne me paraît pas grave.
La cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires et ne peut en connaître ; mais, comme l’a déjà fait observer avec raison M. le ministre de la justice, l’on peut très bien déférer à la cour de cassation le jugement souverain du point de droit, sans lui déférer la connaissance du fond de l’affaire, sans violer la constitution.
C’est ainsi qu’en France, la cour de cassation, dans des matières qui autrefois étaient déférées au pouvoir législatif, connaît aujourd’hui souverainement du point de droit, et que la cour à laquelle elle renvoie, applique le droit au fait, connaît, en un mot, du fond de l’affaire.
J’invoque l’autorité que lui fournit la législation d’un pays voisin, parce qu’en France, la cour de cassation, en vertu des dispositions législatives, ne connaît pas du fond d’affaires.
Une autre idée a été émise, c’est celle de créer une troisième cour pour la circonstance et d’y adjoindre des jurisconsultes et des professeurs de droit. Cette proposition rencontre un obstacle invincible dans la constitution qui défend de créer des tribunaux extraordinaires, des commissions sous quelque prétexte, sous quelque dénomination que ce soit.
On ne peut pas trouver de termes plus généraux et plus formels que ceux de l’art. 94 de la constitution.
En présentant ces objections, je n’entends pas dire qu’il y ait impossibilité d’améliorer la législation existante, je pense au contraire que nous pouvons l’améliorer en supprimant comme inutile, dans la plupart des cas, l’interprétation par voie d’autorité, et en appliquant, autant qu’il peut se concilier avec nos institutions, le système français.
La cour de cassation, après un second pourvoi, peut juger souverainement le point de droit, mais seulement pour l’affaire qui lui est soumise et sa jurisprudence peut être remise en question devant les cours d’appel et devant la cour de cassation elle-même ; l’interprétation par voie d’autorité, d’obligatoire qu’elle est aujourd’hui, devient ainsi facultative.
Le gouvernement ne saisit le pouvoir législatif que quand il croit que la jurisprudence dévie ou qu’il est utile de la fixer par une loi. Ces idées pourront être mûries ; je me borne seulement à répéter qu’il me paraît évident, en présence de l’impossibilité où on s’est trouvé jusqu’à présent et ou l’on se trouvera peut-être longtemps encore, de résoudre les questions soulevées à propos de l’interprétation de l’art. 442, qu’il y a nécessite de porter au plus tôt remède à un mal déjà flagrant et qui peut s’aggraver de jour en jour.
- La discussion générale est close.
La discussion des articles du budget de la justice est renvoyée au mardi 9 janvier à une heure.
La séance est levée à 3 h 1/4.