Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 décembre 1843

(Moniteur belge n°355, du 21 décembre 1843)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Antoine Spada, professeur à l’athénée royal de Namur, né à Ravenne (Italie), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Falise, fabricant de cartes à Liége, demande une protection plus efficace pour les produits de cette industrie. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« La chambre de commerce d’Alost présente des observations contre les dispositions du projet de loi sur le sel qui limitent la faculté de puiser l’eau de mer et soumettent cette eau à un droit d’accise de 20 centimes par hectolitre. »

M. Desmet. - Comme cette pétition concerne le projet de loi en discussion, je demande qu’elle soit déposée sur le bureau.

- Le dépôt est ordonné.

Projet de loi qui proroge la loi du 30 juin 1842, sur la réduction des péages sur les canaux et rivières

Rapport de la section centrale

M. Osy, rapporteur. - Messieurs, la loi du 30 juin 1842, relative à la réduction des péages sur les canaux et rivières de l’Etat, expirant au 31 décembre 1843, votre section centrale s’est occupée pendant plusieurs réunions de cette question importante.

La section centrale n’ayant pas le temps nécessaire pour mûrir les propositions du gouvernement et pour vous faire un rapport détaillé, m’a chargé de vous proposer une loi transitoire tendant à proroger la loi du 30 juin 1842 au 20 juin 1844 ; d’ici la cette époque, elle espère d’être à même de vous faire des propositions définitives.

M. de Garcia. - Je demande la discussion immédiate de la proposition de la section centrale, qui demande la prorogation de la loi.

M. Rodenbach. - Le gouvernement demande que l’on vote pour trois ans la loi sur les péages, la section centrale propose de ne la proroger que jusqu’au 1er juin. Il est inutile de faire imprimer le rapport, tout le monde comprend qu’il ne s’agit que d’une loi toute temporaire. Je demande que le vote ait lieu immédiatement.

M. le président. - MM. les ministres que ce rapport concerne ne sont pas à leurs bancs.

M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur entre dans la salle.

M. le président. - La section centrale a fait un rapport sur la loi des péages ; elle propose de la proroger jusqu’au 1er juin. La chambre paraît disposée à voter immédiatement sur cette proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désirerais connaître les motifs de la proposition de la section centrale. Je propose de remettre cet objet à l’ouverture de la séance de demain, avec d’autant plus de raison, que souvent des membres se plaignent après coup qu’il y a eu surprise.

- La discussion du rapport sur la loi des péages est renvoyée à demain.

Projet de loi sur le sel

Discussion générale

M. Osy. - Messieurs, nous assistons à un étrange spectacle. En 1842, le gouvernement avait présenté un projet de loi sur le sel. Ce projet a été retiré par M. le ministre actuel, car il nous a présenté un système tout à fait nouveau. Sous le ministère de M. Duvivier, comme sous le ministère de M. d’Huart et celui de M. Smits, le système du gouvernement était que, pour pouvoir empêcher la fraude, on n’établirait tout au plus que deux ports d’importation.

Aujourd’hui M. le ministre des finances propose une disposition où l’on ne détermine pas les ports d’importation. Aujourd’hui on a créé un nouveau port de mer à Termonde. Nous ne savons pas si M. le ministre propose également de permettre l’importation du sel par Termonde. Les prédécesseurs de M. Mercier ont tous été d’avis qu’en permettant l’importation dans l’intérieur, on s’exposait à donner ouverture à la fraude. Cependant je ne m’opposerai pas a ce que des importations directes puissent avoir lieu à Louvain, à Gand, à Bruges, à Bruxelles, si je reçois, de la part de M. le ministre des finances, l’assurance qu’on pourra prendre des mesures convenables pour empêcher la fraude. Mais j’avoue que si je me rappelle l’opinion émise par trois anciens ministres et la section centrale qui a fait un rapport au mois de mars dernier, je ne suis pas rassuré sur ce point.

Cependant je veux bien regarder ces villes intérieures comme ports d’arrivages directs, parce que si des navires de mer peuvent y arriver, elles trouveront là un débouché pour divers produits de leur industrie. Je ne suis donc pas contraire à cette disposition, mais sous la responsabilité de M. le ministre actuel et à charge par lui de nous démontrer que tous ses prédécesseurs avaient tort.

Un autre objet qui est beaucoup plus important, c’est celui de l’importation de l’eau de mer. Ici encore l’honorable M. Mercier ne se trouve pas d’accord avec l’honorable M. Smits qui, cette année encore, était d’avis qu’on pouvait autoriser l’importation de l’eau de mer au-dessous de trois degrés. Je ne puis mieux combattre l’opinion de M. le ministre des finances actuel, qu’en donnant lecture de ce que disait son prédécesseur, l’honorable M. Smits, dans l’exposé des motifs du projet de loi qu’il a présenté en 1842 :

« Le projet de loi présenté en 1836 soumettait l’eau de mer à un droit de 50 centimes par hectolitre, réduit par la section centrale à 30 centimes. Cette proposition est supprimée. L’eau de mer d’ailleurs ne procure pas un bénéfice assez important pour que le droit dont elle serait frappée, tel minime qu’il fût, n’en prohibât l’emploi.

« D’un autre côté, la perception offrirait de grandes difficultés. En effet, comment constater à Ostende, par exemple, les quantités d’eau de mer introduites dans les salines alors qu’elle peut être puisée partout ? Il faudrait exercer une surveillance de tous les instants, assujettir la circulation à des formalités, créer un personnel pour cet objet ; obliger enfin le trésor à des dépenses et l’industrie à des entraves, que ne comporte pas le mince intérêt que l’on en retirerait. Un fait digne d’attention encore, c’est qu’à Ostende, seule localité où l’eau de mer offre réellement des avantages, l’on ne trouve, à l’exception de l’eau de pluie, que des eaux saumâtres, et qu’en interdisant leur emploi, on forcerait les sauniers à faire venir leur eau d’ailleurs, tandis qu’ils trouvent à leur porte celle que la mer y conduit.

« Ces considérations nous ont paru déterminantes. Nous ne pensons pas que l’exemption de l’accise puisse nuire aux sauniers de l’intérieur, puisque, dans les localités avoisinant la mer, les frais de combustible sont nécessairement plus élevés, ce qui rétablit l’équilibre. »

Voilà quelle est l’opinion de l’honorable M. Smits. C’était également l’opinion de l’honorable M. d’Huart en 1836.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - M. d’Huart avait proposé de la frapper d’un droit de 50 centimes.

M. Osy. - L’eau de mer en deçà de Lillo a au plus un degré.

Maintenant, si vous examinez avec attention les amendements proposés par l’honorable M. Mercier et déposés à la séance d’hier, vous verrez qu’il impose des formalités qu’on peut appeler vexatoires. Je me bornerai à vous en citer une : « Au moment de puiser l’eau de mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette déclaration. »

De manière qu’on devra faire la déclaration de la densité de l’eau de mer au moment où on la puise. La marée peut être plus forte qu’on ne le suppose. Il est impossible de prescrire une pareille déclaration. Je conçois que quand le bateau est rempli d’eau de mer on puisse la peser et en connaître la densité, mais on ne peut faire la de déclaration de la densité de l’eau de mer avant de l’avoir puisée. Je ne pourrai pas donner un vote approbatif à la loi, si on ne reprend pas l’article 5 qu’avait proposé l’honorable M. Smits.

Un troisième objet sur lequel j’appellerai l’attention de la chambre, ce sont les exemptions accordées à certaines industries. Par la loi de 1822, le gouvernement s’était réservé la faculté d’accorder, par règlement administratif, des exemptions de droit sur le sel. Aujourd’hui M. le ministre ne veut plus accorder d’exemptions que pour la pêche et pour les produits chimiques.

Dans le tableau qui est imprimé au Moniteur, nous voyons la somme des exemptions données aux diverses industries, mais nous ne voyons pas le chiffre des exemptions accordées pour la pêche ; M. le ministre pourrait nous le faire connaître. Les exemptions accordées à 360 fabriques, s’élèvent à 3,333,000 kil. M. le ministre propose de retirer les exemptions à toutes ces fabriques, à l’exception des établissements de produits chimiques. Eh bien, sur ces 3,333,000 kil., les huit établissements de produits chimiques qui existent dans le pays, figurent pour 2,595,0000, de sorte que les 332 fabriques auxquelles on veut supprimer l’exemption n’en jouissent que pour 7 à 800 mille kil. Et pour si peu de chose, vous allez porter préjudice à une foule d’industries, les tanneries, les papeteries, les fabricants de tabac, les savonneries, l’engrais des terres, la nourriture des bestiaux, les poteries, les faïenceries. Celle qui en emporte la plus grande part est la fabrication de tabacs, qui jouit de l’exemption pour 191,000 kil., qui se partagent entre 94 fabricants.

Je ne parlerai de la mesure proposée que sur la fabrication des tabacs. Déjà nous avons sur le tabac un impôt plus élevé que nos rivaux les Hollandais ; ils sont de plus exempts du droit sur le sel qu’ils emploient dans la fabrication, comment pourrons-nous lutter avec nos voisins pour l’exportation ? La fabrication des tabacs est une des industries qui ont prospéré dans notre pays. Avant, tous nos tabacs nous venaient de la Hollande, avant que cette branche d’industrie ne prît du développement en Belgique. Nous avons à lutter maintenant non seulement avec la Hollande, mais avec Hambourg et Brême, dont les fabricants nous font concurrence. Si nous aggravons la position de nos fabriques, il leur sera impossible de lutter en Allemagne et en Suisse. On dira : c’est peu de chose ; je répondrai que je connais des établissements où les exemptions pour la fabrication de tabacs se montent à 4,000 fr. Cela n’est pas en opposition avec ce que j’ai eu l’honneur de vous dire tout à l’heure, car les 94 établissements qui existent dans le pays n’ont pas tous la même importance.

Je ne pourrai donc pas me rallier à l’amendement de M. le ministre des finances ; car il tend à conserver l’exemption pour les grands et la biffer pour les petits. C’est toujours ce système qui consiste à ménager les grands et à frapper les petits.

Ainsi, je propose de retrancher l’article et de conserver ce qui se trouve dans la loi de 1822. Si donc on adopte l’art. 5 qui supprime un grand nombre d’exemptions, je ne pourrai donner mon vote approbatif à la loi.

Pour le débarquement à l’intérieur, je ne m’y oppose pas, mais en laissant à M. le ministre des finances la responsabilité de la possibilité de fraude ; car, je me suis nullement rassuré à cet égard.

M. Desmet. - Je ne ferai pas d’observations spéciales, concernant l’art. 5, relatif à l’usage de l’eau de mer. Je me bornerai à une observation générale.

Quand on considère combien est exorbitant l’impôt sur le sel, puisqu’il est de 5 fois la valeur de l’objet imposé, puisqu’il est de 500 p. c., on ne peut contester que cet objet ne doive être pris en considération. La valeur réelle du sel n’est que de 4 fr.. et l’impôt sur le sel s’élève jusqu’à 18 fr. Qui paie cet impôt ? Les gens les plus pauvres, qui en ont besoin, qui ne peuvent vivre sans sel, qui en ont besoin pour manger leurs pommes de terre. Je fais cette remarque, parce que le sel étant imposé, quoiqu’il soit pour la classe pauvre une matière première, une matière de première nécessité, il ne doit y avoir pour personne, ni privilège, ni exemption.

Quelles sont aujourd’hui les vues de la loi actuelle ? J’en vois trois : c’est d’abord l’exercice tracassier qui ne donne pas de garanties, et qui donne, au contraire, des moyens de fraude, parce que l’exercice est trop compliqué.

Une preuve qu’il y a fraude, c’est que dans tel et tel endroit, dans telle et telle saunerie, on livre le sel raffiné à meilleur marché que ne coûte le sel brut avec le droit et les frais de fabrication.

Le second vice, c’est l’exemption. Je crois que les exemptions donnent beaucoup de prise aux privilèges. Le projet de loi consacre encore deux exemptions : celle pour la pêche, pour la salaison des poissons, et celle pour la fabrication des produits chimiques.

Lorsqu’on n’exempte pas du droit le pauvre, pour qui le sel est, si je puis m’exprimer ainsi, une première matière première, quoique je désire beaucoup protéger la pêche nationale, je dois cependant la comprendre la suppression dans l’exemption. Si l’on veut protéger davantage la grande pêche, qu’on augmente la prime ; mais qu’on n’exempte pas du droit le pêcheur, de préférence au pauvre qui a besoin de sel.

On demande aussi l’exemption du droit sur le sel employé à la fabrication de la soude ; mais la soude est employée en grande partie à la fabrication de la glace. C’est assurément un objet somptuaire, employé par le riche. Je le répète, le pauvre, qui a besoin de sel pour manger ses pommes de terre, doit payer le droit. Dès lors, le riche doit, à plus forte raison, payer le droit sur le sel employé pour lui faire manger de la glace.

Je demande la suppression de toutes les exemptions, de tous les privilèges. Quand l’impôt du sel pèse sur la classe indigente, il ne doit faire l’objet d’aucun privilège. Nous devons subir cet impôt ; mais lorsqu’il atteint le pauvre, le riche ne doit pas y échapper.

Je crois que le troisième vice est l’abus que l’on ferait de l’usage de l’eau de mer. Je n’entrerai pas dans cette discussion. J’y viendrai, quand on discutera l’amendement de l’honorable ministre des finances et l’art. 5. Mais je dois faire observer que les abus auxquels donne lieu l’usage de l’eau de mer sont connus ; il y a des procès-verbaux qui les constatent ; on a vu de l’eau de mer mêlée au sel de roche. Quand on considère que vous imposez l’eau de mer à 3 degrés à 20 c. l’hectolitre, quand on voit que la saumure à 25 degrés donne 35 kilog. de sel, on peut très bien dire que l’eau ayant trois degrés donne 4 kilog. On peut donc établir sur l’eau de mer un droit de 5 centimes, quand il y a un droit de 18 centimes sur le sel de roche.

Mais ce n’est pas seulement pour cela qu’il faut imposer l’eau de mer ; c’est parce qu’alors il y aura exercice, et qu’on pourra voir s’il y a fraude au moyen de l’eau de mer. Je crois donc qu’il n’y a aucun inconvénient à imposer l’eau de mer, surtout au taux modéré qui est proposé.

Je vois que l’on veut à présent laisser débarquer le sel dans l’intérieur, Je ne suis pas contraire à cette proposition ; car il faut que tout le monde ait des avantages. Mais croit-on qu’il n’y aura pas de fraude ? Je n’oserais pas le dire. Mon opinion a toujours été qu’il ne devrait y avoir qu’un port pour le débarquement du sel, celui d’Ostende. Cependant, puisqu’on veut modifier la loi sous ce rapport, il faudra bien subir d’autres ports. Mais je demanderai à M. le ministre des finances, lorsqu’il autorise le débarquement du sel à Bruxelles, à Louvain, et par le canal de Termonde à Gand, pourquoi il n’en autorise pas le débarquement à Termonde S’il n’y a pas d’inconvénient à laisser débarquer le sel dans plusieurs villes de l’intérieur, pourquoi ne pas le laisser débarquer aussi à Termonde, Alost, etc., etc., afin que le transport du sel soit moins coûteux pour le sel.

Aujourd’hui qu’il y a un entrepôt à Termonde, je crois qu’on pourrait y autoriser le débarquement du sel. Je n’y verrais pas d’inconvénient.

J’ai dit que la fraude était extrêmement facile. Je le prouverai par un exemple. Sous le régime français, un bâtiment venant de la mer se dirigeait vers Termonde. On vint éveiller la nuit le maire de la commune de Bosterhout, village à une lieue de Termonde ; on lui dit que le bâtiment était en péril, qu’il était échoué. Le maire s’y rendit, dressa procès-verbal, reconnut que le navire était réellement en péril. On crut le sel perdu. Ce n’est que quelques années après que l’on apprit par un des hommes de l’équipage que la totalité du sel était débarquée.

Quoi qu’il en soit, je ne veux pas m’opposer au débarquement du sel à l’intérieur. Mais je désire que l’exercice se fasse aussi bien que possible ; car il sera difficile d’échapper toujours à la fraude. Je crois que les meilleurs moyens pour l’empêcher sont l’exercice continuel et la circulation avec documents. Mais je pense que du moment qu’on autorise le débarquement du sel dans les grandes villes, il n’y a pas d’inconvénient à le laisser aussi débarquer à Termonde.

M. Scheyven. - Après tout ce qui a été dit à la séance d’hier et ce que nous avons entendu à la séance de ce jour sur la question de savoir s’il convient d’imposer l’eau de mer, je serai très court. Je ne dirai que peu de mots pour motiver mon vote.

Le motif principal que l’on a donné pour frapper d’un droit l’eau de mer, c’est qu’on croit voir une cause de fraude et un grand bénéfice dans l’emploi de cette matière : Si ce fait est vrai, il ne faut point se borner à la frapper d’un droit et d’un droit exorbitant, il faut la prohiber entièrement. Cette mesure aurait au moins l’avantage de la franchise, et ne serait pas plus funeste que la première, qui produirait le même résultat.

On a dit que plusieurs sauniers qui n’étaient pas dans la position à pouvoir se servir de l’eau de mer ont fermé leur usine, et on en donne pour cause, qu’ils ne pouvaient lutter avec ceux qui se trouvent à proximité de la côte, c’est là une erreur que déjà l’honorable M. Donny a détruite hier en vous signalant que dans les villes voisines de la mer et qui avaient l’avantage de se servir de cette eau, plusieurs sauniers ont cessé leurs travaux. Si donc il y avait un si grand avantage pour ceux-ci, comment s’expliquer ces derniers faits ? Comment concevoir encore qu’à Bruxelles, où il existe six salines, il n’y en a que deux qui emploient l’eau de mer, que cependant ils peuvent faire chercher à Anvers ; si l’usage de l’eau de mer était si favorable, pourquoi ne s’en serviraient-ils pas tous ? Cela seul me semble prouver suffisamment l’erreur de ceux qui croient que la lutte n’est pas égale, et qu’il y a grand avantage pour ceux qui sont dans la position de pouvoir employer cette matière.

Je crois que la véritable cause, pour laquelle plusieurs salines sont fermées, est que l’on produisait plus que ce qui était nécessaire à la consommation et que dès lors la conséquence inévitable était la fermeture de quelques usines. Il en a été de cette industrie comme de beaucoup d’autres. Du moment que la production excède notablement la consommation, le nombre doit en diminuer. Si la position de ceux qui font usage de l’eau de mer était si favorable, comment se fait-il que le nombre n’en est pas augmenté, et que ceux qui ne l’emploient point aient pu continuer à exister jusqu’à ce jour ?

Quant à moi, je ne pense point qu’il y ait un avantage à employer l’eau de mer, tel que l’on puisse la soumettre à un droit ; cette opinion, M. Smits, prédécesseur de M. le ministre des finances actuel, l’a déjà émise dans l’exposé des motifs. « L’eau de mer, y est-il dit, ne procure pas un bénéfice assez important, pour que le droit dont elle serait frappée, tel minime qu’il fût, n’en prohibât l’emploi. »

Ainsi, le résultat que l’on obtiendrait en frappant l’eau de mer d’un droit quelconque, serait de priver le pays d’une matière qui a une valeur ; ce serait nuire aux usines qui l’emploient aujourd’hui, et ruiner un nombre considérable de bateliers qui vivent du transport de cette eau dans l’intérieur.

S’il y a quelque bénéfice à s’en servir, ceux qui l’emploient ont aussi un autre désavantage, celui de payer plus cher le combustible que ceux qui se trouvent dans le voisinage des houillères ; il n’y a donc que compensation.

Je comprendrai que si le projet de loi avait pour objet de permettre l’érection d’établissements pour l’évaporation de l’eau de mer, que l’on pourrait soutenir que ceux qui se trouvent à proximité de la mer ont une position plus favorable que les autres ; mais ces établissements sont formellement défendus par l’art. 5. L’amendement que M. le ministre des finances a proposé, à la séance d’hier, dans le § 8 de cet article, qui défend l’usage de l’eau de mer excepté pour la fonte du sel brut, doit, du reste, donner tout apaisement à ceux qui croient que l’eau de mer peut encore être une source féconde de fraude et procurer un avantage sur les autres usines. Mais aller plus loin, la frapper d’un droit quelconque, c’est placer les sauniers qui sont à proximité de la mer dans une position à rendre la concurrence impossible, et anéantir leurs usines. Je ne pourrais jamais donner mon assentiment à un semblable système ; aussi je n’hésite pas à déclarer que si la disposition qui tend à frapper l’eau de mer d’un droit quelconque était adoptée, je voterai contre la loi.

M. Eloy de Burdinne. - Je ne m’attendais pas à prendre la parole dans la discussion de ce projet de loi.

Depuis longtemps, je demande que la loi sur le sel soit rapportée. Mais ce n’est pas là ce que propose M. le ministre des finances. Il propose d’exempter de l’impôt la salaison du poisson et la fabrication des produits chimiques. Je vous avoue que si le ministre proposait la suppression de l’impôt sur le sel, je serais heureux de lui prêter mon appui ; car de tous les impôts, c’est le plus immoral, le plus injuste, le plus impopulaire. C’est l’impôt le plus injuste ; car il ne frappe pas également tous les habitants. Il y a un privilège pour cet impôt : c’est celui de faire payer aux malheureux 4 fois plus d’impôt que ne payent le rentier, le financier, l’homme, en un mot, qui se nourrit d’aliments moins communs que la pomme de terre. Comment, messieurs, vous imposez le sel qui sert à saler la viande que mange la classe pauvre, qui n’a pas le moyen de manger de la viande fraîche, et vous exempteriez de l’impôt le sel qui sert à saler le poisson, nourriture de la classe aisée. Eh bien, n’est-ce pas là une injustice révoltante !

Exempterez-vous de l’impôt le cultivateur qui sale ses terres ?

Exemptez-vous de l’impôt sur le sel celui qui s’en sert pour préparer son grain destiné à la reproduction ? Oui, me dira-t-on ; la loi accorde l’exemption sur le sel pour l’agriculture. Mais, messieurs, les dispositions de la loi sont telles que les cultivateurs, pour éviter de se déplacer, n’en réclament pas le bénéfice ; on entoure cette exemption de trop de formalités, et d’ailleurs les campagnards en général ne connaissent pas cette exemption ni les moyens de s’affranchir du droit.

Messieurs, croyez-moi, diminuez l’impôt sur le sel de moitié et n’accordez l’exemption à aucune espèce d’industrie. Percevez un droit très léger sur le sel provenant de l’eau de mer, par le motif que l’eau de mer peut se prendre chez nous et qu’on ne doit pas aller la chercher à l’étranger.

En diminuant de moitié l’impôt sur le sel, on me dira qu’on réduit les ressources du trésor. Mais vous avez des moyens d’augmenter les ressources du trésor, sans frapper des impôts sur la classe malheureuse. Imposez, comme je vous le disais dans une séance précédente, la consommation du sucre a raison de 25 centimes par kilog. en plus que l’impôt qui pèse sur cette denrée, et vous aurez de ce chef trois millions de revenus de plus que vous n’en recevez. Imposez à raison de 25 centimes le kilog. de tabac. On consomme annuellement 12 millions de kilog. de tabac en Belgique ; à raison de 25 centimes par kilog., vous obtiendrez encore 3 millions de revenus. Voilà donc une augmentation de ressources de 6 millions. Sacrifiez 2 millions de l’impôt sur le sel, vous aurez un avantage net pour le trésor de 4 millions.

En résumé, messieurs, je répète ce que l’ai déjà dit plusieurs fois dans cette enceinte, je ne pourrai jamais donner mon assentiment à des propositions qui auraient pour but de perpétuer un impôt que je considère comme immoral, comme odieux, et qui devrait disparaître de notre système financier ; d’autant plus que je vous donne le moyen de réparer les pertes que vous feriez par l’abolition ou la réduction de l’impôt sur le sel.

Si donc M. le ministre des finances voulait consentir à réduire d’abord l’impôt sur le sel de moitié, je donnerais mon assentiment à ses propositions ; sinon, quoi qu’il arrive, je déclare devoir en conscience voter contre le projet.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois devoir faire observer à l’honorable membre qu’il ne s’agit pas dans ce moment du droit sur le sel ; il s’agit simplement de modifier le régime de la loi. Quant au droit sur le sel, l’honorable membre l’a voté dans la loi des voies et moyens.

Si donc l’honorable membre se prononce contre le projet par les motifs qu’il a donnés, il arrivera qu’il repoussera des dispositions qu’il considérerait peut-être comme très bonnes et l’impôt sur le sel n’en existera pas moins.

Ce n’est pas que je veuille méconnaître toutes les observations de l’honorable membre. Certes, il est peut-être fâcheux d’être obligé d’avoir recours à des impôts de cette nature, mais, d’un autre côté, que l’honorable membre veuille bien prendre en considération les besoins du trésor qui doit faire face à toutes les dépenses de l’Etat ; qu’il fasse attention que, dans ce moment, nous n’avons pas encore de ressources suffisantes ; qu’il remarque, je le répète, qu’il s’agit uniquement d’apporter des améliorations au régime de la loi sur le sel, et que, si elle est rejetée, le droit ne continuera pas moins à être perçu, mais avec un système moins bon que celui que nous proposons d’établir.

Je fais ces observations, parce que je vois qu’il y a de la confusion dans la discussion, Tout à l’heure l’honorable M. Osy vous disait encore que je voulais, par mes nouvelles propositions, supprimer certaines exemptions. Or, je n’ai rien changé, quant aux exemptions, au projet qui vous a été proposé il y a un an.

M. Cogels. - Messieurs, la discussion générale a porté sur les articles 4, 5 et 6 du projet ; c’est également sur ces articles que j’aurais des observations à faire, mais je pense que la discussion serait beaucoup plus claire, si je présentais mes observations à chacun de ces articles. Si donc la chambre voulait clore la discussion générale, je renoncerais à la parole, pour le moment.

M. de Brouckere. - Messieurs, l’honorable M. Eloy de Burdinne vient de s’élever contre l’impôt sur le sel, et, à cette occasion, il vous a dit qu’il vaudrait beaucoup mieux diminuer l’impôt sur le sel et augmenter l’impôt sur le tabac.

Messieurs, je suis tout disposé, quant à moi, à voter les majorations d’impôt qui seront présentées par le gouvernement, parce que je suis de ceux qui pensent qu’il est plus que temps d’augmenter nos ressources financières. J’irai même beaucoup plus loin, à cet égard, que M. le ministre des finances, et je compte m’en expliquer à une prochaine occasion.

C’est donc à tort, je me permettrai de le dire en passant, que l’honorable M. Mercier a cru, lorsque hier nous demandions qu’on donnât la priorité à la discussion du budget de la justice, que nous faisions cette proposition, parce que nous avions quelque répugnance à voter les majorations d’impôt. Pour ma part, je déclare que je n’en ai aucune ; je ne veux pas acheter la popularité en compromettant l’avenir de mon pays. Je regarde la position de nos finances comme telle qu’il est de la plus grande urgence d’augmenter nos ressources financières.

Je suis donc tout disposé, je le répète, à voter les majorations que l’on demande à la loi sur le sel, et lorsque le moment viendra de discuter la question de savoir s’il faut augmenter l’impôt sur le tabac, je m’expliquerai à cet égard ; mais il me paraît que ce n’est pas le moment d’agiter cette question ; nous nous occupons du sel et non de l’industrie des tabacs.

Cependant, comme l’honorable M. Eloy de Burdinne nous en a parlé, je dirai que je trouve souverainement injuste, alors que vous voulez accorder une faveur à certaines industries, et, entre autres, à celle de la fabrication de la soude, que vous n’accordiez pas la même faveur aux fabricants de tabac, et je proposerai un amendement que je déposerai dès maintenant sur le bureau et par lequel j’assimile la fabrication de tabac à la fabrication des produits chimiques.

Je dis que vous ne pouvez pas faire pour une industrie ce que vous ne faites pas pour l’autre. Si vous rejetez la faveur que l’on demande pour les fabriques chimiques, je retirerai mon amendement ; mais si la proposition de M. le ministre des finances, en ce qui concerne les produits chimiques est adoptée, j’insisterai pour qu’on étende l’exemption aux fabricants de tabac.

Messieurs, l’industrie des tabacs mérite quelques égards. L’honorable M. Eloy de Burdinne lui-même vous l’a dit : il entre en Belgique des tabacs pour une somme énorme, et je crois que c’est se placer au-dessous de la réalité, que de fixer cette somme à 15,000,000 de francs ; une très grande partie de ces tabacs est destinée à l’exportation. J’ai donc raison de dire que cette industrie mérite des égards. Mais, je le répète, ennemi des privilèges, je n’en demande pas pour cette industrie, si vous n’en accordez pas pour d’autres.

Messieurs, puisque j’ai la parole, je présenterai quelques observations fort courtes relativement à l’impôt dont on veut frapper l’eau de mer.

En frappant l’eau de mer d’un impôt, le gouvernement n’a pas, je crois, l’intention d’établir une disposition qui soit grandement favorable au trésor public. Cet impôt ne produira rien.

Quel est donc le but qu’on se propose ? C’est de faire taire quelques réclamations contre ceux qui, par leur position, peuvent profiter de l’avantage de se servir de l’eau de mer, c’est-à-dire contre ceux qui habitaient soit les bords de la mer, soit les bords d’une rivière où l’eau est plus ou moins salée. Et quand je dis qui habitent les bords de cette rivière, je me trompe, l’eau de mer est transportée à une assez grande distance, et l’on en a fait même usage à Bruxelles.

Ainsi, le but évident de la disposition proposée par le gouvernement, c’est d’empêcher certains habitants du pays de profiter d’un avantage qui leur est donné par la nature ; et pourquoi ? parce que tous les habitants ne jouissent pas du même avantage.

Vous me permettrez, messieurs, de vous dire que, selon moi, c’est une singulière manière de raisonner et d’entendre la justice distributive.

A suivre un pareil raisonnement, savez-vous où vous arriveriez ?

Il y a plusieurs localités où l’on a des hauts fourneaux ? il faudra que vous fassiez une distinction, par exemple, entre les hauts fourneaux situés près des houillères et ceux qui en sont éloignés. Il faudra que vous disiez : vous, propriétaire d’un haut-fourneau, très avantageusement situé, il faut que je vous frappe d’un impôt, car sinon les propriétaires des hauts-fourneaux moins bien situés ne pourront pas soutenir la concurrence contre vous.

Il vous faudra aller plus loin.

La houille est devenue aujourd’hui, entre toutes les choses qu’on emploie dans les fabriques, la chose qui coûte le plus cher par l’usage fréquent qu’on en fait. Eh bien, il faudra que vous établissiez une sorte d’échelle et que vous disiez à tous les fabricants du pays, que vous les traiterez d’autant plus mal qu’ils sont plus rapprochés d’un charbonnage ; car celui qui est plus près d’une houillère paie le combustible moins cher que celui qui en est plus éloigné, parce qu’il a moins de frais de transport à payer.

Voulez-vous, messieurs que je vous cite encore d’autres exemples ? Eh bien, il est reconnu que l’eau de certaines rivières est plus favorable à la fabrication de la bière que l’eau d’autres rivières, il faudra donc que, pour les brasseries situées dans des localités où l’eau est la plus favorable à la fabrication de la bière, vous établissiez un impôt spécial ; car les brasseurs de ces villes-là étant favorisés par la nature, il est très difficile aux autres brasseurs de soutenir la concurrence.

Si je le voulais, messieurs, je multiplierais ces exemples à l’infini. J’en tire cette conséquence, qu’il ne faut pas de ces rivalités dans un même pays ; laissez chacun jouir des avantages que la nation lui a donnés. Vouloir priver les habitants de quelques localités de certains avantages que d’autres n’ont pas, c’est vouloir porter préjudice à la prospérité publique.

Mais, dira-t-on, vous reconnaissez vous-mêmes que cet impôt est si minime, pourquoi donc vous y opposer ? Pourquoi je m’y oppose ? Mais ce n’est pas à cause des quelques centimes que l’on payera lorsqu’on ira chercher de l’eau de mer ou de l’eau salée quelconque ; c’est parce que cette disposition nécessite une quantité de formalités souvent très difficiles à remplir, parce qu’elle donnera lieu à une quantité de tracasseries, parce qu’elle forcera les personnes qui, aujourd’hui, se servent de l’eau salée, à y renoncer, bien moins à cause du minime impôt dont vous la frappez, et qui ne produira rien au trésor public, que pour se soustraire à toutes les formalités si désagréables et si difficiles à remplir, pour se soustraire à toutes les tracasseries qui résulteront de la disposition. Je dis, messieurs, que les formalités dont il s’agit, seront difficiles à remplir ; en effet, il sera très difficile à celui qui envoie un bateau chercher de l’eau de mer, de faire sa déclaration de manière à éviter toute espèce de poursuite.

En résumé, messieurs, je suis disposé à voter toutes les majorations d’impôt proposées et qui devront apporter de nouvelles ressources au trésor, parce que le trésor a un besoin urgent de ressources nouvelles. Je voterai donc, en général, les propositions qu M. le ministre des finances nous soumet relativement au sel, mais, je le répète, point d’exemptions, ou bien justice pour tout le monde, et vous ferez pour les fabricants de tabac ce que vous faites pour les fabricants de produits chimiques. Enfin, il me sera difficile, à moins que M. le ministre des finances ne me donne de bonnes raisons à l’appui de sa proposition, il me sera difficile de consentir à imposer l’eau salée, car je considère cette disposition comme injuste et tracassière et comme ne pouvant donner aucun avantage au trésor public.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, la loi que nous discutons tend, sous deux rapports seulement, à augmenter les revenus de l’Etat ; d’abord, en établissant un impôt sur l’eau de mer, ensuite en supprimant certaines exemptions. On vous dit que ce n’est pas une loi d’impôt, attendu qu’il ne s’agit que de modifier le régime actuellement en vigueur ; eh bien, je crois que s’il ne s’agissait que de modifier ce régime, la loi serait probablement déjà votée. Toutes les objections que nous avons entendues jusqu’à présent portent précisément sur les deux mesures qui doivent profiter au trésor.

Qu’il me soit permis, messieurs, de faire une observation : Je ne doute nullement de la sincérité des paroles de l’honorable préopinant, mais, en général, on se montre assez disposé en principe à voter de nouvelles ressources pour combler le déficit du trésor ; mais lorsqu’une fois les impôts sont proposés, ils sont toujours défectueux, et l’on trouve des raisons de les repousser par son vote.

Quant aux exceptions, l’honorable membre n’a pas fait attention qu’il y a une différence énorme entre la pêche nationale et les fabriques de sulfate de soude, d’une part, et les autres industries qui ont joui jusqu’ici de l’exemption. Pour les deux industries en faveur desquelles nous conservons l’exemption, le sel est un élément principal, le droit dont ces industries seraient frappées s’élèverait à un chiffre énorme si l’exemption ne leur était pas accordée, et il leur deviendrait impossible de soutenir la concurrence étrangère. Quant aux autres industries, comme les fabriques de tabacs, par exemple, dont l’honorable membre a pris à cœur la défense, alors même qu’il n’y aurait point d’abus (et nous sommes convaincus que l’abus existe), il y aurait encore une raison suffisante pour ne point leur accorder l’exemption, c’est que l’avantage qui en résulte pour elles est tout à fait insignifiant ; ainsi l’exemption dont les fabricants de tabac ont joui jusqu’ici, réduit le prix de leurs produits d’un à un demi-centime, à peu près, par kilogramme ; pour d’autres industries la faveur de l’exemption se réduit aussi à très peu de chose.

Messieurs, j’avais cru pouvoir attendre la discussion de l’article 5 pour répondre aux objections qui ont été faites contre les dispositions relatives à l’eau de mer ; la discussion ayant continué sur ce point, je ne puis plus garder le silence ; on nous a dit : Mais il faudrait aussi prendre en considération les avantages dont jouissent certaines industries, alors, par exemple, qu’elles se trouvent plus près des endroits où l’on extrait la houille dont elles font usage et que, par conséquent, elles obtiennent le combustible à des prix moins élevés. Messieurs, ce n’est pas uniquement la considération des grands avantages dont peuvent jouir les raffineurs qui emploient l’eau de mer, qui m’a porté à me rallier à l’amendement de la section centrale, que j’ai toutefois modifié d’une manière favorable aux raffineurs qui se trouvent dans ce cas ; un motif plus puissant a concouru à me déterminer à soutenir cette proposition. Il y a, messieurs, une immense différence entre le combustible dont on se sert dans beaucoup d’industries, et l’eau de mer qu’emploient certains raffineurs ; il s’agit ici de la substance même sur laquelle l’impôt est assis ; « l’eau de mer, nous dit-on, est un produit naturel. »

Mais, messieurs, le sel est aussi un produit naturel, nous pourrions découvrir des mines de sel dans le pays ; faudrait-il pour cela exempter le sel de tout impôt ? L’eau de mer renferme du sel ; nous frappons le sel d’un droit d’accise, il n’y a point de raison pour exempter de l’impôt le sel se trouva dans l’eau de mer, plutôt que tout autre sel. Ce serait là d’ailleurs, messieurs, sous le point de vue économique, une absurdité dont il est facile de se convaincre. En effet, l’honorable M. Mast de Vries nous a dit que les navires qui vont chercher l’eau de mer contiennent de 250 à 300 hectolitres ; le transport d’un semblable navire coûte 50 francs, il résulte de là, d’après des calculs que j’ai faits et dont la chambre me dispensera de donner ici les détails, que le sel provenant de l’eau de mer revient à 17 fr., tandis que le sel brut ordinaire ne nous coûte que 4 fr. Ne serait-il pas absurde, ne serait-il pas contraire à l’intérêt général d’encourager, par des faveurs légales, nos raffineurs à acheter 17 fr. ce qu’ils peuvent obtenir à 4 fr. ; et cela au détriment du consommateur qui paie l’impôt ; car remarquez-le bien, messieurs, la différence entre 17 et 4 fr. est nécessairement à la charge du contribuable.

C’est là, messieurs, la raison principale qui m’a porté à me rallier au principe de l’amendement de la section centrale. Je dis, messieurs, que c’est la raison principale ; en effet, il en est d’autres, notamment la fraude commise à l’importation de l’eau de mer et par l’évaporation de cette eau.

Mon but, j’en conviens, est de restreindre l’usage de l’eau de mer, dans l’intérêt du trésor public. Je n’avais pas cru, je l’avoue, que la proposition si modérée que j’ai faite à cet égard, aurait rencontré une opposition aussi prononcée de la part de quelques membres. Je crois que les honorables orateurs qui combattent ma proposition, se reportent toujours à la disposition présentée antérieurement ; ils perdent sans doute de vue que le droit ne sera pas payé la plupart du temps, c’est-à-dire, lorsque l’eau de mer n’aura pas un degré de densité.

Je le répète, messieurs, le motif principal de ma proposition est une considération économique qui se lie à l’intérêt du trésor. J’ai pensé qu’il serait exorbitant, injuste, d’accorder une prime au dépens du contribuable, à ceux qui, à l’aide des deniers du contribuable, achètent 17 fr. ce qu’ils peuvent se procurer à 4 fr.

M. Eloy de Burdinne. - Je suis d’accord avec l’honorable M. de Brouckere, que notre position financière a besoin d’être améliorée, et je serais le premier à voter des impôts qui puissent rétablir l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses, si ces impôts n’étaient pas d’une nature odieuse. Quand j’ai demandé que l’on réduisît l’impôt sur le sel, j’ai proposé immédiatement un moyen non seulement de réparer la perte qui résulterait, pour le trésor, de cette réduction, mais de procurer au gouvernement 4 millions de francs.

M. le ministre des finances a dit que j’avais voté le budget des voies et moyens ; c’est là une erreur, messieurs, lorsque le budget des voies et moyens a été soumis au vote de la chambre, je me suis abstenu de répondre à l’appel nominal, parce que je ne veux pas que l’on puisse jamais me reprocher d’avoir approuvé une loi qui consacre des privilèges, comme le fait le budget des voies et moyens, en ce qui concerné l’impôt sur le sel. Ces privilèges, on veut aujourd’hui les maintenir en faveur de deux industries. Mais je vous le demande, messieurs, est-il juste d’accorder l’exemption du droit à celui qui mange de la morue, des harengs et d’autres poissons, alors que vous frappez le sel dont le malheureux assaisonne ses pommes de terre, afin d’éviter des maladies, afin de pouvoir digérer cette nourriture grossière

On vient de réclamer l’exemption pour le sel employé à la fabrication du tabac ; je pense qu’il serait beaucoup plus juste d’accorder l’exemption pour le sel employé à la salaison de la viande. Vous savez, messieurs, quelle est la classe de la société qui sale la viande pour la conserver.

C’est celui qui n’a pas de moyens de s’en procurer de la fraîche ; c’est celui qui n’achète qu’un morceau de lard pour en manger quelques onces par semaine.

Je ne passerai pas en revue toutes les industries qui pourraient réclamer une exemption de l’impôt sur le sel. Cela me mènerait trop loin. Mais si vous accordez cette exemption à une industrie, il faut l’accorder à toutes. Sinon, vous avez deux poids et deux mesures, vous faites une chose inique, vous violez la constitution. Je ne consentirais, en aucun cas, à augmenter les impôts, si ce n’est sur les objets qui sont principalement consommés par la classe aisée. Je me verrai donc forcé de voter contre la loi.

M. Angillis. - Messieurs, l’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que l’impôt sur le sel était un impôt odieux ; parce que cet impôt frappait spécialement la classe pauvre. Quant à moi, je désire aussi qu’on puisse procurer à la classe ouvrière une vie plus douce et plus heureuse. Cette classe a également toute ma sympathie. Mais je ne crois pas qu’en abolissant la taxe sur le sel, ou puisse procurer un grand avantage à cette classe malheureuse.

La nature prodigue avec abondance cette matière imposable dont ceux qui se livrent à cette exploitation facile retirent des produits presque sans frais. Cette denrée est d’un usage presque général. La taxe qu’on impose à la nation tout entière se répartit d’une manière peu sensible sur chacun des contribuables. Le prix du sel ne dépasse pas les facultés des contribuables. Cette source du revenu public n’enlève pas un aliment nécessaire à la nourriture du pauvre.

Messieurs, est-ce bien le moment d’abolir une taxe qui rapporte des produits au trésor, alors que nous sommes en présence d’un déficit ? Faut-il abolir une taxe qui pèse sur un objet très imposable.

Voilà les seules observations générales que j’ai à présenter maintenant. Je verrai ce que j’aurai à dire lors de la discussion des articles. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Mérode. - Je demande la parole. Je n’ai que quelques mots à dire dans la discussion générale.

- La clôture, étant demandée par plus de 10 membres, est mise aux voix.

L’épreuve est douteuse ; la discussion continue, la parole est à M. de Mérode.

M. de Mérode. - J’ai à présenter une observation générale, c’est que si chacun veut rejeter le projet, uniquement parce que tel ou tel article lui déplaît, il est évident qu’aucun projet ne passera. Ainsi, l’honorable M. de Brouckere dit que si on impose l’eau de mer, il s’opposera à la loi. L’honorable M. Eloy a un projet grandiose sur le tapis, et il dit que si son projet n’est pas préféré, il rejettera la loi. Je reconnais avec M. Eloy de Burdinne que son projet peut procurer une ressource considérable au trésor ; mais en y ajoutant l’impôt sur le sel, nous arriverons à peine à établir l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses.

Il est évident que si chacun de nous ne fait pas le sacrifice d’une partie de son opinion, nous ne parviendrons à voter aucun projet de loi, et le trésor public continuera de se trouver dans la position fâcheuse où il se trouve. Nous serons toujours en déficit. Quant à moi, je suis disposé à voter tous les impôts qui me paraîtront indispensables pour amener l’équilibre entre les recettes et les dépenses, et je crois qu’en agissant de cette manière, je serai plus utile à mes concitoyens qu’en rejetant les ressources qu’on demande pour le trésor.

M. le président. - La parole est à M. Vilain XIIII.

M. Vilain XIIII. - M. le président, je prendrai la parole sur l’art. 5.

M. Delehaye. - Messieurs, je rectifierai d’abord une légère erreur que j’ai commise hier, et qui, au reste, change peu les calculs que j’avais adoptés. J’avais dit que l’on avait retiré la faveur de 6 p. c. de déchet qu’on accordait aux sauniers, c’est 5 p. c. qu’il fallait admettre, ce qui joint aux 37 centimes d’augmentation demandée par le projet actuel, donne pour résultat une majoration de 1 fr. 25 c. les 100 kilog.

Comme l’a bien fait remarquer un honorable député de Bruxelles, vouloir imposer l’eau de mer, c’est frapper d’un droit les avantages que nous devons à la nature. Partout ailleurs on encourage ceux qui cherchent à tirer de leur situation tout le profit possible, c’est là ce qui constitue le principal bénéfice ; combien, nous qui employons l’eau de mer, n’aurions-nous pas à réclamer contre les avantages qu’ont sur nous d’autres industries ? Croit-on que nous ne serions pas également fondés à réclamer contre les filatures, les raffineries toutes les industries qui emploient la houille, et qui sont plus rapprochées que nous des houillères ? Mais de pareilles réclamations seraient repoussées comme elles le mériteraient ; cependant elles seraient aussi fondées que les réclamations contre l’emploi de l’eau de mer.

M. le ministre des finances a répondu à cet argument, en citant les marais salants ; mais je dirai à M. le ministre que, si des marais salants existaient en Belgique, pour être conséquent, il faudrait donc frapper ces sauniers d’un droit d’autant plus considérable qu’ils seraient plus rapprochés de ces marais salants.

J’appartiens à une localité où la plupart des sauniers n’emploient pas l’eau de mer. Si j’étais guidé par un esprit de localité, je devrais combattre l’emploi qu’on fait de l’eau de mer. Eh bien, je viens soutenir une thèse contraire.

Alors que quelques-unes de nos rivières, à Gand, n’étaient point infectées par les eaux provenant de certaines usines, il y avait peu ou point de sauniers qui employaient l’eau de mer ; ayant toutes leurs usines placées près de ces rivières, il leur était facile d’y puiser l’eau que réclamaient leurs travaux. Mais depuis que nos eaux sont en grande partie altérées, force a été pour quelques-uns de la chercher ailleurs ; pour cela, ils emploient des navires construits exclusivement à cet usage.

On conçoit que de là est résulté pour ces sauniers un surcroît de dépenses ; ils ont voulu l’amoindrir en remplaçant par l’eau de mer l’eau des rivières plus rapprochée, et voici quel est pour eux l’avantage qui en résulte.

Le sel raffiné an moyen de l’eau de mer est plus blanc, il est d’une cristallisation plus claire, plus parfaite ; pour le sel destiné à la salaison de la viande ou du poisson, cet avantage est nul, mais il devient plus grand pour la vente à la mesure, pour le sel destiné à être consommé sur la table et dans les mets.

Prétendre que cette eau donne plus de produits, c’est une complète erreur.

Mais, dit-on, l’emploi de l’eau de mer empêche la concurrence au préjudice de ceux qui ne l’emploient pas. Lisez, messieurs, la pétition des sauniers de Courtray, vous y verrez une singulière contradiction. Vous y verrez d’abord que les sauniers de cette ville connaissent peu leur état, car ils disent que la fabrication du sel leur coûte 3 fr. 50 c. par 100 kil. J’ai consulté des sauniers d’Anvers, de Bruxelles et de Gand, et tous m’ont dit que le coût de la fabrication du sel ne dépassait pas deux francs. Si à Courtray il est de 3 fr. 50 c., différence de 75 p. c., il est impossible pour eux de soutenir la concurrence. Je vais vous donner un autre exemple de la légèreté avec laquelle on a réclamé. Par pétition adressée à la chambre, les sauniers d’Ypres sont en opposition formelle avec la chambre de commerce de cette ville. Les premiers ont adhéré au projet de loi qui admettait l’exemption de droit pour l’eau de mer, la chambre combat cette mesure.

Comment se, fait-il que quelque temps après on vienne protester contre cette loi ? La première pétition émanait des sauniers. Or, les sauniers doivent mieux connaître ce qui les intéresse que les chambres de commerce dont les membres sont étrangers à cette industrie. Eh bien, les sauniers d’Ypres ont demandé l’adoption du projet de loi qui exemptait l’eau de mer du droit, tandis que la chambre de commerce trouve dans l’emploi de l’eau de mer un moyeu de détruire l’industrie des sauniers.

La raison est, qu’à Ypres on n’a pas bien apprécié l’usage qu’on fait de l’eau de mer.

Je puis borner là mes observations sur l’eau de mer.

J’appellerai l’attention de M. le ministre sur un autre point.

Nous avons fait une convention avec la France. Par suite de cette convention on introduit en Belgique du sel d’Hyères et de Cette. Ce sel est non raffiné, mais par sa qualité et sa blancheur il peut entrer en concurrence avec le sel raffiné du pays. C’est la même thèse que celle qui a été soutenue à l’égard du sucre blond de la Havane qu’on pouvait vendre comme du sucre raffiné. Il en résulte que, si le gouvernement ne prend pas des mesures contre l’introduction du sel d’Hyères et de Cette comme sel brut, la plupart de nos établissements ne pourront pas soutenir la concurrence ; vous verrez des réclamations s’élever de toutes parts. C’est l’introduction du sel de Cette et d’Hyères qui a amené les réclamations d’Ypres, une quantité considérable de ce sel a été versé sur son marché, les sauniers n’auront pas pu soutenir la concurrence et ils ont attribué cela à l’emploi de l’eau de mer, tandis que la cause réelle était la vente du sel que je viens d’indiquer et qui a été introduit comme sel brut.

Je terminerai par une observation sur les exemptions. Hier, j’en ai déjà dit un mot. Messieurs, lorsqu’une industrie est en possession exclusive d’un marché, qu’elle n’a pas à craindre l’importation de produits similaires, qu’on lui accorde des exemptions, ou qu’on ne lui en accorde pas, on ne change rien à sa condition.

Si une industrie du pays doit lutter avec celle d’un autre pays, et que, par cette raison, vous lui accordiez une exemption, vous devez accorder cette exemption à toutes les industries qui sont dans le même cas. Par exemple, si on vous demande une exemption de droit pour le sel employé dans la fabrication des tabacs et dans la fabrication des produits chimiques, et que vous l’accordiez pour l’une de ces industries et pas pour l’autre, vous commettriez une véritable injustice. N’accordez à aucune, ou accordez à toutes ; mais alors vous ouvrez la porte à la fraude. Je vous ai dit hier qu’un fabricant qui pendant longtemps avait joui de l’exemption pour 90 mille kil, avait été réduit à 5 mille et n’avait pas diminué sa production. Ce fabricant a dû retirer de cela un très grand avantage. C’est à la surveillance d’un nouvel agent qu’est due cette réduction. Si on veut empêcher la fraude, il faut retirer les exemptions.

M. Coghen. - Je renonce à prendre la parole dans la discussion générale, me réservant de la demander lors de la discussion des articles 4, 5 et 6, pour répondre aux honorables députés de Bruxelles et d’Anvers.

M. de Brouckere. - Je suis également prêt à renoncer à la parole si on veut clore la discussion, cependant j’aurais désiré répondre quelques mots relativement à la fabrication du tabac, mais je m’en expliquerai quand nous en serons à l’art. 4.

M. Rodenbach. - Je renonce aussi à la parole, mais je me réserve de parler sur l’art. 5.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Chapitre premier. Bases et quotité de l'impôt

Article premier

« Art. 1er. § 1er. Indépendamment des droits de douanes établis par les tarifs en vigueur, le sel brut est assujetti à un droit d’accise, qui est dû à l’importation en raison des quantités importées.

« § 2. Le droit d’accise est fixé à 18 francs par 100 kilogrammes de sel brut. »

M. Verhaegen. - Je combats l’article 1er et le principe qui lui sert de base, par les raisons que j’ai eu l’honneur de développer dans la discussion du budget des voies et moyens.

Il est aujourd’hui démontré qu’il y a réellement augmentation de droits pour le présent, et craintes fondées d’augmentations nouvelles pour l’avenir. Il y a augmentation de droits, l’honorable M. Delehaye l’a démontré à la dernière évidence, puisqu’en retranchant les 5 p. c. qui étaient autrefois accordés pour déchet, les droits sont augmentés jusqu’à due concurrence ; il y a en outre une différence quant à la fraction des centimes additionnels, qu’on fait figurer maintenant comme principal ; et par suite l’augmentation totale peut, sans exagérer, être évaluée à 6 p. c. ; ensuite la conduite du gouvernement inspire des craintes pour l’avenir, car en faisant disparaître les centimes additionnels, pour les faire figurer comme principal, il se réserve de grever dans deux ou trois ans ce nouveau principal de nouveaux centimes additionnels, alors qu’il aura besoin de se créer des ressources nouvelles.

En temps et lieu, nous aurons recours au Moniteur pour rappeler cette conduite au gouvernement, et c’est là surtout le but de mon observation actuelle.

Messieurs, quant à moi, je n’admettrai aucune augmentation de droits sur le sel, car je considère cet impôt comme le plus odieux de tons les impôts de consommation ; je, voudrais même de voir disparaître entièrement. Aussi si l’art. 1er n’est pas modifié, je voterai contre l’ensemble de la loi.

C’est ici le moment de répondre à une objection qui m’a déjà été faite, lors d’une précédente discussion et qui est reproduite encore par M. de Mérode. « L’impôt sur le sel, a-t-on dit, procure des ressources certaines au trésor ; c’est l’impôt qui rentre le plus facilement, il frappe les masses, c’est-à-dire toutes les classes de la société sans exception ; et par cela même, il y a égalité dans la répartition, personne n’a donc à se plaindre, le pauvre est frappé comme le riche, encore une fois il y a égalité parfaite. »

La réponse est excessivement facile. Je tiens d’autant plus à la faire qu’elle s’applique à tous les impôts de consommation. Ne nous y trompons pas, messieurs, il n’y a pas égalité dans la répartition d’un impôt, alors qu’on ne tient pas compte de l’inégalité des ressources de chacune des classes qui en sont frappées.

Je n’admets pas sans difficulté aucune avec certains préopinants qu’un pauvre puisse payer un droit de 10 centimes sur un kilog. de sel dont il ne peut pas se passer. Il lui est tout aussi difficile de payer 10 centimes qu’au riche de payer 100 francs et plus, car tout est relatif ; celui qui a pour toute ressource 80 centimes par jour, prix de son travail, et qui doit avec cela subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, aura cent fois plus de peine à payer 10 centimes que celui qui, ayant 50,000 fr. de rente aurait à en payer 100.

On aura beau équivoquer, il restera toujours vrai que de tous les impôts, l’impôt sur le sel est le plus injuste et le plus odieux. C’est cependant celui que l’on veut conserver, parce qu’il doit fournir des ressources considérables au trésor ; c’est cet impôt que l’on augmente encore. Il ne recevra pas, il ne recevra jamais mon assentiment.

Je bornerai là mes observations, pour le moment ; elles suffisent pour justifier mon opposition à l’ensemble du projet de loi, sauf à revenir plus tard sur les détails en discutant les articles.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne m’étonne pas que l’honorable membre vote contre la loi ; mais je veux démontrer que ce ne peut être par les motifs qu’il a allégués, et que la plupart de ces motifs sont complètement inexacts.

L’honorable membre vous dit qu’il y a une augmentation de 6 p.c. sur l’impôt. Voilà le principal motif de son opposition à la loi. Vous augmentez, dit-il, un impôt qui frappe principalement le pauvre. C’est là une erreur. Le déchet de 5 p. c. est supprimé depuis plus d’un an. Nous ne faisons donc pas aujourd’hui cette proposition. C’est donc à tort que l’honorable membre, en parlant du projet de loi en discussion, indique cette suppression comme le motif de son vote contre la loi ; c’est là une allégation qu’on ne peut admettre ; car nous ne venons pas proposer de supprimer un déchet de 5 p. c. Nous ne proposons qu’une simple régularisation. Il s’agit de ne plus compliquer le droit de centimes additionnels. Nous avons porté à l’art. 1er le droit existant aujourd’hui, y compris les centimes additionnels. Il n’y a qu’une différence insignifiante de 37 centimes. Ce n’est certes pas la ce que l’on peut appeler une augmentation de droit.

Mais, ajoute l’honorable membre, lorsque vous aurez obtenu ce droit en principal, vous viendrez l’augmenter par des centimes additionnels. Je demande s’il n’est pas aussi facile d’augmenter le nombre des centimes additionnels que d’en proposer sur un impôt ? Ce qui le prouve, c’est qu’il y a des pays qui ont la même législation que nous, et qui ont ajouté au principal de l’impôt un plus grand nombre de centimes additionnels.

Ainsi, dans les Pays-Bas, les centimes additionnels élèvent l’accise à 19 fr. 28 c.

Je n’anticiperai pas sur la discussion relative aux exemptions. Quand nous en viendrons à l’article qui les concerne, il sera temps encore de faire remarquer qu’il n’y a aucun pays où le tabac soit frappé de droits plus modérés qu’en Belgique. Je pense même que si le droit était augmenté de quelques centimes par kilogramme, cet objet de consommation serait encore ménagé.

M. Zoude, rapporteur. - On a présenté le droit sur le sel employé dans la fabrication du tabac comme une charge qui pèserait sur la classe pauvre. Je suis aussi porté que qui que ce puisse être à ménager la classe pauvre sous le rapport de l’impôt. Mais je crois qu’il est encore plus important de lui assurer des moyens de travail. Au reste, pour la fabrication du tabac à l’usage du pauvre, on n’emploie pas de sel ; on ne l’emploie que pour la fabrication du tabac en carotte, qui est consommé par la classe aisée.

M. le président. - Je ferai observer à l’honorable membre qu’il anticipe sur l’art. 4.

M. Zoude, rapporteur. - Je présenterai mes observations lorsque nous serons parvenus à cet article.

M. Verhaegen. - Je trouve fort extraordinaire les observations qui m’ont été faites par M. le ministre des finances. Il veut bien que je vote contre la loi ; mais il ne veut pas que je motive mon vote sur tel ou tel motif. Je prendrai la liberté grande, nonobstant l’observation de M. le ministre, de voter contre la loi, précisément par les motifs que j’ai indiqués, parce que je les crois justes et bien fondés ; ils n’ont pas l’approbation de M. le ministre des finances ; soit, mais je n’en ai pas besoin, et je m’en inquiète fort peu.

J’ai motivé le vote que je me propose d’émettre, entre autres sur l’augmentation de droits, et même n’y eut-il pas augmentation, mon vote serait encore le même, parce que tout impôt sur le sel est injuste et odieux, et que depuis longtemps j’aurais voulu le voir disparaître.

J’ai dit déjà qu’il y avait une augmentation de 6 p. c. et je le prouve en mettant le projet de lui en discussion en rapport avec la loi préexistante, laquelle admettait un déchet de 5 p. c. qui n’est plus accordé aujourd’hui. Il y a d’ailleurs une différence de quelques centimes produite par la transformation des additionnels en principal.

Quant aux craintes d’augmentations ultérieures pour l’avenir, elles subsistent dans toute leur force, et je ne reviendrai pas sur ce point ; tout le monde m’a compris, il est certes plus facile de grever de centimes additionnels un principal non grevé que d’ajouter des additionnels à des additionnels existants.

M. le ministre des finances a cité l’exemple des Pays-Bas, Ce n’est pas une heureuse idée que de citer, en fait d’impôts, un pays où existent encore la mouture et l’abattage d’odieuse mémoire !

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne saurais changer la détermination de l’honorable membre, mais je persiste à soutenir que les faits qu’il a exposes sont erronés.

Il prétend que le déchet a été supprimé par arrêté. Je lui demanderai si le gouvernement n’a pas le droit de prendre des arrêtés pour l’exécution de la loi, si les arrêtés pris dans cette limite n’ont pas la force de la loi même. Je demanderai si ce régime actuellement en vigueur n’est pas celui que nous reproduisons dans le projet, non pour lui donner une sanction, mais uniquement pour le maintenir ? S’il en est ainsi, je ne pense pas qu’on essaie de soutenir le contraire. L’honorable membre est dans l’erreur quand il allègue ce motif pour voter contre la loi. Nous n’apportons sous ce rapport aucune innovation. Nous continuons ce qui existe. Cette disposition ne peut donc être pour lui une raison de voter contre la loi.

Je vais plus loin : non seulement cette disposition existe aujourd’hui et ne peut par conséquent motiver un vote contre des propositions qui n’ont pour but que de changer le régime de la loi sur le sel et de l’améliorer, selon moi, mais il est à observer encore que la déduction pour déchet a été augmentée pour une autre espèce de sel, celui qui nous est importé de France, en vertu de la convention du 19 juillet ; par conséquent, s’il y a réduction de 5 p. c. sur le déchet d’une espèce de sel, il y a eu, par contre, augmentation sur le déchet du sel d’une autre provenance.

Mais, encore une fois, tout ce qui est relatif à la convention avec la France doit être écarté de ces débats ; au moins ce ne peut être un motif pour un membre de voter contre le projet de loi.

Voilà les observations que j’avais à faire à l’honorable membre. Quant au reste, je répète que la chambre est tout aussi libre de refuser des centimes additionnels proposés sur un principal nouveau que de refuser des centimes additionnels à ajouter à ceux existants.

M. Delfosse. - N’en déplaise à M. le ministre des finances, je voterai contre l’ensemble de la loi, uniquement à cause de l’art. 1er, si cet article est adopté sans modification.

Je pense, comme mon honorable ami M. Verhaegen, que l’impôt sur le sel est un des impôts les plus odieux que l’on puisse créer ; cet impôt est d’environ 500 p.c. de la valeur du sel ; il n’y a pas d’exemple d’un impôt aussi élevé, et cependant il pèse en grande partie sur la classe ouvrière ; j’ai calculé, messieurs, qu’une famille d’ouvriers composée de six personnes, paye, pour cet impôt seul, de huit à neuf francs par année. Cet impôt seul enlève à cette famille, composée de six personnes, le produit de six journées de travail ; je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas là une chose déplorable ?

Si le gouvernement avait quelque sollicitude pour la classe ouvrière, il viendrait nous proposer de réduire cet impôt ; l’occasion est belle ; on va obtenir, au moyen de la mesure relative à l’eau de mer et de la suppression de certaines exemptions, une augmentation de produit de plusieurs centaines de mille francs ; on pourrait diminuer la quotité du droit et percevoir encore le même produit que par le passé, on pourrait soulager la classe ouvrière, sans porter atteinte aux ressources actuelles du trésor public.

Mais ce n’est pas là ce que le gouvernement nous propose ; il nous demande au contraire, par l’art. 1er, de porter le droit de 17 fr. 63 c à 18 fr. ; cette augmentation, qui peut paraître insignifiante au premier abord, paraît tout autre lorsqu’on la combine avec l’augmentation indirecte qui est résultée de la convention avec la France ; M. le ministre des finances a tort de vouloir isoler les deux faits, ils se rattachent l’un à l’autre ; il est nécessaire, pour bien apprécier l’augmentation qui nous est proposée de se rappeler que l’impôt a déjà été aggravé par une loi antérieure.

Je m’oppose et je m’opposerai toujours à ce que l’on élève, quelque peu que ce soit, un impôt odieux, qui a déjà été augmenté l’année dernière et que de graves considérations devraient nous engager à réduire ; jamais je ne donnerai mon assentiment à l’augmentation même très faible d’un impôt qui, comme je l’ait dit tantôt, enlève annuellement à une famille d’ouvriers, composée de six personnes le produit de six journées de travail.

M. Osy. - Messieurs, d’après la loi de 1822, l’impôt sur le sel était de six florins. Cette loi accordait des déchets différents selon les lieux de production ; pour le sel de roche d’Angleterre, elle donnait 10 p. c. ; pour le sel brut de France 8 p. c, et pour le sel d’Espagne 5 p. c.

D’après la convention avec la France, on devait lui accorder 7 p. c.de déchet de plus qu’aux autres nations. Mais que fait-on ? on vous propose aujourd’hui de maintenir 7 p. c. de déchet pour le sel de France, et on abolit tout déchet sur le sel d’autres pays. De manière qu’il y a réellement aggravation de charges. Sinon, on aurait dû dire : le sel d’Angleterre jouissant d’un déchet de 10 p. c., celui sur le sel de France sera de 17 p. c.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Osy vient de nouveau remettre en discussion ce qui a été décidé par un vote de cette chambre. Tout à l’heure on a parlé d’un arrêté royal ; en répondant qu’il était basé sur la loi, je ne me suis pas rappelé d’abord qu’en outre il avait été expressément sanctionné par une autre loi, celle du 7 août 1842.

Nous ne venons donc faire aucune nouvelle proposition, et nous ne changeons rien aux droits actuels. Les observations qui sont faites à cet égard portent des lors entièrement à faux. La chambre a jugé ce point ; elle l’a décidé par la loi du 7 août 1842.

- La discussion est close.

L’art. 1er est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Sont supprimés, comme rentrant dans les droits fixés aux articles 1 et 2, les centimes additionnels perçus au profit de l’Etat.

« Les quittances du paiement de l’accise sont frappées d’un timbre de 25 centimes. »

- Cet article est adopté.

Article 3

« Art. 3. Il sera fait une déduction de 7 p. c. du montant de l’accise sur le sel marin brut de France. »

M. Delehaye. - Messieurs, une des observations que j’ai faite dans la discussion générale se rattache à cet article.

Je demanderai à M. le ministre des finances s’il entend continuer à laisser entrer dans le pays comme sel brut le sel d’Hyères et de Cettes qui est vendu comme du sel raffiné. C’est surtout à cause de l’introduction de ce sel, que vous avez reçu des réclamations d’Ypres et de Courtrai. Il est certain que si vous admettez comme sel brut un produit qu’on emploie comme sel raffiné dans la salaison du poisson et de la viande, vous devez vous attendre à de grandes pertes.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, lorsque l’honorable membre a parlé tout à l’heure des importations des sels d’Hyères et de Cettes, j’ai pris note de ses observations. Je n’ai pas par devers moi les renseignements qui seraient nécessaires pour y répondre ; cependant je sais que les importations de sel de France n’ont pas augmenté dans une notable proportion.

Si le sel dont parle l’honorable membre, peut être considéré comme du sel raffiné, le gouvernement prendra les dispositions nécessaires pour préserver notre industrie en observant toutefois les dispositions de notre convention avec la France.

Je déclare à l’honorable membre que j’examinerai la question ; mais je ne puis lui répondre aujourd’hui d’une manière positive. Je ferai toutefois remarquer que les réclamations dont il parle sont bien antérieures aux importations de sel auxquelles il a fait allusion. Ces réclamations datent de bien des années ; depuis longtemps les sauniers de l’intérieur demandent que l’eau de mer soit imposée.

M. Delehaye. - Messieurs, lorsque j’ai parlé des réclamations qui s’élevaient contre l’emploi de l’eau de mer, j’ai dit, qu’on devait les attribuer à ce qu’on supposait à cette eau des qualités qu’elle n’avait pas. J’ai ajouté que, depuis la convention avec la France, le commerce français a déversé sur notre marché une quantité considérable de sel qui a paralysé notre fabrication. Ce sel, par la qualité des marais dont il provient, est tellement blanc qu’il passe pour raffiné. Je demande que le gouvernement prenne à cet égard des mesures.

Je sais bien qu’il n’est pas au pouvoir de M. le ministre des finances de me répondre immédiatement. Il me suffit d’avoir attiré son attention sur ce point ; je suis persuadé, que lorsqu’il aura reconnu la vérité de mes observations, il prendra des mesures pour y faire droit.

- L’art. 3 est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Le gouvernement pourra accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du poisson provenant de la pêche nationale, et à la fabrication du sulfate de soude. Il déterminera les conditions de cette exemption. »

M. de Brouckere a proposé par amendement d’ajouter après les mots sulfate de soude, ceux-ci : et des tabacs.

M. Cogels. - Messieurs, la loi de 1822 accordait l’exemption du droit sur le sel employé à la salaison du poisson. Elle accordait en même temps au gouvernement la faculté d’étendre cette exemption à d’autres industries sans les spécifier. Cette exemption a été accordée ensuite par règlement, et d’après la note qui nous en a été fournie hier, aux industries suivantes :

Aux blanchisseries, aux papeteries, aux fabriques de produits chimiques, aux fabriques de tabac, à la nourriture des bestiaux, à la tannerie, à la savonnerie, à la poterie, à la faïencerie et à la verrerie.

D’après le nouveau projet, le gouvernement conserve l’exemption à la salaison du poisson ; il la conserve également aux fabriques de produits chimiques ; mais il la retire, ou du moins semble vouloir la retirer, à toutes les autres industries.

J’ai cherché vainement dans les deux exposés, celui de l’honorable M. Smits et celui de l’honorable Mercier, à l’appui de ses amendements, ainsi que dans les rapports de la section centrale, les motifs qui avaient engagé le gouvernement à retirer cette faveur aux autres industries dont je viens de parler, et avant de continuer, je demanderai à M. le ministre des finances, si la chambre le permet, de me donner quelques explications à ce sujet. Il s’est engagé à les fournir.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je n’ai pas cru devoir justifier toutes les dispositions du projet de loi ; je n’ai parlé dans mes observations que des nouvelles dispositions que j’y introduisais ; comme la suppression des exemptions a été proposée par mon honorable prédécesseur, il n’est pas étonnant que l’honorable membre n’ait pas trouvé dans mes observations une justification de la disposition qui est en discussion.

En relisant les différentes propositions qui ont été faites à la chambre, j’ai remarqué qu’en effet il n’était pas fait mention des motifs de la suppression des exemptions. Une des causes principales de cette proposition, messieurs, est que l’on a extrêmement abusé de ces exemptions, que l’on a découvert plus d’une fois que le sel ainsi libéré de l’impôt, était livré à la consommation.

D’un autre côté, ou a pensé que plusieurs industries qui faisaient usage de sel, n’essuieraient qu’un bien faible préjudice en subissant les droits établis sur le sel qui leur est nécessaire. En ce qui concerne les tabacs entre autres, cette industrie, relativement aux charges qui pèsent sur elle dans d’autres pays, est ménagée outre mesure en Belgique, si l’on considère notre mouvement financier.

Maintes fois dans cette chambre et au sénat on a engagé le gouvernement à frapper cette industrie d’un impôt plus élevé ; j’étais loin de m’attendre qu’une légère augmentation d’un tiers à un demi-centime par kil. serait présentée comme une aggravation de charge, pouvant présenter le moindre inconvénient.

Je crois, messieurs, que le tabac peut et doit fournir au trésor d’immenses ressources, parce que nos besoins l’exigent, et en m’exprimant ainsi je ne fais pas allusion seulement à ce tiers de centime ; je ne veux pas que plus tard, si le gouvernement se trouve dans la nécessité de demander quelque augmentation de droit, on puisse prétexter, pour s’opposer à ses propositions, l’insignifiante aggravation résultant de la suppression de l’exemption de l’accise sur le sel.

M. Cogels. - D’après les observations que vient de présenter M. le ministre des finances, le principal motif de la suppression des exemptions est de faire cesser la fraude à laquelle ces exemptions donneraient lieu ; le second motif, c’est que pour la plupart des industries l’exemption du droit sur le sel constitue un avantage insignifiant. C’est donc dans l’intérêt du trésor que la suppression des exemptions est proposée. Cependant, messieurs, le gouvernement propose de maintenir l’exemption pour la pêche et pour les produits chimiques. Or, d’après la note qui nous a été fournie à cet égard par M. le ministre des finances, l’industrie des produits chimiques a employé 2,595,000 kilog. de sel, et, dès lors, s’il y a eu des abus et des abus graves, c’est certainement, en ce qui concerne le sel employé à cette fabrication que ces abus ont pu avoir quelque portée. Il est évident que les abus ne peuvent être qu’insignifiants pour le sel employé, par exemple à la fabrication des tabacs, industrie qui n’a demandé l’exemption que pour 191,000 kilogrammes. Supposons, en effet, que l’on soit parvenu à faire entrer dans la consommation le quart de ce sel, c’est-à-dire 40 à 50,000 kil. ; on aura privé par là le trésor d’une rentrée de 9,000 fr., tandis que si la fraude a eu lieu dans la même proportion sur le sel dont on a demandé l’exemption pour la fabrication des produits chimiques, le trésor aura perdu de ce chef 110 à 120,000 fr. Par conséquent, il y aurait beaucoup plus de motifs pour supprimer l’exemption accordée à cette dernière industrie que celle dont jouissent d’autres industries qui n’emploient que de faibles quantités de sel.

Quant aux tabacs, je reconnais avec M. le ministre que l’exemption n’est pas d’une très grande importance pour cette industrie, si vous l’appliquez à sa production totale, c’est-à-dire, à la quantité de tabacs introduits dans le pays et qui, d’après l’exposé des fabricants, s’élève, pour 1842, à 10 millions de kilog.

Mais, messieurs, le sel n’est pas employé à la fabrication de tous les tabacs. Ainsi que l’a dit l’honorable M. Zoude, il s’emploie particulièrement aux qualités destinées à l’exportation, et dès lors la chose peut devenir très importante.

Je conviens avec tous les honorables préopinants qui ont approuvé la disposition du gouvernement, que les tabacs sont une matière essentiellement imposable ; qu’à l’exception de la Hollande, la Belgique est peut-être le pays où les tabacs sont frappés des droits les plus modiques. Mais, messieurs, il y a pour cela des motifs, et si ces motifs n’existaient pas, croyez-vous que la Hollande, où l’on fait une très grande consommation de tabac, croyez-vous que la Hollande, dans l’état de pénurie où se trouvent ses finances, n’aurait pas aussi imposé fortement te tabac ? La Hollande ne l’a pas fait, messieurs , parce qu’elle sait calculer, comme un gouvernement doit savoir le faire, parce qu’elle considère les impôts non pas seulement sous le point de vue fiscal, mais aussi sous le point de vue de l’intérêt véritable de la grande famille nationale ; parce qu’elle sait que tous les impôts qui privent le pays d’un bénéfice, sont des mauvais impôts. Si, par exemple, vous établissiez demain un impôt sur les tabacs dont le trésor retirât 2 millions, et que par là vous réduisiez l’exportation, de manière à faire perdre au pays un bénéfice de 4 à 5 millions, il est certain que vous auriez fait une très mauvaise opération, puisque tout en enrichissant le trésor de 2 millions, vous auriez appauvri la nation de 4 ou 5 millions.

Voilà, messieurs, ce que la Hollande a considéré et ce que nous devons considérer aussi. Nous ne pouvons pas perdre de vue que nous nous trouvons placés entre des pays où la fabrication des tabacs est ou monopolisée entre les mains du gouvernement, ou frappée de droits très élevés. Si nous voulons conserver une industrie qui, grâce à cette position, rapporte de très grands bénéfices au pays et qui a pris un développement très considérable, nous devons nous abstenir de la frapper de nouvelles charges. Nous devons nous en abstenir même dans l’intérêt du trésor, car c’est là une de ces circonstances où 2 et 2 ne font pas quatre ; si par des droits trop élevés vous restreignez l’exportation, vous recevrez moins que maintenant. Remarquez bien, messieurs, que nous ne consommons guère que le tiers des dix millions que nous importons annuellement ; les deux tiers sont exportés et cela après avoir acquitté les droits, car ce n’est pas ici un transit ; le tabac ne peut pas être déclaré en entrepôt, il est pris immédiatement en consommation. Il est impossible, en effet, qu’il en soit autrement car le tabac doit, avant d’être exporté, subir des manipulations, il faut que le fabricant en fasse un triage, qu’il examine les feuilles qui sont propres à fabriquer du tabac destiné à l’exportation et quelles sont celles qui doivent être fabriquées pour la consommation. Or, messieurs, tout cela ne peut pas se faire en entrepôt.

M. le président. - Je dois faire observer à l’orateur qu’il s’écarte de l’objet en discussion ; je le prie de bien vouloir se renfermer autant que possible dans la question soumise à la chambre.

M. Cogels. - Ce que je dis, M. le président, se rattache à la question : je veux démontrer que l’industrie des tabacs rapporte beaucoup de bénéfices au pays par l’exportation de ses produits, et qu’il serait dés lors dangereux de lui enlever une faveur dont elle jouit, parce que la suppression de cette faveur pourrait restreindre cette exportation.

Du reste, messieurs, il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures, et je pense que si vous maintenez l’exemption pour les produits chimiques, vous devez également la maintenir pour les tabacs, pour les blanchisseries, pour les tanneries, en un mot pour toutes les industries qui en jouissent aujourd’hui. Il me serait impossible de donner mon assentiment à une disposition qui limiterait l’exemption au sel employé à la salaison du poisson et à la fabrication des produits chimiques ; je ne puis donner mon vote à la loi que si les choses sont rétablies dans l’état où les avait placées la loi de 1822, ou si l’on supprime également l’exemption pour toutes les industries.

M. Coghen. - J’appuierai l’amendement proposé par l’honorable M. de Brouckere, pourvu que M. le ministre des finances puisse nous donner la certitude que la fraude n’est pas possible, qu’on ne peut pas livrer à la consommation une partie du sel pour lequel on demande l’exemption. Je ne serais pas éloigné d’accorder également la franchise des droits à toutes les industries pour lesquelles cette franchise serait une condition d’existence. Parmi ces industries figure au premier rang la fabrication du sulfate de soude. Sous ce rapport, messieurs, la Belgique était tributaire de l’étranger, l’Angleterre et la France exploitaient le pays. Des fabriques se sont établies, elles ont pris une haute importance et ont combattu avec quelque succès la concurrence étrangère. Si vous supprimez l’exemption dont cette industrie jouit, qu’en résultera-t-il ? C’est que vous frapperez la matière première d’un droit de 18 fr., tandis que le sel de soude fabriqué à l’étranger ne paye à l’entrée en Belgique que 6 p. c. à la valeur, ce qui équivaut à 1 fr. 25 centimes par 100 kilog. Vous aurez donc frappé de mort une industrie importante ; vous aurez favorisé l’étranger aux dépens du travail national, vous aurez de nouveau rendu la Belgique tributaire de l’étranger et par conséquent le trésor ne retirera aucun bénéfice de la disposition.

Un honorable député d’Anvers a dit que, si la fraude a lieu, elle porte d’autant plus de préjudice au trésor qu’elle l’exerce sur des quantités plus considérables. Mais on doit le dire, à l’honneur de l’administration des douanes, elle déploie une grande sévérité, elle prend les plus grandes précautions pour empêcher qu’on n’abuse de l’exemption accordée à certaines industries. Lorsque le sel destiné aux fabricants de sulfate de soude est importé dans le pays, il est convoyé jusqu’au lieu de déchargement, là il est pesé et emmagasiné en présence des employés ; lorsqu’il est extrait des magasins pour être dirigé vers la fabrique, une nouvelle pesée a lieu ; lorsqu’il arrive à la fabrique, trois employés président au déchargement et à une troisième pesée et mêlent immédiatement à ce sel une quantité si considérable de goudron, de gaz et acide hydrochlorique, de manière qu’il est complètement impossible de le faire jamais servir à la consommation. Il faut donc reconnaître, messieurs, que la fraude, ici, n’est nullement à craindre.

M. Osy. - Messieurs, j’aurai peu de chose à ajouter à ce qu’a dit l’honorable M. Cogels. Il faut être juste pour tout le monde, et si l’on accorde l’exemption à la pêche et à la fabrication des produits chimiques, il faut également l’accorder aux blanchisseries, aux papeteries, aux tanneries aux savonneries et aux autres industries dont on a fait l’énumération. J’ai fait le calcul de ce que les diverses exemptions enlèvent au trésor, et voici les résultats que j’ai trouvés : Les produits chimiques ont obtenu l’exemption sur 2,600,000 kilog. ce qui, à 18 francs, fait une somme de 468,000 fr. ; la pêche a employé 1,240,000 kilog., ce qui fait une somme de 223,000 fr. ; toutes les autres réunies ont consommé environ 800,000 kilog. et ont privé le trésor d’un revenu de 151,000 fr.

Ainsi, d’après la proposition qui nous est soumise, le trésor ne récupèrerait que 151,000 fr., et il continuerait à perdre 7 à 800,000 fr., et c’est pour obtenir un semblable résultat que l’on prendrait une mesure injuste à l’égard de plusieurs industries très importantes ! Je crois qu’il faut supprimer toutes les exemptions ou les maintenir toutes. Si l’on veut conserver l’exemption en faveur des deux industries désignées dans l’art. 4, je voterai en faveur de la proposition de M. de Brouckere, et je demanderai qu’on étende la franchise de droits à toutes les industries qui figurent dans le tableau déposé par M. le ministre des finances.

M. Zoude, rapporteur. - Comme j’ai eu l’honneur de le dire à la chambre on emploie surtout le sel pour la fabrication des tabacs en carottes et en poudre, qui sont à l’usage des classes aisées et qui peuvent dès lors supporter l’impôt ; c’est ce qui résulte à l’évidence d’une pétition qui nous a été adressée récemment par les fabricants de tabac de Ménin. Voici, messieurs, ce que porte cette pétition : (L’honorable membre donne lecture d’un passage de la pétition de Menin.) Je dis, messieurs, que les tabacs dont je viens de parler sont une matière éminemment imposable. « Mais, dit-on, si vous imposez ces tabacs vous empêcherez l’exportation. » Eh bien, messieurs, la section centrale qui s’est occupée de la question des tabacs vous a fait remarquer que l’on éviterait cet inconvénient en restituant les droits à la sortie. Eh bien, si l’on veut admettre ce principe il n’y a pas la moindre difficulté a faire payer le sel qui est employé à la fabrication des tabacs.

M. Pirmez. - Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que les impôts établis sur les matières dont l’industrie a besoin, sont des impôts de production et non pas de consommation. Parmi les industries pour qui le sel est un objet tout à fait indispensable, je citerai la fabrication des poteries ; si vous n’accordez pas l’exemption à cette industrie, elle ne pourra plus soutenir la concurrence de l’industrie similaire française. Il en est de même pour beaucoup d’autres industries. Je pense donc que s’il est possible d’accorder l’exemption à ceux qui en ont joui jusqu’ici, sans donner lieu à la fraude, il ne faut pas hésiter à le faire.

M. Desmet. - Je reconnais, messieurs, que cette question est fort délicate. Je suis disposé à faire tout ce qui est possible en faveur de l’industrie nationale, mais quand je vois les abus auxquels les exemptions donnent lieu, je ne puis m’empêcher de demander la suppression de ces exemptions. Les droits que le trésor devrait percevoir sur les quantités de sel qui obtiennent l’exemption, s’élèvent à une somme d’un demi-million, c’est-à-dire, au huitième du produit total de l’impôt. Toutefois, si l’on veut accorder certaines exemptions, alors il faut être juste pour tout le monde, et alors je demanderai que l’on accorde la franchise au sel employé à la fabrication des tabacs, car cette industrie est bien aussi importante que celle des verreries et des glaces, et, quoiqu’en dise mon honorable ami, M. Zoude, il est constant qu’on ne peut pas fabriquer le tabac sans sel, surtout le tabac qui s’exporte. Or. l’exportation des tabacs est un objet extrêmement important pour le pays.

Les tanneries forment également une industrie très importante ; eh bien, les tanneries consomment une très grande quantité de sel ; il en faut également beaucoup pour la fabrication des poteries et des faïences. Il en faut beaucoup pour l’agriculture ; dans un moment où il règne constamment des épizooties, si vous pouviez donner le sel brut sans droits, on en consommerait des quantités très fortes pour la nourriture du bétail. Or, messieurs, l’agriculture est la première de toutes les industries.

Quand je vois que les exemptions qui sont accordées aujourd’hui enlèvent au trésor un revenu de 500,000 fr, je me demande si l’on ne ferait pas bien de supprimer ces exemptions et de consacrer à des primes une partie des revenus que cela procurerait à l’Etat. Je suis d’autant plus disposé à résoudre affirmativement cette question, que les abus auxquels les exemptions donnent lieu, sautent à tous les yeux, qu’il n’y a qu’un cri général à cet égard dans le pays.

D’après ces considérations, messieurs, je pense que l’on agirait sagement en supprimant toute espèce d’exemption, et je propose un amendement dans ce sens.

M. Lys. - Je n’ai pris la parole, messieurs, que pour motiver mon vote. J’ai remarqué que plusieurs membres étaient disposés à voter contre la loi à cause de la suppression des exemptions ; je voterai, au contraire, en faveur de la loi, précisément parce que j’approuve cette suppression, consacrée par l’art. 4. En effet messieurs, ces exemptions constituent un véritable privilège et l’on sait qu’en général les privilèges en faveur d’une industrie sont nuisibles à d’autres industries : dans le cas actuel ils sont en outre essentiellement nuisibles au trésor.

En effet, dans la séance d’hier, mon honorable ami M. Delehaye vous a cité l’exemple d’un fabricant qui avait reçu une exemption de 90,000 kilog. de sel, tandis qu’il n’avait droit qu’à une exemption de 3,000 kilog. ; donc, 87.000 kilog. de sel fraudés au détriment du trésor.

S’il y avait lieu d’accorder des exemptions, beaucoup d’industries, même l’agriculture, viendraient réclamer une pareille exemption. Je citerai, par exemple, les cultivateurs de l’ancien pays du Limbourg qui fait aujourd’hui partie des districts de Verviers et de Liége ; on sait qu’une consommation considérable de sel leur est nécessaire, pour la salaison de leurs fromages. Eh bien, il est fort étonnant que quand on accordait des exemptions à certaines industries, personne ne pensait à donner le même avantage à ces cultivateurs. Et, en effet, ils n’ont pas seulement un commerce intérieur, mais leur commerce s’étend encore à l’extérieur. Il leur faudrait donc une faveur quelconque pour soutenir la concurrence avec les négociants étrangers.

On a cité le tabac, comme formant, pour ainsi dire, un objet de consommation à l’usage du peuple. Mais dans notre pays, le fromage est un des aliments nécessaires de la classe pauvre dans toute la province de Liége. Vous conviendrez, messieurs, qu’il n’y a nulle comparaison à établir avec le tabac, et jusqu’à présent celui-ci a joui d’exemption tandis que le cultivateur a été imposé.

Je prierai, en terminant, MM. les ministres des affaires étrangères et des finances de porter leur attention sur cette industrie. Une partie de ces fromages sont importés en Allemagne, et là ils sont grevés d’un droit de douane assez considérable. Or, l’Allemagne n’a pas d’intérêt à maintenir un pareil droit, car il existe peu ou point de concurrence.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je ne puis que reproduire cette observation, que, pour certaines industries, le sel est employé d’une manière très accessoire, et que pour d’autres le sel est l’élément principal. Ainsi, pour le fabricant de soude, il est impossible de songer à lui faire payer un impôt sur le sel : ces fabriques ne pourraient pas subsister, elles tomberaient immédiatement. La pêche nationale a aussi un droit tout particulier à notre sollicitude ; elle ne peut supporter l’impôt sans éprouver le plus grand préjudice.

Frappez l’industrie étrangère, me dit l’honorable M. Delehaye ; c’est très bien : mais l’honorable membre doit savoir qu’il y a telle quotité de droits qu’on ne peut excéder sans provoquer la fraude.

Je déclare de nouveau que l’administration est impuissante à surveiller 360 fabriques qui emploient le sel en quantités plus ou moins considérables. Il est impossible d’exercer une surveillance telle qu’on prévienne complètement la fraude. Tous les ministres qui se sont succédé au département des finances ont voulu remédier à l’abus qui se faisait des exemptions. Je ne fais que continuer leur proposition.

L’honorable M. Lys vient de faire une observation juste. Les fabriques qui sont maintenant en possession du privilège de l’exemption ne sont pas les seules qui devraient en jouir si elle est maintenue : de là il résulterait un nouveau préjudice pour le trésor.

L’honorable M. Lys a fait mention de la fabrication des fromages dans lesquels entre aussi beaucoup de sel. Il est évident que cette industrie aurait à l’exemption les mêmes droits que d’autres industries qui emploient le sel ; il faudrait donc encore augmenter le nombre des exemptions et toujours aux dépens du trésor.

Or, qu’on ne l’oublie pas, il est indispensable que nous créions de nouvelles ressources. On est d’accord pour proclamer que le trésor a besoin de ressources et pour promettre devenir à son secours, mais lorsqu’on en vient à l’application, cet accord cesse d’exister. Quand il s’agit d’imposer le moins du monde un objet de consommation ou une industrie, on rencontre de l’opposition de la part de ceux qui insistent le plus pour établir l’équilibre entre les recettes et les dépenses. En agissant de la sorte, loin de parvenir à rétablir cet équilibre, on ne fera que creuser de nouveaux déficits.

M. de Mérode. - Messieurs, j’appuierai l’art. 4 tel qu’il est proposé, c’est-à-dire avec l’exemption pour la soude et pour la pêche nationale, car, d’après les explications qui ont été données, ce sont les seules industries qui réclament impérieusement l’exemption, sous peine d’être supprimées.

Quant au tabac, il est évident que c’est une bagatelle pour cet article ; et comme cet objet ne paie rien au trésor, c’est une occasion d’en tirer quelque chose , en attendant qu’on puisse en tirer davantage. Si c’est pour le débit qu’on peut faire du tabac à l’étranger, ce n’est pas le léger impôt qui en diminuera la consommation à l’étranger.

M. Verhaegen. - J’ai eu l’honneur de vous dire que je voterai contre l’ensemble de la loi. J’ai donné mes motifs, et je les maintiens. J’ai dit en même temps que j’accueillerais tous les amendements ayant pour objet d’accorder des exemptions à toutes les industries qui ont besoin du sel, et les raisons données par M. le ministre des finances ne font que corroborer ce que j’ai eu l’honneur de dire à cet égard.

Il y a une autre observation à faire, c’est que, d’après le projet, il y a une certaine classe d’industrie favorisée et d’autres qui sont sacrifiées. Il ne s’agit même plus aujourd’hui de l’agriculture à laquelle s’était intéressée la loi de 1822, cependant l’agriculture mérite bien aussi de fixer notre attention, car si la Belgique est un pays industriel, il est en même temps un pays agricole. Je suis étonné que le gouvernement en agisse d’une manière aussi légère à l’égard d’une des principales sources de la richesse nationale.

Pour que cette discussion ne soit pas inutile, je suis décidé à proposer un amendement en faveur de l’agriculture. Le pays connaîtra au moins les dispositions du gouvernement et de la chambre ; advienne que pourra, j’aurai rempli ma tâche.

Pourquoi les industries et l’agriculture qui, autrefois jouissaient de l’exemption, n’en jouissent-elles plus d’après la loi nouvelle ? L’impôt sur le sel qu’on a présenté comme un impôt de consommation, serait-il métamorphosé en impôt de production ? L’honorable M. Pirmez vous l’a très bien dit : si vous faites payer le droit pour le sel employé par l’industrie et par l’agriculture, ce n’est plus un impôt de consommation que vous percevez, c’est un impôt de production, vous changez la nature du droit. Je prierai M. le ministre de vouloir répondre à cet argument, il est péremptoire. Personne n’a dit un mot jusqu’à présent pour le combattre.

Et par cet impôt de production, vous mettez des industries belges hors d’état de soutenir la concurrence avec les industries similaires de l’étranger. Vous sacrifiez nos industries si intéressantes de la fabrication des tabacs, des produits chimiques, des tanneries, etc.

Si j’ai bien compris M. le ministre, il n’y aurait plus que deux industries qui jouiraient de l’exemption : la pêche nationale et la fabrication du sulfate de soude. Cependant, dans le tableau qui se trouve joint au Moniteur, je vois une petite note indiquant qu’une exemption de 20,000 kil. a été accordée pour la fabrication du verre. Cette exemption sera-t-elle maintenue ?

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Non !

M. Verhaegen. - Elle vient à tomber. Voilà donc encore une industrie sacrifiée, et M. Coghen pourra dire quelques mots à cet égard. Je ne vois pas, je le répète, pourquoi on accorde une exemption à l’une et pas aux autres.

Tout cela me ramène à mon idée principale : l’impôt sur le sel est un impôt odieux et en même temps un mauvais impôt, à raison de la difficulté du recouvrement. Le gouvernement doit reconnaître que, par l’emploi que plusieurs industries font du sel comme matière première, il se trouve dans l’impossibilité d’exercer un contrôle suffisant. Si les exemptions sont maintenues, pourquoi donc ne ferait-on pas ce qu’on a fait en Angleterre ? Il y avait en Angleterre un impôt considérable sur le sel et il a été aboli dans l’intérêt des industries et de l’agriculture.

M. Vandensteen. - Je ne puis que partager les observations que vient de développer l’honorable M. Verhaegen. Nous devons mettre toutes les industries sur le même pied. On ne peut pas accorder aux unes une protection qu’on refuse aux autres. Parmi les industries auxquelles on veut retirer l’exemption qu’on laisserait à d’autres industries, se trouve la tannerie. On ne connaît pas le chiffre des exemptions qu’on a accordées à cette l’industrie, je vais indiquer à la chambre. En 1837 elles se sont élevées à 229,700 k. ; en 1838 de 248,858 k. ; en 1839 de 259,650 ; en 1840 de 229,200, et en 1841 de 217,300 kil.

Ces exemptions ne sont donc pas aussi insignifiantes que voudrait bien le faire croire M. le ministre des finances. Mais on a dit que l’exemption était fort peu de chose pour les industries de moindre importance, que par conséquent le résultat de la faveur accordée était de peu de valeur.

Mais, comme l’a dit l’honorable M. Coghen, si le résultat est si peu avantageux, la fraude doit être minime, elle doit se reporter sur les industries qui absorbent une grande quantité de sel. La pêche nationale par exemple, que je reconnais être d’un intérêt majeur, et qu’on doit protéger autant que possible, si elle consomme 2 millions de kilogrammes de sel, il est à présumer que sur un pareil chiffre il doit être possible de faire une fraude considérable.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est impossible !

M. Vandensteen. - M. le ministre dit que non ; je n’en sais rien ; du moins est-il qu’il serait plus rationnel de maintenir les exemptions accordées précédemment ou de les retirer toutes. C’est dans ce sens que je voterai.

M. Coghen. - J’ajouterai quelques mots aux observations que j’ai eu l’honneur de donner tout à l’heure : les fabriques belges de soude remplacent les importations étrangères, c’est-à-dire que le sel marin travaillé dans nos usines, et converti en sulfate, sel et cristaux de soude pour l’usage des nombreuses manufactures qui emploient ces matières premières, écarte les produits similaires que la France et l’Angleterre nous fournissaient.

Aujourd’hui, le sel marin employé à cette fabrication n’est assujetti à aucun droit, et malgré cela l’étranger, par sa concurrence, fait un mal très grand à cette industrie. On voudrait frapper d’un droit de consommation de 18 francs par 100 kilog. le sel brut dont on fait le sulfate, qui ne vaut lui-même que 20 fr., et que l’étranger fournit à ce prix. Ce serait frapper de mort les nombreuses usines, ce serait réduire à la misère des milliers d’ouvriers ; ce serait atteindre l’emploi d’une masse de millions de kilogrammes de houille employés à la carbonisation, du sel, et dans quel but ? pour le frapper d’un droit de consommation, ou, pour mieux dire, un droit de fabrication tandis que vous admettez ces mêmes produits de l’industrie étrangère à 6 p. c. de leur valeur, ou 1 fr. 25 pour 100 kil. de sulfate. Non, cela n’est pas possible, vous ne consacrerez pas une injustice semblable envers le travail national.

En Prusse et en France la même franchise existe pour les fabriques de soude, elle doit exister là comme ici, dans l’intérêt du travail du pays ; parce que le trésor n’y perd rien.

On a parlé d’imposer les produits étrangers d’un droit protecteur, mais pour égaler le droit d’accise. Ce serait 100 p.c. de la valeur de l’objet même ; et que deviendraient les usines qui ne peuvent point se passer de cette matière première ; que diraient nos fabricants de drap, la teinturerie, la cristallerie et verrerie, et les nombreuses blanchisseries et fabriques de savon, d’un impôt qui frapperait une matière première dont ils ne peuvent se passer ?

L’honorable M. Verhaegen a demandé l’utilité ou l’usage du sel marin pour le verre, pour la fabrication de glaces, cristaux et verre à vitre ; ou ne l’emploie que transformé en sel de soude ou sulfate, mais une industrie nouvelle, la peinture sur verre, ne peut employer le verre fabriqué avec le sulfate, on a essayé de n’employer que le sel brut et le succès a été complet.

M. le président. - M. Verhaegen et M. Castiau viennent de déposer un amendement tendant à l’étendre l’exemption du droit au sel employé à la nourriture du bétail, et à l’engrais des terres.

M. David. - Il est évident que les tanneries surit intéressées à conserver l’exemption du droit sur le sel. Il y a encore d’autres industries qui doivent désirer cette exemption : les grandes boucheries, les grandes tueries où il peut y avoir accumulation de peaux. Dans un moment de mévente, ces peaux, si elles n’étaient pas salées, risqueraient d’être perdues.

Quoi qu’il en soit, tout en reconnaissant que cette exemption peut être utile, je désire, si on l’accorde a ces industries, qu’on l’accorde aussi aux autres, il faut que l’exemption soit générale, ou qu’elle soit supprimée.

Nous avons encore une industrie qu’a rappelée l’honorable M. Lys, et qui a droit à l’exemption, c’est celle de la fabrication des fromages ; elle y a d’autant plus droit qu’elle se rattache à l’agriculture, industrie qui mérite toute notre sollicitude.

Une autre considération à invoquer pour l’exemption en faveur des tanneries, c’est que nous avons une exportation assez considérable de cuirs frais en France et (erratum Moniteur belge n°356 du 22 décembre 1843 :) en Angleterre. Comment opérer ce transport, sans une grande quantité de sel ! L’exemption est donc bien nécessaire. Elle l’est encore pour transporter à l’intérieur les cuirs frais des animaux tués dans les grandes villes, comme Anvers, etc. On ne peut transporter ces cuirs sans les faire saler.

Toutefois, je le répète, si l’exemption n’est pas générale, je ne la réclame pour aucune industrie, puisqu’à la fin du compte, il faut des impôts.

M. Zoude, rapporteur. - Après Stavelot, le pays où il y a le plus de tanneries c’est le Luxembourg ; nous savons qu’on emploie peu de sel. Dans le pays de Liége, où il y a beaucoup de tanneries, on n’y emploie que 800 kilog. de sel. Vous voyez qu’il n’est pas essentiel d’accorder l’exemption à cette industrie. Je demande sa suppression.

M. Mast de Vries. - Je demanderai que le gouvernement conserve la position qu’il a maintenant, qu’il ait la faculté d’exemption, ou bien que l’on supprime tout l’article.

M. Lys. - Si M. de Brouckere maintient son amendement, je présenterai l’amendement suivant :

« Le gouvernement pourra accorder l’exemption du droit sur le sel destiné à la salaison des fromages. »

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je dirai quelques mots seulement sur l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. Aujourd’hui le gouvernement a la faculté d’accorder l’exemption du droit sur le sel employé pour la nourriture du bétail et pour engrais. L’exemption a souvent été refusée dans ces cas, par la raison qu’on ne pouvait trouver de garantie suffisante contre la fraude. Si l’amendement était adopté, le gouvernement serait obligé d’accorder toujours l’exemption, ce qui ouvrirait une large porte à la fraude. Dès lors, le produit de l’accise sur le sel serait compromis et au lieu d’améliorer la loi nous l’aurions dénaturée.

- La discussion est close.

L’amendement de M. de Brouckere tendant à exempter du droit le sel employé à la fabrication du tabac, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’amendement de MM. Verhaegen et Castiau tendant à exempter du droit le sel employé à l’engrais de la terre et à la nourriture du bétail est mis aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote :

79 membres y prennent part.

12 votent pour l’adoption.

67 votent contre.

La chambre n’adopte pas.

Ont voté pour l’adoption : MM. Angillis, Castiau, Coghen, Delfosse, d’Elhoungne, Eloy de Burdinne, Lesoinne, Rogier, Savart, Vandensteen, Verhaegen et de Tornaco.

Ont voté contre : MM. Cogels, Coppieters, David, de Baillet, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Duvivier, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Liedts, Lys, Maertens, Matou, Manilius Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

M. Lys. - J’avais déclaré que je ne présentais mon amendement que pour autant que celui M. de Brouckere serait admis. Le vote que la chambre vient d’émettre en amène donc le retrait.

M. le président. - Je mets aux voix l’art. 4.

M. Osy. - Je demande la division.

M. le président. - En ce cas je mets d’abord aux voix la partie de l’article qui propose de donner au gouvernement le droit d’accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du poisson.

- L’appel nominal est demandé.

Il est procédé au vote par appel nominal ; en voici le résultat.

79 membres prennent part au vote.

45 votent en faveur de la proposition.

34 votent contre.

En conséquence cette partie de l’article est adoptée.

Ont voté pour : MM. Angillis, Cogels, Coghen, Coppieters, David, de Baillet, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Foere, de La Coste, Delehaye, d’Elhoungne, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Goblet, Kervyn, Lesoinne, Liedts, Maertens, Malou. Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Rodenbach, Rogier, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Ont voté contre : MM. Castiau, de Garcia de la Vega, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Saegher, Desmet, de Theux, de Tornaco, de Villegas, Dolez, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Huveners, Jadot, Lange, Lys, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Orts, Peeters, Pirmez, Pirson, Savart-Martel, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Vandensteen, Verhaegen.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix la partie de l’article qui propose de donner au gouvernement le pouvoir d’accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la fabrication du sulfate de soude.

- L’appel nominal est de nouveau demandé.

Il est procédé à l’appel nominal ; en voici le résultat :

78 membres prennent part au vote.

32 votent pour la proposition.

46 votent contre.

En conséquence la proposition est rejetée.

Ont voté pour : MM. Coghen, David, de Baillet, Dechamps, (erratum Moniteur belge n°362, du 28 décembre 1843 :) de Foere, de la Coste, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Goblet, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Meeus, Mercier, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Van Volxem, Verhaegen, Zoude.

Ont voté contre : MM. Angillis, Castiau, Cogels, Coppieters, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Nef, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmet, de Tornaco, de Villegas, Dolez, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Malou, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Orts, Osy, Peeters, Pirson, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert.

M. le président. - Je mets aux voix l’ensemble de l’article qui sera ainsi conçu :

« Art. 4. Le gouvernement pourra accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du poisson provenant de la pêche nationale. Il déterminera les conditions de cette exemption. »

- L’ensemble de l’article est adopté.

Article 5

« Art. 5. § 1er. Il est établi un droit d’accise sur l’eau de mer marquant, à l’aréomètre de Beaumé, un degré jusqu’au-dessous de trois degrés.

« Ce droit est fixé, par hectolitre d’eau de mer :

« De un degré inclusivement à deux degrés exclusivement, à 10 centimes ;

« De deux degrés à trois degrés exclusivement, à 20 centimes.

« L’eau de mer marquant trois degrés ou plus sera considérée comme saumure et imposée selon la densité reconnue, d’après les bases indiquées à l’art. 9.

« §. 2 L’eau de mer ne pourra être puisée que de jour, pour l’usage des raffineurs de sel, et dans le chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut en-deçà de Lillo. Ceux qui procéderont à cette opération seront porteurs d’une déclaration, préalablement visée par le receveur du bureau d’Ostende, de Nieuport ou de Lillo, laquelle énoncera :

« a. Le nom du voiturier, batelier ou conducteur ;

« b. Les jours et heures auxquels on commencera et ceux auxquels on cessera de puiser l’eau de mer ;

« c. L’endroit où cette opération aura lieu ;

« d. Le mode de transport, avec mention du nombre et de la capacité des barriques, ou du nom du bateau et de la contenance de sa cale de chargement ;

« e. Le nom et le domicile du raffineur auquel l’eau de mer est destinée.

« Au moment de puiser l’eau de mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette déclaration.

« § 3. L’accise devra être payée avant que le transport de l’eau de mer puisse commencer. La quittance des droits sera frappée d’un timbre de 25 centimes ; elle indiquera le délai fixé pour sortir du rayon des douanes ou pour se rendre à la raffinerie, lorsqu’elle est établie à Ostende ou à Nieuport, ou dans le territoire réservé à la douane.

« § 4. La capacité pleine de la cale de chargement, d’après le certificat de jaugeage qui en sera délivré, ou celles des barriques, servira de base à l’accise. Les barriques porteront, en chiffres peints à l’huile, l’indication de leur contenance, et les mots eau de mer.

« § 5. Les déclarations ne seront pas admises pour des quantités inférieures à 10 hectolitres. Les fractions de l’hectolitre seront négligées dans la liquidation des droits.

« § 6. Toute communication souterraine ou clandestine, entre les raffineries et les lieux où l’eau de mer peut être puisée, est interdite. Celles qui existeraient seront immédiatement détruites.

« § 7. Aucun établissement pour l’évaporation de l’eau de mer ne pourra être érigé.

« § 8. Les raffineurs de sel qui font usage de l’eau de mer ne peuvent l’employer qu’à la fonte du sel brut ; il leur est interdit de l’évaporer au préalable. Leurs chaudières seront accessibles aux employés. »

M. Osy a proposé par amendement de rédiger ainsi l’art. 5 :

« Les raffineurs pourront employer l’eau de mer sans être assujettis, de ce chef, à l’impôt, si elle marque moins de 3 degrés à l’aréomètre de Baumé et pourvu qu’elle ait été puisée dans le chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut, en deçà de Lillo.

« Aucun établissement pour l’évaporation de l’eau de mer ne pourra être érigé. »

M. Thienpont. - Je ferai remarquer qu’une pétition relative à l’article en discussion est arrivée d’Audenaerde.

M. le président. - Depuis le commencement de la séance, il est effectivement arrivé au bureau une nouvelle pétition relative au projet de loi sur le sel ; elle est signée par des sauniers d’Audenaerde.

M. de Villegas. - M. le président, je demande lecture de cette pétition.

- La chambre décide qu’il sera donné lecture de cette pétition.

M. de Renesse, secrétaire, donne lecture de cette pétition (Le Moniteur de ce jour reprend le texte intégral de cette pétition, non repris dans la présente version numérisée).

M. le président. - Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

La discussion est ouverte sur l’art. 5.

M. Henot. - L’article qui nous occupe, introduit un impôt auquel aucun gouvernement, quelque fiscal qu’il fût, et quels qu’eussent été ses besoins, n’a jamais songé

Plus un impôt est nouveau et extraordinaire, et plus il faudrait de puissants motifs pour en justifier l’introduction, et il faut bien le dire, jamais l’absence, je ne dirai pas seulement de pareils motifs, mais même de motifs quelconques, ne s’est fait sentir davantage.

Avec quelle défiance, d’ailleurs, ne doit-on pas accueillir la proposition qui nous est faite, lorsqu’on voit le gouvernement repousser l’impôt et le produire tour à tour, dans l’espace de quelques mois, et prouver ainsi combien il est lui-même peu fixé sur la nécessité de son introduction, et lorsqu’on voit encore que ce même gouvernement ne sait à quelle disposition s’arrêter afin d’arriver à cette introduction ?

Jetons un coup d’œil sur les rétroactes.

Au mois de juin 1842, le gouvernement repoussait l’impôt sur l’eau de mer, et il le repoussait encore au mois de mars 1843, tandis qu’au mois de novembre suivant il vient le proposer à la législature.

Il estimait, à cette dernière époque, que l’eau de mer marquant moins de trois degrés devait être frappée d’un droit d’accise de vingt centimes par hectolitre, n’importe en quel endroit elle aurait été puisée ; quelques jours après, il revient de cette proposition qu’il envisage comme trop générale, et il excepte de l’impôt les eaux puisées :

1° Dans les bassins de commerce et dans les canaux d’Anvers ;

2° Dans l’Escaut en-deçà d’Anvers ;

3° Dans les bassins de commerce à Ostende et dans le canal de cette ville à Bruges.

Cette modification est à peine proposée qu’une autre lui succède, et le gouvernement finit par exempter de l’impôt l’eau de mer marquant moins d’un degré, pour frapper d’un droit d’accise de 10 centimes par hectolitre celle qui marque un degré inclusivement jusqu’à deux degrés exclusivement, et d’un droit de 20 centimes celle marquant deux degrés à trois degrés exclusivement ; il considère enfin comme saumure l’eau de mer marquant trois degrés et davantage.

Rien de moins fixe, comme nous venons de le voir, que la conduite du gouvernement au sujet de l’impôt sur l’eau de mer, et cette mobilité est peu propre à nous déterminer à y donner notre assentiment.

A ces considérations, qui doivent jeter peu de faveur sur la proposition qui nous est soumise, vient se joindre le fait d’absence totale des motifs sur lesquels on la fonde, et cette circonstance doit nous déterminer conséquemment à la rejeter.

Parmi les motifs sur lesquels on base la nécessité d’imposer l’eau de mer, se présentent en première ligne les prétendus bénéfices que procurerait l’emploi de cette eau, et la considération que ces bénéfices seraient la ruine de ceux qui n’en font pas usage.

Ce motif a été victorieusement combattu à la séance d’hier par l’honorable M. Donny, et il a été réduit à sa juste valeur, non pas par des mots, mais par des faits ; sept sauniers d’Ostende, a dit l’honorable membre, faisaient emploi de l’eau de mer, et cet emploi a si peu procuré de bénéfice, que quatre d’entre eux y ont renoncé, et que les trois autres, qui ont continué cet usage, ont été dans la nécessité de réduire leurs chaudières à la moitié de leur capacité.

Il y a donc à Ostende, a-t il continué, des sauniers qui ne font pas usage de l’eau de mer quoiqu’ils puissent se la procurer avec tant de facilité, et il en est de même à Anvers qui offre un accès facile à cette introduction, et conséquemment ces prétendus bénéfices ne sont que des chimères.

A ces considérations toutes puissantes, j’en ajouterai une autre, c’est que si les bénéfices qu’on attribue à l’emploi de l’eau de mer étaient réels, on aurait vu s’établir sur la côte des usines en bien plus grand nombre qu’ailleurs.

Ce serait abuser des moments de la chambre, que d’entrer dans des développements ultérieurs à cet égard ; quand les faits parlent, les paroles deviennent inutiles.

L’usage de l’eau de mer, dit-on encore, favorise la fraude, et l’on ne s’aperçoit pas que ce motif est combattu par les faits déjà cités.

S’il était vrai, en effet, que l’eau de mer dût avoir ce résultat, on n’eût pas tardé à voir augmenter le nombre des usines disposées à son emploi, et tous ceux qui auraient été à même d’en profiter n’auraient pas balancé à y participer. Eh bien, c’est le contraire qui est arrivé, et on a vu des sauniers qui faisaient usage de l’eau de mer y renoncer volontairement.

Les partisans de l’impôt nous disent encore que le libre usage de l’eau de mer constitue un privilège en faveur des localités qui l’avoisinent, et que ce privilège doit être détruit, afin qu’il y ait équilibre entre ces localités et celles de l’intérieur.

Pour qu’il y eût privilège, il faudrait que l’usage de l’eau de mer donnât un bénéfice ; or les faits établissent le contraire, et il est démontré aujourd’hui que son emploi n’a d’autre effet que de produire une meilleure cristallisation.

N’allez pas croire, messieurs, que j’aie puisé cette allégation à une source suspecte, car c’est le gouvernement lui-même qui est venu nous l’apprendre dans ses réponses données, au mois de mars dernier, à la section centrale.

« Les avantages, a-t-il dit, que procure l’eau de mer non évaporée dans le raffinage du sel, sont fortement contestés ; elle paraît avoir pour effet de produire une meilleure cristallisation, plutôt que d’accroître sensiblement la quantité de sel raffiné ; les faits semblent confirmer cette assertion, puisque dans plusieurs localités d’un accès facile aux introductions d’eau de mer, entre autres à Anvers, des sauniers n’en font pas usage. »

Il est donc établi que si l’eau de mer procure un avantage, il ne consiste qu’à obtenir une meilleure cristallisation, et cet avantage serait-il assez conséquent pour exiger l’impôt de cette eau, afin d’établir l’équilibre entre les localités qui avoisinent la mer et celles de l’intérieur ? Nullement.

L’impôt de l’eau de mer, loin d’équilibrer les positions, viendrait rompre l’équilibre qui existe, et amènerait un résultat tout opposé à celui qu’on dit vouloir obtenir.

Si les localités voisines de la mer peuvent tirer un léger avantage de leur position relativement à l’emploi de son eau, les autres localités ont à leur tour des avantages dont les premières sont dépourvues, et qu’elles doivent aussi à leur position topographique.

Parmi ces avantages figurent les prix du combustible et du fer dont on confectionne les poêles, qui sont beaucoup moins élevés à l’intérieur.

Si donc la position de quelques salines dans le voisinage de la mer peut leur donner un léger avantage sur celles de l’intérieur, cet avantage est largement compensé pour ces dernières par des faveurs dont elles jouissent à leur tour, de sorte qu’il y a aujourd’hui réellement équilibre.

C’est encore le gouvernement qui nous a fourni ce moyen de combattre la prétendue nécessité d’imposer l’eau de mer, car en mars dernier, il répondait à la section centrale :

« Les lieux voisins de la mer étant les seuls où l’emploi de son eau soit d’une utilité réelle ; on a pensé que les avantages qui peuvent en résulter sont compensés par le prix plus élevé du combustible nécessaire pour l’évaporation. »

Et déjà dès le mois de juin 1842, il avait dit dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi que nous discutons :

« Nous ne pensons pas que l’exemption de l’accise puisse nuire aux sauniers de l’intérieur, puisque, dans les localités avoisinant la mer, les frais de combustible sont nécessairement plus élevés, ce qui rétablit l’équilibre. »

Il nous reste à prévoir une objection ; l’usage de l’eau de mer, pourrait-on dire, n’est pas prohibé il ne sera assujetti qu’à un faible droit, et dès lors l’équilibre sera maintenu.

Qu’on veuille bien réfléchir, qu’imposer l’eau de mer, c’est la prohiber ; que cette prohibition ne dépendra pas du taux plus ou moins élevé de l’impôt, et qu’elle sera la conséquence nécessaire de tout impôt quelconque, quelque faible qu’il pût être.

C’est encore une fois, ne le perdons pas de vue, le gouvernement lui-même qui nous l’atteste, car nous trouvons la phrase textuelle suivante dans l’exposé des motifs :

« L’eau de mer ne procure pas un bénéfice assez important, pour que le droit dont elle serait frappée, tel minime qu’il fût, n’en prohibât l’emploi. »

Toutes ces assertions du gouvernement, qui détruisent les moyens à l’aide desquels on veut introduire l’impôt sur l’eau de mer, sont, il ne faut pas en douter, le résultat des investigations auxquelles il s’est livré, avant de les communiquer à la législature, et il est dès lors étonnant que, puisant aux mêmes sources, il vienne proposer aujourd’hui un impôt qu’il déclarait inacceptable, il y a à peine quelques mois.

Déterminé par ces divers motifs, je voterai contre la proposition qui nous est faite d’imposer l’eau de mer.

M. Donny. Messieurs, en lisant dans le Moniteur le discours que j’ai prononcé dans la séance d’hier, j’ai remarqué qu’un fait cité par moi n’était pas énoncé avec la plus grande précision. Je viens aujourd’hui le préciser davantage, en vous disant que des sept sauneries dont je vous ai parlé, cinq se trouvaient dans l’enceinte de la ville et deux en dehors, et qu’il existe encore aujourd’hui trois sauneries en activité dans l’enceinte de la ville et une seule au dehors.

Je sais bien, messieurs, que cette rectification est de peu d’importance pour la discussion, mais j’ai voulu la faire parce que je tiens à ne donner à la chambre que des renseignements rigoureusement exacts.

Je vais maintenant répondre à quelques observations que d’honorables membres ont faites sur ce que j’ai eu l’honneur de dire dans la séance d’hier et je commencerai par l’honorable M. Rodenbach.

Cet honorable membre vous a dit, messieurs, que si le nombre des salines a diminué à Ostende, c’est parce qu’autrefois Ostende faisait des exportations et qu’elle n’en fait plus maintenant. Je ferai d’abord remarquer que cette raison-là n’en serait pas une pour Bruges, n’en serait pas une pour Gand où la fabrication a subi la même décadence qu’à Ostende et où l’on emploie également l’eau de mer. Je dirai de plus à l’honorable membre, qu’il y a déjà bien longtemps qu’on n’exporte plus de sel d’Ostende, tandis que la décadence actuelle s’est manifestée par des faits extrêmement récents. Il se trouve à Ostende une saunerie qui était en pleine activité, il y a 5 ou 6 ans, qui depuis lors est restée pendant deux années dans une inactivité complète, et qui, lorsqu’elle a repris ses travaux, a eu si peu de succès qu’en moins de 3 ans elle a passé entre les mains de trois propriétaires différents. Il y en a une autre qui, bien qu’elle soit en ce moment en activité, est à vendre depuis 5 ou 6 ans, et ne trouve pas d’acheteurs.

Je ne me suis pas borné, d’ailleurs, à signaler ce seul fait que plusieurs salines à Ostende se trouvaient en inactivité ; j’ai fait observer de plus que ces grands bénéfices dont on vous a parlé, et qui devaient résulter de l’emploi de l’eau de mer, ne sont qu’une véritable chimère, et aux yeux de l’administration française et aux yeux de l’administration des Pays-Bas et aux yeux d’un certain nombre de sauniers de Gand, de Bruxelles et d Anvers.

Ce sont là, messieurs, des faits importants auxquels l’honorable membre n’a pas répondu et auxquels je pense que personne ne répondra d’une manière sérieuse.

M. Rodenbach. - Je répondrai.

M. Donny. - L’honorable membre a dit encore que depuis que les sauniers d’Ostende et de Bruges font usage de l’eau de mer, il n’y a plus aucune localité qui puisse conserver ses salines, parce que la concurrence d’Ostende et de Bruges écrase tout. Messieurs, une observation bien simple va convaincre l’honorable membre qu’il est dans l’erreur ; les anciennes salines d’Ostende ont été établies bien avant l’établissement des salines dont l’honorable membre vous a parlé, et à toutes les époques, depuis le moment de leur érection, les salines d’Ostende ont fait usage de l’eau de mer. Les salines de l’intérieur du pays dont l’honorable membre a parlé se sont donc établies, se sont développées et se sont maintenues pendant un temps peut-être très long, malgré la concurrence de l’eau de mer. Dès lors il n’est certainement pas logique de venir dire que cette concurrence, qui ne les a pas empêché de s’établir, de se développer et de se maintenir, est devenue plus tard la cause de leur ruine.

L’honorable membre a dit enfin que, s’il était vrai, comme je l’ai soutenu, que l’eau de mer présentait aux fabricants des avantages très faibles, il n’y a ait plus de motif pour que j’insistasse aussi fortement que je l’ai fait pour que l’eau de mer ne fût pas imposée. A cela, messieurs, j’ai deux réponses à faire. Je dirai d’abord que les usines où l’on se sert de l’eau de mer sont construites d’une manière particulière, qu’elles ont des procédés de fabrication tout particuliers et que les forcer aujourd’hui à ne plus faire usage de l’eau de mer, c’est jeter la perturbation dans leur fabrication, perturbation d’autant plus funeste qu’à cette époque toutes les industries se livrent une lutte acharnée, une lutte à mort. Je répondrai de plus que, dans le port d’Ostende, les sauniers sont obliges de se servir de l’eau de mer parce qu’ils n’en ont pas d’autre.

M. Rodenbach. - Que font donc les brasseurs ?

M. Donny. - Les brasseurs ont quelques puits, mais les sauniers n’en ont pas. A l’appui de ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre, je puis citer une autorité respectable, la chambre de commerce d’Ostende, qui vous a fait parvenir une pétition déposée en ce moment sur le bureau. L’honorable membre peut consulter cette pièce dont je me permettrai de lire 3 ou 4 lignes seulement. Voici, messieurs, ce qu’elle porte :

« Il nous est parfaitement connu que l’eau de mer leur est indispensable, non pour produire, comme on le pense, une certaine quantité de sel par l’évaporation, mais comme le seul liquide convenable se trouvant le moins éloigné de leurs usines. A ceux qui connaissent la situation des lieux, où il y a privation absolue d’eau de source, où on n’est entouré que de fossés d’eau généralement stagnante, et recevant les égouts de la ville, il est facile de reconnaître que nos sauneries se servent de l’eau de mer, parce que celle-ci se trouve seule à proximité, et parce que toute autre eau, celle propre à être soumise à l’évaporation pour faire produire au sel une bonne cristallisation, ne peut s’obtenir qu’à grands frais de transport à cause de l’éloignement des canaux ayant des eaux convenables. »

J’aurai maintenant quelques observations à faire en réponse à ce qu’a dit mon honorable ami M. Zoude, rapporteur de la section centrale. Cet honorable membre m’a fait observer que j’ai eu tort de ne parler que de deux pétitions, celles d’Ypres et de Courtray, tandis qu’il en est arrivé plus de 80 toutes conçues dans le même sens, mais l’honorable membre a eu soin d’ajouter immédiatement une circonstance qui est ma pleine justification, c’est qu’on n’a fait imprimer que ces deux pétitions et cela parce que c’étaient les principales. Or, messieurs, lorsque j’ai renversé, comme je pense l’avoir fait, les arguments contenus dans ces deux pétitions principales, je puis, je crois, faire abstraction des autres, qui, aux yeux même de l’honorable membre, sont beaucoup moins importantes.

Dans le cours de cette discussion j’ai invoqué l’opinion de Berzelius ; pour détruire l’influence que cette citation pouvait exercer sur l’assemblée, mon honorable ami vous a dit : « Mais on a fait en Belgique des analyses de l’eau de mer ; ces analyses ont donné 3 kilog. de sel par hectolitre ; elles ont été faites par des élèves de feu le professeur Van Mons à qui Lavoisier écrivait que si la chimie n’existait pas, il l’aurait inventée. » Messieurs, je suis le premier à rendre hommage au mérite si distingué du professeur Van Mons, mais de ce que l’on a été élève de M. Van Mons, il ne résulte pas nécessairement que l’opinion que l’on émet doive être préférée à celle de Berzelius. J’ai plus de confiance, moi, dans le célèbre professeur suédois que dans les élèves du professeur belge.

Je ferai remarquer, d’ailleurs, qu’il y a une très grande différence entre ma manière de citer et celle de l’honorable membre. Je ne me suis pas contenté de jeter vaguement dans la discussion un nom célèbre ; j’ai eu soin de lire à la chambre on extrait des ouvrages de ce savant, tandis que l’honorable membre s’est borné à dire vaguement qu’une analyse avait été faite par des élèves de M. Van Mons et que cette analyse a produit tel résultat, sans se donner la peine de mettre sous les yeux de la chambre les écrits de ceux qui auraient fait cette analyse.

On vient de nous donner lecture d’une pétition arrivée de la ville d’Audenaerde. Cette pétition ne fait guère que répéter ce que d’autres ont déjà dit, mais elle le répète avec une exagération plus grande encore, car elle parle d’eau de mer prise sur nos côtes, et qui aurait une densité de cinq degrés. Eh bien, messieurs, cela est impossible, car en pleine mer, là où l’eau douce ne vient pas se mêler à l’eau salée, on ne trouve que quatre degrés tout au plus. Il y a des endroits où l’eau a effectivement 5 degrés et au-delà, mais c’est dans la Méditerranée et sous l’équateur, où certainement nos sauniers ne vont pas la chercher ; l’eau dont ils font usage n’est pas même puisée en pleine mer, elle est puisée dans nos ports, où il n’y a qu’un mélange d’eau douce et d’eau salée. Elle n’a donc pas quatre degrés, ni à plus forte raison 5 degrés (elle n’en a pas même 3). Je demanderai des lors ce que signifient des calculs établis sur des exagérations semblables.

Je bornerai là, messieurs, nos observations ; je crois avoir répondu à tout ce qui a été dit contre ce que j’ai avancé dans la séance précédente.

M. le président. - La parole est à M. Osy, pour développer sa proposition.

M. Osy. - Je n’ai, rien à ajouter à ce que j’ai dit tantôt. Je ne saurais trouver de meilleurs arguments en faveur de ma proposition que ceux donnés par l’honorable M. Smits, à l’appui du projet de loi qu’il a présenté l’année dernière a la chambre Je me réfère entièrement aux développements de ce projet de loi dont je n’ai fait que reproduire un article.

M. Vilain XIIII. - Dans l’état de fatigue où la chambre doit se trouver, je me garderai bien de parler contre le principe de l’impôt sur l’eau de mer ; J’appellerai seulement son attention sur une disposition règlementaire de l’art. 5, qui est ainsi conçue :

« L’eau de mer ne pourra être puisée que de jour, pour l’usage des raffineurs de sel, et dans le chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut en-deçà de Lillo. »

D’abord, je remercierai M. le ministre des finances des renseignements qu’il a bien voulu me donner 4 ou 5 jours après que je les avais demandés, tandis que précédemment je les avais sollicités inutilement, pendant 18 mois, de l’administration des finances, et que la section centrale à laquelle la chambre avait renvoyé la pétition des riverains de l’Escaut ne les avait également pu obtenir.

Les sauniers dont cette pétition émane déclarent qu’il est impossible d’obtenir à la hauteur de Lillo de l’eau de mer d’une densité de 3 degrés, que l’eau puisée à la hauteur de Lillo n’a qu’un degré et 1/2 tout au plus. C’est là un fait, qui est acquis au débat ; en-deçà de Lillo l’eau n’a qu’un degré et 1/2.

M. le ministre des finances, d’après les renseignements qu’il avait obtenus, a bien voulu présenter un amendement qui, je le reconnais, est plus favorable que l’article primitif de la section centrale aux sauniers qui se servent d’eau de mer, Je lui adresserai encore mes remerciements pour cet avantage. Mais, à mon avis, ce n’est point assez.

Les sauniers riverains de l’Escaut désirent surtout obtenir de l’eau de mer qui ait 3 degrés. Ils s’opposeraient moins à un impôt sur l’eau de mer sans cette impossibilité où on les met d’aller puiser de l’eau qui ait 3 degrés de densité. Il faut bien que la chambre le sache. A présent il n’y a aucun empêchement à ce que les sauniers descendent entièrement l’Escaut, et aillent puiser l’eau dont ils ont besoin jusqu’à Flessingue. Le projet de loi, au contraire, leur interdit d’aller plus loin que Lillo. Et cependant on n’a pas constate de fraude.

M. le ministre des finances propose l’article, parce qu’il craint que les sauniers ne fassent la fraude en important de l’eau. Messieurs, la tentative de fraude est facile, mais je crois que la constatation de la fraude est également facile. Les sauniers qui vont chercher de l’eau en passant la frontière, peuvent certainement faire transporter dans leur bateau du sel brut en nature, qu’ils achèteraient des pêcheurs, non des négociants hollandais qui auraient reçu de leur gouvernement la décharge à la sortie, et de cette manière ils pourraient importer en Belgique une grande quantité de sel.

Mas je demanderai, et je prie M. le ministre des finances de me répondre à cet égard, comment il serait possible que ces tentatives de fraude échappassent à la surveillance de la douane. Ou bien ce sel serait fondu en arrivant à la douane, ou bien il ne le serait pas. S’il était fondu dans l’eau de mer, l’aréomètre marquerait immédiatement des degrés très considérables, et alors l’eau tomberait sous les dispositions de l’art. 9. Si, au contraire, le sel n’était pas fondu, il serait à l’état solide au fond du réservoir du bateau et l’outil le plus commun pourrait le faire découvrir.

Les sauniers riverains de l’Escaut attachent une très grande importance à pouvoir puiser l’eau de mer plus bas que Lillo, à cause des frais considérables qu’ils doivent faire pour se la procurer. Si vous ne leur permettez de puiser que de l’eau à 1 degré, ils devront faire autant de frais que pour se procurer de l’eau à 3 degrés. Leur gain est déjà très minime et vous triplerez leurs frais.

D’après ces considérations, j’aurai l’honneur, au moment où l’on votera de proposer de retrancher du § 1er de l’art. 5 ces mots : en deçà de Lillo. Si cependant M. le ministre des finances nous démontrait que par cet amendement la fraude serait facile, comme je n’entends pas me faire le défenseur de la fraude, j’y renoncerais, et alors je proposerais subsidiairement un amendement par lequel je substituerais aux mots en-deçà de Lillo, ceux-ci : en deçà de la frontière, car Lillo n’est pas notre extrême frontière ; c’est bien notre dernier bureau, mais nous avons encore au moins une demi-lieue d’Escaut plus bas que Lillo.

Il y a aussi dans les amendements qu’a présentés M. le ministre des finances un paragraphe que je ne comprends pas ; c’est celui-ci : « Au moment de puiser l’eau de mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette déclaration. »

Je comprendrais à merveille, si l’on permettait aux sauniers de descendre où ils veulent, qu’ils déclarassent la densité de l’eau qu’ils voudraient puiser. Ils descendraient l’Escaut jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la densité d’un degré, un degré et demi, deux degrés. Mais ne pouvant aller que jusqu’à Lillo, comment est-il possible, que l’administration veuille les forcer à faire, avant de puiser l’eau, leur déclaration ? L’eau n’est jamais la même, tous les jours elle est d’une densité différente. Il suffit d’un coup de vent, de la pluie, de la lune pour changer une marée et faire varier la densité de l’eau. Il est donc impossible que les sauniers prévoient quelle sera la densité de l’eau de mer, une demi-heure avant de la puiser.

M. Cogels. - Messieurs, un des grands motifs qui ont guidé les honorables membres qui s’opposent à ce qu’on continue à introduire en franchise de droit l’eau de mer, c’est que la matière imposable doit être atteinte partout où elle se trouve. Ce principe a surtout été soutenu par un honorable député de Louvain et par l’honorable ministre des finances.

Quoique je sois obligé, dans cette circonstance, de combattre non pas le principe, mais son application, je suis charmé de l’avoir entendu professer, parce que cela me fait espérer que lorsque dans un an nous en viendrons à la révision de la loi sur les sucres, ces honorables membres, que j’avais toujours eus pour adversaires, me prêteront leur appui, et que le sucre indigène sera soumis enfin à l’égalité de droits.

Mais, messieurs, il est ici une question qui est douteuse encore, c’est de savoir si l’emploi de l’eau de mer augmente effectivement la quantité de sel raffiné qu’on obtient au raffinage.

Je sais que ce principe est posé dans toutes les pétitions qui s’opposent à la loi, actuellement en vigueur, mais il est combattu par tous les sauniers qui font usage de l’eau de mer, et par des sauniers des mêmes localités qui pourraient en faire usage, mais qui ne le font pas.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette considération, parce qu’elle a été suffisamment développée. Mais il en est une autre sur laquelle je m’appuie principalement, c’est que l’amendement de M. le ministre des finances contient des dispositions dont l’application sera fort difficile.

On a dit, entre autres, que le saunier qui voudra faire emploi de l’eau de mer devra déclarer la densité au moment de la puiser. Mais quels sont les hommes qui se livrent à ce trafic ? Ce sont de petits bateliers d’une ignorance parfaite, qui ne savent pas ce qu’est la densité, ce qu’est un aéromètre, car je suis convaincu que si vous interrogiez a cet égard l’un ou l’autre de ces bateliers, ils répondraient : ma foi, je ne sais ce que vous voulez dire.... Et ces hommes devraient déclarer que la densité est de deux degrés, trois degrés. Cela n’est pas possible. Par conséquent, vous exposerez ces hommes à être constamment en contravention, et cela de la meilleure foi du monde.

Ensuite, il est des localités où il sera impossible de surveiller l’emploi de l’eau de mer. Dans les localités voisines de la mer, il est mille moyens de se procurer l’eau de mer dans sa maison. Lorsqu’on est voisin d’un chenal, on peut fort bien pratiquer des conduits qui vous amènent l’eau de mer. On devrait donc exercer une surveillance de tous les instants dans les établissements où le sel est fabriqué. Ceci est encore impossible. Pourquoi priver certaines localités du petit avantage dont elles jouissent ? Pourquoi vouloir tout égaliser ? C’est impossible.

On a fort bien fait remarquer que, de cette manière, il faudrait aussi égaliser les conditions entre les diverses usines qui se trouveraient dans une position moisis favorable les unes que les autres.

Nous pourrions réclamer à notre tour, nous pourrions dire aux sauniers, des provinces méridionales : laissez-nous au moins la faculté de faire usage du charbon anglais que nous pouvons nous procurer à meilleur marché que la houille de vos provinces.

Vous voyez, messieurs, que les avantages qui résultent de l’emploi de l’eau de mer ne sont pas très considérables ; vous voyez aussi que les recettes que le trésor se procurerait, en l’imposant aux droits modiques proposés par le ministre des finances, ne constitueraient pas une ressource de quelque importance.

Je pense donc qu’il ya lieu de maintenir le statu quo, tout en prenant les mesures nécessaires pour provenir toute espèce de fraude.

M. Rodenbach. - Messieurs, à entendre les derniers orateurs, il semblerait que l’eau de mer ne contient pas de sel. Un honorable député d’Ostende a dit que dans le canal d’Ostende l’eau de mer est mélangée avec l’eau douce, et que cette eau a tout au plus un degré ou un degré et demi.

Un honorable député de Saint-Nicolas a avancé qu’en-deçà de Lillo, l’eau avait la même densité.

Un honorable député d’Anvers vient aussi de dire que cette eau n’a, pour ainsi dire, pas de densité. Eh bien, s’il en est ainsi, pourquoi a-t-on peur d’un droit de dix centimes ? car pour une densité inférieure à deux degrés, on ne paiera que dix centimes.

Messieurs, s’il n’y avait pas un avantage réel à employer l’eau de mer, pourquoi équiperait-on à grands frais des vingt bateaux pour aller à 3 ou 4 lieues chercher de l’eau de mer ? Certes ce ne serait pas pour aller chercher de l’eau sans sel qu’on ferait de pareils frais ; si on y va, c’est que le bénéfice qu’on fait en vaut la peine. Pourquoi établirait-on ces citernes, qui coûtent aussi beaucoup, pour conserver l’eau de mer ? C’est parce qu’elle contient du sel.

Il y a jusqu’à 9 et 10 kil, de sel dans trois hectolitres d’eau de mer, et pour la fabrication de 100 kil. de sel, on emploie trois hectolitres d’eau de mer. Il en résulte que ceux qui emploieront l’eau de mer ne paieront que 16 francs de droit, tandis que les autres en paieront 18.

Voilà une différence de 2 fr., c’est un véritable privilège en violation de l’art. 112 de la constitution.

On a parlé des avantages de la nature ; cela n’est pas soutenable, puisque l’eau de mer contient du sel. Quand on dit que c’est du sel neutre, on se trompe complètement. En France, à Marennes, c’est par l’eau de mer qu’on introduit dans des marais et qu’on laisse évaporer, qu’on obtient du sel. Si vous voulez que ceux qui sont à 10 lieues de la mer puissent soutenir la concurrence avec ceux qui sont à portée de puiser l’eau de mer, il faut l’imposer. L’amendement de M. le ministre est au-dessous de ce qu’il devrait être. On a peut être anéanti déjà quinze à vingt usines dans la Flandre orientale par le libre usage de l’eau de mer. On a dit que sous le gouvernement français on ne payait pas de droit pour l’eau de mer ; il fut cependant un temps où l’on en payait un ; et l’honorable député d’Ostende doit le savoir.

Je prie les honorables collègues qui partagent mon opinion, de jeter un coup d’œil sur la pétition de la ville d’Audenaerde, elle contient peut-être un peu d’exagération, car on y parle de 5 a 6 degrés qu’aurait l’eau de mer, mais ils y trouveront des arguments très solides. Je voterai pour l’art. 5. Si on répond aux arguments que j’ai fait valoir, demain j’en présenterai d’autres.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.