(Moniteur belge n°90, du 31 mars 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.
La séance est ouverte.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse analyse les pétitions suivantes.
« Le sieur Antoine-Charles Jauchin, major au 8ème régiment d’infanterie, né à Paris, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Joseph Huyaux, avocat à Momignies, né à Ohain (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
Le sénat, par un message, informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi sur les sucres.
- Pris pour notification.
« M. Quetelet adresse à la chambre des remerciements pour sa nomination en qualité de membre du jury d’examen pour les sciences. »
- Pris pour notification.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi tendant à ouvrir au département des finances un crédit de 40 mille francs pour assurer l’exécution de la loi sur les sucres qui a été votée hier par le sénat. Je proposerai le renvoi de ce projet à la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget des finances et je le recommanderai à ses délibérations, l’objet étant urgent.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner communication. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres.
M. le ministre des finances (M. Smits) demande le renvoi, comme commission spéciale, à la section centrale qui a examiné le budget des finances.
- Ce renvoi est ordonné.
M. Delehaye. - Messieurs, rien n’est plus pénible que la position des fonctionnaires publics qui voient tous les ans, à l’occasion du budget, mettre leur existence en question. C’est cependant ce qui aura lieu continuellement aussi longtemps que vous n’aurez pas adopté un budget en harmonie avec vos besoins et vos ressources.
L’honorable député de Bruxelles qui hier a prêté un généreux appui au ministre de la guerre, a exprimé des sentiments auxquels chacun de vous a applaudi, il a évoqué les sentiments qui animent l’armée et que nous connaissons tous, mais j’espère que ces sentiments militaires n’auront pas étouffé le sentiment de citoyen, qui doit animer aussi les officiers ; ceux-ci sauront que quand la position de l’Etat le commande, l’intérêt personnel doit s’effacer devant l’intérêt général. D’ailleurs, ils verront dans le discours si bien médité, si éloquemment prononcé hier par l’honorable M. Brabant, que si nous sommes dans la pénible situation de devoir réduire en partie notre armée, nous ne nous y décidons que parce que nous ne pourrions nous en dispenser sans manquer à nos devoirs envers le pays.
On a invoqué à l’appui de l’opinion exprimée par le gouvernement, la position de la Belgique.
On a dit que nous devions défendre notre neutralité.
Je me suis souvent demandé ce que c’était que la neutralité de la Belgique. La réponse à cette question n’a jamais été favorable à la réorganisation d’une force armée. Je persiste à croire que la neutralité a été imposée à la Belgique, non dans son intérêt, mais dans l’intérêt des grandes puissances de l’Europe. Contre qui défendrions-nous la neutralité de la Belgique ? Contre des puissances qui n’ont pas de forces supérieures aux nôtres ? Mais elles ne pourront pas nous déclarer la guerre sans l’assentiment des grandes puissances. Serait-ce contre ces dernières elles-mêmes ? Si nous avons été obligés d’accepter la neutralité, c’est parce que nous n’étions pas en position de lutter contre elles ; alors comment pourrions-nous la défendre si elles voulaient l’attaquer ?
De quelque manière que vous envisagiez la neutralité ou la nationalité, pour ce qui concerne votre armée, vous ne devez consulter que vos ressources. Quelle que soit votre armée, quand les grandes puissances le voudront, quelques milliers d’hommes de plus ou de moins ne pourront pas vous empêcher de subir la loi du plus fort.
On a cité, pour motiver la conservation d’une armée forte, les pays qui se trouvent dans la même position que la Belgique, les Etats neutres de l’Italie et la Suisse, mais on n’a pas cité un seul exemple de pays neutre qui, au moyen de son armée, ait pu prévenir l’envahissement de son territoire.
La Suisse était dans des conditions bien autrement favorables que nous pour défendre sa neutralité, car son armée, qui est continuellement à la solde des puissances étrangères, est toujours aguerrie. Malgré cette brillante situation, elle a dû ouvrir son territoire aux armées alliées en 1813 et 1815. En Italie, lors de l’invasion des armées de la république, y a-t-il un seul état neutre qui ait pu résister à l’armée française ? A quoi leur aurait-il servi de résister ? Une fois la paix faite, ces Etats devaient subir les conditions du plus fort comme nous devrions le faire. Si, dit-on, vous aviez une armée de 60 mille hommes, vous pourriez vous déclarer contre la première puissance qui violerait votre neutralité. Je suppose qu’une guerre éclate et que vous ayez une armée de 80 mille hommes et même de 100 mille hommes. Si cette guerre dure quelque temps, vous épuiserez vos ressources et vous compromettrez votre avenir financier. Mais admettons que par une seule bataille la guerre soit terminée, la paix sera faite, vous devrez subir les conséquences de la force comme aujourd’hui ; et s’il convient aux puissances que la Belgique demeure neutre, elle le demeurerait, qu’elle ait eu une armée pour défendre sa neutralité ou qu’elle n’en ait pas eu.
Si, au contraire, la puissance qui a triomphé trouve que la Belgique a été un obstacle à son triomphe, elle ne maintiendra pas la neutralité, elle en demandera le démembrement peut-être. Quoi que vous fassiez, vous devrez vous soumettre aux convenances des puissances de l’Europe. Ne nous faisons pas illusion, ne nous faisons pas plus grands que nous ne sommes. Examinons notre position comme elle a été faite et voyons si c’est dans une grande armée que nous devrions chercher la sécurité. Si je puis m’exprimer avec une entière franchise, je dirai que, d’après moi, ce que la Belgique a de mieux à faire, c’est de s’effacer, militairement parlant.
Savez-vous ce que pense à cet égard le ministre des affaires étrangères de France ? Il vous le dît dans un discours qu’il a prononcé récemment à la chambre des pairs, et qui a dû détruire les espérances d’union commerciale que conservaient encore quelques membres. « La sécurité de la Belgique, a dit M. Guizot, c’est la paix de l’Europe. »
Dans ce peu de mots, il a résumé notre position. Aussi longtemps que l’Europe sera en paix, la Belgique n’aura rien à craindre ; mais dès qu’une guerre éclatera, à la paix qui la suivra, ce sera l’intérêt des puissances de l’Europe qu’on consultera pour savoir s’il faut conserver la neutralité de la Belgique ; j’irai plus loin, je dirai que l’intérêt de la Belgique est de s’effacer militairement autant que possible. Croyez-vous que si vous n’aviez pas des cadres pour une armée de 80 mille hommes, votre union douanière avec la France effraierait l’Allemagne, et, d’un autre côté, votre accession aux douanes allemandes rencontrerait-elle d’obstacle de la part de la France ? Qu’est-ce que les puissances craignent dans une union de cette nature ? Elles craignent qu’appartenant commercialement à la France ou à l’Allemagne, vous ne puissiez accorder à l’un ou à l’autre de ces pays une trop forte influence militaire.
Je pense que si la Belgique veut agir d’une manière conforme à ses intérêts, ce n’est pas sur une grande armée qu’elle doit fonder ses espérances pour l’avenir, mais en cherchant à s’efface, militairement. Ne pensez pas que si j’émets cette opinion, je sois ennemi de l’armée ; non, autant que qui que ce soit, je prêterai les mains à toute proposition favorable à l’armée. J’ai examiné la loi sur la position des officiers, et j’ai regretté qu’après avoir fait une belle position aux officiers supérieurs, on n’ait pas fait une position analogue aux lieutenants et sous-lieutenants ; j’aurais voulu qu’on ne perdît pas de vue que si on devait faire une bonne position aux officiers supérieurs, on devait aussi améliorer celle des lieutenants et sous-lieutenants qui ont de justes réclamations à faire valoir.
L’arrêté porté par M. Willmar a été une grave atteinte portée aux droits des officiers. Par un arrêté on a diminué le traitement des officiers de la réserve. J’aurais voulu que le gouvernement demandât une allocation pour réparer envers les officiers de la réserve le mal que leur avait fait un arrêté illégal.
Vous le voyez, je ne suis pas l’ennemi de l’armée. Le gouvernement a mal interprété la loi sur les pensions de retraite. Cette loi me paraît avoir fourni les moyens de commettre une injustice flagrante envers les officiers de la révolution.
En 1830 un grand nombre de personnes ne consultant que leur courage et leur amour de la patrie, et dédaignant les dangers personnels, car si le succès ne couronnait pas leurs efforts, la mort ou l’exil devait être leur partage, entrèrent dans l’armée. Plusieurs d’entre eux avaient alors 40 ans, ils continuèrent à en faire partie ; et, aux termes de la loi sur les pensions de retraite, l’officier ayant 55 ans d’âge doit recevoir sa retraite. Voyez quelle injustice il en résulte pour les officiers de la révolution qui sont entrés au service à 40 ans. Quinze ans après ils sont obligés de renoncer à leur nouvelle carrière. La loi n’est pas aussi rigoureuse envers les anciens officiers qui ont cru devoir rester fidèles à leur serment, jusqu’à ce que le roi Guillaume les en eût dégagés, ils sont alors rentrés dans l’armée belge avec l’avancement d’un grade. Leur position était améliorée. Je conçois que ceux-là puissent être mis à la retraite, car ces anciens officiers ont des services plus longs, tandis que les officiers de la révolution sont obligés de se contenter d’une retraite très minime.
Messieurs, les officiers que, par suite de la proposition de la section centrale, on se verrait obligé de mettre à la pension, doivent exciter la sollicitude de chacun de nous. Pour moi, j’ai mûrement réfléchi sur leur position, et je prêterai la main à tout ce qui pourra être proposé dans leur intérêt.
J’ai pensé que la Belgique devait trouver dans ses différentes administrations les moyens de faire une position convenable à ces officiers, de manière qu’aucun ne pût se plaindre des mesures que nous allons prendre.
L’Angleterre, pour conjurer l’orage qui menaçait l’Europe, appela sous les drapeaux tous les hommes en état de porter les armes, et lorsqu’elle eut, avec ses alliés triomphé de la France, elle fut obligé de congédier la plus grande partie de son armée ; en 1815, elle proposa une retraite assez belle à ses officiers, mais en même temps elle leur offrit un capital représentant 6 ou 7 fois la pension à laquelle ils avaient droit. Quelques-uns ont accepté ; tirant parti de leur capital, ils ont embrassé une autre carrière et ont trouvé moyen de se faire un avenir honorable. Pourquoi la Belgique ne pourrait-elle pas imiter cet exemple ?
Pourquoi n’offririons-nous pas aux militaires qui ont droit à une pension annuelle l’occasion d’accepter un capital quelconque, de 5, 6, 7 ou 8 fois si l’on veut le montant de la pension de retraite ? Avec ce capital, beaucoup d’officiers trouveraient les moyens d’embrasser une autre carrière et de s’assurer pour eux et leur famille une existence honnête. Pourquoi n’accepterions-nous pas cette mesure ? Nous avons actuellement le service du chemin de fer qui exige un personnel très considérable, et qui présente plusieurs places honorables et lucratives. Pourquoi n’accorderions-nous pas à ces hommes qui ont offert tout leur sang à la patrie l’occasion de servir encore le pays, pourquoi ne leur donnerait-on pas la préférence sur ceux qui n’ont pas ces antécédents ? Il y a dans cette administration des chemins de fer un grand nombre de places qui conviendraient à ces officiers ; en les y employant, tout en assurant le service, vous obtiendriez de grandes économies et seriez justes envers l’armée.
Messieurs, il y a encore une autre observation à faire. Jusqu’ici on a fait quelque chose pour les officiers, mais jamais, que je sache, on n’a rien fait pour les sous-officiers de l’armée. Pourquoi, quand ils se sont bien comportés ne leur accorderait-on pas une place dans une des stations ? Nous voyons dans les stations beaucoup de commissaires de police, et je doute fort que parmi eux il y ait quelques sous-officiers.
Quelques membres. - Si fait.
M. Delehaye. - S’il y en a, j’en félicite le gouvernement, mais il pourrait y en avoir bien davantage. Un sous-officier qui s’est bien comporté pendant dix ans, qui par sa soumission s’est concilié l’estime de ses chefs, devrait toujours obtenir la préférence.
Messieurs, je ne puis pas finir les observations que j’ai faites sans exprimer à M. le ministre de la guerre mon opinion touchant un grief dangereux que l’on a signalé ; déjà plusieurs membres ont eu l’occasion d’exprimer leur opinion sur le mode que l’on suit pour les adjudications publiques, et je regrette de devoir dire que les adjudications publiques ne sont plus guère en usage. Vous avez été saisis d’une pétition d’un industriel de Gand qui protestait contre un acte du gouvernement, par lequel une fourniture ne lui avait pas été adjugée quoiqu’il fût le soumissionnaire le plus bas. Une adjudication publique a lieu ; vous croyez sans doute que le soumissionnaire le plus bas est préféré ? Pas du tout, c’est le plus souvent l’un ou l’autre des soumissionnaires dont les prix sont le plus élevés qui obtient l’adjudication.
La pétition dont vous avez été saisis, et à laquelle M. le ministre de la guerre a répondu, était relative à une adjudication de vivres faites dans les Flandres ; il s’agissait de la fourniture du froment nécessaire aux boulangeries du royaume, pendant 1843. M. le ministre de la guerre invoque une disposition du cahier des charges, l’article 42 de ce cahier de charges est ainsi conçu :
« Si les prix proposés ne conviennent pas, il sera libre au gouvernement de ne pas accepter les soumissions. »
Cette disposition, tout le monde doit y applaudir, mais quel est le sens qu’on doit lui donner ? Je crois que quand aucun des soumissionnaires n’a présenté des offres assez avantageuses, le ministre peut les annuler, et qu’il doit faire procéder à une adjudication nouvelle ; mais ce n’est pas ce qui a lieu. Plusieurs personnes avaient fait des approvisionnements considérables ; elles avaient cru qu’en soumissionnant à un prix très bas, elles obtiendraient la fourniture du froment ; en effet, quand on eut dépouillé les bulletins, il se trouva que leurs soumissions étaient les plus basses ; mais on annula le tout. Procéda-t-on à une adjudication nouvelle ? Pas du tout ; on fait quelques offres à l’un ou à l’autre des soumissionnaires et on lui adjuge la fourniture ; si la chambre prête les mains à ces actes, il n’y aura plus d’adjudication possible. Je dirai plus, on a si souvent fait des réclamations contre le mode d’agir du gouvernement qu’il est de sa dignité de ne plus accorder aucune fourniture, si ce n’est pas adjudication, et il a mauvaise grâce à invoquer la disposition d’un article qui est précisément contraire à ce qui se fait. Je voudrais que le gouvernement se renfermât strictement dans les devoirs qui lui sont imposés et qu’il n’accordât plus aucune fourniture, qu’en vertu d’adjudication publique.
M. Lebeau. - Les paroles mêmes de l’honorable préopinant prouvent qu’il y a jusqu’ici accord général sur un point : c’est sur la nécessité d’une forte organisation militaire ; cette nécessité, je ne l’ai vu contester par personne ; je puis donc regarder comme acquis ce point du débat qu’il faut maintenir une organisation militaire imposante, et là-dessus, nous sommes d’accord avec l’honorable rapporteur de la section centrale lui-même. Ce n’est donc pas, messieurs, sur la question de savoir si en Belgique on conservera les cadres d’une organisation militaire susceptible de se développer dans une proportion considérable au jour du danger, ce n’est pas sur ce point que la controverse peut porter ; il s’agit de savoir, en partant de ce point, sur lequel il y a accord entre toutes les opinions, si on donnera la préférence à l’organisation présentée par le rapport de la section centrale ou à l’organisation présentée par le ministre de la guerre. Là est toute la question, car je crois que si M. le ministre déclarait pouvoir adhérer aux propositions de la section centrale, le budget serait voté à l’unanimité.
M. de Garcia. - Il n’y a pas de doute.
M. Lebeau. - Si M. le ministre, sans compromettre l’organisation de l’armée et la sécurité du pays, pouvait se rallier à cette proposition, je crois que toute discussion serait superflue, et qu’on voterait unanimement le budget de la guerre.
Messieurs, cet accord sur la nécessité d’une organisation militaire n’a pas toujours existé ; c’est un très heureux revirement d’opinion. Ce n’est pas seulement dans cette chambre que ce revirement d’opinions s’est manifesté ; il s’est produit aussi au dehors, et je me plais à proclamer que la presse, presque tout entière, quelle que soit l’opinion à laquelle elle sert d’organe, la presse, à très peu d’exceptions près, se prononce avec une égale énergie en faveur du maintien d’une force militaire imposante. Je suis heureux de le dire, presque dans le moment même où la presse a été, dans cette enceinte, l’objet d’attaques aussi violentes qu’injustes, elle se montre pénétrée de ce sentiment national, de cet attachement éclairé pour notre indépendance, qui demande que la Belgique reste pourvue d’une bonne organisation militaire.
Si, en effet, messieurs, ce n’est pas une simple question d’organisation qui se débat, une simple question de chiffre, si on ne recule pas devant les conséquences de certaines prémisses qui iraient, à la faveur de la neutralité, jusqu’à contester l’utilité, la nécessité de toute force armée pour la Belgique, ce n’est pas 27 millions, ni même 25 millions qu’il faut donner, il faut simplement accorder au gouvernement la faculté de doubler, de tripler la gendarmerie nationale. Si la nécessité d’une organisation militaire imposante n’est pas reconnue par toutes les opinions dans cette chambre, rien de plus absurde que de voter 27 millions ; c’est beaucoup trop ; il faut, se borner à doubler ou à tripler la gendarmerie nationale pour maintenir l’ordre à l’intérieur. Voilà quelles seraient les conséquences logiques, rigoureuses des prémisses, qu’avec la neutralité belge, une armée est inutile.
J’entends parler de la situation de nos finances, de la situation des budgets de l’Etat ; mais je crois qu’à côté de la sécurité du pays, à côté de la défense nationale, la question de finances est une question secondaire. Que diriez-vous d’un particulier qui, ayant fait bâtir à grands frais une belle maison, dans laquelle il aurait déposé un riche mobilier, hésiterait au moment de faire les dépenses nécessaires pour les portes et pour les serrures ? C’est cependant ici la même chose ; s’il faut que le particulier sache faire la dépense nécessaire pour la sécurité de toutes les richesses que sa maison contient, il en est de même pour une nation. Si le budget ne suffit pas aux besoins de l’armée, le devoir du gouvernement, le devoir des chambres, le devoir du pays, est de le mettre en harmonie avec ces besoins, et non de compromettre l’armée en ravalant ou en maintenant le budget à un chiffre insuffisant.
Messieurs, on vous parle de la neutralité ; il semble, à entendre certains de nos collègues, que cette neutralité nous couvre contre toute éventualité, contre tout danger du dehors. Notre neutralité, pour signifier quelque chose, doit être forte, doit être armée. Naguère encore un ancien ministre français, un homme d’Etat illustre, un de ceux à qui on a prêté quelquefois des idées de conquêtes, disait à un de ses amis : « Si la neutralité belge est sérieuse, si elle est convenablement, énergiquement défendue, l’intérêt militaire de la France n’est plus d’étendre ses frontières au nord : Si la neutralité belge peut être défendue en tout temps de manière qu’une agression quelconque ne puisse y porter aisément atteinte, que cette agression vienne du nord ou vienne du midi, le grand intérêt qu’on pouvait exiger que la France étendît ses limites vers le nord est sauvegardé. Mais pour cela il faut que la neutralité belge soit forte, bien sérieuse, réelle, comme tout le monde l’a proclamé en 1840. »
Mais, dit-on, au cas d une agression de la part d’une grande puissance contre la Belgique, il y aurait une telle inégalité dans la lutte qu’il serait insensé de la soutenir ; pour appuyer cette opinion, on a invoqué le souvenir de ce qui s’est passe en 1839.
Qu’il me soit permis de le dire, messieurs, les éventualités qui peuvent menacer la sécurité de la Belgique n’ont rien qui rappelle les événements de 1839. Ce n’était pas seulement un de nos puissants voisins qui alors menaçait de faire exécuter à main armée le traite arrêté par la conférence, et auquel le Roi des Pays-Bas avait adhéré, c’était l’Europe tout entière ; et il faut des circonstances aussi graves que celles d’une révolution et de la régénération d’un pays pour amener un tel concert de la part de l’Europe entière contre une seule puissance de second ordre.
Mais les éventualités qui peuvent menacer la sécurité du pays, c’est l’agression d’une des grandes puissances. Eh bien contre l’agression d’une des grandes puissances, la neutralité de la Belgique ne serait pas inefficace, si cette neutralité était forte et armée.
D’abord cette neutralité ne serait pas isolée. La défense de cette neutralité peut très bien se combiner, et on vous le disait hier, non sans raison, avec une puissance voisine qui a et qui se reconnaît un immense intérêt, toute son histoire l’atteste, à l’inviolabilité du territoire belge. Evidemment le premier, le plus naturel allié de la Belgique dans le cas de certaines attaques contre son indépendance, c’est la Hollande. Et bien que des alliances formelles nous soient interdites, il y a ce concert qui peut toujours être organisé, surtout à la vue de symptômes qui menaceraient la paix de l’Europe.
N’est-ce rien, messieurs, qu’une telle coalition au jour du danger ? N’est-ce rien que le concours de deux puissances disposant chacune d’un budget de cent millions, chacune d’une armée de cent mille hommes ? Ne serait-ce rien, messieurs, comme mesure conservatoire qu’une pareille fédération, alors que d’autres intérêts également rattachés à l’indépendance de la Belgique ne tarderaient pas à venir confondre des forces plus imposantes avec les forces que nous aurions mises sur pied, d’un commun accord avec nos voisins, nos anciens compatriotes ? Car, messieurs, politiquement et commercialement j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la vraie destinée de la Belgique, les vrais intérêts de sa politique sont de se rapprocher de jour en jour de la Hollande.
Messieurs, il n’y a pas de haines nationales qui tiennent contre un grand intérêt politique. N’avons-nous pas vu l’Espagne elle-même, contre laquelle la Hollande venait de s’insurger, accourir avec empressement au secours de cette même Hollande, lorsqu’elle fut attaquée par les armes de Louis XIV ? Pourquoi, messieurs ? Parce que, je le répète, les haines nationales, les ressentiments nationaux ne tiennent jamais devant un grand intérêt politique, devant la raison d’Etat.
Nous sommes donc, messieurs, je le disais tout à l’heure, nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’une organisation militaire qui puisse se prêter aux développements que réclamerait un grand danger pour le pays. Mais les uns croient que l’on peut satisfaire à ces besoins avec une somme de 27 millions transitoirement et de 25 millions d’une manière permanente ; d’autres soutiennent que les cadres d’une bonne organisation militaire ne peuvent pas nous coûter moins de 30 millions de francs.
On invoque à l’appui de l’opinion qui prétend que 25 millions peuvent suffire à l’entretien d’une bonne armée, d’une armée de 80,000 hommes, un engagement pris par un ancien ministre ; c’est le général Evain dont la compétence ne saurait être récusée par personne, qui, dit-on, a fixé le chiffre normal de l’état de paix à 25 millions.
D’abord, messieurs, nous avons déjà sur la pensée qui a dirigé le général Evain lorsqu’il a fixé à 25 millions le pied de paix, les explications de l’honorable général lui-même, et je crois que personne n’est plus compétent que lui pour expliquer la pensée qui le dirigea alors.
Je dois cependant rappeler les faits tels qu’ils se sont passés. D’après la lettre du général, on serait tenté de croire que c’est seulement dans le budget de 1833 que le chiffre de 25 millions a été posé pour la première fois, et d’après l’explication donnée par l’honorable général, cette somme qui n’était pas l’expression de sa pensée lui aurait été imposée par le conseil des ministres. Je n’ai pas à examiner le caractère des explications données par l’honorable général, mais je tiens à rétablir les faits et à montrer à la chambre de quel conseil des ministres il a vraisemblablement été parlé dans ces explications.
M. de Theux. - Je n’en sais rien.
M. Lebeau. - Nous allons voir.
M. Brabant, rapporteur. - Ainsi l’explication tombe à faux ; elle manque de base.
M. Lebeau. - Je ne crois pas. Laissez-moi m’expliquer. Voici ce qui s’est passé. J’ai eu sous les yeux encore ce matin le budget de la guerre, rédigé par M. Charles de Brouckere pour 1832. Ce budget est signé à la date du 23 novembre 1831 ; il est présenté comme pied de paix ; son chiffre est de 11,800,000 florins, ou de 25 millions de francs.
Je crois que nous sommes d’accord, sur ce fait avec l’honorable rapporteur de la section centrale.
M. Brabant, rapporteur. - Oui, monsieur.
M. Lebeau. - Ainsi, messieurs, ce n’est pas dans le budget de 1833, que s’est fait jour pour la première fois, la pensée de fixer le pied de paix à 25 millions, pensée qu’explique aujourd’hui la lettre insérée dans le Moniteur et signée par M. le général Evain.
Je tenais beaucoup à rectifier ce fait, afin que, d’après la manière dont on envisagerait les explications données par l’honorable général, on sût à quelle époque elles se rapportent et à quel conseil des ministres il faut attribuer la pensée première du chiffre de 25 millions.
Le budget de 1833 a été signé, je le reconnais, par M. le général Evain qui, on ne l’ignore pas, avait aussi rédigé le budget de 1832 présenté par M. de Brouckere. Il consacre également le chiffre de 25 millions. Mais l’antécédent était posé ; il était impossible, dans l’ordre des idées exprimées par l’honorable général, de détruire l’antécédent qui avait été posé. Il fallait nécessairement maintenir au budget une somme de 25 millions. Quant à l’intention qui avait dicté ce chiffre, telle qu’elle a été déterminée par le général Evain, je n’ai pas, quant à moi, à dire là-dessus mon opinion. Je me borne à protester que jamais, comme ministre à la fin de 1832, cette pensée ne fût la mienne.
Du reste ce n’est pas 25 millions que l’on veut accorder aujourd’hui au département de la guerre ; c’est 27 millions, c’est-à-dire 3 millions à peu près de moins que ne demande le ministre actuel. En faisant cette réduction très considérable, M. le rapporteur de la section centrale, il est vrai, a bien soin de dire qu’il n’entend porter aucune atteinte à la liberté d’action du chef du département de la guerre ; c’est-à-dire que la section centrale dit à M. le ministre : Nous voulons vous faire subir une amputation, mais nous vous laissons le choix du membre qu’il faudra sacrifier. (On rit.) M. le ministre de la guerre, qui avec raison ne veut pas souffrir d’amputation, résiste, et avec une fermeté que je voudrais voir plus souvent au banc ministériel, il maintient toutes ses propositions.
Il est évident, messieurs, on ne peut le nier, que sous chacun des chiffres proposés se cache un projet d’organisation. L’honorable rapporteur de la section centrale ne le niera pas, car le budget, tel qu’il est présenté, est une véritable organisation.
M. Brabant, rapporteur. - On vous dit pourquoi il est présenté.
M. Lebeau. - Je ne vous fais pas de reproche. Je ne suis pas injuste envers l’honorable M. Brabant ; je ne décline pas sa compétence ; je comprends très bien qu’un homme d’esprit qui s’occupe pendant dix ou douze ans d’une spécialité, peut avoir sur la matière des connaissances auxquelles je suis très disposé à rendre hommage ; et si je n’avais que mon opinion à mettre à côté de celle de l’honorable M. Brabant, je voterais avec empressement pour son système. Mais à côté de l’opinion de l’honorable rapporteur, je vois non seulement l’opinion de M. le ministre de la guerre, qui déjà me jetterait dans le doute, mais l’opinion d’une commission tout entière, composée de nos vétérans, des hommes les plus capables d’émettre, sur ces graves questions, un avis avec pleine connaissance de cause.
La commission consultée par M. le ministre de la guerre, qui n’a aucun intérêt dans la question, car elle ne l’atteint pas, a été unanime, pour soutenir qu’au-dessous du chiffre approximatif de 30 millions une organisation convenable est impossible.
M. Brabant, rapporteur. - C’est une erreur.
M. Lebeau. - Je dois croire que tel est le sentiment de la commission, puisque M. le ministre de la guerre, à la franchise duquel je rends hommages, s’est appuyé dans les explications distribuées à la chambre et dans son discours, tel qu’il a paru ce matin dans le Moniteur, sur l’opinion de cette commission et notamment sur celle de M. le général Evain.
Qu’on ne dise pas, messieurs, que l’impartialité de cette commission aurait pu se ressentir d’une sollicitude toute naturelle pour les officiers au nombre de plus de 1,000, qu’une organisation différente mettrait en disponibilité. Le sort de ces officiers, au dire même de M. le rapporteur, ne peut nullement préoccuper ni le ministre de la guerre, ni la commission des généraux, puisque le sort que veut leur faire le budget proposé par la section centrale est tellement attrayant, au dire du rapporteur de cette section, qu’il serait à craindre (supposition qui ne les flattera guère), qu’on ne pût même conserver dans nos cadres le nombre d’officiers nécessaire, si la chambre sanctionnait les offres qu’on leur fait.
Je dirai, messieurs, en parlant du sort de ces officiers, que dans cette question, bien que je leur porte une vive sollicitude, leur intérêt et leurs convenances sont ce qui me préoccupe le moins. La question n’est pas de savoir s’il convient aux intérêts on aux caprices de telle ou telle partie de l’armée, qu’on multiplie les disponibilités au lieu de retenir les officiers sous les drapeaux, supposition qu’au surplus je repousse comme peu honorable pour l’esprit de notre armée ; la question est de savoir si l’on peut accorder ces disponibilités, si plus de 1,000 officiers peuvent sortir des rangs de l’armée sans compromettre notre organisation militaire. Là est pour moi toute la question.
Un homme qui a toujours été regardé comme l’économie incarnée, feu mon collègue, le général Buzen, a été mis à même par un des actes législatifs qui peuvent le plus honorer un ministre, a été mis à même d’étudier tous les moyens d’arriver à une organisation économique. Les chambres lui ont voté un chiffre global de 31 millions de francs comme budget de 1840. Eh bien, messieurs, si jamais un ministre a été convié à faire des économies, si jamais on a intéressé l’amour-propre, l’honneur même d’un ministre à la question des économies, c’est certainement lorsqu’on a voté une somme de 31 millions, sans aucune espèce de spécification, et dont la dépense devait être faite sous la seule responsabilité du ministre de la guerre. Eh bien, messieurs, ce même ministre, en 1841, est venu demander à la chambre un budget de près de 30 millions.
Ainsi je n’ai pas seulement l’opinion de M. le ministre de la guerre d’aujourd’hui ; je n’ai pas seulement l’opinion de la commission des généraux, j’ai en outre l’opinion du général Buzen qui, je le répète, a toujours passé pour l’économie incarnée. En présence de pareilles autorités, quel que soit le respect que je porte aux lumières de M. le rapporteur de la section centrale, j’avoue que j’aime mieux m’en rapporter aux hommes du métier, tous d’accord contre lui.
M. le général de Liem, que personne n’accuse de prodigalité, contre lequel j’ai même entendu formuler de temps en temps des réclamations assez vives du chef de retranchements, soit de rations, soit de tout autre chose, M. le général de Liem est arrivé avec un budget de 30 millions ; il a dû croire par la sanction que le budget avait reçu en 1842, que la liste civile de l’armée était définitivement votée et il a dés lors proposé, pour 1843, le chiffre qui avait été voté pour l’année antérieure.
« Mais, dit-on, ce qui rend le budget de 1843 un acte beaucoup plus compromettant, beaucoup plus grave que le vote du budget de 1842, c’est que dans l’opinion de M. le ministre, le budget de 1843 est un budget normal et permanent, un budget définitif, qui enchaîne à tout jamais la législature. Si ce budget, ajoute-t-on, était arrivé après une organisation qui serait l’œuvre de la loi, oh, alors, nous voterions sans difficulté et comme mesure d’application, les chiffres résultant de cette organisation. » Messieurs, c’est une très grave question que celle de savoir si le ministre a raison, en soutenant qu’il faut organiser l’armée par arrêté royal, sans blesser les dispositions de l’art 139 de la constitution. J’ai écouté avec attention ce qui a été dit à cet égard par plusieurs de nos honorables collègues ; j’ai lu ce que l’honorable rapporteur de la section centrale a écrit sur ce point, et j’avoue que dans la séance d’hier l’honorable M. Lys a encore présenté des arguments très forts contre l’opinion qui avait été soutenue d’abord par M. le ministre de la guerre ; mais cet honorable ministre a déclaré hier, qu’il n’entend en aucune façon que le vote du budget préjuge la question de légalité. J’ai pris acte, comme vous l’aurez tous fait sans doute, des paroles très explicites que M. le ministre a prononcées, à cet égard, dans la séance d’hier.
Je crois, messieurs, qu’il y a de très fortes raisons à donner en faveur d’un système analogue à celui qui a prévalu en France. Je crois qu’en fait, il n’y a pas grand danger, tant qu’on reste sur le pied de paix, à ce que les cadres des officiers généraux soient fixés par la loi. En France, une loi de 1839 a, en effet, fixé le nombre des maréchaux de France, le nombre des lieutenants-généraux, le nombre des maréchaux de camp ; et pour la marine, le nombre des amiraux et des vice-amiraux. Je n’ai pas la loi sous les yeux et je ne sais pas si elle est descendue dans d’autres détails. Quoique qu’il en soit, je crois que l’on peut très bien soutenir, en droit, que de semblables dispositions peuvent et doivent être prises chez nous, comme je crois que l’on peut très bien soutenir l’opinion contraire. Je crois en outre, qu’en fait, tant qu’on reste sur le pied de paix, le système de la fixation légale des cadres est sans inconvénients et sans danger.
Mais voici où est l’objection sérieuse pour les hommes pratiques, pour le législateur : c’est dans le passage du pied de paix au pied de guerre. Remarquez, qu’entre le pied de paix et le pied de guerre, il y a une situation intermédiaire, dont vous pouvez facilement vous faire une idée, si vous voulez reporter vos souvenirs à une époque toute récente : vers le milieu de l’année 1840, des symptômes de guerre générale ont apparu, on ne peut le nier ; l’Europe entière en a été émue. Eh bien, messieurs, dans un moment semblable, si le gouvernement était inévitablement, inexorablement renfermé dans des limites qu’il ne pourrait franchir, même sous sa responsabilité, il y aurait là un véritable danger, car il ne faut pas se mettre en mesure de passer du pied de paix au pied de guerre, alors les hostilités sont commencées ; pour passer du pied de paix au pied de guerre, il faut beaucoup de mesures, beaucoup de dépenses qui doivent être faites avec prudence, quelquefois avec mystère et par conséquent sans le concours des chambres, qui, d’ailleurs, pourraient ne pas être réunies. Voilà, messieurs, l’objection. Du reste, la déclaration faite par M. le ministre de la guerre, qu’il n’entend en aucune façon la déduire de l’acceptation du budget, solution de la question de légalité dans son sens, cette déclaration rend la question beaucoup moins importante. Je ne m’y arrêterai pas plus longtemps.
La cause principale, donc, de la différence qu’il y a entre l’appréciation des besoins de l’armée sur le pied de paix, par la section centrale et l’appréciation des mêmes besoins par M. le ministre de la guerre, cette différence vient de ce que le ministre veut maintenir pour le pied de paix à peu près tous les cadres dont il aurait besoin si l’armée était mise sur le pied de guerre, non seulement les officiers mais encore les sous-officiers. On nous a cité des autorités pour et contre ce système ; l’honorable M. Brabant nous a cité l’opinion du marquis de Caraman, l’opinion du général Lamarque. Mais l’opinion du général Lamarque a été combattue par une des plus grandes autorités en fait d’organisation militaire, par le maréchal Soult. L’illustre maréchal avait d’ailleurs pour moi un très grand avantage, c’est qu’il était ministre, chargé d’une immense responsabilité non seulement devant les chambres quant à la question d’économie, mais devant le pays quant à la question de sûreté. J’avoue que, sans méconnaître ce qu’il peut y avoir de lumières dans l’opposition, qui critique, je fais, en règle générale plus de cas de l’opinion du pouvoir qui a la responsabilité et le maniement des affaires ; je le déclare franchement, c’est là mon opinion, ce fut toujours mon opinion.
Nous avons de plus, messieurs, l’opinion bien autrement imposante de l’empereur et l’opinion du général Jomini, une de plus grandes autorités que l’on puisse opposer à celle de MM. Caraman et Lamarque.
Il y a d’ailleurs cette différence à opposer à l’opinion de l’honorable M. Brabant, qu’en France la réduction du pied de guerre au pied de paix doit être d’autant plus forte que dans ce pays l’armée est organisée dans un système agressif, tandis que notre système doit être essentiellement défensif. A. mon avis, cela établit une différence beaucoup moindre entre le pied de paix et le pied de guerre, puisque dans la fixation des cadres on a déjà tenu compte du système défensif auquel nous sommes condamnés. Quoi qu’il en soit, messieurs, je ne m’aventurerai pas davantage sur ce terrain plus ou moins glissant pour moi et sur lequel, je l’avoue, si j’étais seul, j’hésiterais à me mesurer avec l’honorable rapporteur de la section centrale.
Messieurs, pour les dépenses de l’Etat et surtout pour celles qui sont relatives à la défense du pays, je désire, je l’avoue, que l’initiative des réformes vienne du gouvernement. Je crois que lui seul est assez bien placé pour savoir au juste quelles sont les réformes auxquelles il peut consentir sans danger. Introduire brusquement des réductions considérables dans le budget de la guerre, proposer, par exemple, de retrancher près de trois millions d’un budget d’environ trente millions, c’est, je pense, marcher un peu à l’aventure. En effet, vous êtes forcés, par exemple, de proposer la suppression des camps. J’avais cru jusqu’ici qu’à défaut, pour l’armée belge, de pouvoir, comme l’armée française, conserver les habitudes et les traditions militaires dans une campagne quelconque, le seul moyen qu’elle eût de s’exercer, de faire preuve, publiquement de ses progrès, c’étaient les manœuvres des camps. Je vous avoue que j’ai cherché vainement les motifs qui peuvent faire demander la suppression de cette institution qui a toujours été regardée comme éminemment utile pour l’instruction et les progrès de l’armée.
Les camps sont conservés en France, bien que la France puisse faire exercer en Afrique son armée tout entière, en remplaçant successivement certaines divisions par certaines autres.
Vous savez, messieurs, quel prix on attache en Prusse aux manœuvres ; elles sont présidées par le roi lui-même, et elles sont un objet d’instruction, non seulement pour la Prusse, mais pour toutes les nations qui ont une armée et qui y envoient des députations. Nous-mêmes y avons envoyé des officiers généraux.
Je dis qu’on marche à l’aventure, quand on propose de semblables réductions. Je viens d’en donner une preuve. En voici un second exemple, c’est la suppression des lieutenants-colonels en masse.
Je ne sais pas s’il existe une seule armée au monde qui n’ait pas de lieutenants-colonels. A coup sûr on ne voit rien de semblable ni en France ni en Prusse, et ce sont parmi nos voisins les nations dont l’organisation militaire peut être prise de préférence pour modèle.
Il a plus, c’est que ces lieutenants-colonels que l’honorable rapporteur de la section centrale propose tout simplement de supprimer, ont vu leur existence consacrée par la loi sur l’avancement, loi à laquelle l’honorable M. Brabant a, je dois, concouru. (Dénégation.) S’il n’y a pas concouru, c’est une erreur de fait sur laquelle nous n’avons pas besoin de nous arrêter.
M. le ministre de la guerre a déjà rendu la tâche des défenseurs du budget assez facile, en prouvant par des comparaisons que la Belgique, en consacrant 30 millions au maintien d’une organisation militaire, ne fait pas acte de prodigalité.
Ainsi le projet de budget de 1844 et 1845, pour les Pays-Bas, s’élève à 12,975,000 florins, soit 27,400,000 fr. ; le budget de la marine pour chacune des deux mêmes années s’élève à 5 millions 756,000 florins, soit à peu près 12 millions de francs. Ainsi, le royaume des Pays-Bas, réduit comme il l’est, par le traité de 1839, ayant une population bien inférieure à celle de la Belgique, ayant une situation topographique, sous le rapport militaire, bien plus avantageuse que la nôtre ; le royaume des Pays-Bas, dis-je, consacre 40 millions à la défense de son indépendance, de sa nationalité.
L’honorable rapporteur de la section centrale avait dit que l’organisation, telle que voulait la maintenir M. le ministre de la guerre, n’établissait qu’une différence de 83 entre le nombre d’officiers tel qu’il existait sous l’ancien royaume des Pays-Bas, et le nombre conservé par le budget actuel. Eh bien, si j’en crois les renseignements qui nous ont été donnés par M. le ministre de la guerre dans un travail distribué ce matin, je trouve, (non que l’honorable rapporteur ait voulu sciemment induire les chambres en erreur, il en est incapable), je trouve, dis-je, qu’il y a une différence, non de 83, mais de près de 600 officiers entre le chiffre de l’ancien royaume des Pays-Bas et le chiffre de l’armée belge, telle que veut la conserver M. le ministre de la guerre.
Messieurs, on vous a fait voir aussi, par la comparaison des pays dont la population se rapproche le plus de celle de la Belgique, avec quelle économie notre budget de la guerre est établi. Ainsi, la Sardaigne, qui a une population de 4,400,000 habitants, qui a une situation géographique bien supérieure à celle de la Belgique, sous le rapport de la défense du pays ; qui a une de ces vieilles nationalités que personne ne conteste ni ne convoite ; la Sardaigne a un budget de 31,500,000 fr. pour 34,000 hommes, chiffre du pied de paix. La Bavière, qui a une population de 4 millions d’habitants, qui a 22 mille hommes sur le pied de paix, a un budget de 28 millions, si mes renseignements sont exacts, Je sais bien que, quant aux Etats de l’Allemagne, le chiffre nominal des budgets de la guerre est inférieur aux sommes que nous en extrayons, et que, par exemple, pour la Bavière, c’est beaucoup moins de 28 millions qui figure dans le budget ; mais en réalité, c’est bien 28 millions de francs qu’il coûte, par rapport à nous, si l’on a égard au prix de l’argent, établi, comme il doit l’être, par le prix des céréales ; l’argent ayant en Bavière une valeur bien supérieure à celle qu’il a en Belgique. Je n’ai pas besoin de vous répéter, messieurs, ce qui vous a été dit sur les excellentes frontières de la Sardaigne, sur son antique nationalité, sur son organisation militaire si respectable ; je n’ai pas besoin de dire non plus que l’indépendance de la Bavière est sous la sauvegarde de la confédération germanique tout entière. Si maintenant nous nous comparons à la France, si même nous adoptons la proportion établie par l’honorable rapporteur de la section centrale, la proportion d’un huitième, nous arrivons à des résultats qui prouvent encore que le budget de la guerre, tel que le défend M. le ministre, est loin d’être établi avec prodigalité.
La France, qui a de bien meilleures frontières que tous, la France qui est environnée par la Méditerranée et l’Océan, la France qui est protégée par les Pyrénées, à l’Est par les Vosges et le Rhin, qui n’a pour ainsi dire que sa frontière du Nord et une partie de celle de l’Est à défendre ; la France compte sur le pied de paix, d’après les derniers budgets, un chiffre de 344,000 hommes, dont il faut déduire 38,000 hommes pour l’Algérie ; reste 306,000 hommes sur le pied de paix. Le huitième de ce chiffre est de 58,000 hommes ; or, c’est 55,000 hommes seulement que M. le ministre a demandé à conserver sur le pied de paix.
Maintenant, si vous comparez, non seulement le nombre des hommes, mais, ce qui est surtout important pour nous législateurs, défenseurs des contribuables, la dépense, vous verrez que sous ce rapport encore nous restons au-dessous du huitième du pied de paix français.
La dépense du pied de paix français, si mes renseignements sont exacts, est de 248 millions de francs, non compris les frais de l’armée d’occupation de l’Algérie. Le huitième de 248 millions de fr. est de plus de 30 millions. Ainsi le seul avantage qui reste à l’honorable rapporteur c’est une certaine différence entre le nombre des officiers de l’armée française sur le pied de paix, réduit au huitième pour la Belgique, et le nombre des officiers de l’armée belge. Mais il va de soi que, dans un petit Etat, les frais généraux, les frais des administrations, les frais des états-majors ne peuvent subir la réduction que peut subir le chiffre des sous-officiers et des soldats. Il est parfaitement inutile d’insister sur ce point ; c’est là une vérité palpable.
Maintenant si nous calculons ce que coûte le soldat en Belgique, nous trouverons que ce chiffre est le plus favorable de presque tous les Etats de l’Europe, avec lesquels on peut établir des comparaisons. Ainsi, toujours, bien entendu, si mes renseignements sont exacts, la Belgique tenant tant en officiers qu’en soldats 35,000 hommes sur le pied de paix, et demandant pour leur entretien 29,500,000 francs, paie 842,000 fr. par mille hommes, tandis que la Prusse paie 900,000 fr., et la France un million par mille hommes. La Bavière paie jusqu’à 1,200,000 francs. Donc, encore ici, sous le rapport de la dépense qu’occasionnent les hommes, la Belgique peut soutenir avantageusement la comparaison avec presque tous les Etats qui entretiennent des armées.
Messieurs, j’aurais encore beaucoup de choses à dire sur ce point, mais je laisserai parler des hommes plus compétents pour combattre le discours de l’honorable rapporteur, que je regrette de n’avoir pas vu dans le Moniteur de ce matin.
Je termine ces observations par les considérations que j’ai exposées en commençant.
Si la Belgique ne veut pas se livrer tout entière au hasard des événements, si elle ne veut pas jouer peut-être sur un seul coup de dé son indépendance et toutes les conquêtes qu’elle a faites depuis qu’elle travaille paisiblement et si heureusement à sa civilisation, à ses progrès moraux et matériels, je dis qu’il lui faut maintenir une organisation militaire imposante ; je dis qu’entre l’opinion de l’honorable rapporteur de la section centrale et l’opinion des vétérans de notre armée, ainsi que de tous les ministres qui se sont succédé à ce banc, il ne m’est pas permis d’hésiter un seul instant ; quelles que soient les lumières de l’honorable rapporteur de la section centrale, quel que soit son dévouement si éclairé au pays, et je ne l’ai jamais mis en doute, je préfère m’en rapporter aux hommes du métier, et surtout à l’avis de ceux qui ont la responsabilité des affaires, devant leur conscience, et devant leur pays.
M. Osy. - Messieurs, j’étais venu en section avec la ferme résolution de provoquer des économies au budget de la guerre, si on ne me donnait pas de très bonnes raisons sur son impossibilité, décidé de ne pas désorganiser l’armée et ayant soin de tous les droits acquis.
J’ai eu le bonheur de me trouver en section avec l’honorable M. Brabant, et mes idées d’économies se sont entièrement fortifiées ; et depuis le rapport de la section centrale et le discours si clair et si bien étudié de notre rapporteur, je suis persuadé que les économies proposées peuvent et doivent se faire sans diminuer l’armée, et nous ne faisons tort à personne, tout étant bien prévu.
Ainsi on a eu tort de dire que le rapport était fait par un industriel ; pour moi, je dirai qu’il est fait par un honorable membre qui a parfaitement étudié la question et qui doit avoir fait bien des recherches consciencieuses, et, pour ma part, je lui dois de sincères remerciements, pour nous, qui ne sommes pas militaires, de nous avoir mis à même de porter un jugement impartial et de pouvoir voter avec confiance et sans la moindre prévention.
Certainement rien n’est plus irrégulier que vouloir organiser l’armée par arrêtés et de perdre entièrement de vue ou d’expliquer d’une manière inexacte l’art. 139, § 10 de la constitution, preuve que chaque ministre, venu au pouvoir depuis 1831, a eu ses principes d’organisation et que nous avons vu à chaque instant des arrêtes pour désorganiser et réorganiser avec de nouveaux principes.
Nous devons exiger, pour la session prochaine, un projet de loi en vertu de la constitution pour tout le service, et je suis très décidé, par la suite, de voter contre les budgets de la guerre si finalement on ne fait pas droit à nos justes exigences et à celles plusieurs fois manifestées dans une autre enceinte.
Pour moi, si nous n’avions pas déjà trois mois d’écoulés de l’exercice 1843, je préférerais voter en détail le budget de la section centrale, mais au moins en votant maintenant une somme globale de vingt-sept millions, y compris la somme de 1,155,000 francs pour les officiers mis en non-activité avec deux tiers de traitement, je suis décidé à refuser toute somme qu’on pourrait nous demander comme supplément ; nous devons vouloir que le gouvernement entre dans les économies si clairement et judicieusement développées par l’honorable M. Brabant.
Pour moi, je suis persuadé que si nous le voulions, le budget de la guerre pourrait être porté à 25 millions par la suite et comme budget normal en temps de paix.
Je veux prendre au sérieux notre neutralité imposée par les traités et ne voudrais avoir qu’une armée bien organisée pour la tranquillité du pays et des cadres pour une armée de 50,000 hommes pour défendre notre neutralité dans le cas bien improbable de guerre, toutes les puissances étant intéressées à nous faire garder notre position politique assignée, et ce sera le plus grand gage de la paix générale.
Si jamais nous avons des difficultés avec nos voisins du Nord, on ne vous permettra pas d’avoir recours aux armes ; nous l’avons vu par expérience depuis 1830, et les cinq puissances trouveront bien moyen d’arranger nos différends dans leur conférence, et les protocoles feront plus que les bombes et boulets ; nous ne devons avoir aucune inquiétude de ce côté, d’autant plus que notre grand-livre de la dette publique, par l’inscription de 400,000 florins de rente, est encore pour nous un grand auxiliaire. En outre, le traité du 5 novembre 1842 prouve à l’évidence que les Pays-Bas veulent vivre avec nous en bonne amitié et tout étant loyalement prévu et réglé, je suis persuadé que nous n’aurons pas de différends avec nos anciens frères.
Nos autres voisins sont trop puissants pour que nous ayons jamais de démêlés avec eux, et personne n’oserait nous toucher sans déchirer les traités et voir autour de nous la guerre générale ; et dans ce cas nous serons impuissants et ce ne sera pas une armée de 50 ou 80.000 hommes sur pied, qui pourra empêcher qu’on ne nous dicte la loi. Mais toutes les puissances ont eu assez des guerres de la république et de l’empire, pour ne plus voir de sitôt des guerres de conquête, et s’il arrivait des événements graves dans un pays voisin, toutes les puissances ont tellement pris leurs précautions et organisé leurs armées, que l’on saurait bien, sans nous, faire respecter les traités.
D’après cela, il ne nous faut qu’une armée pour la tranquillité du pays, et notre chemin de fer est déjà une très grande force, et s’il arrivait des troubles dans l’une ou l’autre partie du pays, dans la journée même, nous pouvons avoir des forces où nous voulons. Il ne nous faut donc qu’une bonne infanterie et par la suite nous devons encore diminuer nos armes spéciales, comme cavalerie, artillerie, génie et même les cadres. Je suis persuadé qu’avec de la bonne volonté par la suite, nous devons venir à un budget de 25 millions, y compris les pensions militaires, car jusqu’à présent, en votant un budget de 29 1/2 millions, la guerre vous coûte 31 1/2 millions, les pensions se montant à 2 millions sont payées par le budget des finances.
Ainsi, les Pays-Bas n’ont qu’un budget de 12,900,000 fl., y compris les pensions se montant à fl. 1,590,000, ainsi seulement fl. 11,300,000. Et ainsi, avec de la bonne volonté et avec de la fermeté des chambres, nous devons également arriver à un budget pareil, mais pour commencer nous devons exiger une organisation par une loi en vertu de la constitution.
Je regrette que M. le ministre de la guerre nous ait déclaré hier, comme il l’a déjà fait, au sein de la section centrale, qu’il ne pourrait pas accepter de budget réduit, parce qu’il m’inspire beaucoup de confiance et que tous ses antécédents nous donne l’assurance d’une administration économique ; mais n’étant pas d’accord avec lui sur les principes d’organisation, je dois à regret lui refuser les sommes demandées, et comme je suis persuadé qu’il y a des militaires qui partagent notre manière de voir, je ne crains pas de désorganiser.
Je devrai cependant faire quelques reproches à M. le ministre, c’est sa grande facilité de mettre à la pension des militaires encore très valides et faire trop de promotions, les pensions militaires de 1843 sont augmentées de près de 50,000 fr. et sans calculer les extinctions.
En outre il paraît que presque tous les avancements se sont faits depuis quelque temps dans une arme spéciale et que le reste de l’armée a de véritables raisons de mécontentement.
Je crois aussi que par la suite nous devons nous borner à avoir 8 lieutenants-généraux et 18 généraux-majors en activité ; car, si je suis bien informé, nous n’avons maintenant que 9 lieutenants-généraux et 19 généraux-majors ; ainsi, avec cette réforme il ne sera pas très difficile de venir à l’économie que je propose.
Je demanderai aussi à M. le ministre si on a bien soin de faire les approvisionnements pour les boulangeries, par adjudication publique, et de grains bons et sains, car on parle d’achats de grains faits sous main, et qui doivent revenir assez chers. Et comme il nous est arrivé beaucoup de grain très inférieur en qualité et qui s’est vendu 77 et 78, tandis que le grain du pays vaut encore 7 et 8 fl. courants de Brabant par hectolitre. Il faut avoir bien soin que les fournisseurs ne puissent pas faire un mélange des mauvais grains de la Méditerranée.
Car si je suis bien informé, l’administration de la guerre exige seulement du froment du poids de 77 à 78, tandis que le froment du pays pèse au moins 81 à 82, de manière que si le ministre paie 10 fl., les fournisseurs pourront mélanger avec des grains légers étrangers, et faire ainsi un très grand bénéfice, et nos braves soldats mangeraient du mauvais pain, lorsque nous l’aurions payé très cher. Je prie M. le ministre de prendre ces observations en mûre considération, car tout en voulant faire des économies, nous voulons soigner pour le bien-être de l’armée.
Hier, en parlant de Lillo, j’ai fait une interpellation à M. le ministre de la guerre, mais il s’est abstenu de me répondre, parce que son collègue de l’intérieur avait pris la parole, mais je vais lui renouveler ma demande.
Est-il vrai que, d’après les rapports qu’il a reçus, il faut absolument endiguer le polder de Lillo cette année, ou faute de quoi, déplacer le fort qui ne pourra plus être défendu, parce que les atterrissements seraient devenues tellement considérables, que les terres autour du fort ne seraient plus inondables, au moyen des écluses, et qu’ainsi ce fort aurait perdu son principal système de défense.
Je désire avoir une réponse claire et formelle, parce que si je suis bien instruit, le ministre de la guerre doit en avoir écrit dans ce sens à son collègue des travaux publics, et ainsi tous les maux et dépenses seront seuls sous la responsabilité de M. le ministre des travaux publies et son silence depuis trois mois, quoique je ne fais que lui en parler, tant par mes interpellations que par nos sollicitudes avec les autorités, est plus qu’étrange et me prouve, surtout d’après les paroles d’hier de M. Nothomb, qu’il n’a pas de volonté et que nous n’avons qu’un seul ministre qui veut tout diriger pour conserver sa majorité mixte et qui ne veut pas permettre la présentation de lois justes et équitables, de crainte d’échec, quand il n’a pas pu bien calculer d’où vient le vent.
Dans toutes les graves circonstances depuis deux ans, la conduite de M. Nothomb a été de même, je me suis tu longtemps, mais aujourd’hui je dis toute ma pensée. Je conviens qu’il a un talent et activité extraordinaire, mais ce qu’il lui manque c’est de la franchise, quoique tous les moyens parlementaires soient bons pour réussir.
Il s’est vanté dans nos dernières discussions d’avoir fini de graves et d’énormes questions : Les indemnités. Mais voyons comment.
Il avait encouragé mon honorable collègue M. Cogels et moi de présenter une demande de 20 millions en 3 p. c. Dès la première séance, il a parlé de 14 millions. Craignant que la majorité ne souffrît pas ces 14 millions, il est descendu ensuite à 8 millions également en 3 p.c., de manière que toutes les victimes de la guerre n’obtiendront pas 25 p. c. et encore beaucoup de catégories éloignées.
La ville de Bruxelles. La convention était faite pour 400,000 fr. de rente, M. Nothomb voyant que cela ne pouvait réussir, fait de suite tomber un quart, et on se vante d’avoir fini cette grave question. Pour les sucres, on voulait l’abolition de l’industrie indigène avec indemnité ; on ne réussit pas et on fait et accepte une loi qui mécontente les deux industries et tout le monde dans les deux chambres convient que c’est une loi d’essai. Mais le ministère a gagné du temps.
La convention avec la France ; pour soulager une industrie, on ne trouve pas d’autre moyen que d’imposer un sacrifice d’un million au trésor ; l’industrie linière n’est guère soulagée et je demanderai au ministère s’il a même réclamé contre l’ordonnance royale qui défend de prendre des toiles étrangères pour la fourniture de l’année et des hôpitaux et qui mécontente au plus haut degré les deux Flandres.
Depuis deux ans nous réclamons protection pour nos industries et on nous ferme toujours la bouche en disant qu’il ne faut rien faire pendant les négociations ; le pays se flatte d’obtenir des soulagements, et pour toute réponse, nous avons le discours de M. Guizot à la chambre des pairs, qui est le démenti le plus formel contre tout ce qu’on a dit pendant deux sessions. Cette question est trop grave pour ne pas nous en occuper avant notre ajournement, et après le budget de la guerre, nous demanderons compte au ministère de l’affront que la Belgique vient de recevoir.
Depuis deux ans, nous demandons avec instance la discussion de notre système commercial, toujours M. Nothomb a des raisons pour la reculer, et voilà la session finie sans qu’on en ait parlé. On nous propose un projet de loi pour les droits d’entrée, le rapport est fait depuis deux mois, mais le trésor qui a des besoins, est négligé parce qu’il vaut encore mieux laisser le trésor à sec et manger les capitaux, que de s’exposer à voir entamer le système commercial qui est connexe avec le projet des droits d’entrée, parce que l’honorable ministre de l’intérieur n’est pas sûre de sa majorité.
Vous voyez donc que depuis deux ans les retards, les sacrifices n’ont pas coûté au ministère pour réussir, et que j’ai raison de dire le chef est habile mais n’est pas franc.
Je sais que je m’écarte de la loi en discussion, mais l’occasion des budgets on peut dire toute sa pensée au gouvernement.
Maintenant, M. le ministre de la guerre nous a dit formellement qu’il ne pourrait rien réduire de son budget, mais je m’attends, avant la fin de la discussion, que l’honorable M. Nothomb ayant bien fait ses observations, calculera très bien le vent et qu’en bon navigateur par un petit sacrifice, finira par mener le budget à bon port et pourra de nouveau se vanter de sa majorité mixte.
Pour moi je ne veux pas ses termes moyens, je ne veux que le rapport de la section centrale, et la promesse de l’organisation de l’armée, en vertu de la constitution ; je demanderai même s’il ne conviendrait pas de réviser la loi de 1836 qui était faite pour des circonstances exceptionnelles, mais qui n’est plus de saison, car on en a beaucoup abusé et ressemble beaucoup à une loi d’exception. Il nous faut une bonne loi pour l’avancement, la retraite, la non-activité et la mise à la pension, et qu’il ne puisse pas y avoir de l’arbitraire. Faites une loi qui inspire de la confiance aux militaires, que rien ne soit douteux sur leur sort, faites que les militaires aient de la confiance dans leurs chefs, que l’esprit d’espionnage soit banni de l’armée et qu’elle ne soit guidée que par l’honneur et une bonne discipline, et vous ferez beaucoup plus de bien au service que de nous demander une forte somme pour entretenir une trop forte armée, où les officiers n’ont pas de confiance entre eux et que leur sort soit bien assuré.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Puisque l’absence de M. le ministre de l’intérieur ne l’a pas préservé, ainsi que l’on était en droit de s’y attendre, des inculpations graves qui viennent de lui être adressées, je protesterai en son nom contre les paroles que vous venez d’entendre, paroles tellement blessantes, tellement nouvelles dans cette enceinte, que je ne sais à mon tour de quels termes me servir pour les qualifier.
M. Osy. - Qu’ai-je dit ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Vous avez dit que, pour M. le ministre de l’intérieur, tous les moyens étaient bons pour arriver au but qu’il se propose.
M. Osy. - Je n’ai entendu parler que de moyens parlementaires.
M. de Mérode. - Alors à quoi bon les rappeler, puisque l’emploi de ces moyens est permis à tout le monde.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je ne crois pas, au reste, devoir m’attacher davantage à réfuter toutes les accusations que M. le ministre de l’intérieur a eu à supporter, et auxquelles il verra s’il lui convient de répondre, j’en viens à ce qui me regarde.
M. le baron Osy, faisant allusion à des paroles prononcées par M. Guizot à la chambre des pairs, a cru y trouver un démenti à ce qui s’est dit dans les chambres belges, relativement à la marche des négociations avec la France. Je ne sais trop, je l’avouerai, sur quoi se fonde l’opinion de l’honorable préopinant, et j’aurais désiré qu’il fût plus explicite à cet égard. Quant à nous, nous croyons encore n’avoir rien à retirer, rien à retrancher de ce qui a pu être dit dans cette chambre et dans l’autre. J’ai dit que, dans la situation où se trouvait la Belgique, le gouvernement avait cru devoir se prêter à l’examen de toutes les questions soulevées pour amener un rapprochement commercial entre la France et la Belgique, en faisant toute réserve pour ce qui regardait son indépendance, sa législature et la neutralité qui lui est imposée. Eh bien, je ne vois dans le langage de M. Guizot rien qui soit contraire à ces assertions. Le côté commercial était le seul qui nous intéressât ; c’est donc le seul que nous avons dû présenter et chercher à faire prévaloir. Ceci paraîtra évident à tout le monde.
Je ne sache pas, d’ailleurs, que M. le ministre des affaires étrangères de France ait rien dit qui soit contraire à ce que j’ai avancé ici.
On a donné encore à d’autres paroles échappées à l’improvisation de M. Guizot, un sens qu’assurément il n’y attachait pas lui-même, une portée qu’elle n’avait pas dans sa pensée. Ainsi, quand M. le ministre des affaires étrangères a parlé de l’excès des produits sous lequel, selon lui, étouffait la Belgique, et qu’il ajoutait, qu’elle-même avouait et se plaignait de cette exubérance de fabricats dont elle cherchait à se débarrasser, il n’a pas entendu, croyez-le bien, en s’exprimant ainsi, faire allusion au langage qui aurait été tenu dans le cours de la négociation, par les représentants de ra Belgique. Le gouvernement a trop le sentiment de la dignité du pays, pour employer de pareils moyens de négociations, et la Belgique n’en est pas réduite à ce point d’abaissement de devoir mendier les faveurs et la commisération de qui que ce soit.
Ainsi donc, je le répète, les paroles de M. Guizot ne renferment pas de démenti à ce qui a été dit dans cette enceinte.
De graves difficultés se sont présentées, il est vrai, dans les négociations, les unes avaient été prévues dès le principe, on avait cru pouvoir les vaincre, et on l’eût fait peut-être si la discussion et la publicité n’en eussent fait surgir d’autres devant lesquelles on a dû s’arrêter.
L’honorable membre auquel je réponds, nous a surtout attaqué avec violence relativement au réendiguement de Lillo, et ici encore, le ministre de l’intérieur n’a pas trouvé grâce devant lui ; je me permettrai pour unique réponse, de lui faire sentir ici combien le terrain est mal choisi, et combien il serait facile de répondre à des attaques si personnelles, par des allégations qui prouveraient peut-être qu’il n’est pas lui-même complètement désintéressé dans cette affaire.
Je pourrais m’étendre plus longuement s’il était nécessaire, sur les autres reproches dirigées contre le ministère et sur la plus ou moins de convenance qu’il peut y avoir à livrer à la publicité les détails de ce qui s’est passé dans un comité général ; mais je laisserai cet examen à l’appréciation de la chambre, au jugement de laquelle nous devons nous soumettre tous.
M. Osy. - M. le ministre des affaires étrangère trouve peu convenable de parler de ce qui s’est passé dans un comité général.
Vous pouvez vous rappeler, messieurs, que le comité général n’a été demandé que pour les puissances étrangères ; quant à ce qui regarde le pays, on peut lui faire connaître ce qui s’est passé, il n’y à cela aucun inconvénient ; ainsi, je ne mérite aucun reproche sous ce rapport.
M. le ministre trouve qu’en disant que tous les moyens sont bons pour M. Nothomb, pourvu qu’ils réussissent, j’ai commis une énormité, mais je n’ai voulu parler que de moyens parlementaires, et s’il reste à cet égard quelque doute à M. le ministre, je l’ajouterai à mon discours. Mais personne n’a pu se méprendre à cet égard, car j’ai cité des exemples, notamment la loi des indemnités, et la loi relative à la ville de Bruxelles, et j’ai dit que M. le ministre de l’intérieur se vantait d’avoir fini des affaires, quand il avait consenti à ce que ses propositions subissent de grandes réductions.
Quant à l’union douanière, je ne veux pas m’appesantir aujourd’hui sur cette question. Au premier jour nous aurons une pétition à propos de laquelle pourra s’ouvrir une discussion spéciale, ce qui sera plus utile.
M. le ministre n’a rien dit de la convention conclue avec la France dans l’intérêt des deux provinces de la Flandre. Je sais qu’on ne peut pas imposer au ministre de la guerre de France l’obligation de prendre pour les soldats et les hôpitaux les toiles belges, mais on pourrait très bien demander que nos toiles ne fussent pas exclues. J’ai demandé à M. le ministre si le gouvernement belge avait fait quelques démarches à cet effet.
M. le ministre me fait le reproche à propos du poldre de Lillo de parler contre l’intérêt de ma province.
Plusieurs membres. - Ce n’est pas ce reproche qu’il vous a fait.
M. Osy. - Quand, après trois mois, j’en ai parlé très souvent aux ministres sans pouvoir obtenir de réponse, j’avais bien le droit de venir aujourd’hui en entretenir la chambre, C’était même un devoir pour moi de le faire. J’ai dit que le fort de Lillo était compromis et j’ai demandé et je demande encore à cet égard des explications à M. le ministre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Effectivement, j’ai négligé de relever deux des griefs de l’honorable préopinant. D’abord, je l’avouerai, j’avais cru qu’il était inutile, après tout ce qui a été dit, de répondre au reproche d’avoir sacrifié un million pour obtenir la convention conclue avec la France. Je ne peux que répéter que ce sacrifice n’est pas fait par la Belgique au profit de la France ; ce million est resté dans le pays, et ce sont les consommateurs belges qui en ont profité.
L’honorable membre m’a demandé encore si le gouvernement avait réclamé contre l’arrêté du ministre de la guerre de France, relatif à l’emploi des toiles indigènes pour le service de l’armée. Messieurs, dès que j’ai eu connaissance de cet arrêté, j’ai envoyé des instructions et demandé le redressement du tort qu’on faisait à notre industrie, Mais, je dois le dire à mon grand regret, jusqu’à présent, mes démarches sont restées sans résultat, Je n’ai pas attendu l’interpellation de M. le baron Osy pour tâcher d’obtenir, pour ce qui nous concerne, le retrait de cet arrêté.
M. Rogier. - L’honorable M. Osy a adressé une question à M. le ministre de la guerre relativement à la conservation du fort de Lillo. On assure que si les atterrissements continuent, d’ici à peu de temps ce fort ne pourra plus être protégé par des inondations ; il faudra le déplacer il en résulterait que les travaux d’endiguement déjà exécutés l’auraient été sous ce rapport en pure perte. Je pense que le ministre ne peut pas se refuser à répondre à l’interpellation de l’honorable M. Osy. Quant à ce qu’on a dit que cet honorable collègue était personnellement intéressé dans la question, ce que je ne pense pas, je trouve l’inculpation très peu parlementaire. Pour moi, je ne suis pas intéressé dans cette question, je n’ai pas de propriétés dans les poldres, mais j’insiste au nom d’engagements antérieurs, au nom de graves intérêts fortement compromis, pour que les ministres de la guerre et les travaux publics veuillent bien s’entendre pour vous donner une réponse définitive.
Depuis trois mois le ministre des travaux publics nous a remis de séance en séance, disant que le rapport n’était pas arrivé, puis, qu’il était arrivé et qu’il devait l’examiner ; d’ajournement en ajournement, il nous a conduits jusqu’à la fin de la session. Hier est arrivé un nouvel argument puisé dans l’arsenal de M. le ministre de l’intérieur. Ce n’est plus une question d’art, qu’il s’agit d’examiner, mais celle de savoir jusqu’à quel point les propriétaires doivent concourir à la dépense de la digue. Cet argument me paraît une fin de non-recevoir. J’aimerais mieux une réponse négative mais franche.
Je demande à M. le ministre de la guerre de nous dire si, dans la situation actuelle des choses, la conservation du fort Lillo n’est pas compromise. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il a renoncé au rendiguement formellement promis lors de la discussion de la loi d’indemnité. On a refusé aux propriétaires des poldres inondés l’indemnité qu’ils demandaient parce que, disait- on, des fonds considérables avaient été employés pour établir un premier endiguement, et que de nouvelles sommes seraient demandées pour arriver à la clôture définitive de la rupture. Cette argumentation a beaucoup contribué à faire rejeter l’indemnité demandée pour les propriétaires des poldres. L’honorable M. de Theux, j’ai été étonné que cette objection vînt de lui, vous a dit que les propriétaires devaient concourir aux frais de reconstruction de la digue. L’honorable membre a perdu de vue une chose, c’est que les propriétaires riverains de la Meuse qui étaient obligés, aux termes de la loi, de concourir aux frais de rendiguement de ce fleuve, n’ont pas été tenus à cette obligation.
L’honorable M. de Theux n’a jamais exigé des propriétaires riverains de la Meuse un pareil concours, bien que la loi en fît la réserve formelle. Il ne faut pas traiter les riverains de l’Escaut d’une autre manière que les riverains de la Meuse. La province du Limbourg n’a pas à se plaindre de la chambre ni du ministère. Dans le courant de cette session, on a accordé une canalisation à la province du Limbourg. Tout récemment encore, on l’a gratifiée de deux nouvelles routes. Je n’en fais pas un reproche à la province du Limbourg ; j’en félicite l’honorable M. de Theux mais je demande qu’on cicatrice une dernière plaie, résultat de la guerre, résultat de la révolution. C’est un dernier devoir à remplir, et j’espère que le gouvernement ne tardera pas à réaliser les promesses, qui ont été faites.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, il résulte du rapport des commissaires nommes par les départements de la guerre et des travaux publics que le rendiguement du poldre de Lillo est urgent dans l’intérêt de la défense du fort, mais que cette urgence n’est pas telle que les travaux ne puissent être remis à l’année prochaine, si toutes les difficultés ne peuvent être levées avant la fin de cette session.
M. le président. - La parole est à M. de Baillet.
M. Rogier. - M. le ministre des travaux publics n’a-t-il rien à répondre ?
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je n’avais pas demandé la parole, parce que je croyais que la réponse toute simple que vient de faire mon honorable collègue du département de la guerre devait suffire. Au point de vue du département des travaux publics, je l’ai déjà dit plusieurs fois dans cette enceinte, et cela résulte du dernier rapport des commissaires qui ont été nommés par les deux départements ; l’urgence du rendiguement n’existe pas, ce n’est qu’au point de vue du département de la guerre que cette urgence existe, et comme vient de le dire M. le ministre de la guerre, cette urgence n’est pas telle qu’on ne puisse ajourner l’exécution des travaux à l’année prochaine.
Messieurs, on s’étonne de ce qu’à propos de ce rendiguement, on vienne parler du concours des propriétés intéressées. Mais, messieurs, il s’agit d’une dépense que les évaluations faites par les ingénieurs des deux départements, font monter à 1 million environ, savoir : 730,000 fr. pour le département des travaux publics, et 200,000 francs pour le département de la guerre. Lorsqu’il s’agit d’une dépense aussi considérable, on ne peut demander les crédits nécessaires pour y faire face, sans que cette question du concours des propriétés intéressées ait été examinée, alors surtout qu’elle a été soulevée au sénat, d’abord dans le sein de la commission qui a examiné le budget des travaux publics et ensuite dans la discussion même du budget. Plusieurs honorables membres de cette assemblée ont même exprimé l’opinion que toute la dépense résultant du rendiguement devait être à la charge des propriétaires intéressés. Il a donc bien fallu, je le répète, que le gouvernement s’occupât de l’examen de cette question. Mon honorable collègue du département de l’intérieur a demandé des renseignements à cet égard. Il s’est fait faire un travail par l’archiviste général du royaume. J’ai vu hier encore M. l’archiviste et il m’a dit que, sous peu de temps, il pourrait donner les renseignements nécessaires.
Messieurs, je le répète, le gouvernement ne peut venir vous demander un crédit d’un million sans avoir complètement instruit l’affaire, sans avoir les données nécessaires pour appuyer sa demande. Agir autrement, ce serait agir contre l’intérêt des intéressés eux-mêmes. Car si le gouvernement venait présenter un projet qu’il lui fût impossible de défendre, parce qu’il n’aurait pas fait une instruction préalable complète, qu’en résulterait-il ? C’est que le projet serait rejeté, que dès lors le rendiguement ne se ferait pas et que, par conséquent, les intérêts des propriétés intéressées ne seraient pas satisfaits.
Messieurs, je regrette beaucoup de ne pas avoir été présent hier au moment où l’honorable rapporteur de la commission des pétitions vous a fait son rapport sur une nouvelle requête qui vous a été adressée au sujet du rendiguement du poldre de Lillo. Cette pétition que la chambre a jugé convenable de me renvoyer, que je n’ai pas encore reçue, mais que je recevrai probablement aujourd’hui, je la connais. Elle dit qu’il s’est formé dans l’Escaut un banc de sable tel que la navigation se trouve fortement entravée, et que même si l’on n’y obvie immédiatement, elle sera bientôt entièrement empêchée. Messieurs, ce fait allégué par les pétitionnaires est en contradiction à l’égard de certains points avec le rapport que j’avais reçu des agents du département des travaux publics. Aussi dès que j’ai eu connaissance de cette pétition qui est, comme l’a fait observer l’honorable M. Osy, signée par le capitaine du port, j’ai immédiatement ordonné de faire de nouveaux sondages et de me rendre un compte exact de la situation actuelle des atterrissements dans le lit de l’Escaut. De là encore, je dois l’avouer, un nouveau retard ; car il faut avoir le temps de faire ces sondages, et pour examiner jusqu’à quel point il et vrai de dire que si l’on ne rendigue pas immédiatement le poldre de Lillo, la navigation se trouvera complètement interdite.
J’ajouterai, messieurs, que, d’après les premiers renseignements que j’ai reçus à ce sujet, renseignements incomplets toutefois ce danger n’existe heureusement pas. Car les atterrissements qui se sont formés dans le principe de la rupture de la digue diminuent tous les jours au lieu d’augmenter.
Messieurs, je le dis de nouveau en terminant, le gouvernement doit avoir le temps nécessaire pour terminer l’instruction. Il ne peut venir vous demander un crédit d’un million, sans avoir acquis la certitude qu’il est nécessaire ; il ne le peut aussi bien dans l’intérêt de sa propre dignité que dans l’intérêt des personnes qui demandent le rendiguement.
M. de Theux. - Messieurs, à en juger d’après les observations de l’honorable M. Rogier, on aurait pu croire que l’arrondissement qui m’a élu aurait quelque intérêt à ce que les riverains de la Meuse ne contribuent pas à l’entretien des bords du fleuve. Il n’en est rien ; l’arrondissement de la province du Limbourg qui m’a envoyé dans cette enceinte n’est en aucun point limitrophe de la Meuse. Je tenais à faire cette observation.
Quant au fond, je dois faire remarquer que les rives de la Meuse étaient surtout entretenues au moyen d’un fond provincial formé des péages à percevoir sur la navigation de ce fleuve ; or, depuis 1830, la province du Limbourg n’avait plus rien reçu de ce chef.
Postérieurement, le gouvernement a repris la Meuse et s’est chargé de l’entretien. Dans l’état actuel des choses, on conçoit très bien que la rive de la Meuse que nous possédons étant en opposition avec celle que possède la Hollande, il importe, pour l’intérêt de la navigation, que le gouvernement se charge des travaux de la Meuse, dont il perçoit d’ailleurs tous les revenus.
Au surplus, je n’entends pas dans ce moment discuter la question en détail, pas plus qu’hier je n’ai entendu discuter, et encore moins décider la question de contribution de la part des propriétaires des poldres. J’ai seulement approuvé la conduite du gouvernement qui examine s’il y a lieu de faire intervenir ces propriétaires dans la dépense du rendiguement.
Il s’est passé, messieurs, un fait nouveau. Des habitants des deux Flandres prétendaient être privés d’un débouché de leurs eaux par suite du traité fait avec la Hollande. Néanmoins, lorsque les chambres ont décrété la construction du canal de Zelzaete, on a forcé les propriétaires à intervenir dans la dépense.
En ce qui concerne les rives de l’Escaut, je ferai remarquer que malgré les prescriptions formelles de la loi de 1831, qui avait accordé un premier crédit, cette loi n’a reçu aucune exécution, quant à la contribution des propriétaires riverains. Je conçois, du reste, qu’il y avait une différence entre le rendiguement de cette digue et le rendiguement du poldre dont il s’agit actuellement.
Mais je n’entends, je le répète, entrer en aucune manière dans la discussion du fond ; seulement je persiste à approuver la conduite du gouvernement en ce sens qu’il examine s’il faut faire intervenir les propriétaires intéressés.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour !
M. Cogels. - Messieurs, je n’ai que très peu de mots à dire, car je crois que nous devons effectivement nous occuper de l’objet à l’ordre du jour. Je ferai seulement remarquer qu’il existe une grande différence entre la construction du canal de Zelzaete et le rendiguement dont il est question en ce moment. Le canal de Zelzaete n’était pas un objet d’une grande urgence ; il avait pour destination l’amélioration des propriétés et c’est à cause de cette amélioration qu’on a établi, pour les propriétés intéressées, une contribution qui ne s’élevait qu’au quart de la dépense à faire par le gouvernement.
Pour le rendiguement dont il est question, il y a, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous le faire remarquer, un triple motif d’urgence : il y a d’abord l’intérêt de la défense du fort ; il y a l’intérêt de la navigation, il y a ensuite l’intérêt des propriétaires de poldres ; non pas des grands propriétaires ; car je prierai la chambre de bien faire attention à ceci : c’est que les grands propriétaires se trouvent aujourd’hui désintéressés par suite de la construction de la digue qui a été faite en 1838 ou 1839, et que les propriétaires qui se trouvent maintenant intéressés sont malheureusement les habitants du vieux Lillo, c’est-à-dire les petits propriétaires.
C’est encore un motif pour ne pas appliquer le principe du concours des propriétés intéressées. Car vous reconnaîtrez que si ce concours avait été imposé à la totalité des poldres qui ont été inondés, il en serait résulté une contribution très faible, comparativement à celle qui pèserait maintenant sur le petit nombre d’hectares qui se trouvent encore sous les eaux. Du reste, je n’entends pas préjuger la question. Je ne m’oppose pas à ce que le gouvernement examine la question de concours, parce qu’il doit examiner l’objet dont il s’agit sous toutes ses phases ; mais je m’y opposerais si cet examen devait apporter des retards à l’exécution des travaux qui sont, ainsi que je viens de le dire, si urgents sous trois rapports.
M. Rogier. - Je demande pardon à la chambre d’insister, sur cette question, mais c’est pour éviter d’y revenir à l’article des fortifications.
Ce qui résulte des paroles de M. le ministre, c’est que l’on ne veut pas procéder au rendiguement du polder : il y a quinze jours, c’était une question d’art, que le ministre examinait ; aujourd’hui ce sont des questions historiques ; il ne suffisait pas du concours des ingénieurs militaires et civils, il faut maintenant que l’archiviste du royaume intervienne, comme si la question se présentait pour la première fois, comme si on n’avait pas déjà rendigué à deux reprises différentes les polders, sans soulever de pareilles difficultés. Une telle fin de non-recevoir, est peu digne du gouvernement. Que l’on nous dise que l’on n’entend pas procéder cette année au rendiguement, on saura au moins à quoi s’en tenir, mais qu’on n’aille pas se réfugier dans les archives pour justifier un nouvel ajournement. C’est là une mauvaise excuse.
M. de Muelenaere. - Je demande la parole.
M. de Mérode. - Je demande la parole.
M. Rogier. - D’après la déclaration de M. le ministre de la guerre, déclaration dont je lui laisse la responsabilité, l’état de choses actuel peut continuer encore pendant un an sans risque pour le fort. Mais pourquoi ne pas faire en 1843 ce que nous serons dans l’obligation de faire en 1844 ? La question du fort n’est au reste qu’une question accessoire, le fond de la question c’est le polder, c’est le fleuve ; il s’agit de décider si l’on veut laisser 2 ou 400 hectares de terres couvertes par l’inondation, et compromettre la navigabilité du fleuve, ou si l’on veut achever ce qu’on a commencé en 1838 sans recourir aux lumières de l’archiviste du royaume. L’on veut approfondir cette question historique, soit ; mais que cela n’empêche pas de proposer une loi, à laquelle on ajoutera, s’il le faut, des réserves. Dans toutes les hypothèses c’est le gouvernement qui devra exécuter le rendiguement ; s’il résulte du rapport de M. l’archiviste que les propriétaires doivent contribuer dans les frais, la loi dira qu’ils doivent y concourir s’il y a lieu, voilà un moyen facile, si on a la volonté de faire quelque chose, de terminer toutes les difficultés ; on pourra compulser les archives à loisir, mais ce qu’il est juste et urgent de faire sera fait, et voilà sur quoi j’appelle l’attention de M. le ministre des travaux publics. Je crois qu’il doit à la province d’Anvers cette dernière réparation. Cette province a beaucoup souffert. En 1841, à pareille époque M. le ministre a eu l’extrême complaisance de lui accorder une route ; la veille même des élections il a fait annoncer à diverses communes qu’une chaussée qui leur avait été d’abord refusée, leur serait accordée. Cette année, il n’y a pas d’élections à Anvers, mais il y a une souffrance très ancienne à faire disparaître ; j’adjure donc M. le ministre de faire preuve d’un peu de bonne volonté, pour exécuter ce qui est demandé depuis si longtemps. Il ne s’agit pas ici d’une question politique, mais d’une question d’équité et d’administration, et j’engage M. le ministre à la considérer sous ce seul point de vue.
M. de Muelenaere. - Je ne veux pas revenir sur ce qui été dit relativement au canal de Zelzaete. La loi a imposé des conditions très dures aux propriétaires riverains de ce canal, mais la question est irrévocablement jugée.
Je pense, messieurs, que tout le monde est d’accord sur la nécessité de rendiguer le poldre de Lillo, l’urgence plus ou moins grande de ces travaux n’est qu’une question secondaire, qui est exclusivement du ressort des hommes de l’art. Mais une autre question qu’il importe d’examiner, et que la chambre devra décider, c’est celle du concours des propriétaires. Je ne veux pas préjuger cette question, mais vous savez tous que les polders sont des terrains abandonnés par la mer, et qui primitivement étaient la propriété de l’Etat ; ils ne sont devenus des propriétés privées que par suite de concessions faites par le souverain à des particuliers ; or, tous les actes de concession, toutes les chartes relatives à l’endiguement les poldres ont imposé aux propriétaires certaines conditions. Je ne connais pas les chartes du poldre de Lillo, mais je puis donner à la chambre l’assurance que dans la plupart de ces chartes, il est stipulé que si par suite d’événements quelconques, les poldres étaient inondés, ou submergés, le rendiguement serait à la charge du propriétaire, et que même ces propriétaires devraient procéder à ce travail dans un délai fixé dans la charte, ou à fixer par le gouvernement, sous peine de déchéance. Dans ce cas, le poldre fait retour au domaine de l’Etat. Cette question doit donc être examinée par le gouvernement. Or, les concessions remontent à des époques très éloignées, et pour connaître les obligations des propriétaires, il faut recourir aux chartes, aux actes de concessions. Si M. le ministre de l’intérieur s’est adressé à M. l’archiviste du royaume, ce n’est pas pour obtenir des renseignements historiques, mais bien les pièces elles-mêmes qui établissent les droits du gouvernement et les obligations des propriétaires des poldres.
On me dit qu’en 1838 on n’a pas fait toutes ces cérémonies, et qu’on a rendigué le polder aux frais de l’Etat. Mais c’est précisément parce qu’en 1838 on a déjà fait de grands sacrifices au profit des intéressés, que maintenant il faut examiner de plus près quelles sont les charges de ces propriétaires, car je ne pense pas qu’il soit dans l’intention de la chambre ni dans celle du gouvernement de leur faire encore des faveurs que rien ne pourrait justifier. Je le répète, je ne veux pas préjuger la question, mais il ne faut pas oublier que par suite de l’inondation, il est des terres qui ont acquis une plus-value ; il en est d’autres qui valent peut-être un peu moins, mais c’est pour cela qu’il faut examiner la question ; les terres qui ont acquis une augmentation de valeur doivent nécessairement contribuer dans une proportion beaucoup plus forte que celles qui auraient pu être détériorées par la submersion.
Ces explications doivent suffire pour convaincre la chambre qu’il y a convenance et nécessité de la part du gouvernement d’examiner mûrement la question, de préparer un rapport circonstancié et de nous soumettre toutes les pièces relatives à cet objet et notamment l’acte de concession du poldre de Lillo dont il s’agit en ce moment.
Je le répète encore une fois, je n’entends rien préjuger. Je ne connais pas les conditions imposées aux propriétaires, je parle ici en termes généraux : j’ai vu beaucoup de chartes, beaucoup d’actes de concessions ; plusieurs de ces actes sont rédigés dans le sens que je viens d’avoir l’honneur de vous indiquer ; si les chartes relatives au poldre de Lillo sont dans les mêmes termes, les propriétaires ne peuvent pas refuser de supporter une part plus ou moins considérable dans les travaux à faire ; c’est là une question sur laquelle la chambre doit être mise à même de se prononcer.
M. de Mérode. - Je ne conteste pas les observations de l’honorable préopinant, mais il est certain que depuis tant d’années qu’on s’est occupé des rendiguements, on doit être au courant de toutes les questions, et le gouvernement doit savoir aujourd’hui si les propriétaires doivent ou non intervenir dans la dépense. Lorsqu’on a parlé du rendiguement, il y a deux ou trois mois, on a opposé d’autres motifs ; on a dit que l’on ne savait pas si le département de la guerre devait s’en occuper, ou si cela n’était pas exclusivement du ressort de M. le ministre des travaux publics, mais alors on pouvait en même temps résoudre les autres difficultés, et je ne conçois pas qu’aujourd’hui on vienne avec une nouvelle fin de non-recevoir.
Il s’agit aussi de l’intérêt de la navigation ; il est certain que si on ne fait pas le rendiguement le long de l’Escaut, le fleuve ne sera plus navigable, il se formera des atterrissements, et au lieu d’avoir un talweg dans le fleuve, on aura plusieurs passages resserrés, et on ne pourra plus s’y reconnaître.
C’est donc une question d’intérêt général. Les 400 hectares qui sont sous les eaux, ne sont pas d’une valeur assez considérable pour que les propriétaires s’exposent à faire les frais du rendiguement ; car s’il arrivait un événement qui amenât encore l’inondation de leur sol, ils ne seraient pas plus avancés qu’aujourd’hui ; et des particuliers ne peuvent pas s’exposer à supporter de semblables dépenses. On a déjà rendigué les poldres de Borgerweert et de Lillo ; on a très bien fait ; car sans cela on aurait exposé une partie du pays à être inondée. Il reste maintenant quelques malheureux dans le village appelé de la Paille, ils n’ont plus de moyens d’existence, Je ne crois pas que l’honorable M. Osy soit propriétaire dans ce poldre, il m’a assuré que non. Je crois que ceux qui possèdent maintenant des terrains inondés ne sont pas des propriétaires riches. Par toutes ces considérations, il me semble que le gouvernement devrait se décider promptement, et ne pas laisser languir plus longtemps ceux qui se trouvent dans une position aussi malheureuse.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour !
M. Osy. - Messieurs, j’ai sept hectares dans le poldre de Lillo endigué, et je n’ai pas un pouce de terre dans le poldre non-endigué ; voilà tout l’intérêt que j’ai dans la question.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, nous sommes en présence d’un problème d’une solution d’autant plus difficile, que tous les éléments n’en sont pas parfaitement posés. Depuis plusieurs années, les sections centrales chargées par la chambre de l’examen des budgets de la guerre se sont usées en luttes stériles contre les exigences des ministres qui se sont succédé à la tête de ce département, et tout ce qui a été fait jusqu’à présent n’a été que provisoire. Nous devons sortir de ce provisoire.
Pour bien saisir le problème à résoudre, il faut, suivant moi, raisonner ainsi : supposons la Belgique née telle qu’elle est aujourd’hui ; ne tenons plus compte du passé et demandons-nous quelle armée est nécessaire à un pays constitué, sous tous les rapports, comme l’est la Belgique.
Nous ne sommes pas le premier pays qui se soit trouvé dans une pareille situation. La France, en 1815, courbée sous le joug de l’étranger, eut à briser son armée, elle eut à réduire le nombre de ses régiments pour se renfermer dans des limites fixées par les traités de 1815. Savez-vous, messieurs, combien d’officiers durent alors être congédiés ? Ils étaient 28,000.
Et nous aussi, obéissant à une loi moins dure que ne l’étaient pour la France les traités de 1815, mais à une loi impérieuse aussi, nous avons à faire ce que réclame l’intérêt du pays. Pendant dix ans, nous avons exagère nos forces ; la guerre était possible, nous devions être prêts à tous les événements, ce que l’on a fait alors a été bien fait. Mais les temps sont changés, la Belgique est aujourd’hui dans une situation tout à fait normale ; continuer les exagérations d’une autre époque serait désormais ridicule.
Il faut à la Belgique une armée, mais cette armée doit être proportionnée à l’étendue du territoire, à la population. L’effectif doit en être calculé en raison des besoins intérieurs du pays, de sa situation politique, de ses ressources financières aussi. Il ne s’agit donc plus comme par le passé de lutter d’adresse avec un ministre pour gagner quelques centaines de mille francs sur un budget. La question est d’un ordre plus élevé. C’est notre état militaire qu’il faut fonder, un état militaire permanent, un état militaire légal.
Ici, une première difficulté est soulevée. A qui appartient-il de régler tout ce qui concerne l’organisation de l’armée ? Sur le premier point, M. le ministre de la guerre est en désaccord complet avec la section centrale. Cette question de compétence me paraît être celle que la législature devra vider tout d’abord. Chacun, au surplus, a fait le nécessaire pour la conservation de ses droits ; la section centrale a réservé les droits du pouvoir législatif ; M. le ministre a essayé de maintenir ce qu’il croit être la prérogative du pouvoir exécutif, en nous communiquant, sous forme de rapport au Roi, un plan d’organisation militaire qu’il semble avoir la prétention de faire sanctionner par de simples arrêtés royaux.
La question de compétence vidée, à quel plan d’organisation s’arrêtera-t-on ?
J’ai étudié attentivement le plan de la section centrale et celui de M. le ministre de la guerre, et, suivant moi, il y assez de bon dans l’un et dans l’autre pour qu’on les fonde ensemble, en les corrigeant ; mais, a mon avis, ni l’un ni l’autre ne sont complètement bons.
Avant tout, je vois que certains points préliminaires n’ont pas été sérieusement étudiés. Ces détails, la section centrale ne pouvait pas les connaître, et M. le ministre de la guerre les a complètement laisses a l’écart. J’ai dit que notre état militaire doit être calculé en raison des ressources financières du pays ; de cette idée une autre découle tout naturellement. Ne nous paraîtrait-il pas convenable d’examiner préalablement, si dans l’organisation intérieure de l’armée, il n’y a pas d’économie à opérer, pas d’abus à réformer ? La chambre comprend que si au moyen de ces économies nous pouvions arriver à garder sous les drapeaux un plus grand nombre d’hommes, sans accroître la dépense, un grand point serait déjà gagné.
Je crois, par exemple, que la masse d’habillement pourrait être réduite sans inconvénient, et avec avantage pour la moralité des hommes. Je crois encore que certains prix d’achat pourraient être diminués d’un tiers. Croiriez-vous, messieurs, qu’une selle de troupe coûte au gouvernement l’énorme somme de 134 fr., qui se divise ainsi : selle 81 francs, chabraque 22 francs, peau de mouton 42 francs 50 centimes ; couvertes, 19 francs 50 centimes. Il résulte de ce calcul qu’une selle de troupe coûte plus cher que la plus belle selle anglaise. Il y a de ce chef une économie raisonnable à opérer de 150,000 à chaque renouvellement du harnachement, car la selle de troupe avec tous ses accessoires serait raisonnablement payée 100 fr. Il y a dans le solde même des anomalies singulières ; ainsi le supplément de solde de 634 fr. accordé aux lieutenants adjudants-majors de cavalerie, n’est aucunement justifié, puisque les capitaines adjudants-majors sur lesquels repose tout le service intérieur, n’ont aucune augmentation. L’économie résultant de la suppression de ce supplément, serait peu de chose en réalité, car elle ne doit être appliquée qu’à la cavalerie et à l’artillerie. Mais avec beaucoup de petites économies on arrive à en faire de grosses.
Que signifient encore des chevaux ou plutôt des rations, accordées à des intendants et sous-intendants militaires en temps de paix ? En 1838 il avait été admis par la chambre que les officiers de santé seraient assimilés pour la solde et les accessoires aux officiers de l’état-major du génie. Sous ce rapport, ils devaient avoir des rations et l’on comprendrait jusqu’à un certain point un médecin de garnison ayant un cheval pour ses courses. M. le ministre de la guerre a supprimé les rations des officiers de santé, il a bien fait. Mais pourquoi cette partialité, en faveur des intendants, généralement mieux placés sur un fauteuil qu’une selle. Il y a beaucoup à faire en réformant l’abus des chevaux dit chevaux bleus ; on nomme ainsi les bucéphales imaginaires dont les rations se transforment en pièces de cinq francs dans la poche du propriétaire.
Ce sont des exemples que je fournis ici, à peu près au hasard des indications fugitives ; mon but est seulement de prouver que tout n’est pas parfaitement régulier dans notre administration militaire et que lorsque l’on voudra attaquer d’une main ferme les abus, on n’aura pas grand’peine à les trouver. Une dernière observation sur ce point.
L’Etat perd tous les ans un grand nombre de chevaux. Quand on demande les raisons de cette mortalité, on en fournit de tout genre ; ce sont les écuries peu saines, les fourrages de médiocre qualité, l’insuffisance de la ration, etc., etc., etc. Messieurs, il y a une cause plus puissante que celle que l’on indique. Cette cause vous la trouverez comme moi, si vous voulez vous faire fournir les états de mortalité, non pas par régiment, mais par garnison. Vous verrez que là où le service est réglé de telle façon que chaque cavalier puisse soigner son cheval, les chevaux ne meurent pas ; mais que là où les hommes sont chargés de service, à ce point qu’il n’en reste qu’un pour soigner trois chevaux, la mortalité est effrayante.
J’ai donc eu raison de dire, en commençant, que nous sommes en présence d’un problème d’une solution d’autant plus difficile, que tous les éléments n’en sont pas parfaitement posés. C’est que je crois sincèrement qu’il y a considérablement à revoir dans les détails de l’organisation intérieure de l’armée.
Sans me prononcer, quant à présent, entre les différents systèmes d’organisation générale dont nous nous trouvons saisis je crois pouvoir dire que j’adopte l’opinion de la section centrale sur la nécessité de réduire les cadres. Mais je n’accepte pas le moyen qu’elle propose pour atteindre ce but. C’est dire que je n’adopte pas l’article 2 du projet de loi qui suppose la mise en non-activité, par suppression d’emploi, avec deux tiers de solde d’activité, des officiers qui ne seraient pas compris dans les cadres tels qu’ils seraient réduits. Messieurs, c’est là une demi-mesure qui aurait les plus fâcheux résultats. Voyez d’abord la position d’un officier retiré chez lui avec deux tiers de solde d’activité. Il sera beaucoup plus riche que l’officier en activité, car il n’aura à faire aucune des dépenses de service actif, et si vous le laissez longtemps dans cette position, il se rouillera et finira par ne plus être bon à rien. Vous réservez sans doute ces officiers en non activité pour remplir les vacances à survenir dans les corps ; dès lors plus de chance d’avancement, ou du moins des chances tellement restreintes qu’elles ne suffisent plus pour préserver du découragement. Le générai Bugeaud disait un jour à la chambre française, avec son style pittoresque : L’avancement, c’est le picotin d’avoine de l’officier. Laissez donc à vos officiers leur picotin d’avoine, si vous voulez qu’ils servent avec zèle, avec dévouement.
Adoptant la réduction des cadres, j’ai un autre moyen à proposer. Dérogez momentanément à la loi des retraites, et accordez des pensions, réduites si vous voulez à trente ans de service y compris les campagnes, par ce moyen vous obtenez une économie actuelle et une économie dans l’avenir, et les chances d’avancement ne seront pas diminuées. Je vous disais tout à l’heure qu’en 1815 la France avait eu 28,000 officiers dont il fallait se débarrasser. Elle y est parvenue par le moyen que je viens d’indiquer ; trois ans après, le nombre des officiers laissés à demi-solde n’était plus que de 8,000.
Encore une observation et je passe à un autre sujet. Si l’on réorganise l’armée, pourquoi ne pas le faire régulièrement, en d’autres armes ; d’après les règles admises et reconnues bonnes. Il y a des règles pour le partage proportionnel d’une armée en différentes armes ; ainsi dans la cavalerie, il est généralement admis que la grosse cavalerie doit être à la cavalerie légère, comme un est à trois. Or, nous avons trois régiments de grosse cavalerie et quatre de cavalerie légère. La grosse cavalerie coûte beaucoup plus cher que la cavalerie légère ; on pourrait donc raisonnablement fondre les deux régimes de cuirassiers en un. La proportion serait encore de deux à quatre, mais le régiment des guides est une sorte d’arme intermédiaire. Il y a aussi des règles pour mettre l’artillerie d’une armée en proportion avec cette armée. Sous ce rapport je vous avouerai que l’état-major colosse, que dans son plan M. le ministre de la guerre veut donner à l’artillerie, me paraît terriblement exagéré et je ne comprends aucunement la nécessité de cette tête d’état-major composée d’un lieutenant-général et de deux généraux-majors, quand jusqu’à présent un seul général-major avait paru suffire ; il est vrai que le général-major était M. le ministre de la guerre actuel.
Le dernier point dont je veux entretenir la chambre, je déclare que je l’ai fort à cœur. Je veux parler des remplacements militaires. Je suis bourgmestre de campagne, et je représente ici en quelque sorte un arrondissement campagnard. C’est dans nos campagnes surtout, messieurs, que l’on peut voir ce que cet impôt du service militaire a de dur pour les familles. Il ne se passe pas de jour que je ne reçoive plusieurs lettres de pauvres campagnards, qui me supplient de solliciter un congé pour un fils dont les bras sont nécessaires à la famille. Je transmets fidèlement ces prières à M. le ministre de la guerre, et je les appuie le mieux que je peux, mais j’ai du malheur, je n’ai jamais pu obtenir de lui un pauvre congé de 15 jours. Il paraît que, contrairement au proverbe : Il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints, les congés sont réservés pour les protégés des cousins ou des amis de messieurs les chefs de bureau ; si M. le ministre de la guerre désirait un renseignement confidentiel à ce sujet, je pourrais le lui fournir.
Je reviens aux remplacements ; on a dit ici de magnifiques choses sur les pères de famille qui doivent pouvoir racheter leurs enfants du service militaire. C’est là une très belle maxime pour les pères de famille qui ont quinze ou six-huit cents francs à dépenser. Je ne m’occupe pas de ceux-là, ils sauront toujours se tirer d’affaire. Mais, messieurs, le monopole de la richesse n’est-il pas un abus criant ? Cette faveur que la loi accorde va-t-elle bien où la morale, où l’humanité voudrait qu’elle allât ? Je désirerais, moi, si non remédier tout à fait à l’abus, ce qui, je le reconnais, n’est pas possible, du moins en atténuer les effets.
Messieurs, je ne prétends attaquer personne ici, ni au-dehors,, mais je dirai franchement ma pensée.
La société d’encouragement au service militaire est une mauvaise chose. En supposant que la pensée de sa fondation ait été une pensée philanthropique, l’œuvre a cessé de l’être à mes yeux, depuis que cette philanthropie s’exerce à gros bénéfices.
La société d’encouragement au service militaire est une mauvaise chose, principalement parce que en monopolisant le remplacement, au moyen des avantages qu’elle s’est fait octroyer, elle en a élevé démesurément le prix.
Je vais émettre une idée d’une application difficile peut-être, mais si l’on ne faisait que les choses faciles, la vie serait trop aisée.
La première condition pour faciliter les remplacements, c’est de relever le remplaçant de l’espèce de dégradation qui pèse sur lui. Interrogez les militaires, tous vous le diront. Un remplaçant, fût-il fourni par la société d’encouragement au service militaire, est autre chose qu’un soldat. Un grand homme de guerre, le maréchal Soult, a conçu un moyen d’atteindre le but : c’est de faire faire le remplacement par l’Etat ; c’est-à-dire que l’Etat, en assurant un petit bien-être au soldat qui consentirait à rester sous les drapeaux, pourrait, moyennant paiement d’une somme quelconque, dispenser du service militaire, jusqu’à concurrence du nombre des rengagements. Il n’y aurait plus dès lors achat matériel des hommes, il y aurait prime de rengagement et la défaveur disparaîtrait.
Messieurs, serait-il donc impossible de réaliser chez nous une pareille idée ?
Je voudrais plus, et ici j’en conviens, je tourne vraiment à l’utopie. Je voudrais que la somme à payer à l’Etat, par le père de famille, qui voudrait dispenser son fils du service militaire, ne fut pas une somme fixe, mais une somme proportionnée à la fortune du père de famille. Le pauvre n’y arriverait pas, je le sais, mais le cultivateur, pour lequel des enfants sont une richesse, pourrait, peut-être en vendant une tète ou deux de bétail, se conserver un fils.
Je demande pardon à la chambre de l’avoir entretenue si longtemps ; je lui demande pardon surtout de l’avoir sérieusement occupée de ce qu’elle considérera peut être comme un rêve irréalisable, mais j’espère que ceux de mes collègues qui voient comme moi les campagnards de près, me sauront gré de l’intention.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Hier, messieurs, au moment où j’avais quitté la salle, parce qu’on m’avait appelé pour une affaire, l’honorable M. Lys a cité un passage du rapport que j’ai fait sur le budget de la guerre pour 1837. Je ne sais s’il a été dans l’intention de l’honorable membre de me mettre en opposition de principe avec mon honorable collègue du département de la guerre ; dans tous les cas, je tiens, messieurs, à faire voir qu’il n’en est absolument rien.
L’honorable M. Lys vous a fait cette citation à propos de l’opinion émise par lui, qu’il n’y a pas nécessité d’assimiler les officiers de sapeurs-mineurs, les officiers des troupes du génie, aux officiers de l’état-major de cette arme pour n’en former qu’un seul et même corps d’officiers.
Messieurs, pendant tout le temps que j’ai fait partie des sections centrales qui ont examiné le budget du département de la guerre, nous nous sommes toujours abstenus de nous prononcer sur de pareilles questions de principe, parce que nous pensions qu’elles n’étaient pas véritablement de notre compétence. Cette simple observation, déjà, doit vous faire voir que dans mon rapport sur le budget de la guerre de 1837, je ne me suis point trouvé en opposition avec l’opinion professée par mon honorable collègue du département de la guerre d’aujourd’hui. Je vous demanderai maintenant la permission, messieurs, de répéter la citation que l’honorable M. Lys vous a faite dans la séance d’hier ; dans le rapport que je fis en 1836, au nom de la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre de 1837, je disais :
« Pour 1836, on avait porté tons les traitements des capitaines, lieutenants et sous-lieutenants des sapeurs et mineurs, au taux des traitements respectifs des officiers du génie. La chambre n’a voulu accorder ce fort traitement qu’à ceux qui remplissaient réellement les fonctions d’officiers du génie, et a opéré de ce chef une réduction de plus de 4,000 francs. Ses intensions ont été à cet égard parfaitement observées par le Ministre, aux développements du budget de 1837. »
Vous voyez, messieurs, que la section centrale du budget de 1837 a simplement fait remarquer que le vote émis l’année précédente, par la chambre, avait été complètement respecté dans les développements du budget de 1837, quant au traitement des officiers des sapeurs mineurs, qui ne remplissaient pas les fonctions d’officiers de l’état-major du génie.
Le rapport sur le budget de l’année précédente auquel je devais nécessairement me reporter, ce rapport qui avait été fait par notre honorable et ancien collègue, le colonel de Puydt, s’exprimait ainsi à l’égard de la solde des sous-lieutenants, lieutenants et capitaines du génie et des sapeurs-mineurs ; il était pétitionné alors 9,260 fr. 86 c. en plus qu’en 1836, pour l’allocation de la solde des sapeurs-mineurs, parce que, ainsi que je l’ai fait observer tout à l’heure, M. le ministre de la guerre d’alors avait cru devoir assimiler, quant à la solde, tous les officiers de sapeurs-mineurs aux officiers de l’état-major du génie.
« Cette augmentation résulte de ce que la majoration votée en 1835, par la chambre, pour les sous-lieutenants, lieutenants et capitaines de l’état-major du génie, aurait été appliquée, par interprétation, au bataillons de sapeurs-mineurs.
« La section centrale ayant consulté le compte rendu de la discussion du budget de l’année dernière, s’est convaincue que l’intention de la chambre, en assimilant le traitement des officiers du génie, pour les grades désignés, à celui des officiers de l’artillerie de campagne, n’avait pas été de faire l’application de cette nouvelle règle au bataillon de sapeurs-mineurs, puisqu’elle a discuté et voté l’article concernant ce bataillon, après celui de l’état-major du génie, sans rien changer à la fixation de la solde ; la section centrale pense donc qu’il n’y a pas lieu à admettre la majoration.
« Cependant, comme il se trouve que, par suite de l’insuffisance du personnel du génie, un certain nombre d’officiers de sapeurs-mineurs sont employés dans les places, pour faire le service du génie, il est juste que, dans ce cas, le traitement de ceux dont ils font les fonctions leur soit alloué. »
Ainsi, vous voyez, messieurs, que la solde des officiers d’artillerie de campagne avait été portée à un taux plus élevé que la solde des officiers de l’état-major du génie. De là était résulté une anomalie que l’on a fait disparaître en portant la solde des officiers de l’état-major du génie au taux des officiers d’artillerie de campagne. Après cela, M. le ministre de la guerre a cru que cette augmentation accordée aux officiers de l’état-major du génie, devait aussi être donnée aux officiers de sapeurs-mineurs, mais il ne se basait pas du tout en cela sur le principe de la confusion dés deux espèces d’officiers.
La chambre a cru devoir refuser cette augmentation pour les officiers de sapeurs-mineurs et seulement pour ceux qui ne remplissaient pas les fonctions d’officiers de l’état-major du génie, mais aujourd’hui, messieurs, le département de la guerre, agissant dans le cercle de ses prérogatives, a cru devoir faire remplir le fonctions d’officiers de l‘état-major du génie, comme celle d’officiers des troupes du génie, aussi bien par les officiers de l’état-major que par les officiers des sapeurs-mineurs, et dès lors, c’est rester absolument dans ce qui a été adopté précédemment par la chambre, que d’accorder aujourd’hui aux officiers des sapeurs- mineurs la même solde qu’aux officiers de l’état-major du génie.
Je passe maintenant, messieurs, à la discussion générale ; je dois d’abord rendre à mon honorable collègue et ami M. Brabant, cette justice pleine et entière que pendant le nombre assez grand d’années que nous avons fait partie, ensemble, des sections centrales chargées par la chambre d’examiner le budget de la guerre, je l’ai toujours vu animé d’un esprit favorable et au bien-être de l’armée et à la bonne défense du pays. Je dis cela, messieurs, parce que plus d’une fois on a cherche à faire croire que les membres de la section centrale qui, comme l’honorable M. Brabant et comme moi, ont cherché à opérer sur le budget de la guerre toutes les réductions compatibles avec la bonne défense du pays et avec le bien-être de l’armée, parce que l’on a cherché à faire croire, dis-je, que ces membres étaient mus par un esprit d’hostilité envers l’armée. Jamais il n’en a rien été ; toujours, je le répète, j’ai vu l’honorable M. Brabant extrêmement favorable et au bien-être de l’armée et à la bonne défense du pays.
C’est surtout en 1833, lorsque nous sommes parvenus, l’honorable M. Brabant et moi, à obtenir une très forte réduction sur le budget de la guerre, c’est surtout alors que l’accusation dont je viens de parler, accusation bien vague, à la vérité, a été dirigée contre nous. Alors, messieurs, le budget nous avait été présenté au chiffre de 73 millions ; nous fîmes des efforts pour réduire ce chiffre sans toucher au bien-être de l’armée et sans compromettre la bonne défense du pays, et nous réussîmes à obtenir que le budget de la guerre présenté au chiffre de 73 millions, fût réduit à 55 millions, c’est-à-dire que nous parvînmes à obtenir une réduction de 18 millions. Et, notez-le bien, messieurs, cette réduction était si peu compromettante pour le bien-être de l’armée et pour la bonne défense du pays, que le gouvernement lui-même finit par y consentir.
Depuis lors, messieurs, le budget de la guerre subit encore des réductions, de telle manière que, pendant plusieurs années, il fut présenté par le gouvernement au chiffre de 39 à 40 millions et que ce fut seulement pour l’exercice de 1839, avant la discussion du traité avec la Hollande que le chiffre en fut porté à environ 50 millions. Mais toujours alors la section centrale accorda les chiffres demandés par le gouvernement ; il arriva même que par ses observations, elle poussa le gouvernement à augmenter les chiffres qu’il avait d’abord proposés.
Mais, messieurs, parce qu’on a pu réduire considérablement le chiffre des premiers budgets du département de la guerre qui ont été présentés aux chambres, il ne s’ensuit pas qu’on puisse toujours continuer à réduire ; il faut bien s’arrêter ; car, il faut avant tout, comme nous le voulons tous unanimement, j’en suis persuadé, il faut avant tout que le bien-être de l’armée et la bonne défense du pays soient satisfaits.
Le gouvernement vous a proposé pour l’état de paix en 1843 un budget de 29,500,000 francs, Ce chiffre est-il trop élevé ? Est-il susceptible d’être considérablement réduit, quand on le compare au dernier budget voté pour l’état de guerre ?
Le dernier budget voté pour l’état de guerre, celui de 1839, s’élevait à 30 millions ; c’est là un chiffre qu’il ne faut pas perdre de vue, et aujourd’hui il ne vous est demandé que 29,500,000 fr. Voilà donc une réduction de plus de 20 millions sur le dernier budget de l’état de guerre. On ne pourrait donc sans danger poursuivre cette voie de réduction, si l’on veut pouvoir parer aux besoins de la guerre, lorsqu’elle se présentera, car, personne n’ignore que c’est pendant la paix qu’il faut se préparer à la guerre, se mettre en mesure de pouvoir faire la guerre lorsqu’elle viendra à éclater.
Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale a fait des comparaisons différentes de celle que je viens de faire, mais je crois que la comparaison que j’ai établie est celle qui doit ici le plus fixer votre attention qui doit être prise le plus en compte, lorsqu’il s’agit de voter le chiffre du budget du département de la guerre pour notre pays.
L’honorable rapporteur, au contraire, a fait des comparaisons avec ce qui se passe en France ; quant à moi, je dois l’avouer, je ne suis nullement touché de ces comparaisons. Chaque pays a ses nécessités, chaque pays a sa situation topographique et politique qui lui est propre, et par conséquent les besoins pour le budget du département de la guerre sont différents, en raison de ce que cette situation est différente, en raison de ce que les nécessités politiques et topographiques du pays varient.
La France, messieurs, a une étendue de territoire considérable, et personne ne niera que toute proportion gardée, les frontières françaises sont beaucoup moins considérables que les frontières de la Belgique, relativement aux territoires respectifs qui composent les deux pays.
Nous avons donc proportionnellement une plus grande étendue de frontière à défendre, nous avons aussi proportionnellement un nombre beaucoup plus grand de places fortes à entretenir et à pourvoir de défenseurs et du matériel nécessaire pour les défendre ; nous avons donc aussi, et proportionnellement, plus de dépenses de guerre à faire.
Maintenant notre budget, comparé à celui de la Hollande, est-il trop élevé ? La Hollande a encore aujourd’hui sous les armes un effectif qui monte à environ 28,000 hommes. Eh bien, le projet de budget que nous discutons, ne comporte qu’un effectif de 6,000 hommes de plus. Vous savez tous, messieurs, que la Hollande est un pays qui a une défense toute naturelle dans ses eaux, un pays tel qu’il a fallu une gelée aussi forte que celle qui a eu lieu en 92, pour qu’une armée française ait pu y pénétrer.
La Hollande a, en outre, une marine formidable et des troupes navales qui prêtent un puissant secours aux troupes de terre. Vous, vous n’en avez pas. La Hollande a, au besoin, une schuttery bien organisée, et nous en sommes encore à chercher le moyen de tirer parti de notre garde civique. Et à quoi cela tient-il ? Au principe électif qui est déposé dons la constitution et que vous ne pouvez modifier sans modifier la constitution.
Enfin la Hollande n’a pas comme notre pays, toujours été le champ de bataille des guerres européennes.
Vous voyez donc, messieurs, que, s’il fallait raisonner par voie de comparaison, nous arriverions à ce résultat, que nous sommes, par le budget en discussion, bien en-dessous de la Hollande.
Messieurs, on s’est beaucoup appuyé sur cette circonstance, que le projet de budget sur lequel vous délibérez aurait été annoncé comme un budget normal. Mais je crois qu’on n’a pas été d’accord sur le sens à donner à cette expression. Quand mon honorable collègue a parlé d’un budget normal, il a entendu qu’il s’agissait d’une organisation de l’armée, établie sur des bases régulières, sur les exigences du service et sur le système de guerre défensive approprié à notre position, tant d’après l’opinion de M. le ministre de la guerre actuel lui-même, que d’après l’avis unanime des différents chefs de l’armée qui sont seuls les hommes compétents pour décide en pareille matière.
M. Lys. - Publiez leur rapport.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Mais mon honorable collègue n’a jamais eu l’idée de soutenir que quant aux chiffres mêmes du budget qui vous a été présenté, ils devaient tout et à tout jamais rester invariables. La preuve que telle n’a pas été la pensée qui l’a guidée, c’est que lui-même a consenti à une réduction d’un demi-million.
Voici quelques mots des paroles que mon honorable collègue prononçait hier :
« Les articles augmentés sont, au contraire, dus à des circonstances indépendantes de l’action du gouvernement, telles que la cherté des céréales, qui impose une augmentation de 457,007 fr. ; le casernement, qui demande en plus 36,248 fr., et le prix des chevaux qui élève cet article de 25,935 fr. »
Voilà donc déjà des sommes qui sont à charge du budget de 1843, mais qui ne doivent pas grever tous les budgets futurs. Ces augmentations sont fondées sur le renchérissement des denrées, renchérissement qui ne sera sans doute que momentané.
Mon honorable collègue a ajouté :
« D’un autre côté, le prix de l’adjudication des fourrages, faite après l’établissement du budget, en dépasse les prévisions de 529 mille fr., et demanderait donc une augmentation de ce chef ; mais pour ne pas excéder le chiffre des crédits demandés pour 1843, je pense couvrir ce déficit en reculant l’époque de la remonte et en hâtant celle de la réforme, pour augmenter ainsi le boni résultant des chevaux manquants. »
M. le ministre de la guerre a donc pris l’initiative pour introduire dans son budget, une réduction d’un demi-million. Ce qui est bien loin d’avoir eu l’idée que le budget de la guerre qu’il vous présentait, ne pouvait subir aucune réduction dans l’avenir.
En terminant, j’appelle, messieurs, de nouveau votre attention sur ce fait important, que le dernier budget de l’état de guerre a été de 50 millions, que le budget pour l’exercice 1843 n’est que de 29,500,000 francs, et que partant la dépense totale du pied de paix d’aujourd’hui présente une réduction de 20 millions, comparativement au chiffre global qui a été affecté en dernier lieu à l’état de guerre.
M. Lys. - L’honorable ministre des travaux publics a cru que par des paroles j’avais voulu établir le fait d’une dissension entre lui et son collègue du département de la guerre. Lorsque j’ai cité hier l’opinion de l’honorable M. Desmaisières, je n’ai pas parlé de M. Desmaisières comme ministre, et la preuve en est que je me suis simplement appuyé sur le passage d’un rapport fait en 1837 par M. Desmaisières sur le budget de la guerre.
Je me suis borné à lire les propres paroles du rapport de M. Desmaisières ; et il n’est résulte pas moins qu’en 1836 la chambre n’a pas voulu porter les officiers de sapeurs-mineurs au même traitement que les officiers du génie. Elle en a jugé de même en 1837 ; je ne sais pourquoi elle reconnaîtrait maintenant au ministre le droit d’accorder par arrêté cette augmentation. Je ne crois pas que le gouvernement ait plus de droit en 1843 qu’en 1836, cependant le ministre des travaux publics a dit que le ministre de la guerre avait pu sortir du cercle de ses attributions, prendre l’arrêté du 4 juin 1842. Je lui dénie ce droit, puisqu’en 1836 et 1837 la chambre avait jugé qu’il ne l’avait pas ; et je crois qu’aujourd’hui la chambre en jugera encore de même.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je regretté que l’honorable membre n’ait pas bien compris les citations que j’ai faites. Il en résulte que la chambre a entendu, dés 1836 et 1837, allouer aux officiers de sapeurs-mineurs qui remplissent les fonctions d’officier d’état-major du génie la même somme qu’aux officiers d’état-major du génie. Maintenant les officiers de sapeurs-mineurs et les officiers du génie ne forment qu’un seul et même corps. Des officiers d’état-major du génie remplissent les fonctions d’officiers de sapeurs-mineurs et des officiers de sapeurs-mineurs remplissent les fonctions d’officiers d’état-major du génie. Par conséquent, il n’y a rien de contraire au principe adopté par la chambre en 1836 et 1837, par lequel la même somme a été accordée aux officiers de sapeurs-mineurs remplissant les fonctions d’officiers d’état-major du génie.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Messieurs, j’éprouve quelqu’embarras à aborder le rapport de la section centrale, chargée de l’examen du budget de la guerre pour 1843 ; j’ai trop d’estime pour les membres qui la composent, pour vouloir leur dire quelque chose de désobligeant, et cependant je crains bien que mes paroles, tout en ne portant que sur les principes, ne les blessent involontairement.
Le rapport sur le budget de 1842, s’exprimait en ces termes :
« Le budget de la guerre pour 1842 a provoqué de la part des sections, plusieurs demandes de renseignements ; aucune section n’a demandé de réductions déterminées ; la section centrale a cru que les sommes demandées par M. le ministre de la guerre étaient suffisamment justifiées par les développements joints au projet ; aussi s’est-elle bornée à vous présenter, avec les demandes faites par les sections, les réponses qui y ont été faites par le gouvernement. »
Si vous ouvrez le Moniteur, qui rapporte la discussion de ce budget, vous verrez une grande unanimité pour admettre le chiffre proposé de 29 millions et demi, comme normal ; vous entendrez entre autres M. de Man d’Attenrode, s’exprimer en ces termes :
« L’expérience des deux années qui viennent de s’écouler, nous a à peu près fixés sur le chiffre nécessaire à l’entretien de l’armée en temps de paix.
« Ce chiffre est de 28 à 30 millions ; il absorbe le tiers de nos ressources environ.
« Une dépense aussi considérable, reconnue nécessaire en quelque sorte sans contestation, car ni la section centrale, ni les sections, ne proposent de réductions notables, une dépense aussi grande, dis-je, établit assez la haute importance de la grande institution qu’elle tend à soutenir, et dont la mission est le maintien de l’ordre et la défense de notre indépendance.
« Pour que l’armée puisse rendre à notre patrie les services qu’elle est en droit d’attendre d’elle, après d’aussi grands sacrifices, il faut qu’elle soit fortement constituée ; les moyens d’une forte existence ne lui manqueront pas de notre part, nous l’ayons assez prouvé depuis 10 ans ; c’est à l’administration à faire le reste. »
Ecoutez M. de Brouckere, répondant, en qualité de membre de la section centrale, aux observations d’un membre qui demandait des réductions nouvelles :
« La section centrale de 1840 argumentait de ce qu’avaient avancé, dans la chambre, les prédécesseurs du ministre, et elle disait au ministre : vos prédécesseurs ont dit plus d’une fois que 25 millions suffisaient ; si maintenant vous ne prouvez pas que vos prédécesseurs se sont trompés, si vous n’établissez pas qu’une somme plus forte vous est nécessaire, nous serons autorisés à conclure que 25 millions suffisent.
« Mais ce n’était pas là une opinion arrêtée chez les membres de la section centrale ; elle avait si peu d’opinion arrêtée que 25 millions devaient suffire qu’elle ne se serait pas refusée à proposer d’accorder 30 millions au ministre, s’il avait voulu formuler lui-même son budget. »
L’honorable M. Brabant, rapporteur des budgets de la guerre de 1840, 1841, 1842 et 1843, vous disait l’année passée, en comparant les effectifs de 1840 à 1842 :
« Voilà une réduction de 120 officiers d’infanterie et de 11 officiers de cavalerie. Remarquez, comme on vous l’a déjà dit, que la somme demandée pour 1840, s’élevait à 32,790 francs et que celle demandée pour 1842 ne s’élève qu’à 29,500,000 francs. La différence est de 3,290,000 francs à l’avantage du budget que nous discutons. Cette réduction dépasse de 228,000 francs la réduction qui avait été proposée par la section centrale.
« Vous voyez donc que, sans toucher aux existences, le ministre de la guerre est parvenu à opérer une réduction très notable sur le chiffre qui avait paru nécessaire à son prédécesseur. Je ne crois pas que cette réduction ait eu lieu aux dépens de la force qui est nécessaire pour maintenir la tranquillité dans le pays et pour donner l’instruction nécessaire aux soldats, dont on pourrait avoir besoin si notre indépendance était menacée.
« Le nombre des officiers de troupes est de 2,601, et l’effectif des sous-officiers et soldats est de 30,197.
« Bien que ces chiffres dépassent ceux des projets présentés en 1832 et 1833, je ne crois pas possible de faire une grande réduction dans l’effectif des hommes de notre armée. En 1832 et 1833, le nombre des officiers était inférieur à ce qu’il est devenu depuis le développement qu’a reçu la force publique. Pendant ces années et les années postérieures, il a été facile de décréter la mise en non-activité d’officiers dont la plus grande partie n’avaient pris que depuis peu de temps le métier des armes, n’avaient pas perdu les habitudes de la vie civile, et n’étaient pas éloignés de l’état professé avant l’entrée au service. Mais ce n’est pas après douze ans qu’on peut avoir recours à un remède qui était applicable après deux années.
« Du reste, je pense que personne dans la chambre ne voudrait réclamer avec rigueur l’application de la loi de 1836 sur la position des officiers. Je donnerais volontiers les mains à un projet qui aurait pour but de faire un sort aux officiers qui ne trouveraient plus assez d’avancement dans la carrière des armes. Ce serait une chose également avantageuse pour l’armée et pour l’Etat, car on ne peut pas se dissimuler que les réductions qu’on pourra introduire, ne seront jamais bien importantes, et, d’un autre côté, je ne pense pas que l’avancement puisse être assez large pour que les officiers aient lieu de se louer d’avoir embrassé la carrière des armes. »
Et l’honorable rapporteur de la section centrale aurait pu mieux que personne, ajouter que mon prédécesseur qualifiait le chiffre proposé de 29 millions et demi de chiffre roc, de porte de sortie du ministère, en ne cachant à personne de son entourage que bien fin serait le successeur qui trouverait encore des économies à réaliser sur le budget, qui a été adopté sans discussion.
Ce chiffre semblait donc avoir été admis, an moins tacitement, comme normal, et ce n’est pas sans un vif sentiment de surprise et de peine que je l’ai vu remettre en discussion.
Qu’y a-t-il donc de changé, messieurs,, entre les deux situations de 1842 et de 1843 ? Une fin déplorable est venue asseoir sur ce banc un autre ministre, une calamité terrible pour la France, et pour l’Europe, nous apprend combien les sécurités de l’avenir sont incertaines, sans même qu’un traité de paix, dont personne ne contestera la grande importance, puisse réussir à dissiper toutes les appréhensions de guerres futures.
Les sommes demandées sont-elles donc moins justifiées ? Elles le sont plus, car le budget de 1843 contient les chiffres organiques, tant pour les états-majors que pour les troupes, il permet une augmentation de 2,044 hommes d’infanterie ; il majore pendant un temps assez long l’effectif de la cavalerie ; il conserve à l’armée 24 pièces de plus qu’on voulait imprudemment démonter, et il est grevé pour la ration de pain seule, d’une majoration de 457,007 fr. ; enfin, il donne la certitude que le chiffre pétitionné ne sera pas dépassé dans l’avenir, tandis que le budget de 1842, dont l’adoption ne rencontrait aucune difficulté eût exigé, pour être normal d’après les arrêtés organiques existants, une augmentation de 1,770,753 fr.
Un résultat aussi favorable n’a pu être obtenu sans sacrifices ; il a exigé un retrait de 446 emplois d’officiers.
Je suis donc autorisé à dire, que bien loin de n’être pas suffisamment justifié, ou d’excéder les limites des allocations qu’il convient d’affecter à notre force armée, j’ai opéré des réductions que la chambre avait rejetées, puisqu’en 1840, elle a voté 31 millions de crédits pour le département de la guerre, alors que la section centrale ne lui demandait qu’un budget de 29,727,078 fr., somme qui dépasse encore de 272,000 fr. la demande de crédit que je crois avoir pleinement justifiée.
Le passage du pied de guerre à celui de paix eût cependant légitimé alors des retraits d’emplois qu’une paisible possession ne semble aujourd’hui plus permettre. Ces suppressions paraissent d’autant plus impossibles que la chambre a refusé, en 1840, d’adhérer aux propositions de la section centrale, qui, à cette époque, ne demandait qu’une réduction de 825 officiers au lieu de 1,015 qui vous sont proposés aujourd’hui.
Que vous importent, messieurs, les désirs de quelques officiers paresseux, qui préfèrent une honteuse disponibilité à l’énergique activité du soldat ? Pour ceux-là, ce peut être une reconnaissance d’argent, mais il n’en est pas ainsi pour ceux qui, en 1839, vous rendaient l’argent en échange de cartouches qu’ils avaient hâte de brûler. A ceux-ci, point d’ingratitude, aux autres de l’argent.
Ne croyez cependant pas, messieurs, que je veuille influencer votre décision par des questions d’intérêt particulier, là où l’intérêt national fait taire toute autre considération
Qu’a-t-on allégué pour repousser, en 1843, le chiffre de 29 millions et demi, adopté sans contestation en 1842 ? Le budget normal fait en 1832, au chiffre de 25 millions, considéré comme normal pendant la durée de nos négociations diplomatiques. Le ministre même, qui en était l’auteur, l’a bien clairement expliqué, comme vous avez pu le remarquer.
Il vous prouve même qu’il règne plus d’économie dans les services, puisque les évaluations feraient monter ses demandes de crédits pour l’effectif actuel à 29,867,400 fr., c’est-à-dire, 422,400 fr. de plus que les crédits demandés pour 1843. Croyez-en l’expérience de ce général, aujourd’hui tout désintéressé dans la question, « que l’on doit convenir que le chiffre de 25 millions, pour le budget de la guerre, n’est réellement pas applicable dans les circonstances actuelles, et qu’il n’a été produit que dans une hypothèse impossible à réaliser aujourd’hui, sans s’exposer à de graves inconvénients. »
Croyez à ses connaissances étendues, à sa sincérité bien réelle, qui vous avertissent que l’augmentation d’effectif, reconnue indispensable sur ce budget fictif de 1832, est fondée :
« 1°. Sur les besoins réels du service intérieur des places de guerre et de garnison ;
« 2° Sur le maintien, en temps de paix, des cadres d’organisation des différentes armes, tels qu’ils ont été établis après une discussion éclairée par la commission qui, entrant dans les vues d’économie qui lui étaient spécialement recommandées, les a réduits au minimum de ce qu’ils peuvent être sur le pied de paix. »
Le chiffre de 29 millions et demi est-il donc exagéré ? Si nous comptons avec nos voisins, nous verrons, en tenant compte de la valeur de l’argent, calculée d’après le prix des céréales, consacrer par :
- la France, 334,999,760 à une armée de 344,000 hommes ;
- L’Autriche 145,806,451 à une armée de 264,000 hommes ;
- La Prusse 108,480,195 à une armée de 122,000 hommes ;
- La Hollande 27,460,000 à une armée de 27,500 hommes ;
- La Sardaigne 31,321,735 à une armée de 34,000 hommes ;
- La Bavière 28,525,401 à une armée de 22,000 hommes ;
La Belgique, au contraire, ne paie que 29,500,000 à une armée de 35,000 hommes, et toute la longue énumération de chiffres faite hier par l’honorable rapporteur, a prouvé qu’avant la 1830, la France, au milieu de la paix la plus profonde, payait au-delà d’un million par 1,000 hommes armés.
Craignez, messieurs, qu’une trop grande économie ne devienne désastreuse par cela même qu’elle préparerait un second revers de 1831, mais cette fois d’autant plus malheureux, qu’il sera reculé de notre régénération.
L’on m’a accusé de méconnaître le pacte fondamental en ce qu’une loi ne m’avait pas paru indispensable pour fixer la composition de l’armée ; parce qu’il me semblait suffire de réserver aux chambres la question d’argent et le contrôle dans tous les moindres détails, pour éviter des débats dangereux par leur publicité s’ils doivent être sincères et complets. La note qui vous a été remise vous aura prouvé que mes doutes sur la portée de l’art. 139 de la constitution étaient fondés. J’avancerai même que j’ai été effrayé des difficultés dont une telle loi est hérissée pour parer à toutes les éventualités, et pour tout règlementer, non seulement dans le personnel, mais encore dans le matériel et l’armement de nos places fortes, véritable dédale pour des dispositions législatives.
Dans cette position, j’avais cru de mon devoir d’établir le projet de budget qui vous est soumis, sur une composition organique de l’armée, restreinte dans le chiffre voté en 1842 ; car n’oubliez pas que les arrêtés qui servaient de base au budget de 1842 demandaient de le porter de 29 millions et demi à 31 millions 23l,669 ou forçaient à maintenir dans les emplois des vacances, sources constantes et légitimes de mécontentement et de désaffection dans l’armée, en ce que l’avancement possible, dans les limites des arrêtés et des lois, est un droit acquis, sans lequel l’art. 124 de la constitution ne serait qu’une déception.
On me reproche comme illégal l’arrêté du 4 juin dernier sur la composition donnée au génie. Sans vouloir anticiper sur la discussion, qui trouvera sa place à l’article même du génie, je dois m’empresser de rassurer la chambre, en lui disant que mes honorables adversaires ne pourront citer aucune loi qui d’une arme du génie en fasse deux, dont l’une serait appelée état-major du génie, et l’autre troupe du génie.
A ce compte, il en serait de même des autres armes, et au lieu des quatre armes reconnues par la tactique et la stratégie, il y en aurait huit.
On parle d’illégalité au ministre, et la section centrale propose la suppression des lieutenants-colonels, en présence de la loi sur l’avancement, qui nous dit :
« Nul ne peut être colonel, s’il n’a servi au moins deux ans comme lieutenant-colonel. »
Dans la discussion des articles, je vous démontrerai combien j’ai été fidèle observateur, non seulement de la loi, mais encore des droits de tous.
La proposition de décimer les cadres a été étayée de l’exemple de l’armée des Pays-Bas et de l’armée française avant 1830 ; c’est un exemple heureusement choisi pour prouver que l’absence d’un état militaire bien constitué a laissé écrouler deux trônes. Je répondrai encore à de tels faits par notre propre histoire, qui n’a que trop confirmé, en 1831, que l’énergie révolutionnaire ne supplée pas à la bonne composition des cadres.
On a cru se faire une arme des opinions des généraux d’Ambrugeac, Lamarque, etc. ; vous en aurez apprécié la portée en remarquant de quels bancs ces opinions sortaient et l’époque où elles se produisaient.
L’on a argumenté de l’excellence des organisations impériales de 1810 : s’il est quelqu’un qui doive les respecter, c’est à coup sûr le lieutenant de l’empereur ; eh bien, le 8 septembre 1841, proposait-il au roi des Français le rétablissement de ces décrets impériaux ? Non, messieurs, il proposait au roi une nouvelle ordonnance portant organisation des cadres des divers corps de toutes armes. C’est que l’art militaire, progressant comme tous les autres, crée des nécessités nouvelles auxquelles il faut satisfaire.
Quel sera le juge de ces nécessités, celui qui fait de l’art de la guerre l’objet de ses études continuelles, ou celui qui s’en occupe accidentellement ? Vous en déciderez vous-mêmes.
Cette base impossible du 8ème de l’armée française, l’accorde-t-on dans son entier ? dans ce cas, la France maintenant pour ses divisions territoriales de l’intérieur 306,000 hommes, notre armée devrait en comprendre 38,000, au lieu des 35,000 hommes demandés.
Il en sera de même des allocations, et nous n’aurions pas à défendre laborieusement un budget de 29 millions et demi alors que le 8ème du budget de la guerre français, pour l’intérieur, nous en donnerait un de 35,485,188 fr.
Mais un état militaire se base sur d’autres considérations, il doit être en harmonie parfaite avec le système admis pour la défense de nos droits, pour le maintien de l’inviolabilité du territoire.
Les observations qui nous ont été soumises, contiennent assez d’indications pour ne pas devoir insister plus longtemps sur une vérité aussi simple pour tout le monde, et je manifesterai peu de sympathie pour des chiffres abstraits, qui ne peuvent contenir ni indiquer les nécessités morales et politiques sur lesquelles on a basé leur disposition,
Nous vous avons signalé l’insuffisance du chiffre de l’infanterie pour les exigences du service des places du chemin de fer, etc. ; service qui est réglé non sur l’arbitraire, mais sur les besoins de sécurité et de surveillance pour la garantie des propriétés de l’Etat, pour la sûreté de ses places fortes.
Comment vous propose-t-on d’y remédier ? En rejetant les 2,044 hommes que nous donnons à l’infanterie et en supprimant les cadres de 2 compagnies dans chaque bataillon, comme si le service de garnison n’incombait qu’au simple soldat. Mais les cadres qui resteront seront surchargés de service et privés d’avancement.
L’honorable rapporteur a qualifié nos compagnies de squelettes, parce que les allocations dont il m’a été possible de disposer ne leur donnent pas les 10 hommes en plus qu’il leur accorde. Les chiffres qui nous réduisent à l’état de squelette font la bonté de l’infanterie anglaise, la première peut-être de l’Europe, en ce que leurs compagnies n’atteignent au complet de guerre qu’environ l’effectif de 80 hommes, officiers et soldats.
Mais ce qu’il importe, c’est que le bataillon, l’unité de force avec laquelle on manœuvre, ait de la consistance ; d’après la section centrale le bataillon aurait 316 hommes, et d’après nous 400.
Quant aux cadres vides du bataillon de réserve, il fallait les mentionner comme tels en 1841, alors que l’arrêté de septembre 1841, les instituait au nombre de 6 par bataillon, tandis que nous les avons réduits à 4. Mais, qu’on se rassure, ces cadres vides ne seront pas oisifs ; ils regretteront peut-être même les douceurs de la disponibilité.
L’on reproche à nos régiments de cavalerie de 600 chevaux de ne manœuvrer qu’avec 4 escadrons. Avec combien d’escadrons manœuvreront-ils quand, d’après la section centrale, on les aura réduits à 500 chevaux ?
L’honorable rapporteur a, par des chiffres, prouvé que les cavaliers ne pansaient jamais trois chevaux ; il ne tient pas compte de tous les hommes qui ne font pas de service, et il serait mieux convaincu lui-même de l’état réel des choses en allant voir le régiment des guides.
Le remède ne consiste pas à encombrer pendant l’année entière les escadrons d’hommes à pied, mais bien d’en majorer le nombre pendant les 4 mois d’exercices préparatoires des recrues.
Quant à ses comparaisons de l’artillerie belge avec l’artillerie française, s’il avait consulté un officier d’artillerie, il aurait appris que nos batteries avec 8 pièces ne peuvent manœuvrer comme les batteries françaises qui n’en ont que 6, et que la différence du matériel, en nécessite d’autres dans l’organisation.
Quant aux règlements qui régissent notre intérieur et que l’honorable M. Brabant appelle surannés, je puis dire qu’ils suffisent pour assurer les détails du service ; et, sous ce rapport, notre armée ne craint aucune comparaison, pas même celle de la France, d’après l’opinion éclairée du général Desprez, qui l’a bien appréciée.
Messieurs, la pensée, non de la section centrale, pourrais-je presque dire, car M. de Garcia vous demande 70 mille hommes, je pense, mais celle de l’honorable rapporteur vous a été exposée hier quand il vous a proposé une armée de 50 mille hommes.
Ce ne sont donc plus des modifications de détail dont il s’agit, bien un véritable désarmement.
Ainsi présenté il trouvera bien peu de sympathie dans cette chambre qui applaudissait à la déclaration dont l’Europe a pris note, qui battait des mains aux paroles d’un de ses honorables membres, « qu’en cas de défaite, ce n’est pas seulement le lion de Waterloo qu’on devrait abattre, mais qu’il faudrait aussi démolir le monument de la place des martyrs ! »
Vous n’admettrez pas une telle proposition, et je n’hésite pas à appeler de l’avis de la section centrale à la chambre même, non plus dans l’intérêt de l’armée mais à mes yeux dans celui de la nationalité belge.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, j’ai tenu peu de compte de ce qui a été publié, parce que je n’y voyais aucun caractère officiel. Dans une publication distribuée ce matin, de l’authenticité de laquelle je doutais, j’ai été violemment outragé. C’est un libelle contre moi, et le ministre vient de le faire sien en faisant dans tout son discours une distinction incessante entre le rapporteur et la section centrale, comme si le projet de la section centrale était l’œuvre du rapporteur.
Je prierai les honorables membres qui composaient la section centrale de s’expliquer sur ce point. Je ne recule devant aucune de mes propositions. J’ai fait la plus grande partie, je puis même dire tout le travail de la section centrale. Je ne recule pas devant cette responsabilité. Mais le rapporteur ne doit pas marcher ainsi, isolé. Je me suis donné beaucoup de peine ; j’ai compromis ma santé pour faire consciencieusement et en bon patriote, mon rapport sur le budget de la guerre ; mais je n’ai fait que présenter les résolutions prises par la section centrale. Je demande que les honorables membres s’expliquent, sinon je ne défends plus son travail.
Plusieurs membres. - Ils ne sont pas présents.
M. Demonceau. - Si on traite comme cela les rapporteurs, il n’y a plus de gouvernement constitutionnel possible.
M. Rogier. - Si on maltraite l’armée, il n’y a pas de nation possible
M. le président. - L’honorable rapporteur du budget de la guerre a été l’organe fidèle de la section centrale, il n’a fait qu’exprimer les résolutions qu’elle a prises.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je n’ai nullement l’intention d’outrager l’honorable rapporteur de la section centrale, j’ai rappelé un fait qui s’est passé hier. L’honorable M. de Garcia a développé un projet qui portait l’armée à 70 mille hommes, celui présenté par M. Brabant la réduit à 50 mille hommes, il m’était bien permis de dire qu’il n’y avait pas d’accord entre ces deux membres de la section centrale.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, je sais et les honorables membres qui composaient la section centrale savent également de quelle manière j’ai été traité dans son sein par M. le ministre de la guerre. Il croit que dans mon travail j’ai été guidé par une animosité personnelle contre lui. Il n’en est rien ; et je crois que les honorables membres qui ont lu mon rapport conviendront qu’il a été rédigé avec beaucoup de modération. Je ne devais pas m’attendre après tant de modération à être traité comme je le suis, et dans des écrits officiels et dans des écrits qu’on sait émanés du département de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - L’honorable M. Brabant vient de vous parler de ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale ; il y a un fait qui me semble devoir être rectifié.
J’ai cru, en effet, que l’honorable membre avait quelque animosité contre moi, mais je lui en ai parlé ; une explication franche et loyale a eu lieu et il ne m’en est resté aucun sentiment. Je ne sais donc à quel propos M. Brabant est venu rappeler cet incident.
M. Brabant. - L’écrit distribué ce matin l’explique suffisamment à ceux qui l’ont lu. (A demain ! à demain !)
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 5 heures.