(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et 3/4.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Kervyn communique l’analyse des pièces de la correspondance.
« Le sieur Charles Beretzé, lieutenant-adjudant-major au 9ème de ligne, né à l’île de Jamaïque, demande la naturalisation. »
« Le sieur A. Lanou, soldat à la 2ème compagnie du bataillon du 2ème de ligne, né à Gauchy (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les avocats du barreau de Mons demandent une augmentation du nombre de magistrats au tribunal de cette ville. »
M. Dolez. - Je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport. Je profite de cette occasion pour appeler dès à présent l’attention de M. le ministre de la justice sur l’objet de cette demande ; il s’agit de l’accroissement du personnel du tribunal de Mons, personnel qui est complètement insuffisant, au point que la marche du tribunal est entièrement entravée. Je prierai M. le ministre de la justice de vouloir dès à présent examiner cette affaire qui est déjà en instruction dans ses bureaux.
La proposition de M. Dolez est adoptée.
M. Raymaeckers informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances de l’assemblée.
- Pris pour notification.
1ère section
Président : M. Duvivier
Vice-président : M. d’Huart
Secrétaire : M. Malou
Rapporteur de pétitions : M. Zoude.
2ème section
Président : M. de Behr
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. de Renesse
Rapporteur de pétitions : M. Savart
3ème section
Président : M. de Garcia
Vice-président : M. Wallaert
Secrétaire : M. Lejeune
Rapporteur de pétitions : M. Morel-Danheel
4ème section
Président : M. Jonet
Vice-président : M. Lys
Secrétaire : M. Delfosse
Rapporteur de pétitions : M. David
5ème section
Président : M. Brabant
Vice-président : M. Dumont
Secrétaire : M. Sigart
Rapporteur de pétitions : M. de Man
6ème section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. Dubus (aîné)
Secrétaire : M. Cools
Rapporteur de pétitions : M. de Villegas
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
L’article 21 du règlement porte : Nul n’est interrompu lorsqu’il parle, si ce n’est pour faire un rappel au règlement.
Messieurs, avant-hier, la parole m’avait été accordée par M. le président une heure au moins avant la fin de la séance. J’étais debout en possession de la tribune, et je puis me servir de cette expression puisqu’il est ici d’usage de parler de sa place, lorsqu’une demande de parole, pour un fait personnel, est venue couper la mienne. J’ai réclamé mon droit de possession avec d’autant plus de raison que le membre qui m’enlevait mon tour de parole annonçait positivement qu’il voulait produire des observations au-delà du fait personnel. Voyant quel serait le résultat de cette digression, je n’ai pas consenti à perdre le droit de parler qui m’était acquis, mais des appels à la générosité ont retenti dans la salle, et, malgré ma volonté, j’ai dû me taire. Je ne suis pas étranger assurément au sentiment de complaisance, mais comme j’avais la cause la plus digne de sollicitude à défendre, cause bien supérieure à l’importance de tous les faits personnels quelconques, je ne pouvais me résigner à l’abandonner. En effet, messieurs, après les attaques les plus formelles contre les membres de l’ordre ecclésiastique, M. le ministre de l’intérieur a pris la parole. Il avait à prononcer un immense discours pour soutenir sa politique mixte ; il a fort bien, assurément, défendu son rôle ministériel. Mais, absorbé par sa propre affaire, dont il n’a pas négligé un atome, il n’a pas dit un seul mot pour repousser certaines allégations qu’il était essentiel de réduire à leur valeur. C’était là ma tâche, moi, qui n’ai pas besoin de m’occuper de moi-même. J’avais acquis le droit de la remplir, et je viens le réclamer de nouveau. Nous verrons si l’on se montrera non seulement complaisant, mais juste à mon égard, après avoir eu le temps de la réflexion. En effet, n’était-ce pas une autre infraction au règlement qu’un vote de clôture prononcé pendant qu’un membre était nanti de la parole accordée par le président, et qu’il avait dû subir le feu roulant des faits personnels se succédant les uns aux autres, en vertu d’une première violation de son droit.
Depuis douze ans que je siège dans cette chambre, j’ai prononcé assez de discours pour ne pas désirer, sans nécessité, d’en prononcer encore. Je sais que le temps presse ; aussi j’avais demandé une courte séance du dimanche que l’on m’a refusée. Mais je considère comme un devoir en cette circonstance d’insister pour réclamer le redressement du tort que j’ai souffert, ou pour mieux dire à ce client qui mérite tant d’égard et auquel on a fait un nouveau procès, sans qu’il ait eu de défenseur.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, à la séance précédente la chambre a consenti à entendre un long discours de l’honorable M. Rogier, en intervertissant l’ordre des inscriptions à la parole ; puis elle a clôturé la discussion générale, sauf à laisser parler le rapporteur. Qu’est-il résulté de cette tolérance et de cette décision ? C’est que l’honorable M. de Mérode, qui était inscrit et qui allait parler, a perdu son tour de parole.
Quand, avant-hier, les amis de l’honorable M. Rogier réclamaient pour le laisser parler, que la chambre fît un moment abstraction de son règlement, ils disaient : vous devez laisser parler un ancien ministre, et la chambre a laissé parler l’ancien ministre, bien qu’il n’eût pas le droit de parler d’après le règlement. Eh bien, l’honorable comte de Mérode est aussi ancien ministre, et il me semble que s’il y avait convenance, comme on l’a dit, d’entendre, remarquez-le, une deuxième fois M. Rogier, il y a d’autant plus convenance d’entendre une première fois M. de Mérode. Car il serait, me paraît-il, peu convenable d’enlever la parole à un ancien ministre, pour la donner une deuxième fois à un membre de cette chambre dont la position est analogue ; je demande donc que la chambre entende l’honorable comte de Mérode.
M. le président. - Dans la séance de samedi, la chambre a clos la discussion générale, sauf à entendre M. le rapporteur dans la séance d’aujourd’hui. M. de Mérode était le premier orateur inscrit avant la prise de cette décision. Maintenant M. de Mérode réclame la parole. ; comme il y a clôture, je constaterai la chambre.
M. Rogier. - Messieurs, je suis une des causes involontaires de la réclamation de l’honorable M. de Mérode. Je ne puis donc pas m’opposer à ce qu’on lui accorde la parole ; cependant je ferai observer que si l’honorable M. de Mérode rentre dans la discussion de faits administratifs qui ont rapport à l’ancien cabinet, force sera bien aux membres de ce cabinet de se défendre ; de manière que dès maintenant, tout en appuyant la proposition de laisser parler M. de Mérode, je fais mes réserves afin que la chambre autorise également les membres de l’ancien cabinet à se défendre, pour le cas où ils seraient attaqués.
- La chambre décide qu’elle accorde la parole à M. de Mérode.
M. Lebeau. - Il est bien entendu sans doute qu’on pourra répondre à l’honorable membre, s’il y a lieu.
M. de Mérode. - Messieurs, il est de la plus haute importance de combattre strictement et avec fermeté et franchise complètes, l’idée qu’on s’est plu à présenter à plusieurs reprises concernant la cause des violences dont la ville d’Ath a été le théâtre, au moment des élections dernières. Le prêtre, a-t-on répété avec insistance, doit se renfermer dans son ministère, ne pas s’occuper des affaires de l’Etat, ne pas s’intéresser activement au choix des représentants du pays ; c’est-à-dire, que le prêtre doit se figurer bonnement que les lois n’agissent en rien sur les mœurs, et que le caractère des lois ne dépend point du caractère et des sentiments de ceux qui les discutent et les votent.
Partout, et on semble oublier cependant une vérité si palpable ; partout la situation morale, la constitution matérielle des peuples dépend de leur culte. Là où règne l’idolâtrie, la position de l’homme est déplorable au plus haut degré, d’horribles superstitions le dégradent, il est sacrifié soit à Saturne, comme chez les anciens, soit à Vitzliputzli comme chez les Mexicains, avant la découverte de l’Amérique ; en Chine, l’infanticide est considéré comme licite afin de restreindre la population. Chez les mahométans, qui ont beaucoup pris dans la loi révélée mosaïque et même dans le christianisme, la civilisation est généralement meilleure ; cependant la femme, cette moitié du genre humain qui, chez nous joue un rôle si beau, bien que certaines fonctions lui soient interdites, est à peine considérée comme possédant une âme. Les grands la séquestrent dans les harems, et l’usage de la race souveraine d’Othman était en outre naguère de tuer les enfants qui pouvaient porter ombrage à l’héritier du trône. Le christianisme a établi avec une autorité suprême la monogamie, l’homme ne peut avoir qu’une seule femme, il doit la considérer comme sa compagne, non comme son esclave. Dans l’Eglise catholique le divorce est défendu strictement. Il a été aboli en France sous la restauration, et malgré la tendance à briser tout frein, qui succéda au mouvement de 1830, cet ordre, si convenable à la stabilité de la famille a été maintenu. J’en ai dit assez, messieurs, pour démontrer brièvement quelle connexion il existe, chez tous les peuples, entre la religion et la législation. Il est donc facile de juger si le prêtre ne doit pas prudemment exercer l’influence qu’il possède l’égard de tout ce qui agit sur le régime légal imposé à ses ouailles. Peut-il demeurer indifférent à la confection des lois, quand la loi même lui laisse, et à juste titre, l’exercice de ses droits de citoyen ?
Si le clergé de France, qui possède tant de vertus, mais que des traditions, respectables par leur origine, des traditions qui remontent au règne de Louis XIV et à l’illustre Bossuet, avaient rendu moins capable que le clergé belge de concevoir l’ordre gouvernemental mixte ; si le clergé de France, dis-je, pouvait faire entrer dans les chambres un certain nombre de députés, vrais libéraux et amis de la religion comme le sont beaucoup de membres des nôtres, l’article de la charte française qui a proclamé la liberté de l’enseignement serait-il depuis douze années une lettre morte, laissant peser lourdement le monopole qui cause un mal immense à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, surtout dans la classe moyenne ? L’on ne manque point cependant, dans les chambres françaises de députés libéraux pleins d’ardeur pour toutes les libertés possibles. Que de propositions n’ont pas été faites contre les lois de septembre, qu’aucun écrivain de bonne foi et respectant la dynastie acceptée par la nation et la charte de 1830, ne peut craindre, tant elles laissent le champ libre à la discussion utile des intérêts publics ! Que de motions, tantôt contre les députés fonctionnaires, tantôt contre je ne sais quels autres insignifiants griefs que l’ou poursuit avec un zèle si puritain ! Mais en vain sont déposées sur la tribune des pétitions d’honnêtes pères de familles, qui ne veulent pas confier l’avenir de leurs enfants à des professeurs dont la religion, la morale est au moins inconnue, les redresseurs de torts gardent le silence. Est-ce une affaire digne d’eux, que la liberté la plus précieuse pour des parents chrétiens, que l’exercice d’une liberté inscrite en toutes lettres dans la charte des barricades ?
Vous le voyez, messieurs, quand les institutions qui intéressent à un haut degré l’Eglise n’ont point pour défenseurs dans le parlement des hommes qui les comprennent, qui y tiennent du fond du cœur comme mes honorables amis et moi, elles restent sans force. Et cependant, comment l’Eglise, comment le clergé, qui est son organe, conserverait-il chez une nation les dogmes et la morale catholiques si l’éducation chrétienne manque essentiellement au pays ?
Il n’y a pas longtemps, c’était le 2 janvier dernier, M. le baron Charles Dupin rappelait à l’Académie des sciences que le tiers du peuple de Paris vit dans le libertinage, qu’un tiers des enfants sont bâtards, qu’un huitième est exposé et abandonné dès sa naissance, et qu’un tiers expire à l’hôpital ou sur le plus misérable grabat ; mais aussi, en revanche, le même peuple ne subit pas la terrible, l’effrayante influence cléricale, si menaçante dans notre siècle et qu’accepte encore une partie notable de la nation belge, particulièrement dans les campagnes, et c’est pourquoi je désire qu’elle puisse exercer sans entraves, ainsi que ses pasteurs, les droits électoraux.
Cependant si les députés de la France, qui traitent beaucoup de questions d’Orient et d’Occident ou de questions de cabinet, s’inquiétaient sérieusement des véritables besoins de l’intérieur, sous les rapports religieux et moraux, croyez-vous que l’éducation universitaire et l’éducation primaire demeureraient aussi mauvaises qu’elles le sont généralement ? Croyez vous que l’enseignement des enfants du peuple de la grande capitale et des environs, bien soignés et placés sous une direction cléricale, pour me servir du terme favori du langage antireligieux, ne produirait pas, dans quelques années, une diminution très grande de tous les désordres rappelés par M. Dupin ? Quant à moi, j’ai la certitude que tel serait le résultat de cette direction. L’on me dira : vous avez ici la liberté de l’enseignement ; on vient de voter une loi sur l’instruction primaire que vous acceptez. Pourquoi le clergé ne renoncerait-il pas désormais au souci des élections ? Oui, messieurs, nous n’en sommes pas comme la France à l’exécution du plus important article de notre charte, je le sais ; cependant ce n’est pas tout que de naître, il faut conserver la vie, et si les besoins religieux qu’il faut avoir étudiés consciencieusement, profondément et non pas d’une manière superficielle, se trouvent dans les chambres sans interprètes suffisants, à l’avenir ils seront étouffés comme on le voit ailleurs. Et remarquez comme tout s’enchaîne dans les affaires de ce monde. Il y a en France beaucoup de députés opposants ou conservateurs distingués par le talent. Ils veulent, j’en suis persuadé, le bien du pays. Malheureusement, par suite de l’éducation qu’ils ont reçue, la plupart oublient la vraie base de conservation, la vraie base de progrès possible. De là leur insouciance pour l’éducation des générations qui s’élèvent ; ils laissent agir un certain nombre d’écoles des frères de la doctrine chrétienne, Il y en a douze à Paris, mais qu’est-ce que douze écoles dans une ville immense ? Et les collèges, quelle est leur direction religieuse, quelle philosophie y enseigne-t-on ? M. Lacordaire, prêtre dont les idées politiques ne sont assurément pas rétrogrades, a peint, en lettres de feu, la situation d’un aumônier dans presque tous les établissements royaux au milieu desquels il a vécu en cette qualité.
Les jeunes gens qu’ils ont formés deviendront ensuite électeurs, puis députés ou ministres, et sous leur influence, restera dans le même état cette société, que M. de Balzac définit dans une lettre adressée à M. Ch. Nodier, une société basée uniquement sur le pouvoir de l’argent, où le succès est déifié ; quels que soient ses moyens, et sur laquelle il invoque un prompt retour au catholicisme, afin de purifier les masses ; or, comment parvenir à ce but, si le législateur ne cherche pas à l’atteindre, et pourrait-il chercher ce qu’il ignore ?
Voilà, messieurs, bien des motifs pour justifier l’action loyale du clergé dans les élections en faveur des hommes dont il connaît l’intelligence de ce qui concerne la religion. Sans doute, il s’expose ainsi à quelques mécontentements de la part des personnes qu’il contrarie, mais l’antagonisme universel, résultant des libertés communales et de la presse, ne retient pas ceux qui ne les trouvent jamais trop larges, et qui imposent au clergé tant de circonspection.
Que si l’on examine l’usage que les ecclésiastiques ont généralement fait de leur influence à l’égard des élections, on le trouve très modéré. Je ne suis pas ici pour complimenter mes amis ; mais je me demande où l’on rencontre des mandataires du peuple plus dignes qu’eux de sa confiance, plus sincères observateurs de leur serment constitutionnel. Pas un ne désire accaparer les places au profit de leur opinion ; pas un ne veut que l’on exclue des emplois supérieurs ou inférieurs et du pouvoir gouvernemental des hommes honnêtes et capables d’une opinion différente qu’on appelle libérale, je ne sais vraiment pourquoi ; car il semble, ainsi, que la nôtre est avare ou arbitraire. Je dois le dire, cette expression me paraît aussi impropre que si je qualifiais notre couleur de magnifique, ou si je nommais mes amis les généreux, ce qui établirait au moins une sorte d’équilibre avec le terme libéral, qui éblouit apparemment bien des gens faciles à séduire par des mots. Le meilleur me semblerait celui d’éclectique, l’éclectisme étant la doctrine que chacun se fait à lui-même comme il lui plaît, en puisant de toute part. Il ne blesse d’ailleurs personne, c’est pourquoi je l’adopte. Il est ensuite un troisième parti, qui ne se met jamais du côté des catholiques, c’est celui qui se permet les charivaris, les coups, les insultes publiques, les strangulations tentées dans les réunions électorales, sous prétexte que le clergé doit se renfermer dans son ministère, qui procède en définitif par l’intimidation et la violence. Celui-là n’est pas difficile à qualifier, je le nomme le parti libertin. Il possède à Bruxelles un organe si noble qu’on n’en voit pas ailleurs de pareil. Si je connaissais un parti fanatique, dévot, capable de commettre de semblables actes, je ne le ménagerais pas davantage dans mes expressions, et si le parti libertin pouvait renouveler ses excès, je le déclare, il n’y aurait plus ici de gouvernement représentatif, autant vaudrait le knout russe qu’un pareil régime constitutionnel.
Et ici, messieurs, je dois relever directement certaines paroles de M. Lebeau ; parlant des scènes d’Ath, il a dit, avant-hier, qu’il les déplorait sans doute, mais qu’elles attestaient le danger qu’il y a pour le prêtre de descendre de l’autel pour entrer dans les comices électoraux. Quand un ecclésiastique va dans les comices électoraux avec des électeurs qui veulent émettre le même vote que lui, il ne descend pas de l’autel, il est citoyen belge, il a le même droit qu’un vénérable ou un grand orient. Dès qu’il y a danger pour lui et ses amis en agissant dans leur droit civique, il n’y a plus de constitution ; c’est en vain alors que mon frère aurait perdu la vie pour l’affranchissement de la Belgique du joug de la Hollande. Je n’aurais plus qu’à regretter sa mort, sa mort sans compensation, voyant qu’elle a empiré le sort des honnêtes gens du pays. Et si nous n’y prenons garde vigoureusement, c’est là que nous en viendrons avec de pareilles manières d’expliquer des attentats qui ne méritent que l’indignation pure et simple de toute âme sincèrement libérale.
Je viens donc combattre énergiquement l’affectation avec laquelle on a répété plusieurs fois que les scènes d’Ath attestaient le danger qu’il y avait, pour le prêtre, de prendre un part active et légale au choix des représentants de son pays. Ces scènes attestent l’esprit de brigandage et de despotisme brutal de ceux qui n’ont pas honte de s’en rendre coupables, rien d’autre. Et le candidat qu’ils portent n’a qu’à rougir de ses auxiliaires.
Voilà, messieurs, ce que devait dire M. Lebeau, et si jamais des hommes qui se prétendraient, fût-ce de très loin, mes partisans osaient violer honteusement ainsi le droit le plus digne de respect, en allant jusqu’à menacer de mort mes adversaires et portant sur eux des mains sacrilèges, j’aimerais cent fois mieux ne plus reparaître dans cette enceinte que d’y entrer par la porte que m’ouvriraient des bandits.
Mais admirez, d’autre part, quels poids différents pèsent dans les bassins de la balance de M. Lebeau, quand il apprécie des actes qu’il lui plaît de noircir à souhait. N’est-il pas avéré, dit-il, que les ecclésiastiques ont souillé leur soutane en allant mentir dans les bureaux du receveur de l’Etat, et quand ils revenaient ensuite recommander du haut de la chaire le respect de la vérité, ne s’exposaient-ils pas à ce qu’on les interrompît pour leur dire : vous qui recommandez l’observance de la vérité, hier vous avez menti chez le receveur de l’impôt ? Ainsi, messieurs, quelques prêtres, il y en a peut-être trois ou quatre, et autres personnes se sont aperçus que l’on se donnait pour les élections communales des droits électoraux, en payant, fût-ce sans le devoir, l’impôt nécessaire, et qu’il résultait des explications données à la chambre même par un honorable ministre, et sans contradiction, que le paiement de l’impôt suffisait pour exercer légalement le droit d’élire, ils ont saisi ce moyen d’augmenter dans leur sens le nombre des électeurs ; et c’est là une fraude, un mensonge sans excuse. On n’en parlait pas quand c’étaient d’autres qui usaient du moyen admis par la loi ; mais pour les derniers venus, manger l’herbe d’autrui, quel crime abominable ! Vite un projet de loi demandé contre ce méfait, et pour celui-là seulement ! Arrachez au plus tôt la paille qui se trouve dans un œil, gardez-vous de toucher à la poutre placée dans un autre. Voilà la logique qu’on nous prêche. Consentant à extraire les pailles, je veux que les poutres passent aussi par nos mains.
Pour en revenir à l’objet principal que je traite, je rappellerai que ce qui était permis et convenable à l’époque où MM. Lebeau et Rogier étaient nommés à Bruxelles et à Turnhout, à l’aide du concours des membres du clergé, doit l’être encore maintenant. Bien que ces honorables représentants aient aujourd’hui d’autres appuis, il est impossible que tous les droits se résument en leur personne. Si les prêtres se mêlaient ensuite de l’administration civile ils auraient tort, chacun sa tâche, ce n’est pas la leur. Cependant si la police est mauvaise dans une commune, si elle tend par sa négligence à démoraliser la jeunesse, si le bourgmestre se constitue systématiquement l’adversaire du desservant, la plainte ne doit pas être interdite à celui-ci près de l’administration supérieure, et l’administration supérieure ne doit pas maintenir le bourgmestre malveillant pour le ministre des cultes, quand même il obtiendrait le mandat municipal des électeurs. De l’action électorale et de l’action gouvernementale qui se balancent naît en effet, pour tous, le meilleur mode de protection.
Voilà, messieurs, comme j’entends l’application morale de l’encyclique, dont une nouvelle lecture nous a été faite, je ne sais pourquoi ; voilà tout ce que je désire, sans m’embarrasser de ce qu’a dit M. de Gerlache dans un livre ; si M. de Gerlache a entendu blâmer le principe de la liberté des cultes dans notre constitution. Quant à la presse, je ne crains pas de le dire, la licence qui existe ici comme en France est un grand malheur ; et quand on cherche pourquoi l’esprit religieux perd dans le pays, pourquoi les crimes, les suicides augmentent, c’est par le débordement des livres immoraux, par le dénigrement, les calomnies que de méchantes feuilles répandent partout. Et quand je blâme les déportements détestables, est-ce à dire que j’attaque la liberté ? Non messieurs, attaque-t-on la liberté de la circulation, parce que l’on ne permet pas aux promeneurs de s’écarter des chemins et des sentiers et de fouler aux pieds les moissons ? Eh bien, je dis que l’impunité des insultes, l’impunité des publications qui attaquent, qui corrompent la société, ressemblent, dans l’ordre moral, à ce que serait, dans l’ordre matériel, le droit de détruire la base de l’existence physique, les produits alimentaires fournis par les campagnes.
Sous ce point de vue l’encyclique ne peut-elle pas dire avec raison que la liberté de publier quelqu’écrit que ce soit est un mal ? et c’est ainsi que je la comprends pour mon compte et pour la Belgique, car je ne me mêle pas du gouvernement de toutes les parties du monde.
Je suis persuadé que si l’on faisait aujourd’hui la constitution, on soumettrait aux tribunaux inamovibles les délits de la presse dont le jury ne comprend pas le danger comme le danger des crimes ordinaires. Plus d’une fois, lorsque nous étions alliés politiques, M. Lebeau, M. Rogier m’ont exprimé la même opinion, et je ne doute pas que, si la constitution pouvait aujourd’hui être facilement révisée conformément à la forme prescrite, les délits de la presse seraient livrés aux tribunaux comme on leur a livré le duel même en cas de mort.
J’en ai dit assez, messieurs, je ne me charge pas de commenter toutes les lettres émanées de Rome. Ce n’est pas sans peine que j’ai vu l’empereur Nicolas qualifié, dans l’une de ces pièces, de souverain magnanime ; c’était, à mes yeux, trop de courtoisie, elle n’a servi à rien ; et même il ne nous servirait de rien d’avoir ici un représentant de l’autocrate tyran de la Pologne.
La foi ne m’oblige point à adhérer à autre chose qu’au principe du catéchisme de l’Eglise catholique, et sans avoir dans l’infaillibilité de tous les articles de la constitution belge la même confiance, j’ai juré de l’observer ; je ne manquerai pas à mon serment.
L’honorable M. Dolez vous a rappelé différents griefs que son opinion avait à déduire contre le ministère actuel. Selon lui, c’est par caprice, par une sorte d’intolérance, que mes amis et moi avons contribué à changer l’administration précédente. Messieurs, je connaissais pour mon compte, et par une longue expérience, les liens intimes qui unissaient deux des ministres précédents avec l’auteur d’une publication périodique, où l’on disait aux catholiques en résumé : « Vous n’êtes pas assez capables pour être admis dans la direction des affaires publiques ; vous êtes bons enfants d’ailleurs, mais faits exclusivement pour être conduits. » Cette doctrine fut signalée dans cette enceinte, et aucun des deux ministres auxquels je fais allusion ne voulut déclarer qu’il la répudiait. Je voyais donc, et il ne fallait pas pour cela une perspicacité bien grande, je voyais qu’on voulait tout bonnement nous réduire au rôle de moutons, rôle très facile assurément, mais si facile qu’il pouvait devenir ennuyeux, si ce n’est quelque peu niais. Messieurs, je ne m’en suis pas soucié. C’est un défaut d’humilité peut-être, mais enfin la mienne n’est pas illimitée, je regimbai franchement et j’ai ainsi concouru à l’avènement du ministère actuel, ce dont je n’ai point de regret, parce que je ne veux pas de système exclusif ; et si quelqu’un de mes amis, ayant sur moi une influence bien connue, écrivait publiquement que les citoyens désignés sous le nom de catholiques sont seuls aptes à remplir des fonctions éminentes dans l’Etat, je ne me laisserais pas interpeller deux fois, surtout si j’étais ministre, pour déclarer que j’abandonne à mon camarade tout l’honneur de son système et que je ne l’adopte en rien. Si autrement, j’exciterais à bon droit la suspicion de mes collègues, qui ne veulent point que les places se distribuent à la suite de certificats de dévotion, avec la même raison qui ne me permet point de tolérer l’ostracisme des fonctions gouvernementales, pour mes concitoyens soumis à l’observance exacte des pratiques religieuses. D’ailleurs, quand je vis le ministère, qui avait posé une question de cabinet sur le vote du budget des travaux publics, obtenir une faible majorité, majorité dont un membre, M. Meeus, déclarait récemment qu’il n’était point partisan du ministère Lebeau, et j’en connais bien d’autres semblables, je soutins beaucoup plus que ses amis M. Mercier, ministre des finances, qui remplissait son devoir envers le trésor de l’Etat, bien que ce devoir fût peu populaire.
Ce n’est point avec plaisir, messieurs, que je reviens sur ces choses passées, qu’on remue sous le moindre prétexte, et, malgré moi, il m’en a coûté, à cette époque, pour rompre avec des collègues comme MM. Rogier, Lebeau, Devaux, qui défendaient presque toujours avec moi l’essentiel après une révolution, c’est-à-dire les moyens nécessaires de gouvernement. Malheureusement, je vis poindre dans la Revue nationale l’idée que les doctrinaires possédaient une extrême supériorité d’intelligence politique et que la direction de la Belgique ne pouvait être parfaitement placée que dans leurs mains. Il y eut plus tard des articles mirobolants sur cette supériorité portée aux nues, lorsque la campagne Vandersmissen eut donné la victoire des portefeuilles à ceux auxquels on attribuait tant de savoir-faire, qu’avec eux le pays devait devenir transcendant. Or, pour atteindre un but si haut, il fallait, disait-on, l’homogénéité du cabinet ; de là, nécessité de mettre les catholiques proprement dits hors du conseil des ministres, et comme le parti contraire ne pouvait que gagner à ce revirement, on vit, chose bien simple, les plus chauds opposants se proclamer ministériels. Cependant, cette supériorité fameuse, que produisait-elle ? Un achat pour cinq millions du Président et de la British-Queen, monstres à vapeur dont l’Angleterre voyait l’inconvénient et qu’on acquit pour la petite Belgique, qu’on devait à toute force transformer en grande nation. Elle produisit en outre un mécontentement sérieux parmi les gens ordinairement les plus paisibles, à tel point que le sénat, auquel on ne peut reprocher trop de chaleur assurément, manifesta lui-même une opposition timide et polie que le ministère voulut écraser par un des moyens favoris de la théorie doctrinaire, à savoir une dissolution, qu’un pouvoir supérieur n’accueillit point. Ne croyez pas, messieurs, que, parce que je conteste à d’honorables membres de cette chambre, qui ont été ministres, un talent tout spécial et incomparable, qu’on a voulu leur attribuer ridiculement, j’aie oublié ce qu’ils ont fait de bien pour le pays dans des circonstances très difficiles ; nullement. Je désire seulement, dans notre intérêt commun, qu’ils renoncent aux arcanes de la doctrine, à ces prétentions qui répugnent aux habitudes belges et d’après lesquelles il faut se laisser mener par un chef, dont le génie doit conduire le pays au pinacle des lumières et de la prospérité. Qu’ils cessent de censurer les ecclésiastiques pour l’intérêt si juste, si bien motivé qui les engage dans les circonstances actuelles, à porter quelque zèle aux élections d’un certain nombre de représentants pénétrés des besoins de l’Eglise et instruits de son enseignement sérieusement médité. Ces mêmes ecclésiastiques et nous tous, on en a eu la preuve, ne cherchons pas à exclure du parlement d’autres hommes capables d’y servir utilement le pays, à moins que leur ambition ne devienne absorbante, inquiétante et ne nous force à une légitime défense, défense au scrutin libre bien entendu, sans violence et sans insulte. Nous ne voudrons jamais que celle-là.
M. Rogier. - Je ne veux pas prolonger la discussion générale ; je dois seulement rectifier un fait. L’honorable préopinant a dit que lorsque des relations intimes existaient entre lui et moi, j’aurais plusieurs fois manifesté le désir que les délits de la presse fussent remis aux tribunaux inamovibles et soustraits au jury. Je proteste contre cette assertion ; je n’ai pas tenu ce langage vis-à-vis de l’honorable préopinant, ni vis-à-vis de qui que ce soit. La constitution a remis les délits de la presse au jury, et je respecte la constitution sous ce rapport comme sous tous les autres.
Du reste, je déplore, comme l’honorable préopinant, les excès de la presse, de quelque part qu’ils viennent. Seulement il y a cette différence entre les journaux, c’est que les uns existent sons la censure de personnages respectables, tandis que les autres sont livrés à la liberté de chaque citoyen. J’ai cru devoir faire cette observation à l’honorable préopinant ; je ne doute pas qu’il puisse exercer une très grande influence sur certains journaux qui sont loin de donner l’exemple de la modération.
Du reste, il est une presse que tous les partis condamnent également, et que l’honorable préopinant ne devrait jamais faire descendre dans cette enceinte.
Je regrette l’absence de mon honorable ami M. Lebeau. Je suis convaincu qu’il ferait la même réponse que moi aux assertions de M. de Mérode.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il est toujours du devoir d’un gouvernement de défendre les institutions du pays. Je manquerais à ce devoir, si je n’exprimais à la chambre la peine que j’ai éprouvée de voir l’honorable préopinant jeter quelque défaveur sur le jury. Je pense que le jury ne mérite pas cette défaveur ; nous avons eu dans le pays très peu d’exemples d’acquittements que les amis de l’ordre pourraient blâmer.
M. de Mérode. - Vous n’osez poursuivre aucun journal.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Des poursuites ont été dirigées contre des journaux, et ont très souvent amené des condamnations.
Si la proposition était encore à l’état de théorie, si la constitution n’était pas faite, ce serait une très grave question de savoir s’il faut livrer les délits de la presse, les délits politiques à la magistrature permanente plutôt qu’au jury.
Il peut y avoir des acquittements de la part de la magistrature permanente comme de la part du jury. Mais il y a une très grande différence entre l’effet de l’acquittement.
Le jury vient, siège, disparaît ; sa décision ne forme pas un précèdent ; mais si la magistrature permanente, qui a déjà tant d’attributions, avait encore les attributions qu’on semble acclamer pour elle, les acquittements pourraient alors former des précédents, et dégénérer en système.
L’esprit qui animerait ae magistrature pouvant se généraliser et devenir permanent, vous seriez peut-être exposés à bien d’autres dangers ; c’est une considération sur laquelle je ne veux pas insister ; je me bornerai à l’examiner. (Interruption.)
Messieurs, je répète que le jury ne mérite pas cette défaveur, Il y a eu des acquittements qu’on a pu déplorer, mais ils sont très peu nombreux. Il y a un an précisément à pareille époque, un jury a rempli ses devoirs avec courage, avec patriotisme, avec intelligence dans la capitale du pays.
M’est-il permis d’ajouter qu’il y a un motif personnel pour lequel je n’ai pas dû me taire, c’est que je dois de la reconnaissance au jury. J’avais été indignement calomnié comme ministre des travaux publics ; je me suis avec confiance adressé au jury de mon pays, et le jury m’a rendu justice ; mais cette justice que le jury de mon pays m’a rendue, je puis l’invoquer avec plus d’assurance peut-être que si je l’avais obtenue d’une magistrature permanente.
Voilà, messieurs, les quelques paroles que j’ai cru devoir prononcer devant vous. Je demande bien pardon à l’honorable préopinant si je n’ai pas pu garder le silence ; je n’ai pas voulu que l’opinion s’accréditât de nouveau, et on aurait cherché à l’accréditer, que nous éprouvons un tel besoin de changer nos institutions, un tel regret de ce que nous avons fait en 1830, que nous sommes prêts à porter de nouveau la main sur l’une de nos grandes institutions.
M. de Mérode. - Messieurs, d’après les paroles de M. le ministre de l’intérieur, il semblerait que je veuille toucher à la constitution. Messieurs, je me suis borné à émettre une opinion constitutionnelle ; il est dans la constitution un article qui prévient les changements possibles. On avait parlé de l’encyclique, comme d’une doctrine catholique très dangereuse pour nos institutions. J’ai expliqué ce qu’était à nos yeux cette doctrine, en ce qui nous concerne et j’ai fait voir quel mal résulte pour la société de la publication sans règle quelconque de tout ce qui s’imprime maintenant.
Il semble que tout est pour le mieux aux yeux de M. le ministre de l’intérieur, parce qu’il a eu se louer personnellement du jury ; mais je lui rappellerai que le Roi et la Reine ont été insultés par des journaux de la manière la plus grave, et M. le ministre de l’intérieur, pas plus que les autres, n’a osé poursuivre ces journaux ; et cependant il était clair comme le jour que la culpabilité existait.
Dans le discours que j’ai prononcé tout à l’heure, je me suis renfermé dans les termes de la constitution ; je n’en sortirai jamais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, c’est précisément parce je ne veux pas qu’on donne aux paroles de l’honorable M. de Mérode une portée qu’elles n’ont pas dans sa pensée, que j’ai pris la parole. Maintenant une autre réflexion me vient, et je vais la soumettre à l’honorable préopinant : Est-ce qu’un acquittement que vous n’approuvez pas suffit pour vicier une institution ? Un acquittement a été prononcé, il y a quelques jours, il ne l’a pas été par le jury ; en est-ce assez pour condamner l’institution de la magistrature permanente ?
- Cet incident n’a pas d’autre suite. La chambre reprend la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, dans la longue discussion que je suis appelé à clore, deux sortes de questions ont été traités ; les unes politiques, les autres relatives au projet. Je n’ai l’intention que de parler de ces dernières. Je négligerai même beaucoup d’observations de détail qui ont été faites dans la discussion générale et dont l’examen trouvera mieux sa place dans la discussion des articles. Parmi les autres observations, il en est qui se rapportent à l’ensemble de la loi, il en est qui se rattachent à diverses questions de principes résolues par le projet.
La première objection générale consiste à dire que le projet est un remaniement intégral de la loi de 1831, que c’est une espèce de réforme électorale, d’autres membres ont même dit une véritable réforme électorale.
Le projet se compose, il est vrai, d’un certain nombre d’articles ; mais la plupart ont une importance si secondaire qu’on n’en a pas dit un mot jusqu’à présent. Le nombre des questions véritablement importantes est très petit ; aucune d’elles ne se rattache aux bases de la loi de 1831, aucune ne vient changer la majorité ; j’ajouterai que toutes ces dispositions sont justifiées par des faits.
Je partage l’opinion déjà émise dans cette enceinte, qu’il n’y a pas lieu de statuer à l’occasion de cette loi sur les pétitions relatives à la réforme électorale. La réforme électorale a été une question de bruit ; le bruit est passé, je ne vois aucune nécessité de faire renaître une question morte.
Une autre objection a été produite. On nous fait payer bien cher, a-t-on dit, la répression de la fraude. Il me semble, messieurs, que toutes les opinions ont un égal intérêt à l’exécution régulière et uniforme de la loi électorale. Il me semble qu’aucune opinion ne peut dire qu’elle a un intérêt exclusif à ce que les listes soient régulièrement formées, les opérations faites avec ordre et conduites avec toute la rapidité possible. Ce sont là les dispositions essentielles du projet ; elles sont conçues dans l’intérêt de toutes les opinions.
La loi ne pouvait se borner à prévoir un seul pont. Dès les discussions qui ont eu lieu au mois de décembre, on devait s’attendre à ce que d’autres dispositions fussent posées ; M. le ministre l’avait déclaré, d’autres membres avaient signalé des faits qui appelaient aussi des mesures législatives nouvelles.
Un honorable orateur, qui a ouvert la séance de samedi, s’est étonné de la docilité de la section centrale, quant à la question de disjonction du projet. Cette question s’est présentée, mais la section centrale n’a pas été appelée à statuer, parce que l’on n’a pas insisté. Il me paraît évident que cette proposition ne pourrait plus être reproduite aujourd’hui, puisque l’on s’est occupé des dispositions principales du projet.
La dernière observation générale qui a été présentée concerne la forme, la rédaction du projet. Un honorable membre, dans l’une de nos dernières séances, a cru en caractériser la forme en disant qu’il paraissait avoir été rédigé, du moins en partie, par des marguilliers de village ; l’honorable membre n’a oublié qu’une chose, c’est d’indiquer à quoi il avait reconnu cette main de marguillier de village. Si des observations fondées sont faites au sujet de la rédaction des articles, je m’empresserai, du reste, de les accueillir. Je me suis étonné de ce reproche, parce que d’autres membres ont dit que le projet de la section centrale renfermait beaucoup d’articles, beaucoup de finesse, je dirai presqu’une sorte de perfidie. D’un autre côte, on accuse la section centrale d’avoir proposé un projet contenant des preuves nombreuses d’ineptie, d’ignorance, car je pense que c’est là le sens de la première accusation.
Je distingue dans ce projet cinq dispositions principales, auxquelles je crois devoir m’arrêter quelques instants : l’art. 2 concernant la possession du cens ; l’art. 6, qui contient le principe de l’appel ; l’art. 11, qui règle la formation des bureaux ; l’art. 13 relatif a l’entrée de tous les électeurs dans tous les bureaux et l’art. 16 nouveau, qui concerne la simultanéité du vote.
Vous remarquerez, messieurs, quant à l’art. 2, que la section centrale ne s’est nullement prononcée sur l’enquête. Il lui a paru que les faits constatés suffisaient pour justifier une disposition. Je ne puis, du reste, partager l’opinion émise dans une de nos dernières séances, On s’est plaint de ce que M. le ministre n’avait pas publié les noms. Le nom quelquefois, je l’avoue, se lie au caractère même d’un fait. Mais il y avait ici un autre écueil à éviter. Je félicite le gouvernement de l’avoir évité, c’était de jeter des haines dans le pays, de susciter des procès et des divisions.
Les motifs qui ont porté la section centrale à adhérer à l’art. 2 n’ont pas été bien apprécies par plusieurs membres de cette assemblée. Nous avons unanimement reconnu que nos institutions seraient faussées, si le paiement seul du cens suffisait pour conférer la qualité d’électeur.
Déjà, précédemment, j’ai indiqué une distinction entre des faits de diverse nature. Cette distinction a été critiquée par un honorable député de Bruges : il lui a paru que, d’après la disposition proposée par la section centrale, il est impossible de dire si la fraude est une bonne ou une mauvaise chose, si elle est morale ou immorale, licite ou illicite. Un honorable député de Bruxelles nous a accusé d’avoir présenté sinon l’apologie, du moins l’excuse de la fraude.
Mais je ne puis trop le redire, l’on perd de vue un fait très important : la discussion de 1836, à l’occasion de la loi communale. L’honorable M. d’Huart et l’honorable M. Pirmez ont discuté la question de la possession des bases légales. Résumant cette discussion, M. Pirmez disait : « Ainsi, le paiement du cens suffit, il ne faut pas justifier de la possession des bases. » Cette opinion a été reproduite par les commentateurs de la loi organique. Ce n’est que dans ces derniers temps qu’elle a été contestée ; beaucoup de déclarations que je persiste à appeler indues, et pour lesquelles je ne puis admettre la qualification de frauduleuses, peuvent s’expliquer par cette discussion.
Cependant tous les faits, indistinctement, ont reçu la même dénomination de mensonge et de fraude de la part de membres qui étaient présents lorsque la discussion que je viens de rappeler a été soulevée. Je regrette qu’ils n’aient pas fait entendre alors ou depuis quelques accents de cette vertueuse indignation qu’ils ont tenue en réserve jusqu’aujourd’hui.
La section centrale n’a donc pas voulu exclure le système des bases légales. Ce système est juste, il est utile, il peut un jour devenir nécessaire. Il le deviendrait si l’avertissement qui résulterait des discussions du mois de décembre, et de l’adoption de la loi actuelle, n’est pas entendu ; il peut devenir nécessaire, si des luttes violentes, anormales, j’aime à le croire, continuaient dans le pays. Il peut le devenir encore si le secret du vote, tout imparfait qu’il soit, n’est pas un correctif suffisant. Pour moi, je m’associerai toujours de tout mon pouvoir à ce qui pourrait sauver nos institutions si des tentatives étaient faites pour les fausser. Mais si le principe n’a pas été posé dès aujourd’hui, c’est que nous avons été arrêtés par des difficultés sérieuses, insurmontables en ce moment. On oublie trop souvent que, pour établir la possession des bases, il ne suffit pas de constater un fait qui doit frapper tous les yeux, mais qu’il faut se reporter à des faits antérieurs. Pour citer un exemple, si l’on contestait aujourd’hui les bases légales, on pourrait prétendre que l’électeur inscrit ne possédait pas, en janvier l842, le cheval à raison duquel il a payé l’impôt, ou bien que ce n’était pas un cheval de luxe ou un cheval mixte. Il en serait de même du mobilier. Un électeur se présente en 1843 comme ayant possédé en 1842 un mobilier pour lequel il a été imposé. La valeur de ce mobilier serait peut-être difficilement constatée aujourd’hui. Or la révision des listes, d’après la loi électorale, doit commencer le 1er avril, et les élections ont lieu le deuxième mardi de juin. Les délais sont calculés de manière que la députation permanente n’est saisie des appels que vers la fin de mai. La loi l’oblige à statuer dans les cinq jours. Si le principe de la possession des bases légales était posé, il suffirait donc de contester à un électeur la possession des bases pour l’exclure des élections. En France, la révision des listes dure plus de quatre mois.
Je dirai peu de chose du système des pénalités. Ce système est beaucoup moins efficace que celui des bases légales, il présente des difficultés et des dangers de plus d’un genre. Ces dangers ont déjà été signalés. Il me semble que jusqu’à présent on n’y a pas répondu.
Quelques membres se sont plaint de ce que le projet contient des dispositions pénales. Ils ont craint d’éloigner ainsi des élections, les hommes timides. Quelques dispositions d’ordres et de police ne peuvent justifier ce reproche, mais il aurait quelque importance, s’il s’agissait d’établir un vaste système de pénalités.
Un honorable membre a aussi émis l’idée qu’il faudrait obliger toute personne accusée, dans l’enquête ou dans les feuilles publiques de ne pas posséder les bases légales, à se justifier. Je dois considérer cette idée comme peu mûrie. Nous savons combien les accusations sont souvent lancées avec légèreté par la presse, il est impossible d’attacher à ces accusations une présomption légale de vérité.
Un honorable député de Bruxelles a cru voir une arrière-pensée dans l’art. 2 du projet de loi ; le but de cet article est, selon lui, d’écarter des élections les jeunes générations ; il demande pourquoi on ne tient pas compte des contributions au nu-propriétaire d’un immeuble, si l’on n’a pas l’intention d’écarter les jeunes générations. Mais il me semble, messieurs, que les générations ne se renouvellent pas tellement vite en Belgique, qu’elles ne sont pas tellement éphémères, pour qu’en exigeant le paiement du cens pendant deux années, on écarte des élections les jeunes générations. Je me permettrai de faire à l’honorable membre ce qu’on appelle, en style de palais, une demande reconventionnelle. Si l’on devait tenir compte au nu-propriétaire des contributions de l’immeuble, pourquoi ne proposerait-on pas aussi de tenir compte au fermier d’une partie de l’impôt foncier sans déduction de la part du propriétaire ?
Il y a d’ailleurs bien d’autres faits qu’il faudrait prendre en considération, si l’on pouvait entier dans cette voie. D’après la loi française, il faut posséder les bases imposables, il n’est pas nécessaire qu’elles soient imposées. C’est ainsi que des personnes exerçant des professions assujetties à patente, et qui jouissent, dans certains cas déterminés, d’une exemption, sont admises à compter leur patente comme si elles la payaient : c’est ainsi que l’on peut faire expertiser un immeuble exempt de la contribution foncière. Mais, messieurs, ce principe ne peut pas être posé dans nos lois, parce que notre constitution exige le paiement réel du cens ; il ne suffit pas d’avoir la base imposable, il faut payer l’impôt.
Je passe à l’art. 6, qui a pour objet la formation régulière des listes électorales. L’obligation que la loi impose aux commissaires d’arrondissement entraîne, comme toute obligation légale, une responsabilité. Cette responsabilité ne serait pas illusoire, à cause de la publicité que recevront les actes des commissaires d’arrondissement. Un honorable député d’Anvers a contesté l’utilité de cette disposition, parce que, selon lui, il suffirait que le gouvernement fît rayer les personnes indûment inscrites, mais l’honorable membre n’a pas indiqué comment le gouvernement devrait s’y prendre, et en effet, il lui est impossible aujourd’hui de faire rayer des électeurs. Des faits m’ont également été cités, qui démontrent, à la dernière évidence, la nécessité de ce moyen de contrôle. Il est arrivé que des électeurs en grand nombre ont été inscrits indûment ; d’autres fois, les députations permanentes ont acquis la preuve que des individus étaient portés sans droits sur la liste et qu’elles n’ont cependant pas pu les rayer.
Déjà, messieurs, beaucoup d’observations ont été faites sur l’art. 11, relatif à la formation des bureaux. Le but de cet article est très simple ; il ne s’agit que de gagner du temps, et de permettre que les bureaux soient constitués d’avance. Mais je dois le déclarer, aucun des membres de la section centrale n’a eu la pensée d’accorder, au moyen de la formation des bureaux, une influence quelconque à une opinion ou à une autre, dans la direction des opérations électorales.
L’on a ajouté la mention des conseillers communaux, non pas par une arrière-pensée, mais parce qu’il est des villes dont certains quartiers constituent des sections électorales. C’est ainsi que dans la capitale, il y a six ou sept bureaux, exclusivement composés des sections de la ville. D’autres sections se trouveront formées de deux communes ; et comme il faut huit personnes appelées, soit comme titulaires, soit commue suppléants pour ces cas, encore, la mention des conseillers communaux était indispensable.
Du reste, messieurs, je n’entends pas soutenir d’une manière absolue la disposition qui oblige à former trois listes de fonctionnaires appelés successivement : lorsque nous serons à la discussion de cet article, nous pourrons examiner s’il y aurait des inconvénients à ne former qu’une seule liste, et à appeler les fonctionnaires communaux suivant l’ordre indiqué par cette liste, en commençant par les plus jeunes.
L’art. 13 a aussi un but d’ordre et de police, j’ai été témoin moi-même d’une élection, où, par suite de l’inexécution de l’art. 22 de la loi électorale, il y a eu un désordre tel que beaucoup d’électeurs n’ont pu trouver leur bureau. Je déclare encore qu’aucun membre de la section centrale n’a eu d’arrière-pensée, en donnant son assentiment à cette disposition, et n’a nullement cherché à isoler les villes des campagnes. Cette disposition d’ailleurs, messieurs, ne se rapporte qu’au moment même où se font les opérations électorales, Au dehors du local, avant que les opérations ne commencent, toutes les influences pourraient continuer d’agir, si l’article était admis comme il est proposé.
L’honorable M. Dolez a fait une observation qui repose sur une supposition inexacte. Il a demandé comment des électeurs qui auraient ensemble une grande communauté de vue politique pourraient se concerter pour un scrutin de ballottage.
Ce concert serait encore possible, parce que nécessairement, il doit y avoir entre les deux scrutins un intervalle assez long. Les bureaux seront disséminés dans les différents quartiers du chef-lieu de district. Le dépouillement doit être achevé dans chaque bureau, et le résultat doit en être porté au bureau principal ; ce résultat doit y être proclamé avant que les électeurs puissent se concerter utilement pour un second scrutin.
J’arrive à l’article 16 nouveau, qui concerne le principe de la simultanéité du vote.
Ce principe est juste, il est conforme à l’esprit de nos institutions ; il est nécessaire, car il se lie au principe même de la loi. Plusieurs de ses dispositions tendent à faciliter l’exercice du droit électoral et à accélérer la marche des opérations des collèges électoraux ; la loi serait incomplète, et manquerait même en partie son but, si le vote simultané n’était pas admis.
Est-ce, comme on l’a dit, une disposition qui accorde des avantages nouveaux aux campagnes ? Mais, messieurs, toutes nos villes ne sont pas chefs-lieux de district. D’après les états officiels, la Belgique renferme 86 villes, et seulement 41 arrondissements administratifs ; et je me suis assuré que dans plusieurs villes qui ne sont pas chefs-lieux de district, le cens est plus élevé que dans les campagnes ; la simultanéité intéresse donc les villes aussi bien que les campagnes.
Une autre considération me paraît de quelqu’importance ; il arrive que dans les luttes électorales, certains cantons ont une préférence tellement marquée pour un candidat que, s’il vient à échouer, ils refusent de rester au chef-lieu et de prendre part aux opérations ultérieures du collège. C’est un fait qui peut se produire contre l’une et contre l’autre des opinions qui divisent le pays.
Le principe ainsi justifié en fait peut-il donner lieu à quelque objection de droit ? Dans cette matière l’autorité des faits est grande ; or, j’ai toujours demandé que l’on m’indiquât, et on n’a pu m’indiquer un seul fait de double candidature simultanée pour le sénat et pour la chambre des représentants. L’honorable M. Verhaegen à qui j’avais fait cette demande dans ma section, parce qu’il a rappelé ce qui s’y est passé, n’a pu en citer un seul. L’exempte qu’il a rappelé dans une des dernières séances est peu concluant. Je ne conteste pas qu’à des époques différentes, on puisse présenter pour le sénat et pour la chambre des représentants, un même candidat, mais il n’est jamais arrivé, et il est presque impossible pour l’avenir que l’on présente le même jour, dans un collège, un même candidat pour le sénat et pour la chambre des représentants.
Une élection, s’il m’est permis de me servir de cette expression, doit être une affaire montée d’avance. Si l’on voulait changer toutes les batteries électorales dans l’intervalle de deux scrutins, l’on s’exposerait à une défaite presque certaine ; et s’il m’était permis de faire un appel à l’expérience de l’honorable M. Verhaegen, en ces matières, il m’avouerait sans doute les dangers que présence une double candidature de ce genre.
La liberté électorale n’est nullement gênée par la simultanéité du vote. Il faudrait, messieurs, aller beaucoup plus loin, si certaines observations qui ont été faites étaient fondées ; il faudrait en venir à ne pas convoquer plus d’un collège le même jour. Je sais qu’en 1833, lors de la dissolution, on n’a pas convoqué tous les collèges en même temps, mais je doute que le but de cette mesure ait été de rendre plus grande la liberté électorale.
Lorsque deux collèges sont convoqués pour le même jour, ou lorsqu’un seul collège doit procéder à deux élections le même jour, les conséquences, quant à la liberté électorale, sont les mêmes ; c’est-à-dire que dans l’un comme dans l’autre cas, il peut y avoir une élection double, et alors l’électeur qui a attaché tant de prix à la nomination d’un candidat recouvre, après l’option de l’élu, l’a plénitude de sa liberté.
Il ne me paraît pas exact de dire que l’on oblige ainsi l’électeur à perdre une voix, il est évident que, si quelques électeurs isolés ont cette volonté que l’on suppose si gratuitement, leurs voix ne peuvent en aucun cas, avoir d’effet. Si, au contraire, c’est une minorité forte, en donnant son vote au même candidat pour le sénat et pour la chambre des représentants, elle amènera nécessairement un ballottage.
Je ne m’occuperai pas en ce moment des deux modes qui ont été proposés ; nous pourrons les discuter plus tard.
J’ai déjà précédemment indiqué la nécessité de deux dispositions nouvelles pour le cas où la chambre adopterait le principe de la simultanéité du vote sans admettre le papier électoral. L’exécution du vote simultané était très simple au moyen du papier électoral. Ces deux principes sont pourtant indépendants, jusqu’à un certain point, l’un de l’autre. En n’admettant pas le papier électoral, il faut seulement créer une présomption légale pour le cas où l’électeur omettrait de designer spécialement quelles sont celles des personnes inscrites sur son bulletin auxquelles il entend donner sa voix pour le sénat, quelles sont celles auxquelles il donne sa voix pour la chambre des représentants.
On peut établir la présomption, en ce sens que le premier ou les premiers noms, à défaut de désignations spéciales sur le bulletin seraient censés donnés pour l’élection des sénateurs.
Il me paraît utile de prévoir encore le cas où les noms seraient inscrits sur plusieurs colonnes, On pourrait se demander si le premier nom de la seconde colonne est le second du bulletin, ou s’il faut au contraire suivre toute la première colonne avant de compter les noms de la seconde.
En organisant le vote simultané, on doit prévoir encore, ce qui s’est déjà passé plusieurs fois, le cas où l’électeur ne vote pas pour tons les membres à élire, ou il vote, par exemple, seulement pour le sénat, ou seulement pour la chambre des représentants. On ne peut pas faire entrer en compte, pour établir la majorité pour l’une des chambres, le bulletin qui ne contient de suffrages valables que pour l’autre chambre.
J’ai cru devoir indiquer d’avance la nécessité de quelques amendements. Je les dépose dès à présent sur le bureau, pour qu’on puisse les examiner avant d’arriver à l’art. 16 nouveau, proposé par la section centrale.
Voici ces amendements :
« A défaut de désignations spéciales, le premier ou les premiers noms, jusqu’à concurrence du nombre des sénateurs à élire, sont attribues à l’élection de ceux-ci.
« Si les noms sont écrits sur plusieurs colonnes, sans qu’il y ait de désignations spéciales, les premiers noms sont ceux de la première colonne, et ainsi de suite.
« Le bulletin qui ne contiendra de suffrages valables que pour l’élection de membres de l’une des chambres, n’entrera point en compte, afin de déterminer le nombre des votants pour l’élection des membres de l’autre chambre. »
J’attendrai, messieurs, la discussion des articles pour répondre à d’autres observations qui ont été faites dans la discussion générale.
M. le président. - La chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. La disposition suivante est ajoutée au n° 3 de l’art. 1er de la loi électorale du 3 mars 1831 :
« Les centimes additionnels perçus sur les contributions directes, au profit des provinces ou des communes, ne sont point comptés pour former le cens électoral. »
M. Vilain XIIII. - Messieurs, je félicite M. le ministre de l’intérieur d’avoir proposé à la législature de rétablir l’uniformité dans les bases du cens électoral. La divergence de jurisprudence qui existait entre les députations des différentes provinces était une anomalie qui ne pouvait pas subsister.
Mais si je suis d’accord avec M. le ministre de l’intérieur sur l’opportunité de la solution de la question, je ne puis partager son opinion quant au fond même de la question.
A mon avis, les centimes provinciaux et communaux doivent servir à la formation du cens électoral, et cette nécessité ressort à mes yeux aussi bien de la nature du cens électoral que des termes de la constitution et de la loi électorale.
Messieurs, quelle est la signification du cens électoral ? Quelles sont son origine et sa nature ? La qualité d’électeur est-elle une récompense que l’Etat accorde pour une somme payée au profit du trésor public ? La qualité d’électeur est-elle une rémunération d’une prestation fiscale ? En un mot, n’est-ce que le prix d’un service financier rendu à l’Etat ? Evidemment non. Car si la qualité d’électeur pouvait être la récompense d’un service fiscal, la loi que nous discutons serait absolument sans objet. Il ne pourrait y avoir de faux électeurs ; il n’y aurait jamais de fraude électorale. Il suffirait au citoyen de se présenter chez un percepteur de canton, de lui faire une déclaration quelconque, de lui payer, soit 20, soit 80 florins et de lui dire : délivrez-moi la quittance nécessaire pour faire reconnaître ma qualité d’électeur.
A mes yeux, messieurs, le cens électoral n’est que le signe de la fortune du citoyen ; le versement au trésor n’est que le moyen légal de reconnaître cette fortune ; ce n’est que le moyen de constater qu’un citoyen possède suffisamment de fortune en Belgique, à un degré d’indépendance suffisant, pour avoir intérêt à ce que l’ordre et la tranquillité soient maintenus et pour concourir à l’élection des députés de la nation. Et si telle est la signification du cens électoral, il faut nécessairement que les centimes provinciaux et communaux viennent concourir à la formation du cens. Car ils sont absolument, au même titre que l’impôt en faveur de l’Etat, le signe de la fortune du citoyen.
Le texte de la constitution me semble verser dans le système que je viens de vous exposer. L’art. 47 dit :
« La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au dessous de 20 florins. »
Que signifient ces termes impôts directs ? Il ne peut y avoir divergence d’opinion sur ces mots. Il est bien certain que les centimes provinciaux et communaux sont payés directement par le contribuable.
Qu’est-ce que l’impôt ? L’impôt est une taxe imposée sur les particuliers par la force publique. L’impôt est une somme que la force publique contraint le citoyen à payer pour subvenir aux dépenses d’un service public qui ne lui apporte pas un avantage immédiat et particulier. Or, les centimes provinciaux et communaux ne sont-ils pas un impôt au même titre que l’impôt au profit de l’Etat ? Ne profitent-ils pas à la province et à la commune, tout comme l’impôt général profite à l’Etat ? Et l’usage que l’on peut faire de l’impôt, après qu’il est versé dans les caisses du trésor, peut-il changer l’origine et la nature de l’impôt ? La portion de l’argent versé dans les caisses du receveur des contributions, et qui sert à payer le garde-champêtre et le maître d’école, serait-elle moins un impôt que la portion qui sert à payer le ministre ou le gouverneur ?
Voyons maintenant la loi électorale.
La loi électorale dit : versés au trésor de l’Etat. Eh bien ! ces termes de la loi électorale appuient mon système. Mon système est, que le versement au trésor de l’Etat n’est qu’un moyen de reconnaître et de constater la fortune du citoyen. Or, ce versement dans les caisses de l’Etat suffit pour que l’Etat ait le moyen facile de constater la fortune et t’indépendance du citoyen.
Le système du gouvernement et de la section centrale a pour effet d’ajouter un mot à l’article de la loi électorale. En effet, que dit M. le rapporteur, à la page 4 de son rapport ?
« L’art. 47 de la constitution porte que la chambre des Représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder fl. 100 d’impôt direct, ni être au-dessous de fl. 20.
« Les mots : impôt direct, sainement entendus, ne s’appliquent qu’aux impôts perçus au profit de l’Etat.
« La loi électorale ne compte, pour former le cens électoral, que les contributions directes versées au trésor de l’Etat ; l’on ne peut entendre ces expressions du simple versement matériel de sommes dont l’Etat est dépositaire, à charge de rendre compte à des tiers, sommes qui n’entrent point, ou qui plutôt ne font que passer au trésor, par mesure d’économie, d’ordre et de comptabilité ; l’on ne verse réellement au trésor, d’après le sens naturel des mots, que les contributions au profit du trésor lui-même. »
Vous l’entendez : au profit au trésor lui-même. Pourquoi a-t-on ajouté cette interprétation à la loi électorale ? pourquoi faut-il que cette somme soit versée au profit du trésor, au lieu d’être versée simplement au trésor ? Depuis quand l’usage d’une chose en dénature-t-il l’origine ? Pourquoi faut-il nécessairement que le versement au trésor, qui n’est à mes yeux que le signe de la fortune du citoyen, profite ensuite au trésor ? Selon moi, cette interprétation rabaisse plutôt qu’elle n’élève le caractère de l’électeur. A mes yeux, l’électeur est électeur par lui-même ; c’est sa fortune, c’est sa position, c’est son indépendance qui lui donnent sa qualité d’électeur. L’Etat ne fait que la lui reconnaître au moyen du versement de l’impôt qu’il fait au trésor, tandis que le système de M. le ministre de l’intérieur et de la section centrale est une espèce de système mercantile où l’électeur achète son droit avant de pouvoir l’exercer.
Messieurs, je n’en dirai pas davantage pour le moment. Je voterai contre l’article premier, et si j’avais l’espoir d’être appuyé dans la chambre, je présenterais un amendement en sens contraire.
M. Fleussu. - Messieurs, la question de savoir si les centimes additionnels doivent compter jour la formation du cens électoral, n’aurait jamais dû, ce me semble, revêtir que la forme d’une simple question de droit, d’une simple question d’interprétation. Cependant elle a été envisagée sous un autre point de vue, et je ne sais comment il s’est fait qu’on lui a donné les proportions d’une grande question politique. On a même été jusqu’à supposer que ceux qui ont manifesté l’opinion que vient d’exprimer l’honorable comte Vilain XIIII, que ceux qui, par devoir, ont manifesté cette opinion étaient mus par d’autres sentiments que ceux de l’équité, que ceux qui doivent guider tout homme chargé de faire l’application d’une loi ou d’en fixer le sens quand la loi est douteuse. Il n’en est point de l’interprétation de la loi de 1831, relativement aux centimes additionnels, comme de la loi sur les fraudes électorales, que nous discutons en ce moment. Il est évident que les fraudes électorales ne profitent qu’à ceux qui les pratiquent ; elles se font dans un intérêt exclusif, au profit de ceux qui se créent ainsi des instruments dociles, dont ils se servent au jour des élections ; celui, au contraire, qui donne à la loi de 1831 cette interprétation, que les centimes additionnels doivent compter pour former le cens électoral, celui-là ne fait pas une affaire particulière ; il prend une décision générale, dont il ne peut pas même calculer les résultats ; car les intéressés de toutes les opinions peuvent se prévaloir de cette interprétation qui ne profite ainsi pas plus à un parti qu’à un autre.
Eh bien, l’on a été jusqu’à dire que ceux qui avaient soutenu l’opinion que je défends, l’avaient fait dans l’intérêt d’un parti, comme si, je le répète, tous les intéressés ne pouvaient pas demander l’application de l’interprétation dont il s’agit.
Messieurs, jusqu’en 1836, les centimes additionnels étaient comptés partout, ce n’est qu’à partir de cette époque que des doutes se sont élevés à cet égard. Depuis lors le gouvernement a pensé que les centimes additionnels ne devaient pas être comptés et telle a aussi été, depuis, l’opinion de la cour de cassation. Toutes les régences, messieurs, s’étaient conformées à cette opinion, même la régence de Liége, mais des citoyens ont cru devoir réclamer devant elle contre sa décision et demander à être maintenus sur la liste électorale. Ces réclamations étaient nombreuses et émanaient probablement d’hommes appartenant à diverses opinions ; c’est du reste, ce dont nous ne nous sommes pas enquis, puisque tout le monde avait le droit de faire de semblables réclamations.
La régence de Liége renvoya ces réclamations devant la commission du contentieux qu’elle chargea de l’examen de ces réclamations. J’appartenais à cette commission, et je dirai qu’en y entrant j’y apportais des dispositions tout à fait contraires aux réclamations ; ce n’est qu’à la suite des discussions, que mon opinion s’est modifiée, qu’elle a pris, si vous le voulez, la forme d’un doute constitutionnel.
Nous avons donc examiné la question, et nous l’avons examinée très sérieusement et abstraction faite de toute opinion politique. Je me permettrai de vous donner lecture du rapport que je soumis alors au conseil, parce que je ne crois pas pouvoir mieux traiter la question que, je ne l’ai traitée à cette époque. Il y avait des réclamations pour les élections communales, pour les élections provinciales et pour les élections générales ; je ne m’occupe que des réclamations qui concernaient les élections pour les chambres.
« Nous avons à examiner, disais-je si les centimes additionnels doivent être comptés pour la formation du cens électoral.
« Votre commission du contentieux ne s’est point dissimulé, messieurs, les difficultés de cette proposition ; elles sont sérieuses ; il est plus facile de les énoncer que de les résoudre. C’est ce qui explique comment il se fait que l’entente de la loi donne lieu à des interprétations contradictoires ; comment il se fait, pour choisir des exemples près de nous, que jusqu’en 1837 les centimes additionnels ont été comptés par l’administration de cette ville, et qu’ils ont cessé de l’être depuis ; comment, si vous persistez dans vos dernières décisions, vous courez risque d’être réformés par la députation provinciale, dont la décision serait, à son tour, exposée à la censure de la cour régulatrice, si celle-ci persévère dans l’opinion qu’elle a fait triompher par son arrêt du 15 juillet 1836.
« En face des intérêts graves que cette question comporte, votre commission a compris que le conseil communal ne devait point se laisser arrêter par l’influence de ses précédentes résolutions pas plus que par l’autorité de la cour suprême, mais qu’il était de son devoir de soumettre les prétentions des réclamants à un nouvel examen de la loi.
« C’est par cette considération, et mus par le désir de vous aplanir, autant qu’il nous était possible, les difficultés de la question, que nous nous sommes décidés à interroger de nouveau le texte des dispositions constitutionnelles et législatives, d’en scruter la pensée, et de les mettre en regard des motifs des résolutions qui ont repoussé des demandes fondées sur les mêmes titres que ceux des réclamants. Exposer au conseil les principales observations qui se sont échangées au sein de votre commission, ce sera lui faire connaître les raisons des conclusions qui terminent ce rapport, et qui, j’ai hâte de vous le dire, sont favorables aux réclamations qui nous sont adressées. Le siège de la difficulté est dans le dernier paragraphe de l’article 1er de la loi électorale
« Verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi. Que signifient ces mots : Verser au trésor de l’Etat, que l’on retrouve dans nos trois lois électorales ? C’est là qu’est le mot de l’énigme. Les expressions doivent-elles être entendues avec toute l’étendue qu’elles comportent, ou bien ne comprennent-elles que la quotité des contributions directes qui est versée au trésor de l’Etat et au profit exclusif de l’Etat ?
« C’est dans le sens de la seconde hypothèse que la loi a été interprétée par la cour de cassation. Il importe de vous faire connaître les motifs de son arrêt ; ils sont courts, les voici. « Attendu que les centimes additionnels au profit des provinces et des communes, spécialement consacrés à leurs dépenses particulières, ne sont pas versés au trésor de l’Etat et ne tournent pas à son avantage ; que si la perception de ces centimes est confiée aux receveurs de l’Etat, cette mesure, dictée par les principes d’ordre et d’économie, ne change rien à leur destination. »
« Avant d’examiner de plus près ce considérant unique, j’éprouve besoin de vous faire remarquer que l’arrêt n’est point explicatif de l’art. 1er de la loi électorale pour les chambres, mais des articles 7 et 10 de la loi du 30 mars 1836, qui concernent les élections communales. Toutefois les trois lois électorales renferment les mêmes expressions et ne varient que sur la quotité du cens ; il est sensible que si ce considérant résolvait la difficulté, au lieu de la trancher, il serait également applicable à la loi qui nous occupe.
« Cette décision, qui ne peut encore faire jurisprudence, parce qu’elle est isolée, a été, dans votre commission, l’objet de quelques réflexions dont je viens vous rendre compte.
« Le moindre défaut de cette argumentation est de mener à un système de restriction, système qui répugne à tous les principes de droit public. Quand il s’agit de l’exercice des droits politiques, quand il s’agit surtout de l’électorat, l’une des plus belles et des plus importantes prérogatives du citoyen, la loi qui en stipule les conditions doit toujours être expliquée de la manière la plus large. Cette règle de droit public repose sur cette maxime que, dans les matières favorables, la loi doit être plutôt élastique que resserrée, et que, dans le doute, il faut l’interpréter en faveur du cens électoral, parce que l’intérêt général exige que le nombre des électeurs ne soit pas trop restreint.
« S’il était besoin d’autorité sur un point qu’il suffit d’énoncer, la jurisprudence des cours de France ne ferait point défait. Mais impossible de prouver rien de plus précis à cet égard que les paroles de M. Dupin dans son réquisitoire du 12 février de cette année, dans une affaire où il s’agissait de savoir si la valeur estimative des prestations en nature, pour l’entretien des chemins vicinaux, doit être comptée dans la composition du cens :
« L’électorat, dit-il, est éminemment favorable. Sans doute, il ne faut pas l’étendre démesurément par excès de radicalisme ; mais lorsque la loi, entendue sainement et de bonne foi, peut accroître le nombre des électeurs, ii n’y a pas à hésiter.
« A propos de cette citation, je vous dois de signaler la différence qui existe entre la législation française et la nôtre. Sous la restauration, des difficultés de la nature de celles qui se présentent aujourd’hui en Belgique se sont souvent élevées, parce que la loi de 1817, de même que notre constitution, avait employé les mots : contributions directes, et que des préfets avaient agité la question de savoir si les centimes additionnels devaient être compris dans cette dénomination. La jurisprudence des cours variait : néanmoins, le plus grand nombre, je dirai même l’immense majorité, à en juger par le recueil des arrêts, et avec elles la cour de cassation, avaient consacré l’opinion favorable au cens électoral.
« Lors de la loi du 19 avril 1831, qui abaisse le cens, à une époque de progrès, on mit fin à cette incertitude, et la jurisprudence la plus générale fut convertie en loi par la disposition de l’art. 4, qui déclare que les centimes additionnels doivent être comptés.
« C’est sous l’empire de cette loi qu’il a été décidé que la valeur des prestations en nature pour l’entretien des chemins vicinaux pouvait compléter le cens électoral, en considérant cette valeur comme une addition, un supplément aux contributions directes. L’histoire de ce qui s’est passé en France est la meilleur preuve qu’une interprétation restrictive est essentiellement vicieuse et contraire aux règles du droit public ; mais le défaut capital du raisonnement qui sert de base à l’arrêt du 15 juillet, c’est que, pour arriver à l’opinion qu’il sanctionne, il lui a fallu méconnaître la nature des centimes additionnels, leur mouvement dans les caisses de l’Etat, et enfin ajouter à la loi des expressions et une pensée qui ne s’y trouvent point et qu’on y cherche en vain.
« Les centimes additionnels se définissent d’eux-mêmes : ils forment une augmentation des contributions directes, ils en sont un accessoire, ils en suivent la nature ; ils trouvent leur origine dans une loi, celle du 12 juillet 1821 ; ils sont, comme toutes les lois financières, votées annuellement par la législature ; ils sont perçus par les agents de l’Etat ; le ministre en rend compte comme de la contribution principale, et il est tellement vrai qu’ils entrent dans les caisse du gouvernement, que, par le fait seul de la perception par ses préposés, il s’établit une espèce de novation, par suite de laquelle l’Etat se constitue débiteur envers les provinces et les communes de ce qui leur est dû à titre des centimes additionnels, et que les non-valeurs restent pour le compte du trésor public.
« Cette dernière circonstance est fort remarquable et mérite de fixer votre attention. S’il était vrai, comme on semble l’insinuer, que l’Etat ne fît que prêter l’office de ses employés pour la perception des centimes additionnels, les déficits seraient pour le compte des provinces et des communes. Mais point : s’il existe des non-valeurs, c’est le trésor qui doit les supporter.
« Les centimes additionnels forment donc une partie du revenu public, laquelle, il est vrai, est affectée à des dépenses particulières : mais cela change-t-il la nature de l’impôt ? Cela empêche-t-il qu’il soit versé au trésor de l’Etat ? qu’il soit à la disposition du gouvernement, sauf à celui-ci à s’acquitter de la dette qu’il a assumée envers les provinces et les communes comme condition de l’augmentation des contributions directes ? A part ces observations, que nous vous présentons cependant avec quelque confiance, nous nous sommes demandé dans quelle partie de la loi l’on avait découvert que la quotité des contributions directes qu’elle détermine devait non seulement être versée au trésor de l’Etat, mais encore qu’elle devait l’être au profit exclusif de l’Etat. La loi n’impose qu’une seule condition : C’est que la quotité déterminée soit versée dans les caisses publiques ; mais elle ne fait aucune distinction sur la propriété et la destination des sommes versées. Dès lors, il n’est permis à personne d’introduire une distinction là où la loi n’en a point établi. Cela n’est pas permis surtout quand une pareille distinction a pour effet d’exclure les citoyens de l’exercice du plus précieux des droits politiques.
« Cependant, nous avons prévu une objection on pourrait nous opposer qu’avec l’entente que nous donnons à la loi, les mots : verser au trésor de l’Etat forment un hors-d’œuvre, deviennent un non-sens. Cette objection ne serait pas sérieuse, et la réponse qui doit la connaître est toute prête ; non, ces mots ne sont pas inutiles ; ils ont, au contraire, une très grande portée. Il y a, vous le savez, plusieurs espèces de centimes additionnels : les uns font partie de la loi du budget, les autres sont ceux qui peuvent être votés par les provinces ou par les communes pour faire face à des dépenses extraordinaires, et qui n’ont pas le caractère de durée de premiers. Il arrive souvent que les receveurs du gouvernement sont chargés de la rentrée de ce produit, mais alors ils agissent par délégation spéciale, et les sommes perçues ne se confondent point avec les deniers de l’Etat. Ne peut-on pas dire que c’est précisément pour que l’augmentation des contributions directes, qui n’est que temporaire, ne pût point conférer le cens électoral, que le législateur a pris le soin de n’admettre, pour déterminer le cens, que les contributions directes qui sont versées au trésor de l’Etat ? Or, les centimes additionnels, dont se prévalent les réclamants, appartiennent à ces dernières contributions. Que sera-ce maintenant si nous parvenons à démontrer qu’expliquée autrement, la loi électorale pourrait renfermer une offense à la constitution ? Essayons.
« L’art. 47 est le fruit d’un amendement présenté par l’un des membres les plus avancés du congrès, qui craignant que le silence de la constitution ne laissât la législature exposée à deux écueils également redoutables, l’élévation exagérée ou l’abaissement excessif du cens, a pensé qu’il fallait poser les limites dans lesquelles la loi électorale devrait nécessairement se renfermer. De là la disposition de l’art. 47 de la constitution, qui ne permet point de descendre le chiffre au-dessous de 20 fl., ni de l’élever au-dessus de 100 fl. de contributions directes. Il est fort remarquable qu’à la différence des lois électorales, la constitution ne fait pas emploi des mots verser au trésor de l’Etat, et qu’elle n’exige qu’une chose, c’est que le cens à déterminer dans les limites tracées porte sur l’impôt direct, lequel se constitue de l’impôt foncier, de l’impôt personnel, des patentes et des redevances sur les mines.
« La prescription de l’article 47 est telle que dès qu’un citoyen belge paie 100 florins de contributions directes, il est nécessairement électeur si, du reste, il réunit les autres conditions voulues ; c’est la volonté de la constitution. Les centimes additionnels participent du caractère de contributions directes, car l’accessoire suit la nature du principal. Eh bien supposez que, dans une des villes où le cens est le plus élevé, à Bruxelles, par exemple, où il est de 80 fl. un habitant paie 79 fl. en principal et qu’à l’aide des centimes additionnels il paie au-delà de 100 fl. de contributions directes. Cela n’est certes pas impossible. Cet homme, qui, d’après la constitution, devrait être électeur, sera rayé de la liste comme ne payant pas, d’après la loi électorale entendue dans le sens restrictif, le cens voulu. Voilà la loi électorale en opposition flagrante avec la constitution, et cependant la loi électorale ne doit et ne peut être que l’explication, et, pour mieux dire, la mise en œuvre des principes de la constitution. Si donc cette loi présente quelque ambiguïté dans sa rédaction, si elle peut donner lieu à deux interprétations, mais que l’une conduise au renversement de la constitution, n’est-il pas évident que c’est l’autre qui est préférable ? »
Là, messieurs, se terminait mon rapport. Je n’ai pas plus que l’honorable M. Vilain XIIII, la prétention de vouloir changer la doctrine admise sans réclamation, par huit provinces ; seulement j’ai voulu démontrer à la chambre que ce n’est point par esprit de parti que la résolution de la régence de Liége a été prise. Que la chambre adopte ou n’adopte pas ma manière de voir, cela m’est assez indifférent, la seule chose qui soit à désirer, c’est qu’il y ait uniformité pour toutes les provinces du royaume.
Dans tous les cas, je tenais à faire voir à la chambre que, quand nous nous sommes prononcés pour que les centimes additionnels soient comptés, nous ne l’avons fait que par des motifs très légitimes.
Dès que l’on fait cesser le doute par l’intervention d’une loi nouvelle, que l’on admette, que l’on rejette les centimes additionnels, je le répète, peu importe, ce qu’il faut, c’est que la mesure soit la même partout et que toutes les provinces soient soumises au même régime, à une règle uniforme.
M. de Muelenaere. - Messieurs, l’honorable préopinant, dans le rapport dont il vient de donner lecture, a présenté avec beaucoup de talent tous les arguments qui peuvent militer en faveur de son opinion. Je suis entièrement d’accord avec lui qu’il ne s’agit que d’une simple interprétation. Il n’est entré ni dans les intentions du gouvernement ni dans celles de la section centrale, de changer en rien la base des impôts qui constituent aujourd’hui le cens électoral. Mats déjà on nous a fait remarquer qu’il y avait eu quelque divergence d’opinion sur l’interprétation du paragraphe 3 de l’article premier de la loi de 1831. D’après ce paragraphe, pour être électeur, il faut verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes déterminée par la loi. On a soulevé la question de savoir si les centimes additionnels perçus au profit de la province et de la commune devaient entrer en ligne de compte pour former cette quotité. La cour de cassation s’est trouvée saisie de cette question, elle l’a décidée négativement. Cette opinion de la cour de cassation est conforme à celle du gouvernement ; elle est aussi conforme à l’interprétation donnée au § 3 de l’art. 1er par huit députations du royaume. Une seule députation, de très bonne foi, sans aucun doute, continue à interpréter ce paragraphe dans ce sens que les centimes additionnels doivent être pris en compte pour la fixation du cens électoral. L’honorable préopinant vient de développer toutes les raisons qui plaident pour cette interprétation ; je conviens que ces raisons sont de nature à avoir pu induire quelques personnes en erreur à cet égard, mais je persiste à croire que cette interprétation est contraire au texte et à l’esprit de la loi et qu’elle est en opposition flagrante avec les discussions qui ont précédé le voie du paragraphe 3 de l’article premier de la loi de 1831, et avec celles qui ont eu lieu dans cette enceinte sur la loi du 30 mars 1836. En effet, messieurs, le sens naturel de ces mots : versés au trésor de l’Etat, c’est, selon moi, qu’il faut non seulement verser dans le trésor de l’Etat, mais qu’il faut verser au profit du trésor et qu’il ne s’agit pas là d’un versement matériel de certaines sommes que le trésor perçoit par mesure d’ordre et d’économie, et dont il doit compte à des tiers.
Or les centimes additionnels perçus au profit de la province et de la commune sont à la vérité matériellement perçus par le trésor, mais le trésor ne devient par là que dépositaire et comptable de ces centimes ; c’est pour autrui, pour un tiers qu’il fait cette perception. Dès lors, messieurs, il me semble qu’on ne peut pas dire que l’on verse au trésor de l’Etat des sommes qui ne font que passer par ce trésor (pour me servir des expressions d’un commentateur), pour arriver à leur véritable destination.
Si les termes de la loi pouvaient laisser quelques doutes à cet égard, ces doutes disparaîtraient devant la discussion qui eut lieu dans cette enceinte, lors du vote de la disposition dont il s’agit. Cette discussion est rappelée dans le rapport de la section centrale. L’on demanda à cette époque si les centimes additionnels devaient être pris en compte pour former le cens électoral. La question fut résolue négativement, et pour consacrer cette doctrine, la rédaction primitive de l’article fut modifiée. En effet, la disposition primitive portait : « payer à l’Etat la quotité d’impôts, etc.» ; et c’est pour ne pas laisser le moindre doute sur la question de savoir si les centimes additionnels précités devaient entrer en ligne de compte que sur un amendement présenté par M. Osy les mots : payer à l’État furent remplacés par ceux-ci : verser dans le trésor de l’Etat, parce que, disait-on, l’on ne verse réellement dans le trésor de l’Etat, que les sommes qui restent acquises au trésor et non pas celles qui n’y font que passer pour arriver à une autre destination. Lorsqu’il s’est agi, messieurs, de la loi de 1836, la même question a été agitée dans cette enceinte, et un membre de la section centrale est venu déclarer de la manière la plus positive que l’intention de cette section était qu’on ne tînt aucun compte d’autres centimes que de ceux perçus au profit de l’Etat, pour former le cens électoral.
Dès lors, messieurs, je le répète, en supposant qu’il pût y avoir quelque doute dans les termes mêmes du paragraphe 3 de l’article premier, doute qui n’a jamais existé pour moi, ce doute s’évanouirait complètement devant la discussion.
Indépendamment du texte et des discussions, vous avez encore un arrêt de la cour de cassation qui décide la question dans le même sens ; vous avez, en outre, l’opinion du gouvernement et celle de huit députations provinciales.
Puisque nous ne voulons faire autre chose que de rendre l’exécution de la loi uniforme, que de donner à la loi une interprétation fondée sur son texte et sur son esprit, il me semble que nous devons adopter la proposition qui nous est faite par la section centrale et déclarer textuellement que les centimes additionnels perçus au profit de la province et de la commune ne seront point comptés dans le cens électoral.
Je le répète, je suis entièrement d’accord avec l’honorable préopinant que ce n’est ici qu’une question d’interprétation, que ce n’est pas une question politique, que cette question est complètement indifférente pour toutes les opinions. Je me bornerai à ajouter encore une seule considération.
Si l’on tenait compte des centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes en vertu de la loi de 1821, pour quelle raison ferait-on une distinction entre ces centimes et d’autres centimes additionnels qui sont également versés dans le trésor au profit des provinces et des communes....
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. de Muelenaere. - Depuis quelques années surtout, un grand nombre de communes, pour faire face à des travaux d’utilité publique, ont été autorisées à percevoir des centimes additionnels, les uns exclusivement sur la contribution foncière, les autres sur la contribution personnelle, et d’autres, enfin, sur les trois contributions réunies.
Tous les centimes additionnels sur la contribution foncière, à quelque titre qu’ils aient été créés, sont perçus par le gouvernement. Il en est à peu près de même des centimes additionnels au profit des provinces et des communes, sur la contribution personnelle et sur l’impôt des patentes ; tous ces centimes additionnels, de même que ceux qui sont établis par la loi de 1821, ne font que passer par le trésor de l’Etat ; ils ont une destination particulière ils ne sont nullement acquis au trésor ; ils ne sont perçus par le trésor que pour être appliqués à des dépenses d’une nature spéciale.
Tous ces centimes sont de même nature et ont la même destination. Les premiers ne sont pas plus privilégiés que les derniers. Si l’on compte les uns, ou doit aussi tenir compte des autres. J’entends alléguer des raisons plus ou moins spécieuses, mais je n’aperçois aucun motif fondé de différence.
M. Delfosse. - J’ai dit, dans la discussion générale, que l’un des vices du projet de loi est de diminuer le nombre des électeurs.
Ce vice réside dans les articles 1 et 2.
En ne tenant aucun compte des centimes additionnels provinciaux et communaux, on exclue des listes électorales beaucoup de citoyens qu’on y a vus figurer jusqu’à ce jour ; c’est l’art. 1er.
En ne tenant compte de la contribution personnelle et des patentes qu’autant qu’elles auront été payées pendant les deux années antérieures à celle de l’élection, on retarde d’une année l’inscription sur les listes électorales d’un très grand nombre de citoyens ; on les empêche de prendre part aux élections du mois de juin prochain ; c’est l’art. 2.
C’est principalement à cause de ces deux articles que j’ai qualifié le projet de reforme électorale ; quel est, en effet, le principal caractère d’une reforme électorale ? N’est-ce pas de modifier le nombre des électeurs ? N’est-ce pas d’étendre ou de restreindre l’exercice des droits électoraux ?
La tendance du projet n’est pas d’agrandir le cercle électoral, il tend au contraire à le resserrer ; c’est là un grand vice.
Plus il y a d’électeurs, plus la base sur laquelle le gouvernement repose est solide.
Plus il y a d’électeurs, moins l’esprit de coterie influe sur les choix, moins l’intrigue a des chances de succès.
Si tous les citoyens présentaient des garanties d’ordre et de capacité suffisantes, le suffrage universel serait le meilleur de tous les systèmes.
Malheureusement il n’en est pas ainsi ; les lumières ne sont pas assez répandues, les basses classes ne sont pas assez indépendantes pour que le suffrage universel ne soit pas une dangereuse utopie.
Mais un autre danger, c’est de porter l’exclusion trop loin, c’est de ne pas laisser pénétrer dans le corps électorat ceux qui, par la quotité d’impôts qu’ils paient, sont présumés avoir intérêt au maintien de l’ordre et posséder quelqu’instruction.
On me dira qu’il y a nécessité d’adopter l’art. 2 pour parer à la fraude. Nous verrons tout à l’heure, lorsqu’on discutera cet article, s’il n’y a pas moyen de parer à la fraude, sans pousser l’exclusion aussi loin que le gouvernement le propose.
J’admets pour le montent que l’art. 2 doive être adopté tel qu’il est. Ce serait une raison, une raison puissante pour ne pas adopter l’art. ler.
Puisque, par l’art. 2, vous diminuez le nombre des électeurs, il me semble que vous devriez, par compensation, tenir compte des centimes additionnels provinciaux et communaux ; le vide que vous allez faire dans le corps électoral serait moins sensible.
Remarquez bien, messieurs, que les centimes additionnels provinciaux et communaux ont été compris dans le cens électoral jusqu’en 1836 ; jusqu’à cette époque on a été d’accord dans toutes les provinces pour les comprendre dans le cens électoral, beaucoup d’entre vous doivent peut-être leur entrée dans cette chambre aux électeurs qui ne l’étaient qu’à l’aide des centimes additionnels provinciaux et communaux. Jusqu’en 1836, toutes les raisons en faveur de l’opinion contraire que l’on présente aujourd’hui comme si concluantes, n’ont été aperçues par personne.
En 1836, la cour de cassation, saisie d’un pourvoi dirigé contre une décision de la députation de, la Flandre orientale, vint introduire, dans cette partie de notre législation électorale, un système tout nouveau, il est vrai, comme vous l’a dit tantôt l’honorable comte de Muelenaere, que ce système était indiqué dans la discussion de la loi communale, mais je ne puis admettre que l’une des trois branches du corps législatif ait pu modifier, par son adhésion à certains discours prononcés dans la discussion de la loi communale, le sens attribué jusqu’alors à la loi électorale de 1831.
Par suite de cet arrêt, huit députations permanentes cessèrent de comprendre les centimes additionnels provinciaux et communaux dans le cens électoral ; je dis huit députations pour me conformer aux renseignements qui nous ont été fournis par M. le ministre de l’intérieur, mais je suis porté à croire que ces renseignements manquent d’exactitude. L’honorable comte Vilain XIIII m’a assuré que les centimes additionnels provinciaux et communaux sont encore, à l’heure qu’il est, compris dans le cens électoral dans la province du Limbourg ; d’autres personnes m’avaient dit la même chose. Quoi qu’il en soit, il est une députation qui ne crut pas devoir se ranger à l’avis de la cour de cassation. C’est la députation de la province de Liége.
Cette députation, dont j’avais alors l’honneur de faire partie, pensa qu’avant de priver du droit d’élection un grand nombre de citoyens qui en avaient joui jusqu’alors, il fallait au moins attendre que la jurisprudence de la cour de cassation fût fixée par un second arrêt.
Cette décision, messieurs, n’était pas dictée par l’esprit de parti, comme on a voulu l’insinuer ; les centimes additionnels provinciaux et communaux ne sont ni libéraux ni catholiques ; ils sont payés indistinctement par tous ; c’était une décision consciencieuse.
La preuve qu’elle n’était pas dictée par l’esprit de parti, c’est qu’elle fut acceptée par tous les partis, sans opposition.
La preuve qu’elle n’était pas dictée par l’esprit de parti, c’est qu’un honorable membre du conseil provincial de Liége, qui appartient à l’opinion catholique, en qui l’opinion catholique a la plus grande confiance, ayant été élu membre de la députation permanente, n’hésita pas à voter sur cette question dans le même sens que nous.
On nous a reproché, dans cette enceinte, d’avoir porté notre décision à la connaissance des administrations communales, par une circulaire insérée au Mémorial administratif. Mais, messieurs, si nous ne l’avions pas fait, on nous eût adressé le reproche bien plus grave, d’avoir voulu favoriser la ville au préjudice des campagnes. Le conseil communal de Liége ayant décide, comme nous, qu’il devait être tenu compte des centimes additionnels provinciaux et communaux, si les administrations des communes rurales n’avaient pas été informées de ce qui se passait, les campagnes auraient été lésées ; la proportion que la loi a voulu établir entre les électeurs de la ville et ceux des campagnes, eût été changée au préjudice de ces dernières. On voit que notre circulaire était un acte d’impartialité, un acte de loyauté.
Les campagnes, informées par nous de ce qui se passait en ville, avaient deux moyens de faire respecter leurs droits ; elles pouvaient imiter la ville, en augmentant, comme elle, les électeurs, au moyen des centimes additionnels provinciaux et communaux, elles pouvaient, si ce moyen ne leur convenait pas, faire fixer, par un second arrêt, la jurisprudence de la cour de cassation ; elles ont préféré l’emploi du premier moyen : partout dans la province de Liége, les centimes additionnels provinciaux et communaux furent compris dans le cens électoral. Il n’y eut pas d’opposition sérieuse. Tous les représentants de la ville de Liége qui siègent dans cette enceinte, notre honorable président lui-même, sont le produit de cet ordre de choses.
Les motifs sur lesquels la députation permanente de la province de Liége a appuyé sa décision vous sont connus. Ils sont consignés dans les annexes et dans le rapport de la section centrale. L’honorable M. Fleussu vient de vous exposer les raisons qui ont engagé le conseil communal de Liége à adhérer à l’avis de la députation permanente. L’honorable comte de Muelenaere a cherché à combattre ces raisons ; mais, malgré toute la déférence que j’ai pour l’expérience administrative de cet honorable membre, je dois dire que les raisons de la députation permanente et du conseil communal de Liège sont restées debout.
L’honorable comte de Muelenaere a invoqué les discussions qui ont précédé le vote de la loi électorale. Je pourrais contester l’exactitude des extraits cités dans le rapport ; à l’époque où la loi électorale a été discutée, il n’y avait pas de journal officiel ; c’est dans des journaux qui n’ont aucun caractère officiel, que M. le rapporteur de la section centrale a puisé les renseignements qu’il nous a fournis ; je pourrais, je le répète, en contester l’exactitude, mais je veux bien admettre qu’ils soient, en tout point, conformes à la vérité, on va voir qu’ils ne prouvent rien contre l’opinion de la députation permanente de la province de Liége.
Vous savez, messieurs, que la députation permanente de la province de Liége ne comprend pas tous les centimes additionnels provinciaux et communaux dans le cens électoral, elle n’y comprend que ceux qui sont perçus en vertu de la loi du 12 juillet 1821. Voyons maintenant la discussion qui a eu lieu en 1831 :
« M. Wannaer demande que les cents additionnels payés au trésor de l’Etat comptent pour former le cens.
« M. Lebeau croit que cela est inutile, tous les impôts votés par la législature comptent pour former le cens.
« M. Osy propose d’ajouter que les cents additionnels versés au trésor de l’Etat compteront à l’électeur. »
« L’amendement de M. Wannaer ainsi modifié est adopté. »
Tel est le compte rendu du Courrier, le compte rendu du Journal des Flandres et du Journal de la Belgique, qui diffère quelque peu de celui du Courrier. En voici des extraits :
« M. Wannaer présente un amendement tendant à fixer que les patentes et tous les cents additionnels en faveur tant de l’Etat que de la province et de la commune, seront comptés pour former la quotité de contributions exigées pour être électeurs, etc.
« M. Lebeau combat l’amendement ; il ne veut admettre que l’impôt payé au trésor public ; il démontre les inconvénients de l’opinion contraire, il dit qu’il y a des communes riches où les charges sont presque nulles. Il en résulterait que ce ne serait pas la loi, mais les autorités sociales qui créeraient les électeurs.
« M. Osy. - Il y a des opcenten en faveur des communes et des provinces, et d’autres en faveur de l’Etat ; les derniers seulement sont verses au trésor ; je propose donc de mettre versés au lieu de payés. »
Il est évident que M. Osy était dans l’erreur, lorsqu’il disait que les centimes additionnels provinciaux et communaux n’étaient pas versés au trésor ; les centimes additionnels provinciaux et communaux devant, aux termes de la loi du 12 juillet 1821, être perçus par les receveurs de l’Etat, sont versés au trésor en même temps que le principal de l’impôt et que les centimes additionnels perçus au profit de l’Etat : l’on doit aussi supposer que l’opinion de M. Lebeau, qui, on ne peut le nier, exerçait sur le congrès plus d’influence que M. Osy, est celle qui a prévalu. M. Lebeau disait que tous les impôts votés par la législature comptent pour former le cens électoral ; c’était exclure les centimes additionnels provinciaux et communaux qui sont votés par les administrations provinciales et communales avec l’approbation du Roi, mais ce n’était pas exclure ceux qui sont perçus en vertu de la loi du 12 juillet 1821, car ceux-là ont été votés par la législature, ils résultent d’un vote de la législature.
On peut tirer la même conclusion des autres paroles de M. Lebeau, il y a des communes riches où les charges sont presque nulles ; il en résulterait que ce ne serait pas la loi, mais les autorités locales qui créeraient les électeurs.
On voit qu’ici encore l’idée de M. Lebeau n’était pas d’exclure les centimes additionnels résultant d’une loi, mais uniquement ceux qui seraient votés par les autorités locales, peut- être dans le but de créer des électeurs ; cette idée est tout à fait conforme à la décision prise par la députation permanente de Liège.
L’honorable comte de Muelenaere interprète les mots verser au trésor de l’Etat, comme s’il y avait verser au profit de l’Etat, c’est aussi ce que la cour de cassation fait ; c’est là un changement de texte que je ne puis admettre, je ne consens pas à lire dans la loi verser au profit de l’Etat, quand il y a seulement verser au trésor de l’Etat. Mais quand même on admettrait cette variante, ce ne serait pas encore une raison pour exclure les centimes additionnels provinciaux et communaux du cens électoral, car je soutiens que non seulement ils sont versés au trésor de l’Etat, mais même qu’ils tournent au profit de l’Etat.
Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que la loi a mis à la charge des provinces et des communes certaines dépenses qui sont d’intérêt général ; c’est parce qu’elles sont d’intérêt général, que la loi les déclare obligatoires.
Ces dépenses étant d’intérêt général, c’est l’Etat qui devrait les supporter ; mais comme le pouvoir central est surchargé de travaux, comme il a de grandes questions à examiner, des affaires très importantes à traiter, comme il y a une foule de petits détails dont il est impossible qu’il s’occupe, comme il ne peut pas être partout à la fois, on a trouvé bon, pour faciliter l’administration, pour en simplifier les rouages, de confier certaines dépenses aux administrations provinciales et communales.
Pour être juste, il a fallu donner en même temps aux administrations provinciales et communales les moyens de couvrir ces dépenses, c’est pourquoi on leur a accordé des centimes additionnels provinciales et communaux, qui sont une partie des impôts de l’Etat, qui sont réellement perçus au profit de l’Etat puisqu’ils sont destinés à couvrir des dépenses d’intérêt général pour lesquelles les provinces et les communes sont substituées à l’Etat.
Est-ce que le contribuable qui aurait été électeur, si l’Etat s’était chargé lui-même de ces dépenses, cessera de l’être parce que l’Etat a trouvé bon d’en charger les provinces et les communes ? La nature de l’impôt est-elle modifiée par suite de cet arrangement entre l’Etat d’une part, les provinces et les communes de l’autre ? Ce qui se fait uniquement dans l’intérêt de l’administration, dans le but d’en simplifier les rouages, doit-il priver le contribuable de l’exercice du droit électoral ? Cela ne serait pas juste.
Lors de la discussion de la loi provinciale, on a agité la question de savoir si le casernement de la gendarmerie serait à charge de la province ou à charge de l’Etat ; on a décidé, à une faible majorité, je pense, qu’il serait à charge de la province. Faut-il, parce que l’on a pris cette décision, que la partie de l’impôt destinée à couvrir cette dépense soit exclue du cens électoral, alors qu’elle en aurait fait partie si le casernement de la gendarmerie avait été à charge de l’Etat ?
Je citerai encore un autre exemple tiré de la loi sur l’instruction primaire ; on a mis le traitement des inspecteurs civils à la charge des provinces, et celui des inspecteurs ecclésiastiques à la charge de l’Etat ; voilà deux dépenses d’intérêt général et tout à fait de même nature, dont l’une est supportée par l’Etat et l’autre par la province.
Il pourrait arriver que l’on trouvât un jour que le pouvoir central est encore trop surchargé de travail et que l’on augmentât, par ce motif, le nombre des affaires d’intérêt général confiées aux soins des administrations provinciales et communales ; cette combinaison amènerait nécessairement une augmentation des centimes additionnels provinciaux et communaux en même temps qu’une diminution des impôts perçus au profit de l’Etat ; si cela arrivait, il faudrait, dans le système qui exclut les centimes additionnels provinciaux et communaux du cens électoral, rayer des listes électorales une masse de citoyens qui continuent cependant à présenter les mêmes garanties d’ordre et de capacité. Un pareil système est-ii soutenable ?
Mais, dit l’honorable comte de Muelenaere, pourquoi faites-vous une distinction entre les centimes additionnels perçus en vertu de la loi du 12 juillet 1821 et les autres centimes additionnels provinciaux et communaux ? La réponse à cette question est très facile.
Par cela seul que les centimes additionnels créés par la loi du 12 juillet 1821 sont perçus dans toutes les provinces et dans toutes les communes, on est autorisé à dire qu’ils sont destinés à couvrir des dépenses d’intérêt général mises par l’Etat à la charge des provinces et des communes ; cela résulte d’ailleurs implicitement de la loi du 12 juillet 1821 dont l’article… porte que les centimes additionnels sont destinés à faire face aux dépenses des provinces et à telles autres dépenses d’intérêt général qui pourront leur être imposées.
Il n’en est pas de même des centimes additionnels qui peuvent être votés dans certaines provinces ou communes pour faire face à des dépenses accidentelles ; ii est évident que ces dépenses ne peuvent présenter le même caractère d’intérêt général que celles auxquelles la loi elle-même a pourvu.
Ajoutez à cette considération, que les bases du cens doivent être uniformes dans le pays. Evidemment on ne peut pas comprendre dans ce cens électoral des impôts qui ne seraient perçus que dans quelques localités ; ii faut que les impôts, pour être compris dans le cens électoral, présentent un caractère de généralité ; sans cela il dépendrait d’une commune d’augmenter son influence dans les élections, en faisant dans l’année où une élection aurait lieu certains travaux extraordinaires, dont la dépense serait couverte au moyen de centimes additionnels, cela n’est pas admissible. Je sais bien qu’une commune ne peut créer des centimes additionnels sans l’autorisation du gouvernement, mais le ministère lui-même pourrait avoir intérêt à augmenter le nombre des électeurs d’une commune qui lui serait dévouée.
On voit qu’il y a de bonnes raisons pour faire une distinction entre les centimes additionnels perçus en vertu de la loi et ceux qui ne résultent que du vote des administrations communales ou provinciales.
L’honorable comte de Muelenaere a laissé sans réponse l’argument que l’honorable M. Fleussu a tiré de l’art. 47 de la constitution ; cependant cet argument est très fort.
D’après l’art. 47 de la constitution, tout impôt direct doit être compris dans le cens électoral.
Personne ne peut soutenir que les centimes additionnels provinciaux et communaux ne sont pas des impôts directs ; ils ont été considérés comme tels par diverses lois, et notamment par l’art. 1er de plusieurs budgets des voies et moyens ; ce n’est qu’en 1838 qu’on a changé la rédaction de l’art. 1er de la loi du budget des voies et moyens ; on nous a par là enlevé un argument, disait tantôt M. le ministre de l’intérieur ; non, l’argument ne nous a pas été enlevé par là ; ce n’est pas en rayant les centimes additionnels provinciaux et communaux de l’art. 1er du budget des voies et moyens, qu’on a pu changer leur nature.
Si les centimes additionnels provinciaux et communaux sont des impôts directs, et personne ne peut le nier, ils doivent nécessairement, aux termes de l’art. 47 de la constitution, être compris dans le cens électoral, il y a, je le sais, quelques personnes qui pensent que l’on peut, sans violer le pacte fondamental, exclure du cens électoral certaines catégories d’impôts directs ; je ne puis admettre cette opinion, au moyen de laquelle on pourrait ne comprendre dans le cens électoral que l’impôt foncier, à l’exclusion de tous les autres impôts directs. C’est là une doctrine qui me paraît contraire au texte et à l’esprit de l’art. 47 de la constitution.
Mais ceux-là même qui pensent que l’on pourrait exclure du cens électoral certaines catégories d’impôt direct reconnaissent avec nous que l’on ne peut, dans aucun cas, priver du droit électoral celui qui, réunissant les autres qualités requises par la loi, paierait au moins 100 fr. d’impôt direct, maximum fixé par le même article de la constitution pour le cens électoral.
Aussi qu’a-t-on dit lorsqu’on a agité la question de savoir si l’impôt sur le débit des, boissons distillées serait compris dans le cens électoral ? On a dit qu’en supposant même que cet impôt fût un impôt direct, il était permis de l’exclure du cens électoral, parce que le cens le plus élevé exigé par la loi électorale est de 80 fl., et qu’en ajoutant même les 15 fl. maximum de l’impôt sur le débit ces boissons distillées aux 79 fl. 99 c. qu’un habitant de Bruxelles, où le cens de 80 fl. est exigé, pourrait payer, on ne violerait pas l’art. 47 de la constitution, en le privant du droit électoral, puisque même, en lui comptant tout, il n’atteindrait pas encore le maximum de 100 florins fixé par la constitution.
Cet argument, qui est vrai dans l’hypothèse où la constitution permet de distraire certains impôts directs du cens électoral, cet argument, dis-je, qui est vrai, si on tient compte des centimes additionnels provinciaux et communaux, devient faux aussitôt qu’on les exclut.
Supposez, en effet, qu’un habitant de Bruxelles paie 79 fl. 99 c. en impôts directs, tant en principal qu’en centimes additionnels au profit de l’Etat, supposez qu’il paie en outre 15 florins d’impôt pour débit de boissons distillées ; ajoutez à ces deux sommes les 15 centimes additionnels provinciaux et communaux, vous arriverez à un chiffre supérieur au maximum de 100 fl. fixé par la constitution ; cet individu qui paye au-delà du maximum fixé par la constitution ne sera pas électeur, dans le système qui exclut les centimes additionnels provinciaux et communaux, la constitution sera violée.
Remarquez bien, messieurs, que beaucoup d’honorables membres de cette chambre ont voté contre la proposition d’exclure l’impôt sur le débit des boissons distillées du cens électoral ; ils n’ont pu le faire que parce qu’ils considéraient cet impôt comme un impôt direct ; d’autres, qui ont voté pour la proposition, pensaient également que cet impôt est un impôt direct, et ils ne l’ont exclu du cens électoral que par la raison que j’ai indiquée tantôt, que dans aucun cas le maximum de 100 fl. ne serait dépassé. On peut donc dire que, dans l’opinion de la majorité de la chambre, l’impôt sur le débit des boissons distillées est un impôt direct, et en effet, il faut bien reconnaître que c’est une véritable patente.
Je pourrais, messieurs, faire valoir d’autres considérations, mais j’ai peut-être déjà été trop long. Je ne sais si mon honorable collègue, M. Fleussu et moi, nous aurons réussi à vous faire partager nos convictions, mais il me semble que nous avons prouvé que la question est tout au moins fort douteuse, et j’espère que dans le doute vous adopterez l’interprétation qui laisse la constitution intacte, qui élargit le cercle électoral, et qui maintient dans leurs droits une foule de citoyens auxquels beaucoup d’entre vous doivent peut-être de siéger dans cette enceinte.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, plusieurs des observations qui viennent d’être présentées ont déjà été discutées dans le rapport de la section centrale ; je ne m’attacherai donc à combattre que celles qui n’avaient pas été produites jusqu’à présent.
Je n’examinerai pas ce que l’on a dit des actes de la députation de la province de Liége ; il ne s’en agit pas ici ; il ne s’agit que de l’interprétation de la loi de 1831.
Indépendamment de l’opinion consacrée par le projet du gouvernement et adoptée par la section centrale, on a émis dans cette enceinte deux opinions bien distinctes. L’honorable M. Vilain XIIII veut faire entrer dans la formation du cens électoral tous les centimes additionnels. L’honorable M. Fleussu et l’honorable M. Delfosse veulent établir une distinction, d’après laquelle seraient comptés seulement les centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes, en vertu de la loi du 12 juillet 1821.
Si les centimes additionnels doivent être comptés parce qu’ils sont un impôt direct, il me semble que la distinction qu’on vous propose ne peut être admise. La nature de l’impôt direct résulte de la manière dont il frappe les biens. Si les centimes additionnels sont un impôt direct dans le sens de l’article 47 de la constitution, les uns et les autres doivent être comptés pour former le cens électoral.
Quel est, messieurs, le motif de la distinction ? C’est, dit-on, que la base du cens doit être uniforme dans toutes les provinces. Messieurs, j’ai pris des renseignements sur le point de savoir si les centimes accordés aux provinces et aux communes par la loi de 1821 sont perçus partout, et il m’a été assuré au ministère des finances qu’il y avait des communes du royaume où ces centimes n’étaient pas perçus ; de sorte que, d’après l’argument même que l’on fait valoir pour les compter, il faudrait ne pas les compter.
Il ne s’agit, disais-je tantôt, que d’interpréter la loi, et non d’étendre ou de restreindre le droit électoral. La question est celle-ci : Quel est le sens que le congrès a voulu donner à la loi de 1831 ? La discussion me paraît prouver à la dernière évidence que le congrès n’a pas voulu compter les centimes ordinaires ou extraordinaires accordés aux provinces et aux communes.
Que s’est-il passé, en effet ? Un membre du congrès a proposé un amendement tendant à comprendre tous les centimes dans le cens électoral, et cet amendement a été rejeté. Je reconnais que la discussion n’a pas un caractère officiel ; je ferai remarquer néanmoins qu’une partie des faits indiqués ont un caractère officiel. Ainsi, le rejet de l’amendement de M. Wannaer est constaté par le procès-verbal authentique de la séance du congrès. Il ne s’agit donc plus que de savoir quel était l’amendement de M. Wannaer, et il ne peut rester aucun doute sur ce point d’après les explications conformes données dans plusieurs des journaux de l’époque.
Les motifs du rejet de l’amendement, les motifs pour lesquels le texte du projet a été changé, sur la proposition de M. Osy, c’était précisément qu’il fallait exclure du cens électoral les centimes perçus au profit des provinces et des communes.
Le texte de la loi me paraît d’ailleurs parfaitement conforme à l’opinion exprimée dans les discussions. Il y aurait presque un jeu de mots à dire que l’on verse au trésor de l’Etat des centimes au profit des provinces et des communes. On verse au trésor de l’Etat ce qui est perçu au profit de l’Etat, ce qui est affecté à ses dépenses.
Mais, dit-on, ces centimes sont accordés en considération de dépenses d’intérêt général, dont les provinces et les communes sont chargées. A la vérité, d’après le texte de la loi de 1821, ces centimes sont accordes aux provinces à la fois en considération des dépenses d’intérêt général dont elles sont chargées, et pour leurs dépenses particulières ; mais si cette observation a quelque valeur pour les provinces, elle n’en peut avoir aucune pour les communes ; c’est exclusivement pour leurs dépenses particulières que les centimes leur sont accordés.
L’honorable M. Vilain XIIII a dit que le cens électoral n’est qu’un moyen de constater la fortune ; il en a conclu que les centimes additionnels provinciaux et communaux doivent entrer en compte pour la formation du cens. Il me semble, messieurs, que c’est poser en principe ce qui est en question ; car il s’agit de savoir quel est le signe même, ou quel est le moyen admissible aux yeux de la loi pour constater la fortune ; et nous pensons qu’aux termes de la loi électorale et de la constitution, les centimes additionnels provinciaux et communaux ne peuvent pas être reconnus comme étant le signe de la fortune, origine du droit électoral.
Les arguments tirés de la constitution reposent aussi sur l’opinion que l’on s’expose à la violer, si l’on ne compte pas les centimes additionnels. Mais encore une fois, il me paraît que les expressions dont se sert la constitution, que les termes de la loi électorale n’ont pas ce sens.
La loi française que l’on vous a citée, dit expressément que les centimes additionnels de toute nature sont comptés ; et je crois que l’on peut tirer de là un argument en faveur de l’opinion admise par la section centrale. Il faut se rappeler en effet, messieurs, que la loi française, dont le projet existait lorsque le congrès s’est occupé de notre loi électorale, a servi de type à un grand nombre de ses dispositions ; de la différence qui existe entre les deux textes, l’on peut encore conclure, indépendamment de tous les autres motifs, que le congrès n’a pas voulu admettre comme éléments du cens électoral les centimes perçus au profit des provinces et des communes. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne sais si je dois déclarer que je persiste dans la proposition. J’entrerai dans des considérations si on l’exige.
- L’art. 1er est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. le ministre s’est rallié à la rédaction de l’art. 2 proposée par la section centrale. Elle est ainsi conçue :
« Art. 2. Les contributions et patentes ne sont comptées à l’électeur qu’autant qu’il a payé le cens en impôt foncier, l’année antérieure, ou bien en impôts directs de quelque nature que ce soit, pendant chacune des deux années antérieures. Des redevances sur les mines sont assimilées à l’impôt foncier. »
« Le possesseur à titre successif est seul excepté de ces conditions.
« En cas de mutation d’immeubles, les contributions dues à partir du jour où la mutation a acquis date certaine, sont comptées à l’acquéreur pour la formation du cens électoral. »
M. Mercier. - Messieurs, deux reproches ont été faits à l’art. 2 du projet de loi ; ces reproches s’adressent au principe même de la disposition.
Le premier, c’est de consacrer en quelque sorte la fraude dès qu’elle se commet pendant deux années consécutives. Le second, c’est de priver de leur droit électoral une quantité de citoyens qui devaient en faire usage cette année, ou plutôt de priver l’Etat du concours utile de beaucoup d’électeurs qu’on empêche de concourir à un acte d’une haute importance pour les destinées du pays.
Messieurs, le premier vice de l’article se trouve écarté, du moment que l’on admet que la disposition n’est que provisoire ; du moment que l’on admet en principe, qu’il faut posséder réellement les bases de l’impôt. Sur ce point je suis complètement d’accord avec la section centrale, et je pense qu’aucune opinion contraire ne se manifestera dans la chambre ; il est entendu que la possession des bases de l’impôt est seule le signe de la capacité électorale.
Quant au second reproche adressé à cet article, on peut en atténuer beaucoup les motifs, sinon les écarter entièrement.
Lorsqu’il a été question des fraudes électorales pour la première fois dans cette enceinte, quant à moi, qui suis l’auteur de la motion, je n’avais en vue que des abus qui semblaient devoir résulter de déclarations faites pendant le 2ème semestre de l’exercice 1842, et j’ajouterai qu’en ce qui concerne le semestre, aucune ne m’avait été signalée. L’enquête est venue confirmer ce que nous pensions alors, c’est-à-dire que toutes, ou presque toutes les fraudes, ont été commises pendant le second semestre. Sans doute, personne ne peut affirmer qu’aucune déclaration inexacte n’ait été faite dans le premier semestre, mais il y a du moins très forte présomption que très peu d’entre elles ne sont pas entachées de fraude ; tandis qu’au contraire, pour les déclarations formées pendant le second semestre, la présomption est, d’après les renseignements qui nous ont été fournis par le gouvernement et d’après ceux que nous avons recueillis nous-même, qu’assez généralement les déclarants se sont écartés de la vérité.
Pourquoi, alors que les déclarations du premier semestre ne peuvent pas être présumées être entachées d’infidélité, irions-nous priver une quantité d’électeurs de l’exercice d’un droit qu’ils ont acquis légitimement ? Pourquoi irions-nous priver le pays du concours d’un grand nombre de citoyens à un acte aussi important que l’élection des mandataires de la nation ?
Messieurs, le nombre des électeurs que nous écarterons ainsi est assez considérable. Le gouvernement ne nous a communiqué sur ce point aucun renseignement ; mais il m’a été facile de calculer très approximativement quel est, chaque année, le mouvement des listes électorales, quel nombre d’électeurs sort chaque année par suite de décès. En établissant mes calculs d’après les tables de mortalité de la Belgique, appliquées aux hommes seulement, j’ai trouvé que sur le nombre de 49,200 électeurs, 1,200 au moins, devaient être remplacés par suite de décès.
Dans ces 1,200 électeurs, combien y en aurait-il qui figureraient légalement sur les listes pour des déclarations faites dans le deuxième semestre ; mais peut-être huit ou dix ; il se fait assez peu de déclarations dans le second semestre, et parmi ces déclarations le nombre de celles qui pourraient compléter le cens est encore plus restreint.
J’ai donc pensé qu’il serait utile de ne pas appliquer la mesure à un nombre considérable d’électeurs qui ont fait leur déclaration dans le premier semestre.
Je le répète, l’enquête ne nous renseigne, d’une manière bien précise, que des fraudes commises pendant le deuxième semestre, sauf celles qui concernant la commune de Romsée, lesquelles résultent de déclarations faites par des individus complètement insolvables et qui ne seraient pas plus réprimées par l’article, tel qu’il est proposé, que par la disposition que je propose d’y substituer ; c’est le 1er § qui les invalide.
Messieurs, je crois avoir, dans cette discussion, fait preuve d’assez d’impartialité et de modération ; je n’ai pas cherché à attribuer les fausses déclarations exclusivement à une opinion. Maintenant, c’est aussi dans l’intérêt de tous que je demande que tant de citoyens, à la veille d’exercer légitimement leur droit électoral, ne soient pas écartés des listes. Je le demande moins dans l’intérêt de ces citoyens que dans celui de l’Etat.
Voici, messieurs, quelle est l’amendement que je vais avoir l’honneur de déposer sur le bureau :
« La contribution personnelle et la patente ne seront comptées à l’électeur qu’autant qu’il les ait payées dans l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu.
« Il ne sera pas tenu compte de la contribution personnelle et du droit de patente résultant de déclarations faites dans le dernier semestre de l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu. »
J’insiste d’autant plus, messieurs, pour l’adoption de cette proposition, que ce n’est en quelque sorte qu’une interprétation de la loi actuelle, car bien des personnes, et même un commentateur très éclairé de la loi électorale, ont cru qu’il fallait avoir possédé les bases pendant toute l’année pour pouvoir jouir du droit électoral.
Je sais que cette opinion est contestée, que ce n’est pas même celle qui a prévalu dans l’application, mais d’après les termes mêmes de la loi électorale, on pourrait soutenir qu’il ne suffit pas d’avoir été imposé pendant une partie de l’année antérieure à celle de l’élection, mais qu’il faut avoir possédé les bases de l’impôt pendant cette année tout entière. Je n’insisterai pas trop sur cette observation, qui mérite cependant d’être prise en considération.
Je pense, messieurs, que nous devons faire une loi aussi bonne que le permettent les circonstances. Nous ne pouvons pas y introduire des dispositions consacrant soit des pénalités, soit le droit d’appel contre ceux qui ne posséderaient point les bases, parce qu’il faudrait pour cela apporter trop de changements à la loi existante ; faisons cependant une loi qui présente le moins d’inconvénients possible. Il faudrait des motifs extrêmement puissants pour être autorisés à écarter 1,200 électeurs des prochaines listes électorales ; la quantité de ceux que l’on éloignerait ne s’arrêterait probablement pas à ce chiffre, car il faut encore tenir compte de cette circonstance que, chaque année, depuis deux ou trois ans, le nombre des électeurs s’est accru de 7 ou 800. Je sais bien que cette progression aura un terme et que, dans quelques années, elle ne s’accroîtra plus qu’en raison de l’augmentation de la population ; mais je crois que ce moment n’est pas arrivé et que cette année présentera des résultats semblables, à peu de chose près, à ceux des deux ou trois dernières années. Voilà donc au lieu de 1,200, 1,900 électeurs que l’article du projet écarterait en grande partie. Eh bien ce n’est pas tout, il est encore une 3ème catégorie d’électeurs qui seraient atteints par cet article ; je veux parler de ceux qui remplacent annuellement les électeurs qui, pour une cause quelconque, perdent cette qualité dans le courant de l’année ; je crois que l’on peut porter le nombre de ceux qui sont dans ce cas à 200 au moins sur les 49,200 électeurs inscrits.
Voilà donc 2,100 électeurs dont douze à quinze cens au moins seraient privés de l’exercice de leur droit aux élections de 1843.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne puis pas me rallier à la proposition qui nous est faite. Je vous prie de bien vouloir jeter les yeux sur les tableaux qui sont joints au résumé de mon collègue le ministre des finances ; on y indique le mouvement des déclarations dans les années 1840, 1841 et 1842 ; il y a là, messieurs, des chiffres dont le rapprochement doit vous frapper.
En 1840, pour les neuf provinces on a fait des déclarations supplétives s’élevant, pour tout le royaume, à 10,817 fr. 91 c. Tout à coup, à partir de 1841 inclus, nous voyons les déclarations supplétives se doubler. En 1841, les déclarations supplétives pour toutes les provinces s’élèvent à 21,487 fr. 87 c., le double de l’année 1840. La même chose se présente pour l’exercice de 1842 ; les déclarations supplétives de cette année s’élèvent, pour les neuf provinces du royaume, à 20,053 fr. 19 c., c’est-à-dire à 1,500 fr. de moins que celles de 1841. Ainsi cette année 1842, qui vous est si suspecte, cette année présente une augmentation très forte, sans doute, si vous la comparez à 1840, mais moins forte que celle que vous avez remarqué en 1841, année que vous voulez amnistier.
Voilà, messieurs, un premier rapprochement qui doit nous frapper, mais ce n’est pas tout : en 1841, une province, le Brabant présente une augmentation extraordinaire pour les déclarations supplétives.
Un membre. - Il n’y a pas d’élections dans le Brabant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est précisément ce qui rend la question presque sans intérêt, car dès lors ce grand argument des électeurs nombreux auxquels la loi enlèverait leur droit, dès lors cet argument vient à disparaître, puisque ceux qui ont fait des déclarations supplétives dans le Brabant seront provisoirement mis hors de cause ; ils seront libres de renouveler leurs déclarations supplétives pour les élections qui doivent avoir lieu dans le Brabant, en 1843 ; malgré le vote de la loi ils se trouveront en temps utile pour le faire.
Quand j’ai été interrompu, je voulais faire ressortir ce que l’exercice de 1841 offre encore d’extraordinaire. Une province, le Brabant présente des déclarations supplétives pour la somme de 9,964 fr. 13 cent., c’est-à-dire, à peu de chose près, le chiffre qui se présente en 1840 pour le royaume entier. En effet, le chiffre des déclarations supplétives de 1840 pour les 9 provinces est de 10,817 fr., et en 1841, le chiffre des déclarations supplétives pour la seule province de Brabant est de 9,964 fr., c’est-à dire environ 10,000 fr., chiffre. total des déclarations supplétives de l’année précédente pour tout le royaume.
Il y a une 2ème observation de ce genre à faire, mais ici le caractère de gravité est moindre. Cette fois, il s’agit d’une province où il y aura des élections, le Hainaut. Dans le Hainaut, il a été fait en 1841 des déclarations supplétives pour une sommes de 3,718 francs 85 centimes.
M. Mercier. - Elles étaient inutiles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous examinerons cela tout à l’heure.
Je disais donc que dans le Hainaut il a été fait, en 1841, des déclarations supplétives pour 3,718 fr.85 c., et la même province est celle qui offre le contingent le plus fort de déclarations supplétives pour 1842, année suspecte.
Dans le Hainaut, il a été fait, en 1842, des déclarations supplétives pour 4932 fr. 82 c., ce qui est le chiffre le plus élevé que l’on rencontre pour 1842. Ainsi, messieurs, si je réunissais les déclarations supplétives faites dans le Hainaut en 1841 et en 1842, je trouverais pour ces deux années une somme totale de 8,651 fr. 67 c., somme encore une fois à peu prés égale au montant des déclarations supplétives faites en 1840, dans le royaume tout entier.
Voilà, messieurs, ce qui se présente pour cette deuxième province, quand on fait la comparaison entre les différents exercices.
Messieurs, je pense que l’exercice de 1841 se présente avec des caractères tout aussi extraordinaires que l’exercice 1842, qu’il est indispensable de les mettre sur la même ligne, et l’objection qu’on fait, qu’en 1841 on n’éprouvait pas le même intérêt qu’en 1842, pour faire des déclarations supplétives ; on peut répondre à cette objection : En 1841, on a pu éprouver, comme en 1842, l’intérêt de préparer les élections ; d’ailleurs, ce qu’il y a d’extraordinaire dans les chiffres doit frapper tout le monde ; on s’explique pourquoi l’année 1842 devient suspecte, lorsqu’en 1842 les déclarations supplétives pour le royaume entier présentent 1,500 fr.de moins que les déclarations supplétives de 1841.
Je pense donc qu’il faut maintenir la disposition telle qu’elle vous est proposée par le gouvernement et par la section centrale.
M. Verhaegen (pour une motion d’ordre) - Messieurs, dans quelques sections on avait demandé de disjoindre l’art. 2, pour en faire l’objet d’un projet spécial, et de comprendre les autres articles dans un second projet. C’est cette proposition que j’ai l’honneur de renouveler devant la chambre, par forme de motion d’ordre.
Messieurs, vous comprenez les motifs de cette motion d’ordre, si les protestations de la grande majorité de l’assemblée sont sincères, et j’aime à le croire, tout le monde veut réprimer la fraude ; l’on ne peut être en désaccord que sur les moyens d’atteindre ce but, tous, autant que nous sommes, à quelques légères exceptions près, nous désirons une disposition qui puisse, d’une manière efficace, réprimer la fraude. Mais il y a beaucoup de membres qui ne peuvent pas accepter certaines dispositions proposées par M. le ministre de l’intérieur et par la section centrale ; si l’on ne prononçait pas la disjonction, ces membres se verraient dans la nécessité de repousser l’ensemble du projet de loi. Si le gouvernement veut sincèrement la répression de la fraude, il ne peut s’opposer à ma proposition. Nous ne nous refusons pas à discuter en même temps toutes les autres dispositions du projet de loi. On l’a déjà dit, dans la discussion générale ; voudrait faire payer cher une disposition tendant à réprimer la fraude, et plusieurs membres ont déclaré qu’ils se trouvaient sous l’empire d’une contrainte morale, et qu’ils seraient forcés d’adopter telle ou telle dispositions du projet qui leur sont antipathique, pour obtenir la disposition tendant à réprimer la fraude.
Il me semble que le gouvernement pourrait éviter ce reproche, qui serait très fondé, en consentant à la disjonction ; tous les droits resteraient saufs ; au reste, l’on ne ferait en cette circonstance que ce qu’on a fait pour les projets de loi modificatifs de la loi communale. Lors de la discussion de ces lois, le gouvernement lui-même a donné l’exemple de la disjonction que nous demandons aujourd’hui, et je crois qu’à cette époque le gouvernement, à l’appui de sa demande, a fait valoir les mêmes motifs que ceux sur lesquels nous venons de nous appuyer.
Je prierai, en conséquence, M. le ministre de l’intérieur, de vouloir bien s’expliquer sur ce point.
M. le président. - Voici la proposition de M. Verhaegen
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de disjoindre l’art. 2, actuellement en discussion, du projet général, et d’en faire l’objet d’un projet de loi spécial. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette que dans un moment où il y a une si grande urgence, on vienne soulever une question, selon moi, oiseuse, par la proposition de disjonction….
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me suis expliqué sur cette proposition à la section centrale, je dois maintenir les raisons que j’ai alléguées contre la disjonction ; je dois les maintenir d’autant plus qu’aujourd’hui je pourrais opposer à cette demande de disjonction une fin de non-recevoir.
La discussion a porté sur l’ensemble du projet, et l’on peut même dire qu’on a continuellement dans cette discussion, dite générale, anticipé sur la discussion des articles, de sorte que chaque article se trouve presque aujourd’hui discuté en détail.
Messieurs, je crois devoir persister à m’opposer à la disjonction. La loi n’a qu’un seul but : la répression des fraudes. Cette répression se fait par les différents moyens indiqués dans le projet de loi. Mais toutes les dispositions de la loi ont le même but ; ce but se trouve dans l’art. 2, comme dans tous les autres articles du projet.
Je dois dire à l’honorable membre, pour me servir d’une expression usitée au barreau, qu’il aurait au moins dû présenter sa demande de disjonction in limine litis, et non pas maintenant.
Nous allons nous exposer inutilement à une grande perte de temps. Je demande que la discussion continue. Je pense que nous pourrons très promptement saisir le sénat du projet de loi. Et pourquoi placerions-nous le sénat dans une autre position que celle où nous avons été pour la discussion de ce projet ?
Mais, dit-on, vous allez exercer sur certains membres une sorte de contrainte morale. Messieurs, avec cet argument, il faudrait fractionner tous les projets de loi, il faudrait presque toujours faire autant de projets séparés qu’une loi contient d’articles. (C’est juste !) Vous voyez que cet argument de la contrainte morale avec lequel on veut effrayer vos esprits est peu fondé.
L’honorable préopinant me menace de la responsabilité qui doit retomber sur le gouvernement. J’accepte très volontiers cette responsabilité. Il a fait un appel à ma sincérité ; je ferai aussi un appel à la sienne ; la sincérité doit être réciproque, et moi je demande s’il n’y a pas lieu de réprimer toutes les manœuvres frauduleuses en matière d’élection. Toutes ces choses se lient dans mon esprit. Je crois être très sincère et très loyal, précisément en ce que je réunis en un seul faisceau tous les moyens de répression.
M. Lebeau. - Messieurs, en voyant la fin de non-recevoir invoquée par M. le ministre de l’intérieur, avec renfort de citations latines, j’ai été tenté un moment de me croire transporté devant un tribunal civil, et il m’a semblé qu’au lieu d’avoir en face de nous un ministre, nous avions un procureur. (Rires à gauche, murmures à droite.) On parle d’urgence. Eh bien, c’est précisément l’urgence qu’on peut invoquer à l’appui de la proposition de l’honorable M. Verhaegen. Comment ! messieurs, nous sommes arrivés au 20 mars, et nous commençons à peine la discussion des articles d’un projet qui en contient à peu près une vingtaine, tous susceptibles d’enfanter plusieurs amendements, qui, les uns et les autres, doivent être promulgués avant le 1er avril ! Calculez, messieurs, car c’est ici presque une question d’almanach, calculez et dites-moi si, quelque diligence que vous apportiez à la discussion et à l’adoption des articles et des amendements qui pourraient être présentés, il est possible que vous ne forciez pas le sénat à faire, à l’égard de ce projet de loi, ce qu’on a appelé dernièrement ici, avec esprit, une course au clocher.
Maintenant répondrai-je à cette espèce de reproche d’arrière-pensée, de manque de sincérité, adressé à l’honorable auteur de la motion ?...
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On m’a fait le même reproche.
M. Lebeau. - Où est donc ce manque de sincérité ? Il y a évidemment dans cette chambre une majorité qui veut toute la loi.
Eh bien, si la disjonction est adoptée, il va sans dire que nous procédons sans désemparer à l’examen des autres parties du projet ministériel. Je ne puis parler que pour moi, mais je crois que tout le monde comprend loyalement l’engagement. La majorité veut ces dispositions. La minorité votât-elle contre, elles seront converties en loi, puisque le gouvernement et la majorité sont d’accord pour les vouloir. Ainsi, quand nous aurons voté le premier projet, nous nous occuperons immédiatement du second, et si la chambre l’adopte, lors même que nous aurions voté contre, nous en recommanderions la religieuse observation à nos commettants, à nos concitoyens.
Voici une autre considération toujours puisée dans la question de temps ; c’est que les dispositions relatives aux fraudes électorales proprement dites ont un caractère évident d’urgence. C’est à tel point que les trois pouvoirs doivent les avoir sanctionnées avant le premier avril ; tandis que les autres peuvent, sans inconvénient, être adoptées dans le courant du mois prochain seulement, car elles ne s’appliquent pas à la confection des listes ; elle s’appliquent à la police pendant les opérations et à la faculté d’appel par le commissaire d’arrondissement qui peut s’exercer dans tout le courant du mois d’avril. Il n’y a pas chez nous l’ombre d’arrière-pensée ; c’est très sincèrement, très loyalement que, pressés par le temps, nous demandons de laisser au sénat sa liberté d’action.
C’est très sincèrement, très loyalement, que nous demandons cette disjonction. Que craignez-vous ? qu’une partie de cette chambre oppose sa force d’inertie, s’abstienne, ne participe pas à la discussion et empêche la majorité de voter la loi ? Je crois que personne ne me désavouera quand je dirai que tout le monde est prêt à procéder immédiatement à la discussion de toutes les autres dispositions de la loi.
Quant à la question de contrainte morale, d’atteinte à ce libre arbitre que vous nous accusiez naguère de vouloir méconnaître, elle est de la plus haute importance. Evidemment, en repoussant la disjonction on fait à une partie de cette chambre une véritable violence, en la forçant à voter toutes les autres dispositions de la loi sous peine de laisser subsister la fraude.
On ne fait de concession à aucune opinion, sans doute, quand on réprime la fraude. Sur ce point, il y a accord général. Qui oserait ici le nier ? Mais la divergence est très naturelle, très légitime sur les autres dispositions. Tout le monde doit être d’accord pour réprimer des fraudes scandaleuses, des turpitudes ; mais la divergence des opinions se produira d’une manière toute rationnelle, toute légitime, je le répète, dans l’examen et le vote des autres dispositions. Je vous prie en outre de ne pas méconnaître la différence qu’il y a entre une loi transitoire destinée à réprimer des fraudes commises en 1842 et des dispositions qui doivent être permanentes.
Je pourrais multiplier les considérations qui militent en faveur de la motion de mon honorable collègue, mais ce n’est pas quand je parle d’urgence que je puis me permettre de longs développements.
M. de Theux. - Je m’étonne que les honorables préopinants provoquent, au nom de l’urgence, une disjonction, alors qu’à l’ouverture de ces débats ils ont engagé une discussion politique qui a duré six jours, ce dont nos fastes parlementaires n’offrent pas d’exemple, et où il s’agissait de griefs si souvent discutés dans cette enceinte. Je regrette que le cas d’urgence qui les préoccupe si vivement aujourd’hui ne les ait pas préoccupés au commencement de cette discussion ; nous n’eussions pas perdu beaucoup de temps, et nous eussions évité des débats irritants qui n’ont eu aucun résultat et qui ne pouvaient en avoir aucun.
Un honorable membre a dit que, sauf quelques-uns, nous sommes tous d’accord sur la répression de la fraude. Ces mots m’ont par fort peu parlementaires. L’honorable membre n’a pas senti la portée de ses propres paroles, car, après les avoir proférées, il demande la disjonction de dispositions qui n’ont pas d’autre but que de réprimer la fraude ; il veut réserver à quelques-uns la faculté de rejeter certaines dispositions du projet et d’en adopter d’autres. Ces expressions peu parlementaires ont donc été en même temps imprudentes ; il devait prévoir qu’elles pourraient être rétorquées avec avantage en présence de la nation.
Quant au fond de la question, les observations de M. le ministre de l’intérieur sont tellement justes que je ne comprends pas qu’on les combatte sérieusement. Je dis que si nous voulons nous occuper sérieusement, avec assiduité, de la discussion des divers articles de la loi, la disjonction n’est en aucune manière nécessaire ; les administrations communales ont jusqu’au 15 avril pour arrêter les listes ; et elles ne doivent être affichées que le dimanche suivant. Deux ou trois jours de discussions peuvent nous suffire. Nous pourrons voter sur les quelques articles dont chacun a pu comprendre la portée ; le sénat aura le temps d’examiner la loi et de faire des amendements, s’il le juge à propos, et nous aurions encore le temps d’adopter définitivement le projet, sans préjudice à l’exécution de la loi du 3 mars 1831.
Il suffit, d’ailleurs, à mon avis, que le ministère s’oppose à la disjonction pour qu’elle ne puisse pas être mise aux voix. Le projet du gouvernement est là, nous ne pouvons pas le scinder. Nous pouvons admettre certaines dispositions, en rejeter d’autres, mais je ne pense pas que, par forme de motion d’ordre, nous puissions mutiler, sans son assentiment, un projet du gouvernement, quand dans sa pensée, les diverses dispositions forment un ensemble.
M. Lejeune. - Après ce qui vient encore d’être dit aujourd’hui, je suis ramené à me demander ce que c’est que des fraudes électorales. Au mois de décembre dernier, l’honorable M. Mercier dénonce un genre de fraude commis au moyen de déclarations supplétives supposées. Il a été convenu alors, on paraissait d’accord, de réprimer ces fraudes et toutes les autres, s’il en existait, sans en faire une question de parti. Nous avons vu ce qui est arrivé de cette dernière promesse. J’ai dans le même temps dénoncé aussi une espèce de fraude qui consiste dans l’inscription sur les listes de personnes qui ne paient pas le cens. On a eu l’air de ne pas entendre ; dans toute cette discussion encore, on ne s’est occupé que du genre de fraude dénoncé par M. Mercier ; on vient encore de qualifier ces fraudes de turpitudes, d’actions scandaleuses. Messieurs, après avoir qualifié ainsi ces sortes des fraudes, nous devons encore faire remarquer qu’on a voulu les attribuer à une seule opinion, et qu’a-t-on répondu à cette accusation ? Par une très sage réserve.
Un membre. - C’est de la discussion générale !
M. Lejeune. - Ce n’est pas de la discussion générale. Je veux prouver que les fraudes que j’ai dénoncées sont autrement graves que celles que vous appelez scandaleuses. Je dis qu’à cette accusation, lancée à une opinion, il a été répondu par une sage réserve. On n’a pas voulu citer de nom ! cependant qu’avons-nous appris depuis le mois de décembre ? Qu’il y a des provinces entières où ces turpitudes, ces fraudes scandaleuses sont complètement inconnues, où elles ne sont connues que par quelques cas rares, posés par des personnes dont vous réclamez probablement l’appui, et dont l’exemple n’a pas été suivi par leurs adversaires.
Vous exigez un cens assez élevé de la part des sénateurs, je le conçois ; mais il serait absurde que le cens qui suffirait à un individu pour être sénateur, ne fût pas suffisant pour qu’il fût électeur.
Des membres de cette chambre, et le nombre en est grand, croient que les fraudes faites au moyen de déclarations supplétives sont excusables par les termes mêmes de la loi, que c’est même une erreur que de les qualifier de fraude. Je suis aussi de cet avis, qu’il ne faut pas tant s’arrêter à des qualifications plus dures les unes que les autres. Je préfère excuser le passé et prévenir les abus dans l’avenir.
Les fraudes dont j’ai parlé en décembre existent réellement. Il existe des inscriptions indues de personnes qui ne paient pas le cens électoral. Croyez-vous que ce soient des cas isolés ? On ne se doute pas, paraît-il, que cela puisse présenter un caractère de gravité, car on ne s’en est nullement occupé. Eh bien, messieurs, dans plusieurs communes on a trouvé que plus de la moitié des individus inscrits comme électeurs ne payaient pas le cens électoral.
L’honorable M. de Theux a, dans la discussion générale, cité un exemple que je crois devoir rappeler, pour mieux démontrer la nécessité de réprimer cette fraude ; il fait voir qu’il y a autant d’urgence à réprimer celle-là que celles que l’art. 2 a pour objet de prévenir.
Dans 3 communes qui fournissent ensemble 182 électeurs inscrits, on a trouvé qu’il n’y en avait que 80 qui payassent le cens. On me dit que ce n’est pas là la question de disjonction. Je dis que c’est la question de disjonction, parce qu’on la propose dans l’espoir de faire écarter la deuxième partie du projet qu’on veut disjoindre ; et je tiens, pour ma part, beaucoup plus à la répression des abus que je viens de signaler, qu’à celle des fraudes qui seraient réprimées par l’art. 2 ; je veux la répression des toutes les fraudes qu’il est possible d’atteindre. Je voterai contre la disjonction, parce que je veux la loi tout entière.
M. Delfosse. - Je suis surpris de l’espèce de fin de non-recevoir que M. le ministre de l’intérieur et, après lui, M. de Theux ont opposée à la motion de l’honorable M. Verhaegen. Dans la section centrale, j’ai aussi proposé la disjonction, non pas de l’art. 1er, mais de tous les articles qui me paraissaient présenter un caractère d’urgence ; que m’a-t-on objecté dans la section centrale ? On m’a objecté que ma proposition était prématurée, qu’il fallait attendre la discussion, que ce ne serait que dans le cas où elle se prolongerait trop qu’il pourrait être utile de proposer la disjonction. Je me suis rendu à ces observations, j’ai consenti à ajourner ma proposition. J’ai donc lieu de trouver étrange que l’on vienne dire à M. Verhaegen, qu’il aurait dû présenter sa proposition à l’ouverture de la discussion ; on me disait à moi qu’il était trop tôt, on dit à l’honorable M. Verhaegen qu’il est trop tard ; expliquera à qui pourra cette contradiction.
L’honorable M. Lejeune vient de nous dire qu’il ne s’agit pas seulement de réprimer les fraudes signalées par M. Mercier, qu’il faut aussi réprimer d’autres fraudes non moins dangereuses, plus dangereuses peut-être, selon lui ; il est de ces fraudes qui consistent en ce que dans plusieurs communes on portait sur les listes électorales des individus ne payant pas le cens.
Il me semble qu’il y a dans la loi actuelle un remède contre ce genre de fraudes, chaque citoyen a le droit de réclamer auprès de la députation permanente contre les inscriptions indues ; si l’honorable M. Lejeune a eu la connaissance, comme il le dit, d’un grand nombre d’inscriptions indues, il a eu grand tort de ne pas réclamer.
Les choses iront-elles mieux lorsqu’on aura donné aux commissaires d’arrondissement le droit d’intervenir dans la formation des listes électorales ? J’en doute fort, ils réclameront, j’en suis certain, pour faire porter sur les listes les individus qu’ils supposeront disposés à soutenir les candidats du gouvernement et pour faire rayer ceux qu’ils supposeront hostiles à ces mêmes candidats ; si c’est là ce qu’on veut, le but sera atteint ; c’est surtout lorsqu’ils seront candidats eux-mêmes, et malheureusement il n’y a que trop de commissaires d’arrondissement qui cherchent à venir ici, c’est alors, dis-je, qu’ils déploieront beaucoup d’activité.
Je suis prêt à prêter mon concours à la répression de toute espèce de fraude, mais je ne veux pas que, sous prétexte de réprimer la fraude, on introduise dans la loi un moyen de faire pencher la balance en faveur des candidats du gouvernement.
La proposition de disjonction ne préjuge d’ailleurs rien. Il y a certaines dispositions qui sont plus urgentes que d’autres, qui doivent nécessairement être publiées avant le 1er avril ; ce sont celles qui concernent la révision des listes ; il y en a d’autre qui ne doivent être mises à exécution qu’après le 1er mai ; si on disjoint les premières dispositions des autres, pour en faire un projet spécial, on aura l’espoir de les adopter en temps utile ; si on ne les disjoint pas, cela deviendra, pour ainsi dire, impossible ; comment pourrait-on discuter toutes les dispositions de la loi, ici et au sénat, assez à temps pour qu’elle puisse être exécutoire le 1er avril ; remarquez bien, messieurs, qu’il ne suffit pas qu’elle soit publiée, il faut que des instructions soient données aux receveurs, il faut qu’ils aient le temps de faire avant le 1er avril le double des rôles qui doit être remis aux administrations communales.
La loi entière ne pourra évidemment être adoptée en temps utile, qu’autant qu’on adoptera les articles sans discussion ; il y a cependant des articles d’une très grande importance qui doivent donner lieu à une discussion approfondie. S’opposer à la disjonction, c’est vouloir étouffer la discussion.
Il est vraiment étrange que M. le ministre de l’intérieur s’oppose à la proposition de M. Verhaegen ; il devrait être le premier à l’appuyer ; je défie M. le ministre de l’intérieur d’indiquer un seul inconvénient qui pourrait résulter de l’adoption de cette proposition, elle ne présente que des avantages.
L’honorable M. Verhaegen n’a demandé que la disjonction de l’art. 2. Comme il y a d’autres dispositions également urgentes, je proposerai, messieurs, de modifier la motion de M. Verhaegen, en ce sens que les cinq premiers articles du projet de la section centrale seraient disjoints pour former un projet de loi séparé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On veut la disjonction ; c’est-à-dire, que d’un projet de loi on voudrait faire deux projets ; l’on assignerait à chacun d’eux un caractère particulier, c’est ce que le gouvernement ne peut pas vouloir, parce que dans la pensée du gouvernement le caractère du projet, tel qu’il vous est présenté, est un ; le gouvernement se manquerait à lui-même si aujourd’hui il consentait à la disjonction, c’est-à-dire, s’il reconnaissait la possibilité d’assigner à chaque partie du projet un caractère particulier ; il abandonnerait ainsi la position qu’il a prise, et qu’il est de son honneur de conserver.
Le gouvernement est juge de la forme qu’il doit donner aux propositions qu’il vous soumet, en vertu de l’initiative qui lui est attribuée. Cette forme, il en accepte la responsabilité ; on fausserait sa position si on obligeait le gouvernement à sanctionner des projets auxquels, contre son intention, on aurait assigné des caractères différents de celui qu’il leur donne.
On a abandonné l’argument de la contrainte morale ; c’est maintenant l’urgence que l’on invoque.
Un membre. - Il n’est pas abandonné.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Eh bien ! Cet argument ne prouve rien, parce qu’on peut l’invoquer pour toutes les lois.
On a invoqué les précédents de la loi communale. Il y avait différents projets de loi ; on a fait la proposition de les réunir en un seul ; et si cette proposition eût été adoptée, il est probable que le gouvernement aurait retiré le projet de loi.
L’urgence, messieurs ! l’urgence existe sans doute, mais c’est une erreur de croire qu’il faut que la loi soit votée et promulguée avant le premier avril. L’honorable M. de Theux vous a fait remarquer que c’est une erreur. D’après l’article 7, la révision des listes doit se faire du premier au 15 avril. Il ne faut pas en conclure que le projet ne devrait être promulgue que le 15 avril. Mais je suis convaincu que la loi étant promulguée, même à la date du 10 avril, elle pourrait encore atteindre son but.
Messieurs, est-ce que l’application de cette loi donnera, lieu à des opérations extrêmement compliquées ? Mais non. Si l’article 2 est adopté, presque toutes les déclarations supplétives de 1841 et de 1842 viennent à tomber ; elles sont non-avenues et les listes d’après lesquelles les élections devront se faire, ce sont à peu près les listes de 1840. (Dénégation.) Ce seront en grande partie les listes de 1840. On regardera comme non-avenues les déclarations supplétives de 1840 et de 1841, pour ce qui regarde la contribution personnelle. Vous voyez donc que l’opération s’accomplit en quelque sorte de plein droit, si je puis parler ainsi.
Les administrations sont déjà prévenues ; personne dans le pays n’ignore qu’elle est la loi que l’on discute, quelle en sera la portée. La loi n’a pas besoin d’être faite pour le 1er avril ; il suffit qu’elle soit promulguée cinq ou six jours avant le 15 avril. Elle le sera sans difficulté pour cette époque.
Je reviens à la première observation que j’ai faite. Je ne puis consentir, comme organe du gouvernement, à abandonner la position qui a été prise par le gouvernement. Il vous a présenté un projet de loi qui est un à ses yeux, dont toutes les dispositions ont le même caractère. Consentir aujourd’hui à la disjonction, c’est-à-dire à faire deux projets, donner deux caractères différents aux dispositions qu’il vous soumet, ce serait, de la part du gouvernement, se mettre en contradiction avec lui-même.
M. le président. - Voici la proposition que l’honorable M. Delfosse vient de faire parvenir au bureau : « Je modifie la proposition de M. Verhaegen en ce sens, que les cinq premiers articles du projet de la section centrale seraient disjoints pour former un projet de loi spécial. » (La clôture ! la clôture !)
M. Verhaegen. - J’espère, messieurs, que l’on me permettra de dire encore quelques mots : la question est assez importante, (Parlez ! parlez !)
Messieurs, je ne conçois réellement pas la conduite du gouvernement. Car, maintenant, M. le ministre de l’intérieur n’a plus d’autre réponse à donner à mes observations, si ce n’est que le gouvernement tient à honneur de maintenir la proposition telle qu’il l’a faite.
Ainsi, la disposition ne présente pas d’inconvénients. Mais parce vous avez présente un projet général, vous tenez à honneur de le maintenir dans son ensemble, dût-il en résulter des inconvénients, et des inconvénients graves. Si l’amour-propre doit l’emporter sur l’intérêt général, je comprends le mobile de M. le ministre de l’intérieur.
Messieurs, je demandé au gouvernement quels sont les inconvénients que présente ma demande de disjonction. Je défie M. le ministre d’en signaler aucun. Et, messieurs, s’il n’y a pas d’inconvénients à la disjonction, il y en a de très graves à maintenir le projet tel qu’il est. Nous l’avons dit, et la discussion générale nous l’a prouvé, en obligeant la législature à voter sur le tout en même temps, plusieurs membres se trouveront placés sous l’empire d’une contrainte morale. Il y en a parmi nous, je ne parle pas de moi, car je sais le parti que j’ai prendre, il y en a parmi nous qui, pour avoir une disposition répressive de la fraude, seront obligés de passer par des exigences auxquelles ils en consentiraient pas, si toutes les dispositions n’étaient pas réunies. C’est violenter les consciences que de forcer à voter sur un ensemble, alors qu’une disjonction ne présente aucun inconvénient.
M. le ministre de l’intérieur vient de vous dire que, s’il fallait disjoindre dans le cas actuel, il faudrait disjoindre pour toutes les lois. Mais les inconvénients que je signale ne se présenteront que lorsqu’il s’agira d’une mesure urgente et de circonstance. Veuillez bien remarquer, messieurs, qu’il ne s’agit pas d’une loi dans le sens général que l’on attache à ce mot, mais bien d’une loi sui generis, d’une loi répressive de la fraude, d’une loi (et malgré l’observation de l’honorable M. de Theux, il y a ici rien d’antiparlementaire) que la majorité, à quelques exceptions près, paraît vouloir. Et si je me suis exprimé ainsi, c’est que je n’ai pas dû attendre le vote pour avoir cette opinion. Des discours m’avaient appris que certains membres n’étaient pas de l’avis de cette majorité, et ce qui le prouve de nouveau, c’est l’observation de l’honorable M. Lejeune. J’étais donc dans mon droit.
Presque tous les membres de cette assemblée paraissent au moins ostensiblement vouloir réprimer la fraude. Qu’ils concourent donc avec nous à atteindre ce but ; qu’ils ne nous forcent pas à voter contre une disposition que nous considérerions comme salutaire, parce que nous ne pourrions pas adopter certaines autres dispositions, portant atteinte au plus précieux de nos droits.
Je suis fort étonné que l’honorable M. de Theux vienne dans cette circonstance donner son concours à l’honorable M. Nothomb. L’honorable M. de Theux ne se rappelle-t-il pas que naguère il a présenté un amendement au projet de loi ayant pour but d’apporter des modifications a la loi communale ; et que ce simple amendement, sur sa demande, a été converti en un projet de loi spécial ? Nous avons cru alors devoir nous opposer à cette disjonction, mais la majorité nous a appris que nous avions tort. On n’a fait aucune attention à notre opposition, et on a formé de l’amendement de l’honorable M. de Theux un projet de loi spécial, parce qu’alors cela convenait.
M. Lebeau. - C’est de l’impartialité.
M. Verhaegen. - Il s’agissait alors du fractionnement ; et l’honneur du gouvernement n’était pas en jeu, il se laissait traîner à la remorque du parti dominant. Aujourd’hui l’honneur du gouvernement est en jeu, mais c’est autre chose ; les hommes changent avec les circonstances.
Dans la discussion générale, on a reproché au gouvernement ses tendances. On lui a dit que le projet lui avait été imposé, que jamais il n’aurait été présenter une disposition répressive de la fraude pour faire droit aux plaintes de notre opinion, s’il ne l’avait accompagnée de certaines atteintes portées à la loi électorale dans l’intérêt d’un autre parti. Il y avait un moyen bien simple pour le gouvernement de se disculper de ce reproche ; il n’avait qu’à admettre la disjonction et à faire voir ainsi au pays qu’il voulait sérieusement la répression de la fraude telle qu’elle avait été dénoncée dans cette enceinte. Mais le gouvernement ne le veut pas, et dès lors ceux qui lui ont reproche ses tendances sont autorisés à maintenir ce qu’ils ont dit à cet égard.
L honorable M. Nothomb est allé si loin, dans un de ses derniers discours, que voulant affaiblir certaines observations faites par quelques-uns de mes honorables amis, il s’est écrié : on me demande de faire connaître les noms, de donner des détails sur les inscriptions, Je ne veux pas le faire, parce que le pouvoir, en donnant ces détails, compromettrait sa dignité, et cependant immédiatement après, il a formulé une accusation contre le parti libéral ! Cette accusation, je me réserve de la rencontrer, lorsque j’aurai à m’expliquer sur le mérite de l’art. 2 ; si, comme on l’insinue, des fraudes ont été commises par les deux opinions, au moins il n’y en a qu’une qui veuille les réprimer gratuitement, tandis qu’il y en a une autre qui veut faire payer cette répression par des sacrifices énormes ; et l’opinion qui veut réprimer gratuitement la fraude, c’est la nôtre. S’il n’en est point ainsi, qu’on ait alors le courage de demander avec nous la disjonction et de mettre ainsi tout le monde à même de s’expliquer et de voter consciencieusement.
On a voulu repousser ma motion par une fin de non-recevoir ; il y a eu une discussion générale, dit-on. Mais, messieurs, cette discussion générale n’est pas perdue. La discussion générale, politique si l’on veut, a duré pendant plusieurs jours ; elle nous a mis à même d’apprécier la portée de toutes les dispositions du projet. Cette discussion générale était nécessaire pour deux projets comme pour un seul et même projet. Elle ne se renouvellera plus ; elle sera utile pour le projet tel que je demande qu’on le formule, comme pour l’autre projet. Il n’y a à cet égard aucun inconvénient.
Comme vous l’a fort bien dit un honorable collègue, on ne pouvait proposer la disjonction que lorsque, par la discussion générale, on aurait été mis à même d’apprécier toutes les dispositions du projet ; sans cela on aurait proposé la disjonction en aveugle. Et c’est dans ce sens qu’on l’a entendu dans les sections ; puisque l’honorable M. Delfosse vous a fait observer que quand il a demandé la disjonction, il lui à été répondu qu’il fallait attendre que la discussion générale eût mis la chambre à même d’apprécier le projet tout entier. Il n’y a donc pas de fin de non-recevoir à nous opposer. Nous vous avons demandé la disjonction en temps utile. Nous avons usé d’un droit dont on a fait emploi en maintes circonstances beaucoup moins favorables que celle dans laquelle nous nous trouvons.
Messieurs, nous avons fait ce que notre devoir nous commandait. J’ignore quel sort est réservé à la proposition de l’honorable M. Delfosse, à laquelle je me rallie ; car elle ne fait que rendre mes intentions. J’ignore, dis-je, quel en sera le sort, mais le pays au moins pourra apprécier si c’est bien sérieusement que l’on veut la répression de la fraude (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande encore à dire un mot. Je dis que la motion d’ordre faite par l’honorable préopinant est une atteinte aux droits du gouvernement, et je suis parfaitement conséquent avec moi-même. Lorsqu’il s’est agi de réunir les différents projets relatifs à la loi communale, je m’y suis opposé parce que je voulais conserver la position que j’avais prise en exerçant l’initiative du gouvernement. J’ai dit à cette époque ce que je dis aujourd’hui, que je ne voulais pas que le projet présenté par le gouvernement, et qui était relatif aux bourgmestres, reçût un autre caractère que celui qui dominait dans ma pensée, que celle du fractionnement pouvait avoir un autre caractère et qu’il importait dès lors qu’il y eût disjonction. Eh bien, restons sur le même terrain, je dis aujourd’hui que la proposition faite par le gouvernement doit rester ce qu’elle a été. Dans la pensée du gouvernement, cette proposition n’a qu’un caractère unique et l’on ne peut pas y mêler autre chose sans son consentement, mais aussi on ne peut pas dénaturer le caractère de la proposition en la disjoignant.
C’est donc la question préalable que je demanderai, et en demandant la question préalable, j accepte de la manière la plus complète la responsabilité d’une semblable demande. Je demande la question préalable, parce que je ne pense pas que la chambre, lorsque le gouvernement exerce son initiative, puisse disjoindre les projets qu’il lui soumet. Je dis que je ne suis point en contradiction avec moi-même ; je fais ce que j’ai fait dans la discussion de la loi communale : alors aussi je n’ai pas voulu dénaturer la position du gouvernement. Quant à l’urgence, je répète ce que eu l’honneur de dire tout à l’heure, le projet pourra être voté par les deux chambres et promulguée certainement avant le 8 du mois prochain.
- La clôture est demandée et prononcée.
La question préalable est mise aux voix et adoptée.
Plusieurs membres. - A demain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai, messieurs, une prière à adresser aux membres de la chambre qui ont annoncé des amendements. Je pense qu’ils iraient au-devant du désir de chacun d’entre nous, s’ils pouvaient dès aujourd’hui déposer les amendements qui se trouvent préparés. En deuxième lieu, je propose à la chambre de se réunir toujours à 11 heures, mais à 11 heures, en prenant la chose au sérieux.
M. Delfosse. - Il est bien entendu qu’on ne sera pas privé du droit de présenter des amendements, parce qu’on ne l’aura pas fait aujourd’hui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, non ; c’est une prière que j’ai faite, rien de plus.
M. Savart-Martel dépose un amendement qui sera imprimé.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.