(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Kervyn présente l’analyse d’une pétition adressée à la chambre/
« Le sieur Braive réclame l’intervention de la chambre pour être réintégré dans le grade de major de corps francs. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le comité directeur de l’association nationale pour les progrès de l’industrie linière présente des observations sur l’ordonnance française du 29 janvier 1843, relative à la prohibition des toiles de coton, de lin, ou de chanvre. »
M. Delehaye. - Messieurs, cette pétition sera probablement renvoyée à la commission permanente d’industrie ; mais indépendamment de ce renvoi, je demanderai qu’elle soit insérée au Moniteur. Elle contient des vues très utiles à consulter.
M. Zoude. - Je demande, en outre, qu’elle soit renvoyée à la commission avec demande d’un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée, ainsi que l’insertion au Moniteur.
« Des négociants et raffineurs de sucre de Gand présentent des observations concernant le projet de loi sur les sucres, tel qu’il a été adopté au premier vote. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi
M. Delehaye. - Je comprends qu’on dépose cette pétition sur le bureau, parce que nous allons nous occuper de la question ; mais comme elle contient des vues très justes, je demanderai qu’elle soit aussi insérée au Moniteur.
M. Rodenbach. - Mais si elle a rapport à la question des sucres, il est inutile de l’insérer au Moniteur, car c’est aujourd’hui le second vote, et je ne sais pas à quoi cette insertion pourrait servir.
M. Delehaye. - Il est possible que nous terminions aujourd’hui cette question, mais je répète que cette pétition contient des vues qu’il serait très utile de consulter. Si on ne l’insère pas au Moniteur, je demanderai au moins qu’on en donne lecture. Quand même la question serait décidée, il n’en serait pas moins important que chacun de nous pût savoir de quelle manière elle est envisagée dans le pays ; et d’ailleurs, après nous le sénat doit s’occuper de cette question, et il pourra consulter cette pétition avec fruit. J’ajouterai, du reste, que cette pétition n’est pas très longue, et qu’elle n’occupera pas beaucoup de place dans le Moniteur.
- L’insertion au Moniteur est ordonnée.
M. le président. - M. Delehaye demande en outre qu’on donne lecture de la pétition.
M. Delehaye. - Je n’avais fait cette seconde proposition que dans le cas où la première n’aurait pas été adoptée.
- La chambre admet qu’il sera donné lecture de cette pétition.
M. Kervyn donne lecture en ces termes : (suit le texte de la pétition, non reprise dans la présente version numérisée.)
Par dépêche en date du 40 mars, M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) transmet à la chambre 96 exemplaires du compte de l’administration de la justice criminelle pendant les années 1836, 37, 38, 39. »
M. Liedts. - Messieurs, dans la séance du 4 mars dernier, M. le ministre des travaux publics a soumis à vos délibérations un projet de loi ayant pour but de proroger la loi du 12 avril 1835, qui permet au gouvernement de fixer, par arrêté royal, les péages sur le chemin de fer. Vous avez renvoyé ce projet à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics. Nous nous en sommes occupés ce matin, et nous avons cru qu’il était indispensable de proroger cette loi encore pour une année. Nous appelons de tous nos vœux le moment où nous pourrons fixer, par une loi, les péages sur le chemin de fer ; mais en attendant que toutes les lignes soient achevées, il est nécessaire de continuer la loi provisoire qui existe aujourd’hui. Nous vous proposons donc de la proroger jusqu’au 1er juillet 1844.
M. Mercier. - Messieurs, on l’a suffisamment expliqué dans la discussion, la véritable protection du sucre indigène, c’est le droit prélevé à la consommation, et ce droit est en rapport avec la prime de mévente. Je demanderai donc à M. le ministre des finances de vouloir bien nous dire si, dans son opinion, il y aura sous le régime de la loi que nous allons voter, une prime de mévente dans la proportion de celle qui existe sous la législation actuelle. Comme c’est la seule base de la protection du sucre indigène, il est important que nous connaissions l’opinion du gouvernement sur ce point.
Je ne demande pas à M. le ministre de nous dire quel sera le taux de cette prime, car elle est variable de sa nature, mais de nous faire connaître si dans sa pensée l’effet de la nouvelle loi qui sous le rapport du rendement est la même que celle qu’il nous a proposée en dernier lieu, doit être de maintenir la prime de mévente dans la même proportion que sous le régime de la loi en vigueur.
M. le ministre des finances (M. Smits) - La loi que vous avez faite, messieurs, ne s’occupe nullement de la prime de mévente ; elle n’a établi qu’un droit d’accise. Je ne sais pas comment je pourrais répondre à l’interpellation de l’honorable M. Mercier, car la prime de mévente est une question commerciale et non une question d’impôt.
M. Mercier. - Toute la loi est fondée sur ce point, et je ne conçois pas que M. le ministre ne veuille pas répondre à une pareille interpellation, car il est impossible de se rendre compte de la protection que l’on veut accorder au sucre indigène, sans se faire une idée de ce que sera la prime de mévente. Sous la loi actuelle elle varie de 16 à 20 et à 33 p. c. ; en sera-t-il le même sous la loi nouvelle dans l’opinion du gouvernement ? Personne n’est mieux en position de faire cette appréciation que M. le ministre des finances ; la réponse qu’il vient de me faire est évasive et ne peut aucunement me satisfaire ; elle ne satisfera pas non plus les nombreux intéressés. Nécessairement M. le ministre, avant même de nous présenter son dernier projet, a dû examiner la question de savoir si la prime de mévente subsistera encore, et dans l’affirmation quelle en serait la quotité probable. S’il ne l’avait pas fait, il ne se serait attaché qu’à la superficie et non au fond.
M. Cogels. - Je ne saurais assez approuver la réserve qu’a mise M. le ministre des finances dans sa réponse. La prime de mévente est une chose que le gouvernement ne peut apprécier en aucune manière. Il peut d’autant moins l’apprécier, que le commerce lui-même aurait beaucoup de peine à l’apprécier. La prime de mévente n’a pas existé immédiatement après la mise à exécution de la loi de 1838, ces primes se sont introduites depuis et ont beaucoup varié. Quelles en ont été les causes ? Ce sont les besoins de l’exportation et l’envahissement du sucre indigène, qui a été obligé de recourir à cette prime de mévente pour la facilité de l’exportation, que lui, qui n’étant soumis à aucun droit, ne pouvait faire sans la substitution facilitée par la prime. Comment voulez-vous, avant d’avoir une expérience de quelques mois, calculer quelle sera cette prime de mévente ? Il faudrait, pour donner une réponse catégorique, être vraiment sorcier.
M. Mercier. - Il ne faudrait pas être sorcier pour savoir si la prime de mévente subsistera encore dans une proportion plus ou moins forte qu’aujourd’hui. Cette prime de mévente est le résultat d’un marché qui se fait entre le raffineur qui travaille pour la consommation intérieure et le raffineur qui travaille pour l’exportation, si celui-ci veut faire un sacrifice de 33 p. c. sous la législation actuelle. Le gouvernement peut bien apprécier s’il existe des motifs puisés dans le projet que nous discutons, pour qu’il en soit encore de même à l’avenir, si ce projet est adopté. Si le gouvernement refuse de répondre, s’il persiste à dire qu’il ne sait pas ce qui arrivera quand la loi sera mise à exécution, il reste avéré qu’il ne connaît pas la portée de la loi et que nous l’aurons en quelque sorte votée en aveugles. (Interruption.)
Il est évident que nous votons en aveugles, puisque le gouvernement lui-même ignore quel sera l’effet de la loi, quelle sera la protection qui en résultera pour le sucre indigène. Je ne demande pas qu’on me réponde par un chiffre rigoureux, mais par une appréciation basée sur les plus grandes probabilités. M. le ministre doit être à même de pouvoir nous faire cette réponse. S’il ne sait pas quelles seront les conséquences de la loi sur la prime de mévente, tout est abandonné au hasard, et c’est en aveugle que l’on accepte la loi.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Le gouvernement ne peut pas avoir la prescience des variations du commerce ; cela est impossible ; mais dire que, parce que je ne réponds pas directement à la motion de l’honorable membre, nous voterons en aveugles, ce n’est pas exact. Nous ne votons pas en aveugles, nous votons une loi mûrement délibérée, nous votons un droit d’accises sur les deux sucres, nous votons des ressources pour le trésor. Ce résultat est connu mais je ne suis pas tenu à dire ce que je pense à l’égard de la prime de mévente. C’est une question à part.
M. Cogels. - La prime de mévente dans les dernières années a varié. On l’a vue s’élever jusqu’à 33 pour c. et descendre jusqu’à 10, en raison des besoins du commerce. Vous concevez dès lors que si cette prime était variable sous une législation qui existe depuis 5 années, il est impossible d’apprécier ce qu’elle sera dans un avenir, que nous aurions toutes les peines du monde à calculer.
Si j’étais au banc des ministres, je ne donnerais pas mon opinion à cet égard ; mais comme négociant, je répondrais. Je crois qu’il n’y aura pas de prime de mévente dans le principe de la mise à exécution de la loi. Cela n’est pas invraisemblable, je puis me tromper, mais si je me fonde sur l’expérience du passé, je puis en augurer que dans les premières années il n’y aura pas de prime de mévente.
M. Delehaye dépose sur le bureau plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- L’impression en est ordonnée.
M. le président. - A quand la chambre veut-elle fixer la discussion du projet de loi relatif aux péages du chemin de fer ?
M. Delfosse. - Je proposerai de la fixer après celle du projet de loi sur les fraudes électorales.
M. le président. - Il n’y a pas eu d’amendement adopté aux trois premiers articles.
L’article 4 a été supprimé.
M. le ministre des finances (M. Smits) - M. le président, je demanderai une rectification à l’en-tête du chap. Il. On y lit ces mots : « SUCRE DE BETTERAVE FABRIQUE DANS LE ROYAUME. - Droit de fabrication. » Ces mots : Droit de fabrication doivent disparaître, puisque l’art. 4, qui établissait ce droit, a été supprimé. Je proposerai donc de les remplacer par ceux-ci : Etablissement de fabriques.
- Ce changement de rédaction est adopté.
L’art. 4 est définitivement supprimé.
M. le président. - L’art. 7 a été adopté dans les termes suivants :
« Art. 7. Les chaudières à déféquer sont fixées à demeure ; elles ne pourront être déplacées sans déclaration préalable. »
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je proposerai à la chambre de modifier cet article et de le rédiger comme suit :
« Les chaudières à déféquer sont fixées à demeure ; et les rafraîchissoirs devront toujours rester dans l’empli. L’un ou l’autre de ces vaisseaux ne pourra être déplacé sans déclaration préalable. »
M. Mercier, rapporteur. - Je me rallie à cette rédaction.
- La nouvelle rédaction proposée par M. le ministre des finances est adoptée.
M. le président. - L’art. 8 n’a pas été modifié.
M. le président. - L’art. 9 a été adopté dans les termes suivants :
« Art. 9. Pendant les travaux de fabrication, la distillation des jus de betterave, des sirops et mélasses, est interdite dans l’enceinte des fabriques. »
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il conviendrait, je pense, d’ajouter à cet article, les mots suivants : « ou des raffineries. Toute communication intérieure de celles-ci avec d’autres usines est également interdite, et devra être scellée, selon les circonstances, soit en maçonnant les usines, soit en élevant un mur de 4 mètres de hauteur, à partir du sol. Il en sera de même pour les bâtiments ou les maisons voisines non occupés par les fabricants. »
La loi, messieurs, avait eu en vue de ne permettre aucune communication des usines où l’on fabrique le sucre de betterave avec les raffineries de sucre même. J’ai consenti à m’écarter de cette disposition, mais il importe d’interdire qu’une fabrique de sucre de betterave puisse avoir de communication avec une autre usine, avec une distillerie, par exemple. Sans cela les sirops seraient enlevés et tout contrôle efficace échapperait à l’administration.
M. Mercier, rapporteur. - Je me rallie d’abord à l’adjonction des mots ou des raffineries.
Quant à la seconde partie de l’amendement, je suppose qu’il est bien entendu que la raffinerie peut exister dans le même enclos que la fabrique, mais que seulement il ne pourra pas y avoir de porte de communication entre le local qui servira à la raffinerie et celui qui sera employé pour la fabrique. Si c’est ainsi que l’entend M. le ministre, je n’ai pas d’objection à présenter.
M. le ministre des finances (M. Smits) - C’est ainsi que je l’entends.
M. d’Huart. - L’amendement présenté par M. le ministre me paraît très clair et en même temps très nécessaire. M. le ministre veut interdire la distillation dans le même local que la fabrication et la raffinerie. Je crois que nous devons tous vouloir qu’il en soit ainsi. Sans cela, la fraude serait trop facile.
- L’art. 9, tel qu’il vient d’être modifié par M. le ministre, est définitivement adopté.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, bien qu’il n’y ait pas d’amendement apporte à l’art. 21, il y aurait cependant une légère modification à y introduire. Ce serait de remplacer au littera C, les mots : le numéro des formes, par ceux-ci : le nombre par séries.
- Ce changement de rédaction est adopté.
L’art. 21 est définitivement adopté.
M. le ministre des finances (M. Smits) - La chambre a adopté à l’art. 26 un second § ainsi conçu :
« Les fabricants seront redevables du droit d’accise d’après les mêmes bases. »
Ce dernier § pourrait disparaître, puisqu’il a été inséré dans l’hypothèse d’un droit variable, et que ce droit n’a pas été adopté par la chambre. -
M. Mercier. - Je me rallie à la proposition faite par M. le ministre.
- La suppression du 2ème § de l’art. 26 est adoptée.
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, je désire faire une observation sur l’art. 25. Comme je l’ai fait remarquer dans une séance précédente, la prise en charge se fait à raison de 12 hectogrammes ; cependant d’après l’art. 25, le contrôle élève en fait ce chiffre de 12 hectogrammes à 14 hectogrammes. Si l’on veut, en effet, n’imposer le sucre indigène qu’à raison de 12 hectogrammes, il faudrait réduire les 49 kilog. indiqués dans l’art. 25, à 43 kilog. et une fraction.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il est vrai, messieurs, que la prise en charge est faite à raison de 12 hectogrammes ; il est vrai aussi qu’au contrôle, cette prise en charge peut être portée à 14 hectogrammes ; mais je ferai remarquer à l’honorable rapporteur de la section centrale que, malgré cette légère élévation de la prise en charge, au contrôle, la loi laisse encore aux fabricants un excédant assez considérable. Cela résulte, de la manière la plus évidente, du tableau D que j’ai fourni en dernier lieu à la section centrale, et que celle-ci a annexé à son dernier rapport.
En France, d’après les règlements qui viennent d’être mis en vigueur, la prise en charge n’est pas calculée à raison de 12 hectogrammes, mais à raison de 12 hectogrammes et demi ; de manière que, relativement aux fabricants français, nos fabricants sont dans une position plus avantageuse.
Nos fabricants jouissent d’une autre faveur, c’est qu’après la prise en charge à la défécation et au contrôle, il n’y a plus aucune opération qui puisse les charger davantage, tandis qu’en France, après la prise en charge à la défécation, on pèse la marchandise lorsqu’elle sort des cristallisoirs. Rien n’échappe conséquemment à l’accise, tandis qu’ici nous laissons, comme je l’ai dit, une part assez large indemne de tous droits.
Je crois, messieurs, d’après ces considérations, qu’il n’y a pas lieu de modifier la disposition dont a parlé l’honorable rapporteur.
M. Mercier, rapporteur. - Nous devons croire, messieurs, que les renseignements fournis par M. le ministre à la section centrale sont exacts ; ils résultent, sans doute, d’expériences qui ont été faites ; mais il n’en est pas moins vrai que dans l’expose des motifs du projet de loi, M. le ministre a présenté comme une faveur accordée au sucre indigène que le jus à la défécation ne devait être pris en charge qu’à raison de 12 hectogrammes.
M. le ministre nous dit que relativement au régime établi en France, nos fabricants sont plus favorablement traités, en ce que la prise en charge se fait ici à raison de 12 hectogrammes, tandis qu’en France elle se fait à raison de 12 1/2 hectogrammes. Mais si au contrôle on élève en fait le droit dans la proportion de 14 hectogrammes, au lieu d’une faveur, il y a un grand désavantage. Il est vrai qu’en France les produits sont constatés après la fabrication, mais il est bien plus facile de soustraire aux droits des produits entièrement achevés qui peuvent être aussitôt livres à la consommation, que de faire disparaître des sirops qui attendent encore une main-d’œuvre pour être convertis en sucres. Nos moyens de contrôle sont donc plus sûrs que ceux qui sont établis en France.
M. le président. - L’art. 30 a été adopté dans les termes suivants :
« Art. 30. A l’expiration de chaque mois, les sucres extraits des formes ou cristallisoirs devront être déclarés en consommation, sous paiement des droits au comptant ou à teintes de crédit, ou dirigés sur entrepôts fictifs ; dans le cas contraire, le droit d’accise, à liquider suivant la quotité fixée à cette époque, sera exigible, et le recouvrement en sera immédiatement poursuivi. »
M. le ministre des finances (M. Smits) demande la suppression des mots : « à liquider suivant la quotité fixée à cette époque, » lesquels n’ont été insérés dans la disposition que dans la prévision de l’établissement d’un droit variable.
- Cet amendement est adopté sans opposition
L’art. 33 a été adopté comme suit :
« Art. 33. L’enlèvement des quantités inscrites au compte de fabrication aura lieu :
« a. Pour la consommation, sous paiement de l’accise au comptant ou à termes de crédit au compte d’un raffineur ou d’un négociant ;
« b. Par dépôt en entrepôt fictif concédé pour des sucres bruts de betterave, lorsque les sucres qu’on voudra y déposer seront en poudre et de qualité marchande. »
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je demanderai la suppression des mots : en poudre dans le parag. b. Je fais cette proposition pour faire droit à une réclamation qui a été élevée dans cette enceinte, afin que les pains de sucre de betterave de premier jet puissent être reçus en entrepôt.
M. Mercier, rapporteur, déclare se rallier à la suppression proposée par M. le ministre des finances.
- Cette suppression est adoptée.
L’amendement introduit à l’art. 34 est définitivement adopté sans discussion.
M. de La Coste. - Messieurs, je n’ai pas d’observation à faire sur l’article qui vient d’être remis en discussion ; mais comme je n’ai pas l’intention de surprendre la chambre, je dois annoncer dès à présent un amendement que je présente comme disposition transitoire. Je vais déposer cet amendement sur le bureau. Il est ainsi conçu :
« Le droit d’accise sur le sucre brut de betterave est réduit de 5 fr. jusqu’au 1er mai 1844. »
« Art. 47. § 1er. La décharge de l’accise au compte des raffineurs sera calculée
« a. Au rendement, par 100 kilogrammes sucre brut
« - de canne, de 57 kil. sucres,
« - de betterave, de 49 kil, sucres,
« raffinés en pains dits mélis, blancs, parfaitement épurés et durs, dont toutes les parties sont adhérentes et non friables, et de sucres candis à larges cristaux, clairs et secs.
« b. Au rendement par 100 kilogrammes, sucre brut
« - de canne, de 60 kil. sucres
« - de betterave, de 52 kil, sucres
« raffinés en pains dits lumps, blancs, sans teinte rougeâtre ou jaunâtre, durs, dont toutes les parties sont adhérentes et non friables, et bien épurés.
« c. Aux taux respectivement établis aux a et b, pour les sucres raffinés en pains mélis et lumps concassés ou pilés dans les entrepôts publics à désigner à cet effet. La quantité et la qualité des pains et lumps à piler ou à concasser seront vérifiés avant leur admission dans les entrepôts. Les sucres qui ne réuniront pas les qualités spécifiées auxdits §§ ne seront pas emmagasinés.
« d. A 45fr. les 100 kilog. de tous autres sucres raffinés de canne, et à 20 fr.les 100 kilog.de tous autres sucres raffinés de betterave, tels que sucres candis dits manqués, à petits cristaux, humides, revêtus de croûtes, et sucres de teinte rougeâtre ou jaunâtre.
« e. A 36 fr. les 100 kilog. de sucres raffinés en poudre dits cassonade, de canne, et à 16 fr. les nièmes sucres de betterave.
« f. A 9 fr. les 100 kilog. de sirop de sucre de canne et à 2-40 les 410 kilog. de sirop de sucre de betterave.
« § 2. Les morceaux dits croûtes, provenant de la fabrication du sucre candi, seront cependant admis dans la catégorie A, pourvu que la quantité ne dépasse pas le tiers de la partie intégrale déclarée à l’exportation, et sous la condition que les croûtes renfermées dans une même caisse soient reconnues provenir d’une même fabrication, et soient d’une nième teinte et qualité que le sucre sans croûtes que contient le restant de la caisse. »
M. Dubus (aîné). - Il avait été annoncé que cet article aurait été rédigé autrement, en ce qu’on aurait indiqué la somme qui devait être payée pour l’exportation des 100 kilogrammes. C’est ce qu’on a fait dans les lois antérieures ; c’est ce qu’on a fait aussi dans les lois hollandaises.
M. Mercier, rapporteur. - Lors du premier vote, on m’a demandé si je n’avais pas d’objection à faire sur la quantité de kilogrammes à exporter. J’ai répondu négativement, Cependant il aurait été peut-être plus régulier d’indiquer la somme à rembourser, d’autant plus qu’elle se trouve déjà indiquée dans d’autres paragraphes.
M. Dumortier. - Messieurs, il me semble qu’il est facile d’expliquer quel sera le résultat de la loi, en ce qui touche le rendement. On peut arriver à ce résultat par un calcul très simple, en prenant pour point de départ la loi encore en vigueur.
Sous l’empire de cette loi, 200 kilog. de sucre étranger paient 37 fr. de droit d’accise ; le trésor se réserve un dixième sur les entrées, et l’expérience prouve que le trésor ne touche rien que ce dixième de manière qu’aujourd’hui la prime brute d’exportation, pour 100 kilo. de sucre introduit, est de 33 fr. 30 c.
Par la loi que nous faisons, 100 kil. de sucre exotique entrant en Belgique, seront imposés à un droit de 45 francs ; nous retenons quatre dixièmes ; les quatre dixièmes de 45 fr. égalent 18 francs, de manière que la prime brute d’exportation pour 100 kil. de sucre, sera de 27 francs par la nouvelle loi. Voilà des chiffres auxquels on ne peut rien répondre ; cela est clair comme le jour.
Jusqu’aujourd’hui, je le répète, le trésor public n’a reçu autre chose que le dixième qu’il retient. Les chiffres sont là pour l’établir ; et dans l’évaluation des recettes ultérieures, comme le rendement n’est nullement modifié, on a dû également calculer sur la conservation des 4/10. Ainsi, ce qui reste acquis au trésor n’est rien que les 4/10 ; de manière que la perte que la Belgique fait par 100 kilog. de sucre introduit équivaut à 7 francs. Je ne dis pas que le trésor public paiera ces 27 francs, mais une partie notable de ces 27 fr. sera prélevée soit sur le trésor public, soit sur le consommateur.
Voilà donc une prime brute de 27 francs par 100 kil. de sucre introduit.
Eh bien, savez-vous combien le sucre terré Havane se vendait, il y a quelques jours, les cent kil. ? Il se vendait 57 fr. les cent kil., de manière que la prime que nous accordons à l’exportation du sucre exotique raffiné équivaut à la moitie de la valeur de la marchandise raffiné. Il me paraît qu’il faut faire beaucoup de commerce semblable jour s’enrichir, ou plutôt qu’il n’en faut pas faite beaucoup pour se ruiner.
Je n’ai pas voulu laisser passer cet article sans faire connaître à la chambre et au pays la situation réelle de la question.
M. Cogels. - Messieurs, l’honorable M. Dumortier dit qu’il n’y a rien à répondre à ses calculs ; je n’ai qu’une seule chose à dire, c’est que ces calculs pèchent complètement par leur base. L’honorable membre prend le prélèvement du dixième seulement sur la partie du sucre livrée à la consommation, tandis que ce prélèvement s’applique à toute la fabrication. Les quatre-dixièmes se prélèveront également sur toute la fabrication.
Maintenant, je dois faire observer qu’on ne peut plus discuter l’article. Le rendement a été définitivement arrêté. Je m’attendais à voir l’honorable M. Dumortier faire une proposition ; comme il n’en a pas fait, je n’ai plus rien à dire.
M. Dumortier. - Messieurs, il importe assez peu que le prélèvement du dixième soit mis sur la partie livrée à la consommation ou sur la partie exportée. Il y a deux choses en présence : le droit imposé au profit du trésor et le déficit qui en résulte. Je demande de nouveau : est-il constant, oui ou non, que depuis 1838 nous n’avons prélevé qu’un dixième ? Oui, cela est constant ; examinez les chiffres des budgets, et vous verrez que nous ne recevons autre chose que ce dixième. Sous l’empire de la nouvelle loi, le trésor ne recevra non plus autre chose que les quatre dixièmes ; et d’après les chiffres que j’ai présentés, la prime brute pour 100 kil. de sucre exporté sera de 27 fr. Il est donc manifeste qu’aussi longtemps que l’on ne modifiera pas le rendement, l’on arrivera toujours au même résultat, celui de ruiner le trésor public au profit d’une industrie qui n’enrichit pas le pays.
Je voudrais bien présenter une modification au système de rendement ; et le règlement me permettrait, quoi qu’en dise l’honorable M. Cogels, de revenir sur la question de rendement, puisque le rendement est une chose connexe avec le chiffre de l’impôt, et que le règlement permet au second vote l’introduction d’amendements à des amendements déjà adoptés ; cependant je ne ferai pas une nouvelle proposition, et cela uniquement parce que je veux ménager le temps de la chambre, et que d’ailleurs il y a un parti pris de sacrifier l’industrie Indigène au profil de l’industrie étrangère ; si vous voulez marcher dans cette voie, soit, mais je ne vous y suivrai pas.
- L’art. 47 est définitivement adopté.
M. le président. - La chambre passe à l’art. 57.
M. le ministre des finances (M. Smits) indique quelques rectifications dans cet article, qui est adopté dans les termes suivants :
« Art. 57. Les auteurs des faits ci-après détaillés encourront, savoir :
« 1° Pour la possession clandestine d’ustensiles restés sans emploi, mais servant à la fabrication du sucre, une amende de 400 fr., plus la confiscation de ces ustensiles ;
« 2° Pour déclaration inexacte des locaux, ateliers, magasins et autres dépendances de la fabrique, ainsi que des issues, une amende de 100 fr. ;
« 3° Pour l’absence de l’écriteau à l’une des issues de l’usine, s’il n’en est pas apposé dans les deux fois 24 heures, après un premier avertissement, par écrit, donné par le receveur des accises du ressort, comme pour l’absence d’une sonnette à l’entrée principale de l’établissement, une amende de 10 fr, ;
« 4° Pour avoir faussé ou tenté de fausser, par des voies clandestines, le résultat de l’épalement, une amende de 200 fr. ;
« 5° Pour déplacement, sans déclaration préalable, des chaudières à déféquer et des rafraîchissoirs, une amende de 25 fr. ;
« 6° Pour avoir, sans déclaration préalable, changé, modifié ou altéré la contenance des vaisseaux épalés, ou les avoir remplacés par de nouveaux, de même nature, une amende de 400 fr. ;
« 7° Pour avoir fait usage de chaudières à déféquer, de rafraîchissoirs ou de cristallisoirs, dont les parois étaient échancrées ou entaillées, une amende de 10 fr. ;
« 8° Pour tout dépôt, dans les bâtiments et maisons enclavés dans l’enceinte de la fabrique, de hausses mobiles propres à être adaptées aux chaudières à déféquer, une amende de 10 fr. par pièce ;
« 9° Pour l’emploi de semblables hausses mobiles ou de tout corps solide ayant pour effet d’augmenter la capacité des chaudières à déféquer, une amende de 10 fr. par hectolitre de la contenance totale de la chaudière ainsi agrandie ;
« 10° Pour distillation dans les fabriques pendant la durée des travaux et pour refus de sceller, dans un délai à fixer par l’administration, les communications intérieures, comme cela est ordonné par l’art. 9, ou pour avoir pratiqué une communication semblable, après la remise de la déclaration de profession, une amende de 800 fr., et tout travail ultérieur devra cesser immédiatement, sous peine d’encourir les pénalités prévues par le § 11 ci- après ;
« 11° Pour tout travail, sans la déclaration mentionnée à l’article 10, une amende de 800 fr., indépendamment de la confiscation des ustensiles, des sucres fabriqués et des matières en cours de fabrication ;
« 12° Pour tout changement, sans déclaration préalable, des heures de travail pour chaque jour de la semaine, et du procédé déclaré pour l’extraction du jus, une amende de 50 fr. ;
« 13° Pour emploi, sans déclaration, ou avant le jaugeage ou I’épalement de vaisseaux dénommés ci-après :
« a. Par chaudière à déféquer, une amende de 200 fr. ;
« b. Par rafraîchissoir, une amende de 100 fr. ;
« c. Par forme ou cristallisoir, une amende de 5 fr.
« 14° Pour emploi de vaisseaux jaugés ou épalés ne portant pas l’indication de leur numéro ou série et de leur capacité, une amende de 10 fr. pour chacun d’eux ;
« 15° Pour le bris ou l’altération d’un scellé apposé et pour la non-reproduction d’un ustensile scellé, une amende de 400 fr.
« 16° Pour la non-reproduction de chaque rafraîchissoir, non scellé mais compris dans la déclaration de profession, par rafraîchissoir, une amende de 100 fr. ;
« 17° Pour chaque défécation clandestine ou inexactement déclarée, dans le premier cas, une amende de 200 fr., et dans le second, une amende de 100 fr. ;
« 18° Pour chaque omission au registre des opérations journalières, pour chaque bulletin de défécation et d’empli non déposé en temps utile ou non retrouvé dans les boîtes à ce destinées, une amende de 10 fr. ;
« 19° Pour non-reproduction des boîtes et pour défaut d’exécution des obligations imposées par les art. 15, 22 § 2, et 23 § 2, une amende de 100 fr. ;
« 20° Pour fausse déclaration des sucres imparfaits repassés à la défécation, une amende de 400 fr. ;
« 21° Pour chaque omission ou pour chaque inscription inexacte au registre à l’empli, dans le premier cas, une amende de 800 fr., dans le second, une amende 400 fr. ;
« 22° Pour enlèvement des formes ou cristallisoirs de I’empli, avant l’heure fixée, une amende de 20 fr. pour chacun d’eux ;
« 23° Pour avoir anticipé de plus d’une heure celle fixée pour le versement des sucres imparfaits dans la chaudière de clarification, une amende de 100 fr, ;
« 24° Pour toute rature ou surcharge aux registres des défécations et d’empli, non approuvée, une amende de 10 fr, ;
« 25° Pour non-reproduction de sirop et de mélasses cristallisables dans le cas prévu par l’art. 31, § 2, une amende de 25 fr. par hectolitre ;
« 26° Pour refus d’exercice, une amende de 800 fr. »
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il paraît que je ne me suis pas bien fait comprendre. Au § 25 de l’article 57, l’art. 30 doit être remplacé par l’art. 34.
- Ce changement est adopté.
M. le président. - Voici maintenant la nouvelle rédaction de l’art. 67.
« Art. 67. Le gouvernement est autorisé à prendre ou à prescrire d’autres dispositions et formalités que celles prévues par la présente loi, pour assurer la perception du droit d’accise sur le sucre de betterave, sauf à soumettre lesdites mesures aux chambres législatives dans la session qui suivra la campagne pendant laquelle elles auront été mises à exécution.
« Toute contravention à ces mesures sera punie, suivant sa nature, d’une amende de 50 à 800 fr. »
- Cette rédaction est définitivement adoptée.
M. le président. - Voici la nouvelle rédaction de l’art. 70.
« Art. 70. Nul ne pourra établit une fabrique de sucre brut autre que de la betterave, sans en avoir fait au moins trois mois à l’avance la déclaration par écrit au receveur de son ressort.
« Toute contravention à cet égard sera punie de l’amende et de la confiscation comminées par le § 11° de l’art. 57. »
« En attendant que le droit sur la nouvelle espèce de sucre soit réglé par la loi, il pourra être établi par arrêté royal et sera fixé, soit en raison de la valeur relative du nouveau produit, soit en raison du degré de concurrence qu’il fera au sucre de betterave ou exotique.
« Cet arrêté royal sera soumis aux chambres législatives, pour être converti en loi, un an après sa mise à exécution, et les contraventions aux dispositions qu’il contiendra seront punies, suivant leur nature, d’une amende de 25 à 400 francs. »
M. Manilius. - Cette mesure réglementaire ne semble devoir frapper que les fabriques qui s’établiraient à l’avenir ; mais il existe déjà des fabriques autres que des sucreries de betterave ; il y a des fabriques de sucres de raisin ; je demanderai à M. le ministre si les mesures à prendre doivent frapper également les fabriques déjà existantes ; car je le répète, d’après la rédaction de l’article, on dirait qu’il ne s’agit que des fabriques qui s’établiront à l’avenir.
M. le ministre des finances (M. Smits) - En présentant l’article 70, j’ai déclaré à la chambre que les règlements que l’arrêté royal pourrait faire seraient applicables non seulement aux sucreries à établir, mais encore à celles qui sont déjà existantes, autres que les sucreries de betteraves ; il est indispensable que le gouvernement ait cette faculté, car il peut exister par-ci par là une fabrique que nous ne connaissons pas, et il pourrait s’en établir d’autres qui voudraient faire concurrence aux industries frappées de l’impôt, et jouiraient de l’immunité du droit. Je le répète, les dispositions de l’article 70 sont applicables non seulement aux fabriques à établir, mais également aux fabriques établies.
M. de Theux. - L’observation faite par l’honorable M. Manilius me paraît fondée ; mais pour éviter toute espèce de doute, on pourrait ajouter à l’article un paragraphe ainsi conçu :
« La même déclaration devra être faite par les propriétaires des fabriques déjà existantes. »
Il est bon de ne laisser aucun doute dans la loi.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je me rallie cette rédaction.
M. Jonet. - Mais dans quel délai cette déclaration sera-t-elle faite ?
M. Mercier. - Je propose d’ajouter : « Dans le mois de la promulgation de la loi. »
M. le président. - Le paragraphe serait ainsi conçu « La même déclaration devra être faite, dans le mois de la promulgation de la loi, par les propriétaires des fabriques déjà existantes. »
- Cette disposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Dans une séance précédente, on m’a demandé si les fabriques de sucre de betterave pourraient aussi s’adonner au raffinage ; j’ai dit que j’examinerais la question et que, s’il y avait lieu, je présenterais un amendement pour satisfaire au désir de l’honorable membre qui m’adressait cette question.
Pour accorder cette faveur aux fabriques de sucre de betterave, je proposerai un article qui, dans l’ordre logique de la loi, devra venir après l’article 70.
Il est ainsi conçu :
« Art. 71 (nouveau). § 1. Sur la demande qui en sera faite par l’administration, les fabricants de sucre indigène devront mettre dans leur usine, à la disposition des employés, un local convenable de douze mètres carres au moins, afin qu’ils puissent, s’il y a lieu, s’y établir en permanence. Ce local devra être pourvu de tables, de chaises, d’un poêle ou d’une cheminée et d’une armoire fermant clef.
« § 2. Lorsque l’administration voudra faire usage de la faculté accordée au paragraphe premier, les fabricants devront y obtempérer dans le délai d’un mois. Dans le cas contraire, ils ne pourront commencer ou continuer leurs travaux sans encourir les pénalités comminées par le parag, 11 de l’art. 57. »
M. Mercier. - Au nom de la section centrale, je crois pouvoir me rallier à cette proposition de M. le ministre des finances. Je lui demanderai maintenant s’il trouverait quelqu’inconvénient à introduire dans la loi la faculté de contracter des abonnements avec les fabricants.
M. le ministre des finances (M. Smits) - J’ai examiné la question de savoir s’il fallait admettre les fabricants à s’abonner avec l’administration. J’ai pensé qu’il était inutile de mettre une pareille disposition dans la loi même, parce qu’auparavant de l’admettre il faut au moins avoir quelqu’expérience. J’ajouterai qu’en France la faculté d’abonnement existe, mais que, dans le département du Nord, où se concentrent le plus grand nombre des fabriques, il n’y en a que quatre sur deux cents et quelques-unes qui jouissent de cette faculté. L’abonnement peut donner lieu à beaucoup d’abus.
Quand on n’a pas affaire avec des gens qui suivent religieusement leurs engagements, beaucoup de sucre fabriqué pourrait être soustrait à l’impôt. L’expérience nous apprendra si, dans les règlements à faire ultérieurement, il y aura lieu de stipuler la faculté de l’abonnement.
- L’art. 71 nouveau, mis aux voix, est adopté.
M. le président. - Il n’y a plus d’amendements proposés ; mais voici une disposition transitoire que propose M. de La Coste :
« Le droit d’accise sur le sucre de betterave sera réduit de cinq francs jusqu’au premier mai 1844. »
La parole est à M. de La Coste pour développer sa proposition.
M. de La Coste. - Messieurs, au moment où j’ai présenté ma disposition transitoire, quelques membres ont penser que la proposition était tardive. Je ne sais s’ils maintiendront cette objection, mais je vais y répondre d’avance. Il est dit dans l’art. 45 de notre règlement :
« Art. 45. Lorsque des amendements auront été adoptés, ou des articles d’une proposition rejetés, le vole sur l’ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où les derniers articles de la proposition auront été votés.
« Il s’écoulera au moins un jour entre ces deux séances.
« Dans la seconde, seront soumis à une discussion, et à un vote définitif, les amendements adoptés et les articles rejetés.
« Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont interdits. »
La chambre verra donc que j’étais dans mon droit en présentant cet amendement, et que je ne pouvais pas même le présenter avant que l’article relatif aux droits ne fût adopté.
La loi dont vous avez voté les principales dispositions ne répond certainement pas aux vœux qui l’appelaient ; elle ne répond en aucune façon à ceux des fabricants ; elle ne satisfait qu’incomplètement à ceux du commerce et du raffinage ; elle ne pourvoit pas aussi amplement aux besoins du trésor qu’on eût pu le faire. Cependant, messieurs, sous ce dernier rapport, ce n’en est pas moins une loi financière très importante ; nous devons tous désirer qu’elle puisse être adoptée avec une certaine unanimité, car c’est un grand point que de pourvoir aux intérêts du trésor, de manière à éviter des charges qui semblent plus lourdes, quand on les demande directement, soit aux personnes, soit aux propriétés.
Quant moi, j’aurais préféré que la retenue fût moins élevée, et que le rendement le fût davantage ; de cette manière on serait arrivé à concilier les principaux intérêts qui sont engagés dans la question. Mais il est trop tard pour revenir maintenant sur ce point.
Il est trop tard aussi pour revenir sur la question d’indemnité, quoique, d’après les bruits qui circulent, il paraîtrait que cette question aurait été de nouveau soulevée parmi les fabricants de sucre indigène ; il y en a qui désespèrent de leur industrie, et d’autres dont le courage veut encore tenter l’épreuve de la loi. Et quoique tous aient part à ma sympathie, je crois en devoir davantage à ces derniers, pour lesquels la légère faveur que je propose de leur accorder rendra peut-être la lutte encore possible.
Cette sympathie, messieurs, sera sans doute partagée par ceux même qui ont concouru à aggraver la position de l’industrie sucrière indigène. C’est la première fois, en effet, depuis que la Belgique est constituée, qu’on réduit ainsi la protection dont jouit une industrie. Jamais la loi n’a placé des fabricants dans une position aussi difficile. Non seulement ils ont fait des baux pour plusieurs années, dans la supposition de la continuation de leurs travaux ; mais leurs terres sont préparées à grands frais. Si on ne leur permet pas de réaliser leurs récoltes cette année dans des conditions un peu moins défavorables que celles que leur fait la loi, ils éprouveront des pertes immenses ; car s’ils sont obligés d’abandonner brusquement leur industrie, il est tel fabricant qui, du chef seul que je viens d’indiquer, sans compter le dommage attaché à cet abandon, perdra 50 mille fr., un autre 25 mille fr. Tels seraient les résultats de la loi que vous avez votée.
Il me semble que par la mesure transitoire proposée, qui ne s’appliquera qu’à la campagne prochaine, vous faites l’essai de la loi d’une manière sage et loyale. Ceux qui réellement ne peuvent pas continuer pourront au moins se retirer moins brusquement, avec moins de perte. S’il y a encore des fabriques qui puissent avoir quelques chances de se maintenir, celles-là, par la légère faveur que vous leur accorderez, auront le temps de se mettre en mesure de continuer une lutte devenue si difficile.
Peut être la loi permettra-t-elle encore de subsister aux fabriques les plus vigoureusement constituées, à celles qui sont favorisées par leur position, par la nature des terres qui les entourent, par l’ordre et l’économie qui président à leur administration. Ne leur refusez pas cette dernière chance d’existence, dans l’intérêt de l’industrie nationale, dans l’intérêt des consommateurs qui conserveront cette concurrence à opposez à la denrée exotique.
Tels sont les principaux motifs pour lesquels je propose d’accorder la réduction de 5 francs pour la prochaine campagne.
M. Rodenbach. - L’honorable député de Louvain demande que par un article transitoire le sucre indigène ne soit imposé que de 15 francs au lieu de 20. Je pense que dans un second vote un article transitoire ne peut pas être présenté, car on n’a pas fait de réserve au premier vote. J’entends des honorables membres qui disent que j’ai raison. Mais je combattrai l’amendement sans me fonder sur ce qu’on n’avait pas le droit de le présenter, d’autres examineront cette question, mais je crois qu’on ne le pouvait pas, parce qu’on n’avait pas fait de réserve. Ce n’est pas le même cas que M. le ministre qui, au premier vote, avait fait une réserve.
Les deux industries disent qu’on les a anéanties. Vous avez entendu une pétition des raffineurs qui disent qu’ils sont sacrifiés, qu’ils ne pourront pas continuer leur travail. Egalement le sucre indigène se dit sacrifié, anéanti. Voilà des doléances de part et d’autre. Je crois que ces doléances prouvent que l’amendement n’est pas si mauvais que ces deux industries le prétendent. Nous avons un déficit, il faut plusieurs millions. L’amendement que j’avais présenté, et que M. le ministre des finances avait modifié, aurait procuré au trésor au-delà de 4 millions. Celui de M. d’Huart, que la chambre a adopté, ne rapportera, je crois, que 3 millions 700 mille fr. Voilà une réduction de 300 mille fr. Par cette diminution de 5 fr. par cent kil. qu’il propose, c’est encore une réduction de 300,000 fr. que demande l’honorable membre. Ainsi, je suppose que le sucre de betterave doive verser 1,200 mille fr. au trésor, ce serait 300 mille fr de moins que le trésor recevrait. Le but qu’on s’est proposé ne sera pas atteint, et si, dans un an, les fabricants de sucre de betterave viennent vous dire : « Notre industrie n’est pas prospère, vous devez nous conserver encore cette réduction », les doléances viendront de toutes parts, si vous admettez aujourd’hui la proposition qui vous est faite.
Il y a une concurrence que le sucre exotique continuera à soutenir pendant un an ; déjà le sucre exotique se plaint, et vous voulez aggraver sa position.
Je crois que cet amendement n’est pas acceptable, d’autant plus qu’il réduit nos recettes de 300,000 fr. La chambre a voté l’année dernière au-delà de 50,000,000 de dépenses extraordinaires, Nous devons battre monnaie. Je ne dis pas que le sucre doive seul fournir la somme dont on a besoin, mais il doit y contribuer comme d’autres industries. Je laisserai à d’autres le soin d’examiner si cet amendement peut être mis en discussion. Pour moi, je ne le crois pas. Cela me paraîtrait contraire au règlement.
M. le ministre des finances (M. Smits) - L’amendement proposé ne me paraît pas recevable. Tout a été décidé quant au droit. Il n’y a pas lieu à y revenir par un article transitoire qui ne serait qu’un amendement déguisé à ce qui a été définitivement résolu, Par cet amendement, le droit fixé au premier vote serait notablement changé. Si la chambre admettait la proposition qui lui est faite, elle poserait un précédent dangereux, car l’année prochaine on dirait que les baux ne sont pas expirés, que des engagements sont pris et qu’il faut prendre tout cela en considération. Admettre la proposition de M. de La Coste, ce serait d’ailleurs augmenter indirectement la proposition des avantages accordés au sucre de betterave de 5 francs. Vous avez voulu, messieurs, lui accorder une protection raisonnable ; nous pensons que celle qui a été admise sur la proposition de l’honorable M. d’Huart est très large.
Si donc vous augmentiez encore les avantages stipulés dans la loi en faveur du sucre de betterave, vous détruiriez les avantages commerciaux qui s’attachent à l’industrie du sucre exotique, et vous aggraveriez, messieurs, la situation du trésor ; car il résulterait de l’adoption de la proposition de M. de La Coste une diminution de recette d’environ 2 à 300,000 fr.
L’amendement ne saurait donc pas être admis, parce qu’il y a chose jugée, quant au droit ; et en second lieu, parce que son adoption occasionnerait un tort considérable au sucre de canne ; la pondération équitable que vous avez voulu établir viendrait cesser.
M. Rogier. - Depuis que le système du gouvernement a été rejeté par la chambre, je me suis abstenu autant que possible de prendre part à la discussion. Dans l’état actuel des choses, je ne sais plus où nous allons. Les dispositions que nous avons votées alarment également les deux industries. L’industrie de la betterave, par l’organe du rapporteur de la section centrale, dont l’opinion doit avoir tant de prépondérance dans cette question, l’industrie de la betterave considère la loi actuelle comme désastreuse, comme ruineuse, comme mortelle pour elle. Si tel devait être l’effet de la loi que nous allons voter, je n’en voudrais pas. Je ne veux pas détruire d’une manière indirecte et sans indemnité une industrie du pays. Je me suis prononcé dès le commencement pour la suppression de la betterave ; cette opinion, je la conserve ; je crois que hors de là, il n’y a que confusion et régime provisoire. Mais je voulais la suppression avec indemnité. Si la loi qui nous est soumise doit avoir pour effet de supprimer cette industrie sans indemnité, je n’en veux pas, parce que je ne veux pas consacrer implicitement une injustice.
On a dit que quelques industriels auraient le courage d’essayer de cette loi et qu’on ne pouvait qu’applaudir au courage de ces industriels. J’estime le courage, dans quelque situation qu’il se montre ; mais ce n’est pas à dire qu’il faille abandonner les faibles, qui ne peuvent pas montrer ce courage. Si j’ai bien compris l’honorable auteur de l’amendement, il n’y aurait que trois ou quatre grands industriels qui pourront surnager, tout le reste succombera. Je ne veux pas d’un pareil système, je désire que tous puissent vivre je ne veux pas la mort des petits au profit des grands. Il est possible que la loi ne tue pas tous les fabricants de sucre de betterave, qu’elle en laisse vivre trois ou quatre, que les autres disparaissent, eh bien, sous ce rapport, la loi, telle qu’elle est faite, ne me conviendrait pas. Au point de vue fiscal, quand j’ai soutenu le système du gouvernement, j’ai démontré que dans ce système il y avait certitude de recettes pour le trésor, et espoir d’un état plus ou moins florissant pour le commerce. Aujourd’hui la loi n’a plus que des clients incertains, inefficaces dans ce double but.
Je pense, messieurs, que c’est une loi manquée, que c’est une loi à refaire ; que si cette loi est votée par la chambre, ce sera à recommencer d’ici à peu de temps.
Je ne veux pas, je le répète, la mort de la betterave sans indemnité. Je crois que les défenseurs du sucre de betterave ont commis une grande imprudence, ont causé, à leur insu, bien malgré eux, un grand préjudice à la plupart des établissements de sucre indigène, en n’appuyant pas le système du gouvernement que nous avons eu le regret de voir repousser. Je le dis du nouveau, je ne sais pas où le nouveau système nous conduira mais je ne crois pas qu’il amène des résultats dont le pays ait lieu de s’applaudir
En ce qui concerne l’amendement de l’honorable M. de La Coste, je ne vois pas quelle amélioration il apporterait au régime de la loi, si ce n’est en faveur de deux ou trois grands établissements, et de cette faveur, je n’en veux pas.
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, je ne dirai qu’un mot de la fin de non-recevoir qu’on nous oppose. Je ferai observer que l’honorable M. de La Coste a présenté son amendement au moment où l’on allait procéder au second vote sur les droits qui avaient été établis au premier vote, et que d’ailleurs le règlement est formel sur ce point. On peut présenter, au second vote, des amendements qui seraient motivés sur les amendements adoptés et sur les articles rejetés au premier vote. Ainsi l’honorable M. de La Coste a fort bien justifié que son amendement pouvait être présenté et qu’il peut être discuté et adopté.
J’en viens au fond de la question.
On nous dit que les deux industries se plaignent ; mais nous avons à examiner pourquoi elles se plaignent, si elles ont de justes sujets de plainte. Il ne suffit pas d’alléguer que l’on se plaint pour établir que la position est la même de chaque côté, il faut apprécier si l’une et l’autre industrie sont également maltraitées.
J’ai déjà fait observer à la chambre que le commerce des sucres exotiques reçoit une atteinte, en ce que les exportations de sucres raffinés seront restreintes ; mais, je le répète, la prime d’exportation par 100 kil. sera plus forte qu’aujourd’hui ; en payant 4 fois le droit de 45 fr. sur mille kilogrammes, par exemple, et 6 fois ce même droit de 45 fr. réduit d’une prime de mévente que je porte, moi, à 33 p.c., tandis que l’honorable M. Cogels suppose qu’il n’y en aura plus la prime d’exportation se prélèvera sur les excédants du rendement effectif sur le rendement légal, d’après un droit de consommation plus élevé qu’il ne sera sous la loi actuelle.
Remarquez-le bien, messieurs, plus la prime de mévente sera favorable, plus la prime d’exportation sera considérable. Et si l’honorable M. Cogels, qui a bien étudié la question, est dans le vrai, lorsqu’il suppose qu’il n’y aura plus de prime de mévente ; je lui répondrai que, dans ce cas, il en résultera que la prime d’exportation sera extrêmement forte.
Voici les chiffres relatifs de cette prime d’exportation :
Si la prime de mévente est encore de 33 p. c., la prime d’exportation sera de 38 p. c. plus élevée qu’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elle se percevra à raison d’un droit de 36 fr. prélevé à la consommation, au lieu d’un droit de 26 fr.
S’il n’y a pas de prime de mévente, la prime d’exportation sera augmentée de 70 p. c., car, au lieu de se former, comme aujourd’hui d’après un droit réduit à 26 fr. à la consommation, elle s’établira en raison de l’intégralité du droit de 45 fr. ; du reste, je ne crains pas de me tromper en affirmant qu’il y aura toujours une prime de mévente quelconque ; s’il n’y en avait pas, ce serait la position la plus favorable pour le raffineur qui exporte.
Je conclus en disant que si, comme j’en conviens, les raffineurs de sucre exotique éprouvent un préjudice, dans ce sens que la quantité de sucres livrée à l’exportation sera moins considérable, d’un autre côté, ils reçoivent un dédommagement par l’augmentation de la prime d’exportation qu’ils obtiennent par 100 kil. de sucre raffiné, augmentation qui sera de 38 à 70 p. c. ; il y a donc là pour les raffineurs une sorte de compensation.
Mais toujours dans l’hypothèse qu’il y aura une prime de mévente à peu près dans la proportion actuelle, le fabricant de sucre indigène perdra 10 francs de protection, c’est-à-dire que, par suite de la nouvelle loi, le droit à la consommation se prélèvera à raison de 36 fr. 9 c., au lieu de 26 fr. 2 c. Je dois convenir toutefois que cette différence de 10 fr. ne sera pas perçue entièrement. Je suppose avec M. le ministre que le bénéfice que le négociant fera à la fabrication soit de 2 fr. La diminution de protection sera encore de 8 fr. sur 26.
Or, l’honorable M. de La Coste ne demande, comme mesure transitoire et pour une seule année, qu’une diminution de 5 fr. sur le droit de 20 fr. Les fabricants de sucre indigène se trouveront donc encore, malgré cette diminution, dans une position bien plus défavorable que celle dans laquelle ils ont déjà aujourd’hui beaucoup de peine à soutenir la concurrence.
Messieurs, il faut non seulement observer que les fabricants de sucre indigène ont contracté des baux, mais aussi que les terres sont préparées et qu’il n’est plus temps aujourd’hui de les ensemencer de céréales, de sorte qu’il y aurait perte énorme pour ceux qui ne pourraient continuer leur fabrication aux conditions que va leur faire la loi nouvelle. Et je n’en doute pas, cette loi leur fera une position tellement dure qu’infailliblement un grand nombre d’entre eux ne la soutiendront pas.
Messieurs, on doit en convenir, il y a quelques fabriques qui ont été établies avec imprévoyance dans des conditions assez peu favorables, ou qui ont été mal dirigées ; celles-là probablement n’auraient pas même tenu sous la législation actuelle ; mais plusieurs autres tomberont infailliblement, par l’effet des dispositions qui ont été adoptées. A moins de circonstances heureuses, celles qui résisteront ne seront pas en grand nombre, mais encore elles exerceront sur l’agriculture une influence assez précieuse pour que cet avantage ne soit pas à dédaigner.
Ensuite, nous espérons quelque chose de l’avenir. Les défenseurs du sucre exotique ont prétendu que cette denrée ne pourrait que baisser de prix. Je crois, au contraire, que le sucre indigène peut aussi trouver quelque chance de prospérité dans (erratum Moniteur belge n°73 du 14 mars 1843 :) l’élévation éventuelle du prix du sucre exotique.
Du reste, je le répète encore, nous n’avons pas seulement eu en vue les fabricants de sucre indigène, mais les nombreux ouvriers qui sont attachés à leurs établissements, mais le perfectionnement de l’agriculture, mais nos houillères et une foule d’industries accessoires ; nous n’avons pas considéré exclusivement des intérêts individuels, mais la prospérité publique. Et c’est pour cela que nous avons défendu et que nous persistons à défendre le maintien de ces établissements à des conditions raisonnables.
M. Cogels. - Messieurs, je ne saurais admettre que, comme l’a dit l’honorable M. de La Coste, la position des fabriques de sucre indigène sera singulièrement aggravée, que la protection qui leur était accordée par la loi actuelle sera considérablement réduite. Si l’honorable M. de La Coste avait présenté son amendement avant que le chiffre du droit fixé par l’art. 34 eût été définitivement voté, j’aurais fait une proposition dans un sens contraire, et j’aurais demandé qu’on en revînt aux chiffres primitivement proposés par le gouvernement, ou au moins aux chiffres de 40 et de 20 fr., parce que j’ai toujours pensé et que je pense encore qu’une protection de 18 à 20 fr. est plus que suffisante pour la betterave.
Je n’ai pas fait cette proposition, parce que, voyant que le gouvernement ne prenait pas l’initiative, je pensais n’avoir aucune chance de succès et que je ne voulais pas provoquer de débats inutiles.
L’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que, par suite du projet actuel, la prime d’exportation sera considérablement augmentée. Je ne le suivrai pas dans ses chiffres, car vous concevez, messieurs, que combattre des chiffres sans les avoir sous les yeux, sans pouvoir les vérifier, serait s’exposer à tomber dans des erreurs. Cependant il doit y avoir dans les chiffres qu’a posés l’honorable rapporteur quelque chose d’erroné et voici sur quoi je me fonde ; vous n’avez qu’à faire un calcul qui est très simple : voyez quel est le sacrifice que fera le trésor avec la nouvelle loi, c’est-à-dire quelle sera la quotité du droit qu’il percevra, comparativement à la quotité du droit qu’il devrait percevoir, et appliquez cela aux chiffres des exportations faites les mêmes calculs d’après le système actuel, et vous verrez que la prime ne s’élève pas de 70 p. c. au-dessus de ce qu’elle était.
D’ailleurs, ce qui vous le prouve davantage, c’est que, partant du principe posé par l’honorable M. Mercier, plus vous élèveriez le chiffre du droit, plus vous élèveriez la retenue, plus la position du sucre exotique devrait devenir favorable. Car il y a ici une double aggravation ; d’abord en ce que vous établissez un droit plus élevé, ensuite, en ce que vous retenez quatre dixièmes, au lien d’un.
J’ai dit que je pensais qu’il n’y aurait plus de prime de mévente ; mais il faut bien nous entendre ; tout ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il n’y aurait plus de prime sur le transfert des droits, parce qu’effectivement je ne crois pas que les raffineurs soient encore dans le cas de vendre des droits. Ils auront peut-être une mévente ; oui, ils pourront avoir un mécompte, par suite de la grande masse de sucres, premier produit, première qualité, que vous les obligez à amener sur le marché, et sur lesquels, peut-être, ils auront de grands sacrifices à faire. Là, il n’y aura pas de prime de mévente, mais il y aura mécompte, et ce mécompte, je crains qu’il ne soit considérable.
Ainsi que l’a dit l’honorable M. de La Coste, la loi, telle qu’on vient de la voter, ne satisfait à aucun des trois intérêts que nous avions en vue de concilier. Il y aura mécompte, il y aura mécontentement pour tous, et on devra en revenir un jour, j’en suis convaincu, à la suppression du sucre indigène avec indemnité ; et peut-être avant peu, nous pourrons nous appuyer de l’exemple de la France et de l’exemple de l’union allemande. Car dans l’union allemande, enfin, on commence à comprendre que le sucre indigène n’est pas aussi favorable aux intérêts agricoles, aux intérêts du pays, qu’on veut bien le faire croire.
En France on l’a compris, en Angleterre on l’a compris, et s’il avait été question de revenir au premier projet du gouvernement (chose que j’avais espérée), j’aurais cité ce qui s’est passé dans la séance de la chambre des communes d’Angleterre, du 27 juin 1837, lorsque M. P. Thomson a proposé de frapper le sucre de betterave d’un droit de 1 liv. 4 schellings. Alors aussi les adversaires de cette proposition invoquaient l’intérêt de l’agriculture, alors aussi on invoquait la formation de quelques établissements dont les premiers fondements étaient jetés.
A cela qu’a répondu M. P. Thomson ? Il a répondu que dès qu’il avait eu connaissance de la formation projetée de ces établissements, il avait averti les fondateurs qu’un droit serait établi, parce que, ajouta-t-il, s’il ne leur avait pas donné cet utile avertissement, ils auraient eu droit à une indemnité.
Vous voyez, messieurs, que le gouvernement anglais lui-même reconnaissait que dans cette circonstance il y aurait eu lieu à indemnité si l’avertissement dont je viens de parler n’avait pas été donné. Cependant, en Angleterre, on n’est pas du tout disposé à donner des indemnités, car là c’est le pays du laissez-faire par excellence. M. P. Thomson disait, messieurs, qu’il considérait la culture de la betterave bien plutôt comme nuisible que comme utile à l’agriculture (an injury instead of a benefit) ; ce sont ses paroles, elles sont extraites du compte-rendu de la séance de la chambre des communes du 27 janvier 1837.
Quant à moi, messieurs, je regarde la protection que le projet accorde au sucre de betterave comme plus que suffisante. Je m’opposerai donc à l’amendement de l’honorable. M. de La Coste. Je dirai plus ; je regarde la loi comme tellement défavorable au sucre exotique et surtout aux intérêts commerciaux du pays que je ne pourrai pas y donner mon assentiment.
M. Dumortier. - Je suis vraiment surpris, messieurs, d’entendre l’honorable préopinant attaquer l’amendement de M. de La Coste, par une fin de non-recevoir ; sur quoi cette fin de non-recevoir est-elle basée ? Sur ce que le chiffre de l’impôt est définitivement voté. Eh bien, messieurs, il n’est pas possible de se mettre mieux en règle en ce qui concerne le règlement, que ne l’a fait l’honorable M. de La Coste : M. le président prononçait sa formule ordinaire, pour l’article de la loi qui fixe la quotité de l’impôt ; il disait : «Si personne ne s’y oppose.je déclarerai l’article adopté ». Et l’honorable M. de La Coste se lève et soumet à la chambre son amendement. L’honorable membre est donc parfaitement en règle, et si la chambre admettait la fin de non-recevoir qu’on oppose à l’amendement, c’est alors seulement que le règlement serait violé.
L’honorable M. Cogels s’imagine que, dans quelques années, on en viendra à supprimer l’industrie du sucre indigène, et peut-être alors, dit-il, sans indemnité ; et, à l’appui de cette opinion, il invoque ce qui se fait en France et en Angleterre. Eh bien, messieurs, je vous dirai ma manière de voir tout entière : Voulez-vous de la législation française ? Voulez-vous de la législation anglaise ? Il est très possible que vous me trouverez prêt à vous appuyer. Je dirai plus : dans un montent de crise, où le trésor aurait un besoin absolu de ressources, je concevrais que l’on fît de grands sacrifices pour satisfaire à ce besoin.
Mais, messieurs, si en France et en Angleterre on a sacrifié l’industrie du sucre de betterave, on a supprimé également cette prétendue industrie de l’exportation, qui n’est qu’une pure duperie. Si donc l’on venait proposer la suppression du sucre de betterave, je serais également fondé à proposer la suppression de la prime énorme qui est accordée au sucre exotique ; alors le trésor recevrait 7 ou 8 millions par an, et si l’industrie indigène succombait, l’industrie étrangère succomberait en même temps, de manière que personne n’aurait à se plaindre.
Voilà, messieurs, un système que je concevrais dans un moment de crise pour le trésor ; mais ce que je ne conçois pas, c’est de venir sacrifier à une industrie étrangère, une industrie éminemment nationale, une industrie qui n’emploie absolument que des produits de notre sol, qui fait vivre des milliers d’ouvriers et qui répand l’aisance partout où elle existe, Je ne concevrais pas qu’on sacrifiât une semblable industrie à des produits que nous tirons de l’étranger et en échange desquels nous n’exportons rien. Il est tellement vrai, messieurs, que le sucre exotique ruine la Belgique, qu’aujourd’hui encore nos raffineurs vendent à Hambourg leur sucre à fl. 1 1/2 meilleur marché que les raffineurs hollandais ne vendent le leur ; et cela est tout simple ; nous ne voulons pas même mettre le rendement au niveau du rendement hollandais, nous ne voulons pas même faire ce que fait la Hollande, pays à colonies, ce que fait la France, pays à colonies, ce que fait l’Angleterre, pays à colonies. Dans ces pays, messieurs, l’intérêt du trésor est compté pour quelque chose ; chez nous, au contraire, il est complètement sacrifié ; depuis 10 ans tout l’argent du trésor public s’est englouti dans l’exportation du sucre de canne ; cette exportation nous a coûté plus de 30 millions. (Interruption.) Messieurs, le trésor public devait recevoir 4 millions par an ; il a reçu 6 ou 700,000 fr, ; il a donc perdu au-delà de 3 millions par an ; je pense que cela fait bien 30 millions en dix ans !
Eh bien, cette industrie mérite-t-elle donc un semblable sacrifice ? Je concevrais que l’on fît un sacrifice de 30 millions en faveur d’une industrie indigène qui procurât de grands avantages au pays ; mais quel est celui qui oserait venir dire que le sucre exotique a seulement donné pour 10 millions d’avantages à la Belgique. Ce sucre, tout compte fait, a donc absorbé en dix ans une somme qui ne peut pas être moindre de 20 millions. Ce n’est donc pas aux partisans du sucre exotique à venir traiter ici avec un superbe dédain une industrie nationale qui, loin d’imposer des sacrifices au pays, lui procure des avantages de toute espèce.
Messieurs, ce que l’honorable M. de La Coste propose n’est autre chose que ce que M. le ministre des finances lui-même proposait, il y a quelques jours. En effet, M. le ministre des finances ne proposait-il pas de fixer le droit sur le sucre de betterave à 22 fr. et de le porter en 5 ans au chiffre de 25 fr. Et M. de La Coste, que propose-t-il ? De ne porter le droit au chiffre auquel il a été fixé, que dans un an ? N’est-ce pas, messieurs identiquement la même chose ? Je suis donc fort surpris de voir M. le ministre des finances repousser aujourd’hui un système de transition qu’il préconisait, il n’y a que peu de jours. (Aux voix ! Aux voix !)
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion générale ; je ne suivrai pas l’exemple de l’honorable préopinant ; je me permettrai seulement, pour toute réponse, de lui adresser une question : s’il est vrai, comme il le prétend, qu’il existe de si grands bénéfices aux dépens du trésor public pour les raffineurs de sucre exotique, comment se fait-il que les raffineries de sucre exotique qui existaient à Tournay, sont tombées ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce qu’on propose, messieurs, c’est de suspendre pour un quart, jusqu’au 1er mai 1844, l’aggravation qui frappe l’industrie du sucre indigène ; mais je vous demande ce que l’on aurait à objecter à celui qui viendrait faire une proposition analogue pour le sucre exotique ? (Interruption.) Nous ne détruisons aucune des deux industries, mais nous aggravons la situation de chacune d’elles. Eh bien, l’on demande qu’en ce qui concerne le sucre indigène l’aggravation soit suspendue pour un quart jusqu’au 1er mai prochain ; or, que pourrait-on répondre si d’autres membres venaient demander pour que l’aggravation dont on frappe le sucre exotique fût également suspendue pour un quart jusqu’au 1er mai prochain ?
Eh bien, s’il en était ainsi, tous les effets financiers de la loi seraient détruits. Je prie la chambre d’être bien attentive à ceci, car si la disposition était adoptée, on demanderait nécessairement que l’augmentation de la réserve qui a été portée de 1 à 4 dixièmes soit aussi suspendue pour un quart, on demandera que l’élévation du droit qui a été porté de 37 à 45 fr. soit également suspendue pour un quart, et je le demande de nouveau, que deviendraient alors les effets financiers de la loi ? (Aux voix, la clôture ! aux voix, la clôture !)
M. Dumortier. - C’est que l’industriel s’est retiré ; et je ne pense pas qu’il se soit appauvri dans son industrie.
- La clôture est demandée.
M. de La Coste (pour un fait personnel). - Je dois faire remarquer à l’honorable M. Rogier qu’il n’a pas compris mes paroles ; je n’ai pas parlé en faveur de quelques grands industriels ; j’ai parlé en faveur de tous ceux, grands ou petits, (erratum Moniteur n°73 du 14 mars 1843) qui seraient en position de tenter encore un essai et qui auraient le courage de le faire. D’ailleurs, ma proposition est également en faveur de ceux qui devront cesser.
M. Dubus (aîné) (contre la clôture). - Messieurs, depuis que la clôture a été demandée, deus ministres ont parlé contre l’amendement ; il serait inouï que l’on fermât la bouche à ceux qui veulent répondre à messieurs les ministres.
Plusieurs membres. - Laissez parler M. Dubus.
M. le président. - Je dois mettre la clôture aux voix, elle a été demandée.
M. de Brouckere. - On pourrait entendre M. Dubus ; si la clôture est mise aux voix et si elle est rejetée, il faudra suivre la liste des orateurs inscrits, et la discussion ne finira pas.
M. le président. - Les orateurs inscrits sont MM. Delehaye, Verhaegen, de La Coste et Dubus (aîné)
M. Verhaegen. — Je cède mon tour de parole à M. Dubus.
M. Delehaye. - Je suis inscrit avant vous ; je demande à être entendu.
M. Verhaegen. - Alors je demande à être également entendu.
M. Delehaye. - Pour ne pas abuser des moments de la chambre, je céderai la parole à M. Dubus.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l’honorable M. Dumortier vient d’avancer que l’honorable M. de La Coste aurait procédé de la même manière que le gouvernement. Nous avons proposé le droit de fr. pour le sucre de betterave, tandis que nous proposons celui de 22 fr. pour le sucre de canne et nous ajoutions 50 c. d’aggravation par année, jusqu’à ce que le droit eût atteint pour le premier sucre le chiffre de 25 fr. Voilà la différence qui existe entre notre proposition et celle de l’honorable M. de La Coste.
Messieurs, si l’amendement de l’honorable M. de La Coste était adopté, force nous serait également de demander une réduction sur le sucre de canne ; force nous serait, peut-être, de demander la perception de trois dixièmes, au lieu de quatre dixièmes ; ou bien encore, nous serions amenés à vous proposer le système français, système qui consiste à varier le droit d’après les degrés d’épuration des sucres de betteraves.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j’ai été étonné d’entendre dire que, par la loi que vous avez faite, il y a aggravation des deux côtés ; et si l’on propose une mesure transitoire en faveur du sucre indigène, il en faudra proposer une aussi en faveur du sucre exotique.
Messieurs, il n’y a aggravation, et il ne peut y avoir aggravation que d’un côté. Toute la question est celle de l’équilibre qui était à maintenir entre les deux industries, et il y a aggravation pour celle des deux industries au préjudice de laquelle on a dérangé cet équilibre ; cela me semble incontestable.
Deux industries rivales existaient de manière à pouvoir soutenir la concurrence l’une contre l’autre ; eh bien, si vous ne les avez pas maintenues dans des conditions égales, si vous avez plus ajouté aux charges de l’une qu’à celles de l’autre, il y a aggravation, mais seulement pour la première dont la position relative a été rendue plus défavorable, et à qui la concurrence a, par suite, été rendue plus difficile. Examinons donc de quel côté on a dérangé l’équilibre, et nous verrons de quel côté il y a aggravation.
L’industrie du sucre indigène avait l’immunité de tout droit, l’industrie du sucre de canne payait un droit de 37 fr. Le droit de 37 fr. a été porté à 45 fr., et on n’a donc été augmenté que de 8 fr., tandis que là où l’on ne supportait aucun droit, vous avez établi un droit de 20 fr. Je demande si l’on est admis à dire que ce soit maintenir les deux industries en équilibre, qu’il n’y ait pas évidemment aggravation pour l’industrie du sucre de betterave.
On me dit à l’instant que le sucre exotique paie 4 dixièmes. Mais ces 4 dixièmes indemnisent-ils le sucre de betterave du droit de 20 fr., dont il est frappé ? Ne me parlez donc pas de ces quatre dixièmes.
On n’a que des paroles de défaveur, lorsqu’il s’agit du sucre indigène. C’est une industrie en quelque sorte mort-née, à entendre ceux qui en partent ; mais l’industrie du sucre exotique repose sur des fondements inébranlables, et elle fait l’admiration de ceux qui défendent ici ses intérêts, Mais, messieurs, je répondrai d’un seul mot, c’est que si vous voulez tuer l’industrie du sucre exotique, si vous voulez lui enlever au moins le principal fleuron de sa couronne, celui auquel elle tient par-dessus tout, vous n’avez qu’à supprimer ce droit. Il y a cette circonstance tout à fait particulière, c’est que si vous supprimez l’impôt, vous tuez l’industrie du sucre exotique...
M. Verhaegen. - C’est cela.
M. Dubus (aîné). - Et voilà l’industrie qu’on nous présente comme reposant sur des colonnes inébranlables, comme méritant tant de respect. Et pour la faire vivre, il a fallu frapper le consommateur d’un impôt considérable, et il faut encore maintenir l’impôt pour conserver une industrie qui ne s’exerce que sur un produit étranger, tandis que celle à laquelle on veut tant de mal s’exerce sur un produit du pays.
Messieurs, vous pouvez comparer l’importance du travail national qui s’attache à l’une et à l’autre industrie. Lorsqu’on a fabriqué cent kil. de sucre exotique, on a fait un travail que la section centrale estime à dix francs, estimation que M. le ministre des finances a trouvée exagérée ; et quand on a produit cent kil. de sucre indigène, on a fait un travail d’une importance de 74 à 75 fr. Je demande laquelle de ces deux industries mérite qu’on ait pour elle une véritable considération ?
Messieurs, vous avez adopté le droit de 20 fr, et celui de 45 fr., et, quoi qu’on en ait dit, on ne vous propose pas de revenir sur ce vote, et je dirai tout de suite un mot quant à la question de recevabilité.
L’article de la loi qui fixe un droit différentiel a été adopté comme amendement au premier vote. Il a dû être soumis à un second vote. Par conséquent, cet article était susceptible d’être modifié ; donc, à plus forte raison, avait-on le droit de proposer une disposition simplement transitoire, au lieu d’une modification permanente. Cette proposition a été faite au moment même où M. le président consultait la chambre sur l’adoption définitive de l’article adopté au premier vote. Cet article n’a pas été mis aux voix, ni par assis et levé, ni par appel nominal ; quand M. le président a demandé s’il n’y avait pas d’opposition contre l’article, l’honorable M. de La Coste a fait connaître sa proposition, et par là il a fait entendre qu’il n’acceptait l’article que sous la réserve de faire discuter ultérieurement son amendement.
Quant au fond de la disposition, je vous prie de remarquer qu’il s’agit dans le cas actuel de l’existence d’établissements qui ont été fondés à grands frais, et dont les plus anciens datent à peine de 8 ans. Ces établissements ont vécu jusqu’à présent sous la protection de la loi en vigueur, qui leur assurait l’immunité de tous droits. Pareille chose a existé en France, et cette immunité a été conservée bien plus longtemps aux établissements français. On leur a laissé plus de temps pour prendre racine ; et bien qu’on les ait frappés de droits, c’était des droits beaucoup plus modérés que celui dont est frappée l’industrie du sucre indigène en Belgique. Ces droits n’ont été augmentés que progressivement. Ici c’est le contraire qu’on fait ; on frappe une industrie qui ne vient que de naître en quelque sorte, on la frappe immédiatement du droit énorme de 20 francs.
Que vous demande l’honorable M. de La Coste par sa proposition ? Uniquement de tempérer un peu cette sorte de brusquerie, cette rigueur d’un droit considérable qui vient frapper tout à coup une industrie qui, peut-être, ne pourra pas le supporter, si vous ne lui donnez pas le temps de s’habituer à payer ce droit : l’honorable M. de La Coste ne propose une diminution que pour la première année, pour arriver au droit normal de 20 fr. les années suivantes.
Si quelque chose m’étonne, c’est qu’une pareille proposition ait rencontré une opposition aussi vive ; il me semble qu’elle aurait dû rallier toutes les opinions. C’est une proposition véritablement modérée et qui se justifie en quelque sorte d’elle-même.
On nous dit que la loi que vous allez voter accorde une protection exagérée à l’industrie du sucre indigène, qu’une protection de 18 à 20 fr. serait plus que suffisante ; mais, messieurs, ne le perdez pas de vue, sous l’empire de la loi actuelle, cette protection est de 37 fr., et vous la réduisez brusquement à 25. La chute me paraît trop forte, et je pense qu’il serait injuste de ne pas l’adoucir par une disposition transitoire qui ne s’appliquerait qu’à une seule année.
L’industrie du sucre exotique n’a certes pas à se plaindre de la loi que vous avez faite ; vous avez augmenté, il est vrai, l’impôt de 8 fr., mais en même temps, vous avez amélioré sa position relative vis-à-vis de l’industrie rivale, le droit différentiel se trouvant maintenant amoindri, et de plus, vous avez conservé le rendement. Or, le rendement comprend une prime, et cette prime s’accroit avec l’impôt ; cela est si vrai que c’est même là une des raisons pour lesquelles il sera impossible à l’industrie du sucre de betterave d’exporter. Indépendamment des prix de revient des deux sucres, qui diffèrent beaucoup, vous aurez encore la différence de la prime. Ainsi tous les avantages sont pour le sucre exotique, et tous les désavantages sont pour le sucre indigène.
En repoussant l’amendement, on a présenté, d’un autre côté, la situation de l’industrie du sucre indigène comme désespérée. S’il en était ainsi, je ne sais quel intérêt on aurait à repousser l’amendement ; car ce n’est pas une différence de cinq francs, pendant une année, qui empêchera la chute du sucre indigène, si sa position est aussi désespérée qu’on le prétend. Quant à moi, je ne veux pas désespérer de cette industrie, qui m’intéresse à un haut degré, et c’est parce que je ne veux pas en désespérer que je veux, par un tempérament des droits que vous avez établis, assurer la réalisation de mes espérances. (Aux voix ! aux voix ! - La clôture !)
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je veux faire seulement une très courte observation.
Que vous ont dit constamment les honorables défenseurs du sucre de betterave dans cette discussion ? que nous ont-ils dit pour obtenir la protection de 25 fr. qu’on met de nouveau en question ? Ne vous ont-ils pas dit : « Mais nous ne pouvons produire notre sucre de betterave qu’à 74 fr., quand on produit le sucre exotique à 57. » Voilà l’argument sur lequel ils se sont basés pour obtenir la protection de 25 fr. admise au premier vote. Cela suffit pour répondre à l’objection que vient de soulever l’honorable préopinant, qui vous a dit : « Si on supprimait tout droit, les raffineurs seraient-ils satisfaits ?’
Oui, parce que la lutte entre les deux industries serait bientôt finie, et ce au profit du sucre exotique. Il suffit, pour le prouver, de citer les prix de revient avancés par les défenseurs du sucre indigène, car on convient que le sucre exotique, qui ne coûte que 57 francs, lorsque celui de betterave coûte 74 fr., resterait bientôt seul maître du marché.
Voici, messieurs, ce qui a été décidé à l’égard des droits au premier vote : L’honorable M. Rodenbach a fait une proposition qui accordait au sucre de betterave une protection de 15 fr., car il avait proposé les droits de 40 fr. pour le sucre exotique et de 25 fr. pour le sucre de betterave. Le gouvernement a modifié cette proposition en ce sens, que s’il a demandé aussi 40 fr. pour le sucre exotique, il n’a demandé que 22 fr. pour le sucre de betterave sauf à arriver au chiffre de 25 fr., en ce qui concerne ce dernier sucre, dans un terme de six ans. La protection que proposait le gouvernement pour le sucre de betterave, se trouvait donc de 18 fr. Quand il a été question d’aller aux voix sur la proposition de M. d’Huart qui accordait une protection de 5 fr, car il fixait le droit respectivement à 45 et 20 fr., il a été bien entendu qu’en volant les deux chiffres à la fois, on votait le chiffre de la protection et que ce chiffre était fixé à 25 fr. Quels sont maintenant les membres qui ont voté pour ce chiffre ? Ce sont ceux-là qui viennent aujourd’hui demander à le modifier, de manière à accorder 30 fr. de protection au sucre de betterave. Ce même chiffre qu’ils ont adopté au premier vote, en déclarant alors qu’une protection de 25 fr leur suffisait ; et il est à remarquer que l’amendement de la section centrale lui-même ne comportait qu’une protection de 5 fr. Voilà ce que j’avais à dire.
Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. Delehaye. - Je m’oppose à la clôture.
Comme j’aurai plus tôt fait de dire ce que j’ai à dire sur la question que de parler contre la clôture, je prie la chambre de vouloir bien m’entendre pendant quelques minutes.
Je ferai observer que j’ai fait preuve de la plus grande déférence envers la chambre en cédant la parole à l’honorable M. Dubus.
M. Verhaegen. - Je ferai observer à l’honorable préopinant que s’il y a eu complaisance, ç’a été de ma part, car c’est moi qui ai cédé mon tour de parole. Je demande la clôture parce que cela doit finir.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’article additionnel proposé par M. de La Coste.
Plusieurs membres demandent l’appel nominal, il est procédé à cette opération.
En voici le résultat
80 membres répondent à l’appel ;
40 répondent, oui.
40 répondent, non.
En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Coghen, de Baillet, de Behr, de Florisone, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Man d’Attenrode, Demonceau, de Muelenaere, Deprey de Renesse, de Sécus, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Jadot, Jonet, Lange, Lys. Meeus, Mercier, Orts, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Savart, Sigart, Simons, Trentesaux, Vandenbossche, Van den Eynde, Vandensteen et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Cogels, Cools, Coppieters, David, de Brouckere. Dedecker, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Nef, de Potter, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Donny, Dubus (Bernard), Fallon, Henot, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Smits, Troye, Van Cutsem, Van Hoobrouck, Van Volxem et Zoude.
M. le président. - M. Coghen propose une disposition additionnelle ainsi conçu :
« Le gouvernement, après avoir entendu les chambres de commerce de Bruxelles, d’Anvers et Gand, déterminera et adressera des échantillons types de sucre raffiné mélis, lumps, candi, vergeois et sirop qui serviront de base pour les exportations à opérer.
« Toute tentative d’exporter des qualités inférieures aux échantillons types sera punie de confiscation des sucres déclarés et en cas de récidive, outre la confiscation des sucres, à une amende de 100 francs par chaque 100 kilog. de sucre déclaré.»
Plusieurs membres. - C’est un nouveau projet de loi ! c’est un nouveau projet de loi !
M. de Brouckere. - À coup sûr, on ne récusera pas la fin de non-recevoir que nous opposerons à cette proposition. Sur quoi est-elle fondée ? C’est tout un nouveau système ; on pourrait, par des articles additionnels, prolonger encore de 15 jours cette discussion.
M. Dubus (aîné). - Il faut laisser développer l’amendement.
M. Coghen. - C’est comme article additionnel que je propose cette disposition ; je l’ai proposée comme garantie pour le trésor, comme garantie pour le commerce loyal. Je l’ai proposée encore pour qu’il n’y ait pas d’abus possible, et tout le commerce loyal ne peut qu’applaudir à une mesure pareille ; les procès ne seraient plus si multipliés, chacun saurait ce qu’il peut exporter, et on ne verrait plus la fraude frustrer le trésor.
M. d’Huart. - Il faut voir si l’amendement est appuyé.
M. le président. - L’amendement de M. Coghen est-il appuyé ?
- L’amendement est appuyé.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je pense comme l’honorable M. de Brouckere, que l’amendement proposé par l’honorable M. Coghen n’est plus recevable ; et quand même il le serait, je crois que cette disposition est plutôt de l’essence du pouvoir administratif que du pouvoir législatif. C’est une simple mesure d’exécution de la loi. Je ferai remarquer d’ailleurs à l’assemblée que le système des types a son côté nuisible. Ainsi, moi-même, j’ai été obligé de retirer des types qui avaient été envoyés par l’administration dans certaines localités. Ces types avaient été avariés soit par les transports, soit par l’influence des saisons, et ils ne pouvaient plus servir de guide aux employés. L’administration, quand elle le jugera convenable, quand des fraudes lui auront été signalées, prendra les mesures indiquées par l’honorable M. Coghen ; mais ce sont des mesures purement réglementaires que le gouvernement a la faculté de prendre. Nous les prendrons si cela est nécessaire, mais il est inutile d’en faire l’objet d’un article de la loi.
M. de Brouckere. - J’ai déjà fait valoir la fin de non-recevoir que j’ai opposée à l’amendement. Le règlement est positif. L’honorable M. Coghen aura beau développer les considérations qui militent en faveur de sa proposition, je répondrai qu’il aurait dû la présenter lors du premier vote et non au second vote, qui n’est destiné qu’à adopter les amendements déjà introduits, et à discuter des amendements nouveaux qui seraient fondés sur le premier vote. Je demande donc l’ordre du jour.
M. de Theux. - Je pense aussi que nous ne pouvons pas voter l’amendement de M. Coghen. Du reste, je sais bon gré à l’honorable membre d’avoir appelé l’attention de M. le ministre sur ce point. Puisque M. le ministre a dit que cela rentrait dans les mesures à prendre par le pouvoir exécutif, je me contenterai de sa déclaration, mais j’engagerai M. Coghen à la reproduire plus tard, s’il y a lieu, comme projet de loi spécial.
M. Coghen. - On dit que je ne suis plus en temps utile pour présenter mon amendement ; il me suffit de la déclaration de M. le ministre des finances, qui dit que des types seront envoyés, afin que la fraude ne se renouvelle pas. Je retire donc ma proposition.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
81 membres répondent à l’appel nominal.
58 votent pour.
15 votent contre,
8 s’abstiennent.
La chambre adopte.
Ont voté pour
MM. Coghen, Cools, Coppieters, David, de Baillet, de Behr de Brouckere, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Fallon, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Liedts, Lys, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Smits, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Van Hoobrouck, Van Volxem et Zoude.
Ont voté contre : MM. Cogels, Delehaye, Delfosse, de Renesse, de Sécus, Dumont, Manilius, Osy, Pirmez, Puissant, Raymaeckers, Rogier, Simons, Vanden Eynde et Verhaegen.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de La Coste. - Je crois avoir assez fait connaître les motifs de mon abstention dans le cours de la discussion qui vient d’avoir lieu.
M. Dumortier. - Messieurs, j’aurais voté contre la loi, sans les besoins urgents du trésor public, auxquels il faut faire face ; mais je n’ai pas voté pour, parce que je ne conçois pas une loi dans laquelle on sacrifie l’industrie indigène à une industrie étrangère. Je la concevrais si elle procurait de grands bénéfices au trésor, mais non pour laisser une prime aussi considérable aux étrangers.
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Dumortier.
M. Lebeau. - J’aurais voté pour la loi si on avait maintenu la proposition de M. Rodenbach, à laquelle M. le ministre des finances s’était rallié. C’était la dernière concession dans laquelle je pouvais suivre le gouvernement. Mais je n’ai pas voulu voter contre, par intérêt pour le fisc, et que notre situation financière exige de promptes ressources.
M. Meeus. - Messieurs, je n’ai pas voulu voter contre le projet de loi, parce qu’il a pour but d’amener des ressources au trésor, et que l’état de nos finances exige des ressources immédiates ; mais je n’ai pas pu voter pour la loi, parce qu’il m’est impossible de consacrer par mon vote le principe d’une prime énorme, cachée sous le nom de rendement, qui ne profitera même pas aux raffineurs, mais seulement à l’étranger.
M. Mercier. - Je n’ai pas voulu priver le trésor des ressources qui lui sont indispensables. D’un autre côté, je n’ai pas voulu consacrer par mon vote le coup fatal qui vient d’être porté à une industrie indigène.
M. Orts. - Je me suis abstenu pour le même motif.
M. Savart-Martel. - Je n’ai pas voté contre la loi, parce qu’il est nécessaire de procurer des ressources au trésor public ; mais je n’ai pas voté pour, parce qu’elle sacrifie l’industrie du pays à une industrie étrangère. Je suis Belge, et je préfère l’ouvrier belge à l’esclave indien.
M. le président. - La loi sera transmise au sénat.
L’ordre du jour appelle un rapport de pétitions.
Plusieurs voix. - A lundi, à lundi.
- La séance est levée à 3 heures et demie.