(Moniteur belge n°40 du 9 février 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et 1 1/4.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Les négociants en bois, constructeurs et entrepreneurs de la ville de Bruges, présentent des observations contre les dispositions de la section centrale sur les droits d’entrée des bois sciés. »
« Mêmes observations des négociants en bois de Bruxelles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les droits d’entrée.
« Plusieurs fabricants d’étoffes de Liége, demandent le maintien de la base actuelle de la patente du fabricant de tissus. »
M. Delfosse demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur les patentes, et qu’elle soit, en outre, insérée au Moniteur.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Naviaux, ex-garde forestier pensionné, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par message, en date du 7 février, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi sur la canalisation de la Campine.
- Pris pour notification.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, comme il sera impossible que la chambre s’occupe dans cette session du projet de loi tendant à réviser la loi sur l’enseignement supérieur, le Roi n’a chargé de vous présenter, comme les années précédentes un projet de loi tendant à proroger pour cette année l’art. 41 de la loi du 27 septembre 1835, relatif à la formation des jurys d’examen. Ce projet est ainsi conçu :
- M. le ministre donne lecture du projet.
Le projet présenté par M. le ministre est, sur sa proposition, renvoyé à la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi tendant à réviser la loi sur l’enseignement supérieur.
M. Lys fait rapport, au nom de la section centrale du budget de la guerre qui a été chargée, comme commission spéciale, de l’examen du projet de loi tendant à accorder au même département un crédit provisoire de 3 millions de fr. La commission propose de réduire le crédit demandé à deux millions.
- La chambre décide qu’elle s’occupera immédiatement de ce projet.
M. le président. - Je demanderai d’abord à M. le ministre de la guerre s’il se rallie à la proposition de la commission.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je ne puis me rallier à cette proposition, parce qu’il me semble, messieurs, que le budget de la guerre ne pourra être voté par le sénat qu’à la fin du mois de mars, et qu’un crédit de deux millions ne pourra suffire jusqu’à cette époque. S’il en était ainsi, le gouvernement serait forcé de demander un nouveau crédit. Je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que la chambre accorde les 3 millions que j’ai demandés. On ne fera jamais que les dépenses urgentes.
M. le président. - Ainsi la discussion s’établira sur le projet du gouvernement.
M. Lys, rapporteur. - Je crois messieurs, que les raisons données par la section centrale à l’appui de sa proposition démontrent à l’évidence qu’un crédit de 2 millions est suffisant. En effet, le crédit demandé ne doit pas couvrir toutes les dépenses du département de la guerre, il ne doit couvrir que les dépenses urgentes, telles que, par exemple, la solde, les fournitures de pain, de foin et d’avoine. D’ailleurs je puis déjà dire que l’intention de la section centrale est de proposer des réductions sur le budget de la guerre. Je crois donc que si nous allouons 2 millions, ce qui en fera 6, avec les 4 millions qui ont déjà été votés, ce crédit suffira à tous les besoins des trois premiers mois de l’année.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb)- C’est par erreur, messieurs, que l’on suppose que le crédit provisoire est demandé pour le troisième mois de l’exercice.
M. Lys, rapporteur. - L’exposé des motifs le porte dans son intitulé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut voir le texte législatif. Or, l’art. 1er du projet porte « Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de trois millions de francs, à valoir sur les dépenses du présent exercice. »
La loi ne dit donc pas que le crédit est accordé pour le troisième mois, et, du moment où M. le ministre déclare, comme il vient de le faire, qu’il n’entend pas la loi dans ce sens rigoureux, du moment où il déclare que le crédit est demandé, non pas pour le troisième mois, mais pour l’exercice tout entier, je ne vois pas que le vote des trois millions puisse préjuger quelque chose quant au chiffre définitif du budget. Je crois, au contraire, qu’en accordant les 3 millions demandés, l’on prendra une très bonne précaution, car rien ne démontre que le sénat aura voté le budget de la guerre avant la fin du mois de mars, et dès lors si l’on ne votait que deux millions, M. le ministre de la guerre pourrait se trouver dans la nécessité de demander un troisième crédit.
M. le rapporteur dit qu’il entre dans les intentions de la section centrale de proposer des réductions considérables sur le budget de la guerre. Eh bien, c’est précisément parce qu’on manifeste ces intentions que le gouvernement doit s’opposer à ce qu’on ne vote que deux millions, car un semblable vote pourrait être envisagé comme préjugeant plus ou moins le chiffre du budget définitif.
M. de Brouckere. - Messieurs, je n’attache pas, quant à moi, une grande importance au vote que la chambre va émettre ; le budget de la guerre qui nous est soumis monte à une somme d’à peu près 30 millions ; si nous votons aujourd’hui trois millions, ces trois joints aux quatre que nous avons déjà votés, ne feront que sept millions ; or, en votant sept millions tous les trois mois, nous arriverons, pour l’année, à un chiffre de vingt-huit millions ; de sorte qu’il y aurait sur le budget présenté une réduction de près de 2 millions.
Il y a une autre observation à faire, c’est que le gouvernement étant prévenu, comme il l’est, que la section centrale a l’intention de proposer de fortes réductions sur le chiffre du budget de la guerre, M. le ministre ne fera certes, jusqu’au moment où ce budget sera voté, que les dépenses indispensables, car s’il agissait autrement, il prendrait sur lui une très grande responsabilité.
Ainsi, messieurs, que nous votions deux millions ou trois millions, cela ne préjugera absolument rien quant au chiffre du budget.
Comme on l’a déjà fait observer, il n’est pas certain que le budget de la guerre pourra être promulgué avant le 1er avril ; nous avons encore à discuter plusieurs lois qui auront la priorité sur ce budget ; il y a d’abord le projet de loi sur les sucres, dont la discussion commence lundi, et durera probablement assez longtemps. Ensuite j’ai entendu un honorable orateur déclarer, dans la séance d’hier, qu’il demanderait que le projet de loi sur les fraudes électorales soit discuté avant le budget de la guerre ; or, s’il en est ainsi, il est certain que ce budget ne sera pas voté avant le 1er avril, et alors force serait au gouvernement devenir demander un troisième crédit.
D’après ces motifs, messieurs, je voterai sans difficulté les trois millions demandés, et je suis convaincu que cela ne préjugera rien, quant au chiffre du budget de la guerre.
M. Fleussu. - Messieurs, comme membre de la section centrale, je tiens aussi à faire connaître quelle a été mon opinion. J’ai voté pour le chiffre de 2 millions, parce que j’ai cru que cette somme suffit pour faire face aux besoins de l’administration de l’armée, jusqu’au moment où le budget de la guerre sera voté. Vous savez, messieurs, que la section centrale se propose d’opérer de fortes réductions sur ce budget ; si ces réductions sont admises par la chambre, elles feront descendre le chiffre du budget de la guerre au-dessous de 28 millions. Or, si vous accordez les 3 millions demandés par M. le ministre, vous établirez un véritable préjugé contre les réductions que proposera la section centrale, puisqu’alors vous supposeriez, dès à présent que le budget s’élèvera au moins à 28 millions, car 7 millions pour 3 mois font bien 28 millions par an.
La section centrale a voulu que l’administration de la guerre ne fût pas embarrassée, mais elle a voulu aussi que rien ne fût préjugé, quant au chiffre du budget définitif, et c’est pour cela qu’elle propose un crédit de 2 millions qu’elle croit suffisant pour faire face à tous les besoins jusqu’au moment où le budget sera voté.
Remarquez, messieurs, que le rapport sur le budget sera probablement présenté mardi prochain ; M. le rapporteur y travaille avec la plus grande assiduité ; on pourra sans doute bien trouver le temps de le discuter dans le courant de ce mois, qui n’est pas encore fort avancé. Tout doit donc nous faire croire que le budget de la guerre pourra être converti en loi avant que le crédit que nous proposons, soit épuisé.
On a fait remarquer, messieurs, qu’un membre a demandé que le budget de la guerre ne fût discuté qu’après le projet de loi contre les fraudes électorales ; mais, messieurs, cette loi n’est pas encore présentée, et par conséquent nous ne pouvons pas prévoir combien de temps il faudra pour la discuter, nous ne pouvons pas prévoir non plus si la proposition dont je viens de parler sera adoptée par la chambre.
Il n’y a donc pas là de motifs, messieurs, pour enfler outre-mesure un crédit qui ne doit servir qu’aux besoins journaliers de l’armée.
M. Delfosse. - Je désire, comme la section centrale, qu’il soit fait des économies sur le budget de la guerre ; je voterai cependant le crédit provisoire tel qu’il est demandé par le gouvernement ; si je ne le votais pas, on pourrait avec raison m’accuser d’inconséquence. J’ai exprimé hier le vœu que la loi contre les fraudes électorales soit discutée avant le budget de la guerre, je dois dès lors accorder un crédit provisoire qui puisse suffire jusqu’au vote de ce budget, vote dont j’ai l’intention de demander l’ajournement. L’adoption de l’amendement de la section centrale serait plus tard un argument contre ma proposition. Est-ce à dire, parce que je repousse la réduction proposée aujourd’hui par la section centrale, que je n’aurai pas le droit de me rallier aux réductions définitives qu’elle viendra nous proposer ? Non, messieurs, j’entends conserver à cet égard toute ma liberté d’action, rien ne m’empêchera d’émettre plus tard, sur le budget de la guerre, le vote qui me paraîtra conforme aux intérêts du pays ; l’adoption du crédit provisoire demandé par le gouvernement ne préjuge absolument rien.
M. Pirson. - A voir le grand nombre de projets de loi qui sont à l’ordre du jour, et à voir la peine avec laquelle la chambre se trouve en nombre suffisant poux délibérer, il est possible que le budget de la guerre ne soit pas voté dans le courant de mars. Nous serions donc obligés de voter un troisième crédit provisoire. Or, rien n’est plus fâcheux que ces crédits provisoires. Je voterai pour les 3 millions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les observations de M. Delfosse sont d’autant plus justes qu’il faut avoir quelques égards aux convenances du sénat. Si la loi sur les fraudes électorales est adoptée par la chambre, nous désirons que le sénat statue immédiatement sur cette loi. Mais si, à cette époque, on ne lui avait pas renvoyé le budget de la guerre, il faudrait qu’il revînt une seconde fois pour le cas où les crédits provisoires que vous allez accorder n’auraient pas été suffisants ; or, je crois qu’il convient de ne réunir le sénat d’urgence que lorsqu’on ne peut faire autrement.
M. Lys, rapporteur. - Je dois faire observer que nous ne sommes qu’au 8 du mois de février. Je ne pense pas que le budget da la guerre ne puisse pas être voté pour le mois de mars ; le rapport sera présenté mardi ou mercredi prochain. Vous pourrez alors le mettre à l’ordre du jour pour le lundi suivant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, si vous proposiez purement est simplement le budget de la guerre, tel qu’il a été présenté ; mais vous nous annoncez que vous ferez d’importantes réductions, il faut dès lors nous laisser le temps d’examiner.
M. Lys, rapporteur. - Je n’ai pas dit que le rapport pourrait être mis immédiatement à l’ordre du jour ; j’ai parlé de sa mise à l’ordre du jour pour le lundi suivant.
Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que le crédit provisoire à accorder au département de la guerre n’embrasse pas toutes les dépenses de ce département ; j’ai énuméré tout à l’heure celles auxquelles le crédit doit pourvoir, et il est certain que six millions sont plus que suffisants pour faire face aux dépenses urgentes jusqu’à la promulgation de la loi du budget du département de la guerre. La section centrale, en ne proposant qu’un crédit de 2,000,000, a voulu rester dans les principes de justice, elle n’a voulu rien préjuger.
M. de Garcia. - Messieurs, dès l’instant qu’il est reconnu que le vote des 3 millions demandés par le département de la guerre, ne préjuge rien à l’égard des économies à introduire dans le budget de ce département, je ne vois pas d’obstacle à accorder ces 3 millions. La section centrale, dont j’ai l’honneur de faire partie, n’a eu qu’une crainte, c’est que l’allocation pétitionnée par le gouvernement n’établit un préjugé défavorable aux économies.
Je crois que dans le cas actuel il est d’autant plus important de voter les 3 millions, que le budget de la guerre où l’on se propose d’introduire de grandes réformes, nécessitera de ce chef un examen approfondi de la part du gouvernement. Les économies à réaliser reposeront surtout sur l’organisation de l’armée. Or, cette question est radicale, et il est urgent que nous nous en occupions cette année. Tous nos traités sont conclus, nous sommes en paix ; il faut nécessairement que nous décrétions une loi d’organisation, ou que nous invitions le gouvernement à en présenter une. C’est à ce point de vue que des économies doivent être faites.
On conçoit dès lors qu’une question semblable n’intéresse pas seulement le département de la guerre, mais qu’elle intéresse le cabinet entier. Quant à moi, je veux laisser au cabinet un temps suffisant pour examiner cet objet avec maturité, et pour chercher toutes les économies possibles.
Ce sont ces motifs qui m’engagent à voter les trois millions, bien qu’au sein de la section centrale, j’aie voté pour un crédit de deux millions ; et je le répète, en votant 3 millions, il n’est rien préjugé à l’égard des économies que nous pourrons faire ultérieurement.
- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.
« Art. 1er. Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de trois millions de francs (3,000,000 fr.), à valoir sur les dépenses du présent exercice. »
La section centrale propose 2,000,000 fr.
Le chiffre du gouvernement est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté.
On passe à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
57 membres y prennent part. -
53 répondent oui.
4 (MM. de Meer de Moorsel, Fleussu, Lys et Osy) répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Cogels, Cools, David, de Baillet, de Brouckere, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Mérode, Demonceau, de Nef, de Potter, de Renesse, de Sécus, Desmet, de Terbecq. de Theux, Donny, Eloy de Burdinne, Fallon, Huveners, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Peeters, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, van Cutsem, Vandenbossche, Vanden Eynde, Verhaegen, Vilain XIIII, Zoude et Raikem.
M. le président. - La discussion générale continue. La parole est à M. le rapporteur
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, dans la séance d’hier, plusieurs honorables membres ont insisté sur la nécessité de prendre des mesures efficaces pour réprimer la fraude. Je déclare que je partage entièrement leur opinion, et en cela je ne fais qu’exprimer la pensée unanime de la section centrale. Si dans le sein des sections centrales réunies il y a eu quelques dissentiments, ce n’est assurément pas sur le but, mais sur les moyens.
Messieurs, je crois qu’une loi impérieuse de l’économie sociale, c’est d’assurer la subsistance de la classe ouvrière par le travail. La section centrale a été guidée par cette pensée, lorsqu’elle a proposé les dispositions que renferme le projet de loi.
Messieurs, plusieurs des honorables membres qui ont pris hier la parole, semblent avoir perdu de vue que le projet contient des dispositions de diverse nature, toutes propres à combattre les moyens de fraude connus.
Chaque genre de fraude rencontre un obstacle dans la loi qui vous est soumise. D’abord la distinction relative à la direction suivie pour la circulation des marchandises dans le rayon, donnait lieu à une foule d’abus ; cette distinction est écartée et avec elle la fraude à laquelle elle donnait lieu.
L’exemption de documents pour le transport des marchandises dans le même rayon était une source de fraude ; ces exemptions vont être considérablement restreintes. Les marchandises sortant des villes fermées devront, à l’avenir, justifier de leur origine ou du paiement du droit, il ne sera plus permis, une fois que des marchandises auront été introduites frauduleusement dans une ville fermée, de les faire circuler librement dans tout le pays. C’est encore un moyen de paralyser cette espèce de fraude.
Les dépôts de marchandises à proximité de la frontière facilitaient l’introduction frauduleuse de marchandises étrangères. Des mesures sont proposées pour déjouer cette manœuvre. Enfin, messieurs, lorsque les employés des douanes parvenaient à suivre la fraude jusque sur le territoire libre, il leur fallait, pour avoir accès dans les bâtiments qui recelaient la fraude, avoir recours à l’autorité judiciaire. D’après le projet de loi, ces agents seront autorises à entrer d’office dans les bâtiments où ils auront vu introduire la marchandise. A cette nouvelle facilité donnée à l’administration, pour empêcher et constater la fraude, le projet ajoute une augmentation considérable des pénalités existantes ; je regarde cette mesure comme devant produire les meilleurs résultats. La peine de l’emprisonnement surtout, dont on porte le minimum d’un mois à quatre, doit nécessairement être très efficace pour la répression de la fraude.
Un des honorables membres qui ont pris la parole a exprimé le regret qu’on eût écarté du projet un second rayon de douane, applicable à quelques lignes. La commission qui avait proposé ce moyen parmi beaucoup d’autres, n’y attachait pas plus d’importance qu’à plusieurs de ces derniers.
La section centrale l’a remplacé d’ailleurs par une disposition qui dans mon opinion sera tout au moins aussi efficace, sans occasionner la même gène à ceux de nos concitoyens qui seraient compris dans le nouveau rayon. J’entends parler de l’arrestation préventive des fraudeurs, même alors qu’ils sont régnicoles. C’est un des moyens de répression les plus efficaces. Car les fraudeurs parvenaient à éluder l’arrestation préventive en prenant leur domicile dans le pays. Comme on ne pouvait pas les arrêter quand ils avaient été pris en flagrant délit de fraude, ils allaient s’établir dans le pays voisin, et la peine portée contre eux par les tribunaux restait sans exécution.
Il a été reconnu par la commission que cette mesure porterait un coup sensible à la fraude, par la raison que c’est surtout la peine de l’emprisonnement que craignent les individus qui la commettent.
Messieurs, un honorable député de Gand nous a dit que la fraude, alors même qu’elle s’était constatée dans l’intérieur du pays, resterait impunie. Il s’est trompé sur ce point .Le projet de loi a été au-devant de cette objection. Une disposition analogue à celle que nous proposons existe même aujourd’hui, mais son application a donné lieu à quelques doutes. La nouvelle disposition est infiniment plus explicite. Il suffit aux agents de l’administration de prouver que la fraude a eu lieu d’une manière quelconque pour des pénalités puissent être prononcées. Je ferai remarquer que l’honorable membre ne propose rien de plus dans son projet, car, sauf la justification des marchandises trouvées dans les magasins, il se borne à proposer une disposition semblable à celle qui fait l’objet de l’art. 24 du projet de la section centrale.
Cet article est ainsi conçu :
« Les dispositions des art. 18, 21 et 22 s’appliquent à la circulation des marchandises transportés sans documents valables dans le rayon, et en outre à celle de toutes marchandises à l’égard desquelles on pourra établir, d’une manière quelconque, qu’elles ont été soustraites à la déclaration prescrite relativement à l’importation, l’exportation, le transit ou le transport, etc. »
Ainsi, il suffit de prouver d’une manière quelconque que la fraude a eu lieu pour que les marchandises soient saisies dans toute l’étendue du royaume. Cet article a la même portée que la disposition proposée par les honorables MM. Lys, Demonceau et David.
Voici cette disposition :
« Les fils et tissus de coton, de laine, de lin, de soie et mélangés, d’origine étrangère, voyageant dans l’intérieur du royaume, en quantité de plus de dix mètres, pour les marchandises d’aunage, et de plus de cinq kilogrammes en poids, pour les autres marchandises, seront considérées comme introduits en fraude, lorsqu’ils ne seront pas couverts par des documents, justifiant que les droits ont été acquittés. »
Comment établira-t-on que les marchandises ne sont pas d’origine belge ? Du moment qu’on peut prouver qu’elles ont été introduites frauduleusement, le projet de la section centrale reçoit la même exécution que l’amendement dont nous venons de donner lecture ; supposons qu’une voiture chargée de tissus circule en dehors du rayon les douanes ; si l’on parvient à constater que cette voiture arrive de l’étranger avec son chargement, le projet punit cette fraude tout aussi bien que l’amendement. Si, au contraire, on ne peut pas prouver que le transport vient de la frontière, on ne pourra pas plus appliquer la disposition proposée par nos honorables collègues que celle qui est comprise dans le projet de loi ; car il faut établir, dans un cas comme dans l’autre, que la marchandise est d’origine étrangère.
Pour rendre efficace une disposition comme celle qu’on vous présente, il faudrait l’accompagner d’une foule de formalités.
Il est vrai que les honorables membres abandonnent au gouvernement les mesures d’exécution ; s’ils en agissent ainsi, il y a lieu de croire que c’est précisément parce qu’ils reculeraient devant les nombreuses exigences, les vexations de toute nature qu’il faudrait introduire dans le règlement d’exécution de la loi pour la rendre efficace. La disposition proposée est présentée comme chose fort simple, n’entraînant aucun inconvénient ; elle n’est en effet que peu de chose en elle-même, car elle ne peut être efficace que par les mesures d’exécution que l’on passe sous silence, telles que les visites dans les magasins, le recensement des marchandises et l’estampillage de tous les produits fabriqués dans le pays ou importés de l’étranger, et les certificats d’origine ou les documents de douane pour tous les transports dans l’intérieur. Si l’on n’accompagne pas la disposition de toutes ces mesures, on n’aura rien fait de plus que le projet ; on vous aura même fait moins que le projet, car celui-ci étant d’une application plus générale, on n’aura fait que le restreindre.
Je ne m’occuperai pas spécialement de l’estampille, jusqu’à présent aucune objection n’a été faite aux réfutations de la section centrale, en ce qui concerne cette mesure. Je me réserve de prendre la parole, si quelque membre venait soutenir cette proposition. Pour ne pas abuser des moments de la chambre, je bornerai là, quant à présent, mes observations.
M. Demonceau. - Si je ne considérais pas une loi répressive de la fraude, en matière de douane, comme une des lois de la plus haute importance, je ne prendrais pas de nouveau la parole. Pour moi, la loi répressive de la fraude est la pierre fondamentale de toute notre législation douanière. Sans une bonne loi de répression de la fraude, vous aurez beau établir les tarifs les mieux combinés pour donner à l’industrie du pays une protection suffisante, pour assurer le travail national, vous n’obtiendrez aucun résultat, parce que la loi sera éludée.
Ainsi, messieurs, j’ai été étonné d’apprendre de la bouche de M. le ministre des finances, qu’il ne considérait pas comme s’alliant parfaitement l’augmentation du tarif et l’augmentation des mesures propres à réprimer la fraude. Je dis, au contraire, que l’augmentation des mesures propres à réprimer la fraude est le nécessaire, et que le reste ne sera que l’accessoire.
Ce n’est pas dans l’intérêt de quelques industriels, de cinquante ou cent individus, comme on le disait hier, que nous demandons protection pour le travail national, mais c’est pour assurer à nos travailleurs, à la classe la plus nombreuse, la plus intéressante de la société, la subsistance nécessaire pour eux et leurs familles, c’est surtout pour atteindre ce but et assurer à l’industrie le marché intérieur que nous désirons que la fraude soit en quelque sorte rendue impossible. Je ne conteste pas que le projet de loi présenté par la commission instituée par le prédécesseur de nos honorables collègues, et appuyé par la section centrale, ne contienne quelques dispositions qui ont pour but d’améliorer notre législation en matière de douane. Mais quand j’ai entendu l’honorable M. Mercier prétendre que l’emprisonnement des véritables fraudeurs serait un des meilleurs moyens pour réprimer la fraude, j’ai cherché dans la loi la sanction de cette opinion, et je n’y ai pas trouvé formulée en texte formel l’idée émise dans une séance précédente par l’honorable M. Dumortier ; cet honorable membre considère comme le moyen le plus propre de réprimer la fraude, d’atteindre non seulement les fraudeurs, mais ceux qui font frauder. J’avoue qu’aussi longtemps que vous n’atteindrez pas ceux qui font frauder, vous ne ferez rien ; vous atteindrez les hommes qui croient faire un métier comme tout le monde. Messieurs, je le demande, y a-t-il dans le projet une seule disposition qui atteigne ceux qui font frauder ? je n’en ai vu aucun, la complicité, me dit-on, est punie.
Mais celui qui connaît la définition de la loi sur la complicité, sait bien que celui qui est assureur n’est pas complice. Comment fait-on aujourd’hui ? Allez à Aix-la-Chapelle, allez à Paris, vous y trouverez des négociants qui se chargeront de vous remettre votre marchandise à domicile moyennant une somme de tant que vous lui payez. Comment atteindriez-vous ce négociant ? Vous ne le pouvez pas. Il a d’abord sa résidence à l’étranger. C’est cependant lui qui emploie les fraudeurs.
Les fraudeurs, dit-on, seront mis en prison. Mais la loi actuelle autorise aussi l’emprisonnement des porteurs, et vous n’avez pas jusqu’à présent obtenu grande amélioration.
Lorsque je vois, messieurs, les législations de tous les pays voisins, lorsque j’étudie attentivement, d’abord le système anglais, j’y vois toutes mesures propres à assurer au commerce intérieur le marché du pays. Quelle est la base fondamentale du système en Angleterre ? C’est d’abord d’empêcher toute espèce d’introduction de produits manufacturés étrangers, de travailler ensuite pour l’exportation. Etudiez le système de l’association allemande, et vous verrez que cette association marche entièrement sur les traces de l’Angleterre. Allez en France, vous trouverez là un système qui est d’abord la prohibition ; à côté de la prohibition la visite domiciliaire ; à côté de la visite domiciliaire l’estampille. Et savez-vous qui juge les contestations en France ? Ce sont des industriels ; c’est un jury qui déclare que la marchandise est ou n’est pas étrangère.
N’allez pas croire, messieurs, qu’en France, comme en Angleterre, on ne soit pas grand ami de la liberté ; mais quand il s’agit d’assurer à ses ouvriers le travail intérieur, quand il s’agit de protéger le commerce de l’intérieur, les Français comme les Anglais savent bien accorder quelque allégement au régime de la liberté.
Pour moi, messieurs, je suis grand ami de la liberté ; mais je ne comprends pas qu’on puisse pousser les choses au point de faire de la Belgique le repaire de tous les produits étrangers. Quand l’Angleterre refuse nos produits et nous inonde des siens ; quand l’Allemagne refuse nos produits et nous envoie des siens ; quand la France proclame une prohibition qui est pour nous l’impossibilité absolue de pénétrer chez elle, quand je vois (et pour être de mon avis, vous n’avez qu’à relire ce qui s’est dit dernièrement à la chambre des députés comme à la chambre des pairs), les industriels français protégés forcement par leur gouvernement, plaçant le gouvernement avec la meilleure intention, dans l’impossibilité d’établir dans son système des modifications qui seraient aussi avantageuses à la France qu’à nous ; que reste-t-il à faire, sinon d’user de tous les moyens propres à assurer aux travailleurs de la Belgique le marché intérieur au moins ?
Et voyez, messieurs, quelle inconséquence de la part de quelques-uns de nos honorables collègues ? Ils ne veulent, disent-ils, ni de la visite domiciliaire, ni de l’estampille, ni des droits réunis ; et quand vous lisez tous les journaux de la Belgique, quand vous consultez, pour ainsi dire, tous les industriels de la Belgique, tout le monde s’accorde pour demander que l’on parvienne à une union douanière avec la France. Mais que nous adviendrait-il si nous étions réunis douanièrement à la France ? Messieurs, la prohibition existe en France ; il me semble quelle serait pour nous la conséquence inévitable de l’adjonction. La visite domiciliaire existe en France ; ce serait pour nous la conséquence inévitable de la réunion, l’estampille existe en France ; et qui plus est les droits réunis, le monopole du tabac, les primes d’exportation, etc. Et vous croyez que cet Etat si puissant viendrait vous faire des concessions telles que vous pourriez conserver vos principes de liberté ? Pour moi, je ne le crois pas ; et sans me faire illusion là-dessus, j’espère encore.
Messieurs, je tiens maintenant à justifier autant que possible la proposition que nous avons faite. Pour qu’elle soit plus facilement comprise par la chambre, je demanderai la permission de lui en donner lecture :
« Les fils et tissus de coton, de laine, de lin, de soie et mélangés, d’origine étrangère, voyageant dans l’intérieur du royaume, en quantité de plus de dix mètres, pour les marchandises d’aunage, et de plus de cinq kilog. en poids pour les autres marchandises, seront considérés comme introduits en fraude, lorsqu’ils ne seront pas couverts par des documents justifiant que le droits ont été acquittées.
« Le gouvernement prendra, à cet égard, toutes les mesures d’exécution qu’il croira nécessaires. »
D’abord, messieurs, j’ai entendu avec satisfaction que l’honorable M. Mercier était en quelque sorte d’accord avec nous. Il a même cru que l’art. 24 du projet de la section centrale était en quelque sorte la reproduction de notre système. Je désire, messieurs, expliquer à la chambre la différence qu’il y a entre le système que nous proposons et celui proposé par la section centrale.
Dans notre système, messieurs, ce serait à celui qui conduirait la marchandise à prouver qu’elle a payé les droits. Par le système de la section centrale, au contraire, la preuve incombe à l’administration. Et c’est une grande différence, c’est une différence du tout au tout.
La disposition que nous proposons entraverait, dit-on, singulièrement même le commerce intérieur. Voici comment M. le ministre des finances a repoussé le mandat illimité que nous voulons lui donner : « Comment, fera-t-on, dit-il, pour les marchandises fabriquées dans le pays ? Voulez-vous que ces marchandises soient couvertes par les factures des fabricants ? Mais alors vous verrez dans le pays ce que nous avons vu en 1810. On établira des fabriques pour la fraude et on trouvera des certificats constatant que des marchandises sont originaires de telle ou telle fabrique, quand cependant elles seront le produit de l’industrie étrangère. Il y a donc impossibilité matérielle d’user du mandat illimité que vous nous offrez. »
D’abord je répondrai à M. le ministre des finances que déjà, il y a dans la loi générale, beaucoup de dispositions qui lui permettent d’appliquer le système que nous proposons. Je lui dirai ensuite qu’en Prusse, à la différence de ce que vient de nous dire M. le ministre des finances, on a tellement confiance dans les négociants indigènes, qu’on se borne à leur demander une déclaration, une facture attestant que la marchandise est produite par eux.
Voilà, messieurs, la lettre que j’ai reçue d’un négociant d’Aix-la-Chapelle, et voici comment il m’explique l’application de la disposition en Prusse :
« Le document qui doit accompagner les marchandises étant assujetti à un contrôle, consiste simplement dans la lettre de voiture de l’envoyeur dans laquelle le poids est exprimé en lettres, mais que celui-ci ou le voiturier est tenu, avant de se mettre en route, de faire viser par le poste de douanes le plus proche de son domicile.
« L’administration des douanes possède en conséquence le moyen sûr, d’un contrôle général, elle connaît par la signature de l’envoyeur la provenance d’une marchandise ; elle peut, en cas de soupçon qu’elle est entrée en fraude, demander à voir les quittances de douane ou les livres de fabrique du fabricant.
« Celui qui oublierait de faire viser ses lettres de voiture, s’expose non seulement à une saisie provisoire, il a un contrôle sévère et minutieux, mais encore à se voir condamner à une amende de 1 à 10 écus, selon l’importance de l’objet. »
Ainsi, messieurs, voilà comment le système s’exécute en Prusse.
Est-il impossible d’en faire l’application en Belgique ? Je vous avoue que sous ce rapport je ne pense pas que les motifs donnés par M. le ministre des finances soient suffisants pour établir le contraire. Et je pense que si le gouvernement, armé de la mesure que nous proposons, venait demander aux chambres l’autorisation de faire au besoin des visites domiciliaires, si la preuve de certains cas de fraude dans le sens énoncé par M. le ministre des finances était reproduite, je ne balancerais pas d’autoriser des visites.
Car qu’on y fasse bien attention : notre système n’a pas pour but d’autoriser les visites domiciliaires ; notre système n’a pas pour but d’établir l’estampille, notre système a pour but une surveillance sur toutes les routes du royaume ; de même que les lois de police donnent au gouvernement le droit de surveiller les voyageurs, de même nous voudrions que les marchandises pussent être surveillées par le gouvernement. Voilà notre pensée ; nous n’entendons autoriser les visites domiciliaires autrement que dans les cas prévus par la loi.
Mais, a ajouté M. le ministre des finances, comment reconnaîtrez-vous les tissus indigènes ? Je viens d’indiquer à M. le ministre le moyen pratiqué en Prusse. Si le gouvernement ne croyait pas pouvoir le mettre en pratique, je rappellerai à M. le ministre des finances l’existence d’un arrêté qui n’est pas inconnu de l’administration ; car elle en fait encore l’application aujourd’hui. Messieurs, le roi Guillaume voulant assurer à l’industrie indigène, non seulement la consommation de l’intérieur, mais encore le commerce en quelque sorte exclusif des colonies, prit une disposition dont je rappellerai la date, elle est du mois de juin 1820. C’est un arrêté qui est très long, puisqu’il a, je crois, 30 à 35 articles. Je ne vous citerai pas la substance de ces articles, mais je vous dirai qu’aujourd’hui encore tous les industriels du pays qui se rendent adjudicataires de fournitures, soit pour le département de la guerre, soit pour le département des finances, soit pour le département de la marine, soit pour toute autre administration, sont obligés de se conformer à cet arrêté ; et cet arrêté impose une obligation telle qu’il et impossible qu’on ne reconnaisse pas la nationalité du fabricat.
Croyez-vous que vos industriels ne se conformeraient pas volontiers à des dispositions analogues à celles de l’arrêté de 1820, alors surtout que vous leur diriez que c’est dans leur intérêt que vous établissez ces dispositions ? Puisque vous obtenez d’eux qu’ils se conforment à cet arrêté de 1820, quand ils sont adjudicataires de certaines fournitures à faire du gouvernement, vous devriez espérer également obtenir d’eux qu’ils se conformassent aux dispositions de cet arrêté, pour exécuter les mesures que nous proposons.
Il n’y a qu’une chose, messieurs, dans cet arrêté qui puisse déplaire en général à tous les producteurs ; c’est que la commission qui délivre les certificats attestant l’origine, était un peu trop largement payée. Ainsi, en introduisant une modification sur ce point dans l’arrêté de 1820, on obtiendrait la certitude de l’origine des marchandises fabriquées en Belgique, et cela sans avoir besoin d’une estampille ; le certificat annexé aux pièces justifierait suffisamment de la nationalité.
Messieurs, je ne vous ai pas parlé de la législation française. Cependant, je ne puis taire mon opinion sur ce point.
Je vous ai dit tantôt que les fraudeurs, c’est-à-dire ceux qui font frauder, sont bien difficilement atteints par notre législation. Eh bien, pour vous prouver combien la France sait s’imposer des sacrifices et punir sévèrement quand il le faut, je vais vous donner lecture de l’article de la loi qui y est en vigueur sur ce point. Je prierai M. le ministre des finances et l’honorable rapporteur de la section centrale de l’écouter attentivement. En voici la substance, c’est une loi du 28 avril 1816 :
« Ceux qui seraient jugés coupables d’avoir participé comme assureurs, comme ayant fait assurer ou comme intéressés d’une manière quelconque à un fait de contrebande, demeureront solidaires de l’amende et passibles de l’emprisonnement prononcé.
« Ils seront en outre déclarés incapables de se présenter à la bourse, d’exercer les fonctions d’agents de change ou de courtier, de voter dans les assemblées tenues pour l’élection des commerçants et des prud’hommes, et d’être élus pour aucune de ces fonctions, tant et aussi longtemps qu’ils n’auront pas été relevés de cette incapacité par lettres de Sa Majesté, etc., etc.
Vous voyez comment nos voisins savent punir les auteurs de la fraude. Ici, nous punissons des instruments, rien de plus. Ce sont de pauvres ouvriers que nous punissons. Aussi j’ai va souvent passer devant ma maison l’un des plus grands fraudeurs que je connaisse, un homme étranger et riche en apparence, qui ne cache pas sa profession. Eh bien, je ne pense pas qu’il soit possible de l’atteindre ; ce sont ses mises en œuvre que nous frappons, lui est derrière le rideau.
Je me résume, et je dis que le système proposé par la section centrale, tout en améliorant la législation actuelle, ne l’améliore pas suffisamment pour protéger, comme on doit le faire, le travail des nationaux. J’ajoute que si l’on veut atteindre les véritables fraudeurs, il faut atteindre, non pas les instruments, mais ceux qui profitent de la fraude. Et par ceux qui profitent de la fraude, j’entends non seulement ceux qui assurent, mais aussi ceux qui font assurer. Je dis enfin que, si vous adoptez simplement la proposition de la section centrale pour la recherche à l’intérieur, ait lieu de donner la préférence au système que nous vous proposons avec mes honorables collègues, MM. Lys et David, vous imposez à l’administration l’obligation de prouver qu’il y a fraude, tandis que, d’après notre proposition, la présomption de fraude doit être détruite par le commerçant. Et ce n’est pas là une si grande tracasserie, car celui qui veut fournir des produits étrangers au commerce intérieur n’aura rien de plus facile que de conserver les documents prouvant qu’il a acquitté les droits. Nous n’admettons d’ailleurs cette mesure que pour les objets fabriqués, parce que, je le répète, nous devons avant tout favoriser le travail national.
M. Verhaegen. - Alors que la Belgique se trouve exclue de presque tous les marchés étrangers, il lui importe au moins d’assurer son marché intérieur, et cependant je crains fort, à la tournure que prend la discussion, que la chambre ne fasse rien pour atteindre ce résultat.
Mes principes, en matière de douane, sont toujours ce qu’ils étaient lors de mon entrée dans cette enceinte, et je me félicite plus que jamais de pouvoir rappeler mes antécédents et d’être resté, en tous points, d’accord avec moi-même.
Personne plus que moi n’est partisan des grands principes de liberté, mais mon enthousiasme pour de belles théories ne va pas jusqu’à sacrifier la pratique, jusqu’à me constituer dupe de mes voisins.
Il serait beau de voir tomber les barrières qui séparent encore les nations civilisées ; il serait utile, il serait beau que tous les peuples pussent se donner la main et ne former qu’une seule et grande nation, mais il serait ridicule pour un petit pays de prendre l’initiative et de faire abnégation de ses intérêts matériels au profit de ceux qui ne font rien pour lui.
Je n’ai jamais été et je ne suis pas encore partisan de prohibitions et de droits élevés qui équivalent à des prohibitions, mais je suis partisan, comme je l’ai toujours été, de justes représailles.
Quand une nation quelconque frappera certains de nos produits, je frapperai aussitôt ses produits similaires, et si on avait suivi ce principe, qui n’est autre que celui de la légitime défense, nous ne nous trouverions pas dans la position fâcheuse qui nécessitera encore plus d’un sacrifice.
N’est-ce pas à juste titre que naguère nous défendions les fabriques de Verviers contre les fabriques de Sedan, d’Elboeuf et de Louviers ?
Nous ne craignions pas la concurrence, nous voulions, nous, le principe de liberté pour tous, alors que nos voisins du Midi ne voulaient ce principe que pour eux ; les draps belges étaient prohibés en France et cependant la prohibition qui frappait les draps français en Belgique fut levée sans équivalent d’avantages ; les promesses qu’on nous avait faites alors pour obtenir cette concession, que je me suis permis d’appeler dégradante pour la Belgique restèrent toutes sans effet. Tout récemment encore une de nos principales industries fut frappée au cœur, et ce ne fut qu’à force d’argent que nous parvînmes à lui conserver un peu de vie. En présence des souffrances de notre industrie, je dois dire ici toute ma pensée : j’ai, messieurs, la conviction que de la manière dont nos affaires ont été conduites, nous n’avons rien à attendre des alliances en perspective, soit du côté du Nord, soit du côté du Midi.
L’honorable M. Demonceau vous a dit quelques mots de l’union douanière allemande et de l’union douanière française, possible dans un temps plus ou moins éloigné ; je vais compléter ses observations.
Le congrès commercial allemand de Stuttgard s’est séparé sans avoir voulu s’occuper d’aucun arrangement avec la Belgique. Nous étions cependant représentés à Stuttgard.
Nous n’avions pas de représentant à Paris lorsqu’un premier coup a été frappé contre notre industrie linière ; nous n’en avions pas encore lorsque, pour la relever momentanément, nous avons été obligés de faire de si lourds sacrifices.
Ainsi partout la Belgique, représentée ou non représentée, a été rebutée ; en Angleterre, pays essentiellement producteur, nous n’avons rien à espérer non plus.
Certain organe de la presse en Allemagne reproche aux puissances germaniques de nous avoir tenu rigueur, au risque de nous pousser dans les bras de la France ; crainte inutile ! La France, telle qu’elle est gouvernée, n’ouvre ses bras qu’avec la permission de ses ennemis, et nous pourrions en citer plus d’un exemple.
L’Allemagne peut donc impunément nous refuser tout ce qu’il lui plaît de ne pas nous accorder.
En France, quelques organes de la presse se prononcent pour l’incorporation de la Belgique dans le cercle des douanes françaises, ils voient pour la Belgique un intérêt commercial et pour la France un intérêt dynastique.
D’autres vont plus loin : « La réunion douanière de l’Allemagne, disent-ils, a doublé la puissance prussienne, la réunion douanière de la Belgique doublera la puissance française. Ce sera le renversement pacifique des traités de 1815, la réforme complète du droit public européen. »
Ces raisons sont fort bonnes au point de vue français, mais ce n’est pas la France qui commande en Europe ; de ce que le roi de Prusse n’a pas eu besoin de la permission de la France pour englober l’Allemagne, il ne s’ensuit pas le moins du monde que la France puisse se passer de la permission du roi de Prusse pour englober la Belgique, et cette permission lui sera refusée, si elle s’avise de la demander, pour plus d’une raison.
Il est très probable que la Belgique ne sera jamais appelée à donner son opinion sur ce point important.
S’il nous est interdit de concourir sur les marchés étrangers, conservons au moins le marché intérieur. Ne soyons pas dupes de ceux qui ne veulent nous faire aucune concession.
Tout le monde est d’accord que les lois existantes sur la répression de la fraude sont insuffisantes, et qu’il faut suppléer à cette insuffisance par une loi nouvelle ; seulement on n’est pas d’accord sur les moyens.
Les uns veulent un double rayon, la recherche à l’intérieur, voire même l’estampille.
Les autres veulent que les marchandises soumises au payement de certains droits ne puissent circuler à l’intérieur qu’accompagnées des documents justifiant que les droits ont été acquittés.
L’industrie proprement dite veut les mesures extrêmes.
Le haut commerce et le commerce de commission ne veulent d’aucune mesure nouvelle, quelque modérée qu’elle soit.
Voilà comment l’honorable M. Desmaisières se trouve en opposition avec son collègue, l’honorable M. Smits. C’est Gand contre Anvers, comme autrefois c’étaient les provinces méridionales contre les provinces septentrionales.
Quand je dis que M. Desmaisières se trouve en opposition avec son collègue M. Smits, je pourrais bien me tromper, car je n’ai sous les yeux que l’opinion de M. Desmaisières d’autrefois.
Gand se trouvait naguère chaudement défendu par l’honorable M. Desmaisières, qui lui inspirait d’autant plus de confiance, qu’il était alors ministre des finances, et qu’il était à même de réaliser les promesses qu’il avait faites à ses commettants.
Aujourd’hui, des intérêts aussi importants n’ont été soutenus que par les honorables M. Delehaye et Manilius, il est vrai très chaleureusement, et avec l’accent d’une profonde conviction.
Le haut commerce se trouve puissamment appuyé par un honorable député d’Anvers qui fait en ce moment partie du cabinet et qui remplace aux finances M. Desmaisières.
L’honorable M. Smits ne veut pas de l’estampille ; il ne veut pas de la recherche à l’intérieur, il ne veut pas du double rayon dont voulait en 1839 son collègue, M. Desmaisières, il ne veut pas même de la mesure proposée par MM. Lys, Demonceau et David. Que veut-il donc ? Rien d’après moi.
Et pourquoi donc un ministre ne veut-il pas consentir avec nous à la répression de la fraude d’une manière efficace ?
il ne veut pas l’estampille, soit ; il ne veut pas la recherche à l’intérieur, soit encore ; nous ne nous mettrons pas en désaccord avec lui sur ce point ; comme lui, nous admettrons les principes de liberté, qui ont été consacrés en 1830, et nous partagerons encore, à cet égard, l’avis de l’honorable M. Dumortier, qui ne veut, pas faire revivre un régime condamné depuis longtemps. Ainsi, pas d’estampilles, pas de recherches à l’intérieur ; mais pourquoi M. le ministre ne veut-il pas de l’amendement des honorables MM. Lys, Demonceau et David, et à défaut de cet amendement, pourquoi ne veut-il pas du double rayon proposé en 1839 par son collègue, l’honorable M. Desmaisières ? En repoussant ces dernières mesures, il prouve qu’il ne veut rien, si ce n’est le statu quo.
L’honorable M. Smits ne veut pas du double rayon ; cependant son collègue, M. Desmaisières, le considérait comme indispensable en 1839, et je regrette que cet honorable membre ne soit pas ici pour défendre son ouvrage ; il développerait, sans doute, avec beaucoup plus de force que je ne pourrais le faire moi-même ; le système qu’il a préconisé lorsqu’il était ministre des finances, et qui lui a valu tant d’éloges de la part des Flandres, et surtout de la part de ses commettants. Je regrette encore une fois qu’il ne soit pas à son banc, convaincu que je suis, qu’il est retenu ailleurs pour une cause indépendante de sa volonté.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il est au sénat.
M. Verhaegen. - Cette absence me contrarie, car je n’aurais pas été fâché de voir quelle position aurait prise l’honorable M. Desmaisières dans une question à laquelle les intérêts de Gand sont si étroitement liés, cet honorable membre a trouvé qu’un double rayon était nécessaire ; je tiens ici le projet de loi qu’il a présenté, et l’exposé des motifs dont il était accompagne.
Voici comment l’art. 14 de ce projet est conçu :
« Indépendamment du rayon établi par la loi du 7 juin 1832, il est créé un rayon d’un 1/2 myriamètre de profondeur à partir des limites intérieures du premier, etc. »
L’exposé des motifs portait :
« La fraude des tissus de coton, de laine, de soie et de lin, est une des plus onéreuses à l’industrie du pays, il est urgent pour y mettre obstacle, d’augmenter la profondeur de la ligne des douanes....
« Un nouveau tracé du rayon a été reconnu indispensable dans bien des localités, l’expérience ayant démontré l’imperfection du premier. »
Eh bien, messieurs, quand un ministre des finances parle de cette manière ; quand un membre du cabinet, qui doit avoir étudié la question, qui doit s’être entouré de tous les renseignements que l’importance de la question exigeait, vient dire qu’un deuxième rayon est indispensable. Je crois que nous pouvons nous en rapporter à son opinion. Je le répète, j’aime à croire que, s’il était présent, il viendrait soutenir son œuvre.
Toutefois, messieurs, quelques-uns de mes honorables collègues paraissent former des doutes sur l’opinion actuelle de l’honorable M. Desmaisières, aujourd’hui ministre des travaux publics.
M. Lys. - M. le ministre des finances a dit qu’il était d’accord avec lui.
M. Verhaegen. - L’honorable M. Lys me fait observer que l’honorable M. Smits a déclaré qu’il était d’accord avec son collègue, M. Desmaisières.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il n’a pas proposé l’estampille.
M. Verhaegen. - Je n’ai pas parlé de l’estampille.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je répondrai.
M. Verhaegen. - On dit que l’on répondra ; cela prouve qu’on est plus ou moins embarrassé. Quant à moi, puisque l’honorable M. Desmaisières n’est pas présent pour soutenir son œuvre de 1839, et qu’il n’a donné à aucun de ses collègues mandat de le soutenir en son nom, je suis maintenant porté à croire qu’il abandonne son opinion d’autrefois, pour adopter celle toute nouvelle de son collègue, M. le ministre des finances.
Ainsi, M. le ministre des finances d’aujourd’hui ne veut pas d’un double rayon, alors que le ministre des finances de 1839 disait qu’un double rayon était indispensable. Je ne parle plus de l’estampille, ni des visites à l’intérieur ; moi aussi je n’en veux point mais je dis qu’il faut quelque chose de plus que ce qui existe aujourd’hui, et je pense que l’honorable M. Dumortier, qui a condamné l’estampille et la recherche à l’intérieur, admettra avec nous qu’il faut prendre des mesures énergiques pour réprimer la fraude ; or, l’honorable M. Demonceau nous a prouvé tout à l’heure que les mesures qui sont proposées par M. le ministre des finances, l’honorable M. Smits, sont complètement illusoires.
L’honorable M. de Mérode sera encore d’accord avec nous, car lui ne veut pas se borner à frapper la blouse ; il veut surtout atteindre ceux qui profitent de la fraude, et je partage entièrement son opinion à cet égard.
En un mot, messieurs, il faut des mesures efficaces ; celles qui existent ne le sont pas ; il s’agit donc d’avoir autre chose que ce que nous avons : or, M. le ministre des finances ne veut pas des mesures nouvelles ; donc il ne veut rien.
On trouve des inconvénients, et avec raison, dans la visite à l’intérieur et dans l’estampille ; mais qu’objecte-t-on contre le double rayon, contre l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David ? On se rabat sur des lieux communs ; l’on dit que les localités qui tomberaient dans le double rayon se plaindraient, et que certains industriels et commerçants feraient de l’opposition, si des documents devaient accompagner la marchandise qui voyage à l’intérieur ; mais, messieurs, s’il suffisait d’une plainte ou d’une opposition pour vous vous arrêter, vous ne feriez jamais rien.
M. Peeters. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Il y aura toujours des réclamations ; toute mesure quelconque tendant à réprimer la fraude froissera les intérêts de l’un ou de l’autre ; mais il faut que les intérêts particuliers fléchissent devant l’intérêt général. Et quant à cette gêne prétendue pour le commerce, je dirai que c’est le commerce honnête, que c’est l’industrie proprement dite qui demande cette gêne, si gêne il y a.
Messieurs, il me semble que la chambre doit nécessairement se prononcer ou pour le double rayon, ou pour l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David. Si vous adoptiez le double rayon, je serais assez disposé à m’en contenter, mais si vous ne voulez pas du double rayon, vous devez adopter l’amendement.
Messieurs, la gêne qui peut résulter de quelques-unes de ces mesures ne doit pas vous faire reculer. On vous l’a dit : il y a des mesures bien plus gênantes en Angleterre, en France et en Prusse.
Mais que répondait, et ici je dois témoigner mon étonnement, que répondait hier l’honorable M. Smits à un honorable collègue ? En Prusse, disait-il, il existe un gouvernement absolu ; là, toutes les instructions de l’autorité sont sévèrement observées.
Mais, messieurs, c’est bien là faire la critique du gouvernement représentatif. Quoi ! la loi n’aura pas autant de force que la volonté d’un seul homme. M. le ministre y a-t-il bien songé en faisant l’éloge du gouvernement absolu aux dépens du gouvernement représentatif ?
Je n’en dirai pas davantage. Si M. le ministre n’a pas d’autres arguments pour combattre notre système, la chambre pourra en apprécier tout le fondement.
Messieurs, une bonne loi répressive de la fraude est indispensable, il faut bien que nous puissions nous assurer notre marché intérieur, puisque nous sommes exclus de presque tous les marchés étrangers, trop longtemps nous avons été les dupes de nos voisins, ayons le courage de mettre un terme à cet état de choses.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je ne suivrai pas l’honorable préopinant sur le terrain diplomatique qu’il a commencé à parcourir ; je ferai seulement, en passant, une simple remarque, c’est que l’honorable membre s’est trompé lorsqu’il a dit que la Belgique n’était pas représentée à Paris au moment où il s’est agi de l’ordonnance sur l’industrie linière ; la Belgique a toujours été représentée en France, et à l’époque dont a parlé l’honorable membre, c’était l’honorable M. Firmin Rogier qui y remplissait les fonctions de chargé d’affaires et qui suivait la négociation. Ce fonctionnaire avait sans doute toute la capacité nécessaire pour conduire cette négociation.
Je ne dirai rien non plus de l’attaque, en quelque sorte personnelle, que m’a faite l’honorable M. Verhaegen ; je me bornerai à faire remarquer qu’il ne s’agit ici, ni de système de liberté illimitée de commerce, ni de système prohibitif ; il ne s’agit pas d’une lutte en Gand et Anvers, il ne s’agit ni de haut commerce, ni de commerce de commission ; il s’agit d’assurer à l’industrie nationale la protection à laquelle elle a droit. L’honorable membre prétend que nous ne voulons pas de mesures répressives de la fraude ; mais, messieurs, s’il en était ainsi, viendrions-nous soutenir un projet qui tend précisément à prévenir et à déraciner tous les abus qui existent encore aujourd’hui.
Messieurs, nous avons combattu les amendements des honorables MM. Lys, Demonceau et Delehaye, parce que nous pensons que ces amendements ne peuvent pas être exécutés convenablement dans le pays. La preuve en est, c’est que les honorables MM. Lys et Demonceau sont obligés eux-mêmes de laisser à l’arbitraire du gouvernement les mesures d’exécution à prendre ; mais si ces honorables membres avaient connu des dispositions pratiques pour l’exécution des mesures qu’ils proposent, évidemment ils auraient été les premiers à les indiquer, mais c’est parce qu’il n’en existe pas (je puis l’affirmer), que ces messieurs ont cru devoir s’en rapporter, à cet égard, au gouvernement. Or, c’est là une très grande responsabilité que nous ne pouvons pas facilement assumer.
Nous, nous combattions les mesures relatives à l’estampille, et l’honorable M. Desmaisières ne les avait pas proposées non plus. Nous combattons la recherche à l’intérieur, parce que la recherche à l’intérieur est une espèce d’inquisition, qui doit s’étendre, non pas seulement aux magasins, mais à toutes les demeures particulières, et voilà pourquoi, dans ce pays de liberté, qui diffère essentiellement en cela de la Prusse, nous devons combattre ces mesures, en attendant que l’expérience en soit venue démontrer la nécessité. Ces mesures doivent se rattacher à la révision de la loi générale, elles ne peuvent pas s’improviser. Quand il s’agira de réviser cette loi sur les douanes et sur les accises, alors seulement on pourra examiner si ces mesures sont réellement nécessaires. Quant à présent, nous voulons, nous qu’on a représentés comme les partisans de la liberté commerciale, nous voulons renforcer les mesures répressives contre la fraude. La loi générale de 1822 est très sévère ; eh bien, nous augmentons cette sévérité, parce que nous voulons que l’industrie nationale soit suffisamment protégée.
L’honorable M. Verhaegen nous a demandé pourquoi nous nous sommes opposé à l’extension du double rayon de douane. C’est, messieurs, parce que nous avons cru trouver dans d’autres dispositions le moyen efficace d’éviter l’extension de ce rayon, et parce qu’en évitant l’extension du double rayon, nous évitons aussi une masse de réclamations qui ne tarderaient pas à surgir de la part de toutes les localités qui tomberaient dans le rayon nouveau.
Messieurs, on parle sans cesse d’économies ; mais je prie la chambre de remarquer que si le rayon de douane devait être étendu ou doublé, il en résulterait une augmentation considérable de personnel, et par conséquent une augmentation notable de dépense. Un personnel semblable à celui qui se trouve maintenant sur la ligne extérieure, devrait être formé pour second rayon, et ce dernier personnel devrait être d’autant plus considérable pour le second, que celui-ci embrasserait le pays tout entier. Il formerait presque un cercle parfait, tandis qu’à présent la ligne extérieure ne présente qu’un segment de cercle.
D’ailleurs, messieurs, lorsque l’honorable M. Desmaisières a proposé, dans le projet aujourd’hui en discussion, l’extension du rayons, c’était en suite de l’avis qui avait été émis par la commission spéciale que l’honorable M. Desmaisières avait nommée, et l’honorable M. Mercier, qui faisait partie de cette commission, vous a déclaré tout à l’heure que la commission n’attachait pas une grande importance à la conservation de ce rayon ; si donc la commission avait connu les moyens indiqués aujourd’hui en remplacement du double rayon, j’ai tout lieu de croire que l’honorable M. Desmaisières ne vous aurait pas propose ce dernier moyen. On nous reproche de ne pas vouloir ni de l’amendement de l’honorable M. Delehaye ni de celui de MM. Lys et Demonceau.
Mais pourquoi repoussons-nous ces amendements ? C’est parce que nous croyons que ces amendements dépasseraient le but que l’on veut atteindre. En effet, parcourons ces amendements, et faisons-en ressortir tous les inconvénients auxquels l’application de ces dispositions donnerait lieu. Je prends d’abord l’art. 15 proposé par l’honorable M. Delehaye :
« Art. 15. Tous ceux qui font le commerce de ces objets (objets tissés de coton ou de lin, ainsi que les tissus de soie), seront tenus, même dans l’intérieur, de justifier de les posséder légalement, sous le rapport des droits d’entrée, dès qu’ils en seront requis par les fonctionnaires de l’administration des contributions. »
Ainsi, tout marchand de tissus devra justifier, non seulement qu’il est légalement propriétaire des objets tissés qu’il a chez lui, mais encore qu’il a acquitté les droits.
Or, poser une disposition pareille et ne pas y ajouter de sanction, c’est ne rien faire du tout. Il faut donc nécessairement, pour que la disposition ait une valeur, y joindre le recensement chez tous les détenteurs de marchandises sujettes au droit.
Ainsi, cette disposition entraînera l’obligation de faire un recensement général dans tout le royaume, non seulement chez les marchands patentés, mais chez les particuliers, car si vous ne faites le recensement que chez les marchands patentés, ceux-ci, quand ils ne pourront pas faire la justification exigée, déposeront les marchandises chez des voisins, et alors la disposition devient illusoire.
Passons à l’art. 16. D’après cet article, les particuliers devront également justifier de la légalité des dépôts ; mais pour qu’on puisse justifier de la légalité des dépôts, il faut qu’on assujettisse les particuliers à un compte-rendu. Chaque pièce devra être couverte par une quittance de paiement de droits, et je demande comment on fera pour les marchandises d’origine nationale qui n’ont pas été assujetties au tarif ? Poser cette question, c’est la résoudre, c’est démontrer que la disposition est impraticable.
Examinons maintenant l’art. 17, qui assujettit tous les marchands à couvrir tous les transports à l’intérieur par un document de douane.
Eh bien, supposons qu’un négociant de l’ultérieur, un marchand en gros de Bruxelles, ait acheté une certaine quantité de tissus de coton ; supposons que ce marchand a une commande pour Malines, Vilvorde ou Wavre. Il ne pourra pas transporter sa marchandise avant qu’elle ne soit couverte par un document. Il ira donc chez le receveur ; mais que fera celui-ci ? Il lui demandera la preuve que la marchandise qu’il veut transporter à Malines, Vilvorde ou Wavre, a acquitté les droits de douane. Or, il y a impossibilité absolue de s’en assurer. Car le marchand peut avoir acquitté les droits sur une quantité très forte de marchandises, sur 400 pièces, par exemple, et n’aura à en envoyer que 10 à Vilvorde. Il prétendra nécessairement que les 10 pièces qu’il expédie faisaient partie de ces cent pièces qui ont payé le droit ; mais qu’est-ce qui le prouvera aux yeux du receveur ? Rien. D’un autre côté, le marchand en gros, pour échapper à l’acquit des droits, dira que les pièces qu’il expédie ont été achetées dans le pays, qu’elles viennent d’un fabricant de Gand. Le marchand exhibera une facture de cent pièces. Quelle sera encore la preuve que les 10 pièces qu’on envoie à Vilvorde, Malines ou Wavre font partie des 100 pièces dont la facture sera présentée ? Quelle sera, je le répète, la position du receveur de la douane ? Vous le voyez, messieurs, cette position offre des difficultés inextricables, elle prouve qu’il n’y a pas moyen d’exécuter la disposition qu’on vous propose. Maintenant, je suppose qu’on exige que sur la bande des pièces se trouve la firme de la maison du pays ; mais encore une fois sera-ce là une preuve ? Non, messieurs, car ne voyons-nous pas tous les jours des tissus, confectionnés en Belgique, porter des firmes étrangères.
Messieurs, depuis 30 ans la Belgique n’a jamais été assujettie à ce régime qu’on propose aujourd’hui. La circulation à l’intérieur a toujours été libre ; et si l’on voulait, en ce moment, exiger que tous les transports de marchandises d’un endroit à un autre, en dehors du rayon, fussent accompagnés de documents de douane, vous jetteriez, je ne crains pas de le dire, le commerce dans une véritable perturbation.
L’honorable M. Demonceau nous a dit tantôt que ce qu’il voulait surtout, c’était d’atteindre ceux qui engagent à la fraude ; que ce n’était pas les malheureux qui effectuaient l’importation clandestines qu’il fallait atteindre, mais ceux qui les employaient. La loi générale, messieurs, a prévu ce cas, et l’art 107 punit d’une manière très sévère les assureurs de fraude, mais il faut que la complicité ait été constatée devant les tribunaux. Dès lors il n’est pas nécessaire d’insérer une nouvelle disposition à cet égard, la loi étant assez sévère, assez explicite.
Je reviens, messieurs, aux propositions de M. Delehaye. D’après l’art. 18 de ses amendements, les visites domiciliaires qui pourraient être ordonnées chez les particuliers ne peuvent avoir lieu qu’en présence d’un juge de paix, etc. ; soit. Mais comme le nombre des juges de paix est très restreint et que les magasins et les habitations particulières sont très considérables, je demanderai comment les visites domiciliaires et les recouvrements préalables, sans lesquels les visites seraient illusoires, pourront jamais se faire ? Je n’en sais rien, mais je ne crains pas de dire que 10 ans ne suffiraient pas.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, de quelque côté qu’on envisage les amendements de M. Delehaye, partout ils échappent à la possibilité pratique d’exécution.
Les observations que je viens de présenter s’appliquent, à différents degrés, à l’amendement de MM. Demonceau, Lys et David. Les mêmes inconvénients pratiques s’y rencontrent. Si nous avions pensé qu’il fût possible de l’admettre et qu’il fût de nature à protéger l’industrie nationale, nous n’eussions pas hésité à l’accepter. Mais, je le répète, c’est parce qu’il est d’une exécution impossible que nous devons le repousser.
L’honorable M. Demonceau, pour justifier son amendement, a dit tantôt qu’en France c’étaient des jurys d’équité qui jugeaient les questions de douane. Cela n’est pas tout à fait exact. Ce sont les tribunaux ordinaires qui les jugent comme ici. Il y a eu, il est vrai, des jurys d’équité, lorsque la loi sur la recherche à l’intérieur était appliquée. Mais cette loi n’était que le corollaire d’une autre loi, de la loi des prohibitions. En prohibant tous les tissus de laine et de coton, on arrivait nécessairement au système des visites et des recherches à l’intérieur. Mais aujourd’hui ces lois sont tombées en désuétude. Autrefois, en effet, on pouvait exercer le droit de recherche avec quelque succès ; il y avait une grande différence entre les produits étrangers ; la France n’avait pas atteint la perfection des Anglais ; il y avait même une différence très grande entre ses produits et les produits belges ou allemands ; on pouvait dès lors exercer avec efficacité les recherches à l’intérieur, et c’est alors qu’on avait institué les jurys d’équité, parce que seuls ils pouvaient juger l’origine des tissus. Aujourd’hui que l’industrie française a atteint la perfection des autres pays, ce jury est devenu sans objet et n’exerce plus.
Je crois, messieurs, en avoir assez dit pour le moment, afin de justifier l’opinion du gouvernement à l’égard des amendements proposés.
M. Van Cutsem. - Messieurs, placé entre les trois grands centres industriels de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne, le royaume de Belgique, tel que l’a délimité le traité des 24 articles, est ouvert de toutes parts à la fraude ; il a 170 lieues de frontière ; avec une telle position, ne devons-nous pas prendre des mesures rigoureuses pour empêcher la contrebande, alors que nous savons que c’est parce que les étrangers se déchargent de leur trop plein en Belgique à l’aide de la fraude et que toutes nos industries souffrent depuis plusieurs années ? Personne ne le révoquera en doute.
Avec une position qui prête si bien à la fraude que celle de la Belgique, la loi que nous allons faire doit prescrire toutes les mesures qui peuvent prévenir la fraude, sans violer les libertés auxquelles les Belges tiennent encore plus qu’aux richesses, et je me hâte de le dire, le gouvernement et la section centrale me paraissent être restés dans des bornes telles qu’elles ne reçoivent aucune atteinte si la loi est votée comme on l’a présentée.
Parmi les mesures proposées, il en est une surtout qui produira d’après moi un immense effet, c’est l’emprisonnement préalable, l’arrestation des individus fraudant par bandes, pris en flagrant délit, alors même que leur domicile en Belgique est connu ; seulement je voudrais que tout individu qu’il fasse partie ou non d’une bande de fraudeurs, subît cet emprisonnement du moment qu’il est pris en flagrant délit de fraude ; je pense qu’une pareille mesure épouvanterait encore plus les malheureux qui se livrent à ce misérable trafic, et puisque nous voulons effrayer, ne prenons pas de demi-mesures, qu’elles soient pleines et entières, et nous atteindrons notre but.
Les individus qui servent d’agents à la fraude sont ordinairement des malheureux qui ne s’adonnent à ce triste métier que par suite du besoin dans lequel ils se trouvent, et ceux qui les font frauder sont ordinairement des gens avides, sans délicatesse et sans honneur, qui font de gros lucres au préjudice de l’Etat et de l’honnête commerce ; et cependant ils sont presque toujours à l’abri de toute poursuite ; ne devrait-on pas avoir recours à une mesure extraordinaire pour les atteindre au moins moralement, si on ne peut, parce qu’ils demeurent à l’étranger, leur infliger des peines corporelles, en faisant prononcer des condamnations contre eux, qui seraient livrées à la publicité par leur insertion dans tous les journaux de la localité ou ces condamnations seraient prononcées. Ne ferait-on pas encore bien d’insérer dans la loi que l’agent de la fraude, ce malheureux qui vole l’Etat pour un morceau de pain, obtiendrait la remise de la peine prononcée contre lui toutes les fois qu’il donnerait à la justice des renseignements sur le maître-fraudeur, qui seraient suivis d’un jugement de condamnation contre ce dernier. Prendre de pareilles mesures contre la fraude serait, à mon avis, saper le mal à sa base ; en effet, s’il y a beaucoup d’hommes qui ont la conscience élastique, il y en a beaucoup encore de cette espèce qui ne font le mal que quand il peut rester inconnu, et que du moment où leur turpitude peut venir au grand jour, deviennent plus timides et s’abstiennent souvent d’une mauvaise action. La loi que nous allons faire aura un double résultat, elle empêchera en grande partie la fraude, et elle prouvera encore au pays que le gouvernement et ses mandataires s’occupent de ses intérêts matériels : que ce gouvernement ne s’arrête pas en aussi bonne voie, qu’il fasse tout ce qu’il dépendra de lui pour faire discuter notre système commercial, afin que nous sachions à l’avenir si nous pourrons encore nous occuper d’industrie, ou si nous devons seulement être le champ de bataille où les produits de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne se rencontreront, et qu’en attendant la discussion de ce système, il paraisse des ordonnances comme en France, pour assurer de l’ouvrage à nos fabriques du pays, et qu’à l’avenir il n’habille plus ceux qui dépendent de lui de fabricats étrangers.
M. Delehaye. - Avant de répondre aux observations faites par M. le ministre des finances sur l’amendement que j’ai déposé hier, je dois un mot de réponse à l’honorable M. Dumortier, qui nous a combattu dans la même séance. Il a prétendu que l’honorable M. Manilius avait commis une grave erreur, qu’il avait évalué à un chiffre beaucoup trop élevé les tissus qu’on avait introduits en fraude en Belgique. L’honorable membre peut bien ne pas avoir été rigoureusement exact ; mais je vais soumettre à la chambre un relevé des tissus introduits en fraude en Belgique, et l’honorable député de Courtray verra combien le chiffre est considérable. Ce relevé émane du ministère ; et l’opinion que vient d’émettre M. le ministre nous est trop peu favorable pour qu’on puisse croire que ce soit pour nous fournir une arme qu’il nous a communique ce relevé.
Il résulte, messieurs, de pièces officielles que les importations frauduleuses, celles seulement venant de France et consistant uniquement en des tissus blancs, excèdent de plus du tiers la fabrication totale de la Belgique.
Un membre. - En quelle année ?
M. Delehaye. - J’ai le relevé de 1837. J’y vois que sur 76,000 kilogrammes de tissus blancs 27,900 ont été importés en fraude.
Remarquez, messieurs, que c’est un relevé qui émane du ministère qui n’est point favorable à la mesure que je propose. Je sais bien que l’on prétend que depuis lors la fraude a beaucoup diminué. Mais ce qui prouve que cela n’est pas exact, c’est que depuis cette époque, quoique les droits n’aient pas changés, la même quantité de tissus étrangers a été importée en Belgique sans que des droits supérieurs aient été versés dans les caisses du trésor.
On a fait hier une autre observation que je dois encore relever. On vous a dit : Mais cette loi que vous proclamez si nécessaires dans l’intérêt de l’industrie gantoise, ne l’est pas du tout, puisque nous tenons de bonne source que toutes les fabriques travaillent autant que jamais. Messieurs, a-t-on donc perdu de vue qu’avant 1830 il y avait 80 fabriques de tissus à Gand, et que ce nombre se trouve porté à moitié aujourd’hui. A-t-on encore perdu de vue qu’en 1830 tous les établissements d’indiennes qui existaient non seulement à Gand, mais à Bruxelles, ont disparu. Ne prétendez donc pas, lorsque des députés de Gand viennent vous signaler la détresse qui existe, que l’on travaille autant qu’on le peut ; car je vous dirai que les bilans de 1842, qui ont été faits dans toutes les fabriques le mois dernier, et vous savez que dans une ville comme Gand, ces pièces se communiquent ordinairement, il est résulté presque partout, non seulement qu’il n’y a pas eu bénéfice mais que les intérêts des capitaux engagés n’ont pas été atteints. Telle est l’opinion qui a été émise à Gand à la bourse même ; elle n’a été contestée par personne, et ce n’est pas dans cette enceinte qu’on pourrait prétendre le contraire.
Messieurs, je ne prétends pas que notre situation soit désespérée ; mais je dis que lorsque dans les Flandres on voit un nombre considérable d’ouvriers sans travail, on peut dire, sans être démenti, qu’il y a réellement détresse.
On a prétendu, dans la séance d’aujourd’hui, que l’espoir de ceux qui désiraient une union douanière avec la France était illusoire. En effet, si nous continuons à agir comme nous le faisons cet espoir serait réellement illusoire. Pour moi, depuis trois ans que j’ai l’honneur de siéger dans cette enceinte, je n’ai cessé d’indiquer les mesures qu’il s’agissait de prendre pour obtenir cette union. Je vous ai dit que si vous continuiez à recevoir les produits français en les assujettissant des droits très minimes, et à laisser vos frontières ouvertes à l’importation frauduleuse des tissus, vous n’obtiendriez pas cette union. Car cette union ne sera que le résultat des avantages que la France et la Belgique pourront mutuellement obtenir. Mais si tons les avantages sont du côté de la France et tous les désavantages du côté de la Belgique, cette union vous ne l’obtiendrez jamais, votre espoir alors sera réellement illusoire. Prenons à l’égard de la France les mesures qu’elle prend envers nous ; montrons-nous aussi sévères qu’elle l’est à notre égard, et j’ai la persuasion que si vous désirez réellement l’union douanière, vous l’obtiendrez.
Messieurs, M. le ministre des finances vous a déclaré que s’il avait renoncé au double rayon, c’était parce qu’il avait trouvé, dans une nouvelle disposition du projet, assez d’efficacité pour empêcher la fraude. Quelle est, messieurs, cette disposition nouvelle ? C’est l’arrestation préventive. Mais ne voit-on pas que l’arrestation préventive n’est pas une peine bien forte pour ceux qui se livrent à la fraude ? Qui donc cette mesure peut-elle atteindre ? Ceux qui commettent immédiatement la fraude. Mais qui sont ceux qui se livrent immédiatement à la fraude ? Ce sont en grande partie des gens qui ne trouvent aucun travail, qui n’ont pas d’autres moyens d’existence, des hommes qui ne savent pas raisonner, qui ne pèsent pas d’une main la peine et de l’autre le bénéfice ; qui ne voient dans la fraude que le salaire, pour qui l’essentiel est d’obtenir le pain quotidien.
Mais votre arrestation préventive, arrêtera-t-elle les fraudeurs réels ? ira-t-elle chercher ceux qui, domiciliés en France, accordent des primes pour faire frauder en Belgique ? Messieurs, l’arrestation préventive n’atteint que celui qui est pris en flagrant délit, que le malheureux qui, n’ayant pas de travail, est obligé à faire la fraude pour vivre. Vous n’atteignez que l’instrument et vous ne sauriez atteindre celui qui l’emploie.
Messieurs, examinons les objets qui, en grande partie, entrent en fraude en Belgique. Nous avons vu dernièrement qu’on avait importé en fraude une quantité considérable de glaces. Or, si en Belgique il est possible de frauder des objets aussi encombrants et qui demandent autant de ménagements que des glaces, croyez-vous que la menace de l’arrestation préventive sera assez efficace pour empêcher la fraude ? En vérité, je crois qu’on ne veut pas atteindre le but qu’on se propose.
Messieurs, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire hier, la proposition que je vous ai soumise n’est pas neuve, elle n’est pas la mienne. C’est la reproduction de l’arrêté du roi Guillaume en vigueur dans le Luxembourg, mais dont j’ai fait disparaître certaines dispositions rigoureuses. Il y a plus, c’est qu’une disposition pareille existe en Prusse. On a dit que la Prusse avait un gouvernement absolu. Mais c’est précisément parce que cette mesure n’a pas donné lieu a des réclamations dans un gouvernement absolu, que je ne crains pas de donner le même pouvoir à un gouvernement représentatif. Comment, vous craindriez d’accorder un pouvoir qui n’a pas donné lieu à des abus dans un gouvernement absolu, ici où le moindre abus soulève une foule de réclamations.
Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale vous a dit que la disposition que je vous soumettais, il l’avait proposée dans l’art. 24. Je vous avoue que j’ai assisté à la rédaction de cet article, que je l’ai revu plusieurs fois, et que je n’y ai pas trouvé la disposition qu’on a voulu y voir. J’irai plus loin, et je dirai que cet article est un véritable piège tendu au gouvernement, si vous l’entendez comme le rapporteur. Comment, par votre article 24, vous autorisez, au dire de l’honorable M. Mercier, la recherche à l’intérieur, la recherche même chez les détaillants. Mais ne voyez-vous pas que vous allez exposer le négociant en détail à des tracasseries infinies ? En effet, comment pourra-t-il prouver que la marchandise qu’il possède n’est pas fraudée ?
Messieurs, je crois que l’honorable M. Mercier se trompe dans la signification qu’il donne à l’art. 24 ; car dans la section centrale, jamais pareille opinion n’a été émise. Si vous admettez cette signification, je dis que vous exposez les négociants à une foule de tracasseries, et je vais vous le prouver.
L’art. 24 est ainsi conçu : « Les dispositions des art. 18, 21 et 22 s’appliquent à la circulation des marchandises transportées sans document valable dans le rayon et en outre à celle de toutes marchandises à l’égard desquelles on pourra établir d’une manière quelconque qu’elles ont été soustraites à la déclaration prescrite relativement à l’importation, l’exportation, le transit, le transport, etc. »
Il suffit donc, messieurs, que les employés de la douane se rendent chez un détaillant et viennent lui dire : Voilà des objets importés en fraude de telle manière ; vous les avez importés par tels moyens. Voilà une déclaration de l’administration, et, au dire de l’honorable M. Mercier, cette déclaration suffira pour que le détaillant soit condamné à l’amende, soit condamné a un emprisonnement ; quelle sera la réponse du détaillant ? ne pouvant pas fournir une preuve négative, il sera condamné infailliblement.
Si votre proposition est telle que vous le dites, pourquoi n’accordez-vous pas au détaillant le moyen de fournir une preuve certaine que la marchandise a payé les droits ? Par ma proposition, j’exige que la marchandise soit accompagnée d’un document ; eh bien, ce document répondra aux allégations de l’administration. Mais l’honorable M. Mercier ne veut pas de ce document ; il suffira, selon lui, que l’administration allègue au détaillant qu’il a des marchandises fraudées pour qu’il soit obligé de prouver le contraire, et il ne le pourra pas.
Vous voyez donc que si l’opinion de l’honorable M. Mercier était fondée, elle devrait vous porter à adopter ma proposition, qui deviendrait même indispensable.
M. le ministre des finances, pour combattre ma proposition, a fait ressortir quelques-unes des difficultés qu’elle présente. Sans doute la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre donnera lieu à quelques difficultés de la part de l’administration. Mais remarquez que ces difficultés se sont aussi présentées dans le Luxembourg, en France, en Prusse, partout enfin où pareille disposition existe. Eh bien, a-t-il fallu que dans ces pays le juge de paix se transportât chez tous les particuliers pour s’assurer qu’ils n’avaient pas de dépôts de marchandises ? Mais pas du tout.
M. le ministre des finances a trouvé que ma proposition était plus sévère que celle de l’honorable M. Demonceau. Mais ma proposition accorde une faculté bien plus grande, puis qu’elle permet d’avoir 120 et 130 mètres d’étoffe avant qu’il n’y ait contravention. Aussi longtemps que ces quantités ne seront pas dépassées il n’y aura pas dépôt. Aussi longtemps qu’on ne transportera que 80 mètres de tissu, il n’y aura pas encore besoin de déclaration. Vous voyez donc que ma proposition laisse une bien plus grande latitude.
Quelle sera en définitive la manière dont sera exécutée la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ? Messieurs, on ne fera pas de visite chez les particuliers. Croyez-vous que dans le Luxembourg l’administration aille de gaieté de cœur faire des visites chez les particuliers. Nullement ; on ne fait de visite que lorsqu’il y a présomption de fraude, que lorsqu’on est certain que des objets ont été importés frauduleusement. Il n’y a pas d’exemple qu’en France on ait fait des visites qui n’aient pas été couronnées de succès.
Il n’y a point d’exemple ni en Prusse, ni en Angleterre, ni dans le Luxembourg, que pareille chose ait eu lieu ; jamais dans ces pays on n’a fait des visites domiciliaires qui n’aient amené la découverte de marchandises fraudées. La raison est fort simple, c’est qu’on ne fait de semblables visites que lorsqu’on a la certitude de trouver les objets que l’on recherche. Lorsqu’il s’agira de découvrir des marchandises fraudées, croyez-vous qu’un bourgmestre oserait se permettre de faire à tout propos des visites domiciliaires ? Mais, messieurs, il est évident qu’un fonctionnaire qui ferait opérer des visites domiciliaires sans pouvoir les justifier complètement, ne pourrait pas conserver sa place, en présence des réclamations violentes que sa conduite soulèverait.
Vous voyez donc, messieurs, que toutes les difficultés qu’on vous oppose ne sont pas réelles. Pourquoi vous oppose-t-on ces difficultés ? Parce qu’on ne veut pas de mesures efficaces ; parce qu’on ne veut pas que la Belgique puisse reprendre le rang commercial qu’elle devrait avoir.
Pourquoi messieurs, la ville de Gand ne s’est-elle pas montrée plus favorable au double rayon de douanes ? Mais c’est parce qu’en général le commerce de Gand savait fort bien que par l’établissement d’un double rayon l’on n’arriverait pas au but qu’il s’agit d’atteindre. Pourquoi dès lors faire peser sur une partie du pays toutes les vexations auxquelles seraient soumis ceux qui se trouveraient dans le nouveau rayon ? Je crois, messieurs, qu’il est de l’intérêt de tous ceux qui sont opposés à l’extension du rayon des douanes, d’appuyer la proposition que j’ai faite ; cette proposition serait bien plus efficace, et elle n’entraînerait pas autant de vexations. En effet, les visites qui résulteraient de mon système seraient bien moins vexatoires que celles qui se pratiquent dans le rayon des douanes, lesquelles sont continuelles, et auxquelles on ne peut jamais se soustraire.
Du reste, messieurs, toutes les raisons que l’on a fait valoir contre ma proposition ne sont pas de nature à vous effrayer ; toutes ces raisons ont été invoquées dans les autres pays, et là on n’en a pas tenu compte ; on a marché en avant ; on a pris des mesures dont le commerce et l’industrie de ces pays se sont parfaitement trouvés, et qui n’ont entraîné aucune des vexations dont on nous menace, Quant au recensement dont a parle, le ministre, il serait dans l’intérêt de tout commerçant d’en présenter un qui sera fidèle, toute erreur pouvant l’exposer à une poursuite.
M. le ministre des finances (M. Smits) - L’honorable préopinant vient de m’adresser un reproche que je dois repousser. Il prétend que nous cherchons à repousser sa proposition, parce que nous ne voulons pas sérieusement la répression de la fraude. Notre conduite témoigne le contraire. Nous voulons la répression de la fraude aussi franchement que l’honorable membre, et nous le prouvons en soutenant le projet de loi soumis à vos délibérations.
L’honorable préopinant nous dit : Ne craignez rien de ma proposition ; elle est toute bénigne ; les visites domiciliaires ne se présenteront que très rarement. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir comment l’administration s’y prendra lorsqu’il s’agira de les opérer. Supposons qu’il ne faille y procéder que dans un an, dans deux ans, dans trois ans. Mais que diront alors les négociants ? Ils diront, messieurs, que leurs magasins ont été remplis par les marchandises qu’ils contiennent bien antérieurement à la promulgation de la loi, et à cela, messieurs, il n’y aura rien à dire. Pour, donc, que les visites domiciliaires soient efficaces, il faut de toute nécessité un recensement général et préalable. Sans cela la proposition n’aurait pas de sens, Cela me paraît évident comme le jour. Je me bornerai pour le moment à cette simple réflexion.
M. Savart-Martel. - Il est un point qui domine cette discussion et sur lequel tout le monde est d’accord. On vous a dit avec justice que nous étions dans une position à devoir nous assurer du marché intérieur, puisque tous nos voisins nous sont hostiles, sous le rapport de l’industrie et du commerce. Nous n’avons pas, dans le moment actuel, à rechercher les moyens qui tendraient à nous assurer le commerce intérieur, en ce sens qu’il y aurait lieu à imposer à l’entrée les marchandises étrangères. La loi qui nous est soumise est une loi générale qui sera appliquée aux tarifs faits et à faire. C’est donc sous ce rapport que j’envisage la loi en discussion. Sans doute, il ne suffit pas qu’il y ait des lois protectrices des intérêts du pays et même du fisc. Il faut, tout le monde en conviendra, des lois d’exécution, souvent même des lois d’exécution assez sévères. Ce qui rend difficile à faire une loi d’exécution en matière de douane, c’est, on le conçoit aisément, qu’il est impossible d’en faire une sans toucher un peu aux libertés publiques. Il faut que chaque citoyen abandonne une somme de liberté, eu égard à l’intérêt général. Aussi je considère toutes les lois de douane comme très imparfaites. Celle qui a duré le plus longtemps est, je crois, la loi française de 1791 ; elle a duré prés de 30 ans ; elle a suffi aux Français, qui, en matière de douane, avaient aussi quelques connaissances.
Nous, qu’avons-nous ? Une loi interminable du 26 août 1822, appelée loi générale. Cette loi, convenons-en, a du bon dans son ensemble ; mais elle est tellement longue, tellement diffuse, tellement obscure, tellement entortillée (à cet égard, on sait que les Hollandais ne nous donnaient pas des lois parfaitement rédigées, ou peut-être la rédaction était-elle infidèle), que nous pouvons dire qu’elle ne vaut rien. Il y a là l’étoffe d’une bonne loi ; mais cependant elle ne vaut rien ; elle est tellement longue qu’elle renferme plus de matière que tout le code civil. Aujourd’hui nous modifions, nous allongeons cette loi. Notez que, pour bien l’examiner, il faudra lier la loi que nous faisons avec la loi générale, et avec les lois d’accises. J’en appelle à la conscience de tous ceux qui m’entendent, y en a-t-il beaucoup qui aient lu la loi tout entière. Il est rare, quand un magistrat doit appliquer cette loi, qu’il ne soit pas quelques heures à rechercher quelle disposition est applicable. J’ai vu dans des cas semblables appliquer des pénalités différentes. Tel tribunal prononce dans un sens ; tel autre dans un autre sens. Je voudrais que cette loi fût refondue. Ne pensez pas que ce soit un ouvrage bien grand, si après qu’on aura discuté la loi qui vous est soumise, loi modificative de la loi monstre de 1822, quelques personnes de bonne volonté réunies en commission la refondaient avec la loi générale, elles pourraient nous donner un code régulier de douanes mis à la portée des citoyens ; car ce ne sont pas seulement les avocats et les magistrats qui doivent connaître la loi générale ; ce sont aussi les citoyens, les employés. Je ne sais s’il y a beaucoup d’employés, sauf les employés supérieurs qui la connaissent parfaitement. Je crois que la loi refondue comme je viens de le dire, et bien faite, rédigée avec cette précision et cette dignité qui conviennent au style des lois, serait raccourcie des deux tiers.
Sous ce rapport je ne m’oppose pas à l’adoption de la loi en discussion, dans l’espoir que la chambre aura égard au vœu que j’émets dans l’intérêt général, et plutôt dans l’intérêt des citoyens qui doivent connaître la loi, que dans l’intérêt du fisc ou de ceux qui doivent appliquer la loi.
Quant au double rayon, je ne crois pas que ce soit possible dans l’exécution. Je ne crois pas qu’il soit convenable de mettre dans une espèce d’interdit une grande partie du royaume. Je pense qu’il y aurait à cela plus d’inconvénients que de profit. Je pense que dans un pays comme le nôtre, où les frontières sont considérables, on ne peut donner au rayon de la douane une profondeur de deux lieues. Liége, Tournay et d’autres villes seraient dans le rayon. Je vous demande comment on appliquerait une telle loi, On ne l’exécuterait pas ; on ne saurait l’exécuter sévèrement qu’en donnant lieu à des inconvénients réels. Je ne pense donc pas que la chambre adopte le second rayon.
Quant aux pénalités, je suis d’accord que la fraude doit être punie sévèrement. Mais je crois que la loi commine des peines quelquefois trop fortes, quelquefois insuffisantes. Je voudrais que l’on fît une grande différence entre la contravention et la fraude proprement dite. La fraude est un délit qui doit être puni sévèrement ; mais la contravention à laquelle beaucoup de citoyens sont exposés sans mauvaise volonté, ne doit pas être envisagée comme une fraude proprement dite. Je voudrais, je le répète, que la loi fît cette distinction.
On a parlé de l’emprisonnement préventif. Je ne pense pas qu’on puisse le contester. Il doit avoir lieu en matière de fraude, comme pour les autres délits, sauf au juge à autoriser la mise en liberté provisoire, moyennant caution. La circonstance que le fraudeur est régnicole n’est pas un motif pour prononcer une peine moins sévère ; il y a même quelque chose de plus immoral dans le délit de fraude chez le régnicole que chez l’étranger.
Quant aux assureurs, il faut les atteindre ; mais je pense qu’ils sont atteints par l’art. 207 de la loi générale dont la rédaction est peut-être, il est vrai, insuffisante.
(L’orateur donne lecture de cet article.)
Voilà un article, messieurs, qui forme une demi-page, et auquel on pourrait faire dire la même chose en trois ou quatre lignes.
Il me semble, messieurs, que les pénalités dont je viens de parler devraient être appliquées à ceux qui font frauder, à ceux qui assurent, en un mot, à tous ceux qui, directement ou indirectement, se rendent complices de la fraude, et qui sont souvent plus coupables que les fraudeurs eux-mêmes. Eh bien, je crois que les tribunaux n’hésiteraient pas à appliquer la loi de cette manière si ses dispositions étaient moins embrouillées.
Quant aux visites domiciliaires, je ne pense pas, messieurs, qu’elles puissent être admises aussi légèrement qu’on semble le croire. D’abord, la constitution renferme un article qui, à la rigueur n’empêche pas, certainement, que le législateur puisse autoriser des visites domiciliaires ; mais cet article n’en est pas moins une disposition fondamentale dont il résulte qu’en général le domicile doit être sacré et qu’on ne peut y entrer sans observer certaines formes, que le législateur doit prescrire, afin de prévenir les abus.
Le personnel de la douane est fort nombreux, et parmi les employés dont il se compose il peut certes s’en trouver auxquels on ne doive accorder une confiance illimitée. Et l’on voudrait cependant qu’au milieu de nos grandes villes un simple préposé puisse venir s’introduire dans le domicile des citoyens sans offrir aucune espèce de garantie ! Mais, messieurs, ce serait là un régime intolérable, plus intolérable encore que le régime des droits réunis, dont personne, sans doute, ne voudrait le rétablissement.
Je conçois, messieurs, que les dispositions du projet de la section centrale ne soient pas suffisantes, il serait à désirer que l’on pût faire mieux, mais ce ne sont certes pas les propositions faites par quelques honorables membres qui pourront être admises.
On a parlé de l’estampille. Mais, messieurs, la plupart des marchands, et surtout des petits fabricants, divisent les pièces par demi-pièce, par quart de pièce même ; l’estampille pourra bien être apposée sur la pièce, mais elle ne se trouvera pas sur toutes les parties de la pièce ; comment voulez-vous donc trouver dans l’estampille une garantie contre la fraude ? Cela pourrait peut-être amener quelques résultats s’il ne s’agissait que du commerce en gros, et encore alors une semblable mesure serait certes loin d’avoir l’efficacité qu’on lui attribue. Tout cela est fort beau en théorie, mais quand on en vient à la pratique, c’est alors que les difficultés se présentent : si vous exécutez trop rigoureusement la loi, on criera aux vexations ; on ne cessera de faire des plaintes qui seront quelquefois fondées, mais qui souvent aussi ne le seront pas. Je conçois donc bien que le ministère ne veut pas se charger de prendre des mesures qui ne seraient pas formellement prescrites par la loi ; certes, s’il prenait des mesures comme celles que d’honorables membres voudraient lui faire prendre, ou ne manquerait pas de lui en faire un crime.
Je ne me refuserai pas, messieurs, à aborder l’examen des articles lorsque le moment en sera venu ; mais je me réserverai de soumettre à la chambre la question de savoir s’il ne faut réviser et réunir en une loi générale et définitive les différentes dispositions qui régissent notre système douanier. La loi générale des douanes doit être immuable ; les tarifs peuvent et doivent varier suivant les circonstances, mais si vous apportez à tout moment des modifications à la loi qui doit régir l’ensemble du système douanier, vous tombez dans des contradictions, vous tombez dans l’absurde, et vous mettez les tribunaux dans l’impossibilité d’appliquer la loi.
M. Cogels. - Messieurs, dans la question qui nous occupe, l’honorable M. Verhaegen a voulu mettre en présence deux intérêts, deux localités. Il a dit qu’il s’agissait ici d’une question entre le haut commerce et l’industrie, entre Anvers et Gand. Je ne pense pas que l’honorable député de Bruxelles ait eu l’intention d’envenimer une question qui doit être discutée avec calme et impartialité. S’il s’était donné la peine de réfléchir un peu avant de prononcer ces mots, s’il s’était donné la peine de s’informer de ce que c’est que le haut commerce, le commerce d’Anvers, il aurait su que le haut commerce et Anvers sont complètement désintéressés dans la question qui nous occupe, ou pour mieux dire que si quelqu’un a intérêt à ce que la fraude soit réprimée, à ce que l’industrie nationale et le travail national soient protégés, c’est surtout le haut commerce, le commerce d’Anvers.
En effet, messieurs, que gagne le commerce d’Anvers à la fraude ? Rien, absolument rien ; ce n’est pas à Anvers que se fait la fraude, c’est généralement par la frontière de terre. Ce n’est pas à Anvers que se trouvent les maisons qui font la fraude, c’est à Tournay, à Mons, à Menin, à Courtrai, c’est surtout dans les villes situées vers la frontière française.
Que fait le commerce d’Anvers ? Il fournit à l’industrie nationale les matières premières dont elle a besoin ; il exporte ensuite les produits nationaux vers les pays étrangers, vers les pays lointains. Par conséquent, moins il y a de fraude et plus il y a d’activité dans l’industrie du pays, plus il y a aussi de bénéfices pour le commerce d’Anvers.
J’ai fait partie, messieurs, de la section centrale qui a examiné le projet de loi dont nous nous occupons ; cette section centrale a nommé dans son sein une commission de trois membres qu’elle a chargée de l’examen des volumineux dossiers fournis par le gouvernement. J’ai été désigné pour faire partie de cette sous-commission, et ce sont précisément les dossiers relatifs à la recherche à l’intérieur, à l’estampille et au double rayon qui me sont tombés en partage, et dont j’ai été chargé de faire l’analyse.
Les commissions qui avaient été chargées de délibérer sur ces objets se composaient de plusieurs membres de l’administration, de plusieurs négociants et industriels, le commerce d’Anvers n’y était pas du tout représenté, parce qu’il n’y avait que faire. Ces commissions comptaient surtout parmi leurs membres des industriels de Gand, de Bruxelles et d’autres localités. La question de l’estampille a donné lieu à de longues délibérations, tout aussi bien que celles de la recherche à l’intérieur, et ces mesures ont été repoussées à l’unanimité des membres présents, moins un.
Voilà comment les choses se sont passées. Ainsi, s’il y a eu de l’opposition contre l’estampille et la recherche à l’intérieur, ce n’est ni du haut commerce, ni de la place d’Anvers que cette opposition est partie.
Dans les amendements proposés, l’estampille se trouve supprimée ; mais on y reproduit la recherche à l’intérieur ; seulement on s’est dispensé de la définir, de tracer les limites dans lesquelles elle devrait se renfermer ; et pour rendre la chose plus facile, on a abandonné cela à l’arbitraire du gouvernement. C’est un gage de grande confiance qu’on veut lui accorder. Quant à moi, j’avoue que ma confiance dans le gouvernement, toute grande qu’elle puisse être, n’ira pas jusque là ; je ne veux pas rendre le gouvernement, le fisc le maître absolu de venir chez moi faire des visites quand bon lui semblera.
M. le ministre des finances a déjà suffisamment prouvé tout ce qu’il y a de difficile dans l’exécution de l’amendement de M. Delehaye et de celui de MM. Lys et collègues. Quant à ce dernier amendement, auquel M. le ministre s’est moins attaché qu’au premier, il suffit de le lire pour voir qu’il serait impossible de transporter l’étoffe nécessaire pour la confection d’une robe, sans s’exposer à être saisi.
Dans la discussion qui nous occupe, l’on s’est quelquefois écarté du véritable terrain où elle doit être placée, c’est-à-dire qu’on a perdu de vue la répression de la fraude, l’application de la loi. C’est ce que l’honorable M. Savart vous a fort bien déduit. On s’est occupé des moyens de nous assurer le marché intérieur. Je ne veux pas m’étendre sur cette question, qu’il n’est pas à l’ordre du jour ; mais je ne puis pas me dispenser de dire quelques mots de ce qui s’est passé dans un pays voisin, pays qu’on nous a cité, et pour les sévérités des lois de douane, et pour la facilité que sa conformation topographique lui donne pour la répression de la fraude. Je veux parler de l’Angleterre.
Eh bien ! messieurs, croyez-vous qu’en Angleterre, malgré ses côtes si bien défendues, la fraude se pratique, et même à des primes assez modiques. Lorsque sir Robert Peel a proposé, en mars 1842, la loi générale du tarif, il a abaissé les droits sur plusieurs articles ; il a, entre autres, fixé un maximum pour tous les produits de fabrication étrangère, et il a dit que dorénavant les droits ne dépasseraient pas 20 p. c. Et pourquoi ? parce que la fraude se pratiquait en Angleterre sur plusieurs articles, par exemple, les gants et quelques soieries, à une prime de 8 à 12 p. c. Il a déclaré alors qu’il valait beaucoup mieux montrer tout d’un coup aux industriels quelle était la véritable concurrence contre laquelle ils avaient à lutter, que de les flatter de l’idée d’une protection qu’il était impossible de leur accorder dans le fait. Eh bien ! si ces doctrines s’appliquent à l’Angleterre, à plus forte raison s’appliquent-elles à la Belgique dont le marché intérieur est beaucoup moins étendu, beaucoup moins important que celui de l’Angleterre, qui a de plus le marché privilégié aux colonies. Comment pourrions-nous garantir notre industrie contre les ventes forcées que les fabricants anglais et quelquefois les fabricants français viennent, dans des moments de crise, effectuer chez nous, en débitant leurs marchandises à 50 p. c. de perte sur les prix de fabrication ? C’est là un mal que toutes les lois de douanes sont impuissantes à prévenir et que notre position nous force de subir.
Et, néanmoins, je serai le premier à contribuer de toutes mes forces à ce que les lois de douanes qui nous régissent soient religieusement observées ; je veux seulement faire comprendre à la chambre qu’il ne faut pas tomber dans des exagérations, et que, dans un pays comme le nôtre, sans limites naturelles, entoure de pays qui tous ont une production au delà de leurs besoins, on ne doit pas se flatter de pouvoir établir des droits qui puissent procurer à notre industrie toute la protection que quelques honorables membres voudraient lui voir accorder.
M. Peeters. - Messieurs, j’aurais pu m’abstenir de prendre la parole dans cette discussion, après avoir entendu l’honorable rapporteur de la section centrale qui certes est compétent dans cette matière, et qui vous a très bien expliqué que la section centrale, tout en rejetant l’estampille et le second rayon de douane, voulait cependant sincèrement la répression de la fraude, et vous a proposé plusieurs dispositions dont nous attendons de très grands résultats.
Messieurs, pour détruire la fraude autant que possible, il faut frapper les véritables coupables, c’est-à-dire les fraudeurs ; il faut arrêter les fraudeurs en flagrant délit, et les mettre en prison, c’est ce que propose le gouvernement, en renforçant la disposition du projet de M. le ministre.
Messieurs, il faut donner une grande prime d’encouragement aux douaniers, à ceux qui arrêtent les fraudeurs en flagrant délit ; par là, vous stimulerez beaucoup leur zèle ; ils courront sur les fraudeurs qui, sachant qu’ils peuvent être arrêtés et mis en prison, jetteront incontinent leur charge, et les saisies seront beaucoup plus considérables. Il faudrait encore donner une grande part dans les saisies aux douaniers, surtout aux douaniers saisissants, et faire une part moins large aux employés supérieurs qui souvent ne sont pas sur les lieux.
Messieurs, il faudrait encore, à mon avis, augmenter le nombre des brigades ambulantes qui ont efficacement servi à la répression de la fraude.
Messieurs, l’honorable M. Verhaegen est venu vous dire : Vous ne voulez pas de l’estampille : très bien ; vous ne voulez pas de la recherche à l’intérieur : encore fort bien ; je n’en veux pas non plus ; mais pourquoi, a ajouté l’honorable membre, ne voulez-vous pas d’un second rayon de douane ? L’honorable membre en fait même un grief au ministère ; ce qui, messieurs, en d’autres termes, veut dire : Vous pouvez vexer et tourmenter autant que vous voulez les habitants des frontières ; vous pouvez molester et inquiéter les bons et simples habitants de la Campine qui ont montré tant de dévouement à la révolution, et dont toutes les communes ont obtenu un drapeau d’honneur. Peu m’importe, dit l’honorable M. Verhaegen ; vexez-les, pourvu que Watermael-Boitsfort ne se trouve pas dans le rayon. (On rit.)
L’honorable membre veut la répression de la fraude ; il repousse l’estampille et la recherche à l’intérieur ; L’honorable M. Delehaye lui a répondu que la ville de Gand, à laquelle l’honorable M. Verhaegen paraît fort intéressé, préfère l’estampille. Quant à moi, je préférerais l’estampille ; alors au moins il n’y aurait plus de privilège pour personne : Bruxelles et Watermael-Boitsfort ne seraient pas exclus de la mesure. Le moyen serait plus efficace que l’établissement du second rayon, ainsi que l’a très bien expliqué l’honorable M. Delehaye.
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, je ne puis m’empêcher de renouveler l’observation que plusieurs orateurs, dans leurs discours, font abstraction complète des dispositions qui sont comprises dans la projet de loi. Il semble que rien ne soit proposé pour réprimer la fraude ; et si l’on fait mention de l’une des dispositions du projet, c’est pour l’atténuer et en méconnaître la portée.
Ainsi, quant à l’arrestation préventive des fraudeurs, l’honorable M. Delehaye prétend que le malheureux qui se livre à la fraude ne craint pas l’emprisonnement. C’est là une erreur. L’emprisonnement est au contraire la seule pénalité qu’ils puissent redouter, la seule pénalité qui les atteigne.
Et ici je m’appuie sur le témoignage de tous les fonctionnaires qui ont acquis quelque expérience. Lorsque je me trouvais à la tête du département des finances, le conseil d’administration m’a adressé un rapport dans lequel il insistait avec force sur tous les avantages qui devaient résulter de l’arrestation préventive des fraudeurs régnicoles pour la répression de la fraude, et sur la nécessité de modifier sur ce point le projet de loi présenté antérieurement, qui n’autorisait cette mesure qu’à l’égard des fraudeurs n’ayant pas de domicile connu ; si les hommes spéciaux, éclairés par l’expérience, attachent une grande importance à cette mesure, il faut bien admettre qu’elle doit être efficace. D’ailleurs, les résultats d’une disposition prise par le gouvernement, à l’effet d’augmenter les primes accordées pour l’arrestation des fraudeurs, ont prouvé l’efficacité de cette mesure, et ses effets seront plus étendus encore lorsque les fraudeurs régnicoles pourront également être arrêtés d’une manière préventive.
Messieurs, l’honorable député de Grand, en parlant de l’art. 24 du projet de la section centrale et du gouvernement, a supposé que la preuve de la fraude n’incomberait pas à l’administration, et en cela il a fait une critique mal fondée du projet. La disposition est assez explicite pour ne laisser aucune équivoque. Il est évident que ce sera à l’administration de prouver à suffisance de droit l’existence de la fraude et que ce ne sera pas à celui à qui on impute le délit de fraude de prouver qu’il n’en a pas commis.
Il n’y a aucune différence, je l’ai déjà dit, entre l’art. 24 du projet de la section centrale et le projet de l’honorable M. Lys et ses honorables collègues ; dans ce cas, comme dans l’autre, l’administration doit prouver l’existence de la fraude. Là est toute la difficulté, et cette difficulté est la même dans deux cas.
Mais, messieurs, je dois signaler une divergence d’opinion entre les auteurs de la proposition dont il s’agit.
L’honorable M. Lys, en la développant hier, (c’est à ces développements que j’ai répondu), a exprimé formellement l’opinion que la preuve de la fraude incomberait à l’administration.
Voici ce qu’il disait :
« La preuve que les marchandises transportées sont des fabricats étrangers pourra se faire par tous les moyens que la loi a mis à la disposition des juges ; l’origine étrangère des marchandises sera constatée, soit par des témoins, soit par des experts, qui apprécieront la nature et l’espèce de l’étoffe. Le juge chargé de l’application de la loi, appréciera les preuves qui seront produites, il pèsera ces preuves, et il décidera si elles peuvent suffire pour démontrer l’extranéité des marchandises ; c’est là le sort commun de tous les procès ; le juge est appelé à apprécier la preuve des faits qui servent de base aux réclamations pour lesquelles on demande la sanction de l’autorité publique, et très souvent les difficultés que présentent les discussions sont bien plus grandes que celles que pourra présenter l’application du principe dont je demande l’adoption. »
Je suppose même que l’honorable membre ait parlé aussi de la possibilité de faire prouver, par celui à qui l’on impute le délit, que ce délit n’existe pas ; je crois que c’est là une innovation, un renversement de tous principes que la chambre n’admettra jamais ; je ne pense pas que le premier venu, à qui on voudra imputer un délit de fraude, puisse être tenu de prouver qu’il n’a pas fraudé. Cela n’existe dans aucune législation ; ce serait exorbitant. La chambre ne consentira jamais à insérer un pareil principe dans une loi, et encore, moins à autoriser le gouvernement à prendre de telles mesures par un simple arrêté réglementaire ; une pareille proposition ne peut pas être considérée comme tout à fait sérieuse.
Quant à la complicité, des honorables membres ont pensé que la section centrale ne voulait pas comprendre parmi les complices les assureurs de la fraude : c’est une erreur ; la section centrale par l’art. 27 de son projet, a eu également en vue d’atteindre les assureurs. Si l’on trouve quelques doutes à cet égard dans la disposition proposée, je me rallierais volontiers à tout autre proposition plus explicite. Je n’attache pas toutefois à cette disposition la même importance que l’honorable M. Demonceau, car ceux qui font frauder, en Belgique, prennent l’assurance en pays étrangers, et je ne vois pas comment nous pourrions atteindre l’assureur étranger.
Néanmoins, je le répète, si l’on présente une disposition plus formelle, je m’y rallierai, car ce ne sera que la confirmation de ce qu’a voulu la section centrale.
Je veux répondre quelques mots au reproche qu’on nous a adressé, de ne vouloir atteindre que les malheureux instruments de la fraude, tandis que les riches qui l’ont frauder resteraient impunis. La section centrale a cherché tous les moyens de punir les fraudeurs, quels qu’ils soient ; parce que l’administration ne pourra toujours trouver le fraudeur principal, faut-il qu’elle laisse ses agents actifs sans punition ? Personne ne le soutiendra. En frappant les individus qui sont les instruments directs de la fraude, on détourne ceux qui seraient tentés de les imiter, et qui, par la crainte d’un long emprisonnement, ne se présenteraient plus à l’entrepreneur de fraude ; car, je l’ai déjà dit, je ne crois pas, comme l’honorable M. Delehaye, que la privation de la liberté soit, pour les fraudeurs en blouse, un châtiment qu’ils ne redoutent pas, et qu’ils sont disposés à braver.
M. Demonceau. - Je comprends que tout le monde doive désirer de voir clore la discussion générale. Mais je demanderai à ajouter quelques observations sur la proposition que nous avons faite ; j’ai cherché à l’expliquer comme je l’entends ; j’engage M. le ministre et M. le rapporteur à bien réfléchir sur les motifs que nous avons fait valoir pour la justifier.
Je peux assurer la chambre que mou but est d’atteindre tous les fraudeurs.
Je n’ai qu’une seule observation à faire en réponse à l’honorable M. Mercier. Si nous pouvions atteindre l’assureur résidant à l’étranger, voici comment je procéderais, à la place de l’administration ; après avoir obtenu jugement contre lui, comme en général le matériel de ces maisons est connu, je le ferais saisir.
Je pourrais également rechercher si le condamné n’a pas des créances personnelles en Belgique et les faire saisir, enfin je ferais saisir tout ce que je pourrais reconnaître appartenir à celui que j’aurais fait condamner comme fraudeur.
Quant à la différence entre notre proposition et celle de l’art. 24 de la section centrale, elle est toute dans l’intérêt de l’administration ; car ceux qui sont détenteurs de marchandises sans prouver qu’ils ont payé les droits seront présumes en fraude, ce sera à eux à prouver le contraire, tandis qu’avec l’art. 24 ce serait à l’administration à prouver la fraude, ce qu’elle ne pourra, pour ainsi dire, jamais faire.
M. de Mérode. - Messieurs, je voterai pour toutes les mesures tendantes à assurer le marché intérieur à nos fabricants ; par conséquent, j’adopterai les articles formulés par l’honorable M. Delehaye, parce que ces mesures sont appliquées dans le grand-duché de Luxembourg et sont plus sévères dans les Etats prussiens. L’ordre social est fondé sur des sacrifices mutuels sans gène, sans formes plus ou moins restrictives d’une liberté absolue. On manque de toute sécurité, de tout bien-être ; aussi que d’assujettissements sont en Belgique même imposés aux citoyens dans l’intérêt général ! L’obligation du service militaire frappe les familles de la plus lourde exigence. Le particulier désigné comme membre d’un jury et qui ne s’y rend pas à heure fixe est condamné à 500 fr. d’amende et à d’autres peines plus graves. Le procureur du Roi peut faire incarcérer, sur simple prévention, celui qui est soupçonné de crimes et de délits, et tous ces droits exorbitants de la société sur les individus constituent en définitive la sûreté de chacun. Mais indépendamment de la sûreté, il faut aux habitants d’un pays les moyens d’existence que se réservent tous leurs voisins. Je ne puis admettre ce qu’on nous dit si souvent, que le peuple belge n’est pas disposé à subir ce que supportent les autres nations. Je viens de citer des lois bien plus fortes dans leurs effets que la recherche à l’intérieur, et auxquelles les Belges se soumettent depuis 1830 comme précédemment, à savoir la loi de milice, la loi du jury, les droits d’incarcération préventive du ministère public. De plus, il me semble que les habitants des frontières sont Belges comme les autres, et on leur impose des entraves bien plus roides que la recherche à l’intérieur proposée par M. Delehaye.
C’est donc en vain que M. le ministre des finances vient invoquer le génie libéral, et qui domine en Belgique. Ce génie libéral prétendu continuerait à être le génie ruineux du travail et de l’industrie intérieure. Il n’y a rien de moins libéral que la pauvreté résultant de la duperie à l’égard des producteurs d’autres pays, qui ont raison de se défendre aussi chez eux. Messieurs, je suis d’autant plus partisan d’un régime de protection vigoureux, que celui-ci ne met pas, comme l’exportation extérieure, la clef de l’armoire au pain de nos ouvriers dans la main des étrangers.
A Anvers, certains commerçants raisonnent autrement, je le sais. C’est surtout ce qui vient du dehors qu’ils préfèrent, et il est difficile à M. le ministre des finances de se soustraire entièrement à cette influence. Quant à moi, je ne puis admettre que la Belgique perde dix francs de fabrique pour qu’à Anvers on gagne dix centimes de commission. Comme les dispositions proposés par M. Delehaye sont ailleurs mises en pratique avec succès, je les accueillerai sans exception, ne craignant pas, comme l’honorable M. Cogels, que l’on vienne fouiller mon domicile, ouvrir mes armoires par mesure récréative.
Au surplus, si l’administration belge abusait de son droit de visite, nous en serons informés ; et de même que nous avons aujourd’hui à voter une loi plus forte que celle qui existe, nous modifierions le contenu de la présente.
Puisque voilà un remède qu’on signale, nous devons en faire l’expérience ; si on le trouve mauvais, nous reviendrons à des mesures plus douces. Mais quant à moi, je suis convaincu qu’on ne se plaindra pas plus en Belgique des mesures proposées que dans les autres pays où elles sont en vigueur.
M. Cogels. - Je n’entreprendrai pas de justifier de nouveau le commerce d’Anvers d’un reproche qui doit lui rester étranger.
L’honorable préopinant a donné à mes paroles une interprétation qu’elles ne comportent pas, J’ai dit qu’il fallait éviter surtout, en laissant à l’arbitraire du gouvernement la faculté de faire des visites domiciliaires, de lui donner un droit sans limites ; j’ai fait observer que dans l’amendement on s’était dispensé de déterminer ces limites, et qu’adopter une semblable disposition serait nous placer sous le pouvoir absolu. Voilà l’interprétation qu’on pouvait donner à mes paroles.
Quant à ce qui concerne le commerce d’Anvers, si l’honorable comte de Mérode avait quelques notions, les plus légères, les notions élémentaires du commerce, il n’aurait pas fait intervenir le commerce d’Anvers dans une question où il n’avait rien à faire.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. le ministre des finances (M. Smits) - Comme l’occasion de faire les observations qu’on peut avoir à présenter se reproduira à la discussion des articles, la chambre pourrait clore la discussion générale.
Plusieurs membres. - La clôture !
D’autres membres. - On n’est pas en nombre.
Un grand nombre de voix. - L’appel nominal.
- Il est procédé à l’appel nominal.
La chambre ne se trouve pas en nombre suffisant pour délibérer.
La séance est levée à 4 heures et demie.