(Moniteur belge n°334, du 30 novembre 1842)
M. Kervyn fait l’appel nominal à 1 heure un quart.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Félix-Antoine Pantring, lieutenant au 11ème régiment de ligne, né à Metz (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le conseil communal de Lillo demande que la somme nécessaire pour le barrage de la rupture de Lillo, soit allouée au budget du département des travaux publics. »
- Sur la proposition de M. Cogels, cette pétition est renvoyée à la section centrale du budget des travaux publics.
« Des fabricants de chicorée de diverses communes de la province d’Anvers demandent que l’on prohibe l’entrée de la chicorée ou au moins que l’on élève le droit actuel. »
- Sur la proposition de M. Cogels, cette pétition est renvoyée à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur plusieurs espèces de produits.
« Des brasseurs de St.-Trond présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet.
Sur la proposition de M. de Theux, la chambre décide en outre que cette pétition sera insérée au Moniteur.
« Plusieurs brasseurs de Malines présentent des observations contre les projets de loi tendant l’un à majorer de 10 centimes additionnels le principal de l’accise des bières, l’autre à modifier la loi de 1822, relative à la perception de l’impôt sur les bières. »
« Mêmes observations des brasseurs de Lierre et de ceux de Tirlemont. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi modifiant les bases de l’impôt sur les bières, et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
Sur la proposition de M. Mast de Vries, la chambre décide que cette pétition sera, en outre, insérée au Moniteur.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) présente un projet de loi tendant à fixer le contingent de l’armée au minimum de 80,000 hommes et le contingent de la levée de 1843 à 10,000 hommes.
- La chambre ordonne l’impression de ce projet et le renvoie à l’examen de la section centrale du budget de la guerre, considérée comme commission spéciale.
M. Demonceau, au nom de la section centrale du budget des voies et moyens, fait le rapport suivant :
(Ce rapport, lu en séance plénière, a été publié dans un Moniteur subséquent. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée)
M. de La Coste. - Ce n’est pas, messieurs, d’après une lecture rapide que l’on peut apprécier tous les renseignements que renferme le rapport ; mais il me paraît que ces renseignements sont très intéressants. Je demanderai que le rapport soit inséré au Moniteur.
Plusieurs membres. - C’est de droit.
M. le président. - Il ne s’agit en ce moment que de statuer sur les conclusions de la section centrale, c’est-à-dire le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens, et le renvoi à M. le ministre de l’intérieur de la pétition des brasseurs de Louvain.
M. Savart-Martel. - Je demanderai en même temps le renvoi à M. le ministre des finances.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, dans cette circonstance, la section centrale ne pense pas qu’il s’agisse de renvoyer la pétition des brasseurs de Louvain à M. le ministre des finances, puisque c’est M. le ministre de l’intérieur qui a dans ses attributions le droit d’autoriser la perception des impôts municipaux ; or, c’est surtout contre les taxes établies par les villes que les brasseurs s’élèvent, et dès lors la section centrale croit que c’est à M. le ministre de l’intérieur que la pétition doit être renvoyée, afin qu’il examine si le décret cité par les brasseurs de Louvain doit ou non recevoir son application dans ce moment-ci.
M. le président. - Les pétitions relatives aux bières ont en général deux objets : d’abord les 10 centimes additionnels qui ont été proposés, et c’est sous ce rapport que la section centrale a été principalement saisie des requêtes dont il s’agit en en ce moment ; l’autre objet de ces pétitions est le projet de loi concernant l’impôt sur les bières, et de ce chef elles ont été renvoyées à la section centrale chargée de l’examen de ce projet. La section centrale, au nom de laquelle il vient de nous être fait rapport, n’a donc pu s’occuper des pétitions qu’en tant qu’elles concernent le budget des voies et moyens, et elle propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce budget. Cependant comme les brasseurs de Louvain se plaignent de l’élévation des taxes municipales, qui rentrent dans les attributions du ministère de l’intérieur, la section centrale nous propose en outre de renvoyer la pétition à ce département. Maintenant que la chambre voie si elle ne peut statuer sur ces conclusions avant que le rapport n’ait été imprimé.
M. Savart-Martel. - Je conçois facilement, messieurs, qu’en tant qu’elle concerne les impôts municipaux, la pétition doit être renvoyée à M. le ministre de l’intérieur, puisque les impôts municipaux ressortissent au département de l’intérieur ; mais il me semble que la pétition concerne aussi jusqu’à certain point les finances de l’Etat, et sous ce rapport je demande qu’elle soit également renvoyée à M. le ministre des finances, Il est évident qu’il y a liaison entre les taxes municipales et les impôts perçus au profit du trésor public ; plus les impôts municipaux grèveront la bière, moins nous pourrons frapper cet objet, dans l’intérêt du trésor.
Je demande donc que la pétition soit également renvoyée à M. le ministre des finances, ce qui n’empêche pas d’ailleurs l’impression du rapport.
M. Demonceau, rapporteur. - Pour couper court à tout débat, il me semble, messieurs, que l’on pourrait faire imprimer le rapport comme pièce séparée, et en discuter ensuite séparément les conclusions, lorsque nous arriverons à l’article du budget des voies et moyens qui concerne les bières.
Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
M. Angillis. - Messieurs, les traités de commerce ont des suites incalculables sur la prospérité nationale. De ces traités dépendent souvent la richesse ou la misère d’un Etat. Mais sans entrer dans tous les principes d’un traité, je dirai qu’une condition préalable est nécessaire, car sans l’accomplissement de cette condition, il ne peut avoir aucune réciprocité, savoir : si vous voulez que je reçoive vos produits, consentez à recevoir les miens sur le même pied ; et alors la réciprocité, qui est la base de tous traités, sera entière et complète ; un traité de commerce est donc mauvais s’il n’est pas proportionnellement avantageux aux deux pays.
Si je devais appliquer les règles, les principes au traité qui nous occupe en ce moment, mon vote serait négatif et j’en dirai tantôt la raison ; mais je considère le traité sous un autre point de vue, je le considère d’abord comme un acte de prudence, de prévoyance administrative, comme une nécessité enfin.
Vous savez tous, messieurs, que les Anglais sollicitent, à l’aide de tous les moyens dont ils disposent, un traité avec l’Espagne. On conçoit que nous avions le plus grand intérêt de traiter avec cette puissance avant les Anglais ; car, le traité fait avec l’Angleterre, toute tentative de notre part eût été sans succès. Nous ne pouvions pas perdre volontairement le débouché que l’Espagne nous offre, et même au prix de quelques sacrifices, qui pourraient plus tard être réparés. Il est toujours très difficile à une nation qui ne compte que trois années d’indépendance réelle, d’indépendance légale, de traiter sur le même pied avec les vieilles puissances.
Je considère encore le traité comme un premier jalon planté dans l’Espagne avec notre drapeau, pour rappeler aux souvenirs des Espagnols nos anciennes relations commerciales, et leur dire que nous venons leur tendre la main avec notre antique loyauté et bonne foi commerciale, non plus comme sujets autrichiens ou français, mais comme nation libre et indépendante, qui a préféré sa liberté à quelques intérêts matériels.
C’est ainsi, messieurs, que je considère le traité, car si je le considérais sous le rapport des avantages et des pertes, je le rejetterais. Et voici une partie de mes motifs : je dis une partie, parce que dans la séance d’hier on est entré dans tous les détails, et mon intention est d’abréger la discussion autant que possible.
Depuis le traité de Vienne, tous les Etats du continent ont voulu imiter les Anglais, et sans examiner la position de l’Angleterre, sa supériorité naturelle préexistante, ni ce que lui a coûté cette apparente prospérité, toutes les nations ont voulu devenir à la fois manufacturières, et, pour faire triompher cette résolution, elles ont élevé entre elles, des barrières artificielles et se sont soumises volontairement à des taxes exorbitantes. Mais après 26 ans d’essais et de sacrifices, ou s’est aperçu que les hauts droits protecteurs et l’appât de la prime ont bien fait éclore une foule d’industries, mais n’ont amené aucun grand résultat.
Maintenant on semble revenir à des idées plus saines, on commence à comprendre que la vraie richesse nationale consiste à tirer tout le parti possible de ses ressources naturelles, de perfectionner ses produits et ses méthodes de culture, augmenter ses moyens de communications intérieures, de s’assurer de nouveaux débouchés en multipliant ses échanges sur les marchés étrangers contre des objets que l’on ne produit pas chez soi, et établir ainsi un bon système d’échanges avec les nations industrielles ; car maintenant, dis-je, plusieurs Etats se montrent plus disposés à faire des traités de commerce.
En effet, messieurs, l’isolement ne peut convenir à aucun peuple, et beaucoup moins encore à la Belgique qu’à quelques autres nations.
Durant la guerre continentale, nos manufactures ont pris un accroissement extraordinaire. ; nous n’étions point gênés par la douane, le grand empire nous ouvrit un débouché immense, lors de notre réunion à la Hollande, à l’aide de ses colonies, le trafic était encore très considérable, mais pour ainsi dire artificiel, parce que dans la Belgique les manufactures et les fabriqués sont évidemment hors de toute proportion avec la masse des consommateurs. Depuis notre émancipation politique, la Belgique, resserrée dans des limites de peu d’étendue, entourée de voisins qui veulent exclure chez eux toute concurrence étrangère, a dû souffrir et souffre encore de cet état de choses, autant et plus même que tout autre pays. Notre pays n’est cependant pas sans de grands avantages pour le commerce ; le prix modéré de la main-d’œuvre, la possession de grands capitaux, la perfection de nos fabriques, l’active industrie de nos habitants, les produits de notre sol enfin, sont des éléments de prospérité qu’aucune nation ne peut nous disputer. Mais, pour tirer tout le parti possible de nos ressources et de notre situation, il faut de bons traités de commerce avec les autres nations.
Le traité qui fait l’objet de la présente délibération accorde-t-il à la Belgique une due compensation en échange des avantages que l’on concède à l’Espagne ? Non, évidemment non ; la section centrale a démontré en peu de mots que le traité n’atteint pas le but que l’on s’était proposé, et la section centrale a raison.
La qualité de toiles que nous expédions le plus en Espagne, c’est celles qui comptent moins de 12 fils au quart de pouce, et c’est précisément cette classe qui n’a obtenu aucune réduction.
En combinant les deux classes sur lesquelles nous avons obtenu un avantage par le traité, nous trouvons que les toiles appartenant à ces deux catégories sont imposées raison de 21 p. c., et en y ajoutant : 1° 6 p. c. pour droit d’octroi, et 2° 1/3 du prix principal pour droit de consommation, on arrivera à un impôt de 34 p. c. ; et ce n’est pas tout, on exige encore 1/3 de plus sur l’impôt principal lorsque les toiles sont importées en Espagne autrement que par des navires espagnols, c’est ce qui arrivera presque toujours ; voilà donc un impôt qui s’élèvera à 41 p. c. de la valeur réelle.
Une seule classe, la troisième, celle de 27 fils et au-delà, présente des avantages pour des motifs que je n’expliquerai pas ; mais malheureusement sur cent pièces que nous expédions en Espagne, il en est à peine une de cette classe ; non pas précisément que le lin nous manque pour fabriquer des toiles de cette qualité, tel qu’on l’a soutenu hier, mais parce les commandes nous manquent.
Messieurs, comme un projet, plus important peut-être, est à l’ordre du jour, et que les moments de la chambre sont très précieux, je ne prolongerai pas mes observations, et je finirai en disant que je voterai pour le projet.
M. de Roo. - Je ne croyais pas prendre la parole dans la discussion actuelle ; mais, ayant fait partie de la section centrale, ayant voté pour le traité que je vois attaquer actuellement, je me trouve dans le besoin de le soutenir et de répondre aux objections qu’on y fait.
On a commencé à en demander l’ajournement, en étayant cette demande sur une question que l’on fit, soit à la chambre, soit au ministère, soit à la section centrale, si toutefois le traité n’était point contraire à des industries indigènes. On cita principalement l’industrie huilière. Mais on répliqua aussitôt que l’huile espagnole, n’était bonne qu’à lustrer les draps et que c’était une spécialité que l’industrie huilière du pays ne pouvait en souffrir.
La chambre fit bientôt droit à cette demande et la rejette à la presqu’unanimité.
Maintenant, au fond, le traité sera-t-il favorable au pays, ou ne le sera-t-il pas ?
Nous savions tous qu’il aurait pu être meilleur. Il n’est pas besoin qu’on nous le dise. Le ministère a suffisamment fait connaître qu’il ne l’ignorait pas, mais qu’il n’a pu obtenir que ce qu’il a obtenu, sauf à faire un traité ultérieur, qu’il espérait que les intérêts réciproques des deux pays, mieux sentis, amènera une meilleure conclusion ; mais pour le moment, que c’était tout ce qu’on pouvais faire et obtenir.
Mais le traité, tel qu’il existe, est il avantageux au pays ? Nul doute, messieurs ; il nous ouvre un débouché vers l’Espagne, ce que nous ne devons pas rejeter. Une partie de nos toiles, comprise dans les numéros indiqués au traité, y auront accès, où elles étaient exclues jusqu’ici. Nos relations auront lieu directement avec ce pays, ce qui n’est pas à dédaigner, et qui vaut mieux que par une voie indirecte, comme elles existent actuellement. On les achètera à meilleur compte, et elles feront ainsi plus de concurrence aux marchandises similaires étrangères, introduites dans ce même pays.
Un point que l’on n’a pas traité, c’est qu’une autre industrie y trouvera également son avantage ; c’est celle des blanchisseries. Jusqu’ici nos toiles étaient introduites en Espagne par l’intermédiaire de la France, et la France prohibant nos toiles blanches, elle les faisait blanchir chez elle. Maintenant, nous les blanchirons nous-mêmes, et c’est bien là un double avantage.
Quant à la navigation, il est vrai de dire que le traité est plutôt un traité de commerce que de navigation. Mais la navigation se trouve-t-elle dans un état plus désavantageux vis-à-vis de l’Espagne qu’elle n’était auparavant ? Nullement. Notre navigation était nulle avec l’Espagne, par les hauts droits qu’elle supportait. Maintenant elle est mise à l’égal des autres nations ; le traité qui l’excluait est changé. Il y a donc avantage sous ce rapport.
Mais, dit-on, la navigation espagnole est mieux traitée que la nôtre, il est vrai ; mais y a-t-il si grand mal de voir arriver les bâtiments espagnols faire le commerce direct avec notre pays, nous acheter nos matières fabriquées, plutôt que de voir les bâtiments anglais et français nous enlever notre matière première, pour l’exporter ensuite fabriquée en Espagne ?
On oublie continuellement que le commerce de toiles, qui est l’objet principal, y gagnera sans nuire à aucune autre industrie. C’est déjà beaucoup.
Mais les sacrifices que l’on fait compenseront-ils les avantages ?
Les sacrifices, messieurs, ne sont pas exorbitants. On peut en avoir le relevé par les pièces qui se trouvent sur le bureau, et ils seront suffisamment compensés par les arrivages qui nous arriveront en plus grandes quantités pour les faveurs que nous leur ferons.
Il ne s’agit donc uniquement que d’accepter ou de rejeter le traité tel qu’il est conçu, nous n’avons pas le droit de le modifier. Pour le rejeter, je ne vois aucun motif ; pour l’accepter, plus d’une raison plausible m’y détermine, et je tiendrai ce dernier parti.
M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, les discours qui ont été prononcés à la fin de la séance d’hier m’engagent à présenter quelques nouvelles considérations à l’appui des opinions qui ont été émises au sein de la section centrale, lorsqu’elle a procédé à l’examen du traité conclu avec l’Espagne.
Messieurs, il me semble que les observations que les honorables MM. de Foere et Osy vous ont soumises hier, ont détourné la discussion du véritable terrain sur lequel, suivant moi, elle doit être placée Ces honorables membres ont persisté à examiner la convention exclusivement au point de vue de notre navigation.
Je pense que l’intention des deux parties contractantes a été de faire, avant tout, un traité de commerce, destiné à favoriser l’exportation de certains produits industriels des deux pays. Examinons donc quelle est, au point de vue respectif, la véritable portée du traité que nous discutons en ce moment.
La Belgique exporte principalement en Espagne deux catégories de toiles, les toiles dites brabantes au-dessous de 12 fils, et les toiles dites cretones qui vont de 12 fils à 18 par quart de pouce espagnol.
Quant aux toiles de la première catégorie, la section centrale a manifesté son regret de voir que le gouvernement n’a pu obtenir aucune réduction sur les droits complètement prohibitifs établis sur ces toiles par le tarif espagnol en vigueur. L’honorable M. Delehaye a cité cet exemple comme devant être imité par les autres nations. Messieurs, je crois qu’il faut ici distinguer : sans doute l’Espagne, comme tous les pays, nous apprend qu’il faut encourager, protéger le travail national ; mais cet exemple n’est pas à imiter, en ce sens qu’il ne faut pas que cette protection soit poussée jusqu’à imposer des droits exorbitants qui n’ont d’autre résultat que de fournir un appât à la fraude, sans utilité pour le travail national, et au grand détriment du trésor public.
Messieurs, la stipulation du traité véritablement avantageuse à la Belgique est celle qui concerne la catégorie des toiles de 12 à 18 fils par quart de pouce espagnol. Les renseignements que j’ai obtenus des principaux expéditeurs de toiles vers l’Espagne me permettent de donner à la chambre l’assurance qu’une fois la convention du 2 octobre mise à exécution, il y aura possibilité d’exporter d’une manière régulière les toiles dont il s’agit, et qui constituent une très forte partie de nos expéditions vers l’Espagne.
Cependant, messieurs, je dois renouveler ici l’observation que nous avons faite dans le rapport de la section centrale ; savoir, que la jouissance de cet avantage ne nous est pas complètement assurée. La fraude que l’Angleterre exerce sur les côtes d’Espagne, où cette fraude est très facile, cette fraude est devenue si audacieuse que M. le ministre de la guerre d’Espagne a adressé le 21 juin 1841, une circulaire à tous les capitaines-généraux, circulaire dont voici le préambule :
« L’attention du régent du royaume a été vivement appelée sur la contrebande scandaleuse qui a lieu sur les côtes et les frontières, et qui, s’étendant ensuite dans les provinces de l’intérieur, ruine le commerce de bonne foi, diminue sensiblement le produit des revenus publics, et, ce qui est encore plus grave, répand la démoralisation la plus complète parmi des populations entières, et donne lieu à toute espèce de crimes »
Ces abus de la contrebande sont si grands qu’on n’a pas craint d’introduire en Espagne une chose qui peut-être ne se voit dans aucun pays. L’armée est employée au service de la douane.
L’art. 1er de cette circulaire porte : « Dans les capitales des districts militaires, on formera une junte composée du capitaine général, de l’intendant, de l’assesseur de la subdélégation des revenus, d’un colonel et d’un officier. »
L’art. 3 dit, « qu’après déduction des droits auxquels les objets saisis sont soumis, la totalité des prises sera accordée aux forces de l’armée destinées à la poursuite de la contrebande. »
Il faut donc bien que la crainte manifestée par la section centrale, de voir les avantages que promet la convention neutralisés par la contrebande, soit fondée, puisqu’en Espagne même on a cru devoir prendre des moyens extrêmes pour prévenir le scandale de la fraude.
Messieurs, vous avez remarqué, sans doute, que si, d’un côté nous n’accordons des diminutions de droits aux fruits espagnols que pour autant qu’ils soient importes par pavillon belge ou espagnol, la réduction des droits sur les tissus de lin est applicable, quel que soit le mode d’importation de vos tissus en Espagne. C’est un avantage qu’on n’a pas encore signalé, et je félicite le gouvernement d’avoir inséré cette clause dans la convention ; car ma conviction particulière est, qu’en dépit des efforts tentés pour établir des relations directes entre l’Espagne et la Belgique, d’ici à longtemps encore le commerce de toiles de la Belgique avec l’Espagne continuera à se faire par la France. Il y a pour cela plusieurs raisons. La principale est qu’en matière de commerce on n’improvise pas des relations de peuple a peuple ; et depuis longtemps notre commerce avec l’Espagne se fait par l’intermédiaire de la France. D’ailleurs je crois que nos négociants expédieront ensemble vers l’Espagne et les toiles de 12 à 18 fils, qui acquitteront les droits stipulés dans la convention, et les toiles dites brabantes, qui s’y infiltreront au moyen du commerce interlope des négociants français.
Aussi n’ai-je pas compris pourquoi M. de Foere a semblé croire que sous le rapport commercial, la convention qui nous occupe pouvait avoir des suites désastreuses en assurant le monopole de notre commerce avec l’Espagne à la navigation espagnole. Je ne vois pas pourquoi ce commerce serait fait exclusivement par la navigation espagnole. Est-ce à cause de la faveur spéciale qui lui est accordée pour les importations de nos toiles en Espagne ? Mais cette faveur, elle en jouit aujourd’hui. Comment se fait-il que, malgré cette faveur, le commerce de la Belgique avec l’Espagne ait lieu par terre, avec tous les frais qu’entraîne le roulage français ?
Aujourd’hui, la statistique de l’année dernière en fait foi, pas une seule aune de nos tissus de lin, écrus, blanchis ou teints, unis ou à carreaux, n’est entrée directement en Espagne par navire espagnol. Il n’y a là rien d’étonnant. L’article des toiles n’est pas un article d’encombrement. Il peut servir à compléter une cargaison, mais il ne peut pas constituer, à lui seul, un élément de navigation non interrompue.
Est-ce à cause de la faveur accordée sur les fruits importés d’Espagne en Belgique ? La quantité des fruits que nous expédie l’Espagne est si peu importante, qu’en tenant compte de l’augmentation que la convention du 2 octobre pourrait apporter dans ces expéditions, je n’y vois pas encore des éléments de navigation. D’après le tableau statistique pour 1841, dressé par le gouvernement et déposé sur le bureau, nous voyons que pour les huiles d’olive les importations de tous les pays autres que l’Espagne se sont élevées à 3,535 hectolitres, et les importations d’Espagne ne se sont élevées qu’à 553 hectolitres, soit 1/6. Pour les figues, les importations des pays autres que l’Espagne ont été de 611,482 kil. Et les importations d’Espagne ont été de 188,980 kil., soit 1/5. Pour les raisins verts et secs les importations des pays autres que l’Espagne ont été de 224,218 kil. et les importations d’Espagne de 146,166 kil., soit la moitié. Pour les diverses espèces d’amandes, les importations autres que l’Espagne ont été de 151,115 kil., et les importations d’Espagne n’ont atteint que le chiffre minime de 1,634 kil. Pour les fruits verts et secs non spécialement tarifés, les importations des pays autres que l’Espagne ont été d’une valeur de 413,250 fr. et celles d’Espagne seulement de 45,350 fr., le 8ème environ.
Vous voyez qu’ici encore ces quantités ne sont pas suffisantes pour engager la navigation espagnole à se diriger de préférence vers la Belgique. Ensuite, il ne faut pas oublier que le commerce des fruits n’a lieu que pendant quelques mois ; c’est un commerce de saison, surtout celui des fruits verts.
Il n’y a donc pas là matière à un commerce régulier pendant toute l’année. De plus, il faut pour ce commerce des navires spéciaux, des navires fins-voiliers, afin que les fruits qui sont susceptibles de se gâter promptement ne restent pas longtemps en mer, car la plus petite avarie peut déprécier toute une cargaison. Supposons cependant que les réductions de droit stipulées par la convention provoquant une augmentation d’importation des fruits de l’Espagne, ou le commerce de transit s’étendant, le mouvement des navires espagnols vers la Belgique vînt à se développer, je me féliciterais de ces relations directes que nous aurions ainsi établies avec l’Espagne. L’honorable M. de Foere devrait s’en féliciter aussi. Sans doute il serait préférable que notre marine pût participer au bénéfice de ces relations directes avec l’Espagne ; mais en attendant qu’il en soit ainsi, il serait toujours à désirer que nous eussions ces relations directes par navires espagnols. Ce serait déjà un premier avantage.
Messieurs, la section centrale espère que l’art. 3 de la convention aura pour effet de développer tant soit peu notre marine marchande, par les avantages stipulés à l’art. 5 en faveur du pavillon belge et ou pavillon espagnol.
Voici comment elle explique sa pensée.
« La perspective de retours avantageux est le principal mobile des expéditions maritimes ; c’est un fait connu de tous. Aujourd’hui, que nous n’avons presque pas d’avantages pour l’importation des fruits espagnols, nous allons déjà chercher ces fruits ; on construit même en ce moment, si mes renseignements sont exacts, différents navires fins voiliers dans ce but. Il me paraît évident que ces navires se dirigeront de préférence vers l’Espagne, quand ils seront favorisés par une réduction de droit sur ces fruits. Un autre motif qui engagera notre navigation à se porter vers l’Espagne, c’est qu’elle trouve encore un article de retour dans ces contrées, le sel de Portugal. L’importation de ce sel, l’année dernière, s’est élevée à près de deux millions de kilogrammes. C’est un avantage que n’a pas la navigation espagnole, car le sel portugais, et même tous les sels que nous recevons des différents pays de l’Europe, nous viennent exclusivement par navires belges, favorisés par des droits différentiels sur cet article. Avec ces retours, qui ne sont pas bornés à une seule saison, comme ceux que la marine espagnole a à sa disposition nous avons l’espoir d’établir des exportations directes par navires belges. »
Je sais bien que M. de Foere ne croit pas à ce résultat, parce que les navires espagnols sont protégés par les droits de navigation pour l’importation dans leur pays de produits étrangers. Mais il est à remarquer que cet avantage pour le pavillon espagnol existe déjà, et qu’il n’a pas été de nature à engager leurs navires à se diriger vers nos ports pour y prendre une cargaison de toiles, Notre navigation n’est pas tant favorisée, c’est vrai, mais nous expédions bien nos toiles à travers la France, et certes le transport de nos toiles par notre navigation serait, en tout cas, plus économique que par la voie de terre, que par le roulage français.
Ainsi, voilà quelle sera la conséquence du traité que nous discutons. Pour l’exportation de nos toiles, je suis convaincu qu’elle continuera à se faire en majeure partie par voie de terre. Pour ce qui regarde l’importation des fruits espagnols, je crois encore que les réductions de droit stipulées ne seront pas suffisantes pour encourager la navigation espagnole à venir dans nos ports. Je crois que si des relations directes viennent à s’établir entre l’Espagne et la Belgique, ce seront surtout les navires belges qui les exploiteront. Je crois que les navires du Nord, qui naviguent avec plus d’économie que ceux d’aucun autre pays et qui nous apportent aujourd’hui les produits de l’Espagne, continueront à nous en apporter.
En résumé, sous le rapport de la navigation, le traité ne me paraît devoir avoir de résultat important ni pour l’un ni pour l’autre pays, parce que, dans ce moment, il n’existe pas entre eux d’élément suffisant de commerce régulier et continu. Mais la grande question dans nos rapports avec l’Espagne n’est pas celle du commerce que nous pouvons faire avec la métropole espagnole, c’est la question de ses colonies. Or, cette question reste intacte, elle n’est pas tranchée par le traité. Aussi, crois-je devoir, en terminant, appeler sur ce point l’attention très sérieuse du gouvernement, afin que, lorsqu’il s’agira de régler nos rapports commerciaux avec les colonies espagnoles, il sache défendre les intérêts de notre commerce et de notre navigation avec intelligence et fermeté.
M. de Foere. - L’honorable membre qui vient de parler a soutenu que le statu quo était maintenu envers l’Espagne. Nous avons exprimé la même opinion dans la séance d’hier. Il a soutenu en même temps dans son rapport que la convention, telle qu’elle est conçue, sera un moyen de développer notre navigation commerciale vers l’Espagne, et il ajoute, dans la séance d’aujourd’hui, que jusqu’à présent aucune aune de toile belge n’a été importée en Espagne par la navigation maritime, ou que nos toiles sont importées en Espagne par le roulage à travers la France. Il pense aussi que, malgré la convention, nos toiles continueront d’être importées en Espagne par voie de terre. Il y a dans ces assertions des contradictions manifestes. Comment notre navigation vers l’Espagne se développerait-elle au moyen de la convention, alors que nos bites continueront d’être exportées par la voie de terre ?
M. Dedecker. - En majeure partie.
M. de Foere. - Ensuite l’honorable membre est dans l’erreur lorsqu’il croit qu’aucune aune de nos toiles n’est importée par navigation dans les ports d’Espagne. Une partie de nos toiles, qui ne sont pas matière d’encombrement sont envoyées par mer, par navires français ou autres, dans un port de France voisin de l’Espagne, où les navires espagnols viennent les charger, afin qu’en entrant en Espagne elles ne soient pas grevées des énormes droits différentiels que pèsent sur les importations faites par navires étrangers. Nos relations à cet égard resteront sur le même pied, puisque le statu quo est maintenu. C’est la raison pour laquelle j’ai soutenu, contre l’opinion de la section centrale, que la convention ne renfermait pas les moyens de développer notre navigation maritime avec les ports d’Espagne. Nous ne pourrons rien importer dans ces ports par nos navires ; ils continueront d’en être exclus par les droits qui les atteignent.
Ensuite, l’honorable membre s’est appuyé sur la considération que nous consommons fort peu de fruits d’Espagne. Mais quel est le but de la convention ? C’est, dans l’intérêt de l’Espagne, d’augmenter cette consommation par la réduction des droits sur ses fruits ; car, sans cette prévision, la convention resterait sans but du côté de l’Espagne. Ses produits obtiendront dans notre consommation une faveur dont ne joueront pas les mêmes produits des autres pays. La navigation espagnole pourra importer ces produits dans nos ports, attendu qu’elle seule pourra prendre chez nous des cargaisons de retour.
Donc, contrairement à l’opinion de la section centrale, notre navigation n’aura pas, par suite du traité, un moyen de se développer vers les ports d’Espagne.
Le sel du Portugal, dit l’honorable membre, pourra constituer un retour. Quand vous ne pouvez pas entrer dans les ports d’Espagne avec des marchandises, il faudrait donc aller à vide chercher du sel en Portugal ; ces opérations ne sont pas avantageuses. Ce qui le prouve, c’est que dans le statu quo actuel rien ne vous empêche de charger du sel en Portugal ; cependant nous allons le chercher en grande partie à Liverpool. Il en serait autrement, si nous pouvions transporter des marchandises en Espagne ; alors nos navires pourraient prendre en retour les produits de ce pays, et, à leur défaut, ils pourraient prendre du sel en Portugal. Au surplus, la convention n’établit pas de relations avec le Portugal ; il est donc inutile de placer la question sur ce terrain.
M. Desmet. - Comme j’ai eu l’honneur de le dire hier, pour moi la principale portée du traité est de rétablir nos relations avec l’Espagne. Mais un autre point important, d’après moi, c’est l’exécution de l’art. 5 ; c’est de trouver le moyen d’indiquer l’origine des toiles. Nous avons perdu nos relations avec l’Espagne ; pour qu’elles se rétablissent, il nous faut y envoyer des anciennes toiles de Flandre ; et il faut que, quand nous les exportons, leur origine de Flandre soit indiquée. Pour exécuter à cet égard le traité, on sera obligé d’avoir des marques d’origine.
Hier, l’honorable M. Delehaye a exprimé la crainte que le gouvernement ne se montrât trop difficile pour la sortie des toiles, et qu’en faisant déballer, il ne gênât le commerce. Je ne partage pas cette crainte. Je crois que jamais le gouvernement ne vexera le commerce, qu’il fera tout, au contraire, pour avantager nos exportations. Le plus important, je le répète, c’est l’estampille, la marque d’origine. J’espère que le gouvernement ne négligera rien pour établir cette marque, afin qu’il n’y ait pas de doutes, en Espagne, sur l’origine des toiles que nous y envoyons. C’est d’autant plus nécessaire qu’il y a en Angleterre des maisons qui envoient en Espagne des toiles d’Angleterre qu’elles font passer pour des toiles de Belgique.
Je saisirai cette occasion pour engager le commerce à n’envoyer en Espagne que de bonnes toiles. S’il en est ainsi, je ne doute nullement que nous ne recouvrions ce que nous avons perdu par le commerce anglais.
Je regrette vivement que, dans le projet de loi relatif aux droits de sortie, il n’ait pas été proposé un droit de sortie sur les lins ; car si nous conservions les bons lins, il nous serait plus facile d’envoyer de bonnes toiles à l’étranger.
Aussi bien en France qu’ailleurs on revient décidément aux bonnes toiles. C’est ainsi qu’on a vu en France deux régiments, après avoir demandé de la toile ordinaire, en revenir à demander de l’ancienne toile de Belgique.
Je termine en renouvelant le vœu que le gouvernement ait soin de veiller à ce qu’il y ait une marque sincère pour nos toiles.
M. Rodenbach. - On dit que les fruits secs importés en Belgique par l’Espagne ne forment que le sixième de la consommation du pays, et qu’il faut craindre qu’il ne nous en arrive beaucoup plus. Pour moi, je forme le vœu que les importations d’Espagne satisfassent à tous les besoins de la consommation. Pourquoi formé-je ce vœu ? Parce que les navires espagnols qui viendront dans le pays ne partiront pas à vide ; ils exporteront nos toiles. C’est ce que nous devons désirer. Pour moi, je félicite le ministère d’avoir conclu ce traité, qui, assurant aux deux pays des avantages mutuels, leur promet le rétablissement de leurs anciennes relations. Je me bornerai à ce peu de mots.
- La discussion est close.
Le préambule et l‘article unique du projet de loi sont successivement adoptés dans les termes suivants :
« LEOPOLD, Roi des Belges, à tous présents et à venir, salut.
« Vu l’art. 68 de la constitution, ainsi conçu :
« Les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’Etat ou lier individuellement des Belges, n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. »
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. La convention conclue entre la Belgique et l’Espagne, signée à Bruxelles le 25 octobre 1842, sortira son plein et entier effet. »
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi ; en voici le résultat :
Nombre des votants : 78.
77 votent pour l’adoption.
1 (M. de Garcia de la Vega) vote contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Angillis, Brabant, de La Coste, Cogels, Coghen, Cools, de Baillet, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Foere, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Savart-Martel, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Masi de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Smits, Trentesaux, Van Cutsem, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vandensteen, Vanderbelen, van Hoobrouck, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en second lieu la discussion générale du budget des voies et moyens.
Je demanderai à M. le ministre des finances s’il se rallie aux propositions de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Nous avons examiné les propositions faites par la section centrale, et nous croyons que la discussion doit s’établir sur le projet du gouvernement.
M. le président. - Dans ce cas, les propositions de la section centrale seront considérées comme amendements, et la discussion s’établira sur le projet du gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. Lys. - L’honorable rapporteur des voies et moyens de 1841 vous l’a déjà dit, messieurs, la chambre ne connaîtra la situation réelle du trésor qu’après qu’elle aura été mise à même de régler par des lois, conformément à l’art. 115 de la constitution, les comptes des exercices clos. Jusque-là, nous ne pouvons que fort imparfaitement apprécier notre actif et notre passif.
Rendons néanmoins justice au ministère précédent ; il avait courageusement signalé le mal et proposé le remède, il vous indiquait l’accroissement de ressources qu’il fallait trouver immédiatement, par la voie de l’impôt, pour parer au déficit que présentait le budget de 1841. Le ministère actuel, en présentant le budget de 1842, ne voulut point reconnaître le déficit indiqué par celui que l’avait précédé ; il vint nous entretenir dans une bien douce illusion en nous disant : Nous n’aurons recours à aucun impôt nouveau ni à aucune nouvelle charge pour les contribuables ; les dépenses pour lesquelles nous venons vous demander des allocations, sont couvertes par les recettes portées au budget des voies et moyens.
L’équilibre nous paraît tellement assure que je n’hésiterais pas de prendre à forfait les revenus présumés, nous disait M. le ministre des finances. Vous le voyez, messieurs, on espérait de fortes augmentations sur nos revenus, on ne prévoyait de diminution sur aucune de nos recettes.
Le résultat nous a largement prouvé le contraire, et je n’entreprendrai point de discuter les deux motifs allégués et qui auraient prétendument arrêté l’augmentation du produit des impôts ; ils sont trop futiles, l’opinion publique en a déjà fait justice, et je me dispenserai ainsi de rappeler le malheur le plus déplorable non seulement pour la France, mais pour toute l’Europe.
Le budget qui vous est présenté aujourd’hui prouve la sagesse du ministère précédent et combien le ministère actuel versait dans l’erreur, lorsqu’il nous disait qu’il conservait l’espoir qu’à l’aide de quelques améliorations dans nos produits et d’une sage économie, notre situation financière se trouverait bientôt dans un état prospère.
Nous sommes dans une mauvaise voie, qui nous entraîne chaque année à accroître notre dette et nous force, par suite, à augmenter les impôts déjà si lourds et dont le chiffre était déjà énorme.
De là, messieurs, déficit dans le passé, dans le présent et dans l’avenir.
Dans le passé, il est incontestable.
Dans le présent, le budget vous le prouve.
Dans l’avenir cela résulte nécessairement des emprunts que nous faisons, de la mauvaise administration de la fortune publique, ainsi qu’il me sera facile de le démontrer ; et en effet, messieurs, on réduit un capital de quatre millions placé, au taux de cinq p. c., au taux de deux p. c. ; immédiatement on met en circulation des bons du trésor au taux de 4 1/2 et 5 p.c.
Vous empruntez par centaine de millions au taux de cinq p. c., et vous conservez des domaines, j’entends des forêts, qui, frais d’administration déduits, ne vous rapportent pas un p. c.
Il est certain que la vente de nos forêts domaniales produira à l’Etat, non seulement le prix des évaluations faites par le gouvernement, mais une somme plus considérable.
Ces immeubles, étant aliénés, donneraient un revenu à l’Etat, non seulement par le prix réalisé, mais par le produit de la contribution foncière dont ils seront grevés, par les mutations, soit par vente, sot par succession, tellement qu’il serait vrai de dire, qu’en les abandonnant gratuitement, le trésor public ferait encore une excellente affaire.
Remarquez, messieurs, qu’on a la bonhomie de venir vous dire qu’en agissant ainsi avec la banque de Belgique, ou a traité avantageusement pour l’Etat, que c’est là un acte de bonne administration.
Quant à moi, messieurs, je ne crois pas que je me trompe, mais il me semble positif que si les quatre millions avaient été versés dans les caisses de l’Etat, le gouvernement en aurait disposé ; au lieu d’émettre des bons du trésor, il se serait servi de ces quatre millions ; or, comme ces bons du trésor coûtent à l’Etat 4 1/2 ou 5 p. c. d’intérêt, il aurait évité cette dépense, tandis qu’en les laissant dans les caisses de la banque de Belgique, il n’a joui que de 2 p.c. d’intérêt. Qui paie cinq et reçoit deux me paraît perdre 3 p. c. De là perte pour l’Etat, de ce chef, en 1842, de cent mille francs.
Qu’arriverait-il à un père de famille qui réglerait ainsi l’administration de ses biens ?
C’est qu’en bien peu d’années son capital serait disparu, et il serait par là réduit à la misère.
L’opération faite par M. le ministre des finances avec la banque de Belgique a fait perdre en intérêts, pour 1842, la somme de cent mille francs, et continuant à agir ainsi pour 1843, la perte en intérêts sera de 120 mille francs ; et on appelle une pareille gestion du nom de celle d’un bon père de famille.
La banque de Belgique offrait, nous a-t-on dit, le remboursement du capital de 4 millions lui prêté à intérêt de 5 p.c. l’an. Le ministre n’a pas cru devoir accepter ce rachat et a préféré passer ce capital en compte courant avec la banque de Belgique, à un taux de 2 p.c. Ainsi, sans bourse délier, cette banque a gagné annuellement 120 mille francs, et le ministère a continué pendant l’an 1842, à émettre des bons du trésor, sur lesquels il payait l’intérêt au taux de 4 1/2 et 5 p. c. en laissant ses fonds à la banque de Belgique au taux de 2 p.c., opération qui se continue encore en ce moment.
Je conteste à M. le ministre des finances le droit d’en agir ainsi ; une loi a autorisé le prêt de 4 millions fait à la banque de Belgique, au taux d’intérêt de 5 p. c. ; si la banque de Belgique voulait se libérer, les fonds devraient rentrer au trésor, et si ces fonds avaient fait partie de l’exercice, nul doute qu’ils eussent été employés, et que par suite l’émission des bons du trésor aurait subi une réduction à concurrence de ce capital ; et des lors le trésor aurait joui d’un intérêt de 4 a 5 p. c.
Pour démontrer, messieurs, que l’arrangement avec la banque de Belgique est onéreux au pays, je n’ai qu’un fait à citer.
C’est en avril qu’il a eu lieu, d’après l’annonce qui en a été faite par M. le ministre des finances et au mois de juin suivant, le ministère augmentait l’intérêt, à payer par le trésor, sur les bons dits du trésor.
A cette époque, le ministère devait donc employer les 4 millions qui étaient à sa disposition à la banque de Belgique, car il aurait économisé sur les 5 p. c. d’intérêt à qu’il offrait alors, puisqu’il n’en recevait que deux.
L’opération faite avec la banque de Belgique est un simulacre de remboursement ; c’est tout simplement un avantage fait d’une manière indirecte, mais qui est très réel. Je ne pense pas que la cour des comptes adopte une pareille réduction d’intérêts, je ne pense pas que vous le sanctionniez jamais.
Pour l’Etat qui en agit ainsi, la ruine est le résultat inévitable.
Pour remédier en partie aux abus résultant de notre situation actuelle, il faut que la loi de comptabilité, si impatiemment attendue, vienne mettre un terme aux irrégularités et aux abus que la cour des comptes signale dans ses observations si pleines d’intérêt, qu’elle ne cesse de vous adresser.
Cette loi est indispensable pour l’exécution de l’art. 115 de la constitution, ainsi conçu :
« Chaque année, les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget.
« Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »
Les projets de lois destinés à régler la comptabilité de l’Etat ont été promis lors du budget de 1840 ; mêmes promesses en 1841 et 1842. M. le ministre des finances nous disait, le 19 avril dernier :
« Quant à ce qui concerne la loi de comptabilité, je renouvellerai la promesse que j’ai déjà faite, et je dirai à l’honorable préopinant que le projet de loi est déjà rédigé, et que d’ici à peu de temps, je pourrai réunir l’ancienne commission pour lui soumettre ce travail. »
Je ne pense pas, messieurs, que pareille communication ait eu lieu, malgré que nos travaux de la session dernière aient été poussés jusqu’en septembre. Le ministère a préféré nous occuper des changements à une loi dont personne ne se plaignait, dont toutes les grandes communes du royaume demandaient le maintien, et une loi nécessaire, exigée par la constitution, n’a pas seulement paru en projet, elle n’est pas même annoncée par le discours du Trône ; et malgré de nouvelles promesses, je crains bien qu’aucun projet ne soit encore converti en loi pendant le cours de cette session.
Cependant, messieurs, cette loi est indispensable ; elle est des plus urgentes si vous voulez connaître la véritable situation financière de l’Etat, si vous voulez empêcher qu’un ministre ne dispose des fonds du trésor, de sa seule autorité, sans l’intervention du pouvoir législatif, sans visa de la cour des comptes, ainsi que cela a eu lieu, pour une somme de près de deux millions, lors de l’achat de la British-Queen, et pour un million donné en prêt sans intérêts, depuis plusieurs années, à la banque de Belgique, dernier prêt qu’on vous a laissé ignorer jusqu’à présent, à l’égard duquel mon honorable ami, M. Delehaye, interpella le ministère dans notre séance du 7 septembre dernier, et sur lequel ce dernier garda le silence, silence qu’il a gardé de même au sénat. Ce prêt d’un million sans intérêts donne une perte annuelle pour l’Etat de 50 mille fr., car il est probable que c’est encore en bons du trésor qu’il a été fait, et on sait que, pour les mettre en circulation, c’est l’intérêt de 5 p. c. que le trésor paie ordinairement.
Le budget des voles et moyens pour 1843 entend couvrir le déficit, en frappant des centimes additionnels ; pour l’avenir il entend le combler, en partie, en proposant de nouvelles lois sur la contribution personnelle et mobilière et les patentes. Ce n’est plus une simple révision des lois existantes ; c’est un tout autre système, qui, je ne hésite pas de le dire, précédé des centimes additionnelles, va beaucoup augmenter l’irritation qui règne dans le pays. On supprime les impôts sur les domestiques, sur les chevaux, sur les foyers, auxquels on était habitué, qu’on pouvait rendre plus productifs, en supprimant les distinctions existantes dans la loi actuelle, impôts qu’on pouvait doubler pour les domestiques à livrée, qu’on pouvait établir sur le nombre des voitures, les doublant sur les voitures armoriées ; car il était du devoir du gouvernement de chercher à imposer sur le luxe le déficit résultant de la réduction de l’impôt sur le vin, dont l’homme aisé seul profite. Nous devons vouloir tous qu’on impose le riche et qu’on ménage le pauvre, j’entends celui qui vit de son travail et le petit industriel ; ce n’est pas là, messieurs, le résultat des voies et moyens pour 1843.
Aucun nouvel impôt sur le luxe n’est proposé. Ni le budget, ni les lois présentées ne frappent le riche.
Comment veut-on couvrir la réduction de l’impôt sur le vin, en augmentant de dix centimes additionnes l’impôt sur la bière, sans parler de la loi déjà adoptée, qui porte à 4 fr. les droits d’entrée sur l’orge, et de la loi proposée sur les brasseries.
Ce serait une calamité pour la classe ouvrière et le petit commerce, pour qui la bière ainsi que le café sont devenus de première nécessite.
La cherté des céréales, qui continue malgré l’abondance des récoltes, jointe au renchérissement de la bière et du café, considérés comme nécessaires à la nourriture du peuple, serait une nouvelle calamité, qui amènerait une augmentation du prix de la main-d’œuvre, ou la misère pour l’ouvrier, véritable crise pour toute manufacture, parce que le fabricant ne peut plus soutenir la concurrence avec l’étranger.
Vous détruirez par ces impôts la base de tout succès industriel et commercial : l’obtention des produits manufacturés, de la meilleure qualité et au plus bas prix possible, car la condition indispensable est le bon marché des articles nécessaires à la vie de l’ouvrier, afin que le salaire de celui-ci puisse être proportionné à celui des objets à fabriquer, pour être livrés non seulement à l’intérieur, mais aussi sur les marchés étrangers, où ils sont en concurrence constante avec ceux de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France.
Remarquez, messieurs, que la bière produit depuis longtemps au trésor de 6 à 7 millions, et que pareil impôt est frappé sur les brasseries au profit des villes ; c’est donc là un produit de première nécessité grevé de 12 à 15 millions d’impôt, tandis que le sucre, objet de nécessité secondaire, qu’on peut appeler de luxe, ne produit pas jusqu’à présent à l’Etat le dixième de cet impôt.
Le discours du Trône contenait l’engagement de soumettre à la législature des changements aux droits d’entrée des fabricats étrangers.
« Tout en poursuivant d’autres négociations, disait le gouvernement du Roi, il est impossible de ne pas considérer certaines mesures de législation intérieure comme devenues nécessaires.
« Des objets d’importation étrangère sont susceptibles, sans que notre commerce soit compromis, d’une augmentation de droits d’entrée, dans l’intérêt de l’industrie nationale et du trésor public. »
Je devais m’attendre, messieurs, à voir proposer une majoration des droits d’entrée sur les tissus de laine ou de poils unis ou façonnés et étoffes de toute espèce où ces matières dominent, ainsi que je l’avais réclamé à votre séance du 1er août dernier.
En frappant ces produits étrangers d’un droit de 250 fr. par cent kil., et laissant toujours subsister la disposition par laquelle les provenances du pays où il est accordé, sur les article de l’espèce, des primes d’exportation, sont frappées d’un excédant de droit égal au montant de ces primes ; en adoptant pareil droit, il n’y avait aucune représailles à craindre de la part de nos voisins ; car, d’un côté, la France frappe ces objets de prohibition ; nous ne pouvons dès lors lui en envoyer ; de l’autre, un droit supérieur existait déjà dans les Etats allemands pour les tissus de laine, purs ou mélangés, sans distinction, et on vient encore de l’augmenter. Je ne parle pas de l’Angleterre ; l’on sait, du reste, que nos fabricats n’y sont pas reçus.
Le gouvernement belge voit la protection que la France accorde à ses fabriques de draps, à ses fabriques de fils et tissus de laine ; c’est la prohibition absolue pour l’étranger.
Depuis 1840, la chambre de commerce et des fabriques de Verviers réclame cette augmentation d’impôt ; elle a démontré que le gouvernement pouvait venir à son secours, sans prohibition aucune, sans que l’Etat renonçât à la perception d’aucun impôt, sans qu’il en coûte un centime au trésor.
Cette demande a été renouvelée le 15 mars dernier, et votre commission d’industrie, par son rapport du 14 juin suivant, rapport fait par l’honorable M. Desmet, constate l’appui que cette commission porte à la modification réclamée au tarif des droits d’entrée sur les fabricats étrangers dont s’agit.
Cette modification, messieurs, serait non seulement avantageuse à la fabrique du district de Verviers, mais à celle de Liége, de Mouscron, et, pour les fils de laine, aux villes de Gand et de Tournay.
Le projet de loi sur les droits d’entrée, présenté par M. le ministre des finances le 10 de ce mois, est venu nous ôter tout espoir. Il retire ou suspend, pour un temps indéfini, les promesses contenues dans le discours du Roi.
« Des négociations commerciales encore ouvertes, dit le ministre, et qui ne sont pas sans chances de succès, exigent encore, au moins pour quelque temps, certaine réserve. »
Et, par ce motif, on ne fait rien en faveur de l’industrie lainière.
Ainsi, la France, qui prohibe entièrement les tissus belges, continuera à faire entrer les siens en Belgique, moyennant un léger droit.
L’Allemagne pourra aussi entrer en Belgique avec ses tissus, et nous ne pourrons entrer chez elle qu’avec des droits beaucoup plus élevés.
L’Angleterre continuera à verser tous ses tissus de laine sur notre marché, moyennant le droit d’entrée actuel, et elle continuera à prohiber les tissus belges.
Le gouvernement continuera à se soumettre à toutes les exigences de l’étranger, sans faire la plus légère démonstration de représailles.
Le gouvernement a fait des sacrifices considérables en faveur de l’industrie linière (et je ne l’en blâme pas), et il ne fait rien en faveur de l’industrie lainière, qui fait tous ses efforts pour soutenir la concurrence avec l’étranger, sans demander ni subsides, ni prohibitions, ni secours pour ses ouvriers. Loin de venir à son secours, loin de la protéger, on n’a pas craint de lui nuire en 1839, en levant la prohibition sur les draps français, tandis que la France maintenait sa prohibition sur la draperie belge.
La Belgique, en exécution du traité avec la France, a appliqué à l’Angleterre le tarif français en ce qui concerne les fils et tissus de lin. Pourquoi, en ce moment, ne lui applique-t-on pas le tarif allemand, en ce qui concerne les fils et tissus de laine ? Avons-nous quelque chose à espérer de l’Angleterre ; des négociations pour un traité de commerce sont-elles ouvertes avec cette puissance ? Je ne le pense pas ; cependant l’Angleterre, beaucoup plus que la France, beaucoup plus que l’Allemagne, inonde la Belgique de ses produits en ce genre, et le gouvernement ne fait rien pour l’empêcher.
Nous avons vu naguère la fabrique d’Elboeuf jeter les hauts cris lorsqu’il s’agissait de l’union douanière ; il semblait que la fabrique de Verviers allait ruiner entièrement les fabriques françaises similaires ; il suffirait de quelques mots pour tranquilliser nos voisins. Il est reconnu que la fabrique de Verviers ne produit annuellement que cent mille pièces de draps, qui, mesurant chacune environ 15 aunes de Fiance, donnent un produit de 1,500 mille aunes.
Prenez égard à la population de la Belgique, et vous aurez la preuve que cette fabrication suffit à peine pour fournir à chaque Belge le tiers des étoffes de laine qu’il emploie ; et en effet, messieurs, il y a là tout au plus de quoi fournir un pantalon à chaque individu. C’est dès lors l’étranger qui fournit la plus grande partie des vêtements de la population belge, et ce n’est pas sans raison dés lors que nous réclamons une augmentation de droits d’entrée et la répression de la fraude ; la fabrique de draps belge n’a qu’un seul vœu à former, c’est de jouir de son marché intérieur, et pour cela il faut admettre contre l’étranger des mesures de réciprocité ; c’est là aussi le désir de l’industrie cotonnière, c’est là une protection que le gouvernement ne devrait pas leur refuser. Cependant nous la demandons depuis longtemps, et jusqu’à présent nous n’avons rien obtenu. Le cercle des prohibitions s’est resserré pour nous de jour en jour ; il y a depuis longtemps nécessité urgente de s’occuper de notre industrie, et on n’en a rien fait ; aujourd’hui encore on nous ajourne, et cette indécision fait un mal irréparable.
Vous avez fait un traité avec la France, en faveur de l’industrie linière ; vous venez faire un nouveau traité avec l’Espagne, toujours en faveur de l’industrie linière : l’un et l’autre imposent des sacrifices à l’Etat.
Ici nous demandons au gouvernement qu’il propose seulement la rectification d’un article du tarif, et depuis plusieurs années il est sourd à cette demande, qui intéresse l’alimentation de 50 mille individus, et qui ne coûterait pas une obole au trésor.
M. le ministre de l’intérieur se demandait hier si l’Espagne nous accorderait une réduction sur son tarif, sans lui faire d’autre concession, et il répondait : Evidemment non.
Partant de ce principe, pourquoi tardons-nous d’augmenter nos tarifs de droits d’entrée sur les fabricats étrangers, puisque c’est en changeant son tarif que l’Espagne obtient de nous des concessions ?
Quel est le résultat de notre manière d’agir ? Nos tarifs établissent des droits trop modérés ; nous n’avons rien dès lors à offrir en compensation pour obtenir l’abaissement des tarifs étrangers.
De là, messieurs, les prohibitions pour nous chez l’étranger, et celui-ci maître de notre propre marché.
De là, messieurs, la ruine de vos fabriques et la prospérité de l’industrie chez vos voisins. J’ai dit.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, l’accueil fait dans les sections aux demandes de centimes additionnels et les propositions de la section centrale permettent de penser que le gouvernement n’insistera pas sur ce point. Nous avons repoussé les centimes additionnels, même provisoires, parce que nous savons qu’en matière d’impôt, le provisoire ne tarde pas à passer à l’état chronique. Nous en avons un exemple frappant dans un pays voisin ; il existe en France un certain décime de guerre qui se paye depuis 1815 et que l’on ne songe pas à supprimer après bientôt trente ans de paix ; pour rendre la plaisanterie plus piquante, ou lui laisse même son titre.
Nous repousserons donc les demandes de centimes additionnels. Nous les repousserons par deux motifs : le premier, parce que la propriété est déjà suffisamment et très suffisamment chargée ; le second, afin d’apprendre encore une fois au gouvernement que l’impôt sur la propriété est la réserve naturelle pour les mauvais jours. Vous voyez ce qui se passe en ce moment en Angleterre : le revenu a été attaqué alors seulement que la contribution indirecte manquait complètement aux besoins. Mais, messieurs, notre tâche serait trop facile si elle devait se borner à repousser des demandes d’impôts : nous devons encore, ou réduire les dépenses au niveau des recettes, tel qu’il nous sera permis de les évaluer, et cela avec un peu plus de certitude que l’année dernière, ou créer des ressources en raison de l’excédant de dépenses que nous laisserons subsister.
Notre budget de dépenses est fort élevé, j’en conviens ; mais, quoique nous fassions nous ne le réduirons que de fort peu. Quand nous aurons liardé sur quelques traitements, nous arriverons à une importante économie de cent ou cent cinquante mille francs.
Deux départements ministériels peuvent seuls être attaqués sérieusement : la guerre et les travaux publics. Je comprends tout ce que l’on peut dire en faveur d’une réduction de l’armée. Nous sommes une puissance neutre, c’est vrai ; nous sommes une puissance neutre, en vertu de traités solennels ; c’est parfait : les traités sont excellents tant que personne n’a intérêt à les violer ; notre neutralité nous servira tant que nous n’aurons pas besoin de la faire valoir, et s’il arrive un moment où cette neutralité devra être invoquée, nous serons fort heureux de la faire respecter, s’il est possible, en montrant une armée de cent mille hommes. Dès lors, et quelque peu de chances que puisse offrir la résistance, notre honneur national nous commande de maintenir sur pied, sinon une arme, du moins des cadres qui pourraient être remplis dans un délai fort court au moyen d’une réserve sagement organisée.
Parlant de ce principe, je crois que nous économiserions peu sur le département de la guerre.
Serons-nous plus heureux avec le département des travaux publics ? En masse nous dirons peut-être : les dépenses sont excessives, il faut les réduire ; et quand viendra le vote chacun de nous se rappellera que son arrondissement a besoin d’un bout de chemin de fer, d’une route, d’un canal.
Au résumé, nous ferons ce que nous avons fait pendant les années précédentes. Nous économiserons 2 à 300,000 francs peut-être et nous augmenterons les dépenses du double. Ne croyez pas, messieurs, que je blâme les dépenses de travaux publics. Je comprends trop bien qu’il y a des dépenses qui sont de véritables économies, parce qu’elles sont en définitive productives ; je comprends aussi qu’il ne doit pas y avoir en Belgique de parias et que, quand on aura fait la fortune de quelques provinces, de quelques arrondissements, il sera juste de songer aux autres.
Si donc nous ne pouvons pas faire d’économies bien radicales, et si les dépenses dépassent les recettes telles qu’on en évalue le chiffre, il faut, pour rétablir l’équilibre, chercher des ressources extraordinaires, créer ce qui manque.
Vous en conviendrez avec moi, messieurs, depuis douze ans nos gouvernants sont peu inventifs. Leur travail d’esprit s’est borné jusqu’à présent à chercher le moyen de faire rendre, par de savantes combinaisons, un peu plus au sucre ; un peu plus au café, un peu plus à la bière, un peu plus aux boissons distillées etc, etc. C’est un sillon tracé dans lequel ils se traînent, ayant pour tout espoir d’arracher à l’ornière un peu plus de terre que leurs prédécesseurs. Ainsi comme le métier de ministre des finances me paraît une chose fort aisée, un bon chef de bureau s’en tirerait parfaitement.
Mais, messieurs, n’y a-t-il donc rien de nouveau à faire ; et si une réforme radicale dans les dépenses n’est pas possible, est-il donc impossible d’apporter dans notre système de recettes une modification importante ?
Permettez-moi de vous soumettre deux idées seulement.
Qui nous empêcherait de faire chez nous, pour les tabacs, ce qui se fait en France ?
J’admettrai si vous voulez, car je tiens à me montrer facile, que pour une grande partie de la population le tabac est devenu un objet de première nécessité ; mais je soutiens que pour le reste c’est un objet de luxe. Moi, qui vous parle, je connais des personnes qui dépensent en cigares 7, 8, 900 fr. par an, mille même, et 1,200 sans fumer davantage que l’ouvrier et le campagnard qui gardent toute la journée la pipe à la bouche . Est-ce là un objet de luxe ? et tout ce qui touche au luxe n’est-il pas ce que nous avons de plus naturellement imposable ?
Je sais que, si l’on me fait l’honneur de me répondre, on me dira : il y a des difficultés immenses. Les difficultés, messieurs, quand on les voit de loin, ce sont des montagnes, mais comme les montagnes, elles s’abaissent à mesure que l’on en approche. Ces difficultés, messieurs, elles existaient lorsque l’empereur a créé en France la régie des tabacs, avec l’espoir d’en tirer un produit de quinze millions. L’empereur a regardé de près les difficultés, et elles se sont évanouies, et aujourd’hui le député qui proposerait en France de rendre libre le commerce du tabac serait hué.
L’empereur espérait, dans sa France colossale, tirer quinze millions du monopole du tabac. Le produit de la vente des tabacs figure an budget de 1842 pour quatre-vingt-quinze millions, et les frais de perception, dans lesquels tout est compris, l’achat, la manutention, la surveillance, sont portés à 24,759,000 fr. : reste donc un bénéfice de soixante-dix millions deux cent quarante et un mille francs.
Je suppose la Belgique ayant le dixième de la population de la France, et en Belgique on consomme plus de tabac qu’en France, nous trouverions donc dans la mise en régie des tabacs un revenu de sept à huit millions.
Qu’on ne me dise pas que l’intérêt du pauvre serait sacrifié ; non, messieurs, vous pouvez classer les diverses qualités de vos tabacs de telle façon que le pauvre ne payera pas son tabac plus cher qu’il ne le paye aujourd’hui.
Qu’on ne me dise pas que les Belges ne sont pas habitués à user d’un tabac détestable, comme celui que la régie française livre aux consommateurs. La mauvaise qualité du tabac de la régie française est un vieux préjugé. Les priseurs gourmets font venir à Bruxelles le tabac de la régie française, et nos grands amateurs de cigares payent fort cher, quand ils sont à Paris, des cigares qu’on leur assure avoir été introduits en contrebande, et qui tout simplement sont fabriqués par la régie française.
Je reconnais que la réalisation de ce projet créerait de sérieux embarras ; mais, messieurs, la peur des embarras est l’ennemi le plus redoutable de toute amélioration.
Maintenant il me faut chercher dans cette chambre des appuis pour mon système, j’en ai un là à ma gauche. Je lui dirai à lui et à d’autres : vous voulez l’union douanière avec la France et moi aussi ; j’y gagnerai la vie pour mon arrondissement. Or vous n’aurez jamais l’union douanière sans accepter le monopole du tabac. Si le monopole offre un avantage, pourquoi ne pas aplanir dès à présent un des obstacles qui s’opposent à l’union douanière ?
Aux partisans des réductions dans l’armée, je dirai : vous ne consentirez jamais à réduire à la misère des officiers, des sous-officiers qui n’ont pas démérité du pays. Acceptez le monopole des tabacs, et vous aurez de nombreuses retraites à offrir.
Je ne soumets pas de chiffre à la chambre, pas de calculs, pas de combinaisons, pas de systèmes d’exécution : à chacun sa tâche ici. Un député peut indiquer une amélioration, c’est au gouvernement qu’appartient l’application.
J’ai dit, messieurs, que je prendrai la liberté de vous soumettre deux idées. J’ai présenté la première, voici la seconde.
J’ai lu en 1834, dans un journal, un travail fort curieux en plusieurs articles, sur le système financier de la Belgique. L’auteur, je dois le dire, prétend bouleverser entièrement notre système, et toutes ses réformes, tous les changements qu’il proposait, ne m’ont pas paru également praticables. Mais, au milieu de toutes ses propositions, il en est une qui m’a singulièrement frappé.
Personne ne niera que l’assurance contre l’incendie ne soit une très bonne chose ; tous nous désirons que les avantages de ces assurances soient connus et appréciés dans nos campagnes ; tous nous voudrions qu’il n’y eût pas dans nos campagnes une seule chaumière non assurée.
D’un autre côté, il résulte de fort beaux bénéfices des assurances actuelles, et sans avoir fait de recherches, je crois pouvoir dire que les assurances ne couvrent pas le cinquantième des propriétés en Belgique. Je me trompe peut-être dans mes évaluations, mais peu importe ; si je commets une erreur, elle n’est pas de nature à altérer mon raisonnement.
L’auteur du travail auquel je fais allusion proposait ceci : L’assurance par l’Etat, assureur obligatoire, au moyen d’une légère augmentation sur l’impôt foncier.
Les conséquences sont faciles à saisir :
1° Bienfait de l’assurance rendu général ;
2° Produit important pour le trésor ;
3° Contrôle naturel pour l’assiette de la contribution.
On n’évaluera certes pas sa propriété à la moitié ou aux deux tiers de sa valeur, alors que cette supercherie, trop commune, aurait pour conséquence, de ne faire rembourser au propriétaire assuré, en cas d’incendie, que la moitié ou les deux tiers de la valeur de sa propriété.
Je crois, messieurs, que cette idée, qui n’est pas mienne, mais que j’adopterais volontiers, vaut la peine d’être examinée ; je la recommande à vos méditations. En 1834, elle a passé inaperçue ; c’est que, messieurs, c’était un changement, et il est si doux de rouler sur une voie tracée et battue.
C’est encore ici un monopole qui est proposé, je l’avoue. Eh bien, messieurs, que l’on me propose beaucoup de monopoles qui soient, comme celui-ci, dans l’intérêt de tous ; je les adopterai avec empressement, sans même m’inquiéter du petit désagrément qu’ils pourraient causer à nos seigneurs de la finance.
Je me résume, j’ai étudié les budgets consciencieusement, et je ne crois pas à la possibilité de réductions considérables, ni même suffisantes.
Nous ne voulons pas de centimes additionnels. Nous sommes las de voir sans cesse remanier, presque sans avantage, toutes les vieilles bases de l’impôt. La réforme radicale que nous ne pouvons opérer sur les dépenses, remplaçons-la par une réforme dans le système des recettes. Ne craignons pas de dire ce qui est une vérité. En Belgique, la moyenne de l’impôt de chacun n’est pas trop élevée, mais l’impôt est vicieusement distribué ; c’est là qu’est le mal, c’est là qu’il faut appliquer le remède. Ne reculons pas devant les difficultés ; les difficultés, pour avoir peur, n’ont besoin que d’être regardées en face.
M. Savart-Martel. - Messieurs, j’ai aussi examiné avec beaucoup de soin les budgets, et, contre mon ancienne conviction, j’ai dû reconnaître qu’il n’était pas aussi facile d’obtenir des réductions que je le pensais avant d’entrer dans cette chambre. Aussi je compte peu sur les réductions qu’il sera possible d’obtenir, au moins cette année.
Cependant, messieurs, les centimes additionnels qui vous ont été proposés et qui, il faut le dire, ont en général été vus avec une défaveur extrême, ces centimes additionnels me paraîtraient d’autant moins justes que vous savez tous dans quelle circonstance a été établie la loi en ce qui concerne du moins la contribution personnelle ; vous vous rappelez tous qu’elle n’a été votée qu’à une très faible majorité, et que les députés de pays surtout se sont élevés avec force contre ce nouveau système d’impôts.
Certes, je ne veux pas proposer, quant à présent, de supprimer cet impôt ; cela est impossible. Mais venir en aggraver les effets en augmentant de 10 tous les centimes additionnels que nous supportons déjà, ce serait vraiment insupportable, d’autant plus insupportable, qu’il est certain que la contribution personnelle présente en général beaucoup d’arbitraire. Je dis beaucoup d’arbitraire ; car de la manière dont est faite la loi, faites votre déclaration comme bon vous semble, ce sont en définitive les agents du fisc qui fixent votre cotisation. Si encore on prenait pour base de ce malheureux impôt les évaluations foncières faites par le cadastre, on éviterait les vexations qu’il est impossible d’éviter avec le système actuel, par suite duquel les agents du fisc s’introduisent dans les maisons pour vérifier ce que vous possédez, je le concevrais encore.
Au reste, je le répète, s’il faut supporter encore, pour cette année, cette malheureuse loi, cette loi déplorable à mes yeux et contre laquelle il y a mille choses à dire, au moins n’en aggravons pas les effets.
Messieurs, l’honorable membre qui vient de parler vous a indiqué deux moyens de couvrir le déficit qui se présente dans nos finances ; il vous a d’abord parlé de la vente des domaines de l’Etat. La vente des domaines de l’Etat me paraît vraiment chose à faire, avant de frapper de nouveaux impôts. Je sais qu’on va me répondre : ce moyen peut vous servir cette année, mais l’année prochaine vous n’en aurez pas moins un déficit. Messieurs, d’ici à l’année prochaine, j’espère que nous aurons un nouveau système de finances et que nous satisferons enfin à cette prescription de la constitution, de réviser nos lois financières. Et pourquoi la constitution faisait-elle cette recommandation à la législature ? Parce que la mauvaise répartition des impôts est un des motifs qui ont exaspéré le peuple contre l’ancien gouvernement, et que leur révision est une des choses que l’on a surtout réclamée lors des événements de 1830.
Ainsi donc, je le répète supportons pour cette année encore cet impôt, mais n’en aggravons pas les effets. Quant au moyen d’équilibrer nos recettes et nos dépenses, on vous a déjà indiqué la vente des domaines, et j’ajouterai, quant à moi, la vente des rentes de l’Etat. Mais ce que vient de vous indiquer l’honorable comte de Baillet, ce mode d’assurance établi par l’Etat à l’égard de tous les contribuables, mérite un sérieux examen. Je crois que nous rencontrerions dans cette mesure un très grand avantage pour le public et une source de revenus pour l’Etat.
Je fais des vœux d’autant plus sincères pour que le gouvernement étudie cette question, que je dois dire que beaucoup de Belges ont été dupes de certains assureurs. Je ne généralise pas, bien s’en faut ; mais les tribunaux sont là pour attester que beaucoup de Belges sont dupes des assurances, et surtout de celles qu’ils prennent près des sociétés étrangères. Nous prenons des assurances non seulement près des sociétés du pays, mais aussi, et fort habilement, me semble-t-il, en France, à l’étranger. Or, il arrive très souvent qu’il se présente des difficultés, et vous savez qu’il il y a toujours moyen pour les sociétés d’en susciter tant qu’elles veulent. Eh bien ! dans un cas pareil, c’est le pot de terre contre le pot de fer ; il faut aller plaider en France, nommer des arbitres, et je vous demande si un malheureux qui perd une propriété de 1,000 à 1,500 francs n’aime pas mieux abandonner ses droits que d’aller s’adresser aux tribunaux français.
Ainsi donc l’assurance générale de l’Etat serait non seulement utile dans l’intérêt de nos finances, mais aussi dans l’intérêt des habitants du pays, et surtout de ceux des campagnes.
Je sais fort bien que les grands propriétaires ne redoutent pas les difficultés, qu’ils ne craignent pas d’aller plaider à l’étranger niais je parle dans l’intérêt des habitants de la campagne qui ne possèdent pour tout avoir qu’une petite propriété.
Messieurs, je suis loin d’avoir rencontré tout ce qui pourrait se dire sur cette matière ; je parle d’abondance, et malheureusement sans avoir été prévenu qu’il y aurait lieu à traiter aujourd’hui de cet intérêt. Je me résume en disant que je trouve de fortes raisons pour rejeter les centimes additionnels, sauf à voir les moyens que l’on emploiera pour coordonner les recettes avec les dépenses. Quant aux assurances dont je viens de parler, je sais bien que l’on ne peut, dés présent, formuler une loi ; mais, ainsi que l’a fait l’honorable M. de Baillet, je réclame toute l’attention du ministère sur ce point, tant dans l’intérêt fiscal que dans l’intérêt de la généralité.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, le vote du budget des voies et moyens par les chambres législatives est généralement considéré, dans tous les gouvernements constitutionnels, sous deux points de vue distincts. D’abord, comme une nécessité administrative, et, en second lieu, comme un acte de confiance donné par la représentation nationale au ministère chargé de la direction des affaires du pays. Une opposition systématique n’étant ni dans mes goûts, ni dans mon caractère, je me propose de voter cette année les recettes et les dépenses qui me paraîtront nécessaires, les lois qui me sembleront utiles. Mais, en même temps, je ne veux point que l’on puisse inférer de mes votes, que j’approuve le système politique et gouvernemental du ministère.
Je regarde, au contraire, ce système comme nuisible aux intérêts du pays, et c’est cette opinion que je me vois dès lors obligé d’expliquer à la chambre.
Je le ferai du reste avec toute la modération que, j’ose le croire, j’ai l’habitude d’apporter dans nos débats ; et je n’ai pas besoin d’ajouter, sans doute, que dans tout ce que je vais dire, je n’ai en vue que l’être moral, le ministère, et qu’il n’entre nullement dans ma pensée de porter la moindre atteinte ni aux intentions ni aux qualités privées des hommes qui le composent.
Dans la longue et laborieuse session qui a précédé celle-ci, plusieurs lois fort importantes ont été votées. Ce sont là, messieurs, les titres que le ministère, ou plutôt M. le ministre de l’intérieur, a déjà plusieurs fois rappelés là à vos souvenirs.
Je ne veux point contester l’utilité ni l’importance de plusieurs de ces lois ; mais il me semble qu’avant d’en exalter l’adoption, il eût été prudent d’attendre qu’elles aient subi l’épreuve de l’application et de l’exécution.
Jusqu’à présent deux des plus importantes seulement ont subi cette épreuve. Ce sont celles sur la réforme de l’organisation communale. Or, je laisse à tous les esprits impartiaux le soin d’apprécier les effets qu’elles ont produits, et, s’il y a lieu, de s’en applaudir.
Mais, messieurs, en supposant même que ces diverses lois aient toutes leur degré d’utilité, est-ce uniquement d’après le nombre plus on moins grand d’affaires et de projets qu’elle expédie, que l’on doit juger le mérite d’une administration ?
Le ministère qui ferait discuter le plus grand nombre de lois, serait-il donc, je vous le demande, réputé le meilleur des ministères sans s’inquiéter d’autres considérations d’un ordre supérieur ? le système politique qu’il suit dans le pays et dans les chambres, l’action qu’il exerce sur l’esprit public, la considération et la popularité dont il entoure le pouvoir, ne forment-ils donc pas la partie la plus importante de la haute mission qui lui est confiée ?
Si, après avoir voté bon nombre de lois, expédié bien des affaires, nous trouvions le pays plus mécontent, les haines politiques plus vives, la division des esprits plus profonde, le trésor public plus obéré, le pouvoir moins considéré, aurions-nous donc de vives félicitations à adresser au ministère et à son système gouvernemental ?
Eh bien, messieurs, telle est, à mes yeux la situation du pays, et il suffit de citer les faits pour démontrer que cette opinion n’a rien d’exagéré.
Pendant le cours de cette année, on a souvent parlé de la conciliation des parties. Le sénat et la chambre l’ont même encore invoquée dans leurs adresses en réponse au discours du Trône. Eh bien, je vous le demande, à quoi en est maintenant cette conciliation ? Jamais les esprits ne furent plus divisés, et, du train où l’on y va, les opinions ne tarderont point à être tout à fait irréconciliables, si déjà même elles ne le sont devenues ! Du reste, c’était chose facile à prévoir qu’un rôle conciliateur n’appartenait pas au ministère actuel. Les vices de son origine, la conduite partiale tenue pas lui dans les élections de 1841, lui rendaient nécessairement ce rôle impossible.
Il ne pouvait obtenir assez de confiance de la part de l’opinion libérale pour accomplir l’œuvre d’un rapprochement, même entre les hommes les plus modérés des deux opinions. C’est donc en vain que le cabinet actuel se proclamait devant vous ministère de paix et d’union : son passage aux affaires ne pouvait et ne peut encore produire que des effets tout contraires à ses paroles.
Vous vous rappelez, messieurs, la fameuse circulaire programme de M. le ministre de l’intérieur. Selon lui, le cabinet qu’il venait de former était mixte ; c’était en outre le point culminant d’une situation après laquelle le pouvoir devait inévitablement se porter à droite ou à gauche. Mais, messieurs, pour constituer un ministère mixte, il ne suffit pas de le proclamer dans une circulaire ; il faut qu’il le soit surtout par ses actes, par ses nominations, par sa conduite politique. Or je vous laisse le soin d’apprécier si, sous tous ces rapports, l’administration actuelle est mixte ?
Aussi, voyez quelle est sa position dans les chambres et dans le pays !
Dans les deux chambres, l’opinion libérale, à quelques voix près, lui est opposée.
D’un autre côté, il est permis de croire que l’opinion catholique n’éprouve pas pour lui de bien vives sympathies, malgré l’appui qu’elle lui a prêté pendant la session dernière. Cette opinion le soutiendra-t-elle encore pendant toute cette session ? associera-t-elle de nouveau ses destinées à celles du cabinet pour les élections prochaines ? C’est ce qui semble assez probable, quoique l’accueil fait aux centimes additionnels annonce que l’appui que l’on veut bien accorder encore sera fort tiède. Quant au ministère, il paraît, lui, vouloir planter plus profondément que jamais son drapeau dans la droite. Libre à lui, sans doute ; mais qu’au moins alors on ne parle plus de cabinet mixte, de point culminant d’une situation ; qu’alors M. le ministre de l’intérieur ait le courage de déchirer lui-même le programme qu’il a rédigé à son avènement !
Je sais bien que M. le ministre de l’intérieur se retranche ordinairement derrière la majorité qu’il a obtenue et qu’il espère obtenir encore. Cette majorité n’est point une majorité qui marche au pas, dit-il ; tantôt il la trouve à droite, tantôt il la trouve à gauche. Messieurs, dans des questions d’affaires, purement matérielles, cette majorité flottante peut bien se présenter. Chez nous surtout, l’opposition radicale, systématique, n’est guère dans nos mœurs parlementaires. Mais quand il s’agit du système gouvernemental tout entier, ou de lois d’organisation politique, cette majorité variable ne peut exister. Dans notre dernière session, les lois sur la réforme communale étaient des lois politiques ; eh bien, l’opposition en masse les a combattues. Pour l’instruction primaire, il est vrai, M. le ministre de l’intérieur a obtenu la presque unanimité des suffrages. Mais le ministère aurait tort cependant de croire que c’est là un témoignage de confiance qu’a voulu lui donner l’opposition. Dans cette circonstance, l’opposition, en votant presque tout entière pour la loi, n’a eu en vue ni une question de ministère, ni une question de parti ; elle a vu, avant tout, une question sociale. En faisant abnégation de ses griefs contre le cabinet, elle a donné des preuves d’une grande modération, d’une grande sagesse, et je suis sûr que le pays lui en a su gré. Quant à moi, je ne regrette nullement le vote que j’ai donné à cette loi importante. Je suis profondément convaincu que, bien exécutée, elle peut rendre de grands services à la société. Mais il faut bien si garder d’en faire un instrument de parti ; et c’est dans son exécution surtout que nous allons voir la marche que va suivre M. le ministre de l’intérieur.
Messieurs, dans un gouvernement représentatif, qui n’est autre chose que l’intervention du pays dans les affaires publiques, une des conditions essentielles pour le pouvoir, c’est non seulement d’avoir dans les chambres une majorité réelle, mais aussi de posséder cette autorité morale que donne le prestige de la considération nationale sans laquelle une administration ne peut être forte et respectée.
Eh bien, messieurs, j’en appelle à tous les hommes impartiaux, à tous les membres de cette chambre, cette autorité morale, cette puissance d’opinion, pensent-ils que le cabinet actuel la posséder ?
Quant à moi, je dois le dire, tous les faits politiques, tout ce qui se passe sous nos yeux, me paraissent à l’évidence démontrer le contraire.
D’abord dans quelle position ne trouvons-nous pas le ministère vis-à-vis des administrations communales de la plupart de nos grandes villes ? Depuis son avènement au pouvoir, c’est une lutte continuelle. D’ailleurs, comment en serait-il autrement ? Tantôt on traite ces administrations de juntes ; tantôt on présente des projets pour restreindre des libertés de tous temps si chères à nos communes ; ou bien l’on déclare que si un bourgmestre est repoussé par les électeurs, ce n’est nullement une raison pour qu’il ne soit pas nommé de nouveau leur premier magistrat. L’on jette ainsi inutilement des provocations à la tête des administrations communales ; l’on dirait qu’elles ne sont composées que d’hommes ennemis de l’ordre et de nos institutions et l’on suscite sans nécessité des luttes fâcheuses pour le pouvoir et pour le pays.
Aussi, nous avons vu, messieurs, aux élections du 25 octobre, les fruits d’un pareil système. Ces élections, au lieu d’être simplement communales, sont devenues politiques et à peu près partout où elles ont pris ce caractère, le pouvoir a succombé !
Qu’est-il, en effet, arrivé dans ces élections ? Des bourgmestres, hommes recommandables, ont été éliminés par les électeurs. Et pourquoi ont-ils été éliminés ? parce qu’ils étaient partisans du ministère.
Tous les bourgmestres choisis en dehors du conseil ont également été repoussés !
Mais il y a plus encore, messieurs. Il s’est passé une chose presqu’inouïe dans nos fastes électoraux. Un ministre, pour lequel, comme homme privé, on ne peut avoir qu’estime et considération, a été repoussé par des électeurs qui toujours lui avaient donné de nombreux témoignages de confiance. Et pourquoi a-t-il été repoussé ? parce qu’il fait partie du ministère. Et quelles sont les localités où ces faits se sont passés ? C’est dans nos grandes cités, c’est dans la capitale. Messieurs, on ne peut se le dissimuler, ces faits sont significatifs ; vouloir en nier l’importance, ce serait fermer les yeux à la lumière.
Maïs devons-nous être surpris que le pays ne montre pas plus de confiance dans le ministère, lorsque ce ministère ne paraît pas avoir confiance en lui même ? Naguère n’a-t-il pas été question d’un remaniement du cabinet ? et qui nous dit que ce projet avorté ne sera pas repris de nouveau après l’adoption des budgets ? Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que ces bruits ne produisent un effet nuisible à la considération du pouvoir. Comment voudrait-on que l’opinion publique eût foi dans l’administration, quand cette administration elle-même convient, en quelque sorte, de son insuffisance ?
Après cela, messieurs, je sais fort bien que le ministère, ou du moins le noyau du ministère, a de grandes chances de prolonger encore sa débile existence. Nous approchons des élections : c’est là une circonstance qui préoccupe déjà tous les esprits.
Or, il est dans les choses possibles qu’il se présente une situation parlementaire assez étrange ; c’est que les diverses opinions désirent voir le ministère actuel présider aux élections prochaines ; les uns, parce qu’ils espèrent trouver en lui un appui qu’on leur promettra facilement et que même on leur a sans doute déjà promis ; les autres, parce qu’ils voient dans son impopularité croissante un utile auxiliaire. S’il en était ainsi, il y aurait donc une crainte commune : celle de le voir tomber avant les élections. Mais après la lutte électorale, le sort qui attend le ministère n’est douteux pour personne.
Messieurs, je n’en dirai pas davantage sur notre situation politique. Ce que j’ai dit, j’ai cru devoir le dire, car nous ne sommes pas ici pour taire notre opinion, mais pour la faire connaître hautement à la chambre et au pays.
Je dirai maintenant quelques mots sur la partie financière du budget des voies et moyens. J’ai vu avec plaisir que la section centrale propose le rejet des nouveaux centimes additionnels sur le foncier, le personnel et les patentes ; j’ai toujours considéré les propositions du gouvernement à cet égard comme devant être accueillies avec la plus grande défaveur et comme étant en quelque sorte inutiles dans le moment actuel.
En effet, messieurs, nous avons vu que la section centrale, dans le rapport qu’elle nous a présenté, évalue seulement le déficit de l’année prochaine à 1,073,210 fr.
Dès lors, messieurs, si ce déficit n’est pas plus considérable, quelle nécessité y avait-il de venir proposer de frapper des centimes additionnels aussi élevés sur le foncier, sur le personnel et sur les patentes ?
D’un autre côté les centimes additionnels qui pèsent sur la propriété immobilière sont déjà fort considérables, si l’on y comprend surtout ceux qui se paient au profit des provinces et des communes. Dans le Luxembourg, par exemple, l’impôt foncier est frappé, au profit de la province, de 29 centimes additionnels ; il en est de même pour le personnel. Si l’on y ajoute 18 centimes perçus dans l’état actuel dès choses au profit de l’Etat sur l’impôt foncier, et 20 sur le personnel, vous avez dans cette province 47 centimes additionnels sur le foncier et 49 sur le personnel, sans compter ceux qui sont perçus au profit des communes.
Je ne doute donc pas, messieurs, que la chambre adopte l’opinion de la section centrale sur les centimes additionnels, d’autant plus qu’en nous occupant promptement des lois qui nous sont déjà soumises, et notamment de la loi sur les sucres, nous parviendrons facilement à couvrir l’insuffisance des ressources qui nous est signalée.
Je fonde peu d’espérance sur le projet présenté quant à l’accise sur les bières. Il me semble que ce projet soulève une si vive réprobation, de si nombreuses réclamations, qu’il faut nécessairement qu’il y ait une exagération, un vice dont cette industrie aurait vivement à souffrir. Or, s’il en est ainsi le projet n’atteindrait pas le but qu’on se propose et qui est une augmentation dans les ressources du trésor.
Il existe chez nous, messieurs deux matières éminemment imposables et qui ont jusqu’à présent été frappées légèrement. Je citerai d’abord les sucres, que l’on vous a désignés si souvent. En France, messieurs, malgré l’antagonisme qui existe entre le sucre colonial et le sucre indigène, l’impôt sur cette matière rapporte, si je ne me trompe, de 35 à 40 millions de francs ; et les financiers trouvent qu’il devrait rapporter infiniment plus. Cela fait donc un franc à peu près par habitant, tandis que chez nous, il ne rapporte qu’environ 13 centimes par habitant. Or, je crois que ce ne serait pas trop demander au projet qui vous est proposé, tout en ménageant, autant que possible, les intérêts si graves engagés dans la question, que d’exiger que cet impôt rapporte aussi chez nous un franc par habitant, comme en France.
Pour le tabac, en France, le monopole de la fabrication, qui appartient au gouvernement, produit un revenu net de 72 millions de francs Certes, en général, je ne suis guère partisan des monopoles ; je n’aime pas à voir le gouvernement se faire entrepreneur d’industries ; mais il faut convenir que ce monopole-ci a du moins un très bon côté. Chez nos voisins du Midi, la régie a été attaquée autrefois d’une manière très vive ; mais on commence à en revenir, car en 1840 le projet de loi tendant à proroger cette régie jusqu’en 1852 a été adopté à la presque unanimité.
En Belgique, je sais bien qu’il n’est guère possible d’établir la régie des tabacs, mais au moins je me suis souvent demandé, et je ne comprends pas encore pourquoi les tabacs ne sont pas frappés d’un droit de consommation. Je me rappelle que, lorsque mon honorable ami M. Mercier était au ministère des finances, il nous a dit que le gouvernement avait fixé son attention sur cet objet, et qu’il espérait pouvoir présenter aux chambres un projet de loi qui procurerait de nouvelles ressources au trésor, tout en ménageant les divers intérêts. Je désirerais savoir si ce projet est abandonné ou si le gouvernement continue à le méditer.
Je pense, messieurs, que ce sont là deux matières imposables qui pourraient facilement combler le déficit actuel du trésor et nous ménager des ressources pour l’avenir. J’engage donc M. le ministre des finances à y réfléchir mûrement.
D’un autre côté, messieurs, il est à remarquer que le budget des dépenses, qui s’élève pour l’année prochaine à 110 millions, comprend pour 3,715,000 fr. de dépenses extraordinaires et temporaires. En second lieu, comme l’a fort bien fait observer la section centrale, le chemin de fer, pour lequel tous les emprunts sont définitivement terminés, produira peut-être d’ici à quelque temps, un revenu de 12 ou 13 millions de francs. Enfin, il est à espérer que dans le budget de la guerre l’on pourra aussi introduire progressivement quelques économies, tout en conservant une armée suffisante et capable de défendre les droits et l’honneur de la Belgique.
Ainsi, messieurs, si, par de bonnes lois sur le sucre, sur les tabacs, sur le débit des boissons distillées, par la majoration de certains droits de douane, nous obtenions une augmentation de revenu de 4 à 5 millions de francs, l’équilibre sera parfaitement établi entre les recettes et les dépenses de l’Etat, et si nous maintenons, à l’avenir, une sage économie dans nos dépenses, nous n’aurons plus besoin de recourir à de nouvelles augmentations d’impôts et surtout aux nombreux centimes additionnels dont le gouvernement menaçait la propriété immobilière.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - La discussion générale a pris une tournure à laquelle je ne m’attendais pas ; mon intention n’était que de parler contre les centimes additionnels, j’attendrai donc que la discussion soit un peu plus avancée.
Plusieurs membres. - A demain.
M. Donny. - Je désire, messieurs, déposer un amendement, dont je demanderai l’impression et le renvoi à la section centrale. Voici cet amendement ; c’est un paragraphe additionnel à l’art. 1er de la loi :
« Toutefois le gouvernement est autorisé à mettre les tarifs des droits de fanal et de pilotage perçus au port d’Ostende, en harmonie avec les tarifs qui sont ou qui seront établis en d’autres localités. »
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de cet amendement.
La séance est levée à 4 heures.