(Moniteur belge n°244, du 1er septembre 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Adrien Vandersande, garde-forestier à Postel, né à Reusel (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Henri Fondu, commis-négociant, à Verviers, demande qu’on érige la statue du prince Charles de Lorraine, ou qu’on lui restitue les 10 fr. qu’il a donnés pour l’érection de ce monument. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce et des fabriques de Louvain présente des observations contre le projet de loi sur le sel. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet.
M. Deprey, retenu chez lui par une indisposition, s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.
- Pris pour notification.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du projet de loi relatif à l’exécution de la convention conclue avec la France. La chambre en est restée à l’article 5, ainsi conçu :
« Art. 5 La déduction pour la perte au raffinage du sel, mentionnée à l’art. 13 de la loi du 2 août l822 (Journal officiel, n° 35) et à l’art. 4, § g, de la loi du 24 décembre 1829 (Journal officiel, n° 76) est supprimée, à l’exception de celle accordée pour le sel marin brut de France, qui est portée à 7 p. c. »
M. Donny a proposé de remplacer cet article par la disposition suivante :
« La déduction pour la perte au raffinage du sel brut de France, fixée à 7 p. c. par l’art. 4, parag. g de la loi du 24 décembre 1839 (Journal officiel, n° 76), est portée à 12 p. c. »
M. Osy. - Messieurs, je viens appuyer l’amendement de l’honorable M. Donny. Comme le dit cet honorable membre, le sel de Portugal n’obtient aujourd’hui qu’une déduction de 1 p.c. ; le sel anglais obtient 5 p.c. ; le sel d’Espagne, 3 p. c. ; le sel français, 7 p. c. Aux termes de la convention le sel français doit obtenir 7 p.c. de plus que le sel le plus favorisé. Or, le sel le plus favorisé, c’est celui qui vient d’Angleterre ; le sel français doit donc jouir d’une déduction de 12 p. c. M. le ministre propose de supprimer toutes les déductions, à l’exception de celle qui est accordée au sel français, de sorte que le sel de Portugal, qui est presque raffiné, serait mis sur la même ligue que le sel anglais. Je crois, messieurs, que cette question ne doit être résolue que lorsque nous discuterons la loi sur les sels, dont nous sommes saisis, et que pour le moment, il faut laisser les choses dans le statu quo, c’est-à-dire, nous borner à accorder au sel français 12 p. c. au lieu de 7.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l’amendement de l’honorable M. Donny, appuyé par M. Osy, tend seulement à perpétuer un abus. Tous les ministres des finances qui se sont succédés ont reconnu que les déductions accordées à différents sels ne sont nullement motivées. Le sel de roche, par exemple, jouit d’une déduction de 5 p. c. ; mais cette réduction est d’autant moins justifiée qu’il y a des qualités de ce sel qui gagnent au raffinage, au lieu de perdre ; il en est qui donnent 102 kil. pour 100 kil. brut.
Dans le projet de loi qui a été proposé en 1836 par l’honorable M. d’Huart et dans celui que j’ai proposé récemment, toutes les déductions sont définitivement supprimées ; cette loi, n’ayant pu être discutée, j’ai cru qu’il fallait dès aujourd’hui opérer cette suppression ; car sans cela, nous devrions accorder au sel français 12 p. c. au lieu de 7. Ce qui prouve, du reste, que les sauniers n’ont pas besoin de déduction, c’est l’assentiment unanime qu’ils ont donné au projet de loi dont je viens de parler. Il vous est arrivé, messieurs, des pétitions de toutes les localités de la Belgique, et toutes réclament avec instance l’adoption de notre projet qui, je le répète, supprime toutes les déductions. Les sauniers reconnaissent donc qu’elles ne leur sont pas nécessaires.
Je ne puis donc donner mon assentiment à l’amendement de l’honorable M. Donny. D’ailleurs, cet amendement est inutile, car si la chambre adoptait les vues de l’honorable membre, elle n’aurait qu’à supprimer l’art. 5 du projet, puisqu’en vertu de la convention avec la France, le gouvernement peut, sans loi nouvelle, accorder au sel français une déduction de 12 .p. c.
M. Zoude. - Messieurs, il y a trois jours à peine qu’on réclamait la restitution du quart des droits payés par les marchands de vins, parce qu’à défaut de cette restitution on constituait un privilège en faveur des marchands étrangers.
Maintenant c’est pour une marchandise qui est à l’entrepôt qu’on réclame, c’est pour une marchandise qui met tous les négociants sur la même ligne. Que le sel soit encore en Angleterre, qu’il soit en entrepôt ou en crédit permanent, la mesure est également applicable à tous, aucune réduction quelconque ne sera accordée à personne.
Ce système n’est pas d’aujourd’hui, c’est celui qui a été présenté au congrès par une commission dont l’honorablet M. d'Elhoungne était rapporteur, là on posait comme chose prouvée, que, loin de perdre au raffinage, le raffineur y gagnait.
C’est celui qui a été présenté en 1836 par l’honorable M. d’Huart, et en juin dernier par l’honorable ministre actuel des finances.
Je dois ajouter qu’à ces diverses époques de présentation de projets, un nombre considérable de pétitions pour et contre ont été adressées à la chambre ; qu’en qualité de membre de la commission au congrès, de rapporteur du projet de 1836, j’ai recueilli toutes les pétitions et en ai gardé une analyse assez complète, et je crois pouvoir affirmer qu’aucune réclamation ne s’est élevée sur la suppression des déductions, sauf sur celles du sel de France.
Et quand même il y aurait eu réclamation, peut-on enchaîner la législature au point qu’elle ne puisse apporter de changement à ses lois d’accise ?
Messieurs, le sel anglais sera toujours celui que nos sauniers emploieront de préférence, parce que le fret sera toujours à meilleur marché pour l’Angleterre que pour la France ; parce que nous y exportons nos produits naturels, qui y sont favorisés, par nos navires nationaux, et prenons en retour le sel, à l’exclusion des navires étrangers.
En France, à moins que l’importation de nos houilles et de nos fers n’y soit favorisée nous en retirerons toujours très peu de cette denrée.
Aussi, sur près de 6 millions de francs de sel anglais, nous en recevons à peine pour 250 mille fr. de France.
M. Mercier. - Messieurs, il n’y a pas eu unanimité dans la section centrale pour l’adoption de cet article ; mais la divergence d’opinion ne portait pas sur le fond même de la disposition ; elle se rattachait principalement à la forme. Les membres de la section centrale qui n’ont pas cru devoir adopter cet article ayant refusé leur adhésion par le seul motif que, dans leur opinion, un projet qui n’est relatif qu’à l’exécution de la convention conclue avec la France, ne doit point renfermer une semblable disposition, ils ont cru que c’était par une loi sur le sel qu’il fallait supprimer, s’il y avait lieu, la réduction accordée à certaines espèces de sel.
M. le ministre des finances vient de reconnaître qu’aux termes de la convention le sel français doit jouir d’une réduction de 7 p. c. en sus de la réduction accordée au sel le plus favorisé ; comme le sel anglais obtient aujourd’hui une réduction de 5 p. c., il faut, en vertu du traité, accorder à la France une déduction de 12 p. c. Eh bien, pour cela il ne faut point une disposition de la loi ; depuis le 16 août cette déduction est accordée au sel français qui est importé dans le pays. La disposition tend donc à changer l’état de choses qui existe actuellement. Je ne me prononce pas en ce moment sur la question de savoir si les déductions accordées aux différentes espèces de sel devront être supprimées, mais je pense que cette question ne doit pas être décidée incidemment dans la loi qui nous occupe en ce moment.
Cependant je ferai ici une observation : aujourd’hui le sel venant d’Italie jouit d’une déduction de 3 p. c. ; celui au contraire qui est importé du Portugal n’obtient que la déduction de 1 p. c. ; en supprimant les deux déductions nous entravons davantage les arrivages de sel d’Italie. Nous agirons donc en sens inverse du projet de loi sur le sel, que M. le ministre des finances a soumis à la chambre et qui avait pour but de favoriser les importations de sel d’Italie, et d’augmenter ainsi nos relations avec ce pays, si l’on veut atteindre jusqu’à un certain point le but que l’on avait en vue en proposant la disposition à laquelle je fais allusion. Je sais que la convention faite avec la France fait tomber cette partie du projet de loi ; mais si l’on veut jusqu’à un certain point se rapprocher du but qu’on avait signalé, il faudrait accorder au sel d’Italie, au lieu de 3 p. c., 5 p. c. de déduction ; on fait le contraire, on favorise, par la suppression de toutes les déductions, les importations du sel de Portugal, pays avec lequel nos relations commerciales sont très défavorables.
Une semblable mesure ne porterait préjudice au trésor qu’en apparence ; car nous sommes libres d’augmenter l’accise sur le sel dans la proportion de la diminution de recettes qu’elle pourrait occasionner.
J’ai surtout fait ces observations, messieurs, pour démontrer combien il est dangereux de toucher ainsi, incidemment, à des lois de finances, et pour faire voir quelle serait la portée d’une modification qui nous est proposée ici comme une simple mesure d’exécution de la convention. Cette disposition est tout à fait étrangère à l’exécution de la convention, puisqu’elle s’exécute dès aujourd’hui, puisque le sel français jouit dès à présent des avantages que cette convention lui assure.
M. Mast de Vries. - Je pense, messieurs, qu’il ne peut pas entrer dans l’intention de la chambre de diminuer les ressources du trésor ; car l’amendement de l’honorable M. Donny diminuerait ces ressources de 100 à 200,000 francs. La proposition de M. le ministre des finances tend à porter le droit sur le sel à 18 francs ; la proposition de M. Donny tend à réduire ce droit à 16 francs et quelque chose ; eh bien, messieurs, cette réduction ferait perdre au trésor de 100 à 200,000 fr. par an. Tout le monde sait, messieurs, que le sel de roche en général, loin de perdre 5 p. c. au raffinage, ne perd rien ou même gagne, comme l’a fort bien dit M. le ministre des finances. Le sel français n’est pas dans le même cas, celui-là perd de 7 à 8 p. c., et dès lors la faveur accordée à ce sel est de nature à rétablir à peu près l’équilibre.
Ces considérations, messieurs, me porteront à repousser l’amendement de l’honorable M. Donny, et à adopter la disposition du projet de loi.
M. Donny. - Messieurs, le discours de M. le ministre des finances est la critique de la législation de 1822 et de 1829. D’après M. le ministre, cette législation consacrerait un abus, en ce qui concerne la déduction que l’on accorde pour le déchet au raffinage.
Messieurs, je ne partage pas cette manière de voir : la loi de 1822 et celle de 1829 font, à mon avis, une distinction fort sage entre le sel de Portugal, le sel d’Angleterre, le sel de France, le sel d’Espagne et d’autres pays. Et pourquoi a-t-on fait cette distinction, parce que ces sels n’ont pas tous le même degré de pureté. Il y a, quoi qu’en dise M. le ministre des finances, une très grande différence entre le sel de Portugal, par exemple, et le sel d’Angleterre et de France.
Et voulez-vous, messieurs, avoir la preuve de cette différence ? Je vais vous la fournir.
Nous sommes à un pas de la France, la France nous touche ; le Portugal est beaucoup plus éloigné ; il s’ensuit que les frais de transport du sel qui vient de France doivent être moins élevés que les frais de transport du sel qu’on va chercher en Portugal. Voilà une première différence à l’avantage de la France.
Une seconde différence en faveur de la France, c’est que la loi de 1829 accorde au sel de France 7 p. c. pour déchet au raffinage, tandis qu’elle n’accorde qu’un p. c. au sel de Portugal.
Eh bien, malgré cette double différence à l’avantage de la France, il s’importe en Belgique beaucoup plus de sel portugais que de sel français. Ainsi, par exemple, en 1840, l’on a importé eh Belgique un tiers de plus de sel portugais que de sel français. A quoi peut-on attribuer ce résultat ? Uniquement à ce que les deux sels ne se trouvent pas au même degré de pureté.
Messieurs, l’honorable M. Osy vous a fait remarquer avec raison qu’abolir une déduction sur l’accise, c’est indirectement augmenter cette accise. Et, de la façon que M. le ministre s’y prend, c’est augmenter l’accise d’une manière extrêmement irrégulière, quant à la forme, et fort irrationnelle quant au fond ; irrégulière, quant à la forme, puisque la proposition est faite d’une manière incidente, dans une loi que nous votons, pour ainsi dire, au pas de course ; irrationnelle, quant au fond ; et en effet, M. le ministre propose d’augmenter l’accise sur le sel anglais de 5 p. c., l’accise sur le sel d’Italie et d’Espagne de 3 p. e. et l’accise sur le sel de Portugal d’un p. c. Je demande si c’est là une proposition rationnelle.
Si l’on veut majorer l’accise, on doit le faire d’une manière générale et uniforme. Si l’on proposait des centimes additionnels, si l’on proposait un chiffre plus élevé de l’accise, je le concevrais ; mais du moins qu’on laisse subsister ces différences rationnelles que la loi de 1829, faisant suite à celle de 1822, a introduites.
Il y a, messieurs, entre le système que défend M. le ministre et le mien une très grande différence. M. le ministre veut que vous tranchiez dès aujourd’hui une question qui n’est pas sans difficulté, car d’après les paroles que vous avez entendu sortir de la bouche de différents orateurs qui ont parlé pour ou contre, vous devez concevoir, messieurs, que la question n’est pas aussi simple que M. le ministre le suppose. Eh bien, M. le ministre veut qu’on tranche cette question aujourd’hui par un vote presqu’aveugle ; tandis que de mon côté, je demande simplement qu’on laisse subsister le statu quo, jusqu’à ce que la chambre ait voté la loi qui lui a été soumise sur le sel ; alors, messieurs, vous déciderez en parfaite connaissance de cause s’il faut ou non supprimer les déductions d’accise, s’il faut mettre sur la même ligne le sel de Portugal, le sel d’Italie, le sel d’Angleterre, etc.
Messieurs, on vous a dit que la pénurie du trésor devait vous porter à rejeter mon amendement. D’abord, on a singulièrement exagéré la portée de cette disposition, quand on vous a parlé d’une somme de 100 à 200,000 francs ; ensuite si la pénurie du trésor est telle qu’il faille absolument faire produire au sel plus qu’il ne produit aujourd’hui, qu’on augmente l’accise, ainsi que je l’ai déjà dit, mais qu’on laisse subsister les différences que la législation actuelle a établies sur des bases très rationnelles.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je ne demande pas à la chambre un vote aveugle, comme on vient de le dire, la chambre ne me l’accorderait pas ; je demande un vote basé sur les leçons de l’expérience. Or, les essais multipliés qu’on a faits démontrent que toutes les déductions qu’on a accordées jusqu’ici sur le sel étaient désavantageuses au trésor, sans profit pour les consommateurs. C’est d’après ces essais, ou pour mieux dire de ces expériences que l’honorable M. d’Huart, en sa qualité de ministre des finances, est venu demander la suppression de toutes les réductions, les sels seuls de France exceptés, parce qu’en effet, ces sels renferment non seulement des parties terreuses, mais encore des parties aqueuses, qui occasionnent souvent une perte de 6 à 7 p. c.
Quant aux sels de roche, il y en a aussi qui renferment des parties terreuses, mais il y en a d’autres qui gagnent au raffinage, Dès lors, il y a bénéfice, et il n’y a pas lieu à continuer d’accorder une réduction de 5 p.c.
Quant aux sels du Portugal, ils nous arrivent dans un grand état de pureté ; ces sels sont blancs et ne subissent presqu’aucun déchet. il est donc également inutile de maintenir la réduction qui leur est accordée.
Quant aux sels d’Italie et d’Espagne, il nous en arrive très peu ; les 3 p. c. qu’on a accordés jusqu’ici en leur faveur sont également, et l’expérience l’a encore constaté, une réduction inutile, et qui tombe uniquement au détriment du trésor.
Maintenant, si on laissait subsister les lois de 1822 et 1829, qu’en résultera- -t-il ? C’est que, d’après la convention conclue, avec la France, il faudrait accorder aux sels français une déduction de 12 p.c., c’est-à-dire 5 p.c.de plus que ne le prescrit la convention.
Cette perte, nous voulons l’éviter au trésor, et c’est précisément parce que la loi sur le sel ne peut être votée maintenant, qu’il faut parer à cet inconvénient en supprimant toutes les réductions dans la loi actuelle, et en restant dans les limites posées par la convention.
Ce qui prouve d’ailleurs que la suppression de ces réductions ne portera aucun préjudice, c’est que les sauniers eux-mêmes se sont adressés à la chambre pour demander le vote d’urgence de la loi que j’ai eu l’honneur de présenter. Or, cette loi porte la suppression totale de toutes les réductions accordées jusqu’ici, sauf la réduction sur les sels de France. On peut dire que tous les raffineurs de sel, sont d’accord pour renoncer aux réductions dont l’honorable M. Donny demande le maintien.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je partage l’opinion de ceux qui prétendent que le trésor n’est pas dans une position à pouvoir faire des sacrifices ; je ne conçois pas qu’on veuille augmenter l’accise sur le sel, le seul assaisonnement de l’aliment du pauvre. Loin d’augmenter l’accise sur le sel, on devrait proposer de le réduire. Comment ! on augmenterait l’impôt sur le sel dans le moment même où l’on réduit l’accise sur les vins, cette boisson du riche. Ainsi, c’est sur les malheureux que vous frapperiez pour combler le déficit du trésor. Mais n’avez-vous donc pas d’autres matières bien plus imposables ? N’avez-vous pas le sucre, par exemple, le sucre qui peut rapporter annuellement au trésor de 4 à 5 millions ?
Messieurs, je l’ai dit dans une séance précédente, et je le répète encore, pourquoi la Belgique ne suivrait-elle pas l’exemple des autres nations ? Pourquoi, a l’exemple de ces nations, la Belgique ne ferait-elle pas face à une grande partie de ses dépenses, au moyen de droits à établir sur les produits que les étrangers importent chez nous. Hier, on me faisait remarquer que, loin de compromettre les finances de l’Etat par des emprunts, et loin d’être défavorable, c’était un moyen de consolider sa nationalité. On me citait, pour exemple, l’Angleterre. Vous le savez, messieurs, l’Angleterre est grevée d’une dette énorme, mais vous ignorez peut-être avec quoi elle paie cette dette considérable ; c’est avec ses droits de douane. La Belgique ne retire que 4 à 5 millions tout au plus de ses douanes, c’est-à-dire, le quart de l’intérêt de sa dette, tandis que cette source de revenus suffit à l’Angleterre, pour acquitter la plus forte dette des nations du monde.
Pour ce motif, loin de chercher à augmenter l’impôt sur le sel, je ferai tout ce qui dépend de moi pour faire réduire l’accise sur cette denrée, et je voterai pour l’amendement de l’honorable M. Donny.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, j’apprécie les sentiments que témoigne l’honorable membre en faveur de la classe malheureuse. Ces sentiments, le gouvernement les partage, mais il ne s’agit nullement d’augmenter l’impôt sur le sel ; il s’agit de faire cesser des réductions qui ne profitent pas aux consommateurs. Pour justifier cette assertion, il me faudrait entrer dans les détails de la fabrication. Je ne citerai qu’un exemple : tous les sels sont pris en charge à crédit permanent. Sels bruts, sels raffinés sont dans un même local. La loi accorde 5 p. c. pour le sel de roche ; mais en même temps elle prescrit que si cette réduction n’existe pas par le raffinage, il n’en sera pas tenu compte aux sauniers. Ainsi, si, pour 100 kilogrammes pris en charge, le saunier présentait 50 kilog. de sel brut et 50 kilog. de set raffiné, il ne jouirait d’aucune réduction. Mais on a soin d’éviter ce résultat aux recensements, et presque toujours on trouve 50 kilog. de sel brut et 47 1/2 de sel raffiné, bien qu’on ait obtenu 50. Les 2 1/2 sont livrés à la vente, mais le consommateur ne profite pas du profit du raffineur. L’honorable préopinant peut donc se tranquilliser ; il ne résultera aucune charge nouvelle pour le malheureux de la suppression que nous proposons.
Ainsi, il ne s’agit pas de frapper le consommateur, le malheureux, mais de faire cesser des réductions qui ne sont pas justes et viennent grossir le déficit du trésor.
M. Osy. - Je demande la parole.
Un grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !
- La chambre consultée ferme la discussion.
L’amendement de M. Donny est mis aux voix et n’est pas adopté.
L’art. 5 du projet, devenu art. 3, est adopté.
Article 6
« Art. 6. les dispositions de l’art. 5 sont rendues applicables au sel placé sous régime du crédit permanent ou déposé dans les entrepôts de libre exportation, alors qu’il sera déclaré en consommation. »
- Adopté.
« Art. 7. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
65 membres répondent à l’appel
2 membres s’abstiennent.
63 répondent oui.
En conséquence le projet de loi est adopté, il sera transmis au sénat.
MM. Donny et Osy se sont abstenus.
Ont voté l’adoption : MM. de la Coste, Cogels, Cools, David, de Baillet, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Huveners, Jadot, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, lys. Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb Orts, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vandensteen, Vanderbelen, Verhaegen, Wallaert, Zoude et Fallon.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. Donny - Je n’ai pas voulu voter contre la loi parce que c’est une loi d’exécution d’une convention faite avec la France, d’un autre côté je n’ai pas voulut consacrer par mon vote une disposition contre laquelle je me suis élevé.
M. Osy. - D’après la convention que nous avons faite avec France, nous étions obligés d’accorder aux sels de France une augmentation de déchet de 7 p. c. Je n’ai pas pu voter contre le projet pour être conséquent avec le vote que j’ai émis sur la convention, mais je n’ai pas cru pouvoir voter une disposition qui impose les sels de 5 p. c.. de plus, quand nous sommes saisis d’un projet de loi sur les sels que nous discuterons peut-être dans quelques mois.
« Article unique. Est approuvé la convention ci-annexée en date du 5 novembre 1841, portant cession par la ville de Bruxelles des immeubles y énumérés, ainsi que de ses collections scientifiques et objets d’arts destinés aux musées de l’Etat. »
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le projet, et comme il se compose d’un seul article, la discussion porte en même temps sur cet article.
Si personne ne prend la parole, je déclare la discussion close. Il va être procédé à l’appel nominal.
M. Rogier. - Il s’agit de la convention avec Bruxelles, et on met le projet aux voix sans discussion.
Est-ce qu’il n’y a pas de conclusion de la part de la section centrale ?
M. le président. - La section centrale propose le rejet du projet.
M. Rogier. - Est-ce que M. le ministre n’a rien à dire contre ces conclusions ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je maintiens mon projet. On ne l’attaque pas.
M. Rogier. - La section centrale a attaqué votre projet, puisqu’elle en propose le rejet ; il me semble que vous deviez le défendre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La section centrale conclut au rejet du projet, et n’indique aucun autre moyen que celui proposé. Si personne ne demande la parole aujourd’hui, ne pourrait remettre la discussion à demain.
M. Lebeau. - J’ai éprouvé une surprise assez grande en voyant le silence gardé par les organes du gouvernement. La section centrale, messieurs, a introduit un long plaidoyer, rédigé avec talent, je le reconnais, mais susceptible de quelque réfutation, contre le projet ministériel. La section centrale va même jusqu’à contester à la ville de Bruxelles la propriété des objets que le ministre de l’intérieur, agissant pour le gouvernement, s’est fait céder. La section centrale a ensuite parcouru tous les détails de la convention conclue avec la capitale, et s’est livrée à des critiques longues et motivées. Il me semble que le défenseur naturel, le premier défenseur du projet dont la section centrale s’est constituée l’adversaire, c’est le gouvernement. Bien qu’il soit dans mes intentions de prendre part à la discussion, j’avoue que j’aurais cru pousser mes prétentions au delà des limites raisonnables, en venant usurper le rôle du gouvernement, au lieu d’y marcher à sa suite. Je suis donc quelque peu surpris du silence de M. le ministre de l’intérieur. Je ne me crois pas obligé d’être plus gouvernemental que le gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne crois pas avoir mérité l’espèce de mercuriale que vous venez d’entendre.
Fallait-il que je répondisse par un mémoire au plaidoyer de la section centrale ? Mais ce mémoire, il me serait impossible de vous le faire saisir. C’est une question de chiffre que la section centrale a examinée. Je veux bien dire un mot de la manière dont j’envisage cette question. Je crois que la section centrale a eu tort de n’en faire qu’une question de chiffre. Il y a un côté politique, qui est resté complètement inaperçu pour la section centrale. Ce côté politique, vous le connaissez tous.
Maintenant je me propose de prendre part à la discussion. J’avoue qu’en ce moment une longue discussion qui m’a occupé vingt jours venant de se terminer, je ne suis pas prêt. Je demanderai qu’on remette la discussion à demain. Si je dois parler le premier, je serai obligé de le faire. Cependant rien ne m’y oblige. Tout ce que j’avais à déclarer au nom du gouvernement, c’est que je maintenais ma proposition. Je ne me crois pas obligé de réfuter point par point, chiffre par chiffre, le mémoire de la section centrale. La question n’est pas dans ces chiffres. Je demande si la section centrale propose un autre moyen ; comme elle n’en propose pas, en cas de rejet du projet du gouvernement, nous serons, après le vote, dans la même position qu’avant. Cependant une discussion serait nécessaire pour indiquer un autre moyen s’il existe. Pour moi, je crois pouvoir prouver qu’il n’en existe pas d’autre que celui proposé par le gouvernement.
M. Dumortier. - Le silence qu’a gardé la chambre lors de l’ouverture de la discussion générale prouve une chose, c’est que cette discussion n’était pas mûre, n’était pas prête à se présenter dans cette enceinte. Je crois que dans l’intérêt de la ville de Bruxelles il est à désirer que ce projet ne soit pas discuté maintenant. Car il ne paraît pas que la convention du gouvernement avec la ville de Bruxelles ait chance de passer dans les termes dans lesquelles elle a été conçue. Il me paraît qu’un ajournement serait chose utile. Je ne suis pas de ceux qui ne veulent rien faire pour la ville de Bruxelles, mais de ceux qui veulent faire quelque chose, et contrairement à l’opinion de M. le ministre de l’intérieur, je pense qu’il est facile de faire quelque chose d’autre que ce que propose le projet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et le moyen ?
M. Dumortier. - Ce serait de garantir un emprunt jusqu’à une concurrence donnée et d’autoriser le gouvernement à comprendre les faubourgs dans la ville.
Vous m’avez demandé un moyen, je l’indique. Je ne prétends pas qu’il soit infaillible. Mais je prétends démontrer que la question n’est pas mûre.
Puisqu’on m’a sommé de m’expliquer, je ferai remarquer que ce qui rend inévitable la ruine de Bruxelles, au point de vue de la commune, ce serait le maintien de la séparation des faubourgs. En effet, allez dans la rue Royale, vous trouverez plus de dix maisons à louer ; cela tient à ce que les impôts sont infiniment plus considérables à Bruxelles que dans les faubourgs. Presque tous les employés demeurent dans les faubourgs, quoiqu’ils touchent un traitement pour rester dans la ville de Bruxelles ; ils fraudent ainsi, en quelque sorte, les droits qu’ils doivent à la capitale. La plupart des magistrats sont dans ce cas, eux dont la loi a établi le domicile à Bruxelles.
Si cet état de choses est maintenu, jamais Bruxelles ne pourra se tirer de ses embarras financiers. Il est des personnes qui considèrent comme impossible l’agrandissement de Bruxelles. Comment !
Paris s’est agrandi 7 fois, et Bruxelles ne pourrait pas s’agrandir un jour. Mais déjà il en a été question, il y a quelques années. Le conseil communal de Bruxelles a fait une adresse aux chambres pour demander la réunion des faubourgs. Je dis donc que le seul moyen efficace, c’est de prononcer l’agrandissement décrété par l’empereur et qui n’a pas été mis à exécution par suite de circonstances qu’il serait trop long d’énumérer.
J’ajouterai que l’agrandissement de Bruxelles serait le seul moyen de faire valoir la capitale. La ville de Bruxelles a dans ses murs 100,000 habitants, les faubourgs ont 30,000 habitants. La ville de Bruxelles a un budget de 3 ou 4 millions. Le tiers des habitants de Bruxelles, ses habitants extra muros (car c’est ainsi qu’on peut considérer les habitants des faubourgs) devrait donc payer à la capitale au-delà d’un million par an.
On parle des frais d’une nouvelle enceinte. Mais, en Angleterre, les villes n’ont pas de murs d’enceinte, et elles se gouvernent très bien.
Je maintiens que le seul moyen de guérir efficacement les maux de la ville de Bruxelles, est la réunion des faubourgs. J’indique un autre moyen, la garantie d’un emprunt par l’Etat. Car je suis de ceux qui pensent qu’il faut faire quelque chose en faveur de la ville de Bruxelles.
Je termine en déclarant que, dans mon opinion, ce qu’il y a de mieux à faire dans l’intérêt même de la ville de Bruxelles, c’est de prononcer l’ajournement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne me refuse pas à prendre la parole ; mais j’aurais volontiers cédé le pas à d’autres orateurs, Je m’arrêterai d’abord à l’ajournement proposé.
La ville de Bruxelles est depuis longtemps en présence de ses créanciers. A l’effet de se libérer, elle a conclu une convention avec eux ; elle leur dit maintenant : « Il faut attendre jusqu’à ce que la convention soit approuvée ou rejetée. Si elle est rejetée, j’aviserai à d’autres moyens. » Il est impossible de perpétuer cette situation. Il faut que la ville de Bruxelles ne puisse plus opposer cette fin de non-recevoir à ses créanciers. Voilà selon moi, un motif péremptoire contre l’ajournement. Songez à la position des créanciers de la ville de Bruxelles.
M. Dumortier. - Je n’ai pas demandé un ajournement indéfini. J’ai demandé seulement l’ajournement jusqu’à la session prochaine.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - A la session prochaine, la question ne sera pas plus éclairée qu’aujourd’hui. Si j’avais pu m’attendre à ce qu’aucun orateur ne prît la parole dans une discussion aussi importante, je me serais préparé pour parler le premier, en embrassant la question sous toutes ses faces, dans tous ses détails. J’espérais avoir 24 heures de répit après la longue discussion à laquelle nous nous sommes livrés. Mais je dis que nous ne pouvons ajourner de nouveau cette question, si nous prenons en considération la position spéciale des créanciers de la ville de Bruxelles.
Je regrette que l’honorable M. Dumortier n’ait pas formulé sa double proposition, à savoir l’autorisation donnée au gouvernement d’abord de garantir un emprunt, et en second lieu de réunir à la capitale ce qu’on appelle les faubourgs. S’il veut formuler cette proposition, nous la discuterons ; et je crois que je prouverai que ce moyen n’est pas praticable, et tout au moins, qu’il est plus onéreux que le moyen que le gouvernement a proposé. Rien n’est plus facile que d’émettre aussi des idées générales. Mais il faut formuler des propositions, indiquer des moyens d’exécution.
Qu’entend-on par la garantie de l’intérêt d’un emprunt ? Pendant combien de temps le gouvernement fera-t-il le service de l’intérêt ? Tout cela n’a pas été indiqué par l’honorable membre. Si l’on décide que le gouvernement garantira l’intérêt d’un emprunt pendant quelques années, pendant sept ans, par exemple, comment fera-t-il pour obtenir que le service de l’emprunt se fasse, quand, ce terme arrivé, la ville de Bruxelles devra commencer le service le cet emprunt ? Quelle action aura-t-il sur les impôts, sur l’octroi de la ville de Bruxelles ? Dans quelle position placeriez-vous le gouvernement vis-à-vis des populations de Bruxelles, si, pour sa décharger du payement des intérêts, il devait augmenter les taxes ? Voilà des questions qui sont dans l’ombre et que nous examinerions, si une proposition était faite.
M. Dumortier. - Vous me demandez ce qu’il y a à faire. Je l’indique. Je ne fais pas de proposition, je fais voir qu’il y a des moyens. Après cela, il peut y en avoir d’autres
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai le droit de parler ainsi à l’honorable membre, puisqu’il reconnaît qu’il y a quelque chose à faire en faveur de la ville de Bruxelles.
M. de La Coste. - Tout le monde est d’accord là-dessus. (Dénégation de la part de plusieurs membres.) (Erratum au Moniteur belge n°246 du 3 septembre 1842 : « M. de La Coste nous fait savoir que cette interruption lui a été attribuée par erreur. » )
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Alors à quels moyens faut-il recourir ? Est-ce à la garantie d’un emprunt ? Je demande de nouveau ce qu’on entend par là. Cette garantie sera-t-elle donnée pendant un certain temps ? Sera-t-elle donnée gratuitement ? Sera-t-elle donnée à charge de remboursement plus tard ? Comment le gouvernement récupérera-t-il les sommes qu’il aura avancées ? Comment fera-t-il pour obtenir que la ville lui succède dans le service de l’emprunt ? Car l’emprunt sera garanti par l’Etat, vis-à-vis des porteurs. Quelle sera la position du gouvernement lorsqu’il lui faudra élever l’octroi ? Les populations de Bruxelles ne se plaindront-elles pas de ce qu’elles sont frappées parce que le gouvernement, comme il en a le droit, se refuse à continuer le service des intérêts et veut récupérer les sommes avancées ? A-t-on bien considéré la position où se trouve le gouvernement dans la capitale ?
L’honorable préopinant veut donner au gouvernement une seconde autorisation, celle de réunir les faubourgs. Je demande à quelle distance s’étendrait cette réunion. Combien de communes seraient incorporées à la ville de Bruxelles ; à quelles conditions aurait lieu cette incorporation ? Est-ce bien là un remède pour sauver la capitale de la situation extrême où elle se trouve. Il faudrait une nouvelle enceinte, sinon la réunion des faubourgs serait une véritable fiction. Vous ne faites rien pour les faubourgs, si vous ne faites pas une nouvelle enceinte. Cette nouvelle enceinte coûterait de 2 à 3 millions. Ainsi ce serait une charge nouvelle de 2 ou 3 millions imposée à la capitale. Une capitation imposée aux faubourgs fictivement réunis serait une iniquité.
L’honorable préopinant a supposé que la réunion des faubourgs augmenterait les revenus de la ville de Bruxelles de plus d’un million. Je crois qu’il y a là de l’exagération. Je crois que la réunion des faubourgs, même d’après les bases les plus larges, c’est-à-dire la réunion jusqu’à 3,000 mètres à partir de l’hôtel de ville, n’augmenterait pas de plus d’un demi-million les revenus de la ville de Bruxelles. Cette mesure obligerait la ville à une dépense immédiate de 2 ou 3 millions pour la nouvelle enceinte. Il y aurait ensuite de grands travaux de pavage et d’éclairage à faire dans les faubourgs réunis à la capitale. J’arrive au fond.
Le moyen que nous vous proposons n’est pas nouveau. Il a été suggéré depuis nombre d’années. Il a donné lieu à de longues négociations poursuivies sous trois ministères. Nous avons adopté des propositions comme point de départ, en quelque sorte. L’une c’est qu’il faut, selon l’opinion de M. Dumortier, faire quelque chose pour la ville de Bruxelles ; la seconde, c’est que le gouvernement doit avoir dans la capitale certains bâtiments, certaines collections. Tous les jours, l’expérience nous prouve que nous manquons de bâtiments. Nous achetons des tableaux ; nous commandons des statues, nous formons des bibliothèques, nous décrétons des expositions, et nous n’avons pas de bâtiments. Vous voulez être nation, et vous ne voulez pas que votre gouvernement dans la capitale ait les moyens qui lui sont indispensables. Un gouvernement ne consiste pas seulement dans les hôtels ministériels ; mais tous les jours vous êtes en quelque sorte à mendier près de la commune de Bruxelles l’autorisation de se servir des locaux qu’elle veut bien vous prêter et qu’elle peut vous refuser.
Partant de ces deux points, qu’il faut faire quelque chose pour la ville de Bruxelles, et que le gouvernement a besoin de bâtiments, nous avons contracté avec la ville de Bruxelles.
Le chiffre est-il trop élevé ? Nous ne le croyons pas. Nous croyons qu’il faut prendre en considération l’ensemble des choses que Bruxelles nous cède. Néanmoins c’est une chose à examiner ; mais nous n’hésitons pas à dire qu’à part certaine détails, il n’y a aucun aune moyen pratique de tirer la capitale de la position difficile où elle se trouve, et que rejeter celui-ci sans en indiquer un autre, c’est véritablement déclarer qu’on ne veut rien faire.
Je regrette qu’aucun autre orateur n’ait pris la parole ; si la discussion continue, je me réserve, de la prendre de nouveau.
M. de Brouckere. - Messieurs, si j’ai réclamé la parole, c’est moins pour défendre au fond la proposition que le gouvernement vous a faite, que pour m’opposer à la demande d’ajournement formulée par l’honorable M. Dumortier. M. le ministre de l’intérieur vous a prouvé par des arguments auxquels il serait, je crois, difficile de répondre quelque chose de sérieux, qu’il y a justice, qu’il y a convenance à s’occuper immédiatement du projet de loi concernant la convention avec la ville de Bruxelles. Je vous l’ai déjà dit, messieurs, dans une autre séance ; quel que doive être le sort du projet de loi, mieux vaut un rejet aujourd’hui qu’un long ajournement.
Messieurs, sur quoi base-t-on cette demande d’ajournement. La question, dit l’honorable M. Dumortier, n’est pas mûre.
M. Dumortier. - Je n’ai pas demandé un long ajournement.
M. de Brouckere. - Je vous prouverai tout à l’heure que si vous ajournez, vous ajournez pour longtemps.
On dit donc que la question n’est pas mûre, mais je ne comprends pas comment on justifierait une semblable assertion. Le projet de loi est présenté depuis plusieurs mots ; le rapport de la section centrale est entre vos mains depuis fort longtemps aussi, et déjà plusieurs fais il a été question de mettre à l’ordre du jour le projet de loi. Tout le monde doit donc être prêt à discuter.
Mais, dit l’honorable M. Dumortier, un second motif, c’est que dans le cas où l’on ajournerait la question, on présenterait d’autres moyens pour venir au secours de la ville de Bruxelles, qui vaudraient mieux que celui qui vous a été soumis par le gouvernement. Moi, messieurs, je crois, comme M. le ministre de l'intérieur, qu’il n’y a pas de meilleur moyen que celui qui vous est proposé ; mais s’il en est, rien n’empêche de les formuler aujourd’hui, tout comme on les formulerait à une autre époque. M. Dumortier, vous en a suggéré deux ; et hier M. le ministre de l'intérieur vous a déjà prouvé que ces deux moyens sont inadmissibles, et que d’ailleurs ils seront inefficaces.
Un emprunt, vous dit-on, que contracterait la ville de Bruxelles et que garantirait le gouvernement. Mais je crois, messieurs, ne pas aller trop loin en vous disant que la ville de Bruxelles vous remercierait d’une semblable faveur. Quoi, elle vous démontre de la manière la plus évidente que son embarras financier est tel qu’elle ne peut en sortir qu’en se procurant dès à présent une somme très forte, et pour se la procurer, elle vous offre des trésors de toute espèce, de véritables trésors ; des trésors en tableaux, des trésors en livres, de magnifiques bâtiments, et vous lui répondez : mais contractez un emprunt, nous vous garantirons cet emprunt.
Mais, messieurs, il faudra toujours rembourser une fois cet emprunt ; il faudra en servir les intérêts. Vous n’aurez donc fait que remettre à une autre époque les embarras où se trouve la ville de Bruxelles. C’est là un service dont elle ne vous saura aucun gré.
Réunir les faubourgs à la ville. D’abord, comme vous l’a dit M. le ministre de l’intérieur, pour réunir les faubourgs à la ville, il faudrait dès à présent une très forte dépense, et l’augmentation de ressources qui serait le résultat de cette réunion ne répondrait pas aux dépenses qu’elle entraînerait.
Mais, dit l’honorable M. Dumortier ne faites pas d’enceinte ; laissez les choses comme elles sont, et prononcez seulement la réunion.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M. de Brouckere. - Je dis, messieurs, qu’une semblable mesure serait une grande injustice. Savez-vous ce que vous ferez ? Vous diriez : La ville de Bruxelles a des dettes qu’elle ne sait pas payer ; eh bien ! que les faubourgs les paient. Voilà, traduit en termes fidèles, le système que l’on vous présente.
Je dis que si la réunion doit un jour s’opérer, elle ne peut l’être avec justice que lorsque la ville de Bruxelles aura mis ordre à ses finances, et que ce serait une mesure des plus arbitraires, que de dire à sept ou huit communes environnantes : Vous allez faire partie intégrante de la ville de Bruxelles ; vous ne jouirez pas de tous les avantages de la ville, car on vous laissera comme vous êtes maintenant ; mais vous supporterez ses dettes. Vous sentez qu’alors même qu’une semblable mesure conviendrait à la ville de Bruxelles, il y aurait opposition de tous les faubourgs, et opposition motivée.
Du reste, c’est là une question qui n’est pas mûre, et je défierais la chambre de la résoudre aujourd’hui. On s’occupe déjà depuis très longtemps de la question de savoir s’il est à désirer que les faubourgs soient joints à la ville ; mais cette question n’est pas mûre. Elle demande encore un long examen, et elle fera probablement un jour ou l’autre, l’objet d’un projet séparé.
Messieurs, j’insiste pour que la chambre s’occupe immédiatement du projet de loi. Je demande, comme je l’ai déjà fait, à ceux-là même qui seraient décidés à voter contre, d’émettre leur vote dans la présente session, parce que s’il n’est pas examiné dans cette session, l’ajournement sera très long. Je pose en fait qu’il sera impossible de discuter ce projet dans la session prochaine.
M. de Mérode. - On le mettra le premier à l’ordre du jour.
M. de Brouckere. - Je dis que nous ne pourrons le discuter dans la session prochaine. Ce n’est que vers la mi-novembre que nous nous réunissons ; vous remarquerez que régulièrement tous les budgets doivent être arrêtés avant le 1er janvier. Eh bien, l’expérience nous a démontré que les six ou sept semaines que nous avons ne suffisent pas pour arrêter tous les budgets. Je crois qu’une seule année, depuis 1839, les budgets ont été votés à temps, et que onze ou dix fois au moins, nous avons dû accorder des crédits provisoires. Nous ne devons pas nous exposer à perpétuer cet état de choses ; il faut faire en sorte que cette année tous les budgets soient votés avant le 1er janvier 1843.
Je crois, avec l’honorable M. de Mérode, que le temps est passé où l’on doit éplucher 1es budgets, paragraphe par paragraphe, pour savoir si l’on doit en supprimer quelques centaines de francs. Mais à l’occasion des budgets, des questions du plus haut intérêt ne peuvent manquer d’être soulevées. Nous aurons à examiner des questions de finances très importantes. M. le ministre des finances me fait un signe affirmatif. Il faudra, avant le 1er janvier, augmenter nos voies et moyens ; cela est indubitable. Vous aviez la preuve avant le 1er janvier, que nos voies et moyens n’ont pas suffi pour couvrir nos dépenses et qu’il y a nécessité d’augmenter nos recettes. Eh bien, messieurs, des lois par lesquelles on crée des impôts sont des lois qui demandent toujours un long examen, et je crois que nous serons fort heureux si du 8 novembre au 1er janvier nous avons réglé tout ce qui concerne nos finances.
Quand nous arriverons au 1er janvier, nous aurons des questions non moins importantes à examiner, ce sont celles qui concernent notre système commercial. Vous serez saisis du rapport de la commission d’enquête, et la discussion qui s’élèvera à ce sujet ne saurait manquer d’être fort longue. Il y a en effet grande divergence d’opinion sur le système de commerce qu’il convient d’adopter une bonne fois pour la Belgique car, comme vous le savez, nous n’avons pas de système commercial ; c’est une chose nouvelle à créer, et du système commercial que nous adopterons dépendra l’avenir commercial de la Belgique.
Messieurs, nous avons encore à discuter d’autres objets d’une haute importance ; mais n’en fût-il pas ainsi, je ne crains pas de dire que nous atteindrons le mois de mai sans avoir pu trouver de séance disponible pour nous occuper du projet de loi relatif à la convention avec la ville de Bruxelles.
Maintenant m’est-il permis d’ajouter encore une considération ? Je suis, messieurs, intimement convaincu qu’il est dans l’intérêt du pays que l’examen de la convention précède la discussion sur le projet d’emprunt. Je sais que tout le monde ne partage pas mon avis ; je pourrais cependant invoquer des autorités qui ne sont pas à dédaigner. Mais je regarde comme certain que notre crédit public, que le crédit de l’Etat gagnerait beaucoup et à l’intérieur et surtout à l’étranger, si les finances de la ville de Bruxelles étaient régularisées. Eh bien ! c’est là une considération qui, à mes yeux, est encore de la plus haute importance. Je tiens pour certain que la simple adoption du projet qui vous est soumis exercerait une grande influence sur le cours des fonds nationaux ; et vous n’ignorez pas que si nos fonds venaient à monter, le gouvernement parviendrait aussi à traiter à des conditions plus avantageuses en ce qui concerne l’emprunt à contracter.
Par tous ces motifs, j’insiste de tout mon pouvoir auprès de la chambre pour qu’elle continue la discussion qu’elle a commencée. Je ne crois pas d’ailleurs qu’elle doive être longue ; la meilleure preuve, c’est qu’aujourd’hui personne n’était disposé à prendre la parole. M. le ministre de l’intérieur vous a déclaré que demain, à l’ouverture de la séance, il combattrait les conclusions présentées par la section centrale. Je suppose qu’ensuite deux ou trois orateurs seront entendus, et rien n’empêchera d’aller aux voix.
M. Malou, rapporteur. - Je ne m’attendais pas, messieurs, à ce que la convention du 5 novembre, qui a été combattue dans le rapport de la section centrale, ne trouvât pas au moins quelques défenseurs dès le début de la discussion. Je devais naturellement croire que mon rapport fût attaqué, et cette circonstance explique le silence que j’ai gardé.
Je n’appuierai pas, messieurs, la motion d’ajournement, parce qu’il me semble aussi qu’il est de l’intérêt du pays que cette question soit résolue dans un sens quelconque. Je crois aussi que nous devons nous borner pour le moment à l’examen de la convention et admettre ou rejeter cette convention. D’autres moyens ont été indiqués pour tirer la capitale de l’embarras où elle se trouve ; moi-même je me suis prononcé dans la section centrale pour la garantie des intérêts d’un emprunt qui serait contracté par la ville de Bruxelles, et si la motion d’ajournement est rejetée, j’exposerai ce moyen en engageant le gouvernement, pour le cas où la convention ne serait pas admise, à traiter avec la ville sur cette base nouvelle. Mais je ne pense pas que la chambre puisse convenablement prendre l’initiative pour proposer à la ville de Bruxelles les bases d’une nouvelle convention. Nous devons nous borner à adopter ou à rejeter la convention du 5 novembre ; si cette convention est adoptée, tout est dit ; si elle est rejetée, le gouvernement pourra, d’après les lumières qu’il aura puisées dans la discussion, proposer à la ville de Bruxelles de conclure une autre convention.
Le système que j’avais proposé à la section centrale, je l’avais formulé en une sorte de projet de loi ; ce système, je le développerai si la motion d’ajournement est rejetée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’y a pas de motion d’ajournement.
Un membre. - M. Dumortier a proposé l’ajournement.
M. Dumortier. - J’ai fait remarquer que le silence gardé par tous les membres de la chambre prouvait que la question n’est pas mûre. Tout ce qui s’est passé depuis ne fait que me confirmer dans cette opinion.
M. le président. - Proposez-vous l’ajournement ?
M. Dumortier. - Je demande que la question soit ajournée jusqu’à la session prochaine, mais qu’elle soit alors mise à l’ordre du jour immédiatement après l’adresse.
M. Malou, rapporteur. - Eh bien, si l’ajournement est rejeté, j’examinerai les divers moyens qui ont été proposés et qui sont considérés par les uns comme souverains, et par les autres comme inefficaces pour relever les finances de la capitale. Il faut d’abord que la chambre se prononce sur l’ajournement et je m’abstiendrai jusque là de répondre aux diverses observations qui ont été faites.
M. Verhaegen. - Messieurs, je me renfermerai dans la question d’ajournement, et par conséquent, j’aurai peu de chose à dire. Je voulais prendre la parole lorsque M. le ministre de l’intérieur a demandé que la discussion fût remise à demain, parce qu’il lui semblait que personne n’était préparé à parler et que lui-même, après la longue discussion à laquelle il vient de prendre part, n’était pas disposé à prendre la parole le premier. Je voulais faire observer que si l’on remettait la discussion à demain, il était plus que probable que demain la chambre ne se serait pas trouvée en nombre. Je n’ai pas besoin de m’expliquer davantage à cet égard, mais je crois que cela est extrêmement probable.
La proposition d’ajournement faite par l’honorable M. Dumortier m’étonne beaucoup ; elle m’étonne d’autant plus qu’il la motive sur cette circonstance, que nous sommes réunis depuis 10 mois ; or, si je ne me trompe, il nous arrivera peut-être avant la fin de la séance, une proposition signée par l’honorable membre et quelques-uns de ses amis, et qui aura probablement pour effet de nous retenir ici pendant quelque temps encore. Je crois qu’il sera question d’un petit embranchement du chemin de fer de Jurbise à Tournay, qui coûtera 4 à 5 millions. Cela sera très urgent, il faudra le discuter de suite.
Mais si d’autres membres agissaient comme l’honorable M. Dumortier veut agir à l’égard de la ville de Bruxelles, il se pourrait fort bien que cette proposition fût aussi ajournée. Et si, par exemple, on n’était pas en nombre pour discuter la convention avec la ville de Bruxelles, si tout le monde jugeait à propos de s’en aller lorsqu’il s’agira de prononcer sur cette convention, je ne vois pas ce qui empêcherait d’autres membres, surtout ceux qui ont des vacances à prendre et qui sont cependant à leur poste, je ne vois pas ce qui empêcherait ces membres de s’en aller également, lorsqu’il s’agira de discuter l’emprunt. On se paierait ainsi de la même monnaie, et l’emprunt ne serait pas voté, non plus que les diverses propositions que l’on ne manquera pas d’y rattacher.
Une proposition formelle a été faite par le gouvernement ; elle a été mûrement examinée, elle a fait l’objet d’un rapport de la section centrale ; elle a été mise à l’ordre du jour ; elle venait à son ordre utile, lorsque, il y a deux jours, répondre à l’honorable M. d’Huart, proposa à la chambre de s’ajourner à vendredi prochain, parce que, disait-il, nous n’avions pas à nous occuper d’autre chose. Je me suis permis alors de prendre la parole pour répondre à M. d’Huart et j’ai proposé de nous occuper, immédiatement après le vote définitif du projet de loi sur l’enseignement primaire, de la convention avec la ville de Bruxelles. Cette proposition a été discutée et adoptée par appel nominal. Si donc la chambre prononçait aujourd’hui l’ajournement, elle se déjugerait.
Je sais bien que ce qui a été décidé en droit peut être mis de côté en fait, et c’est ce qui serait arrivé si la proposition de M. le ministre de l’intérieur avait été adoptée et si demain la chambre ne s’était pas trouvée en nombre.
Je sais bien qu’ainsi le fait prendrait la place du droit, mais je supplie la chambre de maintenir l’acte de justice qu’elle a posé et de discuter la question, comme elle s’est engagée à le faire.
L’honorable M. Dumortier voudra bien remarquer que ses observations pourraient tourner contre lui-même ; que les députés de Bruxelles, dont il a toujours trouvé l’appui chaque fois qu’il s’est agi des intérêts généraux du pays. Je fais ici appel à tous les membres de la chambre, et notamment aux membres des deux Flandres qui nous ont trouvés à leurs côtés quand il s’est agi de poser un acte de justice qu’ils demandaient, je veux parler du canal de Zelzaete ; je fais appel tous les autres membres de la chambre qui nous ont toujours rencontré lorsqu’il s’est agi non pas des intérêts de notre province, de notre ville, mais des intérêts de leurs localités que nous considérions comme conformes à l’intérêt général de la Belgique. Je ferai un appel aux membres qui appartiennent à la province d’Anvers ; ces messieurs portent intérêt à la Campine et ils trouveront lorsqu’il s’agira de poser l’acte de justice qu’ils réclament. L’honorable M. Dumortier lui-même ne devrait pas s’opposer à ce que justice soit rendue à la capitale puisqu’il aura besoin de tous les membres de la chambre pour obtenir ce qu’il désire dans l’intérêt de sa province. Du reste, quand il s’agira de discuter le fond de la question, je ne serai pas fort embarrassé vis-à-vis de l’honorable membre car je lui rappellerai les paroles mémorables qu’il a prononcées dans une autre enceinte, et par lesquelles il a rendu à la Ville de Bruxelles la justice qui lui est due, il a dit alors que Bruxelles est le berceau de la révolution que c’est Bruxelles que nous devons de siéger dans cette chambre. Je rappellerai à l’honorable M. Dumortier ce qu’il a dit à cet égard dans une enceinte qui n’est pas très éloignée de celle-ci ; j’ose espérer qu’il se souviendra de ses paroles d’alors, et qu’il n’insistera pas dans la demande d’ajournement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois faire remarquer, messieurs, que je n’ai pas demandé la remise de la discussion à demain ; j’ai simplement dit que j’aurais désiré ne parler que demain, que je m’étais attendu à ce que d’autres orateurs prissent aujourd’hui la parole. Je n’ai donc pas demandé la remise de la discussion ; au contraire, quelques moments après, j’ai pris la parole et j’ai abordé le fond de la question.
M. Dumortier. - L’honorable M. Verhaegen ne m’a sans doute pas compris. Lorsque j’ai demandé l’ajournement, je n’ai pas voulu faire une chose hostile à la capitale ; bien au contraire, j’ai dit qu’il y aurait quelque mesure à prendre. Ce qui m’a porté à demander l’ajournement, c’est le silence gardé par les honorables députés de Bruxelles, lorsque la discussion a été ouverte ; quand j’ai vu que ces honorables membres, qui me semblaient devoir combattre le rapport de la section centrale, se taisaient, j’ai dû croire qu’ils n’avaient rien à dire, et comme je ne veux pas un rejet pur et simple de la proposition, mais que je veux qu’il soit fait quelque chose pour la ville de Bruxelles, j’ai demandé que la discussion fût ajournée jusqu’à ce que la question pût être mûrement examinée. Il m’eût été extrêmement pénible de voir rejeter le projet de loi sans qu’on le remplaçât par une autre mesure propre à tirer la capitale de l’embarras où elle se trouve ; cela aurait d’ailleurs fait le plus mauvais effet, c’est pour cela que j’ai demandé l’ajournement ; je désire que la question puisse être discutée avec fruit, que l’on puisse examiner ce qu’il y a à faire.
M. de Brouckere. - Nous sommes prêts à discuter.
M. Mercier. - M. Dumortier maintient-il sa motion ?
M. Dumortier. - Si l’on veut discuter, je la retire.
M. de Mérode. - Je la reprends.
M. Lebeau. - Je croyais, messieurs, que cet incident était épuisé par le retrait de la proposition d’ajournement ; mais l’honorable comte de Mérode l’ayant reprise, je crois devoir insister pour qu’il n’y soit donné aucune suite, et que l’on adopte la proposition faite par M. le ministre de l’intérieur, de remettre la discussion à demain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai rien proposé à cet égard.
M. Lebeau. - Alors je me borne à m’opposer à l’ajournement.
Si une question qui concerne la capitale, qui concerne son crédit, sa réputation était accueillie dans cette chambre avec indifférence, avec défaveur, cela prouverait, à mes yeux que bien que nous soyons constitués en nation depuis douze ans, le sentiment national a encore de grands progrès à faire chez nous. Dans tout pays, quand on parle de la capitale, c’est avec sympathie, c’est avec orgueil ; il n’y a pas un Français, il n’y a pas un Anglais qui entendît avec indifférence parler de Paris, parler de Londres, et qui ne se montrât disposé a ressentir vivement toutes les atteintes qui pourraient être portées à la considération, à l’honneur de la capitale.
Heureusement, messieurs, le langage patriotique de l’honorable M. Dumortier, langage qui a trouvé de l’écho sur tous les bancs, langage qui se résume en ceci : « Il y a quelque chose à faire pour la capitale ; » ce langage prouve que le sentiment national a fait au contraire d’heureux progrès.
M. le ministre de l’intérieur a eu quelque raison tout à l’heure de déplorer la position qui lui était faite, par suite de la discussion dont il vient de sortir, et dont il a en quelque sorte, en ce qui regarde le gouvernement, porté le poids à lui seul ; mais nous avons pensé, nous députés de la capitale, qui sommes prêts à prendre part à la discussion ; nous avons pensé, alors qu’il y avait un rapport très développé de la section centrale, rapport qui renverse de fonds en comble le projet du gouvernement, alors que le cabinet a pu se livrer à l’examen de ce rapport depuis près de trois mois ; nous avons cru, dis-je, que l’honneur de l’initiative d’une pareille lutte appartenait au gouvernement. Nous n’avons pas néanmoins pensé que M. le ministre de l'intérieur fût tenu d’entrer le premier en lice ; quelle que soit la part que M. le ministre prend à nos discussions, il n’est pas à lui seul tout le gouvernement ; d’autres ministres sont assis à côté de lui. Nous pensons qu’un de ses collègues surtout a tout autant que lui mission de venir défendre dans cette chambre les intérêts de la capitale, mission qui avait seule assez d’attraits à ses yeux, disaient ses amis au moment de son entrée dans le cabinet, pour en faire surmonter les vives répugnances que lui inspiraient les fonctions si pénibles, si ingrates de ministre ; nous pensons que M. le ministre de la justice...
Je pense que je suis dans mon droit, et l’on ne m’empêchera pas de continuer ; si je sortais des convenances parlementaires, ce qui n’est ni dans mes habitudes ni dans mes intentions, M. le président connaît assez ses devoirs pour m’y rappeler.
Nous avons dû penser que M. le ministre de la justice, qui ne doit pas être trop fatigué par suite de la part qu’il a prise à la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, nous apporterait aussi son contingent de lumières. J’attache d’autant plus de prix à l’opinion de M. le ministre de la justice sur cette question, que chacun de nous le sait, personne mieux que lui n’a pu connaître l’origine et le développement de la crise financière de la ville de Bruxelles, eu égard aux fonctions qu’il remplies. Je serais désolé qu’on ne vît dans ma pensée qu’un côté frivole, qu’une intention épigrammatique.
Quoi qu’il en soit, et ne voulant pas arrêter trop longtemps la chambre par cette digression, je déclare n’avoir pris la parole quant à présent que pour m’opposer à la motion d’ajournement faite par l’honorable M. de Mérode. Je demande que la discussion continue, et si M. le ministre de l’intérieur et les autres membres du cabinet demandent la remise à demain, je me joins à eux ; mais je crois qu’il est de la plus grande urgence de s’occuper de la convention avec la ville de Bruxelles. L’incertitude est déjà un très grand mal. Ensuite, je crois que c’est avec raison que l’honorable M. de Brouckere vous a dit qu’il y avait d’autant plus d’opportunité de s’occuper en ce moment de la convention, que la solution est liée plus ou moins avec l’emprunt sur lequel vous aurez bientôt à statuer,
Messieurs, c’est un fait avéré qu’à l’étranger l’opinion générale sur la grande différence qu’il y a entre la cote des fonds belges et la cote des fonds français, par exemple, tient à deux circonstances malheureuses : il en est dont je n’ai pas besoin de vous parler ici, mais dont les mauvais effets, je dois le dire à l’honneur de l’établissement auquel je fais allusion, diminuent de jour en jour.
L’autre circonstance est le déficit, l’espèce d’état de banqueroute dans lequel se trouve la capitale. Il est évident que ce déficit doit réagir plus ou plus moins sur les fonds de l’Etat ; qu’il doit faire quelque tort à notre crédit.
Il n’en est pas de la capitale comme d’une ville de province. Si l’on disait que la ville de Paris a suspendu ses paiements, que la ville de Londres ne paie pas ses créanciers, vous comprendriez facilement que le crédit national, français ou anglais, en serait nécessairement atteint. C’est une chose évidente.
Il y a donc opportunité à s’occuper du projet de loi, opportunité tirée de la circonstance que vous aurez à statuer incessamment, et avant de vous séparer, sur un emprunt, dont vous améliorerez ainsi les conditions. Cette opportunité a été reconnue même à l’étranger par un journal grave, fort répandu, et qui passe pour recevoir les confidences du gouvernement français.
Ce n’est pas à dire pour cela, messieurs, que la chambre doive admettre ou repousser d’une manière absolue la proposition qui lui est faite. Je crois que nous ne sommes pas obligés de nous renfermer dans cette alternative. Je pense qu’il y a des termes moyens. Le chiffre proposé par le gouvernement est peut-être susceptible de quelque réduction ; je n’émets pas d’opinion sur ce point, mais j’appelle l’attention de la chambre sur cette considération, qu’il n’y a sans doute pas ici d’idées absolues, soit de la part du gouvernement, soit de la part de la capitale.
Il m’a toujours paru étrange que vous, qui votez des fonds chaque année pour une bibliothèque de l’Etat ; qui avez alloué en une seule session près d’un demi-million pour former le noyau d’une bibliothèque nationale ; vous, messieurs, qui accordez annuellement des fonds au ministre de l’intérieur pour l’acquisition d’objets d’art, il est certain que vous n’avez absolument aucun local pour les placer. Vous êtes à cet égard dans la dépendance absolue de la capitale.
Je sais très bien que, l’intérêt de la capitale est d’avoir des collections d’objets d’art, des monuments qui puissent attirer l’étranger dans son sein. Mais cet intérêt existe pour toutes les capitales, et il n’en est pas moins vrai que dans toutes les capitales, c’est le gouvernement qui est le propriétaire de tous les bâtiments destinés à de semblables collections et de ces collections elles-mêmes, et qu’il en supporte tous les frais. Ce n’est pas la ville de Paris qui entretient le musée, le cabinet d’histoire naturelle, le jardin des Plantes, etc., etc. ; ce n’est pas même la ville de Paris qui soutient à elle seule les théâtres royaux. L’on a compris qu’au-dessus de l’intérêt municipal, il y avait dans toutes ces dépenses un intérêt national auquel les diverses localités du royaume devait s’associer.
Voilà, messieurs, quelques-unes des considérations qui viennent à l’appui du projet du gouvernement. J’attendrai la suite de la discussion pour prendre de nouveau la parole, s’il y a lieu.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - Ne sachant pas que M. le ministre de l'intérieur, dans les attributions duquel rentre plus spécialement l’objet dont il s’agit, n’était pas prêt, et indisposé depuis plusieurs semaines, je ne me suis pas préparé à combattre les conclusions de la section centrale.
En entrant dans le cabinet, je n’ai pas pris, comme vient de l’avancer l’honorable préopinant, la mission spéciale de défendre les intérêts de la ville de Bruxelles, je n’ai fait part à personne des motifs qui m’ont déterminé, et je ne reconnais à qui que ce soit le droit de m’interroger en quelque sorte à cet égard.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, on élève une prétention toute nouvelle, on veut que ce soit au ministère de prendre nécessairement le premier la parole dans une discussion générale ; on a été jusqu’à m’adresser une espèce de mercuriale.
L’honorable préopinant, messieurs, vous a parlé de ma position dans cette discussion. Eh bien, je vais vous dire comment m’apparaissait ma position. Je m’étais dit : J’ai le malheur de compter habituellement pour adversaires quelques députés de Bruxelles ; je pourrai cette fois au moins me féliciter de voir ces députés se présenter les premiers sur la brèche, et peut-être même sera-t-il permis de considérer le ministère comme une espèce de corps de réserve.
La supposition que je faisais, que je ne serais pas appelé à parler le premier jour de la discussion était donc toute naturelle quand même la circonstance, que j’ai dû prendre part à une longue discussion, qui n’a été terminée qu’hier, n’eût pas existé. Mais il y a plus, c’est que lorsqu’on a insisté, j ai immédiatement pris la parole sur le fond, je me suis, comme on l’a dit, immédiatement exécuté.
Maintenant je désire que la discussion continue ; je n’ai pas demandé la remise à demain, j’ai seulement dit que mon intention avait été de prendre la parole seulement dans la séance de demain ; alors j’aurais été mieux préparé ; j’espère que des orateurs vont prendre la parole ; la discussion va continuer, car elle est déjà commencée ; chaque fois qu’on a parlé sur l’ajournement, on a abordé le fond ; l’honorable M. Lebeau lui-même a abordé plusieurs fois le fond.
M. de Mérode. - Messieurs, je ne suis pas contre toute espèce de convention avec la ville de Bruxelles ; loin de là, mais je ne me serais nullement attendu à ce qu’on discutât maintenant cette convention ; elle embrasse beaucoup de questions très graves, aucune ressource pour le trésor public n’a été présentée en compensation d’une nouvelle dépense considérable. Ce qui concerne la réunion des faubourgs n’est pas élucidé ; une des clauses des embarras de la ville de Bruxelles, c’est la loi de vendémiaire an IV et l’interprétation qu’on lui a donnée : en Belgique, interprétation beaucoup plus rigoureuse que celle qu’on a donnée à la même loi dans son pays d’origine, et d’où il résulte qu’avant d’entrer dans le paiement des charges imposées à la ville par les arrêts des tribunaux, il faudrait entrer en composition avec les créanciers de cette classe, qui sentent bien que la ville seule, livrée à elle-même, ne pourra pas les solder. Aucun essai n’a eu lieu pour affermer l’octroi, on ne visite aux barrières aucune voiture de maître, comme cela se fait au moins partiellement à Paris.
Enfin, messieurs, comme l’a dit M. Dumortier, la question n’est pas mûre. On ne peut pas la traiter dans une session d’été, qui ne doit s’appliquer qu’à des objets d’urgence ; je reconnais qu’il faut aborder incessamment la loi proposée, ne fût-ce que pour tirer certains créanciers de l’incertitude où ils demeurent. Mais d’ici au mois de novembre, il n’y a que deux mois. A cette époque, on examinera les voies et moyens que le ministère nous promet. On les augmentera de manière à ne plus compromettre ultérieurement les finances de l’Etat. La manière de consolider le crédit public avant l’emprunt, ont dit quelques préopinants, c’est de faire encore une dépense, qui, n’ayant aujourd’hui pour base aucune recette équivalente, ne servira qu’à accroître la dette de l’Etat. Quand à moi, je ne puis croire que l’on augmente ainsi le crédit. Je ne doute pas, au contraire, que le meilleur mode d’augmenter la confiance des prêteurs, ne fût de créer avant l’emprunt de nouvelles ressources, telle que la loi des sucres, qui pourrait fournir un accroissement notable de revenu, telles que les augmentations présentés précédemment par M. Mercier, et auxquelles je pense qu’il faudra revenir.
Messieurs, je crois que rien ne peut être plus nuisible à la ville de Bruxelles, que de voter immédiatement sur le projet de loi, parce qu’il sera très probablement fait droit aux conclusions de la section centrale, conclusions que je serais forcé d’adopter à regret si la discussion n’était remise en temps opportun.
M. Orts. - Messieurs, déjà, dans une séance précédente, je vous ai dit, comme membre du conseil communal et même du collège échevinal de la ville de Bruxelles, j’ai dit : Il faut à la ville une solution ; il lui fait un oui ou un non. Il le lui faut avant le mois d’octobre prochain. Ce n’est pas, messieurs, que la ville de Bruxelles n’ait pleine confiance en votre patriotisme et en votre dévouement, je ne dirai pas seulement aux intérêts de la capitale, mais à ceux du pays tout entier, et n’espère de vous voir sanctionner la convention que le gouvernement a conclue avec elle ; mais la ville de Bruxelles est dans une situation à ne plus pouvoir reculer un seuil instant, et elle sera obligée de prendre des mesures sérieuses, si avant la formation de son prochain budget elle n’a pas obtenu une solution sur la présente question.
Si la ville de Bruxelles pouvait tout ce que peut un citoyen privé, que ferait-elle, par exemple, si, par impossible, vous rejetiez la convention ? Elle pourrait s’adresser à une autre puissance pour l’acquisition de ses propriétés immobilières, de ses collections ; elle les louerait à d’autres. Croiriez-vous, messieurs, que les écuries de la cour sont une propriété de la ville de Bruxelles ?
Le roi des Belges n’a pas d’écuries. Les locaux où sont ses équipages et ses chevaux appartiennent à la ville de Bruxelles. Dans la position d’un simple particulier, ne pourrait-elle pas les aliéner, ne pourrait-t-elle pas faire de l’argent avec ces propriétés ? Voilà sa position, si on ne vient pas à son aide au moyen de la convention que je ne qualifierai pas de libéralité, car c’est un acte onéreux pour la ville de Bruxelles, c’est une vente d’objets dont le prix a été fixé par expertise entre le gouvernement et la ville de Bruxelles, expertise qui a amené un chiffre sur lequel il ne peut pas rester de doute.
Si la discussion est ajournée, je vous déclare que la ville serait dans le cas de regarder cela comme une espèce de renvoi aux calendes grecques. On vous l’a déjà démontré, si cet objet ne se discute pas avant la fin de cette session, il sera probablement impossible de s’en occuper avant le mois d avril ou de mai prochain. On ne pourra pas suspendre la discussion des budgets, d’une chose aussi importante pour l’Etat entier, pour s’occuper des intérêts d’une seule ville, cette ville fût-elle la capitale. C’est ce qu’on ne manquerait pas de dire. Le moment de discuter les budgets n’est pas arrivé, nous avons tout le temps nécessaire pour nous occuper de la ville de Bruxelles, et il a été décidé que la convention conclue avec elle aurait le pas sur la loi d’emprunt. Comme on me le fait observer, les inscriptions hypothécaires sur tous ses biens sont maintenues, elle a les mains liées, elle ne peut rien faire ; il importe de la tirer de cette position. D’ailleurs, c’est la capitale de la Belgique. Bruxelles mérite toutes vos sympathies, non parce qu’elle est capitale, niais par le motif qui l’a fait déclarer capitale non comme La Haye et Bruxelles étaient les capitales du royaume des Pays-Bas, niais par le motif qu’elle a été déclarée capitale pour la récompenser des services signalés qu’elle a rendus à la révolution. Et maintenant, vous le dirai-je, ce qui lui a été accordé comme récompense deviendrait pour la ville de Bruxelles, si elle était abandonnée à son malheureux sort, la source de tous ses maux. En effet, où ont lieu les émeutes, les pillages et tous ces événements funestes ? Dans les capitales, c’est là que viennent refluer tous ceux qui n’ont rien à perdre et tout à gagner dans le désordre. Ce serait le cas d’appliquer à la disposition du congrès, à l’égard de la ville de Bruxelles, cet adage si connu : Le bienfait qu’on accorde ne doit jamais être pour celui qui le reçoit une source de malheurs et de pertes.
Par ces considérations, je voudrais que la chambre persistât dans la résolution prise que la convention avec Bruxelles serait discutée avant tout chose.
M. Dubus (aîné). - Je viens appuyer la motion d’ajournement ; bien entendu que le projet le loi relatif la convention avec la ville de Bruxelles serait le premier à l’ordre du jour à l’ouverture de la session prochaine, ce qui donnera la certitude qu’il aura été discuté et voté avant qu’on ait été mis à même d’aborder la discussion des budgets ; car vous vous souviendrez que ce n’est qu’environ trois semaines après l’ouverture de la session que nous pouvons être en possession du premier rapport sur les budgets. Avant la discussion des budgets, nous pourrons donc discuter le projet de loi relatif à la convention avec la ville de Bruxelles. Il ne s’agit donc pas d’un long ajournement, mais d’un ajournement de deux mois. Il s’agit de ce à quoi tout le monde s’était attendu. Personne ne s’attendait à avoir à discuter, immédiatement après la loi sur l’enseignement primaire, la convention avec la ville de Bruxelles, et le silence de tous les membres, quand on a ouvert la discussion, en a fourni une nouvelle preuve. Quant à moi cette preuve m’était inutile.
Il est vrai qu’il y a déjà quelque temps que le rapport a été distribué. Mais avant, il se trouvait à l’ordre du jour deux ou trois projets dont la discussion s’annonçait devoir être très longue. On ne s’attendait pas que la session d’été aurait duré aussi longtemps qu’elle a déjà duré. Je répète, plein de confiance de n’être démenti par personne, qu’on ne s’attendait aucunement à voir cet objet mis à l’ordre du jour en ce moment. Quant à moi je désire qu’il soit discuté sérieusement et à fond. C’est pour cela que je demande l’ajournement. Je désire que la question soit examinée sous toutes ses faces.
Pour quelques membres, la question est toute simple, il suffit de dire oui ou non. Sous ce rapport, on peut dire : il y a convention entre deux parties, et la chambre a seulement à dire si elle l’approuve ou si elle ne l’approuve pas. Il n’est pas de sa dignité de se prononcer d’une manière hypothétique et de dire : j’accepterai si telle modification est apportée à la convention.
Il ne convient pas, a dit le rapporteur, à une assemblée délibérante de prendre une semblable position. Cependant, selon d’autres membres, il faudrait prendre cette position, adopter une hypothèse et se prononcer. Alors la question devient immense, car on doit examiner toutes ces hypothèses ; il en est une qui a été mise en avant et sur laquelle un honorable membre a répondu que la question n’était pas mûre. Cependant cette question, on l’abordera puisqu’elle a déjà été indiquée.
Je ne pense pas que la discussion soit possible en ce moment. D’ailleurs je vous prie de remarquer que nous venons de discuter une loi très importante, que sous peu de jours nous devons aborder la discussion d’une autre loi d’une haute importance. Est-ce que nous pouvons, dans l’intervalle, nous occuper de la convention avec Bruxelles, qui demandera un examen très approfondi. Il faut bien nous laisser quelques jours de repos pendant lesquels nous puissions nous préparer à la discussion de la loi de l’emprunt.
Je ne pense pas que la chambre puisse procéder d’une autre manière. Les autres membres qui repoussent l’ajournement, entrant dans la discussion du fond, supposent a priori que les motifs pour accepter la convention sont évidents et doivent frapper tout le monde. Je crois que la chambre n’est pas sons cette impression. Ces motifs ne sont rien moins que justifiés ; il faudrait une discussion très longue et très laborieuse pour être à même d’accepter une pareille convention.
On nous a parlé de la disposition du congrès qui, pour récompenser la ville de Bruxelles, l’a érigée en capitale, on nous a présenté ce bienfait comme une cause de ruine ; c’est réellement ce que je ne puis comprendre.
Quand cela a été inséré dans la constitution et proclamé dans cette enceinte, on l’a accepté comme un bienfait. Et aujourd’hui, ce n’est pas seulement dans cette enceinte qu’on présente cette circonstance comme désastreuse pour la ville et pour ses finances, on va jusqu’à imprimer qu’il en résulte une charge qui ne va pas à moins de six millions, aujourd’hui qu’elle est capitale unique, tandis qu’autrefois qu’elle n’était qu’une des deux capitales du royaume des Pays-Bas, ces dépenses elle devait les faire. C’est sous le gouvernement précédent qu’elle a posé le principe de toutes les grandes dépenses qu’elle a faites comme capitale, quelle a posé le principe des grandes entreprises qui l’ont entraînée à de très grandes dépenses. Ainsi les dépenses qu’elle est appelée à faire, à titre de capitale, elle les faisait déjà en partie sous le gouvernement précédent, et elle n’avait pas les avantages résultant de ce qu’elle est capitale unique, puisqu’alors de deux années l’une elle était abandonnée par la cour, le siège du gouvernement tandis que maintenant le gouvernement y siège en permanence. Il est certain que sa position est améliorée. Je ne veux pas entrer dans l’examen du fond ; j’insiste pour l’ajournement.
M. Mercier. - Messieurs, je ne dirai que peu de mots. Je me renfermerai dans la motion d’ajournement. Plusieurs membres ont pensé que cet ajournement pourrait n’être que de courte durée, et qu’il ne dépasserait pas les premiers jours de la session prochaine. Je ne partage pas cette opinion, nous aurons alors à nous occuper d’objets très urgents, de lois de finances. en attendant les budgets qui, comme l’a fait observer l’honorable M. Dubus, ne peuvent être discutés qu’environ trois semaines après l’ouverture de la session ; car on ne peut contester l’urgence de créer de nouvelles ressources au trésor. La chambre reconnaîtra que cet objet doit aller avant tout, et le considérera comme d’un plus grand intérêt pour le pays que la convention avec la ville de Bruxelles. Or quelles sont les lois qui seront prêtes à l’ouverture de, la session ? D’abord la loi sur le sucre dont le rapport sera déposé cette semaine, et qui serait déjà présentée si trois membres de la section centrale qui est saisie du projet ne faisaient pas en même temps partie de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi d’emprunt. A mon avis, ce sera le premier objet qu’on mettra à l’ordre du jour, C’est le plus urgent. Si la loi sur les sucres n’était pas votée avant le budget, vous n’auriez pas les ressources qu’elle est destinée à créer, pour le commencement de l’exercice prochain ; ensuite viendra la loi sur le sel. La discussion de cette loi ne sera pas aussi longue que celle de la loi sur les sucres, qui pourra durer plusieurs semaines ; cependant elle est très urgente, car elle est aussi destinée à procurer quelques ressources au trésor. J’ai entendu tout à l’heure qu’il s’agissait encore d’autres lois de finances dont la discussion ne pourra être retardée.
La loi sur la répression de la fraude nécessitera aussi un prompt examen ; le rapport n’est pas encore déposé, mais j’espère qu’il le sera avant la fin de la session ; s’il en était autrement, nous demanderions l’autorisation de l’envoyer à domicile, chez les membres de la chambre. C’est encore là un projet que beaucoup de membres de la chambre désirent voir incessamment converti en loi. Nous aurons encore un autre objet d’un puissant intérêt pour le pays, j’entends parler de notre législation commerciale. Un rapport très volumineux, fruit de nombreuses recherches et d’études sérieuses, est présenté ; le moment sera venu d’en discuter les conditions. La chambre, en présence de tant de questions d’un haut intérêt national, sera peu disposée à discuter la convention avec la ville de Bruxelles, au début de la prochaine session. Différentes lois de douane, des lois de tarification très importantes appellent enfin notre attention ; l’industrie réclame des mesures de protection ; il faudra bien qu’on s’en occupe.
Je crois donc qu’en ajournant la convention avec la ville de Bruxelles, ce serait un ajournement non pas à la session prochaine, mais à un ou deux ans. Contre les intentions de l’honorable auteur de cette proposition et de ceux qui s’appuient, ce serait en quelque sorte un déni de justice.
J’insiste donc pour que la discussion continue. Il est possible que peu d’honorables membres aient pensé que la discussion du projet de loi tendant à compléter les mesures d’exécution de la convention avec la France occuperait plus longtemps la chambre, ou bien aient cru, peut-être à tort, que le gouvernement aurait présenté un travail plus ou moins développé sur le rapport de la section centrale ; que par suite ils ne se soient pas munis de toutes leurs notes sur l’objet en discussion et qu’ils ne soient pas prêts à parler immédiatement. Mais je sais de science certaine que plusieurs membres sont préparés à prendre part à la discussion ; il n’y a donc aucun motif pour ajourner la discussion.
Plusieurs membres. – Aux voix !
M. de Brouckere. - J’entends avec une véritable satisfaction mes honorables adversaires déclarer qu’ils ne sont pas éloignés d’adopter une proposition en faveur de la ville de Bruxelles, reconnaître même qu’il est de toute justice que le pays fasse quelque chose en faveur de la capitale. Mais je voudrais qu’ils prouvassent leurs bonnes intentions en votant le projet de loi présenté.
M. le ministre de l’intérieur, qui est ici l’organe du gouvernement, vous a déclaré que, dans son opinion, il n’y avait rien autre chose à faire en faveur de la ville de Bruxelles, que d’adopter la convention. Lorsqu’il a invité ceux qui ne partageaient pas son opinion à formuler une autre proposition, aucun d’eux n’a répondu à cette espèce de provocation de sa part.
L’honorable M. de. Mérode voudrait l’ajournement, parce que d’ici à la session prochaine, on pourrait peut-être conclure un arrangement non plus avec la ville de Bruxelles, mais avec les créanciers qui se désisteraient d’une partie de leurs réclamations. Je ne pense pas que le gouvernement puisse jamais prendre à sa charge directement, vis-à-vis des créanciers, le montant de leurs créances. Remarquez aussi qu’on trouvera les créanciers d’autant moins disposés à rabattre de leurs prétentions que, depuis plusieurs années, il sont privés de tout intérêt ; ce qui a réduit leur capital, je n’exagère pas en disant de plus d’un tiers.
J’ai dit que je crois qu’il est dans l’intérêt bien entendu du pays que le projet de loi soit voté avant la loi d’emprunt. L’honorable M. de Mérode me répond : Singulière manière de consolider son crédit que de créer de nouvelles dépenses. Je dis, moi, que la meilleure manière de consolider son crédit, c’est de payer ses dettes. Or, s’il ne s’agit pas précisément ici de dettes de la part du pays, une chose bien certaine, c’est que les dettes de la capitale à l’étranger sont en quelque sorte identifiées avec celles du pays. Le non-paiement des dettes de la capitale influe d’une manière sensible sur le crédit du pays.
On semble toujours croire que la ville de Bruxelles n’a d’autre dette à payer que le montant des condamnations prononcées contre elle, en vertu de la loi de vendémiaire an IV. Mais il n’en est pas ainsi. La ville de Bruxelles ne paie pas plusieurs obligations à sa charge ; ses affaires sont dans un état tel que, s’il s’agissait d’un commerçant, on le mettrait en faillite.
On a, il est vrai, accepté en 1831 comme un bienfait pour Bruxelles le titre de capitale. Mais il n’en est pas moins vrai que, comme l’ont dit d’honorables membres, ce titre de capitale lui coûté fort cher. A coup sûr, en 1831, personne ne pouvait prévoir que quelques années après, dans cette capitale auraient lieu des pillages qui entraineraient pour elle une perte de plusieurs millions. Elle a fait, dit-on, de grandes dépenses, surtout depuis 1830. Je n’hésite pas à le dire, il n’y a pas dans toute l’Europe une capitale du rang de Bruxelles qui ait moins de monuments. Pourquoi ? Parce que dans tous les autres pays, le pays entier s’identifie avec la capitale, travaille pour la capitale, élève des monuments. Ici on l’abandonne à son propre sort.
En résumé je me permettrai de demander à la chambre pourquoi elle prononcerait l’ajournement de la discussion actuelle, alors qu’il n’y a rien à l’ordre du jour. On dit que la session est longue et fatigante. Mais si vous n’abordez pas la discussion de la convention avec la ville de Bruxelles, vous n’aurez rien à faire d’ici à lundi ; car assurément le projet de loi d’emprunt ne pourra pas être discuté avant lundi.
Je crois que ceux-là même qui sont contraires au projet de loi, et qui cependant voudraient qu’on fît quelque chose pour la ville de Bruxelles, devraient demander la discussion immédiate. Pourquoi ? Parce qu’il est très probable que d’ici à la session prochaine une nouvelle proposition pourrait être préparée. Le gouvernement qui tient à son projet n’en proposera pas un subsidiaire ; car il se combattrait ainsi lui-même ; il amènerait le rejet de son projet de loi. Ainsi, il ne vous proposera rien. La ville de Bruxelles ne proposera rien non plus ; car elle maintiendra la convention qu’elle a conclue. Ainsi, nous nous trouverons à l’ouverture de la session dans la même position qu’aujourd’hui, c’est-à-dire en présence de la proposition du gouvernement. Je le répète, rejetez plutôt le projet de loi. D’ici à la session prochaine, le gouvernement pourra présenter un nouveau moyen. J’aime mieux cette extrémité qu’un ajournement indéfini qui laisserait la ville de Bruxelles dans la position la plus critique, et qui abandonnerait à leur sort très pénible des créanciers qui depuis de longues années réclament le payement d’une dette sacrée.
Je conclus en demandant l’ordre du jour sur la proposition de l’honorable M. de Mérode. J’appuie cette demande sur cette dernière considération, qu’à la séance d’avant-hier l’ajournement a été proposé et rejeté.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire qu’il soit bien constaté que la demande d’ajournement n’est pas motivée sur le refus du ministère de prendre part à la discussion. J’ai pris part à la discussion. Je suis entré dans la discussion du fond, lorsque personne ne voulait prendre la parole.
M. Verhaegen. - Si l’on veut prononcer la clôture, je renonce à la parole.
- La proposition d’ajournement est mise aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote.
65 membres sont présents.
1 (M. Dumortier) s’abstient, 64 prennent part au vote.
24 votent pour.
40 votent contre.
La chambre n’adopte pas.
Ont voté pour l’ajournement : MM. de Behr, de Garcia, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Nef, Desmet de Terbecq, de Theux, Dubus (aîné), Huveners, Lejeune, Mast de Vries, Morel-Danheel, Peeters, Pirmez, Raikem. Sigart, Simons, Trentesaux, Vanden Eynde, Vandensteen, Wallaert et Eloy de Burdinne.
Ont voté contre : MM. de la Coste, Cogels, Coghen, Cools, de Baillet, de Brouckere, Dechamps Dedecker, de Muelenaere, de Renesse, Desmaisières, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont, Duvivier, Fallon, Jadot, Jonet, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Meeus, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Pirson, Puissant, Rodenbach, Rogier, Smits, Thienpont, Van Cutsem, Vandenbossche, Van Volxem. Verhaegen, Zoude.
La parole est à M. Dumortier, pour faire connaître les motifs de son abstention.
M. Dumortier. - J’ai tout à l’heure expliqué les motifs pour lesquels il y avait lieu d’ajourner la discussion ; mais pour que personne ne prétende que je me serais montré, par un vote d’ajournement, défavorable aux intérêts de la ville de Bruxelles, j’ai cru devoir m’abstenir.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne sais pas si le terrain sur lequel on veut nous placer est bien le véritable. S’agit-il d’une proposition faite pour accorder à la ville de Bruxelles une faveur quelconque ? Non, messieurs, il s’agit de tout autre chose. Le gouvernement, au nom de la nation, a fait une convention avec la ville de Bruxelles, ayant pour objet une vente dans toute la force du terme ; cette convention, il est vrai, devait être ratifiée et par le conseil de régence et par les chambres. La ville de Bruxelles, en raison de la position malheureuse où elle se trouvait, a été obligée de céder ses collections et ses immeubles, pour se procurer des fonds. Le prix de cette cession a été fixé par une expertise contradictoire.
C’est un contrat, ne nous y trompons pas, à titre onéreux. Chacun des habitants de Bruxelles doit voir avec regret que, dans la position où la ville se trouve, elle soit obligée de céder des propriétés importantes pour se créer des ressources. Le gouvernement a pris tous ses renseignements ; sur la valeur il a contracté dans l’intérêt de la nation. La ville de Bruxelles a cédé, la nation a accepté la cession ; la nation est davantage propriétaire de certains objets meubles et immeubles moyennant un prix déterminé. Le gouvernement représentant la nation, qui avait pris toutes ses précautions, qui avait entouré la négociation de toutes les garanties qu’il a cru utiles devait donc en toutes circonstances être à même de défendre son œuvre. Aujourd’hui cette œuvre se trouve attaquée ; car il s’agit de savoir si la convention, telle que le gouvernement l’a faite, doit ou non être ratifiée.
La ville de Bruxelles, partie contractante, s’en tient à son engagement ; elle n’y forme aucune objection ; elle a procuré la ratification du conseil de régence, et elle est prête à exécuter le traité.
Le gouvernement, autre partie contractante, qui devait rapporter la ratification des chambres, se trouve attaqué par la section centrale. C’est à lui d’abord à se défendre. C’est au ministre à soutenir son œuvre vis-à-vis des chambres, et la position que prenait tout à l’heure M. le ministre de l’intérieur n’était donc pas la véritable. Les députés de Bruxelles sont tous prêts à justifier la convention ; mais ils ne veulent pas accepter une position qui n’est pas la véritable.
Il semblerait, à en croire d’honorables préopinants, que la ville de Bruxelles vient vous demander des avantages. Mais ne vous y trompez pas ; ce n’est pas sur ce terrain que nous devons nous placer ; encore une fois, il s’agit d’un contrat à titre onéreux, et vous dénaturez la question, lorsque vous venez dire que la nation ferait d’immenses sacrifices au profit de la ville de Bruxelles, en acceptant la convention.
Maintenant la section centrale propose de refuser la ratification ; c’est donc au gouvernement, qui en a besoin, à prendre l’initiative de la parole. M. le ministre a voulu changer les rôles, et nous n’avons pu consentir à ce changement, quoique nous fussions prêts et que nous le soyons encore à défendre l’œuvre du gouvernement, au reste sur le banc des ministres siège un député de Bruxelles qui probablement aussi prendra la défense de ses intérêts, il le fera pour ne pas tromper l’attente de ses mandans. Telle était la véritable position, et je tenais à bien la dessiner pour qu’on ne pût s’y méprendre.
M. de Brouckere. - Messieurs, je tiens à déclarer à la chambre que si je n’ai pas demandé la parole au moment où l’on allait mettre aux voix le projet, ce n’est pas parce que je me croyais en droit d’exiger que le gouvernement parlât le premier, mais parce que j’avais une confiance entière dans le vote de la chambre ; je voyais même avec plaisir le projet mis aux voix sans discussion. Cette confiance, je l’ai encore, et je verrai avec plaisir le vote par appel nominal avoir lieu dans la présente séance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il m’est difficile de deviner le but des observations que vient de présenter l’honorable M. Verhaegen. Je croyais qu’il aborderait le fond de la discussion.
Le ministère n’a pas reculé devant son œuvre. Sur les interpellations faites par quelques membres, je me suis empressé d’aborder le fond de la discussion, j’ai défendu le projet ; je pensais que l’honorable M. Verhaegen, entre autres, ne se regardait pas comme incompétent pour en faire autant.
Je ne sais, messieurs, quelle est la part que l’on veut faire au ministère dans cette discussion, surtout en exigeant qu’il prenne le premier la parole. Veut-on qu’il lise le volumineux mémoire de la section centrale et qu’il examine page par page les chiffres qui se trouvent dans ce travail ? Mais je vous ai présenté une observation générale : c’est que je crois que la section centrale a beaucoup trop fait de cette question une question de chiffres. Elle s’est trop peu arrêtée au côté politique de la question. Elle a cru qu’il s’agissait d’une espèce de marché où il n’y avait en cause qu’un intérêt matériel de la part du gouvernement. Il y a plus qu’un intérêt matériel, il y a un immense intérêt pour le gouvernement belge, pour le gouvernement de la Belgique indépendante. C’est ce que la section centrale a presque complètement perdu de vue.
Voilà l’observation générale que j’ai opposée au mémoire de la section centrale, au caractère en quelque sorte de ce travail. Si maintenant on nous prouve que la question est avant tout une question de chiffres, j’attendrai qu’on ait insiste sur ce point, et j’aborderai alors les chiffres.
Je le répète, j’ignore quel est le but des distinctions plus ou moins subtiles que nous a présentées l’honorable M. Verhaegen. Le ministère a ici un devoir à remplir ; c’est de défendre son œuvre ; mais chaque député a aussi un devoir à remplir, et je croyais, surtout lorsque j’étais attaqué, pouvoir compter non pas sur l’initiative, mais au moins sur le concours, je ne dirai pas des députés de Bruxelles, mais des députés nommés par le district de Bruxelles.
Maintenant, messieurs, je crois avoir de nouveau aborder la question. Je désire que d’autres me suivent dans cette discussion, soit pour appuyer, soit pour combattre le projet. Je désirerais, entre autres, que M. le rapporteur voulût bien prendre la parole pour nous faire connaitre le système qu’il croit devoir présenter. Les développements seraient insérés au Moniteur, et quoique, comme il l’a dit, il ne s’agisse pas d’une proposition formelle, je pense que les idées de l’honorable membre seraient de nature à jeter beaucoup de jour sur la question.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque M. le ministre de l’intérieur a dit pour la deuxième fois que la section centrale a envisagé la question d’une manière étroite, qu’elle n’a eu égard qu’aux chiffres qu’elle a traité cette affaire comme s’il s’agissait d’une vente ordinaire. En parcourant le rapport de la section centrale, vous aurez vu, messieurs, qu’elle n’a pas négligé les considérations politiques que l’on invoque et que l’on peut invoquer à juste titre à l’appui de la convention, mais qu’elle a séparé avec soin ces considérations de la question d’intérêt matériel. Il lui a paru, et je crois encore que c’est le seul moyen de bien se rendre compte de la convention du 5 novembre et de ce que la législature doit faire pour retirer la ville de Bruxelles de ses embarras financiers, de la manière la moins onéreuse pour l’Etat ; il lui a paru, dis-je, qu’il fallait séparer la question politique de la question d’intérêt matériel ; qu’il fallait examiner, d’un côte, comment la question se présenterait s’il s’agissait d’un marché ordinaire, et, d’un autre côté, ce qu’il y aurait à faire pour sauver la capitale.
Voilà, messieurs, la pensée qui a guidé la section centrale dans l’examen de la convention du novembre.
Ainsi, elle a d’abord constaté la véritable situation de la ville de Bruxelles ; elle a, autant que possible, recherché les causes de cette situation ; passant ensuite à l’examen de la convention du 5 novembre, elle l’a appréciée d’abord sous le point de vue de l’intérêt matériel, elle l’a appréciée ensuite sous le rapport politique.
Il est bien vrai que, dans le rapport de la section centrale, la question politique n’a pas été l’objet d’un examen aussi étendu que la question d’intérêt matériel, mais il devait naturellement en être ainsi ; les questions de chiffres ou d’intérêt matériel peuvent mieux se traiter par écrit, dans un rapport ; les questions politiques, au contraire, paraissent mieux trouver leur place dans une discussion orale.
Je disais tout à l’heure à la chambre, en me prononçant contre la motion d’ajournement, que je considérais la convention du 5 novembre comme un moyen trop onéreux, trop onéreusement inutile, d’atteindre le but que nous avons tous en vue ; que je considérais au contraire la garantie des intérêts d’un emprunt comme un moyen efficace, et beaucoup moins onéreux pour l’Etat, de tirer la ville de Bruxelles de ses embarras financiers. Je me bornerai pour le moment à donner connaissance à la chambre, comme M. le ministre de l’intérieur l’a demandé, de ce que j’appellerai la formule du système de garantie que je crois de nature à obtenir la préférence. J’y ajouterai quelques courtes explications, Quant aux autres points, je persiste à croire que la section centrale, qui a bien voulu me confier la rédaction de son rapport, doit se tenir ici sur la défensive. Lorsque son travail et ses conclusions auront été attaqués, je me ferai un devoir de les défendre.
Je vais donc, pour le moment, me borner à vous faire connaître mon opinion personnelle sur les moyens les plus convenables et les moins onéreux pour l’Etat de venir au secours de la capitale.
Je ferai remarquer d’abord, qu’en 1838, le gouvernement avait proposé lui-même le système de la garantie des intérêts d’un emprunt, et ce fait seul me semble démontrer que le système n’est pas d’une exécution impossible, car, sans doute, le gouvernement, en le présentant en 1838 à la ville de Bruxelles, n’avait pas en vue de faire une offre illusoire, de proposer une chose impraticable.
Ce système ne peut se réaliser, selon moi, qu’en assurant au gouvernement un contrôle sur les finances de la ville de Bruxelles ; si vous ne donnez pas au gouvernement un semblable contrôle, garantir serait en réalité payer pour la ville.
Quant à la garantie en elle-même, il faut considérer les limites du capital à garantir et son amortissement ; il faut considérer en outre les sûretés que le gouvernement est en droit d’exiger pour le remboursement de ses avances.
Je pense que la ville de Bruxelles, moyennant un emprunt immédiat de 6 millions pourrait facilement faire face à ses besoins. Son découvert, aujourd’hui, ses remboursement arriérés ne s’élèvent pas à la somme de 3 millions. Il est, à la vérité une autre charge qui pèse sur la ville de Bruxelles, c’est celle des pillages ; les prétentions formées de ce chef, les intérêts judiciaires, calculés d’une manière approximative, chargeraient la ville d’un capital de 6,660.000 francs. Mais, messieurs, comme on l’a fait observer dans le rapport de la section centrale, il n’y a de condamnation définitive sur aucune des prétentions à charge de la ville ; il est certain que la ville de Bruxelles devra quelque chose, mais combien devra-t-elle, et quand devra-t-elle ; ce sont là des questions qu’il est impossible de décider aujourd’hui. Combien devra-t-elle ? c’est ce qu’on ne sait point ; car il est vraisemblable que beaucoup de prétentions seront réduites dans une forte proportion. Quand devra-t-elle ? C’est encore ce qu’on ne sait point. Cela est subordonné à la durée des contestations, qui pourront être fort longues. Quoique dix années se soient écoulées depuis la plupart des assignations données, par suite des pillages, on n’en est encore qu’aux préliminaires de la procédure.
Je pense donc que si la ville de Bruxelles avait immédiatement à sa disposition une somme de six millions, elle pourrait commencer à liquider la dette résultant des pillages, ainsi que les remboursements arriérés.
Une autre question, qui se présente naturellement, c’est celle de savoir si la ville de Bruxelles, lorsqu’elle sera mise au courant, pourra désormais se suffire.
Je vois dans le budget de 1842, qu’il y a équilibre entre les recettes et les dépenses de la ville ; or le budget de 1842 se présente avec des circonstances très défavorables, puisqu’il comprend les intérêts d’une somme de près de 3 millions, intérêts qui disparaîtront lorsque les affaires de la ville seront arrangées ; d’ailleurs pour quiconque considère les ressources puissantes dont la capitale dispose, l’accroissement successif de ces ressources, la possibilité (et je crois que cette possibilité ne sera niée par aucun de ceux qui ont étudié le côté matériel de la question), la possibilité d’introduire dans le régime administratif de la capitale des économies considérables ; pour quiconque tient compte de toutes ces circonstances, je crois qu’il ne paraîtra pas douteux que la ville de Bruxelles puisse prospérer dès qu’elle sera sortie de la crise qui pèse sur elle depuis tant d’années.
Le gouvernement établirait donc en principe d’accorder sa garantie pour les intérêts d’un emprunt à contracter par la ville de Bruxelles. Le capital, dont les intérêts seraient ainsi garantis, ne dépasserait pas 6,000,000. L’amortissement de 1 p. c. serait indépendant des intérêts des sommes amorties. L’Etat se trouverait donc engagé pore un terme d’environ trente années. L’honorable M. Coghen, si je le comprends bien, me fait observer que ce ne serait là rien donner à la ville de Bruxelles, mais la ville elle-même n’en juge point ainsi, car d’après un mémoire qui a été publié en 1838, elle reconnaît que la garantie d’un emprunt par l’Etat pourrait lui être très utile.
M. Eloy de Burdinne. - M. le président, il y a trois jours M. Verhaegen a fait remarquer que l’on n’était pas en nombre, et qu’on ne pouvait pas continuer la discussion ; eh bien, maintenant nous ne sommes pas en nombre non plus.
M. Verhaegen. - Si nous ne sommes pas en nombre, nous demanderons qu’il soit procédé à l’appel nominal pour constater quels sont les membres absents.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demanderai à M. Malou, s’il veut se prévaloir de cette circonstance. Si nous ne sommes pas en nombre, M. Malou n’en a pas moins le droit de continuer, s’il le juge convenable.
M. Malou, rapporteur. - Nous gagnerions du temps en donnant suite à la discussion ; je suis prêt à continuer.
M. Lebeau. - Le règlement exige qu’on soit en nombre pour prendre une décision, mais non pas pour discuter.
M. le président. - Nous sommes en nombre, le bureau vient de le constater.
M. Eloy de Burdinne. - Nous ne l’étions pas quand j’ai fait mon observation.
M. Malou, rapporteur. - Indépendamment des garanties que le gouvernement, s’il vient au secours de la ville de Bruxelles, devrait trouver dans le contrôle de la gestion financière de la ville, il devrait en avoir une autre ; si la convention n’est pas adoptée et s’il intervient un arrangement tel que celui que j’indique, le gouvernement devra stipuler une hypothèque sur les propriétés libres et aliénables appartenant à la ville de Bruxelles.
Un avantage d’un autre genre devrait encore être réservé au gouvernement. Ce qui m’a le plus frappé dans l’examen de la convention, ce qui m’a le plus porté à repousser ce principe de l’acquisition, je le dirai franchement, c’est l’inopportunité de cette acquisition.
Messieurs, je suis convaincu que le gouvernement devra un jour avoir dans la ville de Bruxelles des locaux, des collections peut-être ; mais je crois aussi que dans l’état actuel de nos finances, il est absolument impossible d’en faire aujourd’hui l’acquisition. S’il était démontré pour la chambre, comme il l’est pour moi, qu’une garantie suffit pour aider la ville de Bruxelles à sortir de sa fâcheuse position financière, il faudrait de plus réserver à l’Etat la faculté d‘acheter certains immeubles, d’acheter des collections. Cette stipulation serait fort utile.
Toutefois je distingue entre les objets dont il s’agit dans la convention ; il en est, pour mon compte, dont je ne pourrais pas approuver l’acquisition.
L’ancienne cour et ses dépendances forment un ensemble dont l’acquisition pourra un jour être utile ; mais il n’en est pas de même, entre autres, de la porte de Hal, du terrain qui se trouve au boulevard, et même de l’observatoire.
La porte de Hal ne serait, je crois, d’aucune utilité matérielle pour le gouvernement ; ce n’est pas d’un vieux donjon, comme on l’a appelé, ce n’est pas de locaux de cette nature que le gouvernement pourra tirer un grand parti. Je ne conteste pas aux admirateurs de la porte de Hal le caractère monumental de cette porte ; je n’en discute la valeur que sous le rapport de l’utilité matérielle, tout sentiment artistique mis de côté. Je ferai observer en outre que les experts auront eu probablement égard au mérite artistique de la porte de Hal dans l’évaluation qu’ils en ont faite ; car lorsqu’il s’est agi, en 1833, de la démolir, elle a été mise en adjudication pour la somme de 21,165 fr. ; aujourd’hui c’est probablement à cause de sa grande beauté que nous sommes invités à payer 165,000 fr.
Le terrain qui se trouve derrière le palais du Roi est évalué également comme terrain à bâtir. S’il peut être vendu par lots, je ne verrais aucun inconvénient à ce que la ville le vendît, mais je ne comprends pas qu’elle le cède au gouvernement lorsqu’il paraît devoir conserver sa destination ; je ne comprends pas qu’on vende cette place publique plutôt que la place Royale ou que toute autre place publique de la capitale.
On me fait observer que le terrain serait réuni au palais ; l’observation est inexacte en fait ; on n’a qu’à jeter les yeux sur les plans qui ont servi de base à l’expertise, pour s’assurer que la ville vend le terrain comme servant à bâtir, et que l’espace nécessaire pour établir un rue entre le jardin du Roi et le terrain vendu n’est point compris dans le projet de cession.
Quant à l’observation, il a été construit, pour ainsi dire, à frais communs ; le gouvernement et la ville y ont pris chacun une part, et aujourd’hui nous n’avons pas d’intérêt à acquérir l’établissement ; l’intérêt scientifique est parfaitement sauf, eu égard à la part que nous avons dans le budget de l’observatoire.
Le gouvernement pourrait donc se réserver seulement la faculté d’acquérir l’ancienne cour et ses dépendances. Quant aux collections, on devrait les considérer également, dans les négociations à intervenir avec la ville de Bruxelles, comme un objet indivisible et à l’égard duquel la faculté d’acquérir serait stipulée.
Le terme de cette faculté de rachat devrait aussi être fixé ; le prix devrait être réglé d’avance ; en réglant le prix d’avance, on devrait aussi tenir compte des augmentations et des diminutions possibles.
Le gouvernement, lorsqu’il userait de cette faculté de rachat, pourrait se trouver en avance envers la ville de Bruxelles ; l’on pourrait soutenir que, d’après les principes généraux du droit, au moment où il acquerrait, il compenserait sa créance avec une partie du prix d’acquisition. Je crois pourtant qu’il serait utile de stipuler dans les négociations comment se ferait la réduction, comment se calculerait le taux de la rente à défalquer du chef de la dette que la ville de Bruxelles aurait envers l’Etat.
Messieurs, je viens maintenant aux contre-garanties, si je puis parler ainsi, que le gouvernement a droit d’exiger, afin d’être certain que, pour lui garantir ce ne sera pas payer.
Messieurs, loin de moi la pensée de revenir sur toute la question financière de la capitale. Il faut le dire pourtant, il se trouve, à Bruxelles même, bien peu de personnes qui contestent que cette gestion financière ait été bien mauvaise ; qui ne reconnaissent qu’on a accumulé outre mesure les dépenses, les déficits, les emprunts ; on a enfin fait exécuter en quelques années des travaux à réserver peut-être à un demi-siècle.
De là résulte pour le gouvernement la nécessité de se réserver, s’il vient en aide à la ville de Bruxelles, le droit de contrôler ses budgets de dépenses et de recettes. Je sais qu’il y a un projet général dont la chambre a été saisie, et qui a cette approbation par objet ; mais je ne sais si ce projet est tout à fait abandonné ou s’il a été ajourné à court terme ; si le projet général n’était pas admis, je voudrais qu’au moins la disposition fût appliquée à la ville de Bruxelles…
L’équilibre des comptes de la ville de Bruxelles a été rompu souvent d’une autre manière ; il a été rompu par des dépenses en dehors des prévisions des budgets ; pendant quelques années ces dépenses ont été fort considérables ; sans elles l’équilibre aurait été maintenu, et la position financière de la capitale ne se serait pas aggravée. Il faudrait donc aussi soumettre à l’approbation du gouvernement toute résolution du conseil communal, qui emporte une dépense à faire en dehors des prévisions du budget, lorsque cette dépense aurait une certaine importance.
A cette garantie, il faudrait encore en ajouter une dont quelques faits assez récents ont prouvé la nécessité.
La ville de Bruxelles a vécu plusieurs années sans budget. Elle ne s’est pas, je crois, prêtée toujours à des augmentations d’impositions directes ou indirectes. Le projet dont je parlais tout à l’heure avait aussi pour objet d’autoriser le gouvernement à créer d’office les voies et moyens que la commune ne créerait pas, pour couvrir des dépenses que la commune elle-même avait jugées nécessaires. Le fait que la ville de Bruxelles a négligé de faire un budget pendant plusieurs années, prouve aussi qu’il faut autoriser le gouvernement à suppléer à son inertie, à son abstention.
Une dernière garantie, qui me paraît devoir être exigée, c’est de soumettre la ville de Bruxelles, quant à l’approbation de ses comptes, à la cour qui approuve les comptes de l’Etat. Cette garantie me semble nécessaire, parce que sans cela les transferts sont très faciles ; on pourrait rendre nulles les garanties précédentes.
Messieurs, si le gouvernement traitait sur ces bases, je ne verrais, en ce qui me concerne, aucune difficulté à adopter la convention. J’ai déjà dit que je ne ferais pas moi-même une proposition. Je ne crois pas que, lorsqu’un contrat est intervenu, l’initiative appartienne ou que du moins elle puisse être convenablement prise par un membre de cette chambre ; je ne crois pas non plus qu’il doive être prise par la chambre elle-même.
Si le principe de l’acquisition actuelle n’est pas admis (et lorsque la discussion sera engagée, je combattrai ce principe), le gouvernement pourra traiter sur ces bases, sur d’autres, s’il en trouve de plus avantageuses, et la convention sera de nouveau soumise aux chambres. C’est la seule marche qui me paraisse régulière. Je conçois qu’on puisse faire une réduction de chiffre, comme l’honorable M. Lebeau l’a fait observer, lors de la discussion sur la motion d’ajournement, mais je concevrais plus difficilement que la chambre substituât un système nouveau à celui qui a fait la base de la convention du 5 novembre.
L’on a fait observer qu’on ne peut pas plus faire une réduction de chiffre que proposer un système nouveau ; mais je crois qu’il y a entre ces deux choses une énorme différence. Dans quelle position nous trouvons-nous vis-à-vis de la ville de Bruxelles ? Un contrat est intervenu, nous sommes appelés à le ratifier ; nous pouvons dire que ce contrat ne nous convient pas ; que nous n’y donnerons notre adhésion qu’avec telle ou telle modification ; mais si nous substituions un système entièrement nouveau, nous prendrions une initiative qu’il n’est pas de notre dignité de prendre, car ce serait demander à la ville de Bruxelles de consentir à ce que nous avons proposé.
Messieurs, toujours en me plaçant dans l’hypothèse où je suis constamment resté, je crois qu’on pourrait aussi instruire la question des faubourgs. La question des faubourgs ne se présente pas aussi simple qu’on pourrait bien le croire ; elle ne peut pas recevoir de solution immédiate ; elle ne peut en recevoir ni en droit ni en fait. En droit, la loi communale et la loi provinciale déterminent les formes à suivre pour opérer les réunions ou séparations de communes ; elles veulent que les conseils communaux intéressés soient entendus, et si la loi ne l’avait pas dit, la simple raison le prescrirait.
Je considère le principe de la réunion comme gagné dans tous les esprits ; la réunion se fera et se fera bientôt ; mais si l’on veut hâter le moment, il faut aussi aborder la question pratique, il faut la poser sérieusement, la discuter. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait pour la réunion des faubourgs ? L’on a fait beaucoup d’adresses, de pétitions et de contre-pétitions ; l’on a, pardonnez-moi l’expression, parlé en l’air sur la question des faubourgs ; mais jamais, que je sache, l’on n’a posé une question de fait, une question pratique peut amener cette réunion, pour la hâter, pour la rendre possible.
Ces difficultés ne sont pas insolubles. Elles sont graves : j’en indiquerai quelques-unes pour que la chambre puisse mieux juger que la question ne peut pas être décidée aujourd’hui. Je ne parlais pas de la représentation des intérêts des faubourgs. Un loi récente a d’avance résolu cette question ; mais quelle sera la limite nouvelle ? quelles parties de communes resteront non réunies ? A quelles autres communes seront-elles adjointes ? Comment percevra-t-on les impôts ? y aura-t-il un mode différent pour l’ancienne enceinte et pour les faubourgs ? Si vous établissez le même mode, vous serez obligés de faire une enceinte nouvelle. Quels seront les frais de construction et les moyens de surveillance d’une enceinte pareille ? Ou ne s’est pas borné à peu de chose ; un plan a été fait d’après lequel l’enceinte aurait 3 1/2 lieues de tour et pourrait renfermer de 6 à 700 mille habitants.
Une autre question non moins importante que celle des contributions, c’est celle du cens électoral. Je lie ces deux questions. Aujourd’hui les faubourgs paient le cens des campagnes. Celui que j’habite, car je suis aussi un habitant des faubourgs, compte de 6 à 7 mille habitants et 440 électeurs. L’arrondissement qui m’a fait l’honneur de me nommer représentant a une population de plus de quatre-vingt mille habitants et n’a guère plus de 1200 électeurs. On a beaucoup parlé, lors du fractionnement, de l’inégalité de la valeur du suffrage de l’électeur, cette inégalité existe entre les électeurs de la ville et ceux des faubourgs ; elle deviendrait plus forte si la réunion des faubourgs avait lieu, sans disposition spéciale sur le cens électoral.
En effet, vous n’ignorez pas, messieurs, que la contribution personnelle est proportionnelle à l’importance de la localité. Si les faubourgs étaient astreints à payer la contribution personnelle comme partie intégrante d’une ville de 100 mille âmes, il n’y aurait plus personne dans les faubourgs qui ne fût électeur.
On me fait observer qu’ils paieraient le cens de la ville. Je me souviens que le contraire a été soutenu d’une part et tacitement admis de l’autre, quand la question de réunion a été agitée. Ou a prétendu qu’on ne pouvait pas enlever des droits politiques à ceux qui en jouissaient. Je ne veux, du reste, pas trancher la question, je ne fais que l’indiquer.
A propos de contributions, j’appellerai sur un autre point l’attention de la chambre. Il faudrait, en prononçant la réunion des faubourgs, pour concilier les intérêts des faubourgs avec ceux de la justice, il faudrait adopter des mesures transitoires sur l’augmentation de la contribution personnelle elle-même ; une augmentation aussi considérable produirait une grande perturbation dans tous les intérêts des habitants des faubourgs.
Il est, messieurs, dans l’administration communale une certaine limite de population qu’on ne peut pas dépasser sans compromettre la bonne administration des communes. La ville de Bruxelles, suivant les chiffres officiels, compte 102 mille habitants. D’après la réalité et les derniers recensements, la population est de 110 mille habitants. Cela constitue une immense administration. Si à cette population de 110 mille habitants vous ajoutez 30 mille autres habitants, ne faudrait-il pas soumettre une commune aussi importante, qui est en même temps la capitale du royaume, le siège du gouvernement, à une organisation spéciale ? Ne faudrait-il pas le dire, dans l’intérêt des habitants, pour la police dont je reconnais d’ailleurs que l’action devrait être centralisée, ensuite dans l’intérêt de l’état civil. Une organisation spéciale, analogue à celle de Paris et d’autres grandes villes, serait peut-être la conséquence nécessaire de la réunion des faubourgs. Il est d’autant plus difficile de résoudre aujourd’hui cette question, qu’on ne sait pas si Bruxelles même se soucierait de la réunion.
Je n’ai trouvé qu’un seul plan de réunion, et il est complètement inadmissible. Il consistait à laisser aux faubourgs leur existence, en communes et à lever sur eux une contribution au profit de la capitale, qui serait la suzeraine, tandis que les faubourgs seraient les vassaux. La réunion pure et simple pouvant seule être admise, la ville de Bruxelles hésiterait à la demander, car on ne peut se le dissimuler, les faubourgs présentent beaucoup de travaux inachevés ; des quartiers naissants seraient nécessairement englobés dans la ville, et les dépenses immédiates à faire seraient loin d’être compensées par les avantages immédiats. Les faubourgs pourront, dit-on, contribuer efficacement à la prospérité de la ville. Je n’en doute pas ; je suis sûr que Bruxelles sortira de la gêne où il est, aussi ce n’est pas de l’avenir que Bruxelles doit s’inquiéter, car moyennant une gestion sage, il sera prospère, mais des nécessités du présent. C’est aussi ce qui doit nous préoccuper.
Si, comme je le désire, la convention du 5 novembre, le principe d’achat immédiat des objets qui y sont compris est écarté, le gouvernement ferait sagement, dans les négociations ultérieures, de comprendre la question des faubourgs dans le système nouveau à présenter à la législature, d’après les lumières qui auraient surgi de la discussion.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures.