(Moniteur belge n°239, du 27 août 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse d’une pétition adressée à la chambre.
« Le sieur François Boussemart, instituteur à Bruxelles, né Amelles (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
Dépêche de M. le ministre de l’intérieur accompagnant l’envoi de 112 exemplaires du tableau général du commerce de la Belgique, avec les pays étrangers pendant l’année 1840, précédé de résumés rétrospectifs et de comptes particuliers pour chaque pays de 1835 à 1840.
- Ces exemplaires seront distribués à messieurs les membres de la chambre.
M. Zoude fait au nom de la commission des pétitions, un rapport sur une pétition des fabricants de draps de Verviers, analysée dans la séance du 19 août ; il conclut au renvoi aux ministres des finances et de l’intérieur.
M. Lys. - Je viens appuyer les conclusions du rapport que vous venez d’entendre.
La pétition des fabricants de draps et étoffes de laine du district de Verviers est une approbation de celle de la chambre de commerce de cette ville faite en 1840 et renouvelée le 15 mars dernier. Elle est une approbation des paroles que j’ai prononcées lors de la discussion du dernier traité de commerce avec la France.
Ces pétitions, messieurs, ont reçu l’approbation de votre commission d’industrie, témoin le rapport vous fait le 14 juin dernier. Remarquez, messieurs, que l’appui de cette commission, qui, composé de députés de diverses provinces, représente le commerce du pays, mérite toute l’attention du gouvernement.
La fabrique de draps, étoffes et fils de laine se débat péniblement contre l’invasion, sur notre propre marché, des fabricats similaires étrangers. Elle ne se plaint point des faveurs accordées à l’industrie linière ; elle les approuve, au contraire ; mais elle se plaint avec raison que, loin de faire quelque chose pour elle, on fait tout contre elle, témoin la mesure de 1838, qui a levé en faveur de la France la prohibition pour l’entrée de ses draps, tandis que la France l’a maintenue à notre égard.
Cependant, messieurs, l’industrie lainière expose un capital d’environ 80 millions et procure du travail à 50 mille personnes.
Elle ne demande à l’Etat, ni primes, ni subsides, ni suppression d’impôts, elle ne demande qu’une protection consistant en un droit d’entrée qui se borne à dix pour cent de la valeur des produits étrangers.
Vous voyez que ce n’est pas même à l’égard de la France et de l’Angleterre, la réciprocité qu’elle exige, car ces deux pays frappent de prohibition nos produits similaires, et à l’égard de l’Allemagne, c’est une juste réciprocité, c’est l’impôt prussien qu’elle sollicite.
Je ne puis comprendre, messieurs, que l’on se soit résigné à une perte annuelle de plus d’un million, en faveur d’une autre industrie, mesure que je suis loin de blâmer, et que l’on tarde depuis si longtemps à procurer une bien mince satisfaction, que sollicite non seulement la province de Liége, mais bien d’autres localités, et notamment le comité directeur de l’association pour le progrès de l’industrie linière.
C’est là, selon moi, un véritable déni de justice, et pour peu qu’on tarde, la clôture de nos ateliers forcera le gouvernement à bien d’autres sacrifices, qui seront alors faits en pure perte, tandis qu’aujourd’hui, le trésor est tout à fait désintéressé, et la mesure ne peut nuire aucune autre industrie de la Belgique.
Je serai forcé, messieurs, de me réunir à quelques-uns de mes collègues pour vous présenter la mesure législative qui est sollicitée, si le gouvernement continue à garder le silence sur une demande aussi fondée qu’elle est urgente pour l’intérêt de cette belle industrie.
Enfin, messieurs, je ne comprends point, je le répète, le silence que garde le gouvernement sur une demande lui faite depuis plus de deux ans ; la demande est juste ; personne ne pourrait le contester ; la mesure intéresse l’une de nos plus belles et de nos plus grandes industries ; elle ne coûtera pas une obole au trésor de l’Etat ; elle ne nuira à aucune autre industrie ; nos voisins ne peuvent nullement s’en plaindre, car d’un côté, la France et l’Angleterre maintiennent leur prohibition, malgré que la Belgique ait levé la sienne depuis 1838 ; de l’autre, l’Allemagne a établi le droit tel que la chambre de commerce de Verviers le sollicite, témoin le tarif prussien.
M. Verhaegen. - Je me joins de tout cœur à mon honorable ami, M. Lys, et je suis disposé à signer avec lui un projet de loi pour venir en aide aux fabricants de Verviers. Il ne s’agit à cet égard que de répéter ce que j’ai dit il y a cinq ans, mais alors on n’a pas jugé à propos de m’écouter.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Zoude fait aussi rapport, au nom de la commission des pétitions, sur une pétition du conseil communal de Boorsheim dont l’analyse a été présentée en séance du 9 août ; il en propose le renvoi au ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Osy. - Je désirerais la présence de M. le ministre des affaires étrangères vers la fin de la séance, pour lui adresser une interpellation.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Sur quoi ?
M. Osy. - Je voudrais lui demander s’il a encore des fonds suffisants pour satisfaire à la dépense qu’entraînera le troisième voyage de la British-Queen.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La réponse est extrêmement simple.
Je ne comprends pas l’objet de cette interpellation. Il a été assez question dans cette chambre du service de navigation transatlantique. La discussion est terminée ; le gouvernement a reçu le crédit nécessaire pour faire plusieurs voyages ; si tous les voyages ne se font pas, il faudra en conclure que le gouvernement n’a plus les fonds nécessaires.
M. Osy. - Puisque M. le ministre de l’intérieur croit devoir répondre pour M. le ministre des affaires étrangères, je dirai que je ne connais pas les résultats du second voyage ; mais comme le premier voyage, dont les résultats ont été rapportés par les journaux, a donné de grandes pertes, je voulais savoir si M. le ministre peut nous assurer qu’il ne sera pas nécessaire de venir nous demander des crédits supplémentaires.
M. Rogier. - Je ne vois pas la portée et surtout l’utilité de cette interpellation. Je ne vois pas l’utilité qu’il y a à mettre en doute le troisième voyage de la British-Queen ; ce voyage est annoncé pour le 7 septembre. A quoi bon jeter encore une fois l’incertitude dans le pays et à l’étranger ? N’a-t-on pas assez déconsidéré cette entreprise ? Ne devrait-on pas laisser l’expérience se terminer et autant que possible arriver à bonne fin.
Je demande qu’on ne donne pas suite à cette interpellation ou que le gouvernement y réponde de manière à ne pas laisser de doute sur les voyages ultérieurs. On pourra d’ailleurs revenir sur ce sujet en temps plus opportun.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette que mon collègue, le ministre des affaires étrangères, ne soit pas présent ; mais si j’ai répondu à l’interpellation de l’honorable M. Osy, c’est que hier il a été question, entre mon collègue et moi, de cette interpellation probable, et que je sais qu’il n’aurait pas répondu autre chose que ce que je viens de dire ; c’est-à-dire que si le troisième voyage a lieu, il faut en conclure que les fonds existent.
Je ne sais pourquoi on vient s’ingérer dans une affaite de pure administration.
M. Delehaye et M. Henot déposent des demandes en naturalisation
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du projet de loi d’enseignement primaire.
« Art... Le conseil communal pourra suspendre l’instituteur pour un terme qui n’excédera pas trois mois, avec ou sans privation de traitement ; le gouvernement sera appelé à statuer définitivement sur le maintien ou la révocation de l’instituteur, sur l’avis des inspecteurs, le conseil communal et l’instituteur entendus.
« Le gouvernement pourra, d’office, suspendre ou révoquer un instituteur communal, en prenant l’avis des inspecteurs, le conseil communal ou l’instituteur entendu. »
« Art... En cas de vacance d’une place d’instituteur, soit par révocation soit autrement, le conseil communal sera tenu de procéder au remplacement dans les quarante jours, sauf fixation par le gouvernement d’un délai plus long ; passé le terme de quarante jours ou le terme fixé par le gouvernement, il sera procédé d’office par celui-ci à la nomination. »
- Ces deux articles sont adoptés.
M. Fleussu. - Je voudrais savoir ce qui adviendra des professeurs qui se trouveront en fonctions lorsque la loi sera mise en exécution.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ils resteront en fonctions, il ne peut y avoir de doute sur ce point.
M. le président. - Nous en revenons à l’art. 21. Voici la disposition nouvelle proposée par le gouvernement, et qui doit remplacer l’art. 21 du projet :
« Art- 21. Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi.
« Les infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 14.
« Si ces rapports signalent des abus dans une école, le ministre de l’intérieur en informe l’administration dirigeant l’école, et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi.
« Lorsque les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
M. Orts a proposé par amendement de rédiger le dernier paragraphe de cet article de la manière suivante :
« Lorsque les abus sont constatés et reconnus par le gouvernement constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur.»
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La nouvelle rédaction de M. Orts ne fait que préciser le sens du dernier paragraphe ; j’adopte cette nouvelle rédaction. Je proposerai seulement un léger changement qui ne porte aucunement sur le fond ; ce serait, au lieu des mots : lorsque les abus sont constatés et reconnus par le gouvernement constituer, etc., de dire : lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer, etc.
Je ferai encore une autre observation sur la rédaction de l’article. Il est dit au 1er paragraphe qu’aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi.
Lorsque ce paragraphe a été rédigé, nous n’avions pas encore inséré dans la loi les articles relatifs la nomination et à la révocation des instituteurs. A part ceci, le régime de la présente loi n’est et ne peut être qu’un régime d’inspection car les établissements simplement subventionnés conserveront le droit de nomination. Il faudrait donc, pour être clair, terminer ainsi le premier paragraphe :
« Si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d’inspection établi par la présente loi. »
M. Devaux. - Messieurs, la discussion générale a fait ressortir l’importance de cette disposition. Depuis cette discussion vous remarquerez que la chambre a adopté une autre disposition qui donne des droits fort étendus au gouvernement : le gouvernement a aujourd’hui le droit de suspension et de révocation de l’instituteur. La disposition en délibération va plus loin : elle lui donne ce droit tout nouveau, non seulement de retirer le subside qu’il accorde à une école, mais d’empêcher la province, d’empêcher même la commune qui ne reçoit aucun subside du gouvernement, de continuer à soutenir son école.
Cet article, messieurs, est une de ces dispositions de la loi auxquelles j’ai reproché leur obscurité, leur caractère en quelque sorte énigmatique. Il y a plusieurs parties de la loi qui paraissent écrites dans ce style diplomatique, à l’aide duquel des puissances cherchent quelquefois à se mettre d’accord sur les mots, lorsqu’elles ne peuvent pas l’être sur les choses.
Je vais successivement passer en revue les diverses parties de cet article, dont la fin est la plus importante.
« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi. »
On dira maintenant, d’après la nouvelle rédaction de M. le ministre : « Au régime d’inspection établi par la présente loi. »
Ce mot d’inspection semble préciser un peu mieux le sens ; cependant il reste encore bien du vague. Car qu’est-ce qu’un régime d’inspection établi par la présente loi ? Toute école subsidiée par la commune, par la province on par l’Etat sera donc soumise à la double inspection civile et ecclésiastique.
M. le ministre fait un signe affirmatif.
Maintenant toute école subsidiée par l’Etat, par la province ou par la commune sera-t-elle également soumise à la direction absolue du ministre du culte, quant à l’enseignement de la morale et de la religion ?
Ceci n’est pas purement de l’inspection. Est-ce là ce qu’on veut ? Je n’en sais rien.
En troisième lieu, toutes les écoles subsidiées par la commune, la province ou l’Etat, seront-elles soumises à la double approbation des livres que nous avons établie ; c’est-à-dire, aucune de ces écoles ne pourra-t-elle se servir de livres qui ne soient pas approuvés par l’autorité religieuse, s’il s’agit de religion, par les autorités civile et religieuse, s’il s’agit de morale ; par l’autorité civile seule, s’il s’agit de science ? Voilà des points, messieurs, qui restent dans le vague. Suivant les uns, je crois, le mot inspection ne comprend pas la direction de l’enseignement religieux, il ne comprend pas l’approbation des livres ; suivant les autres, je pense, le mot inspection comprend la direction absolue de l’enseignement religieux et moral et l’approbation des livres. L’article, même avec le changement proposé par M. le ministre de l’intérieur, est très obscur sous ce rapport.
Je demanderai ensuite quelle est la position des écoles privées adoptées par la commune pour tenir lieu d’école communale et dont parle l’art. 3, dans le cas où elles ne reçoivent aucun subside, ni de la commune, ni de la province, ni de l’Etat ? Ces écoles sont-elles soumises an régime de l’inspection, à celui de la direction de l’enseignement de la religion et de la morale, et à celui de la double approbation des livres ? C’est un point très important qui reste encore également dans le vague.
On parle de la non-exécution des conditions de la loi et du retrait des subsides qui doit s’ensuivre ; mais qu’arrivera-t-il si une école purement communale, par exemple, dans laquelle la province, ni l’Etat n’entrera pour rien, quant aux frais, qu’arrivera-t-il si une telle école enseigne toutes les branches que la loi prescrit, mais les enseigne mal ? s’il est évident qu’il y a incapacité ou négligence de la part de l’instituteur, si enfin l’enseignement légalement prescrit se donne mais se donne mal ? Cela constituera-t-il la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi ? Nulle part la loi ne dit expressément qu’il faut que l’enseignement soit bon, elle se borne à prescrire les branches d’enseignement.
Le § 2 s’exprime ainsi :
« Les infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 14. »
Il faudrait savoir maintenant si chacun de ces inspecteurs a son département ; si les inspecteurs civils ne peuvent dénoncer que les abus qui rentrent, d’après la loi, dans l’ordre que j’appellerai civil, si les inspecteurs ecclésiastiques ne peuvent constater que les infractions qui concernent l’enseignement religieux et moral ? Si les inspecteurs ecclésiastiques peuvent aller plus loin, M. le ministre admet ici ce que j’avais proposé par un amendement qui n’a pas reçu l’approbation de la chambre, le droit attribué à l’autorité ecclésiastique d’intervenir par voie d’avertissement dans d’autres parties de l’enseignement que l’instruction morale et religieuse.
M. le ministre ayant refusé de dire cela dans un autre article de la loi, il ne peut vouloir le dire ici. Il s’ensuivrait donc que les ministres du culte n’auront à signaler les infractions à la loi qu’en ce lui concerne l’enseignement moral et religieux. Mais dès lors les inspecteurs civils seraient exclus aussi de cette partie de l’enseignement, et alors comment le gouvernement constatera-t-il, au vœu de l’amendement de M. Orts, adopté par M. le ministre, les abus qui existeraient quant à l’enseignement religieux et moral ? Vous voyez, messieurs, qu’ici encore il y a beaucoup de vague, beaucoup d’incertitude dans la loi.
Je demanderai ensuite ce qui arriverait si, au commencement de l’année, immédiatement après les rapports faits au gouvernement, en vertu de l’article qui nous occupe, et qui ne doivent être faits qu’une seule fois par an ; je demanderai ce qui arriverait si, immédiatement après l’envoi de ces rapports au ministre, on découvrait des abus constituant la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi ? II paraît que l’on ne permet ici de dénoncer les abus qu’une seule fois par an, dans les rapports ; est-ce là ce que l’on veut ?
Messieurs, je passe au 3° §, qui est ainsi conçu :
« Si ces rapports signalent des abus dans une école, le ministre de l’intérieur en informe l’administration dirigeant l’école, et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi. »
Ce paragraphe, messieurs, me paraît complètement inutile ; ce qu’il prescrit de faire se fait toujours en administration, il n’est nullement nécessaire de dire cela dans la loi. Seulement ce que je remarque dans ce paragraphe, c’est le vague des expressions ; que signifie : « et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi. » ?. En toute circonstance, messieurs, le gouvernement use des moyens propres à amener l’exécution de la loi. S’agit-il ici de quelque moyen extraordinaire qui n’est pas indiqué d’une manière expresse ? Je ne conçois pas cela, surtout en présence du dernier paragraphe qui autorise le gouvernement à retirer les subsides. Il s’agit probablement de moyens officieux ; mais de semblables moyens, le gouvernement peut toujours les employer ; il ne doit pas y être autorisé par la loi. Il me semble donc que ce paragraphe ne signifie rien et qu’il ne peut amener que des équivoques fâcheuses.
Reste, messieurs, le dernier paragraphe, qui est le plus important, et qui, d’après l’amendement de M. Orts, adopté par M. le ministre, se trouve maintenant rédigé de la manière suivante :
« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement, et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et, que l’autorité dirigeant l’école se refusa à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Messieurs, si l’on avait voulu être clair, on serait tout d’abord convenu que cette disposition n’aurait qu’un objet, c’est de dire qu’en cas de refus de concours de la part du clergé, le gouvernement peut ou doit retirer les subsides et fermer l’école.
Voilà, messieurs, tout le but de cet article, car il n’y a pas d’autre condition dont la non-exécution doive entraîner cette mesure extrême, que le refus du concours du clergé et le refus de l’école de se soumettre à l’inspection civile ct ecclésiastique.
Il s’agit donc principalement de ce qui arrivera dans le cas où les ministres du culte refuseraient leur concours. A cet égard, des explications contradictoires ont été données. Dans la discussion générale, le premier jour, M. le ministre de l’intérieur a été fort loin ; mais dans la séance suivante, il a proposé un amendement, et il est revenu sur ses pas. M. le ministre des affaires étrangères a ensuite donné une interprétation de cet article, qui n’est point celle que nous avons cru entendre sortir de la bouche de M. le ministre de l’intérieur. La question cependant est bien simple ; il s’agit, de savoir si, en cas de refus de concours de la part des ministres du culte, le gouvernement doit retirer nécessairement les subsides ou si les subsides ne doivent être retirés que lorsque le gouvernement juge les motifs des ministres du culte suffisants. On a l’air de dire que cette dernière alternative résulte formellement de la loi. Eh bien, messieurs, sous ce rapport, la rédaction de l’article est encore très malheureuse, car à mon sens même, avec le changement de rédaction de M. Orts, la disposition dit précisément le contraire, et je n’aurai pas de peine à le démontrer,
Reprenons la rédaction de l’article :
« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement, et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et, que l’autorité dirigeant l’école se refusa à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Ainsi les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont nécessairement retirés lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi et lorsque l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser.
Je suppose ce cas, très simple : Un ministre du culte refuse son concours par un motif insuffisant quelconque, par exempte, parce que la méthode d’enseignement ne lui convient pas ; il n’aime pas la méthode simultanée, la méthode mutuelle ; il se passionne contre ces méthodes, et il refuse son concours. De l’aveu de tout le monde, je pense, c’est à tort que le ministre du culte se retire. Et cependant d’après l’article en discussion, tel qu’il est rédigé, les subsides doivent être retirés.
En effet, que faut-il, d’après cet article, pour entraîner nécessairement le refus des subsides ? Il faut que des abus soient constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi ; il faut de plus que l’autorité dirigeant l’école se refuse à faire cesser ces abus. Dans le cas que je viens de supposer, il y a refus de concours du clergé et par conséquent impossibilité de donner l’enseignement religieux et moral sous la direction des ministres du culte. C’est bien là un abus (non de la part de l’instituteur, il est vrai, mais de la part du ministre du culte) constituant la non-exécution de l’une des conditions essentielles à la loi ; de plus la commune pourrait faire cesser cet abus en changeant la méthode d’enseignement ; il y a donc refus de sa part de faire cesser l’abus. Voilà bien évidemment les deux conditions voulues pour qu’il y ait nécessité de retirer les subsides : non-exécution constatée de l’une des conditions essentielles de la loi, de plus refus, de la part de l’autorité dirigeant l’école, de faire cesser l’abus.
Vous voyez donc bien, messieurs, que j’avais raison de dire qu’il ne résulte certainement pas de la rédaction que le gouvernement est juge des motifs du refus de concours du clergé. Je fais maintenant cette question très claire et qui n’a rien de captieux, à laquelle on peut répondre par un seul mot.
Le refus de concours du ministre du culte, alors que le gouvernement n’en approuve pas les motifs, entraîne-t-il le retrait du subside ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non !
M. Devaux. - Vous répondez non ; eh bien, je demande qu’on écrive ce non dans la loi, car il y a oui dans la loi, et je l’ai prouvé ; je demande qu’on insère littéralement dans la loi la réponse de M. le ministre de l’intérieur à la question que j’ai posée, et qu’on ajoute par conséquent a la disposition les mots suivants :
« Le refus du concours du ministre du culte, lorsque le gouvernement n’en approuve pas les motifs, n’entraîne pas le retrait des subsides. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je commencerais par dire un mot sur l’exemple que l’honorable préopinant a posé, en terminant ses observations.
« Un ministre du culte se plaint de la méthode d’enseignement adoptée dans une école. »
J’arrête à l’instant même l’honorable préopinant.
Le ministre du culte est incompétent pour signaler officiellement le vice d’une méthode relative à l’enseignement purement civil ; par conséquent, un rapport officiel du ministre du culte sur une question de ce genre ne serait pas recevable. Si une semblable chose était signalée officieusement au gouvernement, celui-ci s’en référerait à son inspecteur civil, et l’inspecteur civil instruirait l’affaire officiellement : lui seul est compétent pour s’en occuper officiellement.
L’art. 21, qui paraît si obscur à l’honorable préopinant, me paraît fort clair, et je vais tâcher de faire disparaître quelques-uns des nuages que l’honorable préopinant a cherché à faire naître.
Je dirai d’abord, d’une manière générale, qu’il y a beaucoup de dispositions réglementaires dans cette loi. Il est impossible qu’une loi de ce genre ne renferme pas un certain nombre de dispositions, de détails réglementaires, d’autant plus que la constitution porte que l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est réglée par la loi. Nous avons, autant que possible, voulu que la loi réglât l’instruction primaire ; nous sommes donc entrés dans des détails que ne comporterait peut-être pas une loi d’un autre genre ; et cependant nous avons encore laissé beaucoup à l’exécution, aux dispositions réglementaires qui resteront à prendre, en tant que la loi le permet.
Nous avons adopté des dispositions nouvelles sur la nomination et la révocation des instituteurs.
Nous devons d’abord nous demander jusqu’à quel point la disposition de l’art. 21 est encore restée nécessaire, après l’adoption des dispositions dont il s’agit.
Il faut, en premier lieu, faire une distinction qui a échappé à l’honorable préopinant ; il faut distinguer deux genres d’établissement : les établissements libres qui acceptent une subvention, et les établissements communaux, proprement dits.
L’arr. 21 s’appliquera aux uns et aux autres, mais surtout aux premiers, aux établissements simplement subventionnés. Et ici je n’hésite pas à faire ressortir toute la portée de la disposition : l’article s’appliquera aux établissements ecclésiastiques. Cet article est la sanction du gouvernement à l’égard des établissements ecclésiastiques. Si l’article n’était pas dans la loi, vous n’auriez pas de sanction à l’égard des établissements ecclésiastiques. Dans les établissements purement communaux, votre sanction en général sera le droit de suspension, de révocation des instituteurs. Mais ce droit, vous ne l’avez pas, vous ne pouvez l’avoir lorsqu’il s’agit des établissements purement subventionnés, où vous ne nommez pas, où vous ne révoquez pas.
Un établissement privé reçoit une subvention du gouvernement. Cet établissement ne se soumet pas aux conditions d’inspection ou bien, il est constaté que l’enseignement est incomplet, qu’il est mal donné ; mais quel moyen reste-t-il au gouvernement, sinon de retirer le subside ?
L’honorable membre a dit que si l’on avait voulu être franc, cet article aurait pu être rédigé d’une manière bien plus simple. On aurait pu dire :
« En cas de refus du clergé de prêtez son concours, le gouvernement retirera le subside. »
L’honorable M. Devaux voudrait sans doute de l’article rédigé de cette manière, avec l’addition que le gouvernement sera néanmoins juge des motifs du refus du clergé ; je dis que cette disposition serait fort incomplète ; car vous n’aurez rien contre les établissements subventionnés, lorsqu’il y a autre chose que le refus du concours du clergé, lorsqu’il y a impossibilité d’inspection de la part du gouvernement, lorsqu’il y a inspection entravée ou enseignement vicieux. Le but de cette disposition ne se borne donc pas seulement à prévoir le cas du refus du clergé.
Il y a, entre autres, vis-à-vis des établissements ecclésiastiques, le cas de refus du clergé d’accepter l’inspection du gouvernement. En un mot, il y a ici réciprocité. Le gouvernement retire le subside accordé par lui à un établissement subventionné ou autre, lorsque le clergé se retire, et que le gouvernement juge que l’abstention du clergé est motivée, de manière à constituer la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi. Voilà un cas. Mais le gouvernement retire également le subside à un établissement ecclésiastique qui, par exemple, refuserait ou entraverait l’inspection civile. Il y a réciprocité. Vous écrivez dans la loi : Pas de subvention sans inspection civile ; et, si l’inspection civile est entravée ou refusée, la subvention vient à tomber ; mais encore fallait-il le dire.
Je m’occupe maintenant d’exposer le but général de l’article. Je viendrai tout à l’heure à quelques-unes des questions qui ont été posées par l’honorable préopinant ; mon intention est de m’en occuper.
Mais ce que je veux d’abord constater, c’est que l’honorable membre est dans l’erreur, lorsqu’il attribue à la disposition un but tout spécial, celui d’accorder une sanction au clergé seulement ; c’est la sanction générale de la loi pour le gouvernement, tant pour assurer le concours du clergé que pour assurer le concours même du gouvernement, l’inspection civile, dans les établissements privés subventionnés, et, entre autres, dans les établissements du clergé, quand ils acceptent une subvention. Le but est donc général, et la portée de la loi est réciproque, si je puis parler ainsi.
Passons aux détails.
Le premier paragraphe de l’article pose le principe :
« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d’inspection établi par la loi. »
L’honorable membre se demande ce qu’il faut entendre par le régime d’inspection. J’ai dit quels étaient les motifs du changement que j’avais proposé. L’expression générale régime de la présente loi, serait par trop vague. L’expression comprend-elle l’approbation des livres ? Comprend-elle la direction absolue du clergé pour l’enseignement de la religion et de la morale ?
1’inspection entraîne certainement une surveillance sur les livres. Ce n’est pas à dire cependant qu’il faille absolument, dans toutes ses écoles, adopter précisément les livres qui auront été approuvés comme l’exige la loi. Mais les inspecteurs auront le droit d’examiner ces livres. Qui dit inspection, leur donne nécessairement ce droit.
L’inspection emporte-t-elle aussi la direction absolue du clergé pour l’enseignement de la morale et de la religion ? Entendons-nous d’abord sur ces expressions.
Le clergé, dans les établissements communaux, dirige l’enseignement de la morale et de la religion. Il est évident que l’inspection lui donne aussi un droit sur l’enseignement de la morale et de la religion. On examinera si l’enseignement de la religion et de la morale est donné dans l’établissement ; s’il était constaté par l’inspection ecclésiastique que l’enseignement de la morale et de la religion ne fût pas donné et qu’on se refusât à le donner, il y aurait non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi, en sorte que, bien qu’il ne soit pas dit que dans tous les établissements subventionnés, on adoptera les livres approuvés, bien qu’il ne soit pas dit que le clergé dirigera l’enseignement de la religion et de la morale, il est évident que l’inspection emporte une influence et sur l’emploi des livres et sur l’enseignement de la religion et de la morale ; sans quoi, je demanderais quel est l’objet de l’inspection.
L’honorable membre a demandé quelle était la position des écoles adoptées, ne recevant aucun genre de subside. Il est dans l’erreur, quand il a supposé que ces écoles étaient celles dont il s’agit dans l’art. 3 du projet de loi ; ces écoles sont celles de l’art. 2 du projet. Les écoles de l’art. 2 sont les établissements privés qui ne reçoivent aucun genre de subside.
Mais lorsqu’elles reçoivent des subsides, ces écoles subventionnées adoptées par la commune sont soumises au régime de la présente loi, comme établissements subventionnés. Ainsi de deux choses l’une : il peut y avoir deux espèces d’écoles adoptées : les écoles prévues par l’article 2, ne recevant aucun subside ; ces écoles nous les avons considérées comme en dehors de la loi, sauf le cas d’inspection du gouvernement, prévu par l’article 4, pour constater s’il y a lieu de dispenser la commune d’établir elle-même une école. A cela près, ce sont des établissements privés qui existent en vertu de la liberté de l’enseignement.
Maintenant, il peut y avoir des écoles adoptées par la commune auxquelles la commune donne un subside. Dés ce moment, ces écoles deviennent des écoles subventionnées, qui tombent sous le régime de la loi.
L’honorable membre s’est ensuite occupé du paragraphe 2 de l’art. 21 : « Les infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14. »
Il s’est d’abord demandé si les infractions aux dispositions légales devaient être constatées par l’inspecteur civil et par l’inspecteur ecclésiastique, chacun en ce qui le concerne. Je réponds officiellement, oui. Dans les rapports officiels, chacun des inspecteurs s’occupera de la part qui lui est dévolue.
Maintenant il est impossible de ne pas admettre une intervention officieuse, surtout si le ministre la demande, de l’inspecteur ecclésiastique dans les matières civiles, et réciproquement de l’inspecteur civil dans ce qui concerne l’enseignement de la morale et de la religion. Ainsi le ministre, pour éclaircir un fait de l’ordre civil, croira convenable de demander des renseignements à l’inspecteur ecclésiastique ; de même, pour éclaircir un fait de l’ordre religieux, il s’adressera à l’inspecteur civil. Il est impossible de ne pas admettre cette latitude dans l’exécution, et surtout si c’est le ministre qui le demande.
Si on veut se rendre compte du système de la loi, il est impossible d’entendre autrement le paragraphe 2, que les infractions aux dispositions de la présente loi sont constatées par les inspecteurs ecclésiastiques et par les inspecteurs civils, chacun en ce qui le concerne respectivement. Il est inutile de le dire, car il est impossible d’entendre la chose autrement.
Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14.
Ce sont les rapports annuels ; c’est à cette époque que ces infractions seront portées à la connaissance du gouvernement. Si des abus graves sont constatés à une autre époque de l’année, ils pourront être signalés au gouvernement ; cette disposition n’est pas limitative ; elle ne dit pas que les infractions seront portées à la connaissance du gouvernement seulement à cette époque, mais qu’elles seront portées à sa connaissance à cette époque, ce qui n’exclut pas un rapport dans le cours de l’année.
Les expressions ne sont qu’énonciatrices, d’après l’interprétation admise en droit.
« § 3. Si ces rapports signalent des abus dans une école, le ministre de l’intérieur en informe l’administration dirigeant l’école et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi. »
L’honorable membre considère ce troisième paragraphe comme inutile, comme purement réglementaire. J’ai déjà dit que cette loi est réglementaire dans bien des dispositions. Mais rappelez-vous comment nous en sommes venus à présenter ce troisième paragraphe. On avait dit que les rapports étant faits (c’est M. Dolez qui a fait cette observation), le ministre ne pourra-t-il ouvrir une enquête ; l’autorité communale ne sera-t-elle pas admise à s’expliquer ? C’est alors que j’ai introduit cette disposition qui prescrit, après les rapports annuels, d’examiner jusqu’a quel point les faits sont fondés, de faire une enquête. C’est cette disposition qui donne formellement au gouvernement le droit d’enquête, droit qui n’en existerait pas moins si la loi se taisait, mais qu’il était bon d’exprimer pour rassurer les communes et les établissements subventionnés.
Le sens de ce paragraphe est donc celui-ci : « Le ministre, quand il a reçu ces rapports, ne doit pas se rapporter absolument à leur contenu.
« Il use des moyens propres à amener l’exécution de la loi. »
C’est-à-dire qu’il a recours aux moyens de conciliation qui peuvent amener l’exécution de la loi, pour ne pas rendre nécessaire le recours aux mesures de rigueur dont parle le paragraphe suivant.
Quatrième et dernier paragraphe :
« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à le faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Remarquez bien que maintenant que nous avons introduit la disposition nouvelle de la nomination et de la révocation, chaque fois qu’il y aura faute de l’instituteur, on ne se servira pas du moyen que donne la loi, du retrait des subsides. C’est l’instituteur qu’on frappera ; quand il n’y a pas lieu de frapper l’instituteur, ou qu’on ne peut pas l’atteindre, on frappe l’établissement même par le retrait des subsides. Tous les cas supposés par l’honorable membre sont des fautes de l’instituteur ; ce n’est pas le dernier paragraphe qu’on appliquera. Le gouvernement aura recours à son droit de révocation ou de suspension de l’instituteur, puisque c’est lui qui est en faute.
À quel cas s’appliquera ce dernier paragraphe ? D’abord et principalement à tous les établissements subventionnés, ecclésiastiques ou autres, où le gouvernement n’intervient pas dans la nomination des instituteurs, où il ne peut ni les suspendre ni les révoquer. Le gouvernement est forcé alors de frapper l’établissement même, de retirer le subside. Ce sera là l’application générale de la loi. Maintenant il peut se faire que le conseil communal refuse de soumettre l’établissement aux prescriptions de la loi ; dise : je ne veux pas que vous enseigniez la morale et la religion. Ce n’est plus l’instituteur que vous devez frapper, mais l’établissement. Maintenant vous ne l’atteignez que momentanément, car le gouvernement peut reconstituer promptement l’école, grâce aux dispositions adoptées tout à l’heure, qui permettent au gouvernement de pourvoir à la nomination de l’instituteur, si dans le délai de 40 jours le conseil communal n’y a pas pourvu.
L’honorable membre persiste à croire que cette rédaction est équivoque. Il a posé d’une manière très précise une question à laquelle j’ai répondu d’une manière très précise aussi, quoique très laconique : En cas de retraite ou de refus de concours du clergé, le gouvernement retirerait-il les subsides, s’il reconnaissait que les motifs du refus de concours ne seraient pas fondés ? J’ai répondu : non ! Cela résulte à l’évidence de la rédaction du paragraphe 4.
Il m’est impossible de comprendre autrement le § 4. Il y a d’abord trois conditions. Les abus doivent être constatés. Par qui ? Par le gouvernement. En second lieu, il faut que les abus constatés constituent la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi ; il ne faut pas que les abus soient insignifiants : une question de méthode, l’une ou l’autre imperfection de l’enseignement ne suffirait pas ; il faut un abus grave, très grave, constituant la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi.
En troisième lieu, c’est le gouvernement qui reconnaît que l’abus grave a cette portée de constituer la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi. C’est toujours le gouvernement, Ce n’est pas tout, il faut que l’autorité soit mise en demeure de faire cesser l’abus, quatrième condition, et que cette autorité s’y refuse. Le gouvernement peut accorder des délais, des atermoiements, et quand tout est épuisé, le gouvernement retire le subside. Toujours le gouvernement agit dans la plénitude de ses pouvoirs. Il m’est impossible de donner un autre sens à la disposition.
Je maintiens donc la réponse très positive que j’ai faite à la question posée par l’honorable membre ; et cette réponse, je la considère comme le commentaire du dernier paragraphe de l’article 21. Je prie l’honorable membre d’en prendre acte.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Devaux : « Le refus de concours du ministre du culte, lorsque le gouvernement n’en approuve pas les motifs, n’entraîne pas le retrait des subsides. »
M. de Theux. - Je désirerais connaître le but de cette disposition. J’avais compris, d’après les explications données par M. le ministre, que lorsqu’il y aurait décision de l’autorité compétente, que l’instituteur porte infraction à la disposition de la loi qui met l’enseignement de la religion et de la morale sous la direction du clergé, le gouvernement chercherait à faire cesser la dissidence en amenant l’observance de cette disposition, Si l’instituteur persiste, le gouvernement est obligé de fermer l’école ou de destituer l’instituteur, d’après la nouvelle disposition adoptée hier. Ainsi expliquée, il n’y a rien à dire à la disposition de l’article 21.
Si l’amendement de M. Devaux était adopté, il rendrait illusoire la disposition qui prescrit l’enseignement de la religion et de la morale. Si le rapport adressé à M. le ministre de l’intérieur par l’autorité ecclésiastique l’informait qu’un instituteur non seulement n’enseigne pas la religion et la morale conformément aux doctrines reçues, mais s’en écarte complètement, et que M. le ministre de l’intérieur fût juge, il pourrait éluder lui-même la loi ou en approuver la violation.
Si tel n’est pas le but de l’amendement, il est inutile.
M. Devaux. - Vous ne considérez pas le gouvernement comme juge de la question de savoir, si la religion est bien enseignée.
M. de Theux. - Non, sans doute. L’autorité ecclésiastique est seule compétente pour juger si la religion et la morale sont bien enseignées. Assurément le gouvernement n’est pas juge en fait d’enseignement de la morale et de la religion. M. le ministre de l’intérieur s’en est expliqué de la manière la plus positive. Tout ce que j’entends, c’est que le gouvernement intervient pour opérer la réconciliation. Mais si l’autorité ecclésiastique jugeait que l’enseignement est antireligieux, il n’appartiendrait pas au gouvernement de déclarer que l’enseignement est religieux, et que le subside doit être maintenu. La constitution vient à l’appui de mon opinion. Le gouvernement n’est pas juge en fait de religion. Ce sont les autorités ecclésiastiques qui sont juges, chacune pour leur culte. L’évêque, pour le culte catholique ; le consistoire évangélique, pour le culte réformé ; le consistoire israélite, pour ce culte. Mais jamais je n’admettrai que M. le ministre de l’intérieur soit juge en matière de religion.
M. Dechamps, rapporteur. - Je vais aborder directement ce qui paraît nous diviser ; je veux parler des observations de. M. le ministre de l’intérieur et de M. de Theux. Ces honorables membres paraissent ne pas être d’accord. Cependant je crois qu’au fond ils le sont.
Voici comment j’interprète l’article du projet : il parle d’un abus résultant de la non-exécution de la loi, par rapport à l’enseignement de la religion et de la morale.
Il est constaté par le rapport de l’évêque, par exemple, que l’enseignement de la religion et de la morale n’est pas donné, à cause de la manière d’agir soit de la commune, soit de l’instituteur. J’interprète l’article de manière que le ministre n’est pas libre de déclarer que ce mot n’existe pas. L’amendement de l’honorable M. Devaux, sous ce rapport, n’est pas clair. Il dit : « Si le ministre n’approuve pas le motif ; » je dis oui et non. Le ministre restera juge du point de savoir si la détermination du ministre du culte est basée sur un motif ou sur un prétexte. Il est maître de dire : le motif que vous alléguez n’est pas un motif, n’est qu’un prétexte. Evidemment il faut un juge du fait ; le ministre est ce juge. Mais il est évident que le ministre reste incompétent dans les questions de religion. Je crois que c’est ainsi que M. le ministre de l’intérieur et M. de Theux l’ont entendu, et qu’il n’y a entre eux qu’une contradiction apparente.
L’honorable ministre de l’intérieur vous l’a dit, l’amendement de M. Devaux ne concerne qu’une des deux questions que comprend l’art. 21. L’art. 21, c’est la sanction du régime d’inspection civile et ecclésiastique établi par la loi. M. le ministre de l'intérieur vous l’a dit, pour les établissements adoptés par la commune où le gouvernement n’a aucun droit relatif à la nomination et à la révocation des instituteurs, il faut bien que l’inspection civile et ecclésiastique ait sa sanction. Sans l’art. 21, cette sanction n’existe pas. Si, par exemple, dans une école, l’instituteur et la commune s’entendent et s’obstinent à employer la méthode individuelle, l’inspecteur déclarera que la méthode est radicalement mauvaise, tellement que l’école n’est pas un établissement d’enseignement primaire mais une espèce d’école gardienne. Il faudra bien que l’autorité civile ait une sanction quelconque. Or, sans l’art. 2l, vous n’aurez pas cette sanction.
L’honorable M. Devaux n’a prévu qu’un cas, celui relatif à la question religieuse. Mais la question est double ; elle est civile et ecclésiastique. L’honorable membre a supposé qu’un inspecteur ecclésiastique, dans le rapport qu’il ferait sur l’enseignement religieux, se tromperait, qu’il refuserait son concours par un motif qui ne serait pas puisé dans la question de l’enseignement religieux. Mais évidemment, d’après l’amendement de l’honorable M. Orts, auquel M. le ministre de l’intérieur s’est rallié, l’abus dont il s’agit, c’est l’abus dans l’enseignement de l’école provenant de l’instituteur ou de la commune. Mais dans le cas qu’il a cité, l’abus est tout différent ; ce serait un abus d’un inspecteur ecclésiastique.
Le gouvernement, je le répète, sera toujours incompétent pour juger les questions de morale et de religion ; il sera compétent pour apprécier les faits, pour déclarer que le motif allégué n’est pas un motif, mais un prétexte puisé en dehors de l’enseignement de l’école.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il y a de fait quatre conditions pour arriver au retrait des subsides. Vous remarquerez même que deux changements ont été faits par l’honorable M. Orts. L’article portait : « Les subsides sont retirés. » M. Orts dit : « Les subsides seront retirés. » Avec le mot sont, il lui a paru qu’il y eût eu retrait, de plein droit, des subsides.
Il y, a dis-je, quatre conditions :
1° Abus constaté par le gouvernement, à la suite d’une enquête ;
2° Abus grave constituant la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi ;
3° Abus graves reconnus comme tels par le gouvernement ;
4° Refus, de la part de l’autorité dirigeant l’école, de faire cesser l’abus.
Si l’honorable auteur de l’amendement juge une disposition additionnelle nécessaire, il devrait la proposer à peu près en ces termes :
« Lorsqu’une des conditions sus-indiquées n’existe pas, le subside ne sera pas retiré. »
M. de Theux. - Ce serait une induction inutile.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela est évident.
Ce n’est pas ainsi qu’on rédige les lois, Il est impossible d’entendre le dernier paragraphe d’une autre manière que celle-ci.
Si les quatre conditions que je viens d’énoncer existent, le ministre, à moins de manquer de loyauté (je répète l’expression dont je me suis servi dans l’une des premières séances) retirera le subside. C’est une question de bonne foi, de responsabilité. S’il ne le retirait pas, il y aurait lieu de lui demander dans cette chambre pourquoi il ne le fait pas. Est-il nécessaire d’ajouter que si ces conditions n’existent pas, le ministre ne retirera pas le subside. Je le répète, on n’écrit pas dans loi de semblables redondances. On ne dit pas dans une : « Vous ferez telle chose, si telle condition existe, » et ensuite : « Si la condition n’existe pas, vous ne le ferez pas. » Il est inutile de poser de nouveau le principe en sens inverse.
Vous vous rappellerez, messieurs, que l’honorable M. Lebeau avait proposé, lorsque nous avons examiné la question des livres, une disposition d’après laquelle le gouvernement aurait, conjointement avec le clergé, approuvé tous les livres, ou plutôt désigné les livres destines à l’enseignement primaire. On lui a demandé : « Voulez-vous aussi que le gouvernement, dans cette approbation commune, s’enquière de questions de dogme ? » L’honorable membre n’a pas hésité à répondre : Non, le gouvernement ne pourra pas s’enquérir de questions de dogme. Eh bien, je dois faire la même réponse pour ce cas-ci. Le gouvernement ne constate que le fait ; il est incompétent pour l’examen de la question de principes religieux.
Moi-même j’ai cité un exemple sur lequel je pense que nous sommes tous d’accord : l’enseignement religieux doit se donner d’après un catéchisme approuvé par l’épiscopat belge. Je suppose que dans une école communale on enseigne la religion d’après un catéchisme autre que celui approuvé par l’épiscopat ; le gouvernement aurait-il le droit de dire : « A tout prendre, je trouve que ce catéchisme est aussi bon que celui approuvé par l’évêque. » Je dis non : tout ce que le ministre peut faire ici, c’est de constater le fait. Je suis juge du fait ; c’est dans ce sens que j’examine les motifs du refus de concours du clergé ; je ne puis, cette fois, aller au-delà de la constatation du fait.
Je regarde donc l’addition proposée par l’honorable M. Devaux comme inutile. Selon moi, il est impossible d’entendre l’article dans un autre sens.
Mais m’est-il permis d’exprimer mon étonnement ? C’est que cette disposition additionnelle jetterait tout à coup la lumière sur cet article, que l’honorable auteur de l’amendement nous avait présenté comme absolument inintelligible. J’avoue que je ne comprends pas cette subite transformation de l’article. Comment ! de l’aveu de l’honorable membre, cet article est complètement inintelligible ; tout à l’heure il l’a disséqué de manière à en présenter la rédaction comme empreinte d’un caractère d’obscurité, comme une exécution absolument impossible, et tout à coup, par l’addition qu’il propose, cet article devient clair.
Eh bien ! je trouve que par cette addition il deviendrait obscur et que vous enlèveriez sa portée générale au dernier paragraphe.
M. Lebeau. - Messieurs, je croyais d’abord qu’il n’y avait entre les membres de cette chambre que des dissidences de rédaction, qu’il n’y avait lutte que pour améliorer l’article, de manière à rendre la pensée de la loi parfaitement claire. Mais je m’aperçois que le dissentiment porte, comme à la naissance de cette discussion, sur le fond même.
Il s’agit de savoir si le clergé a le droit de vie et de mort sur les écoles que vous créez par la loi actuelle ; voilà toute la question. Eh bien ! d’après l’interprétation donnée à l’art. 21 par l’honorable M. de Theux, la réponse est évidemment affirmative : le clergé a le droit de vie et de mort sur tous les établissements créés ou réglés par la présente loi
Maintenant, messieurs, il y a un droit que nous ne dénions pas du clergé : dans toute la discussion de cette loi chaque opinion a reconnu au clergé le droit de refuser son concours. Et, messieurs, ce n’est pas une sanction illusoire que ce refus de concours du clergé ; car s’il est vrai, comme la plupart des membres de cette chambre l’ont proclamé, que la Belgique est sincèrement catholique, que les pères de famille attachent une très grande importance à ce que l’enseignement de la morale et de la religion soit garanti de la manière la plus solennelle dans tous les établissements d’instruction publique, il résulte de là pour tout le monde que le refus de concours, de la part du clergé, est en quelque sorte et virtuellement le renversement de l’école. Mais ce résultat, la chute de l’école par le refus de concours, on pourrait soutenir qu’il est dans les droits du clergé. Ce que nous disons, c’est qu’aller au-delà, donner au clergé la faculté de prononcer légalement, officiellement en dernier ressort sur l’existence des établissements communaux, provinciaux ou subsidiés par l’Etat, c’est évidemment aller au-delà de toutes les explications données par M. le ministre de l’intérieur. Et cependant, si on ne déclare pas positivement que le refus du concours du clergé ne fait jamais, dans tous les cas, fermer l’école, vous lui donnez droit de vie et de mort sur l’enseignement public. Je demande qu’on le déclare et qu’on le déclare dans la loi.
Messieurs, s’il y a refus de concours de la part du clergé, alors même qu’il serait fondé sur les motifs les moins avouables ; alors l’on ne donnerait que des prétextes pour cacher l’hostilité qu’on dirigerait contre les établissements communaux, dès qu’il y a refus de concours de la part du clergé, il y a évidemment réalisation d’une des clauses prévues dans l’art. 21 ; il y a non- exécution d’une des conditions essentielles de la loi. Car une des conditions essentielles de la loi, c’est l’enseignement de la morale et de la religion ; et la condition de l’enseignement de la morale et de la religion, c’est la présence du ministre du culte dans l’école, ou sa participation.
Il en résulte donc que, si le ministre du culte se retire, l’enseignement de la morale et de la religion n’est plus donné dans l’école ; il y a dès lors, je le répète, la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi ; il y a abus, et aux termes de la disposition qui est sous nos yeux, la clôture de l’école, est la conséquence immédiate du refus de concours du clergé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pourvu que le ministre reconnaisse que le clergé est dans son droit.
M. Lebeau. - C’est ce que l’on vous propose d’insérer dans la loi. Du reste, si l’on craignait que la rédaction proposée par l’honorable M. Devaux ne pût blesser les susceptibilités du clergé ou de certaines opinions, j’exprimerai le vœu, pourvu qu’on conservât toute la portée de la proposition, que M. le ministre cherchât à se mettre d’accord sur ce point avec l’honorable auteur de l’amendement. Je ne tiens pas à des mots, mais je tiens à ce que la chose soit claire ; or je crois qu’il est impossible de la rendre plus claire que par les termes de l’amendement.
Voici la question, et je vous prie d’y répondre : Le refus de concours du clergé fait-il nécessairement tomber l’école ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Lebeau. - La cessation de l’enseignement de la morale et de la religion, alors que l’autorité civile est restée, autant qu’il est en son pouvoir, dans les conditions de la loi, fait-elle nécessairement tomber l’école ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Lebeau. - Eh bien ! je demande qu’on le dise dans la loi. Car c’est le contraire qui est dans le texte. (Non ! non !)
Mais vous direz mille fois non, que vous ne changerez pas la langue ; vous ne changerez pas le sens des mots. Vous aurez beau dire, quand on a écrit noir dans la loi, que vous y avez inscrit blanc, il restera noir dans la loi.
« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi... » Il s’agit ici de constater l’existence d’un fait matériel, à savoir le refus de concours de la part la clergé, la cessation de l’enseignement de la morale et de la religion. C’est bien là la réalisation de la clause formulée par l’honorable M. Orts, et accueillie par le gouvernement.
Messieurs, je répète que si l’on ne veut que maintenir l’indépendance du clergé, sans porter atteinte à l’indépendance du pouvoir civil, je dis que le refus de concours du clergé est une sanction suffisante. Il est évident que si le clergé refuse son concours pour des raisons sérieuses, avouables, et non pour des raisons cachées, des prétextes, il portera une atteinte à peu près mortelle à l’établissement, il le frappera de déconsidération. Cela doit suffire au clergé et à tous ceux qu’une légitime sollicitude pour l’enseignement de la morale et de la religion fait seule agir dans cette discussion.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre a lu le dernier paragraphe comme s’il y était dit que les abus seront simplement constatés par le gouvernement. On va plus loin ; il faut que les abus soient reconnus par le gouvernement constituer la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi.
Maintenant, le clergé se retire sans motifs. Mais de que côté est l’abus ? Evidemment l’abus est du côté du clergé. Est-ce que le gouvernement déclarera ici que le refus de concours non motivé du clergé, qui est un abus de sa part, constitue la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi ? De la part de qui ? De la part de l’autorité locale ? De la part de l’instituteur ? Mais l’instituteur dira : « Je ne demande pas mieux que d’enseigner la religion et la morale, mais M. le curé se retire. » L’autorité communale dira : « Je ne demande pas mieux que de voir donner à l’école l’enseignement de la morale et de la religion, mais M. le curé ne veut pas mettre les pieds à l’école ; » et le gouvernement déclarerait que dans ce cas le refus de concours constitue la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi ! Mais il est impossible d’entendre la loi dans le sens que vous lui donnez.
Maintenant, on me dit que la disposition additionnelle de l’honorable M. Devaux est claire ; je vais prouver qu’elle n’est pas claire du tout.
« Le refus de concours des ministres du culte, lorsque le gouvernement n’en approuve pas les motifs, n’entraîne pas le retrait des subsides. »
Qu’entend-on par approbation des motifs ? Est-ce que l’appréciation des motifs doit porter aussi sur l’examen en principe des questions morales et religieuses ? L’honorable M. Lebeau a dit : non je dis non, et l’honorable M. Devaux dira non. Je vous le demande maintenant, cet article est-il clair ? Il faudrait mettre au moins cette restriction, que votre proposition n’emporte pas examen de la part du gouvernement, l’examen en principe des questions religieuses et morales, et vous tomberiez dans des embarras de rédaction inextricables.
Je regarde l’article comme très clair. Le gouvernement n’intervient pas seulement pour constater les abus, mais pour reconnaître que les abus constatés constituent la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi, et, lorsqu’il en est ainsi, à qui il faut attribuer ces abus. Or, lorsque c’est le clergé qui, sans donner des motifs, se retire et dit : « Je ne veux pas paraître à l’école », il est évident que le gouvernement ne peut pas reconnaître que ce retrait du clergé constitue la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi, de la part de l’autorité locale ou de l’instituteur.
M. Verhaegen. - Messieurs, il faut encore une fois, et comme toujours, mettre la question à nu ; je ne veux pas de circonvolution. Je sais fort bien que cela ne convient pas à tout le monde, soit : mais je remplirai mon devoir jusqu’au bout ; je vais faire voir, par des exemples, les graves inconvénients du système qu’on vous propose ; on rejette les exemples, je le sais, mais ils font partie de mon argumentation, et j’en ferai l’objet d’interpellations formelles à M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Citez des exemples ; je regarde les exemples comme excellents.
M. Verhaegen. - L’honorable M. Devaux a eu parfaitement raison de formuler son amendement, et ce qui le prouve, c’est ce que vient de dire l’honorable M. de Theux, mais peut-être mitigera-t-il sa phrase.
M. de Theux. - Je ne mitigerai rien du tout. Je n’ai pas l’habitude de changer ce que je dis.
M. Verhaegen. - Si vous ne mitigez rien, ma thèse en sera d’autant plus facile.
Vous avez dit que si le clergé se retire de l’enseignement primaire, le gouvernement n’est pas juge des motifs de cette retraite, Eh bien, c’est précisément là ce qui a engagé M. Devaux à présenter son amendement, et il est fort heureux qu’il ait aperçu la portée de la disposition, car si l’article avait passé sans modifications, je dis avec lui que le clergé aurait eu, dans tous les cas, droit de vie et de mort sur les écoles communales. Il est possible que l’amendement de M. Devaux, comme bien d’autres qu’il a présentés, ne soit pas adopté ; il faudra bien comme toujours se résigner, mais au moins le pays saura que nous avons fait notre devoir, et qu’il nous a été impossible d’éviter le mal.
On nous dit, messieurs, que la seule circonstance, que le clergé se retire, ne constituera pas une inexécution des conditions prescrites par la loi, que ce ne sera pas essentiellement un abus et que dès lors la retraite du clergé n’aura pas pour conséquence nécessaire le retrait des subsides. Mais, messieurs, si le clergé se retire il n’y a plus d’instruction religieuse et morale ; dès lors une des conditions essentielles de la loi vient à défaillir. Le clergé se retire, mais l’instituteur dira : « Je ne demande pas mieux (ce sont les paroles dont s’est servi M. le ministre de l’intérieur) : je ne demande pas mieux que de donner l’enseignement de la religion et de la morale ; je le donne, le clergé m’accuse à tort, pour faire tomber l’école ; ce n’est pas de ma faute ; » qui sera juge ? D’après l’honorable M. de Theux ce ne sera pas le gouvernement ; le gouvernement pourra servir d’intermédiaire ; on voudra bien lui permettre de s’interposer pour opérer, si j’ose dire, un rapprochement entre l’instituteur et le ministre du culte ; mais s’il ne réussit pas, s’il ne parvient pas à mettre les parties d’accord, encore une fois, qui sera juge ? L’instituteur ne donnera au gouvernement que cette seule réponse : « Je ne demande pas mieux que d’enseigner la religion et la morale, mais M. le curé s’est retiré sans motifs.» Que faire ? Il faudra une solution à cette difficulté ; que faire ? Il faudra bien apprécier les motifs de la retraite du clergé ; vous demanderez à l’instituteur : Mais pourquoi n’enseignez-vous pas la religion et la morale telle qu’elles doivent être enseignées.
L’instituteur répondra :
« Je remplis mon devoir j’enseigne la religion et la morale comme elles doivent être enseignées. » Le curé viendra dire : « Non, il n’enseigne pas la religion et la morale comme elles doivent être enseignées. » On développera de part et d’autres ces thèses, et qui sera juge ? Je le demande à l’honorable M. de Theux ; qui sera juge, quant à la retraite du subside ? S’il dit que c’est le gouvernement, je suis satisfait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut distinguer.
M. Verhaegen. - Je vais arriver à la distinction, et je ne laisserai rien a désirer ; je vais entrer dans le fond de la question.
Ce sera une question religieuse ou une question de personnes ; la question se rattachera à l’instruction ou elle concernera l’instituteur, et dans les deux cas on pourra prétendre qu’elle touche à la religion et à la morale puisqu’elle pourra se résumer en principes religieux et en principes de morale.
Je prends d’abord la question de personnes ; j’en viendrai ensuite à la question même de l’instruction : 1’instituteur enseignera la religion et la morale de telle manière que le curé n’aura pas d’observation à lui faire, quant à son instruction ; mais le curé lui dira : « En dehors de l’école, vous vous êtes permis d’écrire, vous avez fait un livre qui n’a pas notre approbation ; nous ne pouvons pas avoir confiance en un homme tel que vous pour enseigner la religion et la morale ; » ou bien le curé dira : « Vous allez au bal, vous fréquentez le spectacle ; vous avez assisté à telle ou telle représentation théâtrale que nous condamnons ; cela ne vous va pas, un homme tel que vous ne peut pas enseigner la religion et la morale ; » ou bien encore : « vous appartenez à telle ou telle société politique que nous condamnons ; cela ne nous va pas ; vous ne pouvez pas enseigner la religion et la morale ; je me retire de l’école pour ne pas avoir affaire à un homme tel que vous ; je ne veux pas conserver des relations avec un homme qui va au bal, qui va au spectacle, qui écrit des livres condamnés par l’Eglise, qui fait partie d’une société politique que nous désapprouvons… »
M. de Mérode. - C’est tout simple.
M. Verhaegen. - M. de Mérode dit que c’est tout simple, Cela prouve au moins que je n’exagère pas.
Ainsi, messieurs, l’instituteur aura fait un livre qui ne convient pas au clergé ; il ira au bal, au spectacle, il appartiendra à telle ou telle société politique ; toutes choses complètement étrangères à l’enseignement. Eh bien, le curé dira : « Je ne veux pas de cet homme, » et que fera le ministre ? Il s’agit ici non d’une question religieuse et morale, mais d’une question de personne : eh bien qui sera juge ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le ministre sera juge.
M. Verhaegen. - M. Nothomb s’attribue le droit de juger, et je l’en félicite ; je désire toutefois qu’il juge bien, si on consent toutefois à ce qu’il juge.
Maintenant, je désire savoir quelle est, sur ce point, l’opinion de l’honorable M. de Theux : les mêmes hommes ne sont pas toujours au pouvoir ; il serait possible que le ministre qui juge bien aujourd’hui fût remplacé demain par un autre qui jugeât mal, ou qui ne voulût pas juger, ce qui serait tout aussi mauvais.
Je vais, messieurs, aller plus loin : supposons qu’il soit question de l’instruction religieuse elle-même ; le curé va dire à l’instituteur : « Vous enseignez la religion, mais vous l’enseignez mal ; » et l’instituteur aurait cent fois raison que le curé pourrait toujours dire : « Vous enseignez mal ; vous êtes un hérétique. » Eh bien, qui sera juge ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut distinguer.
M. Verhaegen. - On dit encore une fois qu’il faut distinguer. Nous voilà déjà à la deuxième distinction. Eh bien, je prétends, moi, qu’on ne permettra pas de distinction. Le curé dira : « L’enseignement de la religion se donne mal. » L’instituteur voudra exposer sa manière d’enseigner, et l’honorable M. de Theux et ses amis soutiendront que, dans aucun cas, le ministre n’est compétent pour décider entre l’instituteur et le curé, puisqu’il s’agit d’une question religieuse.
Je vais, messieurs, donner un exemple que nous fournit la séance d’hier :
Je suppose qu’un instituteur communal, en donnant l’instruction religieuse, enseigne, entre autres, que les protestants et tous les dissidents de bonne foi peuvent se sauver. Vous ne trouverez pas mauvais, messieurs, que je prenne cet exemple, car je ne fais que répéter les paroles prononcées hier par l’honorable de Foere, mais voilà, une musse de curés de campagne...
Un membre. - Et des villes aussi.
M. Verhaegen. - Oui, et des villes aussi, mais c’est surtout dans les campagnes que le clergé en masse se soulèverait contre cette doctrine.
Eh bien, voilà le clergé qui dit à cet instituteur : Mais vous êtes vous-même un hérétique ; comment ! vous enseigner de pareilles doctrines ! Il est impossible que vous puissiez donner l’enseignement religieux ; nous vous retirerons de votre école.
En effet, messieurs, exposez la doctrine de l’honorable M. de Foere à un curé de campagne, et vous verrez ce qu’il vous répondra. Depuis hier déjà il a été beaucoup causé de cette doctrine, et l’on en causera encore davantage par la suite. Encore une fois, je suppose qu’un instituteur communal enseigne cette doctrine. Mais le curé lui dira : « Vous n’êtes pas orthodoxe, je ne veux pas de vous pour enseigner la religion et la morale. » L’instituteur dira : « Comment ! vous ne voulez pas que j’enseigne cette doctrine mais un membre de la chambre des représentants, l’honorable abbé de Foere, l’a proclamé du haut de la tribune. » Messieurs, dans ce cas, le ministre jugera-t-il ? Non, le ministre dira, d’après l’honorable M. de Theux : « Je ne suis pas compétent. » Et l’école sera fermée ; s’il en était autrement, si l’on dit que le ministre est compétent, alors on doit convenir qu’il est compétent pour juger l’enseignement religieux et moral lui-même.
Vous voyez, messieurs, que l’honorable M. Devaux a eu parfaitement raison de dire que, si vous n’admettez pas son amendement, vous donnez au clergé droit de vie et de mort sur les écoles.
J’ai donc l’honneur, en me résumant, de demander à M. le ministre ce qu’il ferait si le clergé devait lui dire : « Je me suis retiré parce que l’instituteur est un homme qui écrit des livres qui ne lui conviennent point ; parce que l’instituteur va au bal, au spectacle ou parce qu’il appartient à telle ou telle société politique que je condamne » ? « Je demanderai en outre à M. le ministre ce qu’il ferait si, quant à l’instruction elle-même, le clergé venait lui dire : « L’instituteur enseigne telle doctrine (par exemple celle qui a été proclamée par l’honorable M. de Foere) ; cette doctrine ne me convient point, je me suis retiré » ?
J’ai maintenant, messieurs, exposé divers cas qui peuvent se présenter ; la chambre et le ministre peuvent se prononcer en connaissance de cause. On saura au moins ce que la chambre veut, et c’est là mon but ; je n’en ai point d’autre.
Quant à moi, voici, en deux mots, mon opinion : le gouvernement n’est pas compétent en matière de dogme ; soit. Si une question concernant le dogme se présente, il l’abandonnera au clergé, mais il restera juge de la question du retrait des subsides, et il ne se bornera pas à un simple rôle de ministère public ; s’il ne retire pas les subsides, alors qu’il y a des raisons suffisantes, ou s’il les retire à tort, sa responsabilité sera engagée ; il répondra de son fait ou de son omission devant la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable membre voudra bien remarquer que les questions qu’il m’adresse auraient pu être soulevées à propos de la suspension et de la révocation des instituteurs ; c’est comme s’il me demandait : Est-ce que, pour certains des faits qu’il a indiqués tout à l’heure, il y aurait lieu de suspendre, de révoquer un instituteur. Ce sont des choses à examiner ; c’est comme si l’honorable membre posait tous les cas qui peuvent entraîner une destitution.
Lés faits cités par l’honorable membre sont de deux espèces : les uns concernent l’ordre civil ; le ministre en est juge, et examine jusqu’à quel point ces cas doivent entraîner la suspension ou la révocation. Les autres faits concernent l’ordre religieux.
L’honorable membre s’est étonné de l’interruption d’un membre qui siège derrière lui et qui a cité l‘évêque ; il a pris cela pour une plaisanterie ; ce n’est pas une plaisanterie, l’honorable membre à très bien répondu, et je vais dire dans quel sens.
Le cas que l’honorable préopinant a cité, est celui-ci : Un instituteur est accusé par le curé de mal enseigner la religion.
Eh bien, le ministre constatera le fait. Il se demandera : Est-ce une question de dogme, ou non ? Est-ce un principe fondamental, ou non ? Et le ministre devra en référer à l’épiscopat, c’est une chose évidente ; il en référera à l’épiscopat s’il s’agit de la religion catholique ; au consistoire évangélique, s’il s’agit de le religion protestante ; au consistoire israélite, s’il s’agit de la religion israélite ; il ne s’en rapportera pas à la simple allégation du ministre du culte.
La véritable question est celle-ci, et l’honorable M. Verhaegen, qu’il me permette de le dire, ne l’a pas abordée avec la franchise qu’il nous a annoncée : Le gouvernement est-il compétent pour statuer sur une question de dogme ? Voilà la question à laquelle il faudrait qu’on nous répondît. Pour ma part, je réponds non ; le gouvernement n’est pas compétent pour statuer sur une question de dogme, sur une question purement religieuse ; sinon le ministre de l’intérieur devrait être le plus profond théologien du royaume ; il devrait être à la fois un théologien catholique, un théologien protestant, un théologien israélite ; il devrait être un théologien universel.
Messieurs, voilà la seule question, et nous sommes tous d’accord sur ce point, que le pouvoir civil n’est pas compétent pour statuer en principe sur des questions purement religieuses. Mais une question de ce genre s’élevant, le ministre constate le fait, et si le ministre reconnaît que le fait existe, qu’il constitue la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi, de la part de celui à qui incombe l’accomplissement de cette condition, je dis qu’alors le ministre se doit à lui-même, doit à sa loyauté, de retirer le subside.
Je demanderai donc à l’honorable membre s’il admet la compétence du gouvernement pour examiner des questions religieuses. Voilà le seul point qui nous divise.
Quant aux faits qui tiennent à la vie privée des instituteurs, c’est le ministre qui les apprécie et juge, puisque c’est lui qui révoque ou suspend, sous sa responsabilité.
Cette proposition n’a pas les proportions qu’on veut lui donner. Lorsqu’on arrive à la véritable limite qui nous sépare, cette limite est très mince. Je dis : Le ministre est-il compétent pour décider d’une question purement religieuse ? ou bien, une question de ce genre se présentant, sa compétence se borne-t-elle à la constatation du fait ? Voilà la seule question et le seul point qui nous divisent.
M. de Theux. - Messieurs, il ne me sera pas difficile de répondre à mes honorables contradicteurs. Je commencerai par dire que je n’ai pas combattu la disposition proposée par l’honorable M. Orts, parce que, dès le principe, j’ai considéré cette proposition comme étant en harmonie avec les explications données par M. le ministre de l’intérieur dans les développements de l’amendement. Mes observations n’ont porté que sur l’amendement de l’honorable M. Devaux, et j’ai dit que la signification naturelle de cet amendement était celle-ci : Peu importe que l’enseignement religieux ne soit pas donné dans l’école ou qu’il y soit mal donné, il dépendra toujours du ministre de l’intérieur de laisser subsister l’école, et de mettre de côté la prescription de la loi qui veut un enseignement moral et religieux dans l’école. Si telle n’est pas la portée de l’amendement de M. Devaux, il est complètement inutile, et l’amendement de M. Orts doit donner à l’honorable membre tous ses apaisements.
Et ici, je m’empare d’une phrase de M. Verhaegen, qui a dit : « Le pays doit savoir. » Eh bien, je dis aussi : « Le pays doit savoir si l’on veut maintenir, oui ou non, une école où, contrairement à la loi, l’on s’abstient de donner l’enseignement religieux et moral ; où, contrairement à la loi, on donne un enseignement antireligieux, antimoral » ; moi, je réponds non, on ne doit pas maintenir une semblable école ; je ne sais si d’autres répondront : oui.
Maintenant, abordant plus particulièrement la question dans ses détails, je dois faire une distinction entre les questions qui m’ont été posées les unes concernant l’instituteur, les autres concernant la régence ou la province.
Quant aux questions qui concernent l’instituteur, il n’y aura jamais lieu, de ce chef, à fermer l’école : pourquoi ? Parce que vous avez donné au gouvernement le droit de suspendre et de révoquer l’instituteur. Du moment que le gouvernement aura à sa disposition un moyen aussi simple, il s’abstiendra sans doute de fermer l’école, puisque c’est là le moyen extrême, l’ultima ratio.
Ainsi, qu’arrivera-t-il dans le premier des trois exemples principaux cités par l’honorable M. Verhaegen ? Cet exemple est celui-ci : le curé, ou plutôt l’évêque, se plaindra qu’un instituteur enseigne des propositions erronées, hérétiques, ou des maximes contraires à la morale et à la religion. Qu’arrivera-t-il, dis-je ? L’école sera-t-elle fermée ? Nullement ; mais le ministre qui aura reçu le rapport de l’évêque commencera par constater si, en fait, l’instituteur a enseigné telle ou telle proposition signalée dans le rapport de l’autorité ecclésiastique ; et si l’instituteur avoue qu’il a enseigné cette proposition et qu’il persiste à vouloir l’enseigner, alors que l’autorité ecclésiastique, seul juge en matière de religion et de morale religieuse, persiste à déclarer que la proposition est contraire à la religion et à la morale religieuse, le rôle de M. le ministre de l’intérieur est tout simple : il suspend ou révoque l’instituteur.
Je viens au deuxième exemple cité par l’honorable M. Verhaegen : l’instituteur va au bal, au spectacle.
Ici la loi se tait ; la loi n’a rien statué quant à la conduite privée de l’instituteur, mais il y a l’esprit de la loi à consulter. Si l’instituteur, par sa conduite, cherchait à contrarier la tendance religieuse de l’école, s’il avait une conduite notoirement immorale, une conduite qui scandalisât ses élèves, l’instituteur, dans ce cas, serait à bon droit suspendu ou révoqué. Le ministre de l’intérieur seul est juge ici des motifs de la suspension ou de la révocation. Mais il n’y a, dans aucun de ces cas, des motifs de fermer l’école.
Le troisième exemple, posé par l’honorable M. Verhaegen, rentre dans le premier : Un instituteur enseigne que des protestants de bonne foi peuvent se sauver, selon la doctrine exposée par l’honorable abbé de Foere.
Je né pense pas qu’on s’occupe de semblables questions, dans des écoles d’enfants ; je ne sais s’il convient de s’en occuper dans ces écoles ; je crois que ces questions appartiennent à une école d’enseignement plus relevé. Quoiqu’il en soit, je m’abstiendrai de me prononcer sur ce point. J’entends que M. Verhaegen dit qu’il existe un catéchisme où l’on enseigne la doctrine exposée par M. de Foere ; s’il en est ainsi, c’est que le supérieur ecclésiastique aura approuvé cette doctrine, et certes je ne serai pas plus exigeant que lui.
Mais je dis que si l’on enseignait dans l’école des propositions qui pussent troubler l’esprit des enfants, sur des questions de religion, et que ce danger fût signalé par l’autorité ecclésiastique, le ministre de l’intérieur devrait rappeler l’instituteur à l’ordre. Voilà ma manière de voir.
L’honorable M. Lebeau vous a dit que je voulais accorder au clergé le droit de mort sur les écoles.
Mais, messieurs, rien dans mes paroles n’a pu indiquer cette intention. Qui porte un arrêt de mort ? C’est la loi. Et pourquoi le porte-t-elle ? Parce qu’elle a besoin d’une sanction. Mais qui prononcera, exécutera l’arrêt ? C’est le ministre de l’intérieur. Comment prononcera-t-il son arrêt ? après avoir reçu un rapport motivé de l’autorité ecclésiastique, constatant les faits, après avoir vérifié ces faits et reconnu que le jugement de l’autorité ecclésiastique est porté en conséquence de ces faits, M. le ministre de l’intérieur verra si ce jugement porte sur des faits religieux, ou sur des faits étrangers à la religion et si le jugement est motivé sur des faits religieux, il n’appartient pas au ministre de l’intérieur de réformer le jugement de l’évêque. Soutenir le contraire, ce serait se mettre en opposition avec la doctrine catholique qui admet une hiérarchie en matière de religion, et il n’est sans doute dans l’intention d’aucun membre de cette chambre de faite entrer le gouvernement dans la hiérarchie ecclésiastique.
Ou suppose que, dans mon opinion, le refus du concours du clergé entraînerait d’une manière absolue la fermeture de l’école ; il n’en est rien ; le refus du concours du clergé donnera lieu à M. le ministre de l’intérieur d’examiner les motifs de ce refus. Si le refus est motivé sur une infraction formelle à la disposition de la loi, qui veut qu’il y ait un enseignement religieux et moral dans l’école, et si cette infraction est constatée, alors M. le ministre de l’intérieur n’a autre chose à faire, sinon de fermer l’école.
Mais tous les cas dont nous nous sommes occupés ne sont que des hypothèses qui ne peuvent pas se réaliser sous l’empire de la loi. Voilà le résultat de préoccupations fâcheuses dans les discussions de cette nature. En effet, quel est le seul cas qui aujourd’hui puisse donner lieu à la fermeture de l’école. C’est lorsqu’il y a un fait posé par l’autorité qui a érigé l’école ; car, comme je l’ai dit, tous les faits relatifs à l’instituteur ne peuvent donner lieu qu’à une suspension ou à une destitution.
Mais quels sont les faits qu’une régence pourra poser en hostilité à la loi. Ce ne sera pas des faits, mais plutôt une abstention. Elle dira à l’instituteur : Vous vous abstiendrez d’enseigner la religion et la morale. Voilà le motif seul qui, dans l’application, donne lieu au retrait du subside ; tous les autres faits dépendant de la volonté unique de l’instituteur, il y a lieu à suspension ou à destitution, il n’y a lieu à la fermeture de l’école que quand un fait de l’autorité communale ou provinciale est en opposition formelle avec la loi. La responsabilité de l’instituteur est alors à couvert, c’est la commune qui doit être contrainte à se ranger dans le régime légal.
Après ces explications, toute espèce de dissentiment devrait cesser. Il n’y a dans le discours actuel rien de différent de ce que j’avais dit dans mon premier discours Je ne pense pas que sur ce point je puisse être sérieusement contredit.
M. Raikem. - Quand j’ai demandé la parole je l’ai fait à propos d’observations que l’on présentait sur l’interprétation d’un paragraphe de l’article maintenant en discussion. On tirait la conséquence, qu’on présentait comme certaine, que le refus arbitraire du clergé de concourir à l’enseignement de la religion et de la morale donnerait nécessairement lieu à la fermeture de l’école. De là l’emploi de ces grands mots qui n’ont plus guère de valeur, maintenant qu’on les a répétés si souvent, que c’était donner au clergé droit de vie et de mort sur les écoles primaires. Sans nous engager dans des discussions étrangères au texte de l’article, voyons ce texte et interprétons-le d’après le sens qu’on donne communément aux lois ou plutôt il n’y a pas lieu à interprétation, car il suffit de le lire et d’en peser les mots, qui sont clairs, pour voir que le sens a été parfaitement exprimé pur M. le ministre de l’intérieur, et que tout l’article répond à cette explication.
« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus, par lui, constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Voyons quelles sont les conditions de ce retrait de subsides. Il faut d’abord qu’il y ait abus, condition essentielle prescrite par la loi (chacun sait ce que signifie le mot abus en termes de législation) ; qu’ensuite il faut que cet abus soit constaté par le gouvernement, moyen de preuve pour parvenir à constater l’existence de l’abus. Il faut de plus que le gouvernement reconnaisse que ces abus constituent la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi.
De plus, il faut que l’autorité dirigeant l’école se refuse à faire cesser l’abus. Il faut donc qu’il soit au pouvoir de cette autorité de le faire cesser. On ne peut se refuser à une chose qu’autant qu’on peut le faire. D’après l’interprétation constamment admise en législation, pour qu’on puisse imputer à quelqu’un le défaut d’accomplissement d’une obligation, il faut qu’il y ait de sa part possibilité de la remplir. Autrement, on ne peut le considérer comme y ayant contrevenu.
Cela est enseigné dans les écoles de droit. Or, suivant l’article en discussion, il faut non seulement la non exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, la non-exécution ne suffit pas, faut que cette non-exécution résulte d’un abus. C’est ce qui est bien clairement exprimé dans l’article ; sinon il n’y a plus possibilité de s’exprimer clairement.
On a posé l’exemple : si le clergé se refusait à intervenir. C’est la non exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, mais cela ne suffit pas pour retirer le subside ; il faut qu’il y ait abus ; il faut voir de quel côté se trouve l’abus. Le gouvernement le constate, le reconnaît. Si le clergé refuse sans motif, s’il dit : Je ne veux pas donner mon concours, parce que je ne veux pas ; dans ce cas-là, de quel côté est l’abus ? certainement ce n’est pas du côté de l’autorité civile ; il serait de la part du clergé. Si quelque fidèle recourait à un ministre du clergé pour des devoirs religieux et que, sans aucun motif, parce que la personne lui déplairait, ce membre du clergé se refusât à lui prêter son ministère, ce serait un abus des plus graves, j’espère que nous n’en serons pas témoins, ce ne serait pas de la part du fidèle, mais du ministre du culte. Dans les exemples qu’on a cités, on a toujours supposé l’abus de la part du ministre du culte, tandis que la loi exige qu’il y ait abus de la part de l’autorité dirigeant l’école. C’est ce qui résulte des expressions : « et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser. » Comment voulez-vous que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, si elle n’a pas la possibilité de le faire ? Il n’y aura donc abus que quand la chose sera en son pouvoir. Quand l’abus, ce qui n’est pas probable, viendrait de la part d’une autre autorité, dans ce cas la loi ne serait pas applicable. Ainsi l’unique refus non motivé de la part de l’autorité ecclésiastique ne donnerait pas lieu à l’application du paragraphe que je discute en ce moment.
Mais vous avez mis comme condition essentielle, que l’enseignement de la religion et de la morale aurait lieu sous la direction et la surveillance du ministre du culte. C’est ce qu’il résulte de plusieurs dispositions déjà votées. Le ministre se présente ; on lui refuse la direction de l’enseignement de la religion et de la morale, on veut lui faire donner, ce que je ne crois pas devoir arriver, un enseignement différent de celui qui est conforme à la doctrine reçue ; dans ce cas il y a infraction à la loi, abus de la part de l’autorité civile qui voudrait se mêler de dogme religieux.
Quand on restreint la question au concours du clergé à l’exécution de la loi, il est facile de voir quand la disposition sera applicable et quand elle ne le sera pas. Vous avez vu que les inspecteurs ecclésiastiques devaient donner au ministre de l’intérieur des renseignements détaillés sur l’instruction morale et religieuse.
Le sens de cette prescription légale s’aperçoit aisément s’il y a des abus à reprocher, il faut les spécifier ; l’inspecteur ecclésiastique les spécifiera relativement au dogme et à la morale. Je suppose que l’instituteur enseigne une morale, une religion contrainte à la religion catholique qui doit être enseignée dans l’école des élèves catholiques ; dans ce cas, le ministre vérifiera non pas si la doctrine enseignée par l’instituteur est ou non conforme à la doctrine de la religion catholique, car comment voulez-vous que le ministre puisse décider cette question de dogme ; ce serait introduire une religion nouvelle faite par le ministre ; mais le ministre déciderait si le fait existe, il s’entourerait de tous les renseignements nécessaires si le fait existait, qu’on enseignât des doctrines contraires à la religion professée par les élèves, tout le monde conviendra qu’il y a bien lieu d’appliquer la disposition. Si le fait n’existait pas, cela rentrerait dans l’appréciation du gouvernement. Je suis persuadé que dans la pratique ce paragraphe ne donnera pas lieu à des difficultés.
Mais l’amendement que l’on veut introduire me paraît s’éloigner beaucoup de la clarté, tandis que je trouvé l’article clair.
« Le refus de concours des ministres du culte, quand le gouvernement n’en approuve pas les motifs, n’entraînera pas le retrait des subsides. »
D’abord, je ferai observer que, ce qui n’est pas sans doute dans l’intention de l’auteur de l’amendement, on pourrait l’interpréter ainsi : que les subsides sont immuables. Cependant vous avez fixé un minimum au-delà duquel, par suite des divers subsides le traitement peut varier. Je ne crois pas que l’auteur de l’amendement ait voulu rendre les subsides immuables. Cependant, en prenant les termes de l’amendement, on pourrait éprouver quelques doutes à cet égard ; car on en conclurait que le retrait d’aucune partie des subsides ne pourrait avoir lieu. J’en reviens aux autres expressions :
« Lorsque le gouvernement n’en approuve pas les motifs. »
Le gouvernement serait juge des motifs de l’autorité religieuse. On suppose que sans aucun motif l’autorité religieuse ne veut pas concourir à l’enseignement de la religion et de la morale dans les écoles primaires. Mais quand il n’existe pas de motifs, il ne peut s’agir de les approuver ni de les improuver. Cependant on veut que le gouvernement approuve ou n’approuve pas les motifs. Ces mots supposent d’abord le fait constant, car on ne peut examiner des motifs où la conséquence que l’on déduit d’un fait, que quand un fait est préalablement constaté.
La première chose, en administration comme en pratique judiciaire, c’est de constater les faits : ensuite on examine si les faits étant constatés, il y a des motifs assez graves pour appliquer les dispositions de la loi. Or il résulterait de l’amendement que non seulement l’existence des faits, mais encore les motifs de l’autorité religieuse, même en matière de dogme, devraient être soumis au gouvernement ; du moins c’est l’interprétation qui paraît résulter des termes dans lesquels il est conçu, contrairement sans doute aux intentions de son auteur. En s’attachant aux expressions, on pourrait tirer cette conséquence ; et le ministre pourrait dire : je ne fais qu’exécuter la loi ; vous m’avez établi juge discrétionnaire des motifs du refus de concours du ministre du culte. Le ministre pourrait devenir par là non seulement juge du fait, mais juge en matière de dogme.
Or, je crois que de tous ceux qui ont siégé, siègent, ou siégeront au banc des ministres, aucun n’a eu, n’a, ou n’aura cette prétention.
Ainsi, quant à moi, je trouve que l’amendement, dans l’intention de son auteur, n’ajoute rien à la loi. Mais d’après les termes de l’amendement, la loi, dans mon opinion, serait faussée dans son application.
M. Orts. - Les développements que M. le ministre de l’intérieur a donnés à mon amendement me laissent peu de chose à dire. Je suis cependant obligé d’appeler l’attention de la chambre sur l’interprétation de ces mots « abus constatés et reconnus constituer la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi. » Que résulte-t-il du projet de loi ? un contrat. Le présente loi est un contrat entre l’autorité d’une part, pour ce qui concerne l’intervention du clergé, et le clergé d’autre part. L’autorité civile demande au clergé son intervention ; elle lui demande s’il veut l’accorder. - Oui, dit le clergé ; mais voyons à quelles conditions. Les conditions sont inscrites dans la loi ; le clergé, par cela même qu’il accorde son intervention, se soumet à toutes les conditions de la loi.
En matière de contrat synallagmatique, il y a un principe connu de tous et qui est devenu un brocard de droit ; c’est celui- ci : Si per me non stetit, quo minus obligatio impleatur, habetur pro impleta (si ce n’est point par ma faute, que l’obligation ne s’exécute pas, elle est censée quant à moi, exécutée). Le clergé se retire arbitrairement, où est l’abus ? L’abus est dans celui qui, en se retirant sans motif, ne remplit pas son obligation. Ce ne sont pas de tels abus qu’a en vue l’article en discussion ; il a pour objet, je le répète, les abus qui sont le fait de l’école, soit de l’instituteur, soit de la commune qui ne veut pas que la loi s’exécute. Quand un abus de cette nature est constaté par l’enquête que le ministre doit provoquer, une nouvelle question se présente. L’abus constitue-t-il la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi ? Le ministre le juge-t-il ainsi ? rien n’est encore fait. Il s’adresse à l’autorité dirigeant l’école ; il lui dit : « Tel fait a été constaté ; voici les pièces qui le prouvent. » Si l’autorité dirigeant l’école ne veut pas faire cesser l’abus, le subside sera retiré. Mais sans cela votre loi serait ce qu’il y a de plus déplorable en législation ; elle contiendrait des prescriptions sans sanction. Au reste, s’il y a d’autres moyens d’où il puisse résulter que force reste à la loi, qu’on les indique, qu’on formule des amendements, contenant d’autres sanctions suffisantes pour assurer l’exécution de la loi.
De quoi le clergé sera-t-il juge ? Il sera juge en matière de dogme ; il est impossible qu’un autre soit juge en cette matière. Comment voulez-vous que, sur des questions de pure croyance, qui ont divisé le monde pendant des siècles entiers, le gouvernement se constitue juge. Du reste, il me semble très difficile que l’instituteur se trompe en matière de dogme ; car il enseignera assurément la religion d’après le catéchisme du diocèse. Supposons qu’il s’écarte de l’orthodoxie, le rapport que l’inspecteur ecclésiastique devra faire en vertu de la loi ne se bornera pas à dire que l’enseignement n’est pas orthodoxe ; il faudra qu’il explique en quoi il y a défaut d’orthodoxie. Le ministre en référera à l’autorité ecclésiastique supérieure, qui décidera. Si l’on a enseigné quelque chose de contraire aux mystères, je ne pense pas qu’un ministre s’engage à cet égard dans une polémique. Il serait, à cet égard, évidemment incompétent.
On a supposé encore que l’inspecteur ferait un rapport sur ce que l’instituteur irait au spectacle, à des représentations que le clergé n’approuve pas, qu’en dehors de l’école il lirait ou composerait des ouvrages qui n’obtiendraient pas le suffrage de l’autorité ecclésiastique. Sur ce point le ministre jugera. Ici ce ne sera pas l’art. 21, ce sera l’art. relatif à la révocation et à la suspension des instituteurs qui pourra être invoqué. Ce sera le ministre ; ce ne sera pas le clergé qui suspendra, ou révoquera.
Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Delehaye. - Je serai très court. Je me serais même abstenu de parler, si je n’avais pas été interpellé par un honorable membre au sujet d’une interruption. Il a regretté cette interruption, c’est moi qui l’ai faite, et je l’ai faite avec beaucoup de sincérité. il m’a paru qu’alors que vous faites une loi de conciliation, il fallait aussi respecter l’autorité de ceux à qui vous adressez votre appel.
Vous avez commencé par déclarer que le dogme et la morale seraient enseignés par le clergé. Mais si vous voulez son intervention, il faut bien lui permettre de se retirer, quand cela lui conviendra. Mais si un membre du clergé trouve qu’un instituteur n’enseigne pas la religion comme elle doit être enseignée, sera-ce le ministre qui sera juge ? Dans une question d’enseignement, non. Le clergé dans ce cas se retirera, et il aura parfaitement raison. Que fera le ministre ? Il ne fera pas le procès au clergé. Sous sa responsabilité, il retirera ou ne retirera pas le subside ; ce sera aux chambre à voir s’il a bien ou mal agi ; mais il ne lui appartiendrait pas de statuer sur une question soulevée par l’évêque, et concernant le dogme. Une autre question a été faite ; je suppose qu’un instituteur n’ait pas une conduite exemplaire ; que le clergé trouve qu’il manque à ses devoirs en fréquentant les spectacles, et qu’il se retire. Il en sera complètement le maître, le gouvernement devra-t-il retirer subside. Il en sera juge. Voilà comment j’ai entendu la loi. Du moment qu’elle est votée, je pense que chacun veut qu’elle soit exécutée franchement et loyalement.
Vous avez voulu l’intervention du clergé ; vous avez déclaré que cette intervention était d’une grande utilité pour l’enseignement de la morale et de la religion. Du moment que vous avez fait cette déclaration, il faut en subir les conséquences. Or, quelles sont ces conséquences, c’est que le clergé reste maître en dernier ressort de ce qui concerne la religion, de ce qui concerne le dogme, comme il reste maître de se retirer s’il pense que l’instituteur a une conduite immorale ; mais je crois que si le gouvernement reconnaissait que le clergé se retirait à tort, il ne devrait pas refuser les subsides.
Je pense, dans tous les cas, que le gouvernement restera responsable devant la chambre, mais qu’il ne peut s’immiscer dans les attributions du clergé que vous devez respecter.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Devaux. - Vous comprendrez, messieurs, que j’ai besoin de vous dire quelques mots ; mon amendement a été combattu deux fois par l’honorable M. de Theux, deux fois par M. le ministre de l'intérieur, ainsi que par l’honorable M. Raikem et M. le rapporteur de la section centrale ; j’espère que vous me permettrez de leur répondre brièvement ; d’autant plus, messieurs, qu’outre l’amendement dont vous vous occupez en ce moment, il y a un autre point sur lequel j’avais d’abord appelé l’attention de M. le ministre, et dont on ne s’est pas ultérieurement occupé. J’en parlerai d’abord.
J’avais demandé à quel régime seraient soumis les écoles dont parle l’art. 3 : ce sont les écoles privées de la commune adoptées pour tenir lieu d’écoles communales. Ces écoles peut-être joueront un assez grand rôle dans l’instruction primaire, et cependant la loi ne règle pas clairement leur position.
J’avais demandé à M. le ministre de l'intérieur : Ces écoles seront-elles soumises 1° à l’inspection de l’autorité civile et à l’inspection ecclésiastique ; 2° ces écoles sont-elles nécessairement soumises à la direction du clergé, en ce qui concerne l’enseignement religieux et moral ; 3° ces écoles sont-elles aussi soumises à l’approbation de leurs livres par l’autorité civile et par le clergé ?
La réponse de M. le ministre sur ces différents points n’a pas été assez claire. Voici cependant ce que j’en ai conclu.
M. le ministre a dit : ces écoles sont soumises à la double inspection. Quant à cela, je n’ai rien à dire. Mais j’ai demandé, en second lieu : ces écoles sont-elles soumises à la direction du clergé, en ce qui concerne l’enseignement de la morale et de la religion ? M. le ministre n’a pas répondu clairement à cette seconde question ; mais il faut entendre qu’elles seront obligées d’obtenir le concours du clergé. Ainsi elles ne sont pas seulement soumises à l’inspection, mais il faut qu’elles obtiennent le concours du clergé ; en d’autres termes il faut qu’elles se soumettent à la direction du clergé en ce qui concerne l’enseignement de la morale et de la religion.
Sont-elles soumises de plus à la double approbation, quant à leurs livres ? Ici M. le ministre a dit : non.
Ainsi, vous voyez combien la part des deux autorités devient inégale dans ces écoles, qui je le répète, joueront peut-être un très grand rôle dans l’enseignement primaire. Il y a, à la vérité, double inspection des deux autorités ; mais elles sont obligées d’obtenir le concours du clergé ; c’est-à-dire, par conséquent, que le clergé aura le droit d’approuver leurs livres et de diriger l’enseignement, en ce qui concerne la morale et la religion. Mais quant à l’autorité civile, elle n’intervient plus dans l’approbation des livres ; elle a simplement le droit d’inspection ; son concours n’est pas obligé.
Vous voyez que, comme je vous le disais, la part des deux autorités est fort inégale, et que c’est la part la plus forte, la direction de l’enseignement moral et religieux, l’approbation des livres, qui appartient au clergé. Quant au gouvernement, il n’a qu’une stérile inspection, et rien de plus. Voilà ce que je voulais dire, quant à l’art. 3.
Je rentre maintenant dans l’objet qui vous a occupés plus particulièrement.
Messieurs, dans plusieurs des amendements que j’ai présentés, j’ai eu pour but, ainsi que je vous l’ai dit, de rendre la loi moins obscure qu’elle ne l’est. J’ai été en général malheureux dans les efforts que j’ai faits pour atteindre ce but. On convient que la loi n’est pas très claire ; car on l’interprète dans tel sens d’un côté, dans tel autre de l’autre côté. Il faut plusieurs jours pour se mettre d’accord dans les mêmes rangs ; encore ne l’est-on pas tout à fait.
Quand je fais une interpellation, que je demande : Est-ce dans tel sens qu’on entend la loi, une partie de l’assemblée répond : oui.
Quand je propose d’écrire cette interprétation dans la loi, M. le ministre, qui était de mon avis, dit : C’est inutile, et M. le rapporteur ou d’autres, à son défaut, disent : C’est dangereux. C’est ce qui est arrivé lorsqu’après qu’on a voulu donner la direction de l’enseignement de la religion et de la morale au clergé, j’ai proposé de dire que son droit s’arrêterait là. M. le rapporteur de la section centrale s’est levé pour dira que c’était inutile ; et M. le ministre de l’intérieur n’a pas manqué d’ajouter que ce serait dangereux.
Ici encore, qu’est ce que je demande ? Je demande qu’on mette dans la loi ce que M. le ministre dit vouloir ; je demande qu’on dise clairement que le refus de concours du clergé n’entraîne pas de plein droit le retrait des subsides.
C’est une proposition bien simple, on ne la conteste pas, au moins directement, et quand je propose de l’inscrire dans la loi, l’on me répond encore une fois : C’est inutile ; l’autre : c’est dangereux. J’ai fait la question dans les mêmes termes que j’ai depuis formulé l’amendement, et M. le ministre de l’intérieur n’a pas hésité à me répondre : Je l’entends comme vous. Mais si je veux écrire cette interprétation dans la loi, aussitôt opposition de toutes parts.
Cependant, messieurs, vous le reconnaîtrez, les explications données varient suivant les individus. M. le ministre de l’intérieur s’il est appelé à exécuter la loi, pourra l’exécuter rigoureusement dans le sens de ses dernières paroles ; mais si son collègue, M. le ministre des affaires étrangères, devenait ministre de l’intérieur, il pourrait, en s’en rapportant à son propre discours, donner une toute autre interprétation à la loi. Si M. de Theux devenait ministre, il ne donnerait pas à la loi le même sens que M. Nothomb.
M. de Theux. - Je ne suis nullement en désaccord avec M. le ministre.
M. Devaux. - Au fond, il y a une dissidente grave entre nous ; ou s’il n’y en a pas, il est facile de faire disparaître tout doute, en changeant le texte de la loi.
Messieurs, la question à décider est celle-ci : Qui décide souverainement de l’existence de l’école ? voulez-vous que ce soit le clergé ou le pouvoir civil ? Vous aurez beau embarrasser votre langage dans des expressions équivoques, la question n’est pas autre que celle-là.
Moi, je désire que ce soit l’autorité civile. L’honorable M. Dechamps, et je suis de son avis à cet égard, dit qu’il suffit que l’autorité civile puisse décider s’il y a dans le refus du concours du clergé prétextes ou motifs véritables. Je pense comme lui, je veux seulement que le gouvernement ait ce droit ; mais il est impossible que vous le lui donniez sans reconnaître sa souveraineté. Car celui qui peut déclarer qu’il y a prétexte, peut le déclarer faussement, et quand il y a des motifs véritables, il peut déclarer qu’il n’y a que prétexte. Le gouvernement peut se tromper.
Ainsi vous ne pouvez sortir de là : il faut savoir qui décidera.
On dit : vous voulez rendre le gouvernement juge en fait de religion ; vous voulez faire des questions de dogme par le gouvernement. Mais non ; je laisse tout entière la question de dogme ; je laisse tout entière la liberté du clergé ; je lui permets de se retirer s’il veut recourir à ce moyen extrême ; je ne le force pas à se rendre dans l’école. La seule question qui reste à résoudre est une question toute civile ; c’est celle de savoir si l’école subsistera, oui ou non. Voilà la question dont je veux réserver la solution à l’autorité civile. Vous ne pouvez vous élever contre ce que je demande qu’en donnant le droit de décider la question au clergé.
Lorsque le clergé se retirera, qui décidera si les subsides doivent être continués. Voulez-vous que ce soit le gouvernement ? Ecrivez-le dans la loi. Voulez-vous que ce soit le clergé ? Eh bien, dites-le franchement. Il y a un dissentiment grave entre vous ; or il faut l’éclaircir, et une ligne suffit pour cela.
Il ne s’agit donc pas d’immiscer le gouvernement dans des questions de dogmes, de forcer, de violenter la conscience du clergé. Il s’agit uniquement, je le dis encore, d’une question civile, la question de savoir si l’école doit être fermée, oui on non. Le clergé est parfaitement libre ; son refus de concours sera en tout état de choses très fâcheux pour l’école ; mais il reste une question de pouvoir civil à résoudre, c’est celle que je viens d’indiquer ; et je ne demande pas autre chose, sinon que cette question d’administration, cette question de pouvoir civil, vous la donniez au gouvernement, laissant le clergé libre de sa conduite, et juge de ses motifs.
Voyez dans quelles contradictions on tombe, on ne veut pas, dit-on, que le gouvernement soit juge des motifs du refus de concours du clergé, et on écrit dans la loi que c’est le gouvernement qui reconnaîtra s’il y a abus dans le cas où le clergé se retire. Or si vous donnez au gouvernement le droit de reconnaître s’il y a abus dans le cas où le clergé se retire, si vous le lui donnez sérieusement, pourquoi refusez-vous de déclarer que quand le gouvernement n’approuvera pas les motifs de ces refus, il n’y aura pas retrait des subsides. Vous établissez le gouvernement juge ; vous dites que c’est à lui à reconnaître s’il y a abus ; je ne demande pas autre chose, sinon que vous ajoutiez que si le gouvernement reconnaît qu’il n’y a pas abus, et s’il n’approuve pas les motifs du clergé, il lui sera permis de continuer les subsides.
Messieurs, le texte est équivoque ; on n’a pu détruire l’exemple que j’ai cité. J’ai cité l’exemple d’un ministre du culte qui se retirerait abusivement, par des motifs arbitraires, par des motifs non fondés ; parce que, par exemple, il trouverait que la méthode suivie ne convient pas, parce qu’il ne serait pas partisan de la méthode simultanée ou de la méthode mutuelle. Il est certain que dans ce cas il y a abus, abus entraînant la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi. Cet abus, c’est le manque de concours du clergé, c’est la cessation de l’enseignement moral et religieux dans l’école. Il est certain aussi que l’autorité communale peut faire cesser cet abus ; elle peut obliger l’instituteur à changer de méthode. Il y a donc abus, et l’autorité communale refuse de le faire cesser ; vous êtes dans le cas de la loi, et l’article, tel qu’il est rédigé, vous oblige à retirer le subside. Si vous prétendez le contraire, c’est que vous n’admettez pas l’article dans sa rédaction actuelle, que je vous demande de changer.
Pourquoi refuse-t-on de rendre l’article clair, de mettre dans la loi une limite à l’action du clergé ? Trouve-t-on cela humiliant pour le clergé ? Alors qu’on donne au clergé le droit de forcer, dans beaucoup de cas, le retrait des subsides, trouve-t-on humiliant pour lui de dire qu’il y aura certains cas où il ne le pourra pas ? Mais, messieurs, vous n’avez pas craint d’humilier l’autorité civile lorsque vous avez limité son action de toutes les manières, lorsque vous avez soumis ses actions, au contrôle incessant du clergé, non seulement en ce qui concerne l’enseignement de la religion, mais même quant à l’enseignement de la morale, lorsque vous avez obligé le pouvoir civil à soumettre à l’approbation du clergé jusqu’aux livres mixtes. Vous ne vous êtes pas montré aussi susceptibles lorsqu’il s’est agi de l’autorité civile ; vous avez écrit en toutes lettres dans la loi la défiance que cette autorité vous inspire, vous avez limité l’action de l’autorité civile de la manière la plus expresse ; pourquoi donc ne voulez-vous aucune limite précise lorsqu’il s’agit de l’autorité ecclésiastique ; pourquoi ne voulez-vous que de l’équivoque lorsqu’il s’agit de limiter, de préciser les droits ?
Un honorable membre, l’honorable M. Orts, a attaché beaucoup de prix à ce qu’il y ait une sanction dans la loi. Je ne propose pas d’ôter la sanction qui se trouve dans l’article ; je propose uniquement d’ajouter deux mots qui disent quelle est cette sanction.
- La clôture est demandée.
M. Verhaegen (contre la clôture). - Il est très commode, messieurs, de demander la clôture, alors que d’une part on m’a fait des interpellations auxquelles je voulais répondre, et que d’un autre côté, l’on a exposé des doctrines que je voulais combattre, entre autres, celles de l’honorable M. de Theux. Rien n’est plus commode que de clore la discussion ; le moyen le plus facile d’avoir raison, c’est de fermer la bouche à ses adversaires.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L’amendement de M. Devaux est nais aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article tel qu’il est proposé par M. le ministre de l’intérieur et modifié par M. Orts, est mis aux voix et adopté.
Le vote définitif du projet est renvoyé à lundi prochain.
La chambre décide que la séance de lundi s’ouvrira à 2 heures.
La chambre décide qu’elle s’occupera demain du vote définitif du projet de loi concernant les réclamations des marchands de vins et du projet de loi concernant le personnel des tribunaux de Bruxelles, Charleroy et Tournay.
Sur la proposition de M. Dubus (aîné), la chambre met également à l’ordre du jour de demain le vote de divers projets de lois tendant à accorder la naturalisation ordinaire à plusieurs personnes dont les demandes ont été prises en considération par les deux chambres.
Sur la proposition de M. le président, la chambre met aussi à l’ordre du jour de demain le projet de loi relatif aux anciens employés de l’ambulance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est bien entendu que si ces derniers projets n’étaient pas terminés demain, le vote définitif du projet de loi sur l’instruction primaire n’en reste pas moins fixé à lundi. (De toute part : oui, oui)
M. Rogier. - J’appellerai l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur une lacune que présente le projet de loi sur l’instruction primaire. Il pourra y réfléchir d’ici à lundi ; tout le monde aura remarqué que le projet de loi ne renferme aucune stipulation relativement à l’instruction des filles pauvres. Je crois qu’il y aurait quelque chose à faire à cet égard.
M. Devaux. - J’ai une autre observation à faire. La loi mentionne plusieurs genres d’écoles ; elle parle par exemple des salles d’asile, des écoles du dimanche pour les adultes, mais elle a oublié les écoles du soir pour les adultes, c’est probablement un oubli, car dans les localités industrielles surtout, ces écoles sont très utiles. Je pense qu’au second vote on ne verra pas d’obstacle à les mentionner dans la loi, au même titre que celles que je viens de citer.
M. Dumortier. - Puisqu’on signale des lacunes dans la loi, j’en signalerai une aussi. Le projet de loi ne renferme aucune disposition relativement aux écoles que pourraient fonder les établissements de bienfaisance, les bureaux de charités, les administrations des hospices.
Il me semble que toutes les écoles établies au moyen des deniers publics devraient entrer dans la même catégorie et être soumises à l’obligation d’enseigner la morale et la religion conformément au vœu de la loi. Je soumets maintenant cette observation à M. le ministre de l’intérieur, et j’y reviendrai au second vote.
- La séance est levée à 3 heures 3/4.