(Moniteur belge n°236, du 24 août 1842)
(Présidence de M. Dubus (aîné))
M. Kervyn fait l’appel nominal à 2 heures un quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les sieurs Deweyre, Michel et autres rouliers demandent la révision des dispositions législatives et réglementaires concernant le roulage. »
« Le sieur Zani de Ferranti demande à être relevé de la déchéance de la qualité de Belge, qu’il a encourue pour avoir laissé passer le délai prescrit par la loi du 27 décembre 1835, avant d’accepter la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai préparé une nouvelle rédaction de l’art. 28 relatif aux écoles primaires supérieures et des amendements que j’avais déposés concernant la nomination et la révocation des instituteurs. Je prierai la chambre d’en ordonner dés à présent l’impression.
- L’impression des amendements déposés est ordonnée.
M. Cogels. - Messieurs, je suis loin de contester ce qu’il peut y avoir de défavorable pour les marchands de vins dans la convention conclue avec la France et dans la réduction de droits sur les vins qui en est la suite. Je suis loin d’être insensible aux considérations d’équité qu’on a fait valoir en leur faveur.
Je crois cependant qu’ici, comme c’est presque toujours le cas, il y a eu beaucoup d’exagération quant aux conséquences défavorables de cette réduction. Je ne pourrai jamais admettre que l’adoption du système du gouvernement doive entraîner la ruine complète du commerce des vins en Belgique.
D’abord voyons quelles sont les conséquences que la convention aurait pour le commerce proprement dite. On vous a parlé de la concurrence que faisait aux marchands de vins du pays, les agents de plusieurs maisons françaises, qui viennent débiter du vin non seulement par barrique, mais par paniers de 25 bouteilles, qui vont offrir leurs vins aux grandes maisons, aux hôtels, aux restaurants.
Cette concurrence, vous ne pourrez jamais la détruire ; elle existe, elle ne fera que croître, parce que ceci, comme l’a dit M. de Brouckere, est un effet de la mode. On tient à dire : je tire directement mon vin du lieu de production, afin qu’on le croie plus pur. Il est possible qu’au lieu de production on le mélange aussi bien qu’en Belgique, mais à Bordeaux, on mélange le bordeaux avec du bordeaux et non avec des vins de basse côte, des vins de Cahors avec des vins d’Espagne, comme on suppose que cela se pratique en Belgique. Cette supposition est-elle ou non réelle, c’est ce que je n’examinerai pas. Le fait est que certains particuliers continueront à recevoir directement leurs vins des lieux de production, et cette concurrence existera toujours pour les négociants belges, elle ne résultera pas de la convention conclue avec la France ; cette convention peut cependant contribuer à son développement, mas pas d’une manière durable. Voyons maintenant quel est le principal commerce des marchands belges, qu’on a appelé leur industrie. Ils reçoivent d’abord des vins blancs sur lie. Pour ceux-là les commis voyageurs français ne peuvent faire concurrence aux négociants belges, parce que ce vin doit être clarifié et soutiré immédiatement, de telle manière que le vin de 41 ne peut pas faire concurrence au vin de 40, et le vin de 1842 ne peut pas faire concurrence au vin de 1841 ; on prend en considération les années de bouteilles que peut avoir le vin.
Quant au commerce de vins de Bordeaux, les vins qu’on livre aux personnes qui ont le palais moins délicat ne forment pas la grande masse ; la grande masse, ce sont les vins à bas prix des moindres crûs de Bordeaux qu’on mélange avec des vins de Roussillon, de St-George, de Cahors, qui sont des vins plus forts. De cette manière on donne aux vins un goût qui plaît à certains palais, parce qu’il laisse un plus long souvenir de son passage dans le gosier et qui convient à certaines fortunes, parce qu’on peut le livrer à très bas prix.
Mais ce vin n’est pas répandu dans les clases aissées, dans les classes qui ont le palais délicat. Pour ce commerce la concurrence étrangère n’est pas à craindre ; ce qu’il faut donc ne pas perdre de vue, c’est que la convention n’atteindra pas le commerce en général, qu’elle n’en atteindra qu’une partie.
Quant aux vins de premier crû, aux vins de Château et bourgeois fins, je crois que les marchands belges en reçoivent très peu. Ce serait s’exposer que d’en recevoir beaucoup ; ils devraient le mettre en bouteille et le garder longtemps, et comme le prix en est excessif, il serait impossible d’en faire des approvisionnements considérables. Ce sont ces vins-là que les commis marchands viennent nous livrer presque exclusivement.
On a parlé du commerce beige qu’on sacrifiait au commerce étranger. En fait de vins, je ne comprends pas de commerce belge, proprement dit. Le commerce de vins sera toujours un commerce essentiellement français. Il n’y a qu’une seule différence, c’est la question de savoir si vous recevez vos vins par intermédiaires belges ou français, car il y a des maisons françaises qui ont des agents en Belgique, et quelques-uns de ces agents sont Belges. Il ne s’agit donc ici que d’une question d’intermédiaire.
Ce sera toujours le propriétaire du vignoble qui vendra, soit qu’il vende aux particuliers, soit qu’il vende aux marchands.
On nous dit que, si la proposition n’était pas adoptée, la réduction de droit entraînerait la ruine complète des marchands belges. J’ai déjà fait voir qu’il est une partie de ce commerce sur laquelle elle réagirait très faiblement ; et quand elle devrait atteindre tout le commerce, est-ce une somme de 350 mille francs pour plus de 350 individus (car ce commerce est assez étendu pour comprendre plus de 350 individus) ; est-ce une somme de 350 mille francs qui pourrait les sauver d’une ruine complète !
Un membre. - Cela n’est pas juste.
M. Cogels. - Je parle des exagérations qu’on a fait valoir. On a représenté le rejet de la proposition comme devant entraîner la ruine des marchands belges. Si vous voulez me laisser continuer, vous verrez à quoi j’en viendrai.
Parlons maintenant de la question d’équité. C’est celle-là qui mérite la plus sérieuse considération. Quand on est équitable, on ne l’est pas à demi, mais on l’est pour tout le monde. Voyons si aucune des propositions faites permet d’être équitable envers tout le monde. Nous avons quatre propositions : celle de la section centrale, qui n’accorde que la restitution de la moitié du droit pour les vins couverts par des crédits à terme ; nous avons ensuite les propositions de MM. Verhaegen et Osy qui accordent la restitution de l’intégralité du droit, toujours pour les vins couverts par des crédits à terme ; ensuite, la proposition de l’honorable M. Delehaye qui accorde l’intégralité des droits sur tous les vins existant en magasin, mais seulement pour les quantités excédant 40 hectolitres, et pour autant que le sacrifice ne doive pas dépasser 350 mille francs à distribuer au marc le franc entre tous les marchands de vins. C’est donc une espèce d’indemnité.
Vous voyez que pour ce qui regarde l’amendement de la section centrale, il ne fait pas justice à tout le monde, il ne s’occupe que des marchands de vins qui ont des crédits à terme ; le détaillant, le petit marchand est complètement exclu. La même observation s’applique à la proposition de M. Verhaegen ainsi qu’à celle de M. Osy. L’amendement de M. Delehaye est plus large ; il embrasse les marchands de vins qui ont des crédits à terme ainsi que ceux qui ont acquitté les droits, il prend les vins existant en magasin, mais accorde seulement la remise pour tout ce qui excède 60 hectolitres. Voyons si cette proposition est juste envers tout le monde, si le petit marchand ne sera pas complètement sacrifié aux grands marchands. Tel marchand qui aura 50 hectolitres en magasin, recevra la remise pour 10 hectolitres, c’est-à-dire : pour un cinquième. Le négociant qui en aura deux mille recevra la remise sur 1960 hectolitres, c’est-à-dire sur la presque totalité ; les 40 hectolitres pour eux sont insignifiants. Il est vrai qu’on dira : le petit négociant qui n’aura que 40 hectolitres ne perdra que 400 fr., mas ces 400 francs peuvent être pour lui une somme très importante, plus importante souvent que 10.000 fr. pour le négociant en gros, ayant de grands capitaux, faisant de gros bénéfices, en ayant fait déjà sur les petits détaillants. Dans aucun de ces amendements, il n’y a véritablement pas d’équité, car toujours on refuse justice à quelqu’un.
Maintenant, toutes ces considérations disparaissent encore devant une question de principe qui domine toute la question, c’est le principe etc la rétroactivité. L’honorable M. Zoude, au début de la séance d’hier, vous a rappelé, et peut être la chambre n’y a-t-elle pas fait grande attention, car c’était à l’ouverture de la séance, il vous a rappelé l’opinion émise par M. Gendebien aux états généraux en 1816. Si je crois que les principes invoques par M. Gendebien sont les véritables principes, c’est qu’à cette époque, il ne s’est trouvé personne en Belgique pour les réfuter, et s’ils n’ont pas prévalu, ce n’est pas la faute des députés belges, mais grâce aux députés des provinces septentrionales.
L’honorable M. Delehaye a fait voir la différence qu’il y avait sous ce rapport entre la Belgique et l’Angleterre.
En Angleterre, le principe de non-rétroactivité est positivement consacré par la loi. Si les Anglais, qui, eux aussi, ont souvent éprouvé des besoins pour leur trésor, dont dépendait l’existence du pays, car ils ont eu à passer des circonstance plus difficiles qui celles dans lesquelles nous nous sommes trouvés ; ils ont eu à soutenir une lutte où leur existence se trouvait compromise ; eh bien, si les Anglais ont consacré le principe de la non rétroactivité, ils l’ont fait certainement dans un intérêt commercial, dans un intérêt d’économie politique bien entendu ; car s’ils avaient appliqué en sens contraire le principe qu’on vient invoquer, ils y auraient trouvé de grandes ressources. Encore, en dernier lieu, le tarif Peel a porté une très grande réduction sur les cafés. Autrefois, il y avait des droits différentiels très forts entre les cafés des colonies anglaises et ceux d’autres provenances introduits soit du continent, soit des colonies anglaises, autres que les lieux de production. Je trouve ici que les quantités de cafés provenant des colonies anglaises s’élevaient à 17 millions de livres, et que ceux des pays étrangers s’élevaient à 10 millions. La diminution de revenu qui devait en résulter pour le trésor est évaluée à 237,000 liv. sterl. (environ 6,000.000 fr.) Ici la réduction est un véritable bénéfice pour le commerce étranger ; car nécessairement le café de provenance étrangère qui est en Angleterre a acquitté la totalité des droits ; et la Hollande qui se trouve dans le voisinage, et qui peut en 24 heures envoyer des cafés en Angleterre fera et assurément fait aux épiciers, aux négociants anglais une concurrence bien plus dangereuse que celles que les marchands de vins français feront aux marchands de vins belges.
Pour le bois, la différence est encore plus forte ; car la perte pour le trésor est de plus de 15 millions de francs.
L’honorable M. Mercier, en commençant son discours, nous a dit hier qu’il serait extrêmement dangereux pour la Belgique d’établir un système positif comme en Angleterre. Je ne saurais partager son avis. Ce sont les mêmes exemples dont il s’est servi pour appuyer son opinion qui me serviront pour la combattre. Il a parlé de l’éventualité d’une union douanière avec la France et de la nécessité où nous nous trouverons alors d’élever nos droits sur les produits coloniaux. Si une telle éventualité avait quelque chance de devenir une réalité, c’est qu’il y aurait un grave inconvénient à ne pas établir le principe de la non rétroactivité ; car quelle serait la conséquence du système contraire ? Comme immédiatement les droits sur les produits coloniaux devront être élevés au taux où ils sont en France, on verrait tout le pays se remplir de ces produits. Tous les négociais tripleraient leurs approvisionnements, et les repartiraient de côtés et d’autres ; 50 balles de café, chez l’un ; 50 balles chez l’autre ; 50 balles de café dans un village ; 50 balles dans un autre ; et le négociant de bonne foi qui n’agirait pas ainsi serait complètement ruiné ; car la il ne s’agira pas de 300,000 fr. à repartir entre 350 individus ; il s’agirait peut-être de 350,000 fr. pour un seul individu. Si vous voulez établir seulement un droit de 1 fr. sur les cafés, ce serait une affaire de 20 millions.
L’honorable M. Savart, en parlant de la rétroactivité, nous a dit : « Ce n’est pas un principe que vous poseriez, vous seriez libres d’invoquer un autre principe dans d’autres circonstances. » Pour moi, en l’absence des principes, ce sont les antécédents qui font les principes. La preuve qu’il n’en est pas ainsi pour moi seul, c’est qu’on invoque toutes les mesures du gouvernement précédent, dont le gouvernement actuel ne peut cependant assumer la responsabilité. Si les antécédents qui ont eu lieu sous le gouvernement précédent se trouvent fortifiés par d’autres que vous poseriez, il est certain que le principe de la rétroactivité pourrait être invoqué, sans trouver d’adversaires, ou bien en ne trouvant pour adversaires que les 4 ou 5 représentants d’une localité, en ne trouvant qu’indifférence chez les autres membres de la législature. En fait de commerce, il faut de la stabilité ; nous ne devons pas nous exposer à ce qu’on proclame alternativement les principes de rétroactivité et de non rétroactivité, selon le bon plaisir du gouvernement et des chambres.
L’honorable M. Mercier nous a cité, à l’appui de son opinion, plusieurs arrêtés du gouvernement provisoire. Mais je pense que cette citation n’aura pas fait une grande impression sur la chambre ; car ces mesures prises ab irato pas le gouvernement provisoire n’avaient qu’un but : c’était de taire des partisans à la cause dont on voulait assurer le triomphe ; c’était de faire croire à ce gouvernement à bon marché que l’on nous promettait alors, et que jusqu’à présent nous attendons toujours. (On rit.)
Il y a une autre circonstance que l’honorable M. Mercier a passée sous silence : c’est une mesure du gouvernement provisoire ou du congrès ; car elle date de 1830, et elle se trouve rapportée par la section centrale. Je veux parler de la réduction des droits sur les distilleries. Il n’y eut pas pour cette mesure de rétroactivité. Ainsi pour la seule mesure régulière qui fut prise, il n’y eut pas de rétroactivité. Il n’en fut ainsi que pour les mesures ayant pour but de faire des prosélytes à la révolution.
L’honorable M. Mercier a dit en parlant de la réduction des droits sur les soieries que si l’on n’avait pas donné à cette mesure un caractère de rétroactivité, c’est qu’on savait que la majeure partie des soieries était fraudé. On ne pouvait restituer des droits qui avaient été fraudés. Je comprends cette mesure pour les fraudeurs. Mais remarquez que les négociants de bonne foi qui n’avaient pas fait frauder, qui avaient payé les droits, auront été victimes de cette mesure. Cependant si quelqu’un a des droits à la sollicitude de la législature, c’est bien cette classe de négociants.
Pour moi, il me sera impossible d’adopter soit la proposition de la section centrale, soit celle des honorables membres qui ont proposé les divers amendements. Je ne me refuserais pas cependant (car je reconnais qu’il s’agit d’une circonstance exceptionnelle), à ce qu’on accordât une certaine somme à répartir entre les marchands de vins, en gros ou en détail, de manière que personne ne fût exclus du bénéfice de la loi. Mais si l’on prenait une mesure de ce genre, je voudrais qu’elle ne fît pas précédent ; je n’y consentirais donc que si la chambre consacrait irrévocablement le principe de la non rétroactivité, aussi bien pour les droits de douane, que pour les droits d’accises, et que l’on suivît en Belgique le système adopté en Angleterre par des hommes qui entendent les intérêts du trésor et du commerce, aussi bien que nous pouvons les entendre nous-mêmes.
M. Coghen. - Lors de la discussion du traité avec la France, je désirais que le vote ne fût pas retardé, et que le pays, surtout les deux Flandres qui exercent l’industrie linière, pussent jouir des avantages que ce traité a faits à cette industrie. Pour ne pas retarder le vote, j’aurais désire que l’on se bornât à consacrer le principe de la restitution des droits, en décidant que la quotité des droits à restituer et le mode de restitution seraient ultérieurement fixés. Cette pensée m’avait aussi été suggérée par les principes d’équité qui doivent présider à toutes les décisions de la législature. Je n’ai maintenant presque plus rien à dire après les discours que vous avez entendus dans la séance d’hier. Mais vous me permettrez de citer quelques faits, et surtout de répondre à l’honorable préopinant.
On a invoqué les actes faits aux premiers jours de la révolution. Cette époque avait ses nécessités ; le trésor avait ses besoins ; le dénuement était complet ; le pays avait besoin de réparation, par suite d’actes qu’il considérait comme des griefs, comme des injustices et auxquels le gouvernement provisoire a eu le courage de mettre un terme. Si l’on avait laissé subsister tous les abus qui existaient alors, toutes les lois qui opprimaient, qui écrasaient la Belgique, il est certain que nous aurions pu compromettre notre indépendance, et peut-être l’honorable membre qui a vu avec regret les mesures qui ont été prises alors, se réjouirait-il maintenant de ce qu’elles n’auraient pas été prises.
M. Cogels. - Je n’ai pas blâmé la mesure.
M. Coghen. - Vous avez dit que c’était une mesure ab irato.
M. Cogels. - Je demande à m’expliquer. Si j’ai dit ab irato, je me suis servi peut-être d’une expression impropre. Je n’ai pas voulu dire que cette mesure avait été inspirée par la passion ; J’ai voulu dire qu’elle avait été prise au milieu de la tourmente révolutionnaire. Il est certain qu’on n’a pas pu alors la peser, la mûrir. Comme on l’aurait fait si le pays s’était trouvé dans son état normal. Je fera donc l’erratum suivant : au lieu de mesure ab irato, lisez : mesure ex abrupto. (Rires approbatifs.)
M. Coghen. - Messieurs, la rectification faite par mon honorable collègue, me suffit.
Messieurs, le gouvernement a eu raison, a mon avis de ne pas vouloir consacrer le système de la rétroactivité en fait de lois financières. Sous l’empire c’était le règne du glaive, nous avons pu obéir à ces investigations inquisitoriales qui se faisaient alors pour constater le sel et les autres denrées sur lesquelles on demandait une augmentation de droits. Sous le gouvernement des Pays-Bas la législature a consacré le principe que tout ce qui était soumis au droit d’accise devait supporter les augmentations que subissait ce droit ; dès lors, investigations, violations de domicile, du foyer domestique, et par conséquent irritation dans le pays.
Je désire que la législature ne rentre jamais dans cette voie, qu’elle ne discute jamais de loi en fait de finances, qui soit rétroactive. Le commerce a besoin de fixité ; il n’y a pas de spéculation possible, lorsque du jour au lendemain il est possible que par une mesure de rétroactivité on vienne frapper des objets qu’il a déjà en sa possession. En général le peuple ne comprend pas ces subtilités financières ; le peuple croit que lorsque des marchandises ont payé un droit, et qu’elles sont en sa possession, elles sont sa propriété, et que l’action du gouvernement n’y est plus pour rien. Si on voulait rendre le gouvernement impopulaire, je crois que la seule voie à suivre serait de rétablir la rétroactivité des lois financières.
Messieurs, si on voulait poser comme principe la restitution à faire aux marchands de vin, je ne pourrais l’adopter, mais ici la question n’est pas, la même ; il ne s’agit ici que d’une question d’équité.
Deux provinces où l’industrie linière s’exerce, sont frappées de la part de la Fiance de droits énormes, de droits prohibitifs. On est obligé de faire des sacrifices et des sacrifices qui viennent frapper qui ? Des gens qui, de bonne foi, la veille même de la publicité donnée au traité, déclaraient leurs vins en consommation. Et l’on sait que les marchands de vin ne déclarent pas leurs vins en consommation pour les livrer immédiatement à celui qui les consomme. Or, si nous avons fait un bien immense pour les populations des Flandres, pouvons-nous vouloir que quelques individus en pâtissent et soient frappés par la réduction d’accises à laquelle nous avons dû consentir ? Je ne pense pas qu’en équité il puisse en être ainsi.
Messieurs, les propositions qui ont été faites ne rendront pas justice complète à tout le monde ; mais je crois qu’il est impossible de rendre une justice complète. Il y a des exclusions dans toutes les propositions qui vous sont présentées. Celle de l’honorable M. Delehaye exclut tous ceux qui ne possèdent pas 40 hectolitres ; celle de l’honorable M. Osy exclut les vins dont les droits sont payés. Je le répète, être parfaitement équitable envers tout le monde est impossible ; mais je crois que l’amendement qui est le plus juste est celui de l’honorable M. Osy ; c’est ensuite celui de l’honorable M. Verhaegen ; et je crois que, comme mesure d’équité, comme mesure de transaction, c’est la seule que la chambre puisse admettre, pour faire acte de justice envers les intérêts lésés. Il est certain, messieurs, que l’étranger profiterait de la position de nos marchands, parce qu’ils se prévaudraient du rejet prononcé par la législature pour annoncer qu’eux, marchands étrangers, sont à même de livrer à meilleur marché que nos négociants indigènes, qui, de bonne foi, la veille de la publicité du traité, ont encore déclaré des quantités considérables de vin en consommation.
M. de La Coste. - Messieurs, si j’ai cru devoir demander la parole, c’est que dans la discussion personne ne s’est placée au point de vue de la proposition de la section centrale, proposition qui a fini par rallier à peu près l’unanimité de ses membres. Il me semble que ces débats seraient incomplets si l’on ne vous exposait les motifs qui ont déterminé la section centrale, ou du moins ceux qui pouvaient être allégués à l’appui de sa proposition,
Cette proposition s’accorde avec les amendements qui avaient été proposés primitivement par l’honorable M. Verhaegen et par M. Delehaye, et avec celui que présente maintenant l’honorable M. Osy, en ce point que nous ne proposons la réduction qu’en faveur des vins qui sont sous crédit à terme.
Elle s’accorde avec la dernière proposition de l’honorable M. Delehaye en ce point que nous proposons une remise seulement partielle ; car je considère l’amendement de l’honorable M. Delehaye comme tendant à accorder une remise seulement partielle et même à peu près dans la même proportion que celle que nous avons voulu accorder. Ceci est évident, si vous admettez les chiffres de M. le ministre des finances ; car sur une somme de 610,000 fr., l’honorable M. Delehaye propose d’accorder 350,000 fr.
Je sais bien qu’on a contesté les chiffres de M. le ministre des finances ; on a dit qu’il y avait double emploi, que dans l’opinion des marchands de vins, l’administration des finances a confondu les vins sous crédits à terme avec ceux qui étaient déjà déclarés en consommation. Mais dans le sein de la section centrale le ministre nous a donné l’assurance que sur les quantités déclarées par les marchands de vin, il avait été fait déduction du montant des crédits à terme, que par conséquent ce double emploi n’existait pas. Il faut, ce me semble, s’en rapporter à cette déclaration de M. le ministre des finances et admettre ses chiffres, puisqu’il est mieux en position qu’aucun de nous pour établir de semblables évaluations.
D’ailleurs quand il s’y serait glissé quelques erreurs partielles, nous pouvons penser qu’elles n’ont point une grande influence sur les résultats généraux, et que ceux-ci ne sont pas fort éloignés de la réalité. Ainsi la proposition de la section centrale s’accorderait à peu près avec celle de l’honorable M. Delehaye, quant à la quotité de la remise que nous proposons de fixer à 50 p. c., tandis que M. Delehaye propose d’accorder 35/71, ce qui fait à peu prés la même chose.
Maintenant une remise partielle peut-elle se concilier avec l’équité ? Non, s’il s’agit d’un droit absolu ; oui, si ce sont simplement des motifs d’équité qui déterminaient à adopter la mesure.
Mais d’abord y a-t-il lieu à une remise quelconque ? L’honorable M. Desmet et après lui M. le ministre des finances ont beaucoup insisté dans la séance d’hier sur les termes de la loi qui dit : l’accise est dû au moment de l’entrée dans le royaume, je crois effectivement que la lettre de la loi est telle ; mais je ne pense pas qu’il faille l’appliquer avec cette rigueur, et j’ai à cet égard une très haute autorité, une autorité qui, en matière de finances, est très importante, une autorité que M. le ministre ne récusera pas, c’est la sienne propre.
En effet, lorsque cette disposition a été écrite dans la loi sur les vins, ils étaient soumis au régime du crédit permanent, tout comme les sels le sont aujourd’hui. Eh bien ! M. le ministre des finances vient de nous demander d’appliquer les nouvelles mesures qu’il propose relativement aux déchets sur le sel, aux sels déclarés en magasin sous crédits permanents. Il ne voit aucune difficulté à s’écarter pour cette denrée des termes de la loi, qui dit que les droits d’accise sont dus au moment de l’entrée dans le royaume. Je dis donc que M. le ministre lui-même n’admet pas ce principe comme rigoureux, comme tranchant la question. S’il n’en était pas ainsi, ce serait là bien certainement de la rétroactivité.
Quant à moi, je ne pense pas qu’il soit réellement ici question de rétroactivité, dans le sens du principe qui l’a proscrit, de ce grand principe inscrit dans notre code et auquel nul n’oserait porter atteinte. Je pense que, par la nature même des choses, il n’est nullement question de ce principe.
Mais quand j’admettrais que ce principe est applicable dans le cas qui nous occupe, quand j’admettrais qu’il s’agit ici de la non rétroactivité, des jurisconsultes nous diraient que la non rétroactivité est de droit formel, et qu’on ne peut y déroger dans le cas où elle serait défavorable ; mais qu’il n’en est pas de même lorsqu’elle est favorable. Ainsi donc, c’est en vain qu’on jugerait avec toute la sévérité possible les mesures qui ont été prises à une autre époque et qui auraient donné un effet rétroactif aux lois d’accises et dans un sens défavorable ; ceci ne préjugerait rien pour les cas où elle serait favorable.
Ce qui empêche d’atteindre les denrées qui sont dans les mains des marchands, lorsqu’il y a une majoration d’impôts, c’est la difficulté de la chose ; ce sont les vexations dont sont accompagnées ces mesures ; c’est la dureté qui les caractérise, et même c’est le peu de résultat qu’on obtient. Mais tous ces motifs ne s’appliquent pas au cas d’une réduction, qui est de l’espèce dont nous nous occupons.
Ici je pense que l’honorable M. Savart était dans le vrai ; il a dit, si je ne me trompe, et en cela il a exprimé ma pensée, que si l’on examinait la nature de l’impôt indirect, il fallait reconnaître que dans cet impôt le marchand n’était pas le contribuable. Le contribuable, c’est le consommateur ; l’expression même d’impôt indirect l’indique. Le consommateur paie indirectement l’impôt en même temps que le prix de la denrée.
Ceci répond aussi à une objection de l’honorable M. Desmet. Il disait : mais on irait donc jusqu’à étendre la remise au consommateur ? Non, messieurs, le consommateur a payé l’impôt avec le prix de la denrée ; il n’y a rien à lui rendre. Il est vrai que, s’il avait attendu quelques mois pour faire sa provision, il aurait pu profiter de la réduction ; mais c’est un bénéfice qui lui échappe, tandis que chez les marchands de vins, s’ils ne peuvent pas se récupérer sur le consommateur, il y a perte réelle. Il y a ici toute la distance du lucrum cessant au damnum emergens.
L’aubergiste, le tenant-café, fait également l’avance de l’impôt, mais il pourra se faire rembourser par le consommateur et il le fera bien certainement, car il n’ira pas, en vendant bouteille par bouteille, déduire 8 ou 10 centimes sur chaque bouteille qui lui coûte peut-être un franc et qu’il vend deux ou trois francs. Je dirai la même chose du petit détaillant.
En définitive la difficulté de se faire rembourser augmente à mesure que l’on est plus éloigné du consommateur. Plus on est rapproché du consommateur, moins on peut se plaindre des effets de la loi.
Le marchand en gros est donc le plus exposé à perdre et c’est le seul aussi qui rencontre la concurrence étrangère, car la concurrence étrangère ne vient point se placer entre le petit détaillant et ses chalands habituels,
C’est déjà là, messieurs, une difficulté qui s’élève au sujet de la proposition de M. Delehaye, suivant laquelle la restitution s’étendait à ces petits détaillants ; mais je n’insiste pas sur cette objection ; en voici une qui est plus grave.
A la vérité la fraude ne se présume pas ; on n’a donc pas le droit de dire que les vins qui se trouvent chez les marchands quelquefois depuis dix ou vingt ans, ont échappe à l’impôt, on n’a pas le droit de dire qu’ils ont été coupés, étendus ; mais si la fraude ne se présume pas, une dette ne se présume pas davantage ; lors donc que les marchands demandent une restitution, c’est à eux que la preuve du payement incombe.
On ne peut évidemment restituer que les droits qui ont été réellement payés ; or comment constaterez-vous que les vins en consommation que l’on présentera pour obtenir la restitution ont en effet payé les droits ?
Quant aux vins couverts par des crédits à terme, ces crédits mêmes, joints à la reproduction des liquides, établissent une présomption en leur faveur, Toutefois cette présomption n’est pas encore une preuve pleine et entière ; il faut convenir encore qu’on ne peut admettre un droit à remise ou recharge pour toute réduction quelconque d’accise ; ainsi le montant des centimes additionnels, par exemple, ne semble en aucun cas devoir être restitué ; car ces centimes sont variables par leur nature ; certes, si vous réduisiez ou si vous supprimiez les centimes additionnels sur les impôts indirects, personne ne songerait à demander de ce chef une remise. Eh bien, si vous défalquez le montant des centimes additionnels de ce que vous voulez restituer, vous avez déjà à peu près un tiers de la perte que subissent les marchands de vins.
Nous avons d’ailleurs pensé que les marchands de vin, si l’on ne venait pas à leur secours, subiraient, à la vérité une perte, mais que cette perte ne serait pas égale au montant de la totalité de la réduction des droits qu’ils sauraient en partie se faire rembourser par les consommateurs.
D’après tous ces motifs, nous avons pensé qu’il y avait lieu à une transaction ; et c’est à titre de transaction que la section centrale nous a soumis sa proposition.
Maintenant, messieurs, qu’on adopte les bases de la section centrale ou qu’on les modifie, je persiste à croire qu’il il y a quelque chose à faire dans la circonstance actuelle, surtout après que nous ayons si solennellement renvoyé les amendements à la section centrale et fait naître ainsi des espérances.
L’honorable M. Cogels a dit qu’à défaut de principe posé il fallait s’en rapporter aux antécédents. Eh bien, messieurs, les seuls antécédents qui existent sont en faveur des marchands de vins.
Mais on a fait valoir en leur faveur une considération plus haute et sur laquelle je crois devoir revenir : elle est tirée d’un principe politique bien plus important que cette prétendue rétroactivité qui a été invoquée contre eux. Lorsque nous avons accédé à la convention conclue avec la France, nous avons dit, tous, que nous cédions à la nécessité ; mais quelle était la nature de cette nécessité ? Aucune puissance ne nous imposait la convention ; c’était une offre que nous faisait la France dans un esprit de justice et de bon voisinage ; là donc n’était pas la nécessité. Mais peut-être l’industrie belge, sous le point de vue général, était-elle en péril ? Messieurs elle était menacée d’une crise, d une crise importante, je l’avoue ; mais l’industrie belge a tant de vitalité qu’on la voit après toutes les crises, renaître de ses cendres, non pas toujours sous la même forme, comme le phénix, mais immortelle comme lui. Quelle était donc cette nécessite ? Mais, messieurs, c’était une nécessité morale, la nécessité de nous entraider ; quand le Flamand est frappé, je suis atteint ; quand le Liégeois est frappé, je suis atteint, c’est là le sentiment qui fait la base principale de notre union politique, c’est la un principe que je considère comme plus important, comme plus nécessaire à conserver que le prétendu principe de la non rétroactivité dans des cas semblables à celui-ci. Eh bien, messieurs, ce principe suppose la réciprocité ; sans cela ce ne serait plus que du sentimentalisme et de la duperie ; nous avons largement appliqué ce principe en faveur de l’industrie linière, nous lui avons fait des sacrifices importants ; la chambre ne l’abandonnera pas maintenant, lorsqu’il s’agit d’un sacrifice que comparativement, je puis presque appeler insignifiant.
M. de Garcia. - Messieurs, la question qui nous est soumise doit être envisagée sous deux points de vue : sous le point de vue de l’équité et sous le point de vue des principes administratifs. Je serai très court, car je craindrais qu’à bien juste titre on ne nous accusât de consacrer un temps trop long à des discussions semblables et d’absorber en frais de présence des sommes qui pourraient couvrir ou servir à couvrir en partie des indemnités réclamées par les marchands de vins.
Messieurs, constatons d’abord la situation des marchands de vin pour apprécier avec justesse les différentes propositions qui sont faites dans le but de leur faire justice.
Plusieurs localités de la Belgique et notamment les grandes villes jouissent d’un entrepôt. Par suite les gros marchands de vins qui se trouvent dans ces localités seront peu frappés par suite du traité avec la France. Beaucoup d’autres localités n’en jouissent pas, et dans toute la province de Namur il n’en existe pas un seul, c’est surtout dans ces localités qu’auront à souffrir les marchands de vin de la mesure prise.
Il est un autre fait qu’il faut encore constater, c’est que les crédits à terme sont accordés suivant la quantité des marchandises prises en échange. Le petit marchand qui rend jusqu’à concurrence d’une valeur de 500 florins obtient un crédit de trois mois ; le gros marchand qui prend des marchandises jusqu’à concurrence de sommes plus élevées, obtient gratuitement ses crédits de 6, 9,12 et 18 mois ; je crois même qu’il y a des crédits qui vont jusqu’à 2 ans, pour les plus grosses pièces en charge.
D’après la proposition de la section centrale, on n’accorderait la remise que pour les termes de crédit qui ne sont pas payés ; évidemment cette proposition est frappée au coin de l’injustice puisqu’elle est entièrement au profit des marchands de vins les plus riches et les plus puissants, et au détriment de ceux qui ne sont pas aussi favorisés de la fortune, dont les affaires sont moins considérables, et qui, par cela même, ont des termes de crédit fort courts. Evidemment, messieurs, toutes les mesures proposées sont en faveur des grandes villes et des grandes maisons de commerce, et nullement en faveur de ceux dont la position est la plus digne de notre sollicitude. Il suffit, je pense, messieurs, de cette simple observation, qui ne peut être contestée, pour vous prouver que la mesure proposée par la section centrale serait injuste, et que dès lors elle doit être rejetée par la chambre.
La proposition de l’honorable M. Delehaye, moins mauvaise sans doute, ne réunit pourtant pas le caractère et le principe complet d’équité que je voudrais voir dans la loi.
Pour soutenir qu’il fallait entrer dans un système de rétroactivité à propos de la convention faite avec la France, on a invoqué la rétroactivité qui a été opérée sous le gouvernement hollandais en 1822, lorsqu’on a fait payer l’augmentation due par tous ceux qui avaient des vins non livrés à la consommation. Mais, messieurs, cette mesure que vous invoquez comme antécédent, s’étendait à tout le monde, aux détaillants, aux maîtres d’hôtel, à tous ceux qui avaient des vins dans le moindre magasin. Eh bien, messieurs, la mesure proposée par l’honorable M. Delehaye s’arrête aux marchands de vins, elle exclut les maîtres d’hôtel, les petits débitants, et même les petits marchands de vins qui n’auraient point 40 hectolitres de liquides dans leurs magasins. Dans cet état, l’on doit convenir que le système consacré par cette proposition est inconséquent, incomplet et injuste. L’on doit conclure que c’est sans fondement qu’on invoque le passé à l’appui de la mesure actuelle.
L’honorable M. Cogels a signalé une injustice sur laquelle je ne reviendrai pas, c’est que le petit marchand de vin qui n’aura que 40 hectolitres n’obtiendrait pas de restitution, tandis que le gros marchand l’obtiendra. Quant à moi, je ne conçois pas qu’on accorde aux riches une faveur que l’on refuse à une classe moins aisée ; une justice semblable est une souveraine injustice. Sous ce rapport, je dois encore repousser l’amendement de M. Delehaye.
Je dois faire une autre observation, messieurs. Il est évident qu’il est impossible d’appliquer la mesure aux vins en bouteille ; le marchand de vin ne laissera pas de boucher toutes les bouteilles pour laisser constater si elles renferment en effet du vin de qualité marchande.
Selon moi, la mesure est impraticable en ce qui concerne les vins en bouteilles et il faudrait dire qu’elle ne s’appliquera qu’aux vins en cercles. Il est incontestable que si l’on en agit autrement, l’exécution de la loi ne pourra se faire sans vexation. Je ferai une proposition dans ce sens si M. Delehaye ne consent à la faire lui-même.
Je suis peu touché, messieurs, des observations d’équité présentées par l’honorable M. de La Coste, toute la justice des mesures contenues dans ses diverses propositions se borne aux gens riches, comme je l’ai démontré, et pour moi, cette justice devrait s’étendre à tout le monde, et surtout aux négociants les moins aisés, aux débitants, etc., etc., précisément à ceux où s’arrêtent les effets des diverses propositions de loi que nous discutons.
Au point de vue administratif, les mesures proposées sont-elles bonnes ? Voilà la question qui nous reste à examiner.
Quant à moi, je ne les considère pas ainsi. On a parlé, messieurs, de guet-apens, mais je crois, moi, que si en matière d’impôt ou d’accises, vous adoptez des principes variables, tantôt la rétroactivité, tantôt la non-rétroactivité, on se mettrait sur un véritable terrain de guet-apens. Rien alors ne serait plus certain dans le commerce. Il faut en administration des principes fixes et ce n’est pas avec des considérations comme celles que nous avons entendu présenter, que l’on doit porter atteinte à la fixité des lois administratives.
Prenons-y garde, messieurs, nous marchons de lois d’indemnités en lois d’indemnités ; nous ouvrons les caisses de l’Etat à toutes les réclamations. Un pareil système ne peut nous conduire qu’à la ruine des finances du pays, à l’aide des mots d’équité, et je dirai plus, à l’aide d’un principe d’équité à combien d’indemnités ne peut être exposé l’Etat ? Les messageries, les roulages, les postes, etc., etc., dont l’industrie a tant souffert et a même été anéantis dans certaines localités, ne seraient-ils pas fondés à faire un appel à votre équité ? Pour être justes et conséquents vous ne pourriez les repousser par un refus. Quant à moi, je combattrai toujours ce système, dans lequel la législature semble vouloir s’engager et qui me paraît contraire aux principes d’une bonne administration.
Ne voulant pas abuser des moments de la chambre, je bornerai ici mes observations.
M. Verhaegen. - Messieurs, on a examiné la question au point de vue administratif et au point de vue de l’équité ; mais il importait de l’examiner, aussi et même tout d’abord, au point de vue international.
Il ne s’agit pas en effet de toucher à certaines industries dans un intérêt purement administratif, d’imposer à une classe spéciale de négociants des sacrifices dans l’intérêt de la nation en général, mais il s’agit de frapper tout un commerce au profit de l’étranger, dans l’intérêt d’un autre commerce qui souffre. Cette considération mérite toute votre attention et décide par elle seule la question.
D’après le traité, vous faites non seulement une concession considérable à la France, mais vous faites encore un avantage tout spécial aux marchands de vins français au détriment des marchands de vins belges qui dans la position où vous les placez ne pourront plus soutenir la concurrence.
C’est à cette position qu’il faut surtout avoir égard. Si vous pouviez rester dans certaines limites et n’examiner la question qu’au point de vue administratif, ou au point de vue de l’équité, eu égard à toutes les parties du royaume, vous pourriez avoir raison jusqu’à un certain point ; mais il faut mettre en rapport le négoce belge avec le négoce français.
Il a été établi, lorsque nous nous sommes occupés du traité, que nous donnerions aux marchands de vins français sur les marchands de vins belges un avantage de 22 fr. par hectolitre, indépendamment de tous les autres avantages dont ils jouissent déjà.
Cette concurrence, messieurs, ne détruit-elle pas notre commerce national ? La chose est évidente pour moi. En vain l’honorable M. Cogels vient nous dire, qu’en fait de vins il n’y a pas de commerce belge ou plutôt que ce commerce se borne à la manipulation des vins blancs...
M. Cogels. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Moi, je pense que ce commerce est aussi important que d’autres commerces, et qu’il est digne de notre sollicitude.
L’honorable M. Cogels est entré dans des détails ; quant aux vins ordinaires, il a des raisons toutes spéciales pour nous dire que les négociants belges n’ont aucune espérance d’entrer en concurrence avec les négociants français. Quant aux vins fins, il trouve que la mode est un obstacle à ce qu’on favorise les négociants belges.
Quant à d’autres vins encore, il donne des raisons pour démontrer qu’on ne les prendra pas en Belgique, et en définitive, il arrive à telle conséquence que le négoce de vins est nécessairement un négoce français, et que les négociants belges ne peuvent se passer de l’intermédiaire des négociants français, comme si nous ne pouvions pas faire le négoce, quant à des objets de provenance ; mais alors que deviendrait notre commerce ? Ces considérations présentées par l’honorable membre, que je croyais compétent dans cette matière, m’ont singulièrement étonné, puisqu’elles tendent à réduire notre commerce à zéro.
Quant à moi, messieurs, je pense que les négociants de vins de vins belges, n’ont pas nécessairement besoin de l’intermédiaire des négociants français. La plupart de ces négociants achètent directement aux vignerons français en traitant sur les lieux.
M. Cogels. - C’est ce que j’ai dit.
M. Verhaegen. - Je crois qu’ils connaissent assez bien leurs intérêts pour ne pas passer par l’intermédiaire des négociants français. Ainsi le négoce des vins peut se faire directement en Belgique et il est aussi recommandable que d’autres négoces.
Quoi qu’il en soit les considérations qu’a fait valoir l’honorable M. Cogels se rattachent plutôt à la question d’équité qu’à toute autre.
Comme vous l’a dit l’honorable M. de la Coste, il ne s’agit pas du tout, dans l’espèce, de rétroactivité, ce mot même n’aurait pas dû être prononcé dans cette discussion ; non, il ne s’agit point de rétroactivité, et je me charge de compléter la démonstration de cette proposition.
Si nous avions dû consacrer un principe de rétroactivité, je n’aurais pas donné mon assentiment au projet, parce qu’il n’y a rien de plus monstrueux en législation que la rétroactivité, Ainsi, je suis d’accord sur ce point avec les adversaires du projet et notamment avec M. le ministre des finances qui, de l’avis unanime du cabinet (le il nous l’a appris) s’oppose à la proposition uniquement à raison du principe de rétroactivité.
Mais voyons de quoi s’agit-il ? il s’agit d’un traité, d’une convention internationale dans laquelle interviennent plusieurs parties. C’est une véritable transaction. La proposition que nous discutons n’est pas une proposition principale, mais une proposition accessoire du traité. Si l’on ne s’en est pas occupé en même temps que du traité et de la loi qui a autorisé le gouvernement à le ratifier, c’est qu’il y avait urgence, et qu’on a jugé à propos de voter immédiatement le principal, sauf à revenir ensuite à l’accessoire. Mais il n’en est pas moins vrai que la proposition ne devait faire qu’un ensemble avec le traité et la loi que nous avons faite. C’est un tout indivisible qui constitue, comme je viens de le dire, une transaction dans laquelle interviennent quatre parties, le gouvernement belge, le gouvernement français, l’industrie linière et le négoce des vins.
Le gouvernement est la partie qui stipule au profit de l’industrie linière qui accepte avec reconnaissance. Le gouvernement belge stipule vis-à-vis du gouvernement français, qui fait des concessions, mais contre un équivalent, et cet équivalent, c’est la quatrième partie, le négoce des vins lui le donne, toujours par l’intermédiaire du gouvernement belge, car c’est le gouvernement belge qui fait un véritable emprunt aux négociants en vins pour payer le prix de la faveur accordée à la France par l’industrie linière.
Voilà les quatre parties contractantes. Or, il faut prendre les choses, comme si elles étaient terminées dans le même moment. L’industrie linière est relevée au moyen d’un sacrifice qu’on prend sur le négoce des vins ; la France fait des concessions, et l’on fait des concessions à la France. Comment peut-il être ici question de rétroactivité ? A-t-on stipulé dans l’intérêt général de la nation ? Est-ce un sacrifice qu’une fraction de la nation est obligée de faire au profit de la nation entière ?
L’honorable M. de Garcia a cité l’exemple des rouliers, des messageries qui pourraient aussi faire un appel à l’équité de la nation, pour se faire payer incidemment à raison des pertes qui leur a fait éprouver l’établissement du chemin de fer. Cet exemple n’est applicable dans cette circonstance. Il s’agit ici de toute autre chose, c’est une industrie toute spéciale qui fait un sacrifice au profit d’une autre industrie, c’est le gouvernement qui stipule pour l’une et pour l’autre et qui s’engage vis-à-vis d’un gouvernement étranger. C’est une transaction. L’on n’enlève des droits acquis à personne, et par suite il n’y a pas de rétroactivité.
D’après moi, et sur ce point je suis d’accord avec tous les auteurs, il n’y a de rétroactivité qu’alors qu’une loi enlève au détriment de quelqu’un et malgré lui des droits qui lui sont acquis. Il y a donc deux conditions requises pour qu’il y ait rétroactivité ; d’abord il faut qu’il y ait des droits acquis, et ensuite qu’on les enlève, contre son gré, à celui qui pourrait les réclamer. Eh bien, on vous a déjà prouvé que la première de ces conditions n’existe pas. En effet, dans les vins dont nous nous sommes occupés dans notre proposition, il n’y a pas de droit acquis au profit du gouvernement.
Il n’est donc pas possible d’invoquer ici la rétroactivité ; et en vain, M. le ministre des finances, vient-il s’étayer sur une loi d’après laquelle les droits sont dus au moment de l’importation ; M. le ministre fait abus de cette disposition ; il est vrai que les droits sont dus au moment de l’importation, mais il faut ajouter que c’est à raison de la consommation.
Ils sont dus au moment de l’importation, pour la bonne règle de l’administration, mais toujours en raison de la consommation.
Il fallait bien le déterminer ainsi, car sans cela, comment aurait-on pu suivre la trace de la marchandise pour lui faire payer le droit d’accise ? Par exemple une cargaison de vins arrive à Bruges, une partie d’iceux est destinée pour Gand, une autre partie pour Bruxelles, des allèges viennent prendre des changements pour ces destinations ; on n’est pas dans l’habitude de convoyer le vin, on se borne à mettre le cachet de l’administration sur les barriques et caisses, et ainsi si la loi n’avait pas déclaré que les droits étaient dus à l’importation, en soutirant une partie de ces vins, on aurait pu frauder les droits d’accises. Mais de ce que les droits sont dus à l’importation, il n’en résulte certes pas que les vins ne peuvent pas entrer dans les entrepôts ou être mis sous le crédit à terme. Qui dit droit d’accise dit droit de consommation. Ce n’est pas le négociant, mais le consommateur qui doit le payer, et sous ce rapport M. Savart-Martel a eu parfaitement raison lorsqu’il a dit que le droit n’est dû que pour autant que le vin se consomme.
L’honorable M. de La Coste a donné quelques développements à cette proposition et je les adopte ; il a invoqué l’opinion de M. le ministre des finances, quant aux droits sur les sels, pour démontrer qu’il a dévié du strict droit. Moi, j’invoque aussi l’opinion de M. le ministre des finances toutefois, ce n’est pas pour prétendre qu’il a dévié du strict droit, mais pour prendre acte de la manière dont lui-même entend la loi, et pour prouver qu’il est d’accord avec nous que les droits ne sont dus qu’en raison de la consommation et qu’ainsi il ne peut y avoir rétroactivité dans l’espèce.
Il y a encore une autre considération qui me paraît fort juste, et qu’a fait valoir M. de La Coste. Il ne peut y avoir rétroactivité, vous a-t il dit, que pour autant que la loi dispose au détriment du contribuable et non lorsque sa disposition lui est favorable. Il est vrai qu’on pourrait objecter, et je me hâte de rencontrer l’objection, qu’il faut ne pas seulement avoir égard aux droits des contribuables, mais qu’il faut encore consulter ceux du gouvernement, que le gouvernement peut aussi avoir des droits acquis, et qu’en les lui enlevant la loi est entachée de rétroactivité ; je réponds que si le gouvernement avait des droits acquis (ce que je conteste) ; il a pu en faire le sacrifice dans l’intérêt d’une industrie souffrante ; vouloir conserver ses droits contre les négociants en vins du pays, alors qu’il en a disposé au profit des négociants français, ce serait un double emploi et en même temps une souveraine injustice ! !
Nous ne nous trouvons pas ici dans des circonstances ordinaires, la position est toute spéciale, et c’est le ministre des affaires étrangères lui-même qui vous l’a appris dans son rapport. Nous payons, est-il dit, à la France le prix de la faveur qu’elle nous accorde pour l’industrie linière ; mais si c’est le prix d’une concession, et que ce prix sort de la bourse des négociants en vins, au moins en partie, vous ne pouvez pas vous dispenser de les indemniser ; ce n’est pas un sacrifice dans l’intérêt général que vous leur demandez, mais bien un emprunt que vous leur faites pour sauver l’industrie linière.
Dans le traité fait avec la France interviennent au fond quatre parties contractantes et il n’y a aucune rétroactivité, puisque chacun est libre de disposer de ses droits. Certes, le gouvernement était maître, avec l’assentiment des chambres, d’abandonner une partie de ses droits acquis.
Maintenant auquel des amendements faut-il donner la préférence ? Je ne tiens pas à mon œuvre amour-propre, j’adopterai tout amendement quelconque s’il atteint le même but, ainsi je peux me rallier à celui de M. Osy qui est littéralement la répétition du mien ; quant à celui de la section centrale, je n’en veux pas, car pour moi, ce n’est pas une simple question d’équité, mais la conséquence d’un droit, et par suite, il faut tenir compte du tout. Je ne vais pas si loin que l’honorable M. Delehaye, parce que je ne serais plus d’accord avec les principes que j’ai invoqués en effet pour les vins qui ne sont pas couverts par des crédits à terme, on ne peut pas invoquer le droit, on se trouve réduit à des considérations d’équité, et telle n’est pas ma thèse.
M de Garcia, après avoir critiqué tous les amendements, a fini par dire qu’il y avait quelque chose à faire, il voit en dernière analyse dam la question qui s’agite, une question d’équité, mais il veut exclure les vins en bouteille. Quant à moi, je ne puis consentir à cette exclusion. Je pense que pour les vins en bouteille nous aurions même beaucoup plus à faire que pour les vins en cercles, car c’est surtout le commerce des vins en bouteilles qui est un commerce belge, c’est là le vrai commerce de détail, et c’est ce commerce surtout que de tout temps on a voulu favoriser.
Je crains bien, messieurs, que, quelle que soit la disposition qu’on adopte, on ait fait un tort et un tort irréparable au commerce des vins en bouteilles, et les observations que j’ai faites lors de la discussion de la loi sur le traité, étaient de nature à vous faire connaître sur ce point toute mon opinion. Des à présent, et je vous le dis de science certaine, les marchands français parcourent les villes du royaume et offrent entre autres les champagnes mousseux à 50 centimes de moins qu’aucun marchand belge ne peut les livrer ; et une diminution de 50 centimes par bouteille est assez importante pour engager le consommateur à donner la préférence aux marchands français.
L’honorable M. Cogels objecte que ce ne sera que l’affaire d’un moment ; mais l’honorable M. de Brouckere lui a répondu d’avance ; c’est l’effet moral qui tuera le commerce et à jamais ; on fera comprendre au consommateur que le négociant français qui n’a de droits de patente, ni frais d’établissement, qui jouit de la diminution des droits, leur fournit le vin à beaucoup meilleur marché que le négociant belge. Le négociant français qui aura fourni du bon vin et qui cette première fois l’aura fourni à meilleur marché à cause de la diminution des droits, conservera la clientèle. Cela se conçoit aisément. L’honorable membre sans doute, comme moi, ne quitte pas un fournisseur, quand il n’a pas à se plaindre de lui. Une fois donc que la clientèle sera établie, elle ne se déplacera plus.
J’ai lieu de m’étonner de la mesure que le gouvernement nous propose, et qui, s’il faut s’en rapporter au Moniteur, a été arrêtée à l’unanimité dans le conseil. J’ai lieu de m’étonner de cette mesure, à raison de la position où le gouvernement s’était placé vis-à-vis des marchands de vins, surtout quant aux vins en bouteilles, et je ne suis pas fâché de revenir encore une fois sur ce point. Lors de la discussion de la loi relative au traité de commerce, nous avions fait remarquer que, d’après ce qui semblait être arrêté, on tomberait dans cette absurdité que des vins arrivant en bouteilles paieraient 2 fr. seulement pour 116 bouteilles tandis que les bouteilles vides paieraient 6 fr. On a dit que c’était de l’absurdité, qu’il ne s’agissait pas du tout de cela, on a prétendu que le droit sur les bouteilles n’était pas compris dans les 12 francs. En vain avons-nous supplié le gouvernement d’y porter attention. En vain l’honorable M. Osy s’est-il joint à moi pour dire au gouvernement qu’il avait tort. Les ministres des affaires étrangères, de l’intérieur et des finances ont déclaré, le Moniteur en fait foi, que le traité serait exécuté en ce sens que l’on paierait pour les vins en bouteilles 2 francs, plus 6 fr. total 8 fr. ; et nous avons pris acte.
Après cette déclaration du ministère, j’espère bien que les instructions sont données pour que l’on paye les 8 fr. par 116 bouteilles.
Si des réclamations étaient faites de la part de la France, pour qu’il en fût autrement, le cabinet ne pourrait y faire droit, car le traité doit être exécuté de bonne foi ; le ministère doit tenir vis-à-vis de la chambre, l’engagement qu’il a pris de faire payer un droit de 8 francs. La différence entre les anciens et les nouveaux droits ne serait donc que de 4 fr., tandis que dans l’autre système la différence serait de 10 fr.
Revenant à la proposition, je dis qu’elle doit être accueillie non pas en équité, mis en strict droit, je crois que les termes dans lesquels l’honorable M. Osy l’a faite, sont préférables, c’est pour sa proposition que je voterai.
M. le président demande à MM. Fleussu, Lange et Orts, s’ils se rallient à la proposition de M. Osy ; ils répondent affirmativement.
M. Delehaye déclare maintenir sa proposition.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je me proposais de vous soumettre encore plusieurs observations ; mais il me semble que la chambre veut en finir avec la discussion générale. Je n’abuserai donc pas de ses moments. Toutefois, je lui demanderai la permission de présenter une seule réflexion sur le discours que M. Verhaegen vient de prononcer. Cet honorable membre prétend qu’il n’y a pas une question de rétroactivité dans la réclamation des marchands de vins ; il ne veut pas non plus invoquer l’équité. Mais il prétend que l’indemnité est due par suite de la convention avec la France, et que c’est là une transaction. C’est contre cette manière de voir que je crois devoir protester car s’il en était ainsi, le Roi ne pourrait plus faire de traité de commerce.
On a parlé de l’éventualité d’une association douanière avec la France. Mais voyez quelles seraient dans ce cas les conséquences immédiates du principe posé par l’honorable M. Verhaegen, en recueillant la réclamation des marchands de vins d’après ce principe.
Je suppose pour un instant et par hypothèse que cette fusion intime d’intérêts avec la France ait lieu ; je suppose que non seulement le vin, mais le café, le sucre, le sel et d’autres articles aient également supporté en Belgique des droits plus élevés que ceux établis chez nos voisins.
Plusieurs membres. - C’est le contraire.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je le sais. Mais c’est une supposition que je fais. Vous pouvez en effet modifier votre tarif, élever les droits avant cette fusion. Eh bien, dans ce cas, et d’après le principe que l’on met en avant, le trésor devrait-il indemniser tous détenteurs des denrées que je viens d’énumérer ? S’il devait en être ainsi, je n’hésite pas à dire que le présent et l’avenir ne suffiraient pas pour faire face à des charges pareilles. Les conséquences de la proposition de l’honorable membre seraient donc désastreuses et je dois donc m’opposer à ce qu’elle soit considérée comme motif déterminant de la chambre dans le cas où on accueillerait la réclamation des marchands de vins.
M. Verhaegen. - Je demande à m’expliquer. Si vous stipuliez au profit de la généralité, vous auriez raison, M. le ministre ; mais lorsque vous stipulez au profil de l’industrie linière, vous ne devez pas frapper les marchands de vins.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Mais l’industrie linière ne tient-elle pas à l’intérêt général du pays ? et s’il s’agit de l’intérêt général du pays, pouvez-vous réclamer une indemnité ?
M. Verhaegen. - Les marchands de vins ne demandent rien, si vous laissez les choses telles qu’elles tout.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. je ferai remarquer que beaucoup d’orateurs ont parlé hier et aujourd’hui, que très peu ont défendu le système de la section centrale, qui est seul admissible à mon sens. Je désirerais dire quelques mots en faveur de ce système.
M. Delehaye. - Quelques-uns de mes honorables collègues m’ont fait l’honneur de me demander pourquoi je faisais une exception pour les quantités de 40 hectolitres et au dessous. Je dirai que c’est parce que ceux qui sont détenteurs de telles quantités ne sont pas débités des droits. Ce sont ceux qui leur ont livré qui en sont débités.
M. Cogels. - Je demande la parole contre la clôture. L’honorable M. Verhaegen a donné à mes paroles un sens qu’elles n’ont pas. Je désirerais rectifier cette erreur.
M. de Brouckere. - Chacun des honorables membres qui s’oppose à la clôture le fait, parce qu’il désire parler. De cette manière, on ne clôturera jamais.
Je crois que toutes les opinions ont été défendues, quoi qu’en ait dit l’honorable M. Dumortier. Ainsi l’opinion de la section centrale a été très bien défendue par l’honorable M. de La Coste, l’opinion du gouvernement par M. le ministre des finances, l’amendement de M. Verhaegen et celui de M. Delehaye par plusieurs orateurs.
Maintenant, messieurs, je mets en fait que huit ou dix orateurs sont encore inscrits et je suis de ce nombre. J’avoue que si on voulait m’accorder la faveur de parler tout seul, j’en serais enchanté. Mais comme je ne puis parler sans que les autres parlent aussi, je crois qu’il est temps d’en finir et de clôturer cette discussion.
Messieurs, nous avons interrompu pour cette discussion une discussion bien plus importante pour le pays. Il est temps que nous reprenions cette discussion, d’autant plus que si vous comptez le nombre des membres présents, vous verrez que plusieurs manquent à l’appel. Plusieurs autres m’ont déclaré formellement qu’ils étaient à la veille de partir, de sorte que si nous prolongeons nos discussions, nous ne serons plus en nombre.
M. Dumortier. - Je trouve étonnant que l’honorable membre qui occupe la chambre pendant une heure et demie…
M. de Brouckere. - Je n’ai pas parlé pendant un quart d’heure.
M. Dumortier. - Qui au moins a parlé longuement, veuille nous empêcher de parler. Il y a des orateurs qui ont pris plusieurs fois la parole dans cette discussion, il me semble qu’on ne doit pas m’empêcher de dire quelques mots, quand mon tour de parole est venu.
Je veux faire des observations toutes dans l’intérêt du commerce des vins. J’envisage la question sous un point de vue tout différent que les honorables membres qui ont parlé jusqu’ici ; il me paraît qu’elle est assez grave pour que la chambre m entende.
Il y a des questions qui n’ont été nullement traitées. Ainsi on ne s’est pas occupé de la question des vins en bouteille ; M. le ministre des finances n’a pas répondu aux observations qui ont été faites à cet égard ; il importe que cette question soit traitée.
Je demande donc que la discussion continue. Il ne serait pas convenable, après avoir entendu tant d’orateurs, de refuser la parole à ceux qui sont encore inscrits.
M. de Garcia. - Messieurs, je crois que l’objet qui nous occupe ne demande pas une plus longue discussion générale.
M. le président. Le projet n’a qu’un seul article ; ii n’y aura pas d’autre discussion que la discussion générale.
M. de Garcia. - Au surplus, je crois qu’on ne peut rien dire de neuf, quoi qu’en dise l’honorable M. Dumortier, et qu’il suffit bien de deux jours de discussion sur une semblable question alors que nous voyons la chambre des députés de France voter une loi de la plus haute importance, la loi sur la régence en deux ou trois séances. Et nous, pour une question de finances, nous mettrons peut-être huit jours. Car si tous les orateurs veulent être entendus il n’y a pas de raison pour que la discussion ne dure encore plusieurs jours. La chose me paraissant inutile, je demande formellement la clôture.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il s’agit de déterminer dans quel ordre les différentes propositions devront être mises aux voix. La proposition primitive a été abandonnée par ceux des membres qui l’ont signée, qui sont présents, je suppose que les membres absents l’ont aussi abandonnée.
M. David. - M. le président, vous pouvez aussi me porter comme absent, car moi qui suis un des signataires de l’amendement, tout à l’heure je n’ai pas été le moins du monde consulté.
M. le président. - Il est trois propositions : celle de l’honorable M. Delehaye qui propose une remise tant pour les vins qui sont en magasins que pour ceux qui sont à crédits à termes ; celle de l’honorable M. Osy qui propose la restitution de 25 p. c., mais seulement pour les vins qui se trouvent sous le crédit à termes ; et enfin la proposition de la section centrale qui impose la restitution de moitié des 5 p. c. La chambre doit déterminer laquelle de ces propositions doit d’abord être mise aux voix.
M. de Brouckere. - Je demande la parole sur la position de la question.
Je crois, messieurs, qu’il faut commencer par la disposition qui est le plus large, par celle qui accorderait la plus forte restitution aux marchands de vin et descendre ensuite jusqu’à la proposition la moins favorable.
Ainsi, par exemple, la première question à mettre aux voix serait celle-ci : accordera-t-on la remise pour tous les vins, soit qu’ils jouissent d’un crédit à terme, soit qu’ils ne jouissent pas d’un pareil crédit ? Si cette question était résolue négativement on poserait celle de savoir si on accorde la restitution pour tous les vins qui sont à crédit à termes ; puis la question de savoir s’il y aura un maximum. De cette manière on procéderait d’une manière régulière. Je demande donc que la proposition de l’honorable M. Delehaye soit mise aux voix par paragraphe.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je demanderai à l’auteur de l’amendement s’il a entendu que la remise le 350,000 fr, serait faite en numéraire, ou si les marchands recouvreraient cette somme sur les quantités importées ultérieurement.
Je dois faire remarquer d’un autre côté que le recensement serait une chose extrêmement difficile. J’éprouverais même un très grand embarras relativement aux pays vinicoles, comme dans les districts de Liège et de Huy où les vendanges sont près de se faire. Des quantités de vins assez considérables se trouveront en magasin. Comment les employés distingueront-ils ces vins qui ressemblent (j’entends parler des bonnes qualités) à certain vins de France ?
Vous voyez, messieurs, que cela devient extrêmement grave. Si nos employés ne peuvent pas distinguer les qualités de vin, il est incontestable que les vignerons marchands de vin vont absorber une grande partie du crédit qu’accorde l’amendement de l’honorable M. Delehaye.
Messieurs, en présence de ces différentes pratiques, je crois que le meilleur moyen, dans le cas où la chambre accorderait une indemnité, et j’espère que dans aucun cas, elle ne sera pas de 350,000 fr., serait d’accorder la décharge sur les vins à termes de crédit tels qu’ils résultent des livres de l’administration de la douane.
Messieurs, il y a encore cette remarque à faire : c’est que quand on doit faire des recensements, alors qu’il s’agit d’accorder des remises, on trouve toujours des quantités considérables, tandis que le contraire se présente quand il s’agit des suppléments de droit au profit du trésor.
Si la chambre adopte la proposition de l’honorable M. Delehaye, elle posera un précédent fâcheux dont elle reconnaîtra les inconvénients plus tard.
M. Delehaye. - Si M. le ministre avait lu ma proposition, il aurait vu que la question qu’il a posée ne pouvait en être une, puisque je déclare qu’on remboursera en numéraire. Et cela ne doit pas effrayer le gouvernement ; que l’on restitue en numéraire ou en défalquant ce qui est dû sur les quantités ultérieurement importées, cela revient au même. Voici pourquoi j’ai préféré que le gouvernement payât en numéraire, tout en ne le faisant payer que par termes éloignés. C’est qu’il pourrait arriver que des marchands cessassent leur commerce, et que dès lors ils n’auraient plus à faire des déclarations ultérieures.
Je ne sais s’il m’est permis de répondre aux autres observations de M. le ministre des finances ; car la clôture a été prononcée. Toutefois je dois dire que, quant au peu de différence entre les vins du pays et les vins français, ma proposition remédie à cet inconvénient, parce que les marchands eux-mêmes sont intéressés à ce qu’on ne fraude pas. C’est pour ceci que j’ai proposé un maximum de restitution ; c’est pour que les négociants surveillent eux-mêmes à ce qu’on ne fraude pas. On a cité la ville de Liége ; mais à Liége il y a un octroi, le négociant sera donc surveillé, non seulement par le gouvernement, mais par l’octroi lui-même ; de sorte que la difficulté mise en avant par le gouvernement n’est qu’une difficulté imaginaire.
D’ailleurs le gouvernement sera investi d’un droit discrétionnaire ; il pourra appliquer la loi de la manière qu’il jugera le plus conforme à la justice et à l’équité.
M. Eloy de Burdinne. - Je n’ai que deux mots à dire pour appuyer les arguments que vient de vous présenter M. le ministre des finances ; c’est qu’on ne peut distinguer le vin de Huy du vin de Champagne. Un marchand de vin que j’ai eu chez moi, voulant me vendre comme vins d’entrée, des vins légers de Champagne, tels que du sillery et du versenet, je lui fis observer que nous avions pour vins d’entrée du vin de Huy, et pour le convaincre que ce vin était convenable et valait le vin léger de Champagne, je lui en fis chercher une bouteille. Il prétendait que c’était de l’excellent sillery ou du versent léger.
Si quelque chose doit m’étonner, c’est le peu de patriotisme dont on fait preuve ici. Tous nous déprécions les produits du pays.
M. le président. – je vais mettre aux voix par division l’amendement de M. Delehaye.
M. de Garcia. - J’avais proposé un sous-amendement à l’amendement de l’honorable M. Delehaye ; c’était de dire les vins qui sont en cercle.
M. le président. - Vous n’avez pas envoyé de proposition au bureau.
M. de Garcia. - Comme il ne s’agissait que d’un mot, je n’avais pas cru nécessaire de déposer mon amendement par écrit ; du reste, je n’y tiens pas, la disposition était à mes yeux mauvaise et complètement inexécutable.
M. le président. - Le premier paragraphe de la proposition de M. Delehaye est ainsi conçu :
« La réduction des droits d’accise établie par la loi du 6 août 1842, sera appliquée aux vins d’origine française et de qualité marchande qui se trouveraient dans les magasins des négociants en vin a l’époque de la mise à exécution de la présente loi. »
Je mets aux voix ce premier paragraphe.
- La chambre n’adopte pas cette première partie de la proposition de M. Delehaye, qui dès lors vient à tomber.
La proposition de M. Osy est ensuite mise aux voix par appel nominal.
70 membres sont présents.
39 adoptent.
31 rejettent.
Ont voté l’adoption : MM. Coghen, David, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Foere, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Potter, de Roo, de Sécus, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Savart, Donny, Dumont, Duvivier, Fleussu, Hye-Hoys, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Manilius, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Orts, Osy, Rodenbach, Sigart, Vandenbossche, Vandensteen, Verhaegen.
Ont voté contre : MM. de la Coste, Cogels, Coppieters, de Garcia de la Vega, de Mérode, de Nef, de Renesse, Desmaisières, de Theux, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Malou, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Raikem, Rogier, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Vanden Eynde, Van Hoobrouck, Van Volxem, Wallaert, Zoude et Dubus (aîné).
En conséquence la proposition est adoptée.
M. le président. - La disposition qui a été adoptée étant un amendement, le projet sera soumis à un second vote.
M. de Brouckere. - Je ne pense pas, messieurs, que le projet doive être soumis à un second vote. Remarquez bien que la proposition de M. Osy est la proposition principale, et que c’est la proposition de la section centrale qui est un amendement.
La proposition de M. Osy n’est que la reproduction de la proposition de M. Verhaegen et autres membres, sauf un mot que M. Verhaegen a déclaré s’être glissé dans cette proposition.
M. Verhaegen. – J’ai eu l’honneur de déclarer, messieurs, que nous ne faisions pas de cela une question d’amour-propre et que nous ne tenions pas dès lors à ce que notre proposition fût préférée à celle de M. Osy qui était la même, sauf le mot douane qui s’était glissé par erreur dans la nôtre. C’était là une erreur de plume et dans la dernière séance je me suis empressé de déclarer qu’il fallait considérer la proposition comme si ce mot ne s’y trouvait pas. L’honorable M. Osy a fait ensuite la proposition que nous avons reconnue n’être que la reproduction de notre propre proposition et comme nous ne tenions fort peu à ce que la mesure fût plutôt adoptée sous notre nom que sous celui de l’honorable M. Osy, nous avons déclaré que nous nous ralliions à la proposition de cet honorable membre.
M. Dumortier. - Je ne puis comprendre, messieurs, que l’on veuille soutenir que la proposition qui a été adoptée aujourd’hui est la proposition primitive. La proposition de M. Osy est tellement différente de la proposition primitive qu’elle n’est autre chose que le projet de la section centrale, sauf la modification du chiffre. Il est donc constant que la disposition adoptée est un amendement et qu’elle doit être soumise à un second vote.
Remarquez, messieurs, que ce second vote est d’autant plus nécessaire que la discussion a été brusquement interrompue sans que la disposition adoptée ait même été examinée. Il me paraît facile de démontrer, par exemple, que dans l’exécution, la mesure adoptée rencontrera des difficultés insurmontables ; ces difficultés n’ont point été signalées et il importe qu’elle le soient. Il faut donc nécessairement qu’il y ait une seconde discussion.
Lorsqu’on a établi le second vote, on l’a fait précisément pour qu’une proposition ne puisse pas être définitivement adoptée sans avoir été examinée d’une manière approfondie ; eh bien, je soutiens que la proposition qui vient d’être votée n’a pas été suffisamment examinée, et je vais, messieurs, vous le prouver.
Vous avez admis que les droits seraient remboursés sur la totalité de la prise en charge, vous avez admis en outre que le gouvernement prendrait des mesures pour empêcher toute fraude. Or, je fais maintenant cette question : lorsque le vin aura été pris en charge se trouvant en cercles, le marchand pourra-t-il présenter comme faisant partie de la prise en charge le vin qu’il aura mis en bouteilles ? Si vous dites oui, vous n’avez plus de garantie que le vin qui se trouvera ainsi en bouteilles, et sur lequel le remboursement sera effectué, est bien le même que celui qui aura été pris en charge ; si vous dites non, alors vous admettez précisément le système de M. Delehaye, que vous avez écarté. Vous voyez donc, messieurs, qu’il est de toute nécessité d’examiner de nouveau la question.
M. Mercier. - Je ferai remarquer, messieurs, que la difficulté que vient de signaler l’honorable M. Dumortier se rattache tout aussi bien à la proposition des honorables MM. Verhaegen et autres membres qu’a celle qui a été adoptée.
- La chambre consultée décide que la proposition doit être soumise à un second vote.
M. le ministre des finances (M. Smits) - On pourrait fixer le second vote entre les deux votes du projet de loi sur l’instruction primaire.
M. de Garcia. - On ne peut pas continuellement scinder la discussion de la loi sur l’enseignement primaire.
M. Mercier. - La loi est urgente ; je demande qu’on en fixe le second vote à après-demain.
M. Dechamps. - Messieurs, ne pourrait-on pas procéder au second vote immédiatement ? Souvent, en cas d’urgence, la chambre a procédé séance tenante au second vote d’une loi qui avait été amendée. Je fais la proposition en ce sens.
M. Zoude, rapporteur. - Je voudrais pouvoir relire plusieurs discours auxquels je désire répondre. Je demande que le second vote n’ait pas lieu immédiatement.
M. Pirmez. - Si la chambre décidait que le second vote aura lieu immédiatement, elle déciderait précisément le contraire de ce qui a été décidé il n’y a qu’un instant. Il n’y a pas de second vote, lorsqu’on réclame l’urgence.
M. de Mérode. - Il est d’autant plus utile de fixer le second vote de la loi entre les deux votes du projet de loi sur l’instruction primaire, que c’est un moyen de conserver un nombre suffisant de votants.
Maintenant l’observation de l’honorable M. Pirmez est parfaitement juste. Que signifierait un second vote en ce moment ? Un second vote immédiat serait une plaisanterie. Un second vote est nécessaire pour qu’on ait le temps de revoir ce qui a été fait, et non pour l’adopter immédiatement. Ce serait là un contre-sens. Je ne comprends pas qu’on ait pu faire une semblable proposition.
M. Hye-Hoys. - Je demande qu’on suive le règlement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’oppose à ce que le second vote soit fixé à après-demain, je demande qu’on le mette entre les deux votes de la loi très importante que nous discutons.
Lorsque j’ai consenti jeudi dernier à ce que la discussion sur la réclamation des marchands de vins fût fixée à lundi, je supposais que la loi sur l’instruction primaire serait terminée samedi ; si j’avais pu savoir qu’il y eût interruption, j’aurais demandé que l’affaire des marchands de vins fût postposée à la loi sur l’enseignement primaire.
M. de Brouckere. - Le second vote serait une chose illusoire, si la chambre recommençait à l’instant même les discussions qu’elle vient de terminer. Elle ne serait pas plus éclairée à présent sur les inconvénients que peut présenter la mesure adoptée, qu’elle ne l’était il n’y a qu’un quart d’heure. Il faut que nous revenions à la loi d’enseignement primaire Je demande avec M. le ministre que le second vote du projet de loi concernant les marchands de vin soit fixé entre les deux votes de la loi d’instruction ; il ne peut résulter aucun préjudice de ce retard. Le sénat n’est pas réuni.
Mais je dirai dès présent que, selon moi, M. le ministre des finances doit s’occuper des mesures à prendre pour prévenir la fraude. Je suis persuadé que les marchands de vins ne s’y opposeront pas. Je tiens de plusieurs marchands de vins de Bruxelles que si l’on veut mettre les scellés sur leurs caves, ils ne feront aucune espèce d’opposition.
M. Dechamps. - En faisant ma proposition, j’avais pour but de prévenir une nouvelle interruption de la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, je me rallie maintenant à la proposition de l’honorable ministre de l’intérieur, puisque de cette manière la loi ne sera plus interrompue.
M. le ministre des finances (M. Smits) - En réponse à une observation de l’honorable M. de Brouckere, je dois dire, qu’il m’est impossible de prendre d’autres mesures que celles qui sont indiquées par la loi pour la répression de la fraude. Je ne pourrais pas même procéder à un recensement, loin de pouvoir mettre les scellés sur les caves.
M. Trentesaux. - Messieurs, je demande purement et simplement l’exécution du règlement, tout le règlement, pas plus que le règlement, c’est-à-dire que je demande un jour franc entre le premier et le second vote, ni plus ni moins.
- La chambre consultée décide qu’elle procédera au second vote de la loi sur les marchands de vins entre les deux votes du projet de loi sur l’enseignement primaire.
(M. Fallon reprend place au fauteuil de la présidence.)
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) dépose un projet de loi relatif à la cession à faire par l’Etat à la province du Hainaut du palais de justice de Mons.
- Ce projet, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne, sera imprimé et distribué.
La chambre ordonne le renvoi à une commission qui sera nommée par le bureau.
M. le président. - Nous en sommes restés à l’art. 28. Voici
« Art. 28. Les écoles modèles du gouvernement actuellement existantes sont maintenues.
« Elles porteront le titre d’écoles primaires supérieures.
« Le gouvernement veillera à ce que des cours de pédagogie y soient donnés, spécialement aux époques des vacances.
« Le gouvernement pourra, avec le concours des communes, sur l’avis de la députation permanente du conseil provincial, créer des écoles primaires supérieures dans les localités où le besoin s’en fera sentir.
« Toutefois les arrangements à intervenir à cet effet, ne recevront leur exécution qu’après le vote législatif de la part contributive de l’Etat. »
Sous-amendement proposé par M. Devaux, à l’amendement de M. Rogier :
« Art. 28. §§ 1 et. 2. Des écoles modèles seront fondées par le gouvernement dans toutes les provinces ; il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire. Elles seront placées de préférence, toutes choses égales d’ailleurs, dans les communes qui offriront de fournir un local convenablement disposé et d’intervenir dans les dépenses de la manière la plus avantageuse au Trésor. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On distribuera dans un instant la nouvelle rédaction de l’art. 28 que j’ai déposé au commencement de la séance.
M. le président. - Voici la nouvelle rédaction de l’art. 28 proposée par M. le ministre de l'intérieur :
« Des écoles primaires d’un degré supérieur, et portant la dénomination d’école bourgeoise, seront formées par le gouvernement et entretenues avec le concours des communes dans toutes les provinces ; il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire.
« Indépendamment du local à fournir par la commune, la part contributive de l’Etat ne pourra excéder le tiers de la dépense totale, sans toutefois dépasser, par école, trois mille francs annuellement.
« Les écoles-modèles du gouvernement actuellement existantes, sont maintenues et prendront le titre d’école bourgeoise.
« Dans chaque province des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l’une des écoles bourgeoises. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je vais indiquer immédiatement quel serait en pratique, de fait, le résultat de la disposition telle qu’elle est rédigée maintenant. Il y a 26 arrondissements judiciaires. Il existe 8 écoles modèles, ces 8 écoles sont maintenues et deviennent des écoles d’instruction primaire supérieure. Ces 8 écoles se trouvent dans 8 arrondissements différents. Il est donc pourvu au vœu de la loi pour huit arrondissements. Il reste 18 arrondissements. Je n’hésite pas à dire, d’après le tableau des collèges subventionnés par l’Etat, qui sont au nombre de 27, que 6 se convertiront en écoles primaires supérieures. Il reste 12 arrondissements pour lesquels il faut faire une dépense véritablement nouvelle. D’après les renseignements que j’ai réunis, je crois pouvoir dire qu’une école primaire supérieure, organisée d’après le programme de l’art. 17, coûtera environ 9 mille francs.
De ces 9,000 fr.. la commune paierait un tiers, les pères de famille un tiers et le troisième tiers serait à la charge de l’Etat. C’est ainsi que j’ai supposé que l’Etat contribuerait pour une somme qui ne dépasserait pas 3,000 fr. et qui ne représenterait le tiers de la dépense. Je pense que c’est là une répartition équitable. (Interruption.)
J’ai dit qu’il resterait 12 arrondissements à pourvoir ; huit sont pourvus par l’existence des écoles modèles que nous maintenons, et 6 le seront par la transformation de collèges ; 12 écoles, à raison de 3,000 fr., exigeraient une dépense de 36,000 fr. De cette manière, nous atteindrons le but sans occasionner au trésor une trop grande dépense.
Ces écoles, est-il dit, seront fondées par le gouvernement et entretenues avec le concours des communes dans toutes les provinces, c’est-à-dire que c’est le gouvernement qui rédigera les règlements d’organisation.
Il me semblait à la fin de la dernière séance qu’il n’y avait plus qu’une question d’argent entre mes honorables adversaires et moi ; cependant une lecture plus attentive de l’amendement de M. Devaux me fait supposer qu’il dépendrait du ministre de mettre toute la dépense à la charge du trésor public. En effet, voici ce que porte le sous-amendement de M. Devaux à l’amendement de M. Rogier.
« Des écoles modèles seront fondées par le gouvernement dans toutes les provinces ; il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire. Elles seront placées de préférence, toutes choses égales d’ailleurs, dans les communes qui offriront de fournir un local convenablement disposé et d’intervenir dans les dépenses de la manière la plus avantageuse au trésor. »
Il n’en résulte pas qu’il y aura nécessairement concours pécuniaire des communes. Je crois, au contraire, que cela doit être dit dans la loi de la manière la plus positive. Je crois qu’il ne faut pas laisser ceci à l’arbitraire du gouvernement. Avec l’amendement de M. Devaux, le gouvernement pourrait établir entièrement aux frais du trésor public les écoles primaires supérieures. Il y aurait ici selon moi une véritable inconséquence, si on compare ce qui se passe pour les établissements d’enseignement moyen. Il n’existe aucun athénée à charge du trésor public. Je ne vois pas pourquoi on ferait une exception en faveur d’établissements qui forment un intermédiaire entre l’enseignement primaire et l’enseignement moyen.
On me demande si ceci porte préjudice à la question des deux écoles normales qui doivent être décrétées par l’art. 30 de la loi. Je dis : non ; cette question reste entière. Dans tous les projets, il toujours été entendu que des cours normaux pourraient être annexés à certaines écoles primaires supérieures, indépendamment des deux écoles normales spéciales.
Quant à la question de nomination qu’on a soulevée, cette question se présentera à l’art. 31. Mon opinion est que pour les écoles supérieures et normales la nomination des instituteurs doit appartenir au gouvernement, cela résulte du texte de l’art. 31. S’il y a des doutes à cet égard, nous ferons une addition à l’art. 31.
M. Devaux. - Cet article se rapproche beaucoup de la disposition présentée par M. Rogier, et sous-amendée par moi.
Je demanderai une explication sur le 2ème paragraphe ; ce paragraphe porte : « Indépendamment du local à fournir par la commune la part contributive de l’Etat ne pourra excéder le tiers de la dépense totale, sans toutefois dépasser par école 3 mille francs annuellement. »
Il y a eu précipitation dans la rédaction de cet article. Je ne comprends pas qu’on dise que la part contributive de l’Etat ne pourra excéder, sans dépasser. Si vous ne voulez pas que l’allocation dépasse 3 nulle francs, alors la première partie est inutile. Il doit vous suffire de dire que la part contributive de l’Etat ne pourra pas excéder telle somme, car il est telle commune où cette somme pourrait être le tiers et une fraction de la dépense et telle autre où elle ne serait pas le tiers. Si vous avez voulu seulement avoir une garantie financière, il suffit de limiter la somme et dire que l’Etat ne pourra donner un subside dépassant cette somme. Vous aurez deux garanties au lieu d’une : cela me paraît inutile. Je n’ai pas sous les yeux les budgets des écoles modèles pour apprécier la proportion de la dépense ; mais je pense que M. le ministre a estimé cette dépense plus haut que ne l’avait fait M. Rogier. Dans tous les cas il est inutile de fixer le subside au tiers, quand on détermine le maximum de la somme, car on pourrait se trouver gêné. Si pour quelques communes le subside, sans excéder les 3 mille francs, dépassait le tiers du la dépense, je ne verrais pas grand mal à cela.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il m’a semblé qu’il fallait indiquer une double limite. Rien de plus arbitraire, il faut en convenir, que la manière dont se fait la répartition des fonds portés au budget pour l’enseignement moyen. Je ne veux pas donner lecture du tableau ; citer les noms des villes, serait peut-être faire naître une discussion que je veux éviter. Il est telle ville où le gouvernement donne un subside des cinq douzièmes de la dépense, telle autre où il donne un cinquième, telle autre un tiers, telle autre la moitié, telle autre un cinquième, telle autre un huitième.
Je dis qu’il y a là trop d’arbitraire ; c’est absolument abandonner les choses à la discrétion du gouvernement et mettre le gouvernement dans l’impossibilité de faire la loi aux communes. Ne croyez pas que là où le gouvernement donne le moins, ce sont les communes les plus riches ; ce sont les plus pauvres, celles qui ont le moins de ressources ; c’est ainsi que pour la ville de Dinant le subside n’est que d’un septième de la dépense de son collège, tandis que telle ville très riche, reçoit les deux tiers de la dépense de son collège. Je crois qu’il ne faut pas que la répartition des fonds puisse être faite de la même manière pour les établissements dont il s’agit maintenant d’autoriser la création ou le maintien ; il ne faut pas qu’il puisse en être ainsi dans l’avenir.
Je suis tellement persuadé du contraire que je pense que quand on s’occupera de la loi sur l’enseignement moyen, on y insérera une double garantie, ou au moins une limite quelconque pour la répartition des sommes que le gouvernement pourra accorder comme subside.
Voilà quelles sont les raisons qui m’ont engagé à proposer qu’indépendamment du local à fournir par la commune, la part contributive de l’Etat ne puisse excéder le tiers de la dépense totale sans toutefois dépasser, par école, trois mille francs annuellement.
Il faut que le gouvernement puisse exiger que l’établissement soit aussi complet que possible, qu’il y ait de bons professeurs ; il pourra y amener les communes, en disant : Je puis aller jusqu’à 9,000 fr. Le gouvernement offrant 3,000 fr. les communes seront portées à élever la dépense totale jusqu’à 9,000 fr., ce que je regarde comme nécessaire, sauf quelques exceptions pour maintenir une bonne école primaire supérieure. Il n’y a que deux écoles modèles où ce chiffre soit dépassé : celle d’Anvers qui a un budget de 13,200 fr et celle de Bruxelles qui a un budget de 15,912 fr. Mais aussi voilà deux villes qui peuvent compter comme hors ligne. La moyenne pour les huit écoles existantes est de 8,000 fr. ; j’ai porté la dépense à 9,000 fr. J’autorise le gouvernement à offrir le tiers ou 3,000 fr. Cette offre engagera les communes à porter la dépense à 9,000 fr. Avec cette somme, vous aurez de bons établissements.
M. Dechamps. - La question qui nous occupe maintenant est une des plus importantes que nous ayons à traiter. Je ne sais si nous sommes aussi d’accord que nous paraissons l’être. Il n’est pas indifférent d’appeler les écoles dont il est question dans la disposition en discussion, écoles bourgeoises ou écoles primaires supérieures. Cela a paru assez indifférent à plusieurs honorables membres ; cependant veuillez remarquer que nous y attachons un sens tout à fait différent. Pour moi, s’il s’agit de ce qu’on nomme des écoles primaires supérieures ou des écoles primaires modèles, en ajoutant des cours normaux, je m’y oppose, parce que cette institution me paraît non seulement inutile, mais dangereuse ; mais s’il s’agit de tout autre chose s’il s’agit, non pas de l’instruction primaire, mais d’une véritable instruction moyenne, il s’agit de créer des collèges sans classes latines, ce qu’on appelle en Allemagne des classes bourgeoises.
Les honorables MM. Lebeau et Rogier, quoique défendant dans une précédente séance un même amendement, vous ont présenté des considérations ayant une tendance différente et même contradictoire. La théorie qu’a développée M. Rogier, théorie à laquelle j’adhère, c’est l’institution des écoles bourgeoises allemandes.
M. Lebeau, au contraire, a parlé d’écoles primaires supérieures, d’écoles modèles. Il vous a dit qu’il était nécessaire de multiplier ces écoles, d’en établir dans chaque arrondissement judiciaire parce qu’elles devaient servir de modèles aux instituteurs des écoles rurales.
Pour moi je pense qu’il serait extrêmement dangereux de donner cette destination aux écoles que nous voulons maintenant fonder. L’école primaire proprement dite, on l’a dit à satiété, doit se renfermer dans un cercle modeste et très humble ; car, comme l’a dit le projet de 1834, il est dangereux d’étendre trop les matières d’enseignement dans les écoles primaires proprement dites. Ici il s’agit de tout autre chose, il s’agit de former des instituteurs, puisque, d’après la proposition du ministre, des cours normaux seraient adjointes à l’une des écoles bourgeoises.
L’école qui a pour but de donner une instruction plus développée aux enfants dont les familles ne sont pas pauvres et qui se destinent au commerce et à l’industrie doit être aussi une école préparatoire pour les jeunes gens qui se destinent aux écoles militaires du génie civil ou des mines. C’est à proprement parler une école moyenne sans classe latine, comme les institutions de l’Allemagne. C’est dans ce sens que l’honorable M. Rogier comprend les écoles dont nous nous occupons.
M. Rogier. - Je ne vais pas aussi loin que vous.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le programme est dans l’art. 17.
M. Devaux. - C’est l’instruction primaire, ce n’est pas l’instruction moyenne.
M. Dechamps, rapporteur. - J’allais faire observer qu’il conviendrait d’ajouter au programme de l’art. 17 des cours d’agronomie dans certaines localités, des cours de commerce et d’industrie dans d’autres localités. L’école primaire supérieure, comme je vous l’ai dit, n’aura aucun but si vous n’admettez pas le mien, car il y a une espèce de contradiction entre les mots primaire et supérieure. Ici il s’agit évidemment d’une espèce d’instruction moyenne, il ne faut pas le perdre de vue. En France, on a voulu créer des écoles primaires supérieures, on n’a pas réussi, Le rapport de M. Villemain en fait foi. Pour donner suite aux intentions du législateur, on a été obligé d’autoriser dans les collèges de beaucoup de villes des cours complétant les matières indiquées à l’art. 17. On n’a pas donné d’autre moyen de donner à la loi une application sérieuse.
Si donc il s’agit de créer des écoles modèles pour les instituteurs je voterai contre l’article. S’il s’agit de créer des écoles belges dans le sens allemand, je voterai pour l’article.
Il est un autre point sur lequel j’appellerai votre attention, je crois que l’addition des cours normaux est un mauvais système. Je comprends très bien les écoles normales : le but de ces écoles n’est pas d’apprendre à l’élève maître s’il faut donner la préférence à telle ou telle méthode ; car cela n’exige que peu de temps ; le but est de lui faire comprendre la nature élevée de sa mission, de lui donner le goût de cette vocation, de lui apprendre qu’il doit plutôt élever les enfants que les instruire.
Je ferai encore remarquer que si la chambre admet l’institution des écoles normales, il ne faut pas qu’elle nuise à ces institutions en répandant dans tout le pays des cours normaux. Ce serait au détriment des écoles normales à internat qui seront de véritables séminaires d’instituteurs. Je n’admettrais donc le dernier § de la proposition du gouvernement qu’en ce sens qu’il ne faudrait établir des cours normaux que là où ce serait nécessaire. Je proposerai donc d’ajouter à ce § ces mots : « Lorsque la nécessité en sera reconnue » parce que je veux donner à ces écoles un caractère d’écoles intermédiaires entre les écoles normales et les écoles primaires.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette addition est inutile.
M. Rogier. - Je crois que l’honorable préopinant aurait mal saisi la portée de mes paroles dans la dernière séance, s’il m’attribuait l’idée de vouloir établir par mon amendement l’équivalent d’écoles bourgeoises de Prusse et d’Autriche. Je reconnais la grande utilité de ce système d’écoles ; mais les écoles que je demande ne s’élèvent pas à cette hauteur. Je me renferme simplement dans programme de l’art. 17 du projet, et d’après cet article l’instruction primaire supérieure serait un intermédiaire entre l’enseignement élémentaire et l’enseignement des écoles bourgeoises. Il y a en Autriche 3 degrés d’instruction primaire : 1° les petites écoles (trivial schulen) ; 2° les écoles d’un degré plus élevé (haupt schulen) ; 3° les écoles supérieures dites real schulen, ce sont les écoles usuelles dont a parlé M. Dechamps.
Messieurs, ce ne sont pas des écoles usuelles que nous voulons établir. Les écoles usuelles rentrent dans l’enseignement moyen destiné à la classe bourgeoise. Quand nous en serons à faire une loi sur l’enseignement moyen, nous devrons examiner s’il ne convient pas d’établir chez nous l’équivalent des écoles actuelles de l’Autriche et des écoles bourgeoises de la Prusse ; aujourd’hui nous voulons seulement des écoles primaires complètes formant un degré entre l’école primaire proprement dite et l’école bourgeoise.
Je crois que les matières d’enseignement comprises dans l’art. 17 répondent suffisamment à la destination que nous voulons donner aux écoles primaires supérieures.
J’aurai maintenant quelques observations à faire sur le fond de la proposition de M. le ministre de l’intérieur.
D’abord quant à la dénomination d’école bourgeoise, je ne sais pas si dans ce pays-ci pas plus qu’en France l’expression peut être admise dans la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’y tiens pas.
M. Rogier. - Je crois qu’il faut autant mille possible éviter tout ce qui rappelle les divisions de la société en castes. En Prusse cette expression peut aller aux mœurs du pays ; mais je ne crois pas qu’en Belgique elle puisse être admise. D’ailleurs les écoles qu’il s’agit d’établir ne répondraient pas aux écoles bourgeoises de la Prusse, puisque l’enseignement y serait d’un degré inférieur.
Une observation plus importante est à faire sur le § 2 proposé par M. le ministre de l’intérieur. Par le 1er § il pose en principe que des écoles d’un degré supérieur seront fondées par le gouvernement. Il reconnaît donc l’utilité de ces écoles, et la convenance de ces caisses aux mains de l’Etat ; et dans le second § il en subordonne l’existence à des conditions telles que dans plusieurs cas elles viendraient à manquer de base, et ne pourraient être établies.
Ainsi, d’après le § 1er des écoles primaires d’un degré supérieur sont fondées par le gouvernement, et dans le § 2 le gouvernement ne pourra fonder l’école que si la commune consent à supporter les deux tiers des frais, plus la dépense du local. M. le ministre évalue, je ne sais pourquoi, les frais d’une école à 9,000 francs eh bien, messieurs, pour qu’une localité du second ordre obtienne cette école, il faudra d’abord qu’elle s’impose à 6,000 francs, et de plus qu’elle fournisse le local. Il est très possible que, malgré leur bonne volonté, plusieurs villes ne puissent pas supporter une telle charge. Voilà donc le gouvernement dans l’impossibilité d’exécuter la loi. La loi lui ordonne de fonder des écoles, et il se met à la merci des villes dans lesquelles ces écoles devront être fondées. Je ne comprends pas cette manière d’organiser des établissements de l’Etat, en subordonnant leur existence au bon plaisir ou aux facultés financières de telle ou telle commune.
On propose de fixer le maximum de la dépense à faire par l’Etat à 3,000 fr. J’ai dit que, dans mon opinion, dans la plupart des communes, la dépense à supporter ne s’élèverait pas au-delà de cette somme ; mais je ne pense pas qu’il soit convenable de fixer le maximum de la dépense dans la loi ; car dans quelques communes ce maximum excédera les besoins, tandis que dans d’autres il restera peut être au-dessous, et il ne faut pas que le gouvernement s’arrête dans l’organisation d’une école pour une somme de 500, ni même de 1,000 fr. Ainsi je ne pourrai en aucune manière me rallier au § 2 de la nouvelle proposition de M. le ministre.
On dit qu’indépendamment du local à fournir par la commune, la part contributive de l’Etat ne pourra excéder le tiers de la dépense totale. Mais dans certaines communes le local appartient au gouvernement. Est-ce que dans ce cas encore, la commune devra fournir le local, ou payer le loyer du local au gouvernement ? La ville d’Anvers aujourd’hui ne fournit ni local ni subside pour son école modèle. La dépense s’élève à 13,000 fr., mais cette dépense est couverte par le subside de l’Etat et par les minervales des élèves. Faudra-t-il que la ville d’Anvers supporte les deux tiers de la dépense et fournisse le local ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Rogier. - Non, dites-vous, parce que, d’après votre § 3, les écoles modèles du gouvernement actuellement existantes sont maintenues. Mais sont-elles maintenues aux anciennes conditions ou aux conditions nouvelles de la loi ? Si elles sont maintenues aux conditions nouvelles, force sera bien aux communes de contribuer pour les deux tiers ; si c’est aux anciennes conditions, vous les placez dans une position privilégiée vis-à-vis des autres villes où il s’agit de créer des écoles ; vous ne pouvez établir deux catégories dans la loi ; ce serait donner aux villes qui soit de mauvaise volonté un motif de ne pas concourir à la fondation d’écoles d’un degré supérieur.
Je crois qu’il faut que la dépense de l’Etat trouve une limite dans la prudence du gouvernement et non dans la loi.
Voyez ce qui existe pour les universités. La dépense est cependant bien autrement considérable ; on procède là non par quelques mille francs, mais par centaines de mille francs. Et cependant la loi n’a pas limité la dépense ; elle n’a pas pris ces précautions contre le gouvernement, et je ne comprends pas comment M. le ministre de l’intérieur s’impose à lui-même, contre lui-même, une pareille limite.
Il faut savoir si l’on veut sérieusement l’établissement d’écoles dont on reconnaît en principe la grande utilité. Eh bien, si on veut de ces écoles, il faut retirer de la loi tous ces obstacles dont on prend l’initiative je ne sais pourquoi, mais qui pourront avoir pour effet d’arrêter l’exécution même de la loi.
D’après le projet de 1834, on devait, dans les écoles qui nous occupent, donner des leçons sur les différentes méthodes d’enseignement. D’après le projet modifié par le gouvernement et par la section centrale, le gouvernement devait veiller à ce que des cours de pédagogie y fussent donnés spécialement aux époques de vacances. D’après la nouvelle rédaction de M. le ministre, ces cours de pédagogie deviendraient facultatifs et au lieu que dans le projet précédent on décidait que ces cours seraient donnés auprès de chaque école, aujourd’hui ils ne seraient plus donnés que dans un seul établissement par province. On n’a pas jusqu’à présent expliqué les motifs de ce changement de système.
Je pense, messieurs, que la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire, et qui n’est que la reproduction de la disposition du projet de 1834, répond mieux au but que se proposait la loi. Toutefois, d’après les explications qui ont été données, mon honorable ami M. Devaux a proposé un amendement auquel je ne ferai pas difficulté de me rallier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable membre s’est étonné de la précaution que j’ai prise en imposant au gouvernement certaines limites pour la dépense. Je crois, qu’il faut prendre cette précaution. Si je siégeais ici comme simple députe, je la prendrais et je l’imposerais au ministère ; dès lors je n’hésite pas comme ministre à en prendre l’initiative, je crois que la chambre reconnaîtra de jour en jour davantage combien il est nécessaire de prendre des précautions de ce genre.
Je crois avoir prouvé dans la séance de samedi, qu’en adoptant la rédaction proposée par l’honorable M. Rogier, vous décrétiez peut-être 200,000 francs à la charge du trésor public.
M. Rogier. - C’est une erreur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La dépense sera de 150 à 200,000 francs, je n’en doute pas. Vingt-six établissements à raison de 8 à 10 mille francs, donnent même une somme d’au-delà de 200,000 fr. Je n’exagère pas.
M. Rogier. - Aujourd’hui la dépense n’est que à 3 mille francs par école.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mais je n’ai cessé de répéter, et j’ai prouve à l’évidence que c’est une erreur de dire que les écoles modèles existantes ne coûtent que 3000 fr. Le gouvernement ne fournit que cette somme en moyenne ; mais les écoles ont un budget bien supérieur.
M. Rogier. - Qu’elles couvrent avec les rétributions des élèves.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Qu’elles couvrent avec les rétributions des élèves, je le sais ; mais je dis que vous ne serez pas aussi heureux dans toutes les villes que dans la riche et populeuse ville d’Anvers, que dans la riche et populeuse ville de Bruxelles, et que dans d’autres villes il arrivera ce qui est arrivé à Namur.
J’ai prouvé, messieurs, que c’était une erreur de supposer que les écoles normales étaient soutenues moyennant un sacrifice de 3,000 fr. que fait le trésor public ; j’ai dit quels étaient les budgets réels de ces établissements, Je me suis alors demandé s’il y avait probabilité que dans les autres villes d’un ordre secondaire où manquent ces institutions, on trouvât les mêmes ressources dans les rétributions volontaires des familles. J’ai exprimé des doutes à cet égard et je maintiens ces doutes.
Si vous laissez toute latitude au gouvernement, il arrivera, il faut le dire franchement, qu’on fera ici ce qu’on fait en beaucoup de circonstances. On forcera la main au gouvernement ; on aura recours à des influences que je ne veux ni révoquer ni caractériser ; et en définitive c’est à la charge du trésor public seul que retomberont les écoles dites d’instruction primaire supérieure. Vous arriverez ainsi à avoir 200,000 fr. à votre budget pour ces établissements.
Eh bien ! c’est ce que je ne voudrais pas comme député, et ce que comme ministre, je n’hésite pas à le dire, je ne demande pas.
Il y a aujourd’hui huit écoles modèles. Huit arrondissements sont donc pourvus. L’honorable membre m’a demandé : Mais qu’arrivera-t-il de l’école d’Anvers, par exemple ? Son budget réel est de 13,000 fr. ; le gouvernement fournit, je suppose, 3,000 fr ; que fournira la commune ? Mais la commune ne fournira rien ; il n’est pas dit dans le projet de quelle manière les deux autres tiers seront fournis. Ce sera par la commune ou par les rétributions des élèves, ou par des fondations particulières ou des legs, ou de toute autre manière ; le projet ne dit qu’une seule chose, c’est que l’Etat ne fournira que le tiers. De sorte qu’à Anvers les choses resteront dans le statu quo et le même résultat pourra être obtenu dans d’autres villes.
Je ne crains pas, messieurs, les refus intéressés des communes ; il y a une tendance générale dans le pays à créer des établissements autres que de simples écoles primaires, c’est par suite de cette tendance que depuis si peu on a créé dans le pays tant d’écoles qualifiées de collèges et d’athénées. Je crois que sous ce rapport ou est allé trop loin, que l’on a créé des établissements consacrés à l’enseignement des langues anciennes dans bien des localités où des écoles du genre de celles qu’il s’agit d’établir, suffiraient à tous les besoins. Cela est tellement vrai, messieurs, que beaucoup de localités où il existe des collèges plus ou moins imparfaits, ont demandé à convertir ces prétendus collèges en écoles primaires supérieures.
C’est, messieurs, ce qui m’a autorisé à dire qu’il ne resterait que douze arrondissements à pourvoir d’écoles primaires supérieures, ce qui exigerait, au maximum, une dépense de 36,000 francs.
Je crois, messieurs, que le but que nous avons tous eu vue sera atteint ; les moyens sont différents, et je suis forcé de dire de nouveau que dans le choix de ces moyens, il faut nous préoccuper de la situation financière du pays.
Je ne tiens pas aux expressions d’école bourgeoise ; je ne vois pas cependant qu’elles auraient de grands inconvénients, car les écoles dont il s’agit sont véritablement destinées aux classes bourgeoises, c’est-à-dire aux personnes qui ne veulent pas que leurs enfants apprennent les langues anciennes ; néanmoins, si cette expression offusque, je ne m’oppose pas à ce qu’on la fasse disparaître.
Je crois donc, messieurs, à cela près, devoir persister dans ma proposition. Je prie la chambre de ne pas perdre de vue qu’il s’agit ici d’un article du budget.
M. Rogier. - Messieurs, lorsqu’au commencement de cette année on a discuté le budget des voies et moyens, j’ai exprimé le regret que le ministère n’eût pas présenté à la chambre des projets de lois nouveaux, de nature à mettre les ressources du trésor plus en harmonie avec les besoins actuels, et les besoins de l’avenir. J’ai fait observer alors que parmi les lois que nous aurions à discuter se trouverait la loi sur l’enseignement primaire et que probablement cette loi donnerait lieu à des dépenses nouvelles. En effet, je ne sache pas qu’on ait encore découvert le secret de créer des institutions publiques sans faire en même temps les dépenses nécessaires à l’établissement et à l’entretien de ces institutions. Je pourrais donc repousser, par une fin de non-recevoir, le dernier argument que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur. Je ne conçois pas que lorsqu’on vient proposer des établissements à fonder par l’Etat, on objecte la situation du trésor aux raisons données pour assurer à ces établissements une organisation convenable. Il s’agit de savoir si nous devons faire une bonne loi sur l’instruction primaire, ou si nous devons faire des économies. Quant à moi, je suis très grand partisan des économies, et je m’associerai toujours à toute mesure qui aura pour but de défendre le fisc contre certaines exigences ; mais je veux aussi que les institutions que nous avons à créer soient convenablement dotées, et quand on viendra nous dire que dans l’état actuel du trésor, telle institution ne peut pas être convenablement dotée, je répondrai : Ajournez plutôt l’institution que de l’organiser d’une manière imparfaite.
M. le ministre de l'intérieur exagère évidemment la portée de ma proposition, quant à la dépense qu’elle doit entraîner, car il n’est pas possible de sortir de cet argument : Les écoles primaires modèles actuelles, telles que nous voulons les étendre à tous les arrondissements judiciaires ne coûtent à l’Etat, chacune prise séparément, que 2 a 3,000 fr. ; le reste de la dépense est couverte par la rétribution des élèves. M. le ministre de l’intérieur, je ne sais dans quel sens, soutient, au contraire, que ces écoles vont coûter à l’avenir 10,000 fr., de sorte que si le gouvernement doit supporter à lui seul la dépense, il en résultera pour lui une charge de 260,000 francs. Je conçois que ce chiffre soit de nature à effrayer quelques membres de la chambre ; cependant je vous avoue, messieurs, que 26 bonnes écoles primaires supérieures coûtant 260,000 francs ne seraient pas une charge trop lourde suivant moi, je crois que nous n’aurions pas à regretter d’avoir consacre une semblable somme à cette destination. Toutefois, je suis bien certain que la dépense n’ira pas jusque-là, et la preuve c’est que les écoles primaires supérieures qui existent actuellement ne coûtent pas, je ne puis trop le répéter, 3,000 francs chacune.
On prétend que dans plusieurs villes de second ordre ces écoles coûteront 10,000 francs ; mais pourquoi une école primaire supérieure coûterait-elle 10,000 francs à Verviers et à Termonde, par exemple, lorsqu’elle ne coûte que 3,000 fr. à Namur, à Malines, etc. ? De deux choses l’une : ou les écoles seront fréquentées ou elles ne le seront pas ; si elles sont fréquentées, les rétributions des élèves couvriront une très grande partie de la dépense comme elles le font aujourd’hui, si au contraire les écoles ne sont pas fréquentées, s’il n y a pas d’élèves, alors on les déplacera pour les établir dans des localités où elles en réuniraient un plus grand nombre.
D’ailleurs, messieurs, dans les villes de deuxième ou de troisième ordre, on pourra en quelque sorte proportionner la taxe des établissements dont il s’agit aux besoins de la localité ; s’il y a moins d’élèves, il faudra moins de professeurs, un local moins grand, moins de dépenses de toute espèce.
Il s’agit, messieurs, de savoir si, en organisant l’enseignement primaire, vous voudrez refuser à l’Etat le droit d’avoir 26 écoles à lui, sur 5 mille que le pays possède et qui sont livrées aujourd’hui au bon plaisir des particuliers, à la liberté des communes, au zèle (j’aime à le reconnaître) du clergé et des frères de la doctrine chrétienne.
Remarquez même, messieurs, que ce nombre de 5,000 écoles n’est pas définitif. Si l’enseignement primaire suit en Belgique la progression qu’il a suivi dans d’autres pays constitutionnels, aux Etats-Unis, par exemple, il est possible que ce nombre de 5,000 écoles soit un jour doublé, que d’ici à 15 ans, au lieu de 5,000 écoles vous en ayez 10,000 et qu’au lieu d’un élève sur 9 habitants, il y en ait un sur 3 ou 4 comme aux Etats-Unis, en Ecosse et dans d’autres pays plus avancés que nous. Alors ce ne serait plus 26 écoles sur 5,000, mais 26 sur 10,000 peut-être ; or, messieurs, est-ce trop que de voir l’Etat diriger 26 écoles en présence de 10,000 établissements d’instruction livrés à la liberté, à la concurrence ou dans lesquels il n’intervient qu’indirectement.
Messieurs, ces écoles serviront naturellement aux enfants, mais elles serviront aussi aux instituteurs, et sous ce rapport, je dois répondre à l’honorable rapporteur de la section centrale, qui ne veut pas que ces écoles se transforment en écoles normales. Nous aurons à régler le sort des écoles normales dans les articles suivants ; mais deux écoles normales ou celles que l’on pourra établir dans la suite, ne suffiront pas, selon moi, à tous les besoins de l’enseignement. Je sais fort bien que le clergé a déjà huit écoles normales à lui et qu’il prendra dans ces établissements des instituteurs pour les écoles communales ; mais ce n’est pas à dire que deux écoles normales, dirigées par le gouvernement, doivent suffire.
Les écoles primaires supérieures agiront comme écoles-modèles, non pas sous le rapport des matières que l’on consignera, mais sous le rapport des méthodes qu’on y emploiera. Si dans ces écoles il y a de meilleurs professeurs, si l’on y suit de meilleures méthodes pour l’enseignement de la lecture, de l’écriture, du calcul, ces méthodes seront ensuite adoptées dans les écoles primaires des communes. Si vous avez dans les écoles primaires supérieures de bons professeurs, rien n’empêchera que le dimanche, par exemple, ils donnent aux instituteurs primaires des villes ou des campagnes des leçons de pédagogie. Remarquez bien, messieurs, que lorsque les instituteurs seront sortis des écoles normales, ils n’y rentreront plus, et cependant leur instruction ne sera pas complète ; il sera donc très bon qu’ils puissent encore aller s’instruire dans les méthodes nouvelles et perfectionnées auprès d’établissements supérieurs tels que ceux qu’il s’agit ici de créer.
Ainsi, messieurs, sous ce rapport, les écoles primaires supérieures agiront aussi comme écoles normales, mais ce sera surtout pour les instituteurs qui seront sortis des écoles normales. Cette disposition de la loi a, comme vous voyez, une très grande importance. Il ne faudrait pas que la chambre passât là-dessus trop légèrement.
M. le ministre de l’intérieur n’a pas répondu à cette objection qui me paraît très grave : c’est que si les villes où des établissements sont à organiser, ne veulent pas supporter les deux tiers de la dépense, indépendamment du local, il s’en suit qu’il n’y aura pas d’écoles primaires supérieures dans ces villes. On dit que ces villes ne s’y opposeront pas ; mais, encore une fois, on ne peut pas abandonner l’érection d’établissements attribués à l’Etat, au bon plaisir des villes. Le refus de concours des villes eût été moins à craindre, si on avait dit que la part contributive de l’Etat ne pourrait excéder les deux tiers de la dépense. Il y conservait alors la prépondérance à tous égards ; dans le système de M. le ministre de l’intérieur, il est très possible que les communes, en contribuant pour les deux troisièmes dans les frais de l’établissement, veuillent se réserver une part d’influence proportionnée à leurs sacrifices financiers.
Du reste, je ne vois pas en quoi le contribuable sera beaucoup plus soulagé, lorsqu’il paiera sa part dans les frais de l’école, comme contribuable communal, au lieu de payer comme contribuable de l’Etat. Qu’il paie les centimes additionnels à la caisse communale, ou qu’il les paie à la caisse de l’Etat, les deux centimes n’en sortent pas moins de sa bourse. Ainsi, au point de vue des charges publiques, la position du contribuable reste entièrement la même.
Le système de M. le ministre n’aurait donc pas pour effet de diminuer l’impôt ; mais il diminuerait la prérogative de l’Etat et compromettrait le sort des établissements dont la loi lui attribue la fondation et la direction.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, en supposant que la situation financière fût très belle, je ne raisonnerais pas encore autrement que je ne l’ai fait. Je vous dirai qu’il ne faut pas poser un précédent à l’égard de l’enseignement moyen. Si vous mettez l’enseignement intermédiaire dont il s’agit ici à la charge du trésor public seul, dites-moi quelle raison vous empêchera de mettre à la charge du trésor public seul les dépenses de l’enseignement moyen, quand nous nous occuperons de cette branche de l’enseignement.
Je répète que ce serait une véritable inconséquence, puisqu’il n’entre dans l’intention de personne de mettre les dépenses de l’enseignement moyen à la charge du trésor public seul. Comment pourrait-on maintenant sans inconséquence faire supporter exclusivement par l’Etat les frais d’un enseignement intermédiaire entre l’enseignement primaire et l’enseignement moyen ?
L’honorable préopinant suppose que les rétributions scolaires existeront partout, comme elles existent dans quelques-unes des villes que nous avons citées et dont il est inutile de répéter les noms. Mais il y a une autre considération qu’il n’a pas rencontrée, cette considération, c’est celle-ci :
Je suis convaincu que si vous écriviez dans la loi que les frais de l’école modèle de telle ville où aujourd’hui il y a 10,000 fr. de rétributions peuvent être à la charge du trésor public seul ; je suis convaincu que ces rétributions viendraient à cesser et que l’on forcerait la main au gouvernement. Ecrivez dans la loi que, pour le cas où le gouvernement le jugerait convenable les dépenses de l’école modèle de Bruxelles, seront supportées par le trésor public, et vous verrez les rétributions qui s’élèvent à plus de 10,000 fr,, se réuniront encore avec la nième facilité. Cela se fait aujourd’hui, objecte-t-on. Oui, cela se fait aujourd’hui, parce qu’on sait que c’est la condition sine qua non de l’existence de l’établissement. Mais on me dira : Si les concours des parents, des communes mêmes, est la condition sine qua non de l’existence de l’établissement, quelle garantie avez-vous du sort de l’institution, puisque l’existence en est subordonnée à la volonté d’un tiers ? Pour échapper à cette objection, il n’y a qu’un moyen, c’est de mettre l’établissement à charge du trésor public seul.
Messieurs, il faut sans exagération compter un peu sur la bonne volonté des communes et des familles ; je dis sans exagération, car si vous comptiez trop sur cette bonne volonté, on pourrait très bien se voir tromper dans ces prévisions.
L’honorable préopinant a signalé un changement dans la nouvelle rédaction en ce qui concerne les cours normaux. Il était dit dans le projet de la section centrale que « le gouvernement veillera à ce que des cours de pédagogie y soient donnés (soient donné dans les écoles modèles). » Mais il n’était pas dit d’une manière impérative que ces cours se donneraient partout. Je crois que ces cours ne doivent pas se donner partout. Il suffit, je pense, d’autoriser le gouvernement d’annexer un cours semblable à l’une des écoles modèles de chaque province. Quand nous nous occuperons des deux écoles normales, je prouverai par des chiffres que deux écoles normales sont suffisantes, et que si indépendamment de ces deux écoles normales vous autorisiez le gouvernement à créer des cours normaux dans les 26 arrondissements, vous risqueriez peut-être de dépeupler les deux écoles normales spéciales.
A cette considération vient se joindre une autre question, une question de dépense. Il est impossible de perdre de vue cette dépense. Je ne veux pas faire ce qu’avait fait l’assemblée constituante qui se proposait de décréter qu’il y aurait dans chaque commune une école entretenue par le trésor public, et à qui il fut démontré ensuite que la chose était financièrement inexécutable. Je sais bien qu’il ne s’agit pas ici d’un extrême semblable, il ne s’agit que de 26 écoles primaires supérieures ; je trouve, moi, que ces 26 écoles peuvent exister avec le concours des communes ; que si l’on met à la charge du trésor public seul les dépenses de ces 26 écoles-modèles, vous pouvez faire cesser les rétributions, et l’Etat se verra obligé de faire un sacrifice annuel de 200,000 fr.
M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.
Des membres. - A demain ! Il est 4 heures et demie.
- MM. les représentants quittent leurs bancs.
La séance est levée à 4 heures et demie.