(Moniteur belge n°223, du 11 août 1842)
(Présidence de M. Fallon.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées la chambre.
« Le sieur Jacquet, docteur en médecine, réclame l’intervention de la chambre pour que le gouvernement lui accorde une médaille du chef des vaccinations qu’il a opérées gratis, pendant l’année 1837. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Boorsheim demande que la chambre alloue un nouveau subside au gouvernement pour achever les réparations aux travaux de défense de la Meuse. »
Sur la proposition de M. de Renesse, renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Plusieurs habitants et négociants d’Anvers prient la chambre d’accorder la priorité aux projets de loi concernant les intérêts matériels du pays. »
M. Osy. - Cette pétition émane de presque toute la bourse d’Anvers. On y demande que la chambre s’occupe des intérêts matériels du pays, c’est-à-dire qu’elle discute le projet de loi présenté par la commission d’enquête. Je fais la proposition de mettre ce projet de loi à l’ordre du jour immédiatement après la discussion du rapport relatif à la convention conclue avec la ville de Bruxelles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est impossible que cette discussion vienne avant la session prochaine. La mettre à l’ordre du jour, ce serait, au fond, ne rien faire. Je m’en suis déjà expliqué. Les documents sont incomplets, en ce sens qu’on n’a pas annexé au dernier travail de la commission l’avis des chambres de commerce. Ces avis sont de deux espèces. Les uns ont été transmis directement à la commission d’enquête, les autres ont été transmis au gouvernement, j’ai réuni les uns et les autres ; ils devront être publiés. Je pense que la discussion des conclusions de la commission d’enquête devra être un des premiers objets, sinon le premier objet dont nous nous occuperons à la session prochaine. Si les pièces qui manquent ne sont pas imprimées avant la fin de la session et distribuées aux membres pendant leur présence à Bruxelles, j’aurai soin de les faire distribuer à domicile dans l’intervalle des deux sessions, de manière que nous soyons tous préparés à cette grande discussion pour la session prochaine.
M. Manilius. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. Osy. Je crois qu’il est temps de s’occuper du rapport de la commission d’enquête. A la session prochaine nous serons absorbés par la discussion des budgets. On dira qu’il faut que les budgets soient votés avant la nouvelle année. Le langage que tient maintenant M. le ministre de l’intérieur n’est pas celui qu’il tiendra à la session prochaine. J’appuie, je le répète, la proposition de M. Osy. Il suffira que le projet de loi présenté par la commission d’enquête soit mis à l’ordre du jour pour que nous puissions espérer de le voir discuter un jour.
M. Dubus (aîné). - Je crois qu’il est dans l’intention des deux auteurs de la proposition qu’il n’y ait pas d’intervalle entre les deux sessions (on rit).Si telle est l’intention de la chambre, je crois qu’il faut remettre à l’ordre du jour le projet de loi de la commission d’enquête ; mais si, au contraire, la session ne doit plus durer que quelques jours, je crois qu’il convient de ne pas admettre leur proposition.
M. Osy. - Si M. le ministre prend l’engagement d’insister auprès de la chambre pour que les conclusions de la commission d’enquête soient discutées au commencement de la session prochaine, je retirerai ma proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’y engage.
M. Osy. - Je retire ma proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - A la suite de l’incident qui a terminé la séance d’hier, j’ai de nouveau examiné la question très importante qui s’y rattache ; j’ai préparé une nouvelle rédaction de l’art. 21. La voici
Remplacer l’article 21 par les dispositions suivantes
« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime de la présente loi.
« Les infractions aux dispositions légales sont constatées soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14.
« Si ces rapports signalent de abus dans une école, le ministre de l’intérieur en informe l’administration dirigeant l’école, et use des moyens propres à amener l’exécution de la loi.
« Lorsque les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
J’ai cru devoir déposer maintenant cet amendement. Je prie tous les membres de la chambre, tous ceux qui désirent sincèrement une loi sur l’instruction primaire de vouloir bien examiner cette disposition. On pourrait l’envoyer de suite à l’impression. Non pas qu’on arrive aujourd’hui à l’art. 21. Mais comme on le fait remarquer, cet article a une très grande importance et domine toute la loi.
- La chambre ordonne l’impression immédiate et la distribution de l’amendement.
M. le président. - La discussion continue sur l’ensemble du projet de loi. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dechamps, rapporteur. - J’avais demandé la parole lors du débat incident d’hier. L’amendement que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, et qu’il est impossible de saisir à une première lecture, me paraît devoir faire ajourner le débat sur cette question qui domine toute la loi. J’ajourne donc mes observations jusqu’à la discussion sur l’art. 21 et sur l’amendement présenté par le gouvernement.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je suis absolument dans le même cas que l’honorable préopinant. Je me proposais de protester, autant qu’il est en moi, contre les doctrines énoncées par M. le ministre de l'intérieur ; doctrines qui n’étaient pas seulement formulées dans l’article 21, mais encore dans les motifs écrits à tête posée et lues par lui. Puisque M. le ministre modifie son opinion et change la portée de l’art. 21, je suis forcé d’examiner la portée du nouvel article pour prendre la parole d’une manière utile.
M. de La Coste. - J’ignore quel effet la nouvelle rédaction, présentée par M. le ministre, aura sur l’ensemble de la loi ; cependant rien ne s’oppose à ce que je fasse connaître le point de vue général sous lequel je la considère.
Il y a dans cette discussion deux choses à mes yeux qui la dominent tout entière : un grand intérêt et un grand principe. Le grand intérêt c’est l’intérêt du peuple, le grand principe, c’est la tolérance religieuse. L’enseignement moyen et l’enseignement supérieur ne sont guère accessibles qu’aux classes élevées ; l’enseignement primaire est accessible et utile à toutes les classes. Les riches peuvent choisir les établissements où ils placent leurs enfants ; les pauvres, à moins que la bienfaisance privée ne leur offre des établissements qui leur sont spécialement destinés, doivent accepter ceux que leur offre l’autorité publique. Tout le monde sait combien un père apporte de soins et d’anxiété dans le choix de l’établissement où il veut placer ses enfants.
Ce même soin, cette même anxiété, nous les devons aux enfants du peuple dont nous prenons en mains la tutelle.
Les avantage de l’instruction primaire sont de différente nature : d’abord, elle offre des connaissances utiles à tous les états. Plus d’un homme du peuple, arrêté dans la classe la plus infime pourrait en franchir la limite, s’il savait lire, écrire, calculer. Plus d’un ouvrier pourrait devenir chef-ouvrier, pourrait diriger un établissement, s’il avait des connaissances plus étendues ; voilà donc un intérêt bien grand, bien positif.
Il y a encore celui-ci : les classes inférieures peuvent contenir et contiennent incontestablement des hommes supérieurs auxquels il ne manque souvent que ce degré d’instruction pour parcourir les autres, pour arriver successivement aux premiers rangs de la société, pour se rendre éminemment utiles au pays.
Les écoles bien dirigées présentent encore un autre avantage, et il sera apprécié de tous ceux qui les ont vues de près ; c’est de polir les mœurs des enfants, c’est de leur donner des habitudes d’ordre, de décence, de propreté. Je regrette même (mais il s’agit peut-être de trop petits détails, de détails réservés à l’exécution), je regrette de ne pas voir dans la loi en discussion, comme dans la loi de 1806, des dispositions expresses à cet égard ; je dis la loi de 1806 ; si ce n’est pas cette loi même ce sont au moins les dispositions qui l’accompagnent.
Mais quelque réels que soient ces différents avantages, il faut convenir que si l’on n’y joint pas celui d’éducation morale, c’est rétrécir beaucoup le cercle des bienfaits de l’instruction. Maintenant, et c’est ici que j’arrive au point le plus délicat, quelle base donnera-t-on à la morale qu’on enseignera aux enfants admis dans les écoles publiques ?
Je suis prêt à reconnaître qu’il y a dans les classes supérieures, peut-être même dans toutes les classes des hommes qui, sans participer aux croyances religieuses, ont par suite d’un heureux naturel, des sentiments d’honneur, d’une saine philosophie, de notions puisées au sein de leur famille, une conduite morale à l’abri de toute objection. Mais souvenons-nous que nous traitons la question sous un point de vue général et que nous nous occupons spécialement des classes laborieuses et pauvres.
Or, je le répète, quelle base donnera-t-on à la morale qu’on enseigne dans les écoles où les enfants appartenant à ces classes seront admis ? Sera-ce l’intérêt bien entendu ? C’est là-dessus, en effet, que s’appuient quelques systèmes et je n’ai point ici à les examiner, mais ils reçoivent souvent, dans l’application des démentis trop éclatants pour qu’ils puissent servir de base à la morale qu’on enseigne à la jeunesse. Sera-ce d’autres systèmes de philosophie ? Eh ! qui ne voit qu’ils ne sont pas à la portée des enfants du peuple ! Le seul système de philosophie pratique qui soit jamais parvenu à lui, c’est la religion, c’est le christianisme
Messieurs, ici chacun est libre de ne pas admettre le christianisme comme croyance, d’admettre et de rejeter telle croyance qu’il juge à propos. Et je m’applaudis de vivre dans un temps, dans un pays où la conscience n’a rien à démêler avec l’autorité publique, rien à démêler avec le bourreau, où l’on n’est pas hypocrite de par la loi. Mais ceux qui n’admettent pas le christianisme (je parlerai tout à l’heure d’autres cultes, car nous ne devons pas être plus exclusifs que la constitution), ceux qui n’admettent pas le christianisme comme une grande vérité, doivent nécessairement, s’ils sont penseurs, s’ils sont philosophes, s’ils sont hommes d’Etat, l’admettre comme un grand fait qui domine toute notre organisation sociale.
Messieurs, c’est un des éléments de notre civilisation. Le christianisme, la religion chrétienne, préside à l’organisation de la famille, il sanctionne la propriété, et en même temps qu’il donne des garanties à ceux qui possèdent, il leur impose des obligations envers ceux qui ne possèdent pas. Eh bien ! messieurs, voilà les trois grands problèmes sociaux humanitaires ; la famille, la propriété, le moyen de coordonner entre elles les différentes classes de la société.
Qu’il me soit encore permis de rappeler ici les consolations qu’offrent les croyances religieuses. Ne les enlevons pas au peuple. Son existence n’est pas toujours heureuse ; et c’est dans le malheur surtout que ces consolations sont appréciées. Il serait inhumain de l’en dépouiller, lors même qu’on ne le considérerait que comme des illusions. Nos institutions, laissent chacun libre de penser ce qu’il veut à cet égard, mais elles ne le laissent point libre de porter atteinte à la tolérance religieuse.
La tolérance exige que dans l’école publique rien ne blesse en aucune façon les croyances qui y trouvent accès ; elle exige aussi que les croyances qui n’y trouvent pas accès, trouvent ailleurs des moyens d’instruction qui satisfassent leurs scrupules religieux.
Ce que la tolérance exige, la justice ne l’exige pas moins. Car comme toutes les communions religieuses, comme les hommes de toutes les opinions concourent aux dépenses de l’instruction offerte par l’autorité publique, il est juste que tous y aient part.
Maintenant une solution que l’on a admise dans quelques pays, c’est celle d’une parfaite neutralité. Les écoles offrent des moyens d’instruction ; mais on ne s’occupe pas de l’éducation religieuse
J’ai déjà dit qu’il était très difficile de séparer l’éducation morale de l’instruction religieuse, et qu’une instruction qui ne comprend pas la morale est bien incomplète. Mais ce n’est pas là le seul inconvénient, et l’exclusion de la religion de l’école deviendrait, pour ainsi dire, une négation ; il suffit en effet que les enfants ne voient aucune pratique religieuse, qu’ils n’entendent pas parler de religion, que celui qui les dirigent ne paraisse pas y croire, pour que leurs esprits très vifs y discernent une véritable négation, et dès lors ce système de neutralité dégénère presque en hostilité.
Ainsi donc, ce que M. le ministre de l'intérieur appelait hier un moyen extrême, je le considère comme un moyen qui n’est pas praticable dans notre état social et sous l’empire des principes posés dans notre constitution.
Un autre système serait celui où il y aurait des écoles pour toutes les religions, pour toutes les opinions et où l’autorité publique, impartiale envers tous, accorderait des subsides proportionnés la population, aux besoins des écoles, à toutes les opinions, à toutes les religions. Ainsi il y aurait des écoles pour les protestants, des écoles pour les catholiques, et même, si on le croyait des écoles philosophiques, et l’administration, sans s’enquérir des croyances religieuses de personne, subsidierait également ces écoles. Ce principe s’éloignerait bien plus du régime actuel de l’instruction primaire qui vous est présenté maintenant. Ce dernier est un système de conciliation qui consiste à faire entrer la religion du plus grand nombre dans les écoles publiques. C’est ce qu’ont voulu les commissions qui ont examiné la matière en 1834, c’est ce qu’a voulu l’honorable M. Rogier, alors ministre de l’intérieur, c’est ce que veulent maintenant la section centrale et le gouvernement.
Dans ce système il faut nécessairement qu’il y ait accord entre l’autorité ecclésiastique et l’autorité civile ; j’avoue cependant que j’y rencontre quelques parties qui ne cadrent pas avec les principes que j’ai énoncés précédemment et qui me paraissent les plus justes en théorie.
D’abord je vois bien que les personnes qui ne partageront pas les opinions religieuses qui sont enseignées dans les écoles publiques pourront faire en sorte que leurs enfants n’assistent pas à l’enseignement religieux dans ces écoles. Mais je ne vois pas que cela satisfasse entièrement au vœu de la loi, qui est de donner à l’enseignement la base de la religion. Cela ne satisfait à ce vœu pour les protestants dans les communes où les catholiques sont en majorité pour les catholiques dans les communes où les protestants sont en majorité ; je reviendrai tout à l’heure sur cette observation.
Je trouve aussi que les articles 5 et 21 ont, au premier aspect, quelque chose d’un peu sévère relativement aux communes. Je ne partage pas cependant l’opinion énoncée à cet égard par l’honorable M. Savart, je ne crois pas qu’on puisse invoquer en cette circonstance l’art. 17 de la constitution. L’art. 17 n’a aucunement en vue la commune, je ne la vois pas comprise dans le terme de l’Etat. Je crois que cet article a été uniquement établi par défiance contre l’autorité. On ne voulait pas que l’autorité publique réglât ce qui regardait ses propres établissements par ordonnance ; on voulait que cela fût réglé par la loi ; on ne pensait pas aux communes dans ce moment.
Pour savoir quelle est la compétence des administrations communales en matière d’instruction, il faut recourir aux articles de la constitution qui déterminent cette compétence en général ; Or on conviendra que l’instruction publique n’est pas un intérêt exclusivement communal. Je pense dont que rien ne s’oppose à ce que nous fassions une loi qui impose des obligations aux communes.
je ferai, à cet égard, un rapprochement. La loi fondamentale des Pays-Bas avait une disposition tout à fait analogue relativement aux communes, et peut-être même plus absolue. Elle laissait aux administrations communales et provinciales la libre administration de leurs intérêts particuliers, et cependant relativement à l’instruction, elle les chargeait seulement de l’exécution de la loi. Il est évident qu’on avait eu en vue, en établissant ce principe, la loi de 1805 qui s’occupait des écoles établies par les communes, d’une manière en moins impérative que la loi que nous discutons.
J’avoue cependant, comme on vous l’a fait observer, que la position faite aux communes, par l’art. 5, me paraît un peu sévère. Dans l’hypothèse où les communes auraient rempli toutes les prescriptions de la loi, où leurs écoles répondraient au but sous tous les rapports, alors l’art. 5 (j’entends parler de l’art. 5 de la section centrale) me paraîtrait aller un peu loin. Bien que je n’admette pas le principe posé par l’honorable M. Savart, je conçois que d’honorables membres aient trouvé dur, au premier abord, que la commune qui ne remplirait pas entièrement ses obligations aux yeux de l’autorité ecclésiastique, par exemple, ne fût pas seulement privée de tout subside, mais qu’elle ne pût même pas continuer à soutenir son école. Que l’Etat ne doive pas de subside à un établissement qui ne remplit pas ses conditions légales, c’est un principe qu’on ne peut contester ; peut-être ce principe est-il aussi applicable à la province ; mais quand on arrivera à la commune, peut-être pourrait-on lui laisser la libre disposition de ses fonds.
Mais à cela, dans les principes que j’ai exposés, il y aurait une condition qui serait absolument nécessaire, c’est que la commune, tout en conservant son école, accordât les mêmes secours, les mêmes subsides aux écoles érigées dans l’intérêt de ceux aux besoins moraux desquels l’école communale ne satisferait pas. Remarquez bien, messieurs, que la véritable tolérance ne permet pas de s’ériger en juge de l’opinion des autres ; la tolérance exige que chacun soit juge de sa propre opinion. Si l’on veut donc qu’une école communale qui ne répond pas à l’opinion d’une partie des habitants puisse être maintenue, il faut admettre alors que tous ceux qui paient des contributions à la commune et qui, par des scrupules bien ou mal fondés, ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’école communale, doivent obtenir pour les écoles qui leur inspirent confiance, des subsides équitables. Partant de ce principe, la question que soulève l’art. 5 se trouverait tranchée en même temps ; l’art. 5 deviendrait inutile ; les parents choisiraient l’une ou l’autre des écoles existant dans la commune et l’autorité communale les subsidierait chacune selon le nombre de ses élèves.
Mais, messieurs, je ne vous cache pas que j’hésite à formuler une proposition dans le sens de ces principes que je crois incontestables en théorie. Avant de les mettre en pratique, il faut bien en calculer les suites, qui pourraient être plus graves pour le régime actuel de l’instruction primaire, que les inconvénients dont on s’effraie dans le projet de loi en discussion. Ce projet, s’il devient une loi de conciliation, s’il est accepté de part et d’autre et exécuté de bonne foi, est peut-être destiné à amener des résultats pratiques favorables au développement de l’instruction primaire.
Voilà pourquoi je ne me prononcerai pas contre le projet de loi. Je réserve mon vote.
J’ajouterai, messieurs, que si vous voulez trop réduire les garanties que le projet offre aux opinions religieuses, vous rendrez la loi complètement nulle, complètement inefficace, parce qu’alors elle ne sera pas acceptée de part et d’autre, parce que, n’étant acceptée que d’un seul côté, elle sera paralysée dans son exécution.
M. de La Coste. - Je demanderai maintenant à faire une motion d’ordre que je comptais faire au commencement de la séance et que j’ai retardée parce que M. le ministre des finances n’était pas alors présent.
M. le président. - M. de la Coste s’était fait inscrire pour présenter une motion d’ordre ; mais M. le ministre des finances étant absent, il a dû attendre. Je lui continuerai donc maintenant la parole pour faire la motion.
M. de La Coste. - La chambre se rappellera qu’elle a renvoyé a la section centrale plusieurs amendements à la loi concernant la convention conclue avec la France et qui étaient relatifs aux réclamations dus marchands de vins ; d’un autre côté elle avait précédemment renvoyé ces réclamations à M. le ministre des finances, avec demande d’explications.
Dans cette situation la section centrale dont je fais partie ne peut pas continuer ses travaux avant qu’elle ait obtenu la réponse de M. le ministre des finances. Cependant plusieurs marchands de vins sont venus nous exposer leurs craintes ; ils disent que si la convention est exécutée le 15 de ce mois, il entrera aussitôt des vins qui ne payeront que les droits tels qu’ils sont réduits par la convention ; ces vins, disent-ils, vont se confondre avec ceux qui sont en magasin sous des crédits à terme. On fera résulter de là une fin de non-recevoir et l’affaire se trouvera jugée sans avoir été examinée. Ce serait là pour la section centrale une position extrêmement désagréable, ce serait là un état de choses contraire à la bonne foi et à l’intention de la chambre. Je crois qu’il serait infiniment préférable que M. le ministre des finances prît maintenant des mesures conservatrices qui ne lieraient point la chambre et qui seraient exécutées avec la même force que si elles résultaient de la loi, puisque les marchands de vins seraient très disposés à s’y soumettre
Quoi qu’il en soit, il faut observer que le temps presse ; la chambre est saisie d’une question très grave, et quand la réponse de M. le ministre arriverait très prochainement, je crois qu’il serait encore extrêmement difficile qu’une décision des deux chambres intervînt en temps utile, je crois donc que M. le ministre des finances devrait examiner la question de savoir si les craintes des marchands de vins sont fondées.
Je demanderai donc à M. le ministre des finances, d’abord s’il est en mesure de présenter très prochainement à la section centrale les éclaircissements que la chambre a demandés. Je lui demanderai en second lieu si les inconvénients qu’on a signalés ne sont pas réels, en un mot s’il n’y a point péril en la demeure.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je puis informer la chambre que les renseignements relatifs aux réclamations des marchands de vins sont actuellement complets ; dès aujourd’hui je pourrais en présenter le résultat au conseil et après-demain au plus tard je serai à même de faire un rapport à la chambre, de sorte que la section centrale aura tout le temps de s’occuper du nouvel incident que viennent de présenter les marchands de vins. J’examinerai également la question de savoir si les inconvénients que l’honorable préopinant vient de signaler, sont possibles.
M. Devaux. - Vous comprenez, messieurs, que la discussion générale se trouve dans une situation assez singulière, par suite de la présentation de l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ; cet amendement je viens de le relire, et je vous avoue que je ne suis pas sûr d’en saisir le sens ; je ne m’étonne pas de ce qui m’arrive, puisque M. le rapporteur de la section centrale, qui probablement a été en rapport avec M. le ministre de l’intérieur, ne se rend pas bien compte lui-même de la portée de l’amendement. La mesure la plus naturelle serait de retarder la discussion générale ; cependant je ne veux point proposer de délai bien qu’il faille reconnaître que la discussion générale perdra une partie de ses fruits par les circonstances que cet amendement n’a pas pu être médité.
M. le ministre de l’intérieur propose cet amendement comme un changement de rédaction ; ce sont ses expressions, si je l’ai bien entendu. Si réellement il ne s’agit que d’un changement de rédaction, cela ne doit avoir qu’une faible influence sur la discussion générale, mais encore faudrait-il savoir quel sera le sens de l’art. 21. M. le ministre de l’intérieur, dans le discours écrit qu’il a lu hier, a dit les paroles suivantes :
« En se retirant, le clergé peut rendre impossible l’existence légale de l’école.
« Il se retirera ou menacera de se retirer chaque fois qu’il ne sera tenu aucun compte ou plutôt quand on persistera à ne tenir aucun compte de ses indications. »
« Ce droit du clergé est très grand, sans doute, mais il dérive de l’indépendance de la position que lui fait la constitution de 1831 ; c’est un droit d’abstention qu’il est impossible de lui dénier. »
Ces paroles sont extrêmement claires, et d’après toutes les explications qui ont suivi, il est évident que l’art. 21 avait cette portée que le clergé, en refusant son concours, ferait tomber l’école. Maintenant la véritable question, quant à l’amendement, c’est de savoir si le clergé conserve ce droit, si le clergé, en se retirant, peut faire tomber l’école.
Puisque personne n’a demandé la parole, je ne veux point laisser clore la discussion générale sans y prendre part ; mais je demanderai à la chambre la permission de ne point entrer dans l’examen de cet amendement avant que d’avoir eu le temps de l’examiner avec maturité et comme beaucoup des choses ont été dites hier sur l’art. 21, que tout le monde n’y renonce pas encore, je considérerai la loi comme étant encore telle qu’elle nous a été présentée.
Messieurs, je me félicite du délai qui nous a été si difficilement accordé pour examiner la loi pendant quelques jours, et je vous avouerai que la seule étude du texte de la loi m’a pris beaucoup de temps. J’ai été longtemps avant de pouvoir me rendre la portée de la loi ; je la trouve singulièrement obscure, et je crois que presque tout le monde, dans les deux opinions, s’est trouvé dans le même cas que moi. Jugez-en d’abord par ce qui s’est passé en dehors de cette enceinte ; vous avez vu, messieurs, que dans les deux opinions la presse a hésité longtemps avant de savoir quelle opinion elle devait se faire de la loi ; ainsi, pendant quelque temps, la presse libérale a cru qu’elle n’avait à voter dans la loi que l’art. 5 ; de l’autre part, ce n’est que depuis quelque temps que, grâce à l’obscurité de la loi, on l’a trouvée fort insuffisante, et que l’on s’est prononcé contre elle d’une manière fort énergique.
C’est, messieurs, qu’en effet, sans une étude très minutieuse des paroles employées par les auteurs de la loi, elle est, sous plusieurs rapports, quant à sa portée générale, une véritable énigme. Dès le début de la discussion d’hier, je me suis aperçu que plusieurs membres de cette chambre ne comprenaient pas la loi comme moi. La surprise qu’ont excitée les explications de M. le ministre de l’intérieur sur l’art. 21 a fait ressortir d’avantage encore ce qu’il y a d’obscur, d’équivoque dans le langage de la loi.
Pour moi, messieurs, ces explications ne m’ont rien appris ; j’avais très bien pénétré le sens de l’art. 21 tel que M. le ministre l’a interprété hier dans son premier discours et dans ses explications ultérieures ; je crois même que sous certains rapports, une partie de la loi serait un non-sens, si telle n’était pas la portée de l’art. 21.
Ce point n’est que partiellement éclairci aujourd’hui ; je pense que la discussion en éclaircira plusieurs autres encore qui ont aussi leur importance. Je me bornerai à exposer tout ce que je suis parvenu à comprendre du système et de la portée du projet de loi, en le comparant au système du projet de loi présenté en 1834.
Messieurs, trois membres de la commission nommée en 1834, par M. le ministre de l’intérieur de cette époque pour rédiger ce dernier projet, font encore partie de cette chambre. Je suis un de ces membres, les deux autres sont les honorables MM. de Theux et de Behr ; je regrette beaucoup que des motifs graves, sans doute, retiennent l’honorable M. de Theux loin de ces débats.
Le projet de loi a été adopté en 1834, à l’unanimité, par la commission dont nous faisions partie. Ce projet tout entier est autant l’ouvrage d’un membre que d’un autre, autant l’ouvrage de MM. de Theux et de Gerlache que celui de M. de Behr, de moi et des autres membres de la commission. Je suis donc fondé à croire que si l’honorable M. de Theux se trouvait présent, il défendrait avec moi le projet de loi de 1834 ; et ses efforts auraient probablement dans une partie de l’assemblée plus de chances de succès que les miens. Ce projet, comme je viens de le dire, a été adopté à l’unanimité de la commission ; c’était une véritable conciliation, une conciliation presque inspirée, quoique facilement obtenue au sein de la commission. Aussi, et j’avoue que je ne connais ce fait que depuis peu de temps, la majorité des sections de la chambre ont adopté à cette époque toutes les dispositions principales du projet de loi de 1834 ; et cependant la composition de la section centrale, nommée par les sections, doit vous prouver combien une seule des deux opinions qui partagent la chambre prédominait dans les sections. C’est un fait important qui n’est parvenu à ma connaissance que par le rapport de l’honorable M. Dechamps et que j’ai cru devoir signaler à la chambre.
C’est donc, messieurs, au sein de la section centrale elle-même qu’est née la grande opposition qu’a rencontrée le projet de 1834 ; et probablement cette opposition est venue en grande partie de M. le rapporteur lui-même.
Vous savez, messieurs, ce qui a suivi cette opposition ; vous savez qu’elle s’est manifestée par un procédé inouï dans les fastes législatives d’un gouvernement représentatif, par un séquestre de 8 ans mis sur un projet de loi.
Messieurs, chaque année, je n’ai cessé de réclamer contre ce retard ; je l’ai fait souvent dans les termes les plus modérés, les plus bienveillants ; j’ai signalé chaque année, depuis 1834, le tort que la section centrale, par un procédé pareil, faisait à l’opinion qu’elle représentait ; je lui ai dit plus d’une fois comment elle nuisait ainsi à la force de cette opinion, comment elle éloignait et blessait ceux-mêmes qui, dans la rédaction du projet, avaient fait preuve de leurs dispositions conciliantes. Il faut reconnaître que c’était mal préparer cette modération à laquelle on fait aujourd’hui appel dans les discours, et que je voudrais voir aussi dans les actes.
Quelles étaient, en 1834, les tendances des diverses opinions au rejet de l’instruction primaire ? quelles étaient leurs craintes ? quelles étaient leurs-prétentions
Personne, messieurs, à cette époque, et j’aime à vous le rappeler, quoique la chose paraisse peut-être à peine croyable aujourd’hui, personne à cette époque n’avait contesté à l’autorité civile son indépendance dans les écoles du pouvoir civil. On se souvenait encore, à cette époque, des luttes qui avaient eu lieu, sous l’ancien gouvernement, en faveur de la liberté d’enseignement.
Alors, messieurs, on avait réclamé comme seul droit la faculté pour les particuliers d’ouvrir des écoles ; le droit invoqué n’allait pas au-delà. Jamais, je pense, ni dans cette chambre, ni dans la commission, ni au dehors, on n’avait réclamé comme droit l’intervention, la suprématie du clergé dans les écoles du pouvoir central. Avant 1830, comme de 1830 à 1834, on invoquait la liberté d’enseignement pour les particuliers ; mais on n’avait pas contesté à l’autorité civile le pouvoir suprême dans ses propres écoles. Personne, à cette époque, messieurs, n’avait fait entendre que la direction des écoles du pouvoir civil appartenait de droit divin au clergé ; personne, à cette époque, messieurs, n’avait élevé des prétentions, n’avait tenu un langage digne d’autres temps, digne du moyen-âge ; il n’était venu encore, que je sache, à l’esprit de personne de demander même que les membres du clergé fussent considérés comme des fonctionnaires publics dans l’instruction ; je ne sais pas même si l’on ne se serait pas révolté alors contre l’idée d’imposer par la loi des devoirs au clergé, quant à l’instruction ; si l’on n’aurait pas trouvé que les membres du clergé devaient être considérés comme de simples citoyens, et qu’on violait leurs droits en agissant autrement.
A peine avait-on demandé que le clergé eût la direction de l’enseignement religieux dans les écoles du pouvoir civil ; je ne sais même si cette précaution avait été nettement formulée ; je dis l’enseignement religieux, car il n’était pas encore non plus venu alors à l’esprit de ceux qui parlent dans un autre sens aujourd’hui, de réclamer pour le clergé seul l’enseignement de la morale, de dire que le clergé non seulement doit avoir le monopole de l’enseignement de la religion, mais encore celui de l’enseignement de la morale ; de dire implicitement que le laïque est incompétent pour l’enseignement moral des enfants.
Je ne sais si vous avez remarqué, messieurs, dans toutes les dispositions de la loi nouvelle cette adjonction du mot moral au mot religion ; cette incompétence de l’instituteur laïc non seulement en matière religieuse, mais même en matière morale ; il semblerait que ce n’est que de par l’autorité ecclésiastique que le maître d’école peut apprendre aux enfants à ne pas mentir et à respecter leurs parents.
Quelle était donc à cette époque la dissidence, la différence principale des deux opinions ? La voici :
Les uns voulaient donner une action plus forte, plus étendue au pouvoir central ; les autres se bornaient à demander une action plus indépendante pour l’autorité communale. Là était la dissidence, là était le terrain du débat. La discussion était entre le pouvoir central et le pouvoir communal. Les extrêmes voulaient, les uns, que tout dépendît du pouvoir central, les autres, que tout fût abandonné au pouvoir communal, sans aucune intervention de la province ou de l’Etat. Mais pas une voix, que je sache, dans la commission n’alla au-delà ; pas une voix ne demanda que les ecclésiastiques fussent investis de fonctions quelconques dans l’enseignement, si ce n’est pour diriger l’enseignement de la religion ; et si le projet de loi de 1834 contient une disposition où il est dit que le curé fait partie de la commission locale de surveillance près de l’école, ce n’est pas que cette disposition eût été réclamée par l’opinion catholique, mais c’est que nous avons trouvé la disposition dans la loi française, nous l’avons jugée utile et nous l’avons adoptée, et je ne me rappelle pas si cette disposition a rencontré plus de sympathie dans la commission chez les membres appartenant à l’opinion libérale. Vous voyez, messieurs, que depuis lors les opinions, les prétentions ont bien changé.
Quoi qu’il en soit, quel système adopta la commission de 1834 ? Je crois pouvoir, messieurs, l’exposer en très peu de mots ; je m’efforcerai d’y mettre beaucoup de clarté, car probablement, je le crois, une grande partie de la chambre ne connaît pas ou connaît imparfaitement le projet de loi de 1834. En effet, on a traité ce projet avec tant de rigueur, qu’après l’avoir tenu pendant 8 ans dans les cartons, on n’avait pas même fait réimprimer les motifs de ce projet, que cependant un grand nombre des membres de cette chambre ne possédaient pas. M. le ministre de l’intérieur, qui avait fait une collection de documents très intéressants, avait oublié, involontairement, sans doute, d’y comprendre l’exposé des motifs de la loi que nous discutons. Par un second malheur, le texte du projet que la section centrale vous a soumis, contient en marge les dispositions du projet de loi de 1834, mais l’ordre des articles est tellement interverti qu’il faut une étude très attentive pour en démêler le système. Enfin, par un troisième malheur, les sections ont délibéré sur ce projet, mais M. le rapporteur a cru ne pas devoir faire mention des délibérations des sections dans son rapport, et ce n’est que dans un espèce de post-scriptum rejeté à la fin du travail, qu’on trouve les délibérations des sections, mais resserrées dans un cadre si étroit, qu’il est extrêmement difficile de s’en rendre compte. Une ligne donne l’opinion d’une section.
Enfin telle est la fatalité qui poursuit ce projet, qu’hier M. le ministre de l’intérieur, en faisant un parallèle entre les deux projets de loi, a tout à fait défiguré celui de 1834, et l’honorable rapporteur se mettant à l’unisson avec lui, a prêté à la loi de 1834 des dispositions qu’elle ne contient pas.
Permettez-moi de vous exposer le caractère de ce projet qui a concilié toutes les opinions, non seulement dans la commission, mais jusqu’à certain point dans la majorité des sections.
Nous sentîmes tous dans la commission nommée par le ministre de l’intérieur de cette époque, qu’il était impossible de donner au pouvoir central l’action étendue et presque sans limite qu’avait le pouvoir hollandais sur l’instruction. Nous étions pénétrés tous, sans exception, du mal que le gouvernement hollandais avait fait à l’instruction primaire, tout en voulant l’avancer. Les préventions contre le pouvoir central en cette matière étaient très vives, étaient extrêmes. D’autre part nous sentîmes aussi dans la commission qu’on ne pouvait pas donner complètement raison à l’opinion contraire dans ce qu’elle avait d’extrême, à l’opinion qui voulait abandonner aux communes, même les plus pauvres, même les moins instruites, sans contrôle, sans garantie aucune, le choix des instituteurs et le sort de l’enseignement. Messieurs, cette opinion, qu’il est impossible d’abandonner purement et simplement aux communes les plus pauvres, le choix des instituteurs, était très forte, très partagée par les diverses opinions dans la commission. Je me permettrai, à cet égard, de rapporter les paroles d’un membre de la commission, homme très haut placé dans la confiance de l’opinion catholique, et qui a rendu des services signales à l’opinion catholique ; je me rappelle ces paroles comme si je les avais entendues hier :
« J’ai été membre d’une commission d’inspection de l’instruction primaire, et je dois dire que si on abandonnait aux autorités communale des campagnes le choix des instituteurs et la direction de l’enseignement, il ne faut point compter sur une bonne instruction primaire. »
Cette opinion qu’il était impossible d’abandonner à l’autorité communale, dans les campagnes, la nomination sans contrôle des instituteurs a été celle de la commission.
Il fallait donc concilier ces diverses difficultés, il fallait concilier les intérêts de l’enseignement primaire avec la satisfaction à donner aux défiances qui existaient contre le pouvoir central, et en même temps aussi avec les libertés communales qui partout à cette époque avaient des défenseurs très chaleureux. Que fit la commission ? Elle adopta un système de conciliation qu’elle crut de nature à satisfaire à toutes les exigences. Elle fit la part du pouvoir central, c’était celle-ci : la direction des écoles normales, elle en créait trois dans le pays, et, la direction dans les écoles primaires modèles, une dans chaque arrondissement judiciaire. Telle était la part du pouvoir central.
Que devenaient les autres écoles ? Fallait-il les abandonner à l’autorité communale ? Fallait-il que dans les plus pauvres villages, là où il existe le moins d’instruction, les autorités communales fussent juges suprêmes de l’aptitude de l’instituteur ? Nous ne le crûmes pas, et par les raisons que je vous ai exposées.
Voici le système de transaction qu’adopta la commission : Partout où les communes étaient assez riches pour subsidier elles-mêmes leurs écoles, partout où l’on ne recevait de secours ni de la province, ni de l’Etat, liberté complète de nomination des instituteurs et de direction de l’enseignement ; là où les communes ne peuvent pas suffire aux frais de l’enseignement, là, en d’autres termes, où les communes reçoivent des subsides, soit de la province, soit de l’Etat, les écoles sont considérées mixtes et elles entrent sous le régime de la loi.
Messieurs, en rangeant les écoles communales proprement dites, les écoles non subsidiées par la province ou par l’Etat, sous la direction de la commune, sans intervention de la province ni de l’Etat, la commission faisait une concession à l’opinion catholique qui, à cette époque, désirait que les écoles primaires fussent le plus possible soumises à l’autorité communale seule.
Que fîmes-nous pour les écoles mixtes ? Nous ne les fîmes pas régir par le pouvoir central, contre l’intervention duquel tant de préventions s’élevaient. Nous eûmes recours à une autorité intermédiaire entre la commune et l’Etat ; nous créâmes à cet effet une commission nommée par le conseil provincial.
Pour toutes les écoles subsidiées par la province ou l’Etat, nous avons admis dans la nomination des instituteurs et la direction de l’enseignement l’intervention de l’influence d’une commission provinciale se combinant avec celle de l’autorité communale. Voilà le trait caractéristique du système de la loi de 1834.
Cette commission provinciale intervenait dans la nomination des instituteurs des écoles subsidiées, on ne laissait pas les communes pauvres, les communes peu éclairées maîtresses de prendre un homme incapable. Dans toute commune recevant un subside pour ses écoles, l’autorité devait nommer, dans une liste triple de candidats, de la capacité et de la moralité desquels la commission provinciale, qui les présentait au choix de la commune, avait mission de s’assurer.
Voilà, messieurs, le caractère principal du projet de loi de 1834. La commission avait à cœur la prospérité de l’instruction primaire. Elle savait qu’on était forcé de faire une part restreinte au pouvoir central, elle lui a donné les écoles normales et les écoles modèles ; elle savait qu’il fallait aussi faire la part des autorités communales, elle leur a abandonné la direction de toutes les écoles non subsidiées par la province ou par l’Etat. Mais aussi elle a senti qu’il fallait faite la part des progrès du bien-être de l’enseignement primaire et, par conséquent, on ne pouvait pas abandonner sans contrôle à toutes les communes la nomination des instituteurs qui très souvent eussent été incapables.
Cc système, je le crois encore, est sage, conciliateur, je crois qu’on n’a rien découvert de mieux approprié à l’état du pays depuis lors. Cc système rassurait toutes les défiances quelque peu légitimes et même celles qui ne l’étaient pas. Dans ce système un grand rôle est donné à l’autorité provinciale, à la commission nommée par cette autorité modérée, administrative, habituée à contrôler les communes et la moins politique peut-être de toutes les autorités qui existent dans le pays.
D’ailleurs, on prescrivait que la direction de l’enseignement religieux appartenait aux ministres du culte. On admettait le cure dans la commission de surveillance communale, on reconnaissait aussi que son concours était utile, qu’il pouvait éclairer le comité de ses conseils. Cependant, dans ce système, si le curé se retirait, s’il était en dissentiment avec la majorité de la commission, il ne faisait pas, par sa seule absence, tomber l’école ; il n’avait pas droit de vie et de mort sur l’école, il n’avait pas de pouvoir absolu sur l’instruction primaire.
Ainsi que je vous l’ai dit, bien que les délibérations des sections soient très laconiquement rapportées, à la fin du travail de M. Dechamps, vous pourrez reconnaître que les principales dispositions du projet, cette division d’écoles communales, proprement dites, et d’écoles mixtes, l’intervention de l’autorité provinciale dans les écoles mixtes, ont obtenu l’assentiment de la majorité des sections.
Messieurs, j’attache une très haute importance à cette intervention d’une autorité provinciale dans la pratique de l’enseignement primaire.
Dans cette loi, prenons garde de nous laisser absorber par la question politique. Si vous voulez le progrès de l’enseignement primaire, soyez persuadés, comme la commission de 1834, que vous ne pouvez pas abandonner à toutes les communes, dans les campagnes, la nomination pure et simple sans contrôle de leurs instituteurs. Si vous voulez faire quelque chose pour la prospérité de l’instruction primaire, c’est là qu’il faut porter la main ; j’ajouterai que les faits ont confirmé l’opinion de la commission de 1834. La confiance qu’elle a placée dans l’autorité provinciale a été justifiée par la conduite de cette autorité. En effet, s’il s’est fait des progrès quelque part dans les écoles primaires du pouvoir civil, n’est-ce pas d’un côté dans celles des communes les plus riches, et des l’autre dans celles auxquelles l’intervention de l’autorité provinciale est parvenue à donner une impulsion.
Je sais que l’honorable rapporteur de la section centrale est aujourd’hui ennemi des comités. Il prétend que les comités ne font rien, ne peuvent rien faire. Il cite l’exemple de la France où, suivant lui, ils ont peu fait. Je ne suis peut-être pas aussi instruit que lui sous ce rapport, mais je sais que depuis quelque temps l’instruction primaire s’est beaucoup étendue en France. Si les comités ne sont pas très actifs, on sait cependant qu’en Allemagne, en Prusse, toute l’instruction primaire dépend de comités appelés consistoires provinciaux, et qu’il n’y a pas de pays où l’instruction primaire marche plus progressivement qu’en Prusse. Je sais que l’honorable membre n’a pas présenté les choses de cette manière. Mais ses renseignements sont loin d’être complets. D’après lui, l’instruction primaire en Prusse ne dépendrait, pour ainsi dire, que du clergé, l’autorité qu’il cite est M. cousin ; or, d’après M. Cousin, il est bien vrai que dans une sphère inférieure le clergé exerce son influence sur l’enseignement primaire, mais il n’en est pas moins vrai que, d’après M. Cousin lui-même, l’instruction primaire dépend en définitive du gouvernement en Prusse et qu’elle est tout entière sous l’action ministérielle ; ce sont, je crois, ses propres expressions.
Je dirai qu’en Belgique même le système des comités, dont je ne suis pas d’ailleurs partisan exclusif, a produit quelques bons résultats. (Ce n’est pas précisément à cette forme collective de comités, c’est à leur origine que j’attache de l’importance.) Où l’instruction primaire prend-elle de l’extension, en Belgique ? Dans les grandes communes, où les écoles sont dirigées par des comités communaux. Les députations permanentes, qui ont pris des mesures utiles à l’enseignement ne sont pas autre chose que des comités. Que fait le projet de loi, lui-même, sinon constituer un comité ? Qu’est-ce que les inspecteurs cantonaux, sinon des comités provinciaux dont chaque membre a des attributions cantonales ?
Après avoir exposé le système du projet de loi de 1834, je passe au nouveau projet.
Quels que soient les sentiments que m’ait fait éprouver pendant 8 ans la conduite de la section centrale, ils ne me feront pas abandonner les principes modérés que je professais dans la commission de 1834. Si, dans d’autres rangs, on répudie aujourd’hui les opinions de cette époque, pour moi, je veux encore ce que je voulais alors, ce que je voulais avec MM. de Gerlache et de Theux ; qu’on complète le projet en conservant le système qu’il consacre, je ne m’y oppose pas, mais pour moi, je m’en contente ; je ne désire ni plus ni moins.
Je désire le concours du clergé dans l’instruction primaire. J’ajouterai même que si j’avais à agir administrativement, je pourrais aller plus loin que le projet de loi de 1834, parce qu’en administration on ne confère pas de droit, parce qu’en administration on peut révoquer le lendemain, s’il y a abus, ce qu’on a concédé la veille. Je désire le concours du clergé. Je ne me borne pas à des paroles. Outre le projet de 1834, je pourrais invoquer mes précédents administratifs, que j’ai déjà eu l’occasion de rappeler ici, comme membre d’un conseil communal et d’un comité d’instruction communale. C’est à mon initiative qu’est due la reprise de l’enseignement religieux dans un collège où il avait été longtemps abandonné. Je pourrais dire que dans le choix des professeurs, dans toutes les mesures réglementaires d’instruction auxquelles j’ai été appelé à prendre part, comme conseiller communal ou comme membre du comité d’instruction, j’ai toujours eu les plus grands égards pour tous les avis sages, raisonnables qui venaient ou auraient pu venir du clergé. Je dirai plus : chaque année, comme membre du conseil communal, je vote un subside pour l’école des frères de charité, qui est en concurrence avec les écoles de la ville. Je blâmerais, dans les écoles un système d’hostilité contre le clergé ; je le blâmerais comme contraire à l’ordre social, comme pernicieux, comme absurde. Je désire donc le concours du clergé ; mais j’ajouterai que je le désire à des conditions raisonnables ; je ne le veux pas à tout prix. Vous désirez l’influence de la religion dans les écoles du peuple ; vous en sentez toute l’importance. Mais vos vœux ne se bornent sans doute pas là. Vous voulez aussi l’influence de la religion dans les familles, dans les ménages du peuple. Est-ce à dire pour cela que vous vouliez donner au clergé la domination de la famille, un pouvoir absolu sur le ménage. Si, après que la loi aura établi des conditions raisonnables, le clergé refuse son concours, ma conscience est à l’aise ; à lui la responsabilité. Je n’y puis rien ; je ne puis faire le mal pour amener le bien.
Je ne veux pas que l’autorité religieuse ait un pouvoir absolu sur les écoles ; je ne veux pas qu’une école puisse être détruite par les caprices ou par des exigences injustes de l’autorité religieuse.
Les membres du clergé sont très respectables en général ; mais ils sont hommes ; ils font partie d’un corps. Comme hommes, comme membres d’une corporation, ils sont sujets à des erreurs, à des passions. L’histoire le montre, et quand nous n’aurions pas l’histoire, il y a dans le temps présent quelques fautes qui nous le démontreraient. Je ne puis soumettre mon pays à toutes les chances de ces erreurs. Nous avons fait une constitution ; nous avons fait une multitude de lois contre les fautes de l’autorité civile. Mais il n’y a pas de constitution, il n’y a pas une disposition de loi contre les fautes de l’autorité religieuse. On cite des pays où l’autorité ecclésiastique exerce une grande influence sur l’instruction. Mais on oublie de dire que dans ces pays le clergé est dans une positon subalterne, qu’il agit dans la sphère du pouvoir et sous le pouvoir. Dans certains pays qu’on cite, son intervention dans l’instruction, loin d’être considérée comme un droit indépendant, est un devoir qu’on lui impose, un devoir auquel il n’a pas le droit de se soustraire.
Pour dire mon opinion tout entière sur la matière qui nous occupe, j’avancerai que, sur l’importance de l’instruction primaire, je ne partage pas entièrement l’opinion qui semble adoptée aujourd’hui dans des rangs très opposés. Je ne crois pas que l’instruction primaire, telle au moins qu’à cette époque on peut la donner dans la plupart des communes de la Belgique, ait tout à fait le degré d’importance politique ou religieuse qu’on semble lui assigner. Je crois qu’on exagère quelque peu, sous ce rapport, ce qu’on en peut craindre et ce qu’on en peut espérer. Je ne pense pas que si tous les habitants de nos campagnes savaient lire, la Belgique serait par cela seul montée au faîte de la civilisation. La civilisation d’un pays vient d’en haut, bien plutôt qu’elle ne remonte d’en bas. Je crains peu aussi que les écoles primaires puissent devenir irréligieuses Quelle que soit la loi, l’instruction primaire sera religieuse par la force des choses, par la force de l’opinion Toutefois sans attacher sous tous les rapports ce degré suprême d’importance à l’enseignement primaire, je le regarde comme l’objet d’un des premiers devoirs du gouvernement. Dans l’état actuel de la civilisation, il n’y a, en quelque sorte, que les sociétés à demi barbares que ce soin ne préoccupe pas
Quel est aujourd’hui l’état de l’instruction primaire en Belgique ? Ce serait une question très intéressante à résoudre, mais malheureusement très difficile. M. le ministre de l’intérieur nous a donné beaucoup de détails statistiques. Je voudrais qu’ils fussent tous bien certains, bien concluants. D’après son rapport, il y a aujourd’hui un individu sur neuf qui fréquentent les écoles. Je crois qu’on estime en Allemagne la population en âge de suivre les écoles au sixième de la population totale. Si nous avons un écolier sur neuf habitants, il s’ensuivrait que sur trois habitants deux savent lire. Mais ces renseignements, malheureusement nous ne pouvons pas y avoir une confiance entière, Il y a en Belgique un très grand nombre d’institutions privées où l’autorité n’a aucun moyen de contrôle pour la vérification du nombre des élèves. Vous concevez que les instituteurs à qui on s’adresse ne diminuent pas en général le nombre de leurs élèves quand ils en parlent. Il y a en outre dans les campagnes des écoles fréquentées seulement pendant quelques mois de l’année. Les états statistiques ne peuvent tenir compte de cette circonstance. Il y a de plus un grand nombre d’écoles communales. Quelquefois elles sont comprises dans les renseignements statistiques, quelquefois elles ne l’y sont pas. Vous savez que ce sont des écoles fréquentées seulement le dimanche pendant quelques heures par les élèves.
La députation permanente de la Flandre occidentale donne chaque année, dans l’exposé de situation de la province, le nombre des élèves qui fréquentent ces écoles, mais elle reconnait qu’il est difficile de s’en rapporter entièrement à ces renseignements. Voici ce que je lis dans le rapport de 1841 :
« Quelque satisfaisantes que puissent paraître ces données, il ne faut pas en inférer que l’instruction primaire soit en voie de progrès. Le défaut d’instituteurs capables ; l’absence de bonnes méthodes d’enseignement, voilà les circonstances qui empêchent en partie le succès des louables efforts que l’on ferait pour propager le bienfait de l’instruction.
« Vous n’ignorez pas que les relevés statistiques ne sont pas des preuves tout à fait concluantes du plus ou moins de prospérité de l’instruction publique. D’ailleurs nous sommes loin de pouvoir garantir l’exactitude des chiffres posés plus haut : ils ne sont que le résultat des indications données par les autorités locales qui toutes n’apportent pas dans la formation des tableaux la même exactitude et la même attention. Les uns assimilent aux écoles communales les ateliers de travail ; d’autres comprennent dans leurs relevés les écoles dominicales, tandis qu’ailleurs ou ne les considère pas comme des établissements d’instruction primaire. »
Voilà ce que dit la députation de ma province sur ces données statistiques. Voici encore ce qu’elle disait à cet égard l’année précédente sur les instituteurs, sur l’état de l’instruction :
« Beaucoup d’instituteurs nommés depuis la révolution sont choisis, il faut bien le reconnaître, plutôt par des considération de faveur qu’en récompense de leur zèle et de leurs connaissances. D’autres, qui se signalent par leur mérite, placés sous le coup de la toute-puissance des conseils communaux, sont exposés, chaque année, à se voir enlever leurs moyens d’existence, par un vote injuste ou capricieux. Des hommes capables et d’une conduite régulière ont préféré quitter la carrière de l’enseignement et ont été remplacés par des instituteurs moins dignes et moins éclairés.
« Les moyens que nous avons à notre disposition pour porter remède au mal sont inefficaces, Il est plus que temps que le législateur donne ses soins à un objet d’un intérêt aussi majeur. »
Je n’ai pas pu vérifier les autres exposés de situation pour les diverses provinces du royaume ; mais vous voyez que nous devons mettre certaine réserve dans l’opinion que nous nous formons sur les données statistiques qui nous sont communiquées.
Il y a dans le rapport de M. le ministre de l’intérieur un document qui a un caractère peut-être plus certain. M. le ministre donne pour quatre provinces le relevé des miliciens de 1841 et de 1837 qui savent lire et écrire. Jusqu’à un certain point ceci est un résultat. Nous n’avons plus là des enfants qui vont à l’école, mais des hommes faits qui y ont été et dont on cherche à constater le savoir.
Or, voici ce qu’il résulte de ce rapport, de ces chiffres pour 1841. Pour mieux vous faire apprécier les effets de l’instruction primaire, je donnerai le nombre d’hommes qui savent à la fois lire, écrire et compter. Ce n’est pas être trop exigeant que d’appeler cela l’instruction primaire. Dans la province d’Anvers, sur 100 miliciens 22 seulement savaient en 1841 lire, écrire et compter. Dans la province de Brabant, 31 seulement sur 100 savaient lire, écrire et compter ; dans le Limbourg, 20 seulement sur 100 ; dans la province de Namur qui est celle où il y a le plus d’instruction, 31 sur 100.
Vous voyez, messieurs, que c’est peu ; cela fait, pour quelques provinces, moins d’un tiers, quelquefois seulement le cinquième. Et cependant il y a tout lieu de croire que ces chiffres mêmes sont exagérés. Car comment se les procure-t-on ? Vous comprenez que ce n’est pas. en faisant subir à chaque individu un examen minutieux ; je ne crois pas que le bourgmestre ou le conseil de milice procède à un examen de ce genre. On demande sans doute à l’individu : savez-vous lire, écrire et compter ? Et comme on n’aime guère à confesser son ignorance, dans les cas douteux, la réponse sera plutôt affirmative que négative ! Il est donc très probable que les chiffres que je viens de citer vont encore au-delà de la vérité. Vous avouerez que cette situation de l’instruction primaire en Belgique n’est pas bien brillante ; s’il n’y a que trente jeunes gens et quelquefois même vingt sur cent qui sachent lire, écrire et compter on peut dire que l’instruction primaire n’est pas en état de prospérité, et qu’il reste des efforts à faire pour ses progrès.
On fait à la vérité, dans le rapport, la remarque qu’il s’agit des miliciens de 1841, et que par conséquent, ce sont les jeunes gens qui ont suivi les écoles pendant les années 1831 à 1836 ; mais si on a recours aux tableaux statistiques, on verra que, pour l’époque de 1831 à 1836, ils ressemblent beaucoup à celles de 1836 à 1841 ; car si aujourd’hui on compte dans les données statistiques un habitant sur 9 élèves d’école, on en comptait de 1831 à 1836 1 sur 10, voyez que les choses ne peuvent être fort différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient alors.
Si on demande pourquoi, ayant un si grand nombre d’écoles, un si grand nombre d’élèves qui les fréquentent, l’instruction primaire a eu de si faibles résultats, ce doit être parce que l’enseignement est mal donné, parce que les instituteurs sont peu capables ou que les méthodes laissent à désirer. Je crois, quant à moi, qu’une partie du mal peut être attribuée aux nombreuses écoles privées qui existent dans les villages, et dans lesquelles l’instruction est insuffisante.
Je laisse à l’examen du projet. Quel en est le système ? quelle part fait-il à chaque pouvoir dans le système général qu’il propose ?
On a dit souvent avec raison que l’instituteur, c’est presque tout l’enseignement. La nomination de l’instituteur est donc la chose plus importante dans l’instruction primaire. A qui le projet abandonne-t-il la nomination des instituteurs primaires ? à l’administration des communes, quelles qu’elles soient, sans contrôle d’aucune espèce de la part d’aucune autre autorité civile ou sans aucune garantie. Le conseil communal de la plus pauvre commune peut nommer comme instituteur le premier venu, et comme le disait, ainsi que j’ai eu l’honneur de le lire tout à l’heure, une députation de province, cet instituteur pourra être nommé par faveur, non en raison de son mérite, de son aptitude. N’importe ; le projet accorde dans tous les cas à la commune, si petite, si pauvre, si peu éclairée qu’elle soit, la nomination de l’instituteur. Vous voyez, messieurs, qu’il y a une différence très grande entre la loi actuelle et la loi de 1834. Pour l’avenir de l’instruction primaire, je regarde cette différence commue extrêmement importante, comme radicale. L’influence provinciale est tout d’un trait exclue de l’instruction primaire par le nouveau projet. Et cependant, messieurs, je le répète, s’il est une influence modératrice, une influence sage ; s’il est une influence non politique qui a mérité la confiance en cette matière, c’est le pouvoir provincial.
On crée à la vérité deux inspecteurs, un inspecteur civil, et parallèlement un inspecteur ecclésiastique. Mais, messieurs, qu’est-ce que cet inspecteur civil ? Jamais loi n’a créé un pareil fantôme de pouvoir. Quelles sont les fonctions de cet inspecteur nommé par le gouvernement du Roi ? La loi dit qu’il se met en rapport avec la commune ; il visite l’école, il tient note de la capacité des instituteurs. Mais que fait-il s’il trouve certains instituteurs incapables ? La loi lui dit de réunir les instituteurs pour les exciter, pour les provoquer à des améliorations. Mais s’ils ne veulent pas, si ces excitations demeurent sans résultat, que fait-il ?
L’inspecteur est cantonal, et tous les inspecteurs cantonaux se réunissent sous un inspecteur provincial. Mais l’inspecteur provincial que fait-il ? Il visite les inspecteurs cantonaux, et puis il fait des rapports au ministre. Les inspecteurs provinciaux se réunissent auprès du ministre et pourquoi ? Pour provoquer des améliorations. Et si on ne suit pas ces améliorations ?... néant ! rien ! C’est un pouvoir qui a la faculté d’ouvrir les yeux, d’écrire, et puis de se croiser les bras. Et voilà pourquoi on fait intervenir la province..
A côté de cet inspecteur paraît l’inspecteur ecclésiastique. Celui-là, on lui donne d’abord la mission d’approuver les livres. On ne peut enseigner que dans des livres approuvés par l’inspecteur ecclésiastique. On croirait après cela que ce serait chose bien naturelle, bien inoffensive que de laisser approuver aussi les livres par l’inspecteur civil. Non, c’est à l’inspecteur ecclésiastique seul que ce pouvoir est réservé.
Messieurs, nous avons entendu hier ce que l’art. 21 faisait de l’inspecteur ecclésiastique ; nous verrons demain ce que le nouvel amendement veut en faire ; Mais toujours est-il que l’art. 21 expliqué hier par M. le ministre, donnait à l’inspecteur ecclésiastique un droit absolu sur l’école, c’est-à-dire qu’aussitôt que celui-ci se retirait, l’école devait tomber ; la commune elle-même ne pouvait plus accorder de subside à sa propre école.
Mais désormais, vous dit-on, il y aura concordance parfaite, nous serons dans la plus parfaite unanimité ; nous voudrons tout ce que le clergé voudra, et le clergé voudra tout ce que nous voudrons ; nous allons, à partir de la loi, entrer dans une harmonie complète. Messieurs, il y a malheureusement des antécédents. Vous savez qu’un membre de l’épiscopat, à la franchise duquel je rends hommage, a érigé en principe que le clergé ne pouvait accorder son concours à une école que là où il participait à la nomination des instituteurs. N’est-il pas certain que ce membre de l’épiscopat doit dans son diocèse, sous peine de se donner un démenti à lui-même, refuser son concours, là où il ne participe pas à la nomination de l’instituteur ?
Vous en doutez, je vois qu’on fait un signe négatif. Je tiens en main une brochure qui passe généralement pour être plus ou moins soumise à l’influence de l’honorable membre de l’épiscopat dont je viens de parler. Et qu’est-ce que je lis à propos de la discussion du projet qui nous occupe, dans un article que plusieurs personnes croient pouvoir attribuer à l’auteur des vrais Principes en matière d’instruction, J’y lis :
« On remarque dans tout le projet la prépondérance exclusive du pouvoir civil. C’est lui qui règle tout, qui exécute tout. Avec cette absence d’action légale efficace de la part du pouvoir ecclésiastique, on verra bientôt que les ministres du culte catholique seront forcés, surtout dans les villes où le pouvoir civil n’est rien moins que favorable au clergé, d’abandonner la surveillance et l’inspection des écoles. »
Ainsi, messieurs, vous ne serez pas pris au dépourvu ; on vous a prévenus : comme il y a absence d’action légale efficace, le clergé se retirera, et des lors, si sa retraite entraîne la chute de l’école, vous voyez que vous lui aurez donné sur l’instruction primaire un pouvoir sans bornes.
Voici, messieurs, quels sont d’ailleurs les exigences de l’auteur de l’article :
« Les moyens d’avoir des écoles primaires véritablement catholiques, sont :
« 1° Que l’enseignement de la religion et de la morale (base de l’instruction) y soit donné sous la direction des ministres du culte catholique (le projet l’accorde), et que cette direction soit vraiment efficace (le projet n’en dit mot) ; que les ministres du culte catholique exercent la surveillance, quant à l’enseignement religieux (le projet l’accorde encore), mais qu’ils exercent cette surveillance d’une manière efficace et surtout à l’égard des instituteurs (le projet n’en dit mot) ; que les ministres du culte catholique et les délégués du chef de ce culte aient en tout temps le droit d’inspecter l’école (le projet l’accorde), et de prendre des mesures efficaces pour le bien-être religieux des écoles (le projet n’a dit rien) ;
«2° Que les livres employés dans l’école soient soumis à l’approbation ecclésiastique, eu ce qui concerne la morale et la religion (le projet l’accorde), et que l’autorité ecclésiastique veille efficacement à l’observation de ce point (ce projet n’en dit mot) ;
« 3° Que les instituteurs soient catholiques, catholiques de principe et de pratique. »
Et puis un peu plus bas :
« Comment s’assurer s’il est catholique (l’instituteur). Si après avoir donne des preuves de son catholicisme, il s’oublie, à qui appartient-il de le révoquer ? Et si l’instituteur n’est pas ce qu’il doit être, tous les autres moyens imaginables resteront sans fruit, ils seront nuls. »
Ainsi, vous voyez, messieurs, que ce n’est pas seulement une participation à la nomination que l’on réclame, mais que c’est aussi le droit de révocation.
Vous voyez donc que l’on a eu tort de croire qu’il y aura inaltérable harmonie une fois que le projet sera adopté, qu’aucun membre du clergé ne voudra plus autre chose que ce qui est dans le projet de loi.
Messieurs, j’ai été surpris d’entendre M. le ministre de l'intérieur dire qu’il avait complété le projet de 1834 ; qu’il avait fait au pouvoir central une part que le projet de 184 ne lui avait pas faite ; mais quelle part ? Le projet de 1834 donnait au pouvoir central trois écoles normales ; M. le ministre de l’intérieur en réduit le nombre à deux ; le projet de 1834 donnait au pouvoir central une école modèle par arrondissement judiciaire ; M. le ministre de l’intérieur réduit les écoles modèles à celles qui existent aujourd’hui. Qu’est-ce que M. le ministre de l’intérieur donne au pouvoir central ? un inspecteur sans pouvoir, une ombre d’autorité ; un inspecteur suppliant. Et que fera cet inspecteur si ses observations ne sont pas suivies ? On lui laissera probablement la ressource de se retirer ; il pourra refuser son concours, et par suite de l’article 21 les subsides seront retirés, et l’école tombera.
Ainsi, quand il y aura une école où l’instruction sera insuffisante, il restera au pouvoir central la faculté de la tuer. Voilà la part que M. le ministre de l’intérieur se glorifie d’avoir faite du pouvoir central par-delà ce qu’avait fait le projet de 1834.
Il ne manquait, messieurs, à de pareils principes que d’être érigés en doctrine, et vraiment après les discours que nous avons entendus hier sortir de la bouche d’un membre du gouvernement, il ne reste sous ce rapport plus rien à désirer ; ces discours sont dignes de figurer dans l’histoire du pouvoir en Belgique, comme preuve de la dignité de ceux qui le représentent en ce moment.
Il y a plus, messieurs, C’est que l’intervention si utile du pouvoir provincial dans la surveillance et l’administration des écoles se trouve annulée. Que devient le pouvoir provincial, qui a si peu fait pour se rendre digne d’une pareille mesure ? Il est réduit au rôle de caissier ; il paye.
Messieurs, je n’ai fait qu’esquisser les traits principaux du projet de loi. Resteront les détails, restera l’art. 5 dont je pourrai m’occuper ultérieurement, mais sur lequel je ne consens pas à concentrer toute mon attention, car toute la question n’est pas là. La question soulevée par l’art. 5 est grave sans doute, mais je le répète, toute la loi n’est pas là, et il restera à y examiner l’influence des diverses articles dont la portée n’a peut-être pas encore été aperçue par plusieurs d’entre nous : il restera à voir dans quelle position se trouveront surtout les écoles communales, à côté desquelles se trouvera une école privée dirigée par un membre du clergé qui décidera de l’existence de l’école rivale. Il restera aussi, messieurs, à voir quelle sera l’influence de l’art. 18. D’après cette disposition, les communes dont les ressources sont insuffisantes ne s’adressent pas, pour recevoir un subside, à la province, comme elles le font aujourd’hui ; avant de s’adresser à la province où à l’Etat il faut qu’elles établissent des centimes additionnels sur les contributions directes payées par leurs habitants. Vous pouvez comprendre quelle sera l’influence de cette disposition sur les écoles communales ; d’abord, si je ne me trompe, presque tous les subsides accordés aujourd’hui par les provinces ou par l’Etat sont de fait supprimés, attendu qu’il est très peu de communes qui aujourd’hui remplissent cette condition ; il faudra donc que les communes qui veulent continuer à recevoir un subside pour leurs écoles, commencent par établir les centimes additionnels sur les contributions directes. Or, tous ceux d’entre nous qui ont été membres, soit d’un conseil communal, soit d’un conseil provincial, savent quelle répugnance extrême on y rencontre, quand il s’agit d’établir des centimes additionnels. Quand une commune se trouvera placée dans l’alternative de devoir ou adopter une école privée, même mauvaise, qui se trouvera dans son sein, ou d’établir des centimes additionnels, ne voyez-vous pas quelle force la poussera à abandonner l’école communale ; ne voyez-vous pas aussi quelle force poussera les conseils provinciaux à dire aux communes : contentez-vous des écoles privées qui existent chez vous plutôt que d’établir des centimes additionnels, et de nous forcer à en établir de notre côté ?
Je ne veux pas, messieurs, prolonger cette discussion de détails ; je crois que ce que j’ai dit suffit pour faire voir qu’il y a dans le projet beaucoup de dispositions qui méritent d’être mûrement examinées, Je vous dirai franchement qu’au projet actuel, quand je l’envisage dans toute sa portée, et tel qu’il nous a été proposé par la section centrale, je préfère l’application pure et simple des principes professés dans la brochure des vrais Principes sur l’instruction primaire ; car si je vois dans ces Principes le même assujettissement de l’autorité civile à l’autorité ecclésiastique, j’y vois aussi que l’auteur de cet écrit n’a pas pensé que le législateur doive être sans souci aucun des progrès de l’enseignement. Il n’abandonne pas la nomination des instituteurs, sans garantie, sans contrôle à des hommes qui ne sont pas capables de faire de bons choix, il veut, lui, des certificats de capacité. S’il y a, de part et d’autre, le même assujettissement de l’autorité civile à l’autorité religieuse, il y a de plus dans le système du chef du diocèse de Liége certaines dispositions en faveur du progrès de l’instruction primaire qui manquent au projet de loi.
Messieurs, je m’arrête pour aujourd’hui ; j’ai seulement voulu exposer quelle est, à mes yeux, la portée des dispositions principales du projet. Les faire connaître, les dégager de ce qu’elles ont d’obscur ou d’équivoque, suffit pour les faire apprécier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne veux point anticiper sur les discussions de détails ni revenir sur le débat qu’a soulevé hier l’art. 21. Je dirai seulement dès aujourd’hui, qu’il faut distinguer entre le droit d’abstention du clergé et les conséquences de cette abstention. Le droit d’abstention appartient au clergé, nous ne pouvons pas le contester, mais quelles seront les conséquences de cette abstention ? Ici je n’ai pas dit que dans tous les cas l’abstention du clergé entraînerait le retrait des subsides ; il suffit, messieurs, de lire le passage de mon discours, qu’a cité tout à l’heure l’honorable préopinant, il y est dit : « les conséquences souvent inévitables de l’abstention » ; et je n’ai pas dit : « les conséquences dans tous les cas inévitables de l’abstention. » Du reste, la discussion nous offrira assez l’occasion d’éclaircir cette partie de la question. Je me borne aujourd’hui à vous indiquer cette distinction importante ; le clergé a incontestablement le droit d’abstention ; mais quelles seront les conséquences de cette abstention ? est-ce que dans tous les cas elle entraînera pour sanction le retrait des subsides ?
Je regrette, avec l’honorable préopinant, que le rapport de la section centrale se soit fait attendre pendant 7 ans. Sans doute, si le projet de 1834 avait été voté à l’époque où il a été présenté, il aurait reçu son exécution, mais dès le lendemain on aurait rencontré des difficultés non insurmontables sans doute. Sept années se sont écoulées, ce projet est presque calqué sur la loi française ; lisez tout ce qui se publie en France, non pas par le clergé français seulement, mais ce qui se publie par les hommes qui n’appartiennent pas au clergé français ; lisez les mémoires qu’a couronnés l’académie des sciences morales et politiques de Paris, et vous verrez que cette loi du 28 juin l833 est très sévèrement jugée, même par ceux qui l’ont faite. Je dois supposer que l’honorable préopinant s’est arrêté à l’année 1834, et qu’il n’a pas consulté les documents de plus d’un genre, des écrits émanés de toutes les opinions et où il est rendu compte de l’exécution de cette loi.
Je ne pense pas que les membres de la commission de 1834 aient des prétentions à l’infaillibilité ; que ce soit manquer à aucun d’eux que de supposer qu’on peut aujourd’hui faire mieux, faire quelque chose de plus , faire autrement que ce qu’on proposait en 1834.
L’honorable préopinant nous reproche d’abord de ne pas nous être occupés d’une question extrêmement grave, la nomination des instituteurs ; mais l’honorable préopinant perd de vue un fait fort important qui a été signalé bien des fois, c’est que la loi communale a tranché cette question par l’article 84, n. 6. La loi communale porte que les conseils communaux nomment les instituteurs ; la loi communale porte que les conseils communaux dirigent les établissements communaux. La loi de 1834 consacrait le même principe avec des restrictions ; ces restrictions ne se trouvent pas dans la loi organique de 1836. (Réclamations.)
Pense-t-on qu’on puisse apporter aujourd’hui, par une loi spéciale sur l’enseignement, des restrictions à l’exercice d’un droit de nomination, donnée d’une manière absolue au conseil communal, par l’art. 84 de la loi communale ? C’est une question à examiner, mais je dis qu’il y avait chose jugée, dans ce sens que le droit de nomination, attribué au conseil communal, est écrit d’une manière absolue dans une loi organique postérieure à la présentation du projet de loi de 1834. (Interruption.)
Il s’agit, me dit-on, dans la loi d’organisation communale, des établissements proprement communaux, ne recevant de subsides d’aucune autorité, et non pas des établissements mixtes, c’est-à-dire, ceux qui reçoivent des subventions. Les membres qui m’interrompent n’ignorent pas quelles sont les difficultés que précisément cette distinction a soulevées. Dans la plupart des villes du royaume où l’Etat accorde des subsides aux établissements communaux, le conseil communal n’en a pas moins prétendu qu’il avait le droit de nommer les instituteurs, aux termes de l’art. 84 de la loi de 1836.
Nous avons donc cru que nous pouvions respecter l’art. 84 de la loi de 1836, et si nous ne l’avions pas respecté, nous aurions peut-être été exposés à un autre genre de reproche ; ou nous aurait peut-être accusés de porter de nouveau la main sur la loi d’organisation communale, d’entamer à dessein le principe de nomination attribué d’une manière absolue au conseil communal, pour arriver par transition à une autre doctrine, celle qui a été professée par un honorable membre de l’épiscopat ; nous avons tellement voulu éloigner la possibilité de l’introduction de cette doctrine dans la loi nouvelle, que nous avons craint de toucher à l’article 84 de la loi communale, ne fût-ce que pour y mettre les restrictions au profit de la députation permanente ou du gouvernement lui-même.
Nous avons donc eu en vue d’écarter un autre genre d’accusation, et si l’on veut, un autre genre de tentation. (Mouvement.)
Nous avons conservé au gouvernement central tout ce que le projet de 1834 lui accorde ; nous lui avons fait, en outre, une part qui ne se trouve pas dans ce projet.
L’honorable préopinant trouve que la part nouvelle faite au gouvernement se réduit à rien, et qu’on a même retiré au gouvernement central ce qui lui offrait le projet de loi de 1834. Voyons jusqu’à quel point la comparaison faite par l’honorable préopinant est exacte.
D’après le projet de 1834, le gouvernement avait le droit d’établir et de diriger trois écoles normales ; il avait, en outre, la faculté d’établir une école primaire modèle par arrondissement. C’est tout ce que le projet de 1834 donne au gouvernement central.
Ne lui a-t-on pas conservé ces deux droits ? Non, dit l’honorable préopinant ; au lieu de trois écoles normales, on n’en propose maintenant que deux. Mais, messieurs, c’est là un détail d’un ordre tout à fait secondaire ; je demande si c’est dans une différence numérique aussi peu importante qu’on peut trouver un grief fondamental contre le projet de loi qui vous est actuellement soumis.
D’après le projet de 1834, le gouvernement avait le droit d’établir, aux frais de l’Etat, une école primaire modèle par arrondissement. Je dis, messieurs, que cette disposition, comme presque toutes les dispositions du projet de 1834, est beaucoup trop vague ; il y a des arrondissements qui renferment plusieurs villes importantes, et où plus d’une école primaire modèle peut être nécessaire ; dire d’une manière absolue : il y aura une école primaire-modèle, aux frais du gouvernement, dans chaque arrondissement, c’est dire tantôt trop et tantôt trop peu.
Nous avons dit que l’on maintiendrait les écoles-modèles là ou elles existent, et qu’en outre le gouvernement aurait le droit d’établir, avec le concours des communes, des écoles primaires supérieures, institutions que l’honorable préopinant a complètement passées sous silence.
Nous avons dit que les écoles primaires supérieures seraient établies avec le concours des communes, parce que nous voulons une loi pécuniairement exécutable, financièrement possible ; or, la disposition du projet de 1834, qui autorisait le gouvernement à établir aux frais du trésor public seul une école primaire modèle ou supérieure par arrondissement, était, selon nous, une disposition financièrement inexécutable.
Nous disons donc : maintien des écoles primaires entretenues aux frais exclusifs de l’Etat là où elles existent, établissement d’écoles primaires supérieures qui, par l’adjonction de cours normaux, deviennent des écoles primaires modèles ; mais établissement de ces écoles primaires supérieures avec le concours des communes. Nous ne disons pas que ces écoles primaires supérieures seront établies, une par arrondissement ; on les établira là où le besoin des localités s’en fera sentir et où le concours pécuniaire de la commune sera offert au gouvernement.
Je dis que nous avons conservé en premier lieu au gouvernement central tout ce que lui offrait le projet de 1834, quant à l’établissement d’écoles normales, et quant à l’érection ou au maintien d’écoles primaires modèles ou supérieures.
Nous avons, en outre, rattaché l’enseignement primaire au gouvernement central. L’enseignement primaire n’avait qu’un caractère communal et provincial, d’après le projet de 1834 ; nous l’avons rattaché au gouvernement central, et nous avons par là donné à l’instruction primaire un caractère véritablement national.
Nous avons cru qu’il entrait dans la mission du gouvernement central de s’occuper de l’enseignement primaire plus que ne le supposait le projet de 1834.
L’honorable préopinant a singulièrement, je puis le dire, travesti cette partie du projet. Selon lui, les inspecteurs ne sont rien ; mais je lui dirai que les inspecteurs seraient nécessaires, ne fût-ce que pour rendre possible l’exécution de la disposition du projet de 1834 relative aux subsides.
L’honorable membre a cité plusieurs fois le rapport décennal que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, travail dont j’ai été le premier à reconnaître toute l’imperfection. Mais pourquoi ce travail n’est-il pas meilleur ? Pourquoi ne présente-t-il pas un caractère d’une plus grande authenticité ? C’est qu’aujourd’hui le gouvernement ne pense s’enquérir en quelque sorte qu’officieusement, indirectement de l’état de l’instruction primaire. (C’est vrai.)
Si l’inspection cantonale et l’inspection provinciale viennent à être organisées comme le propose le projet de loi, rien ne sera plus facile que de vous donner des rapports exacts officiels sur l’état de l’instruction primaire.
Les inspecteurs surveillent ; ils rendent compte au gouvernement de l’état des écoles, et c’est d’après leurs rapports que le gouvernement se détermine dans l’impulsion qu’à son tour il donne aux députations permanentes et aux conseils communaux.
Les inspecteurs ne peuvent faire autre chose que de recueillir des renseignements et d’en rendre compte à l’autorité de laquelle ces fonctionnaires relèvent ; ils ne peuvent guère avoir d’autres attributions.
J’ai dit, sans vouloir dénigrer le projet de 1834, car ce n’est pas moi qui suis et suivrai jamais dans cette chambre un système de dénigrement ; j’ai dit que ce projet était incomplet. Des le premier jour que je me suis mis en rapport avec la section centrale, j’ai déclaré que, dans mon opinion, en faisant la part des questions décidées par la loi d’organisation communale, on pouvait maintenir comme base le projet de 1834 et le développer, l’organiser.
Hier, je vous ai dit quels étaient les quatre principes fondamentaux de ce projet ; je vous ai démontre et l’honorable préopinant aurait dû entreprendre la démonstration contraire ; je vous ai démontré que ces principes manquaient de moyens d’exécution. Il suffit, en effet, de comparer les deux projets. Les quatre principes les voici :
1° Obligation pour chaque commune d’avoir au moins une école.
De quelle manière cette obligation était-elle réalisée dans la pratique par le projet de loi de 1834 ?
2° Obligation de donner gratuitement l’instruction aux enfants pauvres de la commune.
Vous connaissez maintenant, messieurs, la grande question que soulève l’application de ce principe. Mais si la loi de 1834 avait été votée comme elle avait été proposée, le lendemain même, on aurait été arrêté dans l’exécution de la loi ; on se serait demandé : Comment exécuter cette disposition de la loi ?
3° Nécessité de la réunion de la morale et de la religion.
Quel était, dans le projet de loi de 1834, l’autorité appelée à servir de médiateur pour assurer l’exécution de cette disposition ? Rien n’est prévu sous ce rapport.
4° Obligation pour la commune de faire les frais de son école ; nécessité de-prouver l’insuffisance de ses ressources pour obtenir subside.
Ce principe, nous avons également cherché à le rendre susceptible d’exécution. Continuera-t-on à accorder en aveugle et sans règles subsides à toutes les communes ? Ne fait-il pas une règle qui établisse que la commune a fait tout ce qu’elle pouvait faire et que c’est au trésor public à intervenir ?
Je maintiens donc, je ne dirai pas le reproche, car je ne fais de reproche à personne, mais je maintiens la critique que je me suis permis de faire du projet de 1834. Ce projet posait quatre grands principes qui manquaient de développement. Qu’on me prouve que ces principes étaient posés d’une manière complète et que les moyens d’exécution étaient indiqués dans le projet de 1834.
Nous n’avons pas maintenu le comité local, ni la commission provinciale, deux institutions que le projet de 1834 proposait ; nous vous avons dit pourquoi. C’est que ces institutions semblaient faire double emploi avec la députation du conseil provincial et le conseil communal. La plupart des attributions de la commission provinciale sont remplies par la députation permanente. Nous n’avons voulu déposséder personne.
C’est à tort qu’on a prétendu que la députation du conseil provincial n’aura plus rien à faire. C’est elle qui fait la plupart des règlements, ou c’est sur son avis que les décisions sont prises. Je dis au contraire que si on avait maintenu la commission provinciale à côté de la députation, il eût été impossible d’arriver à une organisation régulière de l’instruction primaire. Il y aurait eu tant de frottement entre ces deux autorités qu’il eût été impossible de faire un pas. Je n’entrerai pas dans d’autres détails. Ils sont réservés pour la discussion spéciale. Je voulais seulement montrer combien les objections de l’honorable préopinant contre le projet actuel me paraissent peu fondées, combien peu le projet de 1835 était susceptible d’exécution sans mesures réglementaires prises par arrêtés ou par des lois subséquentes. Aujourd’hui que l’expérience nous a instruits, nous pouvons insérer beaucoup de ces dispositions réglementaires dans le projet de loi lui-même.
M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, je pourrais me dispenser de vous soumettre les observations que j’ai à faire en réponse au discours de M. Devaux., parce que chacune des questions soulevées par lui trouveront mieux leur place lors de la discussion des articles de la loi. La question religieuse pourrait être ajournée à l’article 21 ; la question de surveillance qui domine la loi, celle de savoir s’il faut donner la préférence aux comités ou aux inspecteurs, trouvera sa place quand nous nous occuperons des articles qui concernent ces objets. Cependant vous me permettrez d’ajouter quelques réflexions à celles que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur.
M. Devaux a pris à tâche, et je comprends qu’il y ait mis un amour-propre d’auteur, d’établir un parallèle entre le projet de 1834 et celui qui vous est soumis. D’abord relativement à la question principale, à la question religieuse, je rends grâce à l’honorable membre de l’avoir posée sur un terrain autre que celui sur lequel cette question avait été placée jusqu’à présent. À la vérité, l’honorable membre a mis dans la manière de s’exprimer un peu de cette obscurité qu’il reproche à la rédaction de l’article 21. Cependant je crois l’avoir assez bien compris pour oser affirmer que le principe de l’honorable membre n’est pas celui accepté hier par l’honorable M. Dolez et par ses amis
Hier, on semblait être d’accord sur les prémisses, on ne niait pas que l’enseignement religieux ne fût un élément essentiel et obligatoire de l’instruction primaire, on admettait que l’intervention du ministre du culte pour diriger cet enseignement, exclusivement de son domaine, était des lors nécessaire au même titre. Si j ai bien saisi la pensée de l’honorable membre, cette instruction religieuse et cette intervention du ministre du culte seraient, selon lui, utiles et désirables, mais elles ne seraient pas obligatoires, elles ne tiendraient pas à l’essence même de l’école du peuple.
Eh bien, la discussion sur ce principe a été soulevée aussi dans les deux chambres françaises en 1833. L’honorable M. Salverte et son parti soutenaient précisément la doctrine que défend aujourd’hui l’honorable M. Devaux, tandis que M. Guizot et M. Cousin proclamaient la doctrine que je professe.
M Salverte et ses amis soutenaient qu’il ne fallait pas que le curé fût de droit membre du comité local. Il s’opposait à cette admission de droit non pas à cause des inconvénients qui naîtraient du fait ; mais à cause du principe que cette admission du droit sanctionnait. Lui aussi disait qu’il était désirable que l’instruction religieuse fût donnée sérieusement sous la direction du ministre du culte, mais qu’il fallait laisser à la commune le droit d’en décider, et non admettre cette intervention comme obligatoire. Ce sont les mêmes idées qu’a développées l’honorable M. Devaux. M. Cousin s’opposait à cette doctrine étrange, par ces paroles remarquables :
« Il ne suffit pas que le curé ou le pasteur puissent être choisis par le conseil municipal, il faut qu’ils ne puissent pas ne pas l’être ; il faut qu’ils le soient infailliblement, car ils sont absolument nécessaires à la bonne et complète surveillance de l’école. L’autorité religieuse doit être représentée d’office dans l’éducation de la jeunesse, tout comme l’autorité civile. Si elle n’y était pas, il s’ensuivrait que la partie de l’instruction de l’école que l’on a mise avec raison à la tête de toutes les autres, serait privée de toute surveillance.
« Nous ne voulons pas mêler le moins du monde la religion aux choses de la terre ; mais il est question ici de la chose religieuse elle-même. Nous sommes les premiers à vouloir que la religion reste dans le sanctuaire ; mais l’école publique est un sanctuaire aussi ; et la religion y est au même titre que dans l’église ou dans le temple. »
D’après l’interprétation donnée au projet de 1834 par M. Devaux, et qui, je le pense, ne sera pas acceptée par tous ses anciens collègues de la commission, d’après cette interprétation, la présence du pasteur dans le comité local n’avait qu’une utilité relative ; il ne fallait pas qu’il y restât indispensablement comme le soutenait M. Cousin ; le caractère religieux ne formait pas une condition essentielle de l’école légale Ainsi, le principe soutenu par l’honorable M. Devaux est tout autre que celui que j’avais cru adopté hier sans opposition par la chambre, c’est celui défendu par l’opinion extrême en France et combattu énergiquement par l’opinion conservatrice.
L’honorable M. Devaux me place dans une position assez difficile pour lui répondre à l’égard de la part que nous avons faite dans le projet à l’action communale. Tantôt il nous reproche d’avoir trop restreint l’action de la commune, de ne pas avoir admis le principe de la loi de 1834 qui émancipait toute commune qui jouissait de quelques revenus et d’autre part, il nous fait un grief d’avoir maintenu la loi communale qui accorde, selon lui, trop de pouvoir au conseil de la commune dans la nomination et la révocation des instituteurs.
Je suis embarrassé de choisir un terrain entre ces deux positions contradictoires, et j’ignore auquel de ces deux reproches l’honorable membre tient le plus.
L’honorable M. Devaux, relativement à la question religieuse, a toujours supposé, mais il s’est bien gardé de le démontrer, que nous demandions pour le clergé un droit absolu dans l’école. Messieurs, il n’en est rien. Noirs avons demandé dans le projet le même droit pour l’autorité religieuse que celui qui existe dans toutes les législations des peuples civilisés. Si le projet de loi consacrait l’autorité absolue du clergé, ce droit, et je vous ai déjà cité ce fait sur lequel j’insiste, ce droit existait tout aussi absolu que dans l’ordonnance française de 1828, ordonnance qui fut accueillie avec acclamation par l’opinion libérale. Vous vous souvenez tous qu’en 1833, M. Dubois, de Nantes, chef de l’université de France, appartenant à cette opinion, a dit que l’ordonnance de 1828 était la grande charte de l’instruction primaire en France, que tous les progrès obtenus avaient été effectués sous l’empire de cette ordonnance et de celles de 1816 et de 1820.
Que renfermait l’ordonnance de M. Vatismenil ministre sous le ministère Martignac, en 1828, au moment de la réaction libérale la plus violente contre le royalisme français ? Cette ordonnance partait qu’une attestation religieuse délivrée par l’autorité ecclésiastique était obligatoire pour tout candidat instituteur.
Nous n’avons pas été si loin ; et la garantie renfermée dans l’article 21 n’est pas aussi absolue. Nous sommes restés bien en deçà de l’ordonnance de 1828, franchement adoptée par l’opinion libérale comme un bienfait.
Dans la discussion de la loi de 1833, plusieurs orateurs n’ont-ils pas exprimé le regret de voir disparaître ce code de l’instruction primaire ? Je pourrais, en m’armant de ce fait, me livrer à des réflexions pénibles sur l’état des esprits en Belgique, qui maintenant est tel qu’on ne se contente plus des transactions de l’opinion libérale en France. On va bien au-delà.
M. Rogier. - Et le projet de loi de 1834 !
M. Dechamps, rapporteur. - J’y arrive.
Le projet de 1834 a été élaboré par une commission composée, je me hâte de le dire, d’hommes de talent, d’hommes de modération. Mais je comprends parfaitement qu’en 1834, lorsque le projet de loi soumis à la législature en France venait d’être adopté par elle, que dans l’ignorance où l’on était des résultats que cette loi était destinée à procurer, je conçois que des hommes modérés aient pu tenter l’essai de donner les mêmes bases au projet et qu’ils élaboraient. Cependant, tout en rendant hommage au caractère des membres de la commission, il me sera permis de ne pas leur sacrifier mon opinion personnelle. Il y a quelque chose de plus fort que les noms propres, c’est la raison. Or, une chose est évidente pour moi, c’est que la législation de 1833, sous le rapport de la garantie religieuse, a été considérée par les auteurs mêmes de la loi, comme incomplète et insuffisante. M. Cousin l’a déclaré nettement. La part faite au clergé est la plus restreinte qu’il a été possible de lui faire. Qu’il s’en prenne à lui-même, ajoute-t-il, si cette part est insuffisante, la loi, fille des faits, s’appuiera sur lui. Et pourquoi ? M. Guizot nous l’a révélé à la tribune, c’est parce que le clergé français ne s’était pas rallié à l’ordre de choses établi par la révolution de juillet. C’est à cause de ce seul motif politique, puisé en dehors de la question même, que les hommes d’Etat de France ont reculé devant les conséquences de leur propre système. Mais ils n’ont pas hésité de le confesser, tout en disant qu’un temps viendrait, et prochainement, sans doute, où il serait possible de donner au clergé les garanties qui lui avaient été refusées dans le projet de 1833. Ce sont là des faits incontestables. Dès lors je ne puis comprendre que la commission de 1834 soit restée en-deçà du projet de loi de 1833 en France. Or, elle est restée en-deçà. Dans la loi de 1833, non seulement un membre du clergé fait partie du comité local de surveillance, mais encore un membre du clergé, d’un rang plus élevé, fait partie du comité d’arrondissement.
Je ne pense pas que l’honorable M. Devaux puisse aborder franchement ces objections. En Belgique, où le clergé non seulement ne s’est pas séparé de l’ordre de chose actuel, mais a tant contribuer à le fonder et à a le consolider, je ne puis comprendre comment on lui ferait une position inférieure à celle que faisait au clergé français la loi de 1833, qui, selon l’expression du rapporteur, s’appuyait trop peu sur celui-ci.
Je puis concevoir que la commission de 1834 ait pu adopter comme un essai la loi française, dont l’expérience n’était pas faite, mais ce que je ne conçois pas, c’est lorsque l’opinion des hommes éclairés en France est unanime à reconnaître que cette loi n’a répondu sous aucun rapport à ce qu’on était en droit d’en attendre, lorsque le projet fut abandonné même par ses auteurs et que partout on en provoque la révision, je ne puis comprendre, dis-je, que l’honorable M. Devaux vienne dire : « J’ai adopté en 1834 ce projet ; on n’en veut plus en France, un progrès sensible s’est opéré dans les idées, l’expérience a parlé hautement, mais néanmoins je persiste à le maintenir. Je reste à 1834 ; je ne bouge pas de là ! »
En dehors du défaut capital du projet dé 1834, et dont je viens d’entretenir la chambre, vous me permettrez, messieurs, de vous en signaler deux autres. D’abord le système des comités avait été préféré au système d’inspectorat, d’un autre côté le projet avait un caractère trop communal, trop provincial ; le gouvernement n’y avait qu’une influence trop secondaire. L’honorable M. Devaux a essayé de justifier le système des comités. Il nous a dit que le système adopté en Allemagne, où l’instruction primaire est florissante, repose sur l’organisation des comités.
Mais une grande différence existe. En Allemagne, il y a des comités, ou plutôt des sociétés d’école, mais à côte et en dessus, il y a l’inspectorat. Je ne puis comprendre comment l’honorable M. Devaux dont l’esprit est élevé, ait pu résister a l’opinion si formellement soutenue par M. Cousin dans son ouvrage sur la Hollande. M. Cousin, ayant examiné le système hollandais (c’était après l’adoption de la loi de 1833) revint avec la conviction profonde que ce système était supérieur à toutes les lois, nième à la loi prussienne. Or, l’inspectorat en Hollande est toute la loi ; le reste est purement accessoire. Comme le disait M. Vanden Ende à M. Cousin : « La loi, c’est moi. » La force de l’instruction primaire est dans les mains de l’inspecteur.
L’honorable M. Devaux demande quelles seront les fonctions des inspecteurs ? ils se mettront en rapport avec les comités et les instituteurs ; ils feront des rapports ; ils réuniront les instituteurs en conférences cantonales ; ils se réuniront en commission centrale. Mais, demandez-vous, quelle sera la sanction ? Je vous demanderai à mon tour quelle est la sanction en Hollande. Les inspecteurs ont-ils d’autres fonctions que celles que je viens d’indiquer ?
M. le ministre de l’intérieur vous l’a déjà dit, l’inspection aboutit au pouvoir central ; voilà la sanction. Mais en Hollande le comité central d’instruction, que nous avons placé, comme en Prusse à côte du gouvernement, n’existe pas d’une manière obligatoire. Il ne se réunit qu’à des époques indéterminées. Nous avons donné à cette institution un caractère plus positif, nous avons perfectionné sous ce rapport le régimes hollandais.
Lorsque l’organisation hollandaise, en dehors du point de vue religieux, fait l’objet de l’admiration de toutes les personnes qui se sont occupées de cette matière, on vient nous demander ce que peut l’inspectorat ?
Notre projet a une supériorité sur la loi hollandaise. Il manque une chose à la Hollande : des écoles normales. En Hollande, il n’y en a qu’une seule. En Belgique, outre deux écoles normales aux frais de l’Etat que l’on vous propose d’établir, nous avons les écoles normales libres dont il faut aussi tenir compte. Ces écoles fondées sur le même pied que celles de la Prusse, ont beaucoup aidé au progrès effectué dans l’enseignement primaire en Belgique. Ainsi nous possédons en même temps la force de l’organisation hollandaise, qui est l’inspectorat, et les avantages du régime prussien, qui résident dans les écoles normales.
L’honorable M. Devaux a demande pourquoi le projet donnait à l’inspecteur ecclésiastique le droit d approuver les livres d’école et refusait ce droit à l’inspecteur civil. D’abord je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il a perdu de vue l’art. 10 où ce droit est reconnu ; voici cet article :
« Ces conférences (présidées par l’inspecteur) auront pour objet tout ce qui peut concerner les progrès de l’enseignement primaire et spécialement l’examen des méthodes et des livres employés dans les écoles. »
Ainsi ce que nous avons accordé à l’autorité ecclésiastique, nous l’avons accordé à l’autorité civile.
Messieurs, vous me permettrez de vous soumettre une dernière réflexion. L’honorable M. Devaux vous a dit : En 1834, les prétentions que l’on affiche aujourd’hui n’existaient pas ; l’opinion catholique a aujourd’hui d’autres exigences. Elle se bornait à demander l’autorisation de créer ses écoles libres ; elle admettait le pouvoir absolu de l’autorité civile dans les écoles établies par celle-ci.
Messieurs, je ne puis deviner où l’honorable M. Devaux a été puiser ses doctrines ; car enfin cette unique prétention que les catholiques, selon lui, avaient, en 1834, de demander l’autorisation de créer leurs écoles à leurs frais, ils n’avaient pas besoin de la réclamer, la constitution y avait fait droit, en décrétant la liberté d’enseignement. D’autre part, le congrès, en exigeant que l’enseignement donné aux frais de l’Etat fût réglé par la loi, a précisément voulu empêcher le gouvernement de diriger cet enseignement sans conditions.
Messieurs, oui, un changement s’est opéré dans l’opinion à laquelle j’appartiens, mais ce changement est loin de consister en de nouvelles exigences. Il vous souvient tous des débats qui avaient lieu il y a quelques années entre les diverses fractions de la chambre. Ces débats, voici quel en était le sens :
En défiance de ce qui s’était passé sous le gouvernement précédent, et donnant à la constitution une interprétation franchement libérale, cette opinion soutenait que comme l’instruction primaire comprend essentiellement l’instruction morale et religieuse et que le pouvoir civil est incompétent en cette matière, le gouvernement devait rester neutre en ce qui concerne l’instruction primaire. Telle était l’opinion défendue alors. C’était appliquer à la liberté d’enseignement, à l’art. 17 de la constitution, la même idée que nous professons relativement à la liberté de la presse. Cette opinion, ou une partie du moins de cette opinion, n’admettait pas plus l’intervention du pouvoir civil en matière d’instruction primaire qu’elle n’admettait cette intervention en matière de presse. La lutte, c’était la libre concurrence ; c’était sur la liberté et sur l’intervention de l’Etat qu’elle était basée. On disait : Vous, opinion libérale, vous avez la liberté d’enseignement ; vous en jouissez comme l’opinion catholique. Ne demandons pas d’appui au pouvoir ; saisissez les mêmes armes, nous acceptons la lutte. Ici était le terrain sur lequel les partis se trouvaient placés.
Maintenant une transaction a été acceptée par l’opinion catholique, et nous nous sommes rapprochés du système professé par l’honorable M. Devaux. Nous acceptons l’intervention du pouvoir civil, mais à la condition que l’influence religieuse ne sera pas exilée de l’école. Ce qu’on n’a pas pu admettre, ce que nous n admettons pas aujourd’hui, et ce que nous n’admettrons jamais, c’est le principe d’un enseignement purement civil, principe qui a pris naissance dans les projets de Condorcet et Lepelletier en 1792, et qui est mort sous l’empire.
Messieurs, le mal dans cette discussion, c’est que pour quelques-uns cette question, qui est toute sociale, qui devrait être envisagée à ce seul point de vue, en dehors des contentions des partis qui n’ont rien à y faire, est acceptée par plusieurs comme une question politique. La difficulté, c’est la défiance, c’est la suspicion que quelques membres ont et conservent à l’égard du clergé. Chose étonnante, lorsqu’en France, en 1833, dans la discussion de la chambre des députés, cette même défiance était produite à la tribune, il a suffi a l’honorable M. Guizot, pour toute réponse à ses adversaires, de leur dire : Mais les objections que vous produisez, savez-vous où elles mènent ? Ce serait une déclaration de suspicion générale prononcée contre le clergé en France. Est-ce là ce que vous voulez ? Il a suffi à l’honorable M. Guizot de poser cet argument pour qu’il fût adopté par toutes les opinions sauf les extrêmes.
Eh bien ! ici dans cette chambre, à l’égard du clergé belge, on avoue la suspicion, on le proclame. On suppose au clergé des impossibilités, les choses les plus absurdes, les plus insoutenables. Ici, si M. Guizot était venu vous dire : mais vos objections ont pour résultat une déclaration de suspicion contre le clergé belge, beaucoup de membres auraient répondu : Oui, tout réside dans cette défiance, et nous l’acceptons ! Cela prouve encore une fois qu’une certaine opinion en Belgique n’est pas l’opinion du libéralisme en France.
Si j’appartenais à l’opinion qu’on est convenu d’appeler l’opinion libérale (je ne comprends pas le mot, mais je l’accepte), si j’avais la conviction qu’il est de l’intérêt du pays que la majorité parlementaire, que le gouvernement appartienne désormais exclusivement à cette opinion, si je croyais que par là je donnerais à la nationalité belge un plus ferme appui, que je revêtirais le gouvernement d’un intérêt moral plus élevé, que je donnerais plus de consistance aux mœurs du peuple, aux vieilles mœurs belges, si j’avais cette conviction que je n’ai pas, eh bien, j’inscrirais sur mon drapeau : le prêtre hors des affaires ; je le veux bien ; mais je lui ouvrirais, j’ouvrirais franchement à son influence les portes de l’école primaire ; parce que sans le prêtre, il faut bien le dire, il n’y a pas dans l’école d’éducation morale et religieuse ; elle est impossible sans lui ; et parce que sans l’éducation morale et religieuse dans l’école, il n’y a plus de garanties de moralité dans les masses ; parce que, comme le disait M. Guizot à la chambre des députés, sans l’éducation religieuse et morale dans l’école, tout développement intellectuel est un immense danger pour la société.
L’honorable M. Devaux vous a dit : Mais on exagère l’importance de l’instruction primaire ; savoir lire, écrire et compter, n’exerce pas sur la société autant d’influence qu’on le croit.
Oui, messieurs, s’il ne s’agissait dans l’école que d’apprendre à lire, à écrire et à compter, cette question ne serait pas aussi importante ; elle ne soulèverait pas les débats qu’elle a soulevés partout. Mais le danger, c’est précisément qu’il n’y ait que cela dans l’école primaire ; c’est qu’il n’y ait qu’une instruction mécanique et dérisoire, que l’éducation y manque.
Eh bien ! si j’appartenais à l’opinion libérale, j’admettrais franchement l’intervention du prêtre ; je l’admettrais d’une manière obligatoire, au nom de l’intérêt social. Sans cette intervention, l’instruction primaire n’existe plus aux yeux de tous les hommes éclairés.
L‘institut de France, dans le rapport de M. Rossy et de M. Jouffroy, s’est alarmé en voyant les fruits produits par la loi de 1835, que vous persistez à vouloir maintenir ici. M. Jouffroy et M. Barrau ont dit que le germe d’un danger immense était déposé dans cette loi et que ces germes commençaient à se développer de manière à effrayer tous les hommes d’ordre. Les économistes français qui se trouvent tous les jours, comme je l’ai dit ailleurs, en face des classes inférieures de la société, et qui ont pu apprécier le mal qui les ronge, partagent tous cet effroi.
M. Villermé ne nous a-t-il pas révélé récemment, au nom de l’académie des sciences morales et politiques, que ce mal était le manque d’instruction religieuse morale dans l’école, et que si on ne se hâtait pas d’y porter remède, la société était en péril ?
Eh bien, que nous nous nommions catholiques ou libéraux, quel que soit le drapeau politique sous lequel nous soyons rangés, ne devons-nous pas faire taire nos fâcheuses dissensions en face d’une question sociale qui doit dominer tous les partis ? N’allons pas, à cause de nos préoccupations politiques, risquer de tout compromettre, et jeter pour ainsi dire au sort l’avenir du pays.
M. Devaux. - Je demande la parole pour un fait personnel. J’aurai l’honneur de rencontrer ultérieurement l’honorable M. Dechamps dans plusieurs parties de son discours ; je n’ai pas dans ce moment le droit de prendre la parole sur le fond de la question, mais je me hâte de redresser quelques paroles de l’honorable rapporteur en ce qui concerne mon opinion qu’il a mal comprise.
L’honorable M. Dechamps vient de citer la discussion de la loi française, dans laquelle un parti qu’il a qualifié d’extrême a combattu les principes professés par M. Guizot et par M. Cousin. L’honorable M. Dechamps me range du côté des adversaires de MM. Guizot et Cousin. Je ne sais si j’ai été fort obscur, comme il vous l’a dit, ou s’il a été inattentif ; mais je lui ferai observer que dans cette discussion, MM. Guizot et Cousin soutenaient précisément les dispositions que j’ai soutenues et qui se trouvent dans le projet de 1834, tandis que M. Salverte et d’autres membres qu’on a qualifiés d’extrêmes combattaient ces dispositions. Ainsi je vous demande si c’est moi qui suis dans ce que l’honorable M. Dechamps appelle les extrêmes.
Je n’ai pas le droit d’en dire maintenant davantage ; un seul mot encore et je finis. Il est vrai que le projet de 1834 ressemble à la loi française dans quelques dispositions ; mais sous le rapport principal, celui de l’intervention de l’autorité provinciale, que consacrait le projet de 1834, il s’éloigne complètement de la loi française. La loi française ne contient rien de semblable.
Messieurs, on m’a reproché de faire une question de parti de ce qui était une question d’ordre social. Je n’ai qu’un mot à répondre, c’est que je suis d’accord sur ce point avec l’honorable M. de Theux et M. de Gerlache, et je ne pense pas que nous figurions dans le même parti. Je suis de plus d’accord avec la majorité de vos sections, et d’après la composition de la section centrale nommée par cette majorité, si je n’appartiens pas au même parti qu’elle, voilà comment je fais de cette question une question de parti.
M. Verhaegen. - Messieurs, dans notre séance d’hier, je me suis borné à vous présenter quelques observations générales ; décidé que j’étais à réserver les questions de détails pour la discussion des articles ; mais une observation faite par l’honorable M. Dechamps, et que je ne puis laisser sans réponse, me force à prendre une deuxième fois la parole.
L’honorable M. Dechamps vient de vous dire, messieurs, qu’un principe avait été adopté hier par la chambre tout entière, celui de l’intervention du clergé dans l’instruction primaire, considéré comme un droit absolu. Cette assertion tout au moins hasardée m’a singulièrement étonné : je ne pense pas que la chambre ait adopté jusqu’ici un principe quelconque et si l’honorable membre juge à propos de donner ce nom à quelques considérations émises par certains orateurs sur le point principal de la discussion, je m’empresse de déclarer que moi j’ai énoncé un principe diamétralement opposé, et que le Moniteur est là pour le constater ; je tenais à redresser tout de suite cette erreur pour qu’elle ne s’accréditât point dans le pays. Mes amis et moi nous avons nettement posé la question, et ce sont nos adversaires qui veulent la tourner en réduisant la discussion à des jeux de mots, à des équivoques.
Je pourrais dire à l’honorable M. Dechamps, comme le disait hier l’honorable M. Dolez à l’honorable M. Dumortier, qu’il se borne à combattre des moulins à vent. L’honorable membre invoque certains principes sur lesquels nous sommes d’accord avec lui, sauf que nous rejetons l’application qu’il en fait à l’espèce. Pour mon compte (et je tiens à le déclarer en face de la nation), j’admets que l’éducation doit faire partie de l’instruction primaire ; je veux que l’instruction primaire soit religieuse et morale, mais sur l’étendue et l’application de ce principe, je ne puis plus admettre l’opinion de l’honorable M. Dechamps.
L’honorable membre veut l’intervention du clergé dans l’instruction primaire comme un droit absolu ; moi, je n’en veux pas comme tel, je m’en suis expliqué hier et je vais m’en expliquer de nouveau aujourd’hui. L’intervention du clergé dans l’instruction primaire peut être utile, je le reconnais, et le gouvernement fera bien d’user de l’influence des ministres du culte et de demander leurs concours, mais à certaines conditions. Il ne faut pas que le clergé vienne faire une concession au gouvernement et lui dire du haut de sa grandeur, comme le disait tout à l’heure l’honorable préopinant « qu’il veut bien admettre l’intervention de l’autorité civile dans l’instruction primaire ; » il faut tout au contraire que ce soit le gouvernement qui admette l’intervention du clergé à certaines conditions. Il ne s’agit que de la construction de la phrase. Quant à moi, voici en deux mots ce que je veux : Je veux que le clergé conserve son indépendance, mais je veux en même temps que le gouvernement conserve la sienne pleine et entière.
Je ne veux pas que le clergé puisse venir dire au gouvernement : « Je vous permets d’intervenir dans l’instruction primaire ; mais comme vous avez besoin de moi ; je vous déclare que si vous ne cédez à toutes mes exigences, je reste dans l’inaction et je fais tomber vos écoles. »
Voilà ce que je ne veux point, parce que je ne veux point que les ministres du culte, qui ont déjà assez de pouvoir, viennent absorber l’influence gouvernementale. Je dénie donc au clergé le droit absolu d’intervention qu’on revendique pour lui.
Je disais tantôt que l’intervention du clergé peut être utile, que le gouvernement peut profiter de son influence ; eh bien ! que le gouvernement traite avec lui, qu’il prenne ses précautions et quand nous trouverons que ces précautions sont suffisantes, alors, mais alors seulement, nous pourrons donner notre adhésion aux mesures qu’il aura prises. Mais il en est bien autrement dans l’opinion de l’honorable M. Dechamps ; d’après lui, l’intervention du clergé est un droit, un droit absolu, et de là toutes les conséquences qu’il nous a déduites ; de là cette conséquence extrême que le gouvernement se trouve placé à la remorque du clergé. Or c’est ce que je ne veux point, et c’est ce qu’aucun homme gouvernemental ne peut admettre.
Messieurs, il est nécessaire, une bonne fois pour toutes, de bien définir la position de la Belgique à l’égard du clergé ; cela est nécessaire surtout pour répondre aux arguments que l’on va puiser dans les législations de pays voisins. On a parlé de ce qui se passe en France, en Allemagne et même en Hollande. Mais établissons tout d’abord les différences qui existent entre la France et la Belgique Je ne sais pas si l’honorable membre auquel je réponds et ses amis seraient très satisfaits de subir à tous égards la législation française en ce qui concerne le clergé.
En Belgique, le clergé est indépendant ; il est tellement indépendant qu’il n’a pas longtemps qu’un ami de M. Dechamps prétendait que chez nous l’on ne pouvait pas dire que l’Eglise fût dans l‘Etat, parce que l’Eglise était placée dans une sphère tellement élevée que l’Etat n’avait sur elle aucune action en Belgique, où l’indépendance de l’Eglise est absolue, et à cette indépendance je ne veux pas y toucher puisqu’elle résulte de notre pacte fondamental, et qu’elle est la conséquence de la liberté des cultes ; nous ne reconnaissons en effet aucune religion dominante, aucune religion de l’Etat.
Je vous disais hier et je le dirai encore aujourd’hui, que vous qui ne partagez pas mes principes, vous auriez peut-être beaucoup mieux fait, en 1831, de proclamer autre chose que ce qui a été décrété à cette époque ; mais ce qui est, vous devez le subir jusqu’à ce que la constitution soit changée. En France il en est tout autrement ; les principes de l’église gallicane ne sont pas du tout en rapport avec les principes que vous voulez faite prévaloir ici ; en France le clergé n’est certes pas indépendant ; en France le pouvoir civil intervient dans la nomination des membres du clergé, et il exerce sur lui un contrôle direct ; il est même défendu au clergé de correspondre directement avec la cour de Rome, mais ce qui est beaucoup plus fort encore, c’est qu’il existe en France un conseil d’Etat auquel on appelle comme d’abus alors que le clergé sort des limites qui lui sont tracées. Ainsi, pour rester dans l’espèce, si le clergé auquel on accorde une intervention dans l’instruction primaire, sortait des justes bornes, par exemple, sous prétexte d’enseigner la religion, il allait enseigner dans les écoles primaires des choses qui pourraient contrarier le gouvernement, il y aurait appel comme d’abus devant le conseil d’Etat.
Certes après cela on ne dira pas qu’en France l’Eglise est indépendante du pouvoir civil. Non, en France le pouvoir civil exerce un contrôle sur l’Eglise, et dès lors il n’y a aucun inconvénient à lui accorder certains droits, certaines prérogatives ; on pourrait même en France faire beaucoup plus pour le clergé, sans qu’il en résultât pour le gouvernement central le moindre danger.
Je vous demandais tout à l’heure si vous mon honorable collègue et vos amis seriez très satisfaits de subir la législation française avec toutes les conséquences qui en découlent pour le clergé.
Vous m’avez répondu négativement, et je le comprends ; la constitution a proclamé un principe contraire à celui qui régit la France, et vous avez eu pour cela de très bonnes raisons ; vous avez voulu que le clergé fût complètement indépendant. D’après cela, le gouvernement n’intervient pas dans la nomination des évêques, ni dans la nomination des curés ; le clergé correspond avec la cour de Rome sans la moindre entrave, il n’y a pas le moindre contrôle pour le gouvernement, pas d’appel comme d’abus. Vous avez obtenu tout cela dans le pacte fondamental, et loin de moi de vouloir toucher à cette indépendance ; je suis le premier à la proclamer et avec toutes ses conséquences, parce que je veux la constitution tout entière et telle qu’elle est. Mais aussi, à côte de cette indépendance du clergé, vous avez écrit dans la constitution, comme contrepoids, l’indépendance absolue de l’autorité civile. Le pouvoir civil ne peut pas être traîné à la remorque du clergé, pas plus que le clergé ne peut être traîné à la remorque du pouvoir civil.
Que voulez-vous donc prétendre lorsque vous soutenez que l’intervention du clergé dans l’instruction primaire est de droit absolu ? Est-il donné au clergé, comme droit absolu, d’intervenir dans l’instruction primaire ? Voilà ce que je combats ; voilà ce que la constitution a décidé négativement ; et quand vous allez consulter ce qui se passe en France, vous raisonnez d’une manière très fausse, puisque vous manquez de points de comparaison, la législation française étant différente de celle qui nous régit ; et je le dis encore, si nous avions table rase, le clergé se soucierait fort peu d’avoir une législation semblable à celle qui existe en France.
Je dis cela pour qu’on ne se trompe pas sur nos intentions ; nos intentions sont aussi pures que celles des honorables membres que nous combattons. Ces honorables membres veulent afficher des principes moraux et religieux ; nous professons ces principes comme eux, mais il s’agit de savoir si l’Eglise absorbera l’autorité civile ou bien si chacun conservera la place qui lui est assignée par la constitution.
M. Lebeau. - Messieurs, je n’ai demandé la parole en ce moment que pour repousser, comme l’honorable préopinant, par quelques courtes observations, les inductions que l’honorable M. Dechamps semble avoir tirées du langage ou du silence de quelques membres de cette chambre qui siègent sur d’autres bancs que lui et ses amis.
Non, messieurs, nous n’avons pas vu dans l’art. 21, qui a été le point de départ du caractère grave qu’a pris tout à coup la discussion actuelle, une simple affaire de rédaction. Il y a dans l’article 21 et dans la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur, rédaction dont l’honorable M. Dechamps vient suffisamment de révéler la portée, tout un principe, tout un système ; il y a là consécration du système exposé avec une franchise que je n’ai pas ici à incriminer, mais qu’il m’est permis de juger comme législateur, il y a là la consécration du système que préconise depuis plusieurs années un prélat recommandable, je le reconnais, par ses talents, mais imprudents par les prétentions qu’il affiche.
Messieurs, la prétention que le clergé a un droit absolu à intervenir dans une branche quelconque de l’enseignement donné, soit aux frais de l’Etat, soit aux frais des provinces, soit aux frais des communes, cette prétention, messieurs, c’est la prétention à la suprématie du pouvoir ecclésiastique sur le pouvoir civil. Quand on parle de pouvoir civil et de pouvoir religieux, on parle la langue philosophique ; mais en langage constitutionnel, en langage politique, il n’y a qu’un pouvoir, il n’y a qu’un souverain, ce même souverain qui a réglé libéralement, mais sans l’admettre à discuter avec lui, la position du clergé dans la constitution de 1831 ; il n’y a donc qu’un souverain en Belgique ; ce souverain, c’est le Roi et les deux chambres.
Maintenant, messieurs, qu’à coté de ce souverain unique, de cet unique pouvoir, il existe des influences respectables qui ont leur source dans notre passé, leur appui dans nos traditions, on ne peut le méconnaître ; oui, il y a de telles influences, et le gouvernement qui ne compterait pas avec elles, le gouvernement qui ne chercherait pas à s’appuyer sur elles, serait un gouvernement qui manquerait à toutes les lois du bon sens, à toutes les lois de la moralité politique.
Mais est-ce à dire que lorsque le gouvernement aura cédé à toutes les prétentions légitimes de l’autorité religieuse, lorsque le gouvernement aura poussé la condescendance aussi loin que le lui auront permis sa dignité et son indépendance, lorsqu’il aura ouvert les portes de toutes les écoles au clergé, et que le clergé déclarera ne pas vouloir y entrer ; est-ce à dire que le gouvernement doive abdiquer en matière d’enseignement ? Voilà où conduit directement le système de l’honorable député que je combats.
Je veux aujourd’hui, comme je le voulais en 1828, comme je le disais en 1830, comme je le voulais en 1834 et comme je le voudrai toujours ; je veux une éducation morale et religieuse. Je reconnais que pour assurer une éducation morale et religieuse dans les établissements d’instruction primaire, l’intervention du clergé est la meilleure, la plus efficace des conditions ; qu’il serait très regrettable qu’elle nous manquât, car à l’abstention du clergé dans l’enseignement primaire seraient attachés les plus graves inconvénients. Mais est-ce à dire que parce que ce concours est infiniment désirable, parce que le législateur doit beaucoup faire pour l’obtenir, il doive se soumettre aveuglement à toutes les exigences du clergé, à ce point que le clergé n’est plus appelé librement par la loi, (erratum Moniteur belge, n°224 du 12 août 1842) mais qu’il nous est imposé au nom d’un droit qui lui est propre et qu’il peut décider de la vie ou de la mort des établissements subventionnés par l’Etat, par les provinces ou par les communes ? Certainement non.
Non, messieurs, répétons-le bien haut, il n’y a pas deux pouvoirs en Belgique. Si cela était, si quelqu’un pouvait exciper d’un droit absolu en matière d’instruction publique, je demanderais de quel droit vous faites une loi sans la participation de ce pouvoir ? Ne voyez-vous pas que rétrogradant dans le passé, votre système irait jusqu’à ressusciter un nouvel ordre, l’ordre du clergé, car s’il peut exciper d’un droit absolu, vous n’avez en aucune façon celui de voter une loi à la confection de laquelle il n’a pas librement concouru.
Voyez ce qui arrive. Encouragé par les doctrines qu’a souvent professées dans cette enceinte l’honorable préopinant, encouragé, j’ai du regret de le dire, par le langage au moins imprudent tenu par un organe du gouvernement, le clergé, comment s’exprime-t-il ? Est-il satisfait de votre loi ? Non, messieurs ; d’avance il vous déclare qu’il n’y prêtera pas son concours. Vous dites que le clergé est l’objet d’une suspicion injuste de la part de l’opinion libérale, et de la part, croyez-le bien, de beaucoup de catholiques sincères qui, pour être catholiques sincères, n’en sont pas moins libéraux. Vous dites que le clergé est l’objet d’une suspicion injuste ; mais l’injustice de ses prétentions d’aujourd’hui ne frappe-t-elle pas tous les yeux ? Le clergé ne déclare-t-il pas qu’il ne prêtera point son concours à la loi.
M. Brabant. - Qui déclare cela ?
M. Lebeau. - Cela se trouve en toutes lettres dans le Journal historique, cité par mon honorable ami, et publié sous le patronage de M. l’évêque de Liége ; et à moins que vous ne soyez mieux initié que monseigneur l’évêque de Liége à la pensée épiscopale, il vous est impossible de ne pas regarder comme certaine l’abstention du clergé qui est placé sous les ordres de ce prélat.
M. Brabant. - Je demande la parole
M. Lebeau. - M. le ministre de l’intérieur a dit hier en propres termes que par son abstention le clergé peut rendre impossible l’existence légale de l’école. La proposition que le ministre a faite aujourd’hui, pour remplacer l’art. 21, n’a pas atténué la portée de ses paroles d’hier, ni la portée de l’article primitif, à moins que M. le ministre ne me réponde catégoriquement que si de l’information à laquelle il se sera livré en vertu de la disposition nouvelle, il résulte pour lui la conviction que c’est à tort que ce concours du clergé a été refusé, il maintiendra l’école. Si M. le ministre fait cette déclarations, je crois alors que la portée de l’art. 21 est considérablement atténuée, et que le système du droit absolu, préconisé par l’honorable M. Dechamps, aura reçu officiellement un démenti de la part du gouvernement. Si M. le ministre ne trouve pas ma question inopportune je le prierai de vouloir bien me donner une réponse avant que je passe outre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je répondrai tout à l’heure.
M. Lebeau. - Messieurs, bien qu’il soit en général peu convenable de parler de son expérience personnelle, qu’il me soit permis de l’invoquer ici, pour prouver que quand j’exprime le vœu que l’action du clergé s’associe dans l’enseignement primaire à l’action de l’autorité civile, ce vœu est sincère ; qu’il me soit permis d’en appeler sur ce point même, s’il le faut, au témoignage d’honorables membres de cette chambre ; ils pourront vous dire que dans toutes les situations où j’ai été placé, et notamment lorsque j’avais l’honneur d’être à la tête de l’administration d’une province qui se distingue à la fois par son esprit d’ordre et par son esprit religieux et moral, ils pourront vous dire si je n’ai pas constamment regardé l’intervention du clergé comme une des conditions les plus utiles de la propagation et pour la bonne direction de l’enseignement primaire ; dans toutes mes tournées, dans toutes les occasions où j’ai pu mettre en contact l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique, j’ai toujours dit qu’il n’y avait à mes yeux d’instruction vraiment efficace, vraiment salutaire dans les communes rurales, que par l’accord de ces deux autorités.
Mais est-ce à dire que si j’avais rencontré dans l’autorité ecclésiastique des prétentions de la nature de celles qui sont consignées dans la plupart de ces écrits qui ont rendu à bon droit l’opinion défiant à l’égard du clergé ; est-ce à dire que je me fusse associé à ces prétentions, qu’organe du pouvoir civil, j’eusse aveuglement subi la loi de l’autorité religieuse ? Je n’hésite pas à déclarer que j’aurais engagé alors les administrations communales à se passer d’un concours offert à ce prix.
Oui, messieurs, le concours du clergé est utile dans une foule d’occasions ; le concours du clergé est utile dans l’enseignement primaire ; le concours du clergé, mais vous l’invoquez chaque jour, pour bénir l’union nuptiale ; iriez-vous jusqu’à accorder au clergé le droit absolu d’empêcher toute union nuptiale, par cela seul qu’il ne voudrait pas participer à sa célébration ?
Eh bien, messieurs, le droit absolu qu’on réclame d’intervenir dans la mission du pouvoir civil est aussi peu fondé qu’il le serait dans l’hypothèse que je viens de mettre sous les yeux de la chambre.
Messieurs, je ne pousserai pas plus loin ces observations. Je n’ai pas eu l’intention de passer aujourd’hui la loi en revue. D’autre en ont fait d’ailleurs une étude plus approfondie que moi. J’ai voulu seulement protester contre l’interprétation donnée à l’attitude que plusieurs d’entre nous ont conservée hier pendant les explications échangées entre un honorable collègue et M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il me semble que le dernier paragraphe de l’art. 21, tel qu’il est rédigé maintenant, ne laisse plus aucun doute :
« Lorsque les abus constatés constituent la non-exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Lorsque de abus sont constatés qui constituent la non-exécution d’un des conditions essentielles de la loi, par exemple, lorsqu’il y a des rapports détaillés qui prouvent qu’il n’y a pas d’enseignement religieux dans une commune, je dis que le gouvernement manquerait de loyauté envers le clergé, s’il ne cessait d’accorder des subsides ; mais il faut que les abus soient constates.
Plusieurs membres. - Par qui ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Par l’inspection et par une enquête subséquente. Une enquête est ouverte après la réception des rapports, le gouvernement doit faire des tentatives de rapprochement ; lorsque cette enquête a eu lieu, que des tentatives ont été faites par le gouvernement et que les abus constatés subsistent, que doit faire le gouvernement pour ne pas manquer de loyauté ? user des prérogatives que la loi met à sa disposition. Ceci devient une question de responsabilité pour le gouvernement. Il ne peut en être autrement. Au fond, nous sommes d’accord, quoi qu’en disent les préopinants sur la nécessité de l’art. 21. Vous ne pouvez pas aller plus loin à moins de prévenir tous les cas d’exécution ce qu’il est impossible de faire dans la loi. (Interruption ; rumeur.)
Je dis que si vous n’admettez pas que les abus constatés, après l’enquête, après les tentatives du gouvernement pour les faire cesser, on doive retirer les subsides, toute loi devient impossible, l’obligation de joindre l’enseignement religieux à l’enseignement primaire proprement dit vient à tomber, ce que vous offrez n’est plus qu’un leurre. il y a là une question de loyauté et de responsabilité ministérielle. Que si le clergé se retirait sans raison, sans donner de motif, par caprice, en réclamant des conditions qui ne sont pas dans la loi, alors le gouvernement s’abstiendrait de retirer les subsides. Mais vous partez toujours de cette idée, que le clergé sera déraisonnable et le gouvernement servile, d’une manière absurde, envers le clergé. J’admets la loyauté de la part du gouvernement et du clergé, j’admets un concours sincère, et cet article, tel qu’il est rédigé maintenant, ne fera pas naitre les difficultés qu’on prévoit.
M. Brabant. - Messieurs, je commence par rendre hommage, conformément à l’espèce d’appel qui m’a été faite par l’honorable préopinant, à la conduite pleine de conciliation qu’il a tenue pendant les quatre ou cinq ans qu’il a administré comme gouverneur la province de Namur, et je suis surpris même, d’après les explications qu’il a données sur les nombreux rapports qu’il a eus avec le clergé de la province de Namur, rapports dans lesquels il n’a jamais été fait mention de ces doctrines, où le clergé n’a jamais manifesté qu’il partageât ces prétentions, je suis surpris, dis-je, qu’il attribue à tout le clergé un acte émané, il est vrai, d’un évêque, mais non dans la forme voulue pour obliger les fidèles. Qu’on ne pense pas que je veuille donner une interprétation qu’on qualifierait d’une certaine manière ; je veux être bien clair. Je n’ai pas compris hier l’objection tirée du 2° § de l’article 21 par M. Dolez. Que disait ce § ? Le gouvernement, sur les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14 de la présente loi, s’assurera de l’exécution de ces conditions.
Quelles sont ces conditions aux termes du projet ? Elles sont tellement claires que je ne crois pas qu’il y ait lieu à interprétation. Ces conditions sont d’abord, à la fin de l’art, 6, l’enseignement de la religion et de la morale. Je me borne aux conditions en discussion. L’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction de ministres du culte professé par la majorité des habitants de la commune.
L’art. 7, au 3° §, porte « Les ministres des cultes et les délégués du chef du culte pourront en tout temps inspecter l’école. »
La dernière partie du § 4 porte : « Les livres employés dans l’école sont soumis à son approbation en ce qui concerne la morale et la religion. »
Je crois que ce sont là les trois conditions essentielles en ce qui concerne l’enseignement de la morale et de la religion.
Eh bien, messieurs, pour satisfaire à la loi, il faut que ces trois conditions soient remplies. Il y aura infraction à la loi, si on n’enseigne pas la religion ou si on l’enseigne d’une manière dérisoire. Il y aura infraction à la loi si l’on refuse aux ministres du culte professé par la majorité des habitants l’entrée de l’école. Il y aura infraction à la loi si on emploie des livres n’ayant pas reçu, en ce qui concerne le dogme et la morale, l’approbation de l’autorité religieuse.
Voilà les faits que le ministre du culte est appelé à constater. Son pouvoir ne va pas au-delà. Ces faits sont toujours susceptibles d’être constatés à l’instant même. En interrogeant le premier enfant de la première école venue, je saurai le caractère de l’enseignement qu’on y donne. C’est ce que beaucoup d’entre nous ont probablement déjà fait.
Nous conférons un droit ! Mais tout ce qui est accordé par la loi est un droit. De quelle idée partons-nous pour conférer ce droit ? Cela tient à l’essence du culte, disent les uns ; vous manqueriez à votre devoir si vous n’accordiez pas l’entrée de l’école au ministre du culte. L’intervention du ministre du culte est utile, disent les autres, nous n’aurons qu’à nous applaudir de son concours. Cependant on hésite à dire que le prêtre aura les attributions qui lui sont conférées par les trois paragraphes dont j’ai donné lecture. Quelles que soient les opinions religieuses, les catholiques les plus fervents ne votent pas ici en vertu d’un principe théologique, mais comme hommes d’Etat. Nous reconnaissons si peu un droit divin que, par le même paragraphe, nous accordons le même droit aux ministres du culte protestant et aux ministres du culte israélite, aussi bien qu’aux ministres du culte catholique. Cependant, moi, je ne reconnais pas la mission de l’enseignement divin aux ministres protestants ; et les ministres israélites assurément ne viendront pas invoquer le texte de l’évangile d’où on part pour fonder la mission divine.
Ainsi, je crois que nous ferions chose sage, de laisser dormir en repos des doctrines qui sont sans application dans ce moment. Il y en a qui voteront ces pouvoirs aux ministres du culte, parce qu’ils se croiront obligés en conscience de les leur donner ; d’autres les voteront, parce qu’ils regardent comme chose utile à la chose publique, au pays de voir le clergé concourir à l’enseignement primaire, et la disposition passera. Elle passera, parce qu’elle est nécessaire.
Remarquez que vous statuez sur des établissements indépendants du clergé, où le clergé ne peut intervenir qu’en vertu de votre autorisation. Quand le curé ou le délégué de l’évêque se présentera dans une école, soyez persuadés qu’il n’arrivera pas l’évangile à la main en s’appuyant sur cette maxime : Ite et docete omnes gentes.
Il dira : Je viens dans l’école parce que la loi m’attribue le droit d’y venir.
En réduisant ces choses à un point de vue pratique, nous organisons une instruction que les lois ont décrétée, nous évitons beaucoup de débats irritants mal compris dans le pays, et qui font croire a des prétentions qui peuvent être individuelles, mais qui ne sont pas partagées par tous ceux qu’on a qualifiés de catholiques.
M. Lebeau. - Je ne puis pas être satisfait de la réponse que M. le ministre de l’intérieur vient de faire. il laisse toujours subsister cette interprétation que l’abstention du clergé, le retrait de l’action du clergé, fait nécessairement tomber l’école.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nécessairement non !
M. Lebeau. - Car l’abstention du clergé est précisément la réalisation du dernier paragraphe du nouvel article proposé par le gouvernement. Cette abstention constitue la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi.
Alors les subsides cessent, ceux de la province comme ceux de l’Etat ; l’action communale elle-même est enchaînée, car il n’y aura plus d’enseignement religieux, non par le fait de l’autorité communale, mais par le fait possible du clergé lui-même. Ainsi si dans un diocèse on trouve que la loi actuelle ne fait pas au clergé la position à laquelle il croit avoir droit, je dis que par l’application de la loi, d’après 1es termes de l’article, d’après l’interprétation qui y a été donnée, notamment par les honorables MM. Dechamps et Brabant, je dis que l’établissement tombe, que non seulement on lui retire les encouragements de l’autorité supérieure, mais encore qu’il perd tous les subsides provinciaux et même communaux.
Eh bien, c’est là un principe monstrueux auquel, quant à moi, je ne souscrirai jamais. Il suffirait qu’il fût adopté pour que je votasse contre la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois m’étonner que l’honorable préopinant n’ait pas jugé ma réponse satisfaisante. Il est vrai, il m’a attribué urne tout autre explication que celle que j’ai donnée. La question est celle-ci : « Le clergé a-t-il toujours le droit de se retirer ? » je crois que oui. Je pense que constitutionnellement, c’est un droit acquis au clergé. Cela posé, quand le clergé se retire, quelles en sont les conséquences ; non pas les conséquences naturelles, mais les conséquences légales, eu égard à la loi que nous allons faire ? Est-ce que nécessairement, et dans tous les cas, cette retraite du clergé entraîne la suppression des subsides ? Je dis que non ; je n’ai jamais dit nécessairement. Ainsi, je réponds très nettement, très catégoriquement comme je l’ai déjà fait : Il est possible qu’il y ait une abstention du clergé, un refus de concours du clergé qui n’entraîne pas la suppression des subsides. J’en admets la possibilité.
Maintenant l’honorable M. Lebeau prétend que si le chef d’un diocèse disait par exemple : Votre loi ne me convient pas ; elle ne fait pas assez pour le clergé, je m’abstiens, dès lors le gouvernement devra retirer les subsides. Je m’étonne de cette manière d’interpréter l’art 21. Je suppose que l’honorable préopinant ne l’a pas lu, ou bien c’est qu’il est arrivé avec une prévention telle qu’il ne peut se rendre à l’évidence. Je vous ai dit, et l’honorable M. Brabant vient de le répéter, qu’il était bien entendu qu’il n’y aurait pas d’autres conditions religieuses comme règles de l’intervention du clergé que celles qui forment les dispositions légales de la loi. Ainsi, si le clergé mettait à son intervention des conditions autres que celles des dispositions de la loi, l’abstention du clergé n’aurait pas l’effet de faire retirer le subside. Je dis qu’il est impossible de ne pas comprendre l’art. 21 comme je l’ai expliqué. A mon tour je dirai à l’honorable préopinant : si vous étiez ministre de l’intérieur et qu’il vous fût démontré que dans une institution, l’enseignement religieux n’est pas donné où est donné d’une manière dérisoire, est-ce que vous ne vous croiriez pas obligé de supprimer tout subside ?
Remarquez que la responsabilité du ministre est engagée et qu’il doit soumettre au Roi un arrêté qui doit être immédiatement inséré au Moniteur, de manière que tous les citoyens pourront apprécier l’acte du ministre.
Je le répète, l’art. 21 fait cesser tous les doutes, toutes les craintes que pouvait faire naître la première rédaction.
M. Lebeau (pour un fait personnel). - M. le ministre de l’intérieur m’a fait l’honneur de m’adresser une interpellation directe ; je demande la permission d’y répondre. Il me dit : Si vous étiez ministre de l’intérieur et qu’il fût à votre connaissance que l’instruction religieuse ne serait pas donnée dans une école primaire, ne refuseriez vous pas tout subside à l’instituteur. Je n’hésite pas à répondre que je regarderais un instituteur primaire antireligieux comme une véritable peste. Je m’en suis expliqué, alors que le pouvoir civil ne disposait pas de l’autorité dérivant de la loi qu’on demande aujourd’hui. Dans ma carrière administrative, lorsque, dans des cas très rares, il m’est arrivé d’avoir sur des instituteurs primaires des renseignements qui incriminaient leur conduite immorale ou religieuse, je n’ai jamais hésité à employer mon influence, soit auprès des communes, soit auprès de la députation permanente ou du ministère pour faire retirer des subsides a mon avis très mal donnés. Voilà comment je me conduisais, et comme je me conduirais dans des positions analogues, mais j’agissais ainsi comme organe du gouvernement avec une entière liberté d’action ; et non d’après les injonctions d’un pouvoir supérieur ou égal.
Si j’avais eu des doutes sur la portée de la disposition, ils auraient disparu devant la réponse de M. le ministre à l’interpellation de l’honorable M. Dolez. La réponse de M. le ministre était très catégorique. Il suffisait de l’absence du concours du clergé dans une commune quelconque pour faire immédiatement fermer l’école. Je croyais avoir retrouvé l’opinion de M. le ministre de l'intérieur à travers la rédaction de l’art. 21 commenté surtout par l’honorable M. Dechamps ; mais ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur me satisfait pour autant que son opinion nouvelle ou mieux exprimée passe dans la loi. Il faut que la pensée du gouvernement soit parfaitement claire ; elle ne l’est pas du tout dans le dernier texte proposé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai eu soin hier d’invoquer, comme vient de le faire l’honorable préopinant, mon expérience personnelle. Si je pouvais compulser les milliers de dossiers déposés au ministère de l’intérieur et qui sont relatifs à des suppléments accordés à des instituteurs, je pourrais prouver que, peut-être sur la proposition de l’honorable préopinant comme gouverneur, des subsides ont été retirés à des instituteurs parce qu’il a été constaté, par exemple, qu’ils donnaient d’une manière dérisoire l’enseignement religieux. J’ai dit hier que c’était ainsi que j’appliquais une loi non écrite, que j’appliquerai de la même manière la loi qu’il s’agit de faire maintenant. Du reste je ne veux pas m’engager dans des questions d’amour-propre. Je me suis expliqué catégoriquement. J’ai été plus loin. J’ai présenté une nouvelle rédaction ; je ne vois pas la nécessité de la changer, surtout après l’interprétation que j’ai donnée.
M. Dumortier. - Quand l’honorable M. Dolez a présenté ses observations sur la rédaction de l’article 21 du gouvernement, j’y ai donne une pleine et entière adhésion. Je pense en effet que le droit de s’abstenir, que l’article primitif du projet de loi donne au clergé, pourrait, s’il était poussé dans ses dernières limites, être très dangereux pour le clergé même. Vous désirez que l’éducation des écoles primaires soit religieuse. Or, si vous voulez avoir l’action du clergé dans l’instruction primaire, il faut qu’il accepte avec la loi une responsabilité, vous devez donc lui donner les moyens de couvrir cette responsabilité.
Le peuple a droit à une éducation religieuse, il a droit à ce que le clergé la donne. Aux termes de la constitution, le clergé seul peut dominer une éducation religieuse, seul il doit être juge du dogme et de la morale. Jusque-là nous sommes tous d’accord. Si l’éducation morale et religieuse n’était pas donnée d’une manière convenable, si l’instituteur était immoral, irréligieux, je pense que le clergé aurait le droit absolu de s’abstenir et que cette abstention nécessiterait le retrait des fonds communaux, Mais il ne faut pas s’y tromper, il ne faut pas que le clergé soit dans une position telle qu’il puisse, par simple caprice, tuer l’instruction. Cette position même pourrait lui devenir nuisible. Je ne pense pas qu’il doive en être ainsi ; je ne le voudrais dans aucun cas. Je veux donner au clergé tout ce qui est raisonnable, tout ce qui est possible, mais je ne veux pas que, sous un simple prétexte, on puisse anéantir l’instruction ; je sais qu’en droit rigoureux cela peut se soutenir, mais autre chose est le droit, autre chose est l’usage du droit. Je ne veux pas que le clergé puisse exercer le summum jus, de peur qu’il ne subisse lui-même un jour la summa injuria. Je le déclare donc, je ne veux pas que, par un simple caprice de l’autorité ecclésiastique, on puisse faire tomber une école primaire ; je ne le veux pas dans l’intérêt du clergé lui-même. Mais je trouve que, par la nouvelle rédaction, il est fait droit aux observations sérieuses qui ont été présentées. Hier, il s’agissait d’une simple abstention qui entraînait la suppression de l’école ; aujourd’hui, il faut un abus constaté. Vous voyez que la différence est immense.
Messieurs, je pense que tous les hommes de bonne foi doivent convenir que la discussion a fait un grand pas. Dans l’intérêt de la tranquillité publique, de l’instruction et du clergé même nous devons nous féliciter que cette discussion ait été soulevée.
M. Orts. - Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire. Hier, j’ai partagé les doutes manifestés par l’honorable M. Dolez. Mais je dois le dire, les explications que M. le ministre de l’intérieur a données sur la portée du paragraphe final de l’art. 21, me satisfont. J’espère que le Moniteur nous reproduira fidèlement ces explications. Dès lors je crois que nous anticipons sur la discussion de la portée de ce dernier paragraphe. Que dit ce paragraphe ? Le retrait des subsides est subordonné à des conditions ; quelles sont ces conditions ? il y en à trois. La première, c’est qu’il faut qu’il y ait abus et que cet abus soit constaté ; la seconde, c’est que cet abus constitue la non-exécution d’une des conditions essentielles de la loi. Mais ici la discussion devient prématurée. Lorsque vous discuterez chacune de ces conditions, si vous trouvez qu’il y a quelque chose à y changer relativement à l’influence à accorder au clergé, corriger les dispositions du projet, présentez des amendements. Mais jusqu’ici, je le répète, la discussion est prématurée.
Lorsque vous aurez fixé les conditions de la loi, lorsque vous les aurez mises en vigueur, malheur à celui qui n’exécutera pas les dispositions légales de cette loi. Mais si pareille chose arrive, rien n’est encore fait. L’autorité qui dirige l’école, que ce soit la province ou la commune, doit commencer par mettre en demeure celui qui dirige l’école, et ce n’est que lorsque le directeur persiste à se montrer récalcitrant que les subsides sont retirés.
Je ne ferai plus qu’une dernière observation ; peut-être, pour que le dernier paragraphe de l’art. 21 fût moins irritant, pourrait-on mettre, au lieu des mots : seront retirés, ceux-ci : pourront être retirés.
Plusieurs membres. - À demain
M. Rogier. - Je demanderai que le bureau veuille bien faire imprimer le projet de 1834, il est désirable que nous ayons ce document.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis heureux que l’honorable préopinant me fournisse cette occasion de répondre à un reproche que m’a adressé l’honorable M. Devaux. Le projet de 1834 se trouve en entier dans le rapport du 28 juin dernier. Le reproche de l’honorable M. Devaux n’est donc pas fondé. Si maintenant la chambre veut faire les frais d’une seconde impression, je le veux bien.
M. Rogier. - Ce n’est pas pour moi que je réclame l’impression de ce projet. J’en ai plusieurs éditions. On dit qu’il se trouve dans le rapport du 28 juin ; mais ce rapport est très volumineux, et nous avons d’autres documents très nombreux à apporter à la chambre ; il serait préférable que le projet primitif fût imprimé à part.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le projet se trouve pages 170, 180 et 181 de mon rapport.
Maintenant l’honorable membre trouve ce rapport trop volumineux pour qu’on l’apporte tous les jours à la chambre. Je ne suis pas juge de ce fait. Ce n’est pas d’ailleurs à moi à me charger de l’impression demandée.
M. Rogier. - On donne beaucoup d’importance à un fait qui n’en a aucune. La question est de savoir si on veut faire imprimer une simple feuille ; cela ne donnera pas lieu à de grands frais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai voulu répondre à un reproche ; on a paru supposer que j’aurais voulu cacher le projet de 1834.
M. Rogier. - Je n’ai pas fait de reproche à M. le ministre de l’intérieur. J’ai seulement demandé l’impression du projet de 1834.
- L’impression demandée par M. Rogier est ordonnée.
La séance est levée à 5 heures.