(Moniteur belge n°140, du 20 mai 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. Kervyn procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction est approuvée.
M. le président. - La commission des pétitions a fait hier rapport sur une pétition de plusieurs fabricants de Liége ; la discussion a été ajournée jusqu'après l'impression du rapport ; ce rapport figure dans le Moniteur de ce matin ; en conséquence la discussion est ouverte.
M. Delfosse. - Messieurs, divers fabricants d'étoffes de laine de la ville de Liège, se sont adressés à la chambre pour obtenir le retrait de la loi du 6 juin 1839, qui accorde quelques faveurs douanières aux parties cédées du Limbourg et du Luxembourg ; précédemment une interpellation avait été adressée dans le même but au gouvernement, par l'honorable M. Rodenbach, et M. le ministre de l'intérieur avait répondu à l'honorable M. Rodenbach que ce point serait l'objet de négociations avec l'union douanière allemande. .
L'honorable M. Zoude a présenté, dans la séance d'hier, sur la pétition dont je viens de parler, un rapport dans lequel j'ai trouvé quelques observations fort justes ; l'honorable M. Zoude fait remarquer avec raison que quelques dispositions de la loi de 1839 sont bonnes et devraient être maintenues ; l'honorable rapporteur désire que l'on puisse continuer à importer des céréales de la partie cédée du Luxembourg dans la partie qui nous est restée.
L'honorable M. Zoude fait observer en outre que la partie du Luxembourg qui nous est restée a un grand besoin de minerai qui se trouve dans la partie allemande. Je suis, sur ces deux points, de l'avis de l'honorable rapporteur ; mais le rapport n'a touché en aucune manière le point signalé par les pétitionnaires ; ils se plaignent avec raison de ce que les fabricants d’étoffes de laine de la partie cédée du Luxembourg continuent à leur faire concurrence sur le marché belge, alors que ces fabricants viennent d'obtenir un autre marché beaucoup plus considérable.
L'honorable M. Zoude pense que nous devons porter intérêt à ceux qui ont été nos frères ; je partage entièrement ces sentiments, mais il ne faut pas cependant donner à ceux qui ont été nos frères une préférence marquée sur ceux qui le sont encore. L'état de choses actuel procure des avantages évidents aux fabricants d'étoffes de laine de la partie cédée de Luxembourg, puisqu'ils jouissent du marché de l'union douanière allemande, et qu’ils viennent en outre faire concurrence à nos fabricants sur le marché belge.
Je crois donc, messieurs, qu'il y a une mesure à prendre ; M. le ministre de l’intérieur en paraît convaincu lui-même, puisqu'il a dit que ce point serait l’objet de négociations diplomatiques, et que la faveur accordée à la partie cédée ne serait maintenue que dans le cas où nous obtiendrons des compensations. Mais je ferai remarquer que ces négociations, peuvent durer fort longtemps. On a longtemps négocié avec la Hollande, et l'on n'a rien obtenu ; nous pouvons négocier très longtemps avec l'union douanière et ne rien obtenir. En attendant, les fabricants de la partie cédée profiteront de la législation actuelle ; au grand préjudice de notre industrie.
J'appelle donc l'attention toute spéciale de M. le ministre de l'intérieur sur cette question, et j'espère que, s'il pense que les négociations diplomatiques ne doivent pas avoir un terme prochain, il nous présentera un projet de loi dans l'intérêt des fabricants belges.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est très vrai, messieurs, que dans le cours du mois d'avril, l'honorable M. Rodenbach a demandé ce que devenait la loi du 6 juin 1839, depuis l'accession du grand-duché à l'union douanière allemande ; j'ai répondu au nom du gouvernement que le maintien de cette loi ferait l'objet de négociations avec l'union douanière, et que la loi ne serait maintenue que moyennant de justes compensations. Les conférences avec les commissaires de l'union allemande doivent s'ouvrir à Stuttgart le 12 du mois prochain ; la question sera donc prochainement résolue.
- Les conclusions de la commission, qui tendent au renvoi à M. le ministre de l'intérieur, sont mises aux voix et adoptées.
M. Delehaye dépose des rapports sur diverses demandes en naturalisation.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.
M. Zoude fait rapport au nom de la commission qui a été chargée de la vérification des pouvoirs de M. Vanden Eynde, nommé membre de la chambre par l'arrondissement de Louvain. La commission propose l'admission.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées ; en conséquence, M. Vanden Eynde est admis comme membre de la chambre.
M. Zoude. - Le sieur Tack, sous-intendant militaire de première classe, en non-activité, a l'honneur d'exposer à la chambre qu'en septembre 1831 il fut révoqué de ses fonctions de sous-intendant et renvoyé au grade de capitaine quartier-maître, mais que l'erreur dont il avait été momentanément victime ayant été bientôt reconnue,un arrêté royal du 7 novembre, même année, lui accorda la conservation de son grade de major honoraire, et qu'enfin un autre arrêté de décembre 1839 le rétablit dans son grade primitif de sous-intendant de première classe, le laissant toutefois en non-activité.
Le pétitionnaire argumente de cette non-activité, que l’arrêté qui lui rend son ancien grade est une réhabilitation ; si c'était une nouvelle nomination, dit-il, la mise en non-activité en serait la conséquence, car l'art. 11 de la loi du 16 juin 1836, porte qu'il ne pourra être accordé de grade sans emploi.
C'est armé de ce titre, qu'il considère comme une réhabilitation, qu'il a réclamé du ministre de la guerre Buzen le rappel de la différence du traitement qu'il a perçu en moins depuis sa révocation en octobre 1831.
Si le rappel qui a eu lieu dans des cas identiques et dont le pétitionnaire cite les exemples, si le rappel ne lui a pu être accordé, c'est que le ministre lui a fait connaître que les exercices étant clos, il ne pouvait être fait droit à sa demande que par un nouveau crédit que la chambre accorderait. .
C'est ce crédit qu'il vient réclamer de vous. Il a paru à votre commission que la demande du pétitionnaire n'était pas sans fondement ; c'est pourquoi elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre avec demande d'explications.
M. Verhaegen. - Si j'ai bien compris le rapport, messieurs, la question est excessivement grave, il ne s'agit ni de plus ni de moins que de la privation d'un grade. Il a été reconnu à ce qu'il paraît, par un arrêté que M. le rapporteur a cité, mais dont je ne me rappelle pas la date, que le pétitionnaire a été en effet privé de son grade, et ce grade lui a été rendu par un arrêté royal ; maintenant le pétitionnaire réclame la différence qu'il y a entre les appointements attachés à son grade primitif et ceux qui lui ont été payés d'après le grade qui lui avait été laissé. M. le rapporteur reconnaît la justice de cette réclamation, et il a signalé à la chambre la position du pétitionnaire, qui mérite à tous égards de fixer notre attention. Je pense qu'un simple renvoi à M. le ministre de la guerre n'aurait pas grand effet, car si je ne me trompe, nous avons déjà plusieurs fois eu à nous occuper de pétitions du sieur Tack, et chaque fois la chambre a renvoyé ces pétitions au département de la guerre. Je crois qu'il y aurait peut-être lieu à ordonner l'impression du rapport avant de prendre une résolution.
M. le président. - La commission propose le renvoi, avec demande d'explications.
M. Verhaegen. - Je désire alors que la chose soit considérée comme très urgente et que M. le ministre nous donne les explications le plus tôt possible.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Zoude. - Messieurs, je prendrai la liberté d'appeler l'attention de la chambre sur la souscription ouverte par la banque de Belgique en faveur des incendiés de Hambourg ; une liste de souscription est déposée à la salle des conférences, je la recommande à votre bienveillance.
M. de Garcia dépose le rapport sur le projet de loi relatif à la police de la grande et de la petite voirie.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et décide qu elle discutera le projet de loi après les objets qui sont déjà à l'ordre du jour.
M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu la discussion du projet de loi tendant à accorder au gouvernement un crédit supplémentaire de fr. 4,290,045-64, applicable au paiement de créances arriérées. M. le ministre des finances se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Smits) - Oui, M. le président.
M. le président. - L'article unique du projet de loi de la section centrale est ainsi conçu :
« Article unique. Le budget de la dette publique pour l'exercice 1840 est majoré d'une somme de 504 422 fr. 32 c., pour faire face aux dépenses arriérées de l'exercice 1837 et des exercices antérieurs (tableau n°1).
« Cette allocation formera le chap. IV, article unique, du budget de la dette publique pour 1840.
« Le budget du département des finances pour l'exercice 1840 est majoré d'une somme de 3,785,6243 fr. 32 c., applicable au paiement des dépenses arriérées de l'exercice 1837 et des exercices antérieurs (tableau n° 2).
« Cette allocation formera le chap. VII, art. 1er à 4 du budget du département des finances pour1840. »
M. Osy. - Je suis charmé, messieurs, de voir qu'enfin nous en venons à discuter une loi qui a été présentée en 1840, et qui a pour objet de régulariser des objets concernant le ministère des finances ; mais je dois saisir celle occasion pour faire une observation sur un payement qui a été fait en 1833 d'une manière très irrégulière. Par un jugement du 1er octobre 1833, le ministère des finances fut condamné à payer une somme de 53 mille fr., du chef d'une saisie irrégulière de sucre ; on aurait dû demander à la chambre un crédit pour faire ce payement ; au lieu de cela, on l'a fait faire par les caisses de la douane, et cet objet est resté pendant neuf ans sans être régularisé. Je signale ce fait pour qu'il ne se reproduise plus, pour qu'à l’avenir un ministre des finances ne fasse plus des payements sans y avoir été autorisé par la législature.
M. Mercier. - Je ferai remarquer que si le gouvernement n'avait pas fait le paiement dont il s'agit, en 1833, par forme d'avance, il aurait dû supporter jusqu'à ce jour les intérêts de la somme du paiement de laquelle il avait été condamné. Si la chose n'a pas été régularisée plus tôt, ce n'est pas la faute du gouvernement, car il y a 6 ou 7 ans, qu'il nous a présenté des projets de lois relatifs à des créances arriérées dans lesquelles la somme en question se trouvait comprise. Le gouvernement a agi dans cette affaire par des motifs d'économie, il a fait le paiement immédiatement pour éviter des intérêts et des frais de poursuites ultérieures, je pense, donc que les motifs qui ont guidé le gouvernement peuvent excuser ce qu'il y a d'irrégulier dans la marche qui a été suivie.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, il est bien vrai que le gouvernement a présenté différents projets de loi tendant à faire régulariser ce dont il s'agit en ce moment ; mais la plupart des sommes que le gouvernement demande aujourd'hui n'avaient pas fait partie des premiers projets. Par suite, il reste toujours vrai de dire que lorsqu'on a présenté les projets de loi de régularisation, la dépense dont a parlé l’honorable M. Osy, avait été réellement faite et les deniers étaient sortis des caisses de l'Etat. C'est une irrégularité qui certes ne doit plus se reproduire ; mais cette irrégularité, dans le projet en discussion, ne se présente pas seulement pour l'article qui a été signalé par l'honorable M. Osy ; il y en a d'autres encore et beaucoup trop, selon moi. Aussi, la commission des finances n'a entendu allouer les crédits, que sous la réserve que toutes les dépenses à régulariser seraient déférées au jugement de la cour des comptes.
D'un autre côté, je ferai remarquer que certaines administrations ne se contentent pas de dépenser les sommes qui leur sont allouées pour plaider ; elles les excèdent souvent, et, sous prétexte de régularisation, on vient demander des suppléments de crédits, C'est le cas qui se présente encore dans le projet de loi en discussion pour deux de ces administrations.
On prétend que c'est une nécessité ; mais je crois qu'il serait beaucoup plus régulier de demander une somme supérieure à celle qu'on entend dépenser.
N'oublions pas surtout, messieurs, qu'à propos de ces procès dont on a parlé si souvent dans cette enceinte, ce n'est pas seulement le trésor qui supporte des pertes, ce sont encore les citoyens qui ont à soutenir des procès contre le gouvernement. Il faut qu'à l'avenir on soit plus sobre de procès, qu'on se fasse rendre un peu compte de toutes les conséquences des procès qu'on soutient, et alors peut-être on ne dépensera pas autant d'argent.
M. Dumortier. - Messieurs, comme on vient de parler des procès que le gouvernement intente, je dirai quelques mots à l'assemblée touchant les procès que l'on intente à des fermiers dans les environs de Tournay ; je suppose que les mêmes choses se passent ailleurs.
Lorsque les cultivateurs se rendent au marché pour vendre leurs grains, comme ils ont quelques lieues à parcourir, ils se servent, pour faire ce parcours, de leurs chevaux de labour qu'ils montent en selle. Cela s'est fait de tout temps. Eh bien, jusqu'ici on a toléré que ces cultivateurs pussent ainsi venir, exclusivement dans l'intérêt de leur agriculture, vendre leurs grains au marché. Maintenant on dresse des procès-verbaux à leur charge, on les attaque, on veut taxer leurs chevaux comme chevaux mixtes, tandis que ce sont des chevaux intéressant exclusivement l'agriculture. Lorsque nous avons fait la loi qui modifie l'ancienne législation sur cette matière, nous avons demandé à l'honorable M. d'Huart, qui était alors ministre des finances, si c'était dans le sens qu'on l'applique aujourd'hui qu'il entendait exécuter la loi ; il a formellement déclaré que non ; il a dit que lorsque les fermiers ne montaient à cheval que pour aller vendre leurs grains, ils ne devaient pas payer pour leurs chevaux comme chevaux mixtes.
Or, malgré cette déclaration formelle du ministre, on n'a cessé de tracasser les fermiers dans les environs de Tournay. Pour mon compte, je désire que le gouvernement n'use pas de la sévérité que je vois mettre dans ces procès ; ces procès sont odieux aux populations ; il faudrait singulièrement les restreindre.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.
L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Le budget de la dette publique pour l'exercice 1840 est majoré d'une somme de 504,422 fr. 32 c., pour faire face aux dépenses arriérées de l'exercice 1837 et des exercices antérieurs (tableau n°1).
« Cette allocation formera le chap. IV, article unique, du budget de la dette publique pour 1840.
« Le budget du département des finances pour l'exercice 1840 est majoré d'une somme de 3,785,6243 fr. 32 c., applicable au paiement des dépenses arriérées de l'exercice 1837 et des exercices antérieurs (tableau n° 2).
« Cette allocation formera le chap. VII, art. 1er à 4 du budget du département des finances pour1840. »
Est adopté, par appel nominal, à l’unanimité des 56 membres présents, .
La loi sera transmise au sénat.
Ont voté l'adoption :MM. de la Coste, Cools, de Baillet, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Mérode, Demonceau, de Potter, Desmet, de Terbecq, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Fleussu, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Vanderbelen, van Volxem, Verhaegen, Zoude et Fallon.
Le projet de loi, proposé par la commission spéciale des finances est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit de 297,963 fr. 79 c., applicable au paiement des créances dues en vertu de jugements définitifs ou de transactions passées pour mettre fin à des procédures commencées, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.
« Cette allocation formera le chapitre VIII du budget de la guerre pour l'exercice 1842. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) déclare se rallier à ce projet.
M. le président. - Ainsi la créance du sieur Janssens restera ajournée.
La discussion générale est ouverte sur le projet de la commission.
M. Osy. - Messieurs, j'appuie de toutes mes forces l'ajournement de la créance du sieur Janssens, mais je crois que le gouvernement devrait profiler de l'occasion pour réclamer auprès du gouvernement néerlandais, afin qu'il traite les Belges au moins sur le même pied ; nous n'annulons pas le crédit demandé, nous ne faisons que l'ajourner.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, la créance dont il s'agit est celle du sieur Janssens. La commission a dû reconnaître que cette créance était fondée ; la seule objection qu'elle a eu à faire, c'est que la créance appartient à un Hollandais. La commission se serait empressée d'en proposer le paiement, si des créances semblables que des Belges ont à réclamer en Hollande, du chef de terrains pris pour les fortifications, étaient payées. Mais il n'en est rien. On a produit, lors de la discussion secrète de la loi des indemnités, une pièce signée par trois ministres hollandais et par laquelle ils déclaraient que les Belges dont il s'agit n'avaient aucun droit à faire valoir à charge de la Hollande.
C'est à raison de cette circonstance que la commission a cru devoir proposer l'ajournement de la créance.
- Personne ne demandant plus la parole, les deux articles du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble de la loi.
Le projet est adopté à l'unanimité des membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.
Les membres qui ont répondu à l'appel sont : MM. de La Coste, Cogels, Cools, de Baillet, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Mérode, Demonceau, de Potter, Desmet, de Terberq, de Theux, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Fleussu, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, van Cutsem, Vandensteen, Vanderbelen, van Volxem, Verhaegen, Zoude et Fallon.
M. Delfosse. - Je profiterai de la présence fort rare de M. le ministre de la guerre pour lui adresser une interpellation. A la séance du 27 janvier dernier, j'avais fait l'observation suivante :
« Le tableau annexé au projet de loi des crédits supplémentaires pour l'exercice 1841, porte une allocation de 420,699 fr. pour les fourrages de 600 chevaux ; en supposant que la ration soit de 1 fr. 25 c. par jour et par cheval, on arrive à une somme de 273,750 fr. Je désire que l'on m'explique la différence qu'il y a entre cette somme et celle de 420,699 fr. que M. le ministre a demandée. »
Voici ce que M. le ministre m'avait répondu :
« Je puis assurer qu'il n'a pas été demandé plus qu'il ne faut ; mais il me serait impossible d'indiquer maintenant la base du calcul ; je prendrai à cet égard des renseignements. »
Je demanderai à M. le ministre s'il ne pourrait pas nous communiquer les renseignements que son prédécesseur avait promis de nous donner
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je donnerai ces renseignements demain à la chambre.
M. le ministre des finances (M. Smits) déclare se rallier à la rédaction de la section centrale.
« Article unique. Un crédit supplémentaire de quatre-vingt-quatre mille neuf cent quarante et un francs quatre-vingt-dix centimes (fr. 84,941 90) est ouvert au budget du département des finances de l'exercice 1842, chapitre IV, article 10, destiné à faire face aux condamnations en garantie envers les villes et communes de Herve, Petit-Rechain et Dison, pour remboursement de capitaux et payement, arrérages empruntés pour construction de chaussées reprises par les ci-devant états provinciaux. »
M. de La Coste. - Je ne m'attendais pas à ce que cette loi fût discutée aujourd’hui : sans cela, j'entrerais dans quelques développements. Mais cependant, je prendrai la liberté de demander soit à M. le ministre des finances, soit à M. le rapporteur de la commission, pourquoi on traite plus favorablement les créances dont il s'agit que d'autres prétentions de même nature et que toute autre créance reconnue à la charge de l'Etat.
Il me semble que les jugements ne font que constater une dette, qu'ils ne rendent pas cette dette plus sacrée, plus véritable que si elle était reconnue spontanément par l'Etat. Il n'y a, ce me semble, aucune différence entre une dette que l'Etat ne conteste pas et une dette que l'Etal est obligé d'admettre après l'avoir contestée,
Celle dont il s’agit ici résulte d’une garantie réclamée par les communes de Dison, Herve et Petit-Rechain, à charge de l'Etat, comme représentant les anciens états du pays et étant en possession d'une chaussée qui a été construite par ces communes, au moyen de capitaux fournis par des particuliers.
Mais la ville de Bruxelles et d'autres communes avaient aussi des chaussées dont l'Etat a pris possession et sur lesquelles des capitaux ont été levés près de particuliers. Ces communes n'ont pas cru pouvoir réclamer ; elles n'ont pas d'arrêt en leur faveur, mais la dette n'est pas moins réelle. Le débiteur doit également à ceux qui n'ont pas obtenu de jugement contre lui et à ceux qui l'ont fait condamner.
Il me semble que la position de l'Etat vis-à-vis des autres communes ayant construit des chaussées dont elles ont été privées est la même que vis-à-vis de celles dont il s'agit ici. Les observations concernent la dette en elle-même. J'examinerai maintenant en second lieu la question quant au mode de liquidation. La dette étant reconnue, il appartient toujours à l'Etat de statuer sur le mode de liquidation, La dette dont nous nous occupons appartient à l'ancienne dette du pays. C'est par des circonstances particulières qu'elle n'a pas été comprise dans la liquidation des dettes du gouvernement français et du gouvernement précédent. De ce que ces créanciers ont laissé passer les délais, ont glissé pour ainsi dire entre les lois sur la matière, je ne vois pas qu'ils doivent être mieux traités que ceux qui ont réclamé en temps. Il y aurait les mêmes motifs pour admettre en liquidation intégrale les deux tiers des anciennes dettes de nos états. Je désirerais que M. le ministre des finances m'expliquât les motifs de préférence en faveur de celle-ci.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Si je comprends bien l'honorable préopinant, il veut que les créances qui sont tombées à la charge de l'Etat ne soient pas liquidées autrement que les créances à charge des communes. Son raisonnement tend à établir que le jugement veut reconnaître, mais non modifier le droit. Or, quel était le droit des créanciers vis-à-vis des communes à l'époque de la liquidation générale ? Comme la plupart des communes ont tiercé leurs dettes, en créant, pour la somme admise en liquidation, une partie en dette active et une partie en dette différée, l'honorable M. de la Coste voudrait que les créances dont il s’agit au projet de loi ne soient liquidées que d'après les principes admis ou à admettre pour la liquidation des autres dettes constituées des communes intéressées au débat actuel. Si cette opinion était admise par la chambre, le crédit pourrait rester ouvert jusqu'à ce qu'on ait opéré la liquidation d'après les lois sur la matière.
Quoi qu'il en soit, messieurs, le gouvernement a cru devoir vous demander le crédit en question uniquement par respect pour la chose jugée.
J'attendrai le reste de la discussion.
M. Demonceau, rapporteur. - Les questions soulevées par un honorable préopinant n'ont pas échappé aux investigations de la commission des finances. Elle s'est fait reproduire les dossiers relatifs aux différents procès soutenus contre les communes. Et après mûr examen du tout, elle a été convaincue, par les pièces qui lui ont été soumises par le département des finances, qu'il n'y avait pas possibilité d'échapper à l'exécution des jugements et arrêts rendus par les tribunaux.
Voici à quelle occasion ces procès ont eu lieu : déjà, il en avait été question dans la discussion du budget des finances. Ces procès sont nés à raison de garanties que les états de l'ancien duché du Limbourg ont prises, à leur décharge, pour libérer les communes qui avaient construit certaines chaussées. Vous n'ignorez pas, messieurs, que les biens des communes ont été d'abord déclarés biens de l'Etat ; aussi longtemps que cet état des choses a existé et même postérieurement, les créanciers des communes n'ont pas pu obtenir le payement de leurs dettes ; mais à l'époque où les communes ont pu être assignées, elles ont été poursuivies. Les communes, qui avaient une garantie contre le domaine, l'ont attrait en cause, et le domaine a opposé toutes les exceptions dont vient de parler M. de la Coste ; il a fait valoir la déchéance prononcée par la loi de 1818 ; il a fait valoir certaines prescriptions. Les tribunaux ont cru devoir condamner le domaine. Si vous voulez me le permettre, je vous lirai l'un des considérants de l'un des arrêts rendus, vous verrez que toutes ces questions ont été résolues.
« Attendu que les lois concernant la liquidation des dettes de l'Etat sont sans application aux résultats d'une action en garantie dirigée contre le gouvernement pour une dette communale ; d'où il suit que c'est avec raison que le premier juge s'est borné à condamner l'Etat à indemniser les communes intimées des condamnations prononcées contre elles. »
La loi de 1818 prononçait non seulement la réduction de la dette, mais une déchéance. Le gouvernement a opposé la déchéance. Les tribunaux n'ont pas cru devoir admettre cette déchéance, parce que les communes étaient dans le délai de la loi pour faire liquider leurs créances à charge de l'Etat. La commune de Herve était dans une position différente des communes de Petit-Rechain et de Dison. La commune de Herve prétendit que le titre des créanciers n'était pas valable. Le tribunal de première instance avait donné raison à cette commune ; le domaine avait eu également gain de cause. La cour de Liége a jugé la question d'une manière différente.
La cour de Liége a condamné les communes à payer à leurs créanciers toutes les annuités échues avant le code civil, cinq annuités échues depuis la publication du code civil ; elle a condamné en outre les communes à rembourser les capitaux. Statuant sur le recours en garantie dirigé par les communes contre l'Etat, elle a déclaré que « l'Etat aurait à garantir la ville de Herve de toutes les condamnations portées contre elle en principal, intérêts et frais. » La commune de Herve était condamnée à payer la somme, d'après le mode à régler par l'autorité administrative. De là discussion entre la ville de Herve, le domaine et les créanciers de la ville.
Qu'avez-vous voulu dire, demandait-on à la cour de Liége, lorsque vous avez condamné la ville de Herve à payer les annuités échues avant le code civil, cinq annuités échues depuis et à rembourser les capitaux, d'après le mode à régler par l'autorité administrative ? La cour de Liége a été saisie d'une demande en interprétation de ses trois premiers arrêts. Par trois arrêts qui ont suivi et qui sont datés du 27 juin 1840, la cour de Liége a déclaré « qu'elle n'avait nullement entendu assujettir à une liquidation à faire par l'autorité administrative le paiement des sommes adjugées par les arrêts du 20 avril 1837, mais uniquement laisser à cette autorité le droit qu'elle a de déterminer le mode d'exécution du paiement. » Ainsi la cour de Liége a décidé qu'elle avait elle, autorité judiciaire, le droit de condamner au paiement des sommes reprises aux trois arrêts du 27 avril 1837.
Le domaine, qui avait prétendu que vis-à-vis des créanciers il fallait absolument une liquidation de la part de l'autorité administrative se pourvut en cassation contre ces arrêts interprétatifs des trois premiers. Voici comment la cour de cassation a jugé la question. Je vous prie d'y faire attention, parce que c'est une question extrêmement délicate, eu égard aux motifs que donne la cour de cassation :
« Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens :
« Attendu qu'il est bien vrai qu'une cour ne peut, sans contrevenir à la chose jugée, étendre, restreindre ou changer les dispositions d'un premier arrêt, sous prétexte de l'interpréter, mais qu'on ne peut faire ce reproche à l'arrêt attaqué, puisque, d'une part, il laisse à l'autorité administrative le droit qu'elle a de déterminer le mode d’exécution ou la manière de payer, ce qui est l'explication juridique et naturelle des termes du précédent arrêt, qui décidait que le paiement aurait lieu d'après le mode à régler par l’autorité administrative, et que, d’autre part, il n'aurait pu admettre que l'autorité administrative aurait pu changer le chiffre de la dette ou les sommes adjugées, sans violer l'art. 92 de la constitution, qui déclare que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux, et sans autoriser l'autorité administrative à empiéter sur les attributions du pouvoir judiciaire reconnu par la constitution ;
« Attendu au surplus que l'interprétation faite par l'arrêt attaqué est parfaitement d'accord avec l'art. 131 de la loi communale du 30 mars 1836, qui porte, au commencement et numéro quatre, que le conseil communal est tenu de porter annuellement au budget les dettes de la commune liquidées et exigibles, et celles résultant de condamnations judiciaires à sa charge, ce qui démontre que si l'autorité administrative a encore à s'occuper des sommes à payer après une condamnation judiciaire, ce ne peut être sous le rapport de ce qui a été jugé, ou quant à la hauteur de la somme à payer, mais seulement quant au mode d'exécution ou la manière de payer ;
« Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt attaqué n'a aucunement contrevenu à l'autorité de la chose jugée formant le deuxième moyen, qu’il n'a commis aucun excès de pouvoir, ni contrevenu aux lois sur la liquidation des dettes des communes formant l'objet du troisième moyen, et qu'il a encore moins contrevenu aux lois qui établissent la séparation et l'indépendance des autorités administratives et judiciaires invoquées à l'appui du quatrième moyen ;
« Attendu que le demandeur ne propose aucun moyen spécial contre la ville de Herve, d'où il résulte que les motifs ci-dessus suffisent pour faire également décider que le pourvoi est non fondé à son égard. »
Ainsi voilà donc l'autorité judiciaire qui, appelée par le gouvernement à décider sur la contestation qui lui était soumise, a donné raison aux créanciers contre la commune et aux communes contre l'Etat. Les arrêts portent condamnation aux sommes que nous vous proposons d'allouer au gouvernement sur sa demande.
La question qui vous est maintenant soumise est tellement délicate que je crois que, quand même il y aurait mal jugé, on ne devrait pas encore refuser l'allocation demandée pour satisfaire aux condamnations portées contre l'Etat.
M. Dumortier. - Je reconnais, avec l'honorable préopinant, que la question est extrêmement délicate. Mais je ne puis admettre avec lui que, quand même il y aurait mal jugé, nous devrions voter le crédit demandé ; car nous ne serions de cette manière que les ordonnateurs de la cour de cassation.
Déjà cette discussion a été soulevée, lorsque nous nous sommes occupés du budget des finances, et vous vous souvenez que j'ai fait remarquer combien pouvait être dangereux le système qu'on voulait suivre, combien il pouvait être préjudiciable aux intérêts du trésor public ; en effet, autrefois toutes les routes du pays appartenaient aux provinces ou aux villes.
Sous le régime fédéral, qui existait autrefois sous le gouvernement autrichien, l'Etat n'était, comme en Angleterre, qu'un être supérieur, laissant aux provinces et aux communes le soin de faire les dépenses nécessaires à leurs intérêts. De là vient que dans notre Belgique les routes étaient provinciales ou communales, mais n'appartenaient pas à l'Etat. Sous le régime français, ce système fut aboli. L'Etat s'empara de toutes les routes provinciales et locales et supprima tout droit de barrière. A l'arrivée du roi Guillaume intervint une espèce de transaction, qui fut uniquement le fait du roi Guillaume. Il maintint l'Etat en possession des routes de première et de deuxième classe, et il donna aux provinces les routes provinciales.
Dès lors, vous concevez que la question peut avoir une très grande portée ; car, en vertu du principe qu'il invoque aujourd'hui, on pourrait demander à l'Etat l'import de toutes les routes provinciales ou communales. Il importe donc d'examiner si l'application que donne la cour de cassation à son arrêt est ou non fondée. Pour moi, je n'hésite pas à dire que l’application n'est pas fondée. En effet, l’art. 92 de la constitution porte : « Art. 92. Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. » Qu'est-ce que de telles contestations ? Des contestations entre citoyens, inter cives. Mais quand il y a contestation entre l'Etat et la commune qui est une fraction de l'Etat, il est bien certain qu'il ne s'agit pas de droits civils. S'il était possible de l'admettre, vous placeriez le pouvoir judiciaire au-dessus du pouvoir législatif. Ce ne serait plus le pouvoir législatif, ce serait le pouvoir judiciaire qui décréterait les dépenses. Voilà où vous arriveriez avec un pareil système.
J'insiste sur cette considération, parce que depuis dix ans que nous sommes constitués, quoique la constitution ait décidé qu'il fallait une loi sur les conflits, cette loi n'existe pas. Cela nous fait voir combien il est indispensable de voter cette loi dans le plus court délai possible. Je signale cette lacune à M. le ministre de la justice, lacune qui n'existait ni sous l'empire, ni sous le régime des Pays-Bas, puisqu'alors le chef de l'Etat pouvait retirer vers lui toutes les contestations.
Comme l'a dit l'honorable M. de la Coste, la décision des tribunaux n'est qu'une constatation de la dette.
Le législateur est toujours libre de décider ce qu'il juge convenable. S'il en était autrement, le pouvoir judiciaire serait au-dessus du pouvoir législatif.
Une autre question est celle du tiercement. Je pense, avec l'honorable M. de la Coste, qu'on aurait dû l'admettre ici, comme on l’a admis pour toutes contestations depuis le gouvernement des Pays-Bas.
Je ne vois pas pourquoi on n'a pas tiercé cette dette, comme on en a tiercé tant d'autres. Du reste, comme il s'agit d'une somme de peu d’importance, la chambre a passé légèrement là-dessus. Mais si pareille chose se représentait, je demanderais que le tiercement eût lieu.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne connais pas l'affaire de Petit-Rechain ; je ne connais pas les autres affaires pour lesquelles le crédit nous est demandé, et je ne veux pas les connaître, Je supposerai même qu'il y ait eu erreur de la part de la cour d'appel de Liège, qu'il y ait eu erreur de la part de la cour de cassation Ainsi je me place dans l'hypothèse la plus favorable au système de l'orateur que je combats. Je n'entre pas dans les questions qu'on soulève ; je n'ai pas pris la parole pour m'occuper des affaires en elles-mêmes ; je ne l'ai prise que parce que j'ai entendu proférer des mots qui, selon moi, conduisent à l'anarchie ; que parce que j'ai entendu ce que je dois appeler une hérésie.
Messieurs, à en croire l'honorable préopinant, la chambre juge en dernier ressort des arrêts de la cour de cassation ; et alors qu'une condamnation existe contre l'Etat, c'est à la chambre à examiner si l'Etat a été bien condamné et s'il doit payer. C'est là ce que veut l’honorable M. Dumortier qui, par un signe affirmatif, me confirme que je l'ai bien compris.
M. Dumortier. - J'ai dit que nous n'étions pas les recors de l'autorité judiciaire.
M. Verhaegen, - Eh bien, je le répète, c'est là une hérésie ; un pareil système conduit à l'anarchie.
D'après l'honorable M. Dumortier, l'art. 92 de la constitution ne devrait s'entendre que dans ce sens-ci que les contestations qui ont pour objet des droits civils, inter cives, entre les citoyens sont du ressort des tribunaux. Or, dit-il, comme le gouvernement n'est pas un citoyen, il en résulte que les contestations entre le gouvernement et un citoyen ne sont pas du ressort des tribunaux.
M. Dumortier. - J'ai dit : les contestations entre le gouvernement et une fraction du gouvernement.
M. Verhaegen. - Entre le gouvernement et une fraction du gouvernement, soit ; mais quand un gouvernement est en cause devant les tribunaux, le gouvernement est un particulier, et si vous tenez aux mots, je vous dirai que, d'après l'art. 92, la contestation entre le gouvernement et une fraction du gouvernement, est une contestation entre citoyens. Car devant les tribunaux le gouvernement est mis sur la même ligne que les particuliers, et le gouvernement doit obéir aux décrets de la justice.
Mais il est une chose que l'honorable M. Dumortier ne veut pas considérer comme il le doit : c'est qu'il y a dans l'Etat trois pouvoirs et que ces trois pouvoirs sont tout à fait indépendants l'un de l'autre. Ces pouvoirs ne peuvent être entravés l'un par l'autre, et du moment qu'un pouvoir veut entraver l'exercice d'un autre pouvoir, il n'y a plus d'Etat, il y a anarchie.
Pourquoi le pouvoir judiciaire ne serait-il pas aussi indépendant que le pouvoir législatif et que le pouvoir exécutif ? Je voudrais bien que l'honorable M. Dumortier nous donnât une raison à l'appui de cette opinion. Car, en poussant son argumentation un peu plus loin qu'il ne l'a fait, il prétendrait que le pouvoir judiciaire n'est rien, attendu que le pouvoir législatif peut mettre à ses décrets un véritable veto.
Le pouvoir judiciaire use du droit que la constitution lui donne, et l'article 30 de la constitution mérite tout aussi bien l'attention que l'article 92.
« Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux. Les arrêts et jugements sont exécutés au nom du Roi. »
Ainsi quand un jugement ou un arrêt en dernier ressort est posé, il est exécuté au nom du Roi. S'il vous était permis de venir dire qu'un jugement ou un arrêt n'est rien ici, et que les chambres ne sont pas obligées d'y obéir, non seulement vous entraveriez l'exercice du pouvoir judiciaire, mais vous mettriez de côté le pouvoir exécutif lui-même, puisque le pouvoir exécutif est obligé de donner des exécutoires aux jugements et aux arrêts.
Messieurs, le système de l'honorable préopinant, il importe de le faire remarquer, conduit aux plus graves dangers. Car, s'il appartenait à la chambre d'annihiler les jugements et les arrêts des cours et tribunaux, parce qu'ils seraient mal rendus, et c'est ce qu'avance M. Dumortier, il y aurait un recours de plus ; recours que nous ne connaissions pas jusqu'à présent, et qui serait au-dessus de la cour de cassation. Il y aurait un dernier pouvoir, la chambre, qui jugerait si la cour de cassation a bien ou mal appliqué la loi, et qui, dans ce dernier cas, anéantirait la décision de cette cour.
Ce n'est pas ainsi que l'on peut arranger les choses. Pareil système, je le répète, conduit aux conséquences les plus inconstitutionnelles. Quand un jugement existe, et qu'il n'y a plus de recours contre ce jugement, lors même qu'il émanerait d'un juge inférieur, vous devez le respecter. Ainsi, le gouvernement aurait plaidé contre un particulier ; il aurait été condamné à des sommes énormes par un juge de première instance ; les délais d'appel et de cassation seraient écoulés ; vous auriez beau venir démontrer qu'il y a eu erreur dans le jugement, le gouvernement serait condamné ; il ne pourrait plus avoir aucun recours, il devrait payer ; il ne saurait échapper aux suites du jugement.
L'honorable M. Dumortier confond deux idées bien distinctes ; et peut-être cette observation le forcera-t-il à revenir de son opinion première. L'on n'a pas de moyen d'exécution contre un gouvernement ; l'on n'a pas directement de moyen d'exécution même contre une commune qui ne veut pas payer. Cela est vrai ; mais autre chose est un jugement ou un arrêt qui a été rendu et qui a acquis l'autorité de la chose jugée, et autre chose est l'exécution qui est la conséquence de ce jugement ou de cet arrêt. Ainsi vous ne pouvez contre l'Etat procéder par voie d'exécution, parce que vous entraveriez les rouages de l'administration.
M. Dumortier**.** - C'est en d'autres mots ce que j'ai dit.
M. Verhaegen. - Pas du tout.
Vous n'avez pas le droit de faire des saisies-arrêts ou des saisies-exécutions, quand il s'agit d'une condamnation contre le gouvernement, mais le moyen, et le moyen légal, est de le forcer à porter au budget des dépenses la somme qui est le résultat de la condamnation.
Et si on ne peut procéder par voie de fait contre le gouvernement, ce serait de sa part une véritable voie de fait de dire : Nous devons porter cette somme au budget pour satisfaire à une condamnation, et nous ne la portons pas. Mais il est une autorité qui est au-dessus de toutes les autorités, c'est l'opinion publique ; et si l'on s'opposait à porter au budget une somme à laquelle on aurait été condamné, le gouvernement qui agirait ainsi deviendrait l'objet du mépris de tous les honnêtes gens. Il faut un terme à tout, il faut que chacun ait le moyen d'obtenir justice.
Voyez le résultat du système que l'on soutient. Il y a jugement en dernier ressort. Le gouvernement est condamné. La formule exécutoire pour le jugement sera exécuté au nom du Roi. Et vous viendriez dire : ce jugement exécutoire au nom du Roi, nous le repoussons, la chambre y oppose son veto. C'est là, je le répète, l'anarchie ; il n'y a plus de distinction de pouvoirs ; vous devez rayer de la constitution l'art. 32.
J'ai entendu, avec non moins d'étonnement, sortir de la bouche d'un autre honorable membre l'opinion que le gouvernement qui est condamné par un jugement en dernier ressort ne se trouve pas dans une autre position que le gouvernement qui reconnaît ses dettes ; et c'est ce qu'a dit l'honorable M. de la Coste ; assimilant le gouvernement au particulier qui reconnaît envers les uns qu'il est leur débiteur, et qui, ne le reconnaissant pas vis-à-vis des autres, est cependant condamné vis-à-vis de ces derniers.
Je répondrai à l'honorable préopinant que quand un particulier reconnaît ses dettes et ne veut pas les payer, il n'y a qu'un moyen, c'est de le faire condamner ; et que, quant au particulier, qui est condamné par un jugement en dernier ressort, la loi donne à ses débiteurs des moyens d'exécution.
Le gouvernement est mis sur la même ligne que le particulier alors qu'il s'agit de ses intérêts civils. Car le gouvernement, comme un particulier, traite de ses droits civils.
Et prenons-y garde, messieurs, le gouvernement lui-même doit soutenir cette thèse ; il le doit dans son intérêt. Si l'on pouvait admettre le système que l'on m'a opposé, qui donc voudrait encore contracter avec un gouvernement, chez lequel la force brutale prendrait la place de la loi, de la constitution ? J'aurais fait un traité avec le gouvernement ; je lui aurais même vendu une propriété immobilière...
J'entends l'honorable M. de la Coste dire qu'il ne s'agit pas de tout cela. Mais je n'ai pris note que des opinions qui ont été énoncées. Si les honorables préopinants ont eu d'autres intentions, ces intentions n'ont pas été manifestées dans les paroles que j'ai entendues ; et je crois que la plupart de mes collègues les ont comprises de la même manière que moi.
Le fait est, je le répète, que si un gouvernement ne pouvait être condamné en dernier ressort par le pouvoir judiciaire, il ne trouverait plus un seul individu qui voulût traiter avec lui.
M. Dumortier. - Il ne s'agit pas de tout cela.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Dumortier dit aussi qu'il ne s'agit pas de tout cela ; mais il a avancé ouvertement que le gouvernement n'étant pas un citoyen, l'art. 92 de la constitution ne lui était pas applicable. Il a dit que si la chambre ne pouvait mettre son veto à une décision judiciaire, il en résulterait les plus graves inconvénients. En prenant la parole, je n'ai d'autre but que de ne pas laisser passer ce que je regarde comme la plus grave erreur.
Quant à moi, je ne connais pas les faits qui ont donné matière aux procès ; je ne connais pas les motifs des arrêts en faveur des communes de Dison et Petit-Rechain. Mais je prends les choses dans l'état où elles sont ; et supposé même qu'il y eût quelque chose à dire à ces arrêts, nous n'avons pas à nous en occuper. Ces arrêts ont acquis force de chose jugée, et la chambre doit respecter la chose jugée.
M. de Theux. - Je suis chargé de vous présenter le rapport de la commission spéciale sur les amendements présentés au projet de loi apportant des modifications à la loi communale.
M. le président. - Quand la chambre veut-elle reprendre la discussion de ce projet ?
M. de Theux, rapporteur. - On pourrait fixer mardi.
M. Delehaye. - J'allais aussi proposer de fixer la discussion à mardi ; il faut le temps d'étudier le rapport, et lundi nous ne pourrons probablement pas avoir séance ; c'est le jour des élections provinciales.
M. Devaux. - Il faudrait au moins connaître les conclusions de la section centrale.
M. de Theux. - Pour l'intelligence des propositions de la section centrale, je devrais pouvoir vous citer en même temps les dispositions de la loi actuelle qu'il s'agit de modifier. Je n'ai pas la loi actuelle sous la main ; mais je donnerai toujours connaissance à la chambre des projets de lois que propose la section centrale.
M. de Nef. - On pourrait fixer la discussion à samedi.
Plusieurs membres. - Non ! non ! à mardi.
- La proposition de M. de Nef est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La chambre fixe ensuite la discussion à mardi prochain.
M. Demonceau, rapporteur. - Je tâcherai, messieurs, de ramener la discussion dans ses véritables limites. Je prierai la chambre de ne pas s'effrayer des conséquences de l'adoption du projet qui nous occupe. Le gouvernement a cru devoir saisir le pouvoir judiciaire de la question dont l'honorable M. Dumortier a parlé tout à l'heure, et le gouvernement a obtenu gain de cause. Ainsi, toutes les craintes que peut avoir l'honorable membre relativement aux routes qui ont été reprises par l'Etat soit directement, soit indirectement, toutes ces craintes sont dépourvues de fondement, puisque les tribunaux ont décidé la question en faveur du gouvernement.
J'ai déjà dit ma pensée, messieurs, sur les conséquences des décisions des tribunaux. ; je ne conteste pas à la chambre le pouvoir de paralyser l'effet des jugements, mais je crois qu'elle y réfléchira plus d'une fois avant de poser un semblable acte d'omnipotence,
Si j'ai bien compris l’honorable M. de la Coste, il ne se plaint pas de la décision des tribunaux, il m'a paru au contraire approuver cette décision, mais il se plaint de ce que les tribunaux n'ont pas appliqué à la question dont il s'agit, la loi de 1818 qui déterminait comment il fallait liquider les dettes à charge de l'Etat.
La loi de 1818, messieurs, était une loi toute spéciale, relative au règlement des dettes de l'Etat, et elle fixait en effet différents modes de paiement ; eh bien, la question a été soumise aux tribunaux, et ils n'ont pas cru, dans cette circonstance, devoir appliquer la loi de 1818. C'est là que serait le mal jugé dans l'opinion de ceux qui croient que la loi de 1818 est applicable. Mais, messieurs, alors même qu'il y aurait mal jugé, ce ne serait pas une raison pour refuser le crédit demandé.
Je pense donc que la chambre fera bien d'adopter le projet tel qu'il est présenté par le gouvernement et admis par la commission des finances.
M. Dolez. - Je ne compte pas entrer dans l'examen de la question soulevée par l'honorable M. Dumortier, à qui l'honorable M. Verhaegen a déjà répondu. Je crois qu'il est de ces questions tellement graves, tellement brûlantes, qu'il ne faut pas les discuter dans cette enceinte sans une absolue nécessité ; or, je vais démontrer que cette nécessité n existe pas, que la question que nous avons à examiner est très simple et d'une très faible importance.
L'honorable M. Dumortier s'est préoccupé de la gravité de la question des routes en général, sous le point de vue des réclamations que les communes pourraient faire du chef de la reprise des routes par l'Etat, au moment de l'occupation de nos provinces par la France. Eh bien, messieurs, il ne s'agit pas de cette question dans l'espèce. Cette question a été soulevée par la ville de Namur contre le gouvernement, et la ville de Namur a succombé tant en appel qu'en cour de cassation. Ainsi, messieurs, cette question, qui avait réellement une importance effrayante pour le trésor, ne peut plus être soulevée contre l'Etat avec chance de succès.
Voici maintenant, messieurs, le seul point dont il s'agit en ce moment.
Dans le Limbourg, plusieurs communes avaient construit des routes à leurs frais, au moyen de capitaux empruntés aux particuliers ; postérieurement à la construction de ces routes, il intervint des conventions entre les états du Limbourg et les communes, d'après lesquelles les états du Limbourg reprirent les routes et s'obligèrent à payer aux lieu et place des communes les capitaux empruntés. Les communes n'avaient donc absolument rien à réclamer de l'Etat ; mais en 1827, 1828, 1831 et 1832, les créanciers des communes dont il s'agit en ce moment, en vertu de leurs anciens titres, assignèrent celles-ci en justice pour obtenir le payement de leurs créances ; les communes s’adressèrent alors au gouvernement et lui dirent : « Vous représenter les anciens états du Limbourg, et vous êtes obligé, en vertu de nos conventions avec ces états, de payer en notre lieu et place ; voici le moment d'exécuter cette obligation, puisque les créanciers réclament le payement des sommes qui leur ont été empruntées. »
C'est sur cette réclamation, messieurs, bien différente de celles dont a parlé l'honorable M. Dumortier, que les tribunaux ont été appelés à statuer, et ont porté le jugement qu'il s'agit aujourd'hui d'exécuter. La cour de Liége, ensuite la cour de Bruxelles, chambres réunies, et, enfin, la cour de cassation ont reconnu que, dans l'espèce, il ne pouvait pas être question de la liquidation d'une dette à charge de l'Etat, puisqu'il s'agissait d'une dette communale que l'Etat, par voie de recours, était obligé de payer, non pas aux créanciers primitifs, mais aux communes envers lesquelles les anciens états du Limbourg s'étaient engagés.
Remarquez, messieurs, qu'il s'agit ici d'une action en garantie qui ne prend naissance qu'au moment des poursuites ; or, les poursuites n'ont été dirigées contre les communes de Dison et de Petit-Rechain qu'en 1827, 1828, 1831 et 1832 ; on ne pouvait donc pas appliquer le mode de liquidation établi par la loi de 1818.
Ainsi, messieurs, c'est une position toute particulière qui a amené le jugement dont il s'agit en ce moment ; la question ne peut plus se reproduire, si ce n'est encore pour une créance d'une vingtaine de mille francs, dus à une autre commune du Limbourg. Quand cette créance sera liquidée, vous aurez complètement fini des contestations relatives aux routes du Limbourg.
Je pense donc, messieurs, qu'il est inutile de revenir sur la question brûlante soulevée par l'honorable M. Dumortier et qui est tout à fait étrangère à l'objet dont nous avons à nous occuper ; je crois que la chambre, fidèle aux antécédents qu'elle a posés relativement à des créances de cette nature, n'hésitera pas à voter le crédit demandé
M. de Garcia. - Je ne répondrai pas longuement à ce qui a été dit par l'honorable M. Dumortier, puisqu'il y a déjà été répondu par les honorables MM. Verhaegen et Dolez. Je dirai seulement qu'il me semble que la discussion s'est un peu égarée. L'objet des observations de M. de la Coste était de faire porter en dépense les sommes réclamées par les communes sans qu'il y ait condamnation ; mais tout ce qui a été dit prouve qu'on ne peut pas faire droit à ce que demande l'honorable M. de la Coste. D'après les observations présentées par d'honorables collègues, nous devons applaudir à la conduite du gouvernement qui ne porte point dans sa demande de crédit les sommes qui peuvent être réclamées sans décisions judiciaires, la question étant trop délicate.
L'honorable M. Dumortier a critiqué l'arrêt de la cour de cassation ; sans vouloir reconnaître le bien jugé de ce corps, je déclare que je crois que la cour de cassation est au-dessus de tous les pouvoirs ; le pouvoir judiciaire est le plus indépendant de tous les pouvoirs de l'Etat. Si comme particuliers nous pouvons critiquer ses décisions, comme pouvoir nous ne pouvons pas le faire. Je le répète, le pouvoir judiciaire est le plus indépendant de tous, et tandis que nous pouvons faire la critique du pouvoir exécutif, ce qui nous arrive chaque jour, il nous est interdit, selon moi, d'en agir ainsi à l'égard des décisions de la magistrature, qui, dans notre Etat constitutionnel, est la sauvegarde de tous les droits civils et politiques, et dès que vous y toucherez, vous tomberez inévitablement dans l'anarchie.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, plusieurs des observations qui vous ont été présentées, s'étaient produites dans le sein de la commission des finances. Elle avait aussi été frappée au premier abord des conséquences des projets de loi qui vous étaient soumis, et elle n'a voulu se prononcer qu'après s'être fait produire les arrêts.
On dit qu'il ne peut y avoir de doute sur la compétence des tribunaux en cette matière.
Je conviens qu'il est incontestable que les tribunaux sont compétents pour décider que telle dette incombe à l'Etat. Mais que, pour ce qui concerne l'ancienne dette constituée, il appartienne aux tribunaux de déterminer suivant quelles règles l'Etat devra la liquider et la payer, tant en principal qu'en arrérages, c'est ce que je ne puis pas admettre.
La liquidation de l'ancienne dette des communes, ainsi que celle de l'ancienne dette constituée de l'Etat, sont des matières administratives qui, selon moi, sont demeurées dans le domaine de l'administration. Je ne crois pas que ce soit là proclamer un principe anarchique, car je pense que, dans tous les pays qui nous environnent, le pouvoir judiciaire n'intervient pas dans ce qui concerne la liquidation de la dette publique.
Dans les affaires dont il s'agit, l'Etat n'est débiteur que comme représentant des anciens états du Limbourg, et parce que la dette dont il s'agit fait partie de l'ancienne dette constituée desdits états.
Or, il se trouve que la loi de 1818 a précisément déterminé non seulement la forme, mais les bases de la liquidation de l'ancienne dette constituée des états des provinces, devenue aujourd'hui la dette de l'Etat.
Les communes qu'on vient de représenter comme n'ayant rien à demander à l'Etat, tant qu'elles n'étaient pas elles-mêmes inquiétées, avaient tellement reconnu qu'elles avaient quelque chose à demander à l'Etat, qu'en exécution de la loi de 1818, elles s'étaient pourvues en liquidation pour les rentes dont il s'agit, dans le délai fixé, par-devant la commission de liquidation à La Haye ; elles avaient donc demandé alors elles-mêmes le paiement de ces créances selon les bases que la loi avait fixées, c'est-à-dire à raison de deux tiers de dette différée, et un tiers de dette active avec jouissance, à partir du 1er janvier 1818 ; voilà tout ce que l'Etat devait supporter et ce dont les communes auraient dû se contenter, s'il avait été prononcé sur leur demande, mais lorsque la révolution de 1830 est arrivée, la liquidation n'était pas encore faite.
Les communes, poursuivies par les créanciers originaires, appelèrent en garantie l'Etat devant les tribunaux. L'Etat opposa différents moyens, Il opposa, entre autres, la déchéance résultant de la loi de 1818. A quoi on répondit qu'on n'avait pas encouru la déchéance, puisqu'on s'était pourvu en liquidation en temps utile. L'Etat soutint encore que tous les droits des communes devaient se borner, en dernière analyse, à obtenir la liquidation, conformément à la loi de 1818 ; ici la demande même en liquidation formée en 1820 par les communes venait prouver qu'elles avaient reconnu que cette loi leur était applicable ; eh bien, ce moyen même a été rejeté.
Un premier arrêt de cassation a cassé l'arrêt qui avait rejeté le moyen qu'on avait puisé dans la loi de 1818 ; l'affaire a été portée devant la cour de Bruxelles, qui a formellement rejeté ce moyen, par le motif qu'il s'agissait, dans l'espèce, d’un recours en garantie dirigé contre l'Etat pour une dette communale.
On s'est de nouveau pourvu en cassation, mais dans ce second pourvoi, on n'a plus reproduit le motif qu'on avait invoqué d'abord. L'arrêt de la cour de cassation n'a donc pas eu à juger cette question. Mais il' n'en est pas moins vrai de dire que l'observation de l'honorable M. de la Coste est très juste et que par l’événement les créances dont il s'agit, se trouvent être des créances privilégiées. - Elles ne sont dues par l'Etat que parce qu'elles ont fait partie de l'ancienne dette des états du Limbourg ; car, à un autre titre, on n'aurait pas pu en demander le payement à l'Etat, et cependant elles ne sont pas liquidées sur les bases selon lesquelles l'ont été toutes les anciennes dettes dont l'Etat s'est chargé.
Je dois dire cependant que la condamnation contient une limitation dans les causes qui concernent les communes de Petit-Rechain et Dison. Les tribunaux ont refusé de considérer ces dettes comme dettes de l'Etat, mais elles les ont considérées comme dettes communales, parce que le premier débiteur était la commune. Or, messieurs, il y a aussi des lois et des règlements qui déterminent comment l'ancienne dette des communes doit être payée, et l'on n'a pas droit d'être payé d'une manière autre que celle qui a été fixée par ces lois et règlements.
Les communes dont il s'agit avaient dressé en temps utile les états de leur ancienne dette pour soumettre la liquidation à l'autorité administrative. Les bases de cette liquidation avaient été arrêtées par l'autorité ; on sait qu'il en a été ainsi de l'ancienne dette de chaque commune et que l'autorité a calculé ces bases de liquidation selon l'importance des ressources de chacun. Ainsi, elle avait arrêté que telles communes n'auraient à payer aucun arrérage antérieur à certaine époque ; que pour une certaine autre époque elles ne paieraient qu'une partie des arrérages, et qu'enfin à partir d'une troisième époque, elles serviraient les rentes en entier. Les tribunaux ont donc décidé dans cette affaire qu'on paierait suivant la liquidation et d'après le mode déterminé, ainsi par l'autorité administrative.
Ainsi, on a condamné à payer cette dette considérée comme dette communale, comme on doit payer les dettes communales de cette catégorie. Il me semble qu'en cela on a rendu hommage aux principes.
Mais dans d'autres affaires, dans celles de Herve qui se présentaient de la même manière, on n'a considéré la dette ni comme une dette communale, ni comme une dette de l'Etat, car, par ces arrêts, contraires a ceux rendus dans les causes de Dison et Petit-Rechain, l'Etat est condamné à payer non seulement le capital en entier, mais même des arrérages qui remontent à 45 ans. De sorte que si c'était une dette de l'Etat, on devrait la payer conformément à la loi de 1818 ; si c'était une ancienne dette de la commune, il semble qu'on ne devrait l'acquitter que conformément à la liquidation qui avait été arrêtée par l'autorité administrative pour les anciennes dettes des communes dont il s'agit. Eh bien, on ne paie ni d'après l'une ni d'après l'autre règle ; on paie tout, capital et arrérages.
J'avoue que ces résultats sont fâcheux pour le trésor public. Mais cependant il y a des arrêts. Nous en avons demandé la communication, afin de bien nous assurer que les condamnations étaient dans ces termes. Car si nous avions pu nous dire que les arrêts n'ont pas d'autre portée que de décider que la dette existe, il nous serait resté à examiner de quelle manière on doit la liquider. Alors bien certainement je me serais opposé dans le sein de la commission à l'adoption des projets de loi qui nous ont été présentés, et j'aurais voulu que ces projets établissent la liquidation conformément à la loi de 1818. Mais les arrêts sont formels, il ne peut plus y avoir de doute sur leur portée, et dès lors il m'a semblé qu'il fallait bien voter les fonds nécessaires pour y satisfaire. C'est pour ces motifs que j'ai donné mon assentiment dans le sein de la commission aux projets de loi dont il s'agit.
Je dois dire encore un mot en ce qui concerne les arrêts pour la commune de Herve. Dans ces arrêts on avait aussi fait mention du recours à l'autorité administrative ; mais, au lieu d'employer les expressions dont on s'était servi dans les autres arrêts, c'est-à-dire, suivant la liquidation et le mode déterminés par l'autorité administrative, on s'était borné à dire : suivant le mode déterminé par l'autorité administrative. Il y a eu des débats ultérieurs sur le sens de cette dernière expression, et la cour, interprétant ses arrêts, a décidé qu'elle avait entendu n'admettre le recours de l'autorité administrative que quant au mode d'exécution, mais non pas quant à la fixation du quantum.
M. de La Coste. - Messieurs, je craignais d'avoir mal expliqué ma pensée. M. de Garcia m'a rassuré à cet égard, l'honorable membre ayant parfaitement compris ce que j'ai voulu dire.
Mon intention n'a pas été de contester les dettes reconnues par les tribunaux, mais j'avais pensé que les dettes non reconnues par les tribunaux et qui étaient établies sur les mêmes droits, devaient être admises de la même façon.
Au surplus, et ceci répond à une objection d'un honorable préopinant, il ne s'agit pas ici de l'exécution d'engagements contractés par le gouvernement actuel, mais de dettes anciennes sur lesquelles plusieurs grands changements politiques ont passé et dont le sort a été réglé par des dispositions législatives ou administratives.
La condamnation des tribunaux entraîne-t-elle le payement immédiat de la dette ? ou se borne-t-elle à établir son existence ? et reste-t-il alors au pouvoir législatif à fixer le mode de payement ?
C'est une question excessivement grave, car ce ne sont pas 80,000 francs, mais des millions qui pourraient être compromis.
Cette question est la plus délicate qu'il y ait pour les finances, et je dirai presque, pour l'existence des communes, car il est certain que la liquidation des dettes des communes a été réglée par des dispositions de l'autorité administrative que les créanciers n'ont acceptées que parce qu'ils ne pouvaient faire autrement ; car, s'ils avaient voulu s'adresser à la justice, on les aurait arrêtés par un conflit d'attributions.
Je me crois obligé d'engager M. le ministre de l'intérieur à examiner cette question. La position des communes deviendrait très difficile, si l'on tentait de revenir sur les liquidations consommées, et si les tribunaux y donnaient la main.
Pour l'Etat, je vois le même danger, car tout le monde sait qu'il existe à sa charge une infinité de dettes qu'il ne conteste pas, qu'il reconnaît pleinement et dont cependant il ne paie qu'une partie, le tiers, par exemple. Qu'arriverait-il, si, comme dans l'espèce, il était condamné à payer le tout ?
Je ne m'étendrai pas aujourd'hui davantage à ce sujet. Je dirai cependant en terminant que nous arrivons à un résultat fort contraire à l’équité. Voilà un créancier qui trouve le moyen de se faire payer par l'Etat, à titre de garant de la commune, sur un pied tout autre et bien plus favorable que s'il avait été reconnu comme créancier soit de la commune, soit de l'Etat. Il y là un défaut manifeste d'équité ; car équité, c'est égalité ; si tous les autres créanciers ayant les mêmes droits pouvaient être payés de la sorte, je n'aurais rien à objecter ; mais comme il n'en sera rien, l'égalité, et par conséquent l'équité, est blessée à mes yeux. Cependant, comme on a provoqué une décision des tribunaux, non seulement sur la dette, mais sur le mode de liquidation, je n'insisterai pas sur ces observations, qui cependant me paraissent devoir attirer l'attention du gouvernement relativement aux con séquences que j'ai signalées.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne dois pas laisser clore cette discussion sans répondre quelques mots à M. Verhaegen.
L'honorable membre s'est placé, pour me combattre, sur un terrain que je n'accepte en aucune manière. Je n'avais jamais entendu que la contestation entre l'Etat et les particuliers ne fût pas du ressort des tribunaux, mais bien les contestations entre la commune ou la province et l'Etat, c'est-à-dire que les tribunaux n'avaient pas à connaîtrai des contestations entre une partie de l'Etat et l'Etat.
Maintenant que les arguments de notre honorable collègue soient très justes, je le reconnais, mais elles sont étrangères à ce que j'ai dit. En effet, il vient d'avancer que personne ne voudrait plus contracter avec l'Etat. Cela ne peut s'appliquer en aucune façon aux observations que j'ai présentées à la chambre ; car mes observations, je le répète, ne portaient pas sur les contestations qui pourraient s'élever entre une partie de l'Etat et l'Etat. J'ai dit que l'intervention des tribunaux en pareil cas serait une véritable anarchie, que cela présenterait la fable des membres qui se révoltent contre le corps. Jamais pareille chose ne peut avoir lieu dans un gouvernement sagement constitué. Ce qui vient d'être dit prouve jusqu’à l'évidence combien mes observations étaient fondées. Si les tribunaux pouvaient condamner l’Etat à payer des créances arriérées, même sans exécuter les lois générales de liquidation, demain nous pourrions nous voir condamner à payer peut-être plus de 30 millions. Je ne sais où nous irions avec un pareil système. Je me félicite d’avoir soulevé cette discussion. Elle éclairera non seulement la chambre, mais le corps judiciaire qui y regardera à deux fois, sachant que la chambre n'est pas disposée à exécuter aveuglément les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcée à charge de l'Etat.
M. Verhaegen reconnaît qu'il n'y a pas moyen de forcer l'Etat à exécuter un jugement. C'est ainsi que je l’entends. Nous pouvons, en refusant les fonds, paralyser un jugement que nous trouvons onéreux pour le trésor public.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Dumortier a changé de thèse : si ses premières paroles sont consignées au Moniteur, mes observations sont adéquates. Mais si elles sont dénaturées, j'aurai combattu une chose qui n'existait pas, j'aurai combattu une chimère. M. Dumortier a changé de système, et quoiqu'il ait changé de système, il commet encore une petite erreur. Il prétend que les tribunaux ne sont pas compétents pour connaître des contestations entre les communes et l'Etat. Le principe est le même pour les contestations entre les communes et l'Etat que pour les contestations entre les particuliers et l'Etat ; et tous les jours les tribunaux connaissent de pareilles contestations.
Ce qui m'étonne, c'est qu'on vienne mettre en doute la compétence des tribunaux, Quand les communes se sont présentées devant les tribunaux, et que l'Etat a été cité en garantie, il n'a pas prétendu que les tribunaux fussent incompétents. Il est fort étonnant que devant la chambre on soulève une question d'incompétence que le gouvernement n'a pas opposée lui-même, et qu'il n'a pas opposée parce que l'exception d'incompétence n'était pas fondée. Je ne vois pas de différence entre des dettes anciennes et des dettes nouvelles. Je sais que le pouvoir judiciaire ne doit pas intervenir dans la liquidation de la dette publique, mais les contestations entre des particuliers ou des communes et l'Etat, au sujet de la liquidation de la dette publique, car s'il naît des contestations elles peuvent avoir pour objet le mien et le tien, ces contestations sont alors du ressort des tribunaux, comme celles qui trouvent leur source dans d'autres difficultés.
Ici l'incompétence n'a pas été opposée ; des arrêts sont intervenus, ils ont l'autorité de la chose jugée ; de plus, une demande d'interprétation a été faite contre un ou plusieurs des arrêts rendus, et c'est à la suite de cette interprétation que les questions ont été définitivement jugées. Pour mon compte, je ne vois pas par quels moyens la chambre peut s'opposer à l'exécution de ces arrêts. Mais, dit-on, la chambre a toujours le moyen de s'y opposer ; il faut voter les fonds. Si le pouvoir judiciaire a fait son droit en condamnant l'Etat, on dira qu'on respecte ses jugements, mais on ne les exécutera pas. Messieurs, agir de la sorte, c'est donner dans l'anarchie !
Je sais que contre la force on ne peut opposer que la force, mais aussi alors où marchons-nous ? A la force qu'emploie le gouvernement vis-à-vis des particuliers ou des communes qui réclament l'exécution d'un payement, pour ne pas citer d'inconvénients plus graves, on oppose l'opinion publique.
Le gouvernement peut déclarer qu'il fait faillite ; dire : je suis condamné à payer, mais je fais faillite ; j'ai la force pour moi.
Si le gouvernement disait cela, il n'y aurait moyen ni pour les communes ni pour les particuliers de se faire payer. C'est comme si les tribunaux ne voulaient pas appliquer une loi, parce qu'elle est injuste. Le pouvoir judiciaire est aussi indépendant que le pouvoir législatif. Le pouvoir législatif ne peut pas faire qu'un jugement ne soit pas exécuté. Il faut que les pouvoirs n'empiètent pas l'un sur l'autre. Je n'ai fait ces observations que parce que je n'ai pas cru pouvoir laisser passer des principes subversifs de tout ordre et de toute idée sociale.
M. Dumortier**.** - Je regrette que l'honorable membre ne veuille pas comprendre les paroles que j'ai prononcées dès le commencement de cette discussion. L'article de la constitution, ai-je dit, porte : Les contestations ayant pour objet des droits civils, sont du ressort des tribunaux, et j'ai ajouté : qu'est-ce qu'une contestation ayant pour objet des intérêts civils ? C'est une contestation entre des citoyens, inter cives. J'ai fait remarquer que la contestation entre une commune ou une province et l'Etat n'était pas la même chose qu'une contestation entre l'Etat et un citoyen ; si l'honorable M. Verhaegen a voulu entendre autre chose, libre à lui. Mais je lui réponds : vous avez créé un fantôme pour vous donner le plaisir de le combattre ; vous vous êtes placé sur un terrain que je ne puis accepter.
Comment ai-je conclu ? en demandant qu'on vous présente au plus tôt une loi sur les conflits parce que la constitution l'ordonne et parce que cette loi est nécessaire. Il ne faut pas qu'on voie les communes plaidant contre l'Etat. L'Etat, dit-on, n'a pas fait plaider la question d'incompétence par ses procureurs du Roi, par ses avocats généraux ; il est condamné et bien condamné ! Je ne puis pas admettre un pareil système, dont les conséquences seraient incalculables.
Je maintiens que si vous voulez mettre un terme aux prétentions de cette nature, il faut combler la lacune qui existe dans nos lois, et qui fait que les pouvoirs ne restent pas dans les limites de leurs attributions. Je demande donc que M. le ministre s'occupe de cette loi, qui est attendue depuis dix années, et que le sénat a réclamé à plusieurs reprises.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Les considérations présentées par l'honorable M. Dubus n'ont pas échappé à l'administration, c'est dans ce sens que les intérêts du trésor ont été défendus. Et c'est par respect pour la chose jugée que nous avons présenté les projets de loi qui sont soumis à la chambre.
M. Orts**.** - Jusqu'ici on n'a pas répondu à un des arguments de M. Dumortier. Il prétend réduire la disposition de l'art. 92 aux contestations entre les citoyens.
M. Dumortier**.** - Pas du tout !
M. Orts**.** - Vous prétendez que quand l'Etat plaide contre une commune ou une province, cette proposition n'est plus applicable, de ce que la constitution se sert des mots : droit civil. Eh bien, si vous aviez combiné l'art. 92 avec l'art. 93, vous eussiez vu pourquoi l'art. 92 se sert des mots : droit civil. L'article 92 établit que toutes les questions de droit civil sans exception sont du ressort des tribunaux, tandis que pour les questions de droit politique dont il s'agit à l'art. 93, on admet des exceptions.
Voici ce que porte l'art. 93 : « Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. »
Ces exceptions qu'admet l'art. 93 pour les droits politiques prouvent que les mots droits civils, employés par l'art. 92 veulent dire des contestations entre des personnes ou collections de personnes que ce soient ; car qu'est-ce que l'Etat, la province, la commune ? ce sont des personnes civiles. L’article doit s'entendre de contestations de droits civils entre des personnes ou des personnes civiles. Vous ne voulez pas que l'Etat plaide contre la commune, vous ne voudrez pas non plus qu'il plaide contre les hospices et les bureaux de bienfaisance ; cependant cela arrive tous les jours. C'est faire abus des mots que d'interpréter l'art. 92 comme l'a fait M. Dumortier. Du reste, je m'en réfère à ce qu'a dit mon honorable ami M. Verhaegen.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 50 membres qui y prennent part.
Sur la proposition de M. Demonceau, la chambre met à l'ordre du jour de demain le projet de loi relatif à la demande de grande naturalisation formée par M. Grandry.
La séance est levée à 4 heures 3/4.