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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 décembre 1841

(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l'appel nominal à midi et demi, et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l'analyse d'une pétition du sieur François-Léonard Motte, dit Fallisse, à Liége, qui demande l'intervention de la chambre pour obtenir le paiement de sommes qu'il prétend lui être dues par le gouvernement hollandais.

- Renvoi à la commission des pétitions.

Commission d'enquête parlementaire sur chargée de s'enquérir de la situation actuelle du commerce extérieur

Rapport

M. de Foere dépose la première partie du rapport de la commission d'enquête parlementaire.

- La chambre en ordonne l'impression et la distribution.

Rapport sur une pétition

M. Zoude fait, au nom de la commission des pétitions le rapport suivant :

Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur la pétition de trois ex-directeurs d'hôpitaux, démissionnés par suite de suppression d'emploi avec jouissance d'une année de solde de non-activité, qui demandent un traitement d'attente.

Les pétitionnaires, au nombre de trois, exposent respectueusement à la chambre que, par suite de la réorganisation du service des hôpitaux militaires, chacun d'eux avait obtenu, par arrêté royal, une commission de directeur de 1ère classe ; que cette nomination, faite sur la proposition de M. le ministre de la guerre, avait été motivée sur les bons et loyaux services qu'ils avaient rendus à l'Etat;

Que les places ayant été supprimées depuis, ils devaient se trouver dans la même position que les officiers et fonctionnaires auxquels, en cas de suppression d'emploi, on accorde pendant cinq ans la demi-solde, cinq autres un traitement d'attente ou une pension de retraite ; que la même règle de justice aurait été suivie à leur égard, si M. le ministre de la guerre avait eu un crédit suffisant pour cette nature de dépense, et ce crédit, ils viennent le réclamer avec confiance de la justice de la chambre. S’il en était autrement, disent-ils, ils se trouveraient, par une mesure qui n'a pas d'antécédent, privés d'un avantage qui n'a jamais été contesté à aucun des employés militaires ou civils qui se trouvent dans leur position.

D'après cet exposé, votre commission estime qu'il y a lieu de réclamer des explications de M. le ministre de la guerre auquel elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1842

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIV. Commerce

Article 3

« Art. 3. Encouragements pour la navigation à vapeur entre les ports belges et ceux d'Europe, 100,000 fr. »

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du budget de l'intérieur. Nous en sommes arrivés à l'article 3 du chapitre XIV, « Encouragements pour la navigation à vapeur entre les ports belges et ceux d'Europe, 100,000 fr. »

- La section centrale propose de distraire ce crédit du budget pour en faire l'objet d'un projet de loi spécial.

M. le ministre propose, par amendement, la rédaction suivante :

« Encouragements pour la navigation à vapeur entre les ports belges et ceux d'Europe, ainsi que pour la navigation à voile, sans que, dans l'un ni dans l'autre cas, les engagements à prendre puissent obliger l'Etat au-delà de l'année 1841 : fr. 100,000 francs.

M. David. - Messieurs, une singulière contradiction que j'aperçois, et qui se répète périodiquement d'année en année dans cette assemblée, c'est de voir :

D'une part la parcimonie que certains membres de la chambre semblent mettre dans toute dépense qui doit concourir plus ou moins au développement de nos relations commerciales directes avec les pays étrangers ; et d'autre part, les efforts parlés que ces mêmes membres font constamment pour que le gouvernement procure des débouchés à notre industrie.

C'est ainsi que je suis frappé et que je l'ai toujours été de cette grande inconséquence qui demande les choses les plus difficiles et qui refuse les moyens les moins coûteux pour les accomplir.

Ces moyens, messieurs, fussent-ils complètement inutiles (ce qui ne peut jamais être), auraient encore l'avantage de servir de guide et de concours aux intérêts particuliers et d'entraîner vers tel ou tel lieu, le manufacturier ou l'armateur, qui, jusqu'ici, sont restés inactifs, faute de moyen de tenter une opération commerciale à l'étranger.

Ce n'est certainement pas d'une manière étroite qu'il faut envisager ces questions.

Il se peut, messieurs, comme le pensent beaucoup d'entre vous, que les essais que le gouvernement va tenter, ne soient point immédiatement couronnés de succès ; mais que peut-on donc faire dans le monde commercial sans un peu de hasard et beaucoup d'activité et d'efforts ? Il faut, dans ces sortes d'essais, porter ses regards au-delà du présent. La Belgique, je pense et je l'espère, n'est pas faite pour un jour, et je le dis hautement, cette sorte de malgré soi, que la chambre semble montrer dans le concours qu'elle prête au gouvernement, dans toutes les allocations qui concernent le commerce, semble dénoncer à l'étranger, qui nous observe, croyez-le bien, que nous-mêmes nous n'avons pas confiance dans l'avenir.

Mais, messieurs, regardez donc toujours dans ce qui concerne les sacrifices à faire par le trésor en faveur des relations commerciales au dehors, regardez donc l'Angleterre ; c'est pour ces sortes de choses qu'il est bon d'aller la consulter. C'est dans les systèmes qui lui profitent, qu'il faut l'imiter et non point dans les systèmes qui ont fait leur temps et qui, en dépit des énormes débouchés que possède cette grande nation, la jettent annuellement dans ses crises profondes.

Ce ne sont point ses errements douaniers qu'il faut suivre, puisqu'elle s'aperçoit elle-même aujourd’hui que ces errements ne peuvent plus la sauver, mais c'est dans les sacrifices que le gouvernement aime à s'imposer, en dépit de l'incomparable esprit d'entreprise qui règne en Angleterre. Vous en avez le chiffre devant vous, messieurs, le gouvernement anglais dépense pour ses lignes transatlantiques un subside de plus de 9 millions de francs, à condition que la navigation lui transporte ses correspondances. Jugez par là si les subsides sont utiles, là où on se plaint presque de trop d'activité, de quel effet ils seront là où l'activité doit être, pour, ainsi dire, provoquée, poussée, sans cesse éperonnée, pour qu'il se fonde au milieu de nous, ce qui nous manque essentiellement, des intermédiaires entreprenants, entre l'industrie indigène et la consommation étrangère.

Vous ne pensez point, messieurs, que, dans cette circonstance, je sois mû par un intérêt personnel quelconque. Au contraire, je dirai franchement que la réussite de la pensée gouvernementale me susciterait personnellement, sur quelques points, une concurrence que, comme industriel, on cherche naturellement à paralyser ; mais mes convictions me dominent ; il faut que le pays prenne la place qui lui appartient dans le monde consommateur, après en avoir pris une bien belle dans le monde producteur.

Nous sommes destinés à briller un jour à l'étranger si nous sommes larges, hardis, courageux, mais il faut que l'étranger s'habitue à voir nos pavillons flotter sur les mers et dans les ports. Il faut, en un mot, que nous nous aidions avec persévérance, avec énergie.

Dans une des discussions de la session dernière, lorsqu'il s'agissait de l'emprunt de 82 millions, un de nos honorables collègues, M. Meeus, disait qu'il regrettait que le gouvernement n'eût point élargi le chiffre de l'emprunt ; c'est entièrement mon avis dans l'objet qui nous occupe. Je voudrais voir consacrer des sommes plus importantes pour toute tentative qui peut faire connaître au dehors notre richesse, notre force productive, notre puissance industrielle. Je voudrais que des comptoirs belges fussent fondés sur tous les grands marchés de consommation. Je voudrais que la navigation transatlantique fût déjà commencée depuis 6 mois ; car, dans la situation actuelle du monde travailleur et de la concurrence, attendre ce n'est pas gagner du temps, c'est en perdre, c'est reculer, c'est inoculer une sorte de phtisie, c'est mourir lentement. Il faut à tout prix que nous cherchions à effacer cette sorte d'hostilité mortelle qui existe chez nous entre le commerce et l'industrie. Je conviens que la marche persévérante du gouvernement dans son système libéral de commerce a déjà effacé en partie cette hostilité. Depuis quelques années, en effet, elle s'amoindrit, mais cela ne suffit pas. Qu'on accorde à quelques industries les fruits de sages protections ; rien de plus sensé car si l'on nous ferme les portes à peu près partout, nous pouvons user de représailles dans toute industrie pondéreuse, mais que l'on demande des privilèges exagérés pour des produits qui peuvent s'infiltrer par fraude et qui se fraudent déjà aujourd'hui, que les droits sont si doux, cela ne soutient pas l'analyse. Vous serez repoussés partout où les douanes sont bien gardées et vous serez néanmoins exposés à l’infiltration interlope des marchandises prohibées. Il suffit de prendre la carte de la Belgique pour s'en convaincre. Elle a une seule province sur 9 qui ne soit pas province frontière. Alors, messieurs, ce ne sont donc point des moyens usés qu'il faut appliquer aux circonstances nouvelles, mais bien plutôt les moyens modernes, c’est-à-dire le concours du gouvernement là où les relations sont à établir, là où la route est à tracer. Le premier pas est le plus difficile et souvent impossible à franchir pour les intérêts privés.

Aidons, messieurs, autant qu'il est en nous le gouvernement dans la route qu'il doit parcourir, ne discutons pas sur les éventualités de l'avenir et si des sommes votées aujourd'hui peuvent nous engager à tout jamais, nous savons tous que nous restons complètement libres après ce premier vote et que les sommes que nous allouons ici, fussent-elles perdues, nous aurons toujours en nous-mêmes la satisfaction d'avoir rempli notre devoir, sans compromettre le moins du monde les intérêts des contribuables, car après tout, messieurs, la somme demandée est une goutte dans ce fleuve d'or qu'on appelle le budget.

Avant de terminer ce discours, j'ai à cœur, messieurs de vous donner communication d'une idée qui me semble contenir un germe d'avenir. Je l'ai communiquée déjà à plusieurs de mes collègues et on m'a fait des objections qui m ont paru exactes, mais qui n'ont rien détruit encore, me semble-t-il, de la vertu fondamentale de l'idée, que du reste je livre à l'appréciation du gouvernement et de la chambre.

Anvers est, selon moi, le chef-lieu naturel de notre grand commerce, c'est donc là qu'il faut chercher à nous développer, en faisant d'Anvers un entrepôt universel.

Ce but peut s'atteindre, telle est ma pensée, en déclarant Anvers port libre et en transportant la douane aux portes mêmes de la ville, soit en fondant un entrepôt complètement libre et qui n'ait absolument rien à faire avec la douane, où toute marchandise puisse entrer et sortir librement pour l'exportation, en un mot un établissement autrement complet que l'entrepôt libre que nous possédons, et pour sortir duquel il faut souvent, à cause des formalités, attendre 8, 15 jours et plus.

Ce que nous obtiendrons par là, messieurs, c'est un commerce de transit triple et quadruple de celui que nous avons aujourd'hui.

Alors, messieurs, on appréciera en Belgique ce que c'est que le commerce de transit, qui amène les importations directes, qui alimente les exportations d'un pays au point que la France, qui en 1832, n'avait avant sa loi libérale sur le transit, n'avait qu'un transit de 91 millions, en avait déjà conquis un de 205 millions en 1836. Le transit par la France n'a fait que croître depuis lors.

Disons, en passant, que nous avons aussi une loi de transit libérale. D'après l'esprit de cette loi, le transit ne payerait qu'un simple droit de balance ; mais, messieurs, d'après les formalités dont cette loi est hérissée, il n'est pas de négociant qui n'ait éprouvé que le véritable droit est jusqu'à décuplé, lorsque toutes les formalités ont été remplies.

Je forme donc aussi un vœu de voir soumettre la loi de transit à une révision et je crois le former avec d'autant plus d'opportunité que si l'état actuel des choses se prolonge, vous paralysez votre nouveau moyen de transport, le chemin de fer vers l'Allemagne.

Je voterai le subside de 100,000 fr. en regrettant que le gouvernement ne se soit pas montré plus large.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, l'honorable préopinant vous a témoigné sa surprise de la parcimonie avec laquelle la chambre accueille d'après lui, les subsides demandés pour l'industrie et notamment pour l'industrie de la navigation. Moi, messieurs, je me plains, au contraire, de la prodigalité avec laquelle on vote continuellement des dépenses énormes en faveur de l'industrie et particulièrement, en ce moment, en faveur de l'industrie de la navigation.

On met véritablement une prodigalité extraordinaire non seulement à encourager la navigation, mais même à se procurer des navires, dont je ne parlerai pas en ce moment, puisque cet objet est renvoyé à une discussion particulière.

C'est là, messieurs, une prodigalité contre laquelle je m'élèverai toujours. Et pourquoi toutes ces recherches à l'étranger pour trouver des débouchés où les produits de notre industrie puissent trouver leur placement ? Mais, messieurs, ces débouchés, il est plus que probable que vous ne les trouverez jamais. Consultez d'ailleurs les fabricants pour lesquels vous demandez toutes ces dépenses ; ils vous diront que vous cherchez ce que vous ne trouverez jamais.

Les marchés étrangers sont depuis longtemps dans la possession de l'Angleterre et de la France, et lorsque vous vous y présenterez pour placer vos produits, vous devrez perdre au moins 15 ou 20 p. c. sur le prix de revient.

Hier encore, messieurs, un honorable membre vous a fait remarquer que malgré les 10 p. c. accordés par le gouvernement pour favoriser l'exportation des produits cotonniers, les fabricants qui exportent ces produits perdent encore jusqu'à 40 p. c.

Ainsi, messieurs, lorsqu'au moyen de vos correspondances transatlantiques vous aurez trouvé des marchés pour vos produits, les fabricants viendront vous dire : « Vous ne favorisez pas suffisamment l'industrie, vous accordez la bagatelle de 10 p. c., mais indépendamment de ces 10 p. c. nous perdrons encore 40 p.c., c'est donc 50 p. c. que vous devriez nous accorder. »

Ce qu'il y a d'étonnant, messieurs, c'est de considérer ces 100,000 fr. qu'on veut ajouter aux 5 millions que nous dépensons déjà pour l'industrie et le commerce, de considérer cela comme une goutte d'eau. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que beaucoup de gouttes d'eau forment un lac, forment la mer. A cet égard, messieurs, je me permettrai de vous citer une comparaison.

Un marchand de jus de citron passa un jour devant un propriétaire qui était occupé à faire sa récolte de citrons ; il lui demanda la grâce de pouvoir extraire une goutte de chacun de ces citrons en lui faisant remarquer que cette goutte extraite de chaque citron n’en diminuerait nullement la valeur ; le propriétaire consentit à cette demande, mais le marchand revint si souvent à la charge que les citrons furent tout à fait épuisés et qu'il n'en resta plus que l'écorce.

Eh bien, messieurs, vous prendrez tant de gouttes dans le trésor que vous finirez par l'épuiser complètement, qu'il ne sera plus qu'une écorce. (On rit.)

On vous a aussi demandé, messieurs, s'il ne serait pas utile de faire du port d'Anvers un port franc. C'est là une question très importante qui a besoin d'être mûrement examinée. Mais vous savez comme moi, messieurs, qu'il entre dans l'opinion de certains économistes que la Belgique entière devrait être un pays franc, c'est-à-dire, un pays qui recevrait sans aucun droit tous les produits étrangers. Je le demande, messieurs, quelle serait, avec un système semblable, la position de notre industrie, à laquelle nous nous intéressons tous. Sans doute le commerce et la navigation s'en trouveraient bien, mais ils seraient un jour les premiers à redemander l'ordre de choses actuel ; car pour faire le commerce il faut savoir à qui vendre et à qui vendrait le commerce lorsque la Belgique serait ruinée, à qui vendrait-il alors les produits étrangers ?

Enfin, messieurs, ce système mérite sans doute de mûres réflexions, mais une chose à laquelle nous devons faire attention c'est de ne pas nous placer dans la position du propriétaire de citronniers dont j'ai parlé tout à l'heure.

M. David. - Messieurs, lorsqu'il est question de commerce et d'agriculture, il est convenu que nous ne pouvons pas être d'accord avec l'honorable M. Eloy de Burdinne. Déjà plusieurs, fois vous avez pu vous apercevoir de l'espèce d'antipathie qu’il porte à la branche que je défends. Il trouve aujourd'hui que toutes les recherches que nous pourrions faire pour améliorer la position de notre commerce et de notre industrie, seraient absolument inutiles. Je ne sais vraiment où l'on va puiser de semblables principes ; il faut n’avoir jamais quitté son pays pour soutenir, à la tribune, de pareilles doctrines.

On vient nous citer la comparaison des citrons ; cette comparaison est sans doute très heureuse, sous bien des rapports, mais l'honorable membre n'a oublié qu'une chose ; c'est d'indiquer de quelle manière l'extraction s'en est opérée ?... car tout dépend de là.

Je pourrais, par antithèse à son citron, lui citer la poule aux œufs d'or, mais je borne là mes observations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l'article, tel qu'il est maintenant libellé, s'applique à deux objets, la navigation à vapeur et la navigation à voiles ; je m'occuperai successivement de ces deux espèces de navigation en commençant par la navigation à vapeur.

Il existe, messieurs, comme vous le savez, une société qui a son siège à Anvers et qui porte le titre de Société anversoise pour la navigation à vapeur.

Cette société existe depuis 1835. L'objet primitif de son institution était la construction, l’armement et l'expédition de bateaux à vapeur entre Anvers et les pays étrangers, et spécialement entre Anvers, Londres et Hambourg. Plus tard, elle a été autorisée à étendre ses opérations entre Ostende et les pays étrangers. Son capital, qui n'était, dans le principe, que de deux millions, a été porté à quatre millions. Elle exploite trois navires, la Princesse Victoria**, l'Antwerpen et le Bruges. Elle avait ouvert des communications régulières entre Anvers, Londres, Hull et Hambourg. Les résultats constamment défavorables de ces services ont été tels que la ligne d'Anvers vers Londres a pu seule être maintenue. Encore sur cette ligne la compagnie ne peut-elle se maintenir qu'avec peine, à cause des pertes que les autres services lui ont occasionnées, et surtout à cause de la concurrence puissante et subsidiée qu'elle rencontre dans une société rivale anglaise.

En 1841, c'est-à-dire cette année, le service ne se fait plus entre Anvers et Londres, le service entre Anvers et Hambourg est abandonné, ainsi que le service entre Anvers et Hull, qui est une ville de l'Angleterre, dans le Yorkshire.

La compagnie s'est adressée au gouvernement pour obtenir un subside. Elle a bien voulu nous communiquer tous ses états ; ces états démontrent qu'elle a fait des pertes énormes lorsqu'elle avait trois services et que le seul service qu'elle exploite aujourd'hui, entre Anvers et Londres, ne se soutient encore qu'avec beaucoup de peine. Sans commettre d'indiscrétion, je crois pouvoir dire qu'elle a perdu plus de 300,000 francs.

J'ai déjà eu l'honneur de vous dire qu'elle avait été également autorisée à établir un service entre Ostende et Londres ; elle n'a pas donné suite à ce projet, mais elle a également fait savoir au gouvernement que, si elle obtenait un subside, elle créerait ce service avec d'autres navires qu'elle possède et qu'elle pourrait approprier convenablement ; ou bien qu'il s'établirait une nouvelle société de navigation entre l'Angleterre et Ostende, qui se détacherait d'elle.

Il s'agit donc, d'une part, de maintenir le service que nous avons entre Anvers et Londres, et d'obtenir peut-être le rétablissement du service avec Hambourg et Hull ; d'autre part, d'établir un service entre Ostende et l'Angleterre.

Le trajet entre l'Angleterre et Ostende est desservi par une compagnie anglaise, les paquebots de la poste ; le gouvernement lui paie 25,000 francs pour sa part dans les frais de transport des dépêches. Ce service se fait quatre fois par semaine. Le gouvernement espère qu'en s'arrangeant avec la compagnie anversoise ou avec une société nouvelle, il obtiendra des services nouveaux entre Ostende et Londres, services qui seraient alors des services belges. Des ouvertures lui ont été faites, et l'on espère obtenir du gouvernement un subside au moins égal à la somme que nous payons au General Post office d'Angleterre ; c'est-à-dire 1000 liv. sterl. (25,000 fr.)

Vous voyez donc, messieurs, que la question ne se présente pas avec ce caractère d'éventualité qui semble avoir effrayé la section centrale. Il existe une compagnie, il s'agit de la maintenir, il s'agit de la mettre en état de donner une extension, même à ce service Voilà la question toute positive, toute de fait qui se présente.

Ce serait, messieurs, une chose extrêmement grave que de laisser périr cette compagnie. La lacune qui se présenterait dans les relations extérieures de la Belgique, dans ses relations maritimes, vous ne les combleriez pas dans un an, dans deux ans, sans sacrifier peut-être des millions.

Si la société anversoise cessait son service, vous seriez entièrement à la discrétion de l'Angleterre, vous seriez littéralement exploités par les compagnies anglaises.

M. Desmet. - C'est très vrai.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et exploitée de la manière la plus arbitraire, et pour le fret, et pour les jours de départ, et pour la qualité même, si je puis m'exprimer ainsi, des navires qu'on voudrait bien mettre à notre disposition.

M. David. - Rien n'est plus vrai.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous voyez donc, messieurs, quel service nous rend la société anversoise, ne fût-ce qu'en la considérant sous le simple rapport de la concurrence ; je veux bien restreindre la question à cette simple considération : est-il bon que nous ayons une compagnie belge, faisant concurrence aux compagnies anglaises, de manière que toutes ces compagnies rivales agissent dans le sens le plus favorable aux consommateurs ? On ne peut évidemment que répondre : oui, il faut maintenir la possibilité d'une semblable concurrence.

Je passe au deuxième objet, celui de la navigation à voiles. Vous allez voir, messieurs, que cette question se dépouille également de tout caractère d'éventualité.

Par une convention conclue, le 20 février 1841, avec la société maritime belge un service régulier par navires à voiles a été établi entre Anvers, Rio et Valparaiso.

Ce service avait un double but, celui de procurer à nos fabricants des occasions régulières et un fret modéré pour l'expédition de leurs produits vers ces deux points importants.

Notre industrie, avait, en effet, à souffrir de l'absence de cette double facilité. Les navires que l'on mettait en charge pour Rio et, beaucoup plus rarement, pour la côte occidentale de l'Amérique, restaient souvent des mois entiers avant de pouvoir compléter leur chargement ; Souvent encore ils partaient sans pouvoir le compléter. De là des lenteurs et l'obligation de payer un fret beaucoup plus élevé que dans les ports étrangers rivaux des nôtres. De là un préjudice notable pour nos relations avec le Brésil et le Chili.

Les époques des départs ont été fixées ainsi qu'il suit pour l'année 1841 :

Au 10 mars (transitoirement pour le premier départ), au 1er mai, au 1er juillet, au 1er septembre, au 1er novembre 1841 et au 1er janvier 1842.

Il a été convenu que, sur les six navires à expédier, trois, après avoir touché à Rio, continueraient leur route vers Valparaiso. En sorte que, par ce fait, il y avait six départs pour Rio et pour Valparaiso.

Le fret a été fixé à un taux plus bas que dans les ports rivaux étrangers.

Au mois d'août dernier, le département de l'intérieur a consulté les chambres de commerce sur les résultats du service et sur le point de savoir s'il fallait le continuer et même l'étendre vers d'autres points.

Il demandait et il espérait obtenir leurs avis, assez à temps, pour pouvoir présenter une proposition par amendement au budget de 1842.

Il a été, quant à ce dernier point, trompé dans son attente. Quelques chambres de commerce ont mis de la lenteur à répondre, et ce n'est que très récemment qu'il a reçu les premiers avis attendus.

Il résulte de la très grande majorité des avis reçus, que le service a produit d'heureux résultats ;

Qu'il convient de le continuer et même de l'étendre vers d'autres points indiqués ;

Que l’expérience a toutefois indiqué quelques améliorations à réaliser en faisant un nouvel appel aux armateurs.

Le département de l'intérieur a, en effet, préparé un nouvel appel ; mais il ne pourra y donner suite que pour autant que les ressources nécessaires lui soient ménagées au budget de 1842.

Voilà donc, messieurs, quel serait le second objet de l'allocation qui vous est demandée.

J'ai cherché, par la nouvelle rédaction, à prévenir également d'autres objections qui ont été faites, à dissiper d'autres inquiétudes, Vous remarquerez, en effet, messieurs, qu'il est ajouté au libellé les mots : sans que les engagements à prendre puissent obliger l'Etat au-delà de l'année 1842, c'est-à-dire qu'il faudra une autorisation nouvelle pour continuer ce service, et que les contrats qui seront faits contiendront la condition inscrite dans la loi du budget.

Je vais même plus loin. Il s'agit de trois services principaux : d'un service de bateaux à vapeur partant d'Anvers, d'un service de bateaux à vapeur partant d'Ostende, et enfin, d'un service de navigation à voiles ; eh bien, je consens encore à faire inscrire dans le libellé ces mots : sans que le subside à accorder à chaque service puisse excéder 10,000 fr. de sorte que la chambre aurait les garanties les plus complètes. Les subsides seront de 30 à 40,000 fr. Le gouvernement pourra donc, avec l'allocation de 100,000 fr. pourvoir à cette dépense.

Faut-il peut-être aller plus loin encore ? Faut-il peut-être organiser un service appartenant au gouvernement belge lui-même, comme complément du chemin de fer, entre Ostende et l'Angleterre. C'est une autre question qui probablement vous sera soumise. Pour cette question j'eu conviens, il faudrait une loi spéciale, parce que ce serait créer une chose permanente, une chose qui oblige pour un très grand nombre d'années. Ici, donc je reconnais avec la section centrale que, d'après nos précédents législatifs, il faudrait une loi spéciale ; mais je ne pense pas qu'il faille une loi spéciale pour autoriser des dépenses qui sont purement annuelles.

En supposant même qu'une loi vous soit présentée pour établir un service aux frais de l'Etat belge entre Ostende et l'Angleterre ; en supposant que cette loi soit votée, il n'y aurait encore aucune contradiction entre ce vote et ce qu'on vous demande aujourd'hui, parce que ce nouveau service ne pourrait s'établir que dans 18 mois, deux ans peut-être ; en attendant il ne faut pas laisser naître une lacune dans les relations maritimes de la Belgique ; il ne faut pas que les habitudes changent tant pour le transit que pour les voyageurs.

Ainsi, en votant l'allocation qui vous est demandée, la question de savoir s'il faut aller plus loin, reste tout entière.

Ce qui est grave dans cette affaire, ce qui ne doit pas nous échapper, messieurs, c'est la nécessité de conserver la seule compagnie belge de bateaux à vapeur que nous ayons. L'abandonner, ce serait, je le répète, nous livrer complètement à la merci des compagnies anglaises. C'est une considération majeure que je vous prie de ne pas perdre de vue.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne répondrai pas aux plaisanteries de l'honorable M. David, je crois qu'elles sont peu parlementaires. A la vérité, j'ai fait une comparaison, et il me paraît que cette comparaison ne devait pas être prise pour une plaisanterie. Je vous ai cité la position dans laquelle finit par se trouver le marchand citronnier qui laisse prendre une goutte du jus de chacun de ses citrons, pour prouver qu'en prenant continuellement des 100,000 fr. dans le trésor belge, vous finirez par l'épuiser.

On vous a parlé de notre antipathie pour l'industrie ; non, messieurs, nous n'avons pas d'antipathie pour l'industrie ; nous avons, au contraire, beaucoup de sympathie pour l'industrie qui sait se suffire à elle-même ; mais jamais je ne donnerai mon assentiment à soutenir des industries factices.

A en croire l'honorable membre, la navigation transatlantique serait pour nous une poule aux œufs d'or ; non, messieurs, ce n'est pas cette navigation qui sera pour nous une poule aux œufs d'or ; mais nous avons en Belgique une poule aux œufs d'or, c'est l’agriculture ; voilà la vraie poule aux œufs d'or, et qui nourrit toutes les autres industries. Eh bien, on se soucie fort peu de celle-là ; on ne s'adresse à elle, comme je l'ai déjà dit hier, que pour la pressurer.

D'après le discours de M. le ministre de l'intérieur, la goutte d'eau dont on nous a parlé n'est pas la dernière qu'on prendra dans le trésor, car on nous a fait part de l'intention de prolonger notre chemin de fer jusqu'en Angleterre, Je vois qu'avec ce fameux chemin de fer nous irons loin, car lorsque vous aurez établi une correspondance ou prolongé votre chemin de fer jusqu'en Angleterre, je ne serai pas étonné de voir demander de le prolonger de manière à aboutir à chacun des pays du monde. Déjà, cette année, les recettes du chemin de fer, comparées à ses dépenses, présentent un déficit de 4 millions. Quand vous aurez établi votre prolongement avec tous les pays du monde, les revenus de la Belgique ne suffiront pas pour combler le déficit. Voilà où nous marchons, Depuis longtemps je vous ai fait part de mes prévisions. Je vous ai toujours demandé d'être prudent dans vos dépenses ; mais en même temps je vous ai signalé l'existence d'une fièvre de dépense. Au commencement de la session, j'avais lieu d'espérer que celle fièvre se calmerait ; mais je vois aujourd'hui qu'il y a redoublement.

En finale, je crois qu'il est prudent de réfléchir à ce que nous faisons. Sans doute, je voterai toutes les dépenses indispensablement nécessaires; mais aussi vous pouvez être persuadés que je serai très parcimonieux quand il s’agira d’employer les deniers de la veuve et de l’orphelin pour se faire un grand nom dans le monde. Prenons-y garde, car sous peu vous vous trouverez en position de ne pouvoir rien faire, et cela pour avoir trop fait.

On vous a parlé aussi de la liberté du commerce. Sans doute, pour le commerce de navigation la liberté illimitée du commerce serait une belle chose. Mais, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Meeus dans une précédente séance, ce serait un système de dupe, et comme je ne yeux ni être dupe ni en faire, tant que ce système ne sera pas admis par tous les pays, je m’opposerai toujours à ce qu’on fasse une école et l’école la plus désastreuse pour mon pays.

M. de Foere. - L’honorable député de Liége, au commencement de la séance, a prononcé un discours dont j’extrairai seulement les points les plus saillants. D’abord il est d’avis que le pays doit faire de grandes dépenses pour la navigation à vapeur, L’Angleterre, a-t-il dit, sacrifie aussi des sommes énormes afin d’établir des communications à vapeur avec les pays étrangers. L’Angleterre, en établissant à grands frais ces lignes de navigation à vapeur, lie la mère-patrie avec toutes ses possessions dans les Indes occidentales ainsi qu’avec le Canada. Ensuite l’Angleterre est une puissance maritime de premier ordre qui, au besoin, disposera de ses bateaux à vapeur dans les guerres maritimes dans lesquelles ces bateaux sont destinés à jouer désormais un rôle considérable.

Ce sont là les deux raisons pour lesquelles l’Angleterre donne des subsides immenses à des sociétés qui exploitent cette navigation, Or, ces deux raisons ne sont pas applicables à la Belgique. Notre honorable collègue voudrait faire de la place d’Anvers le marché général du pays. C’est aussi mon opinion; nous voudrions le déplacement de ce marché; la force des choses s’y opposerait. La position topographique de la ville d’Anvers, son beau port et ses habitudes commerciales ne permettraient pas de détourner les affaires vers un autre port.

Le marché général du pays est donc acquis à la ville d'Anvers. Mais l'honorable membre voudrait que ce marché fût créé à Anvers, soit en érigeant cette ville en port franc, soit en la dotant d'un entrepôt libre. Il n'y a pas de distinction entre ces deux idées ; elles sont exactement les mêmes. On ne crée les ports francs que par la liberté l'entrepôt.

Le port d'Anvers est un port franc. Le système d'entrepôt y est établi dans une grande extension de liberté. Si vous voulez faciliter le transit par tous les moyens possibles, augmentez les libertés d'entrepôt ; je ne m'y oppose pas. Un port franc n'est qu'une communication libre accordée aux marchandises de transit. Si vous n'entravez pas ce transit, si vous accordiez toutes les libertés possibles à l'entrepôt, le port d'Anvers sera, dans toute la force du terme, un port franc, comme il l'est déjà presque aujourd'hui.

Je le répète, je ne m'y oppose pas, seulement je ne voudrais pas qu'au moyen proposé pour atteindre ce but, on érigeât le transit sur le premier plan de commerce. Je veux que, comme toutes les autres nations, nous placions le transit sur le second plan, et que nous le considérions comme un commerce secondaire. En le maintenant à la place qui lui convient, il ne sera en aucune manière entravé, il n'en continuera pas moins de jouir de toute sa liberté d'action et de toutes ses franchises.

L'idée d'ériger le transit en première ligne de commerce, contrairement à la pratique de toutes les nations, est d'autant plus absurde qu'en sacrifiant vos relations directes et vos propres échanges commerciaux, vous ne faites rien pour le transit. Il reste toujours en dehors de toute autre législation destinée à maintenir vos relations directes. Le transit n'est pas arrêté par cette législation, il continue toujours de jouir de toutes les libertés que vous lui accordez par vos lois spéciales.

L'honorable membre ne voudrait pas que l'on discutât d’éventualités. Il n'y a, dit-il, rien d'engagé, rien de compromis. Mais les frais de premier établissement en bateaux à vapeur n'exigent-ils pas des dépenses énormes ? N'y a-t-il rien d'engagé dans la ligne de navigation transatlantique déjà votée par une loi. Sans entrer dans un grand nombre d'autres dépenses considérables, on a fait l’achat d'un premier bateau à vapeur qui a coûté deux millions. Si le résultat ne répond pas aux espérances conçues, des sommes énormes auront été dépensées inutilement. Il en serait de même si vous votiez inconsidérément d'autres sommes considérables pour établir, soit pour compte de l'Etat, soit en faveur d'une compagnie, des lignes de communication avec des ports qui ne répondraient pas à vos prévisions. En votant ces sommes sans examiner s'il y a possibilité de succès, vous auriez engagé les frais de premier établissement qui sont considérables.

Pour soutenir sa thèse, l'honorable membre nous a entretenus de l'accroissement du chiffre du transit dans les ports français et surtout dans le port du Havre. C'est une vérité ; mais l'honorable collègue est resté en dessous du chiffre. Aujourd'hui le transit, d'après la dernière statistique de la France, s'élève, si ma mémoire est fidèle, à 621 millions.

M. David. - J'ai cité 1836.

M. de Foere. - Par quels moyens cet accroissement s'est-il opéré surtout dans le port du Havre ? Est-ce par bateaux à vapeur, ou en érigeant le transit en première ligne de commerce ? Ce n'est ni par l'un ni par l'autre moyen ; ni l'un ni l'autre n'ont été employés, C'est la navigation commerciale des Etats-Unis qui, presque seule, alimente ce transit au port du Havre. C'est elle qui exporte toutes les marchandises entreposées au Havre en destination des Etats-Unis. C'est l'effet des relations directes établies, par réciprocité maritime, entre la France et l'Amérique du Nord. Ce dernier pays peut importer de ses ports, par ses navires, dans les ports de France les produits de son sol et de son industrie aux mêmes conditions auxquelles les navires français les importeraient eux-mêmes. La France, de son côté, jouit, dans les ports américains, du même avantage. La France consomme une grande quantité de produits des Etats-Unis, importés par les navires américains. Ce sont ces mêmes navires qui prennent en retour toutes les marchandises entreposées dans les ports français en destination des Etats-Unis. Les résultats en transit sont donc uniquement obtenus par les relations directes établies entre la France et les Etats-Unis.

Une navigation à vapeur est donc aussi complètement inutile pour obtenir ce résultat : je le prouverai lors de la discussion sur les 400,000 fr. et sur l'achat du bateau à vapeur ; je prouverai l'inutilité d'un semblable moyen de communication avec les Etats-Unis par les faits commerciaux qui s'établissent dans tous les ports du monde.

Si nous obtenons le transit par Anvers, une partie du transit qui s'opère par le Havre refluera nécessairement sur le port d Anvers. Ce port est beaucoup mieux situe pour le transit des marchandises allemandes et suisses vers les Etats-Unis. Les marchandises, envoyées au port du Havre en destination des Etats-Unis, seront dirigées sur le port d'Anvers. Dans cette même proportion, les navires américains seront détournés du port du Havre et attirés au port d’Anvers pour exporter de ce port les marchandises qui y seront envoyées en destination des Etats-Unis.

Les navires américains ne demandent pas mieux, lorsqu'ils importent des marchandises, d'avoir des frets de retour ; plus vous aurez de transit, plus vous aurez de navires américains, Si le transit prend la voie d'Anvers, il ne sera donc nullement nécessaire de faire des dépenses énormes pour favoriser la navigation entre ce port et les Etats-Unis.

Cette nécessité de protéger votre navigation se déclare ailleurs. C'est votre navigation commerciale vers les pays lointains qui n’ont pas de navigation de long cours qui, dans l'intérêt de votre industrie d'exportation, réclame toute votre sollicitude. C'est vers ces contrées qu'il faut diriger et utiliser toutes vos forces maritimes et avantager les retours de votre navigation commerciale, afin que le pays puisse exporter ses produits vers ces contrées.

J'arrive maintenant au discours de l'honorable ministre de l'intérieur. Je suis d'accord avec lui qu'il faut maintenir la navigation nationale à vapeur qui existe maintenant entre Anvers et Londres.

Il faut à tout prix, maintenir cette navigation, afin que nous ne soyons pas radicalement exploités sous ce rapport par l'Angleterre. Non seulement vous protégerez le travail de la construction des navires et la consommation de vos matériaux ; non seulement vous protégerez un grand nombre d'industries dont la coopération est réclamée par les constructions maritimes, mais vous empêcherez que le pays ne soit exploité par l'étranger sous le rapport des frets. Si la société anglaise exploitait seule cette ligne de communication, son monopole ferait augmenter le prix des frets. La concurrence au contraire les fait baisser ; en outre, dans le premier cas, tous les bénéfices de ces transports et du travail maritime seraient acquis à l'Angleterre ; dans l'autre, ils sont partagés entre ce pays et la Belgique.

Avant de continuer la discussion sur les autres lignes de communication qu'on se propose d'établir et pour ne pas faire perdre à la chambre un temps inutile, je demanderai à l'honorable ministre de l’intérieur s'il a le projet d'accorder un subside pour établir une ligne de communication entre Anvers et Hambourg. C'est une première question. Il donnera, a-t-il dit, un subside pour le service d’une navigation à vapeur entre Ostende et l'Angleterre. Je demande en second lieu vers quel port anglais sera établie cette navigation ? Sera-ce vers Londres ou Douvres ou vers Hull ? Je prie l’honorable ministre de l’intérieur de vouloir bien s'expliquer a cet égard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L'honorable membre me demande : 1 ° Si l'intention du gouvernement est d'obtenir un service entre Anvers et Hambourg ; 2° si c'est pour le port de Londres ou pour un autre port d'Angleterre qu'il compte établir un service. Si cette deuxième question, je lui répondrai que c'est principalement pour le port de Londres et peut-être encore pour d'autres ports. Il est impossible de préciser davantage, Cela est subordonné au subside, qui n'est pas considérable puisqu'il ne doit pas excéder 40,000 fr. Si le gouvernement peut obtenir qu'on aborde à plusieurs ports, on doit être convaincu qu'il le demandera.

Quant au service entre Anvers et Hambourg, on n’en fera pas non plus une condition sine qua non.

M. de Foere. - Si le gouvernement a l'intention d'établir un service entre Anvers et Hambourg, je ne puis voter pour le subside demandé. Ce service n'offre aucune utilité ni aucun résultat. SI c'est pour transporter de Hambourg au port à Anvers les voyageurs du Nord qui se rendraient par le British-Queen aux Etats-Unis, cette communication sera inutile. Vous obtiendrez ce transport par le chemin de fer qui se construit d'Hambourg à Cologne et de là à Anvers.

Si ce service a pour but de transporter les marchandises de Hambourg à Anvers en destination des Etats-Unis et d'alimenter, par ces marchandises, la navigation du British-Queen, l'inutilité de celle ligne de communication est plus saillante.

Il est impossible de se nourrir un instant de l'espoir que les marchandises allemandes, importées à Hambourg, en destination des Etats-Unis, vous seront données en transit.

Leurs prix seraient inutilement augmentés d'un grand nombre de frais de chargement et de déchargement, de transport, d'assurance, de commission, Je dis inutilement, car une navigation considérable et directe est établie entre le port de Hambourg et les Etats-Unis par des navires appartenant aux ports de ces deux nations.

Il n'est donc pas nécessaire d'établir cette ligne de navigation à vapeur ni pour le transport des voyageurs, ni pour celui des marchandises.

Quel en serait le résultat ? Le même que celui obtenu par la société anversoise qui, sur la ligne de Hambourg à Anvers, a fait une perte de 300,000 fr. Il est contraire à toutes les règles d'économie de subsidier un établissement qui ne peut cesser au milieu de ses affaires et dont une partie de ses résultats peuvent être obtenus par d'autres voies. Je me déclare donc positivement opposé au subside s'il est demandé pour créer cette ligne de communication.

Mais un autre besoin très grave se déclare manifestement ; c'est celui d'une concurrence contre la General steam Company entre Ostende et Londres. Sur cette ligne de transport des passagers et des marchandises est monopolisé par cette compagnie, au grand détriment du commerce et de l'industrie du pays.

En outre, en établissant ce nouveau service, vous complétez votre chemin de fer. Vous transporterez les voyageurs en dix heures d'Ostende à Blackwall, situés sur la Tamise, à 2 lieues de Londres. De Blackwall un chemin de fer transporte les voyageurs en 10 minutes, à Londres. De ce point de la Tamise à la Cité, la marche des bateaux à vapeur éprouve de nombreuses entraves, à cause du grand nombre de navires qui couvrent le fleuve.

Une communication d'Ostende à Douvres ne répondrait pas, dans mon opinion, aux prévisions. Il se construit un chemin de fer de Londres à Douvres. De Douvres à Calais le trajet se fait en 2 1/2 heures, Un grand nombre de voyageurs n'aiment pas à rester longtemps en mer, et donnent par conséquent la préférence à la voie la plus courte. Cette même compagnie, qui a construit le chemin de fer entre Londres et Douvres, offre au gouvernement français de construire un chemin de fer de Calais à Lille. Cette voie de communication sera évidemment préférée, par beaucoup de voyageurs, à celle que vous établiriez entre Ostende et Douvres, tandis que la communication entre Ostende et Londres sera préférée par les voyageurs qui désirent soustraire leurs malles aux tracasseries de deux douanes. Aussi le nombre des voyageurs par les bateaux à vapeur de Douvres à Ostende et de Londres vers ce port est à peu près dans la proportion de 2 à 3 en faveur de cette dernière communication.

Je suis bien disposé à ne plus voter d'énormes subsides, sans qu'ils aient reçu d'avance une application précise, et à ne pas en abandonner l'application à l'arbitraire du gouvernement,

Quant au port de Hull et aux autres applications que le gouvernement pourrait faire du subside, je les trouve onéreuses et sans utilité.

Pour me résumer et pour exprimer clairement ma pensée, je m'oppose formellement à une communication entre Anvers et Hambourg ou Hull et entre Ostende et Douvres, et je voterai pour un subside destiné à favoriser une communication entre Ostende et Londres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j'ai eu soin de faire remarquer à la chambre qu'il s'agit de trois services principaux : Service à vapeur partant d'Anvers, service à vapeur partant d'Ostende, enfin, en troisième lieu, service à voiles.

J'ai indiqué les différentes destinations que le service à vapeur pouvait recevoir en partant d'Anvers ; les différentes destinations que le service à vapeur pouvait recevoir en partant d'Ostende ; mais je n'ai pas donné ces indications d'une manière tellement positive, que dès aujourd'hui nous puissions dire quelle sera l'étendue de chacun des deux services.

Le service partant d'Anvers aura d'abord pour première branche la navigation qui existe maintenant entre Anvers et Londres. Rétablira-t-on le service entre Anvers et Hull ? Nous l'ignorons. C'est ce que nous examinerons en traitant avec la compagnie. Nous l'ignorons par deux motifs. D'abord jusqu’à quel point est-il nécessaire de rétablir le service entre Anvers et Hull ? En second lieu, jusqu'à quel point obtiendra-t-on le rétablissement de ce service de la part de la compagnie, en lui donnant un subside aussi faible que celui que nous demandons et qui est fixé au maximum de 40,000 fr ?

Rétablira-t-on le service entre Anvers et Hambourg ? Nous l'ignorons par les deux mêmes motifs ; l'honorable M. de Foere trouve que le service entre Anvers et Hambourg est inutile, par suite des facilités de communications par terre, et qu'il laisserait un déficit considérable. Il vous a dit que le déficit de la compagnie, qui est de 300,000 fr., résultait principalement du service entre Anvers et Hambourg. Ce déficit est le résultat de cinq années, de manière qu'il y aurait eu par an au moins une perte de 50,000 fr. Il est évident que la société ne consentira pas au rétablissement du service entre Anvers et Hambourg, si on ne lui offre qu'une somme de 40.000 fr., pour toutes les branches réunies formant le service d'Anvers.

De sorte que si les faits allégués par l'honorable M. de Foere sont exacts, il est évident que le service entre Anvers et Hambourg, ne se rétablira pas ; et dès lors, je lui dirai : de quoi vous préoccupez-vous ?

Le service à vapeur partant d'Ostende recevra une première destination, c'est le trajet d'Ostende à Londres. Se dirigera-t-il aussi sur Douvres ?

Ici nous ignorons de nouveau si la compagnie consentira, pour un subside aussi faible, à établir ce deuxième service. D'un autre coté, nous ignorons aussi jusqu'à quel point ce service est nécessaire.

L'honorable préopinant a prétendu que ce service était inutile, d'abord par suite des chemins de fer qui existent ou qui existeront bientôt ; en second lieu, parce qu'on ne dirige pas de marchandises sur Douvres. Je dirai que si les faits sont tels qu'il le dit, évidemment ce service ne s'établira pas ; et je me permettrai de nouveau cette observation : De quoi vous préoccupez-vous ? On n'établira pas ce service s'il doit donner d'aussi mauvais résultats que vous le supposez.

Je crois que les réserves faites par l'honorable préopinant ne doivent pas vous arrêter.

L'objet principal du subside réclamé vous est suffisamment connu. La nécessité de maintenir la compagnie existante est suffisamment constatée. La nécessité d'avoir aussi un service appartenant à la Belgique même, à une compagnie belge, entre Ostende et l'Angleterre, Londres principalement, est hors de toute contestation possible.

Je consens du reste toujours à faire ajouter dans le libellé cette condition : sans que le subside puisse par service excéder la somme de 40,000 fr.

M de Brouckere. - Et sans qu'il y ait engagement au-delà de 1842.

M. David. - Un honorable préopinant, qui s'alarme par trop sur la prodigalité qu'il m'accuse de professer en fait d'encouragements pour le commerce, a cité, tout à l'heure, pour nous effrayer davantage encore, le déficit qu'il prétend exister sur l'exploitation du chemin de fer. Messieurs, je suis tente de croire que l'honorable préopinant raisonne dans l'hypothèse, accréditée chez beaucoup de monde, que pour un chemin de fer de 60 millions, par exemple, on doit calculer l'intérêt à 5 p. c. avant tout et prétendre que ce chemin de fer doit rapporter 3 millions.

Telles ne sont pas mes idées ; et, comme l'honorable M. Eloy est un agronome distingué...

M. Eloy de Burdinne. - Qui n'est jamais sorti de son village.

M. David. - Je me permettrai de lui poser l'exemple suivant : je suppose qu'il fasse l'acquisition d'une propriété de 100,000 fr., Les 100,000 fr. qu'il aura dépensés lui auraient, sans doute, rapporté 5 p. c. , s'ils avaient été placés à l'intérêt légal, l'intérêt ordinaire. Mais je suppose que la propriété ne lui rapporte que 2,500 fr., c'est-à-dire, 2 1/2 p. c. de son capital ; il faudra donc qu'il mette à son budget que, par suite de l'acquisition de cette propriété qui ne lui rapporte que 2,500 fr., il fait une perte de 2,500 fr. ?

Il me semble qu'il n'est pas naturel de calculer de cette manière les revenus du chemin de fer ; quand nous arriverons à la discussion du budget des travaux publics, je me fais fort de vous démontrer qu'on s'est trompé dans ces calculs.

L'honorable M. de Foere nous a dit pourquoi l’Angleterre a tant de bateaux à vapeur ; c'est parce qu'avec tous ces bâtiments elle lie toutes ses colonies à la métropole.

Messieurs, si nous n'avons pas de colonies, en résulte-t-il que nous ne devions pas chercher à remplacer ce manque de colonies ? Je vous le demande, ne sommes-nous pas plus heureux de ne pas en avoir ? nous ne sommes pas entraînés aux dépenses que fait l'Angleterre. Et quand nous ne ferions, au moyen de la navigation qu'on veut établir, que glaner dans le monde entier, n'aurions-nous pas encore assez pour 4,300,000 habitants que comprend la Belgique.

Messieurs, je suis charmé d'apprendre par l'honorable M. de Foere que le transit qui s'est établi en France, par suite de la loi libérale de 1832, et que je vous avais dit avoir été doublé déjà en 1836, c'est-à-dire quatre ans après le vote de la loi, s'est élevé depuis à 600 millions. C'est ce qu'on peut dire de plus favorable en faveur du commerce de transit, que moi je ne considérerai jamais, ainsi que le fait l'honorable M. de Foere, comme un commerce secondaire, mais que je regarde comme un commerce de la plus haute utilité, parce que c'est lui qui nous amène les arrivages directs et alimente nos exportations.

M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorable préopinant vient de vous dire que je ne ferais pas une sottise si j'achetais pour cent mille francs un bien qui ne me rapporterait que 2 p. c, Eh bien ! je réponds que je ferais une sottise si, pour acheter ce bien qui ne me rapporterait que 2 p. c. je levais un capital qui m'en rapportait 5.

M. Dedecker, rapporteur. - Quand la section centrale a cru devoir rejeter le chiffre pétitionné au présent article, c'est qu'il lui semblait que les projets pour l'exécution desquels on demandait le subside n'étaient pas encore suffisamment élaborés, n'étaient pas suffisamment définis par M. le ministre. Cette opinion de la section centrale était fort naturelle, après la lecture de la note évasive que le gouvernement lui avait communiquée.

Depuis qu'il vous a été donné communication de deux autres notes bien plus explicites, je suis de l'avis de l'honorable ministre de l'intérieur, que la demande du crédit de 100,000 fr. ne se présente plus avec le même caractère d'éventualité et d'incertitude. Sous ce rapport je conviens avec lui qu'une partie des objections faites par la section centrale viennent à tomber.

La section centrale avait présenté d'autres observations dans l'intérêt de la navigation à voiles, et dans le but aussi de voir fixer un terme à cette dépense. M. le ministre est entré dans le sens de ces observations par le changement de libellé introduit dans l'article. De ce chef encore les observations et les critiques de la section centrale deviennent sans fondement.

Cependant, relativement au chiffre demandé par M. le ministre de l'intérieur, j'ai encore un doute que je voudrai voir éclairci. M. le ministre vous a parlé d'un service de navigation à voiles déjà organisé cette année entre la Belgique, Rio et Valparaiso. Je désirerais savoir sur quel fonds on a trouvé la somme nécessaire pour l'organisation de ce service ; car il me semble que, si déjà cette somme a pu être prise sur d'autres littera, on peut aussi la trouver cette année sur ces mêmes littera. Resterait alors à voter 60 ou 70 mille francs pour l'établissement de deux nouveaux services de bateaux à vapeur, que M. le ministre voudrait voir organiser entre Anvers et Hambourg d'une part, et entre Anvers et l'Angleterre, d'autre part.

Je demande donc formellement à M. le ministre sur quel fonds on a pris les sommes nécessaires pour l'organisation du service entre Anvers er Rio et Valparaiso.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, on a espéré trouver ces fonds sur les économies à faire sur l’ensemble de l’article tel qu’il a été voté l’année dernière. Mais je dois prévenir la chambre que je serai forcé, pour suffire entièrement à cette dépense, de demander un transfert de l’article 4, Primes pour construction de navires. Cette demande vous sera soumise à la rentrée de la chambre à la fin de janvier.

J'ai cru, messieurs, qu'il était bien plus régulier de faire de cette dépense, surtout après le premier essai qui a été fait, l'objet d'un article formel au budget. C'est pour la régularité que je l'ai proposé ; d'autant plus que je n'ai pas l'espoir de faire de grandes économies sur les quatre littera que vous avez votées hier, et que je ne veux pas m'exposer à demander un transfert l'année prochaine.

M. Cogels. – M. le rapporteur de la section centrale vient de vous exposer les motifs qui avaient engagé cette section à refuser le subside de 100,000 fr. pour l'établissement d'un service de bateaux à vapeur vers les ports d'Europe. Une des considérations qui nous avait surtout dirigés, c'est que l'on ne savait pas si les conditions imposées par le gouvernement aux compagnies ne seraient pas trop onéreuses pour être acceptées. C'est là principalement ce qui m'avait engagé à me rallier à l'opinion de la section centrale.

Les explications que vient de nous fournir M. le ministre m'ont donné tous les apaisements que je pouvais désirer, et par conséquent je suis tout disposé maintenant à voter le chiffre tel qu'il a été présenté, d'autant plus que ce n'est ici qu'un essai et qu'il n'en résulte aucun engagement pour l'avenir.

Je n'entreprendrai pas de répondre à l'honorable M. de Foere sur les questions qu'il a traitées, parce que cela m'entraînerait trop loin ; mais je crois devoir rectifier une erreur qu'il a commise lorsqu'il a dit que le port d'Anvers est un port libre, c'est-à-dire, qu'il jouit de tous les avantages d'un port franc, d'un entrepôt libre. Cela, messieurs, n'est point exact : on entend par un entrepôt vraiment libre, un entrepôt dans lequel la douane n'a aucune espèce d'action, qui est pour ainsi dire un territoire neutre en dehors duquel la douane se trouve établie. C'est ce que le commerce d'Anvers a réclamé depuis longtemps et sur quoi je m'étendrais davantage si c'était le moment de le faire, mais je pense que cette discussion trouvera mieux la place lorsqu'il s'agira d'examiner notre système général de commerce.

Vous concevez, messieurs, la différence qu'il y a entre un entrepôt tout à fait libre, où l'on manipule les marchandises comme on l'entend, où on les déclare à la sortie comme si elles venaient d'un territoire neutre, et un entrepôt où l'on est constamment soumis à la surveillance de la douane, où l'on ne peut ouvrir un magasin sans son intervention, où l'on est exposé à toutes les tracasseries que l'administration ne peut souvent pas éviter au commerce, dans l'intérêt du fisc !

Ce sont là, messieurs, les seules explications que je croie devoir donner en ce moment.

M. Donny. - Je dois appuyer, messieurs, ce que vient de dire l'honorable membre. Ainsi que lui, après les explications données par M. le ministre et les restrictions qu'il a apportées au libellé de l'article, je suis prêt à voter le crédit.

J'ajouterai encore que si, au moyen de ce crédit, M. le ministre parvient à empêcher l'établissement d'un monopole britannique, quant au fret des marchandises et au prix de passage des voyageurs, en maintenant une concurrence belge, il aura rendu un véritable service au commerce et au pays.

Comme l'honorable préopinant aussi, je voudrais qu'il fût possible de rendre le système d'entrepôts libres actuellement en vigueur plus complet, plus avantageux au commerce qu'il ne l'est aujourd'hui ; lorsque l'occasion se présentera de discuter cette question, je me joindrai volontiers à lui pour obtenir le résultat qu'il a en vue.

Un autre préopinant, l'honorable membre qui siège à ma droite, a soulevé la même question, avant l'honorable M. Cogels ; mais il est allé beaucoup plus loin ; il voudrait que l'on fit de la ville de d'Anvers un port franc, c'est-à-dire que la ville d'Anvers tout entière devint un entrepôt libre.

Sans doute, messieurs, lorsque l'honorable membre désire que la ville d'Anvers soit déclarée port franc, il entend que la même chose ait lieu pour tous les autres ports belges. Sans cela il y aurait privilège, sans cela le port d'Anvers aurait le monopole du transit, car il est évident que le commerce de transit trouvant dans le port d'Anvers des facilités qu'il ne trouverait pas ailleurs, il irait là de préférence. Or, telle ne peut pas être l'intention de l'honorable membre.

Il faudrait donc, pour que son idée fût complètement réalisée que tous les ports de la Belgique fussent déclarés ports francs. Or, je doute que cela soit possible.

Quant à l'extension à donner au système des entrepôts libres, extension qui devrait naturellement profiter à tous les ports qui possèdent un entrepôt libre, j'appuierai ce que l'on pourra proposer de convenable à cet égard.

M. Desmet. - Comme membre de la section centrale, j'ai aussi demandé, messieurs, que le crédit fût renvoyé à une loi spéciale ; j'ai surtout demandé cela parce que le libellé était trop vague ; maintenant que M. le ministre vient de rédiger l'article d'une manière satisfaisante, je crois que nous pouvons voter le crédit. Cependant, en général, les faveurs de la nature de celles qu'on veut accorder au moyen de ce crédit sont mauvaises ; souvent de semblables faveurs empêchent la concurrence de s'établir dans le pays.

Toutefois, dans la position où se trouve la Belgique, il est nécessaire de faire quelque chose pour la navigation dont il s'agit. On a négligé de protéger la navigation nationale, il n'y a maintenant rien à faire que par des subsides.

Oui, messieurs, parce que nous avons toujours négligé de protéger le commerce national, nous nous trouvons dans le cas d'employer de si tristes moyens pour conserver quelque chose pour notre commerce et notre navigation. Vous avez un exemple frappant, chez nos voisins, de ce que la protection a fait ; la France surtout, depuis qu'elle a appliqué chez elle le système de protection, a considérablement augmenté son commerce national ; toutes ses branches d'industrie se sont beaucoup améliorées, et sa navigation a beaucoup gagné.

Vous avez lu, messieurs, le rapport remarquable publié en France par le ministre du commerce ; vous avez vu dans ce rapport quels sont les résultats obtenus par la France, au moyen de son système protecteur. Les importations de matières premières s'élèvent en France à 697 millions, tandis que les importations de produits fabriqués ne vont qu'au chiffre de 50 millions. D'un autre côté, la France exporte pour 184 millions de matières premières et 511 millions de produits manufacturés, Voilà, messieurs, ce que la France doit à son système protecteur.

Comme nous n'avons pas de système protecteur, force nous est bien de faire quelque chose au moyen de subsides. Je voterai donc le crédit demandé, mais je crois qu'il ne doit être employé qu'à encourager, par forme d'essai, une navigation directe entre Ostende et Londres et entre Anvers et Londres. Je ne dirai pas que plus tard il faille faire un essai sur Hambourg, je le pense an contraire, car Hambourg et Brême sont des ports dont les fabricants d'Allemagne se servent très utilement. Ce qu'il faut surtout à la Belgique, messieurs, c'est l'extension de son marché ; nous devons faire tous nos efforts pour procurer des débouchés à notre industrie, mais je crains beaucoup qu'il ne soit trop tard pour obtenir ce résultat. Nous avons laissé échapper l'occasion favorable pour agrandir notre marché. Nous avons fait à l'étranger toutes les concessions possibles, et quand nous voulons maintenant obtenir des avantages de la France, par exemple, nous n'avons plus rien à offrir en échange de ce que nous demandons.

Il n'y a qu'un moyen, messieurs, de faire prospérer notre commerce, c'est d'élever nos tarifs. On nous a demandé depuis quelques jours de mettre à l'ordre du jour le projet de loi relatif à la répression de la fraude, présenté par l'honorable M. Desmaisières, lorsqu'il était ministre des finances ; je crois, messieurs, que les mesures renfermées dans ce projet de loi ne seront pas efficaces pour rendre la vie à notre industrie. Il faut non seulement réprimer la fraude ; il faut encore établir des droits plus élevés.

On parle de l'industrie cotonnière ; eh bien, messieurs, le seul moyen de rendre de l'activité à cette industrie, c'est d'établir l'estampille et la recherche à l'intérieur. Oui, messieurs, je ne puis assez le répéter, si vous voulez faire sortir votre commerce et votre industrie du marasme qui les accablent, vous devez entrer dans la route de vos voisins ; faites ce qu'ils ont fait, rendez ce qu'ils vous ont donné et alors vous serez écoutés et vous obtiendrez ; mais aujourd'hui, à cause du détestable système que vous avez toujours suivi et par les déplorables concessions que vous avez faites, vous avez donné aux étrangers tout ce qu'ils avaient besoin et aujourd'hui ils peuvent se passer de vous, et ils ne seront pas si sots de vous faire quelque concession marquante.

N'espérez donc pas quelque chose de réel de vos voisins et veuillez prendre égard à ce que je vous dis : si vous voulez vous entendre avec la France, vous devez commencer à agir avec elle comme elle agit avec vous ; il faut faire comme dans le temps du gouvernement précédent, réagir contre elle ; c'est le seul moyen d'obtenir quelque chose d'elle, Cependant, si je suis bien informé, et je pense l'être, il y a quelque temps, pendant le ministère de M. Thiers, on a eu l'occasion belle ; on a pu conclure une association qui aurait été à l'avantage de la France comme de la Belgique ; mais on a laissé échapper cette belle occasion ; chose inconcevable ! qu'on ait alors si bien compris les intérêts du pays. C'est doublement déplorable parce qu'il paraît qu'à présent en France on est moins traitable, et que des personnes sont au ministère qui ne comprennent pas si bien les intérêts généraux de leur pays que sous le ministère Thiers. Du reste, messieurs, il y a encore un moyen, fortifiez votre tarif, faites comme vos voisins, vous sauverez le commerce et l'industrie de votre pays, et si vous n'avez point de part dans les marches étrangers, du moins vous conserverez votre marché intérieur , que vous laissez envahir aujourd'hui par tout le monde. J'engage fortement le gouvernement à y songer sérieusement.

M. de Foere. – Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vous a dit : Si les faits que j'ai allégués sont exacts, les communications ne seront pas établies entre Anvers, Hambourg, Hull et Douvres. Mais c'était là le terrain de la discussion. Les délibérations parlementaires ne reposent en grande partie que sur des faits. S'ils ne sont pas discutés, ces délibérations sont impossibles. Or l'honorable ministre ne les a pas réfutés.

Les faits que j'ai cités sont vrais ou ils sont faux ; s'ils sont vrais, M. le ministre aurait dû en tirer les mêmes conclusions ; s'ils ne sont pas vrais, il aurait dû en démontrer l'inexactitude.

L’honorable M. David veut ériger le transit en principale base du commerce du pays. Cependant il vous a dit qu'au Havre, pendant les dix dernières années, le transit a considérablement augmenté.

L'honorable membre est ici en contradiction manifeste avec lui-même. La France n'a pas un semblable système commercial, par lequel le transit domine son commerce direct et actif. Le transit en France n'occupe que le deuxième plan. S'il occupait le premier, les exportations de la France en souffriraient cruellement. La France, comme l'Angleterre repoussent ce système de la manière la plus positive. Elle ne veut pas que les marchandises importées en transit et indirectement puissent se replier, à conditions égales, sur la consommation intérieure. Elle ne veut pas non plus que les Etats-Unis importent dans ses ports, à conditions égales, des marchandises qui ne sont pas les produits de leur sol et de leur industrie, et cependant son transit a pris un accroissement considérable.

Il y a donc contradiction flagrante entre le fait allégué par l'honorable M. David et la conséquence qu'il en a tirée.

La France et l'Angleterre comprennent sans doute leurs intérêts aussi bien que l'honorable M. David comprend les nôtres. Quoi qu’elles soient pénétrées de toute l'importance du transit, elles ne sacrifient pas les intérêts infiniment plus importants de leurs relations directes, à cause du transit auquel cependant elles accordent une grande liberté de mouvement.

Vous mettrez en première ligne le commerce du transit, si vous adoptez le projet de traité de réciprocité avec les Etats-Unis qui a été présenté à la chambre. Aux termes de ce traité, les Etats-Unis ne peuvent pas seulement importer dans le pays leurs propres produits à des conditions égales, mais aussi des produis qui ne sont pas les leurs. Si vous adoptez un pareil principe, repoussé par la France et l'Angleterre, le transit prend la première place dans votre commerce.

L'honorable M. Cogels nous a dit qu'il n'était pas vrai que le port d'Anvers fût dès à présent un port franc ; j'ai dit que ce port était presque un port franc, et que vous lui donner entièrement ce caractère, il suffisait d'augmenter les facilités du transit par un entrepôt libre.

Quant à moi, je suis disposé à accorder à la ville d'Anvers un entrepôt parfaitement libre, pourvu que les droits du trésor public soient combinés avec l'existence de cet entrepôt : nous sommes sous ce rapport entièrement d'accord avec l'honorable M.. Cogels.

C'est ainsi encore que, dans une autre séance, l'honorable M. Cogels, ne saisissant pas mes opinions, vous a dit que j'avais reproché à la chambre de commerce d'Anvers d'avoir constamment conservé les mêmes opinions commerciales : ce n'est pas moi qui lui ai adressé ce reproche. J'ai dit que 64 négociants qui avaient adressé une pétition à la chambre des représentants avaient énoncé une semblable opinion, et je ne me suis fait que le rapporteur de cette opinion.

C'est ainsi encore que l'honorable membre a dit qu'il s'étonnait que je ne demandasse pas la réorganisation de la chambre de commerce de Bruges. J'al appuyé les 64 négociants de la ville d' Anvers. Ils voulaient une réorganisation de toutes les chambres de commerce. En soutenant la pétition d'Anvers dans toute son extension relativement à ces chambres, je n'ai pas excepté celle de Bruges. La réorganisation générale de ces corps était demandée ; j'ai soutenu cette demande dans le sens général.

- Personne ne demandant plus la parole, l'art. 3 est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :

« Encouragements pour la navigation à vapeur entre les ports belges et ceux d'Europe, ainsi que pour la navigation à voile, sans que dans l'un ni dans l'autre cas, les engagements à prendre puissent obliger l'Etat au-delà de l'année 1842 et sans que les subsides puissent excéder 40,000 fr. par service. »

Articles 4 et 5

La chambre adopte ensuite sans discussion les deux derniers articles du chap. XIV.

« Art. 4. Primes pour construction de navires : fr. 65,000. »


« Art. 5. Pêche nationale : fr. 80,000. »

Projet de loi qui ouvre un crédit provisoire au département des travaux publics pour faire face aux dépenses des deux premiers mois de 1842

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) dépose un projet de loi tendant à allouer à son département un crédit provisoire pour les deux premiers mois de 1842.

- Ce projet, qui sera imprimé et distribué, est renvoyé à la section centrale du budget des travaux publics.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1842

Discussion du tableau des crédits

La chambre reprend la discussion du budget de l'intérieur

Chapitre XV. Dépenses diverses pour le soutien et le développement de l’industrie

Article premier

« Art. 1. Encouragements à l'industrie : fr. 77,000 »

M. le président. - Depuis la formation du budget, M. le ministre de l'intérieur a proposé une majoration de 40,000 fr. applicable à l'industrie linière. Cette majoration a été adoptée par la section centrale. M. Delehaye a proposé l'amendement suivant :

« Je propose de porter le chiffre du litt. C. à 100,000 fr. »

La parole est à M. Delehaye pour développer son amendement.

M. Delehaye. - Messieurs, lorsque dans la session précédente d'honorables membres, députés des Flandres, ont fait connaître la position malheureuse de l'industrie linière, on a dû naturellement se demander comment il se faisait qu'une industrie qui avait été si florissante, et s'exerçant dans un pays qui fournissait la matière première et où la main-d'œuvre a toujours été à bon compte et les besoins bornés, qu'elle ne peut soutenir la concurrence avec les pays voisins.

Cette question, messieurs, doit être résolue ayant que vous puissiez statuer sur la proposition que j'ai eu l'honneur de vous faire.

Sans doute l'industrie linière, dotée de tous ces avantages n'aurait eu à vaincre la concurrence ni de l'Angleterre, ni de la France si ces deux pays avaient été placés dans les mêmes conditions que nous. Si les tisserands anglais et français avalent été, comme les tisserands belges, obligés de se procurer les matières premières si, comme les nôtres, ils avaient été obligés de faire leurs approvisionnements à des époques régulières, nous ne devrions pas élever la voix dans cette enceinte en faveur de cette industrie.

Un des grands motifs de la décadence de l'industrie linière chez nous est la différence de position qui existe entre le tisserand belge et le tisserand français ou anglais.

En Belgique, le tisserand est obligé de se procurer le lin soit sur pied, soit sur les marchés. Ceux qui ont quelque fortune se le procurent ordinairement sur pied. Ceux-là obtiennent un crédit et ne paient que l'année suivante. Ceux-là au contraire, qui ne sont pas dans une position aussi aisée, doivent s approvisionner sur les marchés ; cet achat se fait à deniers comptants. Vous comprenez tout d'abord que ceux qui peuvent se procurer le lin sur pied, par cela même qu'ils ne doivent payer le prix d achat que l'année suivante, se trouvent dans une position comparativement plus favorable. Cependant, comme, dans le principe, on ne rencontrait en Belgique ni négociants français, ni négociants anglais, les approvisionnements pouvaient se faire avec facilite.

Mais depuis que l'Angleterre et la France se sont également livrées à cette industrie, et c est l’époque a laquelle a commencé notre ruine, on a vu en Belgique des négociants étrangers enlever de nos marches le lin brut qui s'y trouvait ; et, faisant des achats considérables, ils éloignèrent nos tisserands qui toujours n'avaient le moyen de se procurer que la matière nécessaire à la fabrication d'une pièce ; de plus, nos ouvriers n’ont pas le choix de l'époque ; pousses par le besoin, ils se rendent au marché quand ce besoin se fait sentir, alors que l’étranger choisit l’époque qu'il lui convient.

Cette concurrence n'est pas la seule qu'il ait à redouter ; non seulement il se trouve repoussé de nos marchés, mais encore il se trouve dans l'impossibilité de lutter contre l'étranger, alors que celui-ci quittant les marchés vient acheter le lin sur pied.

Le tisserand belge achète dans ce cas à crédit. Il travaille le lin et le paie à la moisson suivante ; son concurrent, au contraire, payant au comptant, fait encore pencher la balance en sa faveur et écarte de la sorte notre pauvre tisserand.

Vous comprenez, messieurs, que dans l'un et l'autre cas il y a impossibilité pour nous de soutenir la concurrence ; aussi le lin est exporté, et malheureusement c’est celui qui, par sa bonne qualité, présente le plus d’avantage, et nos ouvriers réduits à ne travailler que de la matière commune, perd cette réputation qui nous assurait l'exploitation des marchés étrangers ; il a donc à lutter non seulement contre les fabricants de toile, mais encore contre les négociants étrangers qui viennent enlever la meilleure partie du lin sur pied ou sur les marchés.

Voilà, selon moi, la cause principale de la décadence où se trouve actuellement l'industrie linière en Belgique.

Quelques personnes ne manquent pas de répondre à cet égard que la principale cause de cette décadence provient de la mauvaise fabrication et surtout du mauvais lin qu’on emploie. Sans doute, ces deux circonstances ne sont pas étrangères au dépérissement de l'industrie linière, mais elles ne sont que la conséquence de cette première cause que je viens de vous signaler.

Le tisserand belge n'a commencé à négliger son travail que lorsque, repoussé des marchés étrangers, il a été obligé, pour soutenir la concurrence, de ménager la matière et de fabriquer moins bien.

Messieurs l'année dernière, la chambre a déjà senti la nécessité de venir au secours de l'industrie linière, et à cet effet, elle a alloué au gouvernement une somme de 60,000 fr., si je ne me trompe. Dans mon opinion, toute allocation pécuniaire, faite en faveur de l'industrie, me semble être une erreur. Je conçois l'utilité d'un encouragement pécuniaire, lorsqu'il s'agit d'importer en Belgique des instruments nouveaux, des mécaniques plus perfectionnées ou d'introduire la matière première à meilleur marché. Je la conçois encore lorsqu'il s'agit d'acclimater sur notre sol une industrie qui présente quelque chance de viabilité. Envisagé sous ce rapport, un subside peut être utile, nécessaire même ; mais s'il doit recevoir une autre destination, on verra souvent qu'en accordant une faveur à quelques-uns, on en place d'autres dans une condition moins avantageuses et par suite dans l'impossibilité de soutenir la concurrence et dans ce cas, l'allocation du subside ne me paraît plus qu'une calamité.

Je dis, messieurs, qu'un subside accordé d'une manière aussi restreinte n'est qu'une calamité.

En effet, comment veut-on que celui qui n'a pu se procurer la matière première, qu'après de certains sacrifices, puisse soutenir la lutte contre celui qui n'a pas dû s'imposer les mêmes charges.

Vous comprenez qu'il y a parmi les tisserands de nombreuses gradations. Les uns ont quelque aisance et peuvent se procurer la matière première sans avoir recours à la générosité publique. D'autres sont dépourvus du moyen de le faire. Si vous distribuez le subside au profit de ceux qui n'ont pas de ressources, vous les mettez dans une position plus favorable que les premiers, et bientôt le nombre des indigents ne manquera point de s'accroître.

Un subside proposé dans ce sens, je ne le voterai pas. Aussi la députation permanente de la Flandre orientale, d'accord avec le gouvernement n'a pas voulu distribuer la somme de cette manière ; Elle a préféré accorder le subside à celui qui établirait des machines perfectionnées, travaillerait à meilleur compte, ou introduirait dans la fabrication quelque procédé nouveau.

La députation de la Flandre occidentale a adopté le même mode ; elle a de plus pensé qu'il fallait remédier à un autre vice, c'est-à-dire parer autant que possible au commerce qui se fait au profit de la France et de l'Angleterre, et de plus qu'il fallait procurer aux ouvriers de bons lins et le fournir à bon marché. On a fait des magasins de prévoyance. Cette mesure est propre à sauver l'industrie linière.

Pour ma part, je lui donne complètement mon assentiment. Si on voulait empêcher que le tisserand abandonnât son métier, il fallait lui procurer de la matière première, mais la lui procurer de manière à ne pas léser ceux qui étaient obligés de se la procurer de leurs deniers ; en instituant des magasins de prévoyance, on a pu fournir le lin, tantôt à l'effet d'être travaillé pour compte de la commune, tantôt on le livrait au prix du marché ; et, dans ce dernier cas, le tisserand le travaillait pour son compte, après avoir obtenu des termes pour le payement. De cette manière on a maintenu l'ouvrier dans l'habitude du travail, et on lui a donné les moyens de subvenir à ses besoins. C'est afin de perpétuer chez les ouvriers le goût du travail et l'esprit de famille, qui a produit de si bons effets dans les Flandres, que j'ai fait ma proposition en attendant la loi de protection qui vous a été promise, et qui, j'espère, dans l'intérêt de l'industrie linière, sera votée dans le courant de cette session.

Messieurs, il est impossible de repousser ma proposition par quelque considération fondée ; peut-être me dira-t-on, si vous accordez une protection à une industrie quelconque, d'autres industries feront de même appel à votre bienveillance ; voyons si cette objection doit vous faire repousser ma demande. Après l'industrie linière, l'industrie qui souffre le plus, c'est l'industrie cotonnière ; cette industrie réclame une loi pour la protéger, elle envisage le subside comme une chose nuisible, elle demande des mesures qui la mettent à l'abri d'une concurrence qui ne se ferait pas à chances égales. Elle demande à être en possession de son marché, et, une fois maîtresse du marché intérieur, à être mise à même de lutter avec d'autres industries sur des marchés étrangers. Mais elle ne veut pas lutter sur son marché avec des industries qui appartiennent à des pays d'où nos produits sont repoussés par des tarifs prohibitifs. Puis vient l'industrie houillère ; celle-là, messieurs, peut-elle se plaindre ? Le gouvernement et les chambres sont allés au devant de ses besoins.

On a proposé une loi destinée à diminuer le droit de navigation sur les canaux. C'est là une prime accordée à cette industrie. Loin de la combattre, Je lui donne mon assentiment. On a fait plus ; il n'y a pas longtemps, on a décrété la construction du canal de l'Espierres au détriment des Flandres. Je ne me suis pas plaint ; seulement j'ai regretté qu'on ne prît pas également des mesures en faveur des industries des Flandres. De ce côté-là il ne viendra non plus aucune objection. Le subside que je réclame aujourd'hui a pour but de prévenir la demande de nouveaux secours. Si une loi est votée avant la récolte des lins et si elle répond aux exigences de l'industrie linière, il sera inutile de renouveler le subside. Le pays n'aura qu'à s'applaudir d’avoir fait un léger sacrifice, et vous, en le votant, vous aurez mérité la reconnaissance de notre nombreuse classe ouvrière.

M. Doignon. - Messieurs, je viens aujourd'hui parler en faveur de notre antique industrie linière, de cette industrie qui intéresse essentiellement aussi quelques districts du Hainaut. Depuis plusieurs années, quelques cent mille habitants, qui dépendent de cette industrie et qui sont dans la souffrance, réclament instamment votre intervention et celle du gouvernement. J'espère que cette fois ce ne sera pas en vain, et que la session ne se passera pas sans résultat favorable.

Deux moyens sont indispensables pour venir à leur secours : d'abord une bonne législation qui protège contre l'étranger ; en second lieu, des mesures promptes et efficaces pour les soutenir entre-temps dans l'état de détresse où ils se trouvent et pour favoriser surtout les moyens de perfectionnement. Quant à une mesure législative, M. le ministre a promis d'en présenter une dans cette session ; et il faut espérer qu'elle remplira les vœux des pétitionnaires qui ont adressé leurs plaintes réitérées à cette chambre.

Relativement à la France, je me bornerai à rappeler que ce fut quand elle eût pris sa première mesure contre notre commerce de toiles, que le gouvernement précédent eut à l'instant recours aux premières représailles contre cette puissance ; je veux parler de la prohibition des vins français par la voie de terre.

En ce qui concerne le subside, le gouvernement a accordé, l'année dernière, une somme de 85 mille francs pour soulagement et encouragement à cette industrie. Le bon emploi et les bons effets de cette allocation ont été constatés par les rapports qui ont été remis au gouvernement. Mais quelle n'a pas été notre surprise, quand nous vîmes que dans le budget actuel on ne portait, pour cet objet, que la chétive somme de 10 mille francs. J'en écrivis à l'instant pour faire observer que c'était sans doute une méprise ; l'association pour le soutien de cette industrie a réclamé avec force, et, de concert avec la section centrale, M.. le ministre a fait porter le chiffre à 50 mille francs.

Je dois d'abord exprimer mon étonnement que le gouvernement ait si peu compris la position actuelle de cette industrie, et qu'il n'ait point pris ses mesures pour augmenter au lieu de diminuer le subside de l'an dernier. Comme membre de cette association, je dois le déclarer, aujourd'hui je suis intimement persuadé que cette industrie ne périra pas et que son sort est en nos mains ; j'en ai pour garants les efforts, la sollicitude et le zèle éclairé qui se manifestent de toutes parts. J'en ai pour garants les perfectionnements, les procédés nouveaux de fabrication déjà introduits et qui permettent de lutter avec avantage contre la filature à la mécanique. Le moment actuel est peut-être pour elle le plus critique, et si les secours tarissaient ou étaient insuffisants, non seulement le bien produit jusqu'ici aurait été en pure perte, mais on lui porterait le coup le plus funeste qu'elle ait jamais reçu.

En effet, comme l'a fait observer M.. Delehaye, il est constant aujourd'hui, ainsi que l'ont reconnu d’ailleurs la commission d'enquête linière et la commission pour l'exposition nationale, que le principal moyen de soulager les tisserands et les fileuses, c'est l'établissement de magasins de prévoyance organisés dans chaque canton ou commune et destinés à faire l'avance de la matière première, le lin et le fil, aux ménages et aux ouvriers qui ne sont plus en état de faire eux-mêmes leurs achats en temps convenable.

Autrefois il régnait parmi eux une aisance telle qu'ils jouissaient, près du cultivateur, du crédit nécessaire pour acheter la matière première ; mais depuis plusieurs années ils sont réduits à une telle extrémité qu'on ne veut plus leur accorder de crédit et que ceux qui cultivent le lin, dans la crainte de n'être pas payés, préfèrent vendre à d'autres et même à des étrangers. Les tisserands doivent alors acheter de seconde main et payent plus cher, ou bien ils achètent même plus cher des qualités de fil inférieur aux filateurs à la mécanique, et l'on sait que la toile fabriquée avec ce fil n'a pas la même solidité et ne peut soutenir l'ancienne réputation de nos toiles.

Or, ce sont les magasins de prévoyance qui viennent parer à ces graves inconvénients et remédier à cette triste situation, qui met l'industrie à deux doigts de sa perte ; et c'est à l'aide du subside du gouvernement qu'on peut établir ces magasins et les propager de plus en plus.

Mais comme, d'un autre côté, les nouveaux procédés de fabrication, les perfectionnements sont en voie de progrès, et que, par exemple, avec le métier des frères Pareil, la toile se fabrique en si peu de temps que peu à peu l'on n'aura plus autant à craindre la concurrence de la mécanique, il arrivera enfin avec le temps, et en persistant dans le système actuel, qu'insensiblement cette classe ouvrière récupérera, je l'espère, une partie au moins de son ancienne aisance, et dès lors les avances de la matière première ne seront plus aussi nécessaires. Vous le voyez, dans ce système tout dépend de la matière première, mais pour le compléter il faut en outre, comme je l'ai dit en commençant, que la législature prenne des mesures pour que ces magasins de prévoyance puissent eux-mêmes s'approvisionner de matières premières. Ici tous les intérêts, l'intérêt de la classe ouvrière, l'intérêt des magasins de prévoyance, celui même des filateurs à la mécanique et celui du commerce de toiles se réunissent contre l'accaparement de cette matière par l'étranger.

La toile fabriquée par lui avec nos lins, frappée d'un droit modéré à la sortie subira nécessairement une augmentation sur les marchés étrangers.

Vous voyez donc, messieurs, que les moyens de soulager cette industrie sont aujourd'hui bien connus et organisés, et qu'il ne s'agit plus que de leur donner l'extension convenable pour opérer tout le bien qu'on en attend. Un de ces bienfaits obtenus, c'est encore d'avoir souvent prévenu la mendicité dans les Flandres, mendicité devenue assez commune depuis que cette classe ouvrière est aux abois.

J'ai donc lieu d'espérer que vous n'hésiterez pas à accorder l'augmentation de crédit demandée par l'honorable M. Delehaye. Moi-même je comptais en faire la proposition ; il a devancé mes désirs.

Veuillez vous rappeler , messieurs, qu'il y a quelque temps le gouvernement a accordé, et vous l'avez votée, une avance de quelques millions en faveur d'une banque dans laquelle étaient intéressés des industriels, des capitalistes et peut-être même des spéculateurs ; et aujourd’hui l’on pourrait refuser une centaine de mille francs à une industrie qui a fait et qui peut faire encore la richesse et le bonheur de quelques provinces, une industrie qui occupe encore plus de 500,000 bras ! Vous avez fait aux industriels de Gand une avance de quelques cent mille francs, pour faciliter le placement du trop plein de leurs magasins, et aujourd'hui vous pourriez refuser 100,000 fr. à une population qui est si souffrante, si laborieuse et aussi intéressante.

Lorsque la maison Cockerill s'est trouvée dans un état de gêne, le gouvernement s'est empressé de lui prêter assistance ; il lui a avancé ou plutôt il lui a sacrifié peut-être au delà d'un million ; et aujourd'hui qu'il s'agit de l'industrie linière, on reculerait devant un subside raisonnable et si évidemment indispensable ! on lui refuserait la protection nécessaire ! Non, messieurs, vous ne consacrerez pas une telle injustice.

On a accordé 230,000 francs pour l'amélioration de la race des chevaux, et vous refuseriez 100,000 francs à tant de malheureux qui ne vous demandent que le pain et l'habit ! Une sage administration ne doit-elle pas premièrement et avant tout faire des sacrifices pour ne pas laisser tomber une pareille industrie qui, depuis des siècles, a jeté des racines dans le pays ? Je suis porté à croire qu'une connaissance peu approfondie des besoins a présidé jusqu'à présent à la répartition des fonds de cette catégorie : la nécessité, l'utilité ont aussi leurs divers degrés, et l'ordre naturel veut que l'on pourvoie d'abord à ce qu'il y a de plus urgent. Or, la députation provinciale de la Flandre Orientale nous déclare qu'il est de la plus grande urgence de venir au secours de cette classe ouvrière. Dans la note en réponse à la section centrale, M. le ministre reconnaît lui-même que ses besoins sont urgents, et il exprime le regret de ne pouvoir faire davantage en sa faveur. Puisque ce regret est sincère et sérieux, comme je me plais à le croire, pourquoi n'allouerait-on pas dès à présent un subside suffisant, ou au moins tel que l'an dernier, si l'on ne veut pas voter les 100,000 francs ? Avec un peu de bonne volonté, on en trouvera facilement les moyens : que le gouvernement fasse quelques économies modérées sur certains articles qui ne sont pas aussi indispensables que celui qui nous occupe.

Je vous parlerai d'abord de ce chiffre de 230,000 fr. pour l'amélioration de la race chevaline. Ce chiffre a été trouvé exagéré par ma section et même par la section centrale, qui s'est trouvée partagée sur une proposition de réduction de 30,000 fr. Deux honorables membres de notre section qui ont fait partie, je crois, des commissions instituées pour les haras et les courses ont eux-mêmes reconnu que cet article était susceptible d'économies.

Nous voyons figurer dans les détails de ce littera une somme de 105,000fr. pour l'achat de 14 étalons. Que pour 1842, on se contente de 10 ou 11 étalons ; rien ne sera perdu pour l'amélioration de la race des chevaux, et vous aurez contribué à sauver l'industrie linière. J'y vois également pour courses de chevaux 20,000 fr. Les mêmes honorables membres ont également reconnu que cette dépense pouvait être réduite sans inconvénient.

La section centrale nous dit dans son rapport que pour les courses de septembre on a prélevé 10,0000 fr. sur cet article. C'est sur' le crédit des fêtes nationales que cette somme aurait dû être prise. Que M. le ministre procède de cette manière pour 1842, et l'on trouvera ainsi une somme disponible de 10,000 fr. sur le crédit de la race chevaline.

Au chapitre de l'agriculture, il est porté pour l'école vétérinaire 150,000 fr, environ, et dans les détails de ce littera je vois 10,000 fr. pour la dépense d'une ferme expérimentale. Mais voilà certes une dépense qui pourrait être ajournée, car depuis huit ans on a pu s'en passer. Assurément les besoins de l'industrie linière sont d'un intérêt bien plus pressant.

Je vois au budget, pour l'état-major de la garde civique, un chiffre de 9,000 fr. qui a toujours paru exagéré. J'y trouve encore des crédits pour les vers à soie, pour la garance, etc. La priorité devrait certainement être accordée à l'industrie linière. Je ne conteste pas l'utilité de ces crédits. Mais je dis qu'avant de songer à de nouveaux moyens de production, il est de notre devoir de conserver ceux que nous possédons de temps immémorial. C'est ainsi qu'agirait le bon père de famille.

Au total, j'ajouterai qu'il résulte même des propositions de la section centrale que des réductions doivent être faites à concurrence de 182,000 fr. Or, sur une telle économie vous pourrez facilement trouver 40,000 fr. de plus pour l'industrie linière. Ainsi, dès qu'il y a bon vouloir, on pourra satisfaire à coup sûr aux besoins de cette industrie.

J'espère qu'on n'inférera pas de ce que j'ai dit que je serais hostile à la filature à la mécanique. Je considère cette industrie comme une spécialité, et je pense que toutes deux peuvent se concilier et marcher ensemble ; mais mon opinion est qu'il faut travailler avant tout à conserver et maintenir ce qu'on a sous la main depuis si longtemps.

Je ferai une dernière observation. Un jury a été institué pour l'exposition des produits de l'industrie nationale. On a regretté que l'industrie linière n'y fût pas représentée comme elle devait l'être. Elle a été attaquée assez violemment et elle n'a pas été défendue comme il convenait ; il en a été de même pour la commission d'enquête linière. Je pense qu'il eût été à désirer de voir entrer dans cette commission quelques négociants fabricants formés de nos Flandres. C'est surtout dans ces circonstances qu'il faut avoir recours aux lumières des hommes pratiques.

Je voterai l'allocation proposée par l'honorable M. Delehaye.

M. Van Cutsem. - Messieurs, ce n'est pas pour soutenir une industrie mourante que ma voix se joint à celle de l'honorable M. Delehaye, en appuyant l'allocation de cent mille francs qu'il demande comme subside pour notre antique industrie linière, c'est pour ranimer et raviver une industrie seulement souffrante que nous demandons aujourd'hui des fonds à la législature, et nous osons croire qu'elle nous les accordera quand elle nous aura entendus, et que nous lui aurons démontré comme le prétend avec nous un des plus grands industriels de la Hollande, M. Wilson, que notre ancienne industrie ne peut pas périr. Ainsi, messieurs, quoi qu'en disent nos adversaires, l'antique industrie ne peut pas être remplacée par la nouvelle, qui augmentera, il est vrai, le nombre de nos fabricats, mais dont on ne consommera pas les produits au lieu et place de notre belle toile des Flandres, pas plus qu'on ne se sert de toile au lieu de dentelle, pas plus qu'on ne s'est servi de coton au lieu de toile.

L'industrie que nous voulons sauver et que nous défendons contre les attaques de l'intérieur, aussi bien que contre celles de l'étranger mérite toute notre sollicitude, elle fait mouvoir un million de bras dans deux provinces qui paient à elles deux un impôt aussi élevé que celui des sept autres réunies, et si vous ne la soutenez vous allez en enlevant à l'agriculture une partie des bras qui lui sont nécessaires, et qui s'émigrent faute d'emploi, empêcher la bonne culture de nos terres, et tarir une des principales sources de nos revenus.

A l'occasion de la demande de subside que nous faisons au pays pour l'ancienne industrie linière, je ne puis m’empêcher de témoigner à M. le ministre de l'intérieur toute la surprise que j'ai éprouvée en voyant qu'il ne pétitionnait à son budget qu'une somme de dix mille francs pour secourir une industrie qui s'exerce dans plus de cinq cents communes, moins de vingt francs pour chaque commune, et je n'ai pu m'expliquer ce crédit qu'en me disant qu'il y avait probablement erreur dans l'impression ; et comment aurais-je pu l'entendre autrement, à moins de croire que M. le ministre ne lit pas les rapports qui lui sont adresses par les comités qui s'occupent des différentes spécialités de l'industrie, puisque le comité de l'industrie linière, en lui rendant compte de l'emploi d'une somme de soixante mille francs que le ministère précédent avait accordée l'année passée, lui faisait connaître qu'il en avait procure une existence à des milliers d'ouvriers, et qu'en la doublant on sauverait une branche de notre prospérité nationale. Si M. le ministre a médité le contenu de ce rapport, alors il devra nous dire ce qui l'a porté à ne tenir aucun compte des renseignements que des hommes sans intérêt à la chose autre que celui du bien public, et spéciaux dans la partie, lui avaient fournis ; à moins que M. le ministre ne nous démontre que le rapport qui lui a été soumis est contraire à la vérité, il ne pourra excuser la demande d'un subside aussi minime, qu’en nous disant que c'est une erreur d'impression.

Dire à la chambre qu’il n'a demandé que dix mille francs pour secourir l’industrie linière parce que l’état de nos finances exige l'économie serait un bien faible moyen de défense, lorsqu'on lui a démontré qu’avec cent mille francs on peut alimenter quatre à cinq cent mille âmes, lorsqu’on lui a prouvé qu’avec cette somme on empêchera une population de plusieurs centaines de mille âmes de se livrer à des désordres qui pourraient compromettre la sûreté de l'Etat, lorsqu'on lui a démontré qu'en donnant cent vingt mille francs à l'industrie, le gouvernement pourra économiser plus de deux cent mille francs sur les frais de justice qui n'augmentent. d'années en années, que parce que, comme je l'ai déjà dit, nos ouvriers sont sans ouvrage ; oui, augmentez le subside que nous demandons pour l'industrie linière, et la société n'aura plus à punir des hommes qui n'ont d'autres reproches à se faire que d'avoir dérobé quelques aliments pour nourrir leurs familles qu'ils n'ont pas eu le triste courage de laisser mourir de faim.

Vous auriez tort, M. le ministre, d'alléguer votre désir d'économiser les deniers de l'Etat pour justifier la demande d'un aussi faible subside que celui que vous avez réclamé pour l'industrie linière ; car avec les talents que vos amis comme vos ennemis politiques vous reconnaissent, vous ne nous ferez pas croire que vous avez envisagé la question de l'industrie linière sous un point de vue aussi restreint, vous qui avez l'habitude d'envisager toutes les questions qu'on vous soumet d'une manière large et complexe, non, vous n'auriez pas pour cette fois seulement vu dans l’industrie linière une question d'argent, vous l'eussiez envisagée sous le rapport du bien-être général.

Vous qui êtes un homme positif, M. le ministre de l'intérieur, pour qu'une mesure économique vous paraisse importante , il ne faut pas seulement qu'il s'y rattache une question d'argent, mais un intérêt moral et politique. La Belgique n'est pas à vos yeux une maison de banque et les ouvriers des machines, tous les Belges doivent être l'objet continuel de votre sollicitude et de toutes vos mesures.

Vous êtes publiciste autant qu'économiste, et pour vous l'économie politique ne peut être que la science sociale, la science universelle, tandis qu'elle n'est pour d'autres, qui pensent moins profondément que vous, que la seule science des richesses ; et s'il en est ainsi, il est évident alors pour moi comme il le sera pour tous, que ce n'est que parce que vous n’avez pas médite les renseignements qu'on vous a fournis que vous avez demandé seulement un subside de 10,000 fr. pour l'industrie linière.

Vous ne voudrez pas, M. le ministre, et la chambre ne voudra pas plus que vous qu'on puisse dire un jour, parce que vous n'auriez pas accordé une somme de cent mille francs a une industrie qui vous a prouvé qu'elle peut se sauver avec cette faible allocation, lorsque vous accordez à une navigation transatlantique des millions pour courir des chances bien douteuses : qu'est devenu le bien-être de cette contrée industrieuse ? Elle s'était relevée de bien des crises ! Elle avait connu tous les revers et les avait surmontés ! Elle avait trouvé moyen de prospérer même sous les plus mauvais gouvernements imposés par la politique étrangère, mais les événements de 1830 sont survenus, et la Flandre a été ruinée, dépeuplée, anéantie entre les mains d'un gouvernement national.

Le ministère qui vous a précédé au pouvoir a accordé à l'industrie linière, dont la détresse augmentait chaque jour, un subside de 60 mille fr. ; n'avions-nous pas lieu d'espérer que celui qui compte au nombre de ses membres le président du comité de l'antique industrie linière, aurait fait quelque chose de plus pour nous, alors qu'il savait mieux que personne le bien que cette allocation avait produit dans les Flandres ; mais en voyant que le ministère actuel n'a demandé pour nous à la législature qu'un subside de dix mille francs, nous sommes obligés de dire que nous avons eu tort de lui écrire, le 6 juillet dernier, que nous étions convaincus qu'il prendrait fortement à cœur l'intéressante et toute nationale industrie linière et l'important commerce de toile ; nous avons eu tort de lui écrire que sous lui l'industrie linière et le commerce de ses produits obtiendraient l'appui dont ils ont réellement besoin pour fleurir, pour faire prospérer le pays et pour améliorer la situation la plus misérable qu'on ait jamais vue de la classe ouvrière de la campagne, puisqu'il faut pour nous six fois moins que ses prédécesseurs, qui avaient la réputation, en matière industrielle, d'avoir pour principe le laisser-aller, le laisser-faire.

Si c'était la première fois que l'industrie linière est dans un état de souffrance, on pourrait croire que désormais il n'y a plus moyen de la sauver de sa ruine ; mais pour quiconque est un peu au courant des différentes positions dans lesquelles elle s'est trouvée, pour qui sait que sous l'empire, que sous le gouvernement des Pays-Bas elle a eu des moments de souffrance auxquels on a paré par des subsides employés à l'achat de lin que l'on vendait ou dont on faisait l'avance aux fileuses, il y a espoir, que dis-je ? il y a certitude de la faire sortir victorieusement de la crise dans laquelle elle se trouve en ce moment.

La Belgique a eu pendant des siècles, dans la fabrication de la toile de lin, une supériorité qu'on a vainement entrepris de lui ravir ; depuis quelques années l'Angleterre a recommencé la lutte, aidée de ses capitaux, de ses vastes débouchés, qui lui permettent de placer chaque année pour un milliard vingt-cinq millions de ses produits en pays étrangers, et avec quelques perfectionnements mécaniques elle a rendu cette lutte redoutable pour notre nouvelle industrie à la mécanique et pour l'ancienne, en attendant que le consommateur désabusé donne sa préférence à un produit qui, par sa supériorité, ne peut être comparé aux nouveaux fabricats. Qu'on protège donc momentanément notre ancienne industrie et bientôt nous aurons vaincu l'Angleterre.

Lorsque le gouvernement eut accordé, au commencement de cette année, un subside de 60,000 fr. aux deux Flandres, chacune de ces provinces y ajouta dix mille francs, soit quarante mille francs a employer au soulagement de l'industrie linière dans chacune d’elles ; cette somme de 40,000 fr., répartie entre deux cent cinquante à trois cents communes, donnait de bien faibles ressources à chacune d'elles ; pour la rendre utile, le comité directeur jugea bon de n’accorder de subside qu'aux communes qui triplèrent ou quadruplèrent avec leurs fonds les sommes accordées ; et comme il s'en trouva parmi elles qui décuplèrent le subside, le succès a été proportionné aux sacrifices qu'elles firent et aux peines qu'elles se donnèrent ; et en achetant du bon lin qu'on vendit ou dont on fit l'avance aux fileuses, on donna a celles qui n'avaient pas le moyen d'acheter des lins la faculté de se les procurer à plus bas prix qu'elles ne pouvaient le faire avant l'allocation de ce subside ; on améliora encore le produit et, par suite, on augmenta de beaucoup les chances de placement de marchandises qui, par cela même qu'elles étaient meilleures, se vendaient aussi à des prix plus élevés.

Ce résultat est beau, et il devrait suffire pour déterminer le gouvernement à appuyer le subside que nous demandons et pour engager la législature a nous l'accorder ; jamais un simple ouvrier ne pourrait y parvenir ; surtout aujourd'hui ou, à cause de la crise linière, le tisserand ne gagne qu'un salaire insignifiant et se trouve contraint d'acheter le lin par petites parties, souvent de qualités différentes, trop heureux lorsqu’il n'est pas dans l'impossibilité de se les procurer.

Les comités ne se sont pas bornés à vendre du lin, à en faire l'avance aux fileuses, ils ont encore échangé des lins contre des fils, en les prenant à un dixième au-dessus du prix que les ouvriers auraient pu en faire au marché ; les comités ne se sont pas seulement bornés a vendre au comptant, à crédit, ou à échanger des lins contre des fils ; ils ont encore établi des magasins de fils qu'ils vendaient parfois au marché, mais le plus souvent ils en faisaient l'avance aux tisserands qui les employaient à faire de la toile, qui est apportée plus tard au comite qui se charge de la vendre.

L'avantage qui résulte de cette mesure est immense pour la bonne fabrication ; il y a quelques années, lorsque le lin était à bon marché et les toiles chères, chaque fabricant pouvait acheter du lin à son choix et s’approvisionner à son gré de fil ; le tisserand pouvait en faire de même ; mais depuis que les Anglais enlèvent nos lins, ces industriels n'ont plus eu une bonne qualité de matière première, ce qui a été cause qu'on a fait beaucoup de mauvaise toile, et que par suite nos fabricats ont été dépréciés a l'étranger.

La vente du bon lin et de bon fils que les comités font aux fileuses conserve parmi elles l'habitude du filage et les oblige à filer de mieux en mieux ; outre ce premier avantage, les magasins de lin en procurent encore un autre tout aussi grand, celui de l'entretien des écoles de filage. Les causes générales de la décadence de l'industrie linière avaient fait tomber presque partout les écoles de filage, les magasins de lin les soutiennent là où elles n'existaient plus et les développent et les encouragent partout et font ainsi des pépinières de bonnes fileuses qui rendent à nos produits leur ancienne réputation, et avec elle les débouchés considérables qu'ils n'ont perdus que momentanément.

Les écoles de filage et de tissage peuvent donc à bon droit être regardées comme de grands moyens pour relever notre antique industrie linière et je regarderais leur établissement comme de véritables bienfaits pour la classe pauvre ; les écoles d'apprentissage doivent être pour elle le complément de l'instruction primaire, comme le sont pour la classe aisée les écoles moyennes, les universités et les écoles spéciales. Avec de pareilles opinions vous ne serez pas étonnés de me voir regretter que M.. le ministre de l'intérieur ne nous ait pas demandé un subside spécial pour fonder des écoles d'apprentissage, des écoles du soir pour les ouvriers des manufactures, et enfin des écoles gardiennes.

Les avantages que je viens d'énumérer sont sans doute plus que suffisants pour donner à la législature la conviction qu'il faudrait au moins mettre à la disposition du comité directeur de l'industrie linière les sommes qui lui ont été confiées l'année dernière, parce qu'il en a fait un utile emploi ; et si le subside était double que ne pourrait-on pas en attendre ?

Le ministère demande et les chambres accordent soixante-dix mille francs à l'industrie cotonnière, pourquoi n'accorderait-on pas un égal subside à une industrie tout aussi intéressante sous le rapport du produit et des bonnes mœurs ?

Les fileuses rencontrent encore un avantage dans l'établissement des magasins de lin et de fils, elles y trouvent un débouché que les acheteurs de fils leurs fournissaient seuls avant cette institution, souvent à leur grand préjudice, parce qu’elles étaient obligées d'accepter toutes les conditions qu'ils leur faisaient tandis qu'aujourd'hui, par suite de la concurrence que leur font les comités ils se débarrassent de leurs marchandises à des prix beaucoup plus avantageux.

Pour que l'ancienne industrie puisse lutter avec la nouvelle, il faut qu'elle entre en lice avec des armes égales ; ces armes ne peuvent être autres pour elle que la centralisation des capitaux, et les moyens d'action des comités dans des communes peuvent seuls les lui fournir.

Que le gouvernement et la législature fassent pour notre industrie ce que nous réclamons pour elle, quelques subsides, des droits sur les fils étrangers et des droits sur les lins à leur sortie de Belgique, et en nous accordant ce dernier droit il fera encore moins que le gouvernement anglais qui prohibe à la sortie les laines longues dont on a besoin pour certains fabricats, et des chiffons dont on fait le papier, et vous verrez alors que c'est à tort qu'elle a été condamnée à la mort ; ce qui doit commencer à le prouver à tout homme impartial, c'est que depuis que notre fabrication s'améliore, nos toiles ont augmenté de prix. Oui, elles renchérissent parce que les toiles à la mécanique manquent ? Non, sans doute, puisqu’on peut s’en procurer beaucoup plus qu'il n'en faut pour satisfaire à nos besoins, mais c’est parce que le consommateur reconnaît l'immense supériorité de nos toiles des Flandres, qu'elles sont portées à des prix aussi élevés.

Ceux qui veulent anéantir notre ancienne industrie disent que nous avons perdu partout nos débouchés et ils sont dans l’erreur ; les dernières lettres de commerce qui nous sont parvenus de l'Espagne nous disent qui si une partie de ce pays, où nous avions des débouchés considérables, s'approvisionne, à l'aide de la fraude, par Gibraltar, la Catalogne, Valence, Murcie, l'Aragon, la vieille et la nouvelle Castille, l'Estrémadure, la haute Andalousie donnent aujourd’hui la préférence à nos antiques fabricats !

Ce que je viens de dire pour augmenter le subside que le ministère a pétitionné pour l'industrie linière, est sans doute plus que suffisant pour faire partager mon opinion par tous les membres de cette assemblée ; mais j'ajouterai encore que les comités avaient à peine commencé leur besogne, que les fileuses, tisseranceuses et les tisserands, qui étaient les bras croisés, se présentèrent aux divers comités et en reçurent de l'ouvrage ; les fermiers n'ont, par suite, pas été, comme l'hiver précédent, continuellement assiégés par les mendiants, qui souvent joignaient la menace à la prière ; ces bandes qui parcouraient la campagne la nuit ont diminué, les bureaux de bienfaisance ont été moins chargés, les boutiquiers mieux payés ; tel a encore été le résultat qu'ont atteint les comités établis par le comité directeur de l'industrie linière, et ce seraient ces résultats qu'on voudrait empêcher à l'avenir en refusant à l'association linière les fonds dont elle a besoin pour les atteindre !

Non, le gouvernement et la législature ne nous refuseront pas ce que nous avons le droit d'attendre d'eux, ils n'oublieront pas que les Belges doivent àl'ancienne industrie linière leur prospérité, leur bonheur et leur moralité ; ils ne nous sacrifieront pas au moment où l'étranger revient vers nous, où les prix s'améliorent, où enfin un meilleur avenir paraît s'avancer ; non, ce n'est pas dans un moment semblable qu'on osera nous dire : votre industrie linière est morte, nous vous refusons les misérables cent mille francs dont vous avez besoin pour la soutenir ; on nous les donnera, parce que nous avons prouvé qu'ils sauveront de l'anéantissement la plus belle de nos industries et qu'ils donneront du pain à quatre cent mille âmes qui sont pâles de faim.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois d'abord à mon tour exprimer ma surprise des reproches qu'on adresse sans cesse au ministère au sujet de son indifférence, à l'égard de l'industrie linière. On oublie donc que le cabinet actuel a pris, à ses risques et périls, une très grave mesure, par laquelle on a fait droit à la moitié des conclusions de la commission d'enquête. Je veux parler de l’arrêté royal du 26 juillet dernier, soumis en forme de loi à vos délibérations. C'est un acte qu’il ne faut pas oublier ; il faut en tenir compte au gouvernement. Je le répète, cet acte fait droit à la moitié des conclusions de la commission d'enquête.

Je dois supposer que l'honorable M. van Cutsem avait préparé son discours avant d'avoir connaissance de l'augmentation sollicitée par moi. Vous avez remarqué en effet que, dans la moitié de son discours, il a supposé que le subside demandé par le gouvernement en faveur de l’industrie linière ne s'élève qu'à 10,000 fr.. Il s'élève à 50,000 fr. C'est moi qui en ai fait la demande à la section centrale.

Nous savons aussi que les travaux de la commission d'enquête n'ont été livrés là l'impression que dans ces derniers temps, et que depuis quelques jours seulement ils sont entre nos mains.

L'article dont nous nous occupons comprend 4 littera.

« Litt. A. Achat de machines et de métiers perfectionnés, essais, voyages et missions à l'étranger, frais d'expertise de machines introduites dans le pays en franchise provisoire des droits, frais d'inspection pour les établissements dangereux ou insalubres, 30,000 fr.

« Litt. B. Frais d'enquêtes industrielles, impressions des travaux de commission, 22,000 fr.

« Litt. C. Subside en faveur de l’industrie linière, 50,000 fr.

« Litt. D. Subside à des écoles d'arts et métiers, et ateliers d’apprentissages, 15,000 fr.

« Total, 117,000 fr. »

Vous voyez que quelque article ainsi libellé, avec une division par littera qui ne lie pas le ministère, laisse une certaine latitude dans l'emploi de la somme. Mais après avoir pris connaissance du travail de la commission d’enquête, du rapport et des interrogatoires, je me suis décidé à demander au litt. D une augmentation de 10,000 fr., parce que je trouve que la commission d'enquête recommande avec raison les/écoles d'arts et métiers et l'introduction de nouveaux procédés. Si donc la chambre admet le chiffre de 100,000 fr. proposé par l'honorable M. Delehaye, je proposerai de libeller ainsi le littera. C : « Industrie linière, subsides en faveur des écoles d'arts et métiers et ateliers d'apprentissage », et de supprimer le littera D et le chiffre de 15,000 fr. ; telle sera ma proposition en cas d'adoption des 100,000. fr. ; en cas de rejet, je proposerai le maintien de la lettre D. en portant le chiffre à 25,000 fr :, au lieu de 15,000 fr.

M. Angillis. - Je demanderai la permission de faire une petite rectification. Il paraît que des honorables membres pensent qu'au moyen de ce subside que nous demandons, on voudrait parvenir plus tard à établir la taxe des pauvres. Je dois combattre cette idée, et à cette occasion donner quelques explications à la chambre. Ces explications ne seront pas longues.

Messieurs, l’année dernière, la province de la Flandre occidentale a obtenu un subside de 30,000 fr. ; la province y a ajouté 10,000 fr., ce qui a fait 40,000 fr. Ces 40,000 francs ont été partagés entre des communes dont une grande partie de la population était composée de tisserands et de fileuses.

La commune que j’habite, et qui a une population de 7,000 habitants, est composée pour la majeure partie de tisserands et de fileuses. Eh bien, j’ai obtenu pour sa part un subside de 900 et des francs.

Ce n’était pas là un subside bien considérable, proportionnellement au nombre de malheureux auxquels il était destiné. Mais qu'avons-nous fait, nous autres habitants de la commune ? Nous avons quintuplé la somme, et, au moyen de ce petit capital, nous avons acheté du lin, et du bon lin. Nous avons fait travailler les plus malheureux, ceux qui n'avaient pas de travail, et nous leur avons nécessairement donné un salaire un peu plus élevé que le salaire ordinaire, parce qu'au moyen du salaire ordinaire ils n'ont pas de quoi suffire à leurs besoins.

Ainsi, au moyen d'un aussi faible secours, nous avons maintenu nos pauvres dans l'habitude du travail, et l'hiver passé s'est écoulé sans inconvénient.

Messieurs, il n’est pas nécessaire que je vous dise que le subside est plus que mangé, et que le capital à nous, habitants, est fortement entamé. Mais si nous obtenons encore un subside un peu raisonnable, nous sommes décidés à rétablir notre capital au taux primitif et à faire travailler comme de coutume.

C'est ainsi, messieurs, qu'au moyen d'un subside bien faible, bien minime, nous avons obtenu un résultat réellement heureux. Il y a loin de ce résultat à une taxe des pauvres. Je ne voudrais pas, pour moi, de la taxe des pauvres, parce que dans mon village de 7,000 habitants il n’y a pas un seul mendiant ; j’ai défendu la mendicité et je tiens à l'exécution de ma défense. Il faut aussi que je vous dise que le bureau de bienfaisance de ma commune n'a qu'un subside de 4,000 fr. et qu'il a 1,700 pauvres à sa charge. Mais, je le répète, nous n'avons pas de mendiants, tout le monde travaille, et à ceux à qui il manque quelque chose, on le leur fournit.

Messieurs, je ne veux pas vous dérouler ici un tableau triste et accablant ; je veux seulement vous demander votre concours, votre appui pour obtenir un faible subside temporaire. Et si nous autres nous perdons le capital que nous avons donné et que nous donnerons encore, je ne m'en plaindrai pas, parce que je serai certain que cet argent est bien employé.

Je serais heureux, messieurs, qu'aucune voix ne s'élevât contre l'amendement qui vous est présenté. Alors je pourrais dire à mes pauvres tisserands, à mes pauvres fileuses, que dans la chambre aucune voix ne s'est élevée contre la proposition qui a été faite en leur nom ; je leur dirais que la chambre connaît leur position malheureuse, et qu’elle est résolue de faire tout ce qui est possible pour soulager leur position. (La clôture ! la clôture !)

M. de Muelenaere. - Je crois que la chambre a suffisamment apprécié les motifs qui ont engagé le gouvernement à nous demander un subside en faveur de l'industrie linière. Jusqu'à présent, personne n'a demandé la parole contre ce subside ; je crois donc inutile de prolonger la discussion. Je renonce à la parole.

M. le président. - Le chiffre de 100,000 fr., proposé par M. Delehaye, étant le plus élevé, je le mets le premier aux voix.

- Ce chiffre est adopté.

M. le président. - M. le ministre a proposé de changer le libellé de l'article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ai proposé de réunir les litt. C et D sous un seul libellé, et dès lors je retire la demande de 15,000 fr. au litt. D.

M. le président. - Je ferai observer que les littera ne figurent pas dans la loi ; c'est donc comme développement au budget que vous proposez cette réunion de littera.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, M. le président, c'est pour l'intelligence de la loi.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'ensemble de l’article ; il présente maintenant le chiffre de 152,000 fr.

- Ce chiffre est adopté.

Projet de loi qui ouvre un crédit provisoire au département des travaux publics pour faire face aux dépenses des deux premiers mois de 1842

Rapport de la section centrale

M. Dumortier. - Messieurs, votre section centrale pour les travaux publics a examiné le projet de loi présenté par M. le ministre des travaux publics, afin d'obtenir un crédit provisoire pour les deux premiers mois de l'exercice prochain ; après avoir comparé tous les chiffres du tableau avec le budget, elle les a admis sauf celui porté à l'art. 18 du chap. Il, qui est relatif à des constructions nouvelles.

Diverses observations étant présentées dans plusieurs sections au sujet de cet article, il a paru sage de ne pas préjuger les questions qu'il a soulevées et, de le retrancher du tableau du crédit provisoire. M. le ministre, à qui nous avons communiqué cette considération est demeuré d'accord avec nous sur le retranchement de cet article s'élevant à 4,167 fr.

Nous avons donc d'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi présenté par le gouvernement ainsi que du tableau y annexé, en retranchant l’article susdit, en sorte que le crédit provisoire pour les deux premiers mois de 1842 s'élèvera a 1,708,453 fr.

Il est bien entendu qu'il n'est rien préjugé sur les réductions et les divisions que la chambre pourrait vouloir opérer sur l'ensemble du budget.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble

- La chambre décide qu'elle s'occupera tout de suite de la discussion du projet sur lequel il vient de lui être fait rapport.

Personne ne demandant la parole, les deux articles qui le composent sont successivement mis aux voix et adoptés.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté, à l'unanimité, par les 76 membres présents.

Ce sont : MM. Angillis, Brabant, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, Malou, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Nef, Huveners, de Potter, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, Doignon, Dolet, Donny, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Osy, Orts, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Jonet, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Henot, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Scheyven, de Baillet, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Verhaegen, Wallaert, Zoude et Fallon.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1842

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XV. Dépenses diverses pour le soutien et le développement de l’industrie

Articles 2 et 3

« Art. 2. Musée des arts et de l'industrie nationale : fr. 40,000. »


« Art. 3. Primes et encouragements aux arts mécaniques et à l'industrie, aux termes de la loi du 23 janvier 1817, n° 6, sur les fonds provenant des droits des brevets, et tous frais d'administration et de délivrance des brevets (Personnel et matériel ) : fr. 33,000. »

- Ces articles sont adoptés sans discussion.

Chapitre XVI. Instruction publique

Enseignement supérieur
Article premier

« Art. 1. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l’Etat. Bourses. Médailles et subsides pour le matériel : fr. 606,800. »

- Cet article est adopté sans discussion.

Article 2

« Art. 2. Frais des jurys d'examen pour les grades académiques : fr. 79,100. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faudrait ajouter ici : et les concours universitaires.

- L'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Enseignement moyen
Article 3

« Art. 3. Frais d’inspection des athénées et des collèges : fr. 7,300. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen et industriels (écoles de Gand et de Verviers), autres que les écoles d’art et métiers et les ateliers d’apprentissage : fr. 143,500. »

La section centrale propose une réduction de 2,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur a demandé à la section centrale une augmentation de 29,100 fr. La section centrale voudrait que cette proposition fût examinée par les sections.

M. Dedecker, rapporteur. – Messieurs, d'après la proposition primitive du gouvernement, le crédit présentait une majoration de 2,000 fr. Mais depuis la présentation des budgets, M. le ministre de l'intérieur a fait à la section centrale une autre proposition tendant à augmenter le chiffre de 29,100 fr. La section centrale n'a pas cru devoir prendre une résolution sur cette dernière proposition, parce qu'elle n'a été faite qu'au moment où le rapport allait être présenté ; elle a pensé qu'il conviendrait de faire suivre à cette proposition la filière ordinaire des sections, la matière étant assez grave pour que l’on suive cette marche.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, à la p. 89 des développements du budget se trouve une note ainsi conçue :

« Ce chiffre (il s'agit du chiffre de 113,000 fr.) est le même que celui de l'année dernière. Une augmentation deviendra probablement nécessaire si, comme on l’espère, plusieurs établissements se réorganisent. »

Cette note, comme je viens de le dire, se rapporte au chiffre de 113,000 fr. L'imprimeur a, fait, le renvoi à l'art. précédent, relatif aux frais d'inspection des athénées et collèges. Cette faute d'impression m'a porté malheur ; je tâcherai d'éclaircir le malentendu.

J'avais donc prévenu la chambre, par cette note, que le gouvernement se réservait de demander une somme supérieure à celle qui a été votée l'année dernière, si l'espoir de voir se réorganiser ou se compléter quelques établissements d'enseignement moyen, venait à se réaliser. Cet espoir, messieurs, s'est en effet, réalisé.

Ici, messieurs, je suis forcé de prier les honorables membres qui veulent bien me suivre, de jeter les yeux sur le tableau qui se trouve à la page 70 du rapport de l'honorable M. Dedecker. A l'aide du tableau qui se trouve à cette page il vous sera extrêmement facile de suivre quelques observations que je vais avoir l'honneur de vous présenter.

Remarquez d'abord, messieurs, que les subsides pour l'enseignement moyen se subdivisent en deux lettres. La première lettre comprend l'enseignement moyen proprement dit, la deuxième comprend l'enseignement moyen où le caractère industriel est déterminant.

Jusqu'à présent les imputations s'étaient quelquefois faites d'une manière plus ou moins régulière sur ces deux lettres, il s'est trouvé qu'un même établissement recevait à la fois un subside sur la première et sur la deuxième ; je pense qu'il est plus régulier qu'un établissement ne reçoive un subside que sur l'une ou l'autre.

On a, messieurs, rangé dans la dernière colonne du tableau les subsides à accorder aux établissements d'enseignement moyen, où le caractère industriel est prédominant. Comme vous pouvez le voir, ces établissements sont au nombre de cinq : l'école industrielle de Gand, l'athénée de Mons, qui ne reçoit un subside qu'à la condition qu'elle renforcera l'enseignement industriel, le collège de Thuin, l'école de Verviers", et enfin l'école industrielle de Liége.Ces cinq établissements recevront à l’avenir un subside sur le litt. B, et les cinq subsides réunis forment un total de 30,500 fr.

L'augmentation de 2,000 fr., que j'ai demandée sur cette lettre est devenue nécessaire parce qu'on a rangé d'une manière définitive les cinq établissements que je viens d'invoquer, dans cette deuxième catégorie. C'est aussi pour la première fois, messieurs, que le collège de Mons recevra un subside ; jusqu'à présent il n'en avait pas reçu.

Je reviens maintenant à la lettre A. L'allocation accordée l'année dernière était de 113,000 fr :, mais déjà maintenant 116,600 fr. sont employés, c'est-à-dire qu'il y a une différence de 3,000 fr. entre le chiffre de l'année dernière et celui qui est dès à présent nécessaire si l'on veut maintenir les engagements qui ont été contractés. Cette différence provient de ce qu'on a augmenté le subside de quelques établissements qui en recevaient et de ce qu'on a accordé un subside à quelques autres établissements qui n’en avaient pas reçu jusqu'à présent.

Reste maintenant la demande de 20,000 fr. que j'ai introduite par une note adressée à la section centrale. Voici, messieurs, l'emploi que recevaient ces 20,000 fr. ; cet emploi est indiqué, page 35 du texte même du rapport de l'honorable M. Dedecker.

Le collège de Liége réclame une majoration.

L'athénée de Gand avait obtenu un subside de 5,000 fr. ; ce subsides n'est pas définitivement accordé, par suite des difficultés élevées au sein du conseil communal ; mais je dois dire que jusqu'à présent la décision du conseil communal de Gand ne m'a pas été notifiée, de sorte que je ne la connais que par les journaux, c'est-à-dire que le gouvernement n'est pas censé la connaître.

Six autres établissements se sont adressés au gouvernement, à l'effet d'obtenir des subsides : ce sont les collèges de Tirlemont, Audenaerde, Eecloo, Enghien, Ypres et Marche.

Sur ces six derniers établissements, deux établissements, ceux de Tirlemont et d'Enghien, sont placés sous la direction ecclésiastique ; mais ces deux institutions n'en ont pas moins adhéré à la circulaire du 31 mars dernier, comme l'avaient déjà fait d'autres établissements placés sous la même direction, je veux parler des collèges de Dinant, Chimay, Beeringen et Herve.

Ainsi, il y a six demandes nouvelles non instruites, une demande d'augmentation et une demande en suspens, ce qui fait 8 demandes. C'est pour subvenir éventuellement à ces 8 demandes que les 20,00 francs vous sont proposés ; ce qui suppose une moyenne seulement de 2,500 francs par demande ; cette moyenne n'est certes pas considérable.

Ainsi, si le chiffre de 20,000 francs n’est pas voté, il y aura impossibilité d'accorder des subsides aux collèges de Tirlemont, Enghien, Marche, Audenarde, Eccloo et Ypres. Il y aura également impossibilité d'allouer un subside à l'athénée de Gand, si tant est que le conseil communal adhère à la circulaire du 31 mars dernier, et je crois qu’il le fera, parce qu’il ne peut y avoir qu’un malentendu. Enfin, il y aura impossibilité à accorder une majoration au collège de Liège.

Voilà les détails que j’avais à soumettre à la chambre, pour justifier la demande de majoration.

M. Delfosse. - Messieurs, permettez-moi de vous soumettre quelques courtes observations sur le mode de distribution des subsides aux établissements d’enseignement primaire et moyen.

Pour qu'un établissement de l'une ou de l'autre de ces catégories puisse obtenir un subside, deux conditions me semblent requises :

Il faut que l'établissement ne puisse se suffire à lui-même, à cause de la modicité de ses ressources;

Il faut que l'établissement accepte le contrôle de l'Etat comme condition du subside.

Si l'établissement avait des ressources suffisantes, l'intervention de l'Etat dans la dépense .ne se concevrait pas.

Elle ne se concevrait pas non plus si l'établissement ne voulait se soumettre à aucune espèce de surveillance.

Dans le premier cas, l'Etat ferait de ses fonds un emploi inutile. Dans le second, il s'exposerait à en faire un mauvais emploi.

Lorsque des subsides sont demandés pour des établissements d’instruction primaire ou moyenne, placés sous la direction des administrations provinciales ou communales, l'Etat a soin de faire d'abord constater l'insuffisance des ressources, et s'il accorde des subsides, il y met toujours la condition qu'il pourra surveiller ces établissements.

On pourrait jusqu'à un certain point regarder cette dernière condition comme inutile, lorsqu'il s'agit d'établissements provinciaux ou communaux ; l'Etat pourrait, alors même qu'aucune condition n'aurait été expressément stipulée, exercer de fait cette surveillance par l'entremise des gouverneurs pour les établissements provinciaux, et par l'entremise des collèges des bourgmestres et échevins pour les établissements communaux ; les gouverneurs sont à ses ordres ; et, bien qu'il doive les choisir dans le conseil, il a une certaine part d'influence sur les collèges des bourgmestres et échevins.

Néanmoins, ce n’est là qu’une considération secondaire qui ne doit pas empêcher l'Etat d'imposer aux établissements qui obtiennent un subside, la condition formelle de se soumettre à sa surveillance. Si l'établissement trouve cette condition trop dure, il n'a qu'à se passer du subside.

Ainsi, deux conditions : insuffisance de ressources et droit de surveillance.

Voyons, messieurs, si ces conditions existent pour les établissements d’instruction placés sous la direction des chefs du clergé, auxquels M. le ministre de l'intérieur nous a appris l'autre jour que l'Etat accorde des subsides.

Ces établissements sont au nombre de cinq, dont deux placés sous la direction de l'évêque de Liége ; un sous celui de l'évêque de Tournay, à Bonne-Espérance ; un sous celle de l'évêque de Namur, à Namur même et le dernier, sous celle de l'évêque de Gand, à St-Nicolas.

Deux de ces établissements paraissent avoir reçu des subsides sous les prédécesseurs de M. le ministre de l'intérieur ; les trois autres, à ce qu'il nous a dit, n'ont commencé à en recevoir que depuis son entrée aux affaires, Mais je n'ai pas à m'occuper des personnes ; je ne veux voir que la question en elle-même.

Je serais curieux de savoir comment le gouvernement s'y est pris pour constater l'insuffisance des ressources de ces établissements. Je ne puis croire à cette insuffisance ; je crois, au contraire, que les évêques disposent, pour l'enseignement, de sommes beaucoup plus fortes que le ministère lui-même. Le grand nombre des établissements qu’ils ont créés et qu'ils créent chaque jour partout, les dépenses considérables qu’ils font pour les soutenir, sont là pour attester qu’ils ont d'abondantes ressources.

Il est donc à peu près certain que la première des deux conditions manque. Vous allez voir, messieurs, qu'il est au moins fort douteux que la seconde existe.

Si nous consultons les discours de quelques honorables membres de cette chambre qui doivent connaître la pensée du haut clergé en matière d'enseignement, et qui sont, il n'en faut pas douter, disposés à la défendre dans cette enceinte, nous serons autorisés à croire que le clergé n'entend accorder à nos ministres aucun droit de contrôle sur les établissements qu'il dirige, et qu'il ne voudrait pas de subside à ce prix.

L'honorable M. Doignon disait l'année dernière :

« Le gouvernement, n'ayant ni morale, ni doctrine officielle, je ne puis reconnaître à aucun ministre le droit de diriger, d'organiser ou de surveiller des maisons d'éducation ou d'instruction. »

Faites attention, je vous prie, messieurs, à ces paroles : ou de surveiller des maisons d’éducation ou d’instruction.

L'honorable M. Desmet disait à la même époque :

« Cette inspection qu'on veut avoir à tout prix sur les établissements salariés, est la cause que les établissements catholiques ne peuvent profiter des subsides. Il est donc évident (ajoutait un peu plus loin cet honorable membre) que la prétention d’inspecter les collèges et les écoles est contre la constitution et une absurdité. »

Les paroles que je viens de citer suffiraient, messieurs, s'il pouvait d'ailleurs exister le moindre doute à cet égard, pour prouver que le clergé n'entend en aucune manière soumettre les établissements d'instruction qu'il dirige à la surveillance de l’Etat.

Vous avez sans doute été frappés comme moi, messieurs, de la réserve avec laquelle M. le ministre de l'intérieur a traité ce point dans une discussion récente.

Ces subsides, a dit M. le ministre de l'intérieur, ne sont jamais accordés qu'après un rapport sur l'établissement même. Par qui ce rapport est-il fait ? C'est ce que M. le ministre ne nous apprend pas et c'est cependant ce qu'il serait intéressant de connaître. Un rapport de cette nature a été fait dans la province de Liége par un homme dont je respecte les opinions, mais il est notoirement connu pour être l'ami de l'évêque, et qui naturellement a trouvé l'établissement parfait. Ce rapport pour le dire en passant, a fait si peu d'impression sur le conseil provincial de Liège que la demande de subside formée par l'évêque a été rejetée à une immense majorité.

M. le ministre de l'intérieur nous assure qu'il y a des évêques qui n'ont pas hésité à inviter en quelque sorte le gouvernement à faire inspecter leurs écoles.

Ces paroles, messieurs, sont bien ambiguës, Il y a des évêques qui n'ont pas hésité à inviter en quelque sorte le gouvernement à faire inspecter leurs écoles, Tous n'ont donc pas adressé cette invitation

M. le ministre de l’intérieur n'a parlé que d'une seule invitation qu’il aurait reçue de l’évêque de Gand. Il n’a donc pas reçu la même invitation des autres évêques. Et puis qu’est-ce que cette invitation que M. le ministre a en quelque sorte reçue ? Que signifie la restriction dans ces mots : en quelque sorte ? S’il y a un mystère là-dessous, il serait bon de l’éclaircir.

L'obscurité de ces explications, l’espèce d'embarras qu'elles révèlent, mise en présence des déclarations bien claires des deux honorables membres dont j'ai parlé tantôt, tout, messieurs, porte à croire que le gouvernement a accordé des subsides aux cinq établissements dont il s'agit, sans y mettre pour condition le droit de contrôler ce qui s'y passe. Si on a bien voulu l'inviter en quelque sorte à faire inspecter l'un ou l'autre de ces établissements, ce n'est pas un droit, c'est une faveur qu'on lui a accordée, et elle lui serait tirée le jour où il ferait choix d'inspecteurs peu agréables aux évêques.

Vous le voyez, messieurs, il n'y a ici ni insuffisance de ressources, ni droit de surveillance. Le gouvernement, en accordant ces subsides, a fait un don à ceux qui, loin d'en avoir besoin, ont plus de ressources que lui, et il n'a aucune garantie de l'emploi qui en sera fait. Je n'espère obtenir ni de la chambre, ni du gouvernement que les subsides soient retirés, mais j'ai cru de mon devoir de signaler ce que je considère comme un grave abus.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette d'abord que l'honorable préopinant ait réuni dans une même discussion l’enseignement primaire et l'enseignement moyen. Je regrette en second lieu, qu'il se soit complètement tromper sur le caractère des subsides accordés aux écoles normales ecclésiastiques. (Marques d'étonnement.) Il s'est complètement trompé ; je vais le prouver avec une évidence telle qu'aucune de ses observations, je l'espère, ne pourra subsister. Je commence donc par l'enseignement primaire. je demande pardon à la chambre de cette interversion. Les subsides accordés à cinq établissements primaires ecclésiastiques, qualifiés d'écoles normales, sont-ils accordés pour subvenir aux frais de ces établissements ? Là est l'erreur de l'honorable préopinant. Non, ces subsides sont accordés pour être répartis en bourses. Dès lors, que faut-il rechercher ? C'est de savoir si les élèves instituteurs auxquels on destine les bourses sont recommandables par leur instruction et leur conduite ; en second lieu, s'ils sont dans un état de fortune tel qu'il faille leur accorder des secours. Voilà les deux questions à examiner, il n'y en a pas d'autres. Les deux questions concernant les subsides pour subvenir aux frais d'établissement ne se présentent pas ici ; elles ne se présentent pas pour la collation des bourses. Ici les questions qui se présentent sont des questions purement personnelles. (Réclamations.)

Que fait-on pour l’emploi de la somme allouée pour être distribuée comme bourses d'études aux instituteurs ? Le ministre reçoit une liste sur laquelle on a soin d'ajouter après chaque nom à l'appui de chaque proposition tous les détails nécessaires. Il reçoit aussi un rapport sur l'état de l'enseignement dans ces établissements. Ces renseignements sont fournis par le gouverneur de la province. Le gouverneur de Liége n'a pas la confiance du préopinant, mais il suffit qu'il ait la confiance du gouvernement. Le gouverneur de Liége a pleinement notre confiance.

Je suis très content que le préopinant m'ait fourni l'occasion de déclarer que c'est par l’intermédiaire du gouverneur que le gouvernement reçoit des propositions pour la collation des bourses.

Maintenant, revenons à l'instruction moyenne, la seule qui fût proprement en cause. L'honorable préopinant vous dit : Il faut examiner deux choses : la première, si l'établissement ne peut se suffire à lui-même ; la seconde, si l'établissement accepte l'intervention du gouvernement. En effet, ce sont ces deux choses qu'on examine. Pour l'examen de la première, on demande la production du budget ; pour assurer un contrôle on demande le droit d’inspection et la participation au concours. Ces conditions sont clairement exprimées dans une circulaire de mon honorable prédécesseur, du 31 mars dernier, à laquelle ont adhéré sans réserve tous les établissements qui reçoivent des subsides de l'Etat, à l'exception de l'établissement communal de Gand.

Mon honorable prédécesseur, j’ai déjà eu l’honneur de le dire, a rédigé cette circulaire, et l'a adressée directement aux bourgmestres, sous la date du 31 mars. Dans l'intervalle du 31 mars au 13 avril, quatorze établissements, avaient répondu et avaient adhéré. Ces quatorze établissements les voici : Tongres, Ath, Virton, Bouillon, Beeringen, ont envoyé leur adhésion sous la date du 3 avril ; remarquez que le dernier de ces établissements est placé sous la direction ecclésiastique.

M. Delfosse. - Vous confondez l’établissement d'instruction primaire avec les établissements d’instruction moyenne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ai répondu, quant aux établissements d’instruction primaire, et j'ai prouvé qu'il ne s’agit, en ce qui les concerne, de subside pour les frais de l'établissement, mais pour collation de bourses.

M. Delfosse. - C'est la même chose.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce n'est pas la même chose, et nous verrons comment vous établirez que c’est la même chose.

Je viens de vous citer les établissements qui avaient envoyé leur adhésion sous la date du 3 avril. Sous la date du 5 avril on a reçu l’adhésion des collèges de Nivelles, de Verviers, de Namur, de Herve, ce dernier sous la direction épiscopale, le 6 avril ont adhéré Tongres et Huy ; le 8, Hasselt, le 10 Thuin, le 13 Arlon.

Voilà les 14 établissements qui avaient adhéré à la date du 13 avril et dont deux sont sous la direction ecclésiastique, Beeringen et Herve. Après la formation du ministère actuel, le gouvernement a reçu les adhésions suivantes :

Bruges, 17 avril ; Chimay, qui est sous la direction ecclésiastique, le 21 ; Saint-Trond, le 22 ; Dinant, également sous la direction ecclésiastique, le 29 ; Bruxelles, le 1er mai ; Liége, le 7 ; Dolhain-Limbourg, le 7, enfin Stavelot, le 8.

Voilà les vingt-deux établissements qui avaient adhéré à la circulaire quand le concours a été organisé. Ici je rencontre le doute qui a été exprimé par M. Devaux dans une précédente séance, Ces vingt-deux établissements ont donc adhéré aux conditions de la circulaire du 31 mars, conséquemment ont consenti à prendre part au concours, Sur ces vingt-deux établissement neuf se sont trouvés dans le cas de ne pas pouvoir concourir, parce que la rhétorique figurait parmi les objets du concours et que ces établissements n'avaient pas d'études de rhétorique. Qu'a fait le ministre ? Il a dispensé ces neuf établissements de concourir. Mais il n'en est pas moins vrai qu'ils avaient, en principe, adhéré et consenti à venir concourir ; il y a un obstacle naturel à ce qu'ils pussent concourir. Il n'est pas exact de dire qu'ils ont refusé, et que c'est pour masquer ce refus que je les aurais dispensés de concourir. Il n'y a pas eu refus, au contraire ; ils auraient désiré pouvoir prendre part au concours et ils en ont exprimé du regret.

Depuis le concours le gouvernement a reçu les adhésions de Mons, Charleroi, Enghien, Tirlemont, qui se sont adresses au gouvernement pour obtenir des subsides. Remarquez que, parmi les 4 établissements que je viens de citer, les deux derniers, ceux d’Enghien et de Tirlemont, sont sous la direction ecclésiastique L’adhésion a été donné ; elle n’a pas été surprise. Ce sont là des actes. Il est inutile de se laisser aller à des suppositions, de se livrer à des conjectures. Vous voyez donc à quelles conditions les subsides ont été accordés ; ces conditions ont été librement acceptées. Je ne pense pas qu’elles soient contraires aux droits du gouvernement ; je ne pense pas qu’elles portent atteinte à l’une ou l’autre de nos libertés.

J’entends dire qu’on fait de grands prodigalités en faveur du clergé et de ses établissements, que sans doute on se propose de leur accorder une large part dans les allocations demandées. Eh bien, voulez-vous savoir ce que reçoivent les établissements du clergé ?

Sur la somme de 250,000 francs, destinés à l’enseignement primaire, 4,176 fr. sont accordés à des écoles desservies par les frères de la doctrine chrétienne. (M. le ministre énumère ces écoles.)

De plus les cinq écoles normales, dont vous connaissez les noms, reçoivent, non par pour suffire aux frais de leur établissement, je le répète encore, mais pour collation de bourses, 8,500 fr. Voilà les deux sommes qu'obtiennent les établissements primaires placés sous la direction ecclésiastique sur une allocation totale de 250,000 francs.

M. Dumortier. - Cela fait 8 p. c.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne fais aucune réflexion ; je veux seulement que l'on connaisse les faits.

Si vous allouez au gouvernement la nouvelle majoration qu'il vous demande, les établissements subsidiés par l’Etat sur l’allocation concernant l'enseignement moyen s'élèverait à plus de 30 ; et sur ces 30, il y en aura six que j’appellerai mixtes, c'est-à-dire des établissements communaux placés sous la direction ecclésiastique. Ainsi sur les établissements communaux il ne s’en trouve que six, qui placés sous la direction ecclésiastique, prennent part à cet article du budget. Vous voyez, messieurs, combien on est prodigue envers le clergé.

M. Vandenbossche. - L'honorable M. Delfosse exige que les établissements d’instruction, pour mériter des subsides de l’Etat, doivent se soumettre au contrôle du gouvernement. Je suis du nombre de ceux qui regardent ce droit de la part du gouvernement comme exorbitant. J’approuve son institution des concours, mais les municipalités qui ne trouvent de professeurs que parmi les prêtres, auxquels l’évêque interdit d’envoyer leurs élèves aux concours, devraient-elles se passer d’établir dans leurs localités un établissement d’instruction publique ? Je consens à ce que le gouvernement visite ces établissements, mais non pas qu’il s’autorise à leur prescrire des ordres. L’instruction est libre et doit le rester, il ne s’agit de rien autre chose que de connaître si l’établissement jouit de la confiance des parents et si la commune mérite le subside qu’elle sollicite.

M. Delfosse - J'ai été quelque peu effrayé lorsque M. le ministre de l'intérieur s'est écrié au commencement de son discours : L’honorable préopinant s'est complètement trompé, je le prouvera, mais j'ai été tout à fait rassuré après avoir entendu M. le ministre, car il n'a rien prouvé du tout.

Qu'avais-je dit, messieurs ? J’avais dit que l’on ne doit accorder des subsides qu'aux établissements d'instruction dont les ressources sont insuffisantes et qui consentent à accepter le contrôle de l’Etat.

C'est là un point sur lequel M. le ministre a été tout à fait d'accord avec moi.

J'ai ajouté que cinq établissements d'instruction placées sous la direction des évêques ont reçu des subsides sans qu'il soit prouvé que ces établissements n'ont pas des ressources suffisantes ; sans qu'il soit prouvé qu'ils acceptent le contrôle de l'Etat.

M. le ministre a-t-il fourni cette preuve ? Non, messieurs, il vous a entretenu d’autres établissements qui, selon lui, se trouvent dans les conditions requises pour obtenir des subsides, mais des cinq établissements dont j’ai parlé il n'a rien dit.

M. le ministre a seulement soutenu, et c’est en cela que j’aurais commis une erreur, que ces établissements ne reçoivent pas de subsides, que l’on se borne à donner des bourses à quelques élèves qui y font leurs études.

Je vous avoue, messieurs, que je ne saisis pas bien la distinction que M£. le ministre m’oppose. Accorder un subside au chef d’un établissement d’instruction à condition qu’il donnera l’instruction gratuite à un certain nombre d’élèves, ou accorder des bourses à ces mêmes élèves à condition qu’ils suivent les cours de cet établissement, c’est absolument la même chose. Dans le premier cas, le subside est direct ; dans le second, il est déguisé ; c’est le subside moins la franchise. Que le chef de l’établissement reçoive lui-même le subside de l’Etat, ou qu’il la reçoive par l’entremise des élèves, je n’y vois pas, quant à moi, la moindre différence.

M. le ministre a cherché à déplacer la question. Il a voulu faire croire que je serais hostile aux établissements d’instruction placés sous la direction d’ecclésiastiques, et il a dit que cette hostilité ne s’expliquait pas, puisque ces établissements ne reçoivent qu’un bien faible part des subsides portés au budget.

C’est là complètement dénaturer les faits ; je n’ai pas prononcer une seule parole hostile à ces établissements, j’ai demandé, et j’étais dans mon droit, qu’ils rentrent dans le droit commun, qu’ils soient soumis, lorsqu’ils obtiennent des subsides, aux mêmes conditions que les autres établissements.

Il est vrai que les établissements d’instruction provinciaux et communaux ont une très large part dans les subsides portés au budget, mais qui est-ce donc, messieurs, qui profite de ces subsides ? Ne sont-ce pas les catholiques eux-mêmes ? Les catholiques ne se trouvent-ils pas en très grande majorité dans les conseils provinciaux et communaux, comme ils sont en très grande majorité dans le pays ? Je ne concevrai vraiment pas que l’on vînt se plaindre ici des subsides accordés aux établissements d’instruction provinciaux et communaux, je le répète, la plupart des membres, presque tous les membres des conseils provinciaux et communaux, sont catholiques.

Je ne sais pas pourquoi M. le ministre est venu vous parler de M. le gouverneur de la province de Liège, pourquoi il est venu nous dire que si ce fonctionnaire n’avait pas ma confiance, il avait à un haut degré celle du gouvernement ; je n’ai pas à m’expliquer sur la question de savoir si M. le gouverneur de la province de Liége a ou n’a pas ma confiance, et je ne doute nullement qu’il ait celle du gouvernement, mais comme je n’avais pas dit un mot de ce fonctionnaire, M. le ministre n’aurait certes pas dû le faire intervenir dans la discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je croyais que l’honorable préopinant avait entendu parler de M. le gouverneur de Liége. C’est en effet par l’intermédiaire du gouverneur de la province qu’on demande des renseignements. Si je me suis trompé, je le reconnais bien volontiers.

L’honorable préopinant trouve que la distinction que j’ai faite entre un subside à l’effet de pourvoir aux frais des établissements et un subside pour collation de bourses n’est pas fondée. Je persiste à dire qu’il y a une grande différente entre un subside pour les frais matériels d’un établissement et un subside pour collation de bourses. Cette différence est dans nos lois ; en effet le gouvernement fait la répartition des bourses universitaires ; il en accorde à des élèves de l'université libre de Bruxelles et de l'université catholique de Louvain. Pensez-vous que cette collation de bourses pourrait donner au gouvernement sur ces deux établissements un droit de contrôle comme l'entend l'honorable préopinant. (Assentiment.)

Vous voyez donc, messieurs, qu'il y a une grande distinction à faire ici, que cette distinction est fondée, et comme j'ai eu l'honneur de le dire, qu'elle trouve son application relativement aux universités.

Quand il s'agit de subsides accordés pour subvenir aux frais d'un établissement, il faut constater l'insuffisance de ressources de l'établissement ; quand il s'agit de subsides à accorder à un élève, il faut constater l'insuffisance des ressources de l'élève. Dans l'un et l'autre cas, on constate une insuffisance de ressources. Dans le premier cas l'insuffisance de ressources porte sur l'établissement, collectivement ; dans le second cas elle porte sur l'individu qu'on veut gratifier d'une bourse.

Maintenant, quand il s'agit des écoles normales ecclésiastiques, le gouvernement reçoit en outre des renseignements sur les études. C'est ce qui ne lui a jamais été refusé. On va même plus loin ; on demande que les fonctionnaires publics fassent des visites, voient ce qui se passe dans ces établissements ; les gouverneurs peuvent toujours s'y présenter, jamais l'entrée ne leur est refusée.

Je ne crois pas, messieurs, avoir besoin de donner d'autres explications ; elles me paraissent de nature à détruire bien des préventions trop généralement accréditées.

M. Dumortier. - Messieurs, je suis vraiment surpris de la position que vient de prendre l'honorable député de Liége. Je crois qu'un examen même superficiel de la question lui aurait prouvé que cette position n'est ni rationnelle, ni constitutionnelle.

Que veut en effet l'honorable membre ? Il veut pour qu'on accorde un subside à un établissement d'instruction quelconque, deux choses : la constatation de l'insuffisance des ressources, des besoins de la localité où se trouve cet établissement, et la soumission de ce dernier au contrôle, à l'inspection, à la direction du gouvernement.

Quant à ce qui est du premier point, je demanderai comment, avec les maximes qu'il professe, il peut justifier les crédits accordés à la ville de Liége, alors qu'il est connu que cette ville est une des plus riches , une des plus florissantes de la Belgique.

Si l’on maintient cet argument pour vrai, il faudrait commencer par supprimer ce que reçoit la ville de Liége pour ses établissements d'instruction publique, et cette ville figure au budget pour quatre établissements ; il faudrait commencer par établir des suppressions au désavantage des mandataires de l'honorable préopinant ; c'est, je crois, ce qui n'est pas dans son intention.

Mais son intention est bien claire ; ce sont les établissements religieux qu’il a eu en vue dans ses attaques.

Eh bien, je réponds qu'il ne faut pas deux poids et deux mesures. Que si vous voulez pour vos établissements d'instruction libérale (ou plutôt d'instruction libérâtre, car nous voulons tous des établissements d'instruction vraiment libérale) ; que si vous voulez ; dit-je, pour vos établissements d’instruction libérale des subsides, bien que vous ayez les moyens de les prendre sur votre budget, vous ne pouvez pas sans inconséquence trouver mauvais qu’on en accorde aussi aux établissements catholiques qui ont la confiance des pères de famille.

Le second point est bien plus étrange encore. L'honorable préopinant prétend que les établissements qui reçoivent des subsides doivent être sous la direction du gouvernement. C’est ce que je conteste de la manière la plus formelle, c’est ce que je ne puis admettre sous aucun point de vue. Déjà plusieurs fois cette question a été soulevée dans cette enceinte ; et si l’honorable préopinant siégeait depuis plus longtemps sur ces bancs, il se rappellerait que des propositions formelles d’intervention du gouvernement dans l’instruction ont été plusieurs fois faites dans ce sens et que chaque fois elles ont été écartées par la grande majorité de l’assemblée. Toujours la législature a compris que toutes les mesures relatives à l’instruction publique devaient sortir d’une loi. Car il faut que la liberté de l’instruction soit garantie avant tout puisque c’est sur cette liberté que reposent toutes les libertés publiques.

Mais quelle est donc la part si énorme qui touchent les établissements religieux d’instruction au banquet du budget de l’instruction publique ? Le budget s’élève à 1,200,000 fr., et vous l’avez entendu tout à l’heure de la bouche de M. le ministre de l’intérieur, la part que touchent les établissements religieux ne s’élève qu’à 8,000 fr. Eh bien, le calcul est facile à faire, la somme consacrée à l’instruction religieuse n’est que des ¾ pour mille du total du crédit alloué pour l’instruction publique. Vous donnez le reste aux établissements d’instruction auxquels l’honorable préopinant voudrait voir accorder l’entièreté du subside. Comment qualifier de pareilles prétentions, sinon la demande de l’exclusion absolue des personnes qui ne professent pas les doctrines de l’honorable préopinant ? Et c’est là de la liberté, de l’égalité devant la loi ! C’est là ce qu’il appelle de la justice ?

Mais que vient vous dire l’honorable membre ? Lorsque vous votez des subsides, vous les donnez aux catholiques, parce que dans les conseils provinciaux et dans les conseils communaux, la majorité est catholique… Messieurs, je prends acte de cette déclaration, c’est un aveu précieux à enregistrer. Mais je demanderai à l’honorable préopinant : qui donc nomme les membre de ces conseils ? le peuple. Ainsi c’est le peuple que vous combattez aujourd’hui ; car c’est parce que le peuple est catholique, que la majorité des conseils provinciaux et des conseils communaux est catholique. Maintenant, répondez encore : qui est-ce qui paie les impôts ? le peuple, ce même peuple qui nomme les catholiques aux fonctions communales et provinciales, parce que ses sentiments sont religieux et catholiques. Ainsi vous voulez, que par une subversion de tous les principes, on se serve de l’argent du peuple pour subventionner des établissements opposés aux doctrines qu’il professe ! Et vous voulez que l’agent qu’il verse au trésor, au prix de ses sueurs, on le refuse aux établissements qui ont sa confiance ! c’est là une prétention que je dois combattre de tous mes moyens. (La clôture ! la clôture !)

M. Delfosse – Je demande la parole pour un fait personnel. (La clôture ! la clôture !)

Je ne dirai qu’un mot, c’est que je ne confonds pas le peuple qui est sincèrement religieux, qui est sincèrement catholique, avec ceux qui veulent exploiter la religion, avec ceux qui ne sont catholiques que de nom, je ne les confonds pas, entendez-vous.

Vous dites que j’ai deux poids et deux mesures. Comment ! j’ai deux poids et deux mesures, parce que je demande que les établissements ecclésiastiques soient placés sur la même ligne, soient soumis aux mêmes conditions que les autres établissements, parce que je veux l’égalité, parce que je repousse le privilège ? non, non, ce n’est pas moi, c’est vous qui avez deux poids et deux mesures.

La ville de Liége, dites-vous, a obtenu des subsides, bien que ses finances soient dans un état prospère. Vous êtes vraiment bien informé ! Les finances de la ville de Liége sont si peu dans un état prospère, qu’elle n’a pu jusqu’à présent réaliser un emprunt dont elle a besoin pour des travaux urgents.

M. Dumortier. - Je dois repousser de toutes mes forces l'expression dont vient de se servir l’honorable préopinant, expression qui tendrait à faire croire que le parti auquel il répond voudrait exploiter le peuple. Messieurs, ceux-là n'exploitent pas le peuple, qui reçoivent les élèves du peuple parce qu’il veut bien les leur envoyer ; ceux-là n’exploitent pas le peuple qui sont représentés en majorité dans les conseils provinciaux et communaux nommés par le peuple. Mais ceux-là exploitent le peuple qui n’ayant pas les moyens de salarier les établissements veulent les faire subsidier par l’Etat au moyen des deniers du peuple. Voilà ceux qui exploitent le peuple et qui l’exploitent avec ses propres deniers.

M. Doignon. - Je demande la parole ; je prie la chambre de m’entendre ; je ne l’entretiendrai qu’un instant ; je n’ai qu’une réserve à exprimer.

- La clôture, vivement réclamée, est adoptée.

Le chiffre demandé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - Messieurs, la chambre ayant l'habitude de prendre des vacances à l'occasion des fêtes de Noël, j'ai cru qu'il lui serait impossible de voter le budget de la guerre avant la fin de l'année.

C'est dans ces prévisions que je viens demander un crédit provisoire pour pourvoir aux besoins de mon département pendant le mois de janvier.

- Le projet déposé par M. le ministre sera imprimé et distribué ; il est renvoyé à l'examen de la section centrale du budget de la guerre.

M. le président. - Ce projet sera mis à l'ordre du jour de demain, ainsi que le projet de loi sur le contingent de l'armée.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.