(Moniteur belge n°352, du 18 décembre 1841)
(Présidence de M. Fallon.)
M. Kervyn fait l'appel nominal à midi et quart.
- M. Donny, admis dans une séance précédente comme membre de la chambre, prête serment.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; il est approuvé.
M. Kervyn présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les cultivateurs des communes d'Oostacker, Wondelghem, Desteldonck, Everghem et Cluysen demandent que le transport de fumier par le canal de Terneuzen puisse se faire sans payer de droits. »
M. Desmet. -Messieurs, vous venez d'entendre l'analyse d'une pétition de cultivateurs et habitants de cinq à six communes de la Flandre orientale, de celles d'Oostacker, Wondelghem, Everghem, Cluysen et autres communes avoisinantes, situées au long du canal de Terneuzen. Les pétitionnaires se plaignent, que pour le transport du fumier, ils doivent payer un droit fort élevé sur ce canal ; ils demandent que ce droit soit supprimé, qu'ils puissent jouir du même avantage que les cultivateurs ont pour le transport des engrais sur les routes.
Messieurs, cette pétition est très importante. Dans ces communes, à cause de la qualité sablonneuse du terrain, on a, pour pouvoir bien cultiver, besoin de beaucoup d'engrais ; les cultivateurs doivent aller chercher leurs engrais dans la ville de Gand, et je pourrais dire que s'ils ne pouvaient pas se procurer les engrais dans cette ville, ils ne pourraient pas suffisamment fumer leurs terres.
J'appuie donc le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, et je prierai cette commission de faire un prompt rapport sur cette pétition.
« Trois habitants de ThiesseIt, pères de fils miliciens, renouvellent leur demande en cassation d'une décision du conseil provincial d'Anvers qu'ils prétendent contraire à la loi sur la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pierre-Mathieu Pollender, né à Tongres d'un père étranger et d'une mère belge, et ayant négligé la formalité prescrite par l'art. 9 du code civil, demande la grande naturalisation. »
« Le sieur E.-L. Pollender, né à Tongres d'un père étranger et d'une mère belge, demande la grande naturalisation, ayant négligé la formalité prescrite par l'art. 9 du code civil. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
M. Liedts demande un congé jusqu'après les fêtes offertes à Mons à LL. MM. le Roi et la Reine, à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer.
- Ce congé est accordé.
M. le secrétaire fait connaître à la chambre que les sections ont formé leurs bureaux comme suit :
Première section
Président : de Behr
Vice-président : Verhaegen
Secrétaire : Cogels
Rapporteur des pétitions : Delehaye.
Deuxième section
Président : Coppieters
Vice-président : de Garcia
Secrétaire : Scheyven
Rapporteur des pétitions : Osy
Troisième section
Président : Brabant
Vice-président : Lys
Secrétaire : Van Cutsem
Rapporteur des pétitions : De Decker
Quatrième section
Président : Angillis
Vice-président : Mercier
Secrétaire : Troye
Rapporteur des pétitions : Lange
Cinquième section
Président : Duvivier
Vice-président : Fleussu
Secrétaire : Sigart
Rapporteur des pétitions : Huveners
Sixième section
Président : Rogier
Vice-président : de Meer de Moorsel
Secrétaire : Cools
Rapporteur des pétitions : Zoude
M. Brabant. - J'ai l'honneur de présenter à la chambre le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre.
Je crois qu'il pourra être distribué dimanche soir.
M. le président. - La chambre veut-elle mettre ce budget à l'ordre du jour pour être discuté immédiatement après le budget de l'intérieur ; si toutefois le rapport peut être distribué assez tôt. (Oui ! oui !)
Un membre. - Y a-t-il beaucoup d'amendements ?
M. Brabant. - La section centrale a été unanime sur tous les points. Elle ne s'est trouvée en dissidence avec M. le ministre que sur un seul article.
M. Lebeau. - Point de crédit global ?
M. Brabant. - Point de crédit global. La section centrale vous propose l'adoption de tous les articles tels qu'ils ont été présentés par M. le ministre, sauf qu'à l'art. 1er de la section première du chap. Il, elle propose une réduction de 25,000 fr., réduction à laquelle M. le ministre ne s'est pas rallié.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du budget de l'intérieur.
M. le ministre se rallie-t-il aux propositions de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, M. le président.
M. le président. - En ce cas, la discussion s'ouvrira sur le projet du gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. Eloy de Burdinne. - Notre position financière n'est pas désespérée, mais elle n'est pas rassurante dans l'avenir. Telles sont mes prévisions.
Nos ressources sont belles, pour le moment ; cet état de chose ne durera pas, je le crains ; elles seront réduites, nos ressources, et nos dépenses resteront les mêmes ; il en résultera un déficit bien difficile à combler. Telles sont mes prévisions.
La Belgique a trop peu de ressources pour établir ses dépenses sur une aussi grande échelle.
Soyons modestes ; la modestie est une vertu, tâchons de la pratiquer.
Chacun de nous reconnaît la nécessité de réduire nos dépenses.
Prenez chaque membre en particulier, il conviendra de cette nécessité. Mettez aux voix les réductions proposées soit par la section centrale, soit par un membre isolé, la majorité presque toujours votera contre.
C'est le cas de dire que chaque membre pris en particulier veut des économies, mais que réunis ils veulent la dépense et une dépense qui excède nos moyens. Telle est mon opinion.
A tous nos budgets, j'excepte celui de la guerre, figurent des allocations en faveur du commerce et de l'industrie ; chaque article séparément ne paraît pas d'une importance majeure, c'est seulement lorsqu'on récapitule tous les articles des budgets, destinés à l'encouragement de ces deux industries que l'on est frappé de l'énormité de la dépense à charge du pays : le budget de l'intérieur principalement pétitionne la plus forte somme.
Curieux de connaître quel était le chiffre de cette dépense, j'ai compulsé les budgets et j'ai reconnu que la Belgique dépense annuellement pour protéger le commerce plus de cinq millions (environ le 20e du revenu de l'Etat), tandis que l'industrie et le commerce ne payent en impôt de patente que la somme de 2,900,000 fr..
Je viens de dire que l'industrie et le commerce occasionnent une dépense à charge du trésor de plus cinq millions, je vais en établir la preuve :
Au budget de la justice il est pétitionné, pour salarier les greffiers de commerce, une somme de fr. 12,940
C'est sans préjudice à la somme pétitionnée au budget de l'intérieur.
Au budget des affaires étrangères on demande pour les agents consulaires, fr. 110,000
N. B. Il ne paraît pas que ce soit l'ultimatum de M. le ministre.
On pourrait ajouter une partie des dépenses votées aux chapitres V, VI et VII du même budget, vu qu'elles sont faites en faveur de l'industrie et du commerce : fr (pour mémoire)
Notre budget de la marine est porté en dépense au chiffre de 900,849 fr., et sans exagération on peut établir que les 2/3 sont en faveur de l'industrie et du commerce, soit fr. 640,566
Au budget de l'intérieur, chapitre XIV, le commerce y figure pour une dépense de fr. 807,500
Et au chap. XV du même budget il est demandé pour encouragement, soutien et développement de l'industrie (comme si elle n'était déjà trop développée), la somme de fr. 150,000
Au chap. IV du budget des travaux publics, nous payons pour le conseil des mines fr. 45,600
Au chapitre III du budget des non-valeurs et des remboursements, est un petit article intitulé unique : Remboursement du péage sur l'Escaut, où l'on demande la somme de fr. 650,000.
Total général de ce que je nomme mon chapitre premier : fr. 2,416,606.
Ce n’est pas tout, messieurs, il est d’autres dépenses à charge de l’Etat, pour favoriser l’industrie et le commerce, qui sont assez importantes pour devoir être signalées. Il se pourrait qu’on vienne me contester l’exactitude de mes calculs, et que ne conteste-t-on pas ? Vous le savez, messieurs, nous vivons dans un monde où tout est contesté.
Je reviens aux dépenses en faveur du commerce, etc.
Le chemin de fer a été construit pour favoriser le commerce ; personne ne contestera cette vérité. Eh bien, il est plus que probable que vous aurez un déficit, dans les produits comparés à la dépense, de deux millions au moins, soit fr. 2,000,000
La construction du chemin de fer a nécessité la formation d'un sixième ministère, ce qui occasionne une dépense de plus de fr. 100,000
L'entretien des ports d'Ostende et de Nieuport, phares et fanaux, nécessite une dépense de plus de fr. 200,000, toute en faveur du commerce.
Le commerce nécessite dans les ministères un certain nombre d'employés, des frais de bureau de toute espèce, des enquêtes, des statistiques ; ajoutez l'intérêt des capitaux employés au rachat de plusieurs canaux (j'entends ici le déficit du produit sur la dépense et l'intérêt des capitaux). Somme ronde pour tous ces objets réunis : fr. 300,000
Total : fr. 2,600,000
Il est bien d’autres dépenses que j'omets, tels que les envoyés en Espagne, en Grèce, etc.
Pour encourager nos industries, on frappe d'un droit à la sortie nos produits agricoles considérés comme matières premières ; c'est en quelque sorte frapper un impôt sur l'agriculture en faveur de l'industrie manufacturière.
Ajoutez la dépense précitée de fr. 2,416,606, vous avez en total : fr. 5,016,606 dépensés par l'Etat pour favoriser le commerce et l'industrie.
Une dépense aussi forte pour nos moyens devrait porter ses fruits et rendre notre commerce et notre industrie prospères. En est-il ainsi ? je ne le crois pas. De toute part on crie que l'industrie et le commerce sont compromis en Belgique ; on réclame des mesures pour leur soutien, et quoi que l'on fasse, leur position paraît s'aggraver de plus en plus d'année en année.
Je dois donc croire que la dépense faite en faveur de ces deux industries (cinq millions de francs) est mal faite, puisqu'elle ne donne aucun résultat favorable.
Et, dans mon opinion, je crois que si on distribuait cinq millions à nos industriels qui sont en souffrance, ils seraient bien plus soulagés qu'ils ne le sont par le système adopté pour les soutenir.
J'appelle l'attention du gouvernement sur cette dépense, que je considère faite en pure perte, et je demande que MM. nos ministres changent de système plus économe, en même temps plus efficace.
Toutes les nations, aujourd'hui, veulent s'affranchir de leurs voisins. Pour y parvenir, elles encouragent les fabriques naissantes dans leurs Etats en frappant de forts droits sur les produits similaires venant de l'étranger, Agissons de la même manière, faisons en sorte que nos industriels possèdent seuls le marché belge ; mais, je vous en convie, ne dépensons pas l'argent du contribuable pour chercher des débouchés que nous ne trouverons pas ; s'il en existait, nos voisins les Anglais et les Français les posséderaient avant nous, et si par hasard, nous rencontrions un petit coin de terre inconnu où nous pourrions déverser quelque partie de produits de notre industrie et que notre British-Queen vînt à découvrir, j'ai la ferme conviction que ce débouché de nos fabricats nous serait de suite enlevé.
C'est dans l'esprit que le ministère fera de mûres réflexions sur mes observations que je voterai en faveur du budget.
Si je croyais qu'il voulût persister dans la marche adoptée, je me verrais forcé de voter contre.
Je dirai un mot sur la navigation transatlantique.
Sans vouloir ici traiter de la grave question de l'acquisition, par le gouvernement, du British-Queen, je déclare formellement m’opposer à ce que le gouvernement fasse cette correspondance ; un gouvernement doit encourager simplement une société ou un particulier fera de bonnes affaires dans telle opération, ou un gouvernement perdra beaucoup, vous le savez comme moi, quand on travaille pour un particulier on travaille avec économie, tandis que pour un gouvernement tout se fait avec prodigalité, telle est la règle ; j'admets qu'il y a quelquefois des exceptions, mais elles sont fort rares.
En un mot, que la loi du 29 juin 1840 concernant l'établissement d'une ligne de bateaux à vapeur vers les Etats-Unis soit suivie d'après la lettre.
Je regrette encore d'avoir été obligé de signaler ce que je considère comme des abus, mon devoir m'en impose l'obligation. J'ai dit.
M. Sigart. - Messieurs, dans la discussion du budget des voies et moyens, j’ai demandé une explication sur la décomposition d'un chiffre, et j'ai, en passant, signalé la tendance d'une mesure relative à la chasse ; à cette occasion, M. le ministre de l'intérieur m'a donné rendez-vous sur le terrain de son budget. Je réponds à son appel.
Toute sa tendance, dit-il, consiste à faire respecter la propriété : des propriétaires étaient condamnés pour délits de chasse hors du temps légal : ils ne pouvaient parer l'amende infligée par les tribunaux et des demandes de grâce devaient être soumises au Roi.
Nous sommes tous d'accord que la propriété doit être respectée ; nous sommes tous d'accord que les délits qui lui portent atteinte doivent être réprimés efficacement. Mais nous devons voir si la propriété avait besoin d'une protection nouvelle, nous devons voir surtout si le moyen employé était fait pour atteindre le but. Examinons.
Pour juger le premier point, il faudrait connaître tous les détails promis par M. le ministre, Je les attendrai. Jusque-là, je croirai qu'un petit nombre d'individus ont pu être condamnés, mais je croirai surtout que le refus d’un port d'armes n'aurait guère eu pour résultat que de pr1ver l'Etat d'une contribution et de changer les chasseurs en braconniers.
Quant au second, nous pouvons nous en expliquer immédiatement. Vous vous plaignez que des indigents obtiennent des ports d'armes sans pouvoir garantir le paiement de l'amende en cas de contravention. Eh bien ! exigez cette garantie : prenez tous vos apaisements, mais n'allez pas au-delà ; car au-delà commence le privilège.
Voulez-vous n'admettre que les garanties en propriétés rurales ? Voulez-vous exécuter toute autre, qu'elle soit présentée par un capitaliste millionnaire, par un ministre même, fût-il ministre dé l'intérieur, j'y consens ; mais faut-il, pour assurer le paiement de l'amende, une propriété de cent hectares ? N'est- ce pas une définition fort singulière que celle-ci : Est réputé indigent quiconque ne possède pas cent hectares. Je conviens que sur les points les moins favorisés des Ardennes ou de la Campine, la propriété de cent hectares ne garantirai rien du tout ; mais, en terme moyen, ils valent un demi-million. Dans la localité que j'habite, ils valent un et deux millions, ainsi qu'il conste des expertises du chemin, de fer. N'est-ce pas une dérision que de dire : Est indigent quiconque n'est pas millionnaire ? Je félicite fort ceux qui peuvent considérer un million comme une bagatelle.
Et ce n'est pas protéger la propriété ce que vous faites, c'est y porter atteinte. Vous possédez 50 hectares, vous possédez un demi-million, vous êtes par conséquent prolétaire, vous êtes indigne.
Vous ne pouvez ni chasser ni en donner le droit à d'autres qu'à ceux qui en possèdent le double. N'est-ce pas une chose criante n'est-ce pas enlever des droits jusque-là incontestés ? Le droit de chasse n'est donc plus un droit inhérent à la propriété ? Il ne fallait pas dire que votre tendance était de la faire respecter ; il fallait dire que vous vouliez donner des privilèges à la grande propriété.
Mais, dit-on, il n'y a là rien d'absolu : nos instructions disent une centaine d'hectares ; nos gouverneurs n'ont pas été rigoureux. Oui, j'en conviens, vos gouverneurs ont agi à peu près comme par le passé, et c'est pour cela que les recettes n'ont guère diminué ; mais s'ils décident que deux hectares, un hectare ou zéro hectares en forment une centaine, ils pourraient aussi décider que cent ne suffisent plus : selon le caprice d'un fonctionnaire, il en faudra plus ou moins pour composer la centaine. J'aime autant l'absolu que l'arbitraire.
Au reste, il ne s'agit point de savoir ce que font les gouverneurs ; il s'agit de savoir ce que vos instructions leur prescrivent de faire. Si les alarmes de l'opinion arrêtent l'exécution, la volonté ne s'est pas moins exprimée. Elle s'est énoncée de la manière, selon moi, la plus nette, la plus claire, la plus formelle : c'est là que j'ai vu une tendance : en la signalant j'ai usé d'un droit, j'ai accompli un devoir. J'invite le ministre à déposer sur le bureau les pièces qui concernent la mesure.
Permettez-moi, messieurs, de m'occuper d'un autre sujet.
On s'est plaint, et avec raison, que le vœu de l'art. 54 de la constitution n'était plus satisfait, Cet article dit :
« Art. 54. Le sénat se compose d'un nombre de membres égal à la moitié des députés de l'autre chambre. »
Notre situation résulte d'événements de force majeure ; nous ne devons en accuser personne ; mais nous pouvons chercher si elle n'admet point de remède.
La perte d'une partie du Limbourg nous priva immédiatement, celle du Luxembourg nous prive, à compter de cette année, du représentant que nous avaient député les territoires cédés ; mais les sénateurs, dont la durée des fonctions .est plus longue, continuent à siéger au sénat, 95 représentants et 49 sénateurs subsistent. La proportion constitutionnelle est rompue.
A l'époque de la révolution, la population de la Belgique s'élevait à 4 millions 80 mille habitants. Ce fut sur ce chiffre que fut établi celui des membres des deux chambres, selon l'art. 49 de la constitution, ainsi conçu :
« Art. 49. La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants. Elle détermine également les conditions requises pour être électeur et la marche des opérations électorales. »
Il est à remarquer que la perte des populations cédées a été, ou peu s'en faut, compensée par l'augmentation de celle que la Belgique a pu conserver. Le nombre des habitants au premier janvier 1841était de 4,066,890.
Il est donc facultatif de porter notre nombre à cent. La constitution n'en fait pas une obligation mais elle le permet, elle y invite même, au moins est-ce ainsi que la chose a été comprise par le législateur de la loi électorale, puisqu'il a été jusqu'à la limite permise.
Mais, messieurs, si la constitution n'ordonne point, l'équité commande, dans le cas au moins où l'accroissement n'aurait pas été proportionnel. Or, c'est ce qu’il faut examiner.
Dans tous les arrondissements la population s'est accrue, mais dans quelques-uns d'une manière presque nulle, dans d'autres au contraire de la façon la plus notable :
Ainsi, quand de 1830 à 1841, Tournay passe de 137,300 à 140,339,
Mons s'élève de 128, 182 à 140,288
Louvain monte de 150, 194 à 158,577
Bruxelles s'accroît de 284,710 à 326,157,
C'est une augmentation :
Pour Tournay, de 2,2 p. c.
Pour Mons, de 9,4 p. c.
Pour Louvain, de 5,5 p. c.
Pour Bruxelles, de 14,5 p. c.
L'équité ne murmure-t-elle point de voir Mons dont la population égale celle de Tournay (la dépasse même à l'heure qu'il est), n'avoir que trois représentants quand Tournay en a quatre ; de voir Bruxelles avec une population double de celle de Louvain, et de ne point lui voir une représentation double.
Il est une anomalie que l'exactitude, poussée jusqu'au scrupule, fait admettre, mais qu'il serait bien désirable de pouvoir atténuer autant que possible, c'est l'intermittence électorale. N’est-il point fâcheux pour un district d'avoir une représentation boiteuse, qui pose aujourd'hui sur trois, demain sur quatre pieds. Et si c'est chose fâcheuse pour l'arrondissement, il l'est bien davantage pour le député surnuméraire qui n'est point stimulé par la récompense d’une conduite parlementaire sans reproche, l'espoir d'une réélection.
Eh bien, l'on pourrait faire disparaître, non pas toutes, mais quelques-unes de ces fractions de représentants. Liége doit, par exemple, nommer quatre représentants et demi, c'est-à-dire quelquefois quatre et quelquefois cinq. On arriverait au nombre entier fixe de cinq. Huy obtiendrait celui de deux.
Faut-il, messieurs, que je m'occupe des détails d'exécution ? Je ne le pense pas ; je dirai seulement que, d'après les tableaux officiels que j'ai sous les yeux, les provinces des Flandres, Brabant, Hainaut et Liège pourraient avoir un représentant de plus. Les districts seraient Bruxelles, Mons, Liége, Huy, Gand et Courtray. Ces cinq représentants seraient élus immédiatement. Notre nombre ainsi s'élèverait à cent. Trois sénateurs nouveaux devraient être élus pour compléter le nombre de cinquante. Un seul le serait maintenant. Le sort désignerait le district parmi les trois dont la représentation au sénat serait augmentée. Les deux autres ne le seraient qu'à l'époque de sortie des sénateurs limbourgeois, De cette manière le nombre des représentants serait dés maintenant double de celui des sénateurs et continuerait à l'être.
Ainsi, messieurs, vous rétablirez l'équation constitutionnelle, vous détruirez l'anomalie de quelques fractions électorales, surtout vous ferez acte d'équité. C'est plus de motifs qu'il n'en faut pour vous déterminer. Il est impossible que la matière n'ait pas appelé l'attention du gouvernement.
J'invite M. le ministre de l'intérieur à nous faire connaître quelles sont ses intentions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois, messieurs, pouvoir me borner à donner quelques explications à la chambre, sur le reproche renouvelé par l'honorable préopinant, concernant les instructions relatives à la chasse.
L'honorable préopinant part du principe que nous ne contestons pas, que, sauf les mesures de police, le droit de chasse est inhérent au droit de propriété. Nous ne contestons pas ce principe ; mais en résulte-t-il qu'il suffise d’être propriétaire d'un hectare pour avoir le droit d'obtenir un permis de chasse. Là est la question. Elle n'est pas dans le principe, elle est dans l'application à donner au principe dans la pratique. Nous ne pensons pas, messieurs, que l'honorable préopinant admette comme conséquence rigoureuse du principe que nous posons avec lui, qu'il suffise d'être propriétaire de quelques hectares pour avoir droit à un permis de chasse. Il faut être propriétaire d'un nombre d'hectares suffisant pour constituer une chasse, ou à défaut de ce fait, être substitué par les propriétaires dans le droit de chasse sur un terrain suffisant pour qu'on puisse dire qu'il y a une chasse. Il me semble qu'il est impossible d'entendre autrement le principe, sinon on tomberait dans l'absurde.
Eh bien, messieurs, l'administration ne l'a pas entendu autrement ; elle a voulu seulement qu'on fît une application du principe conforme à ce que j'oserai appeler le sens commun. Il n'y a eu aucune innovation ; on s'est conformé aux instructions qui existent depuis 1830 et qui existaient avant 1830. On a cru seulement devoir l'appeler de nouveau ces instructions aux gouverneurs de province.
Mais on a voulu donner le change au public, messieurs. On a répété sans cesse au public que l'on avait posé d'une manière rigoureuse, dans une instruction ministérielle, qu'il fallait avoir au moins cent hectares pour obtenir un permis de chasse. Messieurs, il n'en est rien. On a indiqué dans l'instruction du 16 août qu'il fallait que celui qui se présente pour obtenir un permis de chasse, fût connu pour être propriétaire d'un terrain suffisant pour chasser, ou bien être substitué par un propriétaire dans le droit de chasser sur un terrain suffisant pour constituer une chasse, une centaine d'hectares, par exemple.
On a vu, messieurs, que l'on voulait donner le change au public sur cette instruction, et je me suis empressé d'en adresser une seconde sous la date du 24 août, c'est-à-dire huit jours après, aux gouverneurs pour leur expliquer d'une manière plus claire encore la pensée de l'administration. Je demande la permission à la chambre de lui donner lecture de cette seconde instruction du 24 août 1841, où les expressions de la première se trouvent reproduites.
M. Devaux. – Lisez la première.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je veux bien. Je les lirai l'une et l'autre. Voici la première.
« Bruxelles, le 16 août 1841.
« Monsieur le gouverneur,
« Au moment où vous allez délivrer un grand nombre de permis de port d'armes de chasse, je crois devoir vous adresser quelques nouvelles recommandations sur la sévérité qu'il est nécessaire d'apporter dans l'examen des titres des pétitionnaires.
« Dans un grand nombre de villes et communes il est délivré des permis de port d'armes à des personnes dont le travail est nécessaire à l'entretien de leur famille, qui ne possèdent aucune propriété et ne produisent, à l'appui de leur demande, que la permission de chasser sur quelques hectares de terre qui ne peuvent suffire à un chasseur.
« Dans l'intérêt de ces personnes mêmes, il convient, M. le gouverneur, de leur refuser un permis de port d'armes de chasse dont ils ne feraient usage que pour braconner sur le terrain d'autrui.
« Je vous prie donc, M. le gouverneur, avant de délivrer un permis, de vous assurer que le pétitionnaire est propriétaire d'une étendue de terrain suffisante pour former une chasse, ou bien porteur d'une permission de chasse sur une étendue de terrain d'une centaine d'hectares dans la même commune ou les environs. »
Vous voyez, messieurs, que l'on suppose deux catégories : le propriétaire et le substitué au droit de propriété, et qu'en s'occupant de la première catégorie on n'énonce pas le chiffre de la centaine d'hectares. Ce chiffre n'est indiqué que pour la deuxième catégorie, celle où, pour demander un permis de port d'armes, il faut être substitué à un propriétaire.
« Quant aux personnes condamnées pour délit de chasse, il est d'habitude de ne plus leur accorder de permis l'année suivante.
« Cependant il est un cas où l'on a cru devoir faire quelquefois exception à cette règle. C'est lorsque le chasseur a été condamné pour avoir été trouve chassant sans permis sur le terrain d'autrui et qu'il est reconnu ne pas l'avoir fait sciemment.
« Lorsque des cas semblables se présenteront, vous voudrez bien, M. le gouverneur, les soumettre à mon avis.
« Dans toutes les autres circonstances, vous devez, M. le gouverneur refuser le permis de port d'armes, et le chasseur qui en a été privé une année pour ce motif, ne doit obtenir par la suite, de permis que lorsqu'il est bien constaté qu’il ne s’est plus adonné au braconnage.
« Le ministre de l'intérieur,
« (Signé) Nothomb. »
Je n'hésite pas à répéter, messieurs, qu'il n'y a rien de nouveau dans cette instruction, qui, à la rigueur, n'était pas nécessaire ; qu'il aurait suffi d'écrire aux gouverneurs : Faites, mais faites sérieusement ce qui vous est recommandé depuis 1830.
Néanmoins, dès que j'ai vu qu'on cherchait à alarmer une partie du public sur la portée de cette circulaire, je me suis empressé, dans la huitaine, à la date du 24 août, d'en adresser une nouvelle aux gouverneurs.
« A. M. le gouverneur de la province de.......
« Bruxelles, 24 août 1841.
« Monsieur le gouverneur,
« Les observations contenues dans votre lettre du... (C'était au gouverneur qui me demandait des explications. Je lui ai envoyé ces explications, et j'ai adressé la même circulaire aux huit autres gouverneurs) me portent à croire que vous avez mal interprété le sens et le but de ma circulaire du 16 août courant.
« Je vous ai invité, M. le Gouverneur, à ne délivrer de permis de port d'armes qu'au propriétaire d'un terrain suffisant pour former une chasse ou bien au porteur de permissions de chasse, sur une étendue de terrain d'une centaine d'hectares dans la même commune ou les environs.
« Il y a donc deux catégories de chasseurs : la première sont les propriétaires, auxquels vous pouvez délivrer des permis, sans qu'il vous soit tracé de limites pour le terrain dont ils doivent être propriétaires. Ce soin doit être laissé entièrement à votre appréciation sans cependant que vous puissiez regarder comme propriétaire d'une chasse celui qui ne posséderait que quelques parcelles de terre.
« A l'égard de la deuxième catégorie, celle des porteurs de permissions, il a bien fallu déterminer à peu près l'étendue de terrains sur lesquels ils devaient pouvoir exercer leur droit de chasse. Le chiffre de cent hectares environ qui a été posé, ne doit pas cependant être pris dans son acception rigoureuse, c'est à vous de juger, M. le gouverneur, en faveur de quelles personne vous pouvez consentir à réduire ce taux.
« Au reste, il importe, M. le gouverneur, de ne pas perdre de vue le but dans lequel ces instructions vous ont été dictées, elles tendent à empêcher que des gens qui ne possèdent aucune propriété ne se livrent à la chasse et au braconnage au détriment des contribuables dont les droits de propriété doivent être respectés.
« Ainsi donc il serait vexatoire de la part de l'administration d'exiger, de la part de propriétaires connus ou de leurs enfants, la production de pièces ou titres apportant la preuve de leurs droits. Il suffit qu'ils soient notoirement connus par vous, M. le gouverneur, pour que cette production devienne inutile.
« Le ministre de l'intérieur,
« Nothomb. »
Vous voyez donc, messieurs, que les instructions données par l'administration n'ont pas cette rigueur qu'on veut leur attribuer. Ces instructions ne sont pas nouvelles ; elles sont conformes à toutes les instructions données depuis 1830, conformes à toute la pratique administrative.
Je pourrais notamment donner lecture à la chambre, s'il était nécessaire, d'une instruction donnée aux gouverneurs de province le 24 novembre 1830, c'est-à-dire dans les premiers mois de la révolution ; instruction par laquelle on recommande aux gouverneurs de veiller à la répression du braconnage, d'être très sévère dans la délivrance des ports d'armes, et on finit par dire que le permis de chasse n'est pas tellement inhérent à la propriété qu'on ne puisse pas prendre en considération des mesures de police.
« Enfin, M. le gouverneur, est-il dit dans cette instruction, il pourra être utile d'ajouter à cette circulaire, qu'il sera dressée une liste triple des noms, prénoms et domiciles, des individus qui auront été condamnés pour délit de braconnage, qu'une de ces listes sera et restera affichée dans la salle du tribunal correctionnel, et que les deux autres seront envoyées au gouvernement de la province et au comité de l'intérieur, pour qu'on y connaisse ceux à qui des permis de port d'armes ne pourront désormais être accordés sans inconvénient.
« Le chef du comité de l'intérieur,
« (Signé) TIELEMANS. »
Ainsi, messieurs, on admettait à la date du 24 novembre 1830, qu'on pouvait refuser un permis de chasse à un propriétaire qui avait manqué aux lois sur la chasse, c'est-à-dire qui avait été condamné pour avoir chassé sans permis de port d'armes, ou qui, muni d'un port d'armes, aurait été condamné pour avoir chassé hors du temps légal, On admettait qu'on pouvait, dans ce cas, priver un propriétaire même du permis de port d'armes, et on allait jusqu'à demander qu'il fût dressé une liste qui resterait affichée dans la chambre du tribunal correctionnel. Cette instruction, nous n'avons pas cru devoir la renouveler. Nous n'avons pas cru pouvoir aller jusque-là.
Je dois remercier l'honorable préopinant, messieurs, de m'avoir donné l'occasion de rectifier des faits qu'on a cherché à dénaturer.
M. Sigart. - Ni le public, ni moi, n'avions connaissance de la seconde circulaire qui était restée inédite. Je vois qu'elle annule la première. Est-ce l'alarme de l'opinion qui a opéré ce revirement ? Je vous laisse le soin d'en juger. Quoi qu'il en soit, je puis déclarer que je suis, ou peu s'en faut, satisfait de la réparation.
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il n'est pas préparé à répondre aux autres observations que j'ai eu l'honneur d'adresser à la chambre sur le nombre des membres de la représentation nationale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il me serait excessivement difficile de répondre à une question de ce genre ; il me faudrait pour cela posséder des données que je n'ai pas.
L'honorable membre a soulevé deux questions ; la deuxième est celle-ci : il lui paraît que, la population ayant augmenté dans un certain nombre de localités, ou ayant peut-être été mal constatée en 1831, il y aurait lieu à augmenter le nombre des membres de cette chambre et à assigner à chaque localité le nombre de représentants qui lui revient, aux termes de la constitution. C'est là messieurs, une question sur laquelle j'avoue ne pas être préparé.
L'autre question concerne l'état anormal où, selon l'honorable membre, se trouve le sénat par rapport à la chambre des représentants.
Il y a aujourd'hui 95 représentants et 49 sénateurs, c'est-à-dire que le nombre des membres du sénat dépasse la moitié du nombre des membres de la chambre des représentants ; je vous rappellerai, messieurs, que lorsqu'il s'est agi des mesures devenues nécessaires, à la suite du traite du 19 avril 1839, le ministère a rempli un rigoureux devoir ; il vous a présenté une loi d'après laquelle les membres des deux chambres appartenant aux districts que nous avions été forcés de céder, auraient cesse de siéger dans l'une et l'autre des deux chambres. En présentant cette loi, mon honorable collègue d'alors, l'honorable M. de Theux, remplissait un devoir pénible, mais dont il croyait l'accomplissement nécessaire. La chambre des représentants a adopté cette loi, le sénat l'a rejetée. De là l'anomalie qui se présente ; cette anomalie trouve son explication dans les votes différents des deux chambres. Si la loi présentée par le ministère d'alors avait été adoptée, cette anomalie n'existerait pas.
Cette anomalie est un fait notoire, mais je regrette que la cause en ait été perdue de vue.
M. Pirson. - Il est, messieurs, de toute justice que chacun ait le droit de chasser sur son propre terrain ; mais il est reconnu que, par le fait, les petits propriétaires ne peuvent pas jouir de ce droit, parce que l’étendue de leurs propriétés n’est pas assez grande pour pouvoir lancer des chiens, etc.
Il y aurait, selon moi, un moyen de rendre justice à tout le monde ; ce serait de mettre en adjudication le droit de chasse, dans chaque commune ; ceux qui seraient adjudicataires de la chasse dans une commune seraient probablement des propriétaires de cette commune ; eh bien, je voudrais que le produit de l'adjudication fût soustrait du contingent de la contribution foncière de chaque commune ; de sorte que, si deux riches propriétaires d'une commune se disputaient le droit de chasse, et que par conséquent ils allassent à des enchères très élevées, ces enchères élevées viendraient en déduction de leur propre contribution. Ainsi celui qui paierait très cher son droit de chasse verrait par ce fait sa contribution foncière diminuée.
Si ce système était adopté, vous le voyez, messieurs, il n'est pas un seul propriétaire qui ne participât au bénéfice de la chasse. Du reste, je n'insisterai pas davantage sur les observations que je viens de présenter. Il me suffit de les avoir soumises à l'attention de M. le ministre et de la chambre.
M. Osy. - Je regrette de n'avoir pu me trouver à votre séance de lundi, lorsque l'honorable M. Zoude a fait le rapport sur la pétition des négociants d'Anvers pour une réforme des. chambres de commerce ; mais je profite aujourd'hui du subside qu'on nous demande pour ces corps consultatifs, pour vous en dire mon opinion, et j'espère pouvoir vous prouver que je ne puis nullement me rallier à la réponse de M. le ministre, et que je dois soutenir la demande des négociants d'Anvers ; et si je suis bien informé, les négociants des autres grandes villes partagent ma manière de voir, qu'il est plus que temps qu'il y ait une réforme, et que finalement les informations que le gouvernement et les chambres doivent attendre du commerce, soient la véritable expression de ses besoins et pas, comme par le passé, l'opinion de quelques personnes.
Dans le courant de cette année on a reconstitué les chambres de commerce, mais avec une légère différence elles sont restées sur le même pied, et même pour Anvers on l'a même rendue dans le but qu'on se proposait, moins favorable.
Anciennement, par règle générale, un tiers des membres sortait tous les ans, mais les sortants étaient de suite rééligibles, tandis qu'à Anvers par un règlement intérieur qui date de plus de 10 ans, le tiers sortant ne pouvait être réélu qu'après un intervalle d'un an.
D'après le nouvel arrêté, la règle générale est que le tiers sortant ne peut être réélu qu'après un an ; mais on a cependant laissé aux chambres de commerce la faculté de réélire de suite le tiers du tiers sortant.
Les chambres de commerce se renouvellent toujours elles-mêmes en envoyant tous les ans une liste triple au choix du Roi.
Vous sentez qu'en se renouvelant toujours soi-même, vous devez y conserver les mêmes opinions, car on a bien soin de proposer les hommes qui partagent l'opinion commerciale de la majorité restante, et depuis 10 ans à Anvers le choix a toujours roulé sur les mêmes personnes avec très peu de variations, et on n'a pas réélu d'anciens membres de la chambre de commerce qui avaient des opinions tout à fait contraires, à ceux qui dominent la chambre depuis 10 ans ; et votre commission d'enquête qui a consulté tant d'anciens négociants qui n'ont jamais été réélus, pourra vous dire si leur système commercial ne diffère pas essentiellement de celui qu'on a prôné depuis 1832, et qui, je puis le dire hardiment, a fait beaucoup de mal et n'a pas fait connaître au gouvernement et aux chambres les véritables besoins du pays. Je suis bien persuadé qu'ils ont donné des opinions très consciencieuses, mais qui n'étaient pas l'opinion et le besoin de la majorité du commerce.
Je dois également vous dire en passant, qu'à Anvers on a grand soin d'appliquer strictement la sortie pendant un an à ceux qu'on ne veut plus revoir à la chambre, tandis que d'autres ont été à plusieurs reprises réélus de suite sans cet intervalle. Je ne veux pas ici vous citer des noms propres, ce fait est assez connu à notre bourse.
Je pourrais aussi vous citer des négociants les plus notables et les plus entendus qui anciennement ont été de la chambre de commerce, auxquels on n'a plus jamais pensé.
Tout ceci vous prouve, messieurs, qu'il est plus que temps, pour connaître exactement les vœux et les désirs du commerce, que les chambres de commerce soient réformées, et je ne connais pas de meilleur moyen, que de faire choisir les chambres de commerce par les notables comme pour la formation des tribunaux de commerce. Qu'on soit élu pour trois ans, et que strictement il y ait une année d'intervalle avant de pouvoir être réélu.
On vous dira qu'à Gand on a eu de la peine à former une liste des notables ; mais je l'attribue aux circonstances politiques, et maintenant, si mes renseignements sont exacts, cette liste y est formée et ne donne plus matière à réclamations.
On me dira : Les notables ne viendront pas aux élections, et pour preuve qu'il y a souvent eu tiédeur parmi eux lors de leur réunion pour les tribunaux de commerce ; à cela je répondrai que cependant, aux élections de novembre à Anvers, sur les 60, il y a eu 25 personnes, et que les choix qu'on a faits sont généralement approuvés, et que notre tribunal est parfaitement composé.
Pour les élections des chambres de commerce, on viendra avec empressement, parce que le commerce a besoin d'avoir un corps qui représente ses vrais intérêts, et le passé, qui lui a fait tant de mal, est une sévère leçon pour que chacun pense à ses plus chers intérêts.
La nomination par le Roi, dont M. le ministre a parlé, serait tout à fait vicieuse ; les chambres de commerce ne sont que consultatives et c'est celui qui doit consulter, qui nommerait ses conseillers ; ceci serait un beaucoup plus grand abus que le système actuel.
Je ne suis pas de ceux qui veulent exclure les étrangers des chambres de commerce ; mais il faut cependant avouer que, depuis 10 ans nous avons vu à Anvers siéger à la chambre des étrangers dont les affaires et les intérêts sont tout à fait contraires aux besoins du pays, et qui, entre autres, pour avoir des consignations étrangères, se seraient toujours opposés à favoriser notre pavillon et à donner des avantages aux arrivages des provenances directes.
Presque tous ces étrangers n'avaient ni propriétés ni navires en Belgique, seulement leur portefeuille sous le bras et une maison louée, et qui, s'ils trouvent que les affaires ne vont pas bien chez nous, peuvent quitter du jour au lendemain et s'établir dans d'autres villes commerciales sans aucun embarras. Mais nous qui sommes attachés au sol sous tous les rapports, nous voulons sa prospérité et vous faire entendre les vrais besoins, et nous ne pouvions pas venir dans l'enceinte où se rédigent les mémoires qui doivent éclairer le gouvernement.
Pour moi, j'ai fait partie de la chambre de commerce avant la révolution et j'y suis resté jusqu'en 1832 ou 1833 ; depuis on ne m'a plus jamais fait l'honneur de me rappeler, et je n'en suis pas fâché, parce que j'aurais passé bien des années dans la minorité et même souvent dans l'isolement. Ce n'est que depuis que je suis dans cette enceinte qu'on vient de me proposer comme premier candidat au choix de Sa Majesté. Vous voyez donc, messieurs, que je suis obligé de vous parler de moi, c'est pour vous prouver que, quoique rentré dans un corps que je considère pouvoir être utile au pays, je veux sa réformation, et si, cette année, je ne puis pas réussir à vous convaincre de ce besoin, je reviendrai à la charge l'année prochaine.
Le rapport de la commission d'enquête vous prouvera tout ce que j'avance.
M. le ministre vous a dit à la séance du 13 : « Il est à remarquer d'ailleurs que ce n'est qu'un corps consultatif, et rien n'empêche, pour les questions graves, que les négociants non membres de la chambre de commerce adressent leurs observations soit au gouvernement, soit à la chambre de commerce ; il ne leur est pas interdit le droit de pétition. »
Je suis étonné que M. Nothomb, toujours aussi exact et de bon jugement, ait pu nous dire une pareille chose, après avoir contresigné l'arrêté royal de cette année (dont je vais vous donner lecture) où il veut que tout reste très secret entre la chambre et le ministère.
Comment voulez-vous donc que le public sache ce dont la chambre de commerce s’occupe ? et souvent le mal est fait avant qu'il en ait connaissance, et vous savez, messieurs, que dans ce siècle les faits consommés et accomplis sont très difficiles à remédier.
Les négociants se plaignent, mais ils ont bien d'autres occupations que de se réunir pour faire des pétitions pour tâcher de faire revenir le gouvernement sur des mesures prises ; on est découragé et mécontent de ne pas avoir pu être informé en temps.
Soyez sûrs que si l'ancien ministère n'avait pas entouré les négociations pour l'achat du grand steamer d'un voilier si épais (car ce n'est que depuis l'ouverture des chambres que nous savons qu'il est acheté pour compte du gouvernement et payé par les fonds du trésor), toute la bourse se serait écriée : vous faites non seulement une très grande faute, mais vous attirez le pays dans un gouffre de dépenses dont vous ne voyez pas la profondeur.
Je ne sais si la chambre de commerce a été consultée, mais nous savons que le président de cette chambre et deux autres membres étaient les grands conseils et lorsque nous serons à débattre le rapport de la section centrale, je vous dirai où vous allez, aujourd'hui je me bornerai à vous dire, que pour diriger cette affaire monstrueuse, on vient de créer pour le président actuel de la chambre et pour un autre membre des places qui vont leur rapporter à chacun quatre mille francs par an, et on dit que le fils du président est envoyé en mission par le gouvernement à New-York, et je ne doute pas que tant de zèle sera encore récompensé par la création d'une place salariée, tandis que nous y avons un consul des plus estimés et intègres, et qui, s'il n'est pas notre compatriote, est au moins l'agent de confiance de presque tous nos industriels de Verviers.
Il me reste à vous parler d'un autre grand vice de nos chambres de commerce, c'est d'y voir des consuls étrangers ; à Anvers, vous y avez quatre consuls, celui de Russie, Danemarck, d'Oldenbourg et d'une puissance de l'Amérique du Sud.
Il y a certainement parmi ces personnes, comme négociants, qui peuvent nous être de la plus grande utilité, et que j'estime sous tous les rapports ; mais je vous demande s'il est convenable que des agents des puissances étrangères sachent les secrets du gouvernement, ses intentions et ses vues, tandis que la bourse ne puisse rien en connaître ?
Je crois, messieurs, vous avoir démontré sous tous ses faces les vices de la composition des chambres de commerce, et j'espère que la majorité de la chambre voudra s'associer à mes efforts pour engager le ministère, de la manière la plus sérieuse, à réformer le plus tôt possible la formation, la composition et la sortie d'un corps qui peut rendre au pays les plus grands services.
J'aurai encore à vous parler des 70,000 francs pétitionnés pour l’exportation des produits de l'industrie cotonnière, mais je me réserve de le faire lorsque nous serons au chapitre XIV, je me réserve généralement la parole pour l'article 23 de ce chapitre et finalement lorsque nous serons aux beaux-arts.
M. Cogels. - Messieurs, je regrette d'être en désaccord avec l'honorable député qui siége à mes cotés, et de devoir m'opposer, en quelque sorte, au vœu émis par un assez grand nombre de négociants d'Anvers. En agissant ainsi, j'obéis à une intime conviction. Ancien membre de la chambre de commerce d'Anvers, je dois éclairer la chambre sur le véritable état des choses qui, je le pense, n'ont pas été présentées avec toute l'exactitude désirable.
Je crois que les négociants, signataires de la pétition, ont méconnu le véritable caractère des chambres de commerce. Si ces chambres étaient électives, elles se transformeraient en quelque sorte en ces corporations isolées qui existaient autrefois sous les gouvernements absolus, et qui cherchaient à opposer au pouvoir les barrières irrégulières de leurs protestations. Nous sommes dans un gouvernement représentatif : il n'y a qu'un seul pouvoir qui puisse représenter tous les intérêts nationaux, ce sont les chambres. Les chambres de commerce ont donc un caractère purement consultatif. Ce que l'on doit chercher à y rencontrer, ce sont des renseignements utiles, qu'ils viennent, soit des régnicoles, soit des étrangers, fût-ce même de consuls ; le point essentiel c'est que le gouvernement soit bien éclairé.
L'honorable M. de Foere, que je regrette de ne pas voir à la séance, a fait, lundi dernier, un singulier reproche à la chambre de commerce d'Anvers ; il lui a reproché d'avoir eu de la stabilité dans ses opinions, de ne pas avoir changé de système ; et c'est pour la faire changer d'opinion, de système, qu'il voudrait la composer d'autres éléments.
Je ne comprends pas pourquoi l'honorable député de Thielt n'a pas adressé de préférence ce reproche à la chambre de commerce de Bruges, elle n'a pas non plus changé de système ; elle n'a pas même changé dans la composition de ses membres dont les fonctions sont en quelque sorte, je ne dirai pas à vie, mais héréditaire de père en fils.
Mais quel est le véritable tort de la chambre de commerce d'Anvers ? C'est de ne pas avoir partagé toutes les opinions de l'honorable député de Thielt ; il n'en est pas de même de la chambre de commerce de Bruges, qui ne voit que par les yeux de l'honorable membre, qui ne juge que par lui. Voila pourquoi l'honorable M. de Foere n'est pas du tout opposé à ce qu’elle reste constituée telle qu'elle est maintenant. Si la chambre de commerce d'Anvers voulait adopter les opinions et les principes de l'honorable député de Thielt, ô mon Dieu ! Il ne demanderait aucun changement, il consentirait alors aussi à la voir se perpétuer, à la rendre héréditaire. Voilà, je crois, tout le secret de l'opposition de l'honorable député de Thielt, à notre chambre de commerce.
On vient de nous dire que dans les élections qui ont été faites depuis quelques années pour les renouvellements, plusieurs membres étaient réélus, souvent après l'intervalle d'une année.
Je ne vois pas un si grand mal à cela ; quand des membres avaient donné des preuves de capacité, d'activité et de zèle, était-ce un motif pour les éliminer ? Ne devait-on pas, au contraire, s'empresser de les réélire ?
On veut nous faire croire que la chambre de commerce d'Anvers se composerait d'une coterie qui dominerait tout et qui ne songerait qu’à se perpétuer.
Ici encore les faits viennent démentir cette assertion.
La meilleure preuve, c'est que dans les dernières élections, l'honorable député qui siége à mes côtés, a été porté en première ligne sur la liste des candidats ; cependant, il ne partage pas les principes de la chambre de commerce d'Anvers ; pour ma part, j'approuve beaucoup le choix que cette chambre a fait : elle a agi sagement, en ne regardant pas à l'opinion de l'élu ; en pareille manière, on ne doit avoir égard qu'aux connaissances commerciales des candidats à la position honorable qu'ils occupent. On ne doit pas chercher à rencontrer dans une chambre de commerce, pas plus que dans cette chambre, une unanimité d'opinion ; on ne doit pas vouloir qu'une seule personne y dirige tout : il faut qu'il y ait discussion, controverse ; c'est là ce qui peut le mieux éclaircir les questions.
Ce principe a été si bien compris par la chambre de commerce d'Anvers que lorsqu'il s'est agi de faire un rapport à la commission d'enquête, elle n'a pas voulu confier la rédaction de ce document à l'opinion de la majorité de ses membres, mais elle a eu soin de faire participer à cet acte toutes les opinions divergentes, afin que la nation fût véritablement éclairée sur tous ses intérêts
L'honorable membre qui siège à mes côtés, voudrait confier l'élection des membres de la chambre de commerce à l'assemblée des notables ; je crois que les pétitionnaires vont plus loin, car ils veulent que cette élection soit organisée sur des bases constitutionnelles. Je ne comprends pas trop bien ce que les pétitionnaires entendent par bases constitutionnelles ; car je ne vois rien dans la constitution qui soit relatif à la nomination des membres des chambres de commerce, pas plus qu'à celle des membres des commissions d'agriculture. Si l'on étendait le système électif, qui n'est déjà que trop large, aux chambres de commerce, il n'y aurait pas de motif pour ne pas l'étendre à la magistrature, aux agents de la force publique ; il faudrait, en un mot, que la nation nommât à tous les emplois de l'Etat.
Ainsi, les pétitionnaires ont voulu probablement que tous les négociants patentés concourussent à l'élection des membres de la chambre de commerce.
Mais ici je demanderai quelles seraient les limites que l'on tracerait ? Où commencerait le négociant ? Où finirait le détaillant ? Car si l'on confiait l'élection à tous les patentables, appartenant au commerce, il faudrait même admettre les commissionnaires marrons ; ou si l'on ne les admettait pas, il faudrait, avant de les exclure, faire une espèce d'enquête, pour savoir s'ils sont marrons ou non.
L'honorable M. Osy est tombé dans une erreur, relativement à la liste des notables. Selon lui, cette liste ne comprendrait que 60 personnes, dont 25 auraient été présentes, lors de la dernière élection pour le tribunal de commerce.
La liste des notables à Anvers se compose de 86 membres, et voici comment les choses se sont passées. (Je puis donner à cet égard des renseignements très exacts puisque j'ai assisté à l'élection et que j'ai été membre du bureau.) Voici, dis-je, ce qui s'est passé :
Lorsque nous nous sommes rendus au tribunal de commerce, nous avons trouvé parmi les 18 membres présents, la plupart des membres restants du tribunal qui faisaient également partie des notables ; ils avaient préparé une liste sur laquelle ils avaient indiqué les noms des anciens membres suppléants qui passeraient comme juges, et les noms des membres nouveaux qui seraient disposés à accepter les fonctions de juges ou de juges suppléants, car tout le monde ne consent pas volontiers à accepter ces charges.
On a trouvé que les choix provisoires qui avaient été faits étaient bons : ils ont été ratifiés à l'unanimité de tous les membres présents ; et voici comment cette ratification a eu lieu : Aux deux premiers tours de scrutin, 18 membres étaient présents : il y en avait 20 aux deux tours de scrutin suivant ; enfin aux trois derniers jours de scrutin, on est allé chercher du renfort à la chambre de commerce qui était précisément assemblée le même jour, et l'on s'est trouvé au nombre de 25. Ainsi donc, 25 notables sur 86 ont concouru à l'élection : l'élection de l'année précédente en avait, si je ne me trompe, réuni seulement treize.
On dira que si l'on confie l'élection des membres de la chambre de commerce aux notables, ceux-ci se montreront plus, exacts et plus empressés ; mais on s'exposerait à tomber dans un inconvénient tout aussi grave que celui qu'on vient de signaler ; d'abord la liste des notables formée par les gouverneurs n'offre pas ce caractère de représentation que les pétitionnaires semblent exiger ; ensuite, dit-on, la chambre de commerce d'Anvers se compose d'une coterie ; or, ne courrait-on pas dans ce système le danger de remplacer cette coterie par une autre coterie ; et enfin n'y aurait-il pas encore une grande difficulté à composer les chambres de commerce en conformité de l’arrêté organique de leur institution ? Cet arrêté, qui date de 1815, prescrit entre autres que toutes les branches de commerce et d'industrie qui s'exercent dans le ressort soient convenablement représentées ; ainsi pour la chambre de commerce de Rotterdam, dont l'organisation a été appliquée presqu'entièrement à celle d'Anvers, on exigeait deux membres faisant le commerce d'Angleterre et d'Ecosse, deux membres faisant le commerce de France, un ou deux membres pour le commerce de l'Allemagne et la navigation du Rhin, deux pour l'Amérique septentrionale et les Indes occidentales, deux pour les Indes orientales, cinq pour les raffineries, les distilleries et d'autres industries, un parmi les principaux assureurs, etc. ; je ne me rappelle pas exactement toutes les stipulations.
Comment voulez-vous que dans des élections faites par les notables, ou par les patentés en général, l'on se renferme dans les catégories déterminées par ces dispositions organiques, comme la chambre de commerce peut le faire dans les listes de candidats qu'elle présente au gouvernement ? car la chambre ne choisit pas, elle propose une liste triple dans laquelle le gouvernement a la faculté de faire un choix ; si la liste ne lui convient pas il aurait même le pouvoir d'en exiger une nouvelle.
Messieurs, j'ai cru devoir donner ces éclaircissements, pour détruire les préventions qui existent contre la chambre de commerce d'Anvers, préventions que je vois à regret partagées par l'honorable préopinant. Je pense, d'après cela, que si M. le ministre croit devoir faire droit à la réclamation des pétitionnaires, il ne doit prendre une pareille décision qu'après avoir mûrement réfléchi à tous les inconvénients qui pourraient résulter du système mis en avant par les réclamants.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je pense que les inconvénients que vous a signalés l'honorable M. Osy s'adressent moins au mode de renouvellement des chambres de commerce qu'à l'application que ce mode peut quelquefois avoir reçue. Je crois que le mode de renouvellement offre des ressources suffisantes pour que le même esprit ne se perpétue pas dans les chambres de commerce. Il faut seulement qu'on use sérieusement des moyens que présente ce mode de renouvellement. Il faut que le gouverneur veille à ce que l'on ne perde pas de vue les motifs pour lesquels on exige le renouvellement triennal.
Rendons-nous compte des changements qu’a introduits le dernier arrêté sur les chambres de commerce, celui du 10 septembre dernier. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans le cours de notre dernière session, par une loi du 16 mars 1841, on avait réglé les dépenses des chambres de commerce ; l'exécution de cette loi était abandonnée à un règlement d'administration générale.
Dans la discussion on s'est aussi occupé de l'existence même des chambres de commerce, de leur organisation ; on n'a pas donné suite à quelques réflexions qui avaient été émises, on a semblé d'accord que c'était au gouvernement, en même temps qu'il exécuterait la loi nouvelle relative aux frais des chambres de commerce, d'examiner aussi ce qu'il y avait à faire pour leur organisation, c'est ce deuxième objet qu’il a cherché à remplir, par l'arrêté royal du 10 septembre dernier.
A Anvers la chambre de commerce se renouvelle par tiers et elle a admis par un règlement intérieur que le tiers sortant ne pouvait plus faire partie de la chambre qu’après un intervalle d'une année. Ce mode de renouvellement n'existait pas ailleurs ; le gouvernement l'a rendu général en y introduisant toutefois une restriction. Il a pensé qu'il pouvait y avoir des inconvénients dans certains cas, à exiger qu'aucun membre du tiers sortant ne pût être réélu. Il est, par exemple, telle chambre de commerce où la disparition du président serait un véritable mal. On a donc voulu que le gouvernement pût faire une exception, qu’il pût, par exempte, conserver le président ; le gouvernement a voulu qu'il fût possible de conserver les traditions, que l'on pût ne pas se priver du concours d'un homme qui peut être une des premières notabilités commerciales ou industrielles de sa province ou de sa ville.
Cette restriction, encore une fois, il faut en user sagement. En conclure qu’il faille, dans tous les cas, maintenir le tiers des membres sortants, ce serait contraire à l'esprit de l'arrêté du 10 septembre. On maintiendra une partie du tiers des membres sortants lorsque les circonstances l'exigeront ; dans le cas contraire, on ne les maintiendra pas.
On avait proposé l'exclusion des étrangers et des Belges consuls étrangers. Le gouvernement a reculé devant cette exclusion, formulée d'une manière absolue ; il lui a semblé que, dans certains cas, cette exclusion pouvait être un mal. Néanmoins, il a reconnu qu'il ne faut pas abuser de la latitude que laisse à cet égard l'arrêté organique, et placer , par exemple, dans une chambre de commerce un quart d'étrangers, Mais, dans certains cas, ce serait un mal d'exclure tous les étrangers. Je dis, qu'à Anvers, par exemple, il est très heureux qu'il y ait dans la chambre de commerce des étrangers, des Allemands et autres, qui sont en rapport ave des chambres de commerce des villes d'Allemagne, riveraines du Rhin, qui ont des relations particulières, intimes, avec leurs compatriotes de Mayence, par exemple. Je dis que c'eût été un mal de ne pas voir dans la chambre de commerce d'Anvers un homme ayant des relations de ce genre. Mais encore une fois il ne faut pas abuser de cette latitude. Le principe de l'arrêté relatif à l'organisation des chambres de commerce, comme tous les principes, sera un principe mauvais si l'on en abuse.
L'arrêté du 10 septembre dernier a donc eu pour but de donner une organisation uniforme à toutes les chambres de commerce du royaume. Cette organisation uniforme va recevoir une première fois son application, si cette application n'est pas heureuse on examinera quels sont les changements qu'il y a lieu à introduire dans l'organisation de ces corps consultatifs.
Je me permettrai, messieurs, d'insister sur quelques détails donnés par l'honorable M. Cogels. Vous avez vu, messieurs, que sur 86 notables qui se trouvent à Anvers, on a eu beaucoup de peine à en réunir 25 pour composer le tribunal de commerce. Pourquoi n'y a-t-il eu aucune réclamation contre les décisions rendues par un tribunal de commerce ainsi composé indirectement par un nombre de notables qui ne représentent pas même la majorité absolue du nombre total ? C'est, messieurs, parce que les décisions du tribunal de commerce ne concernent que deux parties ; si elles intéressaient le pays, une province ou une ville, je suis convaincu que l'on ne manquerait pas de dire que ces décisions ne signifient rien, puisque ceux qui les portent ne représentent indirectement qu'un petit nombre de notables, inférieur même au nombre rigoureusement exigé pour qu'il y ait majorité absolue dans une assemblée délibérante. Je n'hésite donc pas à dire que si l'on appliquait aux chambres de commerce le principe de l'élection par les notables, s'il arrivait un cas comme celui qui se présente à chaque moment dans nos villes lorsqu'il s'agit de réunir les notables pour composer les tribunaux de commerce, on viendrait vous dire que le vœu exprimé par la chambre de commerce n'est pas le vœu de la majorité ; on demanderait ce que représente la chambre de commerce nommée par 25 notables réunis à grand'peine sur 86.
Vous voyez que ceux qui seraient en dissidence avec la chambre de commerce ainsi formée trouveraient toujours moyen d'attaquer les vœux qu'elle aurait émis. Et, de plus, ceux qui seraient en dissidence avec elle ne manqueraient pas de demander comment se forme la liste des notables. Cette liste est formée par le gouvernement ; on ne manquerait pas d'attaquer la liste tout entière. Ainsi on trouverait deux moyens de venir enlever aux vœux des chambres de commerce l'autorité qu'on voudrait leur donner devant vous. D'abord on dirait que le gouvernement a fait composer la liste avec négligence ou d'une manière partiale ; en second lieu, en acceptant la liste, le plus souvent il se trouverait que ceux qui auraient forme la chambre n'auraient pas représenté la majorité de cette liste.
Une autre considération a été présentée par M. Cogels, à laquelle il est impossible de répondre. Les chambres de commerce, d’après le règlement organique doivent être composées de manière à représenter les principales branches de commerce de leurs ressorts respectifs. L'art. 4 de l'arrêté d'organisation pose un principe général dont le développement est laissé aux règlements intérieurs de chaque chambre de commerce. Il était impossible de désigner dans l'arrêté général, pour chaque localité, les catégories d'industrie qui devaient être représentées.
Or, je demande comment vous amèneriez les notables électeurs à se renfermer dans les catégories désignées, Ceci est de toute impossibilité, vous n'imposerez jamais ce choix par catégorie aux électeurs.
En résumé, c'est un nouvel essai qu'on fait, nous verrons si le temps le justifiera. Si le temps nous apprend qu'il y a autre chose à faire, nous le ferons.
M. Pirmez. - L'année dernière j'ai combattu l'idée émise de faire élire les membres des chambres de commerce soit par les notables, soit autrement. J'ai fait remarquer alors qu'en élisant les chambres de commerce, vous en feriez eu quelque sorte des corps politiques, vous leur donneriez toute la force que donne l'élection, vous vous fractionneriez en intérêts de localité, plus encore que nous ne le sommes. Cependant nous sommes déjà assez scindés, assez divisés par l'intérêt de localité, sans lui donner une puissance qui nous ordonnerait sur tel ou tel intérêt matériel, d'agir dans tel ou tel sens, nous donnerait en quelque sorte des mandats impératifs qui nous détourneraient de considérer la chose publique dans son ensemble. Si vous aviez des chambres de commerce élues, vous vous donneriez des maîtres, vous n'auriez plus la même liberté pour agir dans l'intérêt général.
On a reproché au gouvernement d'imposer le secret aux chambres de commerce sur les avis qu’il leur demande. Je ferai observer qu'elles ne sont qu'une délégation du pouvoir central et que le pouvoir central peut imposer à ses délégués les conditions qu'il juge être dans l'intérêt général du pays.
M. Rogier. - Messieurs, en refusant notre confiance au ministère, nous lui avons cependant promis notre concours au point de vue administratif. Nous avons promis de ne pas entraver la discussion des lois d'utilité publique par une opposition tracassière et nous avons tenu parole. Déjà trois budgets votés à l'unanimité et sans discussion bien longue, soit sur les détails, soit sur l'ensemble, attestent la franchise de nos déclarations et le bon vouloir de l'opposition. Ce concours purement administratif, je continuerai, pour ma part à le prêter loyalement à l'administration actuelle et j'ai l'espoir que mes amis politiques en feront autant.
Ce n'est pas à dire cependant, messieurs, que si nous nous abstenons d'entraver, à l'exemple de ce qui a été fait quelquefois, la marche de l'administration par des discussions irritantes, ce n'est pas à dire que nous ayons renoncé à toute espèce de discussion, à tout genre de débat et notamment à tout débat politique. Nous savons quelle est l'importance des discussions relativement aux affaires proprement dites, mais nous croyons que l'intérêt le plus élevé et le plus important pour le pays est encore l'intérêt politique.
Or, une discussion politique à propos du département de l’intérieur ne peut pas être considérée comme déplacée. Ce département est essentiellement politique ; politique par les attributions qu'il renferme, politique, en ce moment, par le titulaire qu'il a à sa tête, car, il faut le reconnaître, depuis la retraite de l'honorable M. de Muelenaere, qu’on pouvait considérer comme le chef du cabinet, tout le poids politique, toute la prépondérance semble avoir été absorbée par son ancien collègue le ministre de l'intérieur.
Le ministre de l'intérieur ne répudie pas d'ailleurs ce rôle politique. Il vous l'a dit avec naïveté ; il est arrivé aux affaires, dans quel but ? dans le but, d'empêcher la dissolution de la chambre des représentants. Et pourquoi empêcher cette dissolution ? Parce que cette dissolution, cet appel au pays aurait eu pour résultat de changer la majorité de cette chambre, de modifier l'esprit de la majorité. Voilà dans quel but le ministre de l'intérieur et ses collègues sont arrivés aux affaires, Il y a aveu complet de sa part.
Eh bien, messieurs, la déclaration que le ministre de l'intérieur a faite a pu surprendre quelques personnes habituées à voir le ministère se retrancher dans l'abstention et la négation. Mais elle n'a pas surpris ceux qui avaient assisté à l'origine du ministère, et qui avaient pu apprécier dès lors les conditions de son existence. Avant que le ministre fît cette déclaration, nous lui avions dit : vous avez beau déclarer que vous êtes un ministère d'affaires, vous êtes un ministère de parti, vous n'êtes venu au gouvernement que pour faire les affaires d'un parti, pour faire les élections dans un sens favorable à ce parti. Voilà ce que nous avions dit au ministère, voilà ce que le ministère a explicitement reconnu,
Eh bien, messieurs, cette mission du ministère, nous devons hautement la condamner. Empêcher de consulter le pays, c'est manquer aux lois constitutionnelles, aux principes du gouvernement représentatif, empêcher la dissolution, pour éviter que le pays consulté ne modifie l'esprit de la chambre, n'envoie à la chambre une nouvelle opinion, c'est faire une injure, à la fois au pays et à toute cette opinion.
Voilà dans quelle position l’opinion libérale se trouve placée vis-à-vis du ministère actuel. Elle était en majorité dans l'ancienne chambre, elle avait donné son concours à un ministère qui fut attaqué par une minorité qui le considérait comme trop libéral. On n'a pas voulu conserver cette majorité libérale, on est venu aux affaires, sinon pour l'anéantir, au moins pour la décimer. Cette opinion ne méritait pas de la part du pouvoir une telle injustice, sa conduite dans la session dernière a constamment été marquée au coin de la plus parfaite modération. Je défie que l'on cite dans la session dernière une seule loi où la majorité ne se soit pas montrée parfaitement modérée, parfaitement gouvernementale.
Où sont, après tout, les prétentions de l'opinion libérale ? Qu'a-t-elle demandé de contraire aux lois ou à la constitution ? Quel principe extraconstitutionnel a-t-elle mis en avant ? Quelle loi exceptionnelle a-t-elle demandée ? N'a-t-elle pas respecté en toute circonstance la liberté et l'indépendance de ceux qu'elle doit considérer aujourd'hui comme ses adversaires ? La liberté d'instruction, la liberté d'association, la liberté de la presse, en quelles circonstances ont-elles été attaquées par l'opinion libérale représentée dans cette chambre ?
Non, messieurs, l'opinion libérale s'est tenue, on peut le dire, sur la défensive ; elle a respecté les doctrines de l'autre opinion, et si elle s'est montrée disposée à lui résister, c'est lorsque cette opinion a fait voir par quelques-uns de ses organes les plus importants, des tendances, des intentions, des projets auxquels l'opinion libérale ne pouvait s'associer.
Dire qu'on ne pouvait consulter le pays dans la crainte qu'il n'envoyât à la chambre une opinion dangereuse, mais c'est faire injure au pays même, c'est douter de la modération, du bon sens, du patriotisme des électeurs. Après tout, le pays, la constitution l'a voulu, doit être gouverné par le pays représenté par les électeurs. S'il plaît au pays représenté par les électeurs, de changer l'esprit du corps représentatif, il faut se soumettre à la volonté du pays. Comment voulez-vous que le pays ait confiance dans un ministère qui a témoigné a son égard tant de défiance ?
Mais il y a plus : on a dit, pour motiver l'avènement du ministère, qu'il avait eu lieu pour empêcher une dissolution, Eh bien, ce motif n'existe pas. Ce motif, quelque mauvais qu'il fût, n'était qu'un prétexte. Pour que l'ancien ministère restât aux affaires, il n'y avait pas nécessité de dissolution de la chambre des représentants. L'ancien ministère a d'abord eu l'honneur de proposer au Roi la dissolution de la chambre des représentants et du sénat. Ayant rencontré de la résistance sur ce point, et voulant faire preuve jusqu'au bout de la plus grande modération, il s'est contenté de demander la dissolution du sénat. Il avait pour cela deux motifs : le premier motif était la plus complète impossibilité pour lui de se représenter avec quelque dignité, devant un corps qui lui avait donné une marque éclatante de défiance.
Il craignait en même temps d'attirer la déconsidération sur ce corps respectable en le forçant à une rétractation d'opinion. Un autre motif plus pratique en faveur du système de la dissolution du sénat c'est qu'ainsi qu'on l'a fait observer, il n'est plus dans les termes de l'article 54 de la constitution qui porte : « Le sénat se compose d'un nombre de membres égal a la moitié des députés de l'autre chambre. » M. le ministre de l’intérieur vous a dit que des efforts avalent été faits par l’ancienne administration pour faire rentrer le nombre des sénateurs dans les limites constitutionnelles, elle a échoué devant les chambres ; un seul parti restait à prendre ; c'était la dissolution du sénat, Cette circonstance seule eût suffi pour la justifier. La dissolution du sénat n'ayant pas été obtenue, le cabinet dut se retirer. Mais il n’est pas exact de dire qu'on était arrivé aux affaires, pour empêcher la dissolution de la chambre des représentants. On est arrivé aux affaires pour présider aux élections partielles.
Si un ministère était arrivé avec la résolution de faire un appel au pays, de livrer un grand combat à l’opinion libérale, il y aurait eu dans ce rôle une certaine hardiesse qui l’eût excusé jusqu'à un certain point. Mais non : on a accepté le rôle secondaire, le rôle humiliant de travailler, avec l'opinion contraire, à amoindrir, à décimer l'opinion libérale, Voilà la mission qu'a acceptée le ministère, mission remplie par lui avec plus d'ardeur que de succès. La preuve que la mission du ministère était telle, que sa mission était de modifier l'ancienne majorité, la majorité libérale, c'est la guerre acharnée qui, sous sa bannière, a été livrée aux membres les plus modérés de cette opinion. Car, on eût même pu penser, à voir l'animosité particulière avec laquelle ces membres étaient poursuivis, que leur modération leur était imputée à crime ; et, plus ils étaient modérés, plus la colère devait s'appesantir sur eux.
Je sais qu'on voudra peut-être nier cette participation du ministère à l'exclusion prononcée contre les membres de l'ancienne majorité. Je crois qu’en effet, il n'y aurait pas grand honneur à réclamer l'initiative dans une guerre pareille. J'aime mieux penser et je suis fondé à penser, en effet, que le ministère n'a pas joué le premier rôle dans les élections, qu’il a accepté le rôle subalterne, qu'il s'est mis à la suite, au service d'une opinion, que ce n'est pas lui qui a donné le mot d'ordre, que le mot d'ordre a été donné ailleurs et que le ministère s'y est humblement conformé. J'aime mieux lui attribuer ce rôle subalterne, qu'un rôle d'initiative qui, dans mon opinion, serait sans excuse de la part du ministère, tel qu'il est constitué.
Cette guerre déclarée à l'opinion libérale modérée n'a pas été couronnée d'un plein succès, et nous devons en féliciter le ministère. A voir ce qui se passe aujourd'hui, je ne sais vraiment dans quelle position il se serait trouvé, si l'opinion qu'il avait pour mission d'exclure de la chambre avait été frappée dans un plus grand nombre de ses membres ; car l'opinion contraire est devenue plus forte, plus exigeante, et si le ministère n'avait point dans l'opposition une barrière contre les prétentions de cette opinion, il est probable qu'à l'heure qu'il est le ministère aurait cessé d'exister.
L'opinion de la minorité de l’année dernière est donc devenue l'opinion de la majorité de cette année par le fait du ministère ; de telle sorte que le rôle subalterne que l'administration a accepté dans les élections, elle continue de le jouer au sein de la chambre. Le ministère s'appuie sur une majorité dont il a, dit-il, la confiance. Eh bien, s'il faut dire ce que je pense, le ministère ne jouit pas de la confiance de la majorité qui l'appuie. Il n'y a pas entre elle et lui de lien sympathique ; il n'y a pas de confiance réciproque.
La majorité, en appuyant le ministère, s'en défie jusqu'à certain point ; elle voit parmi ses membres les plus influents des personnages qui ont longtemps figuré sous le pavillon du parti contraire. Ces personnages ont beau dire aujourd'hui qu'ils n'ont plus de pavillon ; la majorité n'y ajoute pas une foi entière ; elle suppose qu'il peut leur prendre des velléités de retour vers l'ancien pavillon ; ce n'est donc qu'avec une certaine réserve que la majorité appuie de tels membres. Du reste, attendons les discussions importantes où les opinions devront se dessiner franchement ; je ne sais si alors la majorité présomptive que j'accordé au ministère lui restera bien intacte.
La position du ministère pêche tellement par défaut de franchise et de netteté, sa position est tellement fausse, qu'il n'a confiance ni dans la majorité de la chambre, ni dans le pays, ni dans la capitale, ni en lui-même. Il est si peu sûr de la majorité de la chambre qu'il ajourne toute explication sérieuse sur les principes qui le dirigent ; il est si peu sûr du pays qu'il n'a pas osé le consulter, et que,' lorsqu'il a été forcé, de par la constitution, de le consulter, il a trouvé moyen de violer la loi électorale, afin de n'être pas forcé de le consulter trop tôt. Nous avons, messieurs, comme bienvenue du gouvernement, assisté à cette espèce de scandale légal. La loi électorale dit positivement que le membre de la chambre qui accepte des fonctions salariées doit être réélu dans le mois.
Eh bien ! messieurs, par des motifs d'une futilité que le pays a appréciés, on n'a pas convoqué les électeurs de Bruxelles dans le délai voulu par la loi, sous prétexte de ne pas déranger les électeurs.
Ah ! ce n'est pas un dérangement des électeurs que l'on craignait ; c'était une protestation des électeurs, protestation qui, à l'époque où on l'a amortie, n'eût pas manqué d'éclater d'une manière significative, comme elle vient encore d'éclater tout récemment dans une circonstance dont le pays tiendra compte à la capitale.
Eh bien ! messieurs, croirait-on que le gouvernement qui a son siège, son influence, toutes ses relations au sein de la capitale, a reculé au moment de sa formation, devant un appel aux électeurs de Bruxelles. Au lieu de s'empresser de faire sanctionner son avènement par l'opinion de la capitale, il a reculé devant cette opinion.
J'ai dit, messieurs, que le ministère n'avait pas même confiance en sa force. Et en effet, dans les élections, ce n'est pas lui qui a dirigé le gouvernement, il a mis son influence au service d'une opinion qu'il voulait favoriser ; il a enrôlé les fonctionnaires civils et militaires sons la bannière de cette opinion, et pour ne pas rester dans le vague, messieurs, sous la bannière du clergé, qui s'est mis, lui, résolument à la tète du mouvement électoral.
Messieurs, je puis parler du clergé avec assurance ; je n'ai jamais manifesté contre lui aucun sentiment d'hostilité ; au contraire, dans tous mes rapports avec lui, je pense qu'il n'a qu'à se louer de ma bonne volonté, de mes efforts pour satisfaire à toutes ses prétentions raisonnables.
Je dois dire aussi que dans le même temps, le clergé ou certains membres du clergé n'avaient pas manifesté les prétentions qu'ils ont manifestées depuis.
Messieurs, que le clergé se soit mis à la tête du mouvement électoral, c'est un fait qu'on ne pourrait nier. Eh bien, messieurs, ce fait est grave ; je n'ai pas la prétention d'apprécier mieux que le clergé lui-même ce qu'il a à faire dans ses intérêts. Mais je pense, et c'est aussi l'opinion de personnages considérables dans le clergé, je pense qu'il a fait une faute en jouant un rôle aussi actif, aussi ouvert dans les dernières élections. Je crois, messieurs, que tous ses mandements, toutes ses démarches, que tous les actes religieux qu'il a posés ou fait poser à l'occasion des élections, ont été imprudents et irréfléchis. Et je n'hésite pas à le dire...
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a fait la même chose lorsque vous étiez ministre.
M. Rogier. - C'est faux ; c'est faux, monsieur ; si j'avais été ministre, j'aurais éclairé le clergé ; je ne l'aurais pas suivi dans une pareille voie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous avez fait comme nous.
M. Rogier. - C'est complètement faux.
Je sais que vous avez l'habitude, sans tenir compte des huit années qui nous séparent, de vous placer toujours sur le terrain de 1834 ; je vous y suivrai. Nous n'avons pas professé les principes que vous professez aujourd'hui ; nous n'avons pas surtout servi sous la bannière où vous êtes engagé. Je dis qu'à aucune époque le clergé belge ne s'est mis ouvertement à la tête du mouvement électoral, comme il l'a fait dans les dernières élections. Que s'il l'avait fait à une autre époque, il aurait eu grand tort. Mais je soutiens que jamais l'administration n'a été placée sous la dépendance de l'opinion du clergé comme elle l'a été dans les dernières élections.
Je tiens beaucoup, messieurs, à ce que mes paroles à l'égard du clergé ne reçoivent pas une interprétation fâcheuse ; non, messieurs, que je veuille chercher à le flatter. Je ne veux être que juste, impartial vis-à-vis de lui comme je l'ai toujours été. Le clergé a rendu de grands services à l'indépendance du pays ; il rend tous les jours de grands services à l'ordre moral, à l’ordre matériel du pays. Sous ce point de vue je professe pour lui du respect, de la sympathie. Mais il faut que le clergé sache lui-même se poser des limites, et le terrain politique est fort glissant pour lui, quand il s'y engage.
Messieurs, pour ne parler que des dernières élections et des mandements des évêques, qu'est-il arrivé ? Les évêques ont combattu, sinon dans leurs mandements , au moins dans les démarches qu'on faisait en leur nom, tel et tel candidat ; ils l'ont fait avec une insistance toute particulière, Des visites à domicile ont été effectuées chez tous les électeurs, Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé ? Dans les villes les plus orthodoxes, dans les villes connues particulièrement pour leur esprit religieux, le clergé a eu tort ; les candidats soutenus par l'opinion libérale l'ont emporté ; on n'a pas cru aux dires du clergé ; on lui a désobéi, désobéi politiquement, je le veux. Mais de la désobéissance politique à la désobéissance religieuse il n'y a qu'un pas, et c’est ce pas que je ne veux pas voir franchir à l'opinion. C’'est pourquoi j'engage fortement, pour peu que ma voix puisse aller jusque-là, j'engage fortement les amis particuliers du clergé à lui ouvrir les yeux sur les conséquences d'une intervention directe dans les élections.
M. Peeters. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Messieurs, après ces observations générales sur l'esprit de l'administration, je passerai à quelques-uns de ses actes qui m'ont paru le caractériser d'une manière particulière.
Un des premiers actes de M. le ministre de l'intérieur a été la suppression de la direction de l'instruction publique. Et dans quel moment, messieurs, supprimait-on la direction de l'instruction publique ? Dans un moment où la part du pouvoir civil, en matière d'instruction publique, était fortement contestée ; dans un moment où l'on avait à discuter la loi si importante de l'enseignement moyen et de l'enseignement primaire. Dans un moment où, pour le cas où ces lois seraient adoptées, on aurait à assurer leur complète exécution.
Plus les attributions de l'enseignement public au département de l'intérieur étaient contestées, plus il se trouvait menacé par des prétentions contraires, plus le ministère aurait dû tenir à cœur de maintenir cette division de son ministère à toute sa hauteur, dans toute son intégrité. Mais loin de là, messieurs, on a supprimé le directeur.
On nous a dit dans différents discours officiels, que le gouvernement comprenait sa mission intellectuelle ; que l'instruction publique était d'un haut intérêt social, et en même temps que l'on faisait ces beaux discours sur la mission intellectuelle que le gouvernement comprenait, sur le haut intérêt social de l'instruction, on amoindrissait, on supprimait la direction de l'instruction publique.
Messieurs, était-ce donc de trop que le concours d'un fonctionnaire supérieur, d'un fonctionnaire politique dans une direction de cette importance et dans les circonstances où l'on se trouve aujourd'hui ?
Mais voici une autre contradiction. On supprime la direction de l'instruction publique et l'on établit une direction des beaux-arts. Cependant, si nous devons en croire le rapport de la section centrale, où l'opinion du ministère semble être reproduite, l'administration des beaux-arts ne serait qu'un jeu. Il n'y a rien à faire aux beaux-arts que quelques visites à faire ou à recevoir, quelques voyages dans les pays étrangers. Voilà à quoi se bornerait la direction des beaux-arts. Et cependant on nomme un directeur des beaux-arts en même temps que l'on supprime le directeur de l’instruction publique.
Il est vrai, messieurs, que la direction des beaux-arts ne coûtera rien, au moins quant à présent, et sur ce point, je reproduirai ici une observation que j'ai présentée à la section centrale.
Le directeur des beaux-arts d'aujourd'hui exerce des fonctions non salariées, il a refusé, dit-on, le traitement de directeur et l'on a paru le louer de cette générosité. Messieurs, je commence par faire abstraction de la personne dont il s'agit, je crois que le directeur actuel des beaux-arts convient à plusieurs égards pour cette fonction, mais je ne saurais admettre, soit comme précédent, soit comme exception qu'un fonctionnaire public, attaché à un département ministériel en qualité de directeur ne reçoive point de traitement.
Un tel fonctionnaire est placé dans une position supérieure à celle de tous ses collègues : Ils se trouvent vis à vis de lui dans une sorte d'inégalité plus ou moins humiliante ; et lui-même ne conserve-t-il pas à l'égard du ministre une sorte de supériorité ; n’a-t-il pas toujours le droit de lui dire : « Vous n'êtes qu'un fonctionnaire salarié, je suis un fonctionnaire indépendant. » Lorsque le ministre lui recommandera, par exemple, l'assiduité dans ses fonctions il lui répondra : « Je suis indépendant ; je ne reçois point d'argent de l'Etat, vous n'avez rien à me dire. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Alors il s'en ira.
M. Rogier**.** - Il ne s'en ira pas ; vous n'oseriez point le renvoyer et je vous dirai pourquoi.
Le directeur des beaux-arts ne reçoit point de traitement, mais il est parfaitement à sa place, parce que, dit-on, les beaux-arts aiment à s'abriter sous un beau nom. Je demanderai à M. le rapporteur si c'est là la pensée du gouvernement ou celle de la section centrale.
M. Dedecker, rapporteur. - C'est la pensée de la section centrale.
M. Rogier. - J'ai fait cette question à M. le rapporteur parce que la note jointe au rapport laisse du doute à cet égard.
Je désire beaucoup, messieurs, que tous les noms historiques de la Belgique figurent dans les annales de la Belgique moderne ; je ne suis point du tout contraire à ce que les familles considérables du pays prennent une part active au maniement de nos affaires ; je crois, au contraire, que trop longtemps elles se sont abstenues d'y intervenir ; mais lorsqu'elles interviennent dans nos affaires, je ne veux point que ce soit avec des conditions exceptionnelles, avec une couleur de privilège ; je veux qu'elles y interviennent aux mêmes conditions que nous autres de la classe moyenne.
« Les beaux-arts aiment à s'abriter sous un beau nom. » Mais le Roi n'est-il pas un beau nom ? mais le ministre n'est-il pas un beau nom où les beaux-arts puissent s abriter ? Qu’est-ce donc que cette protection et du Roi et du ministre effacée par celle d'un directeur ? Si le ministre exécutait la menace qu’il faisait tout-à-l'heure à demi-voix, s'il adressait cette menace au directeur actuel des beaux-arts, celui-ci ne serait-il pas en droit de lui répondre : « Les beaux-arts aiment à s'abriter sous un beau nom, ce serait une haute inconvenance que de supprimer mon emploi. » Avec des fonctionnaires salariés le ministère n'aurait pas à redouter de pareils mécomptes.
Je ne sais, messieurs, si les gouvernements provinciaux aiment aussi à s'abriter sous un beau nom. Je déclare d'abord, que, quant au personnage auquel je veux faire allusion, je professe pour lui beaucoup d'estime et qu'il veut bien me témoigner beaucoup de bienveillance ; les relations sont donc parfaitement bonnes entre nous, mais je dois dire que j'ai été surpris de trouver, dans la partie non-officielle du numéro du Moniteur, qui contenait l'arrêté de nomination de M. le prince de Chimay, comme gouverneur de la province de Luxembourg, une note ainsi conçue :
« C'est sur sa demande, déjà ancienne et renouvelée dans ces derniers temps, que M. le prince de Chimay reçoit une autre destination, indiquée d'ailleurs par lui-même. »
« Une destination indiquée d'ailleurs par lui-même. »
Si cette note, messieurs, signifie quelque chose, il en résulte que la collation des emplois n'est plus du ressort de l'administration, mais qu'elle appartiendrait aux fonctionnaires eux-mêmes, que ce ne serait pas le ministère mais bien le titulaire qui désignerait les fonctions ; que l'on observerait enfin avant les convenances du service les convenances des fonctionnaires.
Je ne blâme pas, du reste, cette nomination, mais j'en critique la forme et j’attendrai les explications que M. le ministre donnera sur la portée de cette note qui m’a paru tout à fait extraordinaire.
Revenant à la direction de l’instruction publique, je dois appelé l’attention de la chambre sur un abus qui a été signalé à la section centrale. On a accordé des fonctions de directeur des beaux-arts à une personne qui a renoncé à son traitement, soit d’une manière définitive, soit temporairement, car on a déjà vu des fonctionnaires demander à exercer leurs fonctions gratuitement, pendant quelques temps, et puis ensuite, sachant que toute peine mérite salaire, venir demander un traitement que vous ne pouvez pas refuser, mais je veux croire que le fonctionnaire dont il s’agit ne demandera jamais de traitement.
Mais en conférant ainsi un emploi à un fonctionnaire qui renonçait à son traitement, il aurait fallu conserver ce traitement pour le cas ou ce fonctionnaire venant a se retirer, il faudrait le remplacer par un autre fonctionnaire qui probablement ne consentirait pas à gérer gratuitement les affaires de l'Etat.
Eh bien, messieurs, il n'en est rien, le traitement du directeur des beaux-arts a été absorbé, il a été réparti entre d'autres fonctionnaires, de telle sorte que si demain le directeur amateur cessait ses fonctions, il n'y aurait plus de fonds pour un directeur effectif. A la vérité, la section centrale rassure la chambre sur cette éventualité qui, dit-elle, ne se présentera probablement pas d'ici à longtemps. Mais rien ne me prouve que la nomination d'un directeur de l'instruction publique et des beaux-arts ne pourra pas se présenter d’ici longtemps. Telle n est pas mon opinion ; mon opinion, au contraire, est qu’il est fortement à désirer que la place de directeur de l'instruction publique soit de nouveau remplie par un fonctionnaire salarié.
Ainsi donc, messieurs, si je vote l'allocation destinée au personnel de l'administration, c'est bien sous toute réserve, c'est bien avec la protestation que je n'entends nullement me lier pour l'avenir, que j'entends comprendre dans l'allocation telle qu'elle est présentée, le traitement d'un directeur de l'instruction publique.
Il est, messieurs, un autre fait où il me semble que l'esprit du ministère s'est encore assez clairement révélé, je veux parler des concours entre les établissements d'enseignement moyen subsidiés par l'Etat, et non subsidiés, d'après l’extension donnée à la mesure par M. le ministre de l'intérieur.
Ce concours a été maintenu en principe et j'en félicite l'administration, je crois que, dans cette circonstance, elle a eu égard à l'opinion du pays. Je félicite donc le ministre du maintien du concours, je ne sais pas si certains membres de cette chambre qui, l'année dernière, trouvaient le concours illégal, le trouveront légal cette année ; je les attends à la discussion, mais je n'ai point à le défendre sous ce rapport.
A l'occasion de la distribution des prix aux élèves des établissements d'enseignement moyen, M. le ministre de l'intérieur a prononcé un discours, dont plusieurs passages ont été applaudis ; ces passages je les aurais applaudis moi-même, si j'avais assisté à la cérémonie ; mais en voici un sur lequel j'aurais besoin de quelques explications :
« Nous n'avons exclu personne, dit M. le ministre, car pour nous, par quelques mains que soit donné l'enseignement, il est national, lorsqu'il réunit aux conditions scientifiques les garanties morales, et il ne perd point ce caractère précisément par là que ces garanties seraient plus grandes. »
D'abord, messieurs, l'enseignement national, tel que le définit M. le ministre de l'intérieur, me parait singulièrement restreint. A mon avis, les garanties morales jointes aux conditions scientifiques, ne constituent pas l'enseignement national. Je crois qu'il faut encore joindre à ces conditions l'amour et le respect de notre constitution et de nos lois, Du reste, ce n'est pas sur cette définition de l'enseignement national que j'entends interpeller M. le ministre ; je veux croire que dans tous les établissements privés l'on enseigne aux élèves le respect et l'amour de notre constitution et de nos lois.
Mais à qui s'adresse cette espèce de compliment tout spécial ? On parle devant les représentants de l'enseignement laïc, de l'enseignement donné aux frais des administrations des villes, de l'enseignement soutenu par l'autorité civile. On avait fait un appel à tous les autres établissements ; mais il paraît que cette courtoisie n'a pas eu le résultat qu’on en attendait. Les établissements qui en étaient l’objet n'ont pas répondu à l'appel.
A-t-on voulu dire que l'enseignement donné par les particuliers, en d'autres termes, par le clergé, est aussi national que l'enseignement donné par l'autorité civile, et que de plus il offre des garanties morales supérieures ? Est-ce là le compliment qu'on a voulu faire aux établissements du clergé ?
Quant à moi, j’ai beau retourner la phrase, je n'y puis découvrir d'autre portée que celle-ci : préférence donnée aux établissements de l'autorité religieuse sur les établissements de l'autorité civile, et préférence donnée par M. le ministre de l'instruction publique en présence des représentants de l’enseignement civil.
A-t-on voulu, par cette politesse, excuser la hardiesse du concours ? Je n'en sais rien. J'attendrai une explication sur ce point.
J'al dit que la majorité qui soutenait ou qui se disposait à soutenir le ministère était fort incertaine, et que, pour avoir une opinion formelle à cet égard, il fallait attendre les discussions de quelque importance.
A en juger par le rapport de la section centrale qui, soit dit sans reproche, était composée en très grande partie de membres appartenant à la majorité, à en juger par ce rapport, il paraît que l'opinion de la majorité échapperait déjà au ministère dans plusieurs circonstances assez décisives.
C'est ainsi qu'on lui refuse l'allocation de 100,000 fr. demandée pour la navigation à vapeur entre. les ports belges et les ports européens ; mais ce n’est pas de la politique...
M. Eloy de Burdinne. - C'est une économie.
M. Rogier. - La section centrale ne dit pas qu'elle veut faire une économie ; elle ne s'explique pas sur ce point ; elle demande l'ajournement.
Mais voici de la politique.
M. le ministre de l'intérieur a proposé une augmentation de 29,100 fr. pour encouragements à donner à l'instruction moyenne.
Je félicite M. le ministre de l'intérieur de cette demande d'allocation. Eh bien, la section centrale, composée comme je viens de le dire, ne rejette pas cette allocation, mais elle ne l'admet pas non plus ; elle n'ose pas, dit-elle, prendre sur elle la responsabilité de l'allocation.
Eh bien, qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouverait-il pas que la majorité représentée dans la section centrale n'a pas confiance dans le ministère, mais qu'elle n'ose pas encore le lui dire ; si elle avait confiance entière dans le ministère, elle n'eût pas hésité à lui en accorder une marque qui se résume dans une faible somme de 29,100 francs.
J'attends cette majorité au moment où nous allons discuter la loi d'enseignement moyen et primaire ; je ne l'attends pas à la discussion même de la loi (je doute fort qu'on parvienne à la faire discuter cette année), mais je l'attends à la discussion de l'ordre du jour. Je ne crois pas, et je désire ici me tromper, que le ministère obtienne de la chambre la mise à l'ordre du jour de cette loi.
Messieurs, on a parlé tout à l'heure d'économie, et l'honorable membre, auteur de l'interruption, a dit qu'on avait repoussé la proposition du crédit de 100,000 fr., pour la navigation à vapeur, par des motifs d'économie. Eh bien, je crains que ce motif qui n'a pas été exprimé en cette occasion, ne soit mis en avant dans des occasions non moins importantes. Et ici je suis amené à revenir sur la politique financière du ministère.
M. le ministre de l'intérieur a, suivant moi, trois lois importantes à faire discuter, s'il veut exécuter son programme, et remplir les promesses contenues dans le discours du trône ; je veux parler de la loi relative à la convention conclue avec la ville de Bruxelles, de la loi des indemnités et de la loi sur l'enseignement moyen et primaire, en commençant par l'enseignement primaire.
Je l'ai déjà dit, je crains qu'on ne vienne opposer à la discussion de cette loi le grand mot d'économie ; je crains qu'avec le budget des voies et moyens, tel qu'il a été constitué, la chambre ne se croie en droit de dire au ministère : Nous ne votons pas de nouvelles dépenses, attendu que vous n'avez pas de ressources pour les couvrir.
Eh bien, messieurs, je vois encore dans cette absence volontaire de ressources suffisantes pour couvrir les besoins constatés, annoncés, j'y vois encore une preuve du peu de confiance que le ministère a dans la majorité de cette chambre et dans le pays. Si le ministère avait eu de la confiance dans la majorité, si le ministère avait eu de la confiance dans le pays, il n'aurait pas hésité, suivant moi, à proposer aux chambres et au pays des ressources nouvelles ; il aurait eu recours à d'autres moyens que ces moyens échappatoires, de promesses et de prévisions. Je crains que cette politique indécise et tremblante n'exerce une fâcheuse influence sur la discussion des lois importantes que nous avons à voter, et qui doivent en définitive se résoudre en une dépense nouvelle pour l'Etat.
Si M. le ministre des finances a l'intention de proposer des mesures pour obtenir de nouvelles ressources, il me semble qu'il est grand temps qu'ils fassent ses propositions ; car il serait impossible de voter les dépenses, aussi longtemps qu'on n'aura pas l'assurance que ces dépenses seront couvertes.
En résumé, je pense, messieurs, et je terminerai par là, je pense que le ministère ne pourra pas parvenir à conduire convenablement les affaires de l'Etat, et qu'il n'y a entre lui et la majorité sur laquelle il prétend s'appuyer, ni solidarité, ni confiance réciproque.
Je dis qu'il n'y a pas de confiance dans le ministère, parce que la majorité ne voit pas dans ses rangs ses représentants naturels.
L'honorable comte de Briey disait au sénat que nier l'existence la division des partis en Belgique, ce serait nier la clarté du jour. Suivant lui, l'honorable M. Nothomb donnait des garanties suffisantes à l'opinion libérale ; l'honorable M. de Theux donnait des garanties suffisantes à l'opinion catholique ; quant à l'honorable M. Desmaisières, ajoutait M. de Briey, il ne représente aucun pavillon. Le ministère paraît avoir adopté le pavillon de M. Desmaisières ; mais quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, on n'admet pas qu'il marche franchement sous ce pavillon.
La position du ministère rappelle une situation d'un des grands tragiques de l'Angleterre : Desdemone a été enlevée à son père par Othello. Son père est obligé de sanctionner leur hyménée ; mais en les quittant, voici ce qu’il dit à Othello : « Maure, veille sur elle, tiens ton œil ouvert sur ses pas ; elle a trompé son père, elle pourrait bien te tromper aussi. »
M. Peeters. - J'ai été fort étonné d'entendre l'honorable préopinant faire un grief pour ainsi dire au clergé de s'être mêlé des élections. Je l’ai été d'autant plus que l'honorable préopinant n'a pas toujours pensé ainsi. L'honorable membre a-t-il oublié qu'après le congrès national, lorsqu'il quitta le gouvernement provisoire, où il avait sans doute rendu de grands services au pays, cette ville libérale de Liège lui avait refuse le mandat de représentant, et que sans les catholiques de la Campine et le clergé, le palais de la Nation lui était peut-être ferme pour toujours ? Il doit aussi savoir que ce n'est pas par des moyens déloyaux, par des moyens mensongers et de la calomnie que le clergé intervient dans les élections, ce n'est pas lui qui a inventé la dîme, la mainmorte, et je ne sais quelles autres absurdités. Quand le clergé se mêle des élections, il s'en mêle bien (hilarité prolongée), c'est-à-dire loyalement et honnêtement.
J'engage l'honorable membre à être plus modéré à l'égard du clergé, car ce qui a été pourra arriver encore ; l'honorable membre, dont j'honore le caractère franc et loyal, sera souvent en désaccord avec le parti libéral exclusif, et pourrait bien encore avoir besoin du suffrage des catholiques pour conserver sa place dans cette enceinte.
M. Rogier. - Je n’ai pas oublié le concours que les catholiques de l'arrondissement de Turnhout m'ont prêté lors des élections de 1831 à 1832. Je n'ai pas attaqué le clergé pour les actes de patriotisme qu'il a posés à l'époque de la révolution ; loin de là, je l'ai hautement félicité. S'il m'a soutenu dans l'élection de Turnhout, il l'a fait parce qu'il reconnaissait mon patriotisme, mon indépendance et mon impartialité. Sous ces rapports, je n'ai pas changé ; je suis toujours le même homme indépendant, impartial, modéré. S'il y a eu des changements, si ceux qui m'appuyaient en 1831, 1832 m'ont combattu à toute outrance en 1841, ce n'est pas moi qui ai changé, ce sont eux.
M. Desmet. - C'est la question !
M. Rogier. - En 1831, comme en 1841, je me suis présenté avec le même drapeau, avec les mêmes principes ; ce drapeau et ces principes, je ne les ai jamais abandonnés, je ne les abandonnerai jamais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs nous regrettons que l'honorable préopinant, après s'être livré à des considérations politiques, ait aborde des détails qui vous ont occupé dans la dernière partie de son discours ; les idées générales par lesquelles il avait débuté se sont un peu effacées ; nous avons donc un effort à faire en nous adressant à vos souvenirs.
Nous avons dit dans la première discussion politique qu'on a jugé à propos de faire naître, nous avons dit que depuis 1830 il existait une majorité modérée, composée des nuances intermédiaires des deux opinions, nous avons dit que cette majorité modérée n'appartenant à aucun parti exclusivement, s'était trouvée compromise dans les événements qui ont précédé la chute du précédent ministère ; nous n’avons pas prétendu que cette majorité modérée aurait disparu nécessairement, mais qu'elle était compromise, qu'elle était menacée même par le ministère auquel nous avons succédé.
Toute l'argumentation de l'honorable préopinant tombe devant un seul mot : il ne s'agissait pas de sauver une majorité catholique, comme on s’obstine à le répéter, mais d’empêcher que la majorité modérée, qui n'est ni une majorité catholique, ni une majorité libérale, ne fût compromise par une dissolution, dont le ministère précédent lui-même n'aurait pu maîtriser les effets. Voilà le fait, et ce fait c'est ainsi que le pays l'a compris ; c'est ainsi que l'avenir l'appréciera.
Nous n'avons pas manqué de confiance dans le pays, nous n'avons pas insulté au pays ; nous avons pensé avec tous les hommes sensés, quand on précipite la nation dans une crise, quand on l’égare par des calomnies absurdes qu'on n'oserait pas avouer, car l'honorable membre ne croit pas à la calomnie de la dîme (interruption), il n’oserait pas dire qu'il y croit, je ne le lui demanderai même pas, je croirais lui faire injure en le lui demandant, quand dans ces circonstances, on fait un appel au pays, quand le ministère lui-même ne peut pas répondre des résultats de l'appel qu'il fait, non pas toujours à la raison publique, mais quelques fois malgré lui aux passions publiques inconsidérément excitées, la réponse du pays peut être faussée.
L'opinion publique ne peut-elle jamais être égarée ? Elle était égarée quand ce prétendu libéralisme sur lequel vous comptez aujourd’hui avec tant de confiance vous proscrivait à Liége. Elle était égarée quand un homme qui fut si longtemps notre ami commun, au moment où l'on venait d'obtenir de si beaux résultats diplomatiques, était frappé de l'ostracisme électoral dans sa ville natale.
Nous avons, messieurs, traversé de mauvais jours ; espérons qu'ils ne se reproduiront pas ; espérons que les élections prochaines ne se feront plus sous l'empire de passions excitées par des calomnies auxquelles ne croient pas ceux mêmes qui les exploitent.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Espérons qu'en 1845, à Anvers, par exemple, les élections se feront comme elles se sont faites en 1837, époque où l'honorable membre était gouverneur dans cette résidence. Il ne s'agissait alors ni de libéralisme ni de catholicisme dans la ville d'Anvers, Espérons que les élections prochaines de 1843 se feront déjà sans acception de partis.
Pourquoi désespérerions-nous de voir renaître la confiance et avec elle le calme dans les esprits ? Pourquoi ce qui a été ne serait-il plus ? Pourquoi à Anvers ne ferait-on pas les élections en 1841 comme on les faisait en 1837 ? Je me plais à croire que les élections de 1841 ne seront qu'un épisode dans la carrière politique du pays.
On nous dit : que n'avez-vous fait une dissolution, tout était décidé. Messieurs, les dissolutions se jugent d'après des causes supérieures que souvent le temps seul fait apprécier, et non d'après le but que peut avoir tel ou tel parti. La dissolution, on la présente comme la panacée universelle, on dit : Prononcez la dissolution et toutes les questions seront décidées ; les partis viendront à se dissoudre, vous aurez ouvert une ère nouvelle.
L’expérience a prouvé qu'après comme avant la dissolution certaines questions peuvent rester entières ; ces questions, il faut, après comme avant, les résoudre par l'esprit de conciliation. Cet esprit, nous le trouvons dans l'ancienne majorité qui n'est pas une majorité catholique, mais une majorité modérée, une majorité mixte, composée des nuances intermédiaires des deux opinions.
Dans un pays voisin, on a prodigué les dissolutions ; a-t-on, par ces dissolutions successives, résolu les grandes questions devant lesquelles s'est arrêtée la France ?
En 1833, nous avons eu une dissolution, quelle question a-t-elle résolue ? Elle devait résoudre la question diplomatique ? Elle ne l'a pas résolue ; et c'est un heureux accident diplomatique, la convention du 21 mai qui a sauvé le ministère d'alors. Qu'il me soit permis de faire ici un appel au souvenir de mes anciens amis. Ils me rendront la justice de dire que j'étais contraire à la dissolution et je l'étais parce que je comprenais qu'en agitant les passions dans une question où l'amour-propre national était partout engagé, la dissolution ne résoudrait pas le problème qu'on allait livrer aux électeurs.
Si je fais un appel au souvenir de l'honorable préopinant, c'est pour constater ma bonne foi, et la constance de mon opinion sur ce point.
Quand l'honorable membre, abandonnant les considérations politiques, a annoncé qu'il allait articuler quelques griefs, je m'attendais à me voir reprocher des actes de grande importance. Voyons quels sont ces actes ?
Le ministère, composé de plusieurs députés sujets par là à réélection, s'est formé le 15 avril ; de droit les électeurs devaient se réunir le 8 juin pour le renouvellement de la moitié de la chambre. Il aurait fallu convoquer certains collèges le 15 mai et le 8 juin.
Les électeurs n'auraient pas compris ces deux convocations successives, dont la première devait être absolument sans objet. « Mais la loi, dit-on. » La, loi, messieurs, il faut l'entendre d'une manière raisonnable. Le gouvernement avait deux articles à exécuter : d'un côté l'article 54 porte que, par suite du renouvellement partiel de la chambre, les électeurs devaient se réunir le 8 juin pour pourvoir au remplacement de la moitié de ses membres.
D'un autre côté l'art. 50 de la loi électorale porte que lorsqu'un député est nommé à des fonctions salariées, il y a lieu à convoquer le collège électoral, dans le délai d'un mois. Il faut concilier ces deux articles et les interpréter de manière à ne pas donner un sens absurde à la loi. Dira-t-on que par respect pour le texte, il fallait aller jusqu'a l'absurde ? Qu'il me soit permis de le dire, lorsque je réponds à des hommes politiques qui tant de fois ont interprété les lois d'une manière très large, ils ne nous avaient pas habitué à un si grand puritanisme légal. La convocation des électeurs pour le 15 mai eût été un acte sans utilité pour les électeurs qui devaient nécessairement se réunir quelques semaines après, sans utilité pour la chambre, qui ne devait pas être convoquée avant le 8 juin ; c'était un acte sans objets sous tous les rapports ; c'eût été l'hommage le plus vain rendu au texte d'une loi judaïquement interprété.
Je suppose (car l'art. 54 parle d'autres cas de vacance électorale, que le cas d'acceptation de fonctions publiques), je suppose un décès ; un député meurt le 1er mai ; si vous voulez que la loi soit exécutée littéralement, il faudra convoquer le collège pour le 1er juin, et huit jours après le convoquer de nouveau. Il faudra ainsi exécuter la loi, ou reconnaître avec nous que dans certains cas il faut concilier les différentes dispositions et exécuter la loi d'une manière sensée.
Un second grief c'est celui de la prétendue suppression de la direction de l'instruction publique. Sous le ministère précédent, il vous en souvient, on a aussi supprimé (je me sers à dessein de la même expression, je prouverai tout à l'heure qu'elle est impropre et que toute l'attaque dirigée contre moi repose sur un mot) on a aussi supprimé, dis-je, la direction de l'industrie et du commerce. Qu'aurait pensé le préopinant, si quelqu'un était venu dire à son collègue d'alors M. Liedts : « Nous trouvons dans cette suppression de la direction de l'industrie et du commerce, une tendance, une grande portée ; vous entendez ne pas vous occuper de commerce et d'industrie, ou leur imprimer tel ou tel caractère. » Messieurs, on n’a pas supprimé la direction de l'instruction publique, mais le titre de directeur ; et qu'on veuille bien me dire quelle différence il y a vis-à-vis du public entre un chef de division et un directeur, ce sont deux chefs de service, ayant deux titres différents, n'ayant aucune correspondance au dehors, et qui travaillent l’un et l'autre directement avec le ministre ; il n'y a aucune différence dans leurs attributions. L'administration de l'instruction publique et des beaux-arts comprenait deux objets. J'ai trouvé au ministère un homme qui convenait parfaitement comme chef de service pour l'instruction publique. J'ai donc été amené à l'idée de faire pour l'instruction publique et les beaux-arts ce que M. Liedts avait fait pour l'industrie et le commerce. Il avait établi deux divisions, l'une du commerce, l'autre de l'industrie. J'ai fait avec d'autant plus d'empressement, à mon tour, un partage, que je voulais par là donner une impulsion nouvelle, principalement à l'instruction publique. J'ai pensé que cette séparation pouvait avoir lieu, parce que j'ai vu entre autres qu'en France les beaux-arts sont au ministère de l'intérieur, et qu'il y a, comme vous savez, un département spécial pour l'instruction publique. J'ai donc pensé (et on voudra bien le reconnaître avec moi) qu'il n'y a pas une connexité tellement intime entre l'instruction publique et les beaux-arts qu'on ne pût les séparer. Le chef de service pour les beaux-arts porte le titre de directeur ; l'honorable concitoyen qui a bien voulu se charger de ces fonctions y a mis pour condition qu'il les remplirait gratuitement ; il a pensé qu'elles n'exigeaient pas de sa part une telle assiduité qu'il pût accepter un traitement. C'est le seul motif qu'il ait donné. Je crois pouvoir dire que les beaux-arts, réduits à eux-mêmes, séparés de l'instruction publique, n'exigent pas de la part du chef de service un travail bien grand, bien continu, c'est un travail de quelques heures par jour tout au plus, pas même à toutes les époques. Peut-être aurais-je prévenu toute objection, si, au lieu du titre de directeur, j'avais proposé celui d'inspecteur des beaux-arts. Je reconnais avec la section centrale et avec l'honorable membre que si l'on faisait d'un acte semblable un principe, un précédent, cela présenterait de graves inconvénients ; mais à mes yeux ce n'est qu'une exception motivée par la position exceptionnelle. Du reste, je le répète, avec le titre d'inspecteur j'aurais peut-être fait tomber toutes les objections ; les attributions fussent néanmoins restées les mêmes. Si cette personne ne peut remplir ses fonctions, si elle ne les remplit pas à mon gré, je n'hésite pas à déclarer à la chambre qu'elle serait la première à s'en démettre. On m'a adressé fort inutilement le défi d'oser donner une démission. Je ne veux pas évoquer le passé. Mais je puis dire que jamais on ne m'a imposé un choix dans mon administration. Je défie qu'on me cite, pendant tout le temps que j'ai été à la tète du département des travaux publics, qu'on me cite un seul fonctionnaire, à partir du secrétaire-général, qu'une considération politique quelconque m'ait imposé.
L'administration de l'instruction publique et des beaux-arts, ainsi partagée en deux divisions, avec un chef de division, ancien fonctionnaire à la tète de l'instruction publique, avec un chef de service pour les beaux-arts, portant le titre de directeur, quoi qu’il ne reçoive pas de traitement, cette administration ainsi constituée répond, pour moi, aux besoins de la situation. Je suis responsable devant la chambre. Qu'on me cite une question qui n'ait pas été abordée par moi, un seul acte de négligence de ma part ; dans d'autres temps, à ma place, l'honorable membre se serait probablement borner à se réfugier derrière le principe de la responsabilité administrative du ministère.
Un autre grief que l'honorable membre a pour ainsi dire intercalé dans son discours, c'est un petit article du Moniteur, publié par ce journal à propos de la nomination du prince de Chimay au gouvernement du Luxembourg. C’est la chose la plus simple du monde. Je m'étonne véritablement que l'honorable membre ait pu un instant se méprendre sur le sens de l'article du Moniteur. Ce qu'il y avait de singulier n'était pas de voir un prince de Chimay devenir gouverneur, mais ce qui pouvait surprendre, c'était de voir un ministre plénipotentiaire quitter une position de 40,000 francs pour accepter le gouvernement d’Arlon, avec un traitement de 4,000 fr. Ne fallait-il pas une explication, ne fût ce qu'à cause du corps diplomatique dont ce personnage faisait partie ? Cet article n'avait pas d'autre sens. Ce n'est pas à cause du titre de prince, c'est parce qu'un ministre à l'étranger, ayant une position plus lucrative, un titre plus élevé, prenait une position élevée, sans doute, mais inférieure pour le traitement, inférieure aussi en quelque sorte pour le titre, qu'une explication était nécessaire.
L’honorable membre a trouvé un autre grief, je ne sais si c'est dans l'extension donnée aux concours, ou dans une phrase d'un discours que j'ai prononcé dans cette circonstance. Il ne s'est pas très clairement expliqué à cet égard, Quant à l'extension donnée au concours, Je pourrais citer une phrase d'un discours de l'honorable membre, d'où il résulte que cette extension était dans sa pensée. Nous avons maintenu les concours en les déclarant obligatoires pour les établissements subsidiés et facultatifs pour les autres. (S'adressant à M. Rogier.) Approuvez-vous cette extension ?
M. Rogier. - Oui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n'ai donc pas à répondre à ce grief.
Le jour de la distribution des prix, j'ai prononcé ces mots :
« Nous n'avons exclu personne : car pour nous, par quelques mains qu'il soit donné, l'enseignement est national lorsqu’il réunit aux conditions scientifiques les garanties morales, et il ne perd point ce caractère précisément par là que ces garanties seraient plus grandes. »
Le sens de cette phrase est aussi bien simple. L'honorable membre lui-même, pendant son administration, a donné des subsides à des établissements placés sous la direction ecclésiastique. Il a donc pensé que ces établissements ne perdaient pas leur caractère national, parce qu'ils se trouvaient organisés d’une manière a donner aux yeux de quelques personnes de plus grandes garanties morales et religieuses. Je n'ai pas dit autre chose.
On a demandé si j’avais voulu adresser un compliment au clergé. Je n'ai pas l'habitude de faire des compliments, surtout en public. Mais si j'avais voulu faire des compliments au clergé, je n'aurais fait que ce que vient de faire l'honorable membre lui-même. (On rit.) Comme je conviais les établissements du clergé à prendre part au concours, il eût été naturel que je me montrasse courtois.
M. Rogier. - Pas aux dépens du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne l'ai pas fait aux dépens du gouvernement.
J'ai reconnu avec vous que des établissements placés sous l'autorité ecclésiastique pouvaient mériter à un double titre la confiance publique, et qu'il était à désirer qu'ils prissent part au concours.
J'ai dit, messieurs, qu'en partageant les deux branches que formait l'administration de l'instruction publique et des beaux-arts, j'avais eu l'intention de donner une plus forte impulsion, surtout à l'administration de l'instruction publique.
En effet, messieurs, je le dirai ici hautement, et je puis le dire, puisqu'en quelque sorte je suis accusé, à aucune époque on n'a fait tant de choses en si peu de temps pour l'instruction publique.
J'ai maintenu le concours de l'enseignement moyen en lui donnant une extension que l'honorable membre lui-même accepte. Pour l'instruction supérieure, j'ai organisé les concours universitaires ; j'ai mis à exécution une disposition législative, restée sans exécution depuis le vote de la loi. J’ai organisé ce concours avec un ensemble dont j'aime à m'applaudir, avec un ensemble d'autant plus remarquable qu'il nous annonce, messieurs, un esprit de conciliation et d'union. Je ne sais pas si d'autres administrations, avec l'esprit de défiance que propageaient leurs partisans, auraient été aussi heureuses dans l'organisation du concours universitaire.
Maintenant la circulaire qui est un des derniers actes de l'honorable préopinant, elle est du 31 mars 1841, je suis parvenu à réorganiser ou à maintenir plusieurs établissements d'instruction moyenne.
Cette circulaire, du 31 mars 1841, que vous trouvez à la fin des pièces sur les concours de l'enseignement moyen, je l'ai acceptée, messieurs, parce que j'ai pensé que c'était sérieusement que l'honorable membre l'avait posée, à une époque cependant où sa présence au ministère était devenue incertaine. Je n'ai pas pensé qu’il eût voulu créer un embarras à son successeur. Je l'ai acceptée et exécutée. Et dans le cours de la discussion de mon budget, trouverai peut-être plusieurs occasions de citer des cas où j'ai fait, ou bien où je me propose de faire, l'application de cette circulaire.
J'ai fait préparer, messieurs, un grand travail sur l'instruction primaire et moyenne. Le gouvernement devait à la chambre, aux termes de la loi sur l'enseignement supérieur, un rapport sur les universités de l'Etat ; il ne devait pas à la chambre un rapport sur l'instruction primaire et moyenne ; j’ai fait ce rapport spontanément ; j'espère que ce travail pourra vous être communiqué à la fin de janvier.
Ce travail était nécessaire. Si on avait voulu rendre impossible, comme on nous en accuse, l'examen des lois sur l'instruction publique, sur l'enseignement primaire et moyen, nous ne vous aurions pas offert spontanément ce travail. Vous auriez abordé la discussion, sans pouvoir vous y livrer avec fruit. Vous auriez été arrêtés au début même de la discussion, parce que les notions de faits auraient manqué. C'est un travail impartial que nous vous communiquerons, parce que nous avons cru que le gouvernement lui-même avait ici un devoir à remplir. C'était pour cette grande discussion que nous avons voulu vous offrir un guide sur bien des points ; nous n'avons pas voulu que la chambre se fractionne en deux partis, même pour la statistique de l’enseignement primaire et moyen.
Vous n'avez pas la confiance de la chambre, nous dit-on ? Vous ne ferez rien. Les lois que vous annoncez, vous ne parviendrez pas à les faire accepter par la majorité.
Mais, messieurs, ce sont là les vieilles prédictions de l'opposition ; et je m'étonne réellement que l'honorable membre les reproduise. Si nous n'avions pas proposé, par exemple, le projet de loi relatif à la ville de Bruxelles, savez-vous ce que l'on serait venu dire ? On serait venu dire que nous n'osions pas la proposer. Nous l’avons proposée. Savez-vous ce que l'on dit ? C'est que nous n'oserons pas en aborder la discussion, ou bien qu'elle sera rejetée.
M. Rogier. - Je n'ai pas dit que vous n'oseriez pas aborder la discussion de ce projet, mais j'ai dit que votre majorité ne l'approuverait pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Votre majorité, quelle expression ! Il fut un temps (je suis forcé de citer le passé) où l’on disait à l'honorable membre : Vous n'avez pas une majorité compacte, dévouée, se représentant sans cesse sur toutes les questions.
Il est impossible, messieurs, que sur toutes les lois, sur toutes les questions qui sont soulevées, vous trouviez une majorité immuable. Qu'on me cite un seul ministère qui se soit appuyé sur une majorité en quelque sorte immobilisée.
Il arrivera, messieurs, ce qui est arrivé, par exemple, à l’honorable membre lui-même en face du parti auquel il veut maintenant se rattacher exclusivement ; je veux parler de la récente discussion sur la loi des étrangers.
Je suppose que l'honorable membre se soit trouvé au lieu de moi à ce banc, il y a trois jours. Est-ce que l'honorable membre aurait eu tous ses nouveaux amis avec lui ? Non, messieurs, quelques-uns de ses nouveaux amis lui auraient fait défaut. Et je vous demande maintenant ce qu'on aurait pensé de moi, par exemple, si, me trouvant au banc ou se trouve l’honorable membre, j'étais venu vous dire : Vous n’avez pas de majorité, parce que sur telle loi six, dix de vos alliées se sont séparés de vous sur une question spéciale.
Vous voyez donc, messieurs, qu'à force de s'attacher à des mots on arrive à fausser complètement le caractère et le but de nos débats.
Vous avez, nous dit-on, trois grandes lois à soutenir : la loi sur la ville de Bruxelles, la loi sur les indemnités, la loi sur l’instruction primaire, au moins. Ces trois lois, il vous sera impossible ou de les soutenir, ou de les obtenir, ou de les exécuter, parce que certainement les moyens financiers vous manqueront.
Rappelez-vous, messieurs, ce que vous a dit mon honorable collègue, le ministre des finances, qu'en effet les moyens financiers ne se trouvaient pas dans ce moment au budget ; mais rien n'est plus simple ; ce serait, commencer par la fin. Il faut d'abord que ces trois lois soient votées, pour que les moyens d'exécution soient inscrits dans le budget.
Mais le ministre ne doit pas manquer de prévoyance, et il vous a déclaré être prêt pour, en cas d'exécution de ces lois, vous présenter les moyens d'exécution. Il doit même vous annoncer d'avance quels seront ses moyens financiers d'exécution. Il vous l'a dit à plusieurs reprises, et je suis étonné d'être forcé de nouveau de vous répéter ses paroles.
Messieurs, nous sommes impatients, comme l'honorable membre, d'aborder les questions qui sont soumises à la chambre, parce que les besoins du pays, parce que le cours naturel des choses l'exigeaient. Si la tâche de modération, de conciliation, de transaction que nous avons acceptée est impossible entre nos mains, eh bien, messieurs, nous reconnaîtrons nous-mêmes cette impossibilité, Nous déclinerons cette tâche en formant le vœu que d'autres soient plus heureux.
M. Verhaegen. – Messieurs, il est beau, il est surtout bien courageux le rôle d'un ministre qui vient s'associer aux improbations, aux murmures, je dirai presque aux ressentiments d'une majorité qui momentanément lui donne son appui. Je l'en félicite : à lui les fruits de ce courage ; et peut-être nous donnera-t-il la solution de ce problème, si c'est le ministère qui a une majorité ou si c'est la majorité qui a un ministère.
Messieurs, je ne me proposais pas de prendre la parole dans cette discussion, et je n'entrerai dans aucun nouveau détail sur des questions que j'ai traitées précédemment. Mais il y avait inconvenance de la part du ministre de l'intérieur de se servir de certaines expressions qu'il a employées et de s'associer à des attaques multipliées et injustes dont nous avons été l'objet ; et pourquoi ? Pour avoir dévoilé des faits, pour avoir dit la vérité et pour en avoir subministré la preuve. Car on excite rarement le courroux de ceux à l'égard desquels on se borne à des allégations.
J'ai cité sur les deux questions que j'ai traitées dans la discussion politique, non pas un seul fait, mais une masse de faits. Je les ai appuyés de preuves irrécusables, Je sais bien que les murmures de la majorité sont la condamnation de ce que j'ai dit. Mais je me console ; au-dessus de cette opinion, il en est une autre, et je me soumets volontiers en second degré à son arrêt. C'est au pays tout entier que je fais un appel.
Je ne poursuivrai pas sur le terrain sur lequel on veut me placer une seconde fois. J'ai dit tout ce j'avais à dire ; je n'ai pas dit un seul mot de trop et je maintiens cette fois encore de nouveau tous et chacun des faits que j'ai avancés.
Et que l'on ne m'accuse pas d'avoir été trop loin, même en disant la vérité. Car, messieurs, je n'ai fait que suivre l'exemple d'un honorables collègue, vieilli sous l'expérience.
Ne nous disait-il pas, l'honorable M. Pirson, dans la discussion générale de l'année dernière, ne nous disait-il pas des choses bien plus graves encore que celles que j'ai eu la liberté grande de vous dire à l'ouverture de cette session, alors cependant que je vous les lisais preuves à la main.
Voici ce que disait l'honorable M. Pirson, lors de la discussion générale de l'année dernière :
« Messieurs, on peut tout craindre de l'esprit de parti. N'avons-nous pas déjà entendu, non pas proposer le rétablissement de l'inquisition, mais vanter dans des discours publics les fauteurs de l'inquisition. »
J'ajouterai à ces paroles, qui n'ont pas besoin de commentaire, que relativement à la liberté de la presse, certains organes de la presse rétrograde, sans oser l'attaquer ouvertement, font cependant éloge de ceux qui, dans un pays voisin, ont eu le triste courage de chercher à la détruire.
Voilà, messieurs, tout ce que j'avais à dire pour le moment.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis l'ouverture de la session j’ai cru devoir garder le silence dans les discussions qui se sont successivement élevées sur ce qui s'est passé lors des dernières élections. Je faisais ainsi une concession à la paix, car je sentais combien il est douloureux de se rappeler les moyens qui ont été mis en œuvre pour obtenir les résultats que certains hommes avaient en vue. Mais lorsque je vois l'honorable préopinant venir parler d'appel au pays, lorsque nous connaissons tous le moyens qu'il vient d'employer pour tromper le peuple dans ce prétendu appel au pays, lorsque nous connaissons avec quelle profusion il a répandu un discours dans lequel il reproduit des accusations contre le clergé, auxquelles il ne croit pas lui-même, alors, messieurs, j'ai cru devoir prendre la parole pour signaler, dans cette enceinte, les indignes manœuvres auxquelles on a eu recours pour calomnier la représentation nationale, pour calomnier les hommes qui représentent l'opinion de l'immense majorité du pays.
J'ai été navré, messieurs, quand j'ai vu les calomnies dont on a accablé les représentants d'une opinion à laquelle je me fais gloire d'appartenir, et qui est une opinion profondément morale et nationale.
J'ai été navré ; mais j'ai voulu garder devers moi les pièces de conviction, afin que je puisse, lorsque l'occasion s'en présenterait, dévoiler les moyens infâmes dont on s'est servi contre nous. Je crois, messieurs, devoir le faire maintenant, puisque l'honorable membre a déclaré qu'il prenait sur lui la responsabilité de tout ce qui s'est passé à Bruxelles lors des dernières élections.
Eh bien ! messieurs, on a répandu alors avec profusion un écrit qui avait été imprimé à plus de 20,000 exemplaires, un écrit que je qualifie d'infâme et dans lequel l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, opinion qui est celle de la grande majorité du pays, et en qui la nationalité belge trouve les garanties les plus solides, dans lequel, dis-je, cette opinion était accusée de vouloir grever le pays de charges immenses pour enrichir le clergé et de vouloir rétablir la dîme.
Cet écrit, je le répète, a été tiré à plus de 20,000 exemplaires, il a été publié en français et en flamand. Permettez-moi, messieurs, de vous en donner lecture. Voici comment il est conçu :
« A MM. les électeurs de l'arrondissement de Bruxelles.
« Messieurs,
« Le moment des élections approche !
« Plus que jamais nous avons besoin de nous unir pour repousser constitutionnellement le pouvoir envahisseur du clergé ; ce pouvoir qui veut tripler les contributions à son profit, c'est-à-dire que celui qui paie aujourd'hui 100 francs d'impôt à l'Etat paiera demain 231 francs 25 centimes (il est impossible de calculer avec plus de précision), s'il suit le conseil de son curé, de son vicaire ou de leurs adhérents dans le choix des représentants de la nation.
« Electeurs de la campagne, c'est sur vous plus particulièrement que pèseront les taxes que le clergé veut établir pour augmenter son revenu au-delà de ses besoins.
« Fermiers, cultivateurs et villageois, c'est vous seuls qui payerez la quasi-totalité des nouvelles contributions, si vous nommez à la chambre des représentants les candidats que vous présenteront votre curé ou son vicaire.
« Le tableau suivant suffira pour convaincre les plus incrédules, de l'énormité des nouvelles contributions, dont nous allons être frappés en suivant le conseil du clergé, contributions qui, comme on le verra, augmenteront trois a quatre fois les revenus des prêtres et ruineront l'honnête agriculteur, père de famille.
« 1. Personne n'ignore que, malgré les efforts de l’opposition libérale, le clergé obtient annuellement un accroissement de plusieurs millions sur son traitement. D'abord 100 millions de francs (c'est sans doute une erreur d'impression, ce sera 100,000 francs qu'on aura voulu dire) pour le collège de Saint-Trond, bagatelle à porter ici en compte : fr. 100,000
« 2. On sait également que les catholiques ont, en opposition des libéraux, obtenu une augmentation de traitement pour chaque prêtre desservant ; cette augmentation sera payée par les communes rurales et sera proportionnée au rang que chaque prêtre occupe ; un vicaire aura une augmentation annuelle de 400 fr., un curé celle de 800 fr. et un doyen 1,000 fr. Comme il y a dans les 4,000 communes et villes qui composent la Belgique 6,000 prêtres, vicaires ou sous-curés, il ne faudra pas moins pour eux qu'une augmentation de 2 millions de 400,000 fr. par an : fr. 2,400,000
« Pour les 4,000 curés et doyens qui desservent ces 4,000 communes et villes l'augmentation sera de 3 millions 320 mille fr., par année : fr. 3,320,000
« Ensemble 5 millions 720,000 fr.
« 3. Viennent ensuite les 443 établissements religieux qui sont nouvellement établis en Belgique et dont le clergé veut faire supporter par la nation leur entretien, dans la proportion du petit séminaire de St.-Trond. En admettant que chacun de ces établissements ne coûterait par an que le tiers de celui de St.-Trond, cela représentera pour chacun d'eux une dépense de 33,333 fr.. par an et pour tous les établissements la somme énorme de 14,766,319 fr. : fr. 14,766,319
« Total : fr. 20,586,519 fr. par an.
« Voilà donc une somme de 20 millions 586 mille 510 francs que la nation belge paiera en plus l'année prochaine pour les prêtres, si on nomme les représentants que les curés, leurs vicaires ou leurs adhérents désigneront.
« Remarquez-le bien, les contributions directes figurent au budget de l'Etat pour 16 millions de fr. : si le parti catholique a le dessus aux élections, il n'y a nul doute que nous devrons payer 21 millions de francs d'augmentation pour le traitement des prêtres et pour l'entretien des 443 établissements religieux, de manière que celui qui aura payé cette année 100 fr. de contributions devra payer l'année prochaine 231 fr. 25 centimes ; en d'autres termes pour chaque franc de contributions qu'on aura payé en 1841, on devra payer 2 fr. 31 c. en 1842, et cela pour les prêtres.
« Electeurs, cette somme énorme, si nous ne nous unissons pas, sera payée en attendant que de droit divin on perçoive la dîme, que le clergé veut établir par une loi, sous peine d'excommunication contre ceux qui la refuseraient, Cette pénalité est prononcée dans le nouveau catéchisme de Namur, approuvé par l'évêque de ce diocèse et ratifié par l'archevêque de Malines.
« Or, habitants de la campagne, vous ne serez pas quittes envers le clergé en lui payant avec nous environ 21 millions de plus par an. Mais il viendra en outre vous enlever la dixième partie de votre récolte, qui est le fruit de vos sueurs, en vous disant :
« De droit divin la dîme est due a l'Église. Même au commen**cement du monde on payait la dîme… On est obligé de payer la dîme sous peine d'excommunication… On pêche contre ce commandement en ne payant pas la dîme ou en ne donnant, comme Caïn, que les plus mauvais fruits.
« Ceci est extrait du nouveau catéchisme de Namur, approuvé par l'évêque de ce diocèse et ratifié par l'archevêque de Malines.
« Vous voyez, électeurs, qu'il ne suffira pas de donner la dixième partie de vos récoltes, mais il faudra encore donner les plus beaux de vos fruits.
« Qu'on ne dise plus que le rétablissement de la dîme en Belgique est un conte. Voici les copies de quelques-unes de ces quittances qui démontreront que la dîme se perçoit dans le diocèse de Namur :
« J'ai reçu *de Mme la veuve**** cent nonante-huit florins trois sous huit deniers pour la dîme de 1837.
« Namur, le 13 mars 1837. »
Vous croyez sans doute, messieurs, que cette quittance porte la signature du curé ou de quelqu'un qui reçoit pour lui ? Il n'en est rien, elle est délivrée, ainsi que les trois suivantes, pour une dame française nommée Delaitre, qui habite les environs de Namur et qui continue à percevoir son fermage sous le titre de dîme. Or, c'est là une chose qui ne concerne en aucune façon le clergé. Voici comment la pièce est signée :
Degrez pour M. Delaitre.
Voici maintenant la copie des trois autres quittances et la suite du pamphlet :
« J'ai reçu de Mme la veuve *** cent nonante-huit florins trois sous huit deniers pour la dîme de 1838.
« Namur, le 16 mars 1838.
« Signé DEGREZ. »
« Reçu de Mme la veuve ***, demeurant à Emines, cent nonante-trois florins trois sous huit deniers, pour la dîme de 1839, mise sur la ferme qu'elle occupe. .
« Namur, ce 4 janvier 1839.
« Signé GHISLAIN, notaire. »
« Reçu de Mme la Veuve*, à Emines, cent nonante-huit florins trois sous huit deniers, pour la dîme de 1840, mise sur la ferme qu'elle occupe à Edines.
« Namur, le 9 février 1840.
« Signé GHISLAIN, notaire. »
« Dans la prévision que la dîme sera rétablie en Belgique, M. le duc de Wellington, qui possède dans ce royaume quelques mille bonniers de terre, a fait insérer dans tous les baux qu'il vient de renouveler, que si l'on y rétablissait la dîme, ce sera le locataire qui devra la payer sans aucune diminution sur le prix du loyer. Déjà M. le comte de Mérode et d'autres seigneurs suivent l'exemple de M. le duc. »
Je regrette bien vivement que M. le comte de Mérode ne soit pas ici. Il aurait protesté avec toute l’énergie de son âme contre une pareille allégation, comme l’a déjà fait son frère, l'honorable comte Henri de Mérode.
Le libelle continue ainsi :
« Le clergé, pour faire accorder en sa faveur, par la législature, les 21 millions de fr., et de droit divin la dîme, n'attend que la nomination à la représentation nationale des candidats de son parti.
« Electeurs, si vous voulez déjouer le clergé, ne pas lui payer les 21 millions de fr. et ne pas lui laisser enlever de nos champs la dixième partie de vos récoltes, nommons tous au premier scrutin, à la représentation nationale, pour l'arrondissement de Bruxelles :
« MM. Lebeau, député sortant ;
« Verhaegen (aîné), député sortant ;
« H. de Brouckere, député sortant ;
« Coghen, député sortant ;
« Orts père, conseiller communal ;
« P. Devaux, député sortant ;
« De Puydt, colonel, député sortant.
« Des électeurs objecteront peut-être que leur curé ou vicaire leur remettent le billet portant les noms des personnes pour lesquelles ils doivent donner leur vote et qu’ils n'oseraient point refuser d'accepter ce billet, dans la crainte de déplaire au pasteur qui, dans cette circonstance, est le loup qui veut se repaître du sang de l'agneau.
« Eh bien pour ne pas déplaire à M. le curé faites chacun chez vous votre billet ; écrivez-y les noms ci-dessus indiques et mettez-le dans l'urne électorale, sans en faire part à votre curé. Le billet que celui-ci ou son vicaire vous remettra, acceptez-le, mais ne le mettez pas dans la boîte ; de cette manière vous le contenterez et vous ne paierez pas les 21 millions ni la dîme.
« Nous ne sommes plus dans le XVIe siècle où toutes les fortunes appartenaient au clergé, mais dans le XIXe où les prêtres doivent vivre de leur état honorable, lorsqu'il reste dans les limites que le fils de Dieu lui a tracées, c'est-à-dire, ne pas se mêler dé politique.
« Nous espérons que tous les bons citoyens concourront avec nous au bien-être du pays et au triomphe de la constitution. »
Voilà, messieurs, l'écrit qui a été répandu avec profusion dans le district de Bruxelles pour assurer la réélection de l'honorable préopinant. Vous avez pu voir qu'il ne renferme pas un mot de vrai. Chacun qualifiera cet écrit comme il l'entendra, mais je déclare, quant à moi, qu'une pareille manœuvre est l'acte le plus déloyal qu'il soit possible d’imaginer. Lorsqu’on vient ainsi répandre dans le pays des calomnies auxquelles on ne croit pas soi-même, lorsqu'on vient dire que la représentation nationale est prête à voter une nouvelle charge de 21,000,000 de fr., lorsqu’on parvient par de semblables moyens à être élu, je dis que la législature devrait annuler l'élection. Tolérer de pareilles turpitudes, c'est donner gain de cause à l'immoralité électorale, à la prostitution électorale ; c'est amener le triomphe de la mauvaise foi.
M. Verhaegen. - On ne me fera pas cette fois le reproche d'avoir ouvert la discussion. On a voulu qu'elle se renouvelât malgré toute la répugnance que j'avais à prendre la parole, j'ai dû dire quelques mots parce que je ne pouvais pas laisser sans réponse des allégations calomnieuses, des allégations ridicules, des allégations dégoûtantes.
Mon silence aurait été interprété contre l’opinion libérale attaquée en masse, je devais à mes amis et à moi-même de donner quelques mots de réponse. Je l’ai fait avec toute la modération possible, l’honorable M. Dumortier, quoi qu’il fasse, ne réussira pas cette fois à m’attirer sur le terrain sur lequel il s’est placé. J’ai dit tout ce que j’avais à dire, j’ai signalé des faits, j’ai lu des pièces, j’ai rapproché des preuves et le pays jugera.
Quant au fait dont vient de parler l’honorable M. Dumortier, celui qui se rattache au pamphlet qu’il a pensé pouvoir vous lire, je le déclare calomnieux, je lui donne le démenti le plus formel, pour autant qu’il veuille en faire retomber la responsabilité sur mes amis et sur moi.
Et puisque l’occasion s’en présente, je dirai que si j’ai assumé la responsabilité de ce qui s’était passé à Bruxelles, c’était comme antithèse à ce qui s’était passé dans la presse sérieuse à Namur. J’ai assumé la responsabilité de la presse sérieuse à Bruxelles, entre autres, des articles qui avaient été insérés dans l’Observateur, au sujet des attaques dont nous avions été l’objet ; mais je n’ai jamais assumé la responsabilité de pamphlets et de faits dont j’ignorais même l’existence. On m’accordera assez de bon sens pour ne pas croire à une accusation dont le ridicule saute aux yeux. Ce que l’on ose m’imputer est le résultat de la plus insigne mauvais foi.
M. Dumortier. – Je demande la parole.
M. le président. – Je demande que la chambre veuille bien rentrer dans la discussion du budget de l’intérieur. Cet incident y est étranger.
M. Dumortier. – Je demande la parole pour un fait personnel, on ne peut pas me la refuser pour un fait personnel.
Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a donné le démenti le plus formel (je me sers de ses expressions) au fait que j’ai signalé. Eh bien, je dois protester contre ce démenti. L’honorable préopinant ne peut pas venir donner un démenti à un fait qui est avéré. Il est, en effet, constant que l’écrit dont j’ai donné lecture a été répandu avec profusion dans la capitale. Je n’ai pas dit que l’honorable membre fût l’auteur de cet écrit, mais j’ai dit qu’il avait assumé sur lui tout ce qui s’était fait à Bruxelles lors des élections. En présence d’une pareille déclaration, vous vous êtes rendu, monsieur, responsable du fait que j’ai révélé à la chambre ; vous ne pouviez pas ignorer l’existence de ce pamphlet puisqu’il avait été distribué à pleines mains dans la capitale.
Messieurs, il est une réflexion à faire ici, c’est que quand de pareils moyens, de pareilles saletés, sont désavoués par ceux-là même qui ont en profité, c’est un beau triomphe pour nous et pour la cause morale dont nous sommes les défenseurs.
M. Rogier – Messieurs, il me semble que, quoi qu’en ait pu dire M. le président, cet incident est tout à fait dans la discussion. Nous discutons le budget de l’intérieur, l’on reproche au ministère la part qu’il a prise dans les élections. Un honorable orateur vient de donner lecture d’un certain pamphlet qui a servi, dit-il, au succès des élections. Jusqu’ici donc, on reste dans la discussion. Déjà, dans une autre séance, un honorable député appartenant à la même opinion que l’honorable M. Dumortier, a lu un autre pamphlet où l’on attaquait violemment son parti. Eh bien, je dirai que des calomnies tout aussi ridicules, tout aussi atroces, ont été prodiguées dans des journaux, et des brochures contre les candidats de l’opinion que je représente ; il y avait seulement cette différence : c’est que les écrits semblables à celui qu’on vient de lire, étaient anonymes ; tandis que si quelques-uns des écrits calomnieux, dirigés contre les candidats de l’opinion libérale étaient anonymes, d’autres étaient revêtus du brevet officiel ; c’était dans les journaux qui soutiennent le cabinet que ces calomnies nous étaient chaque jour prodiguées, au su et au vu du ministère.
M. Jadot (pour une motion d'ordre). - Messieurs, le rapport de la section centrale fait mention d’un acte passé entre le ministre de l’intérieur actuel et M. de Mévius, relativement à la cession de l’établissement de Meslin-Lévêque. On dit que cette pièce sera déposée sur le bureau. Je pense qu’il faudrait l’insérer également au Moniteur.
M. Dedecker, rapporteur. - La section centrale a été d’avis de ne pas livrer ce document à l’impression.
M. Jadot. - Je propose à la chambre de décider le contraire.
De toutes parts. - A demain ! à demain !
M. le président. - Demain il sera statué sur la motion d’ordre.
- La séance est levée à 4 heures et demie.