(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi un quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; il est approuvé.
M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les fabricants de toiles à carreaux de Bruges demandent, dans l'intérêt de leur industrie, qui vient d’être frappée d'un droit presque prohibitif en Espagne, qu'on diminue ou abolisse les droits sur les fils d'Allemagne, et qu'on frappe des droits sur les lins bruts à la sortie. »
M. Delehaye - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l'analyse émane de plusieurs négociants de Bruges. Ils se .plaignent de l’arrêté qui a été pris dans le courant de l'été relativement à l'importation des fils d'Allemagne. Ils prétendent d'abord (et à et égard ils ont parfaitement raison) que cet arrêté a été pris contrairement à la loi, en contravention de l'art. 112 de la constitution, qui ne permet pas qu'aucun impôt, de quelque nature qu’il soit, soit levé si ce n'est en vertu d'une loi.
Je conviens que l'intérêt de l'industrie pouvait peut-être solliciter un pareil arrêté. Cependant si l'on fait attention aux considérants de cet arrêté, l'on voit bientôt que le gouvernement s'est étrangement mépris….
M. le président. - Vous entrez dans le fond de la question.
M. Delehaye. - Je n'ai que quelques mots à dire.
Cet arrêté a été pris dans l'intérêt des fileuses des Flandres. Or, jamais la moindre quantité de fil filé à la main n'a été importé en Belgique. C'est donc sans aucun avantage pour l'industrie que la loi a été violée.
Je me permettrai de faire observer à M. le ministre des finances, qui, je l'espère, communiquera mes observations à son collègue de l'intérieur, dont je regrette l'absence ; je me permettrai, dis-je, de faire remarquer à M. le ministre des finances que le travail de la commission d'enquête pour l'industrie linière, qui nous a été communiqué et qui contient les conclusions de chacun des membres de cette commission, ne fait pas connaître la résolution qui a été prise par le gouvernement. Cependant, l'enquête dont il s'agit a été faite par le gouvernement, et c'était par conséquent à lui que le rapport devait être présenté ; je remercie le gouvernement de nous l'avoir communiqué, mais il est indispensable de prendre immédiatement des mesures, et j'aurais voulu qu'on nous eût fait connaître quel est le projet de loi qu'il compte nous présenter par suite de cette enquête. Je fais observer en même temps qu'il y a la plus grande urgence ; la misère se présente partout.
Je demande que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, et je prie le gouvernement de vouloir sans retard soumettre à la chambre le projet de loi concernant l'industrie linière.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je communiquerai à mon collègue du département de l'intérieur les observations que l'honorable membre vient de présenter, relativement à la question de l'industrie linière. En ce qui concerne l'arrêté sur les fils, il a été pris par mon prédécesseur et par le ministre de l'intérieur. Vous aurez prochainement à vous occuper du projet de loi qui doit sanctionner cet arrêté, et alors la question de constitutionnalité, soulevée par l’honorable préopinant, pourra être traitée.
M. Peeters. - Je demande que la pétition soit insérée au Moniteur et renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur la matière.
- Cette proposition est adoptée, ainsi que celle de M. Delehaye. En conséquence la pétition est renvoyée à M. le ministre de l'intérieur et à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à l’industrie linière. Elle sera en outre insérée au Moniteur.
« Quatre ecclésiastiques démissionnaires habitant la province du Limbourg, ne jouissant que d’une gratification insuffisante à leur entretien, demandent que leur position soit régularisée au moyen d'une loi sur les pensions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame veuve Cremers, à Venlo, expose que son fils s’est distingué dans la révolution, qu'il a fait des sacrifices de solde à des volontaires, qu'il a été nomme sous-lieutenant, grade duquel il a donné sa démission, et demande qu'il lui soit accordé une indemnité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par dépêche en date du 9 avril dernier, M. le ministre de la guerre adresse à la chambre une note contenant l’exposé des motifs pour lesquels la réclamation de l’administration communale de Villers-sur-Semois n’a pas semblé pouvoir être comprise dans la demande de crédits destinés à la liquidation des créances arriérées.
- Pris pour notification.
M. Zoude présente le rapport de la section centrale sur le budget des finances.
- La chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le met à l'ordre du jour à la suite des budgets de la justice et de la dette publique.
M. d’Hoffschmidt, au nom de la commission de comptabilité, dépose son rapport sur le budget de la chambre.
- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.
M. Scheyven présente le rapport de la section centrale sur un projet de loi tendant à accorder un crédit supplémentaire au département de la justice.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à l'ordre du jour à la suite des projets qui s'y trouvent.
M. Mercier - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une rectification sur un point que j'ai traité dans mon discours d'avant-hier. Les chiffres que j'ai présentés sont extraits des tableaux qui nous ont été communiqués par M. le ministre des finances, dans son exposé de la situation du trésor au 10 septembre dernier. Dans l'un de ces tableaux il y a une transposition de chiffres en ce qui concerne le produit des eaux-de-vie indigènes.
Lorsqu'on voit le produit des eaux-de-vie indigènes porté à 220,000 fr., il est facile de s'apercevoir à l'instant même qu'il y a là une transposition de chiffres ; mais sans examiner plus amplement la chose, j'ai pris le chiffre qui précède immédiatement comme étant le produit de cette accise pour l'exercice 1840 ; ayant revu depuis lors le travail que j'avais fait, je me suis aperçu que j'aurais dû prendre le chiffre qui se trouve au-dessous de celui de 220,000 fr. Naturellement cela change le raisonnement sur lequel je me suis appuyé pour prouver qu'il devait y avoir une diminution sur le montant de l'accise dont il s'agit.
Lorsqu'il s'agira de l'article des eaux-de-vie indigènes j'aurai quelques nouvelles explications à donner sur ce que je pense devoir être réellement produit par cette accise.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, on vous a signalé une erreur qui s'est introduite dans l'exposé de la situation du trésor au 1er septembre 1841, A mon tour je crois devoir signaler une erreur qui pourrait peut-être en amener d'autres de la part de plusieurs membres.
A la page 26 et à la page 27 de cet exposé, il y a deux colonnes où l'on voit les différences entre les évaluations et les revenus probables, une colonne pour les différences en plus et une colonne pour les différences en moins ; mais ce qui devait être porté dans la colonne des différences en plus a été porté dans celle des différences en moins, et ce qui devait être porté dans la colonne des différences en moins a été porté dans celle des différences en plus. Il nous sera facile, messieurs, de rectifier cette double erreur, il n'y a qu'à transposer les chiffres.
M. Doignon. - Messieurs, M. le ministre des finances nous a proposé, cette année, d'établir l'équilibre entre les recettes et les dépenses, en appliquant à l'exercice 1842 l'accroissement plus que probable du produit des impôts existants.
Dans l'état actuel des choses, je crois devoir appuyer ce système plutôt que de consentir encore aujourd'hui à de nouveaux centimes additionnels et à de nouvelles impositions à charge des contribuables.
Je l'ai déjà dit plusieurs fois dans cette enceinte, à mes yeux le premier et le plus sûr moyen de mettre les dépenses au niveau des recettes, c'était de modérer les dépenses elles-mêmes, c'était d'opérer des économies, et sur ce point, quand je considère le passé, je ne puis m'empêcher de reprocher au gouvernement et aux chambres d'avoir depuis dix ans repoussé constamment toutes les propositions d'économies qui ont été faites, notamment par les sections centrales, sections toujours modérées, toujours animées d'un esprit de conciliation.
Mais aujourd'hui, messieurs, aujourd'hui que décidément les dépenses restent les mêmes et qu'on ne paraît pas vouloir entrer dans la voie des économies ; et que c'est là un fait auquel nous devons nous soumettre ; et alors que, d'un autre côté, l'on recule enfin devant de nouveaux centimes additionnels, de nouveaux emprunts, et d'autres impôts. Dans cette situation, je conçois parfaitement le système de M. le ministre des finances ; et le seul moyen qui paraît peut-être le seul praticable et le plus prudent, c'est en effet d'affecter aux dépenses, comme le propose M. le ministre, l'accroissement moralement certain de nos recettes, et de s'arrêter là.
Ceux qui critiqueront ce mode de procéder seront peut-être ceux-là même qui ont amené l'état de choses dans lequel nous nous trouvons.
L'accroissement de nos recettes est moralement certain, puisqu'il est fondé sur toutes les présomptions, qu'il est d'accord avec les antécédents de tous les exercices antérieurs.
Il est vrai que jusqu'à présent cet accroissement de produits constituait, chaque année, une ressource sur laquelle le gouvernement venait nous demander des crédits supplémentaires ; mais en opérant comme il le fait cette année, il doit savoir qu'il n'y aura presque plus rien de disponible, et que par conséquent il n'y aura pour ainsi dire plus de crédits supplémentaires à demander.
Or, comme d'une autre part, on veut éviter de nouvelles charges pour les contribuables, cette situation obligera peut-être M. le ministre à être plus économe, à diminuer certaines dépenses, et a faire en sorte de pourvoir à tout sans laisser de déficit sur l'exercice courant.
Comme M. le ministre le dit lui-même dans son exposé de motifs, il sera tenu de ménager les crédits supplémentaires, il sera tenu de se renfermer strictement dans les limites des allocations ; cette position nouvelle que le ministère se fait aujourd'hui lui-même, et qu'il accepte, sera pour lui bien moins favorable et bien moins commode que celle où se sont trouvés les divers ministères qui se sont succédé jusqu'à ce jour ; le ministère, dans cette position, sera bien plus gêné que tous les ministères antérieurs, qui avaient constamment les mains pleines de voies et moyens, et auxquels malheureusement l'on accordait trop facilement tout ce qu'ils demandaient.
Je suppose enfin, messieurs, que les ressources sur lesquelles compte M. le ministre viennent à faire défaut, au moins pour une partie ; eh bien, dans ce cas il serait toujours temps d'y subvenir par des moyens extraordinaires ; et en attendant, le service sera alimenté par les bons du trésor. Ainsi, dans toutes les suppositions, il n'y a pas lieu et il n'existe aucune nécessité de créer de nouveaux centimes additionnels ou d'autres voies et moyens extraordinaires.
Il est un seul cas où ce système pourrait présenter quelque inconvénient, et il' a même été prévu par le discours du Trône. C'est celui où des circonstances critiques viendraient détruire les espérances, comme le dit M. le ministre, que les antécédents de la situation actuelle justifient. Mais, messieurs, des incidents de cette nature ne sont pas à supposer. Toutes les probabilités , toutes les vraisemblances s'élèvent contre de telles éventualités.
Nous avons peut-être à regretter que le gouvernement n'ait pas, dès le principe et depuis longtemps, embrassé un pareil système. Si depuis dix ans on s'était fermement arrêté à ce système de niveler toujours les dépenses sur la hauteur des recettes et de leur accroissement, naturellement il serait arrivé que les dépenses ne se seraient élevées qu'au fur et à mesure que les produits se seraient accrus, et jamais au-delà ; et on ne serait pas surchargé aujourd'hui d'une quantité de centimes additionnels.
Mais on a procédé différemment. On a administré en manière telle, que même les accroissements de nos produits ont toujours été insuffisants pour faire face aux dépenses, et il a fallu, tous les ans, recourir à dès surcroîts de charges de toute espèce.
J'aborderai maintenant un autre objet.
Messieurs, chaque fois que nous avons à examiner les voies et moyens, nous devons regretter d'avoir vu pour ainsi dire tarir deux sources des plus importantes de nos revenus publics ; je veux parler de l'impôt sur le sucre et de celui sur eaux-de-vie indigènes, matières éminemment imposables, susceptibles d'être imposées avant beaucoup d'autres.
Il faut en convenir, messieurs, il est affligeant de voir que depuis dix ans, depuis 1830, aucun ministère ne soit parvenu à asseoir un bon système qui pût faire produire à ces deux objets tout ce qu'ils devaient produire ; il est résulté de là qu'on a dû adopter outre mesure des centimes additionnels.
J'espère que M. le ministre des finances fera cesser cet état de choses. Pour le sucre, il nous a annoncé formellement une proposition qui remplirait nos intentions ; mais à l'égard de l'eau-de-vie indigène, son silence pourrait nous faire croire qu'il entend s'arrêter définitivement au taux fixé par la dernière loi. S'il en était ainsi, je ne serais pas de son avis.
Si j'en crois des renseignements obtenus de personnes tout à fait désintéressées dans la question et possédant des connaissances pratiques, cet impôt peut sans inconvénient être encore augmenté d'un quart, d'un tiers et même de moitié. Mais, messieurs, c'est à une condition. Il faut que M. le ministre sache s'élever au-dessus de toutes considérations particulières. Il faut que dans l'intérêt général il sache résister aux plaintes et aux réclamations de l'intérêt privé.
On l'a démontré à satiété dans cette enceinte : la morale publique aussi bien que le trésor réclament cette augmentation de droits. Et d'ailleurs, elle servirait peut-être à diminuer les centimes additionnels, soit sur le personnel, soit sur les patentes ou sur le foncier.
Avec les précautions, messieurs, qu'on a prises par la dernière loi, la fraude ne peut plus avoir lieu aujourd'hui qu'au moyen des distilleries clandestines. Or, l'année dernière, le ministre des finances d'alors, M. Mercier, vous disait que ces distilleries clandestines sont totalement impossibles. Les pénalités sont tellement fortes et le distillateur est si bien averti que toute transaction sera refusée, qu'on ne peut raisonnablement supposer qu'il n'exposera à ces pénalités. La clandestinité des distilleries est d'une difficulté extraordinaire ; les distilleries laissent toujours des résidus considérables qu'on ne peut soustraire longtemps aux regards d'une surveillance ordinaire.
L'impôt sur l'eau-de-vie indigène est, messieurs, dans tous les Etats le plus productif. Une bonne administration financière ne peut négliger cette branche, sans commettre la faute la plus grave. Je la recommande donc de nouveau à l'attention de M. le ministre.
En matière d'impôts, messieurs, la fixité est un principe auquel on doit attacher le plus grand prix. Cependant ce principe n'eût pas moins été respecté, si depuis longtemps on avait introduit certaines améliorations réclamées par l'expérience. Je veux parler de l'impôt personnel.
Il est constant qu'avant la révolution cet impôt a donné lieu à une foule de plaintes ; et nous subissons, pour ainsi dire encore aujourd’hui le même régime. L'impôt personnel est une charge à laquelle chaque citoyen doit contribuer, autant que possible, proportionnellement à sa fortune. Eh Dieu ! cette règle d'égalité est bien souvent lésée par le régime actuel.
Une commission de révision a été nommée par le gouvernement, il y a déjà nombre d'années, Je demanderai à M. le ministre des finances s'il pourrait nous faire connaître le résultat de son travail.
Je me bornerai à signaler un seul article, la patente des bateliers, patente que la loi hollandaise, qui nous régit encore, a établie à un taux exorbitant. En Hollande, où il y a une infinité de canaux, où le cabotage est considérable, la profession de batelier est extrêmement lucrative. Mais il n'en est pas de même en Belgique. Je sais que l'on a admis une mesure qui apporte une réduction sur ces patentes dans certains cas ; mais cette mesure, dans la pratique, se réduit à peu de choses ; de manière que l'injustice subsiste toujours.
La section centrale, messieurs, a appelé les méditations du ministère et des chambres sur une question importante ; c'est celle de savoir s'il ne conviendrait pas de voler une fois deux budgets de dépenses sur une même année ; et ainsi, par exemple, pour l'avenir de voter en novembre ou en décembre 1842 les dépenses de 1844.
La majorité de la section centrale me permettra de n'être pas de son avis sur cette question. Pourquoi celle mesure a-t-elle été adoptée en France ? C'est parce que dans ce royaume les chambres sont toujours convoquées dans les derniers jours de décembre et qu'il y a impossibilité physique de voter et même d'émettre un seul vote avant l'expiration de l'année, et on peut même dire que la session, dans ce pays, commence réellement l'année suivante.
Or, cet état de choses n'existe pas en Belgique. Cette impossibilité physique n'existe pas. Et si parfois les chambres n'ont pas le temps d'examiner les budgets avant la fin de l'année, je dis que c'est la faute du gouvernement qui a toujours la faculté de convoquer les chambres quinze jours ou trois semaines plus tôt que l’époque fixée par la constitution. S'il y avait mauvais vouloir de sa part, ce serait alors aux chambres de manifester, de témoigner leur désir, leur volonté expresse, et je suis persuadé que le gouvernement déférerait enfin a une demande aussi raisonnable.
Le gouvernement doit savoir qu'il ne peut rien ici sans nous. Un ministère ne peut nous empêcher de voter un budget dans un temps convenable, et s’il usait de son droit à cet égard, ce serait aux chambres à user du leur et à en avoir la force.
Comment ! messieurs, nous sommes assez puissants pour forcer le gouvernement à changer un ministère qui ne convient pas au pays, et nous n’aurions pas assez d'influence, assez d'ascendant pour obtenir un changement dans l'époque de la réunion des chambres ? Il est évident que dans ce cas la bonne volonté suffirait.
Lisons, messieurs, l'art. 15 de la constitution :
« Chaque année la chambre arrête la loi des comptes et vote les budgets. Toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent être portées aux budgets et dans les comptes. »
Chaque année la chambre vote les budgets... Ainsi, messieurs, c'est un seul budget qui peut et doit être voté, et il n'est pas possible d'en voter deux sur la même année.
Toutes les dépenses doivent être portées au budget. Ainsi aucune omission ne peut être faite ; le tout doit être prévu, et il ne peut être permis de mettre à l'écart certaines dépenses qui, sous prétexte qu'elles ne pourraient être d'abord appréciées, seraient ensuite l'objet de crédits supplémentaires : toutes indistinctement doivent être appréciées et comprises au budget.
En votant ainsi les dépenses pour l'exercice prochain et pour un second exercice, on agirait contre les règles d'une bonne administration, contre les usages, contre ce qui se pratique généralement partout. Et tel ne peut être l'esprit de la constitution.
Qu'est-ce qu'un budget ? C'est un acte de prévision qui a principalement pour but de régler et de fixer les dépenses qui, de leur nature, sont variables ou extraordinaires d'une année à l'autre. Or, plus on est éloigné de l'époque où doit se faire une chose qui dépend de beaucoup de circonstances, plus il est difficile d'en faire une juste prévision, d'en apercevoir tous les détails.
Une foule d'objets, qui peuvent être appréciés à une distance de plusieurs mois, ne peuvent l'être convenablement, si on veut le faire à une distance plus éloignée, 12, 18 mois, et même deux ans d'avance. Ainsi, avec un pareil système, vous ne pourriez faire un bon budget contenant tous les détails nécessaires pour le voter en connaissance de cause.
Par exemple, quant au fonds d'encouragement pour l'industrie et !e commerce, déjà aujourd'hui c'est à peine si on peut se faire une idée complète de l'application du crédit de 1842. Mais que serait-ce si vous aviez à régler cet objet aujourd'hui ou dans six semaines pour les besoins et les encouragements de 1843 ?
Eh bien, un bon nombre d'articles sont dans cette catégorie, et c'est principalement pour eux qu'on fait les budgets.
A moins qu'on ne veuille se borner à voter des chiffres pour ainsi dire aveuglément, sans connaître au moins approximativement leur portée, et laisser tout au libre arbitre des ministres, comme on le fait peut-être en France, comme on voudrait peut-être le faire ici, il est impossible d'admettre un pareil système.
Prévoir et régler, à l'expiration d'une année, ce qui est à faire dans les douze mois suivants, voilà tout ce que l'ordre naturel des choses et la raison peuvent demander. Mais prétendre que la prévoyance doit aller au-delà, qu'elle doive s'étendre, au-delà d'une année, je dis que cela n'est pas rationnel : c'est vouloir souvent qu'on ne puisse faire un budget d'une manière sérieuse, c'est vouloir ce que-la constitution n'a pas voulu.
En outre, dans un avenir aussi éloigné, comment pourrait-on juger si les causes de tel ou tel besoin viendront ou ne viendront pas à cesser. Dans le doute on serait obligé de maintenir des crédits qu'on pourrait faire disparaître dans le système que je défends. Les mêmes incertitudes, les mêmes embarras subsisteraient lorsqu'on voudrait faire des économies. On apprécie infiniment mieux les économies qui doivent être faites lorsqu'on n'est pas loin du moment de leur réalisation. On en juge bien mieux les inconvénients et les avantages. On procède graduellement aux économies avec d'autant plus de facilité qu'on marche avec certitude.
Mais il est encore une autre considération d'un ordre élevé.
Un budget, messieurs, est un acte de confiance envers un ministère de la part des chambres. Eh bien, il est dans la nature des choses qu'un tel acte soit, autant que possible, limité quant à la durée. Qu'arriverait-il, messieurs, si un ministère venait au pouvoir au commencement d'une session ? Il trouverait déjà ses dépenses votées. Les dépenses lui seraient accordées avant qu'il n'eût rien fait pour mériter la confiance des chambres.
M. Demonceau, rapporteur. - Il reste les recettes.
M. Doignon. - On dit qu'il reste les voies et moyens ; mais la discussion d'un budget étant une occasion d'attaquer un ministère, de le renverser même, les chambres doivent être jalouses de conserver toutes les occasions de cette nature. Il ne suffit donc pas qu’on ait vers soi le budget des voies et moyens, la chambre doit aussi se réserver le vote des dépenses. La chambre doit être jalouse de conserver toutes ses prérogatives ; elle ne doit se dépouiller d'aucune de ses armes. .
M. Cools - Messieurs, la section centrale a pris surtout à tâche d'examiner si les évaluations portées par M. le ministre dans le budget des voies et moyens seront couvertes par les recettes probables de l'année 1842. Je ne suivrai pas la section centrale sur ce terrain ; probablement d'autres membres examineront cette question. Hier déjà l'honorable prédécesseur de M. le ministre des finances actuel nous a soumis à cet égard quelques observations.
Je crois que M. le ministre lui répondra, et je déclare que j'écouterai cette discussion avec beaucoup d'intérêt. Quant à moi, messieurs, je veux examiner la question sous un autre point de vue. Je tâcherai de prouver que lors même que les recettes s'élèveraient au niveau des prévisions de M. le ministre des finances, alors encore il y aurait dans notre situation financière un déficit considérable.
Vous comprenez, messieurs, qu'en prenant ce point de départ, je fais à M. le ministre des finances des concessions bien larges, car il y aurait beaucoup de choses à dire sur différentes prévisions. Je rappellerai seulement un ou deux points qui ont été soulevés dans la séance d'hier.
Ainsi, d'après moi, l'honorable M. Mercier a eu raison de s'étonner que, d'après les prévisions de M. le ministre des finances, la bière rapporterait l’année prochaine 400,000 francs de plus que ce qu'elle a produit l’année dernière, tandis que depuis plusieurs années cette recette va en diminuant.
Une observation fort juste, selon moi (toujours en faisant mes réserves à l'égard de ce que la discussion pourra m'apprendre), une observation fort juste, selon moi, c'est celle qui a été faite relativement à l'enregistrement. L’année dernière, il a été fait des changements à la loi, qui ont eu pour résultat d'élever les recettes de l'enregistrement de plus d'un million au-delà des recettes précédentes ; je tiens compte de cette augmentation, mais ce qui m'étonne, c'est de voir que M. le ministre des finances prévoit pour l'année prochaine une recette au moins aussi élevée que celle de l'année dernière, alors qu'il est de notoriété publique que l'année dernière a été une année tout-à-fait exceptionnelle, qu'elle a présenté plusieurs successions colossales qui se représenteront pas l'année prochaine. Les recettes ont nécessairement dû se ressentir considérablement de ces circonstances tout à fait extraordinaires.
Mais je ne m'arrêterai pas à ces questions et, comme je l'ai dit tout à l'heure, je tâcherai seulement de prouver qu'alors même que les recettes réelles s'élèveraient au niveau des prévisions, alors encore il y aurait un déficit considérable.
La première observation que j'aurai à présenter pour appuyer cette assertion, c'est qu'il est tout à fait contraire à un bon système financier d'élever les dépenses au niveau des recettes ordinaires et extraordinaires. Les recettes extraordinaires doivent être réservées pour couvrir des dépenses tout à fait exceptionnelles. Jamais, selon moi, on ne peut élever les dépenses au niveau des recettes ordinaires et extraordinaires.
C'est cependant ce que fait M. le ministre des finances, car vous remarquerez que le budget des voies et moyens s'élève à 105 millions, recettes ordinaires et extraordinaires comprises, et que les différents budgets des dépenses s'élèvent également à 105 millions, dépenses ordinaires et extraordinaires comprises.
Je crois, messieurs, que les discussions qui se sont souvent produites dans cette enceinte, depuis deux ans, ont assez prouvé que ce système n'est pas admissible, que les recettes extraordinaires forment une catégorie à part, qui doit être réservée pour une catégorie spéciale de dépenses. Pour le prouver, je n'ai qu'à consulter le Moniteur.
Le premier orateur, si ma mémoire est fidèle, qui a soulevé cette question, il y a deux ans, c'est l'honorable M. de Brouckere. Voici ce qu'il disait dans la séance du 4 décembre 1839 :
« Mais voici ce qui est plus important : c'est qu'aux deux chapitres « capitaux et revenus » et « remboursements », on porte différents articles, qui ne sont nullement des ressources ordinaires. Ainsi je lis au chapitre 3 : »
Ici l'honorable M. de Brouckere faisait l'énumération de toutes les recettes extraordinaires qui étaient comprises au budget des voies et moyens, et qui s'élevaient à six millions de francs.
La réponse de M. le ministre des finances d'alors, qui fait encore aujourd'hui partie du ministère, était celle-ci :
« Quant aux recettes momentanées qui sont portées au budget de cette année, il en est à la vérité pour deux millions… »
Je dois faire remarquer qu'il avait parlé précédemment de recettes extraordinaires provenant de remboursements de capitaux, recettes qu'il disait devoir encore se reproduire pendant plusieurs années.
« … Il en est, à la vérité, pour deux millions environ qui ne se reproduiront pas dans le budget de 1841, mais vous voyez qu'ils sont couverts par les dépenses extraordinaires. »
Voilà donc un point suffisamment constant, c'est que les recettes extraordinaires doivent être réservées au moins pour couvrir des dépenses extraordinaires.
Messieurs, cette question a été reproduite dans la session de l'année dernière ; vous vous rappellerez qu'alors une discussion, et une discussion assez aigre, s'est établie sur ce point, entre l'honorable membre qui est aujourd'hui à la tête du département des travaux publics et l'honorable M. Mercier, qui était alors ministre des finances. Voici ce que disait l'honorable M. Desmaisières :
« Le ministre des travaux publics n'a pas craint de reproduire encore aujourd'hui cette accusation, que j'aurais, selon lui, fait figurer au budget des voies et moyens de 1840 des recettes extraordinaires, comme si c'étaient des recettes permanentes.
« J'ai fait figurer ces recettes à la rubrique « remboursements ». Or il ne peut venir à l'idée de personne qu’une recette de cette nature soit une ressource permanente. »
Voici maintenant les explications données sur ce passage par l'honorable ministre des travaux publics, explications qui me semblent avoir fait impression sur l'assemblée ; qui, au moins, n'ont été relevées par aucun autre membre :
« Vous avez fait figurer au budget des remboursements de capitaux qui ne pouvaient être considérés comme des voies et moyens permanents et qui ne pouvaient se reproduire dans les budgets postérieurs. Ce fait n'est pas révélé d'aujourd’hui : il a été constaté par un grand nombre de membres ; je ne vous l'impute pas à crime ; car il a été renouvelé pour certaines sommes par nous-mêmes ; le ministre actuel porte, en effet, au budget des voies et moyens des remboursements de capitaux. C'est une marche qui n'est pas régulière, d'où nous nous efforçons de sortir, mais à laquelle nous avons encore été forcés par la situation du trésor public, qui ne permet pas d'équilibrer parfaitement les recettes et les dépenses. »
Ainsi, messieurs, le cabinet de l'année dernière reconnaissait qu'on ne peut équilibrer les dépenses au moyen de recettes ordinaires et extraordinaires.
Mais peut-être, dira-t-on, messieurs, que dans les budgets de cette année il figure aussi bien des dépenses extraordinaires que des recettes extraordinaires, et que les recettes extraordinaires doivent servir à couvrir les dépenses extraordinaires.
Eh bien, messieurs, cette observation, je l'admettrai un instant comme juste, quoiqu’elle ne le soit pas, car en bonne comptabilité les recettes extraordinaires ne peuvent pas servir à couvrir des dépenses même extraordinaires qui figurent au budget des voies et moyens, et vous verrez que presque toutes ne doivent se continuer que pendant quelques années. Voici quelques exemples des recettes extraordinaires qui se trouvent portées au budget :
« Capitaux du fonds de l'industrie ;
« Prix de ventes de domaines ;
« Recouvrement d'avances aux ateliers des prisons ;
« Avances aux corps de troupes, etc., etc. »
Toutes ces recettes auront disparu du budget dès le moment où les remboursements seront effectués.
Nous trouvons d'un autre côté des dépenses extraordinaires, mais ici ce n'est pas la même chose ; les dépenses extraordinaires sont telles, à la vérité, pour l'année où elles sont portées la première fois au budget, mais elles se reproduisent toutes, ou du moins d'autres de même nature se reproduisent toutes, les années suivantes.
Ainsi nous trouvons en première ligne, parmi ces sortes de dépenses : Les travaux hydrauliques, les sommes à dépenser pour l'établissement de tribunaux, pour la construction de prisons et autres objets de cette nature. Or, comme je le disais, ces dépenses-là ne sont extraordinaires que considérées sous le point de vue de l'année où elles doivent se faire, mais les années suivantes elles doivent toujours se renouveler, tandis que les recettes extraordinaires cesseront.
Cependant, messieurs, comme je l'ai déjà fait remarquer, je suis disposé à faire toutes les concessions, et je veux bien encore admettre que l'on peut couvrir les dépenses extraordinaires au moyen des recettes extraordinaires. Mais alors même il y aurait encore déficit.
Faites le relevé de tout ce qui figure au budget comme recette extraordinaire, et vous venez que cela s'élève à 3 millions 100 mille francs.
Relevez, d'un autre côté les dépenses extraordinaires qui figurent dans les différents budgets, et cette énumération est bien facile à faire, puisque MM. les ministres ont eu soin de porter toutes les dépenses extraordinaires dans une colonne séparée ; eh bien, messieurs, ces dépenses s'élèvent ensemble à la somme de 2 millions 500 mille francs. (Je fais abstraction des fractions pour ne pas fatiguer l'attention de la chambre.) Or, puisque le budget des dépenses s'élève à 105 millions, et que les divers budgets de dépenses s'élèvent à la même somme, il y a déjà de ce chef un déficit de 600,000 francs.
Une autre observation que j'ai à faire, et cette observation, je la crois plus essentielle encore, c'est que dans un budget normal il n'est jamais permis de baser des chiffres sur des évaluations éventuelles, sur des accroissements de revenus possibles ; je crois qu'un budget régulier doit toujours prendre pour base le chiffre des recettes effectuées pendant l'année précédente. Cette marche a toujours été suivie jusqu'ici ; l'examen des budgets de différentes années m'a prouvé que les anciens ministres ont toujours calculé les recettes probables pour l'année à laquelle le budget s'appliquerait, sur les recettes effectuées pendant l'exercice précédent. Si même nous n'avions pas les budgets des années précédentes pour nous convaincre de cette vérité, nous en aurions une démonstration plus précieuse donnée par un membre du cabinet lui même.
L'honorable M. Desmaisières, qui était en 1839 à la tête du département des finances, nous disait, dans son discours qu'il a prononcé lors de la présentation générale des budgets, ce que je vais avoir l'honneur de vous lire :
« D'un autre coté, les voies et moyens ont été évalués suivant le système suivi jusqu'ici, en prenant pour base plusieurs mois de l'année écoulée et plusieurs mois de celle courante, de manière à en former une période d'une année entière. »
Je crois que c'est bien clair, je crois qu'il est bien démontré que le système qui a été suivi jusqu'ici par tous les ministres qui se sont succédé au département des finances, est tout différent du système que veut faire prévaloir M. le ministre des finances d'aujourd’hui.
Cependant, messieurs, les anciens ministres ne prévoyaient-ils pas que les recettes seraient plus élevées que celles. qui étaient portées au budget des voies et moyens ? Je le crois, car on n'avait qu'à faire le relevé des dépenses des années précédentes, et l'on aurait trouvé que presque toujours les recettes ont dépassé les prévisions.
Mais les anciens ministres, comme tout bon ministre des finances doit faire, selon moi, les anciens ministres ont pensé qu'il fallait réserver ces recettes plus fortes pour les dépenses d'une nature toute particulière. Ainsi, il fallait prévoir des mécomptes sur l'un ou l'autre des articles des recettes ; car il est des articles dont il est presque impossible de préciser le chiffre d'une manière certaine, une année d'avance.
Au nombre de ces recettes, je placerai en première ligne les accises, les douanes, parce que ces recettes sont plus ou moins influencées par la marche du commerce, par les crises qui peuvent survenir dans l'industrie. Eh bien, les anciens ministres ont prévu ces mécomptes, et c'est à raison de ces mécomptes possibles, et même souvent probables, qu'ils ont maintenu le chiffre des voies et moyens au-dessus des évaluations qu'eux-mêmes prévoyaient ; ils ont pris pour base de. leurs calculs les recettes effectuées pendant l'exercice précédent ; ils ont encore, je le suppose, réservé les recettes plus fortes que celles qui avaient été portées dans les budgets pour tout autre objet de dépense, et notamment pour combler le déficit des années antérieures.
Je croyais que nous avions fait un pas, sous ce rapport, l'année dernière ; je croyais que la chambre était convaincue qu'il était urgent de combler le déficit des années précédentes, et que, pour y parvenir, il fallait surtout tenir en réserve, d'abord les recettes extraordinaires, et ensuite les recettes ordinaires dépassant les prévisions du budget.
J'en trouve la preuve dans la discussion qui s'est établie l'année dernière sur les différents budgets. Voici une phrase que je rencontre dans le discours prononcé par l'honorable M. Mercier, lors de la présentation du budget des voies et moyens :
« Notre situation étant ainsi clairement dessinée, il nous restera, messieurs, un devoir à remplir, celui de chercher à réduire successivement et à éteindre notre dette flottante par une sage économie dans les dépenses et par d'autres moyens dont nous espérons pouvoir user à une époque rapprochée. »
Quels étaient ces moyens ? M. le rapporteur de la section centrale du budget de la dette publique de l'année dernière, l'honorable M. Cogels, les a encore indiquées. Voici ce qu'il disait :
« Ici, messieurs, la section centrale s'est demandé comment il serait pourvu à la liquidation de cet arriéré, et M. le ministre des finances, interpellé à ce sujet, a répondu qu'il continuerait à y être pourvu, ainsi qu’à l'insuffisance des années antérieures, résultant d'autres causes, au moyen de la dette flottante, qui, ainsi qu'il l'a déjà fait remarquer dans son discours, devra s'élever, pour 1841, à un chiffre beaucoup plus considérable que celui sur lequel on avait compté lors de la discussion de l'emprunt. Que cette dette flottante pourra être réduite au moyen des excédants de recette éventuels sur les budgets des voies et moyens, par la réalisation de l'encaisse du trésor ; par une partie des redevances dues par la société générale, et enfin par la vente de quelques biens domaniaux, dont l'évaluation pourrait se faire sans inconvénient.
« Il sera bon de vous faire remarquer… que ce n'est qu'une simple régularisation de comptabilité… Le seul résultat de cette mesure, résultat fort utile à nos yeux, sera de faire affecter à leur véritable destination (l'extinction de la dette flottante) des excédants de recette et des ressources extraordinaires qui, sans cela, seraient venues se fondre peut-être dans nos budgets des voies et moyens. »
Comme aucune objection n'avait été faite contre ces observations de la section centrale, et que dans les différents discours prononcés dans cette circonstance, chaque orateur paraissait approuver ces paroles, je croyais que la chambre était bien convaincue qu'il fallait songer une bonne fois à éteindre la dette flottante et destiner à cet effet, d'abord les recettes extraordinaires, ensuite les excédants de recette sur les années précédentes.
Messieurs, je ne sais quelles observations M. le ministre nous présentera pour justifier le nouveau système dans lequel il est entré. Mais, d'après moi, le point à constater n'est pas de savoir si les voies et moyens rapporteront autant que M. le ministre l'a prévu, mais si ces voies et moyens peuvent être employés à des dépenses ordinaires et extraordinaires de la nature de celles que j'ai indiquées, et s'il ne faut pas les réserver pour l'extinction de la dette flottante, qui est déjà un fardeau si lourd pour la nation.
Si M. le ministre croit qu'on peut employer les voies et moyens ordinaires et extraordinaires à des dépenses ordinaires et extraordinaires, je suppose qu'il nous indiquera par quel autre moyen il parviendra à éteindre la dette flottante, et je crois qu'il est urgent plus que jamais de diminuer au moins le montant de cette dette, puisque le chiffre de cette année dépasse déjà de deux millions celui de l'année dernière. L'année dernière, la dette flottante s’élevait à 24,400,000 francs, et cette année-ci le chiffre est encore de 22,000,000 francs : il y aurait, en faveur de cette année-ci, une différence de 2 millions ; mais il est à remarquer que dans l'emprunt voté l'année dernière, nous avons stipulé que 5 millions seraient consacrés à l'amortissement de la dette flottante ; ajoutant les 5 millions déjà employés à l'extinction de cette dette en 1840, aux 22 millions qui forment le déficit de cette année-ci, vous trouvez un chiffre plus élevé que celui qui existait l'année dernière.
Maintenant, si on admet mon système, et je crois l'avoir suffisamment justifié ; si l'on, admet que les recettes extraordinaires ne peuvent pas entrer en ligne de compte pour établir une bonne balance entre les dépenses et les recettes de l'année ; si l'on admet que les prévisions du budget des voies et moyens doivent être basées sur les recettes effectuées pendant l’exercice précédent, on devra nécessairement reconnaître qu’il y aura, en 1842, dans notre situation financière un déficit d’environ trois millions. Je vais tâcher de le prouver.
D’abord, le budget des recettes présente un chiffre de 105,800,000 francs; mais les évaluations ayant été calculées sur des prévisions de recettes probables, qui peuvent ne pas se réaliser, et qu’il faut dans tous les cas réserver à d’autres fins, il y a de ce chef à déduire une somme de 7.510,000 fr. J’ai recherché de combien les évaluations des différents articles du budget des voies et moyens dépassent les recettes réelles des six derniers mois de l’année dernière et des six premiers mois de cette année-ci, et je trouve entre les deux résultats une différence, comme je viens de le dire, de 7,500,000 fr. Cependant je dois présenter une observation.
Dans cet excédant des recettes effectuées l’année dernière sont comprises les recettes probables, par suite des majorations d’impôt que nous avons votées au commencement de cet exercice; cette année, nous avons consenti à des majorations sur différents articles des recettes, entre autres, sur les douanes, sur les accises, sur l’enregistrement, etc.; eh bien, je ne sais pas ce que ces majorations ont rapporté cette année-ci, puisque ces majorations n’ont été appliquées que depuis la fin du 1er semestre de cette année-ci; mais si je m’en rapporte aux évaluations présentées l’année dernière par M. le ministre des finances, ces nouveaux impôts devaient produire 3,200,000 francs; déduisant cette somme des évaluations exagérées de M. le ministre des finances, nous arrivons à une différence de 4,300,000 francs.
Eh bien, messieurs, ici encore je fais une concession, je conçois qu’en arrondissant quelques chiffres, comme on l’a fait les années précédentes, il y aura lieu d’admettre quelques augmentations.
Il pourrait y avoir de ce chef une différence d’un million en plus.
Je ne constate dès lors qu’une exagération de prévisions de trois millions
Il y a ensuite à réduire les recettes extraordinaires, parce que d'après moi ces recettes extraordinaires ne peuvent pas être prises en considération pour établir la bonne situation financière du pays. Cette recette s'élève à trois millions. Nous arriverons à cette conséquence que le budget réel des recettes ordinaires est de 99 millions 900 mille francs. Il y a donc entre le budget présenté et le budget réel, tel qu'il aurait dû être établi, une différence d'au-delà de cinq millions.
Si j'examine le budget des dépenses, je trouve qu'il s'élève au même chiffre de 105 millions, mais il y a à déduire de ce chiffre, comme j'en ai fait la concession en commençant, des dépenses extraordinaires s'élevant à 2,500,000 francs Il reste dès lors pour les dépenses ordinaires, qui doivent être couvertes par les voies et moyens ordinaires, 103 millions. - Nous arrivons à ce résultat, que la situation financière du pays présente un déficit d'au delà de trois millions.
Je dois dire ici quelques mots d'une objection que me fera probablement le ministre des finances. C'est que son intention n'a pas été d'établir un budget normal, parce que nous sommes encore à une époque de transition et que c'est à un budget normal qu'il veut arriver.
Si nous ne sommes pas arrivés à une époque où il soit possible d'établir un budget normal, celui que nous établirons plus tard devra être plus élevé que celui qui nous est soumis
M. le ministre vous parlera de l'accroissement des produits ; il vous dira que quand toutes les sections du chemin de fer seront mises en exploitation et mises en rapport avec les lignes décrétées dans les pays voisins, le chemin de fer rapportera davantage. Chacun de nous le reconnaîtra. Mais cet accroissement ne devra-t-il pas servir à couvrir les accroissements de dépenses qui se produiront les années suivantes ? ne devra-t-il pas à servir les absences de revenus provenant des remboursements de capitaux et de la vente des domaines ? ne devra-t-il pas servir à combler la dette flottante, que nous ne pourrons jamais combler entièrement par les excédants de recettes ? ne doit-il pas servir à combler les dépenses extraordinaires qui se reproduiront toujours les années suivantes ?
Je crois, messieurs, que si réellement il n'est pas possible d'établir cette année un budget normal, du moins le ministre aurait-il dû établir sa situation financière sur une base plus régulière, être plus franc vis-à-vis de la chambre. C'est se faire illusion que de vouloir faire croire qu'il y ait balance entre le budget des recettes et le budget des dépenses, c'est maintenir le pays dans de fâcheuses illusions, parce qu'on augmente continuellement le déficit qui s'accroît tous les ans par l'augmentation de la dette flottante et l'accumulation des emprunts.
Quant moi, je ne ferais pas au ministre un reproche d'avoir présenté le budget comme il l'a fait, s'il l'avait accompagné d'une explication plus franche, s'il avait déclaré que, nouvellement arrivé aux affaires, il lui a été impossible d'établir une bonne assiette d'impôts pour combler le déficit. Je n'aurais fait aucune objection. Mais je dois m'élever contre la manière de présenter le budget, qui entretient le pays dans des illusions en faisant croire qu'il y a balance entre les recettes et les dépenses. Je crois avoir établi qu'il y a déficit, et déficit considérable.
Faut-il conclure de là qu'il y a lieu de rejeter le budget ? Je n'ai aucune objection à faire contre le budget, le tableau des voies et moyens ne contient que les objets que nous avons votés les années précédentes. Quant au chiffre actuel il prévoit que les produits s'élèveront, ce ne sont que des prévisions, nous n'avons aucun motif pour les rejeter ou les modifier. Mais il y a lieu d'engager le ministre des finances, comme je l'ai fait, à porter une sérieuse attention sur la situation financière du pays, à entrer dans une voie nouvelle, à ne pas laisser passer la session sans établir un équilibre plus réel dans nos finances, soit en avisant à de nouveaux impôts, soit encore, ce qui serait préférable, en révisant les impôts existants, de manière à leur faire rapporter davantage. Je pense qu'il prendra mes paroles en considération et croira qu'il y a lieu de faire quelque chose de plus que les simples paroles contenues dans son rapport.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - L'honorable préopinant m'ayant cité comme étant en opposition avec mon collègue du département des finances, sur le système que l'honorable préopinant a mis en avant, comme étant le seul bon système à suivre dans la formation du budget des voies et moyens, je crois devoir lui répondre tout de suite qu'il se trompe étrangement à cet égard. Non, je n'ai jamais été en désaccord avec mon honorable collègue des finances à ce sujet. Le système que l'honorable préopinant préconise, et qu'il a voulu soutenir à l'aide de paroles que j'aurais prononcées dans cette enceinte à une autre époque, et lorsqu'au contraire je défendais la thèse opposée, consiste à partager le budget des voies et moyens en deux parties essentiellement distinctes, à faire en quelque sorte deux budgets, l'un qui comprendrait les recettes ordinaires et permanentes pour servir à couvrir les dépenses de même nature, l'autre les recettes extraordinaires pour faire face aux dépenses extraordinaires et à la dette flottante.
Messieurs, ce système, je ne puis, quant à moi, l'admettre ; je ne l'ai jamais admis ; et vous ne pouvez l'admettre, car il n'est pas constitutionnel. La constitution veut, et M. Doignon l'a dit tout à l'heure avec raison, que chaque année on vote le budget, et que ce budget renferme toutes les recettes aussi bien ordinaires qu'extraordinaires que l'Etat a à faire dans l'année. Il en est de même du budget des dépenses. Les recettes ordinaires et extraordinaires doivent servir à couvrir les dépenses aussi bien ordinaires qu'extraordinaires.
Quand un ministre des finances fait son budget des voies et moyens pour une année et rien que pour une année (la constitution le veut ainsi), il doit examiner quel est le chiffre des dépenses totales de tous les départements et ensuite aviser aux voies et moyens qu'il doit s'efforcer de faire monter à un chiffre égal ou quelque peu supérieur à celui des dépenses. Voilà toute sa mission, quant au budget des recettes.
Je veux bien, messieurs, que l'on peut dire qu'il est d'une sage prévoyance de voir dans l'avenir. Je reconnais même que c'est là un devoir du ministre des finances, c'est à lui de porter ses regards dans l'avenir. Il serait peut-être même désirable que lorsqu'il y a des recettes extraordinaires, on pût les appliquer à l'extinction de la dette flottante tout de suite.
Mais quand faut-il agir ainsi ? C'est quand on peut le faire sans trop surcharger les contribuables et lorsqu’on ne prévoit pas un avenir meilleur qui permettra d'arriver à l'extinction de la dette flottante par portions successives, en y employant les excédants des ressources sur les dépenses, amenés en peu d'années par des économies sur les dépenses, et par des recettes qui deviennent supérieures aux prévisions par suite de la paix et de la prospérité du pays. Je conçois que, lorsqu'on ne se trouve pas dans cette position, il est désirable d'éteindre tout de suite une partie plus ou moins grande de la dette flottante. Je conçois encore que, lorsqu'on ne prévoit pas dans un avenir assez prochain des recettes extraordinaires suffisantes à défaut d'excédants de ressources, on doive se résoudre à charger les contribuables pour éteindre une partie de la dette flottante. Mais tel n'est pas le cas. Nous avons en expectative des recettes extraordinaires qui, vous ne l'ignorez pas, messieurs, vont bien au-delà du chiffre de la dette flottante, Tout le monde sait, d'ailleurs, qu'il y a amélioration de la dette flottante, puisque l'année dernière on la faisait monter à 24,500,000 fr. et que maintenant elle se trouve réduite à 22,500,000 fr.
En présence de ces chiffres, comment faudrait-il surcharger les contribuables ? Le ministre des finances ne manquerait-il pas même à ses devoirs en vers la nation s'il faisait une pareille demande ?
M. Cogels - L'honorable député de Tournay qui a ouvert cette discussion a cru devoir s'opposer aux vues de la section centrale relativement au vote de deux budgets dans la session actuelle. Je ne saurais partager son opinion, Depuis longtemps on a senti l'inconvénient qu'il y avait à se livrer à l'examen du budget comme nous sommes forces de le faire.
Déjà en 1833, un honorable député d'Anvers, dont j'occupe la place, avait fait une proposition à cet égard ; il avait proposé de changer l'année financière, d'en fixer le commencement au 1er juillet. Cela présentait des inconvénients qui ont été signalés, mais qui cependant n'ont pas été combattus comme ils auraient pu l'être, parce qu'il paraît que la question n'a pas été l'objet d'une discussion approfondie.
Il n'y a guère que deux ans que je siège dans cette chambre ; je ne me suis occupé que de l'examen de deux budgets ; j'ai cru m'apercevoir que cet examen ne peut se faire avec le soin et l'attention qu’il exige. Nous arrivons ici préoccupés encore d'intérêts particuliers que nous sommes forcés de régler avant de quitter nos foyers. Nous recevons les budgets ; nous sommes convoqués en sections pour en faire l'examen, avant d'avoir pu, pour ainsi dire en faire la lecture en particulier ; cet examen se fait avec une certaine précipitation ; nous sommes pressés par le temps ; on nomme les rapporteurs, qui sont forcés souvent de faire à la section centrale des rapports qui laissent beaucoup à désirer. Le rapport de la section centrale s’en ressent et n'apporte pas dans la discussion toutes les lumières désirables.
Pressé par le temps, on vote sans avoir suffisamment approfondi, sans avoir pu introduire un changement de système, lors même qu'on en reconnaît la nécessité. C'est ce qui arrive notamment pour le budget des voies et moyens, pour lequel d'ordinaire nous sommes le plus pressés, Supposons que la chambre sente la nécessité d'apporter un changement au système d'impôt. Comment voulez-vous le faire ? C'est un objet très important ; il est impossible que cet objet soit traité convenablement en quelques jours. Cependant, c'est pour le 1er janvier que le budget doit être voté. C'est pour cette époque que les impôts doivent être mis en recouvrement. Ce qui s'est passé l'an dernier vient à l'appui de mon observation, Alors M. Mercier, ministre des finances avait cru utile de propose quelques augmentations de droits de douanes.
Eh bien, qu'est-il arrivé ? Que ces propositions ont dû être ajournées à une époque très éloignée, et qu'il a fallu voter un budget des voies et moyens provisoires. Quelles en ont été les conséquences ? Elles ont été fatales au trésor et au commerce : au trésor en ce qu'on s'est empressé d'aller s'approvisionner de tous les objets menacés d’une augmentation ; au commerce en ce qu’au lieu de s’approvisionner dans les pays de provenance, il s'est approvisionné dans les entrepôts les plus voisins, dans les entrepôts d'Europe, chose préjudiciable au véritable commerce dont nous désirons tous le développement.
Je pense donc avec la section centrale qu'il est à désirer qu'avant la fin de la session actuelle nous puissions voter le budget de 1843. Alors, nous rentrerons dans une situation véritablement normale ; nous pourrons délibérer sur les budgets avec une attention et un soin en rapport avec leur importance.
J'en viens à quelques observations de l'honorable M. Cools. Il vous a dit que les charges extraordinaires, d'après le budget, n'étaient que de 2,500,000 fr. Mais je crois qu'il s'est trompé, parce qu'il n'a pris que le chiffre porté dans la colonne des charges temporaires. Mais il y a, dans le budget de la dette publique, les deux articles suivants :
« intérêts à payer à la Société Générale pour la Sambre canalisée. »
« indemnité de reprise pour le canal de Charleroi. »
Ces deux articles s'élèvent à plus de huit cent mille francs.
Cet indemnité de reprise à payer du chef du canal de Charleroi n'est pas perpétuelle. Je crois que le dernier terme échoit en 1845 Ainsi, voila bien une dépense extraordinaire. Il y a plus ; c'est une capitalisation ; c'est la somme à laquelle on peut le mieux appliquer le produit des domaines ; c’est un échange de domaines qui ne produisaient rien à l'Etat contre un domaine très productif ; car ici le gouvernement a fait une excellente affaire.
On a attaqué les calculs d'après lesquels M. le ministre des finances a établi les prévisions du budget ; mais on peut attaquer de même toutes les prévisions antérieures ; car les prévisions restent toujours subordonnées à des éventualités. Si l'on vent supposer des éventualités extraordinaires, comme une guerre, une calamité quelconque, alors toutes les prévisions viennent à tomber ; et quand le ministre aurait réduit ses chiffres de 2 ou 3 millions, ses prévisions ne seraient pas plus exactes ; car le déficit pourrait s'élever à 10 millions et plus.
Une chose certaine, c'est que le développement progressif de la prospérité nationale est généralement reconnu, et que l'accroissement de la fortune publique est encore plus incontestable. Quelles sont les causes qui exercent le plus d'influence sur le produit des impôts ? Ce n'est pas tant le mouvement du commerce et de l'industrie que le mouvement de la population. Avec l'accroissement de richesses et l'accroissement de population qui vous sont signalés, vous aurez nécessairement un accroissement dans la consommation et dans les transactions, et par suite dans le produit des impôts, qui marchera avec une progression lente, mais toujours croissante.
On ne doit donc pas s'effrayer des évaluations de M. le ministre des finances. Je crois que les résultats effectifs, à moins d'événements majeurs (ce dont Dieu nous préserve), feront plus que répondre à ces prévisions.
L’honorable député dont j'ai cité le nom a accusé le ministre d'avoir manqué de franchise. Cette accusation est tout à fait sans fondement. Le ministre a expliqué tout au long dans le discours qui précède le budget, et dans ses réponses à la section centrale, les bases de ses calculs ; il vous a expliqué franchement quel système il avait suivi. Il n'y a pas là le moindre défaut de franchise. Combattez le système du ministère ; mais ne l'accusez pas de manquer de franchise. Au contraire, c'est sa franchise qui vous a fourni tous vos moyens pour le combattre.
Pour moi je suis décidé à voter tous les articles du tableau. Comme l'honorable M. Cools l'a fait remarquer, ce tableau, à l'examen duquel nous allons nous livrer, est peu important ; l'objet essentiel, c'est la loi ; cette loi n'apporte aucun changement aux impôts de l'Etat. Je ne pense pas que dans le délai très court qu'il y a d'ici au 1er janvier, il soit possible d'introduire quelques changements. Dès lors je ne crois pas que sur ces bancs, pas plus que sur ceux où siège l'honorable membre auquel j'ai répondu, le projet de loi puisse rencontrer la moindre opposition.
M. Eloy de Burdinne - Je partage l'opinion de ceux qui pensent que si nous voulons exister comme nation et éviter des catastrophes dans le pays, nous devons mettre de l'ordre dans nos finances. Vous savez comme moi (et cela est confirmé par l'histoire), que généralement les désordres dans les finances ont amené des secousses dans l'Etat.
Je ne partage nullement l'opinion des divers orateurs qui nous ont annoncé que nos revenus pourraient même s'accroître pendant le cours de 1842.
On fait un raisonnement qui manque d'exactitude. De ce que nos revenus ont toujours dépassé les prévisions, on conclut qu'il en sera toujours ainsi. Pour moi, je crois que les recettes ont atteint le chiffre le plus élevé qu'elles puissent atteindre, et que de ce moment nous devons nous attendre à une réduction.
Vous le savez, par suite de nos emprunts et de l'importance de nos sociétés de banque, l'étranger a déverse ses capitaux en Belgique ; l'argent y a été très commun ; le gouvernement, ainsi que les particuliers, a fait beaucoup de constructions ; c'est ainsi que la construction du chemin de fer a mis beaucoup d'argent dans les mains des ouvriers. L'ouvrier qui gagne de l'argent ne l'économise pas. Il le dépense ; les dépenses ont en général pour objet des matières sujettes à l'accise. Ainsi nous devons nous attendre à voir nos ressources réduites en matière d'accise, de même en matière d'enregistrement ; car, vous le savez, les propriétés sont arrivées à un taux exorbitant ; c'est même un taux fictif. Nous devons nous attendre à voir de jour en jour se réduire leur valeur, ce qui diminuera les droits d'enregistrement ; il en sera de même dans les différentes branches de notre industrie.
Un honorable préopinant vous a dit qu'il ne croyait pas aux chiffres consignés dans le budget, qu'il ne s'attendait pas à voir les impôts produire autant ; il vous a dit que quand bien même on obtiendrait la somme intégrale, le gouvernement ne pourrait pas couvrir ses dépenses.
Eh bien ! messieurs, pénétrés de cette opinion, nous avons un moyen bien simple pour arrêter nos budgets convenablement, c'est de réduire nos dépenses.
En outre, messieurs, nous avons différentes branches de produits qui peuvent être singulièrement améliorées. Ne pouvons-nous pas améliorer l'impôt sur le sucre ? Tout le monde sait que la consommation du sucre en Belgique, au taux fixé pour l'impôt, devrait rapporter 4 millions. Et cependant je ne vois figurer au budget des voies et moyens la consommation du sucre que pour la somme de 900,000 fr. Je vous l'ai dit dans une séance précédente ; il est temps de revenir de ce système de prime en faveur de telle ou telle industrie ; il est temps que le million Merlin, qui a été un des motifs de la révolution, disparaisse de notre budget.
Enfin, messieurs, nous pouvons encore améliorer notre système de douanes.
Comparez, messieurs, le système de douanes français au système de douanes belge ; vous y trouverez une différence énorme. C'est ainsi, par exemple (je ne vous citerai que quelques articles, et cela afin d'économiser le temps), c'est ainsi qu'un Belge qui introduit un cheval en France, paie 30 fr. par tête à l'entrée, et le Français qui importe un cheval en Belgique ne paie que 12 fr. Je vous le demande, pourquoi mieux traiter nos voisins que nous-mêmes ?
Un bœuf entrant en France paie 30 francs d'impôt. Et nous, dans le pays par excellence de production de bêtes à cornes, nous recevons les bêtes à cornes étrangères à raison de 20 francs par tête.
Un porc importé en France paie 12 francs d'impôt, tandis que nous recevons le porc étranger à raison de 3 francs.
Voulons-nous, messieurs, introduire nos moutons en France ? Nous payons à l'entrée 3 francs par tête. Et nous autres, gente moutonnière, nous recevons les moutons étrangers à raison de 1 franc 20 centimes.
En un mot comme en cent, messieurs, si nous introduisons mille chevaux en France, nous payons 50 mille francs, et la Normandie qui nous fournit des chevaux de luxe, nous les fait recevoir moyennant un impôt de 12,000 francs.
Vraiment, messieurs, nous avons un système financier déplorable, Et cependant je ne m'attends pas à ce qu'un ministre quelconque, à quelque couleur qu'il appartienne, quelque drapeau qu'il porte, vienne jamais vous présenter un nouveau système d'impôts. Tous les changements que l'on fait soit en fait de douanes et d'impôts, soit en fait de réductions de dépenses, attirent toujours du blâme, et un ministre ne s'y exposera pas.
Un membre de la chambre ne prendra pas non plus l'initiative pour la même raison qu’a un ministre de ne pas la prendre. Mais, messieurs, pour rendre meilleur notre système de finances, je ne vois qu'un moyen : c'est d'avoir une commission et une commission nombreuse qui cherche les moyens d'améliorer notre état financier. Vous le savez, messieurs, ce ne sera pas telle ou telle personne appartenant à une commission qui sera soupçonné avoir fait telle ou telle proposition, ce sera la commission tout entière, et quand on dit : c'est la commission, ce n'est personne.
Je bornerai là mes observations. J'attendrai la discussion des articles pour ajouter celles que je croirai devoir faire encore en acquit de mes devoirs.
M. Delehaye - Messieurs, le premier orateur que vous avez entendu dans cette séance, l'honorable député de Tournay, a attaqué ceux qui hier critiquaient le budget des voies et moyens. Je suis de ce nombre ; j'ai attaqué le budget des voies et moyens et je l'attaquerai encore aujourd'hui.
On a prétendu que c'était précisément ceux-là qui avaient amené l'état de choses actuel. Je répondrai qu'à toutes les époques où j'ai siégé dans cette enceinte, j'ai toujours été un des plus grands partisans des économies, on vous a proposé fort peu d'économies auxquelles je n'ai pas donné mon assentiment ; et pour ma part j'en ai proposé beaucoup qui n'ont pas été admises. Ce reproche ne peut donc m'être adressé. J'ai la conviction intime que si l'assemblée n'entre définitivement dans une voie réelle d'économies, notre état financier deviendra de plus en plus déplorable, J'ai la conviction que si nous continuons à marcher sur le même pied, nous nous trouverons bientôt à l'état de faillite.
Ainsi, messieurs, je pense que des économies sont nécessaires ; je les proposerai à toutes les époques et je n'imiterai pas certainement l'honorable membre qui nous a adressé ce reproche, lui qui, l'année dernière, était si grand partisan d'économies, et si difficile à adopter les dépenses. Je ne l'imiterai pas, je persisterai dans mon système, quels que soient les hommes qui seront au pouvoir.
Messieurs, un honorable membre du ministère vient de répondre au discours de l'honorable député de Saint-Nicolas ; il a voulu vous faire envisager notre position comme améliorée, parce que l'émission des bons du trésor ne sera pas aussi considérable que l'année dernière.
Si c'est là l'opinion de l'honorable membre, je dois lui dire qu'il se trompe. Loin d'être améliorée, notre situation financière est réellement empirée ; et tout en admettant ce que vient de nous dire l'honorable ministre, que l'émission des bons du trésor est moins élevée aujourd'hui que l'an dernier, je dirai qu'il oublie qu'une partie de ces bons a été amortie par l'emprunt.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - J'ai tenu compte de cette diminution.
M. Delehaye. - Il est certain qu'une partie des bons du trésor a été amortie par l'emprunt jusqu'à concurrence de cinq millions, je crois. Ainsi, si les bons du trésor sont diminués, c'est au moyen d'un emprunt contracté l'an dernier, c'est aussi parce que le ministère suppose, sans que l'on sache trop pourquoi, que l'on fera une économie de six millions sur les dépenses des exercices 1839, 1840 et 1841 ; c'est là une supposition que l'événement, je le crains bien, viendra démentir ; on peut croire aussi, et malheureusement avec raison, que les augmentations de recettes sur lesquelles M. le ministre des finances paraît compter pour l'exercice 1842 ne se réaliseront pas toutes, et que le déficit existant doit encore s'accroître, je ne vois donc pas en quoi notre situation est améliorée.
Il est encore une observation importante omise par la section centrale et par les sections, et qui cependant doit être faite au sujet de la déclaration du gouvernement, qu'il ne demandait aucune augmentation d'impôts.
En voyant le budget, j'avais d'abord cru à la vérité de cette déclaration ; mais à une lecture attentive, j'ai reconnu qu'il y avait une majoration d'impôts, et je le prouve.
L'année dernière, sur l'article foncier, il avait été demandé trois centimes additionnels sur le principal seulement. Cependant cette année, veuillez le remarquer, les trois centimes réclamés par le gouvernement ne portent pas seulement sur le principal, mais aussi sur les centimes additionnels. Ainsi il y a réellement majoration.
M. le ministre des finances (M. Smits) - C'est une erreur.
M. Delehaye - On dit que c'est une erreur ; mais on ne le prouve pas ; il y a majoration et si on la fait disparaître, il y aura déficit.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Vous vous trompez, j'expliquerai cela.
M. Delehaye. - Soit, j'attendrai votre explication.
Messieurs, un honorable député d'Anvers vous a dit que le tableau du budget des voies et moyens est insignifiant. Comment, messieurs, insignifiant ! mais que feriez-vous donc si, croyant, d'après ce tableau, que les recettes s'élèveront à 105 millions, vous admettiez des dépenses qui plus tard ne pourraient être couvertes parce que les prévisions auraient été exagérées ? Sommes-nous d'ailleurs dans une position normale ? La position de l'Europe est-elle si bien affermie que nous n'ayons plus rien à craindre ? Mais lisez les journaux : l'affaire de la Grèce se complique ; l'Espagne n'est pas pacifiée ; la Suisse est dans l'agitation.
Et dans des circonstances pareilles vous admettriez, sans modification, un budget de voies et moyens qui, quoi qu'on en dise, repose sur des prévisions qui ne se réaliseront pas. M. le ministre des finances, j'en suis sûr, est lui-même convaincu qu'elles ne se réaliseront pas. .
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je demande la parole.
M. Delehaye. - Vous êtes trop bon financier pour vous faire à ce point illusion.
On a parlé de l'article des successions. Eh bien, comme l'a fait observer l'honorable M. Cools, cette année s'est signalée par des successions importantes. Je déclare pour ma part que dans la province à laquelle j'appartiens, il n'y aura plus de longtemps de succession à comparer à celles qui ont eu lieu cette année.
Un membre. - Vous n'en savez rien.
M. Delehaye. - Je ne le sais pas, dit-on. Je répondrai qu’au contraire cela est certain ; les successions auxquelles j'ai fait allusion sont trop considérables pour qu'il s'en présente de pareilles d'ici à longtemps. .
Je me résume, messieurs, et je dis qu’alors que l'Europe est dans l'agitation, alors que vous avez la conviction que vos dépenses ne seront pas couvertes par vos recettes, la prudence nous défend de regarder le vote du tableau des voies et moyens comme insignifiant. Je crois au contraire que si vous l'adoptez tel qu'il est présenté, vous jetterez le pays dans de graves embarras.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j'ai demandé la parole pour rectifier une erreur dans laquelle est tombé l'honorable préopinant.
Il vous a dit que j'avais eu tort de prétendre que le chiffre de la dette flottante s'était trouvé diminué de deux millions.
M. Delehaye. - Je n'ai pas dit cela, Si M. le ministre le permet, ,'expliquerai ce que j'ai dit.
J'admets que le montant des bons du trésor demandé par le gouvernement n'est pas aussi élevé, mais j'ai dit que cela ne prouvait nullement une amélioration dans notre position ; que certainement l'émission serait moins importante, mais que c'était une erreur de croire que nos finances se trouvaient pour cela dans une situation plus favorable.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Pourquoi ?
M. Delehaye. - Parce que la diminution dans la demande d'émission de bons du trésor provient de ce qu'une partie de la dette flottante a été amortie par l'emprunt.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Voilà précisément l'erreur.
Voici, messieurs, ce que dit le discours de l'honorable ministre des finances de l'année dernière à l'appui du budget :
« Un compte de la situation générale du trésor public, qui va être présenté à la chambre, prouve que cette insuffisance s'élève à 18,405,806 fr. 72 c., ou avec les quatre millions placés dans un établissement financier, à 22,455,806 fr. 72 c.
« Le § 5 de l'art. 2 de la loi du 26 juin dernier, affecte une somme de 5,038,533 fr. 69 c. à l'extinction des 18 millions de bons du trésor, créés pour couvrir l'insuffisance supposée de 14,137,920 fr. 05 c. (soit 14 millions), ainsi que les 4 millions dont nous venons de parler, de telle sorte que cette émission se réduirait à 12,961,000 fr.; mais comme le vide réel du trésor est de 22,455,806 fr. 72 c., ce serait à 17,417,273 fr. que s'élèverait notre dette flottante. »
Et vous savez, messieurs, qu'ensuite on a ajouté à ces 17 millions 400,000 francs restants après déduction des cinq millions amortis par l'emprunt, un peu plus de 7 millions du chef de l'arriéré de la dette publique par suite du changement introduit dans le système de comptabilité, ce qui faisait ensemble 24,500,000 fr (somme ronde). Il y a par conséquent une diminution, une amélioration réelle de notre dette flottante de deux millions. puisqu'elle ne se trouve plus aujourd'hui que de 22,500,000 fr. La diminution est même plus forte encore. En effet, on sait qu'au lieu de 7 millions, l'arriéré de la dette publique était de 8 millions, c'est donc 25,400,000 fr. qu'il aurait fallu porter l'année dernière, et alors la diminution serait de 3 millions.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Cools s'est trompé dans ce qu'il a dit relativement aux bons du trésor. Il suffit de lire le rapport qui a été fait le 19 novembre 1840 par l'honorable M. Mercier, alors ministre des finances. A la page 10 de ce rapport on trouve la preuve évidente que cinq millions et autant de mille francs de bons du trésor ont dû être et ont été amortis au moyen de l'emprunt. Or, ces bons du trésor ne doivent plus figurer dans la dette flottante. Il y a donc erreur de la part de M. Cools, lorsqu'il est venu dire que la dette flottante devait être augmentée ; elle est au contraire réellement diminuée. Il ne peut y avoir l'ombre d'un doute sur ce point.
M. Cools. - Messieurs, quelques orateurs ont répliqué aux observations que j'ai présentées à la chambre. Mais je crois devoir faire remarquer qu'ils n'ont attaqué que quelques parties de mon discours, et que mes objections essentielles sont demeurées intactes.
Ainsi l'honorable M. Cogels a fait observer que je m'étais trompé dans le relevé des dépenses extraordinaires, en ne tenant pas compte d'une somme de 800,000 fr. qui figure au budget de la dette publique. Mais je répondrai à l'honorable membre, comme je l'ai déjà dit, qu'alors même qu'en ce moment-ci les dépenses extraordinaires seraient couvertes par les recettes extraordinaires, il y aura toujours déficit et déficit considérable, lorsque les recettes extraordinaires auront disparu, Or, elles doivent nécessairement disparaître. Quelle sera notre position lorsque, dans les budgets futurs, vous ne pourrez plus faire figurer les recettes extraordinaires qui n'existeront plus, et que, d'un autre côté, les dépenses qui sont extraordinaires cette année continueront à exister d'une manière permanente sous d'autres désignations ?
Une autre objection, faite par l'honorable député de Waremme, consiste en ceci :
« Vous ne contestez pas que les recettes s'élèveront au chiffre indique par le ministre, mais vous craignez qu'elles ne suffisent pas pour couvrir les dépenses. S'il en est ainsi, le moyen est bien simple, diminuez les dépenses. »
Eh bien, messieurs, si ce moyen est si simple, si l'on parvient à me démontrer qu'il est praticable, je suis tout prêt à l'accueillir, mais je conserve beaucoup de doutes à cet égard. Je crois qu'il y a moyen d'opérer quelques économies sur certains articles des budgets des dépenses, et certainement je ne serai pas le dernier à adopter ces économies ; mais je crois aussi que ce serait une grave erreur de penser que l'on peut faire des réductions majeures de dépenses, des réductions telles qu'elles puissent contrebalancer la diminution des recettes.
Alors même, messieurs, que les recettes suffiraient pour couvrir les dépenses portées au budget, encore y aurait-il déficit, car tous les ans on vient nous demander une foule de dépenses qui ne sont pas prévues au budget. Vous en avez déjà un exemple dans les crédits supplémentaires qu'on est venu vous demander pour l'exercice 1841 et qui s'élèvent à près d'un million. Aucune partie des voies et moyens n'est réservée pour cette dépense.
Maintenant, messieurs, si vous entrez dans le système propose par M. le ministre des finances, de couvrir les dépenses ordinaires et extraordinaires au moyen de toutes les recettes ordinaires et extraordinaires, je vous demande au moyen de quoi vous couvrirez quelques dépenses que je vais énumérer. Je vous demanderai comment vous ferez face, plus tard, à toutes les dépenses extraordinaires qui se trouvent portées, cette année, au budget, et qui se reproduiront tous les ans. Je vous demanderai, par exemple, comment vous couvrirez les dépenses à faire pour l'armement de la place de Diest, pour lesquelles il ne figure au budget actuel qu'une somme de 500,000 fr., tandis que dans tous les budgets précédents il figurait, de ce chef, des sommes beaucoup plus fortes ? Cette année, on n'a porté que 500,000 fr., parce qu'on a voulu établir un équilibre apparent entre les recettes et les dépenses, mais dans les budgets prochains on devra nécessairement porter des crédits plus considérables pour cet objet. Mes affaires particulières m'ont appelé, cette année, à Diest, et je puis vous assurer que les travaux sont à peine en voie d'exécution, et qu'il est très facile de voir que les sommes qu’il faudra dépenser encore seront au moins aussi fortes que celles qui ont été dépensées jusqu'ici. Les journaux nous annoncent que l'on va construire une citadelle dont la première pierre n'est pas encore placée.
Je demanderai encore, messieurs, au moyen de quoi l'on pourvoira à l'amélioration du sort de la magistrature, objet pour lequel on nous annonce que de nouveaux crédits seront demandés. Au moyen de quoi payera-t-on les indemnités à l'égard desquelles on nous engage à voter une loi sans retard ? Par quelles ressources couvrira-t-on la rente de 400,000 fr. que l'on nous demande pour la cession faite par la ville de Bruxelles ?
Des négociations commerciales sont ouvertes avec la France ; si ces négociations sont conduites à bonne fin, comme le gouvernement doit le désirer, il en résultera nécessairement un abaissement des droits de douanes, et par suite une diminution de recettes. Comment couvrira-t-on le nouveau déficit que cela fera naître ?
Je demanderai encore par quel moyen on diminuera successivement le chiffre de notre dette flottante ?
Je bornerai là mes observations et je terminerai, en engageant le gouvernement à donner une sérieuse attention à notre situation financière et à rentrer dans la voie qui a été indiquée l'année dernière par M. le ministre des finances d'alors, c'est-à-dire à établir un équilibre réel entre les recettes et les dépenses.
M. Doignon. - L'honorable M. Delehaye a cru que j avais fait allusion à lui dans mon discours, je proteste n'avoir pas eu cette intention. J'ai dit que ceux qui critiqueraient la manière de procéder de M. le ministre, seraient peut-être ceux-là même qui ont amené l'état actuel des choses.
M. Delehaye a aussi supposé qu'aujourd'hui je ne serais plus partisan des économies. Je n'ai prononcé aucune parole d'où l'on puisse tirer semblable conséquence ; c'est le contraire que j'ai exprimé. J'ai dit que j'éprouvais un vif regret de ce que la chambre ne soit pas entrée dans la voie des économies.
M. Delehaye. - L'honorable M. Desmaisières ne tient pas compte de la supposition faite par son collègue des finances, qu'il y aurait 6 millions d'économies sur les trois exercices, économies qui, selon moi, ne se réaliseront pas. Faites un relevé et vous verrez que ces économies ne sont rien moins que probables. Certainement on avait déduit du montant des bons du trésor la partie qui devait être payée au moyen de l'emprunt ; mais les observations que j'ai présentées n'en subsistent pas moins dans toute leur force.
M. le ministre des finances (M. Smits) - C'est le précédent ministre des finances qui a fait la déduction.
M. Delehaye. - Je n'attaque personne, je ne vois que les faits.
(Moniteur belge n°240, du 6 décembre 1841) M. le ministre des finances (M. Smits) – Je ne comprends véritablement rien, messieurs, à l'opposition que rencontre le budget des voies et moyens. Je comprendrais cette opposition, si nous avions dissimulé ou négligé d'indiquer des recettes, afin d'obtenir de nouvelles charges pour le contribuable et de nous mettre à l'aise pour répartir des faveurs et nous créer des auxiliaires ; mais je ne comprends plus cette opposition, lorsque renversant toutes les idées reçues, on vient en quelque sorte contester l'augmentation permanente des ressources du pays et vous faire jusqu'à certain point un crime d'avoir confiance dans l'avenir et de compter sur le maintien de la paix.
Que résulte-t-il, messieurs de la situation du trésor au 1er septembre dernier, que j'ai eu l'honneur de vous présenter ? C'est que depuis l'année 1831 jusqu'en 1838, il y a eu une augmentation totale de revenus, de 28 millions, c’est-à-dire que les revenus réels ont dépassé de 28 millions les prévisions des budgets.
M. Delehaye. - Et les emprunts.
M. le ministre des finances (M. Smits) - En ressources ordinaires, en dehors des emprunts.
Par une raison toute simple, messieurs, cette progression a été interrompue en 1839, après que nous eûmes perdu deux demi-provinces ; alors il y a eu une diminution de recettes, mais la progression a repris son cours en 1840, malgré la position belliqueuse prise par la France, à cette époque, et elle a continué en 1841
Pourquoi cette progression s'arrêterait-elle en 1842 ? Serait-ce, par hasard, parce que nous sommes au pouvoir ? Je ne pense pas.
Si encore nous avions présenté le budget de 1842 comme un budget normal, comme un budget de présent et d'avenir destiné à faire face à tout, je comprendrais encore l'opposition qu'on nous fait ; mais il n'en est pas ainsi : nous n'avons pas entendu présenter un budget qui peut dès à présent et pour toujours satisfaire à tous les besoins du royaume.
Mais nous avons pensé qu'il fallait sortir du système qui a été suivi jusqu'aujourd'hui. En effet, qu'a-t-on fait ? Et ici je n'entends faire un reproche à aucun de mes honorables prédécesseurs ni à qui que ce soit, parce que les circonstances politiques n'ont pas permis de faire autrement ; mais enfin, qu'a-t-on fait jusqu'à présent ? Chaque fois qu'un déficit s'est présenté, on a eu recours, soit à des emprunts quelquefois onéreux, soit à la création d'une dette flottante, soit aux centimes additionnels, soit enfin à des espèces d'improvisations, sur des lois de douane qui n'avaient quelquefois d'autre base qu'une simple règle de trois et qui souvent étaient de nature à nuire aux intérêts commerciaux.
Eh bien, je crois qu'il faut sortir de cette position ; je crois qu'il faut se placer devant la difficulté, telle qu'elle se présente ; je crois qu'il faut commencer par obéir à une condition constitutionnelle.
La constitution a exigé la révision des impôts, et cette révision à laquelle il importe de procéder, nous aurons le courage de l'entreprendre (marques d'assentiments) ; bien convaincus, comme nous le sommes, que c'est dans cette révision que nous trouverons l'occasion de faire droit à beaucoup de réclamations fondées, tout en améliorant les revenus de l'Etat ; voilà, ce me semble, la règle rationnelle à suivre pour mettre les ressources au niveau des dépenses.
Messieurs, j'ai une longue et honorable carrière, et j’ose dire que je suis profondément pénétré du sentiment de mes devoirs ; eh bien, messieurs, j'ai tellement la conviction que les revenus portés au budget que j'ai eu l'honneur de présenter, se réaliseront, que si ma fortune particulière me le permettait, je n'hésiterais pas à les prendre à forfait, persuadé, comme je le suis, que mon patrimoine s'en trouverait notablement amélioré.
Messieurs, j'ai promis quelques mots de réponse au discours qu'a prononcé M. Mercier.
Cet honorable membre, qui a occupé le département des finances avant moi, en a pris le portefeuille dans un moment assez défavorable : il y avait beaucoup de dépenses à acquitter, et les ressources du moment n'y répondaient pas suffisamment. M. Mercier a pu voir cette situation avec une certaine inquiétude ; il n'a pas eu foi dans l'augmentation des ressources ; il a, au contraire, établi ses prévisions au-dessous de la réalité. Pour vous en convaincre, vous n'avez, messieurs, qu'à jeter les yeux sur la situation du trésor telle qu'il vous l'a présentée ; vous y remarquerez que mon honorable prédécesseur avait estimé le découvert du trésor à une somme de 18,445,000 francs, tandis qu'en réalité, après l'approbation définitive du compte de 1838, il a été permis d'établir de la manière la plus positive que ce découvert se bornerait à la somme de 9,777,000 fr., ce qui constitue une différence de la somme énorme de 8,678,000 fr. On peut, messieurs, se tromper dans certaines prévisions, parce que les exercices en cours d'exécution ne sont susceptibles que d'approximations ; mais il faut respecter les comptabilités closes et définitivement approuvées par la cour des comptes, qui ne sont plus susceptibles de variation.
Je passe à une autre erreur commise par M. Mercier. Cet honorable membre vous disait aussi dans le discours qu'il a prononcé à l'appui du budget de 1841.
« Avant d'appeler votre attention sur le budget des voies et moyens, nous allons établir quelle est la différence entre le montant des dépenses et celui des recettes présumées d'après nos ressources actuelles.
« Le budget des dépenses présente un total de fr. 105,632,724 31
« Le budget des recettes, d'après les voies et moyens actuels, est présumé pouvoir s'élever à 101,217,507
« L'insuffisance des voies et moyens est donc de 4,415,217 31 »
Voilà ce que disait l'honorable M. Mercier ; eh bien, jetez les yeux sur la situation du trésor, telle qu'elle a été établie au mois de septembre dernier, et vous verrez que le budget des dépenses pour l'exercice de 1841 ne s'élève, en y comprenant même les 5 millions supplémentaires demandés pour le département de la guerre, qu'à une somme de 104,212,862 85
Et le budget des voies et moyens a été fixé à 101,464,464
Ainsi une insuffisance de 2,748,398 85
Mais les recettes étant présumées devoir excéder les évaluations de 846,937 40
Et les économies présumées sur les crédits accordés étant de 1,500,000
(Total : 2,346,937 40)
Il n'y aura sur cet exercice, lors de sa clôture, qu'une insuffisance de ressources de 401,461 45
A l'époque de la présentation des budgets, M. Mercier a porté cette insuffisance à 4,415,217 31
Le résultat est en conséquence une amélioration, pour la situation actuelle, de 4,013,755 86
Voilà, messieurs, la situation vraie. On comprend, d'après cela, que l'honorable M. Mercier a pu être porté à justifier plus ou moins la situation qu'il vous avait antérieurement présentée sans doute de bonne foi, et qu'il ait cherché à justifier ses prévisions d'autrefois, en vous présentant le découvert du trésor sur les trois exercices en cours d'exécution, comme devant s'élever à 22,455,000 fr.
Mais je me permettrai de faire observer à l'honorable M. Mercier que tout en reconnaissant le chiffre établi par moi dans la situation du trésor au 1er septembre, il n'aurait pas dû partir du découvert de 10 millions existant à la fin de 1839, mais bien du dernier chiffre, c'est-à-dire de celui qui existera au 1er janvier 1842, où l'insuffisance est seulement constatée à 9 millions. Maintenant, comment M. Mercier procède-t-il pour trouver le chiffre de 22 millions qu'il établit ? Il vous dit : Vous avez reçu sur les fonds de l'industrie telle somme, sur les fonds du domaine telle autre. Or, ce sont là des recettes qui ne se reproduiront plus ; donc elles forment déficit ; mais je répondrai que par cette manière de calculer, on fait le procès à tous les budgets et je dirai même aux véritables principes de l'économie politique. C'est en effet un procès aux budgets, parce que dans tous vos règlements antérieurs vous avez admis les ressources du domaine et du fonds de l'industrie, comme des ressources dont vous pouviez disposer, tant pour les dépenses ordinaires que pour les dépenses extraordinaires. Aujourd'hui ces ressources sont presque éteintes, mais c'est ce qui constitue précisément l'avantage de la situation actuelle, puisque, malgré l'extinction de ces ressources, cette situation offre encore de quoi satisfaire à tous les besoins de 1842.
Ainsi que je le disais, messieurs, l'opinion émise par l'honorable M. Mercier n'est donc pas seulement un procès à tous les budgets antérieurs, mais elle est encore un procès aux règles de la saine économie politique : en effet celles-ci, à part la question de justice et d'équité, ne vous permet pas de puiser dans la poche des contribuables, alors que vous avez d'autres ressources à votre disposition. Le contribuable peut mieux que l'Etat faire fructifier ses capitaux et les diriger vers l'accroissement de la fortune publique. Sans doute dans la prévision de dépenses autres que celles qui existent aujourd'hui, il importe de tâcher d'améliorer les ressources et de remplacer celles qui s'éteignent, mais, je le répète, c'est en révisant les lois existantes, parce que les impôts existants sont toujours les meilleurs, qu'on peut le mieux y parvenir.
Messieurs, l'honorable M. Delehaye a contesté tout à l'heure une économie que nous avons prévue sur les exercices en cours d'exécution ; il nous a dit : « Vous avez prévu une économie de 6 millions, dont 5 millions sur le budget de 1839, et 1,500 mille francs sur chacun des exercices 1840 et 1841, c'est une chimère. » Non, messieurs, ce n'est pas une chimère, c'est au contraire une réalité, et une réalité bien et dûment constatée.
Messieurs, il y a peu de jours seulement, quelques budgets clos et définitivement arrêtés me sont parvenus par différents départements ministériels : le budget du sénat, le budget de la chambre des représentants, le budget de la justice, celui de la marine et celui de la guerre. Eh bien, le budget du sénat offre une économie de 5,350 fr.; celui de la chambre des représentants, 55,000 fr. ; celui du département de la justice, 830,000 fr. ; celui de la marine, 123,000 fr., et finalement celui de la guerre, 1,913,000 fr.. Toutes ces sommes réunies forment un total de 2,926,000 fr. dont on ne disposera plus pour l'exercice 1839.
Ainsi, voilà déjà mon chiffre atteint et dépassé de beaucoup, par les seuls budgets que je viens d'indiquer ; reste encore à arrêter définitivement, le budget de la dette publique, celui de l'intérieur, celui des affaires étrangères, celui des travaux publics, celui des finances, celui des remboursements et des non valeurs.
Or, je crois ne pas me tromper, en disant que les économies, c'est-à-dire, les sommes dont on ne disposera point sur ces derniers budgets, s’élèveront encore à un demi-million ; je n'oserais cependant pas garantir ce chiffre ; mais il suffit que mes prévisions se soient déjà réalisées et je suis bien aise de pouvoir vous en apporter la preuve. On ne saurait, je pense, vous fournir une justification plus évidente.
Messieurs, je pourrais encore répondre aux différents orateurs qui ont pris la parole et vous ont entretenu de divers articles, tels que ceux des droits de succession, de l'impôt sur les eaux-de-vie indigènes et autres ; mais je crois que mes réponses, à l'égard de ces objets, trouveront mieux leur place lors de la discussion des articles du tableau.
(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1841) M. Cogels - Je dois deux mots de réponse à l'honorable M. Cools. Il a demandé comment on ferait quand les ressources extraordinaires portées au budget seraient éteintes. La réponse est simple ; on y pourvoira par une majoration d'impôt, si l'accroissement du revenu actuel ne suffit pas pour combler le déficit.
M. Mercier - Messieurs, M. le ministre des finances persiste à croire qu'il y a constante progression dans le produit des revenus de l’Etat ; j'espérais avoir démontré le contraire dans le discours que j'ai prononcé en notre séance d'avant-hier ; je reviendrai sur ce sujet lorsque nous en serons à la discussion des différents articles du tableau des voies et moyen.
Je n'ai pu saisir assez complètement les chiffres cités par M. le ministre, sur la dette flottante, pour pouvoir lui répondre immédiatement à cet égard ; mais il est un autre point sur lequel je puis donner dès à présent toute explication ; M. le ministre semble croire que j'ai conçu trop d'inquiétude sur l'état de nos finances et que je me suis exagéré le mal en supposant que sans de nouvelles ressources, nous nous trouvions en présence d'un déficit de, 4,415,000 fr. ; M. le ministre ajoute que, d'après les chiffres qu'il a produits, le déficit sur l'exercice 1841 n'est que de 404,000, et qu'ainsi je me suis trompé d'une somme de 4 millions dans l'insuffisance que j'ai présumée.
Mais M. le ministre a-t-il oublié ce que j'ai déjà exposé dans la séance d'avant-hier, que sur les 4,415,000 fr. d'insuffisance, les chambres avaient accordé diverses augmentations d'impôts d'un total de plus de 5 millions, qui dès l'exercice 1841 devaient, selon mes prévisions déjà produire une somme de 1,382,000 fr. ? Cette somme évidemment doit être portée avec celle de 404,000 fr., en déduction du déficit je prévoyais ; l'insuffisance si cette ressource avait manqué, eût donc été de 1,983,000 fr. ; d'un autre côté on vient de demander pour le département des travaux publics un crédit supplémentaire de 817,000 fr. ce qui dans la même hypothèse doit porter le déficit à 3,800,000 fr.
Le département de la guerre a opéré sur les dépenses comprises dans le budget qui servait de base à mes calculs, une économie ou plutôt une réduction, car nous ne pouvons encore juger s'il y aura économie réelle ou suppression de dépenses utiles ; une réduction, dis-je, de 775,000 fr. La non-érection du palais de justice à Bruxelles a réduit aussi de 400,000 fr. le budget du ministère de la justice ; enfin il y a eu quelques autres réductions dont je n'ai pas le chiffre présent à la mémoire, mais qui peuvent s'élever ensemble sur tous les budgets, à 2 ou 300,000 fr. Sans ces différentes circonstances l'insuffisance réelle serait donc de 4,875,000 fr., c'est-à-dire, supérieure de 400,000 fr. à celle que je supposais devoir exister au mois de novembre 1840. Si M. le ministre contestait le degré d'influence des augmentations d'impôt sur l'exercice 1841, il verra qu'en réduisant même de quelques centaines de mille francs le chiffre que j'ai indiqué, mes prévisions de 1840 seront encore exactes.
Il est encore une autre remarque à faire ; c'est que si en général il n'y a pas eu progression dans les produits des impôts, il n'en est pas de même quant au droit sur les successions dont les recettes dépassent considérablement les prévisions ; ce résultat provient de quelques grandes successions collatérales qui sont venues à s'ouvrir, ce que certes je ne pouvais prévoir ; sans cette circonstance fortuite l'insuffisance que j'avais prévue serait bien au-dessous de la réalité.
Il résulte des considérations dans lesquelles je viens d'entrer qu'il n'y a pas eu progression constante dans les produits, Elle a eu lieu dans certains produits sans doute, mais il en est d'autres où il y a eu diminution. Je peux borner là mes observations, car celles que j'aurai encore à produire viendront à propos de l'examen du tableau et de la dette flottante.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je tiens à constater, contrairement à ce que vient de dire l'honorable préopinant, que la progression des ressources a toujours été constante, c'est-à-dire qu'il n'y a pas une année, à partir de 1831 jusqu'à 1838, qui ait présenté un déficit sur les prévisions du budget, mais au contraire des excédants et des excédants très majeurs. Cette progression s'est arrêtée en 1839. J'en ai expliqué les causes ; mais elle a repris en 1840 et elle a augmenté en 1841 et elle augmentera encore en 1842.
Quant à la différence qui existe entre la situation que j'ai présentée et celle présentée en 1840, cette différence ne provient pas de l'augmentation de certains droits de douane et des successions collatérales ouvertes en 1841. Il est vrai que des successions notables ont été ouvertes, mais on sait aussi que, quand il s'agit de plusieurs millions, il faut du temps pour constater le chiffre de la succession et tous les droits ne sont pas payés immédiatement. Par conséquent, une partie de ces droits ne rentrera qu'en 1842.
Quant aux droits de douanes, l'augmentation a été votée dans le courant du premier trimestre de 1841. Mais comme ce projet d'augmentation avait été présenté en septembre 1840, beaucoup de marchandises ont été immédiatement déclarées en consommation et l'année 1841 s'est ainsi trouvée veuve des augmentations votées.
Je bornerai là pour le moment mes observations, sauf à présenter celles que je croirai utiles dans le cours des débats.
M. Meeus. - Messieurs, j'ai demandé la parole quant j'ai entendu M. le ministre des finances nous annoncer que le gouvernement allait s'occuper de la révision de nos lois d'impôt. Cette assurance, je l'ai accueillie avec la plus grande faveur. Dans plus d'une circonstance je l'ai demandée, et je crois cette révision d'autant plus nécessaire aujourd'hui, que je suis du nombre de ceux, je l’ai témoigné sous l’ancien cabinet, lors de la discussion de la loi d’emprunt, je suis de ceux qui s’effraient de voir une dette flottante aussi élevée que celle que nous avons. Je conviens qu’il n’était guère possible au ministre des finances de présenter un budget des recettes autre que celui qui nous est soumis. Je conçois d’autant plus qu’il vienne nous donner l’assurance que le gouvernement, et lui en particulier, aurait le courage d’arriver à la révision de nos lois d’impôt.
Messieurs, puisqu’il est question de la révision de nos impôts, qu’il me soit permis d’appeler l’attention de la chambre sur la révision d’un objet de la plus haute importance, je veux parler de notre système monétaire. J’ai déjà eu occasion d’attirer l’attention de la chambre sur cette question importance, les circonstances dans lesquelles se trouve la Belgique rendent cette révision, je ne dirai pas nécessaire, mais urgente.
Messieurs, pour peu qu’on s’occuper d’étudier l’intérieur du pays, par rapport à son système financier, à son système monétaire, on est effrayé de voir d’année en année le numéraire diminuer en Belgique.
Les motifs de cette diminution sont très faciles à indiquer. Si la chambre me le permet, je vais en indiquer à l’instant quelques-uns. D’abord notre balance commerciale qui met la Belgique en défaveur de plusieurs millions, me paraît être un de ces motifs. Secondement, les emprunts faits à l’étranger qui tendent toujours à rentrer en Belgique, plus notre crédit s’élève, sont encore des motifs pour faire constamment rentrer de l’étranger des valeurs en Belgique et en faire sortir le numéraire. Les propriétés que les étrangers possédaient en Belgique se vendent d’année en année, à tel point que bientôt la Belgique, et j’en suis content pour mon pays, se possédera elle-même.
Ce chiffre est considérable En 1815 et 1816, on évaluait à huit cent millions de francs les propriétés que des étrangers possédaient en Belgique. Aujourd’hui ce chiffre n’atteint pas cent millions.
L'importance du système monétaire dans un pays me semble assez grande pour qu'on fasse attention à ce qui se passe dans les pays voisins. Jetez un coup d'œil sur ce qui s'est passé en Angleterre, depuis la chute dé l'empire français ; et mettez cela en parallèle avec ce qui s'est passé en France depuis cette époque. Vous verrez d'un côté des crises continuelles ; vous verrez qu'en Angleterre. Malgré le monopole qu'elle exerce dans les cinq parties du monde, malgré ses ressources commerciales, elle se débat continuellement de crise en crise. Vous la voyez constamment en proie à des crises d'argent, à des crises commerciales, à des crises industrielles. Voyez la France qui ne peut se garantir par une douane naturelle, comme l'Angleterre ; la France qui, dans son intérieur, se trouve agitée à toute époque ; la France, qui depuis l'empire a eu tant de commotions politiques, n'a pas eu à déplorer une seule crise financière.
Quand on se donne la peine de réfléchir sur ces deux situations, on doit nécessairement arriver à cette conclusion qu'il y a une cause et à ce qui arrive à l'Angleterre et à ce qui n'arrive pas en France. Pour moi, la cause, la véritable cause, c'est le système monétaire de l'Angleterre d'où naissent toutes ses crises, c'est le système monétaire de la France, qui la met à l'abri des crises d'argent.
Je sais qu'il y a des économistes politiques qui disent : « Mais, après tout, quand l'argent manque, on vend des marchandises, on vend des fonds publics, et l'argent revient. » Je suis d'accord avec eux ; mais en attendant, la crise a eu lieu, et le pays s'en est trouve agité.
Encore une fois, jetons les yeux sur l'Angleterre. Que s'y passe-t-il ? La banque d'Angleterre, établissement le plus colossal du monde, en est venue à ce point que lorsque l'escompte est en France à 4, p. c. et en Belgique et en Hollande à 5 et demi p. c., elle est obligée de maintenir son escompte à Londres à 6 p. c. et dans les provinces à 7, 8 et 9 p. c. Je le demande, est-ce au moyen de la vente des fonds publics et des marchandises, que l'Angleterre, malgré les avantages de la balance commerciale, fera cesser cette crise ? Non certainement, parce qu'une fois que la crise a existé, les effets se font longtemps sentir.
Mais arrivons à la Belgique. Je disais tout à l'heure qu'il y a urgence de penser à modifier notre système monétaire ; en voici le motif : c'est que si nous n'y prenons garde, nous sommes à la veille d'avoir des crises d'argent. La fausseté de notre système monétaire (si tant est que nous ayons un système), est démontrée par ce qui se passe journellement. Notre balance commerciale avec la France est toujours en notre faveur ; et cependant où se trouvent nos pièces de cinq francs ? Nous n'en avons pas. Pourquoi ? Parce que, recevant de l'Angleterre pour 60 millions de francs de plus que nous ne lui vendons, nous la couvrons en remises sur Paris, et que nous envoyons nos pièces de cinq francs à Paris pour payer le montant de ces remises. C'est le système qu'on a voulu prohiber, et par suite duquel on ne trouve en Belgique que de l'or hollandais. Cependant, ne vous y trompez pas, il va bientôt survenir des crises qui feront également changer le cours du change pour la Hollandais ; il est certain qu'alors l'or hollandais sera exporté, car c'est de l’or étranger.
Lorsque vous aurez, conformément au traité, transféré sur le grand-livre de la dette belge une partie des rentes de la dette hollandaise, croyez-vous qu'il y aura pour ces fonds un autre marché que le marché belge ?
Eh bien, dès lors je suis convaincu que vous verrez le change sur Amsterdam s'élever constamment. Dès lors il ne vous restera ni pièces de 5 fr., ni pièces de 10 florins ; il vous restera précisément ce qu'il faut pour avoir des crises d'argent. Ces crises auraient déjà existé s'il n'y avait été paré par les établissements financiers qui existent dans le pays, et qui ont été assez forts pour les empêcher.
Ne faisons pas autre chose que ce que font les autres nations. Chaque nation a un système qui lui convient et qui empêche que son numéraire ne soit enlevé en quelques jours. C'est une chose fort simple : battre monnaie est une grande ressource pour un Etat. Eh bien, on ne bat pas monnaie ; on ne peut pas battre monnaie. Les lingots que vous feriez venir de France pour battre monnaie, vous seriez obligés de les payer avec les pièces de 5 fr. que vous auriez frappées. Aussi n'en frappe-t-on pas ! Du moins, je le pense. Je demanderai ce qui en est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Smits) – Non ; on ne frappe pas de pièces de 5 francs.
M. Meeus. - Je ne croyais pas en effet que ce fût possible. Eh bien, je dis qu'un système qui ne vous permet pas de frapper des pièces de 5 francs est par cela même condamné.
Je ne terminerai pas sans dire combien, pour ma part, je trouve déplorable pour la dignité et l'intérêt du pays, qu'il n'ait pas encore été mis un terme à cet abus de la force qui pèse dans un pays voisin sur les biens des Belges ; vous savez que le séquestre devait être levé immédiatement après la signature du traité ; la Belgique a fait à cet égard ce que le traité lui imposait.
Dans le traité, il n'est pas question du séquestre en Hollande, parce que l'ambassadeur du roi Guillaume à Londres a déclaré qu'il n'y avait pas de séquestre en Hollande sur les biens des Belges ; c'est un fait notoire. Le séquestre ayant été levé en Belgique, on a mis aussitôt sous le séquestre en Hollande tous les biens de la société générale. Bien plus, parce qu’elle ne payait pas à l’invitation du gouvernement belge, parce qu’elle ne lui avait pas fait de remise de los renten, on a saisi toutes ses valeurs quelconques ; on a saisi tout ce qui était chez ses banquiers ; elle s’est trouvée privée de ses capitaux et de leurs intérêts. Cependant, sous tous les cabinets on a payé bénévolement (j’insiste sur ce mot) 10 millions de francs que le traité a mis à la charge de la Belgique. Je dis bénévolement, car on n'était pas tenu de les lui payer ; car d'après le traité, c'est aux rentiers qu'il fallait payer, ce n'était pas un tribut à payer à la Hollande. Cependant c'est sous la forme de tribut que la somme a été payée, alors que la Hollande exerce tant de vexations à l'égard de la Belgique.
Je laisse de côté les intérêts de la société générale et de ses actionnaires, pour ne traiter la question qu'au point de vue de nos intérêts financiers, au point de vue des voies et moyens. Aux termes de ses statuts, la société générale doit payer annuellement une somme de un million de francs. Le gouvernement belge n'a rien reçu, et il ne recevra rien tant que l'affaire ne sera pas liquidée. Cependant le gouvernement hollandais a perçu sur la société générale plus que jamais il ne lui reviendra, S'il y a abus de la force contre cette société, à la place du gouvernement je voudrais partager la dépouille ; car une grande partie des sommes perçues doivent revenir à la Belgique.
Lorsque vous aurez perçu pendant dix ans 425,000 florins, alors vous serez sur le même pied que la Hollande. Ainsi vous allez payer 5 millions de fr, ; défalquez-en 425,000 florins. Voilà qui tranquillisera les honorables membres qui craignent que les ressources du trésor ne soient insuffisantes.
Ce moyen n'est pas difficile, et je dis que c'est un moyen de dignité. Car il est inconcevable qu'on laisse molester les intérêts belges, les intérêts du gouvernement lui-même comme ils l'ont été sous tons les cabinets qui se sont succédé.
Je dois toutefois le déclarer ; sous tous les cabinets j'ai reçu pour ma part, et dans l'exercice d'autres fonctions que celles que j'exerce ici, les plus belles assurances ; mais chaque fois que le gouvernement a changé, chaque cabinet avait payé son tribut à la diplomatie, et chaque fois on avait laissé la Hollande continuer ses vexations, que je ne saurais comment qualifier et qui, je le déclare ici, font honte à la Hollande. Car sa conduite est contraire à la bonne foi, contraire à l'équité, contraire à la foi des traités, puisque l'ambassadeur de Hollande avait déclaré à Londres qu'il n'y avait pas de séquestre sur les biens des Belges en Hollande.
Messieurs, je n'insisterai pas davantage sur ce point. Si je me suis permis cette digression, c'est qu'il m'a paru que le sujet en valait bien la peine (oui ! oui !) et d'ailleurs il me semble que depuis assez longtemps cet état de choses dure, et qu'il est temps que le gouvernement prenne en sérieuse considération les réflexions que je me suis permises. (Marques d'approbation.)
M. Demonceau, rapporteur - Je félicite la chambre, messieurs, je félicite le pays de ce que vient de dire un honorable collègue, qui mieux que moi est à même de vous expliquer la situation financière du pays vis-à-vis de la Hollande ; j'approuve en tous points les considérations qu'il vient de vous soumettre en ce qu'elles peuvent concerner le règlement de nos affaires financières avec la Hollande. C'est dans ce règlement que nous trouverons non seulement de quoi couvrir le déficit couvert jusqu’à ce jour par notre dette flottante, mais encore que nous aurons un boni et un boni très important.
Ce que vous a dit l'honorable M. Meeus, nous l'avons dit souvent dans les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte. J'ai vu passer au ministère des finances plus d'un ministre, qui a paru effrayé de l'élévation de notre dette flottante. Souvenez-vous de ce que j'ai toujours dit : commencez par régler vos affaires avec la société générale et avec la Hollande, et vous trouverez de quoi faire disparaître cette dette et au-delà.
Ainsi, j'appelle de tous mes vœux un règlement définitif de tous ces différends, parce que ce jour là nous aurons en recettes extraordinaires plus que pour couvrir les insuffisances de recettes arrêtées à ce jour.
Maintenant, messieurs, comme je tiens, en ma qualité de rapporteur, à ce que la question de chiffre soit examinée très attentivement en ce qui concerne la véritable situation des exercices 1840 et 1841, je me permettrai de donner à mes honorables collègues des chiffres qui constatent les recettes présumées, les recettes effectives et les crédits votés pour dépenses pendant ces deux exercices.
Je vais en même temps indiquer où mes honorables collègues trouveront ces renseignements.
Page 25 de la situation du trésor, arrêté au 1er septembre 1841, pièce n° 5, distribué pendant cette session, vous y trouverez, messieurs, que les prévisions pour 1840 avaient été portées à 101,955,569 fr., que les recettes effectives constatées par la situation du trésor, s'élèvent à 103,751,715 fr. 11 c.
Vous trouverez, messieurs, page 100 du même document les crédits votés pour dépenses du même exercice. Ils s'élèvent à 100,718,109 fr. 94 c. ; de manière que, supposant que tous les crédits votés pour l'exercice 1840 soient absorbés, vous trouvez 3,033.606 fr. 17 c. en boni présumé.
Je passe maintenant aux recettes présumées et aux recettes effectives ou considérées comme probables pour l'exercice 1841.
Lorsque nous avons voté, messieurs, le budget des voies et moyens pour 1841, nous n'avons pas discuté le tableau annexé au projet. Mais j'ai cru m'apercevoir dans l'état de situation du trésor qu'on avait suivi les bases établies par l'honorable ministre des finances d'alors.
Vous trouverez aux pages 30 et 31 du document que j'ai déjà cité, que l'on porte les recettes présumées à 101,464,464 fr., et que les recettes effectives, dans lesquelles doivent être comprises les recettes effectuées ou à effectuer en suite des augmentations d'impôt résultant des lois que nous avons votées pendant le même exercice, s'élèvent à 102,311,401 fr. 40 c.
Si vous mettez en regard les crédits votés pour le même exercice (et vous en trouverez le résumé page 127 du même document), vous aurez d'abord une somme de 99,212,862 fr. 85 c. Depuis que nous sommes réunis, nous avons voté pour complément des dépenses présumées du département de la guerre pour 1841, un crédit de 4,750,000 fr. ; de manière que le chiffre du crédit voté et mis à la disposition du gouvernement s'élève à 103,962,86 francs 85 cent.
Ainsi, messieurs, au jour où l'on a arrêté la situation du trésor, il y avait sur l'exercice 1841 un déficit de 1,6131,161 fr. 45 c.
Vous avez à ajouter à cette somme le crédit supplémentaire qui vous a été demandé pour compléter les dépenses du département des travaux publics pendant le même exercice, et vous trouverez quel peut être le déficit présumé sur les crédits votés.
Mais, messieurs, réfléchissez bien à une chose, c'est que dans les crédits votés il s'en trouve toujours qui ne sont pas employés. Et ainsi, par exemple, pour que je vous en indique un qui dans mon opinion ne se dépensera certainement pas, je vous dirai que le crédit voté au budget de la dette pub1ique pour faire face aux dépenses de la dette flottante, ne peut pas se dépenser, selon moi, dans l’exercice 1841 et voici pourquoi. C'est que probablement (au moins je le suppose) M. le ministre des finances, en bon financier, au lieu d'émettre des bons du trésor pour couvrir les insuffisances de ressources du trésor, aura disposé d'une partie des fonds qui ont dû se trouver en caisse, d'après les conventions conclues pour l’emprunt dont le chiffre nominal s'élève à environ 87 millions.
Et en effet, je vois dans le rapport fait par un honorable collègue sur le budget de la dette publique, qu'il ne se trouve que 4 millions de bons du trésor en circulation, tandis que l'on avait fait les fonds pour une somme beaucoup plus élevée.
Messieurs, il est possible que je me sois trompé dans les chiffres que j'ai cités, mais j'ai indiqué la source où l'on peut les revoir et les vérifier.
M. Rogier. - Messieurs, je n'entrerai pas dans la discussion des chiffres qui ont été débattus par les différents orateurs qui ont pris la parole aujourd'hui. Il est cependant un point sur lequel il faut bien que tout le monde soit d'accord, à savoir qu'il y a insuffisance de ressources pour faire face aux besoins.
M. le ministre des finances soutient que pour l'exercice 1842 les recettes couvriront les dépenses. Son honorable prédécesseur a mis en avant des chiffres et des calculs qui jusqu'ici n'ont pas été réfutés, pour établir, au contraire, qu'il y aurait insuffisance de ressources, comparativement aux dépenses.
Mais j'accorde à M. le ministre des finances que ses prévisions en recettes se réaliseront, et que ses prévisions en dépenses ne seront pas dépassées. La concession est large, comme il le voit.
Mais, messieurs, en admettant qu'il n'y aura pas de déficit pour 1842, nous ne comblons pas le déficit qui résulte des arriérés des années antérieures, et nous ne comblons pas le déficit pour les années suivantes. Or, messieurs, voilà deux déficits, autrement dit deux insuffisances de ressources qui sont hors de contestation.
Nous devons faire face à l'insuffisance de nos ressources, quant au passé, par la mise en circulation de près de 25 millions de bons du trésor. Je demanderai à M. le ministre des finances par quelles ressources il croit pouvoir parvenir à éteindre successivement cette dette flottante, qui depuis plusieurs années a été constamment l'objet des craintes et des plaintes de la plupart des membres qui ont pris la parole dans la discussion financière. Quant aux dépenses à venir, messieurs, celles là sont tout aussi inévitables ; si on ne fait pas des promesses vaines, on nous a annoncé, messieurs, plusieurs dépenses nouvelles ! Un projet de loi déposé sur le bureau il y a quelques jours nous annonce qu'à l'avenir la dette publique sera augmentée d'une somme de quatre cent mille francs par an. C'est ce qui résulterait de la convention passée avec la ville de Bruxelles. Cette convention, que nous n'avons pas encore à apprécier et que j'approuve, quant à moi en principe, cette convention ne se bornera pas à imposer au trésor belge une somme de quatre cent mille francs, il y aura d'autres charges résultant de l'entretien des bâtiments et de mobilier qui passeront au compte de l'Etat. Il est possible que de ce chef il y ait une centaine de mille francs à ajouter à nos budgets.
Maintenant, messieurs, si cette convention reçoit la sanction des chambres, au commencement de l'exercice 1842, il faudra bien payer la rente de 400,000 fr. et de plus la dépense supplémentaire dont j'ai parlé.
Il faudra bien que ces diverses sommes figurent au budget de 1842. Eh bien, je demande avec quelles ressources on couvrira ces nouvelles dépenses.
On nous annonce, et mon opinion est que le moment est venu de faire face à ce nouveau besoin, on nous annonce pour cette année la discussion sérieuse de la loi sur les indemnités. C'est encore là une loi qui doit aboutir à une charge nouvelle. En ne l'estimant qu’à 5 ou 600,000 francs par an, si la loi des indemnités reçoit une sanction dans le courant de cette session, je demanderai par quelle ressource on couvrira cette nouvelle dépense.
Il y a, messieurs, encore d'autres améliorations promises, je crois ces améliorations, bonnes en elles-mêmes ; mais si on ne veut point qu'elles demeurent à l'état de promesses, il faudrait savoir avec quelles ressources on couvrira les dépenses qui doivent en résulter.
M. le ministre des finances (M. Smits) - De quelles améliorations parlez-vous ?
M. Rogier - Je parle de l'augmentation des traitements de l'ordre judiciaire, de l'amélioration de nos voies navigables, de l'augmentation des traitements des membres de la cour des comptes et de ceux peut-être des fonctionnaires de l'ordre administratif. Voilà, messieurs, des améliorations qui nous ont été annoncées dans le discours du trône et auxquelles je m'associe en principe dès à présent.
Le discours de la Couronne a aussi appelé notre attention sur l'urgence de la loi sur l'instruction moyenne et primaire, et le gouvernement a demandé la priorité pour cette dernière.
Si cette demande est sérieuse (et je ne le mets pas en doute), si nous procédons à la discussion de cette loi dès le commencement de l’année 1842, il en résultera encore un accroissement de dépenses. Eh bien, si l'on n'est pas à même de couvrir cette dépense au moyen de ressources réelles, savez-vous ce que diront les adversaires de la loi ?
Savez-vous ce que diront ceux qui ne veulent pas de loi sur l'enseignement primaire et moyen ? Ils diront qu'avant de faire de nouvelles dépenses il faut au moins que l'équilibre soit rétabli dans le trésor. Voilà, messieurs, le raisonnement que feront les adversaires de la loi.
De même ceux qui ne voudront pas de la loi d'indemnité relative à la ville de Bruxelles, ni de la loi des indemnités générales, viendront nous dire : Point de nouvelles dépenses puisque les ressources actuelles sont insuffisantes.
Or, comme c'est très sérieusement que je veux les améliorations dont j'ai parlé, comme je désire que la convention faite avec la ville de Bruxelles soit sanctionnée, comme je désire voir organiser l'enseignement primaire et moyen sur des bases larges, je demande que M. le ministre des finances nous dise avec quelles ressources il fera face à ces nouveaux besoins, et, je le préviens que s'il ne répond pas d'une manière satisfaisante à cette question, lorsque les propositions que le cabinet a faites viendront en discussion, on les ajournera par les raisons que je viens de faire connaître.
M. le ministre des finances, à la vérité vient nous dire qu'il apporte aux affaires un nouveau système, que depuis 11 ans tous ses prédécesseurs n'avaient rien eu de mieux à faire que de proposer des centimes additionnels à l'impôt ; que pour lui, il voyait les choses de plus haut, qu'il s'occuperait de créer de nouvelles ressources, non pas par ce vieux procédé des centimes additionnels, mais par la révision de l'impôt. Rien de mieux ; mais ce sont encore là des promesses et des ajournements. Le système de la révision de l'impôt n'est d'ailleurs point nouveau, il remonte à la constitution. Dès 1831, le congrès a recommandé de réviser l'impôt, et, si je ne me trompe, à différentes époques, divers ministres se sont occupés de la révision de l'impôt. Ou ma mémoire me fait défaut, ou il existe encore près du département des finances, une grande commission qui a été chargée d'examiner les lois d'impôt et de proposer un système nouveau, je ne sais pas ce qu'est devenu cette commission, ni où en sont ses travaux. Nous avons, messieurs, tant de commission de tant de genre que véritablement on s'y perd.
Ainsi, messieurs, quant aux dépenses arriérées, quant aux dépenses à venir, en supposant que le budget de 1842 s'équilibre parfaitement, point sur lequel je n'ai pas tous mes apaisements, mais que je veux bien accorder pour un moment, nous n'en sommes pas moins en présence de deux déficits, un derrière et un devant nous.
Un honorable membre qui siège de ce côté, a fait observer qu'il n'était point d'une bonne comptabilité, alors surtout qu'on est en déficit, de faire figurer parmi les ressources permanentes et ordinaires des remboursements de capitaux. Cette opinion, messieurs, je l'ai soutenue l'année dernière avec mon collègue le ministre des finances. D'après l'honorable M. Smits cette opinion et cette manière de faire seraient contraires aux règles d'une bonne comptabilité et d'une saine économie politique, J'ignore, messieurs, ce que l'économie politique prescrit de faire en pareille matière, mais ce que je sais, c'est qu'il est formellement interdit aux administrateurs financiers des moindres communes de procéder de cette façon.
Ainsi, chaque fois que dans un budget communal un conseil propose de couvrir des dépenses annuelles avec des remboursements de capitaux, la députation permanente de la province raye du budget une semblable proposition et dit à la commune : Placez vos capitaux, ne mangez pas votre fonds ; portez au budget l'intérêt de vos capitaux, mais ne dépensez pas vos capitaux eux-mêmes. Voilà de quelle manière on procède vis-à-vis des communes, et lorsque dans le budget de l'Etat, déjà grevé d'un arriéré considérable, on porte comme ressources ordinaires des remboursements de capitaux, je dis qu'on donne par là un très mauvais exemple aux communes.
Ce n'est pas, messieurs, que je veuille imputer à tort à M. le ministre des finances d'avoir fait figurer au budget de cette année ce qui a toujours figuré dans les budgets précédents, c'est-à-dire les remboursements des capitaux, mais je m'élève contre la doctrine qui tend à faire considérer ce système comme bon et sage en lui- même.
Je dis au contraire qu'un pareil système ne paraît conforme ni à l'économie politique, ni à l'économie domestique, Que dirions-nous d'un particulier déjà obéré, qui pour couvrir les dépenses annuelles entamerait ses capitaux au lieu de se contenter de ses revenus ?
Messieurs, j'aurais quelques observations à faire relativement au chiffre présenté pour le chemin de fer, mais je crois que ces observations trouveront mieux leur place à l'article qui s'y rapporte.
Je terminerai par une question que j'adresserai à MM. les ministres, relativement à deux arrêtés, contresignés par eux dans l'intervalle d'une session à l'autre.
Par un arrêté du 26 juillet 1841, que MM. les ministres de l'intérieur et des finances ont contresignés, ils modifient le tarif des douanes, en ce qui concerne les droits d'entrée sur les fils de lin, de chanvre et d'étoupes. Cet arrêté est motivé sur l'urgence et sur les pouvoirs que la loi du 26 août 1822 alloue au gouvernement. La loi du 26 août 1822 porte en effet un article qui réserve au gouvernement la faculté de soumettre les produits étrangers à des droits plus élevés, lorsque le bien du commerce et de l'industrie l'exige. Mais jusqu'ici cet article a été considéré comme abrogé par la constitution.
Je sais fort bien que c'est une loi qui autorise le gouvernement à modifier dans certains cas le tarif, mais cette loi (je fais ici un appel à la chambre), cette loi, je pense, a été considérée comme abrogée à plusieurs reprises, on a cherché à introduire dans la loi du budget des voies et moyens un article équivalant à celui de la loi de 1822 et toujours cet article a été repoussé, on n'a pas voulu accorder une pareille autorisation au gouvernement. A-t-on bien fait ? Au point de vue administratif, au point de vue pratique, je crois que non. Je crois qu'il peut être bon que dans l'intervalle d'une session à l'autre le gouvernement soit autorisé à modifier les lois de douanes. Mais le gouvernement a pris sur lui de faire ce qui a été refusé jusqu'ici par le pouvoir législatif, et sur quelle matière le gouvernement a-t-il opéré de la sorte ? sur une matière qui avait fait l'objet d'une de vos discussions spéciales.
Il a été fait aux chambres des propositions que les chambres ont repoussées ; et voilà que deux ou trois ans après, le gouvernement, sans autre forme et vu l'urgence, dit-il, établi par simple arrêté ce qu'il n'a pas pu obtenir des chambres par une proposition de loi.
Messieurs, je crois que cette manière de procéder n'est pas convenable. Je ne demande pas mieux que de voir revivre la disposition que-je viens de citer. Si même la chambre se tait sur ce qui a été fait, je déclare que je ne soulèverai pas la question de savoir si on a oui ou non violé la loi. Mais si la chambre veut rester conséquente avec elle-même, elle ne peut approuver la mesure qui a été prise en cette circonstance.
Du reste, si l'illégalité de l'arrêté du 26 juillet peut être contestée, et je présume qu'elle sera contestée, il est un autre arrêté où l'illégalité, selon moi, est flagrante ; je veux parler de l'arrêté du 17 juillet, contresigné par MM. les ministres comte de Briey (alors ministre des finances) Nothomb et Desmaisières.
Cet arrêté se fonde sur plusieurs considérants, je donnerai lecture du premier, parce qu'il renferme une formule nouvelle qui ne me paraît pas non plus marquée au coin d'une très haute convenance administrative :
« Des exploitants de houillères ayant exposé, tant à nous qu'à nos ministres, que les exportations en Hollande sont peu considérables, aussi bien que les recettes qui en résultent pour le trésor en péages sur les canaux et rivières. »
Or, messieurs, que porte l'article premier de la loi du budget des voies et moyens de 1842 ? Voici ce qu'on y trouve :
« Les impôts directs et indirects, existant au 31 décembre 1841, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires, tant pour le fonds de non-valeur que pour le profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières, continueront à être récupérés pendant l'année l842, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception. »
Eh bien, depuis le mois de juillet dernier, les impôts perçus d'après les tarifs des canaux et rivières, ne le sont plus aux termes de la loi du budget, ils le sont aux termes d'un simple arrêté.
Je reconnais que cet arrêté pouvait avoir son utilité, même son opportunité ; mais quant au caractère de légalité, je le lui dénie d'une manière absolue.
Jamais l'on n'a procédé à l'égard de la loi d'une façon plus cavalière.
M. Demonceau. -. Je demande la parole.
M. Rogier - Et l'on n'a pas même été conséquent avec soi-même. Il y a deux ans, lorsqu'il s'est agit de réduire le péage sur le canal de la Sambre, pour les exportations vers la France, a-t-on pris sur soi d'établir cette réduction par simple arrêté ? Non. On est venu proposer à la chambre... (Interruption sur le banc où siége M. Doignon.) Je ne sais si M. Doignon se propose de défendre la légalité de la mesure que je signale...
M. Doignon - Vous n'avez pas le droit de me demander cela.
M. Rogier - C'est que vous m'interrompez.
M. Doignon - Vous vous trompez, je ne vous ai pas interrompu.
M. le président. - Je recommande le silence.
M. Rogier. - Je disais donc, relativement au tarif de la Sambre, qu'on ne l'avait pas modifié par simple arrêté royal ; qu'on était venu proposer à la chambre un projet de loi qui, après une longue discussion, a été transformé en loi du royaume. Bien plus, je trouve dans la proposition qui nous est faite au budget des voies et moyens la preuve que lui-même reconnaissait ne pas avoir les droits nécessaires pour faire ce. qu'il a fait ; en effet, il demande dans l'article 4 l'autorisation de continuer à régler les tarifs par arrêtés.
La section centrale n'adopte pas cet article ; elle le renvoie à une loi spéciale. Quand cette loi spéciale sera-t-elle présentée ? Quand sera-t-elle votée ? Dieu le sait : nous avons un arriéré considérable nous avons beaucoup de lois urgentes à faire. Qu'arrivera-t-il en attendant ? C'est que l'article premier, s'il reste rédigé comme on le propose, placera le commerce dans une situation incertaine vis-à-vis des mesures qui ont été prises sans être sanctionnées par la législature.
La loi dit que les impôts continueront d'être perçus conformément aux tarifs existants. Qu'est-ce à dire ? Est-ce conformément aux tarifs modifiés par arrêté royal ? ou conformément aux tarifs antérieurs, aux tarifs légaux, aux tarifs de l'année dernière ? Il est important qu'on s'explique sur ce point.
Je crois qu'il est impossible de rester dans la situation d'aujourd'hui. Il faut, ou que l'arrêté soit retiré, ou qu'il soit couvert par la loi ; pour moi, j'incline fort pour qu'il soit couvert par la loi ; je donne en principe mon approbation à l'arrêté qui a pu être pris dans de bonnes intentions ; mais enfin, si la chambre avait été assemblée à celle époque, si la chambre n'avait pas été renvoyée dans ses foyers, je ne mets pas en doute que le ministère ne fût venu nous proposer de faire ce qu'il a pris sur lui d'arrêter ; je lui demanderai si telle n'aurait pas été son intention.
Ainsi, messieurs, me résumant, je me bornerai à poser deux questions à M. le ministre des finances et à ses collègues ; je demanderai au ministre des finances avec quelles ressources il compte pouvoir faire face aux besoins réels et bien constatés tant du passé que de l'avenir ; je demanderai aux autres ministres s'ils considèrent comme parfaitement conformes à la loi les deux arrêtés que je viens de signaler à la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, les deux mesures dont l'honorable préopinant vous a entretenus, étaient utiles : il ne le conteste pas ; elles étaient indispensables, urgentes.
Il est très vrai que, quant à l'arrêté du 17 juillet, relatif à la réduction des péages, le doute a paru admis. C'est moi qui ai proposé à la chambre un projet de loi, comme ministre des travaux publics, pour la réduction des péages sur la Sambre. Mais remarquez-le bien, il s'agissait ici d'une réduction permanente, et non d'un essai, pour un temps limité, pour quelques mois,
Le gouvernement, à l’effet de faire cesser tous les doutes, a demandé une autorisation formelle par l'art.4 du projet de budget des voies et moyens. Qu'arrivera-t-il, a demandé l’honorable membre, si cet article est ajourné ou rejeté ? La réponse est très simple ; dans tous les cas l'essai fait par l'arrêté du 26 juillet cesse au 1er janvier. Celle question est résolue et ne doit pas donner d'inquiétude. .
Au 1er janvier, les tarifs, quant à l'exportation vers la Hollande, reprendront force et vigueur, Il vous sera rendu compte, messieurs, de l'expérience faite pendant les six mois, et ce travail sera pour la chambre elle-même un élément d'appréciation. Je crois même que cet essai était indispensable pour juger si la mesure, considérée comme permanente, est bonne ou non : la chambre pourra décider en parfaite connaissance de cause, s'il faut autoriser le gouvernement à opérer une réduction d'année en année.
S'il s'était agi d'une réduction permanente, d'une mesure définitive, le gouvernement aurait pu hésiter.
Je crois que dans le doute la distinction pouvait être faite, ce doute, d'ailleurs, a été admis par l'honorable préopinant. C'est moi, je le répète, qui, en qualité de ministre des travaux publics, avait proposé le projet de loi relatif à la Sambre, et dans la discussion qui a été très courte, des doutes sur la nécessité de la présentation de cette loi ont été exprimés par l'honorable préopinant, mon successeur ; il y a plus, dans les derniers temps de sa présence aux affaires, il projetait, si mes renseignements sont exacts, il projetait, une large réduction de péages, en vertu d'un arrêté royal.
On ne conteste pas l'utilité, l'opportunité ; on doute de la légalité. On aurait pu aussi considérer la mesure financièrement. Il sera constaté que l’Etat n’y a pas perdu ; il sera constaté que la recette qui était très peu considérable, en ce qui concerne les exportations vers la Hollande, avant l'arrêté, s'est augmentée depuis.
Quant au deuxième arrêté, nous n'admettons pas qu'il y ait doute. La loi du 26 août 1822 est formelle : l'honorable préopinant a donné lecture de l'article, dont nous nous sommes prévalus.
Si l'on soutient qui cette disposition n'existe plus, il faut se fonder sur cet argument, qu'elle serait incompatible avec la constitution ; mais s'il y a incompatibilité entre la constitution et la loi ancienne de 1822, alors une nouvelle loi deviendrait impossible, loi que l'honorable préopinant désire pourtant. Il est donc ici en contradiction avec lui-même.
Du reste, nous n'avons pas non plus entendu échapper à la discussion sur cette question. Le projet de loi destiné à ratifier et à compléter l'arrêté du 26 juillet, concernant les fils, ce projet vous est présenté. Le gouvernement y a joint tous les actes d'une instruction fort étendue.
Messieurs, si vous décidez, avec l'honorable préopinant, que l'article 9 de la loi du 26 août 1822 est abrogé, le gouvernement saura alors quelle sera sa position vis-à-vis des industries du pays et des gouvernements étrangers ; il saura qu'il ne peut rien ; il saura que, quelqu'urgentes que soient les circonstances, il n'a pas, dans l'intervalle des sessions, le pouvoir nécessaire pour porter un remède ; sa position sera bien connue, sa responsabilité sera à couvert, puisque son impuissance sera bien constatée ; il importait que cette impuissance fût constatée ; ce sera le résultat du vote que vous aurez à émettre.
On n'a pas, depuis 1830, fait usage, dit-on, de cette loi de 1822 ; mais le non-usage d'une loi n'implique pas abrogation. Il y a beaucoup de lois dont on a fait un usage soudain, dans différentes circonstances, après un long oubli, pour ainsi dire.
Je regrette que depuis 1830 on n'ait pas fait usage de cette loi. Je regrette que trop souvent le gouvernement ait paru désarmé ; j'aurais voulu que maintes fois on eût usé de la loi ; qu'on en eût usé chaque fois que l'on a vu les tarifs subitement changés à l'étranger ; j'aurais voulu qu'on en eût fait usage, par mesure de représailles, quand en France on a tout à coup élevé les droits sur les blondines et les brabantes.
Si on avait pu dire alors que le gouvernement était armé d'une loi semblable, croyez-vous qu'on aurait procédé avec aussi peu de ménagement de nos intérêts.
J'aurais voulu que lorsque l'Angleterre qui, comme le disait tout à l'heure M. Meeus, nous vend pour 60 millions au-delà de ce que nous lui vendons, a trouvé exorbitant que la Belgique lui fournît pour 1,500 mille francs de chicorée, j'aurais voulu que le gouvernement eût immédiatement usé de la loi de 1822 par représailles.
Le gouvernement soutient donc que la loi existe ; qu’elle est nécessaire, que si elle n'existait pas, il faudrait se hâter de la porter.
Ainsi, en résumé, la portée de l'arrêté du 17 juillet relatif aux péages n'a pas de quoi effrayer. C’est un essai ; le doute viendra à cesser puisque nous demandons qu’il y soit mis un terme par une disposition, formant soit un article du budget, soit une loi spéciale. Quant au deuxième point, nous, pensons, de bonne foi, que l'article 9 de la loi de 1822 existe et qu'il est nécessaire.
(Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1841) M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l'honorable M. Rogier, en s'élevant contre le budget des voies et moyens, a vu deux déficits, l'un par devant, l'autre par derrière. Je connais un déficit par devant, celui que je vois ; mais ce n'est pas l'administration actuelle qui l'a créé ; il existe depuis nombre d'années ; C'est le déficit de la dette flottante que nous avons déjà réduit de près de trois millions. Quant au déficit de l'avenir, nous en jugerons quand il se présentera.
L'honorable M. Rogier nous a dit : « Mais déjà des dépenses extraordinaires se présentent, la rente de quatre cent mille francs pour la ville de Bruxelles, les indemnités, et vous n'indiquez pas avec quoi vous les couvrirez. »
Je pourrais renvoyer ce reproche au précédent cabinet, qui avait également présenté une loi d indemnité, sans indiquer dans le budget des voies et moyens les ressources pour y faire face.
Quoi qu'il en soit, quand ces lois seront présentées, quand vous les aurez à examiner, le gouvernement indiquera par quels moyens il y aura lieu de couvrir les dépenses. D'ailleurs, si, comme le pense l'honorable M. Rogier, la rente pour la ville de Bruxelles et les sommes à allouer en indemnités aux victimes de 1830 ne doivent entraîner qu'une allocation d'un million à peu près, il sera peut-être très facile de la couvrir par le budget ordinaire, puisqu'il y a toujours dans les budgets des dépenses variables, qui sortent de leur cadre pour faire face à d'autres dépenses nouvelles, Or une marge d'un million se présentera toujours quand on le voudra. Au reste, je le répète, quand le moment sera venu de discuter ces dépenses, nous indiquerons les ressources pour y faire face.
L'honorable membre a critiqué ce que j'avais répondu à l'honorable M. Mercier, et ici je dois supposer qu’il m'a probablement mal compris. J'ai dit qu'il était contraire aux principes d'économie politique de demander de l'argent aux contribuables quand on n'en avait pas rigoureusement besoin, et qu'on avait d'ailleurs la perspective de quelques ressources extraordinaires. On ne saurait, en effet, contester que l'argent réclamé de cette manière aux contribuables ne soit une perte réelle, en ce que le contribuable peut mieux faire fructifier cet argent, dans l'intérêt général, que l'Etat ne pourrait le faire en le faisant entrer dans sa caisse.
L'honorable membre a aussi parlé d'une manière que je ne qualifierai pas de ce que nous avons dit du système que nous nous proposons de suivre sur la révision des impôts, Ce système, messieurs, je le maintiens comme rationnel, mais il n'y a rien d'absolu dans un gouvernement sur aucune matière. Ainsi, quand j'ai parlé de la révision de l'impôt d'une manière générale, cela n'excluait pas d'autres moyens auxquels on pourrait avoir recours faire face aux dépenses.
(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1841) M. Pirmez. - J'ai demandé la parole pour prémunir le gouvernement contre une idée qu'a émise l'honorable M. Meeus et qui par suite de l'autorité qu'il doit avoir en pareille matière pourrait influer sur la décision du gouvernement. Celle idée a déjà été émise ; à plusieurs époques on a invité le gouvernement à avoir un système monétaire particulier, on a dit que cela empêcherait les crises d'argent. Pour moi, je crois au contraire que le système qu'on propose ferait venir les crises d’argent en Belgique et que si nous avons été préservés de ces crises jusqu’ici, ou au moins si elles n'ont pas eu toutes les influences fâcheuses qu’elles auraient pu avoir, c'est que nous avons pu avoir recours à des monnaies étrangères. Je vous le demande, si nous avions eu un système monétaire à nous, si nous avions eu un argent belge, ce qui serait arrivé lors de la suspension de la banque de Belgique. Votre crise aurait été bien plus forte qu'elle n'a été, puisque vous n'auriez eu aucun réservoir de numéraire derrière vous pour faire face aux besoins, tandis que vous avez la France avec ses immenses réservoirs de numéraire où dans les crises d'argent vous pouvez toujours aller puiser.
Cette question est assez importante pour qu'on y réfléchisse. Je me permettrai de m'étendre parce que l'autorité, en matière de finance, de la personne à laquelle je réponds, pourrait jeter le gouvernement dans une mauvaise voie.
Dans le temps où il s'est agi de la refonte des anciennes monnaies, on a émis cette idée que la monnaie manquait. J'avais été chargé du rapport sur ce projet, et sur cette question j'ai écrit quelques lignes que je demanderai la permission de lire. Je me bornerai à la partie où j'ai traité la question des crises d'argent. Il s'agissait d'un achat de 27,600 kil. d'argent fin et l'on disait qu’il serait probablement très difficile au directeur de la monnaie de se procurer ces 27,600 kil.
« La section centrale n'a pas décidé s'il était vrai, ainsi que le prétend la 2e section, que la rareté du numéraire se fit vivement sentir en Belgique. Elle n'a pas décidé non plus si, en achetant 27,600 kilog. d'argent au titre de 0,980, et si, en mêlant cet argent fin aux métaux que nous possédons, en le fabriquant en monnaie et en jetant cette monnaie dans la circulation, on parviendrait à augmenter réellement la masse de la monnaie circulante en Belgique. Il existe sur ce point des idées fort divergentes.
« Toutefois on a fait remarquer sur cette importante question, que l'exposé des motifs dit que le directeur de la monnaie ne pourrait peut-être pas se procurer facilement les 27,000 kit. d'argent nécessaires à cette opération, attendu le prix élevé auquel reviendra en ce moment la matière rendue à Bruxelles. Si cette crainte est fondée, ne doit-on pas conclure que le besoin de monnaie métallique se fait si peu sentir à Bruxelles, que la demande n'en peut élever assez la valeur pour en payer les frais de fabrication, et que les métaux précieux y sont plus estimés sous une autre forme que sous celle de monnaie ? Dans un pareil état de choses, si on s'obstinait fabriquer de la monnaie, ne serait-elle pas bientôt refondue ?
« Le gouvernement pourrait-il d'ailleurs augmenter selon sa volonté la quantité de monnaie circulante ? Non, car pour y parvenir il ne faudrait rien moins que détruire la confiance qu'ont les habitants de la Belgique, soit les uns envers les autres, soit envers les étrangers. L'idée de confiance, de crédits, repousse l'idée de circulation de la monnaie métallique. Vouloir l'existence d'un grand crédit et en même temps une grande circulation de numéraire, c'est une contradiction, c'est demander qu'il fasse jour et nuit en même temps. Le crédit fait disparaître le numéraire, c'est la défiance qui le rappelle.
« Supposons, pour donner un exemple, un nombre au hasard ; supposons qu'outre la monnaie métallique, cent millions de billets ordre se trouvent dans la circulation en Belgique. Ces billets, comme le numéraire, ne servent qu'aux échanges. Pourrait-on bien se figurer que la quantité des échanges restant la même il fût possible d'augmenter la quantité du numéraire, sans supprimer une égale quantité de billets à ordre, de faire entrer, par exemple, dix millions de numéraire dans la circulation, sans en retirer pour dix millions de billets ? Certes, cela ne serait pas praticable, puisque les billets et le numéraire remplissent les mêmes fonctions, ils ne peuvent exister simultanément, il faut donc que les billets, c'est-à-dire le crédit disparaisse, pour que le numéraire que le gouvernement fabriquerait trouvât place dans la circulation.
« Mais si la confiance augmente au lieu de diminuer, si, pour opérer la même quantité d'échanges, cent dix millions au lieu de cent millions de billets, peuvent entrer dans la circulation, il est évident qu'il serait non seulement impossible d'augmenter la quantité du numéraire, mais de maintenir dans la circulation celle qui s'y trouve déjà. Dix millions de numéraire devraient infailliblement disparaître devant les dix nouveaux millions de billets, parce que ceux-ci viendraient remplir l'unique fonction que remplissait le numéraire, celle de servir aux échanges. Et si la confiance était plus considérable encore, le numéraire se retirerait dans la proportion de la quantité de billets qui trouveraient place dans la circulation.
« Cette retraite de la monnaie métallique, l'apparition du crédit est toute naturelle. Le numéraire est composé de métaux qui, outre la faculté de faciliter les échanges, possèdent encore celle de satisfaire une multitude d'autres besoins. Un calcul récent établit que l'Angleterre consomme annuellement pour soixante millions de francs de métaux précieux en meubles et en bijoux. C'est à quarante millions qu'on porte ce qu'en consomme la France. Que ces chiffres soient exacts ou non, on peut toujours bien apprécier par ce que nous voyons en Belgique, que cette consommation est considérable. Comment serait-il donc possible, quand les billets viennent remplir l'office d'une partie du numéraire qui par là devient inutile, que les métaux précieux qui le composent, n'en quittassent pas la forme, pour en prendre une autre, sous laquelle ils satisfont des besoins, procurent des jouissances, ou, si on l'aime mieux, donnent un intérêt, un profit.
« Il résulte donc que fabriquer et émettre beaucoup de monnaie, ce n'est pas en augmenter pour longtemps la masse circulante. Mais, en établissant cette vérité, on n'a voulu traiter aucune question de crédit, ni encore moins faire l'éloge de la confiance outrée. Le crédit qui ne repose pas sur le vrai, sur la saine appréciation des choses, est une exagération qui jette beaucoup de perturbation dans les fortunes, et dont les réactions forcent les métaux précieux à reprendre la forme du numéraire pour opérer les échanges.
« En effet, le crédit exagéré, qui vient d'une confiance aveugle en certaines choses ou en certains hommes, ne peut durer, car il n'y a que le vrai qui soit durable. Lorsque l'erreur se dissipe, les titres de propriété de ces choses, et les promesses de ces hommes, qui naguère servaient aux échanges, ont perdu cette faculté, parce qu'on sait que la somme de choses utiles que ces titres promettaient de donner ne sera point délivrée au porteur. Si l'erreur a été grande, si la confiance a été excessivement exagérée, la réaction se fait sentir en proportion. La défiance devient extrême à son tour, et les possesseurs des choses utiles ne veulent plus s'en dessaisir sur une promesse de recevoir dans l'avenir d'autres. choses utiles, il faut les livrer à l'instant même. Ce sont les métaux précieux, dont l'empreinte atteste la qualité et la quantité, et sert par conséquent à en apprécier la valeur.
« Si la Belgique se trouvait dans cette situation, la monnaie remplacerait infailliblement les billets, et la masse de numéraire en circulation serait considérable dans la proportion que la défiance existerait. Dans ce cas-là, il eût fort probable que le directeur de la monnaie se procurerait facilement les 27,600 kil. d'argent dont parle le projet, parce que, dans l'état social actuel, échanger les choses est un besoin impérieux. Comme, pour le satisfaire, il faut du numéraire à défaut de crédit, les métaux précieux acquerraient une plus grande somme d'utilité, auraient une plus grande valeur sous la forme monétaire que sous toute autre, et on trouverait par conséquent profit à fabriquer de la monnaie. »
Voilà une partie de ce que j'ai écrit alors sur cette question ; j'ai cru devoir la livrer à vos réflexions et à celles du gouvernement, parce que je crois qu'il serait très pernicieux de se priver volontairement de ces immenses dépôts de numéraire qui sont à votre frontière et dont nous pouvons disposer dans toutes les crises d'argent.
M. Rogier. - L'honorable ministre de l'intérieur a dit que moi-même j'avais exprimé des doutes sur la possibilité de régler par arrêté ce qui concerne le péage des canaux ; il a même ajouté que j'aurais préparé, avant ma retraite, une mesure par laquelle j'aurais réduit par voie administrative les péages des canaux. Je crois que l'honorable préopinant a été mal renseigné. Quant à l'opinion que j'aurais exprimée dans cette enceinte, je n'ai pas souvenir d'avoir soutenu que le gouvernement avait le droit de réduire les péages sur la Sambre par simple arrêté royal.
En second lieu, je n'avais pas préparé d'arrêté royal tendant au but qu'on a voulu atteindre par l'arrêté que j'ai signalé ; j'aurais pu demander si en ce qui concerne les canaux du Hainaut exclusivement, on pourrait procéder à la réduction du tarif par simple arrêté royal. Pourquoi aurais-je fait cette distinction ? Parce que la loi du 1er mai 1834 porte que, quand le chemin de fer sera terminé entre Anvers et Liége, le tarif des canaux du Hainaut devra être réduit au même taux que les péages du chemin de fer. Eh bien, on aurait pu élever la question de savoir si un simple arrêté royal ne suffisait pas pour exécuter cet article de la loi. Ici l'arrêté aurait eu pour but l'exécution de la loi. Mais jamais il ne me serait venu à l'esprit d'appliquer à d'autres canaux ou rivières une réduction de péages par simple mesure administrative. .
Quant à l'arrêté sur les fils de lin, je n'ai exprimé que des doutes. J’ai voulu seulement appeler l'attention de la chambre sur une mesure, dont je reconnais l’utilité, et que j'approuve en principe. Quant à l'application, je ne la juge pas. Il résultera de mon observation, si elle n'est pas contestée, que ce pouvoir appartient réellement au gouvernement. Quand à moi, je m'applaudirai si la discussion doit amener ce résultat. .
En 3e lieu, M. le ministre des finances n’a pas voulu qualifier la manière dont j’ai envisagé son système relatif à la révision des impôts. Je ne crois pas que mon langage eût besoin d'être qualifié ; je ne crois avoir rien dit de personnel à l'honorable ministre des finances.
Il a dit que mon honorable collègue des finances n'avait pas non plus indiqué à la chambre les moyens de faire face aux dépenses. Il faut que la mémoire de l'honorable ministre des finances lui aie fait défaut ; il ne peut avoir oublié que l'an dernier mon collègue avait proposé plusieurs lois d'augmentation d'impôt, notamment sur le café et sur la bière, qui n'ont pas reçu l'assentiment de la chambre.
Plusieurs autres lois ont eu un sort plus heureux, et le budget des voies et moyens s’en est fort bien trouvé. Mais alors même que le ministre des finances proposait ces augmentations, il annonçait que si elles n’étaient que partiellement admises, pour les budgets suivants il serait obligé de proposer de nouvelles ressources. Qu'est il arrivé ? Que les plus fortes augmentations n'ont pas été admises, et que dès lors la situation financière est restée dans un état assez mauvais ou nous l'avions trouvé et d'ou nous avons cherché à la faire sortir.
J'espère donc que M. le ministre des finances dont je ne mets pas doute les bonnes intentions prendra sur lui de proposer à la chambre les moyens de sortir de cette situation précaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant a reconnu que, dans les derniers temps de son ministère, il s'était occupé d'un projet de réduction, par arrêté, de péages sur les canaux du Hainaut. Il est très vrai que la loi du 1er mai 1834 porte que, quand le chemin de fer sera terminé entre Anvers et Liége, les péages sur les canaux du Hainaut devront être réduites au taux des péages du chemin de fer.
Le principe de la réduction est seul posé ; il n'est pas dit comment la réduction sera faite, si par une loi, si par un arrêté.
Ici le préopinant devait être arrêté par la même objection qu'il me fait en citant l'article 1er du budget des voies et moyens, pour les réductions en général. Il voudra bien le reconnaître avec moi, la question n'est pas plus jugée dans un cas que dans l'autre.
Au reste, cette question et celle qui concerne l'exécution de la loi de 1822 vous sont déférées. L'une est comprise dans l'art. 4 du budget des voies et moyens. Si cet article est renvoyé à une loi spéciale, elle sera examinée. Dans tous les cas, au 1er janvier l'arrêté vient à cesser.
Quant au second arrêté, la question est soulevée par le projet de loi relatif aux fils ; la question y est longuement développée ; on y indique pourquoi la mesure est indispensable en principe, et pourquoi l'application de cette mesure a été indispensable en fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les sections centrales du budget de l'intérieur et du budget des voies et moyens se sont adressées au ministère de l'intérieur pour avoir des renseignements sur l'achat du British-Queen ; j'ai pensé que dans une affaire aussi grave il importait à la chambre d'avoir un exposé complet des faits ; j'ai préparé un compte-rendu de l'exécution de la loi relative à la navigation transatlantique ; je le dépose sur le bureau avec les pièces à l'appui.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
La séance est levée à 4 heures et demie.