(Moniteur belge n°57 du 26 février 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune fait l’appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Lejeune communique les pièces de la correspondance :
« Le sieur Paul Archert, né en France et habitant la Belgique depuis 1815, demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur F.-J. Hernould, brasseur à Alloy, demande le remboursement des droits payés par un brassin qui a été perdu aux deux tiers par suite d’une ouverture survenue à la chaudière. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des administrations communales des bureaux de charité des ouvriers et des cultivateurs d’un grand nombre de communes du Hainaut demandent une législation protectrice de la fabrication du sucre indigène. »
M. Verhaegen – Messieurs, on vient de rendre compte de plusieurs pétitions adressées à la chambre, par les raffineurs de sucre indigène ; la question qu’elles soulèvent est de la plus haute importance et présente tous les caractères d’urgence. Les raffineurs de sucre indigène se plaignent de la position dans laquelle ils se trouvent placés, sollicitent du gouvernement des mesures qui, tout en améliorant leur industrie, doivent augmenter les ressources du trésor. Il est de notre devoir de saisir un semblable moyen de fournir les caisses de l’Etat.
Dans ces circonstances, je demanderai que les pétitions, dont on vient de faire l’analyse, soient imprimées au Moniteur, et que la partie des voies et moyens concernant les sucres, soient mise à l’ordre du jour aussi vite que possible, et même immédiatement après le vote du budget des travaux publics.
M. le président – La chambre a déjà fixé l’ordre de la discussion de ce qui doit compléter le budget des voies et moyens. La question des sucres s’y trouve comprise, mais elle ne vient pas en première ligne.
M. Verhaegen – Puisque l’ordre dans lequel la question des sucres sera mis en discussion a été fixé, je n’insisterai pas sur ma première proposition, je me bornerai à demander l’impression des pétitions au Moniteur et le dépôt sur le bureau.
M. de Garcia – J’avais demandé la parole pour présenter à peu près les mêmes observations que l’honorable M. Verhaegen. Je pense qu’outre l’insertion au Moniteur, il serait utile que la section centrale, chargée de l’examen du budget des voies et moyens nous présentât un rapport sur ces pétitions, qu’elle fît en quelque sorte un supplément de rapport sur les pétitions relatives à l’industrie du sucre indigène. Je fais cette demande avec d’autant plus d’instance qu’il y a 12 pétitions qui sont couvertes de plus de 1,200 signatures, ce qui prouve l’utilité et l’importance du rapport que je demande.
M. le président – La chambre a toujours renvoyé à la section centrale du budget des voies et moyens les pétitions relatives à ce budget pour en faire l’analyse, ce que cette section centrale a toujours fait avec soin.
M. Desmet – Je désire savoir si toute l’enquête commerciale a été imprimée, et notamment ce qui concerne la question des sucres sur laquelle je pense qu’elle doit vous donner des renseignements utiles.
M. le président – J’ignore les faits ; M. le président de la commission d’enquête peut seul donner les renseignements demandés.
M. Desmaisières, président de la commission d’enquête – Messieurs, la commission d’enquête s’occupe activement du rapport qu’elle a à faire à la chambre. La chambre recevra probablement aujourd’hui ou demain le numéro 4 des documents de l’enquête, viendra ensuite le numéro 5 qui sera le rapport de la commission. Ce rapport, comme vous le pensez, est assez volumineux et assez long à achever. Mais je demanderai à la chambre l’autorisation de considérer le rapport , dès à présent, comme déposé sur le bureau et de pouvoir continuer l’impression et la distribution au fur et à mesure que les feuilles seront prêtes.
J’annoncerai en même temps que la question des sucres dont il s'agit actuellement a été longuement traitée par la commission et que cette partie de son rapport est achevée. Mais l’impression ne peut pas encore se faire, parce qu’il y a d’autres articles qui doivent passer avant dans l’ordre adopté pour le rapport. Cependant, si la chambre le désire, on pourra mettre la question des sucres en tête des 50 et quelques articles qui devront être traités dans le rapport.
M. le président – M. Desmaisières propose de considérer le rapport de la commission d’enquête comme déposé, pour en continuer l’impression et de placer la question des sucres en tête.
- Cette proposition est adoptée.
M. Demonceau – Si vous renvoyez les pétitions dont il s’agit à la section centrale du budget des voies et moyens, elle s’en occupera certainement le plus activement possible. Cependant je dois vous dire que l’opinion de la section centrale, sur la question des sucres, comme elle l’exprime dans son rapport, est qu’il faudrait un changement de système et non une amélioration au système actuel. Le gouvernement a transmis à la section centrale des documents qui prouvent qu’il s’occupe de ce changement de système.
Il me semble que ce qu’il y aurait de mieux à faire, serait d’imprimer ces pétitions, les gouvernement les examinerait et verrait s’il n’y a pas lieu de faire quelques propositions autres que celles qu’il a faites au budget des voies et moyens, quand viendra la discussion de ces propositions.
M. Smits – Si j’ai bien compris, il s’agit de pétitions qui demandent que la chambre prenne en considération la situation de l’industrie du sucre indigène. Si c’est là le sens des pétitions dont il vient d’être parlé, ce qui serait le plus convenable serait de les renvoyer à la commission d’enquête déjà chargée de faire un rapport sur cette industrie et qui pourrait peut-être trouver dans ces pétitions les moyens de rendre son rapport plus complet.
Il me semble que le renvoi à la section centrale n’aurait pas le résultat qu’on désire. Personne n’est plus à même de présenter des conclusions sur ces requêtes que la commission d’enquête qui déjà s’est occupée d’une manière spéciale de la question. Je crois donc que c’est ce renvoi qu’il faudrait ordonner, si toutefois je ne me suis pas trompé sur la nature des pétitions dont il s’agit.
M. David – Je crois qu’on a fait la proposition d’imprimer toute l’enquête au Moniteur (Non ! non !)
M. le président – Elle sera imprimée comme les autres actes de la chambre.
M. David – Voici la proposition que je ferai à la chambre : Si la chambre veut faire imprimer l’enquête à part, pourquoi n’en ferait-elle pas le tirage à un nombre d’exemplaires tel qu’on pût satisfaire aux demandes des personnes qui désireraient se procurer ce travail ? Ce serait une spéculation financière qui diminuerait les frais de l’enquête. Je ne sais s’il est de la dignité de la chambre de permettre une telle spéculation, mais elle est rationnelle ; elle diminuerait, je le répète, les frais de l’enquête. On cherche les économies, en voici une toute claire.
M. Mast de Vries – Je pense que les pétitions qui ont été adressées à la chambre devraient être renvoyées au gouvernement plutôt qu’à la commission d’enquête. Si le gouvernement a une proposition à faire relativement à la question des sucres, il pourra y puiser des renseignements. Mais il est évident que la question des sucres doit être traitée. Il existe un tel malaise dans cette industrie que plusieurs raffineurs devront cesser si la chambre ne prend pas une décision sur la question des sucres. Voilà trois propositions qui ont été faites sur cette question. Qu’on décide ce qu’on veut en faire.
Le rapport de la commission d’enquête est fait ; il n’y aurait rien à y changer ; le renvoi à cette commission je servirait donc à rien.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne m’oppose pas au renvoi des pétitions au ministère des finances. Déjà, lors du rapport sur le budget des voies et moyens, le gouvernement a annoncé qu’il s’occupait de la législation sur les sucres. Des améliorations à la législation actuelle sont proposées, mais c’est sans préjudice à des projets qui tendraient à la réformer entièrement. Le travail est préparé, mais il ne sera présenté que quand il aura été communiqué aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture. Combiné avec celui qu’on annonce être préparé par la commission d’enquête, ce travail amènera, nous l’espérons, l’adoption d’un système qui sera de nature à concilier, autant que possible, les divers intérêts engagés dans cette question.
M. Verhaegen – L’honorable M. Mast de Vries considère la question des sucres comme très urgente par la raison, dit-il, que les raffineurs devront cesser leur industrie, s’ils ne savent définitivement à quoi s’en tenir. Je ne sais si l’honorable membre a voulu parler des raffineurs de sucre exotique ou bien des raffineurs de sure indigène. Mais moi, je pense que ce seront les raffineurs de sucre indigène qui devront fermer leurs raffineries, si la législature ne s’empresse pas de venir à leur secours.
C’est sous ce point de vue que je considère la question comme très urgente, en même temps qu’elle est très favorable aux ressources du trésor. Quand des contribuables viennent eux-mêmes offrir des voies et moyens considérables au gouvernement, je crois que nous devons les accepter avec empressement et je puis ajouter avec reconnaissance.
L’honorable M. Smits croit qu’il faudrait renvoyer les pétitions à la commission d’enquête, autant vaudrait les renvoyer aux calendes grecques. La commission d’enquête a fait un rapport sur la question des sucres. Son honorable président vient de vous dire qu’il serait bientôt imprimé et distribué. Cette commission a donc rempli sa mission, et il est plus que probable qu’elle ne changera rien à son travail.
Des pétitions, en grand nombre, sont adressées à la chambre ; on vient d’en analyser quelques-unes. J’en ai demandé l’impression au Moniteur, et je persiste dans cette demande ; je crois qu’il faudrait en outre les renvoyer à la section centrale du budget des voies et moyens, qui pourrait s’en occuper immédiatement. Je ne vois pas d’objection à ce renvoi, nonobstant l’observation de l’honorable député de Verviers ; car si la section centrale croit devoir persister dans sa première opinion, elle se bornera à présenter une analyse des pétitions et à donner son avis.
Pour moi, d’après le contenu des pétitions, je suis convaincu qu’il y aurait moyen de satisfaire à toutes les exigences. On pourrait présenter à la loi des voies et moyens un amendement tendant à remplir le but qu’on se propose. Le renvoi à la section centrale serait suffisant pour atteindre ce but.
M. Demonceau – Si l’honorable M. Verhaegen voulait, dès à présent, présenter son amendement, et si la chambre le renvoyait à la section centrale, je comprendrais que cette section émît une opinion. Mais je dois vous dire que des relations qu’a eues la section centrale, il est résulté que le gouvernement s’occupe de la question. C’est ce qu’avait demandé la section centrale. Du moment qu’on accède à sa demande, elle n’a plus rien à dire.
M. Smits – L’honorable M. Verhaegen craint que le renvoi à la commission d’enquête ne soit le renvoi aux calendes grecques. A cet égard, il est complètement dans l’erreur. La commission d’enquête vous a dit, par l’organe de son honorable président, qu’elle s’est occupée de la question, que son rapport est fait, mais qu’il n’est pas encore imprimé. Ainsi, cette commission, si vous lui renvoyez les pétitions, peut les examiner et modifier son rapport, si elle trouve qu’il y a lieu à modification. Et n’est-il pas tout naturel de renvoyer des pétitions à une commission qui s’est déjà occupée de l’objet dont elles traitent ?
Au reste et sans insister là-dessus, je suis parfaitement d’accord avec l’honorable M. Mast de Vries, qu’il faut que ces questions soient tranchées ; car ce sont ces réclamations incessantes sur l’impôt du sucre qui partent tant de l’extérieur que de l’intérieur de cette chambre ; c’est cette mobilité perpétuelle de la législation qui produit les inquiétudes, et, par suite, les souffrances de l’industrie ; et il est vraiment fâcheux qu’après les modifications faites à la législation sur les sucres, en 1838, cette industrie soit encore en question. Cela est déplorable ; car, je le répète, c’est de là que vient la souffrance d’une des plus importantes et des plus intéressantes de nos industries.
M. Eloy de Burdinne – M. le ministre des finances vous a dit qu’il allait envoyer son projet de loi à l’avis des commissions d’agriculture et des chambres de commerce.
Peut-être après, dira-t-on qu’il faut l’envoyer aux députations permanentes des conseils provinciaux. Si tout cela n’est pas le renvoi aux calendes grecques, c’est au moins du bois d’allonge ; cela peut nous mener fort loin.
Dans mon opinion, le trésor ne doit pas attendre longtemps ; il en a d’autant plus besoin qu’on augmente constamment les dépenses. Un honorable préopinant a dit qu’en 1838 on a révisé la loi, cela est vrai ; on a établi le rendement de telle manière qu’un impôt qui, d’après les prévisions, devait rapporter 1,800,000 francs, n’a rapporté que 600,000 francs. Ainsi, nous avons manqué notre but.
M. le président – Ceci est le fond.
M. Eloy de Burdinne – Je réponds à l’observation de l’honorable préopinant. Je crois être dans mon droit. Je dis que la révision n’a pas eu de résultats conformes aux prévisions de la chambre, que par conséquent, on doit y revenir.
La révision n’est pas si compliquée qu’on veut bien le croire. La question a été résolue en France ; il est plus facile encore de la résoudre en Belgique, puisque la France a des colonies à protéger, et que nous n’en avons pas.
M. Smits – Je ne veux pas entrer dans le fond de la question. Je me bornerai à relever une erreur qu’a commise l’honorable préopinant. Il a dit que la révision de la législation des sucres, faite en 1838, n’avait pas réalisé les prévisions de la chambre ; cela n’est pas exact. Non seulement ces changements ont réalisé les prévisions de la chambre ; mais ils ont même été au-delà de ses prévisions. Quand on entrera dans le fonds de la question, il me sera facile de prouver ce que je viens d’avancer.
- La chambre, consultée, ordonne l’insertion des pétitions au Moniteur, et les renvoie à la section centrale du budget des voies et moyens.
M. Lejeune, secrétaire continue la lecture de la correspondance :
« Lettre de M. d’Hoffschmidt faisant connaître qu’il n’a pu assister à la séance d’hier pour cause d’indisposition. »
« Message du sénat faisant connaître l’adoption du projet de loi relatif au roulage. »
- Pris pour notification.
M. Mast de Vries, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif au traité de commerce et de navigation avec la Grèce, dépose sur le bureau le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je demande que la discussion de ce projet soit fixée immédiatement après le vote définitif du budget des travaux publics. Je dois faire remarquer que l’époque fixée pour l’échange des ratifications est très prochaine et que les distances sont grandes. Il serait donc désirable que la chambre pût examiner le projet de loi, dans un très court délai. Je ne pense pas qu’il donne lieu à une longue discussion.
M. de Foere – Comme le traité n’a pas été examiné dans les sections, mais par une commission, et comme il présente plusieurs questions très importantes, je crois qu’il conviendrait que la chambre eût le temps de l’examiner, dans toutes ses dispositions, dans tous ses résultats.
M. le président – Le rapport pourrait-il être imprimé aujourd’hui ?
M. Mast de Vries – Non, pas aujourd’hui, mais demain.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il n’y a que cette circonstance qui me fasse désirer que le traité soit mis à l’ordre du jour.
Ce traité a été fait en vertu des instructions données par le gouvernement ; il est entièrement conforme à ces instructions. Il y a déjà longtemps qu’il a été signé ; l’époque fixée pour l’échange des ratification est très prochaine.
Un membre – Quelle est cette époque ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – C’est, je crois, le 25 mars.
Cet échange ne sera probablement pas accepté, d’après les renseignements qui m’ont été donnés, avant qu’on ait la certitude que les chambres législatives ont sanctionné le traité. Voilà mes raisons, je n’en ai pas d’autres.
Quant aux questions que ce traité peut soulever, elles ne sont pas nouvelles dans cette chambre, elles ne le sont pas surtout pour l’honorable M. de Foere.
Je crois donc qu’on peut, sans inconvénient, alors qu’on vient de nous dire que le rapport sera peut-être distribué demain, fixer la discussion après celle du budget des travaux publics. Si la chambre entrevoyait quelque inconvénient, lorsqu’il s’agira d’aborder cette discussion, elle sera toujours maîtresse de changer son ordre du jour ;
M. Donny – Messieurs, je demanderai à l’honorable rapporteur si, à la suite de son rapport, il fera imprimer les différentes pétitions et les observations des chambres de commerce relatives à ce traité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il n’y en a qu’une.
M. Donny – Lorsque j’ai fait la motion d’imprimer ces pétitions au moniteur, M. le rapporteur nous a dit qu’il y en avait cinq ou six (Non ! non !) On n’en a inséré qu’une. Cela me fait penser qu’il en existe encore trois ou quatre à faire imprimer.
M. Mast de Vries – Il existe différentes pétitions relatives au traité avec les Etats-Unis ; mais il n’y en a qu’une seule contre le traité avec la Grèce ; C’est celle de la chambre de commerce d’Ypres. Elle sera imprimée à la suite du rapport.
M. de Foere – Quand une discussion s’est établie dans cette chambre sur l’impression de pétitions au Moniteur, la question n’a pas été resserrée dans celles relatives au projet de traité avec la Grèce. Il a été entendu que toutes les pétitions sur les autres traités seraient aussi insérées, parce qu’en effet c’est absolument la même question ; tous les traités reposent sur le même principe.
M. Smits – je ne crois pas que le principe dont vient de parler l’honorable préopinant ait été posé. Il n’a pas été dit que toutes les pétitions contre les différents traités de commerce seraient insérées simultanément.
Que peut vouloir la chambre ? Connaître les pétitions contre le projet de traité dont elle va s’occuper. Or, il me semble que, puisqu’il n’y a qu’une seule pétition relative au traité avec la Grèce, celle-là seule doit être insérée à la suite du rapport.
Quand il s’agira de faire le rapport sur le traité avec les Etats-Unis, on imprimera les pièces relatives à ce traité. Mais quant à faire insérer toutes les pétitions simultanément je ne conçois pas le but de cette publication.
M. Delehaye – Je ne pense pas qu’il soit entré dans l’opinion de l’honorable M. Smits de modifier la décision de la chambre.
On avait demandé l’insertion au Moniteur des pétitions relatives au traité avec la Grèce ; et sur ma proposition, la chambre a décidé que toutes les pétitions, non seulement celles contre le traité avec la Grèce, mis aussi celles contre celui avec les Etats-Unis, seraient imprimées.
Je demande que la chambre maintienne sa décision.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il faut s’entendre. Exige-t-on la publication immédiate par le Moniteur de toutes les pétitions en même temps que celle qui est relative au traité avec la Grèce ? exige-t-on non seulement la publication de la pétition relative à ce traité, mais aussi celles des pétitions qui sont relatives au traité avec les Etats-Unis ? (Oui ! oui !)
Eh bien, soit ! Je n’y vois pas d’inconvénient. Je pensais cependant qu’il était plus opportun d’imprimer les pétitions au traité avec les Etats-Unis quand ce traité serait mis à l’ordre du jour. Mais je ne vois pas assez d’importance dans la manière d’entendre cette publication pour insister. Je crois qu’on peut insérer de suite toutes les pétitions, surtout puisque d’honorables membres voient quelques relations entre le traité avec la Grèce et celui avec les Etats-Unis.
M. le président – Toutes les pétitions seront imprimées immédiatement au Moniteur. La chambre décide que le projet relatif au traité avec la Grèce sera discuté après le second vote du budget des travaux publics.
M. le président – La discussion continue sur le chapitre relatif au chemin de fer.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, j’ai demandé la parole en vue de chercher à convaincre M. le ministre des travaux publics, de la nécessité d’apporter la plus stricte économie dans les dépenses de construction du chemin de fer, et de faire en sorte que les fonds votés pour cette grande entreprise lui suffisent pour achever complètement tous les travaux de cette espèce, si, comme je le prévois, il venait nous annoncer plus tard que des dépenses imprévues le constitue dans la nécessité de réclamer de nouveaux subsides au moyen d’emprunt ; je doute fort que la législature accueille favorablement cette réclamation ; et vous en conviendrez avec moi, si on devait augmenter les dépenses en travaux publics, les recettes ordinaires ne suffiraient pas, nous n’aurions d’autre ressource que la voie des emprunts.
Afin d’éviter cette fâcheuse circonstance, je viens de nouveau inviter M. le ministre à oublier, quand il s’occupe des travaux du chemin de fer, que les beaux-arts sont dans ses attributions. Je l’engage aussi de résister aux sollicitations des hommes de l’art, qui toujours sont d’avis que les travaux exécutés par un gouvernement doivent se faire d’une manière digne de lui, c’est-à-dire avec élégance, je dirai même avec luxe ; et cela pour que par la suite, il soit dit : c’est sous la direction de tel ingénieur que ces beaux ouvrages ont été construits ; en outre, afin de rendre la Belgique le sujet d’admiration de nos voisins, ce qui, j’en conviens, est du patriotisme, mais qui coûte fort peu à MM. les patriotes ingénieurs.
Evitons s’il est possible, qu’après avoir été le sujet d’admiration, nous ne devenions le sujet de la risée de la part de ceux qui nous auront admirés.
On pourrait bien un jour nous comparer à la grenouille ambitieuse de la fable de La Fontaine.
En passant à Malines, j’ai remarqué une construction gigantesque faite avec assez d’élégance, et, si je suis bien informé, ce gigantesque bâtiment est destiné à remiser les wagons. Je ne contesterai pas la nécessité d’avoir des remises, mais ce que je crois pouvoir contester, c’est l’utilité de l’élégance ; on aurait, selon moi, pu, avec la moitié de la dépense que doit coûter cette construction, faire les remises nécessaires.
Dans mon opinion, je crois aussi pouvoir contester avec les cinquième et sixième sections la nécessité de la double voie particulièrement là où le chemin de fer est parallèle avec de belles routes et de beaux canaux, de même que sur la partie, à partir de Louvain à la frontière de Prusse, je crois qu’une seule voie suffirait ; cette grande communication ne sera pas, d’après mes prévisions, fort fréquentée après deux ans d’achèvement ; dans le principe j’en conviens, les curieux oisifs voudront aller voir les bords du Rhin, d’autres voudront voir les bords de la Senne à Bruxelles, après cela on ne fréquentera plus le chemin de fer que par nécessité.
Si, comme on nous l’avait promis, lors de la discussion de ce beau et grandiose travail (le chemin de fer) on avait l’espoir que Cologne devînt un port de mer belge (M. Devaux nous avait fait espérer cette conquête sur la Hollande) ; si, comme on le prétendait encore hier, la Belgique était destinée à faire le commerce avec l’Allemagne et de remplacer le Havre et la Hollande, alors notre chemin de fer vers l’Allemagne serait fréquenté ; mais je ne crois pas, pour cela, que deux voies soient nécessaires, au moins provisoirement, et je considère une deuxième voie dans cette direction comme objet de luxe, ainsi que Namur vers Braine-le-Comte.
Non, messieurs, Cologne ne sera jamais un port de mer belge ; la Hollande saura éviter que nous la remplacions ; nous ne concourrons pas avec elle, déjà on vous l’a dit, la Hollande baisse ses péages pour conserver son marché.
Si on avait adopté ce système et employé les fonds à construire une seule voie partout, je crois que les communications vers l’Allemagne et de Namur à Braine-le-Comte serait près d’être terminées ; tandis que d’ici à longtemps, Namur particulièrement ne jouira pas de ce moyen de transport accéléré, si toutefois elle en jouit jamais ; car je crains que les doubles voies enlèvent les sommes disponibles pour une grande partie, et qu’un jour on devra peut-être renoncer à achever la route de Namur à Braine-le-Comte, faute de moyens pécuniaires, au train dont nous allons, je prévois que les recettes du trésor seront réduites de plus de 10 millions, d’ici à trois ans. Je m’expliquerai lors de la discussion du budget des voies et moyens.
En résumé, je crois qu’une seule voie suffirait, moyennant une bonne direction dans les départs, et que de Bruxelles on pourrait très bien les augmenter considérablement et les porter même à dix par jour, moyennant une bonne administration, et l’on sait que les stations étant très rapprochées, il serait facile de régler les départs de manière que chaque convoi se croiserait à chaque station ; de telle sorte qu’à chaque station il y aurait toujours deux convois qui se croiseraient ; l’un allant vers l’Allemagne, l’autre venant vers Bruxelles, pour cela il ne faudrait que du bon vouloir.
Messieurs, toutes les sections se plaignent des frais qu’entraîne la perception sur le chemin de fer. Vous savez que cette perception coûte à l’Etat 10 p.c. ; et on nous assure qu’en Angleterre elle se fait à raison de 1 p.c.
Je l’ai déjà dit, nous sommes une jeune nation ; nous avons besoin des leçons de l’expérience, et je crois qu’il est bon d’aller les chercher chez nos voisins et de profiter des moyens économiques qu’ils sont parvenus à introduire dans leurs dépenses.
La première section se plaint aussi de ce qu’on accorde aux inspecteurs des frais de tournées, des frais de voyages. En effet, messieurs, je crois que l’on a nommé des inspecteurs, afin de faire des inspections, et que leur traitement est destiné à les indemniser de leurs tournées. Je ne crois pas qu’on leur donne des traitement pour inspecter seulement leurs bureaux.
Messieurs, vous savez que, par suite de la construction du chemin de fer, une quantité de maîtres de postes qui se trouvent sur les routes parallèles, sont dans la position la plus fâcheuse, obligés qu’ils sont, d’après les règlements, de tenir une quantité de chevaux qui ne sont souvent employés qu’une fois par mois. Il est certain que c’est une charge énorme pour les maîtres de poste, et j’invite M. le ministre à faire cesser ce qui est la ruine de ces personnes.
Messieurs, on vous a parlé hier de la réduction des produits de la poste. Eh bien ! je crois que cette réduction est due en grande partie à l’établissement du chemin de fer.
Si mes renseignements sont exacts, le commerce d’aujourd’hui ne se sert plus guère de la poste pour transmettre sa correspondance. Je ne garantis pas le fait que je vais signaler, mais au moins aujourd’hui il est généralement répandu et accrédité. Voici ce qu’on dit : C’est que les commerçants d’une grande ville que je ne nommerai pas, ayant à correspondre avec une ville de commerce que je ne nommerai pas davantage, s’entendent de manière à envoyer un commissionnaire qui se charge de la correspondance, enfermée bien entendu dans une boîte, et qui est ensuite portée à domicile. Je le répète, je ne suis pas certain du fait ; mais il parait être tel que je viens d’avoir l’honneur de vous le dire. Sous ce rapport j’appellerai encore l’attention de M. le ministre.
Messieurs, on a demandé hier qu’on puisse transporter sur le chemin de fer les houilles à bon marché, c’est-à-dire à un taux tel que le gouvernement retire seulement les frais de combustible et de traitement des employés chargés du transport de la houille.
On vous a dit que si on adoptait ce système, nous pourrions récupérer le marché français. Messieurs, je ne le crois pas ; parce que si vous diminuez vos péages, la France augmentera l’impôt en faveur de ses producteurs, de manière à exclure encore vos houilles. Car, enfin, vous le savez, les droits de douanes sont des droits établis pour favoriser les industries du pays.
Messieurs, quant à toutes ces diminutions, je vous avoue que je désirerais volontiers qu’on trouvât le moyen de nos transporter par le chemin de fer pour rien ; je serais également très charmé de voir que pour favoriser le commerce et l’industrie, on pût transporter les produits et les marchandises de toute espèce aussi pour rien ; enfin je voudrais que nous puissions faire disparaître tous les impôts ; mais je crois que la chose serait difficile, je crois que si l’on faisait une proposition de cette nature, M. le ministre des finances la combattrait de tout son pouvoir.
A la vérité, messieurs, les populations croient que, par suite de l’établissement du chemin de fer, nous allons être débarrassés de nos impôts, que les produits du chemin de fer vont remplacer toutes les contributions ; dans les classes inférieures cette opinion est tellement répandue que chacun s’écrie : « Comment, on augmente les contributions alors que le chemin de fer rapporte assez pour couvrir tous les frais d’administration du pays ! »
M. David – Messieurs, l’honorable préopinant, M. Eloy de Burdinne, pour censurer la demande de réduction de tarif pour le transport de la houille par le chemin de fer, demande que j’ai faite hier, argumente d’une manière tout à fait fausse. J’aurais parlé de la réduction sur le chemin de fer pour l’exportation vers la France. M. Eloy part d’un point tout à fait faux. Mais il n’a donc ni entendu ni relu mon discours au Moniteur. Il est évident, messieurs, que je n’ai touché aux transports à bon marché que pour favoriser l’exportation vers la Méditerranée, la Hollande, etc.
Le Hainaut a des canaux pour l’importation en France. Il est fort bien doté. Je ne me suis pas occupé de cela.
Hier, messieurs, j’avais demandé la parole pour répondre immédiatement à l’honorable député de Mons qui s’était si vivement ému au premier mot que j’ai prononcé sur l’emploi du chemin de fer pour le transport à bon marché des houilles de Liége.
Messieurs, je suis sûr que la lecture de mon discours au Moniteur aura calmé la susceptibilité par trop grande de l’honorable M. Sigart, et dans ce sens je ne suis pas fâché que ma réponse n’arrive qu’aujourd’hui.
Si par hasard l’honorable député de Mons n’était pas tout à fait rassuré, voici ce que j’ajouterais relativement au Hainaut.
En faisant ressortit les avantages du transport à bon marché des charbons par le chemin de fer, je n’ai pas voulu vous en exclure, messieurs ; vous avez ou vous aurez bientôt le chemin de fer comme nous ; mes vœux sont généraux ; je désire de tout mon cœur que l’on vous fasse comme à nous toutes les réductions compatibles avec l’intérêt de cette entreprise nationale. Mais d’une part, si sur la possession du chemin de fer, nous sommes dans une positon égale, voici, d’une autre part, comment ces positions différents :
Vous avez des canaux à satiété, messieurs, et nous n’en avons pas. Ces canaux transportent vos produits en France par millions d’hectolitre ; vous avez des canaux qui plongent au cœur de la Belgique. Nous avons concouru à vous doter de ces canaux, et avec ces canaux vous avez envahi nos débouchés jusqu’à Louvain. Nous ne parlons pas même de reconquérir ces débouchés, auxquels nous avons autant de droit que vous ; nous demandons à vendre à la Méditerranée, à la Hollande, en un mot à l’étranger, et le Hainaut s’alarme ! Il fait ressortir l’énormité de nos exigences, en nous montrant la Meuse, qu’il qualifie de voie naturelle. C’est une grande consolation, messieurs, de posséder une voie naturelle comme celle-là, une voie sur laquelle on navigue à pleine eau pendant trois mois par an. Je préférerais certes bien à cette voie naturelle un seul de vos jolis petits canaux, voie artificielle qui rapporte un million 200 francs en péage par an.
Mais en résumé, je vous le demande, quel mal cela vous fait-il donc que nous exportions ? Que ce soient nous plutôt que les Anglais qui vendions hors de la Belgique ?
Voyez à quoi nous sert notre fameuse voie naturelle sur laquelle nous pleurions avant-hier, et sur laquelle on s’extasie aujourd’hui ; à coup sûr ce n’est pas à faire concurrence au Hainaut dans le débouché français, où nous n’expédions presque plus rien. Notre seule exportation est la Hollande ; mais là des entraves, des difficultés pour le batelage, des droits prohibitifs ou à peu près, puisque les charbons allemands et anglais n’en sont pas frappés ; là les obstacles se présentent à nous en foule.
Je m’arrête, messieurs, je ne ferai pas de nouveau retentir cette enceinte de nos trop justes doléances. Je me bornerai à dire en terminant, à l’honorable député de Mons, qu’il serait injuste de se montrer soucieux d’un accroissement de prospérité dans une province, lorsque cet accroissement ne préjudicie pas aux intérêts de la sienne.
Au Hainaut appartient, comme à toute autre province, cette espèce de contrôle qui maintient et défend l’équilibre des intérêts de tous à l’intérieur ; mais je ne lui reconnais pas le droit de nous entraver dans nos relations à l’extérieur, de chercher à poser des entraves à notre exportation.
M. Delfosse – Messieurs, un honorable député du Hainaut a, dans la séance d’hier, repoussé comme nuisibles aux intérêts de la province les observations qui avaient été présentées par l’honorable M. David dans le but d’obtenir une réduction du prix du transport par le chemin de fer des houilles destinées à la consommation extérieure. Je regrette, messieurs, que cet honorable député de Mons se soit, dans cette circonstance, laissé dominer par un esprit de localité peu compatible avec les sentiments d’équité qui l’animent ordinairement.
Je croyais que les paroles échangées il y a quelques jours entre l’honorable M. Dolez et moi avaient mis les provinces de Hainaut et de Liége bien d’accord sur la question des houilles ; je croyais qu’il était convenu entre nous que le gouvernement ne devrait rien faire qui fût de nature à donner à l’une de ces provinces la supériorité sur l’autre et rendre la concurrence impossible ou inégale.
Ce n’est donc pas sans surprise que j’ai entendu l’honorable M. Sigart répondre à l’honorable M. David qui réclamait pour nos houilles l’usage du chemin de fer : « Quel besoin avez-vous du chemin de fer, n’avez-vous pas la Meuse ? » Sans doute, messieurs, nous avons la Meuse, mais l’honorable membre a-t-il déjà oublié qu’il a été dit, à plusieurs reprises dans cette enceinte, sans être contesté par personne, que la Meuse n’est navigable que pendant une très faible partie de l’année, et que la navigation de ce fleuve n’est jamais exempt de difficultés, ni de périls ? Ne se souvient-il pas que la discussion du budget des affaires étrangères a fait ressource cette vérité, que le gouvernement hollandais a mis à la navigation de ce fleuve des entraves telles que la partie situées entre Maestricht et la Hollande, est pour ainsi dire fermée à nos bateaux.
L’honorable M. Sigart nous a dit que nous avons la Meuse, c’est donc de l’ironie, c’est comme s’il nous disait : « Vous n’avez rien ; contentez-vous de ce que vous avez. » Nous aimons à croire que ce n’est pas là le dernier mot de l’honorable député du Hainaut.
Bien loin d’avoir montré trop d’exigence, je soutiens, messieurs, que l’honorable M. David n’en a pas eu assez ; non seulement il aurait dû demander la réduction du tarif pour les houilles destinées à la consommation intérieure, mais il aurait dû la demander aussi pour les houilles destinées à la consommation intérieure.
Lorsqu’on a conçu le projet du chemin de fer, on a fait espérer au pays que cette voie de communication contribuerait, par le bas prix du transport des marchandises, à la prospérité du commerce et de l’industrie ; c’est même là une des causes qui ont rallié à ce projet gigantesque un grand nombre de suffrages. La commission supérieure d’industrie et de commerce disait, dans un rapport présenté à M. le ministre de l'intérieur, du 8 mars 1833 :
« Indépendamment des avantages indirects que l’agriculture et les fabriques retireront d’une communication nouvelle, utile au commerce, elle recevront des services immédiats, qu’il leur importe également de se ménager.
« Les manufactures jouiront d’une grande économie dans les frais de transport de combustible et des matières premières. »
MM. Simons et Deridder disaient à leur tour, dans un mémoire qui a été publié à peu près à la même époque :
« Les houillers de Liége, pour conserver leurs exploitations en activité, ont besoin aujourd’hui d’exportation par les eaux de l’Escaut pour regagner le débouché que les charbonnages d’Angleterre remplissent maintenant. (Page 69, 2e édition, Bruxelles, 1833).
Jusqu’à présent, messieurs, les espérances qu’on vous avait fait concevoir alors ne se sont pas réalisées ; au contraire, le prix du transport des houilles par le chemin de fer est plus élevé qu’il ne l’était autrefois par les routes pavées. Cela vous paraît étrange, messieurs, et cependant cela est rigoureusement exact.
Avant la création du chemin de fer, une foule de voituriers se rendaient de Liége à Louvain pour y charger des denrées coloniales et d’autres marchandises en destination pour Liége et pour l’Allemagne ; pour utiliser le voyage de Liége à Louvain, pour ne pas faire ce trajet à vide, ces voituriers se chargeaient du transport de la houille à des prix excessivement modérés. On ne payait alors que 6 à 7 francs pour le transport de Liége à Louvain de 1,000 kilog. de charbons, pris à la houillère et rendus au domicile du consommateur.
L’établissement du chemin de fer a fait disparaître la plupart de ces voituriers ; le chemin de fer est actuellement la seule voie praticable pour le transport des houilles de Liége à Louvain ; d’après le tarif en vigueur, on paye 27 francs 50 c. pour un wagon de 4,000 kilog., c'est-à-dire 6 francs 87 ½ c. pour mille kilogrammes, mais il faut ajouter à 6 francs 87 ½ c. environ 3 francs que coûte le transport de la houillère à la station d’Ans et de la station de Louvain au domicile du consommateur, de manière que ce qui ne coûtait autrefois que 6 ou 7 francs, en coûte maintenant à peu près 10, grâce au chemin de fer.
Qu’est-il résulté, messieurs, de cette élévation du prix des transports ? Il en est résulté que nous ne pouvons plus lutter comme autrefois sur le marché de Louvain contre les houilles de Charleroy ; les houilles de Charleroy s’y vendent 18 à 20 francs par 1,000 kil., tandis que nous ne pouvons, dans l’état actuel des choses, livrer les nôtres qu’à 24 francs ; le marché de Louvain est donc perdu pour nous.
Pour rétablir l’équilibre, pour rendre la lutte entièrement égale, il faudrait faire subir au tarif une réduction beaucoup plus forte, une réduction dont M. le ministre des finances s’effraierait à bon droit ; aussi ce n’est pas une semblable réduction que les exploitants de Liége sollicitent du gouvernement : ils se bornent à demander que le tarif soit réduit de 27 francs 50 c. à 20 francs, c’est-à-dire qu’au lieu de payer 6 francs 87 ½ c. pour mille kilogrammes on ne paie plus que 5 francs.
Si, comme je l’espère, cette réduction leur est accordée, ils se trouveront à peu près dans la position où ils étaient avant l’établissement du chemin ; le chemin de fer ne leur aura pas procuré les avantages qui leur avaient été promis, mais du moins il ne leur aura pas fait de mal.
L’honorable M. Sigart doit voir maintenant que nous ne sommes ni trop déraisonnables ni trop exigeants ; il doit voir que nous savons tenir compte des charges qui pèsent sur les houilles du Hainaut, et des fortes patentes auxquelles les habitants de cette province sont assujettis, et dont il a parlé hier. Notre demande ne tend qu’a pouvoir livrer à Louvain au prix de 22 francs ce que Charleroy livre à 18 ou 20 francs, elle ne tend qu’à nous faire obtenir par le chemin de fer ce que nous avions par les routes pavées lorsque le chemin de fer n’existait pas ; ce n’est pas une faveur, en un mot, c’est un acte de justice.
Il est possible, messieurs, que cet abaissement du tarif aura pour résultat d’opérer une diminution dans les recettes, mais cette diminution sera amplement compensée par les avantages immenses que l’industrie et la population tout entière retireraient du bas prix du combustible ; le prix élevé du combustible est, pour l’industrie, une cause de langueur et de dépérissement, et pour les masses, une cause de vives souffrances. Il y a, messieurs, des diminutions de recettes qui enrichissent un pays, comme il y a des augmentations qui le ruinent.
M. Desmet – Messieurs, quand j’avais demandé hier la parole, pendant le discours de l’honorable M. Dechamps, qui a soulevé une question très importante quand il a insisté sur la nécessité de faciliter le transport des marchandises dans l’intérêt du commerce et de l’industrie ; je l’avais surtout demandée parce que l’honorable orateur ne parlait en ce moment que du transport par le chemin de fer, tandis que le transport le plus important est celui qui se fait par eau.
Il faut certainement faire tout ce qu’on peut pour favoriser le commerce et l’industrie qui sont dans la plus grande souffrance ; mais je crains fort que les moyens dont on parle ne soient devenus insuffisants ; il y a encore autre chose à faire, messieurs, dans l’intérêt du commerce et de l’industrie ; mais je prévois que malheureusement, dans la session actuelle, nous ne ferons encore rien. Nous voterons beaucoup d’argent, surtout pour le chemin de fer, mais la question de l’industrie linière ne sera pas traitée, la question du commerce extérieur ne le sera pas davantage. Nous ne ferons rien pour le commerce et l’industrie, tandis que le pays est dans la plus grande misère ; jamais la misère n’a été aussi grande que maintenant, et il est vraiment déplorable que le gouvernement n’a pas l’idée de s’en apercevoir, car si on en était bien pénétré, on ne s’occuperait pas à faire tant de travaux de trop au chemin de fer, à dépenser tant d’argent, on s’occuperait sérieusement à venir au secours des ouvriers des diverses classes et à leur procurer du pin qu’ils n’ont pas tous les jours.
Messieurs, j’ai dit que j’ai surtout pris la parole parce que l’honorable membre avait prétendu que le transport par le chemin de fer était le plus économique. L’honorable M. Delfosse me dispensera de répondre à cet égard : il a énoncé des faits qui établissent que le transport par le railway sera plus dispendieux, non seulement que le transport par eau, mais même que le transport par voie de roulage. Et ce n’est pas seulement le commerce qui a perdu à cet état de choses, mais une foule de personnes y ont trouvé leur ruine, tandis que le roulage leur donnera les moyens d’existence.
Il est très vrai qu’il faut faire quelque chose pour le commerce. L’honorable M. Dechamps nous disait hier que les voies de transport seraient favorables pour le coton. Nous savons bien que l’industrie cotonnière a aussi grande besoin d’économie dans le transport des matières premières et particulièrement du combustible dont elle a besoin, mais ces moyens ne peuvent suffire, elle a, comme nous l’avons demandé depuis si longtemps, besoin d’autre chose. Il faut tâcher d’empêcher la grande concurrence qui tue l’industrie cotonnière, mais la session arrivera à son terme, sans que nous ayons rien fait pour cette industrie.
On a parlé du fer, et on croit que de nouvelles voies de transport vont fait mieux marcher nos fourneaux et en débiter les produits ; ce n’est pas principalement ce qu’on demande le plus, mais ce qu’on demande et qui serait un bon moyen pour porter remède à l’état de souffrance de cette industrie, c’est d’obtenir un débouché vers la France. L’industrie ne se préoccupe pas trop du prix des transports à l’intérieur, mais ce qu’il lui faut, c’est l’entrée en France de nos gueuses.
On a dit que l’industrie gantoise avait consommé des houilles de Liége, on a même cité ce fait comme miraculeux, que cette année-ci les houilles de Liége sont arrivées à Gand, mais je ne sais pas si les fabriques de Gand trouveraient grand avantage d’employer cette houille. Certainement vous ne pouvez jamais conduire à Gand vos charbons à aussi bon compte que ceux du Hainaut qui sont transportés par l’Escaut. Il y a plus, le charbon du Hainaut convient essentiellement aux fabriques de Gand, tandis que les charbons de Liége n’ont pas cette qualité.
Messieurs, je le répète, l’honorable M. Dechamps a certainement raison : il faut augmenter nos voies de transport : les besoins de l’industrie et du commerce les réclament. Un moyen pour arriver à ce but, c’est de s’adresser à l’industrie particulière, et pour cela, il faut donner suite à la proposition de l’honorable M. de Puydt. Le trésor, dans l’application de ce système, ne devra contribuer que pour peu de chose, et vous obtiendrez toutes les routes dont le besoin se ferait encore sentir. Vous créerez par là un grand remède contre le monopole gouvernemental. Qu’est le chemin de fer ? Si ce n’est un monopole aux mains du gouvernement pour le transport des voyageurs et des marchandises.
Il me paraît qu’aujourd’hui l’on ne se préoccupe plus du tout des inconvénients du monopole. A une époque où le pays était prospère, dans le seizième siècle, nos souverains donnaient des édits contre le monopole, soit gouvernemental, soit provincial, soit commercial. A l’heure qu’il est, je le répète, on n’a plus peur du monopole. Si du temps du congrès on avait dit qu’un jour la Belgique serait un vaste monopole aux mains du gouvernement pour le transport des voyageurs et des marchandises ; vous verrez plus tard quel tort fera au pays ce système de laisser tout faire par régie et par le gouvernement, vous rendrez votre pays tellement misérable, que vous le conduirez à la plus terrible anarchie. Car on aura beau dire, il faut cependant qu’il vive, et cependant les moyens d’existence commencent à manquer dans plusieurs parties du pays, et surtout dans la campagne, où le travail manque.
M. de Puydt – Messieurs, j’ai vu avec d’autant plus de peine se prolonger cette espèce de débat entre les députés de Liége et ceux du Hainaut, que cette discussion repose uniquement sur un malentendu. Pour y mettre un terme, je vais essayer d’expliquer la pensée des uns et des autres.
Lorsque d’honorables députés de la province de Liége, soit en défendant les propositions faites pour améliorer la navigation de la Meuse, soit en réclamant des mesures ayant pour objet de permettre aux produits houillers de leur province d’arriver avec plus de facilité sur les marchés à l’intérieur ; lorsque ces honorables députés, dis-je, ont parlé dans ce sens, c’était dans le but de faire arriver, par exemple, les charbons de Liége sur le marché de Hollande, en concurrence avec les charbons anglais ; et sur le marché des Flandres, en concurrence avec les charbons des autres districts houillers du pays ; mais ils n’ont pas eu pour but de faire baisser le prix du charbon sur le marché de la Hollande : ce qui eût été favoriser l’industrie de la Hollande au détriment de l’industrie du pays ; ils n’ont également pas eu pour but de faire diminuer le prix du transport du charbon vers les Flandres, de manière à en recueillir tout le profit et à nuire aux autres établissements du pays.
Si c’eût été là la pensée des honorables députés de Liége, et qu’ils l’eussent expliquée de cette manière, j’aurais été le premier à m’élever contre une semblable prétention ; mais j’ai compris leur intention comme je viens de l’énoncer, c’est-à-dire qu’ils voulaient seulement étendre le marché de Liége, de manière à pouvoir concourir avec les autres produits du pays. C’est ce malentendu qui a fait prendre la parole à d’honorables députés du Hainaut. Les explications que vient de donner un honorable député de Liége confirment ce que je viens de dire, et je crois d !s lors que le débat doit en rester là.
M. de Mérode – Messieurs, il est des expressions avec lesquelles on dupe trop souvent les masses inattentives, tels sont les termes « but social », « but fiscal », dont s’est servi le ministre des travaux publics, en répondant, par exemple, à M. Dechamps, qui lui citait l’Amérique, dont le gouvernement est assez populaire, je pense, et où le tarif des chemins de fer pour les voyageurs est, abstraction faite de la différence des valeurs monétaires, beaucoup plus élevé qu’ici ; c’est soi-disant dans un but social que le gouvernement doit perdre une partie des bénéfices nets qu’il peut retirer du chemin de fer en abaissant le prix des places. (Remarquez bien que je ne parle point ici de la réduction qui serait profitable au trésor, mais de la réduction qui lui serait nuisible.) Le but social doit-il être de donner tout aux uns et rien aux autres, de prendre à ceux qui n’ont pas pour donner à ceux qui reçoivent déjà beaucoup ? Ainsi pour vous apporter un exemple à l’appui de mon opinion, divisez les communes des environs de Bruxelles en trois catégories, celles qui sont placées sur les chemins de fer et en profitent largement, celles qui sont placées à une certaine distance et en profitent plus rarement, et celles qui sont placées de manière à n’en pas profiter du tout. Vous trouverez que les premières sont l’exception, que les secondes n’ont qu’un intérêt très minime à l’abaissement du tarif, que les troisièmes, parmi lesquelles je citerai Savelthem, Nosseghem, Sterrebeke, Tervueren, Boitsfort, Maysse, Cortenberg, Isque, y perdent plutôt qu’elles ne gagnent, puisque la concurrence dans les rapports de la ville est tout à l’avantage des communes privilégiées, et si je m’éloigne plus encore de Bruxelles, je rencontre dans mon seul district les villes et bourgs de Nivelles, Genappe, Waterloo, Wavre, isolées par le chemin de fer plutôt que vivifiées, et quand le chemin de fer de Namur à Charleroy et Bruxelles sera terminé, les deux routes actuelles vers Namur, par Gembloux et les Quatre-Bras, ne perdront-elles pas la moitié, si ce n’est les deux tiers de leurs diligences ?
Croyez-vous que Wavre et Nivelles n’eussent pas accepté de grand cœur la direction des chemin de fer par leurs territoires à condition de voir le tarif des places fixé de la manière la plus avantageuse pour le trésor, c’est-à-dire dans le but fiscal ; comment donc, dans un prétendu but social, on augmentera l’impôt sur la bière et autres objets de consommation nécessaires, afin de faire face aux besoins évidents du trésor, et celui-ci possédant un domaine dont les revenus peuvent être augmentés s’abstiendra d’en tirer le meilleur pari financier possible ? Et cela pour ajouter aux faveurs du bon marché du transport accordées à certains voyageurs des réductions telle qu’elles approchent du transport gratuit. En effet, messieurs, le trajet d’ici à Anvers, effectué pour un franc, n’est-ce pas en quelque sorte un transport gratuit, et pourrait-on se plaindre s’il était porté à 1 50, lorsque, pour aller à Wavre en trois heures, il faut payer 3 francs. Hier M. le ministre est venu vous parler d’égalité, est-ce là de l’égalité ? Et quand son collègue ministre des finances soutiendra dans cette chambre les augmentations d’impôts que l’équilibre des recettes et des dépenses exige, acceptera-t-il, comme équivalent de ces augmentations, les centaines des milliers de voyageurs dont M. Rogier aime tant à orner les colonnes de ses tableaux statistiques ? Mettez les vigilantes de Bruxelles dans les rues de la ville sans que ses finances en deviennent meilleur assurément, et que la richesse individuelle des Bruxellois en soit augmentée le moins du monde. Personne ne conteste que les relations faciles des habitants d’un pays ne soient un bien social, mais encore ne faut-il pas porter ce principe à l’excès.
Avant-hier, j’assistais au sénat à la discussion concernant la loi que nous avons votée, afin d’autoriser le gouvernement à permettre, dans les pays accidentés, la circulation des voitures à 4 roues à jantes ordinaires, attelées seulement de deux chevaux. Cette faculté si restreinte accordée aux cultivateurs a subi les plus graves objections et n’a passé qu’à la majorité d’une voix. Et pendant qu’un bienfait facultatif, qui coûtera certainement bien peu au trésor, trouve tant d’obstacles, les prétentions des grands spéculateurs sembleront insatiables. C’est le transport presque gratuit sur les chemins de fer, c’est la ruine des canaux rapportant quelque bénéfice à l’Etat, que l’industrie ne craint pas de solliciter. Il faut à cette industrie, qui trop souvent traîné à sa suite le paupérisme, après avoir enrichi quelques personnes, tandis que l’agriculture fait vivre les populations, il faut des doubles voies établies sans délai quelconque, et ce pour que ses profits soient sans limites, et qu’on transporte les charbons non seulement en Hollande, mais à Smyrne et à Constantinople.
En vérité, messieurs, je suis effrayé de l’avenir que réserve au trésor public les chemins de fer créés et exploités par l’Etat, quand j’entends des demandes si exorbitantes se produire dans cette enceinte. Il est évident que la Hollande mettra tout en œuvre pour conserver le transit vers l’Allemagne, et lorsque le chemin de fer sera terminé d’Anvers au Rhin, vous verrez que, pour faire prospérer le haut commerce maritime, on demandera également le transport presque gratuit des denrées coloniales aux bord du Rhin.
Ainsi se réalisera complètement le proverbe : dabitur habenti, que je traduits de cette manière ; On fera gagner beaucoup à celui qui a beaucoup d’avidité. Quant aux besoins du trésor, je ne sais qui sera chargé d’y satisfaire. Mais je crains bien que ceux qui se contentent de vivre d’un modeste avoir sans spéculer ne paient les générosités si larges que fera l’Etat aux spéculateurs, lesquels sauront bien démontrer qu’aux développements de leurs affaires se rattache essentiellement la prospérité nationale. Mais une telle prospérité, basée sur de lourds impôts ou l’accroissement indéfini de la dette, se transformera tôt ou tard en véritable calamité.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, des orateurs sont revenus encore dans cette séance, sur la trop grande célérité que, suivant eux, l’on imprimerait à la confection de la seconde voie du chemin de fer.
Je ferai d’abord observer derechef, que les dépenses occasionnées par la construction de la seconde voie ne s’imputent pas sur le budget, mais sur les fonds de l’emprunt.
En second lieu, je considère comme une mesure de bonne économie, de hâter autant que possible l’exécution de la seconde voie, sans ralentir les travaux de construction des voies simples. Il faut remarquer que sur les voies simples déjà exploitées, les dépenses principales, les dépenses les plus importantes sont faites : acquisitions de terrains, terrassements, travaux d’art ; enfin tout ce qui est le plus dispendieux est achevé. Les rails, les billes sont achetées. La pose de la seconde voie est donc une opération très simple, très peu coûteuse si on la compare aux dépenses de premier établissement. Lorsque, par cette seconde voie, nous sommes assurés de procurer au chemin de fer un mouvement beaucoup plus considérable, nous croyons que c’est agir avec prévoyance, avec un esprit de sage économie, que de donner au chemin de fer, une addition qui doit lui procurer des bénéfices considérables. Telle est l’opinion de tous ceux qui ont apprécié le chemin de fer avec impartialité, avec tout l’intérêt qu’il mérite.
Un honorable député de Mons m’a adressé, dans la séance d’hier, une question à laquelle j’ai oublié de répondre. Cet honorable député a demande où en était la station de Mons. L’administration de ce chef-lieu d’une de nos provinces les plus importantes a attaché le plus grand prix à ce que la station du chemin de fer pût pénétrer dans l’intérieur de la ville. Les obstacles inhérents à la traversée des travaux de la place et aussi la crainte d’entraîner le trésor dans une dépense trop forte avaient d’abord déterminé l’administration supérieure à ne pas se rallier au projet d’une station à l’intérieur. Depuis lors, des études nouvelles ont été faites, et aujourd’hui notre opinion est singulièrement ébranlée à cet égard. Sans prendre cependant aucun engagement, nous croyons qu’il existe aujourd’hui une plus grande possibilité de faire entrer dans l’intérieur de la ville de Mons, en conciliant ce travail avec les intérêts de la défense et avec ceux du trésor. Du reste, je puis donner à l’honorable M. Sigart l’assurance que cet objet n’est pas perdu de vue. Le retour d’un honorable général va même hâter la solution de la question. L’inspecteur-général du génie civil et l’inspecteur-général du génie militaire doivent s’entendre pour présenter ensuite un rapport au gouvernement, rapport sur lequel il se réserve de statuer.
Messieurs, un honorable député de Liége a exprimé le vœu que le chemin de fer devînt de plus en plus accessible aux houilles de ce bassin important. Il a dit qu’en 1833, le chemin de fer avait été construit en vue de procurer des débouchés à nos houilles.
Cela est vrai, une des grandes utilités du chemin de fer, c’est qu’il est destiné à devenir une voie charbonnière, à procurer à nos houilles un immense débouché. Remarquez qu’en rendant un tel service, ce n’est pas seulement à de grands industriels, à de grands spéculateurs que le chemin de fer sera utile, mais surtout aux consommateurs ; car si le chemin de fer transporte les houilles à bon compte, l’exploitant de houille en vendra davantage, et le consommateur la recevra à meilleur marché. Il y aura profit pour tout le monde et en même temps pour le chemin de fer ; car il n’est pas douteux que plus il transportera, non point d’après un tarif trop bas, mais d’après un tarif raisonnable, plus ses revenus augmenteront. Pour les houilles de Liége, je dirai que déjà une réduction de 10 p.c. sur le tarif primitif a été introduite. Grâce à cette réduction, les houilles de Liége ont fini par arriver sur des marchés qu’elles avaient été forcées d’abandonner depuis un certain nombre d’années. Quand le plan incliné sera terminé, c’est alors surtout que la houille pourra être transformée par le chemin de fer avec économie. Les transports de houille de Liége à Ans par voie ordinaire coûtent aujourd’hui des sommes considérables. Pa l’entrée du plan incliné dans Liége, il y aura une économie très forte par tonneau de houille transportée.
D’ailleurs si le tarif tel qu’il est est encore trop élevé pour procurer aux houilles de Liége le débouché auquel elles ont droit, nous proposerons au Roi une nouvelle réduction qui sera dans l’intérêt tout ensemble de l’exploitant, du consommateur et du chemin de fer, qui ne peut que gagner beaucoup à transporter beaucoup, alors que le tarif ne sort pas des limites d’une certaine modération ; car il ne s’agit pas, comme on nous le reproche à tout moment, de transporter à perte, mais de transporter suivant un tarif raisonné de telle sorte qu’il y ait avantage pour l’industriel, pour le consommateur et pour le chemin de fer ; voilà comme j’entends l’exploitation du chemin de fer. Je ne l’ai jamais entendue autrement.
Quand j’ai dit que l’augmentation de tarif des voyageurs avait porté préjudice, j’ai expliqué comment, selon moi, on a frappé le chemin de fer de deux manières, en réduisant le nombre des voyageurs, ce qui est un grand préjudice au point de vue de l’intérêt général, et en réduisant le montant des recettes, ce qui est également fâcheux du point de vue fiscal.
Voilà ce que j’ai dit et ce que je soutiens. Il ne faut pas croire que plus un tarif est élevé plus il rapporte. Il ne faut pas croire que si une place qui se paie un franc donne un bénéfice, en la portant à deux francs, on obtiendra un bénéfice double. Très souvent les augmentations vont en raison inverse du but qu’on veut atteindre.
On a dit aussi, c’est l’honorable M. de Mérode, que le chemin de fer n’est pas utile à tout le monde, qu’alors qu’il est profitable à certaines localités, il porte préjudice à certaines autres. Certainement le chemin de fer ne peut pas aller partout, mais enfin, je ne pense pas qu’il y ait dans le pays un établissement quelconque qui ne peut pas pénétrer jusqu’à la dernière commune, mais il est utile à toutes nos localités grandes et petites, depuis Ostende jusqu’à Verviers. C’est ainsi que toutes nos villes principales sont ou seront desservies par nos chemins de fer ; Malines, Anvers, Bruxelles, Gand, Ostende, Bruges, Courtray, Termonde, Louvain, Tirlemont, Liége, Saint-Trond, Mons, Charleroy, Tournay, Namur.
J’en passe d’intéressantes, mais enfin je vous cite les localités principales ; en outre, on ne peut nier que toutes les communes rurales à proximité du chemin de fer, sans en être traversées, ne profitent de cette voie rapide et économique de communication.
Qu’on interroge tous les habitants à une distance de deux et trois lieues, ils vous diront qu’ils n’en tirent pas un parti aussi directe que les habitants des localités où le chemin de fer pénètre, mais qu’ils en tirent un très grand parti. La preuve en est dans les demandes de stations qui affluent au département des travaux publics pour des communes situées à deux, trois et quatre lieues du chemin de fer. La Belgique n’est pas tellement large que quand elle est traversée dans toute sa longueur et dans une grande partie de sa largeur par le chemin de fer, ce chemin desserve à peu près toutes les localités du royaume. Je ne connais guère que la province du Luxembourg qui ne puisse pas en profiter directement. Mais aussitôt que le chemin de fer sera terminé jusqu’à Namur, la province du Luxembourg en tirera un très grand parti.
Du reste, je conçois qu’on reste toujours au-dessous de la vérité en faisant l’éloge du chemin de fer. Mais je préfère rester au-dessous de la vérité sous ce rapport que de pécher par l’exagération contraire, qui s’attache à trouver tout mauvais dans le chemin de fer.
On a dit, par exemple, que le produit des postes s’était ressenti défavorablement de l’établissement du chemin de fer, et cela, parce que des spéculateurs auraient formé l’entreprise de transporter les lettres de deux villes qu’on n’a pas nommés, de Bruxelles à Anvers, je suppose. Messieurs, une fraude aussi patente ne resterait pas huit jours sans être découverte, en supposant qu’elle existe.
Je dirai, au contraire, que depuis l’établissement du chemin de fer, de 1833 à 1839, le produit de la poste s’est accru de près d’un million. En 1833, le produit de la poste était 1,961,000 francs, en 1839 il a été de 2,877,000 francs.
Il n’est donc pas exact de dire que l’établissement du chemin de fer ait porté préjudice aux produits des postes. Et, de plus, il les a accrus encore en diminuant les dépenses ; car, pour être juste envers le chemin de fer, il faut tenir compte de la grande réduction qu’il a apportée dans les frais de transport des lettres. Aujourd’hui, nous avons pu supprimer un grand nombre de transports par chevaux. Le chemin de fer les fait gratis.
Ainsi, en même temps qu’il a diminué les frais, il a contribué à augmenter les recettes de près d’un million, et cela, parce qu’il a multiplié les rapports des hommes et les échanges des choses, et que des rapports des hommes et des échanges des choses naissent les rapports écrits. Il est vrai que par le chemin de fer beaucoup d’habitants ont eu l’inappréciable avantage de pouvoir traiter leurs affaires eux-mêmes, mais en permettant, en facilitant le transport des personnes sur les lieux, le chemin de fer a provoqué les correspondances écrites qui suivent les relations personnelles.
M. de Langhe – M. le ministre des travaux publics, dans des idées de philanthropie, auxquelles je rends hommage et auxquelles je n’ai qu’une objection à faire, c’est qu’elles ne tiennent pas toujours compte de nos moyens, moyens qui après tout ne sont pas sans limite ; M. le ministre des travaux publics a fait orner de glaces les chars-à-banc qui circulent sur le chemin de fer. Par suite de ce changement, les chars-à-banc sont à peu de chose près, aussi confortables que les diligences, de sorte qu’il est à croire que beaucoup de personnes qui prenaient les diligences, surtout en hiver, prennent maintenant des chars-à-banc.
Je prie M. le ministre de nous dire si ce changement n’a pas exercé une influence défavorable sur les recettes.
Je ferai observer à cet égard que le Moniteur ne donne plus l’état mensuel des recettes du chemin de fer par bureau ou par classe de voyageur. Chacun pourrait suivre les progrès annoncés par M. le ministre des travaux publics, que je me plairais à reconnaître et dont je désirerais, ainsi que toute la nation, avoir la certitude. On a dit que les colonnes du Moniteur était chargées de tant de choses qu’il n’y avait plus de place pour l’insertion de ces états. Je ne demande pas qu’on publie un état par dizaine, mais un état mensuel, et cet état ne prendrait pas grande place. Je crois qu’il s’insère au moniteur des choses plus inutiles que celles-là.
Les ministre des travaux publics nouveau et le ministre ancien se sont trouvés en opposition sur l’effet produit par l’augmentation de tarif provoquée par l’ancien ministre. Après avoir suivi avec attention cette discussion, je me suis rangé de l’avis du ministre ancien, parce que j’ai trouvé que les termes de comparaison indiqués par M. le ministre des travaux publics actuel n’étaient pas heureusement choisis, qu’il avait pris des époques qu’on ne pouvait pas prendre comme bases, parce que l’époque pendant laquelle il a apprécié les effets du nouveau tarif était une époque de crise. Quoi qu’il en soit, c’est un fait que le nombre des voyageurs est diminué. Les ministre des travaux publics nous a dit que les produits avaient diminué. L’ancien ministre me paraît avoir dit le contraire. Mais si les produits sont diminués, les frais de transport ne sont-ils pas diminué dans une proportion plus forte ?
M. le ministre a dit qu’un grand convoi ne coûtait pas plus qu’un petit ; mais d’abord une locomotive ne traîne qu’une certaine quantité de voitures. Si le nombre de voitures est supérieur, il faut ajouter une second locomotive. Les locomotives, les voitures et le chemin s’usent. Il faut aussi un personnel plus nombreux pour un grand convoi que pour un petit. Et si on dit que le personnel d’un petit convoi suffit à un grand convoi, je dis alors que le personnel d’un petit convoi est trop nombreux, et qu’il faut le réduire.
Je conviens aussi qu’il aurait fallu coordonner cette mesure avec la diminution du nombre des convois. Je sais que, plus on augmentera le nombre des convois, plus on aura de voyageurs et plus on aura de recettes, mais aussi plus on aura de frais. Je puis parler d’expérience, car je fais souvent des voyages par le chemin de fer, et je vois que les convois sont composés de cinq ou six voitures à peine remplies au tiers. Si on supprimait un ou deux voyages, on augmenterait les convois qui resteraient et les frais se trouveraient plus couverts par les recettes.
M. le ministre des travaux publics semble vouloir faire du chemin de fer une institution populaire. Cela est très beau, j’aime beaucoup la popularité, la philanthropie. Mais je crois qu’avant de chercher à faire de la popularité et de la philanthropie, il faut savoir mettre ordre à ses affaires ; et je trouve que ceux qui dépensent au-delà de leurs moyens, qui se ruinent à faire des actes de bienfaisance, sont des imprudents, pour ne rien dire de plus ; ils frustrent leurs créanciers de leurs droits pour donner à ceux qui, au lieu de les bénir, vont boire leur générosité au cabaret.
Je crois que, dans la situation actuelle, le chemin de fer doit produire tout ce qu’il peut produire raisonnablement.
Certes, on n’accusera pas notre tarif d’exagération ; car il est moitié moins élevé que le tarif le plus modéré des autres pays. Or, je vous demande s’il y aurait quelque inconvénient à ce que notre tarif se rapprochât un peu plus du tarif des autres pays. Je ne le crois pas.
Je ne puis terminer sans faire une réflexion. J’entends toujours parler d’augmenter les traitements, les dépenses et de diminuer les recettes. Chacun veut augmenter les dépenses dans sa partie, et diminuer les recettes qui se rapportent à son pays. Je crois que cela ne peut aller ensemble et que vous verrez dès l’année prochaine combien il sera difficile d’équilibrer nos recettes et nos dépenses ; car, pour cette année, je crois qu’on n’y peut plus compter.
M. Dechamps – Les honorables députés de Liége ont semblé croire qu’il y avait opposition entre les intérêts de la province qu’ils représentent et ceux du Hainaut. Je pense que ce débat, comme l’a dit l’honorable M. de Puydt, repose sur un véritable malentendu. Je suis député du Hainaut, et mes honorables collègues reconnaîtront que, dans les réflexions que j’ai émises hier, je ne me suis pas occupé du Hainaut, mais du pays tout entier.
Ce que j’ai voulu prouver à la chambre c’est l’importance en général des moyens de communication. Je vois plusieurs collègues préoccupés, par exemple, lorsqu’il s’agit du chemin et des canaux, de la question du trésor public.
Sans doute cette question est grave. Nous ne pouvons demander des réductions de péages sur le chemin de fer et sur les canaux, de manière à nuire au trésor public. Mais je pense vous avoir prouvé hier que la question des moyens de communication, par rapport à nos principales industries, était beaucoup plus importante qu’on se l’imagine ordinairement. Bien loin qu’une réduction rationnelle sur les canaux et sur le chemin de fer, par rapport aux marchandises et surtout par rapport aux matières pondéreuses, à la houille et au fer, qui sont le produit de l’industrie ; bien loin que cette réduction de péages dût être faite au détriment du trésor public, je crois au contraire que cette réduction ne peut souvent qu’améliorer les ressources du trésor. En effet, si cette réduction était faite d’une manière convenable, il est évident que les canaux et le chemin de fer donneraient des bénéfices bien plus grands que ceux qu’ils ont donnés jusqu’ici.
Toutefois, je ne suis pas de ceux qui considèrent le gouvernement comme une espèce d’entrepreneur devant faire de gros bénéfices. C’est une opinion vulgaire, comme l’a dit l’honorable M. Eloy de Burdinne, que le gouvernement doit faire en sorte que le chemin de fer et les canaux rapportent des recettes considérables au trésor. Je vous ai prouvé que, ces bénéfices seraient ruineux pour le pays, puisqu’ils se feraient aux dépens de notre industrie. Je vous ai montré que, pour l’industrie des houilles et l’industrie cotonnière, la question du transport est presqu’aussi importante que la question même des douanes. La question principale pour moi est d’améliorer la situation de nos diverses branches d’industrie. Tâchons par tous les moyens en notre pouvoir, de venir en aide aux industries qui souffrent ; car, vous le savez, la plupart de nos industries sont en souffrance. Je voudrais que le gouvernement et la chambre se préoccupassent bien plus de cette question que de celle du trésor public et des revenus de l’Etat. Lorsque le pays sera riche, il payera volontiers quelques millions de plus au budget, parce qu’il sera à même de les payer, sans aucune gêne. Mais, lorsque les industries sont souffrantes, tout impôt, quel qu’il soit, est trop lourd pour elles. Ainsi, avant tout, tâchons d’amener la richesse publique. Cette richesse trouvée, les revenus de l’Etat pourront s’augmenter sans aucun inconvénient.
Hier, l’honorable M. Delehaye m’a fait une interpellation sur la portée que j’attachais à la proposition relative au transport des houilles vers la Hollande. J’ai proposé, de concert avec l’honorable M. Donny (et c’est la même proposition qu’a faite l’honorable M. David pour le transport des charbons de Liége par le chemin de fer) de rembourser une partie des péages que payent sur les canaux les houilles destinées pour la Hollande. L’honorable M. Delehaye a demandé si j’entendais faire jouir de la même faveur les fabriques de Gand, et il m’a fait observer que, dans le cas contraire, ce serait une prime accordée aux industries rivales en Hollande. Mais il n’en est rien. D’abord, les considérations générales dans lesquelles je viens d’entrer prouvent à l’honorable M. Delehaye, que je veux étendre ce bienfait à toutes les industries du pays, puisque mon système serait de réduire les péages autant que possible sur les canaux belges, pour le consommateur du pays même. Mais la question à l’égard du Hainaut est toute spéciale. Non, je ne voudrais pas que le gouvernement remboursât les droits de péages perçus sur les canaux belges, pour les houilles en destination pour l’intérieur du pays. Je voudrais une diminution de péages, en général, mais seulement pour les houilles en destination pour la Hollande. Et ce que craint l’honorable M. Delehaye n’arriverait certainement pas. Maintenant, nos houilles sont repoussées du marché hollandais, qui est fourni par l’Angleterre et la Prusse. Toute la question serait de recouvrer ce marché, en faisant concurrence aux houilles anglaises et prussiennes. Ainsi les industries de la Hollande n’auraient aucun privilège, elles resteraient dans la position où elles sont à l’égard de l’industrie cotonnière gantoise.
On a dit que ce serait là une prime d’exportation en faveur d’une industrie spéciale, et que ce système de prime était toujours mauvais.
Peu m’importe le mot ; je ne m’attacherai qu’à la chose. Que vous nommiez ce remboursement de droits une prime, je le veux bien. Mais cette prime n’a pas le caractère des primes ordinaires d’exportation. Ceux qui s’opposent aux primes ont toujours dit qu’ils s’y opposaient, parce que c’était donner un avantage à quelques industries, au détriment du trésor public et de toutes les industries qui n’en profitent pas. Ici le contraire arriverait comme je l’ai dit hier, le gouvernement, en percevant le quart des droits sur les houilles qui vont en Hollande, percevrait ce qu’il ne perçoit pas actuellement, puisque nos houilles ne vont pas en Hollande. Bien loin donc que ce remboursement fût une prime d’exportation nuisible aux autres industries et au trésor public, le trésor public y gagnerait, et le pays tout entier avec lui.
Lorsqu’une grande industrie marche, elle fait marcher avec elle presque toutes les autres, et, dans l’état actuel de l’industrie, je pense qu’il est très important de donner quelque aide à une branche aussi importante. Il est évident que si l’industrie houilleresse avait plus d’activité, si vous pouviez l’aider à reconquérir le marché hollandais, si important pour elle avant la révolution, cette prospérité ne serait pas isolée, à cette prospérité se rattacherait celle de beaucoup d’autres industries.
Ainsi, je ne veux pas du tout favoriser une province aux dépens d’une autre, une industrie aux dépens d’une autre. Je crois que la proposition que je soumets aux méditations du gouvernement, ne peut nuire à aucune industrie, et ne peut être qu’utile à toutes, et au trésor public dont elle augmenterait les revenus. Je ne comprends donc pas la moindre objection à cette proposition. Je m’étonne que le gouvernement n’ai pas encore fait droit à cette motion, faite dans cette enceinte par quelques honorables députés du Hainaut. Seulement je voudrais associer à cette mesure les houilles de Liége ; le gouvernement devrait concilier l’équilibre, la concurrence telle qu’elle existe. Ce serait un règlement à faire dont je n’ai pas les éléments, et dont le gouvernement devrait s’occuper. C’est bien le sens de la loi du premier mai, car cette loi renferme une disposition portant qu’on abaissera les péages sur les canaux du Hainaut, lorsque le chemin de fer réunira la Meuse à Ans.
Ainsi le sens de la loi du premier mai est de conserver cette concurrence, de ne pas déplacer les intérêts actuels, tels qu’ils existent aujourd’hui. Eh bien ! je généralise ma proposition, elle est aussi favorable à la province de Liége qu’à celle du Hainaut.
Je voudrais qu’en faveur de cette immense industrie des houilles, le gouvernement aidât à reconquérir le marché hollandais, qui est de la plus grande importance pour elle, en remboursant, par exemple, comme je l’ai dit, les trois quarts des droits perçus sur les eaux belges et sur les chemins de fer belges.
M. Demonceau – Messieurs, la discussion continuant et sur les frais occasionnés pour la construction du chemin de fer et sur les frais occasionnés pour son administration, je crois de mon devoir y prendre part. Rapporteur de la loi qui a assuré les moyens de construction et de parachever le chemin de fer, je persiste à croire, messieurs, que les sommes que nous avons votées sont plus que suffisantes pour couvrir tous les frais de construction.
Je tiens, messieurs, dans cette circonstance, à joindre mes efforts à ceux du gouvernement pour tâcher de convaincre mes honorables collègues qui ne paraissent pas certains du résultat que nous n’avons pas de nouveaux moyens à créer pour arriver à l’achèvement complet de cette grande voie de communication.
Vous connaissez les différents documents qui ont été annexés au rapport fait par la section centrale, vers la fin de la session de l’année dernière. Nous avions admis, d’après les calculs de l’administration, que pour le parachèvement des lignes et des stations en exploitation, il fallait une dépense de 13,123,903 francs ; que pour les lignes en construction et les stations également en construction, il fallait une nouvelle dépense de 49,350,194 francs ; et qu’enfin pour le complément du matériel 5,906,000 francs étaient encore nécessaires.
Pour justifier ces calculs que nous vous avons donnés en bloc, il avait été établi en sous-ordre différents calculs qui se trouvent au département des travaux publics.
Depuis que vous avez voté cette loi, plusieurs adjudications ont eu lieu et toutes ces adjudications, à l’exception d’une seule, sont au-dessous des évaluations que nous avions portées dans les calculs primitifs.
Vous m’exempterez, messieurs, de vous donner les détails de ces diverses adjudications que vous trouverez du reste au tableau n°17 du nouveau rapport sur le chemin de fer.
Voici, messieurs, quelles sont les adjudications qui ont eu lieu d’après ce tableau. Je donne ici le résumé en bloc ; si on croit que les renseignements que j’ai recueillis peuvent être utiles, je les donnerai au Moniteur pour être publiés. On verra en regard les estimations primitives et le montant des adjudications ; et on reconnaîtra qu’il y a avantage sur les estimations. Voici comment :
Pour les travaux d’art et de terrassements les estimations étaient de 10,574,440 francs 71 centimes, et les adjudications n’ont grevé le trésor que d’une dépense de 9,957,572 francs 15 c. Ainsi, messieurs, pendant l’année 1840 le trésor a eu à dépenser en moins pour les travaux d’art et de terrassement adjugés une somme de 616,868 francs 56 centimes.
Je vous donnerai maintenant, messieurs, un résumé des estimations relatives au parachèvement des stations et de la seconde voie, résumé qui concerne toujours les adjudications faites pendant l’année 1840.
D’après les calculs qui avaient servi de base aux estimations primitives, et j’entends parler des calculs de l’administration du chemin de fer que la section centrale avait adoptés comme exacts, les estimations pour les travaux de parachèvement des stations (et vous trouvez ces documents annexés au rapport de la section centrale) étaient évaluées à 1,572,500 francs et les adjudications ont été faites au moyen de 1,291,590 francs 75 centimes.
Si vous suivez ensuite les adjudications qui ont eu lieu pour la seconde voie, et si vous les comparez aux estimations, vous trouverez,, messieurs, que nous aurions dû dépenser 2,314,197 francs 30 centimes, et que nous n’avons dépensé que 1,956,740 francs 75 centimes. Ainsi, le trésor de ce chef a eu à supporter en moins 358,456 francs 55 centimes.
Ces deux sommes réunies vont donc à 975,325 francs 11 centimes.
J’avais donc raison de dire dans la première discussion générale qui a eu lieu, que prenant pour base les dépenses effectives combinées avec les dépenses présumées, il y aurait, selon moi, bénéfice, il y aurait économie pour le trésor ; et il y en aura davantage, messieurs, si l’administration du chemin de fer continue à marcher avec encore plus d’économie qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent.
Je crois donc, messieurs, avoir démontré qu’il n’y avait pas à craindre de nouvelles charges pour le trésor en continuant et en achevant complètement le chemin de fer.
Je pense aussi qu’il y a avantage pour le trésor et pour l’industrie en général à achever la double voie. Car, si vous faites attention que les achats de terrain, que les travaux d’art en général ont été faits pour la double voie, vous comprendrez qu’il ne faut pas s’arrêter pour une dépense de quelques millions à l’effet d’achever complètement cette double voie.
Je m’occuperai maintenant de ce qui peut concerner l’exploitation du chemin de fer proprement dite.
La construction du chemin de fer, si mes souvenirs sont fidèles, messieurs, a eu deux buts ; celui de transporter les choses et celui de transporter les personnes. Je cite, messieurs, les choses en premier lieu, parce que d’abord et l’idée première a été surtout pour les choses.
Dans la discussion générale, je vous ai émis une idée qui peut-être n’est pas partagée par l’administration du chemin de fer ; c’est qu’il faut réduire autant que possible les convois.
Quand j’ai parlé, messieurs, de réduire les convois, je n’ai pas entendu qu’on dût appliquer mes idées aux convois qui servent au transport des marchandises. Ceux-là, messieurs, plus vous les multipliez, plus le chemin de fer produira, et voici pourquoi. Parce que vous avez soin de compléter votre chargement pour les marchandises ; mais pour les voyageurs il n’en est pas de même. Vous ne pouvez pas toujours compléter votre chargement. Et ceux qui voyagent sur le chemin de fer ont pu s’en apercevoir. Tel convoi quitte une station qui n’a pas souvent le tiers du personnel nécessaire pour occuper la force de traction employée pour ce convoi. Cependant, messieurs, d’après les calculs les plus modérés, la dépense par lieu est de 12 francs.
Eh bien ! je crois que si l’on réduisait le nombre des départs pour les voyageurs, il y aurait non pas perte pour le trésor, mais avantage, en ce sens que les voyageurs, sachant qu’on part à telle heure, se présenteraient aussi bien s’il n’y avait que 2 ou 3 départs par jour que lorsqu’il y en a 4 ou 5.
Mais je le répète encore une fois, la multiplicité des convois appliqués aux marchandises serait d’un grand avantage pour le trésor.
Je ne me proposais pas de parler du tarif. Cependant je dirai que si l’on veut réduire le tarif pour les marchandises, il pourra en résulter un grand avantage, avantage pour l’industrie et avantage pour le trésor.
Mais je ne pense pas que l’on doive réduire les tarifs en ce qui concerne les voyageurs. J’ai écouté attentivement la discussion qui s’est élevée entre le ministre actuel des travaux publics et le ministre précédent. Je pense, messieurs, que pour se donner raison, M. le ministre actuel des travaux publics a pris pour base des calculs qui peuvent donner le résultat qu’il leur a attribué, mais qui, selon moi, sont précisément la base la plus défavorable que l’on puisse trouver depuis que le chemin de fer est en exploitation. Si j’ai bien compris cette discussion, M. le ministre des travaux publics a pris pour base le mois de février 1839, il a pris la dernière dizaine de ce mois.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Vous vous trompez.
M. Devaux – Il a pris pour base les dix derniers mois de 1839.
M. Demonceau – Malgré l’observation que l’on me fait, je pense encore que M. le ministre a pris pour base de ses calculs une époque où les revenus du chemin de fer n’avaient pas été tels qu’on aurait pu l’espérer.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Cette base était donc contre moi.
M. Demonceau – Comment, contre vous ?
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Certainement. Je suis parti d’une base plus faible, moins favorable à mes calculs.
M. Demonceau – Je m’aperçois que je n’ai pas bien compris M. le ministre, j’attendrai qu’il veuille bien s’en expliquer ; car vous savez que je n’ai pas habitude d’entrer dans des discussions lorsque je n’ai pas la certitude que les calculs qui lui servent de base sont exacts.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – La base de 1838, que j’ai prise, est précisément la base la moins favorable à mes calculs ; car en 1838 il y avait déjà eu une diminution relative de voyageurs ; la base de 1838 était bien moins favorable à mes calculs que celle des années antérieures.
M. Demonceau – J’avais cru lire 1839 dans votre rapport.
J’ai cru voir dans votre rapport que, prenant pour base ce qui avait eu lieu en 1838, vous disiez que la progression aurait du être la même en 1839, et je crois être en droit de vous dire que l’année 1839, pendant laquelle on a mis en vigueur le nouveau tarif, que cette année était l’année la plus défavorable à la Belgique pour constater le revenu du chemin de fer. Rappelez-vous, messieurs, que c’est précisément au mois de févier 1839 qu’on nous a proposé le traité de paix ; on sait qu’alors la Belgique était dans une situation fâcheuse ; personne ne voyageait ; tous les revenus du trésor étaient en stagnation. Eh bien, messieurs, c’est dans ces circonstances que le tarif augmenté a été mis en vigueur, et certainement lorsqu’on se rapporte à cette époque, il est impossible d’attribuer à l’élévation du tarif une influence fâcheuse sur les produits du chemin de fer. Je dis que l’on a choisi l’époque la plus mauvaise pour prouver que l’on avait raison.
Je ne reviendrai pas, messieurs, sur ce que je vous ai dit dans une autre discussion, en ce qui concerne les réclamations qui ont été faites et par mes honorables collègues députés, comme moi, de la province de Liége, et par mes honorables collègues députés du Hainaut. J’ai dit à cette occasion que, selon moi, le gouvernement doit mettre autant que possible toutes nos industries sur le même pied, autant pour l’exportation que pour la consommation intérieure. Nous demandons, en ce qui concerne l’industrie de la province de Liége, que de la voir mettre sur le même pied que toutes les autres industries. Nous ne demandons rien de plus, mais nous pensions que nous y avons droit autant que qui que ce soit. Sous ce rapport c’est au gouvernement à savoir ce qu’il a, lui, à faire pour réduire les tarifs de manière à donner à tous la satisfaction que nous attendons.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour faire quelques observations sur l’insistance qu’ont mise surtout les députés de la province de Liége, à inviter M. le ministre des travaux publics à abaisser le péage du chemin de fer pour le transport de la houille de Liége à Anvers, car je crois que c’est ainsi que l’on a posé la question ; on a dit que c’était un moyen de placer les houillères de Liége sur les bords de l’Escaut. En effet, messieurs, c’en est le moyen, mais je crois que l’on a fait observer avec raison que ce serait exclure du marché d’Anvers les houillères qui sont maintenant en possession de ce marché, les houillères du Hainaut.
Cette question, messieurs, n’est pas nouvelle, elle a été soulevée lors de la discussion même de la loi de 1834 sur le chemin de fer. On avait fait alors accompagner les rapports des ingénieurs de tarifs qui ont paru alors donner un avantage incontestable dans l’avenir aux houillères de Liége sur les houillères du Hainaut. Il y a eu, comme vous le sentez, des réclamations ; on a dit, et je crois qu’on avait raison de le dire, que, s’il s’agissait ici d’une entreprise particulière, cette entreprise aurait le droit de faire les sacrifices qu’elle voudrait pour faire arriver à très bas prix ou même pour rien toutes les marchandises qu’elle voudrait amener sur les frontières du pays ou sur tel ou tel autre de consommation, puisque l’on n’a pas le droit de demander compte à l’industrie particulière des sacrifices qu’elle fait. En effet, messieurs, l’industrie particulière, lorsqu’elle fait des sacrifices, elle les fait parce qu’elle veut les faire, parce qu’elle a un but à atteindre et qu’elle cherche à y arriver. « Mais, a-t-on dit alors, qu’au moyen de sommes prises dans le trésor public, de sommes fournies par tous les contribuables, on assure à l’industrie d’une province un avantage sur l’industrie d’une autre province, ce serait injuste. Il ne s’agit plus ici d’une industrie particulière qui a le droit de faire tous les sacrifices qu’elle juge convenables ; il s’agit ici d’un acte du gouvernement dont il faut faire les frais avec l’argent de tous et dont, par conséquent, vous devez compte à tous ; il s’agit ici d’un acte que vous ne pouvez poser qu’autant qu’il soit fondé sur la justice distributive. » Ces raisons, messieurs, ont été senties et plusieurs amendements ont été présentés afin d’apaiser les craintes qui avaient été excitées. Un de ces amendements est devenu l’article 7 de la loi, et je vais en donner lecture ; vous verrez, messieurs, qu’il est conçu précisément dans le sens des observations qui ont été faits relativement aux houillères du Hainaut, qui étaient en possession du marché d’Anvers. Vous verrez que l’on n’a pas voulu que l’on fît servir la construction nationale du chemin de fer à enlever aux houillères du Hainaut le marché d’Anvers pour le donner aux houillères de Liége.
Voici, messieurs, comment cet article est conçu :
« A dater de l’ouverture du chemin de fer entre Liége et Anvers, le péage sur les canaux du Hainaut sera réduit au taux du péage à établir sur ce chemin de fer par tonneau et par kilomètre. »
Ainsi, messieurs, la question n’est pas de savoir jusqu’à quel point on abaissera le péage sur le chemin de fer, la question est de savoir jusqu’à quel point on abaissera en même temps le péage sur le chemin de fer et sur les canaux du Hainaut. L’une de ces questions ne peut pas être séparée de l’autre.
A cet égard je ferai remarquer que ces invitations que l’on adresse constamment à M. le ministre des travaux publics, c’est, selon moi, à la chambre qu’elles devraient être adressées. C’est un projet de loi que les auteurs de la proposition devraient adresser à la chambre. Alors la chambre examinera et prononcera, car assurément je ne pense pas qu’il dépende du gouvernement d’abaisser à son gré le péage sur les canaux du Hainaut, je crois que c’est une loi qui doit prononcer sur cet abaissement.
Cette question est encore plus complexe, messieurs, que je viens de vous la présenter ; je pense que si quelqu’un venait aussi demander l’abaissement du péage sur les routes ordinaires, l’abaissement des doits de barrières, on aurait absolument les mêmes motifs à faire valoir en faveur de cet abaissement ; il faudrait donc aussi abaisser les droits de barrière.
Je désire de tout mon cœur, messieurs, que nous arrivions à un état financier tel que nous puissions consentir à tous ces abaissements de péages qui amèneront nécessairement une diminution de ressources ; mais je crois qu’il faut commencer par trouver d’autres ressources. Je répéterai constamment, lorsqu’on nous demandera aussi des réductions de recettes, qu’il faut d’abord trouver le moyen de compenser la diminution des ressources par des ressources nouvelles. Du moment où les budgets seront équilibrés, je donnerai volontiers la main à ces abaissements.
On a dit, messieurs, qu’il ne faut pas considérer le gouvernement comme un entrepreneur de transport qui doit faire des bénéfices ; je ne le considère pas non plus ainsi, mais il ne faut pas non plus le considérer comme devant nécessairement faire des pertes. Or, peut-être est-il question de faire des pertes, et je crois, quant à moi, qu’en ce qui concerne le chemin de fer, le trésor est effectivement en perte. Je le crois, non que je me sois livré à des calculs sur les nombreux tableaux qui nous ont été remis, je vous avouerai franchement, messieurs, que je n’ai pas eu le temps de les parcourir encore, mais je crois, d’après ce que nous a dit M. le ministre des travaux publics, que le chemin de fer rapporte 4 p.c. Je suis convaincu, messieurs, que les sommes empruntées pour la construction du chemin de fer coûtent plus de 4 p.c. Je pense que M. le ministre ne calcule que sur le capital net, produit par les emprunts qui ont été effectivement employé au chemin de fer ; mais il faut remonter au capital nominal qui a été emprunté et dont nous devons payer les intérêts. Il faut prendre garde aussi à une circonstance, c’est que les intérêts ont été payés sur une partie notable du capital avant qu’il ne produisît quelque chose. Si vous faites tous ces calculs, vous verrez que les sommes levées pour le chemin de fer coûtent beaucoup plus que 4 p.c. ; ainsi, lorsque nous percevons 4 p.c. sur tout le capital qui a été employé au chemin de fer, nous faisons déjà une perte.
Je vous demanderai, messieurs, si c’est là le résultat que nous devions nous promettre ? Si je me reporte aux discussions qui ont eu lieu précédemment, nous devions nous promettre un énorme bénéfice ; cependant, loin de faire un bénéfice, jusqu’à présent nous faisons des pertes.
Ailleurs, cependant, on fait des bénéfices, du moins, si je dois en croire les rapports qui nous sont faits. On cite dans les journaux des compagnies anglaises qui ont entrepris des chemins de fer et qui font des profits considérables. Cependant, lorsqu’on fait la comparaison du prix de revient du chemin de fer belge par kilomètre et du prix de revient des chemins de fer anglais, on voit qu’il en coûte plus en Angleterre qu’en Belgique pour construire un kilomètre de chemin de fer.
D’où vient que, malgré cette nécessité d’une dépense première de construction plus considérable, les compagnies anglaises font cependant des profits énormes, tandis que nous faisons des pertes ? Je dis des profits énormes, parce que j’ai lu dans les journaux que les actions de ces sociétés anglaises se vendent avec une prime considérable, qu’il y a telles actions qui se vendent avec une prime de 100 p.c. Il faut faire d’énormes bénéfices pour arriver à vendre des actions à un taux aussi avantageux.
J’entends dire que les compagnies anglaises donnent un dividende de 10 p.c., et nous, nous ne recevons que 4 p.c. D’où vient cette différence ?
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Les chemins de fer anglais sont achevés.
M. Dubus (aîné) – On m’a fait remarquer une autre circonstance, c’est que les compagnies anglaises ne pensent pas que pour faire de grands profits, il faille transporter un très grand nombre de voyageurs et à très bas prix ; elle pense, au contraire, que pour faire de bons profits, il faut transporter un nombre moindre de voyageurs et à un prix plus élevé. Ces compagnes ont pour elles l’expérience qui leur a appris que, par ce moyen, on fait réellement des profits, loin de faire des pertes.
Il me paraît que cette comparaison entre les résultats obtenus en Angleterre et les résultats obtenus en Belgique n’est pas de nature à appuyer ce qu’a dit M. le ministre des travaux publics, pour prouver que plus les péages seront abaissés sr le chemin de fer, plus le nombre de voyageurs augmentera et plus aussi les profits de l’Etat iront en croissant.
Je n’en dirai pas davantage sur la question de savoir si l’on a eu tort d’augmenter le prix du transport des voyageurs sur le chemin de fer en 1839.
Un honorable député d’Ypres a témoigné du regret qu’on ne trouvât plus dans les colonnes du Moniteur l’indication des produits mensuels du chemin de fer. Je désirerais pour ma part qu’on n’insérât pas seulement au Moniteur l’indication des produits mensuels du chemin de fer, mais qu’on fît aussi connaître mensuellement le produit de tous les revenus de l’Etat pour le mois écoulé. Dans d’autres pays constitutionnels, ces renseignements sont fournis par tous les journaux, et ceux qui s’intéressent aux affaires publiques les recueillent avec soin ; cela est très propre, notamment à éclairer, dans beaucoup de circonstances, les délibérations des chambres.
Un honorable membre a dit que le chemin de fer était un monopole, cela est vrai : le chemin de fer place l’entreprise des transports dans des conditions telles que nécessairement il obtient la préférence et que cela devient un monopole. Il en résulte sans doute un grand désavantage pour les industries qui s’occupaient jusque-là de transports, et qui se trouvent ainsi exclues de toutes les lignes auxquelles s’étend le chemin de fer. Il est malheureux, sans doute, pour les industries, de se voir refouler dans les autres parties du pays. Cependant, quant à moi, je préfère voir le monopole, lorsque le monopole est nécessaire ; le voir entre les mains du gouvernement qu’entre les mains d’une compagnie, parce que tout au moins le monopole se fait alors au profit de tous.
Cependant, je ne puis m’empêcher de faire remarquer à la chambre que la convention du 10 décembre 1840 qui forme la dernière des pièces annexées au rapport de M. le ministre des travaux publics sur le chemin de fer, a une tendance à étendre en quelque sorte le monopole au-delà des limites du chemin de fer sur ce point, je demanderai quelques explications à M. le ministre des travaux publics.
Je vois que cette convention a été faite avec une compagnie française ; il me semble que le résultat en sera de donner en quelque sorte à cette compagnie le moyen d’écraser les compagnies concurrentes, et d’avoir à son profit le monopole de toute la correspondance avec le chemin de fer, et comme l’établissement du chemin de fer a en quelque sorte le monopole des lignes en Belgique, ce monopole est acquis à la compagnie avec laquelle on a traité.
Parmi les compagnies ainsi exclues, il y a, me dit-on, des compagnies belges qui, après tout le mal que le chemin de fer a fait à leur industrie en Belgique, se trouvent en quelque façon poursuivies jusqu’en France même par l’administration du chemin de fer, et exclues également de toute concurrence en France. Si tel devait être le résultat, nous devrions véritablement le déplorer.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il y a eu un motif pour préférer une compagnie française aux compagnies belges ; si au moins ces compagnies belges ont été admises à concourir et à faire des propositions au gouvernement ; si l’on a recours à un concours, et si l’on a choisi entre ces compagnies celle qui offrait les conditions les plus favorables ; car je ne pense pas que, sans avoir institué une sorte de concours, M. le ministre des travaux publics ait pu se déterminer de gaîté de cœur à préférer l’industrie française à l’industrie belge, après tout le mal, je le répète, que le chemin de fer a déjà fait à l’industrie belge dans notre propre pays.
Je crois qu’il est nécessaire de donner des explications sur ce point ; et pour le cas où cette convention devrait entraîner pour les compagnies belges tout le mal qu’on en craint, j’inviterai M. le ministre des travaux publics à profiter le plus tôt possible de la clause de résiliation qu’il a stipulée dans la convention.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, la dernière interpellation de l’honorable préopinant a besoin d’une réponse.
Le gouvernement n’a pas voulu instituer un monopole au profit d’une compagnie quelconque, en signant une convention avec une société française, il a voulu, au contraire, autant qu’il était en lui, combattre les effets d’un monopole qui ne se font que trop lourdement sentir sur l’exploitation du chemin de fer belge.
Il nous a été très heureux de rencontrer en dehors d’une société monopolisante une société qui apportait un concours franc et désintéressé à l’exploitation du chemin de fer belge.
C’est ainsi que la société française, dont il s'agit, a pris l’engagement de ne faire à l’administration du chemin de fer belge aucune espèce de concurrence sur ce chemin, tandis que la compagnie belge à laquelle on a fait allusion, n’a pas voulu prendre un engagement d’une manière absolue. Cette compagnie belge, qui est connue de tous, continue d’exercer vis-à-vis de l’administration du chemin de fer belge une concurrence qui peut lui être très utile à elle, mais qui, sans aucun doute, exerce une influence défavorable sur les produits du trésor.
Eh bien, il s’agissait de savoir s’il fallait étendre le monopole de cette compagnie vers la France, alors que nous avons déjà à en éprouver les effets en Belgique même. Du reste, cette convention avec la compagnie française n’a été conclue par moi que comme essai. Ainsi que l’honorable membre vient de le dire, je me suis réservé la faculté de résilier la convention de 3 mois en 3 mois. Si donc il devait en résulter quelque préjudice pour l’industrie et le commerce du pays, ou pour l’exploitation du chemin de fer en elle-même, je m’empresserais d’user de la clause de résiliation.
Du reste, je pense que le chemin de fer ne doit exclure personne, que si des conditions également favorables lui sont présentées par des compagnie, il doit se hâter de les accepter, mais il faut que ces conditions soient avantageuses au même degré, il faut que les conditions de l’un n’empêchent pas l’autre de maintenir les siennes.
Quoi qu’il en soit, je ne comprends pas trop comment l’industrie belge pourrait se trouver préjudiciée par une convention conclue avec une compagnie française, pour un service à faire en France, car c’est uniquement pour le transport des marchandises sur la France que la convention a été faite. Quant au transport en Belgique, cette compagnie s’oblige à remettre directement à l’administration du chemin de fer tous les colis venant de France, et destinés soit à la Belgique soit à des pays au-delà.
Je crois que la convention, de quelque côté qu’on l’envisage, est inattaquable, et, je le répète, si elle présentait quelques inconvénients dans ses résultats, nous nous sommes réservés le remède.
L’honorable député auquel je réponds, a cité dans une autre partie de son discours les compagnies anglaises comme faisant de meilleurs affaires que le gouvernement belge. Je dirai qu’il y a compagnies anglaises et compagnies anglaises ; quelques-unes en font de très mauvaises : celles-là ne publient pas le montant de leurs actions, elles ont une bonne raison pour cela ; il est certain que beaucoup de compagnies anglaises ont eu peu de succès dans l’exploitation de leurs chemins de fer. Mais il y a encore une différence entre les compagnies anglaises et l’administration du chemin de fer. C’est que les compagnies anglaises exploitent des chemins de fer terminés, tandis que le chemin de fer belge n’est pas encore achevé, et ce sera seulement après son achèvement qu’on pourra apprécier les résultats que le pays tout entier et le trésor doivent en attendre.
Il n’y a pas de doute que l’ouverture des nouvelles sections du chemin de fer n’accroisse les produits dans une progression incalculable. Ainsi, le chemin de fer, continué jusqu’à Liége, exercera certainement une influence très favorable sur les produits. Je ne veux pas aller plus loin. J’abandonne à votre imagination ce que sera le chemin de fer belge, lorsqu’il sera continué sur Verviers, sur Aix-la-Chapelle, sur Cologne, et peut-être avant peu d’années sur Berlin, car il ne faut pas perdre de vue que notre chemin de fer ne sera pas seulement un chemin de fer belge, mais encore un chemin de fer allemand, un fleuve européen, ayant son embouchure à Ostende et à Anvers, qui aura probablement avant dix ans sa source à Berlin et à Vienne.
Il se fait en Allemagne beaucoup de travaux sur lesquels on ne jette pas beaucoup d’éclat, dont l’opinion publique ne s’occupe pas, mais qui avancent avec beaucoup de rapidité.
Il m’est impossible de laisser sans réponse quelques observations présentées par un honorable préopinant.
L’honorable M. de Langhe a demandé pourquoi des améliorations avaient été faites aux voitures appelés chars-à-bancs, pourquoi on y avait mis des glaces et si l’on avait augmenté le prix des places en raison de cette amélioration.
M. de Langhe – J’ai demandé si cette amélioration n’avait pas exercé une influence désavantageuse sur les recettes, en engageant les personnes qui prenaient les diligences à prendre les chars-à-bancs.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’expérience tentée est encore trop récente pour que nous puissions dès maintenant en apprécier les effets. Mais, dans mon opinion, l’amélioration ne doit produire que des effets favorables sur les recettes. Voici en peu de mots les raisons sur lesquelles je fonde mon opinion. Les chars-à-bancs actuels, tels qu’ils ont été construits et appropriés dès le principe n’avaient pas, on doit le dire, pour les voyageurs toutes les commodités désirables. Si on compare les transports par le chemin de fer aux transports par les voies ordinaires, par les diligences, on devra avouer que les voyageurs par le chemin de fer ne sont pas aussi bien traités que les voyageurs par diligence.
Nos diligences du chemin de fer ne peuvent remplacer le coupé des voitures ordinaires, mais pour la caisse du milieu, nous n’avons pas d’équivalent dans le chemin de fer, et pour la rotonde, cette partie destinée aux classes les moins riches, les wagons n’y répondent qu’une d’une manière très imparfaite. Je pense qu’améliorer l’intérieur des voitures c’est y attirer plus de monde. Quand il y a peu de différence entre les chars à bancs et les wagons, beaucoup de personnes prennent indifféremment l’une ou l’autre place, car l’été surtout on se trouve aussi bien dans les wagons que dans les chars-à-bancs.
En améliorant les chars-à-bancs, les personnes qui se rendaient indifféremment dans les wagons ou dans les chars-à-bancs, préféreront les chars-à-bancs. C’est un effet déjà constaté ; des voyageurs sont passés des wagons dans les chars-à-bancs. A la vérité quelques personnes sont descendues des diligences dans les chars-à-bancs ; mais je crois que sur la classe qui fréquentent les diligences, cela a produit peu d’effet. D’ailleurs il faudrait examiner si ces personnes n’ont pas fait alors plus de voyages que quand elles prenaient les diligences. Je répète au reste que l’essai est trop nouveau pour pouvoir en apprécier le résultat.
Mais il en est un dès à présent certain, c’est que les voyageurs sont commodément, plus décemment transportés. Il n’est personne qu’il n’ait été à même d’en juger.
Je demanderai si par des temps de pluie ou de neige quand les chars-à-bancs sont hermétiquement fermés, il est commode et décent de rester longtemps ainsi privé d’air et de lumière.
Ici le but principal n’a pas été d’apporter des améliorations dans les recettes, mais de donner plus de commodités à une classe nombreuse de voyageurs, à la classe moyenne.
Il semble convenable d’apporter sur le chemin de fer les mêmes divisions que pour les diligences, et les bateaux à vapeur.
Les bateaux à vapeur ont un salon destiné à la première classe, la chambre du milieu à la classe moyenne, puis enfin vient la troisième place destinée aux voyageurs les moins aisés. Nous devons établir, autant que possible ces distinctions sur le chemin de fer.
En définitive, la dépense de l’amélioration dont il s’agit n’est pas considérable. Je ne pense pas qu’à l’avenir l’amélioration doive se borner aux chars-à-bancs, et il y aura à examiner si les rideaux de coutil ne doivent pas être appliqués aux wagons. Je le répète, plus on rendra les voitures agréables et commodes, plus on y attirera les voyageurs. Il faut autant que possible rendre les voitures agréables à tout le monde. Dans tous les lieux destinés à recevoir un grand nombre de personnes on donne un minimum de bien-être et d’aisance. Ce minimum, il faut l’élever autant que possible dans les transports par le chemin de fer.
On a parlé de ma philanthropie, je ne suis pas flatteur du peuple. Il y a différentes manières de faire de la popularité : en criant sans cesse contre les impôts, en disant qu’on ne veut pas que le peuple paye trop d’impôts, ou en faisant des choses utiles. Pour moi, je ne flatte pas le peuple, je le répète, mais…
M. de Langhe – Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je n’entends nullement faire une allusion qui puisse être désagréable à l’honorable membre. Mais il ne faut pas reprocher au gouvernement de vouloir faire de la popularité aux dépens du trésor public. Nous sommes très soigneux des intérêts du trésor public, nous tenons beaucoup à ce qu’il présente une situation favorable ; jamais nous ne voudrons de popularité à ce prix ; jamais nous ne voudrons ébrécher le trésor pour être agréable à telle ou telle classe de citoyens. Nous avons des entrailles pour le peuple, ; il a toutes nos sympathies, mais nous ne le flattons pas. Nous n’hésitons pas à demander de nouvelles contributions alors que nous croyons que l’intérêt général l’exige.
Du reste, il est inutile que l’honorable membre demande la parole pour un fait personnel, je le répète, je n’ai pas eu l’intention de faire d’allusion qui lui soit désagréable. J’ai déjà eu occasion de m’expliquer sur l’honorable membre, et de rende justice à ses bonnes intentions, je sais qu’il demande des économies dans des vues louables, et qu’il ne songe nullement à l’effet que peuvent produire ses paroles dans le pays.
M. Eloy de Burdinne – C’est donc pour moi !
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je dis qu’il y a différentes manières de faire de la popularité, que chacun prenne sa part là dedans.
Messieurs, on a regretté aussi que le Moniteur ne publiât plus périodiquement les résultats des opérations du chemin de fer et des transports des voyageurs par cette voie. Messieurs, le Moniteur ; surtout pendant la durée de la session, est encombré de matériaux. Je ne parle pas de la dépense que ces insertions peuvent entraîner, mais encore faut-il que ce recueil n’en reçoive pas en trop grand nombre, car il perdrait en intérêt si on y multipliait trop les insertions. Ces tableaux prennent beaucoup de place. C’est pourquoi j’ai cru qu’on pouvait en restreindre un peu l’usage. Dans le principe on en publiait un chaque semaine.
M. Nothomb – Chaque mois.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je crois en avoir vu plus souvent que chaque mois ; quoi qu’il en soit, j’ai cru que cette publication était trop fréquente, qu’elle ne présentait pas autant d’intérêt que si elle avait lieu à des époques plus éloignées, parce que les comparaisons de mois en mois ne donnent pas de résultat aussi certain, aussi utile comparables, que des périodes plus longues. Pour peu que la chambre tienne à ce que cette publication ait lieu mensuellement, je n’ai aucun motif pour m’y refuser. Mais il ne faut pas constamment entretenir le pays du chemin de fer.
On en parle assez dans cette enceinte et ailleurs ; il ne faut pas en occuper le pays à chaque instant. Du reste, je le répète, si on désire cette publication mensuelle, je la ferai, je n’ai aucun intérêt à cacher les produits du chemin de fer ; au contraire, comme il y a amélioration de recettes depuis un certain nombre de mois, surtout dans le produit des marchandises, j’aurai avantage à livrer ces résultats à la publicité. Au surplus les amateurs de tableaux trouveront de quoi se satisfaire dans le compte-rendu qui a été distribué à la chambre, ils y trouveront une masse de chiffres à l’étude desquels ils pourront se livrer avec intérêt, et j’espère avec fruit.
M. de Langhe – L’honorable ministre des travaux publics, en terminant son discours, a rendu hommage à mes intentions, par conséquent je renonce à la parole que j’avais demandée pour un fait personnel.
De mon côté je dois dire que je n’ai pas entendu supposer de mauvaises intentions à M. le ministre, quand j’ai dit qu’il cédait à un désir de popularité peut-être poussé au-delà des bornes ; je pense qu’il s’y laisse aller de bonne fois, convaincu qu’il ne compromet pas l’intérêt de l’Etat, et j’espère que dès qu’il verra qu’il peut le compromettre, il y renoncera.
M. Sigart (pour un fait personnel) – Je regrette fort de n’avoir pu lire le discours de M. David. Je l’ai vainement cherché dans le Moniteur. Peut-être, en effet, y aurais-je trouver autre chose que ce que j’ai entendu ou cru entendre.
Après les explications données dans cette séance, je n’aurais pas pris la parole, si je ne devais un mot à M. Delfosse, qui m’a reproché d’être animé de l’esprit de localité. Que dirait mon honorable contradicteur, si je lui renvoyais pareil reproche ? je ne le ferai point, suffisamment satisfait que je suis de savoir que le sien n’est point fondé.
Au reste, malgré ses réflexions et celle de l’honorable M. David, je persiste à penser que c’est par la Meuse qu’il faut favoriser l’écoulement des houilles de Liége vers la Hollande. Dans son intérêt même, Liége ne doit pas venir se heurter contre nous. Qu’elle partage le marché hollandais, c’est juste. Mais il lui importe de ne pas établir sur un même point une concurrence désastreuse pour tous deux.
M. David – Je demande aussi la parole pour un fait personnel. (La clôture ! la clôture !)
M. Delehaye – Je demande la parole contre la clôture. La clôture avait été demandée hier par plusieurs membres. Sur l’observation de M. Dechamps, la discussion, a été continuée. Ce que cet honorable membre a dit aujourd’hui, a confirmé ce qu’il avait dit hier et je ne voudrais pas que ses observations, qui sont de nature à alarmer l’industrie des Flandres, passassent sans réponse de ma part. Bien que j’aie été cité nominativement par l’honorable membre, je ne crois pas être en droit de demander la parole pour un fait personnel ; je ne puis lui répondre qu’en rentrant dans la discussion. Comme je suis inscrit, je demande que la discussion continue. J’attendrai mon tour de parler.
M. de Theux – Je ne voulais faire que peu d’observations sur une question très importante, celle de a concurrence des charbonnages de Liége et du Hainaut, question traitée par l’honorable M. Dubus.
- La clôture est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Delfosse (pour un fait personnel) – Lorsque j’ai dit de l’honorable M. Sigart qu’il s’était laissé dominer par un esprit de localité, je n’ai pas entendu parler de cet esprit de localité commun à tous les membres de cette chambre, qui consiste à défendre, dans certaines limites, les intérêts du district qu’ils représentent, intérêts qu’ils connaissent mieux que personne. L’esprit de localité ainsi entendu est un devoir que j’ai rempli comme tout autre et que je continuerai à remplir ; l’esprit de localité que j’ai reproché à mon honorable collègue me semble porter, contre ses intentions, auxquelles je rend hommage, le cachet de l’injustice. L’honorable membre voulait en quelque sorte nous interdire l’usage du chemin de fer et nous réduire à la Meuse. C’est contre cette prétention que je me suis élevé ; nous ne demandons pas de privilège, messieurs, nous ne demandons qu’à pouvoir soutenir la concurrence ; j’ai démontré, par des chiffres qui n’ont pas été contestés, qu’il y a inégalité, que cette inégalité disparaisse et nous serons satisfaits ; il me semble que nous collègues du Hainaut ne peuvent pas raisonnablement s’opposer à nos réclamations.
M. David (pour un fait personnel) – L’insinuation de l’honorable M. Sigart, peu bienveillante pour moi, tendrait à faire croire que je n’ai pas donné mon discours au Moniteur. Il est vrai que le supplément du Moniteur d’aujourd’hui où est inséré mon discours n’est pas encore distribué. Je m’en suis plaint au commencement de la séance à MM. les sténographes. Il n’y pas là dedans de ma faute. Ce retard dans la publication du compte-rendu d’une partie des séances a lieu souvent, quand les deux chambres sont réunies en même temps ; ce qui double le travail des ouvriers du Moniteur.
M. Sigart – Je me suis borné à dire que je n’avais pas vu dans le Moniteur le discours de M. David. Il n’y avait là contre lui aucune insinuation.
M. Pirmez – Messieurs, puisque toutes les questions personnelles sont épuisées, je répondrai à ce qu’ont dit plusieurs députés de Liége, qui, dans la séance d’hier et dans celle d’aujourd’hui, ont excité M. le ministre des travaux publics à diminuer le droit de péage sur le railway, pour le transport des houilles de Liége à Anvers.
Je crois que M. le ministre agira très prudemment en ne prenant aucune résolution sur cette demande avant que le railway ne soit achevé dans toutes ses parties. Car il faut dans cette question examiner les intérêts de toute la société dans leur ensemble, et nullement les prendre par partie.
Aucune idée émise par les honorables députés de Liége ne touche l’ensemble de ces intérêts ; ils ont seulement considéré la facilité de transporter les houilles de Liége à Louvain et Anvers.
Ils ont dit que la construction du chemin de fer avait rendu plus défavorable la position de Liége. Il n’en est rien. Avec le chemin de fer Liége a une communication de plus. Aucune communication ne lui est ôtée. La Meuse et toutes les voies pavées lui restent, il a le chemin de fer en plus.
Les honorables députés de Liége ont avancé que le transport était plus coûteux par le railway qu’avec le droit actuel, que par le roulage, mais néanmoins que le railway avait anéanti le roulage. Ce sont là des faits qui paraissent contradictoires et qui n’expliquent pas le retour des denrées venant d’Anvers, et ce n’est pas sans doute sur un pareil exposé, que M. le ministre prendra sur lui de diminuer le péage.
Les honorables députés de Liége ont parlé des difficultés qu’apportent à leurs exportations les mesures restrictives de la Hollande. Mais ces mesures restrictives agissent sur toutes les autres contrées de la Belgique qui produisent de la houille aussi bien que Liége même.
Je crois devoir engager M. le ministre à tenir compte du coût du chemin de fer, tant sous le rapport de l’exploitation que de la construction, pour prononcer sur les demandes qui lui sont adressées dans cette chambre.
Voyez quelle singulière justice il s’établirait, et quelle perturbation on jetterait dans les intérêts, si on réduisait avant la construction de toutes les voies du chemin de fer le prix du péage au-dessous de ce qu’il doit produire pour couvrir les intérêts de la dépense.
Vous savez, messieurs, que le canal de Charleroy, par lequel se transportent les houilles d’un partie du Hainaut, donne au trésor un revenu considérable, après avoir payé l’intérêt de ces frais de construction et tous les frais d’administration.
Vous savez aussi que ce sont les routes du Hainaut, sur lesquelles se transportent les houilles, qui donnent cet excédant du produit des barrières qui sert à construire tant d’autres routes dans le royaume.
Ainsi le transport de la houille de Charleroy, au lieu de ne rien coûter à l’Etat, fait rentrer dans le trésor public des sommes considérables, le producteur de houille de Charleroy paie, pour transporter ses produits, une contribution à l’Etat. Le trésor public se remplit par cette opération.
Si M. le ministre faisait droit aux demandes des honorables députés de Liége, il puiserait dans le trésor public, pour porter sur les points alimentés par la houille de Charleroy la houille de Liége, qui ne peut y arriver sans ce secours du trésor public. Et c’est le transport de la houille de Charleroy qui fournit une ressource au trésor public.
Je ne sais si, par une semblable opération on fera baisser la houille au lieu de la consommation, cela dépendra sans doute de la faveur que le trésor public fera à Liége, mais si cela arrive, cela ne peut être qu’en expulsant la houille de Charleroy du marché, et par conséquent, en perdant ce que l’Etat recevait pour les droits de transport de cette houille. Vous sentez bien que ce que Liége fournira par ce singulier procédé, Charleroy ne le fournira pas.
M. le ministre a dit que le bas prix du transport de la houille de Liége par le railway serait profitable à tout le monde, mais pour démontrer ce que c’est que l’intérêt de tout le monde, il faut considérer la question sous bien des faces, et c’est ce que nul n’a fait.
Je suis d’accord que l’Etat ne doit pas bénéficier sur le produit des canaux et chemins de fer, mais pour savoir s’il y a bénéfice ou perte, il faut considérer l’opération dans son ensemble, et par conséquent, attendre avant de diminuer les péages, l’achèvement complet du chemin de fer.
Je partage l’idée de M. Dechamps, sur la réduction à faire sur les droits de transport de la houille vers la Hollande, car sans cette réduction on n’exporterait pas. Je fais toutefois une grande différence entre les voies navigables et les chemins de fer, parce que par les premiers tout serait bénéfice, car la Meuse et les canaux ne s’usent pas par le parcours, et la traction de bateaux se fait aux frais de leurs propriétaires. Il n’en est pas ainsi pour les chemins de fer ; tous les frais généralement quelconques sont supportés par l’Etat. La mesure proposée par M. Dechamps est bonne sans aucun doute pour les voies navigables ; je ne cris pas qu’elle le soit pour les chemins de fer.
M. de Theux – Messieurs, la clause de la loi du 1er mai 1834, qui a établi qu’à l’ouverture du chemin de fer, les péages sur le chemin de fer, et sur les canaux du Hainaut, devaient être les mêmes par tonneaux et par kilomètre, n’a eu d’autre but que d’empêcher une concurrence inégale entre les charbonnages de Liége et ceux du Hainaut. Le seul point à examiner, quant à la réclamation de plusieurs honorables députés, est de savoir si les péages qui ont à supporter les charbons de Liége pour arriver jusqu’à Anvers sont les mêmes par kilomètre que ceux que doivent payer les charbons du Hainaut, sur les canaux de cette province en destination d’Anvers.
Mais je ferai observer que cette disposition de la loi du 1er mai 1834 , ne peut être envisage que comme temporaire. Je pense que l’effet de la loi viendra à cesser quand le chemin de fer arrivera jusqu’à Charleroy et Mons, parce qu’alors les charbonnages du Hainaut toucheront au chemin de fer, comme ceux de Liége. La seule chose que puisse réclamer le Hainaut, c’est que le taux des péages pour les charbons de cette province jusqu’à Anvers ne soit pas supérieur au taux des péages des charbons de Liége par tonneau et par kilomètre.
Je crois donc que quand le chemin de fer atteindra les charbonnages de Mons, la clause de la loi du 1er mai aura cessé.
On ignorait encore la direction du chemin de fer à travers le Hainaut. Il n’était pas question de l’étendre jusqu’à Charleroy. On croyait qu’il pouvait être dirigé par Ath vers Tournay, et qu’ainsi il ne rencontrerait pas les charbonnages du Hainaut.
C’est donc une simple mesure de précaution qui a été prise ; mais elle deviendra inutile lorsque le chemin de fer aura atteint les limites de Charleroy et de Mons, et quant à présent il n’y a qu’une chose à vérifier, c’est de comparer les tarifs pour le transport du chemin de fer pour Liége vers Anvers, et les tarifs sur les canaux pour le transport des produits du Hainaut vers le même marché.
M. Devaux – J’avais demandé la parole pendant qu’on discutait une question qui n’a pas un rapport très direct avec le vote que nous avons à émettre ; celle du tarif des voyageurs du chemin de fer ; question qui présente cependant un vif intérêt et sur laquelle je veux faire de très courtes observations.
Il me semble que cette question est plus claire qu’on ne le croit. Il suffit, à mon avis, de se transporter au chemin de fer et de voir ce qui s’y passe, pour s’apercevoir que l’état actuel des choses doit être amélioré.
En effet, messieurs, que voyez-vous ?. Vous voyez une locomotive capable de traîner quatre cents voyageurs, n’en traîner que cent ou cent vingt, quelquefois quatre-vingts. Cette locomotive dépense donc une partie de ses forces et de son combustible inutilement. Elle peut traîner trois fois autant de voyageurs qu’elle en traîne, sans augmentation sensible de la dépense.
Je dis, messieurs, sans augmentation sensible de la dépense, parce qu’en effet la grande dépense d’un convoi, c’est la locomotive et le combustible qu’elle consomme.
Qu’en coûterait-il pour 200 voyageurs de plus ? Il en coûterait six wagons ; il faudrait ajouter six wagons au convoi. Or, je dis que c’est là une dépense presque imperceptible. En effet, je suppose que les frais d’un wagon, et c’est beaucoup exagérer, soit de 500 francs par an, la moitié de ce qu’il coûte ; car un wagon coûte mille et quelques cents francs. Un wagon peut faire mille voyages par an ; c’est donc par voyage un demi-franc. C’est là, vous le reconnaîtrez, une faible dépense.
Faudrait-il ajouter un gardien pour ce supplément de voyageurs ? Eh bien, que coûte un gardien ? Encore un millier de francs. Et comme il peut faire un millier de voyages par an, ce ne serait qu’un franc par voyage.
Vous voyez que ce n’est pas là la dépense d’un convoi. La véritable dépense, c’est celle de la locomotive et celle du combustible.
Or, que vous traîniez 100 voyageurs ou que vous en traîniez 300, la dépense de combustible est de même ; elle est sensiblement la même. Je sais qu’on l’a niée à une autre époque ; mais, je l’affirme, la différence est peu sensible.
Ainsi vous avez à remplir dans vos convois un vide, un vide de 2 à 300 voyageurs.
Maintenant, d’après le tarif actuel, la moyenne du produit, par voyageur, est de 2 francs. Elle n’atteint pas tout à fait ce chiffre, mais pour faire un compte plus rond, je prends 2 francs. Eh bien, je suppose que vos convois traînent, en moyenne cent voyageurs ; cela n’est pas, j’exagère. Voilà donc un convoi qui rapporte deux cents francs à peu près.
Eh bien, n’est-il pas exact de dire que si vous pouviez avoir 300 voyageurs ne payant qu’un franc 50 centimes, par exemple, au lieu de 2 francs, vous recevriez 450 francs pour chaque convoi, c’est-à-dire un produit double et cela sans plus de frais ?
Ainsi, je dis qu’il est de l’intérêt fiscal du chemin de fer, dans l’état actuel des choses, de compléter ses convois, de faire tirer ses machines par toute leur force. Vous pouvez donc accroître beaucoup les produits du chemin de fer, à condition que par la réduction du tarif, vous ameniez une augmentation dans les voyageurs, de manière à utiliser la force complète de vos machines.
Et la chose est bien claire. C’est absolument comme si une diligence qui peut contenir quinze personnes n’en conduisait journellement que quatre ou cinq. Je dis qu’il y aurait bénéfice pour l’entrepreneur à baisser le prix de ses places de 25 p.c., si par cet abaissement il pouvait transporter chaque jour 15 voyageurs.
Eh bien ! le problème est là ! Je ne prétends pas que c’est l’ancien tarif qui est bon, que le nouveau est mauvais de tous points et qu’il faut s’en éloigner beaucoup ; mais je dis qu’il y a un changement à faire.
Cela est tellement vrai, que l’honorable M. de Langhe l’a senti. Il vous a dit qu’il y avait toujours dans les convois des voitures vides, sans compter celles qui sont sous les remises et qu’on y pourrait ajouter.
Eh bien ! l’honorable membre a voulu trouver un remède à cet état de choses. Il faut selon lui supprimer des convois, et cette conclusion est assez logique. Il est certain qu’il faut faire de deux choses l’une : ou transporter plus de voyageurs ou avoir moins de convois.
L’honorable M. de Langhe dit qu’il faut avoir moins de convois. Je crois qu’il se trompe. Je ne prétends pas que tous les convois soient nécessaires ; il y en a peut-être quelques-uns qui pourraient être supprimés. Mais je dis qu’il existe des localités où il y en a trop peu. Je citerai, par exemple, Bruges, qui se trouve pour les communications, vis-à-vis d’Ostende, dans une situation plus défavorable qu’avant le chemin de fer. C’est là une injustice à laquelle j’espère que le gouvernement ne tardera pas à faire droit.
Supprimer les convois, c’est diminuer la dépense, c’est vrai, mais je crois que ‘est aussi diminuer considérablement la recette.
Qu’est-ce qui fait que le chemin de fer transporte un nombre aussi considérable de voyageurs en comparaison des diligences ? C’est le bénéfice du temps et de l’argent qu’il procure, mais surtout le bénéfice du temps. Or, s’il faut mettre autant de temps pour faire un voyage d’une ville à une autre par le chemin de fer que par les diligences, vous réduisez le nombre des voyageurs à peu près au nombre de ceux que transportent les diligences. Car peu importe que l’on reste moins de temps en route, si l’on doit attendre longtemps le retour ; s’il faut découcher ou passer toute une journée pour une affaire que l’on termine aujourd’hui en une matinée.
Ainsi, je ne puis admettre la conclusion de l’honorable M. de Langhe. Je reconnais qu’il y a aujourd’hui trop de convois ou trop peu de voyageurs, mais je crois qu’en définitive, il faut dire qu’il y a trop peu de voyageurs ; que nos locomotives n’utilisent pas leurs forces, et que dans l’intérêt du fisc, il faut chercher à compléter les convois.
Comment y arriver ? est-ce en baissant beaucoup le tarif ? je n’en sais rien. Mais je crois que l’état de choses actuel n’est pas bon. On dépense trop en superflu. Il faudrait des locomotives plus petites ou plus de voyageurs.
M. Delehaye – Messieurs, pour ne pas abuser de vos moments, je serais très court.
Quelques orateurs, entre autres l’honorable M. Dechamps, ont prétendu qu’il serait fort utile à l’industrie des houilles belges, de pouvoir arriver avantageusement sur les marchés hollandais, afin d’y faire concurrence à la houille anglaise. Je désire, comme ces honorables membres que la Belgique puisse se procurer ce marché et pour y parvenir, il n’est pas non plus de sacrifices auxquels je ne sois prêt de souscrire. Mais avant tout il serait peu conséquent, pour assurer des avantages à une industrie, de sacrifier une autre.
Ce serait nuire par exemple à nos raffineries de sucre qui font sur les marchés de l’Allemagne concurrence avec les raffineries hollandaises, si celles-ci obtenaient la houille belge à un prix inférieur à celui que pourraient se la procurer nos raffineurs.
Pour faire voir combien, dans mon opinion, cette idée serait absurde, je suppose pour un instant que dans l’intérêt de l’agriculture, on vous propose de donner une prime d’exportation au lin vert, avantage dont vous ne feriez pas jouir les tisserands belges.
Evidemment pareille opinion ne trouverait aucun accueil dans cette enceinte.
Ce n’est point ainsi qu’en agissent les Anglais. Leur laine est vivement sollicitée par l’industrie étrangère. Bien loin d’en favoriser la sortie, le gouvernement anglais réserve à sa nation le monopole de cette marchandise. Messieurs, je veux autant que qui que ce soit la prospérité de l’industrie houillère, je donne mon assentiment à tout ce qu’on peut réclamer en sa faveur, mais je pense qu’avant tout les industries indigènes doivent jouir des mêmes avantages.
M. Raikem – Un honorable préopinant a paru s’étonner que les députés de Liége aient insisté pour une diminution du tarif du chemin de fer quant aux houilles. Cet honorable préopinant a rappelé ce qui avait eu lieu en 1834 lors de la discussion de la loi du 1er mai. Il vous a rappelé la disposition de l’article 7 de cette loi.
Remarquez qu’à cette époque on craignait que les houillères qui se trouveraient à proximité du chemin de fer n’eussent en quelque sorte un monopole, et c’est pour ce motif qu’on stipule dans la loi du 1er mai la disposition qui se trouve consignée dans l’article 7. Mais depuis cette loi, la position du Hainaut quant au chemin de fer est elle-même changée : outre le chemin qui, d’après cette loi, se dirigeait vers la France en traversant le Hainaut, le chemin de fer de Mons, cette province a encore le chemin de Courtrai à Tournay et de plus la branche du chemin de fer qui doit lier Namur au système général et qui vient aboutir à Charleroy.
Voilà donc depuis cette loi, bien des avantages qui ont été accordés au Hainaut et qui changent sa position.
On a parlé de justice distribution ; on a dit qu’il fallait en suivre les règles. Eh bien, l’abaissement du tarif pour les houilles de Liége ne sera véritablement qu’un acte de justice distributive.
On vous a démontré qu’aujourd’hui le taux du transport est plus élevé qu’il ne l’était avant l’établissement du chemin de fer et par conséquent le chemin de fer ne prouve pas l’avantage que la loi du 1er mai paraissait y attacher ; avantage qui, à cette époque, faisait craindre non pour la concurrence, mais pour la destruction de la concurrence.
Et ici nous ne réclamons en aucune manière un privilège pour les houilles de Liége, mais une concurrence, afin qu’ils puissent concourir avec les houilles du Hainaut sur les marchés intérieurs avec lesquels on peut communiquer au moyen du chemin de fer.
Nous ne voulons en aucun manière exclure le Hainaut du marché d’Anvers comme on paraît le supposer, mais nous demandons à concourir avec le Hainaut, et pour cela il a été démontré qu’il y a nécessité d’abaisser le tarif.
On a parlé, messieurs, de ce même article 7 en disant que l’abaissement du péage sur les canaux du Hainaut, abaissement qui doit avoir lieu de manière à établir une concurrence avec les houilles de Liége et non pas de manière à les exclure du marché, on dit que cet abaissement ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi, que tel est le sens de la loi du 1er mai 1834. Mais je ferai observer que, d’après cette loi du 1er mai 1834, le tarif du chemin de fer devait être fixé annuellement par une loi ; lorsque la législature a vu qu’à l’époque de l’ouverture du chemin de fer elle ne pourrait pas fixer elle-même le péage, ce point a été abandonné au pouvoir exécutif qui, en vertu d’une loi postérieure, a fixé les tarifs du chemin de fer. Eh bien, messieurs, cet acte du pouvoir exécutif peut être modifié suivant les règles de la justice distributive par le pouvoir exécutif lui-même, et M. le ministre a reconnu dans cette séance qu’il y a lieu d’abaisser le tarif du chemin de fer, quant à la houille de Liége, afin qu’elle puisse soutenir la concurrence avec la houille du Hainaut, afin que l’une ne puisse être exclue par l’autre. Ainsi, messieurs, c’est un acte de justice que nous demandons, puisque nous demandons uniquement la concurrence et nullement le monopole.
« Mais, dit un des honorables préopinants, vous prendrez donc sur le trésor public, puisque c’est par le trésor public que le chemin de fer est établi, vous prendrez donc sur le trésor public une partie de ses ressources pour faire venir les houilles de Liége à Louvain, tandis que les canaux du Hainaut rapportent beaucoup et que les péages qui se perçoivent sur les canaux du Hainaut sont un profit pour l’Etat, au lieu d’être un désavantage. » d’abord, messieurs, cette observation ne doit nullement empêcher que l’on accomplisse un acte de justice, mais en deuxième lieu cette observation me paraît porter à faux ; en effet, messieurs, si vous abaissez le tarif d’une manière modérée comme on le demande, vous augmenterez les transports et par cela même, loin de diminuer les ressources du trésor, vous les augmenterez.
Je l’ai déjà fait observer, messieurs, nous ne demandons pas un privilège, nous demandons uniquement la concurrence, et remarquez que cette concurrence sera un avantage pour la consommation et qu’elle sera par conséquent dans l’intérêt général. Il s’en suit donc que l’abaissement demandé pour les houilles de Liége sera véritablement dans l’intérêt général, et je crois, messieurs, que l’on doit toujours avoir égard à de telles considérations.
M. Cogels – Messieurs, dans les observations qui ont été faites par M. le ministre des travaux publics, j’ai remarqué une inexactitude. M. le ministre a dit que dans la convention qui a été conclue avec une compagnie française, les avantages de cette convention ne s’étendent qu’au transport fait en France. Je trouve au contraire que cette convention a créé en Belgique une concurrence qui n’existait pas autrefois. Voici, en effet, comment se termine l’article 8 de la convention :
« Pour l’exécution de la disposition qui précède, il est entendu que l’administration des messageries royales serra autorisée, conformément aux règlements existants avant le 1er janvier 1841, à prolonger ses services actuels :
« De Paris à Lille, jusqu’à Courtray, en correspondance avec l’arrivée en cette ville, des principaux convois du chemin de fer ;
« Et de Paris, à Valenciennes, jusqu’à Bruxelles, en correspondance avec l’arrivée du dernier convoi. »
Or, messieurs, antérieurement à cette convention, les services français s’arrêtaient à la frontière, et là ils étaient en correspondance avec des services belges. La convention donc crée une concurrence depuis la frontière jusqu’à Bruxelles d’une part, et jusqu’à Courtray d’autre part.
Mais, messieurs, ce n’est pas là le seul vice que j’ai remarqué dans cette convention ; elle exclut toute autre compagnie concurrente française ou belge, et c’est là ce qu’il fallait éviter, aussi bien dans l’intérêt général que dans l’intérêt du chemin de fer ; l’intérêt du chemin de fer réclame le plus grand nombre de transports possible ; loin donc d’exclure telle ou telle compagnie de ces transports, il fallait les appeler toutes à y concourir.
Je sais bien que l’on m’objectera qu’il n’y a pas d’exclusion positive, mais au lieu de s’exposer à créer ainsi une concurrence au chemin de fer, on aurait dû appeler toutes les messageries à en faire usage. On a si bien senti cela en France, que lorsqu’il s’est agi d’établir les grandes lignes de chemins de fer, on a imposé aux compagnies concessionnaires l’obligation de ne former elles-mêmes aucune entreprise particulière de voiture ou de transports par eau qui aboutiraient au chemin de fer. On leur a interdit de former, avec aucune administration quelconque, des arrangements particuliers, à moins d’accorder les mêmes faveurs à toutes les entreprises concurrentes. Je ne donnerai pas lecture ici du rapport extrêmement intéressant de M. Vivien, à propos de la loi qui autorisait la création du chemin de fer de Paris à Orléans, je ne donnerai lecture que de l’article 5 du cahier des charges imposées à la compagnie concessionnaire ; voici, messieurs, cet article :
« Art. 5. Il est interdit à la compagnie, sous les peines portées à l’article 419 du code pénal, de former aucune entreprise de transport de voyageurs ou de marchandises par terre ou par eau, pour desservir les routes aboutissant au chemin de fer de Paris à Orléans, ni de faire directement ou indirectement, avec des entreprises de ce genre, sous quelque dénomination ou forme que cela puisse être, des arrangement qui ne seraient pas également consentis en faveur de toutes les entreprises desservant les mêmes routes.
« Les règlements d’administration publique, rendues en exécution de l’article 4, prescrivent toutes les mesures nécessaires pour assurer la plus complète égalité entre les diverses entreprises de transport, dans leurs rapports avec le service du chemin de fer de Paris à Orléans. »
Ainsi, vous voyez, messieurs, qu’en France on a agi dans un esprit tout à fait opposé à celui qui a dirigé notre gouvernement : en France on a interdit tout avantage, toute concession particulière ; on a voulu que les avantages du chemin fussent à la disposition de tous, et non pas exclusivement à la disposition de tel ou tel. Ceci, messieurs, s’est fait tout aussi bien dans l’intérêt du chemin de fer lui-même que dans l’intérêt général.
Dans le rapport de M. Vivien, on avoue, du reste, que le chemin de fer portera certain préjudice aux entreprises particulières ; mais on a voulu limiter ce préjudice au parcours de Paris à Orléans ; le dommage, a-t-on dit, qui résulte de l’établissement du chemin de fer pour les entreprises qui se trouvent sur son parcours, il ne faut pas l’étendre à d’autres routes, il ne faut pas qu’il résulte du chemin de fer un avantage particulier pour telle ou telle entreprise que la compagnie concessionnaire pourrait former ou prendre sous sa protection.
D’après ces observations, messieurs, je crois que le gouvernement ferait très bien comme l’a dit M. Dubus de profiter de la clause qui lui permette de résilier le contrat. Je crois même qu’en thèse générale le gouvernement ferait très bien de ne pas se charger de services de messageries et de se borner à offrir indistinctement à toutes les entreprises et à conditions égales, l’usage du chemin de fer ; elles pourraient alors exporter leur industrie comme elles l’entendraient.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’opération du gouvernement, que l’on critique est très simple ; elle apporte une concurrence de plus au commerce de la Belgique. Autrefois, une seule compagnie desservait la ligne de Bruxelles à Paris par Valenciennes, une seule compagnie desservait également la ligne de Courtray à Paris par Lille. Une compagnie française s’est présentée, pour former une nouvelle correspondance ; le gouvernement a trouvé des avantages pour les intérêts généraux à s’associer à cette compagnie pour les transports ; dès lors il a bien fallu donner à la compagnie les moyens d’arriver jusqu’au chemin de fer.
Du reste, messieurs, ce service est purement temporaire à mesure que le chemin de fer s’avancera vers la France, le service de la correspondance reculera de telle manière qu’il finira par disparaître entièrement lorsque le chemin de fer touchera la frontière française d’un côté vers Valenciennes et de l’autre côté vers Lille.
Je le répète, la convention a eu pour but de faire cesser un monopole qui était préjudiciable au chemin de fer sans être favorable aux intérêts du public.
M. de Roo – Messieurs, le chemin de fer ne doit pas seulement favoriser l’industrie et le commerce ; il doit aussi favoriser les intérêts du trésor, soulager les contribuables. Il y a des sections du chemin de fer qui ne produisent aucun bénéfice, il en est d’autres qui présentent une perte considérable. Je citerai par exemple une section entre Gand et Bruges qui offre une perte annuelle de 100,000 francs, tandis que l’on pourrait non seulement combler ce déficit, mais même faire produire à cette section un bénéfice égal au montant du déficit actuel.
Des pétitions nombreuses ont été adressées à la chambre pour demander un changement dans la direction de cette section, la commission des pétitions a fait son rapport à la chambre et la chambre a invité le ministre à lui présenter de son côté un rapport. C’est ce rapport que nous attendons encore. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si l’on s’occupe dans son ministère de la rédaction de ce rapport.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – L’on s’occupe, en effet, dans les bureaux de la question qui a été soulevée par l’honorable député de Thielt ; dès que le rapport sera prêt, j’aurai soin de le déposer sur le bureau de la chambre.
- La clôture de la discussion sur le chapitre III est mise aux voix et adoptée.
Article 1
M. le président – Je mets d’abord aux voix l’article premier. Entretien du railway.
M. le ministre avait primitivement demandé 1,160,000 francs ; par suite de deux réductions qu’il a lui-même proposées, ce chiffre est réduit à 750,000 francs. Je mets ce chiffre aux voix.
M. Demonceau – Je demande la parole.
Des membres – Il y a clôture.
M. Demonceau – C’est pour avoir une explication sur le chiffre.
Des membres – Parlez !
M. Demonceau – Messieurs, une réduction du chiffre a été proposé par M. le ministre des travaux publics, mais M. le ministre a également proposé une réduction au chiffre qui figure dans le budget des voies et moyens, c’est-à-dire que lorsque le budget a été présenté, l’évaluation estimative des produits du chemin de fer était de 7,500,000 francs ; maintenant d’après le deuxième projet, il n’est plus que de 7 millions. Je désire savoir pour quel motif on avait d’abord fixé la recette présumée à 7,500,000 francs, et pourquoi ensuite il l’a réduite à 7 millions. C’est peut-être cette réduction dans le chiffre de la recette présumée qui a permis au ministre de réduire le chiffre proposé pour le chemin de fer dans le budget des dépenses.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je tiens beaucoup à ne fournir à la chambre que les renseignements qui se rapprochent le plus de la vérité. Lorsque le budget des voies et moyens a été formé dans les prévisions des recettes (car nous ne pouvons que procéder par approximation, quand il s'agit d’évaluer les recettes à faire), on avait d’abord porté 7,500,000 francs. J’ai l’espoir que par une bonne direction donnée à l’exploitation, et par l’extension du chemin de fer, nous arriverons pour l’année 1841 à une recette de 7,500,000 francs. Cependant, pour ne pas paraître forcer les produits, pour donner à la chambre la mesure de notre modération à ce point, nous avons cru qu’il valait mieux réduire la recette présumée à 7 millions, en comptant néanmoins sur un excédant de produits. Nous l’avons fait d’autant plus facilement que, par un nouvel examen de tous les besoins du chemin de fer, nous avons été amenés à reconnaître aussi la possibilité de réduire d’abord la dépense de 620,000 francs ; et plus tard le rabais obtenu dans l’adjudication de fournitures considérables, notamment du charbon, nous a donné la certitude que nous pouvions encore réduire le chiffre primitif, ce qui nous a engagé à proposer une nouvelle réduction de 120,000 francs. Il y a donc une réduction totale de 730,000 francs.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre de 750,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Dépenses de locomotives. » (Le chiffre primitif était de 2,450,00 francs ; par suite des deux réductions proposées par M. le ministre, ce chiffre se trouve réduit à 2 ,200,000 francs.)
- Ce dernier chiffre est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Dépenses de perception, 760,000 francs, chiffre réduit par M. le ministre à 690,000. »
- Ce dernier chiffre est adopté.
« Art. 1er. Traitements : fr. 335,210. »
« Art. 2. Frais de tournée des inspecteurs, id. de régie des inspecteurs, indemnités de logement, imprimés, registres : fr. 82,750 »
« Art. 3. Transport des dépêches : fr. 300,546. »
« Art. 4. Service rural : fr. 300,000. »
« Art. 5. Papiers pour l’administration centrale et le service des provinces : fr. 7,000. »
- Ces cinq articles sont successivement mis aux voix et adoptés.
M. le président – Nous passons au chapitre IV – Mines (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 5 heures.