(Moniteur belge n° du 12 février 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Lejeune présente l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Les employés du commissariat de l’arrondissement de Liége demandent qu’il soit introduit dans la loi des pensions une disposition qui range les employés des commissariats d’arrondissement au nombre des fonctionnaires de l’Etat. »
Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi des pensions.
« La dame Marie-Lucie Kahier, domiciliée à Liége, religieuse pensionnée, se trouvant dans la catégorie des pensions ci-devant tiercées, demande que sa pension soit portée au taux de celles des autres religieuses du royaume. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Le rapport de la section centrale sur les amendements de M. le ministre des finances n’étant pas revenu de l’impression, la chambre décide qu’elle s’occupera en premier lieu de la discussion du projet de loi de budget du département de la guerre.
M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi suivant auquel le gouvernement se rallie :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministre de la guerre un crédit provisoire de vingt millions de francs (fr. 20,000,000) pour faire face avec le crédit accordé par la loi du 26 décembre 1840, aux dépenses de son département pendant les dix premiers mois de l’exercice de 1841. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. Lange – Messieurs, au lieu d’aborder la discussion du budget de la guerre, la section centrale, d’accord avec M. le ministre des finances, vous propose d’allouer une somme de 25 millions de francs pour subvenir aux besoins de ce département pendant les dix premiers mois de l’exercice courant.
A l’appui de cette demande de crédit provisoire, plusieurs considérations sont mises en avant ; entre autres, il faut laisser le temps au ministre de la guerre, afin d’arriver à un budget normal, d’opérer dans l’organisation militaire des modifications combinées avec les besoins de la défense du pays, sans blesser aucun des droits acquis.
Partageant notamment sur ce point l’opinion de la section centrale, je prends la confiance d’émettre quelques idées générales.
L’article 7 du traité du 19 avril 1839 porte que la Belgique formera un Etat indépendant et perpétuellement neutre. J’ai entendu souvent alors bourdonner dans le public, et l’on ne manquera pas de dire à présent : « La paix est faite ; notre neutralité a été reconnue ; pourquoi donc une armée ? » Je me disais alors, et je me répète encore aujourd’hui : Qui nous garantira la stabilité de la paix ? Qui niera que notre neutralité ne dépende de l’accord des puissances ? Cet accord, ébranlé dans sa base, jusques à quand durera-t-il ? Qui, enfin, osera soutenir que notre constitution politique soit tellement assurée que nous puissions sans crainte priver le gouvernement de toute force coercitive ? Ces craintes n’ont-elles pas failli se réaliser ? N’avons-nous pas sous les yeux les complications survenues dans les affaires d’Orient, heureusement totalement aplanies, je l’espère ! N’avons-nous pas d’ailleurs à prévoir d’autres dangers qui pourrait menacer la paix de l’Europe ?
Ces réflexions me portent à dire : Nous ne pouvons désorganiser notre état militaire par de trop larges réformes ; nous ne pouvons le réduire aux seuls besoins de l’ordre intérieur. Dans une conflagration européenne, nous ne pouvons laisser le pays sans défense à la première alerte, et nous en remettre purement et simplement du soin de cette défense aux puissances que notre existence nationale intéresse. Mais il nous fait une armée, et une armée organisée de manière à pouvoir satisfaire aux besoins de l’ordre intérieur et au dehors pouvoir être prêts à temps, afin de défendre, s’il le fallait notre neutralité assez longtemps par nous-mêmes pour que les puissances qui voudraient la respecter soient assurées de ne pas arriver trop tard contre celles qui voudraient la violer.
Ce point établi nous devons néanmoins chercher à rendre aussi peu coûteuse que possible l’organisation de nos forces militaires (oserai-je dire aujourd’hui) de nos forces militaires sur le pied de paix, non pas par d’étroites et tristes économies, mais par l’emploi bien entendu des deniers publics : en proscrivant toutes dépenses de luxe, tous frais inutiles de représentation.
Je viens de dire : « Par d’étroites économies », pour le trésor s’entend, mais accablantes parfois pour ceux qu’elles frappent. En effet, l’arrêté du 6 décembre 1839, concernant les officiers de la réserve, ne nous en fournit-il pas une triste preuve ! Si mes données sont exactes, la diminution de solde, en vertu de cet arrêté, ne devait guère produire au trésor qu’une économie de 100,000 fr. au plus et d’après les modifications y apportées par un arrêté subséquent du 15 avril 1840, en ce qui concerne les colonels, lieutenants-colonels, majors et capitaines de première classe nommés avant le 6 septembre 1831, cette économie n’atteindra peut-être pas le chiffre de 80,000 fr. ; et en vertu de ce même arrêté du 6 décembre 1839, toujours en vigueur pour lui, un sous-lieutenant, par exemple, qui recevait 1,600 fr. d’appointement , n’en reçoit plus que 1,400. N’avais-je pas raison de dire : « Triste économie pour le trésor, accablante pour celui qu’elle atteint ! » Que peut faire cet officier avec 1,400 francs, surtout s’il est père de famille. Je m’abstiens ici de toutes réflexions ; vous vous les faites en vous-mêmes et dans le silence.
Cet arrêt, d’ailleurs, est-il bien légal ? Il ne serait pas difficile d’établir la négative. Je ne crois cependant pas le moment opportun de discuter cette question ; et j’espère même que par une mesure dont l’honneur de l’initiative doit être réservé au gouvernement, cet arrêté du 6 décembre 1839, que, à mon avis, je qualifierai d’illégal, arrêté déjà modifié en partie par celui du 15 avril 1840, sera totalement couvert d’un voile que nous ne serons pas appelé à soulever.
Après avoir parlé de cette catégorie d’officiers en activité, disons un mot des officiers que la non-activité peut atteindre.
L’article 6 de la loi du 16 juin 1836, sur la position des officiers est ainsi conçu :
« Art. 6. La non-activité est la position de l’officier hors cadre et sans emploi ; jusqu’à ce qu’il y soit autrement pourvu par une loi, le traitement des officiers actuellement en non-activité en non-activité reste fixé d’après le tarif existant, ci-annexé, qui est applicable aux officiers de toutes armes.
« Le traitement de non-activité sera fixé pour les officiers qui y seront admis après la promulgation de la présente loi, aux deux cinquièmes du traitement d’activité pour les officiers généraux, et la moitié du traitement d’activité des officiers d’infanterie, pour tous les officiers depuis le grade de colonel jusqu’à celui de sous-lieutenant, quelle que soit l’arme à laquelle ils appartiennent. »
La moitié du traitement d’activité ! Donc pour un sous-lieutenant 800 francs. 800 francs ! Renforcerai-je ici ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, en parlant des officiers de la réserve ? Je me bornerai à proclamer que ce traitement et celui des autres officiers subalternes sont de beaucoup insuffisants pour pourvoir aux besoins de ceux qui les reçoivent, eux qui restent assujettis au pouvoir du ministre de la guerre, eux qui peuvent être rappelés sous les drapeaux d’un instant à l’autre, eux qui peuvent être astreints à une résidence fixe et déterminée, où ils ne trouveraient pas facilement d’occupation pour suppléer à l’insuffisance de leur traitement.
Est-ce donc là la récompense qu’ont droit d’attendre de la nation les braves qui se sont longtemps dévoués à sa défense et toujours prêts au premier signal !
Telles sont les quelques réflexions rapides et générales que j’avais à vous soumettre, et qui se résument à vous dire : Pas de paix stable, pas de neutralité perpétuellement assurée. Ainsi donc, une armée. Mais, d’un autre côté, point de luxe, d’ostentation ; de l’autre, point de différence d’appointements entre les officiers de la réserve et ceux de la ligne en activité, appointements garantis par la constitution et la loi. Et pour les officiers de notre armée dont la nature des choses et la force des circonstances pourraient nécessiter la mise en non-activité, j’appelle dès à présent et pour lors toute l’attention du gouvernement, toute l’attention de la chambre, afin qu’on ne puisse pas dire à l’étranger : En Belgique, l’officier est obligé de tendre la main, pour recevoir l’aumône du pauvre !
M. Lys – Nous sommes enfin arrivés à une époque de transition pour l’armée. La position de la Belgique est fixée. Etat neutre, son organisation militaire doit être calculée sur l’échelle éventuelle du déploiement de forces nécessaires pour la défense de la neutralité du territoire, eu égard à la positon centrale du pays, au milieu des grandes puissances continentales ; mais pour fixer la force de l’armée d’une manière convenable, il faut se garder d’agir trop brusquement, il faut se garder surtout de vouloir faire de l’économie quand même. On peut, à chaque instant, avoir besoin de l’armée. Or, rien de plus difficile que de créer une armée bien organisée, bien disciplinée ; il faut des années pour arriver à ce résultat. La Belgique en a fait la triste expérience ; nous devons nous garder soigneusement d’encourir le reproche d’avoir envers l’armée, de l’avoir désorganisée, en adoptant un système que les documents qui nous sont fournis, que l’expérience ne nous permettent pas encore de juger.
Pour arriver au résultat, qui est dans tous les vœux, de réduire l’armée aux proportions des besoins réels du pays, d’apporter les économies que le service du département de la guerre peut admettre dans toutes ses parties, il ne faut pas prendre maintenant de résolution définitive, il faut attendre que l’on soit éclairé par des données positives, et rien ne me semble plus convenable pour amener ce résultat que d’accorder au ministre une somme globale, sans spécialiser les objets de dépense et le chiffre de chacune de ces dépenses.
Le département de la guerre présente plus que tout autre des difficultés dans l’examen détaillé de ses dépenses, parce que les chambres législatives réunissent peu de personnes possédant les connaissances spéciales nécessaires à un pareil examen ; cet examen, messieurs, dans un moment surtout où l’on veut rechercher des économies, devient de plus en plus difficile ; comment descendre dans une infinité de détails sans posséder toutes ces connaissances particulières ? Nous devons dès lors nous en rapporter avec confiance à M. le ministre de la guerre, homme spécial ; il pourra essayer un système d’économie et de réduction considérable avec une bonne organisation de l’armée.
Mais pour cela, il ne faut pas que le ministre ait les mains liées, il faut qu’il jouisse de toute la latitude nécessaire à l’introduction de tout système nouveau dans l’organisation de l’armée, à ce qu’il puisse, par conséquent, faire les dépenses qu’il jugera convenables, et ne pas faire celles qu’il jugera inutiles ; il faut, en un mot, qu’il puisse employer les fonds sans qu’on leur ait donné auparavant une destination, car ce serait mettre le ministre dans l’impossibilité de nous fournir, l’année prochaine, des données suffisantes sur le budget normal de l’armée, en temps de paix ; ce serait perpétuer le provisoire, ou bien ce serait adopter un système définitif qui ne répondrait pas aux besoins du pays.
D’ailleurs, M. le ministre de la guerre a prouvé qu’il méritait la confiance de la chambre. L’année dernière, nous lui avons accordé une somme globale, sans destination spéciale, et le pays n’a pas à se repentir de cette confiance.
Si la confiance naît du succès, à bien plus forte raison devez-vous la lui continuer pour l’exercice courant, car l’année dernière votre confiance était pour ainsi dire aveugle ; la probité connue, les services rendus vous dirigeaient, mais aujourd’hui vous avez la preuve d’une bonne administration et d’une direction ferme et éclairée.
D’un autre côté, si la chambre vote tous les détails du service militaire en opposition avec le ministère, la responsabilité du ministre de la guerre, pour les améliorations à introduire devient un mot vide de sens ; la responsabilité se déplace, elle retombe sur la chambre ; or rien de plus dangereux dans un pays bien organisé, que de donner aux ministres les moyens de se décharger de la responsabilité de leurs actes.
L’adoption d’un chiffre global n’est pas contraire à l’esprit de notre constitution ; en effet, la constitution ne prévoir qu’une chose, c’est qu’elle oblige la législature, article 119, de voter chaque année le contingent de l’armée ; or, c’est ce que nous avons fait. L’article 115 nous oblige encore de voter le budget des recettes et des dépenses, mais par dépenses, il ne faut pas croire que la constitution ait entendu que nous fussions obligés de déterminer chaque article de dépense dépendant d’un chapitre général ; non, la constitution n’a pas voulu nous imposer une pareille obligation ; la constitution a voulu seulement que le chiffre de dépense fût voté, c’est-à-dire que le législateur fixât la somme jusqu’à laquelle la dépense pouvait s’étendre ; or, en disant que nous accordons 25 millions pour l’armée, nous satisfaisons pleinement au vœu de la loi constitutive.
Aucun reproche ne peut donc être adressé à la proposition de la section centrale ; enfin, messieurs, adopter cette proposition est le seul moyen de réaliser le vœu de l’article 139, n°10, de la constitution ; celui d’organiser convenablement l’armée sur le pied de paix ; il faut avoir des données, il faut connaître les besoins du service, il faut prendre garde surtout de détruire une armée, que l’on a eu d’autant plus de peine de créer, qu’il a fallu recourir aux lumières de l’étranger.
Je voterai donc, messieurs, une proposition qui est, il est vrai, un vote de confiance pour M. le ministre de la guerre ; mais je le répète, cette confiance est nécessaire, elle est indispensable, à moins que vous ne vouliez courir le risque de détruire l’armée, fruit de tant de peines et de tant de sacrifices.
Vous avez, d’ailleurs, ici un précédent et pour le vote d’une somme globale, et pour la confiance qui vous dirige dans ce vote.
L’année dernière personne n’a formé opposition à pareil vote, ni dans l’une ni dans l’autre chambre, en se fondant sur la constitution.
L’année dernière, vous avez eu cette même confiance dans le ministre actuel, et vous avez eu lieu de vous en féliciter ; il a donc aujourd’hui beaucoup plus de titres à votre confiance et il l’a pleinement méritée, par la conduite pleine de sagesse, et si avantageuse au trésor de l’Etat, qu’il a tenue l’année dernière, alors que la guerre entre les grands puissances paraissait imminente ; il n’a pas cherché à vous entraîner dans des dépenses qu’un seul appel de sa part pouvait occasionner, il a ainsi économisé les finances de l’Etat, que d’autres avant lui ont dépensées à pure perte.
Je voterai donc, je le répète, pour la proposition de la section centrale. M. le ministre de la guerre, ayant déclaré que c’était là le seul moyen d’opérer dans l’administration de l’armée, sans perturbation et sans secousses, les améliorations et les économies conciliables avec la sûreté du pays et le maintien des droits acquis.
M. Eloy de Burdinne –Messieurs, en prenant la parole, je déclare que ce n’est pas pour m’opposer à la demande du crédit du ministre de la guerre, ni pour critiquer les dépenses qu’il se propose de faire.
En la demandant (la parole), je n’ai d’autre but que de motiver mon vote qui très probablement sera favorable au crédit pétitionné.
Si dans la discussion des autres budgets, j’ai paru trop économe et si j’ai poussé à l’économie avec ténacité, peut-être, si j’ai voté contre le budget de l’intérieur, ce fut par le motif que je crois que le moment n’est pas encore venu de faire de trop fortes réductions au budget de la guerre, tandis que sur les budgets des autres départements nous devions en faire, dans l’état où sont nos finances. Ne perdons pas de vue, messieurs, que dans notre position nous devons ajourner les dépenses inutiles, pour être à même de faire les dépenses nécessaires.
L’horizon politique n’est pas encore assez dégagé de nuages pour nous permettre de nous endormir dans une douce quiétude.
Selon moi, nous devons nous tenir en mesure de faire respecter notre neutralité si on venait la troubler, de quelque part que ce soit.
Je voterai aussi les dépenses pétitionnées pour le département de la guerre, vu que je reconnais à M. le ministre de ce département des intentions de réduire les dépenses, autant que le besoin du service le lui permettra ; je reconnais dans l’honorable M. Buzen des vues d’ordre, d’économie, ainsi que la volonté de faire disparaître les dilapidations, si toutefois il en existait.
Je suis aussi disposé à voter le chiffre global qu’il nous demande. La confiance qu’il inspire m’est garantie qu’il n’en abusera pas.
Je ferai remarquer, qu’appelé seulement depuis neuf mois au département de la guerre, il n’a pu encore nous présenter un budget normal ; il demande du temps pour régler convenablement les dépenses indispensables et nécessaires.
Je crois que nous pouvons le lui accorder, j’en suis même persuadé, notre confiance ne sera pas trompée.
Pour l’exercice de 1842, nous pourrons discuter le budget de la guerre, et la confiance que nous lui aurons marqué sera, j’en suis persuadé, digne de celui qui la réclame. Dans tous les cas je me réserve de revenir de mon opinion, si on me prouve dans la discussion qu’il y a du mieux à faire.
M. Delfosse – Messieurs, la section centrale vous propose d’accorder à M. le ministre de la guerre un crédit global pour les dix premiers mois de l’exercice 1841, sans examen ni discussion préalable des spécialités du budget. Je regrette, messieurs, de ne pouvoir donner mon assentiment à cette mesure ; je ne le puis pour deux raisons.
La première, c’est qu’il serait bien difficile, pour ne pas dire impossible de se faire une idée juste de la dépense qui peut être nécessaire pour l’armée, avant d’avoir examiné et discuté une à une toutes les allocations portées au budget.
Cela serait surtout difficile pour ceux qui, comme moi, ne sont entrés dans cette chambre qu’après l’adoption du budget de 1839, le dernier qui ait été l’objet d’une discussion de détails. Nous manquerions personnellement d’expérience et celle de nos collègues ne nous viendrait pas en aide.
La seconde raison qui m’empêche d’adhérer au projet de la section centrale, c’est qu’il y a toujours du danger à affranchir un ministre, quel qu’il soit, de la règle des crédits spéciaux. Tout ministre, quel qu’il soit, de la règle des crédits spéciaux. Tout ministre, messieurs, même le meilleur, peut se tromper, il peut ignorer ou méconnaître les intentions des chambres sur les points qu’elles n’ont pas été appelées spécialement à résoudre.
C’est ainsi qu’il pourra arriver que M. le ministre de la guerre, s’il est affranchi de la règle des crédits spéciaux, s’il obtient un crédit global, sans autre limite que le chiffre, fera dans les meilleurs intentions, je me plais à le reconnaître, des économies sur des allocations que les chambres, si elles avaient été consultés, auraient laissées intactes ; qu’il majorera au contraire les dépenses qu’elles auraient réduites.
De cette manière, l’emploi du produit des impôts ne serait pas conforme aux intentions du pays, et cependant c’est au pays, par l’organe des chambres, et non aux ministres, qu’il importe de régler cet emploi.
Nous avons, il est vrai, dans la session dernière, accordé, par un vote tout de confiance, à M. le ministre de la guerre, un crédit global dans le genre de celui qu’on nous demande en ce moment, mais alors nous avions un excellent motif pour agir ainsi. L’année était déjà avancée ; le ministère venait de se former ; M. le ministre de la guerre n’aurait pu, avec la meilleure volonté du monde, étudier à temps toutes les questions qui auraient surgi dans la discussion du projet de son prédécesseur. Il y avait eu en quelque sorte impossibilité de discuter, c’était un cas de force majeure.
Aujourd’hui il n’en est plus de même ; M. le ministre de la guerre a eu depuis la session dernière tout le temps d’étudier ces questions, il s’agit d’ailleurs d’un projet de loi qui a été présenté par lui ; ce n’est plus le travail de son prédécesseur, c’est le sien qu’il est appelé à défendre, et je suis sûr qu’il le défendra bien.
Mais on a fait valoir un autre motif à l’appui de la proposition de la section centrale, on dit que nous sommes à une époque transitoire, la transition du pied de guerre au pied de paix, et on conclut de là qu’il serait impossible à la chambre de déterminer à l’avance, et pour une année entière, les diverses phases de cette transition.
Messieurs, ce motif me touche peu ; je suis fermement convaincu que les chambres peuvent et doivent régler les dépenses transitoires tout aussi bien que les dépenses définitives.
Depuis 1830 nous avons fait beaucoup de dépenses transitoires nous n’avons pour ainsi dire fait que cela, et cependant elles ont presque toujours été réglées par les chambres sur les propositions du gouvernement. Dans les moments de crise, lorsqu’on sentait le besoin d’augmenter le personnel et le matériel de l’armée, le gouvernement ne venait-il pas demander aux chambres, lorsqu’elles étaient assemblées, des crédits supplémentaires dont il indiquait la destination ?
Je dis même, messieurs, qu’il est plus important pour les chambres de régler les dépenses transitoires que les dépenses d’un ordre de choses définitif. Pour ces dernières dépenses le ministère serait presque toujours lié par des antécédents, et les abus seraient moins à craindre.
M. le ministre de la guerre a, je n’en doute pas, des idées arrêtées ou à peu près sur les besoins de l’armée pour l’année 1841 ; le projet de budget qu’il a présenté est le résumé de ces idées, il serait très utile pour nous d’entendre les objections qui pourront être présentées contre les diverses parties de ce projet et les réponses que M. le ministre fera à ces objections. Alors, mais alors seulement, la chambre pourra se livrer à une appréciation exacte des propositions du gouvernement et juger avec connaissance de cause.
Je ne puis donc, messieurs, donner mon assentiment à la proposition de la section centrale, bien que le caractère et les antécédents de M. le ministre de la guerre m’inspirent une entière confiance. Mais il est des principes qu’on ne doit jamais sacrifier aux hommes.
M. de Brouckere – Si j’ai réclamé la parole, ce n’est pas pour m’occuper du fond du budget, ni de la proposition de la section centrale. Puisque l’on paraît d’accord que nous ne sommes pas en position cette année d’arrêter un budget normal du ministère de la guerre, je crois que ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’adopter la proposition de la section centrale. J’aime mieux voter cette proposition que de voter encore une fois un budget transitoire.
Je dois dire cependant que je regrette que, de cette manière, nous ne nous trouvions pas en position d’expliquer notre manière de voir sur chacun des articles du budget. Pour ma part, j’avais des observations à faire sur quelques-uns de ces articles, et, entre autres, j’eusse voulu m’expliquer relativement à la réserve et relativement à la manière dont on a traité les officiers qui la commandent.
Je remettrai ces observations à l’année prochaine. J’espère que nous pourrons alors arrêter un budget normal, budget qui sera à peu de chose près celui qui se reproduira chaque année.
Le but particulier que je me suis proposé, en réclamant un moment la parole, c’est de rappeler à la chambre une affaire dont on l’a occupée l’année dernière et qu’elle a perdue de vue. C’est de plus, en ce qui me concerne, afin de remplir un engagement que j’ai pris.
L’année dernière, le général Van Koekelberg, inspecteur-adjoint des gardes civiques du royaume, s’est adressé à la chambre pour lui exposer qu’après avoir fait toutes les démarches vis-à-vis du gouvernement, à l’effet d’obtenir une pension pour ses services, ces démarches étaient restées sans succès. Il priait la chambre de vouloir intervenir dans cette affaire, afin que la pension lui fût enfin accordée.
La pétition de M. le général Van Koekelberg ayant été renvoyée à la commission des pétitions, cette commission, par l’organe de M. Zoude, fit un rapport dans la séance du 22 mai dernier, dans lequel les services du général Van Koekelberg étaient reconnus, et dont la conclusion était le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, pour y avoir tels égards que de justice.
Il paraît, messieurs, que jusqu’ici rien n’a été fait pour le général Van Koekelberg, et, d’après ce que m’a dit M. le ministre de la guerre, s’il ne lui a pas accordé de pension, s’il n’a pas eu égard aux recommandations de la chambre, c’est que le général se trouve dans des termes tels que, bien que ses services soient incontestables, les lois en vigueur sur les pensions ne permettent pas au ministre de lui en accorder une.
S’il en est ainsi, il me semble que M. le ministre, et je l’en avais prié, eût pu présenter un projet de loi spécial, sauf à la chambre à examiner et à décider le chiffre de la pension à accorder.
Puisque M. le ministre n’en a rien fait, je déposerai sur le bureau un projet dont je lui ai donné connaissance à l’avance.
M. Van Cutsem – Messieurs, notre section centrale du budget de la guerre nous propose d’allouer un crédit provisoire de vingt millions de francs, au ministre de ce département, pour faire face, avec le crédit demandé et avec celui accordé par la loi du 26 décembre 1840, aux dépenses de l’armée pendant les dix premiers mois de 1841 ; en voyant cette proposition, je me suis demandé d’abord si notre pacte fondamental ne mettait pas obstacle à l’adoption d’une pareille mesure, et pour m’en assurer j’ai lu l’article 115 de la constitution et médité son esprit : la lettre de cette loi ne s’oppose pas, à mon avis, à ce que nous votions un crédit global, pour mettre le ministre de la guerre en état de satisfaire à tous les besoins de son administration, quoique l’usage eût admis, dans tous les pays régis par des gouvernements constitutionnels, que la discussion du budget doive rouler sur un état annuel des dépenses qu’on présume avoir à faire, et des fonds et revenus affectés à ces dépenses ; en effet, que veut l’article 115 de la constitution ? Il ordonne aux chambres de discuter chaque année le budget, et si nous prenons le terme de budget dans la plus stricte acception du mot, il y a budget du moment où il existe une allocation certaine qui ne peut être dépassée et n’est employée qu’à un usage déterminé ; or, il y a dans la proposition qui nous est soumise, une demande de crédit qui ne peut être dépassée et être employée à un autre usage qu’à l’administration de la guerre ; donc il est satisfait à l’article 115 de la constitution, qui exige que le gouvernement ne puisse faire aucune dépense qui n’ait été autorisée par le pouvoir législatif.
Il y a un autre argument encore qui prouve que nous pouvons admettre la demande qu’on nous fait pour le département de la guerre, c’est que la constitution n’ayant pas dit que le budget devrait nécessairement être voté au commencement de l’année législative, nous sommes encore dans des termes utiles pour le discuter à la fin de l’année, et puisque la chambre ne nous demande de crédit provisoire que pour dix mois, et qu’après ce terme, le ministre nous montrera le relevé des dépenses faites et nous dira quels sont ses besoins pour les derniers mois de l’année, nous pouvons soutenir que nous discutons le budget dans le temps déterminé par la constitution et que nous satisfaisons, en adoptant la mesure qui nous est soumise, à son esprit et à sa lettre, qui veulent que toute dépense ministérielle soit le résultat d’un crédit qui doit être alloué à chaque département par les chambres.
Si nous pouvons donner à M. le ministre de la guerre une somme globale pour son administration, sans lui indiquer à quelle partie spéciale de son service les crédits alloués devront être employés, il me reste à examiner s’il est prudent d’accorder à un chef d’un département ministériel une confiance aussi illimitée que celle qu’on nous demande pour le ministre de la guerre, et si les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons nécessitent l’adoption d’une pareille mesure.
Je commencerai par vous dire que je suis loin d’admettre qu’il faille introduire définitivement un nouveau système dans la fixation des crédits de la guerre, et qu’en tous cas, je ne donnerai mon adhésion à la proposition qu’on nous fait que pour autant qu’elle soit seulement provisoire ; je ne consentirai plus à une pareille demande l’année prochaine, parce qu’il suffit, d’après moi, qu’un homme ait été pendant deux ans à la tête d’une administration, dans des temps ordinaires, pour qu’il sache quels sont les véritables besoins de cette administration et pour qu’il nous les fasse connaître.
Quant au ministre pour lequel on nous demande la mesure, je dirai que l’usage qu’il a fait en 1840 des crédits provisoires qu’il a obtenus est un motif de plus pour lui en accorder un cette année ; en effet, il a dépensé environ deux millions de moins que vous ne lui avez accordés, il a suffisamment justifié l’emploi des autres sommes qu’il a portées en compte, et il a tenu l’armée sur un pied respectable ; s’il n’avait fait que des économies et s’il avait désorganisé les moyens de défense dont nous avons besoin pour maintenir notre nationalité, loin d’approuver ses économies, je les répudierais ; mais il a su diminuer les dépenses de l’armée et mettre le pays à l’abri de toute attaque ennemie, d’où il est évident pour moi que nous pouvons donner toute notre confiance à un pareil homme.
Le ministre de la guerre a encore toute ma sympathie, parce qu’il n’a pas fait comme ses prédécesseurs, lorsque le pays lui a signalé des abus ; comme eux il n’a pas cherché à disculper des fonctionnaires sur lesquels planaient les soupçons les plus graves, il les a dénoncés à la justice répressive, il a ordonné des instructions sévères et complètes ; sans en dire davantage, un homme qui fait preuve de tant de caractère, saura aussi pour rendre service à son pays, braver les exigences de ses subordonnés, et leur sacrifier au besoin sa popularité militaire pour économiser les deniers de l’Etat.
Le ministre de la guerre est donc digne de la faveur qu’on nous demande pour lui, s’il en est ainsi, nous ne pouvons mieux faire, dans l’intérêt du pays, que de lui donner une marque de confiance qui le mettra à même d’opérer dans son département des économies que nous ne pouvons lui indiquer d’une manière certaine dans l’état actuel des choses. Que désirons-nous, que voulons-nous tous dans cette enceinte ? Evidemment réduire le budget de la guerre à un taux qui soit en rapport avec les ressources du pays. La somme de 30,000,000 de francs est sans doute encore susceptible d’être réduite, mais sur quelles données nous baserons-nous pour indiquer d’une manière certaine et sans entraver le service, sans le désorganiser peut-être, les réductions opportunes que l’on pourrait opérer ? Les budgets des années précédentes ont toujours été arrêtés dans la prévision d’une guerre ; pour nous garder dans la voie des économies, nous avons à peine pour nous l’expérience d’une année. Nous pensons tous que les dépenses de l’administration de la guerre sont encore susceptibles de réduction, mais tous aussi nous savons que dans un département quelconque les économies ne peuvent s’étendre au même degré à toutes les spécialités du service, mais qu’elles doivent atteindre une branche préférablement à une autre. Permettez-moi de vous dire, mes honorables collègues, qu’à peu d’exceptions près, nous sommes dans cette assemblée fort peu au courant des besoins d’une armée sur pied de paix, et s’il en est ainsi nous avons besoin d’être guidés pour faire une répartition convenable ; eh bien prenons pour guide le ministre de la guerre, qui, pendant son administration, en quelques mois, nous a donné des preuves de connaissances administratives profondes, jointes à un désir sincère de faire des économies. Depuis qu’il est entré au ministère de la guerre, tous les services ont marché et cependant nous avons déjà obtenu une économie de deux millions dans son administration. Si nous donnons encore une dernière fois au ministre une somme détermine pour l’employer comme il l’entend aux besoins de nos troupes nous connaîtrons à la fin de l’année le maximum des réductions que l’on peut faire subir à ce département, sans désorganiser l’armée, et de manière à pouvoir, en toutes circonstances, la montrer à nos amis et à nos ennemis ; nous aurons, en agissant ainsi, un point de départ qui nous manque aujourd’hui pour accorder ou refuser les crédits que l’on nous demandera pour 1842.
L’opinion que je viens d’émettre est basée sur l’examen approfondi du budget, auquel je me suis livré ; et, en effet, quelles sont les réductions que nous pourrons indiquer comme devant être absolument faites sur les dépenses du département de la guerre ? Nous ne pourrons qu’attirer l’attention du gouvernement sur ce qui se passe dans des pays voisins, et lui recommander de faire ce qui, dans des circonstances analogues à celles où nous nous trouvons, a été pratiqué chez ces nations ; nous pourrions, par exemple, lui conseiller de faire comme la Prusse, de laisser les grades supérieurs sans titulaires et de les faire remplir par des officiers d’un grade moins élevé ; de placer, comme la Hollande, les chevaux de la cavalerie et de l’artillerie chez les cultivateurs, si ceux-ci veulent bien les prendre pour une somme déterminée à payer par jour pour leur nourriture, d’accorder, comme notre ministre a déjà commencé à le faire, des pensions aux officiers qui, par leur âge, leurs services ou leurs infirmités y ont droit, et que l’on prévoit ne pouvoir désormais employer à un service actif, nous pourrions encore dire au gouvernement de supprimer le chef et le sous-chef d’état-major général, grades qui sont une véritable superfluité dans l’organisation militaire de notre pays, superfluidité qui, outre qu’elle nous coûte beaucoup d’argent, donne souvent lieu à des conflits entre le major-général et le ministre de la guerre, parce que les officiers commencent quelquefois par s’adresser au major-général avant de s’adresser au ministre, et d’autres fois au ministre avant de voir le major-général.
Rien ne s’opposerait encore à signaler au gouvernement comme une mesure d’économie, de prendre à lui la confection des habits des troupes, au lieu de les laisser payer au soldat et de diminuer à cet effet la solde du soldat : la suppression des régime de réserve, en mettant près de chaque régiment de ligne un cadre de bataillon lui serait encore proposé avec avantage, parce qu’on n’aurait plus de cette manière à payer les appointements d’un grand nombre d’officiers qui seraient mis en disponibilité ; il serait bon encore de supprimer les soldats sapeurs qui se trouvent à la tête des régiments et qui coûtent 73,000 francs par an à l’Etat, sans rendre aucun service à l’armée, et de remplacer les musiques militaires par des fanfares ; on pourrait encore conseiller à M. le ministre de ne pas vendre légèrement les chevaux de l’armée, parce que du moment que l’horizon politique se rembrunit, il faut les remplacer à des prix souvent six fois aussi élevés que ceux que l’on a obtenus des chevaux vendus ; il serait avantageux aussi de nommer à des emplois civils équivalents les officiers en disponibilité que leurs talents mettraient à même de remplir, et pour se guider à cet égard d’une manière équitable, l’empereur Napoléon a laissé assez de décrets qui spécifient les emplois auxquels chaque grade peut prétendre.
Demandons encore au gouvernement si, dans le but de faire des économies, l’organisation de l’armée ne serait pas susceptible de quelques modifications ? En France, par exemple, les généraux commandant les départements ont aussi le commandement des troupes qui s’y trouvent, tandis qu’en Belgique il y a des généraux pour commander les provinces et d’autres pour commander les troupes qui s’y trouvent. Ne conviendrait-il pas de donner ce double commandement à un seul homme, en lui adjoignant un second aide de camp, ou un officier d’état-major pour les détails de la milice ?
Voilà tout ce que nous pouvons raisonnablement faire dans la position où nous sommes ; aller plus avant et vouloir assigner à chaque spécialité du service une somme que nous ne saurions fixer que d’après notre désir plus ou moins grand de faire des économies, serait agir en aveugles, et par conséquent risquer de désorganiser telle branche du service, tout en autorisant des prodigalités dans telle autre.
Le ministre de la guerre pourra se poser toutes les questions que je viens de signaler et bien d’autres encore, et leur donner la solution la plus opportune ; de plus, sa mission ne se bornant plus à ordonnancer les crédits que nous lui aurons alloués pour telle ou telle spécialité désignée d’avance, il cherchera à n’affecter à chacune d’elles que la somme strictement nécessaire (car n’oublions pas que, faute d’antécédents pour nous guider, nous ne pourrons procéder qu’en tâtonnant) ; c’est ainsi messieurs, qu’il n’allouera les frais de représentation que là où son expérience les lui aura montrés indispensables pour assurer le service ; qu’il mettra à la solde de non-activité ou de disponibilité les officiers dont la présence au corps ne serait pas indispensable ; qu’il laissera dans leurs foyers le plus longtemps possible, avant de les licencier, les miliciens de chaque classe, afin d’économiser sur la masse dite d’habillement et d’entretien, le montant de leurs journées d’absence, auxquelles, lors de leur licenciement, ils n’ont plus droit à dater du jour de leur envoi en congé ; qu’il s’appliquera, par une administration bien entendue dans les manutentions militaires, à dépenser le moins possible des 1,386,115 francs 68 c. alloués pour la masse de pain ; qu’il ne fera renouveler au harnachement et aux buffleteries que les parties hors d’état de service ; qu’il emploiera dans un but d’économie les sommes considérables, provenant de la vente du fumier dans les divers corps montés, et qu’il pourra faire encore bien d’autres économies qui seraient trop longues à vous signaler et que le ministre trouvera facilement sans que nous les lui indiquions. Lorsqu’un ministre, dans le désir de faire des économies, commence par renoncer, de son propre mouvement, aux 10,000 francs de frais de route et de séjour que tous ses prédécesseurs ont demandés et obtenus, nous pouvons être certains qu’il découvrira des moyens d’économie auxquels nous n’avons pas songé. Pour introduire dans l’administration de l’armée des économies fortes et durables, il ne suffit pas de dire : Nous ne garderons sous les armes que tel ou tel nombre d’hommes, car ces économies, outre qu’elle froissent bien des existences, sont constamment subordonnées à mille éventualités ; mais il faut pénétrer dans l’administration intérieur, en un mot arrêter les différentes branches de service, de telle sorte que, coûtant moins, elles atteignent néanmoins le but pour lequel elles ont été créées, et organiser l’armée de manière à pouvoir, dans un cas donné, passer avec le moins de frais possible du pied de paix au pied de guerre : ce but, messieurs, vous ne pourrez l’atteindre qu’en accordant au ministre le crédit global qu’on vous demande pour son département, et en l’accordant vous mériterez bien de la patrie, parce que vous aurez mis le gouvernement en état d’alléger les charges qui pèsent sur elle.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, lors de la discussion des budgets de la guerre des années précédentes, plusieurs améliorations ont été demandées, signalées dans cette chambre, pour l’armée, et il me semble avoir remarqué que peu de tentatives d’améliorer le service aient été faites ; c’est ainsi que de nombreux officiers supérieurs, qui par leur âge devaient obtenir leur retraite, restent au service actif, paralysant l’émulation de ceux qui devraient les remplacer, et ne maintiennent pas dans les corps cette activité, cette impulsion, ce feu sacré, si je puis m’exprimer ainsi, si nécessaire pour conserver une bonne armée.
C’est ainsi que les colonels, au lieu d’être aidés comme en France par un lieutenant-colonel pour le service, l’instruction, et par un major pour l’administration, sont, comme par le passé, tellement écrasés de besogne, qu’ils ont à peine le temps de faire manœuvrer leurs régiments et sont transformés en homme de cabinet.
C’est ainsi que nous voyons toujours figurer à nos budgets 12 à 14,000 fr. pour l’administration de chaque régiment, tandis que les corps sont encombrés de paperasses.
Quand on propose une amélioration qui est patente, que répond-on ? « Cela ne se fait pas dans nos règlements ». Mais si vos règlement sont surannés, médiocres, il faut le changer, et c’est ce qu’on ne se donne pas la peine de faire.
Il y a trois ans, notre honorable collègue M. Brabant et moi nous fîmes sentir la nullité des règlements du service intérieur, dont personne ne contestera l’immense importance, car ils servent à définir les attributions de chaque grade, les devoirs que l’on doit à ses chefs et à ses égaux, à maintenir la discipline, la tenue, à régler les manœuvres.
Eh bien, tous ces points si importants sont définis par des règlements surannés, incomplets, ou plutôt abandonnés aux soins des chefs de corps. Je serais humilié si un étranger, voulant connaître nos institutions militaires, cherchait à les apprécier par les règlements sur le service intérieur de l’armée. Des projets de nouveaux règlements, rédigés depuis longtemps, par des hommes spéciaux, ont été déposés au ministère de la guerre ; pourquoi n’y donne-t-on aucune suite ? Les institutions de notre armée ont pour base des traditions de l’armée hollandaise, auxquelles on a ajouté peu à peu des usages français, ces deux types marchent ensemble ; il est grand temps que l’on arrête un système homogène, qu’il serait si facile d’emprunter aux armées des nations qui nous entourent, et dont les organisations sont d’ancienne date ; pourquoi ne détacherait-on pas des officiers intelligents pour étudier près des armées étrangères le meilleur système d’administration de service ? J’espère que ces observations, qui ne sont dictées que par le désir du bien, feront l’objet des réflexions de M. le ministre de la guerre.
Depuis que notre armée est rentrée sur le pied de paix, elle a été partagée en divisions, sous le commandement de généraux qui ont chacun un ressort territorial. A côté de ce pouvoir, on en a créé un autre, qui consiste dans deux commandements généraux, l’un de la grosse cavalerie et l’autre de la cavalerie légère, cette organisation défectueuse a pour origine des conflits fréquents ; il ne semble qu’il y aurait lieu de supprimer ces commandements de cavalerie, et de les remplacer, si l’on veut, par des positions d’inspecteurs de cavalerie. J’ai vu, avec regret, l’année dernière, ces corps de l’armée inspectés par leurs propres chefs, au lieu de faire faire ce contrôle par des généraux appartenant à d’autres corps ; l’on m’objectera les économies qui en sont résultées, mais ces économies doivent s’élever à peu de chose et ne sont pas justifiables, quand il s’agit du bien du service.
Une association formée pour les remplacements militaires a rendu des services, en favorisant les réengagements ; beaucoup de militaires, qui repoussent la position de remplaçants seraient plus nombreux encore, s’il l’on prenait plus de soins dans les formalités à prendre, afin de supprimer tout ce qui tend à faire connaître que les réengagés sont des remplaçants ; c’est ainsi qu’il faudrait supprimer le mot « remplaçant » au registre de matricule pour les hommes réengagés par la société ?
Il me reste à appeler l’attention de M. le ministre sur les nombreux suicides qui affligent notre armée ; nos soldats sont bien vêtus, bien nourris, bien payés, qu’est-ce donc qui les pousse vers cette déplorable manie du suicide ? J’engage le gouvernement à porter son attention sur ce fléau, d’en étudier les causes, et de chercher à les prévenir.
J’accorderai un vote favorable à la proposition de la section centrale, espérant que M. le ministre tiendra quelque compte des mes observations.
M. Mast de Vries – Messieurs, j’ai proposé à la section centrale d’accorder un crédit global, et certainement je ne m’opposerai pas dans cette enceinte à ce que cette proposition soit adoptée, mais j’ai une interpellation à faire à M. le ministre de la guerre sur la manière dont il entendra le vote d’un chiffre global. Je lui demanderai d’abord s’il entend imputer sur ce crédit d’autres dépenses que celles qui se trouvent dans le budget qu’il nous a présenté ?
M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Non.
M. Mast de Vries – Ensuite, messieurs, il est des dépenses dans le budget sur lesquelles nous n’avons jamais voté, et parmi ces dépenses, il s’en trouve qui seraient sans aucun doute rejetées si elles devaient faire l’objet de notre examen Je demanderai donc encore à M. le ministre s’il entend faire des dépenses qui ne se sont pas encore trouvées dans les budgets que nous avons examinés précédemment.
M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Les dépenses qui se trouvent dans le budget actuel et qui n’ont pas figuré dans les budgets, ne seront probablement pas faites.
M. Mast de Vries – M. le ministre se croira-t-il, par exemple, autoriser à augmenter certains traitements ?
M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Je ne puis pas répondre catégoriquement sur ce point. Cela dépendra des circonstances, de ce qu’il faudra faire pour concilier les besoins de l’organisation de l’armée avec les intérêts du trésor.
M. Mast de Vries – S’il ne s’agissait que de quelques positions spéciales, je ne voudrais pas qu’il fût interdit à M. le ministre d’augmenter par-ci par là un traitement, alors que les besoins du service l’exigeraient. Mais s’il s’agissait de majorer des traitements qui doivent se reproduire continuellement, alors je devrais refuser mon vote au crédit.
M. Jadot – Messieurs, la sixième section a fait remarquer que le libellé de l’article 5 était rédigé de manière que le crédit qu’il alloue ne profite qu’aux employés militaires, à leurs veuves et à leurs enfants, et qu’il serait juste que les employés civils, leurs veuves et leurs enfants y prissent également part.
M. le ministre de la guerre a répondu que rien ne s’opposait à ce que le libellé de cet article fût rédigé de manière à faire participer les employés civils à ce crédit, mais que dès lors il faudrait le doubler.
Je demande non pas que l’on double le crédit, mais qu’il en soit ouvert un global, avec la destination que je viens d’indiquer, afin que les intentions de la chambre puissent être exactement remplies.
M. le président – Si la chambre vote un crédit spécial, il ne peut pas être question de la destination spéciale à telle ou telle partie de ce crédit.
M. Jadot – Alors, je demande que M. le ministre prenne sur le crédit global la somme qui lui sera nécessaire pour faire droit à mon observation.
M. de Mérode – D’après la réponse que M. le ministre de la guerre vient de faire à l’honorable M. Mast de Vries, je pense qu’il pourra subvenir à toutes les nécessités de l’armée. Je voterai donc pour le crédit global, persuadé que M. le ministre sera libre de disposer de ce crédit comme il l’entendra, tant dans l’intérêt matériel et moral de l’armée, que conformément à l’honneur du pays, à l’égard de certains officiers qui, après avoir embrassé notre cause, probablement pendant le courant de l’année, sortiront du service. J’adopterai avec plaisir le crédit global ainsi entendu. Sinon j’eusse été obligé de présenter à la chambre des observations que je retranche, puisque M. le ministre, selon ses explications, conserve le droit de satisfaire à toutes les convenances.
- Les deux articles du projet sont successivement mis aux voix et adoptés.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet.
67 membres sont présents.
5 s’abstiennent.
62 adoptent.
En conséquence le projet de loi est adopté.
Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Buzen, Coppieters, David, de Behr, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Lejeune, Liedts, Lys, Maertens, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, de Baillet, Sigart, Simons, Smits, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vandensteen, Verhaegen, Wallaert, Zoude et Fallon.
Se sont abstenus : MM. Delfosse, Dubus (aîné), Mast de Vries, Raikem et Ullens.
Les membres qui se sont abstenus sont appelés à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Delfosse – Je me suis abstenu parce que la chambre n’a pas voulu entrer dans l’examen des spécialités du budget.
M. Dubus (aîné) – Je ne voulais pas refuser les fonds nécessaires pour l’armée, mais je ne pensais pas qu’il y eût lieu de voter un crédit global, alors que je ne voyais aucun inconvénient à entrer dans la discussion des articles du budget. D’ailleurs, j’avais la conviction qu’un budget établi à 30 millions par année, comme il l’est par suite de l’adoption du crédit global, j’avais la conviction qu’un semblable budget est susceptible de réductions.
En troisième lieu, la manière dont M. le ministre a répondu à l’interpellation de l’honorable M. Mast de Vries m’a donné lieu de croire qu’il se réserve le droit d’employer le crédit de la manière la plus inusitée, par exemple, en augmentant des traitements au moyen des économies qu’il pourra faire sur certains articles du budget, ce qui entraînerait pour l’avenir un surcroît de dépenses.
M. Mast de Vries – Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l’honorable M. Dubus.
M. Raikem – Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. Ullens – Je n’ai pas pu voter pour le projet en question, parce que je trouve que, dans l’espèce, il n’y a pas de motifs de dévier des règles générales qui nous prescrivent d’examiner et de voter les lois article par article, afin de laisser toute action à la cour des comptes ; d’autre part, je n’ai pas voulu donner un vote négatif, convaincu que M. le ministre, appréciant à sa juste valeur la marque de confiance que lui montre la chambre, introduira dans le service toutes les économies qui ne seraient pas de nature à désorganiser l’armée.
M. Zoude monte à la tribune et fait, au nom de la section centrale, le rapport suivant : (Nous donnerons ce rapport).
M. Dubus (aîné) – Comme on doit renvoyer à demain la discussion des amendements de M. le ministre des finances, je demande que l’on renvoie également à demain la discussion de l’amendement de M. de Puydt et que l’on fasse imprimer la rédaction proposée par la section centrale.
Je crois qu’il y a des observations à faire sur l’article même qu’il s’agit d’amender. On a insisté sur la disposition de cet article comme sur une des causes de l’augmentation du chiffre des pensions ; en effet, il faut compter pour la liquidation de la pension des années accomplies dans un âge fort peu avancé, même des années de services de mineurs, c’est là une question qui demande à être examinée.
- La proposition de M. Dubus (aîné) est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 2 heures et demie.