Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 janvier 1841

(Moniteur belge n° 15 du 15 janvier 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. de Villegas donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Les héritiers de Clermont Leloup, créanciers de la commune de Herve, de Petit-Rechain et Dison, réclament que la chambre adopte une mesure qui ordonne la liquidation de ces créanciers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Ploegstert demandent que la chambre accueillent favorablement le projet de séparation de ce hameau d’avec la commune de Warneton, qui sera présenté par le gouvernement. »

M. Rodenbach – Les habitants de Ploegstert demandent à être séparés administrativement de la commune de Warneton. Il paraît que la députation a donné un avis favorable, et je crois que sous peu un projet de loi sera soumis à la chambre par le gouvernement. Comme cette requête est adressée par les pétitionnaires à la chambre, uniquement pour solliciter son adhésion à leur demande, je pense que, pour le moment, il y a lieu de déposer cette pétition sur le bureau des renseignements ; lorsque le projet de loi sera présenté, la commission qui sera chargée de l’examen de ce projet, pourra réclamer la pétition.

M. de Behr – Je crois que, pour se conformer au règlement il convient de renvoyer la pétition à la commission des pétitions, qui présentera telle ou telle conclusion à la chambre.

M. le président – M. Rodenbach propose de déposer la pétition sur le bureau des renseignements. Je mets cette proposition aux voix.

- La proposition n’est pas adoptée, en conséquence, la pétition est simplement renvoyée à la commission des pétitions.


« Sept aubergistes de la commune de Houx, rive droite de la Meuse, entre Dinant et Burnot, adressent des observations contre le projet du gouvernement, de transporter le chemin de halage de la rive droite sur la rive gauche. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les administration communes de Landegem, Olsene, Erembodegem, Meerendré, Mariakerke (Flandre orientale), réclament une augmentation de traitement pour les desservants des communes. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


Le sénat renvoie à la chambre vingt-quatre demandes en naturalisation qu’elle a adoptées dans sa séance du 21 décembre dernier.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le président – Le bureau a nommé M. Raikem membre de la commission du projet de loi relatif aux inscriptions hypothécaires, en remplacement de M. Pollénus.

Projet de loi autorisant le gouvernement à vendre les établissements de Meslin-l'Evêque et d'Uccle

Discussion générale

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, je crois utile avant la discussion du projet qui vous est soumis, d’entrer dans quelques détails sur l’industrie qui en fait l’objet.

Ce n’est pas en Belgique seulement que le mûrier a été reçu avec défiance.

Originaire de la Perse, il fut repoussé avec une égale prévention en Espagne comme en Italie et en France, et ce ne fut qu’à la protection constante qui lui fut accordée dans ce dernier pays, que sa culture commença à y prospérer ; encore fut-elle longtemps dans l’enfance, et ce n’est qu’à l’impulsion qu’elle reçut de Napoléon qu’elle est redevable du développement considérable qu’elle a acquis.

Avant lui, la production en soie n’était en France que de 30 millions, mais en peu d’années elle s’éleva à plus de 100.

En Prusse cette industrie fut aussi l’objet d’une critique assez amère, mais le gouvernement ne céda pas au découragement, et aujourd’hui il s’y est formé des établissements qui rivalisent sous plusieurs rapports avec ceux de France.

En Italie, c’est de la chaire de vérité que descendent les paroles pour porter les populations à la culture de cette industrie.

Partout les hommes sont soumis aux mêmes préventions et partout où elles ont été vaincues, le succès a couronné la persévérance.

Le mûrier prospère aujourd’hui en Belgique comme et France, et M. Bonafoux, président de l’académie de Turin, l’un des hommes les plus profonds sur l’industrie sétifère, n’a pas hésité de déclarer que la plantation d’Uccle n’avait rien de supérieur en Italie.

Le même témoignage a été rendu à la qualité de notre soi qui le dispute à tout ce qui se produit de mieux ailleurs.

Ainsi, messieurs, tout se réunit en faveur du succès qui attend la Belgique dans le développement de cette industrie.

Mais le sarcasme et le ridicule ne lui ont pas été plus épargnés que dans les pays voisins.

Il faut, a-t-on dit, dans une autre enceinte, élever en Belgique le mûrier en serre chaude et loger les vers à soie en glacière.

C’est avec regret qu’on a entendu un orateur possédant beaucoup de connaissances, céder au désir de dire un bon mot pour prouver qu’il ignorait la matière dont il parlait.

En effet, qui ne sait aujourd’hui qu’on peut faire éclore les vers à soie à volonté, plus tôt ou plus tard, et que cet insecte peut supporter 8 à 10 degrés de froid au-dessous de zéro, sans cesser d’être fécond.

On a encore reproché à la Belgique de devoir recourir à la chaleur artificielle, mais ceux qui lui adressent ce reproche devraient bien se donner la peine de s’informer de ce qui se passe ailleurs ; ils sauraient que la chaleur artificielle est employée aujourd’hui en France et en Italie comme le seul moyen d’entretenir un égal degré de température, et d’assurer le développement des vers à soie qui, auparavant, avaient à souffrir beaucoup de brusques variations de l’atmosphère.

Il est peut-être bon de se rendre compte du découragement qui a succédé à l’enthousiasme dont on était épris pour l’éducation des vers à soie.

On avait pensé d’abord que cette culture était toute d’agrément, qu’elle n’exigeait que quelques soins légers et qu’on pouvait recueillir la soie avec la même facilité qu’on obtient des fleurs dans les jardins.

Mais on fut bientôt désabusé et on reconnut que la carrière d’un éducateur était une carrière de labeur qui exigeait beaucoup de soins et surtout grande provision de patience.

En effet pour recueillir d’un mûrier des feuilles assez riches en gomme pour que l’insecte puisse composer son cocon, il lui fait dix à douze ans d’âge, et encore alors on en peut guère en obtenir que 5 kilog. par arbre, or, pour une once de graine, il en faut 700 kilog, c’est-à-dire la dépouille de 140 arbres, ce qui fait à peu près le tiers de la plantation d’un hectare, si on veut en utiliser un peu l’herbe.

Une once de graine fournit en Belgique, terme moyen, 45 à 50 kilog. de cocons ; en France, cette moyenne n’est que de 35.

Il faut 10 à 11 kil. de cocon bien nettoyés pour en donner un de soie.

Le cocon vaut 4 fr. 5 c. à 4 fr. 50 c. le kilo ; donc un hectare planté de 450 arbres de 10 à 12 ans, donne en feuilles 2,250 kil., ce qui peut suffire à 3 onces ¼ de graine, produisant 145 kil. de cocon, dont la valeur totale sera un peu plus de 600 francs.

Or, on le demande, quel est le cultivateur qui se chargera du soin de la culture du mûrier pendant 10 à 12 ans, pour ne recueillir alors qu’un produit de 600 francs, s’il n’est encouragé par le gouvernement ?

Il est vrai qu’alors la quantité comme la qualité des feuilles va toujours en croissant, de manière qu’au bout de 25 ans le produit en est triplé et que ce bénéfice devient réel.

Mais ce n’est pas le tout d’avoir obtenu une bonne nourriture pour les vers à soie, il faut encore connaître la manière dont son éducation doit être dirigée ; la moindre erreur compromet le travail d’une année, qui ne donne à l’expérience pour l’éducation complète que 30 à 38 jours, lorsqu’une erreur exige quelquefois plusieurs années pour être rectifiée.

Le cocon obtenu, il faut en conserver une quantité assez considérable pour la graine, et puis il faut se procurer des dévideuses pour donner de la valeur à la soie, or, ces dévideuses sont l’écueil contre lequel bien des éducateurs sont venus échouer, il fallait les faire venir de l’étranger, le payer à cher prix.

Cet obstacle a disparu par les soins du directeur actuel qui a formé des fileuses qui ne le cèdent en dextérité à aucune des meilleures de France.

Mais ce n’est pas tout encore d’avoir obtenu de la soie, il faut s’en procurer le placement qui ne peut se faire avantageusement que lorsqu’on en a réuni une pacotille, c’est-à-dire une centaine de kilo. Ce qui exige la récolte de plusieurs années. La soie vaut alors de 65 à 95 francs le kilo, suivant son degré de finesse.

Cependant l’homme courageux qui avait su vaincre tous ces obstacles, voyait tous les ans le sort de son industrie remis en question à l’occasion du budget, et c’est pour l’arracher à cette situation précaire que le directeur actuel, M. de Moevius, fit la proposition d’acquérir l’établissement d’Uccle, à des conditions telles que le gouvernement assurait au pays la jouissance de cette industrie et restait à l’abri de toute chance de pertes.

Cette proposition fut envoyée à l’avis d’une commission spéciale qui vota son adoption à l’unanimité ; ce qui décida le ministère d’alors à présenter le projet maintenant soumis à vos délibérations.

Mais le cabinet actuel en a décidé autrement ; à la vérité, il préfère une mise en location ; le mode est-il préférable à celui qui vous a été présenté jusqu’ici, il me sera permis d’en douter.

En effet, qui remplira mieux que M. de Moevius les conditions auxquelles il s’était soumis, de bâtir à ses frais des ateliers de magnanière, de dévidage de cocon, de les acheter aux mêmes prix qu’en France, d’ouvrir son établissement à tous les amateurs, de leur communiquer et de publier ses observations, de remplir ces conditions pendant 25 ans et de payer une somme de 30 mille francs à l’Etat.

Nous le disons franchement, il est peu d’hommes en Belgique, s’il en est d’autres que lui, à qui on puisse confier un semblable établissement tant sous le rapport de ses connaissances spéciales que sous celui du désintéressement.

M. de Moevius s’est occupé de cette industrie dès son jeune âge, et, pour se perfectionner, il fit, à ses frais, plusieurs voyages en France et en Italie, où il resta deux ans, s’initia dans les meilleurs méthodes, pour doter son pays de cette riche industrie ; il vit l’Angleterre, où il étudia les machines perfectionnées pour la filature de la soie ; il alla recueillir à Upsal même des graines de mûriers plantées par le célèbre Linné.

Ses connaissances ont été appréciées par les diverses commissions que le gouvernement chargea de visiter les établissements sétifères ; elles l’ont été par le célèbre Bonafoux et par d’autres savants avec lesquels il est en relation.

Enfin, messieurs, ce ne sera qu’après des raisons bien convaincantes que je pourrai me rallier à un autre projet que celui qui vous a été présenté par le cabinet précédent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, je me rallierai au projet qui a été présenté par mon honorable prédécesseur, tout en faisant un amendement qui, je l’espère, sera adopté par la chambre. Cet amendement consiste dans l’addition des mots : « ou louer de la même manière et à long terme », qui viennent immédiatement après ceux-ci : « Le gouvernement est autorisé à vendre et céder de gré à gré… » Le reste comme dans l’article.

Le gouvernement aurait ainsi, dans la loi, la double faculté de vendre ou de louer à long terme, ce domaine au prix et aux conditions qu’il jugera les plus avantageux à l’Etat.

Pour faire apprécier l’intention qui dicté cet amendement, je demande à pouvoir dire quelques mots sur l’utilité qu’il y a à ne pas détruire les établissements modèles qui ont été fondés à Uccle et à Meslin-Lévêque pour l’éducation des vers à soie.

Une chose qui n’est peut-être pas assez connue, c’est que l’éducation des vers à soie, même en Belgique, date de très loin. Nos ancêtres l’ont essayée à différentes reprises, et l’ont abandonnée chaque fois, soit qu’ils fussent trop impatients de jouir, soit qu’ils manquassent des connaissances nécessaires pour la faire prospérer ; toujours est-il que cette culture a été commencée, abandonnée et reprise plusieurs fois en Belgique dans les siècles précédents. En 1828, on a fait un nouvel essai : un étranger, M. Beramendi, a élevé à Meslin-Lévêque, l’établissement qui y existe encore. En 1833, le gouvernement de cette époque, trouvant que l’enclos de Meslin-Lévêque n’était pas propre à la culture du mûrier, éleva un autre établissement à Uccle, établissement qui comprend un terrain de 20 à 25 hectares, si je ne me trompe.

Messieurs, la question est de savoir maintenant si, après avoir fait un essai dispendieux pendant sept ans, vous voulez de nouveau y renoncer, avant qu’il soit complété, et exposer ainsi nos descendants à faire de nouvelles tentatives pour voir si en définitive on ne réussirait pas à introduire la culture des vers à soie en Belgique aussi bien que dans les pays plus septentrionaux.

Il y a dans le pays deux opinions tout à fait opposées sur cette matière. Les uns s’imaginent que toute tentative ultérieure est inutile. D’autres pensent que la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie sont acquises au pays au degré de perfection où elle existe dans les autres pays ; il semble même que cette dernière opinion soit celle de la commission qui a examiné le projet de loi.

Sur ce point, le gouvernement n’adopte ni la première, ni la deuxième opinion, et ne pense pas que le problème soit résolu ; il croit qu’il est nécessaire de compléter l’essai.

Je dis que la question n’est pas encore décidée en faveur de l’éducation des vers à soie, car, aux yeux du gouvernement, cette question ne sera résolue en faveur de notre pays, qu’autant qu’il sera prouvé que cette culture peut se faire de telle manière que les recettes compensent les dépenses ; Alors seulement, il sera vrai de dire qu’il est prouvé que la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie peuvent se faire avantageusement en Belgique. Or, ce problème n’est pas encore résolu à l’heure qu’il est ; aujourd’hui, la soie qu’on recueille à Meslin-Lévêque ne donne qu’un produit annuel de 2,000 à 2,500 francs, en présence d’une dépense de 16 à 17,000 francs.

Evidemment, il serait absurde de soutenir que dans cette position la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie peut se faire avantageusement en Belgique. A ce prix-là, il serait vrai de soutenir qu’on peut cultiver avec avantage en Belgique les plantes les plus étrangères çà notre pays.

Je dis donc que la question est encore indécise. Il est reconnu par tous ceux qui se sont occupé de l’éducation du ver à soie, dans quelques pays que ce soit, qu’avant de pouvoir résoudre cette question, les arbres doivent avoir au moins 12 années d’âge ; qu’avant cet âge, on doit en avoir une trop grande quantité, eu égard au nombre d’individus à élever, et qu’il faut par conséquent en cultiver trop pour pouvoir les effeuiller sans les détruire ; de manière que lorsque les pieds d’arbre n’ont pas acquis un certain âge, il est impossible de savoir si les recettes balanceront les dépenses.

Ce n’est pas tout. Avant que cette question soit résolue, il faut encore que la Belgique soit en possession d’ouvriers habiles. Or, ces ouvriers ne se forment pas en quelques années. Remarquez que toute l’éducation du ver à soie se fait en un mois de temps. L’ouvrier n’a donc qu’un mois par année pour se former, de sorte qu’au bout de dix ans, il n’a réellement travaillé que pendant dix mois.

Vous comprenez, d’après cela, qu’il faut du temps pour dresser des ouvriers d’une manière assez parfaire pour que la soie dévidée par eux, et présentée sur les marchés français, sur le marché de Lyon par exemple, offre toutes les qualités de la soie maniée par les ouvriers italiens et français ;

Ce qui prouve encore que la question est encore indécise, c’est que si d’un côté on voit dans le pays quelques agronomes, quelques propriétaires commencer la culture du mûrier, on en voit d’autres y renoncer après l’avoir essayée.

Dans cet état de choses que reste-t-il à faire ?

La chambre sait qu’il existe deux établissements bien distincts, celui de Meslin-Lévêque, om se trouve la magnanière, c’est-à-dire l’ensemble des bâtiments où les vers à soie sont élevés chaque année, et celui d’Uccle, où se trouvent tous les pieds d’arbre. Or, ces deux établissements, si je ne me trompe, sont séparés par une distance de 7 lieues ; de sorte que tous les matins, pendant le mois de mai, époque où se fait l’élevage des vers à soie, on doit transporter les feuilles cultivées sur le terrain d’Uccle, à 7 lieues de distance, pour les présenter aux vers à soie à Meslin-Lévêque.

Cet état de choses ne peut pas continuer. Il faut donc de toute nécessité ou renoncer à l’éducation des vers à soie à Meslin-Lévêque ou bien élever à Uccle un bâtiment propre à l’éducation des vers à soie.

Si le gouvernement était venu proposer, indépendamment des 12,000 francs, déjà alloués au budget, une dépense de 30 à 40,000 francs pour établir à Uccle un pareil bâtiment, il est presque certain que les deux chambres auraient rejeté cette allocation. Le gouvernement s’est donc proposé la question de savoir s’il ne serait pas possible de compléter en Belgique l’essai de l’éducation ordinaire de 12,000 francs, mais encore sans devoir élever à Uccle, aux frais de l’Etat, un bâtiment pour cette destination.

A cet effet, l’on a pensé qu’il n’y avait qu’un moyen pour atteindre ce but, ce serait de vendre l’établissement de gré à gré à une personne capable de le diriger. Mais en examinant l’affaire de près, il m’a paru, sans que j’aie pourtant une opinion bien arrêtée à cet égard, qu’on pourrait peut-être, et même très probablement, arriver au même résultat au moyen d’une location à long terme ; et certainement si on peut atteindre ce but sans aliéner un domaine de l’Etat, il faut préférer le moyen que l’indique ; surtout si l’on considère que l’établissement d’Uccle est situé à une très petite distance de la capitale, qu’il peut dans des circonstances données, et qu’il est impossible de prévoir aujourd’hui, être d’une grande utilité pour l’Etat, et nous dispenser peut-être, dans un avenir plus ou moins éloigné, d’acheter à grands frais, un terrain de la même contenance.

Je dis, messieurs, qu’il m’a paru que la location peut remplir le même but que la vente. Je vous ai déjà fait voir que l’opinion de celui qui dirige actuellement cet établissement est qu’il faut encore dix ou douze ans avant que l’essai soit complet. Aussi la commission qui a examiné cette affaire proposait elle de charger l’acquéreur de l’obligation de faire servir cet établissement, d’établissement modèle pendant 25 ans.

Ainsi, dans l’opinion de cette commission comme dans l’opinion du cabinet précédent, 25 ans d’expérience peuvent décider à tout jamais la question qui nous occupe en ce moment.

Si après vingt-cinq ans, les produits ne peuvent pas couvrir tous les frais de l'établissement, il faut renoncer à tout jamais à la culture du mûrier et à l’éducation des vers à soie en Belgique. Si, au contraire, après ces vingt-cinq ans, les dépenses sont dépassées par les recettes, la question est résolue, et il n’y a plus de sacrifice ultérieur à demander à l’Etat. Qui empêche dès lors que le gouvernement passe un bail, soit au directeur actuel, soit à toute autre personne habile, capable de diriger cet établissement, un bail à long terme, à des conditions favorables, qui permettent d’achever l’essai commencé aux frais de l’Etat. Le terme pendant lequel le gouvernement pourrait louer au lieu de vendre l’établissement dont il s’agit, serait de trente ou quarante ans, au maximum.

Voilà dans quel but j’ai cru devoir ajouter à la faculté de vendre celle de louer à long terme si le gouvernement le juge convenable. C’est là une question d’administration que le gouvernement examinera attentivement et qu’il ne décidera que dans l’intérêt combiné du trésor et de l’essai commencé à grands frais par le gouvernement.

M. Van Cutsem – Messieurs, en lisant le projet de loi par lequel le cabinet précédent nous a demandé l’autorisation d’aliéner les établissements modèles d’Uccle et de Meslin-Lévêque, j’ai vu que l’Etat veut vendre ces biens, pour faire cesser immédiatement la charge qui résulte pour lui de ces établissements, pour retirer une somme assez élevée de cette cession pour percevoir lui-même les contributions qui pèsent aujourd’hui sur cette propriété, pour ne plus payer d’appointements au directeur, et enfin, parce que l’acquéreur s’engageant à conserver ces établissements modèles, on obtiendra le but qu’on s’est proposé en les créant dans l’intérêt du pays.

Prenant une à une toutes les raisons que le gouvernement allègue pour vendre ces établissements modèles, je n’en vois aucune qui puisse déterminer un homme qui réfléchir un seul instant, à lui donner l’autorisation qu’il sollicite ; en effet, peut-on dire que parce qu’un bien assujettit son propriétaire à certaines dépenses pour le rendre productif, il faille le vendre pour faire cesser ces charges, alors qu’on n’a pas démontré qu’elles dépassent le bénéfice qu’on peut en retirer ? Poser la question, c’est la résoudre ; or, le gouvernement ne nous ayant pas prouvé que les frais d’entretien de ces établissements excédaient leurs produits, à quoi sert de dire que cette vente ne nous assujettira plus à des dépenses ; si tous les établissements qui coûtent devaient être abandonnés, quels seraient ceux que l’Etat ou les particuliers pourraient garder ? ce premier motif qu’on allègue pour pouvoir vendre, ne peut donc être pris en considération, parce qu’il ne prouve rien.

Le second, que la vente donnera de l’argent à l’Etat, ne doit pas vous engager davantage à donner l’autorisation qu’on réclame de vous ; cet argent ne pouvant être que la représentation de l’objet vendu, on devrait vous démontrer qu’il vous donnera des revenus supérieurs à ceux que vous pourriez retirer de ces établissements s’ils étaient bien administrés. Pour ce qui concerne le bénéfice que l’Etat fera, en n’ayant plus à payer le directeur d’Uccle et de Meslin-Lévêque, je ne vois pas, encore une fois, qu’il y ait grand avantage de ce côté, quand on ne nous prouve pas que, s’ils étaient bien administrés, ils ne pourraient pas rapporter de quoi payer ce directeur et tous les frais de l’exploitation.

La dernière raison, celle déduite de ce qu’il n’y aura plus de contributions à payer après la vente des immeubles, est tellement misérable, que je ne conçois pas comment on ait osé la donner à une assemblée comme la nôtre. Qu’on conseille à MM. les sénateurs de vendre leurs propriétés pour gagner mille florins de contributions par an, vous verrez ce qu’ils vous répondront ; pourquoi ne ferions-nous pas la même réponse à ceux qui nous font valoir de pareils motif, en leur disant ce que MM. les sénateurs nous diraient, que c’est une mauvaise plaisanterie qu’ils veulent faire à nos dépens.

Pour que je donne mon assentiment à la vente que le gouvernement nous propose, celui-ci devrait établir que l’entretien des exploitations qu’il veut vendre dépasse de beaucoup ce qu’ils produisent, ce qui n’est pas car je sais de source certaine qu’ils donnent plus qu’ils ne coûtent ; et il devrait encore démontrer, ce qu’il n’a aussi par fait, qu’il est impossible de les faire rendre davantage en d’autres mains qu’entre celles qui les dirigent aujourd’hui ; mais en admettant gratuitement que le gouvernement puisse nous faire voir aujourd’hui que les frais s’élèvent à … et que les revenus leur sont inférieurs, je n’y verrais pas encore de motifs pour l’autoriser à se défaire de ces propriétés, car depuis que celui qui a été chargé de diriger ces établissements au nom du gouvernement a voulu les acheter, je suis autorisé à croire et je dois même être convaincu par le seul bon sens, qu’ils peuvent produire davantage, sans cela ce même homme qui a plus de trois mille francs d’appointements par an, ne ferait pas l’abandon d’une belle place pour donner ses soins à une culture qui devrait lui donner de la perte.

Je trouve encore qu’il y a quelque chose d’immoral dans la vente qu’on nous propose, et voici pourquoi : c’est qu’elle sera cause à l’avenir que tous ceux qui seront chargés par le gouvernement d’une administration quelconque, cacheront pendant quelque temps les ressource que l’on peut en tirer, pour ensuite exploiter à leur propre compte les établissements qu’on leur aura confiés.

L’ancien souverain de la Belgique a fondé Meslin-Lévêque, à la tête duquel il mit le chevalier espagnol Beramendi, qui connaissait cette culture ; depuis dix ans notre gouvernement a fait des efforts pour introduire en Belgique la culture du mûrier blanc, et pour perfectionner l’éducation des vers à soie ; pour y parvenir il a prodigué des médailles, donné des primes et fourni la main-d’œuvre pour filer les cocons ; des agronomes se sont joints aussi à lui en faisant venir à leurs frais des mûriers, mais ce que le gouvernement n’a pas fait, d’après l’avis de personnes à ce connaissant, c’est de mettre à la tête de cet établissement un homme qui eût étudié à l’étranger la culture qui lui était confiée ; et voilà pourquoi la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie n’ont pas fait encore plus de progrès chez nous.

Si les renseignements qu’on m’a donnés sont exacts, les établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque n’ont pas rendu ce qu’on pouvait en attendre, parce que le directeur, en parcourant l’Europe aux frais de l’Etat, pour missions autres que celles qui concernaient la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie, a laissé pendant son absence la direction de ses établissements entre les mains d’hommes tout à fait inexpérimentés, de manière que lorsque les éleveurs écrivaient à Meslin-Lévêque pour qu’on y reçût leurs produits, leur correspondance restait sans réponse ; et par suite leurs marchandises, qui étaient trop longtemps dans leurs ateliers, se détérioraient et ne pouvaient plus être employées à l’usage auquel elles étaient destinées ; de pareils procédés ont dégoûté les éleveurs qui ont abandonné une industrie qui pouvait donner de nouvelles sources de richesse à la Belgique, après qu’ils avaient perdu leur temps et leur argent.

J’ai la conviction que si on avait donné à la culture du mûrier et à l’éducation de vers à soie tous les soins qu’exigeait une pareille exploitation, nous eussions obtenu des résultats avantageux, et je ne suis pas le seul de mon opinion. M. de Moevius doit penser comme moi, parce que sans cela, il ne renoncerait pas à de beaux appointements, pour faire marché à son profit des établissement qu’il veut acquérir aujourd’hui.

Je serais fâché que le gouvernement renonçât à diriger une pareille industrie, parce qu’il me semble qu’il a en mains tous les moyens nécessaires pour la rendre non seulement prospère, mais pour la placer sur une bien plus vaste échelle ; en effet, qu’il conserve Uccle et Meslin-Lévêque, qu’il plante le long des chemins de fer sur des terrains, qui jusqu’à présent n’ont été destinés à rien produire, des haies de mûrier, il y trouvera une nourriture abondante pour ses vers à soie, et ses belles routes seront clôturées d’une manière productive pour lui et agréable pour le voyageur, qui par cela même que ces haies ne s’élèveront pas à une grande hauteur, ne serait pas privé de la vue des campagnes, ce que l’on n’aurait pas avec toute autre plantation. Les frais de cette plantation ne seraient pas très élevés, le gouvernement trouveraient les plants du mûrier à Meslin-Lévêque et à Uccle, et des particuliers mêmes s’empresseront d’en mettre gratis à sa disposition, et j’en connais aussi, qui, par amour pour le bien public, lui feraient connaître au même prix la méthode de les planter. Cette plantation sera productive avant tout autre, qu’on pourrait faire le long des chemins de fer ; au bout de dix ans de croissance on cueillera la feuille du mûrier, et le gouvernement pourra alors la faire mettre en location et procurera ainsi un nouveau revenu à l’Etat ; cela se pratique ainsi en Piémont et en Italie, où les propriétaires des mûriers vendent les feuilles aux éleveurs des vers à soie.

Je prie le gouvernement de peser mûrement les faits et les réflexions que je vins de lui soumettre, et de ne pas enlever à la Belgique des moyens d’existence, en faisant sien un projet de loi, que le cabinet précédent a soumis à la chambre, ou parce qu’il ne connaissait pas tous les avantages qu’on pouvait retirer des exploitations qu’il demandait à vendre, ou parce qu’il voulait faire une grande faveur à l’une de ses créatures.

Si je ne puis donne mon vote approbatif au projet de loi, qui est aujourd’hui soumis à nos délibérations, parce que je pense qu’il sera plus avantageux au pays que l’Etat dirige lui-même Uccle et Meslin-Lévêque, le prix auquel on veut les vendre est un second motif pour lequel je ne puis consentir à cette aliénation ; Uccle est évalué à soixante-dix mille francs, et on vous propose de le vendre à trente mille francs, et pourquoi ? Parce que celui qui l’achète fera, pour la plus grande commodité de son usine, construire des ateliers de magnanières, dont il ne peut se passer pour bien faire marcher son établissement, parce qu’il fera construire un atelier de dévidage de cocons dont il a également besoin, parce qu’il s’engage à acheter aux producteurs du pays tous leurs cocons aux prix courants de France, prix auxquels ils ne peuvent le lui livrer sans perte, attendu que la manière la plus favorable et la plus économique de gagner ces produits n’étant pas encore bien répandue en Belgique, il est impossible à ceux qui s’en occupent de les obtenir à aussi bas prix qu’en France, où cette industrie est connue depuis tant d’années, parce qu’il laissera visiter ses ateliers, comme si ces visites lui occasionnaient du dommage, parce qu’il publiera une instruction, résultat de ses expériences, comme si cette production pouvait lui coûter plus de deux ou trois cent francs, et enfin parce qu’il perd des appointements, comme si l’on devait quelque chose à tous ceux dont l’emploi est supprimé et qui n’ont pas servi assez de temps pour avoir droit à une pension.

Ainsi, messieurs, soit que je considère les causes de la vente, ou le prix de la vente, je ne puis y donner mon assentiment, et j’ose croire que, par suite des motifs que je viens de donner, la majorité des membres de cette assemblée ne voudra pas priver le pays d’une partie de ses ressources, quand ses besoins augmentent chaque jour, et qu’elle votera comme moi contre le projet de loi qu’on lui soumet en ce moment.

M. de Theux – Si les chambres étaient disposées à mettre à la disposition du gouvernement tous les fonds nécessaires pour utiliser la propriété d’Uccle, acquise et plantée pour former un établissement modèle, je serais de l’avis de l'honorable préopinant, qu’il n’y a pas de motif pour la vendre, mais les discussions qu’a soulevées la demande des crédits nécessaires pour l’entretien de l’établissement de Meslin-Lévêque, ont prouvé suffisamment que les chambres étaient peu favorables à l’allocation des sommes nécessaires pour créer l’établissement nouveau d’Uccle. Cependant cet établissement est indispensable pour utiliser la plantation de mûriers.

Dès lors il état naturel de songer à la vente de l’établissement, alors surtout qu’il se rencontre un amateur qui connaît parfaitement la culture du mûrier et la préparation de la soie et qui offre à des conditions avantageuses de continuer leurs essais dispendieux que le gouvernement a commencés. Aussi la commission d’agriculture a-t-elle entièrement partagé l’avis du gouvernement.

On s’étonne que cet établissement d’Uccle et celui de Meslin-Lévêque aient été onéreux à l’Etat et que le directeur demande à acheter le terrain d’Uccle et se charge de faire toutes les dépenses et accepte les conditions indiquées dans le projet de loi, conditions qui paraissent assez onéreuses.

On en tire la conclusion que vraisemblablement le directeur de ces établissements les administrait dans des vues d’intérêt personnel, les empêchait de produire ce qu’ils auraient pu produire, afin d’amener le gouvernement à consentir la cession du terrain, assuré qu’il était d’en tirer de gros bénéfices. Si on s’était donné la peine d’examiner le rapport, on se serait épargné une insinuation malveillante. En effet l’observation serait juste si M. de Moevius croyait tirer profit des établissements dont il s’agit, dans l’état où ils se trouvent. Mais pour tirer profit de l’établissement d’Uccle, il y a à créer tout un établissement qui manque. Ce ne sera que quand cet établissement sera créé qu’on pourra espérer de réaliser des bénéfices.

Vous voyez que le raisonnement qu’on a fait pêche par sa base.

Le ministre de l’intérieur est également d’avis, comme nous l’avons été nous-mêmes, qu’il y a lieu d’aliéner l’établissement soit au moyen d’une vente, soit au moyen d’un bail à long terme. Je présume qu’on entend par un bail à long terme, un bail qui pourrait aller jusqu’à 99 années.

J’ignore si, moyennant un bail de cette durée, il se trouverait encore quelqu’un qui voulût faire les dépenses nécessaires pour rendre les établissements véritablement productifs, pour atteindre le but que le gouvernement s’est proposé. C’est là une question d’administration qu’il est impossible de résoudre. Ce que je sais, c’est que personne ne s’est présenté pendant que j’étais au ministère pour un semblable arrangement.

La question est donc de savoir si l’on peut obtenir les avantages énumérés dans le projet de loi, moyennant une location.

C’est là, je le répète, une question d’administration, sur laquelle je n’ai pas à me prononcer.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, l’honorable ministre de l’intérieur vous a dit que c’était encore un problème à résoudre sous le rapport de l'introduction de l’industrie sétifère en Belgique. Mais, messieurs, c’est un problème : cette industrie prospérera-t-elle ou ne prospérera-t-elle pas ? Eh bien, messieurs, dans le doute et dans la position où se trouvent nos finances, devons-nous dépenser plus longtemps l’argent des contribuables en essais. Pour mon compte, je ne le crois pas. La question préalable à résoudre est celle-ci : faut-il continuer à essayer d’introduire l’industrie sétifère en Belgique ? Si on est d’avis de continuer à chercher à introduire cette industrie dans le pays, il faut que le gouvernement fasse les dépenses nécessaires, chose à laquelle, pour mon compte, je ne consentirai pas, ou bien il faut charger quelqu’un qui veuille, à ses risques et périls, entreprendre l’introduction de l’éducation de vers à soie en Belgique. Sans doute, je suis d’avis de donner cette préférence à un homme capable qui donnera toutes garanties ; et si plusieurs se présentent, je suis d’avis de donner la préférence à celui qui donnera le plus de garanties, mais aussi le plus d’argent de Meslin-Lévêque et Uccle.

Messieurs, j’aurais beaucoup plus de confiance dans une entreprise suivie par un homme qui a acquis les connaissances nécessaires dans cette partie, que dans un gouvernement. Malgré toute la confiance que je puis avoir dans M. Moevius, et j’en ai beaucoup, car je crois qu’il est incapable d’agir de la manière qu’on a supposée, mais je suis persuadé que M. Moevius ou toute autre personne capable de diriger cette industrie fera mieux les choses pour son compte que pour le compte du gouvernement.

Toute entreprise faite par le gouvernement, il faut qu’elle soit bien bonne pour amener de bons résultats.

Un particulier soigne mieux ce qu’il entreprend quand il agit pour lui-même que quand il agit pour le gouvernement ou pour une société. Il y a donc une question préalable à résoudre, celle de savoir si on veut continuer à essayer d’introduire les vers à soie en Belgique. Si on décide qu’on veut persévérer dans cet essai, il faut vendre l’établissement à un homme qui pour son propre compte fera l’entreprise. Il faut que, eu égard aux risques qu’il court le gouvernement fasse un sacrifice sur la propriété. Ce sacrifice sera peu de chose en comparaison de ceux que le gouvernement devra faire s’il continue l’entreprise au moyen d’un individu recevant un traitement de l’Etat.

Au surplus, je reviens sur ce que j’ai dit que nous n’avons pas le moyen de faire des dépenses, pour des opérations hasardeuses quand nous avons tout au plus les moyens de faire face aux dépenses les plus nécessaires.

M. Pirmez – J’ai demandé la parole pour ajouter quelques mots à ce qui a été dit sur la question dont il s’agit.

Il n’y a pas d’apparence de succès pour notre industrie sétifère. Depuis dix ans elle figure au budget. Ce qu’il y aurait à craindre c’est que cette industrie eût des apparences de succès. C’est alors que cette industrie ne pouvant marcher par elle-même, deviendrait une charge onéreuse pour l’Etat, demanderait des sacrifices bien autres que ceux que vous pourriez faire aujourd’hui. Vous seriez obligés de changer vos relations commerciales avec les pays étrangers. Vous auriez une industrie que vous soutiendriez avec l’étranger. Jusqu’à présent, il n’y a pas grand mal, cette industrie n’ayant pas apparence de succès ; ce serait seulement si cette apparence de succès existait qu’il y aurait un grand mal.

Les industries qu’on n’est pas bien sûr de faire prospérer, il ne faut pas les créer. Vous connaissez les grands maux qui frappent une nation voisine pour avoir été illusionnée sur l’introduction d’une industrie nouvelle. Je parle de la France et de son industrie des sucres. Où en est-elle à cet égard ? Elle est près de rembourser à ceux qui ont entrepris cette industrie tout ce que leurs établissements leur ont coûté ; on en a fait la proposition aux chambres. Voilà où on en est arrivé en voulant créer une industrie qui ne connaît pas au pays. Ce que je crains ici, c’est que l’industrie sétifère ne présente des apparences de succès.

Je n’admettrai pour mon compte ni la loi ni l’allocation.

M. Lys – Je crois, messieurs, qu’il y a des motifs suffisants pour vendre les établissements dont il s’agit, mais je ne suis nullement d’avis de les céder à un prix qui est beaucoup au-dessous de leur valeur.

La valeur de la propriété d’Uccle est évaluée, d’après le rapport de la commission d’agriculture, à la somme de 67,000 francs, et dans cette somme ne sont comprises ni la valeur des mûriers, ni celle de la petite maison qui se trouve sur le terrain.

Si j’en crois des personnes qui me paraissent bien informées, cette valeur, messieurs, serait élevée à une somme bien plus forte par les enchères publiques.

Et quels avantages, messieurs, mut-on dans la balance pour céder cette propriété au prix de 30,000 francs, ce que j’appellerai la donner, et nous ne sommes pas dans une position à abandonner ainsi les fonds de l’Etat ?

On a dit, messieurs, qu’il y a des conditions onéreuses imposées, et si vous lisez le rapport du comité d’agriculture, et même le rapport de votre section centrale, vous serez convaincu que rien d’onéreux n’est imposé ; il n’y a là que des conditions qui sont indispensables pour le propriétaire lui-même, sans lesquelles il ne pourrait pas exploiter l’établissement.

Je propose en conséquence l’amendement suivant :

« Art. unique. Le gouvernement est autorisé à louer à long terme ou à vendre aux enchères publiques les établissements, etc. »

M. de Mérode – Je trouve que les conditions de l’aliénation qui fait l’objet du projet de loi ne sont pas onéreuses pour l’Etat. En effet, il ne s’agit que de 37,000 francs une fois payés pour faire une épreuve très importante ; car on ne contestera pas que l’industrie sétifère ne soit d’une haute importance.

Je suis d’accord avec l’honorable préopinant que si cette industrie devait être protégée par des moyens extraordinaires comme l’est en France l’industrie du sucre de betterave, il faudrait prendre garde d’entrer dans une telle voie. Mais je ne vois pas la nécessité de donner à cette industrie les avantages donnés en France à l’industrie du sucre de betterave. Il me semble qu’on peut très bien, après avoir fait la tentative que propose le gouvernement, abandonner cette industrie à elle-même. Cette industrie est l’une des plus productives ; car en Lombardie, où cette culture ne s’est développée que depuis un temps très limité, c’est une production énorme pour le pays. J’ai entendu dire que les ressources qu’elle offre sont immenses.

Il me semble que s’il y a perte, elle n’est pas assez considérable pour qu’on ne veuille pas continuer ce qui a été commencé ; car si la chambre n’admet pas le projet de loi, tout ce qui déjà été fait sera perdu.

Quant aux conditions, il me semble, quoi qu’on en ait dit, qu’elles constituent une véritable charge pour celui qui prend l’entreprise. Il faut qu’il construise des bâtiments, qu’il se soumette à tous les frais de son essai. Ce sont des charges assez onéreuses.

Les avantages que l’on peut en recueillir sont assez grands pour que l’on continue ce qui a été commencé et pour que le gouvernement renonce à être lui-même m’entrepreneur.

M. Delfosse – L’honorable M. Verhaegen se proposait de prendre la parole contre le projet de loi en discussion et de demander que la vente des établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque se fasse par adjudication publique ; mais une affaire importante l’empêche de se rendre à la séance de ce jour et il me prie de faire connaître à la chambre que si la vente a lieu par adjudication publique, il fera, pour une personne dont il garantit la solvabilité, des offres beaucoup plus avantageuses que celles de M. Moevius. Cette circonstance jointe aux observations que l’honorable M. Lys vient de vous présenter m’engageront à appuyer la proposition de cet honorable collègue, et, en cas de rejet de cette proposition, l’amendement de M. le ministre de l'intérieur.

M. Jadot – Je me proposai de voter contre le projet de loi, parce que, d’après moi, tout domaine doit être vendu par adjudication publique. Mais j’ai entendu M. le ministre de l'intérieur dire que, quoique ce soient les offres de M. Moevius qui aient donné lieu au projet de loi, il ne se considérait pas comme lié par ces offres. Il y aura donc concurrence. D’après cela je voterai pour le projet, moyennant l’adition proposée par M. le ministre de l'intérieur.

Je ferai remarquer que la propriété d’Uccle a coûte 39,000 francs, que sur ces 39,000 francs, 31,000 francs restent à payer. Par conséquent ce que le gouvernement retirera ne suffira pas pour rembourser à la société générale ce qui lui reste dû.

J’ai visité l’établissement ; il possède aujourd’hui plus de 300,000 mûriers ; et il y en a 5 ou 6 mille qui ont coûté plus de 3 francs. D’après les renseignements que j’ai pris, l’établissement de Meslin-Lévêque contient 28 bonniers valant au moins 3,000 francs, soit 84,000 francs, et la superficie vaut plus de 30,000 francs. Si d’une valeur de 120,000 francs, vous ne voulez avoir que 30,000 francs, je m’y oppose.

Mais j’admettrai, je le répète, l’amendement de M. le ministre de l'intérieur, parce que j’y trouve la garantie que la vente aura lieu avec concurrence.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Ceux qui se déclarent contre la faculté laissée au gouvernement de vendre de gré à gré les établissements qui font l’objet du projet de loi puisent leur opinion dans le rapport joint à ce projet. Je ferai d’abord remarquer que si le projet de loi est adopté, le gouvernement ne se croira nullement astreint à adopter le prix indiqué par la commission. Ce n’est là qu’un simple renseignement, un simple avis. Le gouvernement se croira en droit d’exiger d’une personne capable de diriger l’établissement le plus haut prix qu’il puisse obtenir, sans perdre de vue le but principal de l’établissement.

Je ferai une autre observation. Je me suis rallié au projet, pourvu que la chambre admettre la faculté laissée au gouvernement de louer pendant un temps assez long, pour que l’expérience commencée il y a dix ans soit achevée d’une manière complète, tellement qu’il n’y ait plus lieu à y revenir. A cet égard, je dois faire observer à l’honorable M. de Theux que sa mémoire lui fait défaut s’il pense que sous son administration personne ne s’est présenté pour louer l’établissement. L’honorable directeur actuel avait commencé par demander un bail à long terme ; mais informé par mon honorable prédécesseur qu’il fallait une loi pour un bail à long terme, aussi bien que pour une aliénation, il a préféré qu’on lui vendît l’établissement. C’est alors que le projet de loi a été présenté. Vous voyez donc que ma proposition tendant à ce qu’on ajoute à la faculté de vendre celle de louer à long terme est justifiée par des offres déjà faites.

Il y a deux systèmes : ceux qui croient tout essai ultérieur inutile doivent évidemment s’opposer non seulement à la vente de gré à gré, mais encore à un bail à long terme. Ils doivent dire : « Vendez publiquement et sans conditions, ou faites raser l’établissement et vendez les terres comme terres ordinaires. » Ceux qui pensent au contraire que les dépenses assez fortes qui ont déjà été faites doivent être utilisées pour le pays voudront que l’aliénation ou la location ait lieu de telle manière qu’un essai incomplet jusqu’ici soit continué pendant un temps assez long pour satisfaire tout le monde.

- La discussion est close sur l’ensemble du projet de loi. La chambre passe à la discussion de l’article et de l’amendement de M. Lys.

Discussion de l’article unique

M. de Theux – Il est assez indifférent que l’établissement soit vendu ou loué, pourvu que l’essai commencé soit continué.

Quant à la vente publique, c’est tout autre chose, parce que là il n’y a aucune garantie que l’acquéreur aura les connaissances nécessaires pour assurer la prospérité de l’établissement.

Je ferai remarquer que le projet que j’ai présenté, bien qu’il ait été fait par suite de la demande de M. de Moevius, ne renfermait en aucune manière l’obligation d’adopter ses conditions quant au prix, ni de l’accepter pour acquérir plutôt que toute autre personne qui aurait présenté les mêmes garanties pour la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie.

Telle a toujours été la pensée du projet.

Mais, messieurs, il faudrait, pour dévier des intentions que l’on avait eues primitivement, qu’il se présentât quelqu’un qui eût autant de talents, autant de connaissances et d’expériences que l’honorable auteur du projet.

M. Jadot – J’ai une observation à faire à ce que vient de dire l’honorable M. de Theux. J’ai la conviction intime que si la propriété était vendue par adjudication publique, elle ne serait pas détournée de sa destination. Il se présenterait des amateurs ayant les connaissances nécessaires pour faire prospérer l’établissement, et il n’est nullement à craindre qu’il ne se trouve point, s’il est nécessaire, un autre directeur.

M. de Theux – Rien n’empêche, d’après la forme même du projet, de faire un appel aux amateurs ; la publicité de la discussion suffit seule pour éveiller leur attention. Chacun sera libre de s’adresser au gouvernement et de faire connaître ses intentions.

M. Delfosse – Je ferai remarquer, en réponse à ce qui a été dit par l’honorable M. de Theux, que le système de l’adjudication publique peut fort bien coïncider avec un cahier de charges qui imposerait à l’adjudicataire les conditions que M. de Moevius consent à accepter.

Il est certain que celui qui n’a pas des connaissances spéciales ne voudra pas accepter ces conditions, car il accepterait sa ruine ; le gouvernement pourrait aussi se réserver le droit d’approuver ou d’improuver l’adjudication, et, en usant de ce droit, il prendrait naturellement en considération les qualités de la personne qui se rendrait adjudicataire.

M. Delehaye – Je ne comprends pas du tout le projet tel qu’on vient de le définir. Il paraît qu’on désirerait avoir M. de Moevius, parce qu’il a des connaissances spéciales.

Que le gouvernement veuille bien conserver cet établissement, afin qu’il serve de modèle aux autres industries similaires établies dans le pays, je le conçois. Mais mettre en vente publique un établissement en exprimant le désir de conserver M. de Moevius, je ne sais comment vous ferez vos conditions.

Je pense que l’industrie sétifère ne produira jamais des résultats avantageux, et comme tel je voudrais l’abandonner à son sort ; ce n’est point que je ne sois partisan de tout ce qui peut tendre à favoriser l’industrie en général, mais alors qu’avec des mesures sages et qui ne coûteraient rien au pays on peut donner une grande activité à toutes ces industries qui déjà sont acclimatées en Belgique, et qu’on recule devant ces mesures, on est bien fondé à protester aujourd’hui en faveur des établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque. Nos marché intérieurs sont absorbés par l’industrie étrangère, nous la souffrons.

Et nous voulons, par une opération qu’il m’est difficile de qualifier, introduire en Belgique une industrie qui, alors qu’elle prospérerait, se trouverait en butte avec les industries similaires existant en France et en Prusse, et cela sur des échelles autrement importantes qu’elle ne pourra jamais avoir en Belgique. Je ne vois pas de quelle utilité, de quel intérêt il peut être de vouloir faire prospérer l’éducation des vers à soie.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit que déjà des essais avaient été faits et qu’ils avaient été abandonnés. J’accepte ce que vous a dit M. le ministre. Mais que faut-il en conclure ? c’est qu’il faut abandonner des essais en faveur d’une industrie qui ne peut réellement prospérer. Profitons de l’exemple de nos ancêtres et abandonnons ces essais.

Il est quelques-uns de ces établissements qui semblent sinon prospérés, au moins couvrir leurs frais. Ce sont, entre autres, les établissements qui se trouvent aux environs de Gand et sur lesquels le gouvernement n’a aucune action. Puisque ces établissements se soutiennent pas eux-mêmes, abandonnons les établissements du gouvernement qui ne peuvent se maintenir par eux-mêmes.

Je ferai la proposition formelle que les établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque soient mis en vente publique et sans que le gouvernement impose aucune condition à l’adjudicataire.

M. le président – Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Lys.

M. Delehaye – M. le président, je propose par amendement l’aliénation par adjudication publique et au plus offrant.

M. le président – Faites parvenir votre amendement au bureau.

M. Delehaye – Je demanderai la division de l’amendement de M. Lys.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – De deux choses l’une ; où on veut donner un ordre au gouvernement, et on ne pense pas que le gouvernement puisse se rallier à une proposition de ce genre ; ou c’est une faculté de vendre aux enchères qu’on nous laisse ; mais alors la proposition que l’on fait est inutile. En accordant au gouvernement la faculté de vendre de gré à gré, on lui concède à plus forte raison celle de vendre publiquement si l’intérêt public le réclame.

L’orateur que vous venez d’entendre, pense que c’est un parti pris, de laisser M. de Moevius acquéreur, ou locataire des établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque. Mais il n’en est rien. Certainement, M. de Moevius est un homme entendu dans cette matière, qui en a fait une étude de toute sa vie. Si nous pouvons tomber d’accord sur les conditions, je le préfère à tout autre. Mais, si par extraordinaire et contre mon attente, il était déraisonnable, je n’hésite par à dire qu’il est d’autres connaisseurs, auxquels j’aurais autant de confiance qu’en M. de Moevius, pour continuer l’essai.

Quant à ce qui vous a été dit de l’impossibilité d’acclimater le mûrier en Belgique, je voudrais qu’on répondît à ce qui se passe chez nos voisins, dans un pays plus au nord que la Belgique. Pourquoi cette culture est-elle plus impossible en Belgique qu’en Prusse, où on la trouve si peu impossible, que tous les jours on la voit d’étendre !

Je le répète donc, messieurs, le gouvernement n’est pas obligé de vendre ou de louer de gré à gré, ce n’est qu’une faculté qu’on lui laisse.

M. Pirmez – Si je comprends bien l’amendement de l’honorable M. Delehaye, il voudrait l’annulation complète de l’essai, que l’on vendît les immeubles sans imposer à l’acquéreur la condition de conserver à l’établissement sa destination, en un mot qu’on les vendît comme toute autre propriété dont l’acquéreur reste libre de disposer.

Il me semble que c’est cet amendement qui doit d’abord être mis aux voix.

M. Delehaye – Je crois m’être assez clairement exprimé. Le but de mon amendement est de retirer toute action au gouvernement. Dès qu’il est prouvé que l’action gouvernement n’est pas utile au pays, il va de soi de la faire cesser et de céder tous les droits à celui qui voudra se rendre adjudicataire des établissements dont il s’agit.

M. le président – Ainsi vous demandez la vente par adjudication sans aucune condition.

M. Delehaye – Oui.

M. Jadot – Bien que je vous aie dit que je me rallierais à la proposition de M. le ministre, je suis tellement persuadé que l’on obtiendra des résultats plus avantageux de l’adjudication publique, que j’adopterai l’amendement de M. Delehaye.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, il est impossible de dénaturer ainsi le but que s’est proposé le gouvernement en soumettant à la chambre le projet qui l’occupe.

Le gouvernement vient demander à la chambre la faculté de vendre ou céder la propriété des établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque à certaines conditions ; mais il manifeste l’intention de continuer dans la propriété d’Uccle des essais sur lesquels il n’a pu jusqu’ici obtenir de résultats complets. Voilà le but, voila l’intention du projet.

Des orateurs, par des considérations toutes contraires à celles qui ont guidé le gouvernement veulent bien donner l’autorisation de vendre, mais à la condition que les essais n’auront pas lieu, que le gouvernement renoncera, par le fait de la vente, à continuer les essais tentés depuis plusieurs années.

Eh bien, une telle autorisation, le gouvernement ne vous la demande pas, il n’en veut pas ; de telle manière que si le projet était adopté dans le sens que veut lui donner l’honorable député de Gand, le gouvernement le retirerait.

L’intention du ministère n’est pas de renoncer aux essais commencés depuis dix années ; il croit qu’il a une autre manière d’intervenir, une autre manière d’administrer les établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque, il vient vous en demander les moyens ; si vous lui refusez ces moyens, il aimerait mieux rester dans l’état de choses actuel, que de se soumettre à un état de choses qu’il ne veut pas.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit que, suivant lui, la loi ne lui imposait pas l’obligation de remettre de gré à gré les établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque. Cependant comme l’article unique qui forme le projet porte que le gouvernement est autorisé à vendre ou à céder de gré à gré, il semblerait en résulter que le gouvernement ne pourrait vendre aux enchères publiques.

Eh bien ! comme le gouvernement veut se réserver cette faculté, on pourrait supprimer ces mots de gré à gré. Il est certain que si la loi dit que le gouvernement pourra vendre ou céder au prix et aux conditions qu’il jugera les plus avantageuses à l’Etat, on pourra vendre aux enchères publiques. (Non ! non !) Du moment que la loi n’impose pas les conditions de vente, le gouvernement reste libre de vendre de gré à gré ou aux enchères. (Non ! non !) Eh bien ! quoiqu’il dût résulter de la discussion que cette faculté lui est laissée, on pourrait si on le trouve mieux, dire : le gouvernement est autorisé à vendre et céder, soit de gré à gré, soit aux enchères publiques.

M. Delehaye – Si j’ai bien compris M. le ministre des travaux publics, dans son opinion, ma proposition ne pourrait obtenir l’assentiment du gouvernement. M. le ministre n’a pas fait attention que si la chambre trouve les établissements d’Uccle et de Meslin-Lévêque nuisibles au pays, nuisibles au trésor, elle a encore d’autres moyens pour assurer la vente.

Il est porté au budget une allocation pour l’entretien de ces établissements ; la chambre pourrait refuser cette allocation et de là viendrait la nécessité de vendre.

M. de Garcia – Toute la question qui nous occupe me semble se résumer en un seul point ; c’est de savoir si nous voulons continuer l’essai sur la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie, en les livrant à l’industrie particulière ! Toute la question est là.

Si vous admettez la proposition qui vous est faite par l’honorable M. Delehaye, vous abandonnez en pure perte tout ce qui a été fait. C’est ce que je ne saurais approuver, et pour ces motifs, j’adopterai la proposition ministérielle, qui permettra à l’intérêt particulier de continuer l’essai fait par le gouvernement.

Voulez-vous perdre tous les sacrifices, tous les frais que vous avez faits pour introduire l’industrie sétifère en Belgique ? Adoptez l’amendement de M. Delehaye. Faites la cession pure et simple des établissements que vous avez créés ; abandonnez-les sans conditions aux spéculateurs, et tout ce que vous avez fait jusqu’ici sera perdu ; je raisonne d’après ce que je ferais moi-même. Si j’avais des capitaux, j’achèterais les établissements mis en vente, comme le propose l’honorable membre, sans aucune condition, et certes je ne continuerais pas les essais qui ont été commencés.

Si vous faites un sacrifice, si vous adoptez le projet de loi, si vous imposez à l’acheteur la condition proposée par la commission d’agriculture, il y aura un contrat aléatoire qui obligera l’acheteur d’agriculture à continuer les essais à ses risques et périls. Contre le projet, l’on dit que la somme de 30,000 francs qu’on offre pour l’achat de cet établissement ne représente pas la valeur des propriétés dont il s’agit ; mais, comme l’honorable M. de Mérode l’a fait observer, les évaluations présentent une somme de 60 et quelques mille francs ; le gouvernement ne ferait donc qu’un sacrifice de 30 et quelques mille francs en faveur d’une industrie qui peut avoir une grande portée.

Ce problème n’est pas résolu, a-t-on dit, et je partage cette opinion. Mais est-il bien raisonnable de reculer au point où l’on est arrivé, et de renoncer à la solution d’une question qui peut enrichir notre pays ? Je ne le pense pas, et j’ose espérer que cette industrie, confiée à l’intérêt particulier, pourra prospérer en Belgique comme en Allemagne. En conséquence, j’appuierai la proposition du gouvernement. Je le répète, je pense qu’il n’est pas reconnu que la Belgique ne peut pas continuer avec avantage la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie, je pense au contraire que l’industrie sétifère peut devenir une branche importante de prospérité pour le pays.

Un fait important vient à l’appui de mon opinion, ce fait est récent ; dernièrement l’on a envoyé de nos soies sur le marché de Lyon, et les fabricants de cette ville les ont non seulement achetées, mais en ont reconnu la qualité parfaite, non seulement sous le rapport de la qualité de la soie, mais aussi sous le rapport de la filature.

Ce fait qui m’a été rapporté doit être connu officiellement par M. le ministre.

- L’amendement de M. Delehaye est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’amendement de M. Lys est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. le président – Voici comment l’article est conçu :

« Le gouvernement est autorisé à vendre et céder de gré à gré au prix et aux conditions qu’il jugera les plus avantageuses à l’Etat, les établissements modèles pour la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie, situés à Meslin-Lévêque, Forêt et Uccle. »

M. Dolez – Tout à l’heure, l’honorable ministre des travaux publics a présenté une nouvelle rédaction plus complète que celle dont M. le président vient de donner lecture ; M. le ministre proposait de dire : « soit publiquement, soit de gré à gré. » Je crois que cette rédaction rallie toutes les opinions et qu’il importe par conséquent de la maintenir.

M. le président – Cette proposition n’est pas parvenue au bureau.

M. Dolez – Alors, je la ferai moi-même. Je propose de dire : « Le gouvernement est autorisé à vendre et céder publiquement ou de gré à gré, etc. »

- Cet amendement est successivement appuyé et adopté.

Vote de l'article unique

L’article ainsi amendé est mis aux voix et adopté.

Le projet est ensuite mis aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote :

60 membres sont présents ;

54 adoptent ;

5 rejettent ;

1 M. de Foere s’abstient.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cogels, Cools, Coppieters, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Perceval, de Potter, de Renesse, de Sécus, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Donny, Dubois, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Liedts, Lys, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Peeters, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Simons, Ullens, Vandenhove, Vandensteen, Van Hoobrouck, Wallaert, Zoude et Fallon.

Ont voté le rejet : MM. Pirmez, Sigart, Troye, Van Cutsem et Vandenbossche.

M. de Foere – Messieurs, je me suis abstenu parce que la discussion ne m’a pas suffisamment éclairé sur la question principale, qui est celle de savoir si la culture de la soie est possible en Belgique.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1841

Discussion générale

M. Doignon – Messieurs, le département de l’intérieur se présente, cette année, avec un changement notable dans ses attributions ; je regrette qu’on en ait distrait l’instruction publique et les cultes. Ces deux branches, faisant essentiellement partie de l’administration intérieure proprement dite, n’auraient pas dû en être détachées.

Les affaires provinciales et communales sont certainement du ressort du ministère de l’intérieur ; or, les cultes et l’instruction publique, en ce qui concerne la partie matérielle, sont éminemment des affaires de cette nature ; le département de l’intérieur est chargé de la surveillance des administrations communales et provinciales, il est sans cesse en relations avec elles, il est même chargé de la nomination des membres des conseils échevinaux et de leurs chefs ; il est donc plus à même que toute autre d’apprécier la situation financière et morale de ces administrations, les besoins des localités qui en dépendent, leurs intérêts et toutes autres circonstances. Qu’ont de commun les travaux publics et l’instruction publique, les cultes et les tribunaux ? Ce n’est pas, messieurs, une question de personnes que je soulève ici, c’est une question pure et simple d’attributions. J’ai présenté la même observation lorsque déjà on a distrait de l’intérieur les établissements de charité.

Les réductions opérées par la section centrale sur le budget de l’intérieur s’élèvent ensemble à la somme de 351,000 francs environ, et sans doute, si le ministère avait voulu s’y prêter, d’autres réductions auraient pu être faites dès à présent, puisqu’elles ont même fait l’objet des vœux de presque toutes les sections. Il y a donc lieu d’espérer que la chambre maintiendra cette diminution de dépenses de 351,000 francs. Depuis trop longtemps, messieurs, nous subissons ce système d’une administration trop dispendieuse ; si l’on veut réellement rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses, si l’on veut véritablement le bien du pays, il faut enfin se résoudre à abandonner un semblable système pour entrer dans une voie nouvelle.

Pour vous démontrer, messieurs, que le pays a été mal administré jusqu’ici, je n’ai besoin d’autre preuve que ces déficits continuels, ces déficits qui se reproduisent tous les ans depuis 1830. Et qu’on ne vienne pas dire que le produit des impôts établis a fait défaut, qu’il n’a pas rempli les prévisions, car celles-ci ont constamment été dépassées. Veuillez, messieurs, comparer entre eux les chiffres des recettes des différents exercices, et vous verrez que presque d’année en année les recettes se sont accrues par millions ; c’est donc dans l’accroissement successif de nos dépenses que se trouve la cause des déficits ; c’est là le vice de l’administration du pays.

Puisque nos recettes sont allées en augmentant d’année en année, il est évident que, si le pays avait été sagement administré, nous aurions dû avoir des excédants. Mais il n’en est rien. Les dépenses, d’un autre côté, se sont élevées successivement d’année en année, non seulement en proportion de l’accroissement du revenu, mais même au-delà ; de sorte que nous nous sommes constamment trouvés en présence d’une insuffisance, et cette insuffisance est devenue considérable.

Une preuve encore de ces déficits, c’est la nécessité où l’on s’est trouvé tous les ans de recourir à l’emprunt. Indépendamment des emprunts qui ont été contractés pour les besoins du service, tel que l’emprunt de cent millions en 1832, et indépendamment des centimes additionnels sur le foncier et de la subvention de 10 p.c., n’a-t-il pas toujours été impossible de marcher sans avoir recours, chaque année, à une émission considérable de bon du trésor ? Or les bons du trésor émis surtout en si grande quantité, ne sont autre chose qu’un emprunt à terme plus ou moins éloigné, un emprunt déguisé.

Je dois le dire, parce que ma conscience m’y oblige, je persiste à reprocher à MM. les ministres le peu de bonne volonté qu’ils montrent à introduire le système des économies. D’abord, vous l’avez sans doute remarqué, comme moi, il n’y a pas de rapport de budget qui ne contiennent des vœux formels de la part des sections et de la section centrale, pour qu’on réalise des économies reconnues praticables ; sinon actuellement, du moins dans un terme plus ou moins rapproché.

Eh bien, vous connaissez le peu d’attention que donnent MM. les ministres à l’expression de ces vœux. Ils ne daignent pas même y répondre dans les développements à l’appui de leurs budgets, et comme si rien n’était, ils portent dans le cas le même chiffre qu’aux exercices précédents.

Les chambres ne doivent-elles pas voir avec peine MM. les ministres si peu soucieux de diminuer les charges du pays ?

Relativement au budget de l’intérieur, l’année dernière les sections et la section centrale tout en allouant 226,000 francs pour l’administration du Limbourg et du Luxembourg, ont reconnu que cette allocation était évidemment excessive ; et elles ont exprimé leur vœu et leur avis, qu’il fallait faire subir à cette dépense une plus forte réduction.

En effet, vous savez que, par suite du fatal traité, nous avons dans ces provinces 300,000 habitants de moins à administrer. Le même vœu a été renouvelé dans le rapport de cette année ; eh bien, M. le ministre n’en fait pas plus mention que s’il n’avait pas été exprimé ; et sans même nous faire espérer une réduction quelconque dans l’avenir, le ministre trouve qu’il n’y a pas un centime à rabattre, et il porte le même chiffre qui a été alloué l’année dernière : il trouve ainsi qu’il n’y a pas un centime à réduire sur cette somme, évidemment trop élevée de 226,000 francs, tandis que d’un autre côté, l’on vient vous demander de chétifs impôts de deux, trois, quatre mile francs sur les épiceries, la cannelle, le miel et le poivre.

Le budget de la marine offre quelques circonstances assez singulières. La chambre a constamment exprimé le désir de voir réduire cette dépense, qui est de près d’un million. Il n’y a, tous les ans, qu’une seule voix sur ce point. Or, voici quelle est la conduite du ministère.

Sans aucun égard aux vœux exprimés pour les réductions, le ministre n’hésite pas à proposé le chiffre qui a été alloué l’année dernière. Je me trompe, pour être exact, je dirai que deux crédits seulement ont été retranchés, mais ces deux crédits ne pouvaient se reproduire que pour une année, parce qu’ils n’ont pas d’objet pour les années subséquentes, ce qu’on ne peut appeler une économie ; de manière qu’il est vrai de dire que le ministre a proposé l’intégralité de l’ancien chiffre. Eh bien, arrive la discussion du budget de la marine au sénat ; là, l’opposition pousse à bout M. le ministre, et il se voit forcé de reconnaître lui-même que l’économie demandée est possible, praticable au moins, pour une majeure partie, même dans le cours de l’année, et ce n’est qu’alors qu’en promettant de la réaliser pendant l’exercice, que le ministre obtient son chiffre. Sans cette promesse, il n’aurait point obtenu cette allocation, qui est ainsi passée à la majorité de 23 voix contre 15.

Eh bien ! je ferai cette question à monsieur le ministre. Puisque cette économie était réellement possible, pourquoi ne l’a-t-il pas introduite dans son budget même ? Pourquoi cette négligence ? Pourquoi cette omission ? Pourquoi attendre les attaques pressantes du sénat, pour reconnaître la possibilité des économies et pour se rendre enfin à l’évidence ?

Jugez, messieurs, s’il n’y a point là mauvais vouloir, ou au moins insouciance quand il s’agit d’économies.

La gouvernement n’a pas pris plus d’attention pour les vœux exprimés à l’égard d’autres réductions. On a demandé, par exemple, des réductions sur les traitements des membres de la diplomatie ; on a également demandé la suppression de la haute cour militaire, institution toute hollandaise, dont la suppression est réclamée par les meilleurs jurisconsultes.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je demande la parole.

M. Doignon – Dès que ce sont des questions d’économie, on demande à réfléchir, il faut des années pour examiner ; les abus gagnent du temps, et vous savez qu’il devient alors plus difficile d’y porter remède.

MM. les ministres, et tous les ministres croient répondre en disant : « Mais que voulez-vous donc ? nos budgets n’en sont-ils pas moins votés ? les votes de la chambre sont là. »

Mais, MM. les ministres, ne vous en flattez pas trop. Lorsque les ministères de Theux, d’Huart, Rogier, Lebeau et de Muelenaere sont tombés, on votait aussi les budgets. Mais veuillez, je vous prie, pénétrer et analyser les motifs de chaque vote, vous verrez que le plus souvent une nécessité mal entendue est la raison déterminante. Tantôt on appréhende pour la marche du service des entraves, une perturbation à laquelle d’ailleurs le ministère pourrait lui-même remédier, s’il le voulait ; tantôt on craint un changement de ministère et la difficulté de le remplacer.

Dans cette positon, qu’on soit juste, qu’on soit franc. Si le ministère même venait nous présente des économies, n’est-il pas vrai que la chambre les accueillerait avec joie ? n’est-il pas vrai, au contraire, que le ministère exerce sur la chambre toute l’influence possible pour emporter ses dépenses et ses budgets ? C’est donc à lui qu’il faut attribuer l’état des choses.

Mais puisque le ministère écoute si peu les vœux des chambres, quand il s’agit d’économies, ne serait-il pas du devoir de la chambre et même de sa dignité, de suppléer à ce mauvais vouloir, de provoquer une mesure, de poursuivre même de son autorité la réalisation de ses vœux. Il s’offre pour cela un moyen qui est à la disposition de la chambre, c’est de créer une commission spéciale qui serait chargée d’introduire les réformes praticables dans nos dépenses, de rechercher les économies possibles et notamment de revoir celles qui ont été proposées antérieurement par les sections et par les sections centrales.

A défaut de bonne volonté de la part des ministres, il est d’autant plus indispensable d’en venir à cette mesure, que nous sommes en présence de charges nouvelles qui paraissent inévitables. Telles sont les secours à accorder aux victimes de la révolution, secours que le ministère a évalués lui-même à quelques centaines de mille francs de rentes annuelles à la charge de l’Etat. Mais si l’on s’obstine à ne pas vouloir du système des économies, il sera évidemment impossible de faire face à toutes ces dépenses, à moins qu’on ne veuille augmenter les impôts au-delà de toute mesure : ce qu’il faut certainement éviter à tout prix.

J’espère donc, messieurs, que tous ces raisons vous porteront à maintenir les réductions qui ont été proposées par la section centrale.

Messieurs, j’ai vainement parcouru le budget de l’intérieur pour y trouver des économies, je n’en ai pas rencontré une seule. M. le ministre se tromperait s’il croyait qu’il y a économie parce qu’il y aurait diminution sur quelques chiffres comparativement au budget de 1840, cela n’est pas exact ; et d’ailleurs quand cela serait, que nous importent des réductions de cette espèce, si d’un autre côté on vient demander des dépenses nouvelles qui rendent nécessaires la création de nouveaux impôts.

Je dis qu’il n’y a pas d’économies réelles dans le budget de l’intérieur. M. le ministre a retranché d’abord deux crédits, dont l’un de 2,000 francs, et l’autre de 15,150 francs. Ces deux crédits ont été accordés au budget de 1840 pour une confection extraordinaire de cartons, et pour l’acquisition d’une maison à Anvers. Mais ce ne sont pas là des économies : la maison acquise une fois, on ne peut pas l’acheter une seconde fois. Il en est de même de la dépense des cartons. Ce sont des crédits qui tombent nécessairement d’eux-mêmes pour ne plus se reproduire.

Dans quel cas y aurait-il économie ? C’est lorsque l’on proposerait de faire à l’avenir pour une somme moindre, une même chose qu’on faisait auparavant pour un prix plus élevé. Par exemple, il y aurait économie au budget de la marine, si, au lieu d’un million qu’on y consacre, maintenant on parvenait avec huit ou neuf cent mille francs à faire face aux besoins réels ; ce serait là une économie réelle. On en réaliserait une encore si, par exemple, au lieu d’occuper à un ouvrage 100 individus, on parvenait à le faire avec 70 à un prix inférieur, en rétribuant ceux-ci aussi bien et même mieux que s’ils étaient au nombre de 100.

Il y a encore au budget de l’intérieur une réduction de 10,000 francs, en ce qui concerne les frais de l’école vétérinaire. M. le ministre vous donne les motifs de cette réduction : c'est à cause de la diminution du nombre des élèves. Mais, moins il y a d’élèves, moins les frais de nourriture sont élevés. Il n’y a donc pas là économie, mais il y en aurait une, si l’on parvenait à diminuer le coût de l’entretien de chaque élève, et par suite le prix de la pension ; mais il ne s’agit nullement de cela.

Cette observation s’applique aux autres réductions. Ainsi il y a une réduction de quinze mille francs sur les frais des conseils de milice. Mais moins il y a de vacations pour les membres des conseils et moins il y a de voyages, moins cette dépense est forte. Il y aurait économie, si l’on modérait les tarifs des vacations et des frais de voyages. Mais il n’en est pas question.

La réduction de 85,000 francs sur le crédit destiné aux primes pour construction de navires, s’explique de la même manière. Pour accorder des primes, il faut nécessairement qu’il y ait des demandes. Or, M. le ministre prévoit qu’il n’y en aura point pour donner plus de 65,000 francs, et en conséquence il porte ce même chiffre de 65,000 francs comme en 1839. Encore une fois, on ne peut pas dire que c’est là une économie, parce que l’objet de la dépense manquant forcément, la dépense devient impossible.

Même explication, en ce qui concerne la réduction de 80,000 francs sur les fonds de l’industrie.

En 1840, malgré l’opinion de la section centrale, la chambre a alloué 400,000 francs, mais ce fut à cause d’une circonstance toute spéciale ; le gouvernement avait pris alors en faveur du commerce d’exportation un engagement tout à fait éventuel, à concurrence de 250,000 francs. Mais, messieurs, cet engagement sur lequel on n’a même encore rien payé, ne peut pas se reproduire pour 1841. Force est donc de déduire 80,000 francs sur ce poste. Encore une fois, il n’y a pas là d’économie.

Il est donc vrai de dire que dans tout le budget de l’intérieur on ne rencontre pas une seule économie, et, cependant, au milieu de la crise financière dans laquelle nous nous trouvons, le premier devoir du gouvernement n’était-il pas de chercher à opérer des économies ? Mais il paraît qu’on ne s’en est point occupé et qu’on n’y a pas même songé, aucun travail ne nous a été communiqué. Au lieu de nous faire des propositions d’économies, loin de là, on propose de nouvelles dépenses qui, pour tous les budgets, s’élèvent à quelques millions, et c’est pour couvrir de telles dépenses qu’on voudrait charger le pays de nouveaux impôts ! Au lieu d’aggraver le sort des contribuables, un bon ministère n’aurait-il pas recours à tous les moyens possible pour économiser ? Ne commencerait-il point par cette opération ? ne renoncerait-il pas enfin à des dépenses dont la nécessité n’est pas établie, quand la section centrale ne les admet pas et qu’elles sont aussi vivement contestées. J’adjure donc le ministère d’abandonner ses nouvelles exigences. Quelle en serait la conséquence, c’est que vous auriez quelques millions d’impôt de moins à voter.

A l’égard du budget de l’intérieur les dépenses nouvelles s’élèvent à la somme de 369,716 francs ; la section centrale n’a alloué que quarante mille francs sur cette somme. Elle a pensé avec toutes les sections que les autres dépenses n’étaient pas indispensables ou pouvaient être ajournées. La section centrale désire en outre qu’une économie de 20 mille francs soit faite sur le fonds de l’industrie, de façon que le montant des sommes dont elle demande le retranchement est en totalité de 350,960 francs.

Je prierai également M. le ministre de l'intérieur avec instance, de renoncer à ses nouvelles dépenses. Dès lors, nous aurons de ce chef environ 351 mille francs de moins à voter sur les impositions nouvelles. J’espère que M. le ministre se ralliera à cette proposition. Il doit le faire s’il veut épargner les contribuables et prévenir de justes plaintes.

C’est de même à cause de quelques millions de dépenses nouvelles que demande M. le ministre des travaux publics qu’il faudra majorer les impôts. M. le ministre, dans l’avant-dernière séance m’a répondu en ces termes : « Qu’on ne vienne pas répéter constamment au pays que l’augmentation d’impôt est le résultat des augmentations de dépenses proposées par le ministère, cela n’est pas exact ; cela n’est pas vrai. » Je réponds à mon tour que cela est exact, que cela est vrai.

Où croyez-vous que je vais trouver la preuve de ce que j’avance ? C’est dans le discours même du ministre. Voilà ce qu’il dit en terminant : « En définitive, toutes les augmentations du budget des travaux publics s’élèvent à un million neuf cent mille francs, déduction faite des six cent vingt mille francs, dont j’ai parlé tout à l’heure. »

Ainsi, de l'aveu même du ministre, il y a augmentation. Or, si d’un côté, il y a augmentation et de l'autre déficit, un surcroît d’impôt devient dès lors inévitable pour faire face à ces nouvelles dépenses, je crois que cela est très clair. C’est donc à cause des nouvelles dépenses qu’il y aura, comme je l’ai dit, augmentation d’impôt. Je prie donc aussi M. le ministre des travaux publics d’y renoncer à ces deux millions de nouvelles dépenses. Nous diminuerons d’autant les charges publiques ; cela est évident.

Dans une précédente séance, on a reproché à un honorable collègue, qui n’est pas présent, d’avoir présenté la situation financière du pays sous un aspect effrayant. Mais c’est le gouvernement lui-même qui l’a présenté sous cet aspect, et je lui sais gré d’ailleurs d’avoir dit sa pensée.

Voici comment s’exprimait M. le ministre des finances dans le rapport qui précède le budget des voies et moyens : après l’exposé des motifs il dit : « Notre situation était effrayante, et elle eût été désastreuse… »

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Lisez toute la phrase.

M. Doignon – Permettez que j’achève, la voici : « Notre situation est effrayante et elle eût été désastreuse si de plus grandes complications politiques étaient survenues. »

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Cela ne tient pas à la situation financière, mais à la situation politique du pays.

M. Doignon – Peu importe la cause, je dis comme vous que notre situation est effrayante.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Parlez pour vous.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Nous ne disons pas cela.

M. Doignon – Effectivement n’y a-t-il pas lieu de s’effrayer lorsque notre budget, qui ne s’élevait qu’à 99 millions, y compris la dette hollandaise, s’élève tout à coup à 106 millions.

M. le ministre, dans son rapport, conclut en ces termes : « D’après ce que nous avons exposé, dit-il, l’insuffisance prévue des revenus du trésor, à partir de 1842, sera d’environ dix millions cinq cent mille francs, et nous proposons dès à présente d’en créer de nouveaux pour une somme d’environ sept millions deux cent dix-huit mille francs. »

Vous le voyez, c’est une augmentation de 10,500,000 francs qu’on vous demande. On dit que c’est le dixième des contributions Je soutiens, moi, que c’est le huitième qu’on demande en plus aux contribuables. En effet, on ne peut ranger parmi les impôts proprement dits, les produits du chemin de fer, les péages, les produits des canaux, rivières, les remboursements et les recettes diverses. Eh bien, si vous déduisez ces articles, vous trouvez que nous avons des impôts pour 80 à 81 millions. En demandant 10,500,000 francs d’augmentation, on vous demande donc plus du huitième en sus. Je demande si une augmentation aussi extraordinaire n’est pas de nature à alarmer. Je demande dans quel pays on pourrait proposer d’augmenter tout à coup les impôts d’un huitième, sans exciter des plaintes, sans provoquer des murmures, du mécontentement, sans compromettre peut-être la popularité du gouvernement.

Je lis encore dans le discours du ministre des finances : « Ne dédaignons pas les leçons que l’expérience vient de donner, reconnaissons notre véritable position. »

Je dis qu’on ne profite pas des leçons données par l’expérience. En effet, que trouvez-vous de nouveau, quel changement apercevez-vous dans la marche de l’administration ? Absolument aucun. Si on a profité des leçons de l’expérience, qu’on le démontre, car je ne le vois pas. Le ministre continue : « Notre situation reconnue, il restera un devoir à remplir, celui d’apporter de sages économies dans nos dépenses. » Voilà de belles paroles. On se vante d’apporter de sage économies dans les dépenses. Ces économies où sont-elles ? Nous ne les voyons nulle part.

« Pénétrés, dit-il en terminant, de la nécessité d’apporter des économies… »

Comment vous vous dites pénétrés de la nécessité d’apporter des économies dans les dépenses, et vous n’en présentez pas une seule ! Vous proposez les budgets avec tous les chiffres précédents, et vous demandez d’y ajouter de nouvelles dépenses ! Est-ce ainsi que doit agir un ministère quand nos finances sont dans un état aussi effrayant, pour me servir des expressions de M. le ministre des finances ?

Si on veut des économies, c’est le moment d’en faire. Qu’on ne dise pas plus tard que nous les ferons, car plus tard il ne sera plus temps. Plus on attend pour faire des économies, plus il est difficile d’en faire.

On prétend, messieurs, administrer le pays grandement et avec un certain éclat, mais ce ne sont là que des idées grandioses, et la grandiosité n’est pas la grandeur. La véritable grandeur est dans une sage et prudente administration, dans l’économie et la modestie. Je réserve mon vote.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je crois devoir relever en peu de mots les paroles acrimonieuses dont s’est servi le préopinant en parlant non du budget de l’intérieur seul, ce qui du reste importe peu, car il ne mérite pas plus que les autres les reproches qu’il lui a adressés, mais en parlant de tous les budgets. Il a dit que tous les ministres étaient animés de mauvais vouloir, d’insouciance pour introduire des économies dans les dépenses, de mépris pour les vœux de la chambre.

M. Doignon – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Vous avez dit que nous avions du mépris pour les vœux de la chambre.

M. Doignon – Je ne me suis pas servi de ce mot-là, j’en appelle à mes collègues.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je persiste à vous dire que vous nous avez accusés d’insouciance et de mauvais vouloir, quand il s’agissait d’économie, je persiste à soutenir que vous avez dit que les ministres méprisaient les vœux de la chambre ! Et j’ajoute maintenant que ce langage est souverainement inconvenant et inexact. Qu’on dise que les ministres se trompent, soit ; ils sont sujets à l’erreur, mais les accuser de mauvais vouloir, d’insouciance, de mépris pour les vœux de la chambre, c’est inconvenant et inexact.

Nous n’avons ni insouciance ni mauvais vouloir. Nous cherchons plus que qui que ce soit à introduire des économies dans les dépenses. Si nous faisons des demandes de nouveaux subsides, c’est que nous les croyons nécessaires pour la bonne direction des affaires du pays. Nous ne les faisons qu’après y avoir réfléchi, chacun de nous en particulier, et les avoir mûrement examinées en conseil, où toutes les propositions sont discutées. Voilà, messieurs, comme nous procédons.

Non, nous n’avons ni mauvais vouloir, ni insouciance. Ce langage, je le répète, est inconvenant et inexact.

Quant aux vœux de la chambre, nous ne connaissons que ceux exprimés par la majorité. Ces vœux nous les avons toujours respectés, car jusqu’à présent nous ne croyons avoir rien fait qui y soit contraire.

Après ce langage, je pensais qu’on viendrait pour chaque ministère présenter une série de dépenses exagérées. Pour le ministère de la justice, qu’a-t-on présenté pour exemple d’exagération ? Le traitement des membres de la haute cour militaire, non pas qu’on prétende qu’il soit trop élevé, mais parce que l’on y croit voir une institution à supprimer. Ainsi, parce que le préopinant s’est formé une opinion sur cette institution, il faudrait, à l’occasion, supprimer les traitements de ses membres.

M. Doignon – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Ce n’est pas ainsi qu’un gouvernement sage procède. Vous avez dit qu’on continuait à demander une allocation pour la haute cour militaire, et parce que vous croyez que l’institution doit être supprimée, vous voyez une exagération de dépenses dans le crédit demandé pour le traitement des membres. Voilà à quoi se réduisent les exagérations reprochées au ministère de la justice. Par cet exemple, on peut juger du reste.

Je laisserai à mes collègues le soin de répondre aux détails dans lesquels le préopinant est entré relativement à leurs budgets.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, pour la troisième fois l’honorable préopinant a renouvelé la discussion générale des budgets à l’occasion d’un budget particulier. Nous regrettons d’avoir à le suivre sur ce terrain. Comme il nous a attaqués tous individuellement, nous sommes forcés de lui répondre ; nous le ferons en très peu de mots.

L’honorable préopinant est venu répéter encore que l’augmentation des impôts que le gouvernement avait été obligé de proposer à la chambre était le résultat de dépenses nouvelles, proposées par le ministère même.

Je croyais avoir répondu de la manière la plus péremptoire à cette espèce d’accusation. J’ai établi qu’en réunissant tant les diminutions que les augmentations faite sur l’ensemble du budget, l’augmentation totale ne s’élevait qu’à quelques centaines de mille francs, et conséquemment que ce n’est pas cette augmentation qui a donné lieu à l’augmentation de l’impôt que le gouvernement s’est trouvé dans la nécessité de demander aux chambres. J’ai défié et je défie encore l’honorable préopinant de trouver une inexactitude dans cette assertion.

Mais en prenant un budget isolé, le budget des travaux publics, il trouve une contradiction dans mon propre discours. Il me dit qu’il trouve la preuve de son assertion dans mon propre budget, que ce budget présente une augmentation de 1,900,000 francs.

Quand nous arriverons, je le répète pour la troisième fois, au budget des travaux publics, nous discuterons cette assertion.

Si le budget des travaux publics présente une augmentation, d’autres présentent une diminution. C’est, par exemple, le budget de la guerre qui présente une diminution ; les dépenses de la guerre ont tourné au profit des dépenses de la paix ; le budget des travaux publics pourra dépenser davantage parce que le budget de la guerre dépensera moins.

Du reste, quand nous arriverons à la discussion du budget des travaux publics, nous verrons si l’honorable préopinant parvient à faire prévaloir le système qu’il préconise.

Jusque-là, il serait bien à désirer que les orateurs se renfermassent dans l’objet en discussion ; car c’est à n’en pas finir, si à chaque budget, nous devons recommencer la discussion sur l’ensemble des budgets.

Ainsi, je le répète à la chambre, que dans la discussion du budget de l’intérieur, pas plus que dans celle des budgets de la justice et des affaires étrangères, la chambre ne doit être sous l’impression mauvaise et entièrement fausse que l’augmentation d’impôt soit le résultat d’augmentations de dépenses nouvellement proposées. Vous renfermeriez les dépenses de l’exercice 1841 dans les mêmes limites que celles de l’exercice 1840, que vous seriez encore forcés d’augmenter nos ressources de plusieurs millions. Cela est tellement vrai que nous vous avons annoncé, longtemps avant qu’il fût question des nouveaux budgets des dépenses, qu’il serait nécessaire de créer des ressources nouvelles pour l’exercice 1841, alors que nous ne savions pas non-mêmes quelles dépenses nous serions obligés de proposer. Ce besoin de ressources nouvelles est le résultat d’un déficit antérieur qu’il est nécessaire de combler et non la conséquence de dépenses nouvelles que vous auriez beau réduire autant que vous le pourriez, que cela ne vous dispenserait pas d’imposer de nouvelles contributions au pays.

Je demanderai à l’honorable préopinant, qui veut introduire des économies telles que l’on soit dispensé d’imposer de nouvelles charges au pays, de formuler une proposition, de demander à la chambre, comme il en a le droit, telles réductions qu’il jugera convenables sur les différents articles. La chambre appréciera de telles propositions ; la chambre, qui aime les économies, ne manquera pas de s’associer aux vœux de l’honorable préopinant, du moment qu’ils auront été convenablement formulés.

L’honorable préopinant au lieu de se livrer maintenant à une revue rétrospective du budget de la justice, aurait dû, lors de la discussion de ce budget, proposer la suppression des traitements de la haute cour militaire. Il ne l’a pas fait, parce qu’il est plus commode et plus populaire de parler d’économies que de proposer de détruire des institutions utiles. Au lieu de faire des économies en théorie, qu’il en fasse en pratique ; qu’il fasse des propositions formelles ; nous lui répondrons ; et la chambre jugera entre nous.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – J’ai un extrême regret à prolonger la discussion actuelle, parce que je conçois combien sont précieux les moments de la chambre, combien cette discussion est désagréable et inutile. Je dis qu’elle est complètement inutile ; car si l’on voulait se donner la peine de compulser le Moniteur, qui reproduit les séances depuis que l’honorable M. Doignon fait partie de la chambre, on verrait que son discours est la reproduction presque littérale de ceux qu’il a prononcés dans des circonstances analogues. C’est uniquement pour prendre acte de ses principes économes par excellence que M. Doignon saisit toutes les occasions de critiquer toutes les allocations, quels que soient les ministères passés, présents ou futurs.

Mais le préopinant m’a forcé à rompre le silence que je m’étais imposé par une insinuation rétrospective qui semble accuser ma bonne foi. L’honorable préopinant, rapprochant le silence que j’ai gardé dans cette chambre, lors du budget de la marine (qui n’a été l’objet d’aucune réclamation ni dans la section centrale, ni dans la chambre) du langage que j’ai tenu au sénat, croit que j’ai dissimulé des économies possibles, que j’aurais dû proposer au budget. Quand, au sénat, l’on a proposé une réduction très considérable qui aurait frappé en aveugle l’institution de la marine, j’ai dit que l’institution de la marine était sanctionnée par plusieurs votes des chambres, qu’il y avait des positions qui s’étaient formées sur la foi de la législation existante et des votes répétés des chambres et qui comportaient des ménagements ; que s’il était possible au gouvernement (tout en respectant ces positions et les droits acquis que la chambre a toujours respectés) de faire des économies, on le ferait, qu’il était presque certain que des économies pourraient se faire, que je pouvais d’autant plus l’annoncer que chaque fois que l’occasion s’était présentée, le gouvernement (notamment sur le budget qui était en discussion, celui de la marine) avait fait des réductions plus considérables que celle proposée.

Voilà ce que j’ai dit au sénat. Voilà ce que j’aurais dit à la chambre s’il avait eu discussion. Je regrette de ne pas avoir été interpellé par l’honorable préopinant ; car j’aurai alors donné à la chambre tout à fait les explications que j’ai données au sénat.

M. Eloy de Burdinne – Moi aussi, je suis partisan des économies. Mais si je fais des reproches sous ce rapport, ce n’est pas seulement au ministère que je m’adresserai, mais à la chambre entière ; car la chambre a constamment suivi le système détendre le chiffre des dépenses.

Je déclare que je voterai pour toutes les réductions proposées par la section centrale. Si j’ai un regret, c’est que la section centrale n’en ait pas proposé de plus fortes et que sur différents points elle n’en ait proposé aucune.

Personne ne contestera la nécessité où nous sommes d’être parcimonieux, lorsqu’il s’agit de dépenser l’argent des contribuables. Il est temps enfin de sortir de l’ornière où nous sommes depuis nombre d’années. Il est curieux de voir par quelle progression nous sommes arrivés à porter le chiffre total de notre budget à 105 millions. Vous vous le rappelez tous, il y a peu d’année que notre budget n’était que de 80 à 90 millions, qu’à cette époque nous devions faire une dépense considérable pour l’armée, devant toujours nous attendre à une agression de la part de nos ennemis. Alors avec 90 millions, on administrait tout. On me dira que la dette hollandaise est venue augmenter nos dépenses. Cela est exact. Mais aussi, pour pourvoir à ces dépenses, nous avons pu économiser sur le département de la guerre. Dans le moment actuel, nous ne devons faire que les dépenses strictement nécessaires, ajourner toutes les dépenses qui tiennent à des opérations hasardeuses et de luxe, ou même de simple utilité. Nous devons nous borner au nécessaire.

Cependant je vois encore figurer au budget du ministère de l’intérieur une dépense pour course de chevaux. Voilà une dépense de luxe, une dépense qui, à la vérité, a été un peu réduite par la section centrale et qui dans la proposition du gouvernement avait été augmentée pour les fêtes de septembre.

Quant à ces fêtes, si l’on veut remémorer la révolution, on devrait se borner à un seul jour, et avec 10,000 francs, on pourrait satisfaire l’opinion publique.

Vous vous rappelez que déjà, l’an dernier, j’ai fait remarque que le chapitre IX, intitulé : « Encouragements à l’agriculture » était un non-sens. Aujourd’hui, encore, je suis de la même opinion. Je vous répète, comme l’an dernier, que c’est un non-sens, une espèce de mystification. Je ne me propose pas d’examiner tous les littera de cet article. Je crois avoir suffisamment démontré, l’an dernier, que l’agriculture ne retire rien de cette somme de 555,500 francs. Qu’on propose la suppression de ce chiffre, je voterai pour.

Je fais une distinction pour les 80,000 francs du fonds d’agriculture. Ce n’est pas là une dépense faite par le pays. C’est l’acquit d’une dette ; car, en fait d’agriculture, on ne doit rien donner à l’Etat ; l’État ne donne rien.

Si vous voulez avoir quelque chose, commencez par faire des fonds ; c’est ainsi que l’agriculture a fait des fonds, fonds qui ont été transportés en Hollande, et cela par suite d’une contribution sur le bétail. Lorsque vous liquiderez avec la Hollande, elle vous restituera le capital des avances que vous faites aujourd’hui.

Non, messieurs, l’agriculture ne puise pas dans le trésor comme l’industrie et le commerce. Nous devons tous nous rappeler qu’un des principaux griefs reprochés au gouvernement précédent, c’est le million Merlin. Mais, messieurs, le million Merlin n’a fait que croître aujourd’hui ; ce n’est pas un million qu’on emploie à favoriser l’industrie et le commerce, c’est quatre à cinq millions.

Ajoutez toutes les allocations, revoyez tous les budgets, je n’en excepte aucun, vous trouverez dans tous des sommes en faveur de l’industrie.

Au surplus, nous en avons encore une preuve dans la proposition de loi sur les céréales. Elle n’est conçue que dans la crainte de gêner le commerce, en un mot, que pour favoriser le commerce.

Au budget du ministère de l’intérieur, vous voyez le pétitionnement pour le commerce d’une somme de 939,000 francs. A la vérité, la section centrale, d’accord avec les sections centrales, a réduit ce chiffre à 794,000 francs.

Mais, messieurs, ajoutez à cette somme celle qui résulte des appointements des employés que nécessitent le commerce et l’industrie dans les bureaux du ministère de l’intérieur, et vous la verrez se grossir de quelques milliers de francs de plus.

Enfin, messieurs, je le répète, la dépense que l’on fait ici en faveur du commerce et de l’industrie, se porte à environ 5 millions. Que l’on considère encore le déficit que l’on éprouvera dans le produit du chemin de fer ; et certes, on en conviendra, le chemin de fer a pour principal but l’avantage du commerce et de l’industrie.

Je bornerai là pour le moment mes observations, je me réserve de reprendre la parole lorsqu’on discutera les articles.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, dans mon discours à l’appui des développements du projet de budgets des voies et moyens et des dépenses, en parlant des circonstances qui avaient surgi, et de l’élévation du chiffre de notre dette flottante, j’ai dit qu’à mesure de ces circonstances, le gouvernement éprouvait les plus grandes difficultés de renouveler les bons du trésor et qu’il en résultait que notre situation était alors difficile, et même effrayante.

Mais, nulle part, je n’ai dit que la situation financière de la Belgique était effrayante. En l’exprimant ainsi, j’aurais manqué à la vérité, car notre situation financière est plus belle que celle de la plupart des pays de l’Europe. Non seulement, j’aurais manqué à la vérité, mais une telle allégation aurait été de nature à porter préjudice à notre crédit.

C’est donc à tort que le préopinant, en tronquant mes paroles, en donnant un sens faux à ce que j’ai exposé dans mon discours, est venu prétendre que le gouvernement avait annoncé que notre situation financière était alarmante.

J’ai cru de mon devoir de relever ces paroles, car elles sont de la plus grande inexactitude et pourraient, si elles trouvaient foi, nuire à la chose publique.

Je répondrai quelques mots à ceux qui répètent sans cesse que les dépenses vont toujours en augmentant, qu’elles sont maintenant beaucoup plus considérables que dans les années précédentes.

On oublie qu’il se trouve dans notre budget quantité de dépenses compensées par des recettes, et qui, à la rigueur pourraient se trouver au chapitre des recettes et dépenses pour ordre. Ainsi les dépenses pour le chemin de fer seront compensées par les recettes. Ces dépenses ne se trouvaient pas dans les budgets des exercices qui ont suivi immédiatement notre émancipation politique ; le cours naturel des choses les fait accroître chaque année en même temps que les produits ; je ferai la même observation pour les dépenses qu’entraînent quelques canaux repris par le gouvernement et qui se trouvent aussi compensées par les recettes. De là vient l’erreur d’après laquelle on prétend qu’il y a augmentation de dépenses.

Il y a, à la vérité, une augmentation réelle de dépenses dans la dette à transférer de la Hollande au grand livre de la dette publique de Belgique, et dont nous payons les intérêts ; on sait qu’il n’a pas dépendu de nous de l’éviter.

Il se trouve encore une somme dans le budget qui a successivement augmenté ; c’est celle des intérêts des cautionnements. Mais c'est aussi là une dépense qui est compensée par les recettes et qui est même dépassée.

La même observation s’applique aux consignations et en parcourant les budgets, on trouverait encore d’autres dépenses qui sont compensées par des recettes.

Il ne faut donc pas croire, en voyant un chiffre global plus élevé, qu’il y a réellement augmentation de dépenses. Il faut examiner les choses en détail. C’est ainsi qu’on pourra faire des comparaisons exactes. En discutant d’une manière vague et sur des généralités, il est impossible de s’entendre. De telles discussions traînent en longueur et nous font perdre un temps précieux.

M. Doignon – J’ai demandé la parole pour relever ce que vient de dire M. le ministre de la justice. Il m’a prêté à tort une expression qui n’est pas sortie de ma bouche. Mes paroles ont été parlementaires et je n’en ai aucune à retrancher.

Je me suis plaint du peu de bonne volonté de messieurs les ministres, de leur peu d’attention pour les vœux des sections, relatifs aux économies, et j’ai dit en définitive à la chambre : Jugez, s’il n’y a pas là mauvais vouloir de leur part, ou au moins une grande insouciance. En effet, messieurs, n’est-on pas autorisé à croire qu’il y a ici incurie de la part du gouvernement ? J’ai posé des faits, j’ai posé des chiffres, jusqu’à présent on n’y a rien répondu.

M. le ministre de la justice vous a dit que j’avais demandé la suppression immédiate de la haute cour militaire. Il n’en est rien ; je n’ai rien dit de cela. J’ai dit que, quand il s’agit d’économiser, de faire des réductions, et entre autres celle qui pourrait résulter de la suppression de la haute cour militaire, on demande du temps pour réfléchir, on se réserve des années pour examiner de semblables questions ; et effectivement, lors de la discussion du budget de la justice, l’honorable M. de Garcia vous a démontré que cette institution devait être supprimée, que c’était une création toute hollandaise, qu’elle est inutile, qu’il y avait moyen de la remplacer. M. le ministre de la justice n’a pas répondu un seul mot à cet orateur.

Quant à ce qui m’a été répondu concernant les travaux publics, il n’a rien été dit qui détruise mes assertions. En un mot, je le répète à M. le ministre des travaux publics, est-il vrai ou non qu’il demande une augmentation de deux millions environ ? Il ne peut dire que non, il l’avoue. Eh bien, je le prie de renoncer à cette nouvelle dépense, et je dis que nous aurons dès lors deux millions d’impôts de moins à voter. Qu’on rencontre donc mes observations ; on n’y a encore rien répondu.

Quant à l’observation qu’a faite M. le ministre des affaires étrangères, je maintiens ce que j’ai dit. Je vous ai rapporté les résultats de la discussion qui avait eu lieu au sénat sur le budget de la marine ; les honorables collègues peuvent prendre lecture du Moniteur ; ils y verront la vérité de ce que j’ai dit, et M. le ministre des affaires étrangères n’en a rien détruit. Je passerai sous silence quelques injures qu’il m’a adressées.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Ce n’est pas exact, j’en atteste la chambre.

M. Doignon – M. le ministre des finances vous a dit que j’avais tronqué son discours à l’appui du budget des voies et moyens. Il n’en est rien. Mes collègues ont lu ce discours, ils ont pu en apprécier l’ensemble ; ils auront jugé comme moi d’après cet ensemble, que notre situation est réellement effrayante, et c’est également dans ce sens que M. le ministre vient de s’exprimer. Je n’ai donc pas voulu donner à ses paroles une portée autre que celle qu’il leur a lui-même donnée.

On met toujours en avant les bons du trésor lorsqu’il s’agit d’augmenter les impôts. Nous avons 25 à 30 millions de bons du trésor. Si on voulait éteindre une pareille dette au moyen des impôts, il faudrait les augmenter au-delà de toute mesure. C’est chose impossible. Si ce raisonnement était fondé, il faudrait majorer les impôts bien plus encore qu’on nous le propose. Cet argument ne prouve donc rien parce qu’il prouverait trop.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’ai pas prête au préopinant des paroles qu’il n’a point proférées. Les paroles que je lui ai prêtées, il les a proférées. Il a dit que tous les ministres, sans en excepter un seul (peu importe d’ailleurs les exceptions ; il y a solidarité, et je ne me séparerai pas de mes collègues, quand il s’agira de faits sur lesquels nous avons tous délibéré), il a dit que tous les ministres étaient animés de mauvais vouloir, d’insouciance, qu’ils méprisaient les vœux des chambres pour les économies.

Eh bien ! ces paroles qu’il dit parlementaires, je dis qu’elles sont imparlementaires. J’ajoute qu’elles sont inexactes et je le prouve.

Quand on accuse quelqu’un de mauvais vouloir, d’insouciance, de mépris pour le vœu des chambres, on pénètre dans les intentions, on juge les sentiments.

Eh bien ! je ne reconnais à personne le droit de juger mes intentions, personne n’a ce droit. On peut critiquer mes actes ; eux seuls sont soumis à l’opinion publique ; mais mes intentions, personne n’a le droit de les juger.

Quant à la haute cour militaire, le préopinant vous a dit que, quand il s’agit d’économies, on demande des années pour réfléchir. Mais depuis combien de temps sommes-nous au ministère ? Il y a huit mois, et sur ces huit mois, nous en avons eu cinq de session des chambres.

Or, je vous le demande, est-ce exiger des années pour introduire des économies que de n’avoir pas demandé dès maintenant la suppression de la haute cour, si tant est qu’il y ait lieu de la supprimer ?

Je n’ai pas répondu aux observations qu’a développées l’honorable M. de Garcia pour étayer son opinion, parce que j’ai cru que ce n’était pas le lieu de répondre ; que ce n’était pas à l’occasion d’un chiffre du budget que le gouvernement devait s’engager à supprimer une institution qui existe dans le pays depuis bientôt trente ans.

Du reste, messieurs, cette question n’est pas si simple qu’on semble le croire, et lorsqu’on regrette que nous ne nous soyons pas prononcés à l’instant sur une pareille institution, ce ne peut être que parce qu’on n’envisage pas l’ensemble des choses. L’institution de la haute cour militaire n’est pas isolée, elle se lie à toute la procédure militaire, et quand on en proposera la suppression il faudra proposer en même temps non seulement un système d’organisation des tribunaux militaires, mais encore tout un nouveau système de procédure militaire ; or, est-ce dans l’état actuel des travaux de la chambre, des travaux dont le ministère est chargé, que l’on peut exiger la présentation d’un projet de loi portant suppression de la haute cour militaire ? Je ne le pense pas, et je pense, au contraire, que les reproches qui nous ont été adressés de ce chef ne sont nullement fondés.

Je ne sais si je dois m’excuser vis-à-vis de la chambre de la chaleur que j’ai mise dans les expressions dont je me suis servi ; on peut critiquer mes actes, et quand on les critiquera avec sang-froid, je répondrai avec sang-froid ; je sais que je puis me tromper, et lorsqu’on me démontrera que je suis dans l’erreur, je m’empresserai toujours de me rendre à la vérité ; mais lorsqu’on critique nos intentions, je suis, je l’avoue, sous ce rapport, d’une grande susceptibilité, et je ne puis m’empêcher de mettre beaucoup de chaleur dans les réponses que j’ai à faire à de semblables attaques.

M. Eloy de Burdinne – Je dois répondre quelques mots à M. le ministre des finances qui m’a reproché d’avoir dit que nos dépenses vont toujours en augmentant. Eh bien, je rappellerai seulement deux nouvelles dépenses qui se présentent en ce moment en ma mémoire, ce sont les 400,000 francs qui ont été votés l’année dernière, pour l’établissement d’un service de bateaux à vapeur, et les 600,000 francs votés il y a deux ans, pour rembourser le péage de l’Escaut, voilà deux nouvelles dépenses en faveur du commerce, et qui s’élèvent déjà à un million.

Si je voulais examiner les différents chiffres du budget, je trouverais une foule d’augmentations semblables.

M. le ministre des travaux publics a soutenu que des économies ne pourraient suffire à mettre au niveau les recettes et les dépenses ; je pense que l’on pourrait très bien obtenir ce résultat, si l’on entrait sérieusement dans la voie des économies, comme on devrait le faire, d’après la position de nos finances ; mais alors même que des économies ne seraient pas un moyen suffisant pour combler le déficit, il n’est pas nécessaire pour cela de créer de nouveaux impôts ; que l’on fasse rentrer les impôts existants, que l’on procède à la révision de nos lois financières, qui est réclame sans succès, depuis si longtemps ; que l’on révise par exemple les lois sur le sucre et le sel ; que l’on prenne des mesures pour faire entrer dans les caisses de l’Etat les droits que le consommateur paie pour le sel, et quant au sucre, y a-t-il un objet plus imposable ? Imposez la consommation du sucre qui est une consommation de luxe, et si vous devez faire une réduction sur l’impôt du sel, faites-la. Mais non, on frappe le malheureux et on ménage le riche, on criant de lui imposer la moindre charge du chef de ses jouissances.

Du reste, je reviendrai sur ces questions lorsque nous discuterons le budget des voies et moyens.

M. de Garcia – Je n’abuserai pas des instants de la chambre ; les observations que j’aurai l’honneur de lui présenter seront fort courtes.

M. le ministre de la justice a dit, messieurs, que ce n’est pas à l’occasion d’un budget que l’on peut faire une proposition semblable à celle qui aurait pour objet la suppression de la haute cour militaire, quant à moi, je pense que c’est à l’occasion des budgets que nous devons faire les propositions qui tendent à améliorer l’économie des lois qui se rattachent au département dont on discute le budget. Toutefois, je dois ici relever l’inexactitude de ce qui m’a été reproché par M. le ministre de la justice, et dire qu’en faisant la proposition de la suppression de la haute cour militaire, je me suis borné à indiqué cette mesure comme utile, et je l’ai même fait avec une certaine réserve. J’ai dit que la haute cour est une institution qui ne me semble pas être en harmonie avec nos principes constitutionnels, et j’ai appelé l’attention de M. le ministre de la justice sur ce premier point ; j’ai dit en outre que cette institution fût-elle constitutionnelle, légalement parlant, elle n’était ni utile, ni avantageuse. Sous ce double point de vue, je prierai M. le ministre de s’occuper de l’examen de cette question ; voilà les deux observations que j’ai cru devoir faire à l’occasion du budget de la justice, et j’ai été tellement éloigné de faire un reproche à M. le ministre de ce que l’on n’avait pas proposé la suppression de la haute cour militaire, que j’ai déclaré que, pour cette année, je pensais qu’on ne pouvait improviser une loi sur cette manière, mais que si l’année prochaine une semblable proposition n’était pas faite, je voterais alors contre le budget de la justice. Suivant ces faits, qui sont de toute exactitude, il me semble que M. le ministre ne peut me reprocher de ne pas lui avoir laissé le temps de méditer la question que j’ai soulevée alors.

Je ferai aujourd’hui une observation du même genre relativement au budget de l’intérieur. Le département de l’intérieur a de nouveau dans ses attributions la milice nationale, et la loi sur la milice nationale est une des lois les plus imparfaites qui existent. Cependant elle a pour objet le tribut du sang, le tribut qui est le plus pénible de tous ; il suffit d’aller dans les campagnes, de voir partout la classe qui paie nécessairement ce tribut, parce qu’il lui est impossible de se faire remplacer, il suffit, dis-je, d’approcher cette classe de la société pour voir les larmes que ce tribut fait répandre. Eh bien, messieurs, la loi sur la milice est la plus imparfaite de toutes nos lois ; elle est imparfaite d’abord parce qu’elle est beaucoup trop compliquée, qu’elle donne lieu à une foule de circulaires, d’instructions, d’avis ; nous avons au banc des ministres deux anciens gouverneurs qui ont dû souvent appliquer cette loi, et d’après l’expérience ils pourront rendre justice à ce que j’avance. Je me bornerai à signaler quelques vices de cette loi. Elle est vicieuse surtout en ce qu’elle fait opérer le tirage au sort des miliciens par commune, et c’est là un vice très considérable.

Il serait, je pense, avantageux de revenir au système du tirage au sort par canton, au lieu du tirage par commune. Quiconque a fait partie d’une administration provinciale ou communale, a dû reconnaître que le mode existant entraîne le désordre et les plus graves inconvénients.

Je suppose, par exemple, qu’une commune ait à fournir cette année 3 miliciens, qu’il y ait 16 jeunes gens appelés à tirer au sort, qu’une autre commune ait à fournir 2 miliciens et n’ait que 2 jeunes gens ayant l’âge auquel ils doivent participer au tirage.

Eh bien, messieurs, en vertu de la loi actuelle, le domicile pour le tirage à la milice s’acquiert par six mois ou un ans de résidence, ma mémoire ne me permet pas de préciser. Qu’advient-il dans cet état de choses ? Il arrive très souvent que la commune qui devra fournir 2 miliciens, et qui n’a que 2 individus à concourir au tirage, sera sans sujet de l’année pour fournir son contingent. Ces individus, informés qu’ils devront nécessairement faire partie de la milice s’ils restent dans leurs communes, ne manquent jamais d’aller prendre leur domicile dans une autre commune, où les chances du sort leur sont plus avantageuses. De là agglomération des miliciens sur un point et désertion sur d’autres ; de là le désordre dans l’administration, de là arbitraire dans l’administration provinciale et dans les décisions du conseil provincial, qui, pour corriger les vices de la loi, fait, suivant son bon plaisir, ou ne fait pas rentrer dans leur commune les jeunes gens qui l’ont désertée.

Là ne se bornent pas les inconvénients de la loi actuelle ; il arrive qu’une commune n’a pas dans la génération de l’année le nombre de miliciens qu’elle doit fournir, et alors elle doit remonter aux générations antérieures ; de sorte qu’une seule génération peut être appelée à payer le tribut du sang de quatre ou cinq générations. C’est là un inconvénient immense ; et je n’hésite pas à le dire, nombre de bourgmestres de ma province m’ont engagé à faire tous mes efforts pour obtenir que la loi sur la milice soit changée ; Je conjure donc M. le ministre de méditer mûrement cette question.

Il est encore un point dans cette loi qui mérite de fixer toute notre attention ; en vertu de la loi actuelle, les conseils provinciaux décident en dernier ressort tous les cas qui se présentent en matière de milice nationale, et il n’y a aucun moyen de pourvoir contre leur décision ; il en résulte que souvent une même question est résolue dans un sens dans une province, et dans un sens inverse dans une autre, de là une bigarrure scandaleuse dans la jurisprudence administrative pour des cas souvent les plus essentiels.

Il faudrait donc un pouvoir central chargé de réviser les décisions des conseils provinciaux. Déjà ce pouvoir a été indiqué par l’honorable M. Lebeau ; je crois qu’il a présenté dans le temps un projet de loi tendant à attribuer à la cour de cassation la révision des décisions des conseils provinciaux en matière de milice nationale. Je vous avoue, messieurs, que tout en désirant centraliser la jurisprudence en matière de milice nationale, je ne puis partager l’opinion de M. Lebeau en ce qu’il veut renvoyer ces affaires à la cour de cassation, et sous ce rapport je ne pourrai adopter son projet de loi ; je crois que cette matière est purement administrative, et que le pouvoir dont il s’agit devrait être donné au gouvernement. Au surplus à quelque autorité qu’il soit confié, l’essentiel est de faire disparaître l’inconvénient d’avoir des décisions différentes sur un même question, dans des cas identiques, l’essentiel est de donner un moyen de se pourvoir contre des décisions illégales.

D’après ces considérations, je convie instamment et de nouveau M. le ministre de l'intérieur d’élaborer un projet de loi sur la milice nationale, et de le présenter à la législature dans le plus bref délai.

M. de Mérode – Messieurs, si nous ne discutions pas si longuement pour introduire dans les budgets de très maigres économies, nous pourrions nous occuper d’objets bien autrement importants ; par exemple, de la loi sur un tribut, bien autrement onéreux, le tribut signalé par l’honorable M. de Garcia. Pendant six semaines, messieurs, vous avez économisé sur les budgets votés une somme d’environ 35,000 francs, mais d’un autre côté le budget a été chargé des frais que la chambre des représentants à coûtés pendant ce temps.

Nous avons donc à peu près perdu six semaines, car enfin eussions-nous économisé 100,000 francs, cette économie eut été absorbée par la dépense à laquelle la discussion a donné lieu. Ce n’est pas, messieurs, pour faire des récriminations que je fais cette observation, c’est pour engager la chambre à être plus avare de son temps. Nous avons, je le répète, des choses bien autrement graves à discuter que les économies insignifiantes que nous introduisons dans les budgets ; ce que l’honorable M. de Garcia vient de dire le prouve encore.

Comment pourrons-nous jamais nous occuper de toutes les lois importantes et urgentes que nous devrions voter, si nous discutons pendant un temps infini sur les questions les plus insignifiantes, et si après cela nous prenons encore de longues vacances ?

Si l’on veut faire des économies, il est deux objets sur lesquels on peut en faire de considérables, ce sont les travaux publics, c’est le chemin de fer et ce que je dis ici n’est pas dirigé contre M. le ministre des travaux publics, car j’ai fait la même observation à son prédécesseur, c’est, dis-je, le chemin de fer et le budget de la guerre.

C’est là véritablement qu’on peut faire des économies ; ces économies sont-elles bien ou mal entendues, je n’en sais rien, mais je dois déclarer qu’il n’y a d’économies à faire que dans ces budgets. Tout ce qu’on propose sur le budget de l’intérieur n’est absolument rien du tout. Vous verrez, lors de la discussion des articles de ce budget, que presque toutes les économies proposes par la section centrale, et qui s’élèvent à 350,000 francs, seront impraticables. En supposant que nous économisions une somme de 100,000 francs sur ce budget, quelle influence cela aura-t-il sur la masse du budget général ?

Je le répète, si notre situation financière est telle qu’on l’a signalée, cela vient de ce que précédemment l’on a reporté sur l’avenir les charges du présent ; aujourd’hui il faut que nous payions pour le présent, et que nous payions aussi pour le passé. L’essentiel pour nous est de sortir de cette situation, mais nous n’en sortirons pas en faisant de petites économies.

M. Doignon (pour un fait personnel) – Messieurs, M. le ministre de la justice s’est trompé, lorsqu’il a cru que j’avais accusé ses intentions. Je n’ai pas plus accusé les intentions de M. le ministre de la justice que celles de ses collègues.

M. le ministre de la justice vous a dit qu’on n’avait pas le droit d’attaquer ses intentions, mais seulement ses actes. Je suis en ce moment tout à fait d’accord avec lui. Dans mes observations, je n’ai eu en vue que les actes du ministère ; j’ai critiqué sa conduite en ce qui concerne les économies, et en cela j’étais certainement dans mon droit.

M. de Foere – Messieurs, je ne répéterai pas les observations que j’ai eu l’honneur de soumettre les années précédentes sur les encouragements accordés à l’industrie et au commerce. Je maintiens tout ce que j’ai dit alors, en ce sens que ces encouragements sont de véritables palliatifs qui ne peuvent ni alléger le présent, no créer un avenir pour le commerce. Ce sont donc, selon moi, des dépenses inutiles.

J’ajouterai seulement deux considérations.

Il figure dans le budget de l’intérieur une somme de 200,000 francs pour encouragements à l’industrie et au commerce.

Cette allocation est surtout destinée à l’exportation des tissus de coton, avec garantie de 10 p.c. de perte.

Mais l’industrie cotonnière ne demande elle-même autre chose que le marché intérieur, et elle promet lorsque le marché intérieur lui sera acquis, de songer alors sérieusement à la fabrication pour l’exportation.

Or, le marché intérieur lui est refusé ; on ne prend pas les mesures nécessaires pour le lui assurer. Vous avez le moyen d’écouler à l’intérieur les produits de cette industrie, et vous voulez que cette industrie courre toutes les chances de perte d’une exportation à l’extérieur.

C’est là, selon moi, une anomalie choquante.

Je ne prétends pas en faire un reproche au ministère actuel : il est depuis trop peu de temps aux affaires. Mais nous ignorons si le ministère est dans l’intention de prendre des mesures nécessaires pour assurer le marché intérieur à l’industrie cotonnière ainsi qu’aux autres industries.

Il est de fait que la France et l’Angleterre n’auraient jamais pu réussir dans aucune industrie, si préalablement la consommation à l’intérieur ne leur avait été assurée. C’est la consommation intérieure qui fournit seule les moyens de songer à la production pour l’exportation.

L’autre observation que je voulais soumettre est celle-ci :

On a donné à l’industrie cotonnière la garantie de 10 pour cent de perte, en faisant passer cette industrie par une société commerciale d’Anvers. Nous devrions au contraire faire tous les efforts possibles pour déraciner les mauvaises habitudes qui sont établies dans le pays, et réduire notre commerce de commission. Eh bien, la mesure dont je parle, n’a d’autre but que d’enraciner encore plus fortement, dans le pays, des habitudes funestes à l’industrie. C’est l’industrie elle-même qui doit exporter au lieu que ce devrait être le commerce. La situation normale, dans tous les pays, c’est que le commerce doit être l’intermédiaire entre l’industrie et le consommateur extérieur. Or, en accordant ces 10 p.c. de perte, et en faisant passer l’industrie par une société commerciale, c’est encore fortifier ces habitudes qui sont extrêmement défavorables au pays.

Je voudrais qu’on songeât sérieusement à établir dans le pays un véritable système de commerce, qui ne fut pas un palliatif passager, mais grâce auquel l’industrie pût espérer de pouvoir exporter ses produits d’une manière soutenir, si tant est qu’elle produise de manière à pouvoir concourir avantageusement sur les marchés étrangers contre les produits similaires des autres pays.

Je bornerai là mes observations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, un honorable député de Namur a attiré l’attention du gouvernement sur la nécessité de réviser la loi sur la milice.

Le ministère, messieurs, n’a pas attendu cet avertissement pour s’occuper de cette question. Mais tout le monde sait combien la matière est grave ; nous ne voyons jamais que les inconvénients du système qui existe, et nous faisons rarement attention aux inconvénients du nouveau système qu’on voudrait y substituer.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement s’entoure actuellement de tous les renseignements nécessaires, et lorsque le moment sera venu, il proposera à la chambre les modifications dont il croit la législation actuelle susceptible.

L’honorable député de Namur sera sans doute le premier à convenir qu’il n’y a pas grande hâte à présenter ce projet de loi attendu qu’il irait, comme tant d’autres, reposer dans les cartons de la chambre. Dans cet arriéré, il y a des lois urgentes, aussi urgentes que celle sur la milice, qui attendent depuis plusieurs années leur tour de discussion.

Je pourrais citer, entre autres, la loi qui a pour objet de réviser les défectuosités du code pénal qui nous régit et qui a été présenté à la chambre, il y a sept ans . il y a encore le projet de loi qui règle les comptes. Voilà dix ans que nous marchons, sans qu’aucun compte de l’Etat ait encore été arrêté par la chambre. Je pourrais citer beaucoup d’autres lois qui ont un degré d’urgence non moins grand que celui auquel on a fait allusion.

Il existe même sur la milice un projet de loi dont l’utilité n’est pas contestable ; c’est celui qui tend à ramener l’uniformité dans les décisions prises en cette matière par les députations permanentes des conseils provinciaux ; cette loi a été présentée, il y a 5 ans, et elle n’a pas même encore subi tous les degrés d’instructions dans la chambre.

L’honorable député de Waremme, fidèle au système qu’il présente tous les ans, a critiqué toutes les allocations faites en faveur du commerce. A l’entendre, il n’y aurait qu’un bon système à suivre, ce serait de supprimer dans le budget toutes les allocations en faveur du commerce et de l’industrie. Il va même plus loin, et pour lui plaire, il faudrait retrancher du budget la dotation de l’agriculture.

« En effet, dit-il, à quoi servent ces allocations ? Quel profit l’agriculture en retire-t-elle ? »

Messieurs, je suis persuadé que si l’honorable député consultait les agronomes du pays, il en trouverait peu qui seraient de son avis. Ainsi, par exemple, pour ne parler que de deux institutions, l’honorable député conteste-t-il la grande utilité de l’école vétérinaire ? Est-il indifférent au cultivateur dont souvent toute la fortune dépend du bétail qu’il possède ? lui est-il indifférent, dis-je, de faire soigner ce bétail, en cas d’épizootie, par des empiriques ou par des hommes qui ont puisé les connaissances nécessaires dans une école spéciale ?

L’honorable député trouvera-t-il aussi beaucoup d’agronomes qui considéreront comme une dépense inutile l’argent qu’on consacre à l’amélioration de la race bovine et de la race chevaline ? est-il indifférent au pays d’avoir une race chevaline qui prise dans son ensemble vaut, je suppose, un capital de 70 millions ; oui d’avoir une race chevaline d’une valeur double ou triple de celle-là ? Et voilà le résultat qu’on peut espérer d’obtenir, en apportant des améliorations successives dans la race chevaline.

Je pourrais passer ainsi en revue toutes les allocations proposées au budget en faveur de l’agriculture ; je le répète, il y a peu d’agronomes dans le pays qui seraient de l’opinion émise par l’honorable député de Waremme.

Le ministère de l’intérieur a eu sa part des critiques que l’honorable député de Tournay a faites de toutes les majorations introduites dans les budgets.

Selon lui, le ministère de l’intérieur a fait preuve d’une grande incurie, en ce qui concerne les économies qu’on aurait pu introduire dans le budget de ce département.

Messieurs, je suis vraiment étonné d’entendre faire cette critique, alors que l’honorable député doit convenir que partout où j’ai pu le faire, sans entraver le service, des économies ont été introduites.

C’est ainsi qu’au chapitre de la milice, j’ai pour la première fois depuis dix ans proposé une réduction de 15,000 francs ; au chapitre des archives, 2,000 ; pour la construction des navires, 85,000 ; dans les dépenses imprévues, 10,000.

J’ai en outre consenti dans le sein de la section centrale à une réduction de 10,000 francs sur le crédit des fêtes nationales : toutes économies qui représentent le vingtième de mon budget.

Il est vrai que l’honorable député de Tournay répond à cela que les dépenses auxquelles ces économies s’appliquent cessent, parce que la cause qui les a fait naître a cessé. Mais à suivre ce système, il n’y a plus d’économies possibles.

L’honorable député de Bruges regarde à soutenir tout ce qui est fait en faveur de l’industrie et du commerce comme de véritables palliatifs. Selon lui, il n’y a que deux moyens de porter un remède aux souffrances de l’industrie et du commerce.

La première, c’est de conserver le marché intérieur à nos tissus, aux produits de notre industrie. La seconde, c’est d’introduire un système commercial tout nouveau. Je m’étonne que l’honorable membre, alors qu’il fait partie d’une commission nommée par la chambre, instituée pour examiner à fond cette question, vienne constamment la préjuger. Quelle confiance peut-on avoir dans un juge qui, avant qu’on ait les pièces du procès sous les yeux, vient chaque jour vous dire à l’avance que tel doit en être le résultat, qu’il faut adopter tel système, que sans cela il n’y a pas de salut pour le commerce et l’industrie ?

Je trouve toutes ces récriminations prématurées, il faut attendre que la chambre, après avoir eu toutes les pièces sous les yeux, pèse mûrement les avis divers, puisse prendre une décision sur ces graves questions.

Je bornerai là pour le moment mes observations, me réservant de répondre aux objections qui pourraient m’être faites sur les articles de mon budget.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures ½.