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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 juin 1840

(Moniteur belge n°158 du 6 juin 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Mast de Vries fait l’appel nominal à midi ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Des habitants de la section de Harlue, commune de Bolinne, demandent que la chambre s’occupe du projet relatif à la séparation de ce hameau de la commune de Bolinne. »

M. Raikem – Messieurs, cette pétition a pour objet de demander l’examen d’un projet de loi qui a été présenté à la chambre le 16 janvier 1839. Ce projet a été renvoyé à une commission ; mais comme plusieurs des membres ne font plus partie de la chambre, je prierai le bureau de vouloir bien compléter la commission et de renvoyer la pétition à la même commission.

- Cette double proposition est mise aux voix et adoptée.


M. Raymaeckers informe la chambre qu’il ne pourra de quelques jours assister aux séances, à cause d’une indisposition.

-Pris pour notification.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Dubus (aîné) et M. Maertens déposent des rapports sur des demandes en naturalisation.

M. Lejeune dépose également un bulletin pour la prise en considération de quelques demandes en naturalisation ordinaire.

- Tous ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi visant à améliorer la répression de la fraude en matière de douanes

Motion d’ordre

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, quelques jours après mon arrivée au ministère des finances, l’honorable président de cette chambre a eu la bonté de me prévenir que son intention était de convoquer la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi pour la répression de la fraude, en matière de douane. Accablé de besogne à cette époque, ayant à m’occuper du travail de l’emprunt, j’ai prié M. le président de vouloir bien ajourner la convocation, si la chose était possible, attendu qu’il m’eût été extrêmement difficile de me rendre dans le sein de la section centrale pour donner des explications.

Mais dès le 22 du mois dernier, j’ai fait part à M. le président que j’étais prêt à assister aux délibérations de la section centrale, si elle voulait bien se réunir. Maintenant, j’insiste pour que la section centrale se réunisse en effet si toutefois elle ne l’a déjà fait afin que la discussion du projet de loi puisse avoir lieu. Quant à moi, je suis prêt à le défendre.

M. le président – Les faits que M. le ministre vient d’exposer sont parfaitement exacts. J’ai cru devoir déférer à sa demande. Mais au moment où sa lettre du 22 mai m’est parvenue, je ne pouvais pas moi-même présider la section centrale, nous étions occupés alors du projet de loi d’emprunt et de celui relatif à la navigation transatlantique. Je prierai donc M. le vice-président, M. de Behr, de vouloir bien présider la section ; M. le président aura la bonté de rendre compte de la situation de l’affaire.

M. de Behr – Messieurs, la section centrale s’est en effet réunie ; mais trois sections avaient subordonné l’examen du projet à la communication des avis des chambres de commerce ; ces corps ont été consultés, et leurs avis ont été communiqués par M. le ministre de l'intérieur à la section centrale. La section, s’étant réunie, a décidé que les avis des chambres de commerce seraient envoyés aux trois sections dont j’ai parlé, pour qu’elles se livrassent à l’examen du projet de loi. Voilà où en est l’affaire. Aussitôt que ces sections auront terminé leur examen, la section s’occupera de son rapport le plus tôt possible.

Projet de loi autorisant un emprunt de 82,000,000 francs

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je crois devoir donner quelques explications à la chambre relativement au chiffre de la dette flottante qui resterait en circulation par suite de l’adhésion que j’ai donnée aux propositions de la section centrale ; ce chiffre sera en effet, ainsi que je l’ai indiqué dans une de nos dernières séances, de 12,48,821 francs 88 centimes, à couvrir soit par les ressources de l’avenir, auxquelles on a fait allusion, soit par les excédants de recettes sur les dépenses, mais il faut ajouter à ces 12,488,821 88 les 4 millions de bons du trésor créés pour tenir lieu du prêt fait à la banque de Belgique, et qui peuvent être considérés comme étant d’une nature plus essentiellement temporaire que ceux de la dette flottante ordinaire ; en effet, messieurs, dans le compte que j’ai présenté j’ai toujours fait abstraction des 4 millions avancés à cet établissement, puisque je les ai portées intégralement tant en recette qu’en dépense, de sorte qu’ils s’annihilaient ou se compensaient.

Il y a donc lieu à rectification sous ce rapport, non dans la situation financière qui est exactement présentée, mais dans les sommes en bons du trésor indiquées de part et d’autre comme devant rester en circulation ; les bons du trésor émis pour cette destination spéciale doivent rester en dehors et en sus du chiffre de la dette flottante ordinaire.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) (pour une motion d'ordre) - Messieurs, je n’ai pas demandé la parole pour entrer maintenant dans la discussion du projet de loi d’emprunt ; je me réserve de présenter quelques observations sur l’article 1er. Je me suis levé pour donner quelques explications sur les paroles blessantes et le ton amer avec lesquels un honorable député s’est exprimé hier sur le compte d’un magistrat respectable et sur le compte du gouvernement, à l’occasion des conclusions que ce magistrat a prises devant le tribunal de première instance dans une cause où était intéressée la société générale.

Je m’en serais expliqué hier à l’instant, si je n’avais tenu à me bien informer des faits, parce que je désire ne jamais donner à la chambre que des renseignements certains quand j’aurais à lui en donner.

L’honorable M. Meeus vous a dit que le gouvernement avait permis à l’un de ses agents de refuser la protection qui était due à des intérêts nationaux et de les abandonner en faveur d’intérêts étrangers. .. Si ce ne sont pas là tout à fait les expressions dont s’est servi l’honorable M. Meeus, c’est bien au moins leur sens. (Oui ! oui !)

Quant au gouvernement, sa réponse est facile ; le gouvernement n’a pas donné et ne donnera jamais des ordres aux magistrats du ministère public, afin de les forcer à conclure dans tel ou tel sens. Les magistrats du ministère public doivent puiser leurs inspirations dans leur conscience, lorsqu’ils prennent des conclusions devant les tribunaux.

Tels sont les principes que le gouvernement a suivis jusqu’à aujourd’hui, si mes renseignements sont fidèles, et tels sont ceux que je suivrai aussi longtemps que je resterai à la tête du département de la justice, parce que je crois que ce sont les principes les plus conformes et à l’intérêt de la vérité et à l’intérêt bien entendu de la société, parce que je crois qu’en dehors de ces principes, la magistrature du ministère public serait bientôt perdue sous le poids de la déconsidération qui ne manquerait pas de l’atteindre.

Quant à M. le procureur du Roi, je n’ai pas à m’expliquer sur les questions qu’il a traitées, ni sur l’opinion qu’il a émise ; cette opinion est consciencieuse, et j’aime à croire qu’elle est éclairée. M. le procureur du Roi n’a pas encouru le reproche qu’on lui a fait, d’abandonner les intérêts nationaux pour les intérêts étrangers, parce que, devant les tribunaux du pays, il n’y a ni étrangers, ni nationaux, il n’y a que des hommes demandant justice et ayant tous un droit égal à l’obtenir, à quelque pays qu’ils appartiennent.

Ainsi, messieurs, cette distinction qu’on a voulu faire, n’est nullement fondée, et quelle que soit l’opinion qu’a émise M. le procureur du Roi, cette opinion surtout ne peut être attaquée sous le prétexte qu’il y avait des étrangers en présence des nationaux.

Ne pensez pas, du reste, que cette question soit aussi facile qu’on pourrait le croire ; je n’entrerai pas dans des explications à ce sujet, parce que ce serait trop long et que l’objet d’ailleurs est étranger à la loi qui vous occupe. Tout ce que je puis dire, tout ce que je sais, c’est que cette cause présente des questions de droit diplomatique de la plus haute importance ; tout ce que j’en sais encore, c’est que, quelle que soit la décision des tribunaux, soit qu’ils se déclarent compétents, soit qu’ils se déclarent incompétents, les intérêts des nationaux ne seront pas abandonnées parce que si l’incompétence est déclarée, ce sera par le motif que ces intérêts doivent être défendus par la voie diplomatique, et je puis dire que, par cette voie, ils seront défendus avec tout le zèle possible, et que le gouvernement a les moyens de les défendre, d’obtenir un résultat favorable si l’on venait à repousser de justes prétentions.

C’est du reste ce que je ne crois pas, parce que j’ai trop de foi dans les sentiments de justice d’un gouvernement que nous pouvons appeler aujourd’hui un gouvernement ami, et qui deviendra, je l’espère, de plus en plus un gouvernement ami, à mesure que les préventions du passé viendront à s’éteindre.

M. Meeus – Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’inculpe nullement les intentions de l’honorable M. Meeus, je suis persuadé qu’il n’a pas voulu blesser, mais quelles que soient ses intentions, ses paroles et le ton dont il les a prononcées étaient blessants, et j’ai cru de mon devoir de m’en expliquer pour l’honneur de la magistrature que j’aurais toujours à cœur de conserver intact. (Très bien !)

M. Meeus – Loin de moi, messieurs, la pensée de vouloir incriminer de quelque manière que ce soi M. le procureur du Roi ; je sais aussi bien que M. le ministre de la justice combien les opinions sont respectables, combien elles le sont surtout pour ceux qui sont appelés à faire partie de la magistrature ; mais, messieurs, veuillez vous rappeler dans quelles circonstances j’ai parlé de l’opinion que venait d’émettre M. le procureur du Roi.

L’honorable M. Dumortier venait de dire : « Si l’administration de la société générale avait compris ses véritables intérêts, elle aurait à l’instant même payé au gouvernement tout ce que le gouvernement belge exigeait, ; et se serait remise entièrement sous sa tutelle, laissant au gouvernement le soin de défendre ses droits, sa position. »

C’est en répondant à cette opinion de M. Dumortier que j’ai dit : « Comment l’administration de la société générale aurait-elle pu, sans manquer à son mandat, verser des sommes qui, pour elle, sont loin d’être à l’abri de toute contestation, alors qu’en se présentant devant ses juges naturels, elle est sous le poids d’une opinion qui peut la faire échouer dans ses justes réclamations. »

Voilà dans quel ordre d’idées je me suis exprimé. J’ai cité un fait pour prouver que la société générale avait bien fait de reste nantie, parce qu’elle ne savait pas ce qui décideraient les tribunaux et la diplomatie ; puisqu’en continuant à rester nantie, elle pouvait parer à bien des événements. J’ai parlé d’une opinion émise dans une question qui importe non seulement aux intérêts belges ; mais je n’en ai parlé que comme d’un tort. Si, dans mes paroles, il s’est glissé quelque chose de relatif au gouvernement, c’est que je croyais qu’il n’avait pas défendu autant qu’il l’aurait pu les intérêts de la société générale, et par conséquent des intérêts belges ; et c’est ce que je voulais faire entendre en faisant allusion à la levée du séquestre. En effet il était écrit dans un traité antérieur que les séquestres seraient levés dans les deux pays, tandis que dans un traité subséquent on s’est borné à stipuler que le séquestre serait levé en Belgique ; d’où il résulte que les biens de la société générale restent séquestrés en Hollande, tandis que le séquestre est levée en Belgique.

Quelle que soit, messieurs, l’opinion de M. le procureur du Roi, je la respecte, je la crois consciencieuse ; quelles que soient les décisions des tribunaux belges, je suis convaincu que ce seront des décisions consciencieuses ; et je rendrai toujours hommage aux hommes qui suivent les inspirations de leur conscience.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je regrette de prolonger la discussion en prenant la parole sur cet incident ; mais je dois vous donner des explications.

Un honorable préopinant s’est plaint de ce que les dispositions du traité du 15 novembre, relatives au séquestre aient été modifiées dans le traité du 15 avril. Je ne pense pas avoir besoin de présenter, au nom du cabinet actuel, aucune justification de ce chef ; le traité du 15 avril n’est pas l’œuvre du cabinet nouveau. Au reste je ne doute pas que nos honorables prédécesseurs ne puissent le justifier complètement.

Quant au reproche de n’avoir pas pris à cœur, dans les négociations ouvertes pour l’exécution du traité, les intérêts des Belges, et notamment les intérêts de la société générale, je puis dire que l’honorable préopinant est mal informé : les commissions ont été invitées à ne pas perdre de vue ces intérêts, et à s’en occuper.

Il est possible que l’honorable préopinant ait émis cette assertion sous la forme de doute ; quoi qu’il en soit, le gouvernement s’est occupé des intérêts dont il s’agit et continuera à s’en occuper avec la sollicitude qu’ils réclament.

M. Meeus – Je ne pense pas que dans mes paroles j’aie incriminé le cabinet actuel. J’ai cité un fait. Voyez le premier traité, voyez le second : le premier comprend les séquestres dans les deux pays ; dans le second, il n’est parlé que du séquestre belge ; c’est une grande faute que de n’avoir pas maintenu les expressions du premier traité. N’importe de qui provienne la faute, la faute n’en existe pas moins.

Que le gouvernement ait donné des ordres aux commissaires de s’occuper des intérêts belges et de ceux de la société générale, je suis charmé de l’apprendre ; mais jusqu’ici ils n’ont pas été pris véritablement à cœur, en ce sens qu’on n’a pas fait les démarches nécessaires pour les soutenir, puisqu’on n’a fait aucune démarche pour prendre les renseignements convenables. Pour faire réparer les dommages éprouvés par la société générale en Hollande, il faut les connaître.

On a pu émettre des vœux, échanger des phrases en termes généraux ; mais on n’a rien demander de positif, car il fallait, pour cela, des renseignements qu’on n’a pas pris.

M. d’Huart – L’honorable préopinant vient d’imputer au ministère qui a mis à exécution le traité du 19 avril une négligence très grave, qui consisterait à avoir laissé changer, modifier, au grand préjudice des intéressés, la condition concernant les séquestres, rédigées primitivement d’une manière plus conforme à la réciprocité dans le projet de traité du 15 novembre 1831. Je pourrais me dispenser de parler sur ce point puisque je n’ai participé ni à la présentation, ni à l’adoption, ni à l’exécution de ce traité ; mais je remarque que l’ancien ministre des affaires étrangères, que la chose concerne particulièrement et dont j’étais le collègue avant le vote de l’acte dont il s’agit, n’est pas en ce moment présent à la séance, et comme je puis donner une explication sur ce point, je regarde comme un devoir de loyauté de fournir cette explication.

Si ma mémoire est bonne, il n’a été jugé nécessaire de parler de la levée des séquestres établis en Hollande, attendu que les dispositions relatives à cette mesure politique ne s’appliquaient qu’aux domaines de la couronne, et ainsi, dans la réalité, uniquement aux biens de la maison d’Orange, depuis qu’il était sans objet de supputer autre chose, vu que la famille royale belge ne possédait rien en Hollande. En ce qui concerne les individus ou des établissements qui ont des propriétés ou des valeurs quelconques en Hollande (objets sur lesquels les tribunaux hollandais ont dû mettre la main selon les formes ordinaires de la justice), ce sont de simples droits civils, car des séquestres politiques, il ne peut en subsister sur des propriétés ou valeurs d’une telle nature, après la conclusion de la paix.

Que le gouvernement belge au surplus protège du pouvoir efficace qu’il a entre les mains les intérêts des régnicoles, s’il y avait violation du traité ou des lois communes à tous, c’est là un devoir impérieux qui lui incombe, et vous voyez qu’il ne le néglige point d’après ce que vient de vous dire M. le ministre des affaires étrangères ; le cabinet actuel vous déclare être en négociation sérieuse à cet égard et comme il importe de ne rien omettre de ce qui peut justifier les absents, j’ajouterai, d’après ce que j’entends dire au banc ministériel, que le précédent ministre des affaires étrangères avait déjà fait aussi des réclamations instantes près du cabinet de La Haye à ce sujet.

La décision de compétence, à intervenir, des tribunaux en Belgique ne peut porter préjudice à la société générale, attendu que le gouvernement belge est là pour exiger que les règles de la justice soient observées en Hollande envers cette société ; il a des moyens suffisants et immédiats même à sa disposition pour réserver des garanties que justice sera rendue à la société générale si tant est qu’on veuille l’on causer préjudice en Hollande.

Je me plais à croire que M. Meeus s’est trop effrayé relativement à l’affaire très grave, je l’avoue pendante devant les tribunaux belges, et j’espère qu’il reconnaîtra enfin que ses craintes étaient au moins exagérées.

M. Meeus – L’honorable M. d’Huart tranche la question, si ses explications étaient admissibles ; mais, messieurs, d’après le premier traité la levée des séquestres s’appliquait non seulement à la famille d’Orange, mais encore à tout le monde, car les termes de ce traité étaient généraux.

Messieurs, ce sont des valeurs, ce sont des fonds publics, ce sont des écus, et pas seulement des immeubles qui sont séquestrés en Hollande, depuis plusieurs mois. Vous voyez donc que je n’ai pas tort de me plaindre. Si le gouvernement a des moyens coercitifs, comme il vient de l’affirmer, qu’il les emploie dans les intérêts belges, car les intérêts belges dans le fonds social de la société générale représentent, comme je l’ai dit hier, près de 70 millions de francs ; et il me semble que cela vaut bien la peine d’éveiller toute l’attention du gouvernement.

M. le président – La parole est à M. le rapporteur.

M. Milcamps – J’ai demandé la parole, et je puis dire que c’est pour un fait personnel.

M. le président – Vous avez la parole ; mais je vous engage à vous restreindre au fait personnel, car on abuse constamment de ce moyen pour prendre la parole.

M. Milcamps – J’aurais voulu ne pas qualifier de personnel le fait pour lequel j’ai demandé la parole, quoiqu’il le soit, car, comme disait hier un honorable représentant, je n’aime pas à demander la parole pour un fait personnel.

M. le président – Vous demanderez la parole sur les articles.

M. Milcamps – C’est impossible, car ce que j’ai à dire n’a pas rapport aux articles.

M. le président – Vous avez la parole pour un fait personnel.

M. Milcamps – Je ne puis laisser passer sous silence les paroles prononcées dans la séance de lundi par M. le ministre des travaux publics que je regrette de ne pas voir dans cette enceinte, et auxquelles je n’ai pu avoir l’occasion de répondre plus tôt. M. le ministre a dit que, « lorsqu’un représentant ne donne pour tout motif, pour motif absolu de son opposition à une institution nationale qu’une localité qu’il représente, et qui n’en profite pas, il oublie le caractère de représentant dont il est revêtu, tout respectable que soit le sentiment municipal. »

Ces paroles sorties de la bouche d’un ministre ont de la gravité. On suppose qu’un ministre ne prononce que des paroles solennelles, vraies surtout. Et ici, je dois en être d’autant plus surpris, que je représente un district d’une population de 135,000 âmes pour lequel le gouvernement n’a fait absolument rien.

Certes, si le discours que j’ai prononcé n’avait reposé que sur un motif d’intérêt local, je mériterais la censure de M. le ministre, et, je dois le dire, la rougeur me viendrait au front.

M. le président – M. Milcamps, vous voyez que la chambre s’indispose de vous voir sortir du fait personnel.

M. Milcamps – Quand on dit à un membre qu’il a oublié sa qualité de représentant de la nation, c’est bien un fait personnel, je dirai plus, c’est une atteinte à sa prérogative.

M. de Brouckere – C’est le jour même et non après trois jours qu’on répond à un fait personnel.

M. Milcamps – Si on me conteste le droit de parler, je demande que la chambre soit consultée.

M. le président – Parlez, mais ne sortez pas du fait personnel.

M. Milcamps – Je déclare que M. le président s’oppose à ce que je parle.

M. le président – Je ne m’oppose pas du tout à ce que vous parliez.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Demonceau – Je suis fâché de ce qui vient de se passer. La chambre aurait pu entendre M. Milcamps pendant un quart d’heure ; j’aurais parlé ensuite, et la discussion aurait pu être close après, tandis que quand j’aurais été entendu, M. Milcamps réclamera son tour de parole et on aura perdu du temps.

M. le président – M. Milcamps parlera à son tour.

M. Demonceau – Je cède la parole à M. Milcamps.

M. Milcamps – Je disais que ce n’était pas dans un intérêt local que j’avais prononcé mon discours.

Mais, ne sait-on pas que j’ai voté contre la loi qui a décrété le chemin de fer de Gand vers Lille, du Limbourg et de Namur ; et dès lors on ne peut me supposer l’intention d’avoir eu des vues de clocher.

La loi a été votée. Ai-je, dans mon discours, attaqué la loi ? Evidemment non. J’ai attaqué la manière d’exécuter la loi. J’ai dit que le gouvernement avait conçu le projet de diriger le chemin de fer de Namur à Tubize par Vieux-Ville et Nivelles ; que ce projet, comme celui de Charleroy à Tubize par Nivelles, avait reçu l’assentiment des conseils provinciaux du Hainaut et du Brabant, que le gouvernement l’avait opposé à Tirlemont, que c’était par ce moyen qu’il avait vaincu Tirlemont. Depuis, M. le ministre a changé cette direction de Namur à Tubize, il va changer maintenant celle de Charleroy à Tubize. Je me suis plaint et je me plains de ces changements. J’accorde que le ministre peut répondre que sur les réclamations de quelques localités, déjà richement dotées, il a jugé ces changements utiles, qu’il en a le droit ou que tel est son plaisir. Mais ai-je oui ou non, en ma qualité de représentant, et il s’agit ici d’une prérogative de membre de la chambre, le droit de contester l’utilité du changement, de soutenir que ni la loi, ni l’intérêt général, ni celui du trésor ne contraignaient M. le ministre à le faire ? Le droit de me plaindre que ce changement enlève à mon district les avantages de ses routes et notamment de celles que la ville de Nivelles a fait construire à ses frais et pour lesquelles elle a emprunté plus de deux millions, qui l’isole, le dépouille, le met en dehors de la nation ? Ai-je, oui ou non, le droit de déplorer cette prédilection pour certaines localités au préjudice des autres, de rappeler que l’on enlève au district de Nivelles ses avantages, pour favoriser celui de Charleroy déjà doté de la Sambre canalisée, qui a coûté 14 millions, du canal de Charleroy à Bruxelles, qui en a coûté 12, et pour lequel l’Etat va encore faire une dépense de 14 à 13 millions. Tel est cependant la substance de mon discours.

Mais, dit-on, je m’oppose à une institution nationale. Je refuse les fonds nécessaires pour l’achèvement des chemins de fer. J’en demande pardon à M. le ministre, je ne reconnais pas au chemin de fer de Namur le caractère d’institution nationale, il importe peu à la nation que le chemin de Namur aboutisse à Braine-le-Comte ou à Tubize. Je ne suis pas opposant aux chemins de fer pour qui j’ai voté ses grandes lignes, mais je l’avoue, dans les circonstances difficiles où nous sommes, j’aurais désiré que n’exécutât pas simultanément et rapidement tous ces chemins, afin d’éviter cet énorme emprunt qui, dans mon opinion et quoi qu’on en dise, exercera sur notre crédit et notre industrie une influence funeste.

M. Demonceau, rapporteur – Messieurs, la position du rapporteur de la section centrale est devenue plus difficile depuis la discussion. Lors du rapport de la section centrale, il avait cru de son devoir d’indiquer au gouvernement les erreurs que le gouvernement lui-même a depuis reconnues. Si donc des erreurs ont exigé un supplément d’instruction, ce n’est pas le fait du rapport de la section centrale , c’est au contraire lui qui les a indiquées. Je n’entends pas toutefois dire que ces erreurs sont le résultat d’un défaut de précaution. Tous nous pouvons commettre des erreurs, mais il est de mon devoir de le dire, il n’y en a pas eu de la part de la section centrale ; elle a procédé d’après les documents qui lui avaient été transmis ; d’après ces documents il fallait, pour opérer l’achèvement complet du chemin de fer 66 millions 40 mille francs. Depuis il a été reconnu non seulement qu’il fallait 66 millions, mais que, pour arriver à un chiffre exact, il fallait 69,666,000 francs à peu près.

Voici, messieurs, comment nous avons été amené à reconnaître cette erreur. Si vous voulez consulter les documents annexés à mon rapport, première partie des annexes, vous trouverez à chaque tableau, première colonne ; « dépenses à couvrir. » On avait supposé que c’était des dépenses à payer. Ce n’étaient pas des dépenses à payer, mais des travaux à exécuter. Les dépenses à payer au 31 décembre étaient réellement de 3 millions 500 et quelques mille francs en sus de ce qu’on avait supposé d’abord. Je vous engage maintenant à voir le tableau de la deuxième partie des annexes du rapport de la section centrale, annexe H, vous y trouverez que la dépense totale du chemin de fer s’élèvera à 125,664,748 francs 47 centimes. Et si vous faites distraction des sommes qui ont été mises à la disposition du gouvernement au 31 décembre 1839, vous verrez qu’il faut pour parfaire la somme que je viens de vous indiquer, soit 69 millions 600 et des mille francs.

Je vais vous donner le calcul exact de ce que je crois avoir reconnu et je prierai le ministère de vouloir le vérifier. Il faut :

1° 12,000,000 pour éteindre les bons du trésor ;

2° 3,349,600 pour l’achat des 4 millions actions du chemin de fer rhénan ;

3° 3,945,866 31 pour complément des 8 millions accordés pour les routes pavées ;

4° 57,666,551 65 pour parachèvement du chemin de fer.

Soit 76,962,017 96 en total.

Il a été pris sur les 12 millions de bons du trésor une somme de 193,356 francs 38 centimes pour être affectée au crédit ouvert pour la construction de routes. Comme les 12 millions sont considérés comme ayant été affectés exclusivement aux travaux du chemin de fer, il faudra reporter cette somme de 193,356 francs à la somme que l’on demande pour couvrir le crédit destiné à payer les dépenses ordonnées pour construction de routes.

Ainsi, messieurs, si vous ne faites attention à aucun des calculs qui ont été faits relativement aux insuffisances de ressources indiquées par l’honorable ministre des finances, vous trouverez que pour suivre l’idée émise par un honorable collègue, M. d’Huart,, qui voudrait distinguer tout ce qui concerne le chemin de fer et les sommes employées d’une manière reproductive, pour parfaire il faudrait fixer l’emprunt à une somme de 76,962,017 francs, soit environ 77 millions.

Si vous ajoutiez à cette somme celle que la section centrale propose comme devant être employée à éteindre jusqu’à due concurrence des bons du trésor, vous auriez en sus une somme de 5 millions, ce qui ferait 82 millions environ. Je pose des chiffres ronds, parce que je n’ai pas les pièces en main.

La section centrale propose de voter pour le chemin de fer 40 millions. Il y aurait donc en définitive, dans l’opinion de la section centrale, une véritable insuffisance de 17 millions environ pour parfaire les travaux du chemin de fer. Mais, ainsi que je l’ai dit dans une séance précédente, de même que dans le rapport de la section centrale, il n’entre en aucune manière dans la pensée de la section centrale de borner le gouvernement dans la dépense qu’il doit faire.

La section centrale vous dit : Nous ne voulons mettre que 40 millions à votre disposition. Mais activez les travaux le plus possible, ; achevez ce qui est en construction, perfectionnez ce qui est en exploitation ; enfin administrez comme vous le trouvez bon. Si la somme allouée ne vous suffit pas, nous ne voulons en aucune manière vous entraver dans votre administration. Vous viendrez à la chambre ; vous proposerez une loi pour obtenir soit la vente d’une partie de nos domaines soit l’autorisation de disposer de l’encaisse de la société générale ou du montant des redevances dues par cette société.

J’ai été étonné d’entendre un honorable collègue de la section centrale révoquer en doute si le gouvernement pourrait, avec le crédit que nous lui allouons, proposer et adjuger des travaux pour une somme supérieure à ces 40 millions il doit se souvenir, l’honorable collègue, qu’étant à la tête du ministère des travaux publics et n’ayant pour ainsi dire rien à sa disposition, il a adjugé des travaux pour plus de 20 millions. La section centrale ne lui en fait aucun reproche. Il avait des lois qui autorisaient la dépense. C’était en exécution de ces lois qu’il faisait ces adjudications. Nous n’avons pas cru qu’en cela l’ancien ministre des travaux publics ait excédé les pouvoirs qu’il tenait de la loi. Vous voyez que, dans mon opinion, le ministre des travaux publics peut adjuger des travaux pour une somme supérieure à celle qu’il a à sa disposition, parce que dès que la loi existe, dès qu’elle n’est pas révoquée, il me semble que le gouvernement a le droit d’en poursuivre l’exécution.

La section centrale a été amenée à ne vous proposer d’allouer que 40 millions, par cette raison que M. le ministre des finances, d’accord avec M. le ministre des travaux publics, lui a annoncé nous avoir communiqué la lettre du 16 avril 1840, annexée au rapport, et suivie de la lettre de l’inspecteur général de l’administration des ponts et chaussées ; nous avons reconnu que 12 millions environ ne seraient dépensés qu’en 1842, que 6 millions à peu près ne devraient être dépensés qu’après l’entier achèvement du chemin de fer ; en effet, 5 à 6 millions sont portés comme nécessaires pour acquérir le matériel indispensable pour la mise en exploitation de tous les chemins de fer décrétés par les lois. Vous sentez qu’il n’est pas urgent de donner les sommes qui doivent être affectées au matériel aussi longtemps que les routes ne sont pas construites. Vous voyez donc que, pendant 1840 et 1841, le ministère des travaux publics aura à sa disposition toutes des sommes que lui-même a reconnues nécessaires pendant ces années.

Nous avons parlé de la vente d’une partie de nos forêts. Quelques-uns de nos collègues ont cru que nous avions tranché la question ; ils se sont trompés, : nous avons indiqué le moyen, la ressource ; mais nous n’avons pas dit qu’il n’existait pas en Belgique des bois qui doivent être conservés. Du reste, la question d’intérêt général pourra certainement être examinée, lorsque cette loi sera proposée. Mais quant à ce qui concerne le Luxembourg, la question d’utilité générale a été tranchée par des honorables députés du Luxembourg. Il est vrai cependant que les honorables membres auteurs de la proposition, tout en reconnaissant qu’il pourrait être de l’intérêt général de vendre les forêts du Luxembourg, y ont mis une condition, et cette condition la voici : que le gouvernement emploierait tout ou partie du produit de la vente de ces forêts à faire des constructions dans le Luxembourg.

On a demandé un projet de loi. Il y a un projet de loi présenté à la chambre des représentants. Je vais avoir l’honneur de vous en donner lecture ; il porte :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à aliéner les forêts domaniales dans la province de Luxembourg.

« Art. 2. Les fonds provenant de la vente de ces forêts seront spécialement affectés à l’achèvement du canal de Meuse et Moselle, et au rachat des travaux déjà exécutés par la société qui en avait obtenu la concession.

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à contracter un emprunt égal au capital du prix des forêts aliénés.

« Art. 4. Cet emprunt sera amorti successivement au moyen des termes de payements effectués sur les ventes faites en vertu de l’article premier. »

Ce projet de loi a été présenté en 1836, par nos honorables collègues MM. d’Hoffschmidt (aîné) et Berger. De sorte qu’en 1836 les députés du Luxembourg ont cru qu’on pouvait vendre, dans l’intérêt du Luxembourg, les forêts de cette province. En 1840 on considère comme d’un intérêt très important pour le Luxembourg qu’on ne vende pas ces forêts. Je vous avoue moi-même, je suis fort embarrassé de savoir qui a raison de ceux qui ont proposé la loi ou de ceux qui ont fait les observations dont je viens de parler.

Je ne parlerai donc plus de la ressource que nous pouvons trouver dans la vente de nos forêts. La section centrale l’a indiquée ; elle n’a pas voulu trancher la question.

Je passe maintenant à une autre espèce de ressources que nous avons indiquées, en passant, comme étant à la disposition du gouvernement. Je parlerai d’abord de l’encaisse dû par la société générale. Dans la séance d’hier, un honorable collègue, qui est plus que moi à même de pouvoir donner des renseignements sur ce point s’est exprimé à peu près en ces termes :

« L’encaisse n’est pas une ressource. Tout est fini quant à l’encaisse ; je n’ai pas compris comment certains orateurs se sont donné tant de peine pour bâtir une argumentation sur ce malheureux encaisse. Tout en fini, l’encaisse est converti en fonds nationaux.

« Le gouvernement, en définitive, a obtenu tout ce qu’il pouvait obtenir ; l’encaisse n’est pas une ressource. »

Je répète l’expression ; ce malheureux encaisse nous a déjà fait parler beaucoup ; et nous ne savons encore à quoi nous en tenir. Tout est fini, dit notre honorable collègue. Je n’ai pas l’habitude de parler de choses que je ne connais pas. Mais pour moi rien n’est fini.

Vous avez sans doute présent à la mémoire le rapport qui vous a été fait dans le temps par notre honorable président. Permettez-moi de vous citer une partie du résumé de ce rapport, et vous verrez qu’elle a été l’opinion de ceux qui ont examiné cette question. Je me borne à lire les conclusions, pour abréger :

« En résumé :

« Le chiffre du solde du compte du caissier général du royaume des Pays-Bas, dans la transaction du 8 novembre 1833, à la somme de florins des Pays-Bas : 12,990,437 25, paraît devoir être augmenté de 1,316,206 florins 11. Ensemble : 14,306,643 florins 34. (Il est à observer que, dans cette somme, il se trouvait des fonds appartenant à des provinces qui en ont été distraites pour être remis aux premiers créanciers)

« C’est à la cour des comptes qu’il appartient de liquider ce compte, et d’en régler définitivement le solde.

« Le gouvernement belge a droit et qualité pour en disposer actuellement et en totalité.

« La société général n’est fondée ni à en refuser, ni à en différer le payement, ni à exiger des garanties pour se libérer. Les moyens efficaces pour la contraindre au payement ne manquent pas au gouvernement.

« La transaction du 8 novembre 1833 ne peut faire obstacle à l’exercice de ces moyens.

« Cette transaction grève l’Etat, et ne le lie pas aux stipulation onéreuses qu’elle renferme. Elle n’a pas été et ne doit pas être sanctionnée par la chambre. »

Voilà, messieurs, ce que disait la commission qui avait été chargée d’examiner cette question. Eh bien messieurs, hier j’ai appris que tout était fini. Le gouvernement voudra bien nous dire comme tout est fini, où sont les fonds dont il s’agit et si nous pouvons en disposer ? Si le gouvernement dit qu’il ne peut en disposer, je rayerai cette somme du chiffre des ressources qui sont à notre disposition, mais aussi longtemps que je n’aurai pas une réponse positive à cet égard, malgré la grande confiance que j’ai dans le dire de notre honorable collègue qui s’est exprimé de la sorte, dans la séance d’hier, je ne puis pas croire que nous devions rayer le chiffre dont il s’agit du montant des sommes qui sont à notre disposition.

Nous avons parlé ensuite de redevances qui nous sont dues par la société générale. Ces redevances comme vous le savez, messieurs, sont de deux catégories, 500 mille florins étaient dus à la liste civile, 500,000 florins étaient dus à la caisse d’amortissement, autrement dit le syndicat ; depuis 1830 la société générale ne vous a rien payé de ce chef ; je veux bien croire qu’elle ait des prétentions à faire valoir, mais je le répète, nous n’avons rien reçu de ce chef depuis 1830. Une convention avait été souscrite entre le ministère précédent et la société générale, il s’agissait d’obtenir, en échange de ce qui nous est dû par la société générale, une partie de la forêt de Soignes ; cette transaction fut soumise à la législature, et la même commission qui avait examiné la question de l’encaisse fut réunie à la section centrale pour examiner cette nouvelle transaction ; il résulta des documents qui furent transmis dans cette commission que les domaines dont la société générale est en possession et qui sont situés en Hollande, donnent un revenu de 335,535 florins 70 cents. Dans la proposition qui vous a été faite le 8 novembre 1837, nous consentions, messieurs, au nom de la section centrale, réunie à la commission, à faire provisoirement déduction de cette somme à la société générale, mais nous demandions le paiement en numéraire.

Cette proposition est encore restée sans résultat. Les événements ont changé depuis, mais ce que j’ai entendu hier et ce que j’ai entendu aujourd’hui, ne peut selon moi causer aucune espèce de préjudice au trésor de Belgique. Je suis vraiment affligé pour la société générale que le royaume des Pays-Bas lui refuse depuis 1830 la jouissance des biens qu’elle possède en Hollande. Quelle différence de la part du gouvernement belge ! La même société possède, sans entrave aucune de la part de la Belgique, tous les bois qui lui ont été cédés pour former le fonds social, autrement dit la garantie du foncier de la société. La Belgique, messieurs, se conduit, à l’égard de la société générale, avec la plus grande loyauté ; on n’élève aucun doute, du moins le gouvernement n’élève aucun doute, que je sache, sur la propriété qui a été acquise à la société générale.

La Hollande, au contraire, à ce que dit la société générale (et son dire paraît se confirmer), la Hollande s’est emparée de tous les domaines qui faisaient partie de la même dotation ; elle conteste, dit-on, soit la propriété, soit la jouissance de ces domaines.

Jusqu’à présent, messieurs, j’avais cru que c’était un simple séquestre qui était mis sur les propriétés de la société générale situées en Hollande, et je pensais qu’aussitôt la paix conclue, ce séquestre serait levé ; mais j’en appelle à l’honorable collègue auquel je réponds en ce moment, n’est-ce pas, de la part du gouvernement des Pays-Bas, la plus flagrante injustice, que de refuser à la société générale la propriété des biens qui lui sont légalement acquis ? Que le royaume des Pays-Bas réclame de la société générale une partie des redevances qu’elle s’est engagée à payer à l’Etat, je le conçois, mais que le royaume des Pays-Bas veuille s’emparer des propriétés de la société générale, c’est ce dont je ne puis me rendre compte. La question, ai-je appris hier, a été portée devant les tribunaux ; je pense, messieurs, que la société générale trouvera en Hollande des juges qui lui rendront justice ; je pense que les entraves qu’elle éprouve ne seront que momentanées, mais je déplore, pour la société, qu’elle n’ait pas fait ce que proposait la section centrale. Pourquoi la société générale ne payait-elle pas au gouvernement belge ? De cette manière, elle aurait pu l’appeler en cause ; mais elle a cru préférable de garder tout devers elle, et lorsque le gouvernement belge l’a appelée en justice, elle a résisté ; pourquoi donc le gouvernement belge ne ferait-il pas valoir ses droits ?

Et puis, messieurs, a-t-on fait attention à la véritable question qui se présente aujourd’hui devant les tribunaux ? J’ai vu avec beaucoup de plaisir M. le ministre de la justice revendiquer ici le droits de la magistrature ; les magistrats organes du ministère public sont les organes de la loi. Si, dans l’opinion du ministère public nos tribunaux ne sont pas compétents pour juger la contestation et si les magistrats ont cette conviction on ne doit pas leur faire un crime de s’être prononcés dans ce sens. Quant à moi, messieurs, je vous avoue que, comme magistrat, je me crois aussi indépendant en dehors de cette enceinte, lorsque je siège en ma qualité de magistrat, que lorsque je siège ici comme représentant.

Je le répète donc, messieurs, si quelque a perdu beaucoup à la résistance de la société générale, si la société générale éprouve aujourd’hui des désagréments graves, c’est peut-être parce qu’elle a eu trop peu de confiance dans le gouvernement belge.

Je passe maintenant à une autre partie de la discussion.

Le gouvernement, messieurs, a adhéré à une partie des propositions de la section centrale. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne l’amortissement, le gouvernement a reconnu que la section centrale avait bien fait de prononcer qu’à l’avenir le gouvernement fût seul, chargé d’opérer l’amortissement. Je n’ai donc pas à justifier plus longuement cette partie du rapport, puisque sur ce point nous sommes d’accord avec le gouvernement. Quand nous disons que le gouvernement doit opérer l’amortissement, nous n’entendons pas par là que l’amortissement doive se faire à Bruxelles ; nous voulons seulement qu’il soit opéré par le gouvernement et au mieux des intérêts du pays.

Il est une autre question, messieurs, qui nous divise ; c’est celle de la publicité et de la concurrence ; celle-ci est une question grave ; nous avons eu soin de nous en expliquer catégoriquement ; M. le ministre des finances nous a donné ses raisons ; mais nous n’avons pas pu nous y soumettre. Qu’on ne croie pas cependant que ce soit de la part de la section centrale un manque de confiance.

Non, c’est une question de principe que nous défendons ici, c’est une question qui est de l'essence de tout gouvernement représentatif. Nous voulons la publicité, nous voulons autant que possible la concurrence. Mais c’est dans la loi immuable par sa nature que nous trouvons la garantie de la bonté des conditions, il importe de défendre les administrations contre les chances de la faiblesse ou de l’erreur. Toutefois, nous n’entendons que cette publicité, que cette concurrence soient telles qu’il y ait entrave pour le gouvernement ; à lui l’exécution la plus large et la plus avantageuse que possible pour l’Etat.

M. le ministre des finances s’est exprimé en ces termes :

« Je ne combats nullement le principe de la concurrence et de la publicité ni même la possibilité ou la probabilité de son application, mais je regarde seulement comme dangereux et imprudent d’imposer exclusivement ce mode par la loi. »

A propos de ce mot « imposer », j’ai entendu avec un peu de surprise qu’on disait que la section centrale « imposait »… (Dénégation.) Certains membres ont dit que nous « imposions », et comme je prends les mots dans leur véritable acception, je dis que nous ne nous faisons que « proposer » un mode d’emprunt mis en avant dans grand nombre de sections, exécuté ailleurs avec succès et profit pour le trésor.

Ainsi messieurs, M. le ministre des finances admet le principe, il reconnaît la possibilité de l’exécution du système, et quand il s’agit d’en tenter seulement l’application, M. le ministre des finances n’en veut plus. Je ne sais s’il est facile de concilier la reconnaissance d’un principe dont on admet l’application comme possible et probable, avec le refus formel d’en tenter l’application.

D’après M. le ministre des finances, la concurrence et la publicité, c’est forcément la soumission cachetée avec l’adjudication instantanée.

Tachons de nous expliquer pour voir si nous nous comprendrons bien.

La proposition que vous fait la section centrale, entendue comme l’entend M. le ministre des finances est, selon moi, celle qui présente le plus de garanties.

Mais je crois avoir souvent prouvé que je n’étais pas exclusif ; je ne tiens pas d’une manière absolue à mes opinions, je sais les modifier selon les circonstances. Il y a, ainsi que l’a reconnu M. le ministre des travaux publics, plusieurs moyens d’appeler la concurrence par la voie de la publicité sans pour cela avoir besoin de recourir nécessairement à l’adjudication instantanée.

Qu’elle veuille donc indiquer un moyen qui paraisse praticable ; que ceux qui craignent que le système présenté par la section centrale ne soit dangereux veuillent bien en proposer un autre, peut-être alors pourrais-je donner mon assentiment à toute autre réduction. Mais de grâce ne nous dites pas qu’il y a publicité, parce que toute l’Europe sait que nous votons une loi d’emprunt ; ne nous dites pas qu’il y a concurrence par cela seul que M. le ministre des finances, enfermé dans un cabinet, daigne entendre ceux qui voudront bien lui faire des offres. C’est là traiter de la main à la main, ce n’est pas traiter par voie de concurrence.

Un honorable collègue nous a dit que, lors de l’émission du dernier emprunt, il avait fait toutes les démarches possibles pour obtenir les conditions les plus avantageuses. Il m’a même assuré qu’une personne avait été envoyée exprès à Londres. Cet agent allait donc chercher la concurrence. Mais en se présentant chez un financier, vous comprenez facilement que ce financier consulte d’abord ses intérêts ; il demande à celui qui se présente : avez-vous qualité suffisante pour pouvoir traiter avec moi ? Quelles sont vos offres ? A quel taux voulez-vous emprunter ? Pouvez-vous me dire que, si je donne une réponse affirmative aux demandes que vous allez me faire, j’aurai l’emprunt ? Sinon, je pourrai croire que vous ne venez dans mon comptoir que pour en sortir et entrer dans le comptoir de mon voisin, et pour dire à celui-ci que telle offre ou tel prix ont été fixés par moi, et lui demander peut-être s’il ne peut faire à moins.

Ce n’est pas ainsi que, dans les opérations de ce genre, il faut chercher la concurrence à l’étranger, il faut l’appeler chez vous.

Du reste, cette question de concurrence et de publicité n’est pas neuve ; déjà, en 1818 , elle a été longuement discutée devant la chambre des députés de France ; et si vous voulez me permettre de vous donner lecture d’une partie du travail du rapporteur qui fut chargé de soutenir la proposition, vous vous assurerez, messieurs, que le gouvernement français, sans l’envisager comme acte de défiance, ne la considérait ni comme impossible, ni comme inexécutable.

Voici comment s’exprimait le rapporteur de la commission de finances de 1818 :

« D’accord avec le gouvernement sur le principe de la mesure, nous différons sur la forme ; le ministre avait demandé d’être autorisé à faire inscrire jusqu’à concurrence de 16 millions de rentes pour des emprunts ou négociations dont le produit est applicable au service de 1818.

« La commission propose de substituer à l’expression « faire inscrire » jusqu’à concurrence de 16 millions, celle d’ « ouvrir des emprunts » jusqu’à concurrence de 16 millions. En se servant de l’expression « ouvrir un emprunt », la commission a voulu appeler l’idée de la concurrence, si utile, en cette sorte de matière ; elle a espéré que le ministre, de son côté, saisirait tous les moyens d’exciter cette concurrence, et elle veut en laisser le choix à sa sagesse.

« Les larges profits dont je viens de parler auront du moins le mérite d’attirer des concurrents ; les capitaux français enhardis, n’auront plus besoin, pour se produire, d’assistance étrangère, et le concours sur le marché des fonds de tous les pays doit exercer sur le prix de notre rente une utile influence.

« A cette époque, la France avait dû aussi payer très largement, trop largement, les financiers qui lui avaient prêté la main, elle avait aussi à donner et ces commissions et ces frais extraordinaires que vous avez vus reproduits encore à propos de notre dernier emprunt.

« Quels furent ceux qui appuyèrent le plus fortement la proposition de la commission ? C’était d’abord l’illustre Casimir Perier, dont on a parlé dans la séance précédente, c’était ensuite Lafite, de Chauvelin, de Villèle, et beaucoup d’autres notabilités financières parmi lesquelles se trouvaient le comte Roy : comment s’exprimait le ministre des finances du roi Louis XVIII ? Voici ses paroles :

« Je sais qu’en Angleterre on a adopté l’usage des souscriptions cachetées, cela est très connu ; on livre ainsi la totalité de l’emprunt à une compagnie préférée, mais on ne peut voir alors autre chose que le monopole d’une seule compagnie, et l’intention possible du roi (je puis ici nommer Sa Majesté) est de faire participer tous les Français à l’emprunt.

« Cela posé, je raisonne ici par hypothèse, et je dis : Je suppose qu’en ce moment le gouvernement soit sûr de son emprunts à des conditions raisonnables dans les intérêts de l’Etat, qu’il faut servir, et des prêteurs, qu’il faut ménager ; je suppose que l’emprunt soit déterminé à tel taux, à telles époques, et qu’on dise à tous les Français :

« Ceux qui feront des soumissions aux conditions du traité seront admis à la participation d’emprunt ; n’y a-t-il pas là la concurrence véritable que vous pourrez désirer ? Ou les capitalistes voudront, et alors ils seront reçus, ou ils ne voudront pas et alors l’emprunt se fait par ceux-là seuls qui ont traité, et l’emprunt d’un côté et la concurrence de l’autre, seront également garantis. Je vois là une concurrence réelle. Ainsi il est bon de s’entendre sur ce que peut-être la concurrence, le monopole doit être exclu et des conditions préalables doivent être déterminées, et tous les capitalistes doivent être appelés à y participer. »

Voilà comment s’exprimait le ministre des finances de France.

Que disaient ceux qui appuyaient le ministère dans cette circonstance ?

« Il ne suffit pas, disaient quelques-uns, de se servir des expressions « ouvrir un emprunt », il faut dire dans la loi qu’il y aura concurrence et publicité. » D’autres répondirent : « Il faut régler par les lois tout ce qui est susceptible, et se confier pour le reste à l’administration. La commission propose d’autoriser le ministre à ouvrir des emprunts, cette expression comporte la nécessité de la concurrence, car ce ne serait pas ouvrir un emprunt que d’en traiter dans le cabinet du ministre avec quelque compagnie financière ; nous avons tout ce que nous désirons : l’annonce de l’emprunt, l’obligation de concurrence ; je ferai en sorte, disait le ministre, d’avoir les conditions les meilleurs possibles ; quand je les aurais, j’admettrai à y participer tous ceux qui le voudront. La concurrence n’était peut-être pas possible l’année dernière, elle le sera cette année, n’en doutez pas. »

La proposition de la commission fut convertie en loi, et bientôt parut l’arrêté auquel nous vous avons prié de recourir ; voyez la note qui se trouve au rapport.

Ainsi, vous voyez que les Français ne pensaient pas qu’il y ait concurrence quand on traite dans le cabinet du ministre. Plus tard, et surtout sous le ministère de Villèle, en 1823, le système de la soumission cachetée et de l’adjudication instantanée fut introduit en France, comme le mode présentant le plus de garantie. J’ai consulté tous les documents que j’ai pu recueillir. Depuis 1818 il y a eu en France beaucoup d’emprunts et chaque fois ces emprunts ont été mis en circulation moyennant tel ou tel mode de concurrence, mais toujours on fit appel à la concurrence, et à la concurrence réelle.

Après vous avoir parlé de ce qui a été suivi en France, en fait de concurrence, je rentre au sein de cette chambre et je trouve un rapport de la section centrale, portant la date du 31 janvier 1833. Alors, messieurs, deux de nos honorables collègues qui sont aujourd’hui aux affaires étaient au ministère. Le ministère des finances était, je pense, occupé par notre respectable collègue M. Duvivier, il proposait un emprunt avec concurrence et publicité.

Ecoutez, messieurs, comment s’exprime la section centrale :

« M. le ministre des finances a demandé que la négociation de l'emprunt ait lieu avec concurrence et publicité. Sur cette question, il y a eu partage à la section centrale.

« Les opposants au mode proposé, tout en reconnaissant qu’il est plus conforme à l’essence du gouvernement représentatif et aux usages des pays qui nous ont précédés dans la carrière, ont motivé leur opinion sur des inconvénients qui, selon eux, peuvent résulter de son introduction chez nous, à cause des circonstances particulières où nous nous trouverions encore ; l’emprunt, par son importance, réduit nécessairement le nombre des concurrents dans des bornes assez étroites, et c’est en s’appuyant sur cette circonstance, qu’ils se sont prononcés en faveur des négociations secrètes, par la crainte de la formation d’une coalition entre les banquiers rivaux, pour obtenir l’opération à un taux plus onéreux à l’Etat.

« Ceux qui se sont rangés à l’opinion du ministère, ont allégué que les fonds de la Belgique se trouvant cotés sur toutes les bourses, on a dans cette cote une règle d’appréciation et une base d’opérations, que le véritable remède contre la coalition est dans la publicité, qui provoque la concurrence, bien loin de favoriser l’accaparement et les brigues ; qu’à l’époque actuelle, caractérisée par un esprit de confiance porté peut-être jusqu’à l’extrême, les gouvernements ne trouvent de refuge contre les soupçons que dans la publicité de leurs opérations, ; que cela est surtout applicable à une opération d’une importance pécuniaire aussi considérable que celle dont il s’agit ici ; qu’enfin, les marchés de plusieurs millions conclus sous le manteau de la cheminée, ne sont propres qu’à favoriser la brigue, qu’à faciliter l’intrigue, qu’à donner naissance à la corruption, et qu’à la faire supposer, pour souiller et flétrir les réputations les plus honorables.

« Il peut être sage, disait Camille Jordan, dans une occurrence analogue, de s’affranchir au début, d’une concurrence positive et publique, quand le crédit naissait à peine, quand la concurrence n’eût été peut-être que celle de l’effroi, quand il importait peut-être aussi de rattacher par ces emprunts, des étrangers à nos intérêts. Mais actuellement le crédit étant fondé, les capitalistes étrangers et nationaux se présentent à l’envi, tout permet cette concurrence, tout l’appelle.

« Cette question étant restée indécise à la section centrale, on est cependant convenu d’insérer la proposition du gouvernement dans le projet, dont elle forme le troisième article. »

En définitive, le projet de loi tel qu’il fut proposé était ainsi conçu :

« La négociation aura lieu avec concurrence et publicité. »

Ce rapport est signé d’Elhoungne, rapporteur, et Raikem, président.

Voulez-vous savoir maintenant, comment les financiers entendent leurs intérêts, quand il s’agit d’appeler la concurrence. Vous savez tous qu’une ville à laquelle nous devons tous porter intérêt, mettant en application la théorie professée par M. Metz, que plus on emprunte, plus on s’enrichit, a fini par emprunter tant qu’elle n’a plus pour payer. J’entends parler de la ville de Bruxelles. La capitale de la Belgique a été réduite à souscrire un emprunt avec deux associations financières puissantes.

En 1835, elle a contracté de la main à la main un emprunt de 4 millions, avec la maison Rothschild et la société générale pour favoriser l’industrie nationale. Lorsque ces financiers furent en possession de l'emprunt, à quels moyens eurent-ils recours pour placer les actions dont ils étaient possesseurs ? A la publicité et à un mode de concurrence.

Je dis un mode, parce que ce n’était pas celui des commissions cachetées, car ils avaient fixé le prix auquel il céderaient les actions qu’ils avaient sur la ville de Bruxelles. Je tiens une petite brochure où je trouve comment la société générale annonçait cette souscription au public :

Voici comment ils firent appel à la concurrence :

« La société générale et MM de Rothschild frères, accepteront au cours de 87 p.c., et jusqu’a concurrence de trois millions, les souscriptions qui auront lieu le dix de ce mois, de 10 heures du matin, à 4 heures de relevée.

« Bruxelles, le 4 juillet 1833.

« Le gouverneur, etc.

« Signé Ferd. Meeus. »

Vous voyez, messieurs, que voilà un mode de publicité et un appel à la concurrence, mais à une concurrence imparfaite.

Qu’a fait notre gouvernement quand il ouvrir la souscription de l’emprunt de 30 millions ? Il usa à peu près des mêmes moyens ; et hier, messieurs, j’ai entendu dire que l’emprunt 4 p.c. avait fait son temps. Je le conçois, il avait donné trop peu de profit aux financiers pour qu’ils le prissent sous leur protection. Un emprunt de 4 p.c. négocié, comme l’a fait l’honorable M. d’Huart, était un emprunt de placement et non un emprunt de spéculation. Ce qu’il y a de certain, c’est que pour 30 millions reconnus en capital, nous en avons obtenu 27, et pour les 50 millions de l’emprunt contracté avec la maison Rothschild nous n’avons reçu que 35 millions. Vous le concevez facilement.

L’emprunt de 3 p.c., je n’en conteste ni l’avantage ni l’utilité ; il peut être avantageux, mais j’en appelle à messieurs les financiers, pensent-ils que, dans l’intérêt du trésor, il soit prudent d’émettre un emprunt 3 p.c., alors qu’on s’oblige à affecter au remboursement de l’emprunt 1 p.c. annuellement ; si l’emprunt 3 p.c . négocié à 70 ou 72 pouvait ne pas être exigé en remboursement, ainsi que nous l’établissons dans le projet, je concevrais qu’il y aurait avantage, parce que nous n’aurions pas besoin de faire de rachats à des temps données, à des conditions onéreuses.

Mais pensez-vous qu’avec un remboursement obligatoire dans la loi il convienne de faire un emprunt à 3 p.c. Je vous prie d’y réfléchir, vous pouvez racheter à grand avantage pendant un grand nombre d’années. Mais quand la valeur de votre emprunt commencera à être plus rare, le remboursement étant toujours obligatoire, on pourrait bien porter votre 3 p.c. au pair. D’ailleurs l’emprunt 3 p.c. comme emprunt de spéculation peut-être avantageux. C’est à la Belgique à savoir si elle veut faire des emprunts pour servir de spéculation ou des emprunts de placement.

L’emprunt 3 p.c. a un désavantage, selon moi, c’est qu’il n’est pas conversible. J’entends qu’on a l’espoir de convertir les emprunts ; naguère on disait qu’il serait peut-être de l’intérêt de la Belgique de convertir l’emprunt 5 p.c. et on pensait même que l’encaisse de la société générale suffirait pour la conversion. Je ne sais si je me fais illusion ; mais je ne crois pas qu’on puisse convertir sans avoir recours à un autre emprunt. Avant de le faire, il faudrait calculer l’avantage que nous pourrions retirer de l’opération.

Je crois avoir prouvé que la concurrence et la publicité sont avantageuses à ceux qui y ont recours. Elles sont d’autant plus nécessaires à la Belgique, que, soit à tort, soit à raison, dans le monde financier, on est généralement d’avis qu’il n’y a pas possibilité pour la Belgique de traiter d’un emprunt sans concurrence ni publicité, sans passer dans les mains d’une société, sous la protection de laquelle nous nous sommes trouvés dans des temps difficiles. Le patronage nous a été utile, et il peut encore nous être très utile, mais à une condition, à la condition que pour l’avenir, nous ne la payerons pas aussi cher que par le passé.

Permettez-moi de terminer ici par l’opinion d’un honorable concitoyen que je connais depuis longtemps. Cette matière est sa spécialité. Je vais vous lire ce qu’il pense de la concurrence et de la publicité ;: dans une brochure qu’il a publiée à propos du projet de loi proposé sur la conversion de notre emprunt, M. Depoubon s’est exprimé en ces termes. Après avoir indiqué le mauvais côté de la libre concurrence, voici ce qu’il dit du système opposé :

« L’opinion est généralement répandue sur les grandes places de banque, que ce serait en vain qu’on essaierait de lutter ici avec le concessionnaire en nom de notre premier emprunt ; la compagnie puissante dont j’ai déjà parlé a eu l’occasion de reconnaitre que son intervention ne servirait qu’à faire un pont d’or au gouvernement pour conclure avec un autre. Dans cette conviction, elle a renoncé à porter ses vues sur les affaires financières de ce pays.

« Il résulte de l’opinion que l’on se forme à l’étrangère (qu’elle soit fondée ou non) de l’influence que le concessionnaire de notre premier emprunt a acquise auprès du gouvernement, que l’on ne pourrait pas compter sur une concurrence réelle, si la loi ne l’imposait.

« Ce n’est pas que je regrette de voir MM. de Rothschild en possession exclusive d’effectuer nos emprunts. Cette maison réunit au degré le plus éminent la puissance morale et matérielle qui influe sur le cours des effets publics. Mais, comme toutes les associations financières, elle fait avant tout ses affaires. Ce serait s’abuser que de croire à un sentiment qui la détournerait de ses vues d’intérêt, au point de ne pas profiter du défaut de concurrence pour traiter plus avantageusement. Tout ce que je désire, c’est que le gouvernement ne soit plus dans le cas d’être exposé à subir la loi des prêteurs, et qu’il obtienne les conditions les plus favorables. »

Je demande pardon pour une observation qui a été faite dans la séance d’hier. La Belgique, a dit un honorable collègue, ne vivra qu’autant qu’elle sera sage et prudente. J’ajouterai : qu’autant qu’elle empruntera le moins possible.

M. le président – M. Vandenbossche a déposé sur le bureau une proposition qu’il qualifie de motion d’ordre, et qui est ainsi conçue :

« La chambre des représentants décide que les questions relatives aux droits et actions du gouvernement belge à la charge de la société générale du chef des domaines que lui a conférés le roi Guillaume, par son arrêté du 28 août 1822, seront discutées en séance publique, et qu’elle y statuera, avant de passer à la discussion des budgets pour l’exercice de 1841. »

Plusieurs membres – Quel rapport cela a-t-il avec la discussion ?

M. le président – Je consulterai la chambre pour savoir si cette proposition peut être considérée comme une motion d’ordre se rattachant à la discussion.

M. de Brouckere – Que l’honorable membre baptise sa proposition de motion d’ordre ou de toute autre manière, cette proposition ne peut pour cela interrompre la discussion du projet de loi d’emprunt, auquel elle est étrangère.

- La chambre, consultée, décide qu’il n’y a pas lieu de joindre la discussion de la proposition de M. Vandenbossche à la discussion générale.

Plusieurs membres – La clôture !

M. F. de Mérode – Il me semble que dans une question si grave, la plus grave dont la chambre ait eu à s’occuper après celle du traité de paix, la chambre devrait entendre, comme elle l’a fait jusqu’ici, tous les orateurs inscrits.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il me semblait qu’on était convenu hier qu’après avoir entendu le rapporteur de la section centrale, on clôturerait, non toute la discussion, mais la discussion générale, en laissant aux orateurs la faculté de parler sur les articles.

M. F. de Mérode – Ce n’est pas la même chose.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – C’est la même chose. Je suis étonné que l’honorable préopinant insiste, lui qui d’ordinaire s’est fait une règle de demander la clôture de la discussion générale pour arriver à la discussion des articles. Du moins c’était ainsi qu’il faisait autrefois. Je suis donc étonné, quelle que soit l’importance de la question, qu’il demande à prolonger la discussion générale. Toutes les questions se représenteront dans la discussion des articles et pourront être traitées avec plus de précision. Ainsi en clôturant la discussion générale, nous arriverons plus tôt du résultat que nous devons tous désirer.

M. Eloy de Burdinne – Je ne puis partager l’opinion de M. le ministre ; car si un membre qui parle sur un article s’éloigne de cet article, il sera rappelé à l’ordre. Je crois qu’il y a encore beaucoup de choses à dire dans la discussion générale de l’emprunt de 90 millions. Le chiffre de cet emprunt impose à la chambre l’obligation de ne pas restreindre la discussion.

M. F. de Mérode – Un emprunt de 90 millions vaut bien un bout de séance de 2 ou 3 heures.

- La clôture est mise aux voix et rejetée ; en conséquence la discussion continue.

M. Eloy de Burdinne – Vu l’empressement que la chambre a d’en finir, je ne parlerai pas très longuement.

M. le ministre des travaux publics nous a presque assuré qu’il terminerait les travaux du chemin de fer, moyennant 125 millions. Pour arriver à ce résultat, il faut certainement qu’on ait fait des devis estimatifs autres que ceux qui ont été faits dans le principe sur les travaux à faire. Je saisis cette occasion de faire remarquer à M. le ministre des travaux publics qu’en opérant comme ministre des travaux publics, il doit tâcher d’oublier qu’il est aussi ministre des beaux-arts ; il doit tâcher que dans les stations on ne fasse pas des monuments ; car ainsi ce ne sera pas avec 125 millions que vous ferez le chemin de fer.

Il est étonnant de voir combien les ingénieurs se sont trompés dans leurs premiers devis. Par les documents qui vous ont été fournis, vous avez dû voir, comme moi, que les différentes stations ont coûté plus du double de la dépense qui avait été prévue.

Je vous parlerai d’abord de la section de Bruxelles à Anvers. D’après le premier devis, les deux voies de cette section ne devaient coûter que 4,502,000 francs. Avec le petit subside qu’on vous demande pour achever la construction de la route d’ici à Anvers, elle aura coûté 10,145,423 francs.

De Malines à Louvain, la route ne devait coûter que 1,485,000 francs ; on y a déjà dépensé 4,679,331 francs. J’espère que tout est terminé. Cependant je ne garantis pas qu’on ne vienne encore demander une somme pour l’achever.

La route de Waremme à la frontière de Prusse devait coûter, d’après le premier devis 7,353,000 francs. D’après un nouveau devis, elle doit revenir à 19 millions, sauf à ce qui devra être ajouté par la suite.

D’après ce que je vois sur ce qui s’est fait, je peux juger de ce qui se fera. Il serait bon de convenir une fois pour toutes qu’une somme ronde sera donnée pour terminer le chemin de fer, et qu’on s’engagera à ne plus demander de nouveaux subsides.

Comme la chambre désire terminer cette discussion, je me bornerai à ces observations.

M. F. de Mérode – Comme je dois parler aujourd’hui sur l’emprunt spécialement destiné aux chemins de fer, je développerai demain, après la lecture de la proposition collective dont je me suis chargé en faveur de l’industrie cotonnière, les motifs à l’appui de ce projet.

Messieurs, il fut une époque où la création de chemins de fer en Belgique, était une œuvre politique plus encore qu’une œuvre industrielle. Notre gouvernement se trouvait méconnu au-dehors, on le considérait comme impuissant, comme sans racines et peu propre à donner de son existence future de solides garanties. En Allemagne particulièrement les journaux hostiles à notre affranchissement de 1830 étaient seuls admis à et y entretenaient nécessairement les préjugés les plus défavorables contre nous. Une grande entreprise pouvait seule dessiller les yeux prévenus. Elle fut proposée par le gouvernement et accueillie par les chambres après une longue et sérieuse discussion. Pour atteindre le but important qu’on avait en vue alors, afin de donner à la Belgique une considération extérieure qui lui manquait et d’obtenir certains avantages matériels dans l’intérieur il suffisait de lier ensemble les quatre grandes villes du royaume, Bruxelles, Anvers, Liége et Gand, par un chemin de fer. Il n’était point indispensable de le pousser jusqu’au Rhin. Cette opération très coûteuse à cause de la distance à parcourir et de la nature d’un sol accidenté, devait former l’objet d’un examen ultérieur ; toutefois je reconnais qu’outre la liaison des quatre grandes villes du royaume, on pouvait y joindre sans exagération extrême celle de la Belgique au Rhin, à Cologne, sans en espérer néanmoins les avantages que l’imagination se promet de ce dispendieux travail. Le rapprochement des distances entre Bruxelles, Gand, Anvers, Liége et entre la Belgique et Cologne, devait coûter, selon les renseignements qui nous sont fournis, environ 60 millions ; par lui se trouvait surabondamment produit l’effet moral et politique fondé sur la considération de la Belgique au-dehors, c’est-à-dire propre à démontrer son crédit, sa force créatrice et par conséquent l’ordre qui régnait dans son intérieur.

Mais ne doit-on pas regretter vivement les 8 millions 200 mille francs absorbés dans la prolongation du chemin de fer de Gand à Ostende, à côté des plus belles voies navigables ; les 12 millions 425 mille francs absorbés dans la prolongation du chemin de fer de Gand à la frontière de France avec embranchement sur Tournay ; les 1,338,000 francs enfouis dans le chemin de fer de Landen à St-Trond et les 12 millions 793 mille francs que coûtera le chemin de fer de Namur par Charleroy à Braine-le-Comte. Supposez que vous ayez réparti dans les Flandres en travaux de canaux et routes ordinaires 16 à 17 millions dépensés sur les sections de Gand à Ostende et de Gand à la frontière de France, quel bien n’eussiez-vous pas procuré à ces provinces ? Supposez que vous eussiez réparti en Limbourg les 1,358 mille francs que coûté la section de Landen à St-Trond ; en Brabant, Hainaut, Namur, Campine et Luxembourg les 2 millions employés au chemin de fer de Bruxelles à Quiévrain, de Namur à Braine et à l’embranchement de Tournay, n’eussiez-vous pas considérablement augmenté d’une manière certaine la valeur productrice de tout le pays et réparti sur tout le sol le bienfait des travaux publics, en achevant entre autres le canal des Ardennes et facilitant la navigation de la Meuse ? La part des chemins de fer unissant ensemble les quatre grandes villes du royaume, rapprochant ainsi indirectement toutes les autres et la Belgique du Rhin, n’eût-elle pas encore été magnifique ? Mais la monomanie exclusive des chemins de fer a malheureusement prévalu, en enlevant à beaucoup de localités, entre autres à la ville de Nivelles, les avantages dont elles jouissaient auparavant. Aussi, pour moi, messieurs, le bruit du canon de réjouissance que l’on tire à l’ouverture de tous les chemins de fer est plutôt le retentissement du canon de détresse de nos finances et d’une foule de travaux simples et infiniment plus utiles que ce Versailles routier, dont on gratifie les amateurs du faux brillant, aux dépens des intérêts réels du peuple belge. Cinq cents lieues de routes et de voies navigables ordinaires sauraient bien autrement servir que l’eau bouillante des locomotives, que la fumée et la vapeur, qu’elles produisent certes plus abondamment que des débouchés pour le commerce et l’industrie.

La Hollande et Venise ont fait un immense commerce sans que leurs négociants courussent dix lieues à l’heure, et tous les chemins de fer anglais qui, du reste, ne coûtent rien à l’Etat n’empêchent pas deux millions de chartistes d’y menacer constamment l’ordre social.

Chez nous, messieurs, tout est sacrifié par l’Etat même à ces chemins. A Bruxelles, près la station des Bogards existent deux écoles essentiellement religieuses et morales, établies par une ingénieuse charité : l’une est l’école des filles fondée par M. l’abbé Vandorselaer qui pour 5 francs 25 centimes par an et par tête donne l’éducation primaire la mieux conçue à 12 ou 1300 jeunes filles, l’autre est l’école dominicale qui enseigne un millier de garçons ; eh bien ! avant le mois d’octobre prochain, bien avant qu’un besoin pressant se fasse sentir à la station du midi, ces écoles seront renversées pour éviter un détour de quelques mètres au petit nombre de vigilantes qui viennent amener ou attendre les voyageurs de Hal ou de Tubize. Croitrait-on que, lorsque des millions pleuvent sur des chemins de luxe, on ne peut accorder aux créateurs d’institutions qui préparent pour les âmes des voies sûres vers le bien suprême, quelques miettes de splendides magnificences prodiguées à des voies matérielles. On a indemnisé M. Vandorselaer de la résiliation d’un bail de six années à peu près, comme s’il ne s’agissait pour lui que d’abandonner sa demeure particulière. Mais les 1200 jeunes cœurs auxquels il prépare la paix autant que peut l’avoir le pauvre dans cette vie de misère, les indemnise-t-on par la substitution d’un local équivalent et qui puisse fournir à leur généreux instituteur les moyens de continuer son œuvre ? Non, messieurs ! on a marchandé avec M. Vandorselaer sur une réclamation bien modique de 22,000 francs, et on lui en a accordé 15. Ainsi seront congédiés le maître et ses élèves. Il en sera de même de l’école dominicale qui disparaîtra avec la jolie église qui lui servait d’asile. Ainsi 2,300 enfants iront où ils pourront chercher la nourriture morale qu’on leur offrait presque gratuitement. Et une ligne bien droite tirée sans délai de la station vers l’hôtel de ville remplacera les écoles vraiment civilisatrices dont je vous parle. C’est en vain que j’ai appelé sur cet objet l’attention du gouvernement, M. le ministre Nothomb m’avait à peu près promis un ajournement de la fermeture des deux écoles, maintenant leur provisoire existence doit cesser au mois d’octobre ; je n’accuse ici ni ministres, ni autres agents de l’administration. Je gémis sur le prétendu progrès dans lequel on nous lance à 10 lieues à l’heure, comme si la valeur de l’homme se mesurait exclusivement sur la vitesse du transport de la multitude des corps humains, et de la suppression de quelques courbes dans les rues d’une ville.

Pour moi, messieurs j’aurais avant tout ménagé les institutions qui redressent les défectuosités des jeunes âmes, et dans le Pactole du chemin de fer, j’aurais trouvé de quoi maintenir ces institutions en leur fournissant des locaux avant de les déposséder de ceux dont ils jouissent aujourd’hui. Pendant qu’on tire au plus vite les rues en droite ligne à Bruxelles, pour arriver au chemin de fer, un des plus beaux monuments de l’Europe, la tour de l’hôtel de ville, menace ruine ; et l’Etat et la commune ne mettent aucun empressement à tenir sur pied ce souvenir majestueux de nos pères. Aucun homme, parmi ceux qui ont illustré notre patrie, n’a encore sa statue sur aucune place publique. Par souscription particulière, on en dresse une à Rubens, à Anvers, mais la nation n’y contribue pour rien. Cinquante ans se passeront peut-être avant qu’on voie figurer dans nos villes les images de Godefroi de Bouillon, le plus grand caractère du moyen-âge, né à Baisy, en Brabant ; de Jean, duc de Brabant, qui lui a réuni le Limbourg ; du comte d’Egmont et d’autres personnages guerriers ou savants, connus du monde entier. Eh bien, messieurs, c’est là ce qui crée un amour-propre, un véritable esprit national. La locomotive n’aura dans peu d’années pas plus de considération qu’un chariot ou un omnibus. Jamais je ne lui attribuerai le mérite du bateau à vapeur, celui-ci est d’un immense avantage pour la civilisation des pays encore livrés à l’ignorance et à la barbarie, pour soustraire la navigation aux danger des tempêtes. Il marche sur une route liquide créée par la nature seule. Il ne coûte qu’à son propriétaire, l’Etat n’a rien à lui fournir.

Remarquer-le bien, messieurs, je n’attaque par la création d’un certain nombre de chemins de fer, c’est l’absorption presque exclusive de nos ressources par cette invention dont je m’afflige. Je vois qu’on lui sacrifie sans pitié les écoles les plus recommandables, qu’on veut lui sacrifier ce qui reste de nos forêts, ornement si précieux et si utile pour une contrée. Je vois nos monuments entretenus avec parcimonie ; je vois les petites routes provinciales en grande partie abandonnées faute de fonds disponibles, une foule de villages encore perdus au milieu des bourbiers. Croirait-on que pendant six mois de l’année aux portes de Bruxelles on ne peut pénétrer en voiture au village de Gasbeek, pendant qu’à une lieue de ce village on rencontre parallèlement route pavée, canal et route en fer.

Victor Considérant l’a dit avec raison : Avant de créer des voies de luxe, dont chaque lieue coûte plus d’un million, créez les voies nécessaires. Et ici, messieurs, je citerai le projet de route en fer de Lille à Mouscron et de Valenciennes à Quiévrain ; pour ces sept lieues de chemin, c’est-à-dire pour une distance pas plus longue que d’ici à Alost, on demande dix millions. Dix millions répartis dans les communes du département du Nord pour leurs communications, y feraient un bien immense à l’agriculture, bien qu’ils ne produiront jamais la somme effrayante qu’absorberont les bouts de routes en fer de Lille à Mouscron et de Valenciennes à Quiévrain.

Voyez l’économie qui a présidé à la construction de la grande route pavée de Bruxelles à Paris, dont on se contente depuis si longtemps. Deux voitures, comme un chariot et une diligence, ne peuvent se croiser ou se dépasser sans que l’une ou l’autre quitta la partie empierrée de la voie au risque de verser, ce qui arriver souvent aux voitures publiques en hiver. Eh bien, qu’eût coûté l’élargissement de quelques pieds donnés au pavé de cette importance communication dans les parties les plus étroites comme entre Cambrai et Valenciennes à la capitale de la France, une très grande facilité par l’élargissement que j’indique. On n’y a jamais songé, jetez-vous dans les terres à droite et à gauche de cette même route de Bruxelles à Paris, vous trouverez les bourgs et les villages inabordables pendant 6 mois de l'année ; mais pour eux les millions ne sont pas disponibles, ; on les dépensera à créer à côté des routes pavées de Lille à Mouscron et de Valenciennes à Quiévrain, des bouts de chemins de fer de quelques kilomètres qui absorberont des millions. Et qu’on en me dise pas qu’en Belgique les routes sont plus multipliées, une foule de communes sont encore sans issue dans le Hainaut comme dans les Flandres pour aller de Binche à Merbes-le-Château et au pont de Sambre, et il faut rétrograder vers Mons en sens à peu près inverse de la direction que l’on a à parcourir et faire 6 grandes lieues de pays au lieu de 2 lieues médiocres. Voyez où en sont les communications ordinaires La Hesbaye, le riche pays de Dixmude, de Furnes ; essayez, après une pluie même d’été, d’aller de Grammont ou de Lessines à Renaix, je cite au hasard ; messieurs, on néglige, faute d’argent les besoins du plat pays, pendant qu’on jette, dans certaines directions privilégiées, les chemins de fer à côté des plus belles routes, des meilleurs canaux et de plus belles rivières navigables. On vise à l’effet, parce que l’effet est plus relevant pour l’inventeur que les créations modestes mises à la portée de l’habitant des campagnes. On nous parle des chemins de fer de Manchester à Liverpool, placées à côté des canaux ; n’est-il pas risible de comparer, par exemple, Ostende à Liverpool et Bruges à Manchester ? demandez au fabricant gantois si, quand il expédiait ses tissus de coton aux Indes hollandaises, il était embarrassé le moins du monde pour les transporter à Ostende ou à Anvers, et s’il a jamais regretté l’absence d’un chemin de fer de Gand vers ces deux ports belges. Je ne crains pas de le dire, il y a un seul chemin de fer véritablement utile en Belgique, c’est celui de Louvain où cessent les voies navigables jusqu’à Liége et Verviers ; le reste est une création de luxe éminemment dispendieuse ; agréable avec utilité secondaire, j’en conviens mais pendant que vous roulez à dix lieues à l’heure pour un prix insignifiant au compte du trésor public entre Gand et Courtray, il y a, par exemple, deux cent mille habitants répandus dans les chemins de terre à gauche et à droite de ce chemin de fer qui vous donne à bon marché des ailes, selon l’expression de M. le ministre des travaux publics, manquent non pas d’ailes seulement, mais du plus strict nécessaire. On ne les voit pas, à la vérité, mais pendant que le promeneur ou voyageur s’ébahit de votre magnificence, eux végètent dans la plus profonde misère, et pourquoi ? Parce que les forces sociales surabondantes ne vont pas chercher le faible silencieux mais le fort qui sait se faire entendre, comme vous le disait mon honorable collègue et ami M. Milcamps. C’est ainsi que le petit cultivateur du Luxembourg ne peut pas circuler avec son léger chariot à jantes ordinaires attelé de deux chevaux qui ne nuira point aux routes, tandis que le riche entrepreneur de diligences les sillonne d’ornières profondes et obtient des autorisations de surcharge ainsi que le gros roulage qui sait se plaindre et réclamer sans cesse.

Quand Charleroy aura un chemin de fer tracé sur Bruxelles, à côté du canal, quand il y aura un autre chemin de fer tracé de Charleroy vers Namur à côté de la Sambre canalisée, ces deux villages et leurs environs possèderont-ils plus d’aisance ? Non, messieurs ! évidemment non ! Mais si l’argent follement gaspillé dans ces deux entreprises était employé à l’empierrement de petites routes multipliées dans le pays d’entre Sambre et Meuse, et à faciliter ainsi le transport des mines de toutes les communes de ce canton vers les hauts fourneaux des bassins houillers. L’industrie métallurgie gagnerait infiniment. Faites l’un et l’autre, me dira-t-on, et moi je répondrai : Faites d’abord l’utile, ajournez le brillant, qui trompe l’adversaire superficiel, et mieux vaudrait certainement le chemin de fer de l’entre Sambre et Meuse, que celui de Charleroy à Bruxelles et Namur, là où existent de bonnes voies navigables et de bonnes routes pavées.

Vos observations sont trop tardives, me dira-t-on, il n’est plus temps de tenir le char lancé en carrière à la descente, à cela je répondrai d’abord qu’il est bon d’appeler l’attention publique, même sur des fautes accomplies pour qu’elles soient ultérieurement évitées, puisqu’il importe de restreindre les travaux des chemins de fer et les convois selon les besoins réels du service, ne créez pas deux voies là où une seule peut suffire, ne multipliez pas tant les départs. Faites payer le prix des places de la manière à la plus lucrative pour le trésor public. Mettez seulement en circulation les chars-à-bancs et diligences et supprimez les waggons de voyageurs qui sont une cause de perte considérable pour la recette. Car, n’oubliez pas que le déficit sera comblé, non par une baguette magique, mais par les écus enlevés aux contribuables dont plusieurs souffrent du déplacement qu’occasionnent vos chemins de fer. M. Desmet vous a fait toucher au doigt cette plaie qu’on ne doit pas perdre de vue.

En 1839, disait, au mois de février, un journal bien instruit des faits, « il a été transporté 281 mille voyageurs civils de moins qu’en 1838, et la recette sur les voyageurs a dépassé de 700,000 francs, en 1839, la recette précédente ; néanmoins la partie du transport relative aux wagons, s’effectue sans bénéfice pour le trésor. Et c’est pourtant sur les wagons que prend place le plus grand nombre de ces voyageurs. »

Puis le même journal ajoutait : « La possession du chemin de fer par l’Etat est donc un avantage incontestable. » Sans doute, s’il y avait des cuisines tenues par l’Etat, ceux qui dineraient habituellement du produit de ces cuisines, à un prix moindre que le prix de revient, trouveraient un notable avantage ; mais pour que cet avantage fût équitablement accordé, il devrait l’être à tous les citoyens. Si, sur toutes les routes, le gouvernement se chargeait de transporter les voyageurs à perte, ce système, quoique absurde, aurait une sorte de justice distributive ; mais le transport à perte des voyageurs en waggons, sur le chemin de fer, n’a pas même ce caractère, c’est un privilège, et le moins rationnel de tous les privilèges. Car dîner à bon compte, serait, pour celui qui a la bourse peu garnie, bien plus utile que de rouler en voiture, à peu près gratis, en faisant dix lieues à l’heure, et pour plusieurs c’est une occasion de quitter leur famille et de courir à ses dépens. Puisque le chemin de fer coûte des sommes énormes au trésor public, c’est-à-dire à une masse de contribuables qui ne vont jamais, ou que très rarement, sur ces chemins, il faut que l’administration en tire tout le parti possible. L’Etat ne vend pas ses bois à meilleur marché, même pour chauffer les pauvres ou leur construire des maisons ; il en tire le plus qu’il peut ; l’Etat ne doit pas non plus vendre ses transports à perte, et il doit tirer du chemin de fer, comme ferait une compagnie, le plus de revenu net possible.

Naguère il n’existait pas de chemin de fer de Tubize à Bruxelles, l’habitant de cette localité payait pour la diligence 3 francs. Il mettait 3 heures pour aller, autant pour revenir, il devait dépenser en ville ses frais d’auberge et sa journée entière était prise par cette course, ou bien il y donnait une partie de sa nuit ; maintenant après avoir pris son déjeuner du main il part de chez lui, met trois quarts d’heure pour le retour, et après avoir fait ses affaires sans bourse délier à l’auberge, il peut être de retour chez lui de manière à y dîner avec sa famille. Croyez-vous qu’il se plaindrait de payer au gouvernement ce que payera à un entrepreneur de diligence l’habitant de Ninove, de Tervuren, de La Hulpe, de Wavre, de Waterloo, etc, qui n’a lui que ce moyen de transport vers Bruxelles. Non sans doute ! pourquoi donc lui faites-vous, au voyageur de Tubize, cadeau d’une partie de ce qu’il vous doit réellement pour être conduit à Bruxelles avec des ailes, tandis que les autres n’ont à leur service que le pas et le petit trot des chevaux de diligences. Bien mieux les diligences payent une patente et des droits de barrière que l’Etat exige et dont certainement je ne demande pas la suppression, car l’Etat a besoin d’argent : qu’il le prenne donc à ceux auquel il donne un avantage plutôt qu’à ceux auxquels il ne donne rien. En Angleterre il n’y a point de waggons de voyageurs, et je tiens même de la bouche de l’ancien ministre des travaux publics, M. Nothomb, et de l’inspecteur des ponts et chaussées, M. Vifquain, que le transport de ceux-ci par waggons porte le plus grand préjudice au revenu des chemins de fer. Si vous voulez être secourable au malheureux, aux dépens du trésor public, cherchez la misère où elle est réellement, c’est-à-dire parmi les infortunés fileurs et tisserands des Flandres. Pour eux, je paierai, si vous le voulez, double contribution, mais pour entasser faveurs sur faveurs accordées aux voisins déjà privilégiés des chemins de fer, vu la rapidité de transport dont ils jouissent, je ne donnerais pas volontairement un centime, et je ne cesserai au contraire de protester contre l’abus que protège un faux amour de popularité et d’étalage de prospérité factice.

Je ne me bornerai pas à réclamer avec instance une augmentation de recettes produites par les chemins de fer ; je demanderai la création d’autres ressources pour le trésor public. En votant l’emprunt, je demande qu’on vote aussi pour le dernier semestre de l’année le rétablissement des dix centimes, que le précédent ministère a retranchés, je ne sais pourquoi, du budget des voies et moyens. Si les chemins de fer ne rapportent pas les intérêts des capitaux engagés dans leur construction, mais seulement, comme on n’a l’a dit 2 1/3 p.c., il faut suppléer à ce déficit, par un impôt équivalent, afin de ne pas priver indéfiniment l’avenir qui aura, comme nous, sa part de mécomptes et de calamités de guerre qu’on lui procure à bon compte, au moyen d’emprunts qui le grèvent sans le concours actuel du percepteur, et par conséquent, d’une manière inaperçue maintenant ; en vain tous les ministres des finances passés et présents se persuadent à eux-mêmes et essaient de nous persuader aussi que l’état de nos finances ne présente rien d’inquiétant ; moi, je dis qu’il eût beaucoup mieux valu pour la Belgique payer depuis dix ans cinq ou six millions de plus par année, c’est-à-dire 5 à 6 p.c., que de soulager imprudemment le contribuable qui finira par payer, si l’on continue le même système, 20 et 25 p.c. d’augmentation ; remarquez, messieurs, que dans l’emprunt qu’on vous propose, rien n’est destiné à la réparation des pertes occasionnées par la révolution, rien pour le secours réclamé par la ville de Bruxelles. On vous a parlé de vingt millions que la banque devra aux deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas en 1849. Eh bien, destinez une part de ce qui vous reviendra dans cette somme à indemniser, autant que possible, les victimes ruinées par les désastres qui ont accompagné l’affranchissement du pays ; sachez que de bons propriétaires de terrains submergés dans le polder de Lillo pendant 7 à 8 années, sont aujourd’hui des mendiants et que plusieurs d’entre eux, entre autres l’ancien bourgmestre de cette commune sont morts de chagrin et en se voyant réduits à ce triste état. Les heureux du siècle ne se donnent pas la peine de songer aux malheureux obscurs : il faut bien les leur remettre sous les yeux. Il y avait et il y a encore d’autant plus de motifs d’augmenter aujourd’hui, par quelques impôts modérés, les revenus du trésor que, par nos emprunts successifs, considérables, on lance dans le pays une masse d’argent qu’il payera plus tard en détail, lorsqu’il n’y aura précisément plus rien à percevoir des capitalistes, car quoi qu’en ait dit l’honorable M. Metz, nous devons éviter d’imiter l’Angleterre et la Hollande, en empruntant sans limites. Ces pays sont maintenant surchargés de taxes de toute nature, et heureusement encore pour eux l’un possède une immense puissance maritime et le commerce de l’univers, l’autre une magnifique colonie peuplée de 8 millions d’âmes et qui rapporte, dit-on, directement à la mère-patrie plus de soixante millions sans compter les bénéfices indirects qu’en retire le commerce hollandais. Ce n’est pas avec nos canonnières de l’Escaut, ni avec nos locomotives que nous acquerrons jamais au dehors de semblables possessions. Mais c’est aussi grâce à une prospérité excentrique et peu enviable selon moi qu’il se commet en Angleterre trois ou quatre fois plus de crimes qu’en Belgique et en France, qu’il faut y bâtir sans cesse de nouvelles prisons, posséder un Botany-Bey et empoisonner les Chinois avec l’opium, afin de maintenir cette fameuse prospérité. C’est à celle-là qu’on pousse un pays avec des emprunts, parce qu’on y développer, comme en serre chaude, une augmentation excessive et rapide de population qu’on ne sait plus ensuite comment faire vivre ; et comme le développement religieux et moral se trouve affaibli en raison directe de la soif de richesse si peu solides, les malheureux déçus dans leurs espérances terrestres et n’attendant rien de mieux hors de ce monde visible, se brisent la cervelle avec une arme à feu ou se précipitent d’un quatrième étage sur le pavé ou du haut d’un pont dans un fleuve, ressource presque inconnue à nos pères au siècle dernier, lorsque régnait, dit-on, l’obscurantisme et l’absence de progrès.

Au lieu d’emprunter, sachons faire porter au jour le fardeau du jour, et ne vivons pas d’illusions. En Angleterre, on vient d’augmenter de 5 p.c. les droits de douanes et accises, et de dix p.c. tous les impôts existants. Chez nous on imite les notables convoqués sous Louis XVI, quelques moments avant la révolution. Ceux-ci, raconte le sage historien M. Droz, firent de longs discours bien vagues sur l’économie. Les orateurs indiquaient une foule de réductions pour différentes parties du service qu’ils connaissaient à peine, et ils élevèrent même ce doute que peut-être l’économie suffirait, pour subvenir à toutes les dépenses, dirent plusieurs avec raison qu’on ne devait pas se borner à éteindre le déficit, qu’il fallait l’empêcher de renaître. Quand, après de nombreux discours, une voix rappelait que la situation du trésor exigeait des impôts on ne trouvait plus qu’une invincible répugnance à en approuver aucun. Les notables voulaient ménager leurs intérêts personnels et craignaient d’encourir les reproches des ordres auxquels ils appartenaient. Voici comment le même historien dépeint Calonne : un homme qui veut emprunter, disait-il, a besoin de paraître riche, et pour paraître riche, il faut éblouir par ses dépenses, agissons ainsi dans l’administration publique : l’économie est doublement funeste, elle avertit les capitalistes de ne pas prêter au trésor obéré. Plein d’étourderie, d’insouciance et d’audace, il s’aventurait sans regarder l’avenir, et comptait sur son heureuse étoile. Mirabeau écrivait lui sur l’administration de Necker une brochure où on lit ce passage, « il a fait la guerre (la guerre d’Amérique) sans impôt, c’est un Dieu.. » Voilà le cri universel, mais il s’élève un impie qui dit : « Ce que vous lui imputez à gloire est son crime, ce que vous regardez comme son bienfait est l’aggravation de vos maux : emprunter sans imposer, c’est livrer une nation aux usuriers, car eux seuls prêtent sans gage, c’est tromper tout un peuple sur sa véritable situation, c’est enivrer les gouvernements en leur présentant comme faciles les projets de dépenses et de destructions qui désolent l’humanité ; c’est rejeter sur les générations à venir le poids des iniquités d’un ministre qui ne voit que sa gloire personnelle, et ses succès présents… peuple crédule, hâtez-vous de l’admirer ; vos enfants le maudiront un jour. »

Messieurs, n’est-ce pas là pourtant ce qu’on a pratiqué chez nous depuis 1830, on a soutenu une armée nombreuse non pas seulement en augmentant l’impôt, mais en le diminuant de plusieurs millions. Quand on avait accordé quelques centimes additionnels, on se hâtait de les supprimer au plus vite au moindre prétexte. On a été jusqu’à rendre quelques francs à des contribuables qui se moquaient de pareilles niaiseries. Provoquées par des hâbleries de journaux, on crée des chemins de fer pour 150 millions, et au lieu de faire concourir au moyen de l’impôt avec l’emprunt à cette énorme dépense, on a recours à l’emprunt seul : bien mieux, on conduit les voyageurs à perte sur ces chemins de fer, tandis qu’il n’est pas un homme raisonnable qui ne consentît à payer la valeur réelle du service qu’on lui rend. Mais aussi on verra figurer annuellement au budget de la dette publique et des dotations vingt millions à prélever sur les revenus de l’Etat avant de satisfaire à aucune dépense de service public.

Messieurs, je voterai l’emprunt reconnu nécessaire à deux conditions, la première c’est que l’économie présidera aux travaux des chemins de fer, et par économie je n’entends pas l’absence de dilapidations, mais bien l’absence de toute création dont on peut se passer. Ainsi, point de double voie là où, avec du savoir-faire et des précautions, donnant même quelque peine à l’administration une voie suffirait aux réels besoins du service, non pas à des besoins exceptionnels, économie dans les stations et la marche des convois, pour réduire les frais du combustible et l’usure du matériel. Tout est soumis en Belgique à l’économie : l’ordre judiciaire est peu rétribué ; on réduit l’armée ; les casernes sont mauvaises ; beaucoup de soldats n’ont pas de lit où ils puissent reposer seuls. Les monuments ne sont restaurés qu’avec une extrême lenteur : pas une statue n’a encore été élevée aux grands hommes du pays. Les chemins de fer seuls ont été dotés avec une munificence extrême pendant que des cantons entiers sont privés de communications de première nécessité pour l’agriculture. Il faut résister avec persévérance à une telle anomalie dont l’amour pour la nouveauté plus que pour l’utilité est la véritable cause.

La seconde condition est que l’impôt fournisse sa part à une œuvre si dispendieuse et que le public sache que la jouissance des chemins de fer ne s’obtient pas gratis pour les contribuables. En conséquence, je propose d’annexer à la loi d’emprunt une loi séparée en un article qui rétablir, pour le deuxième semestre de 1840, les dix p.c. sur la contribution foncière. Le principe et pratique même sur une faible échelle que l’impôt doit accompagner l’emprunt est, selon moi, d’une importance capitale et rendra les conditions de notre emprunt meilleures, loin de nuire au contrat. J’espère qu’au prochain budget on créera encore d’autres ressources par un plus considérable rendement du droit sur les sucres, même par un droit faible, mais qui serait très productif sur les successeurs en ligne directe. Je le déclare, si l’on veut conserver à notre patrie le bienfait d’un système de contributions modérées, il faut que chaque époque fournisse à ses besoins et ne prétende pas en rejeter tout le fardeau sur l’avenir. Le président des Etats-Unis, M. Van Buren, disait dans son discours d’ouverture de la session du congrès américain : « Il est essentiel pour un peuple que les finances soient libres et ses ressources sans entraves : rien de plus fâcheux (rien de plus fâcheux, remarquez-le bien), que la création d’une dette nationale en temps de paix. Notre expérience et celle des autres nations ont démontré la terrible rapidité avec laquelle s’accroît une dette publique quand le gouvernement s’est astreint à la ruineuse pratique de subvenir à ses besoins par de nouveaux emprunts. » Et M. Verwey Mejae, parlant aux états-généraux de Hollande, le 12 décembre dernier, s’exprimait en ces termes : « Il s’agit ici moins de l'allocation de nouvelles dizaines de millions que d’un principe des plus importants et que la question de savoir si on persistera ou non à marcher dans la voie suivie par notre système financier depuis la restauration de notre indépendance nationale, ce système qui consistera à couvrir par des emprunts les déficits, même en temps de paix avoués ou dissimulés autant que possible et d’entasser dettes sur dettes. »

Un honorable sénateur, M. Engler, a souvent présenté au sénat des observations analogues à celles que je viens de citer.

Craignez, messieurs, à force de vouloir être populaires aujourd’hui, de dépopulariser complètement dans quelques années, le gouvernement né de la révolution et le roi qui s’est mis à la tête. Lorsque quelque calamité publique et imprévue viendra fondre sur vous, lorsque vous aurez fatigué le crédit, qu’il ne vous restera, pour subvenir à une éventualité malheureuse, que l’obligation de servir les intérêts de vos emprunts, le peuple s’inquiétera peu de toutes vos complaisances, de tous vos ménagements d’aujourd’hui, la récréation des chemins de fer auquel il sera accoutumé lui paraîtra peu consolante. On ne peut trop le redire, quel peuple se plaint plus au milieu de toutes les merveilles de l'industrie que le peuple anglais, deux millions de chartistes, je le répète, y maudissent l’ordre social. Puissions-nous ne jamais arriver en Belgique à ce déplorable résultat de tant d’activité, et de tant d’ardeur pour l’acquisition d’immenses richesses accompagnées de dettes énormes, car nous pourrions être chargés de celles-ci sans même posséder les autres.

Aux observations que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, je tiens à ajouter que si je vote aux conditions que j’ai indiquées l’emprunt qu’on nous demande, ce n’est pas que j’accorde ma confiance au ministère, car pour la première fois depuis 1830 la Belgique est livrée à l’intolérance. Dans des publications attribuées non sans fondement au principal conseil de deux ministres, on indique l’intention formelle d’exclure de tout pouvoir politique supérieur une catégorie nombreuse de citoyens belges. Déjà des actes ont suivi la théorie. Un estimable commissaire de district a subi la destitution la plus imméritée ; car j’appelle destitution un changement qui enlève à un fonctionnaire une place de 6,000 francs pour le réduire à un emploi de 2 mille 2 ou 3 cents. Pendant dix années que j’ai appartenu au gouvernement, jamais acte semblable n’a eu lieu. La destitution la moins motivée fut celle que subit notre collègue, M. Doignon, commissaire à Tournay, qui avait consenti à être nommé membre de cette chambre, en remplacement du ministre plénipotentiaire du roi à Paris ; j’étais absent quand elle eut lieu, et si j’avais su que l’honorable M. Doignon ne remplaçait pas réellement ce haut fonctionnaire qui, par suite de non présence absolue aux chambres pendant une session entière, n’avait aucune chance, mais un autre concurrent, je me serais, de tout mon pouvoir, opposé à l’acte que résolurent à la hâte deux ministres suffisamment connus.

Les mains qui frappèrent avec trop de légèreté peut-être sont plus lestes maintenant Ceux des ministres d’alors et d’aujourd’hui, qui pendant tant d’années, ne trouvèrent d’appui que dans mes amis ; car j’ai cédé avec leur assentiment ma candidature de Bruxelles à l’un de ces ministres et les mêmes amis ont seuls appuyé, à Turnhout, la candidature de l'autre, s’unissent maintenant au parti qui les rejeta eux-mêmes si longtemps. Pour lui donner des gages on a traité sans ménagement la carrière d’un homme d’ordre, d’un homme franc et dévoué, non à tous les ministres quelconques, mais à ses devoirs, et ce parce qu’il s’est tenu neutre à l’égard de la nouvelle alliance dont il devait assurément, lui, être libre de ne pas se mêler. L’on a présenté à la signature du Roi la révocation masquée par un déplacement, la révocation réelle du fonctionnaire dont le tort a été d’appuyer précédemment, dans la capitale, la réélection d’un sénateur, grand-maréchal de la cour, qui pendant le régime néerlandais soutint presque seul à la première chambre des états-généraux la cause belge, et fut membre actif et assidu du congrès national depuis le premier jour jusqu’au dernier.

Si c’est ainsi, messieurs, que l’on engage la couronne à sacrifier des serviteurs auxquels on ne peut adresser l’ombre d’un reproche, où allons-nous ? Où irons-nous après votre retour dans vos foyers ? Qui peut-être sûr de conserver un emploi légitimement acquis en s’abstenant même de toute opposition quelconque à la politique intérieure ministérielle, et sommes-nous destinés à passer sous le joug d’une association qui par son esprit remuant sait mettre en œuvre beaucoup de moyens et se qualifie d’un titre que je voudrais de tout mon cœur qu’elle justifiât ?

On m’a dit précédemment : Attendez les actes du ministère pour blâmer les ministres. Eh bien voilà un acte que je connais à fond, un acte indifférent pour les esprits disposés aux illusions, mais très significatif pour d’autres et dont je parle sciemment. Bientôt peut-être, serai-je moi-même éliminé de cette enceinte par ceux qui ont déjà méconnu et méconnaîtront encore les services dont ils ont personnellement profité. Je n’aurai pas du moins attendu en spectateur bénévole, qu’ils achèvent le revirement si bien commencé, je signale au pays le triste changement qui s’opère.

Depuis 1830, la justice et la tolérance, troublés malheureusement par quelques émeutes populaires ont prévalu dans notre patrie. Aucune opinion ne prétendait envahir exclusivement la suprématie gouvernementale. Ce règne de liberté et d’égale part pour tous doit-il cesser au moment où la paix extérieure est définitivement établie ? Je le crains.

Et je manifeste mes craintes au moment où la tribune va devenir muette parce que la publicité qu’elle porte est un remède au danger qu’il vous appartient de prévenir et sur lequel je vous engage à tenir les yeux ouverts pendant notre absence jusqu’à la prochaine session.

Je n’aurais pu appeler votre attention sur un objet si grave que dans la discussion générale du projet sérieux qui nous occupe. C’est pourquoi j’ai exprimé le désir qu’elle fût continuée jusqu’à l’épuisement des orateurs inscrits.

M. Van Volxem – Messieurs, l’honorable préopinant vient d’appeler l’attention de la chambre sur la destruction des bâtiments de deux écoles situés sur des terrains dont l’acquisition est indispensable pour donner un accès plus facile à la station du Midi : à entendre le préopinant, il semblerait que l’on veut jeter brutalement sur le pavé un ecclésiastique respectables et l’école qu’il a fondée. Il n’en est rien.

M. L’abbé Vandorselaer a en effet en location, au moyen d’un bail susceptible d’annulation au bout de trois mois, une partie d’édifice à Bruxelles ; il a également en location une autre partie d’édifice, adjacente au premier par un bail sous seing privé pour le terme de 5 à 6 ans ; mais ce bail n’avait point de date certaine avant la publication de l’arrêté ordonnant l’expropriation. Eh bien ! messieurs, ceux qui ont été chargés de négocier l’achat des terrains et des édifices nécessaires se sont abstenus d’invoquer contre le locataire un moyen de droit péremptoire. Ils ont offert à M. l’abbé Vandorselaer une somme bien suffisante, selon eux, pour qu’il pût se procurer un autre local propre à son institution ; 12,000 francs lui ont d’abord été offerts par moi. Un expert habile ayant estimé que moyennant 14,0000 francs environ M. Vandorselaer serait largement indemnisé et pourrait facilement s’établir ailleurs, ces 14,000 francs lui ont été offerts. Il ne les a point acceptés.

Le procès-verbal de l’expert lui a été confié depuis plusieurs semaines, pour qu’il en refusât, s’il le pouvait, les bases.

Il a gardé le silence.

Le 17 mai, son conseil a demandé 15,000 francs. Je me suis empressé de lui déclarer que, pour moi, je lui allouerai cette somme pour en finir. Une autre personne, qui s’occupait aussi de l'évaluation des indemnités, devait s’exprimer le lendemain sur cette proposition envers M. Vandorselaer. Depuis lors, je n’en ai plus entendu parler. Il ne retire pas un centime de l’édifice qu’il occupe actuellement ; et avec 15,000 francs il pourrait facilement s’en procurer un autre.

M. de Brouckere – Certainement.

M. Van Volxem – De plus, messieurs, j’ai déclaré M. l’abbé Vandorselaer que j’aurais l’honneur de proposer au conseil municipal s’il renonçait à son opposition, le vote d’un subside annuel de 1,000 francs en faveur de son école. Il voulait qu’on lui abandonnât un terrain et qu’on lui payât une forte somme sans se soumettre même à la condition que le terrain resterait à toujours, ainsi que l’édifice qui y serait construit, consacré à l’éducation de la jeunesse.

M. F. de Mérode – On ne m’a rien dit de semblable ; cela n’est pas possible.

M. Van Volxem – Ce que je dis, je le sais parfaitement ; je le sais parce que c’est moi qui ai fait la demande. Quant à l’école dominicale on a dit qu’elle devait être dispersée au mois d’octobre : Eh bien, ici encore l’administration, en traitant avec le propriétaire de l’édifice où l’école est établie, édifice qui menace ruine, a consenti à ce que les bâtiments restassent sur pied pendant cinq ans.

Que l’honorable préopinant se rassure ; ceux qui ont traité pour l’acquisition des terrains, sont autant que lui soucieux de donner l’éducation convenable aux enfants peu fortunés.

L’honorable préopinant a dit aussi que la tour de l’hôtel de ville menaçait ruine et que personne ne songeait à la restaurer ; qu’il se rassure encore relativement à cet objet : Des fonds ont été votés par le conseil provincial à la demande du conseil municipal, pour être affectés à cette restauration ; et celle-ci s’en occupe très sérieusement de son côté. L’administration municipale sait combien la tour de l’hôtel de ville mérite son attention ; et elle prendra toutes les précautions pour que la postérité ne l’accuse pas d’avoir négligé un édifice aussi remarquable sous tous les rapports.

M. F. de Mérode – On dit que M. l’abbé Vandorselaer a refusé les propositions qu’on lui a faites ; mais c’est qu’on a voulu exiger de lui qu’il abandonnât une part dans la direction de son école.

M. Van Volxem – Jamais on ne lui a fait une semblable demande !

M. de Brouckere – Cela n’est pas. On n’a pas fait de demande semblable !

M. F. de Mérode – Voilà le fait comme on me l’a assuré ; et sans cela je ne pourrais comprendre qu’il eût refuser les conditions qu’on lui offrait.

Quant aux autres objets, je suis charmé d’apprendre d’une part, de la bouche de l’honorable préopinant que l’école dominicale conservera un local suffisant. De l’autre, ce qui concerne la tour de l’hôtel de ville, quoique je n’y ai pas vu les ouvriers, j’apprends avec plaisir qu’on va incessamment les y mettre.

Messieurs, si j’ai cité un fait inexact, je retire ma plainte.

M. de Brouckere – M. de Mérode retire tout son discours.

M. Metz – L’opinion que quelques orateurs m’ont prêtée, et puisée dans le discours que je prononçais il y a deux jours, est si déraisonnable que je dois un mot d’explication à la chambre, je le dois surtout qu’on en a fait un moyen contre le principe de l’emprunt.

Je n’ai jamais soutenu le principe ridicule que plus une nation contractait de dettes, plus elle s’enrichissait ; l’on disait que l’emprunt nuirait au crédit de la Belgique, qu’on l’on ne trouverait pas de prêteurs ; j’ai donc soutenu, et avec raison je crois, que les emprunts successifs n’affectaient pas le crédit d’un pays, et j’ai cité comme preuve palpable de mon opinion l’exemple de l’Angleterre et de la France, où le crédit était entier malgré les nombreux emprunts.

J’ai avancé et je soutiens encore que les emprunts sagement appliqués sont un moyen de sûreté et une source féconde de prospérité pour un Etat : que nos emprunts avaient servi jusqu’ici à assurer notre indépendance et à créer des chemins de fer qui sont la gloire et l’avenir commercial de la Belgique.

Je l’ai dit et je le maintiens, car je veux partager l’opinion de l’honorable M. Demonceau, qui croit que pour vivre et prospérer, la Belgique ne doit plus recourir à des emprunts ; que l’on projette encore de grands et utiles travaux, que la sûreté du pays soit menacée, et je voterai de grand cœur des emprunts nécessaires ; nos enfants auront plus de facilité à servir un emprunt qu’à créer les utiles travaux que nous leur aurons légués, qu’à conquérir une indépendance que nous leur aurons conservée.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Le discours de l’honorable préopinant, que depuis quelques temps j’ai l’habitude de rencontrer parmi mes adversaires les plus violents, ce discours se divise en deux parties distinctes. Dans la première, que j’ai écoutée avec beaucoup d’intérêt, j’ai trouvé des vues utiles, des vues pratiques, des vues dictées, je veux le croire, par le sentiment de l’intérêt général, sentiment que je me plais encore à ne pas méconnaître chez le préopinant.

Dans la deuxième partie, j’ai été surpris, à quelque degré d’exaltation que soit monté l’esprit du préopinant, j’ai été surpris de rencontrer une accusation qui n’avait encore été dirigée contre le ministère que par un ou deux journaux du pays.

En défendant le chemin de fer, je suis amené à combattre cette partie du discours du préopinant. Je tâcherai pourtant de ne pas donner à ma réponse une étendue trop grande. Le moment n’est pas venu de défendre le système du ministère au point de vue politique ; il s’agit d’une question d’administration, et je crois les membres de cette chambre trop bien inspirés par les intérêts du pays pour qu’ils veuillent mêler les questions politiques aux questions administratives : les questions administratives doivent toujours se résoudre dans l’intérêt du pays et il serait déplorable que parce que certains hommes seraient aux affaires on rejetât des propositions utiles aux véritables intérêts généraux.

Non, messieurs, ce n’est pas ainsi que la chambre comprend sa mission. Nous ne reculons pas devant une discussion politique, mais nous espérons que jamais des considérations politique n’empêcheront la chambre de s’associer au ministère alors qu’il demandera des choses d’intérêt général en dehors des questions politiques.

Suivant l’honorable préopinant, depuis le nouveau ministère, le pays serait livré à l’intolérance ; et pourquoi, messieurs ? Parce qu’il y a eu un déplacement d’un commissaire d’arrondissement. Pourquoi ? Parce qu’il voit au ministère deux hommes autrefois ses amis politiques à la politique desquels il s’est associé pendant tant d’années ! Voilà, messieurs, les deux motifs pour lesquels l’honorable membre ne cessait pas de dire que le pays est livré à l’intolérance. Vous avez-vous-même, pendant neuf années, rendu un hommage absolu à l’esprit d’impartialité qui nous guidait, mais alors aussi vous-même étiez impartial, alors vous ne vous étiez pas lancé dans cette exagération d’opposition qui n’est point votre caractère. Du reste, à mon tour, je vous ajourne au retour de cette impartialité et de cette modération qui furent la base de votre conduite pendant les neuf années que nous avons été liés politiquement.

L’honorable préopinant se voit, dit-il, menacé lui-même dans sa position parlementaire, et par qui menacé ?

M. de Brouckere – Par les électeurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Si l’honorable préopinât se déclare ouvertement l’adversaire quand même des ministres, il rencontrera certainement les ministres parmi ses premiers adversaires ; et où serait-il écrit qu’un ministère n’a pas le droit de se défendre ? oui, sans doute, si vous continuez votre opposition exagérée, injuste, systématique contre la personne des ministres, le ministère fera tous ses efforts pour vous éloigner d’une chambre où il ne rencontrerait en vous qu’un ennemi injuste, passionné, personnel ; vous pouvez vous y attendre ; vous connaissez ma franchise, au besoin vous connaîtrez votre énergie.

L’honorable préopinant a parlé de services dont quelques-uns d’entre nous auraient personnellement profité ; c’est, je crois, la deuxième allusion de cette nature que se permet l’honorable membre, et je demande à cet égard une explication formelle ; quant à moi, je cherche en vain dans ma carrière politique les services que l’honorable préopinant m’aurait personnellement rendus ; tout au moins si des services ont été rendus, il y a eu réciprocité ; si l’honorable membre a été garant de mon impartialité, de ma tolérance politique, moi-même, messieurs, dans mille circonstances, je me suis porté garant de son impartialité, de sa tolérance, et peut-être mon rôle était-il, à certains égards, plus difficile que le sien.

Je ne pense pas du reste qu’il puisse tomber dans l’imagination de l'honorable préopinant, de vouloir ici faire allusion à d’autres services.

Messieurs, cette intolérance du ministère se serait manifestée encore par un autre acte que l’honorable préopinant a eu soin de placer à l’avant-garde de son attaque, en tête de son discours ; il a cherché à effrayer le pays, à intéresser la chambre sur le sort de deux pauvres écoles que, dans son entraînement pour le chemin de fer, le ministère aurait renversées sans égard, sans pitié. Je conçois, messieurs, le but de cette thèse ; elle ne manque pas d’une certaine adresse ; au point de vue où s’est placé l’honorable préopinant, ces sorts d’insinuation peuvent porter leurs fruits ; heureusement que j’ai rencontré ici un honorable représentant de Bruxelles, un défenseur que je n’ai point cherché et dont je n’avais pas besoin, car les actes auxquels l’honorable préopinant a fait allusion ne concernent point mon administration.

M. Nothomb – Ils sont de la mienne.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il est vrai qu’on a passé cette circonstance sous silence : on était bien aise de pouvoir attribuer au nouveau ministère cette petite intolérance apparente contre deux écoles, mais, enfin l’honorable préopinant a trouvé un contradicteur et ainsi que cela lui est déjà arrivé quelquefois, il a été forcé à une rétractation complète. J’ajouterai, messieurs, en ce qui concerne l’une de ces écoles, que j’ai reçu l’intéressé lui-même et que nous sommes tombés d’accord sur les compensations auxquelles il avait droit, que j’ai fait personnellement des démarches pour obtenir une transaction avantageuse à son école, que j’ai été jusqu’à lui offrir sur le budget de mon département une compensation si tant était qu’il n’en trouvât pas une suffisante dans les offres, d’ailleurs si raisonnables, que lui faisait la ville de Bruxelles.

On a parlé, messieurs, à cette occasion, de l’état de délabrement où on laisserait les monuments publics, et l’on a fait allusion à la tour de Bruxelles ; eh bien, messieurs, ici on a eu la main malheureuse ; un des premiers actes dont je me suis occupé est celui qui accorde un subside pour contribuer à la restauration de la tour de Bruxelles ; car moi aussi j’aime beaucoup les monuments publics, les monuments anciens, et je rappellerai, puisque nous parlons des monuments de Bruxelles, que c’est sous mon ministère, ministère dont l’honorable préopinant faisait partie, que l’on a commencé la restauration de plusieurs monuments publics, et notamment de Ste-Gudule.

L’honorable membre a fait aussi le procès au ministère relativement aux dépenses énormes dans lesquelles le pays est entraîné, selon lui, par suite de l'établissement du chemin de fer ; déjà j’ai fait remarquer à cette occasion que ce n’est point le ministère actuel, ni le ministère précédent, n aucun ministère qui a provoqué toutes ces dépenses, et qu’elles ont pris en grande partie leur source, en ce qu’elles peuvent avoir d’exagéré, dans le sein des chambres elles-mêmes. Ce sont les chambre, messieurs, qui, envisageant le chemin de fer sous un tout autre point de vue que l’honorable préopinant, lui ont donné une grande extension, et dès lors les reproches du préopinant ne s’adressent point au gouvernement, mais aux chambres ; que dis-je ? au préopinant lui-même qui, je pense, a voté les lois dont il fait aujourd’hui une critique si amère.

« Mais, dit-il, tandis que vous prodiguez des trésors dans ce chemin de fer, vous abandonnez les routes ordinaires, le pays tout entier patauge dans la boue, tandis que les habitants de quelques localités ont le bonheur de faire 10 lieues à l’heure. » Eh bien, messieurs, cela est encore complètement inexact, et je ne conçois pas comment l’honorable préopinant, qui a fait partie du gouvernement pendant d’aussi longues années, en soit encore à ignorer que les routes pavées ont pris l’accroissement le plus considérable depuis la révolution. En 1830, messieurs, il y avait en Belgique 705 lieues de routes, ces routes se sont accrues de 334 lieues, c’est-à-dire de près de la moitié. Il a été fait 122 lieues de routes de l’Etat, 140 lieues de routes provinciales et 72 lieues de routes concédées. Ainsi, en moins de 10 années on a fait la moitié de tout ce qui avait été fait depuis qu’il y a un sol belge.

Il ne faut donc pas dire, messieurs, que, par un vain amour de la popularité, pour faire étalage de beaucoup d’éclat ou favoriser les grandes localités, qu’on favorise les grands travaux et qu’on néglige les travaux de moindre importance ; je viens de prouver que les travaux de moindre importance n’ont pas été négligés et je suis bien aise d’avoir eu cette occasion de prendre la défense de mes honorables prédécesseurs, les collègues de l’honorable préopinant.

On nous a dit : faites l’utile et ajournez le brillant. Mais nous demandons à faire l’utile : qui donc a parlé de faire du brillant ? A-t-on trouvé dans les dépenses proposées rien qui ressemble à des dépenses folles, à des dépenses exagérées ? A-t-on demandé à faire quelque chose d’inutile ? S’il y a quelque chose d’inutile dans les travaux proposés, qu’on nous le démontre, nous ne demandons pas mieux que d’introduire le plus d’économies possible dans le chemin de fer ; il y va de l’intérêt du pays, il y va de la gloire du ministère : plus le ministère sera parvenu à rendre le chemin de fer productif, plus il aura droit à la confiance, à la reconnaissance du pays et à la vôtre. Nous acceptons donc avec empressement toutes les mesures d’économie qu’il est possible de réaliser.

Parmi les moyens économiques indiqués par l’honorable préopinant se trouve la suppression des waggons, la suppression des waggons qui produisent le revenu principal du chemin de fer ! Ainsi nous aurions consacré 125 millions de capital à établir le chemin de fer et nous supprimerions les transports qui produisent la principale partie des recettes, nous laisserions dormir le matériel et les capitaux qui y sont engagés, et cela pour faire des économies ! Je dois le dire, messieurs, je crains qu’il y ait dans cette proposition de l’honorable préopinant autre chose que des vues purement économiques…

M. F. de Mérode – J’ai parlé d’après une autorité compétente.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne sais pas si l’honorable membre a cité une autorité, mais je ne conçois pas comment en supprimant les waggons on parviendrait à opérer des économies sur le chemin de fer.

Je crois, je le répète, qu’ici encore se manifeste cette espèce d’aversion que l’honorable comte de Mérode a toujours exprimée dans cette enceinte pour les voyages, non pour les voyages que lui et d’autres peuvent faire, mais pour les voyages que les gens peu aisés, le peuple, les paysans, les ouvriers peuvent faire. J’ai déjà eu occasion de dire que je pensais que l’honorable préopinant n’aimait pas qu’on voyageât beaucoup en Belgique ; le discours qu’il a prononcé aujourd’hui ne fait que me confirmer dans cette opinion.

L’honorable préopinant a avancé qu’on transportait à perte. Je ne sais sur quelle donnée il s’est basé pour appuyer une pareille assertion.

Je croyais avoir prouvé, au contraire, que jusqu’ici, dans l’état encore imparfait du chemin de fer, on voyageait avec plus de bénéfice pour l’Etat que sur les routes pavées. Les routes pavées ne rapportent certainement pas 2 2/3 p.c. net du capital de leur établissement.

Pourquoi exiger que les chemins de fer rapportent plus que les routes pavées ? J’ai ajouté que, lorsque le chemin de fer serait terminé, et lorsque surtout le service du transport des marchandises aurait reçu son complet développement, il y aurait amélioration certaine dans les revenus. C’est alors qu’il conviendra de porter un jugement définitif sur le chemin de fer ; je demande que, pour le chemin de fer comme pour le ministère, on ne les condamne pas a priori, mais qu’on les juge l’un par ses résultats, l’autre par ses actes.

Messieurs, la justification de la demande faite par le gouvernement trouvera, comme je l’ai dit hier, mieux sa place dans la discussion des articles. Je me réserve donc, lors de la discussion de l’article 2, ou de l’article premier, de répondre à quelques assertions qui ont été émises dans la séance d’hier et qu’un honorable député a reproduites aujourd’hui.

M. F. de Mérode – Selon M. le ministre des travaux publics, j’aurais été forcé, en ce qui concerne mes observations sur deux écoles, à une complète rétractation. Messieurs, j’attends que les allégations respectives avancées par moi et mon honorable interlocuteur, M. Van Volxem, soient vérifiées. J’ai contesté une partie des siennes. J’en ai provisoirement admis d’autres pour le cas néanmoins où je serais mal informé. Je n’ai d’ailleurs accusé personne. J’ai signalé une tendance trop exclusive, un engouement trop absolu, évidemment exagéré en faveur des chemins de fer. Je demande ensuite à pouvoir adresser une interpellation à M. Nothomb, ancien ministre des travaux publics. Je l’ai cité tout à l’heure, ainsi qu’un agent supérieur du génie civil, et c’est d’eux que je tiens précisément que le bas prix des places dans les waggons diminuait notablement les revenus du chemin de fer. Ils m’ont appris qu’en Angleterre cette classe de voiture n’existait point, ce qui donnait aux compagnies la possibilité de suffire aux dépenses par les recettes.

M. Nothomb – Messieurs, il est très vrai que j’ai donné récemment quelques explications à l’honorable préopinant, au sujet des produits du chemin de fer ; il s’agissait des intentions que mon honorable successeur semblait avoir annoncées à cet égard à cette chambre, dans une séance à laquelle je ne pouvais assister.

Je suis bien aise que l’interpellation, ou plutôt l’observation que l’honorable préopinant m’adresse (car je ne suis plus sujet aux interpellations) m’offre l’occasion de m’expliquer publiquement.

Vous vous rappellerez, messieurs, que par un arrêté du 3 févier 1839, l’ancien tarif du chemin de fer a été modifié ; il a été augmenté. Je crois que, d’après l’ancien tarif du chemin de fer, les waggons suffisaient à peine pour faire les frais des voyageurs : C’est là ce que j’ai dit à l’honorable préopinant, et c’est ce que je crois devoir maintenir ; leur suppression, dans ce sens, en ne voyant que la question d’argent, n’eût donc pas été une perte, mais il n’est pas toute la question.

Le résultat du nouveau tarif a été de diminuer le nombre des voyageurs, mais sans diminuer la recette qui, selon moi, ne se serait pas maintenue, si on avait continué l’ancien tarif ; la recette eût diminué par suite des circonstances dans lesquelles le pays se trouve depuis la crise de 1838 à 1839.

C’est là une opinion que je veux bien considérer comme personnelle, je m’en rapporte très volontiers aux nouvelles expériences qu’on voudra faire par un retour à l’ancien tarif.

Messieurs, je n’ai pas écarté du chemin de fer en 1839 un million de voyageurs. Il y a entre l’année 1839 et l’année précédente, une différence de 300,000 voyageurs. Il y a eu, me dit-on, quelques sections de plus en 1839, cela est vrai, mais je le répète, une crise est venue atteindre le pays, une crise profonde, générale. Ce qui a fait qu’on s’est trompé généralement, c’est que le nouveau tarif a été introduit le 20 février 1839, et qu’on a comparé la dernière dizaine de ce mois avec la dizaine précédente, sans tenir compte de ces deux circonstances , que le mois de février n’a que 28 jours, et que le chemin a été suspendu pendant les quatre derniers jours par suite d’inondations. C’est donc avec d’autres dizaines qui se sont écoulés sous le régime du nouveau tarif qu’on devrait faire la comparaison ; l’on verrait que la décroissance du nombre des voyageurs a été moins rapide qu’on ne le suppose. Par suite de l’introduction du nouveau tarif, il a été possible de simplifier et de régulariser l’exploitation ; j’ai pu faire face aux dépenses d’exploitation de 1839 avec la même somme de 3 millions que vous aviez votés pour 1838, année où le chemin de fer ne présentait pas le même développement.

Je ne veux pas en dire davantage. J’ignore quelles sont les intentions définitives de mon successeur. J’étais convaincu que je faisais bien en augmentant le tarif ; si des expériences nouvelles sont tentées, et qu’il me soit donné un démenti par ces expériences, je me consolerai très facilement, je serai heureux de voir faire mieux que je n’ai fait ; mon amour-propre n’est nullement engagé ; je crois seulement, avec l’honorable comte de Mérode, que le chemin de fer doit rester, ou s’il ne l’est pas, devenir productif, quoique je sois loin de considérer le chemin de fer comme il le considère.

Je dois encore ajouter qu’il n’entrait nullement dans mes intentions d’écarter la classe ouvrière du chemin de fer. C’est encore une idée erronée qui s’est répandue dans le public ; j’ai maintenu, pour les trajets intermédiaires de station à station le prix de l’ancien tarif, 35 centimes.

Je demanderai pour terminer la permission de répondre un mot à la première partie du discours de l’honorable préopinant. D’après ce discours, nous aurions fait beaucoup de folies depuis 1830. Je dirai à l’honorable comte qu’on a tort d’avoir raison contre tout le monde ? Eût-il mieux valu ne décréter qu’un chemin de fer reliant Gand, Anvers, Bruxelles et Liège ? C’est là une question oiseuse, tardive. Nous avons décrété les chemins de fer, tels qu’ils sont aujourd’hui, soit en exploitation, soit en cours d’exécution ; nous devons les achever ; nous avons entrepris une grande chose ; ah ! n’allons pas avouer en présence du pays, en présence de l’Europe, que nous avons fait une faute.

Je dirai que rien n’est moins prouvé, et s’il y avait même eu quelque exagération dans cet élan de la Belgique, il ne faudrait pas l’avouer en donnant à cet aveu des couleurs aussi sombres. Le chemin de fer n’est pas le résultat d’un engouement passager.

Je crois qu’on a satisfait à un besoin du pays qui, au sortir d’une révolution, sentait la nécessité de poser un grand fait d’organisation matériel : ce fait a pris un caractère éminemment national, en comprenant aujourd’hui toutes les provinces. Nous avons ainsi créer un nouveau domaine national ; vous ne l’avez pu qu’à l’aide d’emprunts ; la valeur que vous avez produite subsiste pour les générations à venir ; elles n’auront donc point à vous maudire, comme semble le craindre l’honorable M. de Mérode.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je maintiens les assertions que j’ai émises dans la séance à laquelle n’assistait pas mon honorable prédécesseur. Je maintiens que la réduction du nombre de voyageurs par suite de l’augmentation du tarif a été de près d’un million. Si les recettes ont été les mêmes, c’est qu’en 1839 le nombre des sections en exploitation était plus considérable qu’en 1838, et dès lors il devait y avoir accroissement du nombre de voyageurs. J’ajouterai que si on avait maintenu l’ancien tarif, non seulement il y aurait eu un million de voyageurs de plus, mais on aurait eu aussi une augmentation de recettes de près de 300,000 francs ; c’est ce que je pourrais démontrer par des chiffres.

Du reste, je ne recule pas du tout devant l’idée qu’on me prête de vouloir essayer d’un nouveau tarif, bien entendu que si cet essai n’atteint pas le résultat que je suis en droit d’espérer, je reviendrai volontiers à l’essai tenté par mon prédécesseur.

M. Nothomb – J’accepte de même pour mon essai le résultat de l’expérience que vous voulez faire.

M. d’Huart – J’avais demandé la parole dans la discussion générale, mais divers incidents ayant prolongé cette discussion, et pouvait dire en moins de mots, lors de la discussion des articles ce que j’ai à dire, j’attendrai qu’on en soit venu là, pour présenter mes observations. Je renonce pour le moment à la parole.

M. d’Hoffschmidt – Je renonce à la parole par les mêmes motifs.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article nouveau

M. le président – Un amendement signé par MM. Zoude, d’Hoffschmidt, d’Huart, Nothomb, Metz, Jadot, Willmar, Pirson et David, vient d’être déposé.

Il est ainsi conçu :

« La disposition de l’article 13 de la loi du 28 mai 1837 décrétant un chemin de fer destiné à rattacher le Luxembourg au système général est rapportée.

« En compensation, il est ouvert au gouvernement un crédit extraordinaire de 2 millions de francs pour la construction de routes de Bastogne par Neufchâteau à la frontière de France.

« De La Roche à Stavelot ; et de Marche à Bouillon. »

Par suite de cette proposition, il y aura lieu d’ajouter à l’article 2 ancien qui devient l’article 3, un numéro 6 ainsi conçu :

« La construction des routes décrétées dans le Luxembourg par l’article précédent. »

M. Zoude a la parole pour développer cette proposition.

M. Zoude – Messieurs, nous ne venons pas réclamer la bienveillance que la chambre a manifestée envers le Limbourg et le Luxembourg, lors de la loi d’emprunt pour la construction de routes ; nous nous bornerons à dire un mot de la loi du 26 mai 1837, qui a décrété un chemin de fer dans le Luxembourg pour le rattacher au système général de l’Etat.

Ce chemin, en supposant qu’il ne dût faire aucun détour pour éviter les accidents des terrains et parvenir cependant à une élévation de 500 mètres au-dessus du niveau de la Meuse, pris à Namur, devait avoir plus de 25 lieues de longueur à partir de cette ville jusqu’à un point déterminé de la frontière française.

Pour apprécier la dépense que cette construction entraînerait, nous prenons les tableaux qui vous ont été soumis, et nous voyons que la moyenne du coût par lieue des sections en exploitation y compris le matériel a été de 800,000 francs, ce qui, pour le trajet depuis Namur, ferait une dépense de 20 millions.

Ce chemin, messieurs nous en convenons, ne serait probablement pas bien productif pour l’Etat, mais il serait d’une immense utilité pour le Luxembourg, qui, armé de la loi de 1837, pourrait en réclamer l’exécution.

Mais nous ne voulons pas de sacrifice que l’Etat aurait peut-être à regretter, et nous croyons que nous commettants ne nous désavouerons pas lorsque nous venons déclarer solennellement à la chambre que nous renonçons au droit d’un chemin de fer dans le Luxembourg.

Toutefois, vous nous permettrez, messieurs, d’appeler votre attention sur la part de responsabilité dans laquelle notre province sera engagée lorsque les chemins seront entièrement achevés.

La dépenses totale, le matériel compris, sera, suivant le calcul du conseil des ponts et chaussées, de 126 millions ; mais ce n’est pas cette somme seule dont l’Etat sera grevé, il le sera du montant nominal de tous les emprunts qui, au taux de ceux opérés jusqu’ici, atteindra au moins le chiffre de 145 millions.

Si nous répartissons cette somme d’après la population, nous trouvons que la part de responsabilité dans laquelle le Luxembourg sera engagé, sera de 6 millions, et si nous prenons pour base de cette répartition le montant des centimes versés à l’Etat, nous obtenons encore un résultat à peu près égal.

On nous objectera, peut-être, que la garantie n’est que morale, nous l’admettrons quant au capital, mais cette garantie devient bien réelle lorsqu’il faut combler la différence entre le revenu de ces chemins et l’intérêt du capital engagé.

Or, d’après les calculs les plus généralement admis, d’après ceux de M. Nothomb, que nous croyons compétent sur la matière, ceux mêmes dont a parlé le ministre des travaux publics dans la séance du 3, il faudra enfin beaucoup d’amélioration pour que le revenu atteigne 3 p.c. ; il y aura donc à suppléer par l’Etat pour parfaire l’intérêt de 3 p.c., taux minimum des emprunts, une somme de 2,600,000 francs, ce qui imposera au Luxembourg une charge annuelle de 120,000 francs, représentant un capital de 2 millions 40 mille francs.

Il en serait bien autrement si par l’événement d’une guerre, la circulation des chemins de fer venait à être interrompue ; mais nous voulons bien croire au maintien d’une neutralité perpétuelle et nous faisons un appel à l’équité de la chambre qui ne permettra pas, lorsque les autres provinces vont être mises en jouissant du bienfait inappréciable des chemins de fer, que nous renoncions au droit que nous tenons de la loi, sans qu’il nous soit accordé une compensation pour la construction des routes dont notre province éprouve un besoin urgent, non seulement dans son intérêt particulier, mais aussi dans celui de l’Etat, comme nous le démontrerons dans la discussion.

Messieurs, d’après les calculs que nous avons établis, nous pourrions réclamer comme bien légitime une indemnité de 2 millions 400,000 francs. Nous la réduisons à 2 millions, montant du coût présumé des routes reconnues indispensables, et nous attendons avec confiance que la chambre nous les accordera, en majorant de pareille somme l’emprunt qui est demandé.

Ordre des travaux

M. Devaux – Il faudrait régler l’ordre de la discussion, afin d’y mettre plus de clarté. L’emprunt comprend trois choses, le chiffre, le mode et l’amortissement. Je crois que la discussion s’élèvera sur ces trois points.il faudrait les séparer. Ne pourrait-on pas commencer par l’article 2 qui décide le chiffre de l’emprunt. On ne peut pas décider le chiffre global sans s’être entendu sur les diverses affectations particulières. Il faut donc s’occuper de l’article 2, avant de discuter l’article premier. Ensuite, on examinera la question de concurrence et de publicité et enfin la question d’amortissement.

M. Cogels – Je proposerai une légère modification à cet ordre : ce serait, après la question de publicité et concurrence, de s’occuper du taux de l’intérêt.

M. d’Huart – C’est de droit, cela rentre dans le mode d’emprunt.

- La proposition de M. Devaux est adoptée.

En conséquence, la chambre s’occupera d’abord de l’article 2 pour déterminer le chiffre de l’emprunt, elle reviendra à l’article premier et examinera la question de publicité et concurrence et le mode de m’emprunt et enfin la question de l’amortissement.

M. Vandenbossche – Je demande à développer ma proposition.

Plusieurs voix – C’est fini.

M. Vandenbossche – Je demande que ma proposition soit alors renvoyée aux sections.

M. le président – Le bureau a nommé la commission chargée d’examiner le projet de loi de séparation de communes ; cette commission est composée de MM. Raikem, Desmet, de Terbecq, de Garcia et Eloy de Burdinne.