(Moniteur belge n°155 du 3 juin 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est adoptée.
M. Lejeune annonce qu’il est fait hommage à la chambre, par le sieur F. M. Goblet, propriétaire, d’un opuscule ayant pour titre : « Culture des pommes de terres et des betteraves. »
M. Van Hoobrouck de Fiennes dépose sur le bureau un rapport sur un projet ayant pour objet un transfert au budget du département des affaires étrangères pour l’exercice 1839.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je demanderai que la discussion de ce projet ait lieu avant la discussion du projet concernant les péages des chemins de fer.
- La proposition de M. le ministre des affaires étrangères est adoptée.
M. le président – Avant d’ouvrir la discussion, il faudrait savoir si M. le ministre des finances se rallie au projet de la section centrale ; mais il est absent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il va être ici dans l’instant ; mais je crois pouvoir dire à la chambre que M. le ministre des finances désire que la discussion s’établisse sur le projet du gouvernement.
M. le président – La discussion est par conséquent ouverte sur le projet du gouvernement.
M. Peeters – Messieurs, je suis entièrement convaincu que rien ne peut contribuer davantage au bien-être matériel d’un pays que la facilité de ses communications, et que la Belgique, même en empruntant de l’argent pour la construction de communications utiles, deviendra plus riche que si elle était restée stationnaire sans augmenter ni sa dette ni ses communications.
Quelque grande cependant que puisse être ma conviction à cet égard, le projet d’emprunt qui nous est présenté actuellement ne pourra jamais obtenir mon approbation, à moins que l’emploi qu’on nous propose d’en faire ne soit modifié, et qu’une partie au moins en soit destinée pour l’ouverture de nouvelles voies de communication navigables, dont le besoin se fait si souvent sentir dans plusieurs provinces du royaume.
Notre honorable collègue, M. de Puydt, nous avait présenté au commencement de cette session un projet d’emprunt de dix millions destinés à ces sortes de communications ; ce projet, qui a été envoyé en sections, a été retiré par son auteur, parce que M. le ministre des travaux publics, tout en reconnaissant l’utilité de ce projet, l’avait convaincu que le moment de le présenter n’était pas bien favorable et que dans un temps plus ou moins rapporté, lorsque les études de différents projets seraient achevées, l’on serait sans doute plus disposé à son adoption. Cette déclaration de la part du gouvernement était rassurante ; elle devait sans doute satisfaire l’auteur de la proposition ; mais telle n’est plus la question aujourd’hui.
Dans un moment où l’on nous demande près de 70 millions pour l’achèvement des chemins de fer, qui nous coûteront plus de 130 millions, l’opportunité de demander au moins quelque chose pour la construction des travaux et autres voies navigables ne peut plus été contestée.
Dans un moment, dis-je, où l’on va dépenser des sommes si considérables pour la construction de chemins de fer, qui, dans plusieurs localités, ne sont utiles que comme chemins de luxe et de grande vitesse, longeant les plus beaux canaux et les plus belles routes du pays (dont ils diminuent considérablement le produit), l’on n’accorderait rien pour la construction de canaux utiles dans des contrées délaissées et privées jusqu’ici de tout moyen de communication.
Je vous le demande, messieurs, y aurait-il là cette justice distributive qui forme la base de notre constitution ?
Tout serait dépensé pour faire jouir davantage ceux qui ont toujours été favorisés, et l’on ne donnerait rien à ceux qui constamment ont été oubliés.
Ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le faire remarquer dans une précédente discussion, l’on avait déjà conçu l’idée de canaliser la Campine sous Philippe-le-Bon, en joignant l’Escaut à la Meuse par un canal ; l’utilité de ce projet a été reconnue par presque tous les gouvernements qui se sont succédé depuis. Sous le gouvernement français, on avait déjà commencé à mettre la main à l’œuvre, lorsque la jalousie hollandaise est parvenue à y mettre obstacle.
Lors de notre régénération politique, la jalousie et l’influence étrangère n’ayant plus de prise sur nous, un nouveau projet pour joindre l’Escaut à la Meuse, par différents canaux, fut présenté au gouvernement belge par M. l’inspecteur général des ponts et chaussées. Ce projet qui, tout en créant une communication commerciale par divers canaux navigables, donnait en outre le moyen de fertiliser les immenses bruyères de la Campine, a été accueilli avec joie ; il a été soumis, par le gouvernement, à une étude approfondie, qui doit être achevée actuellement.
Il me paraît qu’il serait bien temps d’accorder quelque chose pour une canalisation si utile, dont le parcours a été étudié, nivelé et mesuré depuis si longtemps dans un moment où l’on nous demande treize millions pour la section du chemin de fer de Braine-le-Comte à Namur, qui rapportera fort peu de chose, et dont la moitié aurait suffi pour canaliser toute la Campine, canalisation qui fertiliserait une si grande étendue de pays, et dont le résultat serait très avantageux pour le pays.
Sans doute, messieurs, on a été beaucoup trop loin en chemins de fer, on aurait dû se borner pour le moment à joindre au Rhin, par un chemin de fer, les villes de Bruxelles, Gand et Anvers, par Louvain, Liège et Verviers ; l’on n’aurait dû commencer l’embranchement vers la France, que lorsque la France aurait commencé à travailler vers notre pays, car, ainsi que nous l’a fort bien fait observer M. le ministre des finances, dans l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi en discussion, les chemins de fer ne commenceront à produire réellement que lorsqu’ils rencontreront à la frontière, ceux qui se préparent dans les pays étrangers ; il n’y avait donc rien de si pressant pour l’exécution de la route en fer décrétée vers la France.
Si l’on s’était contenté des lignes que je viens de citer, et si l’on avait dépensé, en routes pavées et canaux, la moitié de ce que coûteront les autres embranchements des chemins de fer décrétés, la valeur productive de la Belgique eût été infiniment augmentée ; après l’exécution de ces travaux, notre pays serait un véritable jardin.
Mais, dira-t-on, toutes ses observations deviennent inutiles ; les chambres ont décrété les chemins de fer, il faut les exécuter. Oui, messieurs, il n’est malheureusement que trop vrai que chaque province a voulu avoir son chemin de fer ; et que le gouvernement a été en quelque sorte forcé de travailler dans toutes les directions à la fois, ce qui l’a, peut-être, empêché d’y procéder avec toute l’économie désirable, et l’a fait engager trop de capitaux à la fois, dont plusieurs sont encore improductifs.
Messieurs, messieurs, si l’on a été trop loin en dépensant tant d’argent pour les chemins de fer, dont plusieurs étaient inutiles pour le moment, est-ce un motif de négliger la construction des canaux et autres voies navigables, dont l’utilité n’est contestée par personne. Je pense, au contraire, que la justice distributive exige, que lorsqu’on a trop fait pour quelques localités, on fasse au moins quelque chose pour ceux qui n’ont rien.
Quelque grand partisan que je sois des travaux publics, je ne puis plus donner mon assentiment à aucun projet quelqu’utile qu’il puisse être, avant que la canalisation de la Campine n’ait obtenu un commencement d’exécution, ou que je n’aie obtenu un engagement formel pour cette exécution ; le tout conforme à ce que j’ai l’honneur de vous dire lors de la discussion du budget.
M. Demonceau, rapporteur, demande et obtient la parole pour faire une motion d’ordre – Messieurs, dit- il, des annexes à mon rapport ont été imprimées et distribuées ; mais je réclame contre le contenu de la première feuille de ces annexes ; elle présente des calculs dont je ne conteste pas ici l’exactitude, mais qui ne sont pas de moi ; et c’est ce que je crois devoir déclarer à la chambre.
Cependant, comme ces calculs sont imprimés comme s’ils étaient miens, je demanderai à la chambre la permission de faire imprimer une feuille qui présentera mes calculs propres, afin de rectifier la première page des annexes. Cette impression pourra être faite ce soir.
- La proposition est adoptée.
M. Milcamps – Messieurs, je regrette de devoir combattre le premier projet de loi important présenté par M. le ministre des finances. Ce n’est pas de l’opposition que je fais ; si je me prononce contre son projet d’emprunt, c’est, d’une part, parce que l’exécution simultanée et rapide de nos nombreux chemins de fer, nos énormes emprunts, qui en sont la conséquence, loin de servir le commerce et l’industrie du pays les compromettent de tous points ; c’est, d’autre part, parce qu’une partie de l’emprunt est demandé aujourd’hui pour exécuter des chemins qui doivent favoriser certaines localités en dépouillant d’autres de leurs avantages, le gouvernement méconnaissant ainsi l’esprit de la loi qui a décrété les chemins de fer.
Je ne connaîtrai pas l’opinion de la chambre, qui n’a pas à prononcer directement à cet égard ; mais je ne mets pas en doute qu’après m’avoir entendu elle abaissera singulièrement les brillants avantages qu’on lui a fait espérer de cette vaste entreprise de chemins de fer.
Je n’ai pas, dans le principe, échappé à la séduction de ces brillantes promesses. J’ai voté la loi du 1er mai 1834 : loi de transaction, antécédent qui nous a poussés dans d’interminables travaux, loi qui a décrété les lignes de chemins de fer vers l’Angleterre, la Prusse et la France, qu’on nous avait présentées et fait envisager, si adroitement, comme d’intérêt général. Mais depuis j’ai voté contre la loi du 26 mai 1837, autre loi de transaction qui a décrété le chemin de fer de Gand vers Lille, celui du Limbourg, celui de Namur, évidemment réclamés dans des intérêts de localités, et qui, à défaut de gouvernement, eussent été, en partie du moins, exécutés par des capitalistes à leurs risques et péril.
Du moment que le gouvernement est venu nous proposer des emprunts pour l’exécution simultanée et rapide de toutes ces grandes entreprises, sans distinction de celles qui appartiennent plus ou moins à l’intérêt général et de celles qui sont d’intérêt local, sans égard à la crise commerciale, à la fâcheuse situation de nos finances, j’ai dû, et tout m’en faisait un devoir, repousser ces emprunts.
Je n’ai point concouru à celui de 50 millions.
J’ai refusé celui de 12 millions en bons du trésor. Quant à l’acquisition de quatre mille actions de la société rhénane, je me suis abstenu.
Vous savez avec quelle malignité, et en m’attribuant des idées étroites et mesquines d’intérêts de localité, mon abstention a été interprétée.
Je ne m’occupe point de cela.
Si je vous le demandais, vous me rendriez cette justice que, bien que je compte près de neuf années de présence dans cette assemblée, il ne m’est pas arrivé de réclamer ni d’obtenir des avantages pour ma localité.
Ce n’est pas pourtant que je croie qu’il ne soit pas permis à un député de défendre les intérêts de sa localité, lorsqu’il ne le fait pas au préjudice de l’intérêt général ou lorsqu’il rappelle à l’égalité des droits.
Qui s’est jamais élevé contre deux représentants du Hainaut qui ont défendu avec tant de vivacité et de succès les intérêts de leurs localités. Je ne citerai pas les paroles de l’honorable M. Gendebien que nous ne voyons plus siéger parmi nous. Mais je me permettrai de vous rappeler celles de l’honorable M. Dolez.
« Depuis longtemps, disait M. Dolez dans la séance du 20 mai 1837, plusieurs localités jouissent de leurs chemins de fer, tandis que nous, nous n’avons absolument rien. Nous demandons qu’il y ait égalité pour tous, et ce grand principe que nous invoquons aujourd’hui en faveur du Hainaut, demain chacun de vous peut l’invoquer à son tour. Soyez bien persuadés qu’alors je vous prêterai mon appui avec la même chaleur que je mets aujourd’hui à vous demander le vôtre. Cette observation, continuai M. Dolez, que j’adresse à tous les membres de la chambre, je l’adresserai, comme a fait tout à l’heure M. Pirmez aux députés de Namur, du Limbourg et du Luxembourg ; prenez-y bien garde, ajoutait-il ; on vous propose aujourd’hui une transaction semblable à celle qui a eu lieu en 1834. On vous dit : adoptez sans difficulté le projet de Gand vers Lille. Nous vous promettons que vous aussi vous aurez des communications. » Vous comprendrez facilement que cet éloquent discours n’a pas peu contribué à amener la transaction.
Aujourd’hui que, par suite de cette transaction entre les représentants de la nation, chacun se trouve avoir obtenu ce qu’il voulait ; qu’il ne s’agit que de l’exécution de cette transaction, c’est-à-dire de la loi, serait-il étonnant que moi, député d’une population nombreuse et d’une ville qui non seulement n’a rien obtenu, mais à qui on veut enlever les avantages qu’elle possède, d’une ville qui a pris une part si vive à la révolution, qui s’est montrée si dévouée à l’ordre, qui renferme dans son sein tant de braves volontaires, dont la poitrine est couverte du ruban que leur sang a rougi ; d’une ville qui voit ses enfants reposer dans la tombe sur la place des Martyrs, serait-il étonnant, serait-il inconvenant que je prononçasse quelques mots en sa faveur ? Non, je ne crains pas le blâme qu’on pourrait vouloir jeter sur mon caractère de député, en disant que le gouvernement devait faire aussi quelque chose pour la ville de Nivelles, que du moins il devait laisser faire un chemin de Charleroy à Tubise, qui lui avait été demandé en concession, qui ne lui aurait rien coûté, qui aurait contribué autant que les siens à l’avantage du pays, sans augmenter ses dettes déjà si énormes, et qui, à ce qu’il paraît, ne font que s’accroître.
Vous devez le reconnaître, dans aucun temps, dans aucune circonstance, je n’ai attaqué les lois qui ont décrété les chemins de fer ; personne, je pense, ne met en doute mon profond respect pour la loi. Si j’ai blâmé quelque chose, c’est la manière d’exécuter la loi, c’est la direction donnée au chemin de Namur ; je ne me suis pas plaint de ce que le gouvernement n’attribuait au district de Nivelles aucune part dans les bénéfices de la transaction ; je me suis plaint, et ici j’appelle toute l’attention de la chambre, je me suis plaint de ce que la direction proposée par le gouvernement allait enlever à la ville de Nivelles, à ses cantons, au canton de Genappe, à Waterloo, si célèbre par les événements de 1815, leurs relations sociales et commerciales établies depuis tant de siècles, et pour lesquelles la ville de Nivelles a fait construire, à ses frais, en empruntant plus de deux millions, des routes pavées partant des charbonnages du centre et se terminant à Waterloo ; routes dont le gouvernement s’est emparées, en en laissant la charge à la ville, en la laissant sous le poids de dix procès actuellement pendant, routes enfin que le canal de Charleroy et le chemin de fer anéantissent.
J’ai dit et je répète encore : ne nous donnez pas, si vous voulez, un chemin de fer, mais au nom du ciel nous vous laissez pas entraîner à profaner le nom justice, le mot intérêt général, ne cédez pas à cette influence qui vous dit de nous dépouiller, de nous isoler, de nous mettre en dehors de la nation.
Le canal de Charleroy a privé la ville de Nivelles du passage des houilles du centre ; Genappe et Waterloo, de celles de Charleroy.
Il restait un passage de voyageurs et de marchandises par Nivelles et Waterloo à Bruxelles, c’étaient les voyageurs et les marchandises de Binche, de Marimont et autres charbonnages du centre, du Fayt, de Seneffe et des autres communes environnantes. Ce passage nous sera enlevé.
La route de Namur à Halle par Nivelles obtenue trop tard pouvait donner passage aux voyageurs et aux marchandises ; ils iront par Charleroy, par Seneffe, sur le centre à Hal. Ce passage nous sera enlevé.
Il restait un passage de voyageurs et de marchandises par Genappe et Waterloo, c’étaient ceux de Charleroy et de toutes les communes environnantes. Ce passage nous sera enlevé.
Ainsi, non seulement le gouvernement ne nous donne pas un chemin de fer, mais il nous enlève les avantages des routes que nous avions établies à nos frais, et comme si ce n’était pas encore assez, la route en fer qu’il propose rend impossible l’exécution de tout chemin que l’industrie particulière voudrait ériger.
Je vous le demande, à vous qui êtes prêts à livrer des millions au gouvernement, puis-je croire encore aux grands mots d’intérêt général devant les transactions dont je viens de parler, quand je vois des localités tout obtenir, tout envahir par l’influence de l’intérêt général qui n’y est pour rien, mais par l’influence de quelques hommes puissants.
Je ne réclame pas des avantages, je supplie seulement le gouvernement de ne point nous priver de ceux dont nous sommes en possession. Je ne combats pas de lucro captando, mais de damno vitando.
Ce n’est pas, cependant, qu’il me manque de bonnes raisons pour demander, à l’imitation de mes collègues, que nous ayons aussi notre chemin de fer. Je pourrais établir que la direction projetée de Namur n’est pas en rapport avec le but qu’on se propose par la création de ces lignes de communication, qu’elle est même contraire à cette justice distributive dont le gouvernement doit la répartition à tous.
En Angleterre, et il en sera de même en France, tous les chemins sont construits sous l’empire de cette idée de mettre en communication directe le produit brut avec la manufacture et la manufacture avec le marché.
Est-ce que la Sambre canalisée pour laquelle nous avons dépensé 14 millions, est-ce que le canal de Charleroy pour lequel nous avons dépensé 12 millions, ne remplissent pas par eux-mêmes, sans l’aide d’un chemin de fer, ces conditions, surtout que les produits de Namur, de Charleroy et du centre sont similaires ?
Le chemin de fer suivant toujours et la Sambre et le canal de Charleroy à Bruxelles, n’étendra pas les effets vivifiants que l’on attend des chemins de fer, il ne résultera de cette direction aucune nouvelle acquisition de débouchés, tandis que la direction vers Tubize, par Nivelles, outre qu’elle desservirait une population nombreuse, ferait acquérir aux produits de Gosselies et de Charleroy de nombreux et nouveaux débouchés.
Ce chemin n’est pas une grande ligne, il n’y a pas d’intérêt général, c’est un chemin intérieur ; quelle raison y a-t-il de le rapporter de la frontière au lieu de le faire servir de communication et de transports à l’intérieur, au cœur du pays ? N’y a-t-il pas un motif de rapprocher des produits de Charleroy et de Gosselies les fabriques d’étoffes de la ville de Nivelles, ses moulins, ses filatures à vapeur, ses brasseries, ses distilleries qui consomment tant de charbon, mais si un jour on parvenait à transporter les matières pondéreuses par les chemins de fer, on regretterait de n’avoir pas adopté la direction de Charleroy à Tubize. Car enfin, pour se procurer de la houille et du fer, les environs de Nivelles sont obligés à des transports par chariots de 6 à 8 lieues.
Vous voulez, aujourd’hui, diriger le chemin de fer vers les charbonnages du centre et de là à Braine-le-Comte.
Je reconnais volontiers l’importance des charbonnages du centre, je les tiens comme les plus avantageux sous le rapport des bénéfices, et je sais qu’on y en fait de grands. Je crois apprécier cette importance à sa juste valeur en disant que cette partie de la population est assez richement dotée par la nature, assez puissamment aidée par le canal de Charleroy et les embranchements de ce canal, pour n’avoir pas besoin de l’aide du gouvernement, surtout que l’on sait qu’il existe un projet d’embranchement de chemin de fer sur Ronquières, qui réunirait les populations au chemin de fer de l’Etat qui en est déjà si rapproché. Ce projet est de M. Vander Elst de Mons, et des capitalistes sont prêts à l’exécuter ; d’ailleurs il y a possibilité de faire quelque chose d’utile pour ces localités, et cela ne serait ni difficile ni onéreux, car les centres ne sont distants de Braine-le-Comte que de deux lieues et demie, le gouvernement pourrait donc y faire un embranchement. Ainsi rien ne fait obstacle à la réalisation du projet primitif, proposé par une société, d’un chemin de fer Charleroy à Tubize par Nivelles.
Mais ce projet a constamment été dans la pensée du gouvernement, c’est l’arme dont on s’est servir pour ravir à Tirlemont et à Louvain la ligne de Namur.
Vous savez que la loi du 26 mai 1837 avait décidé que la ville de Namur serait rattachée au système du chemin de fer. M. l’ingénieur Vifquain avait présenté deux directions, l’une de Namur à Tirlemont par Jodoigne et Perwez, chefs-lieux de mon district, l’autre de Namur à Tubize par Nivelles. M. le ministre livra ces deux directions à l’examen public des intéressés. Le procès était entre Tirlemont et Tubize. Il s’agissait de savoir qui des deux plaideurs aurait l’huître. Après que les parties eurent été entendues, après que les arrondissements de Louvain, de Nivelles, de Charleroy et de Mons l’eurent été eux-mêmes, ces deux derniers soutenant la direction de Tubize, M. le ministre dont la religion, j’aime à le penser, a été surprise, a dit à Tirlemont, à Tubize, ou si l’on veut à l’arrondissement de Louvain et à celui de Nivelles : Je vais donner à chacun une écaille et qu’en paix chacun chez soi s’en aille ; j’adjuge la proie à Seneffe ou aux charbonnages du centre ou je la laisse adjuger par mon successeur, bien qu’ils puissent s’en passer au moyen de leur canal et qu’il n’éprouveraient aucune perte.
Ainsi, pour priver le district de Nivelles d’un chemin de fer, on repousse le projet de Charleroy à Tubize par Nivelles, d’une société, projet que les conseils provinciaux du Brabant et du Hainaut avaient déjà reconnu utile, projet que la députation du Hainaut a déclaré préférable à tout autre dans l’ensemble qu’il forme avec celui de l’Etat, projet qui a été publié et affiché conformément à la loi, pour lequel les inventeurs, confiants qu’ils étaient dans la loi sur les concessions, ont dépensé une somme assez forte.
Ainsi pour priver le district de Nivelles d’un chemin de fer, non seulement le gouvernement refuse la concession de Charleroy à Tubize, mais s’en empare, oppose à Tirlemont, la direction de Namur à Tubize par Nivelles, décide le procès contre Tirlemont ; croirait-on qu’un projet qui avait reçu l’assentiment de tout le Brabant et de tout le Hainaut aurait pu être ensuite abandonné par le gouvernement ? Je dois le dire, il y a là quelque chose d’affligeant.
Je ne me dissimule pas que j’ai beau apporter de bonnes raisons pour qu’on n’adopte point la direction de Charleroy, vers le centre, et pour justifier la préférence due à la direction sur Tubize, j’ai beau demander l’appui de mes collègues dont j’ai tantôt rapporté les paroles, leur demander de tenir leurs promesses, rappeler à l’égalité des droits, mes meilleurs amis mêmes ne m’entendront pas. Réduit à combattre seul contre les puissants du jour, je succomberai.
En vain, je demanderai un appui pour le faible ; en vain crierai-je au pays que les localités les plus riches peuvent se passer de l’aide du gouvernement, que le gouvernement doit aide et protection aux populations les moins favorisées. D’où a pu me venir la pensée que l’on doit chercher à créer le commerce là où il n’existe pas, à développer les germes qui n’attendent qu’un rayon favorable pour éclore, les hommes que je combats ne manqueront pas de me lancer leurs sarcasmes ; on répondra par une ironie à mes réclamations.
Le mal vient de ce que la loi du 26 mai 1837 n’a pas, comme celle du 1er mai 1834, déterminé le point d’arrivée du chemin de fer de Namur. Elle a imprudemment abandonné ce point à l’arbitraire du gouvernement, et je dois le proclamer tout haut devant cette coalition de propriétaires de mines et de maîtres de forges, devant ces puissantes associations, je désespère, bien que les choses soient encore entières, quoiqu’il soit encore au pouvoir du gouvernement d’être juste, je désespère de rappeler à l’égalité des droits !
Mais ma localité ne désespère pas. Rien n’est fait encore. Le projet de chemin de fer de Charleroy à Braine-le-Comte n’est pas commencé ; le chemin de fer peut encore être dirigé sur Tubize par Nivelles, cette ville qui a vu sa ruine aller toujours croissant depuis la suppression de ses riches communautés, au préjudice de laquelle tout s’est fait et va se faire, routes, canaux, chemins de fer ; cette ville qui depuis 50 ans n’a marché que de pertes en pertes, elle ne peut opposer que ma faible voix !
Quelque lueur d’espérance a brillé dans mon district ; un de ses députés, devenu ministre, obtient, pour sa réélection, l’unanimité des suffrages, l’homme à qui l’on doit le système complet des chemins de fer en Belgique est devenu ministre ; il ne voudra pas, disait-on, que dans son système complet, nous soyons seuls oubliés. La ville de Nivelles vient de lui adresser ses doléances, mais déjà des hommes puissants, qui veulent tout pour eux, sont venus en députation auprès de M. le ministre pour obtenir la direction vers les charbonnages du centre. Déjà M. le ministre les a entendus, et un ingénieur vient, dit-on, d’être chargé de voir les lieux, d’un projet sans doute, et l’espoir a passé, ne laissant après lui que des inquiétudes.
Je n’ai pas dit tout, j’ai encore besoin de votre indulgence, de votre attention surtout ; je voudrais, avant d’établir que nos nombreux chemins de fer, nos énormes emprunts, compromettent les intérêts du commerce et de l’industrie, je voudrais vous parler un moment du programme du nouveau ministère.
Dans son programme le ministère a dit « que l’écueil des gouvernements représentatifs, c’est parfois la prépondérance exagérée des idées et des intérêts de localités. »
Je l’avoue ce langage, si nouveau chez nous, m’a fait, au moment où M. le ministre de l'intérieur le tenait, une vive impression. Voilà, me suis-je dit, un ministère qui voit la source d’un mal, il saura y porter remède ; voilà qui annonce un ministère de résistance aux prétentions de localités ; la justice va désormais reprendre son empire.
Mais il m’est pénible de le dire, j’ai vu avec peine, le jour même de la lecture du programme, M. le ministre actuel des travaux publics annoncer qu’en matière de travaux publics, et notamment de chemin de fer, les principes et la politique du nouveau cabinet seraient les mêmes que ceux du cabinet précédent. Je vais l’établir.
Dans la séance du 19 décembre 1839, à l’occasion de l’émission des bons du trésor jusqu’à concurrence de 12 millions je demandais à l’ancien ministère quels avantages il avait retiré des chemins de fer ? Quels étaient ceux qu’il croyait en retirer à l’avenir ? M. le ministre des travaux publics d’abord disait que, politiquement parlant l’établissement des chemins de fer avait été pour le pays d’un profit immense, que c’était un grand moyen de civilisation. Eh bien rappelez-vous les paroles de M. le ministre actuel des travaux publics, prononcées le jour même de la lecture du programme ; il tenait absolument le même langage. Il y a, disait-il, dans ce grand système de communication un intérêt moral et politique, un lien qui doit unir à la Belgique toutes les nations qui l’environnent. Mais à cela et dans la séance du lendemain l’honorable M. de Foere répondait : On parle des avantages moraux je ne les comprends pas, je n’en dirai donc rien. Quant aux avantages politiques on avait conçu l’espérance d’absorber le transit hollandais, qu’en est-il advenu ? Je vous dirai moi à l’heure ce qui en adviendra. »
Je dis que la politique du nouveau cabinet sera la même que celle du cabinet précédent. Ne voyez-vous pas le ministère actuel à l’imitation de l’ancien, le surpassant même, venir nous proposer un emprunt de 90 millions dont soixante-treize sont destinés non pas seulement au prompt achèvement du chemin de fer d’Anvers à Cologne, le seul qu’on ait pu rattacher à l’intérêt général, mais aussi pour achever tous les autres chemins réclamés dans des intérêts de localité ? L’ancien ministère n’a pas examiné, le nouveau n’examine pas si la crise commerciale, le mauvais état de nos finances ne s’opposent pas au prompt achèvement des deux lignes de chemins de fer vers la Prusse et la France, au prompt achèvement de tous les autres chemins de fer. Eh bien ! j’ai une autre politique. Je pense et c’est une conviction profonde qu’en présence de la crise commerciale, sous laquelle la Belgique gémit, de la misère qui envahit nos campagnes, la première précaution, le premier devoir du gouvernement et des chambres, c’est de porter leur attention sur le danger de ces emprunts qui se multiplient chaque année et dont les funestes conséquences ne se font que trop sentir et ne tarderont pas à se faire sentir davantage si le débordement n’en est pas incessamment arrêté.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que ce n’est pas le ministère qui a pris l’initiative de tous ces nombreux chemins, que c’est la chambre qui les a demandés. Qu’importe par qui ils ont été proposés ? Qu’on ne vienne pas nous opposer que tous ces chemins ont été décrétés par la loi, qu’il ne s’agit que de l’exécution de la loi. Assurément quand la chambre a voté ces nombreuses voies de communication, elle n’a pas entendu qu’elles seraient exécutées instantanément et rapidement, quand même, dussent-elles entraîner le pays dans l’abîme. Ce que le gouvernement, ce que la chambre a à examiner aujourd’hui, c’est de savoir s’il convient à l’intérêt général de terminer sans délai toutes ces grandes entreprises au moyen de l’énorme emprunt de 90 millions. Pour moi, je n’hésite pas à proclamer une opinion contraire. Dans mon opinion, l’intérêt général ne commande pas l’achèvement simultané et rapide de tous ces chemins, et je n’en veux d’autre raison que cette prudence et cette circonspection des gouvernements qui nous avoisinent, de l’Angleterre qui n’intervient pas dans les dépenses de chemins de fer ; de la Prusse, qui vous laisse même la charge de chemin de son territoire ; de la France, à qui il a fallu tant d’années d’examen et de réflexions pour proposer deux têtes de chemins de Valenciennes et de Lille vers la frontière belge, d’une étendue de trois lieues : c’est là la politique que j’oppose à la vôtre.
Je comprends très bien qu’il ne faut pas beaucoup d’habilité pour persuader aux membres de cette chambre qui sont intervenus dans la transaction, qu’ils doivent voter l’emprunt non pas pour réaliser cette belle conception qui doit relier l’Escaut et les ports d’Anvers et Ostende, et assurer à la Belgique la possession du commerce de transit, ce qui ne paraît pas beaucoup inquiéter la Hollande, mais bien pour que chacun ait son chemin de fer. Il doit suffire à nos ministres, pour avoir l’emprunt, d’en imposer par une belle apparence, de présenter au pays l’établissement de chemins de fer comme ayant été pour la Belgique d’un profit immense, proclamer qu’il y a là un intérêt moral et politique, que la Belgique a fait parler d’elle, que ces chemins sont destinés au progrès de la civilisation, à relever le commerce et l’industrie, à faire régner partout l’aisance générale ; mais ce dont je m’étonnerais, c’est que les ministres passés eussent cru, que les ministres actuels crussent sérieusement aux brillants avantages qu’on annonce devoir résulter de ce grand système de communication. J’ai énoncé une opinion contraire : j’ai dit, en commençant mon discours, que nos nombreux chemins de fer que nos nombreux emprunts compromettent les intérêts du commerce et de l’industrie. Je vais avoir l’honneur de vous donner les motifs de mon opinion.
Je concède à MM. les ministres que les chemins de fer sont destinés à relier l’Escaut et les ports d’Anvers et d’Ostende au Rhin. C’est là un fait qu’on ne peut nier.
Mais quand ils nous disent que ces communications doivent nous assurer le commerce de transit avec l’Allemagne, non pas de ce transit qui consiste dans le simple passage instantané, par notre pays, de marchandises étrangères, mais de ce transit qui doit créer dans nos ports un vaste mouvement commercial, et nous mettre en relation avec les lieux de provenance, de marchandises et denrées qui constituent le commerce actuel, je réponds qu’ils se trompent.
Par transit, j’entends la faculté qu’un Etat accorde aux peuples voisins de se servir de son territoire, pour arriver à eux les marchandises qu’ils ont à recevoir de la mer ou d’un autre Etat situé au-delà de celui sur lequel on transite.
Ainsi la Suisse tire des denrées coloniales venant de la mer, des entrepôts du Havre en transit par la France. Il y a encore transit quand la Suisse expédie des marchandises pour les Etats-Unis et les fait sortir par les ports du Havre (Dictionnaire universel du commerce).
Je comprends donc fort bien que par vos chemins de fer, vous ouvrez aux peuples voisins une voie de transit pour faire écouler leurs produits par votre territoire ; par exemple, les négociants de Valenciennes transiteront par le territoire belge les marchandises en Allemagne.
Mais où est pour vous la réciprocité ?
Vous ne pouvez l’obtenir de l’Angleterre, parce que votre chemin de fer aboutit à la mer.
Vous ne pouvez l’obtenir de la France ; car quel est le tiers-pays où, par les chemins de fer français, vous puissiez transporter vos produits ou vos marchandises ?
Ce n’est donc que de la Prusse que vous obtiendrez cette réciprocité. Eh bien, soit. La Prusse vous ouvrira une voie de transit, de la frontière belge à Cologne d’une étendue de 17 lieues et demie, elle l’ouvrira en même temps aux puissances qui l’avoisinent.
Mais qu’espérez-vous de cette voie de transit ? C’est que l’Allemagne et la Suisse vont transiter, par notre chemin de fer et le port d’Anvers, tous les produits ou marchandises qu’ils expédieront dans toutes les parties du monde où qu’ils en recevront ; et que vous allez par conséquent absorber le commerce de transit français et hollandais. Je m’étonne que, s’il en doit être ainsi, une inquiétude au moins vague ne se manifeste pas en France et en Hollande ; et cependant, nous voyons ces deux pays fort tranquilles sur nos projets d’anéantir leur commerce de transit.
Sans nous livrer à l’exagération, admettons que le transit suisse et allemand se divisera entre les ports de la France, de la Hollande et de la Belgique, et qu’ainsi il en résultera pour nous quelques avantages. Je veux bien vous faire cette concession. La Suisse et l’Allemagne transiteront quelques-uns de leurs produits ou marchandises par notre chemin de fer et le port d’Anvers, mais le transit se fera par les wagons allemands et les bâtiments étrangers, et dès lors il est évident que tout le gain sera pour les étrangers à qui nous accorderons la faveur du passage par notre territoire.
Ah ! sans doute, si nous pouvions, à notre frontière vers la Prusse, arrêter les produits ou marchandises venant de la Suisse et de l’Allemagne, et arrêter au port d’Anvers les produits ou marchandises venant de la mer en destination pour l’Allemagne, et en faire nous-mêmes le transport par nos chemins de fer, nous aurions au moins le bénéfice du fret ; mais il n’en sera pas ainsi, chaque Etat cherchera à le retenir, nous n’aurons que l’entrepôt. En permettant aux étrangers de transporter ailleurs leurs produits ou marchandises, et à cause de la détérioration du chemin, nous pourrons exiger seulement quelque droit pour ce passage. Vous voyez donc que l’avantage à résulter du transit sera insignifiant, et pour l’obtenir, vous aurez dépensé 130 millions. Voilà ce grand mouvement commercial qu’on fait sonner si haut. Ne dites donc pas que vous aurez la possession du commerce de transit vers l’Allemagne.
Du reste, l’eussiez-vous, ce transit, loin de venir en aide au commerce et à l’industrie belge lui nuira, puisque les départements du Nord dont les produits sont similaires au nôtre, la Suisse et l’Allemagne où l’on travaille à meilleur marché, auront dans nos chemins de fer et notre port d’Anvers un moyen de plus de faire écouler leurs produits, et nous n’aurons nous que l’avantage d’en être plus rapprochés.
Je ne vois pour la Belgique d’un seul transit avantageux, qui est dans le vœu de tous, celui de transiter ses propres produits par le chemin de fer de la frontière belge à Cologne, dans les autres parties de l’Allemagne et en Suisse. La voie vous en sera ouverte, vous pourrez transporter par ce territoire en Allemagne et en Suisse vos produits, mais à une condition, à la condition qu’on veuille bien les y admettre, et que vous puissiez les y vendre.
Mais ne savez-vous pas que le système des douanes allemandes s’oppose à ce que vous puissiez envoyer vos produits ou marchandises en Allemagne. J’ai lu dans les pièces de l’enquête qui a eu lieu en France, que la combinaison du tarif des douanes allemandes a pour résultat :
« De permettre au fabricant, quant à la matière filée, de se la procurer n’importe de quel pays au meilleur marché possible, et dans les qualités convenables à son genre de fabrication ;
« De lui réserver presqu’exclusivement le marché intérieur, et de le mettre à même d’en exporter le superflu ;
« D’assurer à la classe ouvrière un salaire raisonnable et un travail constant. »
Ainsi nul espoir de transporter vos produits manufacturés ou marchandises en Allemagne, s’ils sont similaires aux produits de ce pays.
J’ai lu ailleurs, dans L’Emancipation, je pense, que la Belgique n’aurait aucun intérêt à entrer dans l’union des douanes allemandes, parce que l’Allemagne produit à meilleur marché que nous. C’est là un fait notoire.
D’où cela provient-il ? Je ne me flatte pas d’en apercevoir toutes les causes, mais j’en indiquerai quelques-unes.
C’est d’abord l’impulsion malheureuse donnée en Belgique, à la production industrielle. Bien que nous soyons sans débouchés, n’avons-nous pas vu l’opinion progressive encourager de toutes parts la production industrielle, pousser les capitalistes à placer leurs richesses dans les achats de forêts, sucreries de betteraves, usines et hauts-fourneaux, au lieu de les encourager à les placer soit dans les manufactures, soit dans les simples opérations commerciales, soit au perfectionnement de nos machines.
Et ces associations, quel mal n’ont-elles pas fait, et ne feront-elles pas ? je ne veux vous parler que de celles qui concernent les charbonnages.
L’Angleterre et la Belgique marchent presque de front pour leurs richesses en houille. N’est-ce pas une chose digne de remarque, poignante, que c’est justement depuis que cette industrie acquiert ici de grands développements, depuis que le gouvernement la protège en épuisant les trésors de l’Etat, alors qu’il y a dans ce moment encombrement de charbon aux fosses et sur les canaux, que cette denrée est à un prix tellement élevé qu’il exerce une influence désastreuse sur les prix des objets manufacturés, des eaux-de-vie, de la bière, et prive de chauffage les trois quarts de la population du royaume.
Ces associations sont-elles maîtresses des prix ? C’est là une question qui doit exciter au plus haut degré les méditations du gouvernement et de la chambre.
Une des causes encore qui s’opposera en Belgique à produire à bon marché, ce sont vos nombreux chemins de fer et vos emprunts.
Quant aux chemins de fer, je veux bien admettre qu’il en résultera, surtout si la politique décide la France à établir la ligne de Paris vers la frontière belge, un grand abord d’étrangers dans notre pays ; mais selon un économiste estimé, un trop grand nombre d’étrangers est préjudiciable et suspect à l’Etat, préjudiciable en ce qu’ils y augmentent la cherté des vivres, ce qui s’oppose à la diminution du prix de la main-d’œuvre ; il est évident que pour diminuer le prix du travail, il faudrait parvenir à diminuer le prix des aliments et des vêtements nécessaires à l’ouvrier, sans cesser de lui procurer une nourriture saine et des vêtements convenables, question vaste et difficile.
Quant aux emprunts, dans un pays comme le nôtre, où la division de la propriété découle de nos lois, où tous les jours il se fait des mutations de propriétés, où les ventes de biens-fonds sont fréquentes, les capitalistes trouvent un moyen facile de placement. Par vos emprunts publics, vous ajoutez à cette facilité de placement. Cependant vous n’ignorez pas que les emprunts ont l’inconvénient d’augmenter l’intérêt de l’argent, inconvénients qui n’existe pas en Angleterre, où toutes les mutations étant aristocratiques, où la fortune se substituant de famille en famille sur la tête d’un seul, il y a rarement des propriétés à vendre ; d’où la conséquence que les capitalistes, faute de pouvoir placer leurs capitaux en acquisition de propriétés territoriales sont heureux de les prêter aux industriels à 3 p.c. Eh bien, demandez aux industriels belges s’ils peuvent trouver à emprunter à 3 p.c. Demandez-leur s’ils peuvent trouver à emprunter. D’ailleurs, en créant, comme vous le faites, des dettes, vous devez reconnaître qu’il sera impossible au gouvernement de n’en pas rejeter le fardeau sur le peuple ; vous devrez recourir à de nouveaux impôts, j’en prévois déjà la nécessité pour l’année prochaine. Mais ce sera encore là une cause de renchérissement des objets de la consommation et qui empêchera le travail à bon marché.
Ainsi j’ai raison de dire que vous posez vous-mêmes une barrière au progrès de l’industrie, en rendant impossible le travail à bon marché.
Mais, me dit-on, vous ne tenez pas compte des intérêts moraux. Oh ! ce ne sera pas moi qui vous proposerai de sacrifier ce que la révolution a de plus noble et de plus juste, mais la protection des intérêts moraux n’exclut pas celle des intérêts matériels, c’est leur alliance qui constitue le bonheur de la société. Loin de pousser l’homme à la soif des richesses et aux passions politiques, je m’empresserai toujours d’encourager tout ce qui peut contribuer à son bien-être moral, d’encourager les lettres et les arts qui ont cette vertu ; mais, croyez-moi, un peu de bien-être matériel ne nuira pas. Abstenons-nous de tout sentiment d’exagération.
Voyez où nous en sommes ; selon vous vos nombreux chemins de fer sont destinés à rapprocher les hommes, à les civiliser, et vous y consacrez des millions.
Eh bien ! il y a encore un autre et puissant moyen de civilisation indiqué par les économistes ; l’honorable M. de Foere ne cesse de vous le rappeler.
C’est le commerce d’exportation.
Le véritable commerce d’un pays, tel que la Belgique, couvert de nombreuses fabriques en tout genre, est celui d’échange.
C’est ce commerce qui, indépendamment des richesses qu’il présente, déplace les hommes, les développe et les civilise.
Politiquement parlant, l’exportation, en créant la marine marchande, aide au progrès de la marine militaire, et la marine militaire est le premier élément de la force politique des nations.
Cette théorie n’est-elle pas aussi belle que celle de vos chemins de fer ? Pourquoi ne la mettriez-vous pas également en pratique ? Pourquoi, après ces travaux gigantesques de chemins de fer, n’encouragerez-vous pas, par d’énormes emprunts, la marine marchande et la marine militaire ?
Vous avez imité les compagnies anglaises pour vos chemins de fer, vous avez rendu le gouvernement constructeur de machines, fondeur, voiturier.
Je ne m’étonnerais pas que bientôt on vînt vous persuader, vous convaincre que le gouvernement doit faire quelque chose de plus grand, créer une marine marchande et une marine militaire. Dieu sait si on n’invoquera pas l’histoire ; n’a-t-on pas vu, sous l’administration de La Bourdonnaise, que « sans magasin, sans vivres, il parvint, par ses soins et sa constance, à former une escadre composée de 60 canons et de cinq navires armés en guerre, osa attaquer les Anglais, les battit, les poursuivit et les força à quitter la côte de Coromandel ; alla assiéger et prendre Madras, la première des colonies anglaises ? » Pourquoi la Belgique n’aurait-elle pas aussi ses moyens de gloire et de prospérité ?
Ce n’est pas le conseil que je donne ; si j’en avais à donner, je les adresserais à la commission d’enquête ; je dirais dans un langage simple aux membres de cette commission : Vous appartenez à de provinces dont les intérêts sont opposés, difficiles à concilier ; sachez mettre de côté vos préoccupations personnelles et vous soumettre au joug de l’intérêt général, après avoir constaté les causes du dépérissement de l’industrie du commerce, attachez-vous aux moyens de les relever. Ces moyens ne consistent ni dans l’établissement de chemins de fer ; d’une marine militaire, mais à fabriquer à bon marché, seul moyen de vendre abondamment au dehors ; j’aime bien mieux voir à la porte de Hal la filature d’un honorable et estimable sénateur que toutes ces entreprises gigantesques de chemins de fer, de bateaux à vapeur, de marine militaire ; là est la cause seconde, car Dieu est la première de toutes les causes, là est le principe de vos chemins de fer, de votre marine.
Augmenter son débit en diminuant les prix a toujours été un acte d’habilité. Pour diminuer les prix, il faut se rendre habile dans la fabrication, abaisser les prix des matières premières, du charbon qu’on y emploie ; empêcher la trop grande cherté des vivres, l’élévation des impôts, afin de diminuer le prix de la main-d’œuvre. Si ce n’est pas vers ce but que tendent les efforts de la commission, je le dis avec douleur, la Belgique n’offrira plus qu’isolement, rétrogradation et misère.
Je ne refuserai pas les fonds nécessairement pour achever promptement la ligne vers la frontière prussienne, puisque c’est la seule puissance qui nous offre une réciprocité d’avantages et que nos capitaux sont engagés dans la continuité de cette ligne, mais si l’on persiste à vouloir le prompt achèvement des autres lignes, et si l’on ne propose pas la division du chiffre de l’emprunt dans le sens qui précède, je voterai contre la loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, le gouvernement a demandé une somme de 98 millions pour la continuation des travaux du chemin de fer, pour les routes ordinaires, pour couvrir l’insuffisance des voies et moyens et pour l’émission de bons du trésor. Cette somme est subdivisée en 90 millions à obtenir par la voie de l’emprunt et en 8 millions de bons du trésor à maintenir.
La section centrale propose de n’allouer que la voie de l’emprunt que 65 millions, et d’accorder en bons du trésor une somme de 12 millions 488,831 francs 88 centimes ; je vais, messieurs, examiner les motifs sur lesquels sont basées les réductions de la section centrale.
Dans le montant de l’emprunt se trouve compris une somme de 54 millions pour la continuation des travaux du chemin de fer ; sur cette somme, la section centrale propose une réduction de 13,428,970 12 ; cependant elle ne conteste aucun des calculs sur lesquels la nécessité d’une telle dépense est basée ; mais elle pense que le chiffre de 6 millions, destiné au complément du matériel et des stations, peut être ajourné jusqu’à 1843 ; qu’une autre somme de 12 millions ne sera dépensée qu’en 1842 ; que le surplus fût-il de 14 millions, même de 16 millions, pourra être imputé sur les ressources qui, dans l’avenir, pourront se trouver à la disposition du gouvernement. Ces ressources consistent dans la vente des domaines nationaux, dans les redevances dues par la société générale ; et enfin dans l’ancienne encaisse du trésor.
Messieurs, la demande du gouvernement était déjà modérée, puisque sur le chiffre réel des dépenses du chemin de fer de notables réductions ont été faites.
Les 6 millions dont la dépense peut être ajournée jusqu’après 1842, ne sont pas compris dans le chiffre de 54 millions réclamé par le gouvernement. Des ingénieurs ont été chargés de dresser, après examen sur les lieux, un devis des dépenses totales du chemin de fer ; plus tard, l’administration générale a vérifié leurs calculs, et elle a trouvé que l’on pouvait ajourner certaines de ces dépenses qui s’élèvent à environ 6 millions et qui, je le répète, ne sont pas comprises dans le chiffre de 54 millions ; cela résulte d’un rapport de l’inspecteur général des ponts et chaussées en date du 20 mai dernier, dont copie a été transmise par mes soins à la section centrale.
En outre, une erreur de 1,494,058 francs, qui s’était glissée dans le chiffre indiqué par la dépêche adressée au département des finances sous la date du 16 avril, a été découverte depuis la présentation du projet de loi, de sorte qu’une somme de 7 millions 494 mille francs nécessaire pour le parachèvement des chemins de fer ne fait point partie du chiffre de 54 millions.
Quant à la somme de 12 millions qui ne sera nécessaire qu’en 1842, cela est conforme aux informations données par l’administration à la section centrale, mais ce n’est pas un motif pour ne pas la comprendre dans l’emprunt : Lorsque l’on emprunte, il convient d’échelonner les versements à d’assez longs termes, afin de donner plus de facilités aux prêteurs et d’obtenir de meilleures conditions ; aussi l’intention du gouvernement n’était pas de faire verser cette somme avant les premiers mois de 1842.
D’après ces explications, le surplus des dépenses du chemin de fer ne serait pas seulement de 14 ou 16 millions, ainsi que paraît le supposer l’honorable rapporteur de la section centrale, mais il s’élèverait environ à 21 millions, si ses propositions étaient adoptées.
Messieurs, ainsi que je l’indiquerai tout à l’heure, les autres sommes non adoptées par la section centrale s’élèvent, réunies, à 7 millions, de manière que la conséquence de son projet serait de faire prélever 27 à 28 millions sur les ressources de l’avenir. Mais, messieurs, les ressources indiquées par la section centrale comme pouvant servir à couvrir les sommes qu’elle n’accorderait pas en ce moment ne sont pas immédiatement disponibles. Je vais examiner rapidement d’abord ce qui concerne la vente des domaines, ou plutôt je vais émettre quelques doutes sur ce point ; car cette question est grave et mériterait une discussion toute spéciale.
En la considérant sous le rapport financier seulement, il n’y a pas de doute que le revenu que l’on tirerait du produit de la vente des forêts domaniales ne serait pas plus considérable que celui que donnent maintenant ces mêmes domaines. Mais tel n’est pas le seul point de vue sous lequel cette question doit être envisagée, il faut examiner s’il n’y aurait pas inconvénient et préjudice à dégarnir entièrement notre sol de forêts ; si les forêts ne sont pas, dans beaucoup de localités, indispensables à l’industrie métallurgique ; la suppression de l’administration des forêts de l’Etat n’aura-t-elle pas pour conséquence l’aliénation ou le défrichement des bois appartenant aux communes, et qui sont actuellement régis par les agents de cette administration, si nous n’aurions pas à craindre de manquer de bois pour les constructions civiles, dans le cas, par exemple, d’une guerre maritime ; si le défrichement des forêts n’exerçaient pas une influence nuisible sur l’atmosphère et par suite sur la fertilité du sol ; des pays sont devenus insalubres et stérile, après le défrichement des forêts qui y existaient ; enfin, s’il convient, lorsque nous sommes déjà dépossédés de la plus belle partie de nos domaines, d’aliéner ce qui nous reste ; et si cette aliénation n’exercerait pas une fâcheuse influence sur notre crédit ? Je ne prétends pas résoudre toutes ces questions qui se rattachent à la vente de nos forêts ; elles sont graves et méritent d’être approfondies autrement qu’elles peuvent l’être dans une discussion incidente ; mais, en admettant, ce qui ne sera pas à présumer cependant, qu’elles soient toutes résolues dans un sens favorable à l’aliénation, il faudrait, pour que la vente fût avantageuse, ne la faire que par parties peu considérables, il faudrait en outre que les paiements fussent échelonnés en longs termes, et dès lors les sommes qui en proviendraient ne seraient pas versés en temps opportun pour servir aux travaux du chemin de fer ; du moins une faible fraction seulement pourrait recevoir cette destination, puisque ces travaux doivent être poussés avec une grande activité, dans l’intérêt des localités qui les réclament, et pour recueillir le fruit des capitaux engagés dans la construction de ces voies de communication.
La section centrale indique d’autres ressources, et elle engage le gouvernement à ne rien négliger pour qu’elles soient promptement disponibles. A cet égard, le gouvernement a devancé les vœux de la section centrale ; car il poursuit des négociations actives à l’effet d’avoir aussitôt que possible à sa disposition les ressources dont il s’agit. Dans tous les cas, il y a des questions que nous préjugerions si nous donnions dès à présent une destination à l’intégralité de ces ressources. Rappelons-nous qu’un projet de loi a été présenté en 1836 par l’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances, que ce projet tendant à la rétrocession d’une partie des domaines de la société générale et qu’une portion de la redevance due par la société générale devait servir à solder le prix de ces domaines. C’est encore là une question que je ne crois pas non plus de nature à pouvoir être décidée incidemment et qui mérite un examen tout particulier.
Ainsi, messieurs, ces ressources que l’on prévoit et qui existent réellement, mais dont le chiffre n’a pas encore été précisé, ou ne seront pas disponibles en temps opportun, ou seront insuffisantes, ou auront déjà reçu une autre destination au moins en projet.
Il y aurait donc, à mon avis, imprudence à compter sur elles pour couvrir une insuffisance certaine de 27 à 28 millions. Ce serait même laisser entrevoir la probabilité de nouveaux emprunts et il importe d’éviter que les prêteurs aient cette préoccupation. Il faut que l’on sache bien que la Belgique, à moins de circonstances extraordinaires, et tout à fait imprévues, n’aura plus d’emprunts à contracter ; à cette condition, elle peut obtenir de négocier maintenant avec avantage.
Lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi, il n’avait pas perdu de vue les ressources que l’avenir nous réserve ; il en avait fait mention dans l’exposé des motifs ; mais il y avait aussi des charges que l’on devait également prévoir dans cet avenir. Il a été fait allusion à quelques-unes de ces charges possibles ; j’ajouterai que chacun de nous sait que le crédit pour la construction de routes ordinaires est entièrement engagé ; nous savons aussi combien de demandes sont formées de toutes parts pour obtenir de nouvelles voies de communication ; certainement ces demandes ne pourront toutes être accueillies, mais n’en est-il pas qui doive donner lieu à l’allocation d’un subside par le gouvernement ? N’en est-il pas dont la construction aux frais de l’Etat est indispensable ? L’excédant du produit des barrières suffira-t-il pour couvrir les dépenses qu’il conviendra de faire pour aider soit les provinces, soit les communes qui désirent construire de nouvelles routes dont l’utilité sera bien constatée ?
Des canaux sont vivement réclamés par plusieurs localités ; pouvons-nous dès à présent assurer que le gouvernement ne devra pas au moins intervenir par quelques subsides dans l’ouverture de ces canaux ? Or, si nous épuisons d’avance toutes les ressources de l’avenir, nous devons nous attendre à être invinciblement amenés d’abord à une dette flottante très considérable, ensuite à un nouvel emprunt, ce qui, ainsi que je l’ai déjà fait observer, doit être évité à tout prix.
Admettons cependant que ces dépenses ne soient pas jugées nécessaires, admettons qu’il n’y ait plus un seul subside à accorder pour la construction de routes, si ce n’est sur l’excédant du produit des barrières ; admettons enfin qu’il ne se présente aucune dépense imprévue ou extraordinaire ; dans ce cas, il reste une excellente opération financière à faire au moyen des ressources que l’avenir peut nous donner c’est l’amortissement de notre dette à 5 p.c. d’intérêt ; peut-être même pourrait-on, à l’aide de quelques capitaux disponibles, parvenir beaucoup plus facilement à la conversion de ce fonds, tandis qu’avec un déficit, avec une dette flottante qui ne sert qu’à couvrir une insuffisance de ressources, la conversion rencontrera d’assez grandes difficultés. Envisagée sous ce point de vue, la question se réduirait à savoir si, ayant par exemple pour dix millions de ressources futures, il serait préférable de payer 5 p.c. d’une somme équivalente, que de payer seulement 4 ½ ; car nous pouvons, à juste titre, espérer, dans les circonstances actuelles, le contracter à 4 ½, sinon à un taux plus favorable.
Eh bien, messieurs, si, au moyen des ressources que l’avenir peut nous donner, nous pouvions convertir entièrement l’emprunt à 5 p.c., il ne s’agirait pas d’un bénéfice de quelques centaines de mille francs, mais la rente de plusieurs millions. Cet avantage disparaît si nous donnons d’avance une destination aux ressources prévues. Alors le trésor restera embarrassé d’une lourde dette flottante, le crédit sera affecté de la gêne du trésor public, et nous ne pourrions nous livrer, avec avantage, à aucune opération financière qui tendrait à diminuer notre rente.
J’appelle, messieurs, votre sérieuse attention sur ces considérations.
Je passe au second chiffre contesté par la section centrale ; celui qui est relatif à l’insuffisance que présentent les exercices antérieurs à 1840. J’ai constaté dans mon rapport que cette insuffisance s’élève à 23 millions 400,000 francs ; comme j’ai négligé sur le chiffre total des besoins à couvrir une somme de 318,480 francs, l’insuffisance ne figue dans le compte présenté que pour 25,082,207 francs 30 centimes ; la section centrale accorde pour cette insuffisance une somme de 5,511,178 francs 12 centimes, par extinction de dette flottante passant dans l’emprunt, et en dette flottante conservée une somme de 12,488,821 francs 88 centimes, en tout 18,000,000.
Il resterait donc à couvrir une insuffisance de 7,082,208 francs, dans laquelle se trouve comprise une somme de 6,041,005 francs 28 centimes, provenant d’un semestre de la rente hollandaise dont le montant, ainsi que celui d’un semestre de l’emprunt de 30 millions, devaient être compris dans l’emprunt afin que chaque semestre pût être liquidé pendant l’année à laquelle il appartient. Cette question a été ajournée par la section centrale ; de sorte qu’après déduction des 18 millions dont je viens de parler, l’insuffisance de 23,400,687 francs 30 centimes, se trouve réduite à un chiffre de 1,041,202 francs 72 centimes.
Je conviens, messieurs, avec la section centrale, qu’on ne peut déterminer d’une manière rigoureuse quelle sera l’insuffisance de plusieurs exercices avant que les comptes ne soient arrêtés définitivement ; toutefois, je ne puis m’empêcher de faire observer que l’insuffisance des exercices 1838 et 1839, en comparant les voies et moyens votés et reçus avec les dépenses votées, serait de 11,923,587 05, tandis que je n’ai porté en compte qu’une insuffisance de 8,523,587 05, parce que j’ai prévu qu’il y aurait une économie de 3 millions 500 mille francs environ à opérer sur ces exercices. Cependant d’un autre côté, j’ai fait figurer dans mes évaluations une somme de 4,898,060 01 pour créances arriérées et ce chiffre n’est pas non plus rigoureux ; il renferme une somme de 600,000 francs environ, provenant des créances arriérées du département de la guerre ; ces créances montant à une somme de 991,454 francs, avaient été comprises dans une loi présentée en 1836, pour la liquidation des arriérés ; elle a été reproduite en partie, c’est-à-dire pour environ 500,000 francs dans le montant des créances arriérées, indiqué par mon honorable prédécesseur, lors de la proposition des budgets de 1840, et c’est en reprenant son chiffre de 3,057,482 francs 13 centimes, que je l’ai moi-même porté en ligne de compte ; mais comme il a été convenu que chaque département formerait des demandes de crédits pour créances arriérées, aucune dépense de cette nature ne figurera plus dans le compte des créances arriérées, que je vais présenté successivement à la législature ; leur montant sera donc diminué à peu près dans cette proportion et dès lors je ne vois aucune difficulté à consentir à la réduction de 1,041,202 francs 72 centimes, proposée par la section centrale.
En ce qui concerne le semestre de la dette hollandaise et l’emprunt des 30 millions, la section centrale en propose l’ajournement. Elle paraît toutefois reconnaître en principe qu’il convient que l’échéance concorde avec le semestre de la rente.
Messieurs, si cette somme n’était pas mise à la disposition du gouvernement au premier janvier 1841, il serait de toute impossibilité de faire face au paiement de ces deux rentes. Car, messieurs, nos bons du trésor, dans le système suivi actuellement, ne font que couvrir l’insuffisance des exercices antérieurs ; ils ne sont pas établis pour faciliter la marche du trésor, ils sont créés pour faire face à un déficit.
Dès lors, la dette flottante, loin d’aider le trésor, le gêne au contraire. Il serait préférable qu’il n’y eût ni bons du trésor, ni insuffisance ; le seul avantage qui résulte de l’émission de ces bons, c’est que, comme ils ne sont pas toujours en circulation, l’Etat retire un bénéfice d’intérêts.
Si les bons du trésor étaient établis pour des dépenses à faire, le gouvernement pourrait alors momentanément en tirer avantage, en les faisant servir à couvrir certains paiements qui doivent s’effectuer avant que les recettes ne soient acquises au trésor.
Si au 1er janvier 1841 le gouvernement pouvait émettre 6 ou 10 millions de bons du trésor, pour liquider des dépenses non encore effectuées, il ferait facilement face à un payement extraordinaire au moyen du produit de cette dette flottante ; mais dans l’hypothèse contraire, c’est-à-dire s’ils n’avaient été créés que pour couvrir une insuffisance antérieure, il lui serait impossible de faire de payement, avant d’avoir réalisé aucun excédent sur cet exercice. Les fonds ordinairement disponibles dans la caisse du trésor, ne s’élèvent pas à une somme suffisante pour qu’on puisse faire face à une telle dépense.
Toutefois, messieurs, il ne s’agit pas d’une somme très considérable ; je ne trouve pas un grand inconvénient à ce qu’elle soit ultérieurement imputée sur les ressources prévues ; mais je me réserve expressément de réclamer des bons du trésor pour pareille somme, si à la fin de l’exercice courant, les ressources que nous avons en vue n’étaient pas encore réalisées.
Messieurs, le gouvernement croit donc pouvoir adhérer sous cette réserve à l’amendement proposé par la section centrale. Par suite, les n°5 et 6 de l’article 2 du projet de loi du gouvernement seraient remplacés par le n°5 de l’article 2 du projet de la section centrale
D’après ces réductions, au lieu de 27 à 28 millions qu’il resterait encore à couvrir par les ressources de l’avenir, il n’y aurait plus qu’une somme de 15 millions environ. C’est beaucoup encore, mais du moins le gouvernement est rassuré sur le moyen de pourvoi à cette dépense, tandis qu’il y aurait embarras et inquiétude si elle était plus élevée.
Il me reste à entretenir la chambre de deux questions qui ont été agréées dans le rapport de la section centrale. Ces questions sont : 1° celle de l’emprunt avec concurrence en publicité comme obligation imposée par la loi ; 2° celle de l’amortissement à effectuer par le gouvernement.
A l’égard de la première question on peut se demander quelle est la marche que doit suivre un gouvernement lorsqu’il s’agit de contracter un emprunt. Il me semble qu’il doit par tous les moyens possibles chercher à pénétrer quelles seraient les chances probables de succès.
D’abord dans un emprunt contracté par voie de soumission cachetée, ou en d’autres termes par la publicité et la concurrence, si la concurrence existe réellement, si une certitude est acquise à cet égard ; il n’y a pas de doute que dès lors ce mode ne soit préférable à tous les autres.
Il y a à pressentir également si un emprunt par publicité seulement, c’est-à-dire par souscription publique, à un taux d’intérêt et de capital déterminé, aurait de fortes chances de succès.
Ce mode offre aussi de grands avantages, et lorsqu’il est reconnu praticable, on ne doit pas hésiter à l’employer, à défaut du premier.
Si cependant il y avait incertitude de réussite, ou si l’on ne pouvait espérer d’obtenir des conditions favorables par l’un ou l’autre de ces deux modes, faudrait-il contracter à un taux onéreux et exclure une négociation qui présenterait de plus grands avantages ?
Loin de m’opposer à la voie par soumission cachetée, je n’hésite pas à la reconnaître comme la meilleure. Notre situation financière est telle que si chacun pouvait l’apprécier non seulement il y aurait forte concurrence, mais aucune nation ne verrait ses effets publics à un cours plus élevé que les nôtres. Il y a cependant devant nous une réalité, c’est que les fonds anglais et français sont plus élevés que les fonds belges, bien que la dette de ces deux nations soit infiniment plus considérable ; s’ils sont plus élevés, c’est qu’ils sont plus facilement échangeables et qu’on leur accorde, jusqu’à présent, la préférence.
Ne pourrions-nous pas aussi nous tromper sur la certitude d’une concurrence ? N’avons-nous pas à craindre une coalition d’intéressés, lorsqu’ils sont certains que tout autre mode est interdit au gouvernement ?
Je dois le déclarer, messieurs, tout en reconnaissant qu’il y a possibilité, probabilité même du succès, je n’en ai pas la certitude ; et dès lors je ne puis me rallier à cette disposition comme obligation imposée par la loi, et je croirais commettre la plus grande imprudence en adoptant cet amendement. Je ne dirai pas qu’un échec tournerait à notre confusion. Mais chacun doit reconnaître qu’il serait fatal à notre crédit et que cette tentative si fructueuse pourrait nous coûter fort cher.
Veuillez remarquer, messieurs, que je ne combats nullement le principe de la concurrence et de la publicité, ni même la possibilité ou la probabilité de son application en Belgique ; mais que je regarde seulement comme dangereux et imprudent d’imposer exclusivement ce mode par la loi.
Par le second amendement, le gouvernement serait expressément chargé de l’amortissement. Cette disposition n’est pas exprimée dans le projet du gouvernement, mais ses intentions à cet égard étaient conformes à celles de la section centrale ; je ne m’oppose donc aucunement à ce qu’il soit inséré dans la loi.
M. d’Hoffschmidt – Messieurs, j’ai entendu avec plaisir que dans le discours que M. le ministre des finances vient de prononcer, il a appelé l’attention de la chambre sur une question qui a été tranchée par la section centrale dans le rapport qu’elle a présenté : je veux parler de la vente de nos bois domaniaux.
Cette question est très grave, messieurs, car elle n’embrasse pas seulement une question financière, elle renferme encore une question d’intérêt public.
En effet, l’intérêt de l’avenir peut être compromis par une pareille mesure : il peut être extrêmement essentiel de conserver nos forêts domaniales, afin que nous possédions toujours en Belgique une quantité de bois suffisante.
D’un autre côté, M. le ministre des finances vous a dit aussi que cet objet soulèverait une question de salubrité publique.
Ainsi, ce n’est qu’après y avoir mûrement réfléchi, et après avoir discuté toutes les questions subsidiaires qui se rattachent à la question principale, qu’on pourra trancher celle-ci.
Je me rappelle très bien que lorsque le syndicat d’amortissement a vendu une partie de nos forêts, il s’est élevé de tous côtés des plaintes amères : Ce qui prouve que la nation n’est pas très portée pour les aliénations de cette espèce.
Je vois avec plaisir que jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas cru que la question était si facile à trancher. En effet l’honorable M. Desmaisières, quand il était ministre des finances, interpellé au sénat sur la question de savoir s’il serait possible de vendre les bois domaniaux, a répondu : « Que l’on se plaignait déjà que le syndicat d’amortissement avait vendu trop de propriétés domaniales et que pour le moment on ne pouvait songer à faire de nouvelles ventes. »
L’honorable M. d’Huart, quand il était au ministère, a manifesté la même opinion, et il me dit qu’il est encore du même avis. Il disait également au sénat qu’il était heureux qu’il restât encore des bois domaniaux ; et en cela il paraissait être entièrement d’accord avec la majorité de cette assemblée.
En France on se plaint déjà que les bois diminuent considérablement, il y avait dans ce pays 40 millions d’hectares de bois domaniaux, il n’en reste plus que 6 millions environ.
C’est dans la province du Luxembourg que se trouve la plus grande quantité de nos bois domaniaux, je pense même qu’elle renferme au moins les ¾ de ce que possède la Belgique entière. Or, ici la question se complique parce qu’elle se rattache à une industrie très importante, celle du fer. Vous savez que les usines de cette province doivent à défaut de houille qu’elles ne peuvent employer, à cause des distances, s’alimenter de charbon de bois. Dès lors, vous sentez de quelle importance il est pour cette industrie que les forêts domaniales restent dans les mains de l’Etat, et que, par exemple, elles ne puissent pas être acquises par des spéculateurs français qui viennent aussi chercher dans le Luxembourg le charbon de bois, ou par des sociétés qui exerçaient à cet égard un monopole. D’ailleurs il est probable que dans beaucoup de localités les propriétaires en viendraient au défrichement. S’ils n’opéraient pas ce défrichement, les acquéreurs, pour se libérer promptement, couperaient ces bois à blanc étoc : ce qui est déjà arrivé. On vendrait ce fonds qui serait divisé et livré à la pâture du bétail ; or, il n’y a rien de plus destructeur pour les forêts que d’y laisser pénétrer le bétail.
On serait donc exposé à voir nos belles forêts disparaître pour ainsi dire du sol du pays.
En effet il ne faudrait dans le Luxembourg que deux dispositions pour en venir là, et diminuer ainsi la quantité de bois au point d’exposer la classe pauvre à en manquer pour ses besoins. La première de ces mesures serait la vente des bois domaniaux que propose la section centrale, la seconde serait l’abandon aux administrations communales, de la gestion pleine et entière de leurs propriétés boisées.
On se fonde pour démontrer la nécessité de vendre les bois domaniaux sur ce que ces propriétés rapportent très peu ; seulement 1 ½ à 2 p.c. Et on dit que quand une nation est obligée d’emprunter à 5 p.c., il est de son intérêt de vendre des propriétés qui ne lui rapportent que 2 p.c. Je ne me dissimule pas la force de cet argument mais dans l’avenir il pourrait se faite que ces propriétés qui rapportent très peu aujourd’hui, rapportassent davantage.
On ne peut se dissimuler que la quantité des bois tend à diminuer considérablement en Belgique. Si cette progression décroissante continuait, il arriverait que le prix du bois augmenterait et que les propriétés boisées rapporteraient de très beaux revenus, peut-être 4 ½ à 5 p.c.
Ce qui peut encore augmenter la valeur des propriétés dans le Luxembourg, c’est l’ouverture de grandes communications. Il peut donc en résulter que ces propriétés, que sous le rapport financier, il peut être avantageux de vendre aujourd’hui, seraient alors bonnes à conserver.
Si cette question était une fois sérieusement soulevée, elle devrait être examinée à fond ; elle ne devait pas être tranchée légèrement. Elle est assez importante pour mériter l’honneur d’une discussion approfondie. Cependant, si les chambres voulaient la traiter maintenant il importerait d’examiner encore la question sous une autre face en ce qui concerne le Luxembourg. Cette province renferme 17,000 hectares de forêts domaniales représentant une valeur de 15 à 20 millions de francs. Si on appliquait le produit de la vente de ces forêts aux chemins de fer, ne serait-ce pas une injustice ? La province de Luxembourg n’en profiterait pas. On voudrait lui enlever ses belles forêts pour en appliquer le produit à des travaux faits exclusivement hors de ses limites.
Une proposition a été faite par deux députés du Luxembourg tendant à la vente des bois domaniaux ; mais pour créer une communication qui à elle seule suffirait pour améliorer immensément la situation de l’Ardenne : il s’agissait d’en appliquer le produit à l’achèvement du canal de Meuse et Moselle. Si on en vient, ce que je ne désire pas, à vendre nos propriétés boisées, je représenterai cette proposition ou une proposition analogue. Je crois donc que la diminution proposée sur le chiffre de l’emprunt demandé par le gouvernement en tant qu’elle est basée sur l’éventualité de la vente des biens domaniaux, n’est pas admissible. Quant à moi, je m’opposerai à la diminution.
M. Nothomb – Messieurs, plusieurs membres m’ont exprimé le désir d’avoir quelques renseignements sur un fait qui vous a été cité dans la séance du 29 mai ; ce fait étant le seul qui soit ici régulièrement connu, c’est-à-dire par l’intervention d’un membre de cette chambre, il est de mon devoir de l’expliquer ; je ne l’accepte du reste que comme un doute émis de la part de ce membre.
Quelle est l’étendue réelle du chemin de fer en exploitation ? Cette question est de quelque importance puisqu’elle offre la base nécessaire à certains calculs pour apprécier le coût.
Les chemins de fer décrétés par les lois du 1er mai 1834 et du 26 mai 1837, présenteront à la suite de l’adoption du tracé définitif (arrêtés royaux du 28 août 1838 et du 1er mars 1840) un développement de plus de 110 lieues de 5 kilomètres.
C’est le chiffre indiqué au rapport du 12 novembre 1839, c’est-à-dire avant l’arrêté du 1er mars 1840, relatif au passage par Charleroy ; cette direction augmente la longueur du chemin de fer de Namur ; mais sans allonger le parcours réel devenu plus facile.
Au 12 novembre 1839, treize sections étaient livrées à l’exploitation ; le compte-rendu qui porte cette date leur attribue une longueur totale de 309,291 mètres. (Tableau 1).
L’ouverture de la section de Bruxelles à Tubise vient d’ajouter à cette longueur environ 20,000 mètres.
Mais tenons-nous en aux 13 sections exploitées à l’époque du 12 novembre, puisqu’on a contesté la réalité de leur développement total ; on vous a dit que le fait de la longueur des sections en exploitation, tel qu’il est allégué par le ministre, est contredit par tous les ingénieurs ; « de ce fait, ajoutait-on, résulte une exagération de dépense de plusieurs centaines de mille francs. »
D’abord le fait n’est pas exact.
En second lieu, fût-il exact, la conclusion qu’on en a tirée ne le serait pas.
Commençons par ce deuxième point.
Le chemin de fer, dit-on, a trois kilomètres de plus que n’indiquent les devis primitifs, le coût en a été augmenté, exagéré d’autant ; comme si par un détour on augmentait toujours le coût ; par un détour, on peut éviter des travaux d’art, des remblais, des déblais, et diminuer la dépense tout en allongeant le parcours. S’il avait été possible, par un détour d’une demi-lieue, d’éviter le passage souterrain de Cumptich, n’y aurait-il pas eu économie et pour la construction et pour l’exploitation ?
Mais le fait en lui-même n’est pas exact.
Il est vrai qu’en prenant chaque section isolément, il en est aujourd’hui qui ont une étendue plus grande que celle des tracés provisoires ; les sections de Gand vers Bruges et vers Wetteren sont de ce nombre ; ai-je besoin d’en dire la raison aux députés de Gand ? D’après le tracé provisoire, le chemin de fer passait à côté de Gand ; pour pénétrer au cœur de la ville, il a fallu faire un détour considérable. Et c’est à Gand qu’on s’est demandé pourquoi les tracés primitifs avaient été quelquefois allongés ?
Mais voyons maintenant l’ensemble des sections.
Bien que quelques sections prises isolément soient plus longues, il se trouve que, dans leur ensemble, les 13 sections offrent un développement moins considérable que ne l’indiquaient les devis provisoires ; c’est le résultat de compensation.
Dans les documents communiqués aux chambres et au public, il y a quatre genres de longueurs toutes vraies relativement, et qu’il ne faut pas confondre.
1° Longueurs des avant-projets.
Ces tracés n’étaient que provisoires ; il était réservé aux études définitives d’amener bien des rectifications.
2° Longueurs servant de base aux adjudications.
L’on n’a pas toujours adjugé rigoureusement les longueurs d’une station à l’autre ; je puis en citer quelques exemples remarquables. L’adjudication de la section de Malines à Louvain comprend plus que la section réelle de Malines à Louvain : de station à station, la longueur est d’après le tracé primitif de 23,750 mètres, la longueur pour l’adjudication a été de 25,700. Différence : 1,950 mètres.
Arrêtons-nous un instant, messieurs. Quel beau sujet d’accusation ! Comment ! On a adjugé et par conséquent payé 25,700 mètres et en réalité la section de Louvain à Malines n’est que de 23,750 mètres ; il y a une différence de 1,950 mètres, de deux kilomètres environ ; l’Etat a payé deux kilomètres qui n’existent pas même.
Je me hâte de rassurer mon honorable prédécesseur, M. de Theux qui a approuvé cette adjudication le 17 mars 1836.
En vous rendant de Bruxelles à Liége, vous aurez tous remarqué en aval de Louvain un énorme remblai, et en amont un profond déblai ; tous ceux qui ont quelque notion de travaux de terrassement, savent qu’il y avait ici deux opérations à combiner ; avec la terre du déblai il fallait faire le remblai ; à cet effet, il était indispensable de réunir dans les mains du même entrepreneur les deux opérations, qui au fond n’en formaient qu’une, opérations qu’on n’eût pu séparer qu’en doublant les frais.
Je dois encore prévenir une méprise presque inévitable ; il ne faut pas conclure de ces explications que les 1,950 mètres en plus de l’adjudication de la section de Louvain à Malines vont rigoureusement se trouver en moins dans l’adjudication de la section suivante, celle de Louvain à Tirlemont ; près de Tirlemont le mouvement des terres a encore exigé une combinaison du même genre que celle qui a été faite près de Louvain.
Dans le compte-rendu du 1er mars 1837, vous trouverez un tableau indiquant les longueurs d’exécution (tableau A) de plusieurs sections ; qu’a-t-on fait à Gand ? C’est à l’aide de ce tableau, qu’on n’a pas compris, qu’on a établi un parallèle entièrement erroné.
3° Longueur réelle de station à station après la mise en exploitation.
C’est la longueur que j’ai indiquée pour 13 sections au tableau n°1 du rapport général du 12 novembre ; les chiffres ont été revus de nouveau et trouvés exacts.
C’est ce tableau qu’il faut comparer avec le tableau des avant-projets, je résume cette comparaison dans une note du Moniteur.
Il se trouve que d’après les avant-projets la longueur des 13 sections était présumée devoir être de 312,644 mètres.
Trois sections ont été allongées, celles de Gand à Bruges et à Termonde, à cause des stations intérieures de Gand et de Bruges, et celle de Landen à Saint-Trond pour obtenir de meilleures pentes.
Huit sections ont été raccourcies.
Deux sections ont une partie commune : les lignes de Gand vers Bruges et Courtray se bifurquent au-delà du pont sur l’Escaut, tandis que d’après les avant-projets les deux chemins de fer partaient chacun de Gand avec des points différents.
L’allongement, si je puis parler ainsi, a été de 3,948 mètres ; le raccourcissement de 7,301 mètres.
Différence en moins sur les devis primitifs : 3,353 mètres.
Sur l’ensemble des 13 sections, il y a donc réduction et non augmentation de plus de 3 kilomètres : réduction qui, par un heureux hasard, compenserait au besoin, en quelque sorte, la dépense en plus faite à Gand pour pénétrer dans la ville.
4° Longueur d’après le tableau des convois.
Non seulement on a arrondi les chiffres, mais on a reproduit chaque fois les parties communes : il en résulte, chose singulière au premier abord, et cependant très simple, que le parcours du chemin de fer est plus considérable que la longueur réelle ; parcourez les 13 sections en exploitation au 12 novembre 1839, et vous aurez, d’après le tableau du service, fait 315 kilomètres ; il n’y a en réalité que 309 kilomètres 291 mètres, mais parcourant deux fois les parties communes, vous les payez chaque fois et vous êtes en outre généralement victimes de nombres ronds.
Que maintenant, par inadvertance, on prenne les 4 genres de longueur que je viens de vous indiquer, qu’on les amalgame, et on vous fera un travail dont peut-être on ne découvrira les erreurs qu’après plusieurs semaines de recherches ; il me faudrait, à moi-même, dans trois mois, les plus grands efforts de mémoire pour remettre les chiffres à leur place. Aujourd’hui, aidé, il est vrai, de M. le directeur Simons, il m’a suffi, pour découvrir l’erreur, dans le parallèle dont il s’agit, moins de temps que je n’en ai mis à vous donner les indications succinctes nécessaires pour comprendre le tableau comparatif que je fais insérer au Moniteur.
Dans ce tableau, vous trouverez encore une autre longueur, celle du railway proprement dit, y compris les deuxièmes voies et toutes les gares d’évitement ; en supposant le railway continu, il offrait au 12 novembre un développement de simple voie de 455 kilomètres ¼, chiffre utile pour se rendre compte de l’emploi des rails et de l’excédant disponible à livrer ou déjà déposé à pied d’œuvre à cette époque.
Je m’arrête, messieurs, j’attendrai que d’autres faits vous soient cités, que d’autres doutes, vous soient soumis ; j’y répondrai, à moins que l’on ne me prévienne. Je dois compter sur le concours de mon honorable successeur. (Signes d’adhésion de la part de M. Rogier.) Je ne suis plus ici que comme député le défenseur de l’administration dont j’ai été le chef ; je n’ai pas le droit d’intervenir comme personnage principal ; je n’interviens que comme second, en quelque sorte.
(Moniteur n°156 du 4 juin 1840) M. Desmaisières – Messieurs, le nouveau ministère a cru, avec raison, devoir saisir l’occasion de la demande qui vous est faite d’un emprunt de 90,000,000 de francs, pour vous exposer quelle était la situation financière du pays au moment où il est entré aux affaires.
De cet exposé, il résulterait :
1° Que les exercices antérieurs à 1840 présenteraient une insuffisance de ressources montant à 19,359,682 francs 02.
2° Que l’exercice 1840 devrait, en outre, des dépenses déjà portées au budget, être chargé d’une somme de 750,000 francs pour un semestre de la rente de l’emprunt 4 p.c. et d’une autre somme de 5,291,005 francs 28 pour un semestre de la rente mise à charge de la Belgique par le traité du 19 avril, lesquelles deux sommes ensemble viendraient par conséquent grossir l’insuffisance de ressources que l’on prévoit en ce qui concerne les exercices 1840 et antérieurs d’un total de 6,041,005 francs 28, et ferait monter ainsi cette insuffisance à 25,400,687 francs 30.
3° Qu’à raison de ce que les voies et moyens de 1840 se trouvent comprendre plus de 3,000,000 de francs de recettes temporaires qui se reproduiront seulement pendant un certain nombre d’années, et plus de 4,500,000 francs de recettes de même espèce qui, dès 1841, ne se reproduiront plus ; de ce que, selon le ministère, il n’y a pas lieu de tenir compte, pour compenser une partie de ces recettes temporaires, du chiffre de 1,967,127 francs 26 c. de dépenses extraordinaires sans admettre qu’il en soit de même du budget des voies et moyens ; qu’à raison enfin de ce que l’emprunt pétitionné doit grever le budget des dépenses d’une rente annuelle de 4,200,000 francs, nous allons nous trouver pour aborder l’exercice prochain vis-à-vis d’un déficit annuel de près de 9 millions.
Si ma qualité d’ancien ministre des finances (venant de quitter les affaires) ne me faisait un devoir de justifier mon administration et aussi celle de mes honorables prédécesseurs, je n’en croirais pas moins dans l’intérêt du crédit public et pour rassurer les contribuables, avoir l’obligation impérieuse de rectifier ce qu’il y a d’erroné dans ces trois assertions. Mais je désire bien qu’on ne s’y méprenne pas ; je ne vais ici qu’exercer un droit, que remplir un devoir.
J’entre en matière.
Ainsi qu’on l’a rappelé, j’ai, dans mon discours prononcé le 12 novembre dernier, lors de la présentation du budget de 1840, accusé une insuffisance présumée de ressources s’élevant à 16,137,920 francs 29 c. ainsi composée :
Exercices 1836 et antérieurs : fr. 3,296,054 99
Exercices 1837, 1838 et 1839 : fr. 7.854,385 27
Créances arriérées des exercices 1836 et antérieurs : fr. 4,037,482 03
A payer aux concessionnaires de la Sambre : fr. 500,000 00
Restitution de droits indûment perçus sur les apports des différentes sociétés industrielles , l’administration ayant été condamnée par un arrêt de la cour de cassation : fr. 450,000 00
Total : fr. 16,137,920 29
Mais l’exercice 1837 ayant été clôturé au 1er janvier 1840, il en est résulté une diminution d’insuffisance de ressources de (-) de fr. 277,349 59.
Les recettes et dépenses des exercices 1838 et 1839 ayant pu aujourd’hui être mieux appréciées, on présume que l’insuffisance de 1838 peut être diminuée de (-) fr. 53,415.
Et que celle de 1839 doit être majorée du chef de ce que le département de la guerre n’a pas pu réaliser les économies espérées d’une somme de fr. 2,691,948 79
Enfin de nouvelles créances arriérées sur les exercices clos sont venus à être signalées pour une somme de fr. 860,577 96.
Soit : (-) fr. 330,764 80 ; (+) fr. 3,552,526 77
Différence en plus : fr. 3,221,761 97
Laquelle différence en plus de fr. 3,221,761 97 étant ajoutée à la somme ci-dessus de fr. 16,137,920 05, ferait monter le découvert présumé devoir exister à la fin de 1840, du chef des exercices 1839 et antérieurs, à fr. 19,359,682 02.
Mais, comme l’honorable rapporteur de la section centrale l’a fort bien fait remarquer dans son rapport, il faut d’abord noter que la somme de fr. 4,898,060 01 en créances arriérées des exercices clos, n’est pas liquidée ; qu’elle ne le sera qu’après que ces créances auront été discutées et admises par la législature ; qu’enfin il ne peut y avoir d’insuffisance positive de ressources que lorsque les comptes ont été législativement arrêtés. Jusque-là toute insuffisance n’est que présumée, elle est flottante, et, à moins qu’elle ne provienne de dépenses reproductives, il ne peut y avoir lieu à la consolider en tout ou en partie en dette fondée aussi longtemps que le chiffre n’en est pas trop élevé pour ôter tout espoir de pouvoir arriver à la réduire ou à son extinction complète au moyen d’économies dans les dépenses ou d’excédents de recettes dans l’avenir.
Avant donc de nous décider à consolider une partie de cette dette flottante présumée devoir résulter des exercices 1839 et antérieures, examinons d’abord quelle peut être l’influence, à son égard, de notre avenir financier.
Le budget général des dépenses de l’exercice 1840 a été alloué comme suit :
Dette publique : fr. 29,367,876 47
Affaires étrangères : fr. 1,136,800
Justice : fr. 6,452,577
Finances : fr. 10,877,750
Non-valeurs : fr. 1,806,200
Travaux publics : 9,036,031 37
Marine : fr. 959,952
Intérieur : fr. 8,513,496 20
Crédits spéciaux : Refonde des anciennes monnaies : fr. 125,000
Séminaire de Rolduc : fr. 100,000
Pénitentiaire de Saint-Hubert : fr. 150,000
Total : fr. 60,525,383 01
Le budget de la guerre a été pétitionné pour fr. 32,790,000
Ainsi, en supposant que ce dernier budget ne présente pas d’économies à faire, les dépenses totales de 1840 s’élèveraient à fr. 101,415,383 04
Les revenus renseignés comme probables sur le tableau litt. H. du ministre des finances, montent à fr. 101,982,161 20.
Excédant de ressources : fr. 666,778 16.
Toutefois, M. le ministre ayant, par erreur, compris dans son évaluation des recettes probables et effectives de 1840 la somme d’un million à rembourser le 1er juillet prochain par la banque de Belgique, et ce remboursement devant non pas être retranché, comme le dit l’exposé des motifs, du budget des voies et moyens, mais seulement (ainsi que je l’avais reconnu, en avais donné l’ordre à M. le directeur de l’administration du trésor et comptais en avertir les chambres lors de la discussion du budget de la guerre) figurer au chapitre des recettes pour ordre.
On voir qu’en définitive, dans l’hypothèse la plus défavorable et qui ne se réalisera certainement pas, il n’y aurait qu’une insuffisance de ressources sur cet exercice de 333,221 francs 86 c. Mais pour arriver à ce résultat il faut supposer : qu’aucune économie ne sera faite ni sur le budget de la guerre ni sur aucun autre, et que les évaluations des voies et moyens ne seront pas dépassées par les recettes effectives. Or, il n’est pas difficile de prouver que tout le contraire arrivera.
En effet, à en juger par ledit tableau litt. H. annexé à l’exposé des motifs du projet de loi, on est d’abord fondé à espérer un excédant notable à présenter par les recettes effectives comparées aux évaluations faites au budget des voies et moyens de 1840. Il suffira, pour le démontrer, de mettre les versements faits au 31 mars et renseignés par ce tableau en regard des évaluations de trois mois de recettes : (tableau non repris dans cette version numérisée)
Mais si l’on se reporte au tableau n°2, joint au discours à l’appui de la présentation du budget de 1840, on y verra de suite que les trois premiers mois de l’année sont toujours au-dessous des recettes prévues et que les derniers mois de recettes étant meilleurs, il n’en est pas moins résulté que, malgré des déficits dans les premiers mois de l’année, les recettes prévues se trouvaient dépassées en définitive par les recettes effectives de l’année entière. Pour prendre l’année la moins irrégulière sous ce rapport et la plus rapprochée de nous, voyons ce qui s’est passé à cet égard en 1838. (tableau non repris dans cette version numérisée).
Ainsi pour les recettes variables de l’administration des contributions, quoique la balance des recettes réalisées au 31 mars avec les évaluations d’un trimestre ait présenté en 1838 un déficit de 676,000 francs, la balance des recettes effectives et des évaluations pour l’année entière a donné pour résultat un excédant de près de 2 millions en faveur des recettes effectives. Certes on ne peut pas prétendre obtenir un résultat aussi favorable en 1840, mais on est du moins fondé à espérer que la balance du 1er trimestre 1840, n’accusant qu’un déficit de 590,000 francs, les recettes effectives de l’année 1840 entière dépasseront les prévisions du budget, alors surtout que la crise industrielle, politique et financière, qui a eu un effet si pernicieux sur les recettes de 1839, s’est déjà fait sentir en 1838, et que les évaluations du budget de 1840 ont eu lieu sur celles de presque toute une année de crise.
En ce qui concerne l’administration de l’enregistrement et des domaines, les résultats sont encore plus favorables, ainsi qu’on en jugera par les tableaux suivants : (tableaux non repris dans cette version numérisée)
Ces chiffres en disent plus que tous les raisonnements pour faire espérer que non seulement l’excédant de fr. 333,221 86 c. en dépenses que l’on trouve par la balance des dépenses et recettes prévues aux budgets de 1840, lorsqu’on ne tient aucun compte des économies à faire sur le budget de la guerre, sera couvert par l’excédant des recettes effectives, mais qu’encore il y aura un excédant de ressources.
Si maintenant nous prenons en considération que, pour arriver à cet excédant de dépenses s’élevant à fr. 333,221 86 c., nous avons supposé qu’aucune économie ne serait faite sur les budgets des dépenses, pas même celui du département de la guerre qui est entré en ligne de compte pour le chiffre primitivement pétitionné de fr. 32,790,000, tandis que, d’après ce qui a été dit lors de la discussion des crédits provisoires et par l’ancien ministre de ce département ; par le nouveau, et par les honorables rapporteurs et membres de la section centrale, nous avons tout lieu de penser qu’on pourra réduire les dépenses effectives de plusieurs millions ; si nous prenons, dis-je, ces divers faits en considération, nous devons prévoir que l’exercice de 1840 viendra diminuer de plusieurs millions l’insuffisance des ressources de fr. 19,000,000 présumée sur les exercices de 1839 et antérieurs, et que par conséquent le découvert ne sera plus au 1er janvier 1841 que de 15 à 17 millions au plus.
Or, je vous le demande, messieurs, ce chiffre de la dette flottante qu’au maximum on peut présumer devoir exister au 1er janvier 1841, a-t-il quelque chose de si effrayant que, sans compter sur des économies dans nos dépenses pour l’avenir et sur l’augmentation des revenus de l’Etat, que doit nécessairement produire l’ère de paix et d’indépendance dans laquelle nous venons à peine d’entrer, on doive se résoudre tout d’abord à convertir, comme on le propose, 11,500,000 francs de cette dette flottante en dette consolidée ?
Le tableau suivant des émissions de bons du trésor autorisées et effectués depuis 1833 jusqu’au 1er janvier 1840, va vous en faire juger (tableau non repris dans la présente version numérisée).
On le voit, une dette flottante de 15 à 17 millions pour aborder l’année 1841 avec laquelle seulement pourra commencer, tant sous le rapport des dépenses que des recettes, un état normal de paix, n’a rien qui doit effrayer. Mais comme pour la continuation des travaux du chemin de fer, il y a nécessité de faire un emprunt actuellement ; que c’est là une occasion qu’il fait saisir pour consolider soit la partie de la dette flottante qui pourrait trop charger notre situation financière dans l’avenir si nos prévisions d’amélioration ne se réalisaient pas, soit celle qui provient de dépenses reproductives de revenus pour le pays, c’est y mettre toute a prudence que commandent les circonstances, que de consolider 5 à 6 millions de notre dette flottante au moyen de l’emprunt, ainsi que le propose votre section centrale.
De cette manière, notre dette flottante présumée au 1er janvier 1841 se réduira à un maximum de 11 millions de francs ; c’est un peu plus du chiffre que M. le ministre des finances lui-même croit pouvoir exister. Nous devons penser d’ailleurs que lorsque, sur l’encaisse de 1830, les redevances de la société générale du chef de la liste civile et du syndicat et sur le produit de la vente d’une partie plus ou moins grande de nos domaines, on aura prélevé les sommes nécessaires à l’achèvement complet du chemin de fer, ainsi que celles qui pourra demander le règlement de la comptabilité de la dette du traité en rapport avec les véritables échéances des rentes, après que le transfert les aura fait connaître, il restera au moins encore de quoi couvrir soit une forte partie, soit toute cette dette flottante de 11 millions.
Dans tous les cas on ne peut pas faire un grief à l’administration des 9 à 10 premières années de notre indépendance, d’être arrivé à un pareil chiffre de dette flottante, dût-il être majoré même jusqu’à 23 millions, alors que les contribuables ont été dégrevés de plus de 18 millions d’impôts annuellement depuis la révolution, alors que nous avons eu à traverser 10 années de crise politique, que nous avons considérablement augmenté le revenu public par des acquisitions de canaux et l’exécution de travaux publics , et qu’enfin nous avons déjà amorti 10 à 12 millions de la dette fondée que l’état de guerre, ces acquisitions et l’exécution de ces travaux publics nous ont fait créer.
Je dois maintenant des explications à la chambre sur le semestre de l’emprunt 4 p.c. et de la dette du traité, que par son projet de loi, M. le ministre des finances veut mettre à charge de l’emprunt projeté. Voici les faits :
L’arrêté du 5 juillet 1836, qui règle les conditions de l’emprunt 4 p.c. a fait partir la jouissance des intérêts du 1er juillet de la même année
Cependant rien n’a été imputé de ce chef sur le budget des dépenses de l’exercice 1836 et au budget de 1837 il n’a été porté que deux semestres l’un ayant pris cours le 1er juillet 1836 et payable le 1er janvier 1837, et l’autre ayant pris cours au 1er janvier 1837 et payable le 1er janvier de la même année.
Ce mode d’imputation a été ensuite suivi successivement aux budgets de 1838, 1839 et 1840 qui tous ont été chargés de deux semestres de cette rente, ayant pris cours le 1er juillet de l’année précédente, et le 1er janvier de l’année du budget pour être payés respectivement le 1er janvier et le 1er juillet de l’année donnant son nom à l’exercice.
L’article 13 du traité du 19 avril mettant la rente de 5,000,000 de florins à charge de la Belgique pour le premier semestre à partir du 1er janvier 1839 et pour le second semestre à partir du 1er juillet de la même année, ces dits semestres (en supposant que les échéances des rentes à transférer seront les mêmes) payables respectivement le 1er juillet 1839 et le 1er janvier 1840, il n’a été, par application du système de comptabilité législativement pratiqué pendant plusieurs années consécutives à l’égard de l’emprunt 4 p.c. et imputé par la loi du 3 juin 1839, à charge du budget de 1839, qu’un seul semestre de la rente du traité, celui ayant pris cours le 1er janvier et payable le 1er juillet 1839 ; et dans la loi du budget de la dette publique de 1840 on n’a imputé sur ce dernier exercice que les deux semestres ayant pris cours le 1er juillet 1839 et le 1er janvier 1840 et payables respectivement les 1er janvier et 1er juillet 1840.
Messieurs, vous vous le rappellerez, au moment où j’ai eu à vous demander la loi du 5 juin 1839 de lourdes charges avaient été imposées extraordinairement aux contribuables ; l’effervescence politique produite dans les populations par suite de la discussion et de l’adoption du traité était encore toute vivace ; la crise financière industrielle et commerciale arrivée à son apogée tourmentait fortement le pays. L’Etat voyait la perception des ressources prévues au budget des voies et moyens singulièrement diminuée d’un côté par l’exécution du traité qui enlevait à la Belgique 400,000 contribuables et d’un autre côté par l’effet de cette même crise financière, industrielle et commerciale dont toutes les plaies ne sont pas encore entièrement cicatrisées. Etat-ce donc bien le moment, alors que nous avions devant nous un avenir de paix qui allait succéder à un état de guerre, de renoncer à un système de comptabilité qui n’avait d’autre effet que de grever l’avenir au profit du présent ?
Malgré les doutes que j’avais sur la bonté du système en lui-même, je ne l’ai pas pensé et vous ne l’avez pas pensé non plus ; j’ai eu l’honneur de vous présenter et vous avez voté la loi du 5 juin 1839 qui n’impute, en termes fort clairs, qu’un seul semestre de la rente du traité à charge du budget de 1839.
Vous avez pensé, comme l’ancien ministère, que ce qu’il importait avant tout pour le bien-être de nos populations, c’était de rétablir le crédit public, en s’efforçant de faire sortir aussi promptement que possible le pays de ce malheureux état de crise financière et politique si profonde qui le tourmentait et dont, grâce aux mesures législatives et administratives qui ont été prises, nous sommes sortis aujourd’hui, à tel point que la présentation d’un projet de loi demandant 90,000,000 de francs à l’emprunt n’a nullement affecté notre crédit.
La question de comptabilité dont je viens de parler, a été ensuite soulevée dans le sein de la section centrale de la chambre chargée de l’examen du budget de la dette publique de 1840 et aussi dans le sein de la chambre elle-même, à l’occasion de la discussion de ce budget.
Mais, sur la proposition de la section centrale les imputations relatives à la rente du traité et faites conformément au système de comptabilité suivi depuis 1836, à l’égard du 4 p.c., ont été maintenues, la chambre s’étant sagement réservée de statuer ultérieurement sur la question de comptabilité après un rapport de sa commission des finances.
M. le ministre n’a pas cru entrer dans l’examen de cette question de comptabilité, mais il a fait valoir cependant pour la décider contre le système suivi depuis 1836, à l’égard du 4 p.c., l’embarras que doit causer au trésor le paiement à faire d’une dépense de 5 à 6 millions à effectuer dans un moment où les recettes qui la couvrent en comptabilité sont en général fort faibles.
A cette objection on peut sans doute répondre qu’en fait cet emprunt n’a pas existé jusqu’ici, vu qu’il y a toujours eu au 1er janvier un service de dépenses à effectuer plus considérable que celui des recouvrements à opérer : que cette assertion est tellement vraie que M. le ministre a accusé lui-même, à la page 9 de l’exposé des motifs, un arriéré de dépenses s’élevant au 25 avril dernier, à 28,613,615 francs 52, tandis qu’à la même date, il n’y avait plus que 1,342,725 francs 22 à recouvrer sur les recettes arriérées ; qu’enfin l’expérience du passé autorise à croire qu’il en sera de même à l’avenir et que, par conséquent, l’objection tirée de l’embarras du service du trésor n’est au fond que spécieuse.
Cependant, messieurs, il faut bien reconnaître que l’embarras que peut éprouver le service du trésor, cet embarras eût-il même peu de chances de se réaliser, est une chose si grave pour le crédit public qu’il faut toujours prendre ses mesures pour l’éviter, dès qu’en les prenant on ne se trouve pas vis-à-vis d’autres embarras certains et plus grands encore. Or, si cette dernière position a été la nôtre pour 1839 et 1840, elle ne le sera certainement pas à l’avenir, et par conséquent, si telle est l’opinion de la législature, on pourra sans inconvénient, dès le budget de 1841, régler la comptabilité budgétaire de manière à ce que tout semestre d’intérêts de dette publique dont la jouissance a commencé le 1er juillet d’une année et dont le paiement doit avoir lieu le 1er janvier de l’année suivante, soit imputé sur le budget de l’année qui précède immédiatement cette dernière.
Mais encore une fois, la législature n’en aura pas moins agi très sagement en se décidant, à une époque de crises de toute espèce, à ne pas abandonner provisoirement le système suivi depuis 1836, qui a eu pour effet de décharger un présent déjà surchargé aux dépenses d’un avenir plus prospère.
Maintenant est-ce bien à l’occasion d’une loi d’emprunt qu’il faut tout de suite opérer les régularisations qu’exigera le nouveau système de comptabilité budgétaire ? Oui, si l’on ne peut absolument arriver autrement à balancer les recettes avec les dépenses ; non, s’il en est autrement, et non d’autant plus, s’il est impossible de se fixer dès à présent sur les chiffres.
Toutes les sections et la section centrale ont pensé avec raison que la somme de 5 à 6 millions au maximum, dont, par l’effet du changement de système, il pourrait y avoir lieu à grever les budgets antérieurs, pouvant être trouvée facilement dans l’encaisse de 1830.
On a pensé aussi que le transfert des rentes au total de 5,000,000 de florins ordonné par le traité n’ayant pas encore eu lieu, on ne pouvait savoir s’il comprenait des rentes à semestre payables au 1er janvier, ni quelle en serait la qualité dans le cas contraire.
On a pensé enfin que, dès que les chiffres de régularisation ne pouvaient être connus, c’eût été s’exposer à de nouvelles régularisations encore que de les opérer dès maintenant, et cela bien inutilement, puisqu’en fait, il n’est pas résulté d’embarras pour le trésor du système de comptabilité suivi depuis 1836.
Je dis, messieurs, que l’on ne peut pas encore connaître les sommes dont il y aura lieu de charger les exercices antérieurs du chef de la dette du traité, si l’on change de système de comptabilité et il me suffira de très peu de mots pour le prouver.
Le transfert n’ayant pas eu lieu, on ne connaît point les dates des échéances semestrielles des rentes dont il sera composé. Eh bien ! qu’arriverait-il si l’une des échéances des payements semestriels était, comme pour notre 3 p.c., le 1er févier par exemple, et si dès à présent, avant qu’on ne connût la composition du transfert, on avait régularisé les budgets d’après le nouveau système de comptabilité ?
On se trouverait avoir imputé sur les exercices 1839 et 1840 quatre semestres, soit 24 mois, c’est-à-dire 5 mois de rente en trop, puisque l’on n’aurait à imputer sur le budget de 1839 que le remboursement à la Hollande des deux semestres payés par elle le 1er juillet et le 1er janvier denier, et sur le budget de 1840 que le remboursement à la Hollande du semestre payé au 1er juillet plus un mois couru dudit 1er juillet au 1er août prochain, date du commencement de la jouissance du 1er semestre après le transfert, lequel semestre, ne devant se payer que le 1er février prochain, serait à imputer sur le budget de 1841.
Ainsi, en résumé, on aurait par la régularisation, si elle se faisait actuellement, grevé les budgets de 1839 et de 1840 de 24 mois de rente, tandis qu’ils ne devraient être chargés que de 19 mois, et il y aurait par conséquent, après le transfert, une nouvelle régularisation à faire en sens contraire pour les cinq mois en trop.
Vous voyez donc, messieurs, que tout concourt à prouver que c’est là une question qui ne pourra être résolue, avec toute sûreté dans son application, qu’au budget de 1841, et qu’heureusement elle peut être ajournée jusque-là, puisque nous avons devant nous des ressources certaines pour couvrir les surcharges qui peuvent en résulter pour les exercices antérieurs.
J’en viens maintenant à l’insuffisance annuelle de ressources, au chiffre de 9 millions de francs que l’exposé de motifs du projet de loi d’emprunt accuse pour l’avenir, et dès 1841, en s’appuyant sur la comparaison des budgets de dépenses et des voies et moyens de 1840.
Le nouveau emprunt pouvant, sans que l’achèvement totale des divers chemins de fer dont l’exécution a été décrétée en soit, en quelque manière que ce soit compromis, être réduit, ainsi que le démontre le rapport de la section centrale, à un capital effectif de 65 millions, il ne peut en résulter pour le pays qu’une charge annuelle de 3,575,000 francs qui ne prendra complètement cours qu’au budget de 1842, et ce y compris la dotation de l’amortissement.
Cependant, alors que beaucoup de sections du chemin de fer sont encore en construction, que d’autres ne sont pas même encore commencées, et que d’autres encore, quoique mises en exploitation, ne sont pas achevées de manière à en tirer tout le parti possible quant au revenu ; alors que notre chemin de fer ne se trouve pas encore en contact avec les lignes en construction ou projetées par les nations voisines ; cependant alors, dis-je, nous voyons par le budget de 1840, que l’on ne dépensera cette année qu’une somme de 3,099,000 francs pour frais d’entretien et d’exploitation, et par le tableau litt. H, joint à l’exposé des motifs, que la recette probable de l’année s’élèvera à 5,279,000 francs, ce qui constitue un excédant de revenus, montant à 2,639,000 francs.
Certes, s’il y a exagération à penser que, lorsque les chemins de fer décrétés seront complètement achevés et mis en contact d’exploitation avec les affluents de France et d’Allemane, les revenus et les dépenses se trouveront également doublés, c’est plutôt du côté des dépenses que du côté des revenus. Ce sont donc là des hypothèses permises.
Donc la différence en faveur du revenu net s’élèvera alors au moins à 5,278,000 francs.
Or, nous avons dit que l’emprunt ne chargera au plus le budget que de 3,575,000 francs.
Et, par conséquent, le revenu de l’Etat sera augmenté d’une somme de 1,703,000 francs en sus des charges de l’emprunt, au lieu du déficit annuel de 4 à 5 millions, auquel l’exposé des motifs arrive en ne tenant aucun compte de l’augmentation des revenus du chemin de fer et en calculant sur un capital effectif de 90 millions à emprunter.
Mais, supposons même que ces 1,703,000 francs doivent encore être absorbés par les frais d’exportation et d’entretien, ce qui n’est guère probable, eh bien encore alors tout au moins n’y aura-t-il de ce chef aucun déficit annuel.
Les 9 millions de déficit annuel prévus dans l’exposé des motifs sont donc déjà réduits à moitié. Voyons s’il n’y a pas lieu d’en retrancher encore l’autre moitié.
Cette autre moitié résultait, selon les calculs de M. le ministre des finances, de la comparaison et de la discussion des dépenses et des voies et moyens de 1840.
L’exposé des motifs (page 15) renseigne, en effet, que dans le budget des voies et moyens de 1840, qui comprend toutes les recettes de l’année, ainsi que le veut la constitution, il y a des recettes montant ensemble à 4,615,500 francs, qui ne se reproduiront plus à l’avenir.
Mais nous devons faire observer d’abord que le million à rembourser par la banque de Belgique peut très bien ainsi que nous l’avons prouvé plus haut, être retranché ici des recettes effectives sans que la balance entre les recettes et les dépenses cesse d’exister, et qu’il doit en être retranché, puisqu’il doit figurer aux recettes pour ordre. Il ne resterait donc plus qu’une somme de 3,615,500 francs, à laquelle, ajoutant les intérêts de l’encaisse de 1830 du capital duquel nous disposons, 550,000 francs, nous arriverons à une somme de 4,145,500 francs de recettes figurant au budget de 1840 qui ne se reproduiront plus à l’avenir.
Mais encore une fois à en juger par ce qui a été dit par la section centrale et par M. le ministre de la guerre dans la discussion des crédits provisoires, on doit penser que le budget du département de la guerre s’élèvera au plus peut-être pour 1840 et certainement dans l’avenir à 28,000,000 francs.
Nous avons vu plus haut que le total des autres budgets des dépenses pour 1840 monte à 68,525,383 francs 04.
Donc en calculant d’après 1840, le budget général des dépenses ne s’élèvera à l’avenir qu’à 96,523,383 francs 04 ?
Et en retranchant le million de la banque de Belgique des revenus probables renseignés, pour 1840, au tableau litt. H, joint à l’exposé des motifs, on arrive encore à un chiffre de revenus renseignés comme probable par M. le ministre de 100,982,161 francs 26.
Donc, si toutes les recettes et dépenses de 1841 étaient les mêmes qu’en 1840 et si les dépenses de la guerre étaient réduites à 28 millions, il y aurait un excédant de voies et moyens s’élevant à 4,456,778 francs 16.
Ce qui compense et au-delà les 4,145,500 francs de recettes de 1840 qui ne se reproduiront plus en 1841. Donc il faut encore retrancher du déficit annuel, présumé de 9,000,000 francs, l’autre moitié, donc ce déficit se réduit à zéro, ou, en d’autres termes, n’existe pas d’après la balance des recettes et dépenses de 1840, les nouvelles charges qui résulteront de l’emprunt étant prises en considération.
En ce qui touche les recettes temporaires signalées par l’exposé des motifs (page 15) comme devant seulement encore se reproduire pendant plusieurs années et montant à 3,385,500 francs, c’est là un chiffre encore qui ne doit inspirer aucune crainte pour l’avenir, car si le budget des voies et moyens de 1840 comprend des recettes temporaires qui ne se renouvelleront que pendant plusieurs années, le budget des dépenses renferme aussi des dépenses qui ne se renouvelleront les uns déjà plus dès 1841 et les autres seulement pendant plusieurs années. Le chiffre des dépenses temporaires, d’ailleurs dépasse de beaucoup celui des recettes de même espèce.
En effet au chiffre de 1,967,127 francs 26, les dépenses tout à fait extraordinaires qui figurent cette année au budget, il faut pour avoir le total des dépenses temporaires de l’espèce, ajouter les suivantes :
Budget de la dette publique :
1° Sur le million porté pour intérêt et frais présumés de la dette flottante, on pourra facilement économiser à l’avenir : 600,000 francs ;
2° Avances d’intérêts de cautionnements dont les fonds sont encore en Hollande ou qui sont inscrits au grand-livre d’Amsterdam : 153,000 francs ;
3° Avances aux fabriques d’églises, aux communes et aux établissements de bienfaisance situés en Belgique, qui ont des capitaux inscrits au grand-livre de la dette active d’Amsterdam : 60,000 francs ;
4° Avances pour intérêts et remboursements de consignations dont les fonds sont encore en Hollande : 30,000 francs.
Budget du ministère de la justice :
5° Constructions nouvelles aux prisons : 250,000 francs ;
6° Pénitentiaire de Saint-Hubert : 150,000 francs ;
Budget des affaires étrangères :
7° Exécution du traité de paix : 100,000 francs
Budget de l’intérieur :
8° Dotations en faveur des légionnaires et de veuves de légionnaires peu favorisés de la fortune : 60,000 francs ;
9° Avances pour les dépenses à faire sur le fonds d’agriculture détenu en Hollande : 80,000 francs
10° Construction ou appropriation d’un bâtiment pour dépôt des archives nationales : 100,000 francs ;
11° Monument de la place des Martyrs et séminaire de Rolduc : 125,000 francs :
Ministère des travaux publics :
12° Annuité de rachat du canal de Charleroy : 661,375 francs.
Total des dépenses temporaires comprises au budget de 1840 : 4,536,502 francs 26.
Les recettes temporaires montent seulement à 3,385,500 francs.
Donc, quand toutes les recettes et toutes les dépenses temporaires auront cessé de figurer au budget, il en résultera à dépenser en moins comparativement 1,150,952 francs 26.
Ce qui certes est on ne peut pas plus rassurant pour notre avenir financier.
Enfin, messieurs, pour compléter ce tableau vrai et exact de notre situation financière, qui est heureusement de nature à rassurer entièrement les créanciers de l’Etat et les contribuables, j’ajouterai que si, pour fermer les plaies de la révolution ou pour toute autre cause, nous avions encore à augmenter le budget des dépenses de l’Etat, nous devons, dans un temps qui n’est pas éloigné, trouver une compensation dans la réalisation d’une mesure proposée déjà par le gouvernement en 1838. Je veux parler de la conversion de l’emprunt 5 p.c.
En résumé, messieurs, il résulte de ce que je viens d’avoir eu l’honneur de vous exposer et du rapport de votre section centrale :
1° Que dans l’hypothèse peu vraisemblable où les dépenses du département de la guerre s’élèveraient à 32,790,000 francs et où les évaluations des voies et moyens ne seraient pas dépassées par les recettes effectives, la balance des budgets de 1840 ne présenterait encore qu’un excédant de dépenses s’élevant à 333,224 francs 86.
2° Qu’attendu qu’à en juger par ce qui a été dit lors de la discussion des crédits provisoires alloués au département de la guerre il entre bien certainement dans les prévisions de la législature et même du ministère que plusieurs millions seront économisés par le département de la guerre pour 1840, on doit concevoir l’espoir fondé qu’à ce minime excédant de dépenses de 333,221 francs 86 c se substituera, dans la réalité, un fort excédant de ressources, lequel viendra diminuer sensiblement les 19,000,000 de francs de dette flottante présumée.
3° Qu’une réaction semblable doit être espérée de ce que, à en juger par le passé, les évaluations des voies et moyens de 1840 seront dépasses par les recettes effectives, et qu’en conséquence on est fondé à pensé que le chiffre total de la dette flottante ne s’élèvera guère au-delà de 15 à 17 millions.
4° Qu’un tel chiffre de dette flottante n’a rien d’effrayant alors que nous avons devons nous un avenir de paix, et tandis que, dans un passé de guerre, le chiffre de l’émission autorisée en bons du trésor, du chef de la dette flottante, a été de 15,000,000 en 1833, 1834, 1835 et 1836, de 12,000,000 en 1837, 1838 et 1839, et qu’en outre, ces émissions autorisées ont été augmentées du chef de dépenses pour travaux publics de 10,000,000 en 1834, 11,490,000 en 1835 et 1836, 13,000,000 en 1837 et 1838, et enfin de 4,000,000 en 1839 pour le prêt fait à la banque de Belgique.
5° Qu’un tel chiffre de dette flottante est d’autant moins effrayant qu’il ne s’élève qu’environ au 1/6 du montant total du budget de l’Etat, tandis qu’en France il a été constamment du ¼ de 1831 à 1839.
6° Que rien ne nous commande par conséquent de dévier des sages principes posés dans le rapport de la section centrale, et qui consistent à établir que les parties de la dette flottante provenant de dépenses reproductives, doivent autant que possible seules être converties en dette fondée.
7° Qu’il n’y a donc lieu, au cas présent, que de consolider pour 5 à 6 millions de la dette flottante, au moyen de l’emprunt, et que les 10 à 11 millions restants se trouveront couverts en grande partie et peut-être même au-delà par les sommes qui resteront disponibles après que l’on aura prélevé, sur l’encaisse de 1830, sur les autres sommes dues par la société générale et sur le produit de la vente d’une partie des domaines, les sommes que demandera encore l’achèvement total de la construction de tous les chemins de fer décrétés et la régularisation de la comptabilité de la dette publique.
8° Que rien n’oblige à régler dès à présent la comptabilité de la dette publique autrement qu’elle ne l’a été depuis 1836 ; que ce serait même s’exposer actuellement alors que les faits qui doivent servir de bases n’ont pu encore se produire, en qu’enfin nous pouvons d’autant mieux ajourner cette régularisation que nous trouverions facilement, dans des ressources qui deviendront disponibles, les moyens de faire face aux surcharges qui pourront en résulter pour les budgets antérieurs.
9° Que si le budget des voies et moyens de 1840 comprend pour plus de 3 millions de recettes temporaires qui cesseront de se renouveler au bout de plusieurs années et pour 4,145,300 francs de recettes qui dès 1841 ne se répèteront plus ; d’un autre côté, on trouve une large compensation au présent et dans l’avenir, en ce que le budget de 1840 renferme pour plus de 4 millions de dépenses qui ne se renouvelleront plus, les unes dès 1841 et les autres dans plusieurs années seulement ; et en ce que supposant que le budget de la guerre doive s’élever à 28,000,000 francs en 1841 et les autres budgets rester ce qu’ils sont pour 1840, les dépenses totales de 1841 sont encore moins élevées de plus de 4,500,000 francs que celles de 1840, et que, par conséquent, les voies et moyens de 1841 pourront très bien supporter la perte prévue de 4,145,500 francs sur les recettes.
10° Que les nouvelles charges, qui résulteront de l’emprunt pour le pays, pourront être compensées au moins par l’augmentation du revenu net des chemins de fer, routes et canaux ; et que si l’administration des ministères précédents a pu faire aboutir à une dette flottante, que les uns présument de voir s’élever à 19,000,000 de francs, les autres à moins ; cela n’a eu lieu, dans tous les cas, que par suite de notre crise politique qui a duré 10 ans ; et d’ailleurs, en acquérant des domaines productifs, en exécutant de grands travaux publics, les uns productifs de revenus, et tous éminemment favorables aux intérêts matériels du pays, en dégrevant les contribuables de plus de 18,000,000 d’impôts annuellement, en amortissement pour 10 à 12,000,000 de capital nominal de la dette fondée, et en laissant, enfin, intactes diverses ressources très grandes dans l’avenir.
11° Que loin d’avoir à prévoir pour l’avenir un déficit annuel de 9 millions, nous avons, grâce à la bonne administration de nos finances, l’espoir fondé de pouvoir, sans épuiser entièrement les ressources qui nous ont été ménagées par le passé, régler notre situation financière de manière à ce que dans l’état normal de paix où nous entrons, nous puissions, sans mouvements trop brusques, arriver à améliorer notre système d’impôts et de revenus qui peut-être peuvent produire plus pour le trésor en même temps qu’ils peuvent être rendus moins onéreux aux contribuables dans leur répartition et leur mode de production.
12° Enfin que nous pouvons envisager avec pleine sécurité notre avenir financier, tant sous le rapport du crédit public que des charges à imposer aux contribuables, et de la prospérité du pays.
(Moniteur n°155 du 3 juin 1840) M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, il résulte du rapport que vous a présenté mon honorable collègue le ministre des finances, à la reprise de la session, que le nouveau ministère s’est trouvé, en entrant aux affaires, vis-à-vis de deux insuffisances de ressources : une insuffisance de ressources concernant le passé et une insuffisance de ressources relativement à l’avenir. C’est placé entre ces deux insuffisances de ressources qu’il a cru vous devoir un exposé sincère de la situation financière du pays, situation qui d’ailleurs n’a rien d’alarmant, rien d’effrayant, et à laquelle nous nous sommes bien gardés ainsi de donner ce caractère.
Le moment n’est peut-être pas venu de discuter le chiffre de l’insuffisance de nos ressources pour l’avenir. C’est une question qui se rapporte naturellement à la discussion de notre prochain budget des voies et moyens. Si, comme le prétend l’honorable préopinant, nos ressources sont plus considérables, dans l’avenir, que nous ne l’avons présumé, nous acceptions bien volontiers et de grand cœur ces présomptions plus favorables que les nôtres. Nous n’avons aucun intérêt à rembrunir la situation financière du pays à une époque surtout où il doit recourir à un emprunt très considérable.
Il s’agit pour le moment d’aviser aux moyens de couvrir l’insuffisance de ressources pour le passé. Dans cette insuffisance, le département que j’ai l’honneur de diriger joue le plus grand rôle. Je dirai même que, d’après la déclaration que vient de faire mon honorable collègue des finances, déclaration de laquelle il résulte que le ministère consent à ajourner la consolidation d’une certaine partie de la dette flottante, tout le fort de la discussion va rouler désormais sur l’emprunt dans ses rapports avec les travaux publics.
En effet, messieurs, dans la somme primitivement demandé de 90 millions, le chemin de fer et les routes pavées figuraient pour une somme de 72,917,000 francs (je néglige les centaines) qui se décomposent de la manière suivante : 12 millions de bons du trésor déjà accordés par la chambre et en très grande partie dépensés, à l’heure qu’il est, nous n’avons plus qu’un million environ de disponible ; 3,340,000 francs pour le paiement des actions prises dans le chemin de fer prussien ; enfin 3,548,000 francs (cette dernière somme diffère dans les documents de 500 à 800, parce qu’elle a été prise à des époques différentes), comme complément des dépenses affectées aux routes pavées.
Quand vous avez retiré des 72,917,000 le total de ces trois sommes, il en résulte que nous venons vous demander, pour continuation des travaux du chemin de fer une somme nouvelle de 54 millions.
Ce n’est donc pas une dépense nouvelle de 90, de 80 ou même de 72 millions, que nous demandons, ainsi que l’ont dit quelques honorables membres, non dans le but de vous effrayer, mais trop effrayés eux-mêmes des dépenses du chemin de fer ; c’est une demande de 54 millions. Les 54 millions constituent-ils pour le pays, pour vous-mêmes, une dépense imprévue ? Cette dépense de 54 millions, est-il juste de nous la reprocher, ainsi que l’a fait un honorable membre dont la parole un peu vive a d’autant plus de poids en cette circonstance que d’ordinaire il se montre très modéré ? Est-il juste de faire un grief au gouvernement de demander les moyens d’y faire face ? Cela est souverainement injuste. Je dirai plus c’est que, lorsqu’un représentant de la nation, que je regrette de ne pas voir en ce moment dans le sein de cette assemblée, donne pour tout motif, pour motif absolu de son opposition à une institution nationale qu’une localité qu’il représente n’en profite pas, je dis que cet honorable membre oublie pour quelques instants le caractère dont il est revêtu, et qu’aucun de nous ne devrait abandonner dans cette enceinte. Je respecte le sentiment municipal ; je sais que le sentiment municipal a fait et peut faire encore de bonnes choses ; mais je ne pense pas que nous puissions admettre qu’il aille jusqu’à autoriser une opposition radicale à un établissement national, parce que cette institution n’aura pu s’étendre jusqu’à telle ou telle commune.
La nécessité des 54 millions demandés n’étant pas, je le répète, le fait du gouvernement , il y aurait de l’injustice à lui en faire un grief. Ce chiffre est-il exagéré ? Ici commencerait la responsabilité du gouvernement.
Eh bien, la section centrale même a reconnu qu’il n’y avait rien d’exagéré, rien d’erroné dans la demande du gouvernement. En effet (et c’est pour mon honorable prédécesseur que je parle), si on s’en était rapporté aux évaluations primitives des ingénieurs constructeurs ce ne serait pas 54 millions qu’on serait venu demander, ce serait au moins 60 millions, il y a eu une réduction de près de six millions sur les évaluations des ingénieurs. C’est donc un chiffre déjà réduit qu’on vous propose. J’espère que l’avenir ne forcera pas à demander un supplément de crédit, et par là à donner raison aux évaluations primitives des ingénieurs.
M. Desmet (à M. Milcamps, qui rentre dans la salle des séances) – Le ministre vous a attaqué, pendant votre absence.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je n’ai pas attaqué mon honorable ami M. Milcamps. J’ai pour lui trop d’égards et de respect. J’ai regretté seulement qu’il se fût écarté pour un moment de ses habitudes de modération si bonnes à imiter pour tout le monde.
La section centrale ne trouve la demande d’un crédit de 54 millions, ni erronée, ni exagérée. Que lui restait-il donc à faire, qu’à fournir au gouvernement les moyens de couvrir cette dépense, dépense qui n’est pas nouvelle, car elle a été votée en principe par la chambre et même jusqu’à un certain point imposée au ministère d’alors. Rappelez-vous, messieurs, que ce n’est pas le gouvernement qui a pris l’initiative pour toutes les parties du chemin de fer. Si nous remontons à l’origine de cette grande institution nationale, quel en a été le but ? Un but assez grand pour être avoué par une petite et même par une grande nation. Il s’agissait de joindre la mer et l’Escaut au Rhin, l’Allemagne à la Belgique. Dans la discussion un accroissement fut donné au chemin de fer ; on voulait rattacher ainsi la Belgique non seulement à l’Allemagne, mais encore à la France, et l’embranchement du Hainaut fut décrété. Ce fut déjà une concession imposée au gouvernement. Je ne le regrette point. Je crois que la province du Hainaut, par son importance, par son immense industrie, avait droit à cet embranchement ; je ne le lui reproche point, mais je rappelle que ces dépenses ont eu leur origine dans la chambre même.
Plus tard, une concession fut demandé pour une route très importante, celle de Gand vers Lille, le ministère d’alors inclinait assez à accorder cette concession. Que fit-on ? Ce ne fut pas la chambre des représentants, mais le sénat, ce gardien suprême des deniers du pays, ce corps composé de nos principaux contribuables, qui ne voulut pas que la concession fût accordée, et qui imposa indirectement au gouvernement l’obligation de faire la route. Je n’en fais pas un reproche au sénat ; je crois qu’il fut alors un juste et prévoyant appréciateur des intérêts du pays. Plus tard, le gouvernement, obéissant au vœu du sénat, vint demander l’exécution de la route de Gand vers Lille par l’Etat.
Alors tous les intérêts provinciaux et communaux se soulevèrent en dehors de cette chambre et dans cette chambre, et arrachèrent l’embranchement de Namur et du Limbourg, et celui du Luxembourg.
Je ne parle pas de l’embranchement de Tournay à Gand et Lille ; ce fut encore, je puis le dire, une concession faite à une partie notable de cette chambre, si lorsque les chambres, dans des vues auxquelles je rends hommage, ont décrété tous ces travaux importants, lorsqu’elles ont encouragé et forcé en quelque sorte le gouvernement à le faire, elles viendraient refuser au gouvernement les moyens d’exécution ! (Dénégations) Ce serait une contradiction ; ce serait, permettez-moi de le dire, un jeu puéril ! Personne, dit-on, ne refuse ; mais si vous accordez des ressources insuffisantes, cela équivaut à un refus, et ces ressources insuffisantes seraient même plus préjudiciables que la suspension totale des travaux.
Vous nous autorisez à dépenser 10 millions pour les travaux du chemin de fer ; vous reconnaissez cependant que 54 millions sont indispensables ; vous pensez même que 56 ou 58 millions pourraient bien être nécessaires. Mais pour le moment vous dites ; Voilà 40 millions ! Arrangez-vous ; faites les choses pour le mieux ; faites des chemins de fer partout ; n’oubliez pas surtout les stations de chacune de nos villes.
Pour les 14 à 18 millions restant, on nous renvoie entre autres ressources à l’encaisse de la banque, qui sera vraiment bien élastique, s’il doit satisfaire à toutes les dépenses que successivement on lui renvoie. Mais les entrepreneurs du chemin de fer ne vient pas d’évaluation de ce genre. Quand ils vous donnent du fer, des billes, du sable, des pierres, ils ont besoin, non pas d’évaluations, de ressources plus ou moins incertaines, mais de bel et bon argent comptant.
Si donc le système de la section centrale était adopté, voici ce que le ministère aurait à faire pour agir prudemment : il devrait choisir entre les travaux à exécuter, les échelonner selon leur importance, ajourner ceux qu’ils considéraient comme les moins utiles, les moins pressés, et faire achever les routes commencées.
Déjà de ces 40 millions qu’on veut nous accorder à titre de provision, 19 millions se trouvent engagés dans des adjudications auxquelles il est impossible de ne pas donner suite. Reste donc 21 millions à dépenser. Eh bien, pour ces 21 millions, des besoins de toute espèce se présentent. Auxquels donner la préférence ? Je l’ai dit : aux plus urgents, aux plus indispensables. Mais qui satisferez-vous ? Personne. Je mets en fait que si vous ne donnez pas dès à présent au gouvernement les ressources nécessaires pour faire face aux dépenses de tous les travaux du chemin de fer, vous aurez mis la perturbation dans le pays.
On a dit sous forme de reproche qu’il y a des hommes qui ont de l’engouement pour le chemin de fer. Ils ne s’en défendent pas. Ils ont de l’engouement pour tout ce qui fait la gloire et la force du pays. Cet engouement, ils ne l’ont pas seuls ; cet engouement est partagé par toutes les populations, par toutes les villes. Ceux qui font de l’opposition au chemin de fer, pourquoi le font-il ? Nient-ils que ce soit pour le pays une source d’honnur et de prospérité ? Nullement ; mais c’est parce que le chemin de fer n’arrive pas jusqu’à leur localité.
D’un autre côté, toutes les localités auxquelles le chemin de fer est promis tiennent un autre langage ; elles l’exaltent, elles l’appellent de tous leurs vœux, elles ne cessent de réclamer auprès du gouvernement ; il le leur faut sans retard ni remise, aujourd’hui plutôt que demain. On accuserait presque de trahison le ministre qui n’exécuterait pas la loi dans un tel délai donné.
En présence de telles dispositions, je dis qu’ajourner une partie des travaux des chemins de fer, ajourner même les travaux des stations, que l’on doit considérer comme les moins urgents, ce serait mettre la perturbation dans le pays.
Messieurs, nous avons ici un but commun. Je ne veux point surprendre la chambre ; je dirai même que je ne veux point appeler à mon secours les intérêts locaux ; je crois les esprits trop bien placés pour penser qu’il suffirait, afin de réussir, de s’adresser à de pareils sentiments ; mais si l’insuffisance de nos ressources restreintes même à 14 millions, ne permettait pas au gouvernement d’exécuter tous les travaux, il faudrait bien qu’il ajournât les travaux les moins urgents au nombre desquels sont les stations des villes dont je donnerai ici l’énumération.
Relativement à ces stations, nous avons cependant des engagements avec de nombreuses localités, avec Bruxelles, Anvers, Gand, Bruges, Ostende, Termonde, Louvain, Tirlemont, Saint-Trond.
Les dépenses pour ces stations sont évaluées à 5 millions 600 mille francs. Pour les stations en voie d’exécution ou pour les stations projetées à Liége, Verviers, Courtray, Mons, Charleroy, Namur, il faut 4 millions 500 mille francs. Voilà en tout 10 millions 100 mille francs pour cet objet.
Quant aux lignes, lesquels choisir ? lesquelles préférer ? lesquelles doivent être victimes ? Si je devais me renfermer dans le crédit qu’alloue la section centrale, il y aurait insuffisance pour achever la route de Gand vers Lille et Tournay et celle de Mons vers Valenciennes ; ces travaux seraient ajournés, à moins que la loi ne renferme la promesse formelle que ces fonds seront fournis ; car il ne suffit pas de l’assertion d’une section centrale quelque respectable qu’elle soit.
Remarquez, messieurs, combien il serait regrettable, inconséquent, alors que nous venons d’intervenir dans une administration particulière d’un état voisin, pour hâter le moment où nos relations deviendront intimes avec cet Etat ; combien dis-je, il serait inconséquent de notre part d’ajourner le moment d’ouvrir des relations avec un autre Etat auquel nous lient déjà tant d’intérêts et de sympathie ; il y aurait là faute grave et une inconséquence inexplicable.
Au point de vue de l’emprunt lui-même, est-il prudent de déposer dans la loi d’aujourd’hui le germe, la perspective d’un emprunt nouveau ? Cela ne peut-il pas, en effet, porter préjudice à l’emprunt lui-même ? cela ne peut-il pas entraîner l’administration dans une voie fâcheuse ? Je n’ai rien à cacher à la chambre : Si vous laissez la porte ouverte à un nouvel emprunt, si le ministère, par votre fait, d’ici à deux ans, est autorisé à vous demander un emprunt nouveau, prenez garde que, cédant à des nécessités que le temps pourra développer et vous dévoiler, il ne prenne cette occasion pour vous demander au-delà de ce que vous refuseriez aujourd’hui. Si au contraire, vous donnez au gouvernement les sommes qu’il demande, vous lui fermez en quelque sorte la porte à d’autres emprunts. Je ne prends cependant pas ici l’engagement de terminer le chemin de fer avec les sommes réclamées ; je n’affirme pas que ces grands travaux n’exigeront pas d’autres crédits ; mais j’espère que nous n’en aurons pas besoin. Quoi qu’il en soit, je le répète, il ne serait pas sans inconvénients d’en laisser l’occasion ouverte.
Je demanderai à la chambre la permission de me reposer un moment.
M. Pirmez – Je demanderai la parole pendant l’interruption pour examiner quelques objections que l’on a faites relativement à la vente des bois ; je ne veux pas examiner la question de savoir si les bois doivent être vendus en déduction de l’emprunt, ou pour amortir les emprunts anciens.
La question de la vente des bois s’est déjà présentée, et a toujours rencontré des forces pour la combattre ; et je crois qu’il faut que vous soyez extrêmement pressés par le besoin d’argent pour que vous adoptiez enfin cette mesure.
L’honorable député du Luxembourg m’autorise en quelque sorte à désigner ces forces d’opposition. C’est l’intérêt local. Les bois domaniaux sont dans le Luxembourg et quand on parle de les vendre, les députés de cette contrée s’y opposent. Cette considération d’intérêt local qu’on vient de faire valoir ne peut avoir aucune influence sur vos esprits.
Les plus belles propriétés de la Belgique ont été vendues ; elles l’ont été au profit de la communauté, au profit de la Belgique entière ; elles ont payé des dettes qui incombaient à la communauté.
Parce que des bois se trouveraient dans le Luxembourg, ce n’est pas une raison pour qu’ils ne concourent pas au profit de la masse : si d’autres propriétés ont été vendues, ce n’est pas parce qu’elles étaient dans le Hainaut, dans le Brabant ; c’est parce qu’on a considéré leur vente utile à l’Etat.
On a dit que si l’on vendait les forêts on n’en obtiendrait pas le prix actuellement : mais je crois qu’on se trompe ; on peut faire pour ces forêts ce que l’on a déjà fait pour d’autres, et on en toucherait le prix dès aujourd’hui. Vous pouvez donner à l’acquéreur un terme de 12 années, et emprunter sur la vente ; et vous auriez de l’argent tout aussi bien que si vous vendiez année par année. Faites ce qu’on a fait sous le gouvernement hollandais : émettez comme alors des los-renten, vous toucherez toute la valeur des propriétés et vous la toucherez sur le champ.
On a fait valoir contre la vente des bois un changement possible dans la température de la contrée ; cette raison-là est moins bonne pour le Luxembourg que pour les autres contrées du pays, et cependant les forêts défrichées dans les autres provinces, n’ont eu aucune influence sur le climat. Au reste, dans le Luxembourg, les forêts ne sont pas pour la plupart défrichables.
La question de la température a déjà été traitée en 1825, et alors on a développé toutes les considérations relatives à cet objet et je ne m’y arrêterai pas plus longtemps. Un de nos honorables collèges (M. de Puydt) a fait sur cette matière un travail qui mérite d’être lu.
On a prétendu que notre crédit pourrait être affecté par la vente des domaines nationaux.
Messieurs, croyez que sans ces bois vous n’emprunteriez pas moins facilement. De ce que vous avez pour 20 millions de bois, cela ne peut rien faire à votre crédit. Le crédit des gouvernements est dans la poche des contribuables ; lorsque les contribuables sont riches, lorsqu’il est reconnu que le gouvernement a de l’ordre, de la bonne foi, les emprunts sont faciles. Les propriétés domaniales ne font rien sans ces conditions.
On a fait observer qu’on s’était beaucoup plaint lors de la vente des forêts en 1825, mais c’est à cause de la destination du prix de la vente ; ce prix devait rembourser une dette que nous n’avions pas contractée ; c’était au profit de la Hollande que nos propriétés disparaissaient. On alléguait la séparation possible des deux Etats, séparation qui s’est en effet réalisée. On se plaignait avec raison. Mais aujourd’hui notre position n’est plus la même. C’est à la Belgique seule que le prix des ventes reviendra.
On a dit que cela nuirait à l’industrie ; mais d’abord, il me semble que les forêts de l’Etat doivent avant tout servir à l’Etat ; que l’Etat doit retirer le plus de produits possibles des choses qu’il possède ; ensuite, je ne sais pas comment cela nuirait à l’industrie : Certes nous ne craignons pas en Belgique de manquer de fer ; une crainte de cette nature avait été manifestée à une autre époque, et l’expérience a suffisamment démontré qu’elle n’était pas fondée.
On a dit, je pense, que les bois provenant des forêts du Luxembourg, s’exportent en France ; mais cela prouve précisément que nous produisons plus de bois que nous ne pouvons en consommer, et dès lors, nous ne devons pas craindre d’en manquer. Ensuite, si la France nous offre un débouché pour les bois provenant des forêts du Luxembourg, le produit de la vente de ces forêts n’en serait pas moins élevé, si ces forêts appartenaient à des particuliers.
Je dis, messieurs, que l’Etat s’enrichirait réellement par la vente de ces forêts. Une propriété particulière est toujours infiniment mieux administrée qu’une propriété de l’Etat ; un particulier fait produire beaucoup plus à ses propriétés que l’Etat ; ensuite un grand nombre de propriétés qui ont été vendues en 1825 et 1826 ont déjà passé en cinq ou six mains et ont chaque fois payé les droits de mutation ; or, si vous considérez que le prix en a successivement augmenté et que les droits se sont naturellement accru dans la même proportion, vous reconnaîtrez sans peine que depuis l’atténuation de ces forêts une partie d’entre elles ont déjà produit autant à l’Etat que le prix de vente, qui se trouve ainsi doublé.
On a dit encore, messieurs, que la marine pourrait souffrir de la vente de nos forêts, qu’elle n’obtiendrait plus le bois nécessaire aux constructions ; je pense, que nous voisins, les Hollandais et les Anglais, n’ont jamais manqué de bois pour leur marine, cependant aucune de ces deux puissances ne possède de forêts. Ces deux exemples doivent entièrement nous rassurer.
« Mais, dit-on, il faut délibérer longtemps sur une semblable question. » Sans doute cette question doit être examinée avec maturité, mais enfin s’il est avantageux à l’Etat de vendre, plus on délibérera plus l’Etat perdra. On peut donc délibérer, mais il faut aussi finir pas se prononcer.
M. le président – M. le ministre des travaux publics est-il disposé à continuer maintenant son discours ?
Plusieurs membres – A demain ! à demain !
M. F. de Mérode – Si M. le ministre des travaux publics est fatigué, il demandera lui-même que la discussion soit renvoyée à demain, mais s’il parle aujourd’hui, on aura le temps de réfléchir jusqu’à demain à ce qu’il aura dit, et ce sera une facilité pour la discussion. Je demande donc que la séance ne soit pas encore levée, à moins que M. le ministre ne désire lui-même que la discussion soit remise à demain.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Si la chambre le désire je suis prêt à continuer, mais je dois lui faire observer que j’en ai encore pour une heure. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 4 heures.