(Moniteur du 8 mai 1840, n°129)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 2 heures.
Le même secrétaire donne ensuite lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée, et communique les pièces suivantes adressées à la chambre.
« Des habitants de la commune de Zuynaerde (Flandre occidentale) demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces, pour les affaires de la commune et de la province. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Peer demande l’achèvement de la route de Beeringen à Brée par Peer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des cultivateurs de tabac de Menin, Reckem, Mouscron et Launée, demandent une augmentation de droits sur les tabacs étrangers et surtout sur ceux venant de France. »
M. Van Cutsem – Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport sur son contenu.
Cette demande est fondée sur ce qu’il nous importe de savoir au plus tôt si les cultivateurs d’une grande partie de l’arrondissement de Courtray se plaignent à raison ou à tort de ce qu’il entre en Belgique une grand quantité de tabac français, ce qui, d’après eux, occasionne un grand préjudice à notre belle culture de tabac indigène, et sur ce qu’il nous importe d’aviser dans le plus bref délai aux mesures à prendre, s’il y a lieu, pour conserver à la Belgique un produit qui augmente ses richesses territoriales en même temps qu’il améliore son territoire.
Je pense, messieurs, que vous trouverez les motifs que je viens d’alléguer suffisants pour justifier la demande de prompt rapport sur la requête des planteurs de tabac de l’arrondissement de Courtray, que je vous invite à faire à la commission des pétitions, et j’ose croire que votre décision sera conforme à mon attente.
- Cette proposition est adoptée.
M. d’Hoffschmidt s’excuse de ne pouvoir assister aux séances de la chambre à cause de la maladie de sa femme.
- Pris pour notification.
M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Messieurs, dans la séance du 25 avril dernier, j’ai eu l’honneur de vous exposer les motifs qui m’empêchaient d’accepter la discussion sur les détails du budget de l’exercice courant ; j’ai demandé en même temps un crédit provisoire global, équivalant aux sept derniers douzièmes, calculés sur la presque totalité du chiffre présenté par mon prédécesseur.
La chambre ayant renvoyé cette proposition à la section centrale, pour être examinée de concert avec le ministre de la guerre, trois des six membres l’ont accueillie favorablement ; les trois autres ont été d’avis de la restreindre de sept à cinq douzièmes, c’est-à-dire jusqu’à concurrence des besoins éventuels des dix premiers mois seulement.
Je m’étais rallié d’autant plus volontiers à cette dernière proposition, qu’elle satisfaisait à tous les vœux exprimés ; mais un détail qui m’avait échappé d’abord, à dû modifier cette détermination, et m’oblige à prier la chambre de porter le nombre des crédits qu’elle voudra bien m’accorder, non à cinq, mais à six douzièmes, c’est-à-dire jusqu’au 1er décembre.
Les motifs de cette proposition, je les trouverai dans la date reculée de votre session prochaine. A moins d’éventualités, qu’il ne m’est pas donné de prévoir, ou du moins sur lesquelles il ne m’est pas permis de compter, en présence des intérêt du service public, elle ne doit commencer que le 10 du mois de novembre. Ce ne serait donc que vers le 15 ou le 20 que vous pourriez vous occuper des besoins de ce mois, bien que, d’après les règles administratives, ils dussent être assurés dès le 1er. Il y aurait donc risque de stagnation ou de perturbation dans le service, risque qui disparaît par l’adjonction du douzième en sus que je réclame de votre confiance.
Fixé dès lors avec quelque certitude sur les économies faites ou commencées, je pourrai, en les défalquant, me borner à demander, s’il y a lieu, le restant strictement nécessaire au dernier mois de l’exercice.
C’est en m’appuyant sur ces considérations que je prie la chambre d’accueillir favorablement le projet de loi que j’ai l’honneur de lui soumettre.
« Léopold, etc.
« Sur la proposition de notre ministre de la guerre,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre de la guerre est chargé de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Nous avons de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de 17 millions de francs pour faire face aux dépenses jusque dans le courant du mois de décembre de l’exercice 1840.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et des motifs qui l’accompagnent, et le renvoi à l’examen de la section centrale du budget de la guerre.
M. Delfosse – Messieurs, vous devez vous souvenir que j’ai demandé, il y a quelques temps, que l’on mît à l’ordre du jour la discussion du rapport de l’honorable M. Dechamps sur les pétitions relatives à la réforme électorale.
Un de nos collègues, qui était alors ministre de l’intérieur, fit quelques observations qui m’engagèrent à retirer ma proposition, néanmoins je ne l’ai retirée qu’avec l’intention hautement manifestée de la reproduire plus tard.
J’ignore quelle est sur ces pétitions la pensée du nouveau ministère, car il n’en a pas dit un mot dans son programme ; mais, quelle que soit cette pensée, je n’en persisterai pas moins à vouloir, comme la plupart des pétitionnaires, que l’on répare l’injustice commise envers les villes par la loi électorale qui nous régit.
L’appui que j’ai promis à MM. les ministres, tant qu’ils seront loyaux dans leurs intentions, fermes et impartiaux dans leurs actes, n’ira jamais jusqu’à me faire admettre des mesures, que je croirais nuisibles à mon pays, ni renoncer à celles qui pourraient contribuer à sa prospérité.
Or, je considère la réforme électorale comme une mesure sans laquelle la Belgique ne montera jamais au rang qu’elle doit occuper parmi les nations.
Toutefois, il faut bien le reconnaître, le montant actuel serait mal choisi pour la discussion du rapport de l’honorable M. Dechamps ; la chambre qui déjà s’est ajournée deux fois, paraît attendre avec impatience la clôture de la session, et il ne peut convenir ni à une chambre fatiguée, ni à un ministère qui naît à peine et qui a des soins plus pressants, d’aborder les questions graves que ce rapport soulève.
Je dois donc remettre la proposition à des temps plus opportuns, mais je tenais à déclarer que je ne la perds pas de vue. La réforme électorale fait partie de mon programme, et jamais elle n’en sera rayée.
M. de Behr, rapporteur – Messieurs, la commission a examiné les amendements et les articles du projet que vous lui avez renvoyés, et elle m’a chargé de vous faire connaître les résolutions qu’elle vient de prendre.
En ce qui concerne l’amendement de M. Verhaegen, qui est ainsi conçu :
« Par dérogation à l’article 4 du code de procédure civile, les citations devant les justices de paix et tous les autres exploits pourront être notifiés par tous huissiers près des cours et tribunaux de l’arrondissement.
« Les huissiers, avant de notifier la citation devront s’adresser au juge de paix pour obtenir fixation de jour. »
La commission a trouvé que la faculté qui serait laissée aux huissiers des cours et tribunaux serait beaucoup trop large, et que, dans plusieurs cantons, les huissiers des justices de paix ne pourraient plus vivre de leur état. Elle a, en conséquence, modifié cet amendement, dans les termes suivants :
« Dans les cantons où le besoin du service l’exigera, le gouvernement pourra, sur l’avis du tribunal de l’arrondissement, autoriser les huissiers des cours et tribunaux de première instance à instrumenter concurremment avec les huissiers de la justice de paix. »
La commission a cru que le gouvernement étant laissé juge du nombre des officiers ministériels, il lui appartenait de reconnaître les besoins des justices de paix et d’autoriser les huissiers des cours et tribunaux à instrumenter concurremment avec les huissiers des justices de paix, surtout dans les grandes villes, telles que Bruxelles, Liége et Anvers.
M. de Behr, rapporteur – Vous avez également renvoyé à la commission l’examen des articles 11, 12 et 13 du projet de loi. On avait signalé les inconvénients qu’il y aurait à laisser une partie juge en quelque sorte de la compétence en premier ou dernier ressort, d’après l’évaluation qu’elle donnerait à un objet immobilier ; la commission avait déjà reconnu les inconvénients du système, elle a cru devoir modifier l’article 11et le restreindre à ce qui concerne les objets mobiliers.
Voici comment l’article serait conçu :
« Art. 11. Si la valeur de l’objet mobilier est indéterminée, le demandeur devra le déterminer par les conclusions, à peine de voir rayer la cause du rôle et d’être condamné aux dépens. »
L’article 12 serait rédigé comme suit :
« Art. 12. La cause sera également rayée du rôle avec dépens, si la demande a pour objet des dommages intérêts soit principaux, soit accessoires, qui n’auraient pas été évalués et spécialement motivés dans les conclusions.
L’article 13 serait comme au projet.
Voilà pour ce qui concerne les actions mobilières et personnes. Maintenant en ce qui concerne les immeubles, dont la valeur ne serait pas déterminée, la section centrale propose les dispositions suivantes :
Art. 14 nouveau :
« Lorsque la valeur d’un objet (erratum, Moniteur n°130 du 9 mai 1840) mobilier ne peut être déterminée de la manière indiquée en l’article 10, le demandeur et le défenseur devront la déterminer dans leurs conclusions. Si l’évaluation la plus élevée n’excède pas les limites du premier ressort, l’affaire sera jugée sans appel ; dans le cas contraire, l’affaire sera jugée en premier ressort.
« A défaut d’évaluation par le demandeur, l’affaire sera rayée du rôle et il sera condamné aux dépens ; et, à défaut d’évaluation par le défenseur, la compétence du juge sera déterminée par celle faite par le demandeur. »
Je crois que ces articles sont clairs. On avait signalé un inconvénient grave, celui de voir déterminer par une seule des parties la valeur d’un objet mobilier, qui pourrait avoir une importance majeure pour le défenseur, tandis qu’il n’aurait qu’une importance insignifiante pour le demandeur. Il serait injuste de le laisser décider quelle juridiction serait appelée à juger en dernier ressort. (erratum, Moniteur n°130 du 9 mai 1840) On exige que les deux parties fassent leurs évaluations. Si elles sont au-dessous de 2,000 francs, la contestation est jugée en dernier ressort par le tribunal d’arrondissement ; si au contraire ces évaluations, ou l’une d’elles excède la somme de 2,000 francs, le tribunal ne prononcera qu’en premier ressort.
Nous avons dû prévoir le cas où l’une ou l’autre des parties ne ferait pas d’évaluation. Si c’est le demandeur l’affaire sera rayée du rôle et il sera condamné aux dépens.
Si, au contraire, c’est le défenseur, c’est qu’il s’en rapporte à l’évaluation faite par le demandeur. Alors ce sera cette évaluation qui servira à déterminer la compétence en premier ou en dernier ressort du juge de paix ou du tribunal d’arrondissement.
M. de Behr, rapporteur - La commission a eu encore à examiner un amendement de M. de Garcia, prévoyant le cas où des demandes reconventionnelles ou en compensation seraient faites, qui excédassent la compétence du juge de paix.
Les inconvénients signalés par M. de Garcia existent sous la législation actuelle. Il y a dans la nouvelle loi française une disposition qui veut que, dans ce cas, le juge de paix prenne connaissance de la demande, et s’il la trouve sérieuse, qu’il renvoie les parties à se pourvoir pour le tout devant le tribunal de première instance.
Si, au contraire, il trouve que cette demande n’est pas sérieuse, qu’elle est seulement faite dans l’intention de trainer l’affaire en longueur et de fatiguer le demander par la procédure, il renvoie le demandeur en reconvention devant le tribunal de première instance, et juge l’affaire primitive dont il avait été saisi.
Voici la disposition que la commission a l’honneur de vous proposer en remplacement de l’amendement de M. de Garcia :
« Art. 17. Lorsqu’à la demande principale, il est opposé une demande reconventionnelle ou en compensation et que chacune d’elle est susceptible d’être jugée en dernier ressort, le juge de paix ou le tribunal de première instance prononce sur toutes sans appel ; si l’une des demandes n’est susceptible d’être jugée qu’à charge d’appel, il ne sera prononcé sur toutes qu’en premier ressort.
« Si la demande reconventionnelle ou en compensation excède les limites de la compétence du juge de paix, il pourra, soit retenir le jugement de la demande principale, soit renvoyer sur le tout les parties à se pourvoir devant le tribunal de première instance, sans préliminaire de conciliation. »
Tel est le rapport que la commission n’a chargé de vous présenter.
M. Verhaegen – Il me semble au premier coup d’œil que la rédaction de la commission atteindra le but que je me suis proposé. Je suis convaincu que le gouvernement usera pour les grandes villes, comme celles de Bruxelles, Liége, etc., de la faculté que lui donne cette rédaction. Je déclare donc m’y rallier.
Quant aux autres propositions de la commission, la matière est trop compliquée et trop importante pour que nous puissions nous en occuper de suite.
j’avoue qu’à la première lecture je ne comprends pas le système de la commission. Je crois qu’il est nécessaire que nous puissions l’examiner jusqu’à demain. Je demande donc l’impression et la distribution des propositions de la commission, et la remise de la discussion à demain.
- La proposition de M. Verhaegen est mise aux voix et adoptée ; en conséquence, la chambre ordonne l’impression et la distribution des propositions de la commission, et remet la discussion à demain.
Le projet de loi dont la section centrale propose l’adoption, est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est alloué au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 196,875-16 francs, pour l’acquit de diverses dépenses de 1839 et années antérieures, restant à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.
« Art. 2. Ce crédit formera l’article 15 du chapitre IV du budget du département des travaux publics, exercice 1839.
« Un transfert sera opéré, à concurrence de son montant, au budget des travaux publics, exercice 1838, au budget du même département, exercice 1839, savoir :
« de 1838 :
« Chapitre IV, art. 8, 25,000 00 francs
« Chapitre V, art. 1, 171,876 16 francs
« Sur 1839 :
« Chapitre IV, art. 15, 196,875. »
Les articles 1 et 2 du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés.
M. le président – Il va être procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble de la loi.
M. Nothomb – M. le président, il est indispensable de voter sur chaque numéro du tableau. Ce tableau doit être annexé à la loi. Cela s’est toujours fait.
M. Van Hoobrouck de Fiennes – Vous devez suivre l’avis donné par M. Nothomb, sans cela il y aura difficulté à la cour des comptes.
M. d’Huart – C’est le contraire.
M. Van Hoobrouck de Fiennes – Chacune des parties qui composent le tableau est due à une personne différente ; il faut donc suivre ce tableau et en voter les détails, sans quoi il faudrait dire dans la loi : « Suivant le tableau ci-annexé. »
M. de Brouckere – Mais c’est ce que la loi dit effectivement. La question soulevée est extrêmement simple : demander que l’on vote sur les diverses parties du tableau, c’est la même chose que de demander le vote de chacun des paragraphes d’un article, et on peut se dispenser de cette manière de procéder en votant sur l’ensemble.
M. Nothomb – L’observation que j’ai faite n’avait d’autre but que de demander que le tableau fût annexé à la loi.
M. de Brouckere – Il sera annexé à la loi ; ce tableau est certifié par le bureau.
On procède par appel nominal au vote sur l’ensemble de la loi.
50 membres sont présents.
49 votent l’adoption.
1 seul vote le rejet.
En conséquence, le projet est adopté et sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Garcia, Delfosse, F. de Mérode, de Nef, de Perceval, de Potter, de Renesse, de Roo, Desmaisières, de Terbecq, d’Huart, Dolez, Donny, Duvivier, Fallon, Fleussu, Hye-Hoys, Lange, Lys, Maertens, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Seron, Sigart, Simons, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vandensteen, Verhaegen, Wallaert, Willmar, Zoude.
M. Jadot a voté le rejet.
M. le président – L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi interprétative de la loi de 1817 concernant les droits de succession.
M. Dolez – J’ai à faire une motion d’ordre relativement à ce projet.
M. Raikem – Messieurs, la loi que l’ordre du jour appelle à discuter a pour objet l’interprétation de la loi de 1817, concernant les droits de succession, et est relative aux anciens gains de survie. C’est un conflit entre la cour de cassation et les tribunaux de première instance qui lui a donné naissance. Je vais rappeler brièvement la jurisprudence à cet égard.
Avant les décisions qui donnent lieu à l’interprétation actuelle, on avait généralement admis que le droit de mutation était dû sur les anciens gains de survie coutumiers, quoiqu’ils eussent été acquis sous l’empire des coutumes ; cependant il est utile de faire une observation. Dans la coutume de Liége, les biens des époux ne formaient qu’un seul patrimoine, dont ils avaient simultanément la propriété. Par la dissolution du mariage, il ne s’opérait pas de mutation, le survivant continuait de posséder tous les biens et il n’y avait pas lieu aux droits de mutation. J’ignore si, dans la Belgique, il se trouve d’autres coutumes concernant les mêmes dispositions ; mais s’il existe des coutumes semblables, la même jurisprudence leur est applicable.
Dans la plupart des coutumes de la Belgique, le survivant avait la propriété des meubles et l’usufruit des immeubles, et par suite des droits étaient dus sur les biens de la succession du prédécesseur. C’est dans ce sens que le projet de loi a été conçu. Mais, j’ai entendu faire l’observation qu’on pourrait abuser des dispositions de ce projet, en l’étendant à des coutumes dont les dispositions étaient telles qu’il ne s’opérait pas de mutation ; telle n’a pas été l’intention qui a présidé à la rédaction du projet. On n’a voulu que décider législativement la question qui a donné matière à la controverse.
C’est dans ce sens que le projet a été rédigé ; cependant, si l’on craignait quelque difficulté sur ce point, je ne demanderais pas mieux que de voir ajouter au projet une disposition d’après laquelle on déclarerait que la loi ne s’appliquerait pas aux coutumes dans lesquelles il ne s’opère pas de mutation quoique cependant l’expression « gain de survie coutumier » indique assez, en elle-même, qu’elle ne peut pas s’appliquer à ces coutumes. Car l’expression pour la coutume de Liége, était différente, c’était la « maduplevie ». Ainsi, les termes du projet ne pourraient, sans abus, être étendus à cette coutume ; et le projet indique assez l’objet auquel il peut uniquement s’appliquer. Néanmoins je conçois qu’on aime à faire disparaître le doute, lors même qu’on devrait le regarder comme n’étant pas fondé.
M. Dolez – Le rapport ne nous a été distribué qu’avant-hier soir ; une question interprétative est une question grave, elle est grave par cela même qu’elle a divisé d’opinion la cour régulatrice et les tribunaux ; elle est grave parce que la chambre, en portant une pareille loi, cumule le pouvoir législatif et judiciaire ; car une loi interprétative agit sur l’avenir, sur le passé et sur les procès pendants. Je crois donc que la chambre doit apporter la plus grande prudence relativement aux lois interprétatives.
Le peu de temps qui nous a été laissé depuis la distribution du rapport sur cette loi, ne m’a pas permis de l’examiner ; sous ce rapport, je crois devoir demander l’ajournement de la discussion, en vous faisant remarquer que cet ajournement ne compromettrait aucun intérêt, même quand il aurait lieu jusqu’à la session prochaine.
A ce motif s’en joint un autre. La loi, telle qu’elle est rédigée, ne peut être acceptée. Je crois qu’elle sort de sa nature de loi interprétative, car elle va plus loin que la question sur laquelle l’interprétation doit porter.
En recourant aux arrêts qui ont été rendus par la cour suprême, aux jugements qu’elle a successivement cassés, nous voyons assez qu’il n’y a qu’à interpréter la loi fiscale relative aux successions dans ses rapports avec la commune du Luxembourg. Au lieu de cela on nous propose une loi générale sur tous les gains de survie coutumiers, loi qui serait applicable à des cas qui ne sont point litigieux.
Je crois donc non seulement qu’il y a lieu d’ajourner la discussion de la loi, mas qu’il y a lieu de renvoyer, dès à présent, le projet à la commission pour qu’elle examiner s’il n’y a pas lieu à en modifier la rédaction. De cette manière, il serait de plein droit fait justice à l’observation de l’honorable M. Raikem à laquelle j’adhère pour mon compte, parce que je pense, comme cet honorable membre, qu’il y a dans notre pays plusieurs coutumes sous le rapport desquelles la disposition serait injuste.
Je demande donc que le projet soit renvoyé à la commission, afin qu’elle l’examine sous le rapport des observations que j’ai eu l’honorable de soumettre à la chambre.
M. Raikem – Messieurs, d’après les observations que j’ai d’abord présentées, je ne m’oppose en aucune manière au renvoi du projet à la commission. Je désire moi-même que la loi soit claire et précise, qu’elle ne puisse pas être appliquée à des objets auxquels on n’a pas eu l’intention de la rendre applicable. Cependant je dois faire une observation sur ce que vient de dire l’honorable M. Dolez, qu’il y aurait lieu de rattacher uniquement la disposition de la loi interprétative à la coutume du Luxembourg. A cet égard, je ferai remarquer qu’il s’agit de savoir si, dans l’espèce, c’est la coutume du Luxembourg qui doit être interprétée ou bien la loi de 1827 sur les successions ; si c’est cette dernière question qui doit être interprétée, comme je le pense, alors, quoique la question se soit présentée sous le rapport de la coutume du Luxembourg, il y aurait cependant lieu, à mon avis, de rendre la loi interprétative plus générale, en ce sens qu’elle s’appliquerait également aux autres coutumes, qui renferment la même disposition que celle du Luxembourg, afin de ne pas donner lieu à de nouveaux procès.
Remarquez bien, messieurs, que la question s’est présentée d’une manière générale, que la cour de cassation de France l’a décidée également d’une manière générale, tout en faisant la distinction que j’ai indiquée.
Il me semble que le projet ne fait nul obstacle à cette distinction ; que les termes qu’il emploie indiquent par eux-mêmes que la disposition ne peut s’appliquer qu’aux coutumes où il s’opère une mutation. Mais, si l’on craint quelque doute, quelque chicane sur les expressions, quoique dénuée de fondement, je conçois qu’il peut être utile d’empêcher qu’il ne surgisse des contestations.
D’après ces observations, messieurs, je ne vois pas d’obstacle au renvoi à la commission, afin que, s’il y a lieu, elle rédige le projet de manière à ne pas laisser subsister de doute quant aux coutumes telles que celle de Liége, où il ne s’opère pas de mutation. A mon avis, un doute sérieux ne peut pas exister, d’après les termes du projet ; puisque, dans le pays de Liége, il y a continuation du douaire par le survivant ; ce qui ne constitue pas, dans mon opinion, ce qu’on comprend sous la dénomination de gain de survie, car, dans cette coutume, le survivant ne gagne rien ; il ne fait que conserver une propriété lui assurée par le fait du mariage. Mais, en même temps, j’appellerai l’attention de la commission sur ce point que la loi interprétative me semble devoir s’appliquer également aux coutumes renfermant la même disposition que celle du Luxembourg ; car c’est, à mon avis, la loi de 1827, plutôt que cette coutume qui doit être interprétée.
M. d’Huart – Messieurs, je modifierai la proposition d’ajournement qui vous est soumise par l’honorable M. Dolez, dans ce sens que l’ajournement serait indéfini, et qu’il n’y aurait point de renvoi à la commission. De cette manière, M. le ministre de la justice pourrait examiner le projet, il pourrait à l’aide des moyens d’examen qui sont à sa disposition et que la commission n’a pas, réunir tous les éléments nécessaires pour éclaircir la question et nous présenter, dans la session prochaine, un amendement au projet de loi dont il s’agit, si tant est qu’un amendement soit nécessaire. Il me paraît que, de cette manière, nous arriverions plus sûrement au but que nous voulons atteindre.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je crois aussi, messieurs, qu’il serait utile d’ajourner indéfiniment la discussion du projet de loi. D’un côté, il n’y a aucune espèce d’urgence, et de l'autre, il me semble que les termes généraux dans lesquels le projet est conçu sortent un peu du point de jurisprudence sur lequel les cours d’appel et la cour de cassation ont eu à prononcer et qui est seul en question.
J’adhère donc à la demande d’ajournement jusqu’à la session prochaine.
M. Dolez – Je modifie ma proposition en ce sens.
- L’ajournement jusqu’à la session prochaine est mis aux voix et prononcé.
M. le président – Nous avons maintenant à l’ordre du jour un feuilleton de pétitions.
M. de Garcia – Le pénitentiaire de Saint-Hubert.
M. Zoude – Je prierai la chambre de vouloir s’occuper du projet de loi relatif à l’établissement d’un pénitentiaire pour les jeunes délinquants. La chose est très importante, et cela ne prendra pas beaucoup de temps.
M. le président – La chambre a décidé qu’elle s’occuperait de cet objet entre les deux votes au projet de loi sur la compétence en matière civile.
M. F. de Mérode – Il y a plusieurs demandes en naturalisation sur lesquelles la commission nous a fait rapport et à l’égard desquelles elle a émis un avis favorable ; il serait bien à désirer que nous pussions statuer soit aujourd’hui, soit demain sur un ou deux feuilletons.
Des membres – Nous ne sommes plus en nombre.
- La chambre n’étant plus en nombre, la séance est levée à 4 heures.