(Moniteur belge n° 73 du 13 mars 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. Scheyven fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La régence de Liége demande qu’il soit apporté des modifications à la loi sur la garde civique. »
« Des habitants de la commune de Baer-le-Heroy demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces, pour les affaires de la commune et de la province. »
- Renvoyé à la commission des pétitions.
M. Lange – Dans notre séance de samedi dernier, un sieur Bertrand a présenté une pétition dans laquelle il prie la chambre d’allouer un crédit au ministère de la guerre pour l’indemniser des pertes qu’il a éprouvées pour la construction de la forteresse de Charleroy ; il a obtenu jugement contre l’administration de la guerre relativement à cette indemnité. La pétition a été renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport ; je demande si ce rapport est prêt ou sur le point de l’être.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions – Si M. le ministre de la guerre n’a pas payé l’indemnité due au pétitionnaire, c’est qu’il n’a pas de somme à sa disposition pour cet objet ; la commission propose le renvoi du mémoire au ministre, afin que, pendant la discussion de son budget, il demande le crédit nécessaire pour satisfaire aux condamnations dont l’administration a été l’objet. Ce n’est point par mépris pour la chose jugée que le directeur de l’administration n’a point payé ; c’est uniquement par manque de crédit.
- Le renvoi au ministre de la guerre est ordonné.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, la section centrale, qui avait été chargée de l’examen du budget de la guerre, a proposé, comme un préliminaire de la discussion, celle qui devait avoir lieu sur le rétablissement dans les cadres de l’armée belge de général Vandersmissen. On a déjà fait dans cette chambre, à l’occasion de la discussion générale du budget des voies et moyens, l’objection que cette affaire ne concernait pas spécialement le ministre de la guerre ; toutefois, il n’en est pas moins vrai que le moment de discuter cette question est arrivé, et je pense que cette voie, ouverte par la section centrale, de faire de cette discussion incidente un préliminaire aux débats sur l’administration de la guerre, peut être convenablement suivie, et c’est aussi sur cette question que j’ai voulu donner sur-le-champ des explications à la chambre.
Je commencerai par relever les erreurs qui ont déjà été commises au sujet de cette affaire.
On a prétendu que M. Vandersmissen avait été mis en disponibilité, et on a présenté cette position comme étant une récompense qui lui aurait été accordée.
Il y a d’abord une erreur de fait dans ces assertions ; c’est que la position du général Vandersmissen est celle de la non-activité, qui est la moins bonne des positions légales qui appartiennent aux membres de l’armée. Ce n’est donc pas ce qu’on peut appeler une récompense.
On a prétendu aussi que la réintégration de cet officier dans les cadres de l’armée était une atteinte portée à la discipline. Il est bien certain que, s’il y avait eu dans ce fait, récompense, il n’y aurait pas eu encouragement pour la discipline ; mais cela n’est nullement exact. L’inexactitude cette assertion résulte de l’explication que je viens de donner. La position faite à M. Vandersmissen est une position purement légale, qui lui était due rigoureusement en vertu de la constitution même du pays. Cette position, loin d’être une récompense, peut, selon les circonstances qui la font donner, être considérée comme constituant une véritable peine.
Messieurs, respecter la constitution et les lois du pays, même dans les circonstances extraordinaires, même contre son opinion personnelle, ce n’est pas donner l’exemple de l’atteinte à la discipline, c’est au contraire, donner l’exemple de la discipline ; car la discipline n’est autre chose que l’obéissance à la loi. Cette vérité, du reste, a été comprise par l’armée elle-même. Certainement il y a eu, au moment où M. Vandersmissen a été replacé dans les cadres de non-activité, un sentiment de regret qui s’est manifesté chez beaucoup d’officiers ; il y même eu quelques manifestations de réprobation qui, du reste, n’ont pas eu de durée, parce que la position donnée au général Vandersmissen a été expliquée.
On comprend très bien que la délicatesse sur le point d’honneur militaire devait faire craindre de devoir se trouver sous le commandement d’un homme dont la conduite politique avait mérité une juste réprobation.
J’en viens maintenant à la manière dont cette question a été traitée dans les sections. La première et la troisième section se sont exprimées avec beaucoup d’énergie contre l’acte du gouvernement ; j’en dirai autant de la sixième, quoique ses motifs n’aient pas été expliqués.
Quant à la section centrale, qui a vu avec un profond regret la conduite du gouvernement dans cette circonstance, je ferai ici une distinction. Si ce regret implique un blâme…
M. Dumortier – Oui ! oui !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Ne m’interrompez pas, monsieur, vous pourrez parler à votre tour. Si ce regret implique un blâme, je dis que le gouvernement a le droit de le repousser et le repousse. Si c’est un simple regret, quant à l’acte en lui-même qui a été jugé nécessaire par respect pour la constitution et les traités, ce regret est partagé par le gouvernement lui-même et particulièrement par moi, comme ministre de la guerre.
Messieurs, le principe que j’ai cherché à établir et à maintenir avec les plus grands efforts, même dans des circonstances difficiles, c’est celui que l’armée doit s’abstenir de toute manifestation de principes politiques. Je le dis franchement, partout où j’ai vu une tentative de semblable manifestation, je l’ai réprimée sur-le-champ. Certes, il m’eût été bien plus agréable de pouvoir réprimer une manifestation politique aussi blâmable que celle dont il s’agit, que de la laisser sans conséquences futures au moins pour celui qui s’en était rendu coupable. Mais c’est ici que je crois devoir prier la chambre de penser aux circonstances politiques.
Dans les temps de révolution il se passe beaucoup de choses extraordinaires ; il se crée bien des positions extraordinaires qu’il faut savoir accepter. Du reste, ceci paraît avoir été senti par la majorité de la chambre ; et en effet, sur les six sections qui forment la chambre, il n’y en a eu que trois qui ont émis une opinion. Et certes si les autres ne l’ont pas fait, ce n’est pas faute d’y avoir été sollicitées.
Messieurs, la cause première de la mesure prise par le gouvernement à l’égard de M. Vandersmissen, c’est le traité du 19 avril. Ce traité a été regardé comme renfermant une amnistie pour tous les faits politiques. C’est un principe général que cette question d’amnistie doit toujours s’entendre dans le sens le plus absolu, le plus libéral.
Au moment de la paix, surtout d’une paix entre nations séparées par suite d’une révolution, l’idée d’amnistie se présente à tout le monde. L’idée d’un procès politique au moment de la paix, au moment où toutes les dissensions doivent cesser, cette idée-là, au contraire, choque tout sentiment de générosité.
Ce ne sont pas seulement les considérations générales de cette nature qui ont porté à faire à M. Vandersmissen l’application de l’amnistie qu’on a regardée comme renfermée dans l’article 20 du traité ; on a regardé cette application comme étant légalement fondée.
Plusieurs membres de la section centrale, car il y eu loin d’y avoir unanimité sur cette question, plusieurs membres ont nié que l’amnistie fût applicable au fait dont il s’agit, et ils se sont fondés sur ce que, suivant eux, il n’y avait pas changement de domination pour le pays tout entier ; que par conséquent M. Vandersmissen ne se trouvait pas compris dans la catégorie à laquelle l’article 20 est applicable. Ils ont prétendu que le changement de domination avait été consommé par l’expulsion des troupes hollandaises du pays, par l’exclusion des Nassau du trône.
Si cet état de choses était exact, si le changement de domination avait été entièrement consommé avant le traité, alors je demanderai : pourquoi le traité du 15 novembre 1831 ? Ce traité n’a été combattu en principe par personne ; il a rencontré une opposition très forte, très vivace, très naturelle d’ailleurs dans quelques-unes de ses conditions ; mais, je le répète, en principe, il n’a été combattu par personne. Il est donc évident que le traité lui-même a été regardé comme très utile.
Eh bien, pourquoi cette nécessité si généralement reconnue du traité ? Parce qu’il faisait entrer dans le droit politique européen l’indépendance et la nationalité belge : c’est-à-dire le changement de domination. L’indépendance existait certainement comme fait ; le traité l’a sanctionnée comme droit. Cette sanction, c’est l’observation de la part de l'Europe des clauses du traité. Eh bien, cette observation de la part de l’Europe doit exiger de notre part une observation égale, tout aussi étendue.
Nous devons reconnaître au traité tous ses effets, parce que nous voulons qu’ils soient tous observés à notre égard. Eh bien ! parmi ces effets se trouve comprise, quant à nous, l’observation de l'amnistie, comme pour l’Europe la consécration en droit de notre indépendance.
Mais, dit-on, si la Belgique tout entière a changé de domination, alors les parties du Limbourg et du Luxembourg qui sont rentrées sous la domination du gouvernement des Pays-Bas, n’ont pas changé de domination, et c’est au contraire pour elles que l’article 20 a été fait. Messieurs, cette manière de présenter les choses n’est pas exacte ; le point de droit que je viens de traiter, n’exclut pas le point de fait, l’existence des faits. Le traité, en convertissant le fait en droit, consacre au contraire le fait ; car on ne sanctionne pas ce qui n’existe pas, et si le fait est reconnu, les conséquences du fait doivent être admises.
Messieurs, le fait, pour les parties du Limbourg et du Luxembourg dont il s’agit, c’est leur existence sous la domination du Roi des Belges ; le changement de domination, c’est le passage de fait sous le gouvernement des Pays-Bas. Ainsi le fait existant et ne pouvant être nié, la conséquence du fait, qui est l’amnistie, doit nécessairement suivre le fait lui-même, et par conséquent on se serait jamais fondé à dire que l’amnistie peut être contestée en faveur des populations du Limbourg et du Luxembourg, par cela seul qu’on entend qu’elle est applicable à tous les pays qui ont été sous la domination des Pays-Bas.
Une autre objection qu’on a faite, a été celle qu’en admettant même que le traité fût applicable dans ce sens, il ne pouvait l’être à M. Vandersmissen, parce que les faits qui lui sont relatifs sont étrangers à ceux dont le traité sanctionne les résultats. Je pense que ce n’est pas sérieusement qu’on fait une semblable objection. Quel était l’objet du fait dont il s’agit ? mais évidemment d’empêcher le changement de domination ; d’annuler les effets de ce changement. Comment peut-on prétendre que ce fait soit étranger au traité, dont l’effet principal, au contraire, a été de consacrer ce changement de domination ? Si le projet avait réussi, évidemment il n’y aurait pas eu de traité.
On a encore comparé ce fait à celui d’un fonctionnaire hollandais qui aurait commis un acte de trahison contre son gouvernement. Cette comparaison n’est certainement pas plus exacte que la première. Est-ce que la Hollande a changé de domination ?
Je pense donc que toutes les objections qu’on a faites contre l’application de l’amnistie à M. Vandersmissen, manquent de fondement. L’application faite de l’amnistie a eu lieu en vertu de la loi par laquelle le gouvernement a été autorité à conclure le traité. Dès lors l’application de l’amnistie a eu lieu en vertu de l’article 78 de la constitution, et il n’y a certainement pas eu violation de l'article 73 ; il n’y a pas eu excès de pouvoir ; il n’y a pas d’acte à réprimer, suivant l’expression de quelques membres, ni d’actes à excuser, suivant l’indulgence que d’autres ont bien voulu professer.
Mais, dit-on (ce sont d’autres membres de la section centrale qui ont soutenu cette opinion), quand même l’amnistie aurait été applicable, elle n’aurait pas dû avoir pour conséquence la réintégration de M. Vandersmissen dans son grade, c’est-à-dire que l’amnistie étant impliquée par suite du sens qu’on voudrait appliquer à ce mot, M. Vandersmissen se trouvant rétabli dans la position qu’il avait avant le fait dont il s’est rendu coupable, et se trouvant ainsi replacé dans le droit créé par l’article 124 de la constitution, il aurait fallu lui enlever ce droit.
Certes, la position de M. Vandersmissen étant reconnue telle que je viens de la présenter, si on avait refusé de lui reconnaître le droit résultant de l’article 124 de la constitution, une application contraire se serait fait jour ?
Les motifs que l’on a fait valoir pour prouver que le général Vandersmissen n’aurait pas dû être réintégré dans son grade, c’est d’abord que la loi de 1836 prononce la perte du grade contre les officiers reconnus coupables d’une absence illégale hors du royaume.
Messieurs, si l’on avait relu cette loi de 1836 que l’on invoque, on aurait vu sur-le-champ qu’elle ne s’applique qu’aux militaires compris dans les cadres de l’armée au moment où la loi dont il s’agit a été portée. Or, en 1836, M. Vandersmissen, banni du royaume, déchu de son rang militaire, n’était certainement pas dans les cadres ; pour le trouver dans les cadres, il aurait fallu remonter à une époque antérieure à celle où il avait dû quitter le pays. Si l’on ne veut pas remonter à cette époque pour laquelle la loi n’a pas été faite, il est évident que M. Vandersmissen est hors de l’atteinte de cette loi ; si, au contraire, on veut y remonter, alors on donne à la loi un effet rétroactif, alors on viole un principe respecté par toutes les juridictions, excepté cependant celle qui est en quelque sorte en dehors de toute loi, la juridiction des passions politiques, la juridiction des ambitions avides du pouvoir, la juridiction des inimitiés des partis pour lesquelles, en général, les principes ne sont pas faits.
Le second motif pour lequel on prétend que le général Vandersmissen n’aurait pas dû être réintégré dans son rang, c’est qu’il aurait encouru la déchéance avant son jugement, parce qu’il n’a pas accompli les obligations imposées par les articles 3 et 4 des décrets du 16 mars et du 20 juillet 1831, décrets qui établissent l’obligation du serment.
Messieurs, un principe général que ne méconnaissent pas non plus ceux qui jugent les choses en elles-mêmes, d’après les principes généraux et non pas d’après leurs passions, c’est qu’en fait de violations des lois, celles-là seules qui sont volontaires sont punissables. Il est certain que M. Vandersmissen n’a point prêté le serment prescrit par les décrets du congrès ; c’est qu’il y a donc à examiner, ce n’est pas la question de savoir s’il s’est trouvé dans la possibilité de le faire.
L’ordre d’arrêter M. Vandersmissen a été donné le 29 mars 1831 ; à cette époque l’obligation légale de prêter serment n’existait pas encore pour lui, c’est-à-dire que la déchéance prononcée par la loi ne pouvait pas encore lui être appliquée. En effet, le décret accorde un délai d’un mois, à partir de sa publication, pour l’accomplissement de la formalité du serment. Or, c’est le 16 mars que le décret a été promulgué, c’est donc jusqu’au 16 avril que courait ce délai. Il n’y avait donc pas, avant le 29 mars, obligation pour le général Vandersmissen, de prêter serment.
Non seulement cette obligation de prêter serment n’existait pas à cette époque, mais il n’y avait pas même possibilité pour lui de le faire. Dans l’état militaire, partout où règne l’ordre, partout où il y a hiérarchie, rien ne se fait, en matière de devoirs, sans ordre, et certes, messieurs, vous comprendrez que ce serait une chose assez peu exemplaire de voir, dans des circonstances semblables à celles dans lesquelles on se trouvait à l’époque dont il s’agit, les subalternes de tout grade venir sommer leurs chefs de recevoir leur serment. Partout où une loi concernant les militaires a été portée, l’exécution en a été réglée par une disposition du gouvernement. Eh bien, il n’y a eu de disposition de la part du gouvernement pour l’accomplissement de la formalité du serment que le 27 mars, et le 27 mars l’ordre de prêter serment n’a été demandé que pour Bruxelles, où le serment a été en effet prêté par tous les officiers de l’armée qui s’y trouvaient ; mais dans les autres parties du pays l’ordre n’a été donné que dans les premiers jours du mois d’avril. Le 27 mars, M. Vandersmissen, contre lequel un ordre d’arrestation n’avait, à la vérité, pas encore été donné, était parti de lui-même ; l’ordre de prêter serment, donné le 27 mars, ne le concernait pas, puisqu’il ne faisait pas partie de la garnison de Bruxelles. On sait, en effet, qu’il était commandant militaire de la province d’Anvers ; il y avait donc pour lui non seulement absence d’obligation, mais encore impossibilité de prêter serment avec le moment de son départ. Dès lors y avait-il possibilité, messieurs, de le rendre responsable du fait de ne l’avoir pas prêté ?
Nous venons de voir qu’il a été impossible à M. Vandersmissen de prêter serment après le décret du 16 mars. Il s’est trouvé dans la même impossibilité après le décret du 20 juillet. En effet, lorsque ce décret a été porté, M. Vandersmissen était poursuivi devant la haute cour du chef de trahison, du chef d’un crime entraînant une peine infâmante, entraînant la perte des droits civiques, entraînant la perte de la position qui rendait le serment nécessaire. Certes, dans une telle position, personne ne l’eût admis au serment, personne n’eût été autorisé à le recevoir.
Ainsi, messieurs, avant comme après le 16 avril, il était impossible que M. Vandersmissen prêtât serment, et dès lors, je le répète, il y avait véritablement impossibilité de le rendre responsable de son défaut de prestation de serment.
J’ai une observation ultérieure à faire en ce qui concerne l’application du décret du 20 juillet, c’est que ce décret n’était nullement applicable à M. Vandersmissen. En effet, les articles 1 et 2 de ce décret désignent les personnes auxquels il était applicable ; et les catégories de ces personnes ne sont qu’au nombre de deux : ce sont les membres des chambres et les fonctionnaires publics avant d’entrer en fonctions. Or, M. Vandersmissen, fugitif, déchu de son rang militaire, n’était certainement pas fonctionnaire public prêt à entrer en fonctions ; il ne tombait donc pas dans l’application du décret, et dès lors on est tout à fait mal fondé à prétendre qu’il a encouru la déchéance du chef de non prestation de serment.
Il n’y a donc ici encore aucune violation d’une loi quelconque, de la part du gouvernement, il n’y a point excès de pouvoir, il n’y a point de blâme à encourir, pas même d’indulgence à rencontrer.
Je ne résumerai pas autrement mon opinion ; je crois d’ailleurs pouvoir m’en référer au résumé qui se trouve dans le rapport même de la section centrale et qui est mieux fait que je ne pourrais le faire.
M. Pirson – Messieurs, c’est sans doute de moi que M. le ministre de la guerre a voulu parler lorsqu’il a dit que l’on avait déjà soulevé cette question de la réintégration du général Vandersmissen sur les contrôles de l’armée, car dans la discussion générale des budgets, j’ai dit quelques mots de cette question, me réservant d’en parler plus longuement dans la discussion actuelle si je le jugeais convenable. Mais M. le ministre de la guerre me fait dire quelque chose que je n’ai point dit. Je n’ai pas parlé de la réintégration du général Vandersmissen comme d’une récompense ; je me suis bien servi du mot récompense, mais c’était après avoir parlé de trahison, et je crois que quand on parle de la récompense d’une trahison, c’est tout autre chose que si l’on parlait de la récompense méritée par un fonctionnaire ou par un militaire qui a bien servi la patrie. Ce n’est donc qu’au figuré que le mot de récompense se trouve dans ce que j’ai dit dans la première discussion des budgets.
Et comme M. le ministre de la guerre aime beaucoup à expliquer les choses, je les explique, moi, à ma façon ; il n’y a pas ici de métaphysicien, car j’avoue que je ne suis pas aussi bon métaphysicien que M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre dit que j’ai parlé de discipline. J’avoue que j’ai parlé de discipline. J’ai dit que c’était donner un mauvais exemple, l’armée que de replacer dans les cadres un homme qui avait ouvertement trahi son pays.
Il y a une expression dont je me suis servi dans ce discours, et que je considère comme mal choisie. J’ai dit que le ministre avait « déshonoré » l’armée, en replaçant le général Vandersmissen dans les cadres ; eh bien non, il n’a pas déshonoré l’armée, l’armée ne pouvait pas être déshonorée ; mais je dirai, en expliquant mon expression, que M. le ministre a insulté l’armée. Le général Vandersmissen ne pouvait pas plus déshonorer l’armée belge, que Bourmont ne pouvait déshonorer l’armée française.
Voilà ce que j’avais à dire sur le fait personnel.
M. Dumortier – Messieurs, le discours que vient de prononcer M. le ministre de la guerre est trop subtil pour que j’entreprenne de le suivre pas à pas ; je déclare que la subtilité de ses arguments n’est pas venue jusqu’à moi ; j’avoue que je n’ai pas l’esprit assez ouvert pour les comprendre : il me faut, moi, des arguments clairs et simples. Et il me semble, messieurs, que la matière qui aujourd’hui se présente devant vous, est tellement évidente pour chacun de nous, qu’il est inutile d’entre dans de pareilles subtilités pour se former une conviction au sujet de l'affaire du général Vandersmissen.
Cette conviction, les sections qui ont examiné la question se la sont formées ; cette conviction, votre section centrale se l’est formée aussi. Et il ne faut pas que le ministère s’y trompe : les expressions de regret dont il est parlé dans le procès-verbal de la section centrale ont été, dans sa volonté, un blâme de la conduite du gouvernement.
A cet égard, on a d’abord agité, au sein de la section centrale, la question de savoir si le ministère serait ou non blâmé, en quels termes il le serait.
La majorité de la section centrale s’est prononcée pour le blâme, et les membres de cette majorité ont adopté la rédaction que vous voyez insérée dans le rapport. Ainsi, à cet égard, il ne peut y avoir aucune espèce d’équivoque. Voyons maintenant la question.
M. le ministre de la guerre prétend qu’en replaçant dans les rangs de l’armée le général Vandersmissen, il n’a fait qu’agir en vertu de la constitution et en exécution des lois du pays.
Là, messieurs, est en effet une partie de la question, non pas toute la question, car il y a ici une question d’honneur et de dignité nationale qui doit dominer la question de droit, la question de légiste. Mais enfin, en admettant même cette position de la question, je dis qu’il est impossible que le ministère ait été en droit de replacer le général Vandersmissen en vertu des lois qui nous régissent.
Vous connaissez, messieurs, comment les faits se sont passés. Le général dont il s’agit, après avoir pris une part assez grande à la révolution, avait trahi la cause du pays, d’une manière que je ne veux pas qualifier. Il avait fait des propositions à une partie de l’armée belge, pour marcher sur la capitale, en expulser le congrès et proclamer ensuite le retour de la dynastie déchue. Mais ses manœuvres furent déjouées ; et il fut obligé de se réfugier dans un pays voisin, pour échapper à la peine réservée aux parjures.
Maintenant que les faits nous sont connus, vous remarquerez qu’il y a ici culpabilité, 1° du chef de trahison ; en second lieu, du chef de désertion ; 3° en omettant de prêter le serment prescrit par le congrès, serment qui devait, sous peine de déchéance, être prêté dans le mois postérieur à la date du décret du congrès.
Vous remarquerez que, par cette déchéance, le général avait perdu son grade, et que dès lors il ne pouvait pas rentrer avec ce grade dans l’armée belge, puisque la loi n’autorise pas le gouvernement à faire des généraux d’emblée, et que, pour arriver au généralat, il faut passer par tous les grades inférieurs.
Mais, vous dit-on, il y avait une amnistie, le traité du 19 avril avait proclamé une amnistie ; cette amnistie, nous l’avons exécutée.
Messieurs, pour comprendre s’il y a eu ou non une amnistie par suite du traité, il faut d’abord lire l’article du traité qui s’y rapporte ; cet article est le vingtième du traité du 19 avril, et est ainsi conçu :
« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
Voilà l’article que le ministre invoque, pour prétendre qu’il était dans son droit lorsqu’il a replacé dans les rangs de l’armée, un homme coupable de haute trahison envers le pays.
« Personne dans les pays qui changent de domination » … mais quels sont les pays qui changent de domination ? Evidemment ce sont les territoires qui ont été remis au roi Guillaume ; car la domination est une question de fait, le traité n’est venu que donner à ce fait la consécration du droit.
On ne peut donc, selon moi, sortir de ce dilemme : ou bien l’article 20 du traité s’applique seulement aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, et dans ce cas, il est une garantie pour ces habitants ; mais alors il ne vous accorde nullement le droit d’amnistie à l’intérieur des traîtres à la patrie ; ou bien, l’article 20 du traité s’applique à la Belgique entière, qui aurait changé de domination par le traité, et alors il n’existe dans le traité aucune espèce de garantie pour les habitants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg.
Ainsi dans le sens du ministère, le roi Guillaume pourrait opprimer, torturer les habitants du Limbourg et du Luxembourg cédés, nous n’aurions à réclamer en leur faveur aucune garantie, nous n’aurions pas même le droit de nous en plaindre. Ainsi encore, nous pourrions être forcés de replacer dans l’armée tous les traîtres à la révolution qui ont été pris les armes à la main, nous n’aurions pas le droit de nous y opposer.
Voilà les conséquences qui résulteraient du système qui a été défendu par M. le ministre de la guerre ; car, remarquez-le bien, l’article du traité sur lequel il s’est appuyé ne peut pas s’appliquer simultanément au fait et au droit, comme le prétend le ministre, il est obstatif de l’un ou de l’autre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole.
M. Dumortier – « Les pays qui changent de domination », dit l’article 20 du traité… Il s’agit de savoir ce que c’est que ce changement de domination… Est-ce la Belgique entière qui changé de domination ?
Si c’est la Belgique entière qui a changé de domination, alors vous êtes forcés d’avouer que tous les actes que vous avez faits pendant dix ans ont été faux et téméraires ; vous êtes forcés d’avouer que vous avez été pendant dix ans en état d’hostilité avec l’Europe ; vous devez aller plus loin, vous êtes obligés de reconnaître que notre Roi a été un usurpateur pendant dix ans.
Messieurs, voila la conséquence inévitable du système que le ministère a adopté, pour soutenir une cause insoutenable.
Mais malheureusement, il n’en est pas ainsi ; notre existence, comme nation, ne date pas seulement du traité du 19 avril, mais elle a été aussi consacrée par le traité du 15 novembre et inévitablement on ne peut pas prétendre que depuis le jour où nous avons été reconnus pour la première fois par les cinq puissances, nous ayons été en état d’hostilité avec l’Europe, et que notre Roi ait été un usurpateur.
Mais ce qui, d’ailleurs, ne laisse aucun doute sur ce qui constitue « les pays qui changent de domination », c’est l’article 24 du traité. Que porte cet article ?
« Aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, villes, places et lieux qui changent de domination. »
Voilà donc définis les pays auxquels doivent s’appliquer les mots : « qui changent de domination. » Eh bien, quels sont ces pays ? C’est de la part de la Belgique, le Limbourg et le Limbourg ; c’est, de la part de la Hollande, le fort Lillo et celui de Liefkenshoek ; et ce sont là, en effet, les pays qui ont changé de domination par le traité ; voilà donc bien les parties du territoire auxquelles s’appliquent inévitablement les dispositions de l’article 20 du traité invoqué par le ministère.
Il est donc hors de doute, et toutes les subtilités du monde ne pourront détruire cet argument, il est hors de doute que les parties « qui changent de domination » sont uniquement les territoires qui, en fait, ont changé de domination par suite de l’exécution du traité, et que la garantie que le traité renferme n’est relative qu’aux seuls habitants de ces territoires.
Il n’y a donc aucun moyen d’appliquer cette disposition au général Vandersmissen. Et ici je ne comprends pas l’argument du ministre, lorsqu’il a dit qu’il est de l’essence des actes d’amnistie d’être interprétés dans le sens le plus large.
Interprétez les actes d’amnistie dans le sens le plus large, je le veux bien, mais cette interprétation large ne peut vous donner le droit de donner au traité un sens diamétralement opposé à celui qu’il a. Car, je le répète, si vous adoptiez le système qui vient d’être développé par le gouvernement, il ne resterait du traité aucune garantie pour les habitants des deux provinces cédées. Et cependant vous devez vous souvenir que, lorsque nous discutâmes le traité d’odieuse mémoire, on a fait sonner bien haut les garanties que le traité devait offrir aux habitants des territoires cédés, on a fait sonner bien haut le privilège ; qu’ils ne pourraient en aucune manière être poursuivis du chef d’actes exécutés pendant la domination du gouvernement belge.
Que répond à cet argument M. le ministre de la guerre ? Si, dit-il, le changement de domination avait été exécuté avant le traité, pourquoi aurions-nous fait un traité ?
Pourquoi nous aurions fait un traité ?... Mais la chose est bien simple, c’est pour faire la paix avec la Hollande, c’est pour obtenir la reconnaissance du roi Guillaume. On a fait un traité avec le roi Guillaume, pour en finir avec la guerre, et non pas pour sanctionner à l’intérieur des droits qui n’existent pas.
Que le gouvernement aille voir comment en Hollande on a compris la disposition dont il s’agit. Qu’il nous dise si la Hollande on a compris la disposition dont il s’agit. Qu’il nous dise si la Hollande a repris ses déserteurs, et les a replacés dans les cadres de son armée ; qu’il nous dise si le roi Guillaume s’empresserait de les accueillir avec faveur, de les remettre en disponibilité ; qu’il nous dise si on obligerait les officiers de l’armée hollandaise à porter la main à leur chapeau, toutes les fois que ces déserteurs passeraient en uniforme.
Un membre – Ils ne les porteront pas.
M. Dumortier – Messieurs, je sais qu’en Belgique l’armée est trop remplie de sentiments patriotiques pour jamais consentir à s’abaisser jusqu’à mettre la main au chapeau en présence d’un traître. Mais je dis que le ministre la met dans l’obligation de manquer à son devoir ou bien de faillir à l’honneur.
Messieurs, ce n’est pas sans un grand étonnement que j’ai entendu M. le ministre de la guerre prononcer un discours qui est la justification de tous les traîtres, heureusement fort peu nombreux, que la révolution a pu compter ; mais il a été plus loin, car son discours est l’apologie de Grégoire, de Debast et de tous les autres traîtres qui ont été pris les armes à la main. Je n’ai pas besson de vous dire quelles peuvent être les conséquences d’un pareil discours. Mais que dit encore le ministre de la guerre ? Si on avait refusé, dit-il, de replacer le général Vandersmissen, on se serait mis en opposition avec l’article 124 de la constitution, qui garantit la conservation des grades aux officiers de l’armée. Or, le général Vandersmissen a perdu son grade par plusieurs faits : d’abord par le fait de sa culpabilité et du jugement qui l’a établie ; en second lieu par le fait de sa désertion ; en troisième lieu pour ne pas avoir prête, dans le délai voulu, le serment prescrit par le congrès en faveur du régent.
M. le ministre de la guerre trouve d’excellents moyens pour justifier le général Vandersmissen. D’abord, quant à sa désertion, il a trouvé tout simple ; il a dû déserter, car il était accusé ; il ne pouvait pas rester sous la main de ceux qui pouvaient le prendre. Dans cette nécessité, il quitta la Belgique, et s’en alla ailleurs.
Voilà donc pour la désertion. Quant à la non-prestation de serment, « le général avait le délai d’un mois pour prêter serment, délai qui expirait le 27 mars. A cette époque, il était parti. Il était donc dans l’impossibilité de prêter serment, par conséquent on ne peut pas le rendre responsable de ne l’avoir pas prêté. »
En vérité, messieurs, voilà des arguments d’une subtilité admirable. Je n’aurais jamais pensé que la justification de pareils faits fût sortie de la bouche du ministre de la guerre. Si on admet de pareils arguments, tous les déserteurs, tous les traîtres, tous ceux qui ont manqué à leurs devoirs, pourront prétendre qu’ils sont purs et irréprochables.
Le général Vandersmissen était parti, il se trouvait dans l’impossibilité de prêter serment. Mais qui donc l’avait obligé de partir si ce n’est sa trahison ? la Belgique assurément ne l’avait pas engagé à trahir, les ministres ne l’ont obligé ni à trahir, ni à partir ; s’il est parti, c’est par son fait, c’est par le fait de sa trahison ; dès lors l’impossibilité qu’on vous a signalée est le fait de sa volonté et ne peut être invoquée par lui comme excuse.
Au reste, quand on la considère sous toutes ses faces, toute l’argumentation de M. le ministre de la guerre se réduit à ceci : le général Vandersmissen s’est trouvé tourmenté en Belgique, il est allé faire un voyage jusqu’à la paix ; il revient, il reprend sa place. Voilà à quoi se résume toute l’argumentation du ministre de la guerre.
Je pense qu’il suffit de présenter cette argumentation dans toute sa nudité pour qu’elle soit condamnée. Il suffit aussi de signaler les faits pour démontrer combien le gouvernement a été coupable de remettre dans les rangs de l’armée un homme qui avait commis le triple crime de trahison, de désertion et de non prestation de serment.
Maintenant comparez la conduite du gouvernement dans cette circonstance avec sa conduite envers les hommes de la révolution. Eh bien, ce même gouvernement qui replace dans les rangs de l’armée un homme qui fut traître à la patrie, qui voulu faire échouer la révolution et ramener la restauration, qui déserta son drapeau et ne prêta pas serment, comme se conduit-il envers les hommes auxquels la Belgique doit son indépendance, auxquels nous tous devons de siéger dans cette enceinte ? ces hommes jouissent-ils des faveurs du gouvernement, obtiennent-ils le rappel de leur solde depuis 1830 ? Voyez comment se passent les faits.
Pendant les grandes journées, journées mémorables que des événements malheureux n’ont pas obscurcies, cette capitale fut défendue par des braves qui méritaient d’être récompensés des services signalés rendus par eux à la patrie. Eh bien, le brave général Mellinet fut mis en non activité comme le traître dont il s’agit ; le colonel Parent qui a commandé le premier jour et une partie du second jour la place Royale, on ne lui a pas même donné la part de la somme votée à laquelle il avait droit comme chef de volontaires. On l’a congédié purement et simplement, c’est-à-dire qu’on l’a abreuvé de dégoûts jusqu’à ce qu’il se retirât.
Le baron de Creheu, l’un des hommes qui ont rendu le plus de services à la révolution, on l’a maintenu dans le grade de capitaine d’artillerie qu’il avait avant la révolution. On l’a laissé partir pour le Portugal, et quand il est revenu, on a voulu le faire passer dans l’infanterie, d’officier d’artillerie qu’il était, on a voulu le faire sortir de son arme. Voilà comment on se conduit envers les hommes de la révolution.
A l’égard du général Niellon, qui avait conduit nos armées à la victoire, qu’a-t-on fait ? on l’a mis en disponibilité ; qu’à-t-on fait encore à l’égard du général le Hardi de Beaulieu ? on l’a mis en disponibilité. Comment a-t-on agi à l’égard du général Daine qui s’était emparé de Venloo ? Il a été mis en disponibilité pendant six à sept ans ; on ne lui a rendu de l’activité de service qu’en lui faisant expier la faute d’avoir pris Venloo, en l’obligeant à remettre cette place aux mains des Hollandais. Il y avait encore un brave colonel, frère d’un de nos collègues, qui avait aussi rendu des services signalés à la révolution ; il fallait encore le sacrifier ; on l’a mis en disponibilité ; on lui a ôté le commandement qu’il avait. Le général Vandermeer, on en a fait très bon marché, il est depuis longtemps hors des rangs de l’armée. Ce n’est pas tout, ce même gouvernement renvoyait, destituait l’un des hommes qui ont rendu les plus grands services à la révolution, le baron de Stassart, au moment même où il accordait une faveur au général Vandersmissen.
Cependant on ne devrait jamais oublier les services rendus à la patrie.
Si une discussion a pu avoir lieu entre le ministre de l’intérieur et un gouvernement, cela ne nous regarde pas. Nous ne voyons qu’un fait : quand le gouvernement d’un côté replaçait dans les rangs de l’armée un homme qui avait déshonoré la cocarde belge, qui avait déserté et refusé de prêter serment, et d’un autre côté, il destituait un des hommes qui avaient rendu le plus de services à la révolution, un homme qui n’avait pas même pu siéger en Hollande, tant son nom était connu des Hollandais, pour l’opposition qu’il aurait faite.
Voilà la conduite du gouvernement.
Messieurs, quand je vois de pareils faits, quand je vois poursuivre, écarter des fonctions publiques les hommes qui ont rendu des services au pays et replacer des hommes qui ont trahi au su et vu de tout le monde, qui ont été condamnés pour trahison, je dis qu’un gouvernement qui agit ainsi est un gouvernement déplorable, un gouvernement qui ne sait ni récompenser ni punir.
Vous avez tous présent à l’esprit, messieurs, l’effet produit par le replacement dans l’armée d’un officier déserteur, condamné pour désertion. Cet effet n’était pas douteux, il est incontestable que quiconque porte un cœur belge, et tous les officiers et les soldats de notre armée portent un cœur belge, devait voir avec un regret infini, avec un déplaisir amer, replacer dans les rangs de l’armée un homme qui avait déshonoré sa cocarde.
Comment M. le ministre parle-t-il de ce sentiment de réprobation ? Quelques réclamations, dit-on, ont eu lieu, dans quelques localités on s’est permis des propos inconsidérés. Des propos inconsidérés ! c’est ainsi que vous qualifiez les sentiments d’honneur, de respect pour le devoir qu’ils éprouvent à la vue du général qui avait trahi et que vous remettez à leur tête ! Je ne puis laisser passer de pareilles expressions sans protester de toutes mes forces.
Mais voyez combien est grande la prédilection du gouvernement pour ceux qui ont trahi la révolution. Le général Mellinet avait rendu de grands services à la révolution ; après l’avoir mis en disponibilité, on l’a envoyé à Philippeville avec ordre d’y résider ; et il y serait encore aujourd’hui, sans une maladie grave dont il est atteint.
Le général Niellon était gênant, on l’a envoyé dans le fond des Ardennes où il est encore aujourd’hui.
Le major Schavaye, qui lui aussi avait rendu les plus grands services, offusquait, on lui a ordonné d’aller à Bouillon ou à Philippeville. Quant à Vandersmissen, il n’avait pas servi la révolution, il avait été traître à la patrie ; on lui a assigné une résidence aux portes de la capitale, au faubourg d’Ixelles. Faites la comparaison, voyez la préférence qu’on donne aux hommes de la trahison sur ceux qui ont agi sous l’inspiration des sentiments nationaux et vous aurez la mesure de la règle de conduite du ministère. Vous vous plaignez de ce que les journaux injurient le Roi et la Reine et prédisent le retour de la dynastie déchue ; mais vous-même en favorisant, en faisant rentre des traîtres dans les rangs de l’armée, vous donnez des arguments à ceux qui veulent ramener le gouvernement déchu.
Messieurs, j’ai entendu dire, je ne sais jusqu’à quel point cela est vrai, peut-être un honorable membre pourrait-il en dire quelque chose, que les motifs de la réintégration du général Vandersmissen étaient tout autres que ceux annoncés, que ce n’était ni une question de droit, ni une question de légalité, ni une question de constitution, ni une question concernant le traité des 24 articles, mais une question de mémoire. J’ai entendu dire que le général Vandersmissen aurait menacé de publier un mémoire dans lequel il aurait relaté tous les faits de la révolution et nommé tous les traîtres qui avec lui auraient pris part à la conspiration et que ce serait pour empêcher la publication qu’on aurait violé les lois et les convenances sociales en replaçant le général Vandersmissen dans les rangs de l’armée.
J’ai lu cela dans les journaux de l’époque. Je ne sais si cela est vrai ; mais je déclare que je suis assez porté à le croire. Si cela est vrai, comment peut-on qualifier la conduite d’un ministre, qui, pour empêcher la révélation d’un traître, lui accorde une faveur ? Eh, mon Dieu ! s’il y a dans l’armée quelques hommes (car certes ils ne sont pas nombreux) qui aient voulu livrer la patrie, quel si grand mal y a-t-il qu’on les connaisse ? Pour moi je vois avec regret ceux qui ont voulu trahir, conserver un commandement dans l’armée ; et la raison en est simple : notre armée est jeune ; elle est brave et bien disciplinée sans doute ; mais on ne peut contester qu’elle soit jeune. Eh bien, rappelez-vous ce qui s’est passé au mois d’août. Un seul mot a causé notre perte. On s’est écrié : « Nos chefs ont trahi, ils trahissent encore. » Voilà quelle a été la cause du désastre du mois d’août. Dans l’incertitude des événements qui peuvent planer sur la Belgique, je veux que notre expérience nous serve à prévenir de nouveaux malheurs. S’il y avait dans les rangs de l’armée des hommes qui aient trahi , que M. Vandersmissen les signale. Loin de l’en empêcher, je le désire de tout mon cœur ; car moins il y aura de traîtres, plus il y aura de sentiment national dans l’armée, moins il y aura pour l’ennemi possibilité de nous vaincre.
Messieurs, des actes tels que celui que je signale ont un effet terrible sur l’avenir des nations.
Lorsqu’un gouvernement respecte assez peu les lois, dans une circonstance aussi grave, pour faire rentrer un traître dans les rangs de l’armée, alors qu’il n’y avait pas nécessité absolue (et cette nécessité absolue n’existait pas, elle ne pouvait pas exister), lorsqu’un gouvernement respecte assez peu la morale publique pour ne pas tenir compte de tout ce qu’il y a de plus sacré, de l’horreur que la trahison inspire à tout bon citoyen, je dis que dans un pays ainsi gouverné tout tend à une dissolution sociale.
Déjà nous avons été frappés, messieurs, par un acte qui a fait à la Belgique une plaie profonde, plaie que le temps guérira difficilement. Si le gouvernement marche ainsi d’abus en abus, notre nationalité est gravement compromise. Pour moi, je déclare que je ne puis donner mon assentiment à un gouvernement comme celui-là.
Dans tous les cas, je présume que vous n’hésiterez pas à émettre le vœu qu’a émis la section centrale, pour blâmer le gouvernement dans l’affaire Vandersmissen.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je n’entrerai pas dans la discussion de tous les arguments qu’a faut valoir le député de Tournay. Je prétends les avoir presque tous réfutés à l’avance. Mais il y a dans ce qu’il a dit des assertions auxquelles je dois donner sur-le-champ le démenti le plus formel.
M. Dumortier a dit que l’on avait craint les révélation de M. Vandersmissen, cela n’est pas vrai ; il n’y a rien eu de semblable.
J’ai encore un mot à dire, parce que je ne puis souffrir qu’on porte atteinte au sentiment de discipline que j’ai pris tant de peine à faire régner dans l’armée. Il n’y aurait pas un sentiment d’honneur dans les manifestations publiques de réprobation que des militaires se permettraient contre un acte du gouvernement. Il y aurait de l’insubordination, et l’insubordination est un sentiment que j’ai réprimé et que je réprimerai tant que je serai ministre de la guerre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, l’honorable député de Tournay vous a dit que les questions d’honneur doivent passer avant celles de droit. Pour nous, nous sommes de cette opinion que le véritable honneur pour le gouvernement consiste à exécuter loyalement les traités et les lois. Ainsi, dans notre opinion, toute la question se réduisait à celle de savoir quel est le véritable sens de l’article 20 du traité. Le général Vandersmissen a-t-il été amnistié par ce traité ? S’il a été amnistié, a-t-il perdu son grade par défaut de prestation de serment dans le délai fixé par le décret du congrès ou par l’absence prolongée en contravention à la loi du 16 juin 1836.
Avant de traiter cette double question, je dois donner un démenti formel en ce qui concerne le bruit répandu par les journaux, que le gouvernement aurait cédé à l’influence d’une menace du général Vandersmissen de publier un mémoire outrageant pour quelques citoyens. Il n’en est rien. Il n’est à la connaissance d’aucun membre du gouvernement que le général Vandersmissen aurait formé un tel projet ; la question a été envisagée en elle-même et sa solution est à l’abri de toute influence.
Avant d’énoncer les motifs qui nous ont guidés, dans l’interprétation de l’article 20, nous devons déclarer que, dans notre pensée, l’Etat belge était dûment et légitimement indépendant avant la signature du traité ; mais telle n’est pas la question qu’il s’agissait de résoudre. Il s’agissait de savoir quel est le sens que la conférence a attribué à l’article 20 du traité.
Pour rechercher ce sens, il ne sera pas inutile de comparer l’article 16 des 18 articles avec l’article 20 dont il s’agit.
Bien qu’à la suite de l’adoption des 18 articles, le Roi ait accepté la couronne, sur les instances suprêmes des grandes puissances, on sait que, par suite des événements du mois d’août 1831, les 18 articles ont été remplacés par les 24 articles. On ne pourrait donc plus invoquer les 18 articles comme autorité, mais on peut en comparer le texte avec celui des 24 articles pour voir quels peuvent avoir été les motifs des changements de rédaction introduits dans l’article 20, dont nous nous occupons.
Voici ce que portait l’article 16 des 18 articles :
« Art. 16. Aucun habitant des villes, places et territoires réciproquement évacués ne sera recherché, ni inquiété pour sa conduite politique passée. »
L’article 20 du traité du 19 avril porte :
« Art. 20. Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché, ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
A la simple lecture, vous vous serez aperçu des changements importants apportés à l’article 16. il commençait ainsi : « Aucun habitant. » L’article 20 dit : « Personne ». Ainsi il ne s’agit pas seulement des habitants, mais des personnes en général. L’article 16 disait : « des villes, places et territoires réciproquement évacués ». L’article 20 dit : « Dans les pays qui changent de domination. » Ici le changement de rédaction a une grande portée. Sous l’empire de l’article 16 des 18 articles, assurément le général Vandersmissen n’aurai pas pu invoquer l’amnistie, mais il en est tout autrement sus l’empire de l’article 20. L’article 16 finissait ainsi : « Ne sera recherché ni inquiété pour sa conduite politique passée. » L’article 20 se termine ainsi : « ne pourra être recherché, ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirectes aux événements politiques. »
Il est constant que l’application du traité devait être réciproque pour les deux gouvernements ; or, je le demande, peut-on sérieusement qualifier du nom de pays les forts de Lillo et Liefkenshoek ? Assurément non. Ce sont là des lieux, des endroits, mais Lillo et Liefkenshoek n’ont jamais formé, ne formeront jamais un pays. D’ailleurs, peut-on sérieusement penser que l’article 20 aurait été, en ce qui concerne l’amnistie garantie par le gouvernement belge, uniquement stipulé en faveur des habitants de Lillo et Liefkenshoek, alors que ces localités n’avaient jamais été dans la possession du gouvernement belge et que leurs habitants n’ont jamais pu commettre un délit politique, de nature à être couvert par l’amnistie ?
Il est donc évident que dans l’article 20 le mot « domination » rapproché du mot « pays » a un sens bien plus étendu. Le mot domination doit être pris dans le sens le plus large ; c’est-à-dire, domination de droit ou de fait. Il n’y a pas de distinction ; le mot doit donc être entendu dans le sens le plus large ; c’est d’ailleurs le sens consacré par l’ensemble des articles du traité.
Il y avait, avant le traité, contestation entre le gouvernement belge et le gouvernement néerlandais. Le gouvernement belge prétendait avoir la domination absolue de tous les territoires qu’il possédait. Le gouvernement néerlandais, au contraire, prétendait avoir conservé, au moins en droit, la domination que lui avaient accordée les anciens traités. C’est cette prétention des deux gouvernements que le traité a eu pour objet d’aplanir.
Ce n’est ni au point de vue du gouvernement belge, ni au point de vue du gouvernement néerlandais qu’il faut interpréter l’article 20 du traité, mais au point de vue de la conférence qui a imposé l’acceptation de ce traité aux deux parties. Or, au point de vue de la conférence, le gouvernement des Pays-Bas a renoncé aux droits qu’il revendiquait sur le territoire qui constitue le royaume de Belgique : droits que la conférence ne lui contestait pas en théorie, mais dont elle lui prescrivait l’abandon dans l’intérêt de la paix européenne. De là, messieurs, le traité entre les grandes puissances et le roi des Pays-Bas, traité par lequel ce dernier reconnaît dissoute l’union qui a existé entre la Hollande et la Belgique, traité préalable à celui signé entre la Hollande et la Belgique ! De là les expressions des articles 1, 2, 6, 17 du traité.
D’après les articles 1 et 2, il est dit que « le royaume de Belgique sera formé des territoires…, etc. » D’après l’article 2, le roi grand-duc consent à ce que dans le Luxembourg, etc. » D’après l’article 6 il est dit : Moyennant les arrangements territoriaux arrêtés ci-dessus, chacune des deux parties renonce réciproquement à toute prétention sur les territoires, villes, places et lieux situés dans les limites des possessions de l’autre partie, telles qu’elles se trouvent décrites dans les articles 1, 2 et 4. C’est chacune des deux parties qui renonce : ainsi la conférence reconnaît positivement que la question de domination était en litige, et qu’en ce qui concerne la Hollande, la Belgique était en litige.
Par l’article 17, il est dit : « dans les pays dont la séparation a lieu en conséquence des présents articles… » Ainsi, c’est en conséquence des articles du traité que la séparation des deux pays a eu lieu.
De là, messieurs, la réponse de la conférence à une note du plénipotentiaire de la Belgique, réponse dans laquelle elle dit :
« Les plénipotentiaires observent que lesdites libertés qui par leur nature sont exclusivement du ressort des Etats auxquels sous un point de vue légal, les territoires en question n’ont pas cessé d’appartenir. »
Ainsi le Luxembourg n’avait pas, dans le sens de cette réponse, cessé d’appartenir à la confédération, et le Limbourg n’avait pas cessé d’appartenir au royaume des Pays-Bas.
Il est donc de toute évidence que, dans la pensée de la conférence comme dans la pensée de la Hollande, il y avait séparation de la Belgique en vertu du traité. Je ne cherche pas à justifier la pensée de la conférence ; mais nous disons quelle elle a été. Nous avons toujours considéré la Belgique comme pleinement indépendante du moment où elle s’est rendue maîtresse de son territoire, et où elle a elle-même proclamé son indépendance ; mais nous ne pouvions méconnaître la pensée de la conférence quand il s’est agi d’appliquer l’article 20 du traité.
Mais, dit-on, la domination est une ; elle ne pouvait appartenir à la fois à la Hollande et à la Belgique ; cependant, si vous admettez que dans la pensée de la conférence, la Belgique a été séparée de la Hollande, a changé légalement de domination en vertu du traité, vous devez reconnaître que les parties du Limbourg et du Luxembourg qui ont été cédées à la Hollande n’ont pas changé de domination, que la Hollande est seulement rentrée en possession.
Telle a bien été la pensée de la conférence, et cette pensée se révèle encore dans les dernières expression de l’article 23 :
« Dans les parties du Limbourg et du Luxembourg dont Sa Majesté le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, va être remis en possession… »
Mais on ne peut tirer de là aucun argument contre l’application de l’amnistie aux partie du Limbourg et du Luxembourg dont le roi grand-duc a été remis en possession ; car il est évident que la conférence a donné au mot domination l’acception la plus étendue, l’acception de domination de fait, et de domination de droit ; et c’est pour cela que la conférence a exigé que la Belgique fît abandon de ses prétentions sur les parties cédée, preuve qu’il y a respectivement abandon de domination. Dans le sein de la conférence la Hollande a fait abandon de sa domination de droit, et la Belgique de sa domination de fait.
L’article 6 est en corrélation avec l’article 17, avec l’article 20. les territoires auxquels il est renoncé par l’article 6, sont compris dans les pays désignés à l’article 17. ils sont compris dans les pays qui, aux termes de l’article 20, changent de domination.
Voyez, messieurs, quand il s’agit d’appliquer un article du traité aux seules territoires abandonnés par la Belgique, comment ce traité s’explique :
L’article 23 dit : « Seront maintenus dans leur force et vigueur les jugements passés sous l’administration belge, dans les parties du Limbourg et du grand-duché de Luxembourg dont S.M. le roi grand-duc va être remis en possession. »
Ici il n’est plus question de pays ; on désigne positivement les territoires du Limbourg et du Luxembourg.
Il est vrai que dans l’article 24, invoqué par l’honorable préopinant, on retrouve le mot de domination employé pour indiquer l’empire qu’exerçaient les deux gouvernements sur les territoires dont ils avaient l’administration ; cet article est ainsi conçu :
« Aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir, les ordres seront envoyés pour l’évacuation des territoires, villes, places et lieues qui changent de domination. »
Nous ferons remarquer que le mot « domination » qui est employé ici prouve précisément que, dans la pensée de la conférence, il y a une double acception : celle de fait et celle de droit, car dans l’article 23 la conférence ne reconnaissait à la Belgique qu’une simple possession de fait à l’égard du Luxembourg et du Limbourg.
Mais il ne s’en suit nullement que l’article 20 relatif à l’amnistie ne comprend pas la Belgique entière, car dans l’article 24 le mot « domination » n’est pas accompagné du mot « pays », comme dans l’article 20, article 20 qui est la conséquence des articles 17, 6 et du même traité ; au contraire, si dans l’article 24 on voit se reproduire le mot « pays » employé dans l’article 20, c’est que ce dernier article comprenait la Belgique entière.
Je ne sais si je dois répondre à cette objection qui a été faite, qu’un déserteur hollandais ne pourrait point rentrer dans les cadres de l’armée ; l’on sait parfaitement que la Hollande n’a pas fait l’objet du traité.
Sur la seconde question, je n’ai que peu de mots à dire. Si le général Vandersmissen a été amnistié par l’article 20 du traité, peut-on invoquer contre lui le défaut de prestation du serment et son absence sans permission ? En ce qui concerne le défaut de prestation de serment, on ne peut s’en prévaloir ; car, pour qu’on puisse se prévaloir contre quelqu’un du non accomplissement d’un fait, il faut qu’il ait dépendu de cette personne de pouvoir l’accomplir. Or, je dis que le général Vandersmissen rentrant dans le pays et se soumettant aux tribunaux, n’aurait pu prêter serment avant que la cause ne fût jugée contradictoirement ; il n’aurait pas été admis à le prêter.
Je suppose que le général Vandersmissen ait comparu devant la haute cour militaire, et qu’il ait été acquitté ; pourrait-on se prévaloir contre lui du défaut de prestation de serment pour prétendre qu’il a perdu son grade ? Assurément non ; or, ce qu’un arrêt d’acquittement aurait opéré le traité l’a opéré de la même manière, et à plus forte raison parce que les poursuites étaient impossibles dès qu’on reconnaissait que le traité lui était applicable.
Quant à la loi du 16 juin 1836, il suffit de faire remarquer qu’on ne peut en faire l’application au général Vandersmissen sans lui donner un effet rétroactif, puisque son absence remontait au mois de mars 1831.
D’après ces motifs, je persiste à croire que le gouvernement n’a manqué ni aux prescriptions de la constitution, ni aux prescriptions des lois ; mais qu’au contraire il a suivi littéralement et les prescriptions de la constitution et celles des lois qui conservent aux militaires leurs grades lorsqu’ils n’en ont pas été légalement déchus.
M. de Foere – Les armées entretenues par les nations ont deux buts avoués. Elles sont considérées comme des moyens de défendre l’indépendance nationale contre les agressions extérieures et de maintenir l’ordre intérieur. J’exposerai les motifs pour lesquels je crois que, dans la position actuelle du pays, ni l’un ni l’autre but ne peut être atteint par une armée permanente.
Afin de prévenir tout préjugé contre cette proposition, que je me propose d’établir, je vous dirai d’avance que, malgré cette opinion, j’ai l’intime conviction que les droits d’une nation ne sont respectés par cela seul que son indépendance et sa nationalité sont reconnues par les autres nations. Pour soutenir une thèse contraire, il faut s’abandonner aux illusions d’une imagination qui renoncer à tous les enseignements de l’histoire. Dans ma conviction, c’est la force supérieure qui, seule, décide du sort des nations. Je sais que c’est un abus, mais l’abus ne détruit pas le fait ; il le laisse subsister. Après ces préambules, j’entre dans le développement de mon opinion.
L’agression part du midi ou du nord, votre armée, quelque nombreuse qu’elle soit, ne peut résister avec succès à l’attaque. Votre indépendance, votre nationalité, votre territoire seront violés. En politique surtout la condition du possesseur est la meilleure. Il ne prend conseil que de sa force ; il décide de votre sort selon les circonstances du moment.
Dans les Etats représentatifs l’influence des dynasties décline chaque jour devant la puissance des nations. Le Roi règne et ne gouverne pas. Le gouvernement parlementaire est établi, depuis longtemps, en Angleterre. En France, le principe n’a plus qu’une ligne à franchir et rien ne l’arrêtera. Il y a neuf ans, à cette même tribune, j’ai énoncé et développé ces prévisions dans la discussion sur l’élection du chef de l’Etat ; elles s’accomplissent. Nous n’avons donc aucun soutien à espérer du côté des alliances des familles dynastiques.
Si vous en doutiez encore, le traité du 19 avril est là pour dissiper tous vos doutes. L’Angleterre a manœuvré de manière que vous ne fussiez pas une nation maritime. Elle ne vous considère que comme une colonie utile. C’est là toute l’importance que, pour le moment, elle attache à votre nationalité. La France, de son côté, n’a pas voulu que, par la possession du grand-duché de Luxembourg, vous eussiez un pied dans la confédération germanique. Elle cherche, de son côté, à vous exploiter commercialement par de prétendus traités de réciprocité. Les nations gouvernent par le sentiment de leur force ; elles en abusent comme les chefs des Etats absolus.
La paix n’est intervenue que par le même principe de la force. Dans l’intervalle qui sépare les guerres, ce sont les forces balancées par l’équilibre des alliances qui maintiennent la paix. Les alliances sont rompues, et les hostilités sont près d’éclater de toutes parts.
Le système politique actuel de l’Europe des cinq puissances, est fondé sur les armées permanentes. Ce système explique tout. Je n’entends pas déterminer la durée de l’alliance de la France avec l’Angleterre ; pressée entre la Russie et l’Angleterre,, ignoblement traité par cette dernière puissance, elle ne peut tarder de consulter sa force. Elle n’attend que la formation de sa marine militaire à laquelle elle travaille sans relâche. Alors elle délibérera d’une manière libre et indépendante sur ses alliances. Alors la France prendra un parti digne de sa position.
Vous direz – En temps de paix, comme en temps de guerre, avec une armée nombreuse, nous pourrons mettre notre poids dans la balance, et nous affermir par des alliances.
En théorie, ce système est spécieux. En fait, ce n’est qu’une opinion démentie par l’histoire. Croyez-vous sérieusement que la conquête de votre nationalité soit due à l’armée de votre révolution ? Vous ne la devez qu’à la situation internationale des puissances de l’Europe. Vous ne la devez qu’aux intérêts compliqués qui balancent leur politique, et leur position actuelle. Cette même position sera, en grande partie, la sauvegarde de votre nationalité, pourvu que vous ne commettiez pas l’imprudence de la compromettre en vous mêlant aux querelles de l’Europe, et en rompant votre neutralité.
Vous ne rencontrez aucune difficulté à former une alliance avec de grandes nations. Non seulement elles l’acceptent avec empressement, elle la recherchent avec avidité. Mais quel est leur but ? c’est leur propre intérêt et non le vôtre. En temps de paix, elles vous engagent, par tous les moyens de déception puisés, à les en croire, dans votre intérêt, à entretenir une armé nombreuse. Leur véritable but est de raffermir, en temps de paix, leur propre position par le système des armées permanentes, et de se servir, en temps de guerre, de votre armée pour défendre leurs propres intérêts. En temps de paix, vous épuisez vos ressources par votre établissement militaire ; après la guerre, vous êtes livrés à la merci du plus fort. J’ai l’intime persuasion que c’est la France et l’Angleterre qui vous poussent à entretenir une armée nombreuse, armée que, dans la proposition de son chiffre et de la population respective, ces Etats n’entretiennent pas eux-mêmes. Dans l’état actuel de l’Europe, l’alliance des petites nations avec les grandes n’est qu’une véritable duperie. Lorsque vous avez la bonhomie de demander cette alliance, les effets en sont d’autant plus pernicieux. Alors les nations puissantes vous posent les conditions de votre alliance, et toujours elles sont dictées dans leur propre intérêt politique et commercial. Je vous renvoie encore au traité du 19 avril, il explique tout. Qui vous en a dicté les dures conditions, même à la pointe de l’épée ? Vos prétendus alliés eux-mêmes. Leurs propres intérêts l’exigeaient.
Les ministres de l’intérieur et des travaux publics ont soutenu sérieusement dans cette chambre, et dernièrement dans l’autre, que, par leurs efforts, ils sont parvenus à réduire de trois millions notre part dans la dette hollandaise. Ils soutiennent, dis-je, cette thèse sérieusement, alors que notre part dans l’actif du capital du syndicat était de beaucoup supérieure au chiffre de trois millions d’intérêt, et après avoir avoué dans leurs rapports diplomatiques que la conférence a même refusé d’entrer en compte. En effet, nos envoyés financiers à Londres ont disparu comme des ombres chinoises sur la scène de la conférence.
La politique du roi de Hollande est la seule qui nous convienne. Il ne sacrifie pas les intérêts intérieurs de la Hollande aux exigences extérieures de ses alliés. Il sait que ce serait faire le métier des dupes. Il réduit considérablement son armée, et, pendant la paix, il cherche sa force dans une grande puissance d’indépendance, de politique extérieure et de nationalité intérieure. Il ne se vent pas d’avance des alliés dont, pendant la paix, la Hollande subirait les dures conditions.
Durant la paix, il est maître chez lui. Les intérêts de la Hollande n’en sont que plus ménagés et respectés. Ce respect est dans l’intérêt même des grandes puissances. Toutes convoiteront son alliance aux imminences d’une guerre. C’est ainsi qu’avec son grand tact de politique, puisé dans la vieille expérience de sa maison, le roi de Hollande fait respecter l’indépendance et les intérêts de son pays pendant la paix, et qu’il se fait rechercher aux approches d’une guerre. Alors, seulement, il choisit ses alliés selon les intérêts que les circonstances di moment lui dictent. Telle sont, messieurs, la seule politique qui convienne à la Belgique et à toute nation faible, si, en temps de paix, comme en temps de guerre, elle ne préfère être foulée. Avec cette politique, vous serez maître chez vous et maître respecté. A cette condition seule, vous jouirez du fait de votre indépendance et de votre nationalité.
Vous objecterez que cette politique n’est pas suivie par les petites nations qui forment l’union allemande. Vous n’observez pas que la réunion de ces petits Etats constitue une force égale à celle de la Prusse, et qu’en raison de cette force réunie, cette dernière puissance ne pourrait fouler impunément aucun de ces petits Etats. La Prusse a recherché elle-même leur alliance, et, pour la former, elle l’a fondée sur une parfaite conformité d’intérêts, seule base de toute alliance qui n’est ni mensonge, ni duperie. Dans une semblable position, l’esprit de nationalité est possible. La Prusse est allée plus loin. Afin de réussir, elle a sacrifié ses propres intérêts industriels, en fondant avec ces Etats allemands l’union commerciale. Approfondissez la politique de vos prétendus alliés ; et vous verrez, du premier coup d’œil impartial si leur politique peut soutenir la parité. Elle vous exploite dans tous les sens ; et vous prétendez créer une nationalité, alors que l’impérieuse volonté des intérêts matériels des nations réclame la réunion à un grand Etat, à un grand centre de consommation. Ces intérêts matériels sont, dans les sociétés modernes, le plus puissant agent de dissolution des petits Etats ; et vous espérez de conserver votre nationalité par le secours d’alliés, auxquels vous permettez, en temps de paix, d’exploiter votre commerce et votre industrie.
Depuis quelque temps on nous entretient de l’achat d’une colonie. Comme je n’appartiens à aucune coterie, j’ignore si c’est un leurre jeté en avant pour entretenir l’espoir du pays, ou si le projet est réel. Dans le premier cas, la question ne vaut pas la peine de nous en occuper. Dans l’autre, il est probable que c’est la politique extérieure qui, dans ses propres intérêts, pousse à l’exécution de ce projet. Possédant une colonie, la Belgique doit entretenir, à des frais énormes, une marine militaire proprement dite, capable de soutenir l’indépendance et les intérêts de sa colonie.
Depuis les temps les plus reculés jusqu’aux temps les plus modernes, l’histoire a prouvé que celui qui est maître de la mer est maître de la terre. Cette assertion est même traduite en proverbe, tant il est vrai qu’une longue expérience l’a mise en dehors de toute contestation. C’est là le véritable levier de la force de l’Angleterre et de la puissance d’action qu’elle exerce sur les destinées du monde politique. Ce sont ses propres aveux et sa profonde conviction politique. Aussi elle voit avec un œil inquiet l’agrandissement de la marine militaire de la France et de la Russie. Elle étend même sa jalouse vigilance jusqu’au royaume de Naples, dont le chef renforce considérablement sa marine militaire. Je ne serais pas étonné, messieurs, que la France, comprenant l’immense influence d’une marine militaire, ne vous eût suggéré cette politique coloniale dans le but d’utiliser, dans ses intérêts, et en cas de guerre maritime, votre flotte en la réunissant à la sienne. Si ce n’était pas là la vraie face sous laquelle cette question se présente, je ne concevrais pas que l’achat d’une colonie dût passer par l’esprit de nos hommes d’Etat. En voici la raison : le but partiel d’une colonie est la consommation des produits de la mère patrie. Or, conformément à la politique des autres Etats du continent, nos hommes d’Etat pourrait assurer, sans aucune dépense, la consommation, le marché du pays, à l’industrie nationale, et ils reculent devant cette politique qui, avec une ferme volonté nationale, ne leur coûterait pas une obole. C’est en suivant à l’intérieur cette misérable politique qu’ils songent, dit-on, sérieusement à un commerce colonial qui n’est qu’un contresens de la politique commerciale actuellement établie. Aussi je ne pense pas que la France et surtout l’Angleterre vous permettent la jouissance exclusive d’une colonie, sans leur faire la part des bénéfices qui résulteraient de l’importation de leurs produits sur notre marché colonial. Entre-temps vous en supporteriez toutes les dépenses ; eux ils en recueilleraient la plus grande somme de bénéfices. A cette condition, vous pourrez même acheter leurs propres colonies, surtout depuis que ces possessions dépendantes cherchent toutes, et avec raison, à s’émanciper.
J’ai dit aussi que, dans la situation actuelle de la Belgique, une armée, quelque considérable qu’elle soit, ne pourra pas maintenir l’ordre intérieur. Le travail du pays, messieurs, est le seul élément d’ordre. Or, vous le transportez, en grande partie, sur le sol étranger. Votre système commercial tend directement à détruire cet élément d’ordre, à créer une population ouvrière misérable hideuse, affamée. Elle ne cessera de jeter la perturbation dans le pays. Les armées sont aujourd’hui impuissantes contre ces violentes commotions intérieures. Je me bornerai à ces simples considérations sur cette dernière partie de mon discours. Votre intelligence en comprendra du reste toute la portée ultérieure.
J’arrive à la conclusion.
Dans mon opinion, l’établissement d’une armée considérable, qui dépasse la proportion d’un Etat neutre et compromet ses ressources est inutile. Elle est, pendant la paix, dans une puissante volonté d’indépendance et de nationalité dans une ferme résolution d’être maître chez vous contre toutes les exigences de l’extérieur.
A cette condition, vous serez respectés, en temps de paix par les Etats voisins ; à cette seule condition, vous gouvernerez vous-mêmes vos propres affaires. Vous ne dépendrez pas honteusement de prétendus alliés pour établir un système commercial qui convient aux vrais intérêts du pays.
Aux approches d’une guerre, les nations fortes rechercheront elles-mêmes votre alliance. Alors, si les circonstances vous font sortir de votre neutralité, vous accepterez les alliances que l’intérêt du moment vous conseillera.
Je voterai contre les exagérations exorbitantes du budget de la guerre. Cependant il est tout à la fois juste et politique d’avoir égard à notre brave armée. Je voterai pour tous les subsides qui seraient destinés à faire une position aisée et honorable aux militaires auxquelles on accorderait des pensions de retraite.
M. le président – La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau – Messieurs, j’étais disposé à parler dans la discussion générale, et il me semblait que le lieu convenable pour s’occuper de la question qui a été soulevée au commencement de cette discussion était la solde de non-activité des généraux, mais M. le ministre de la guerre a fait en quelque sorte de cet épisode la préface obligée de la discussion de son budget ; je crois dès lors ne pas devoir, pour le moment, m’engager dans la discussion générale.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ferai remarquer à la chambre que ce n’est pas le ministre de la guerre, mais la section centrale qui a soulevé la question dont il s’agit en ce moment. Ordinairement la discussion des budgets s’établit sur le rapport de la section centrale.
M. Trentesaux – J’ai demandé la parole, messieurs, pour parler sur l’article 20 du traité du 19 avril, parce que je ne suis pas d’accord avec MM. les ministres sur la manière d’interpréter cet article.
Je suis d’accord avec l’honorable. M. Dumortier sur le sens de l’article 20 du traité du 19 avril, mais je ne suis pas d’accord avec lui sur l’application. Quand j’ai vu dans les journaux ce qui avait été fait relativement au général Vandersmissen, je vous avoue, messieurs, que d’abord j’ai été surpris, mais après y avoir réfléchi, je me suis dit : La Belgique s’est montrée magnanime ; mais je n’avais pas fait attention à une partie de l’arrêté où il est dit : « Vu l’article 20 du traité du 19 avril » ; lorsque dans le rapport de la section centrale j’ai lu cette partie de l’arrêté, j’ai été blessé et je l’a été bien plus lorsque j’ai vu, par l’opinion d’un seul membre, à la vérité, de la section centrale, dans quel sens on voulait interpréter cet article. Je n’avais pas entendu l’article de cette manière ; je l’avais entendu comme on entend toujours des articles semblables dans des traités où il y a échange de territoire.
Pour bien comprendre le traité du 19 avril, il faut d’abord se rappeler quelles sont les parties contractantes ; ces parties sont d’une part, la Belgique, ayant une existence par elle-même reconnue ; et d’autre part, un personnage à double qualité, le roi des Pays-Bas, qui est en même temps grand-duc de Luxembourg. Maintenant, messieurs, que fait-on par ce traité ? Le roi Guillaume cède une partie du Luxembourg à la Belgique, et la Belgique cède au roi Guillaume une partie de son propre territoire. Voilà donc un changement de domination, et sous ce rapport, comme je l’ai déjà dit, je suis tout à fait d’accord avec l’honorable M. Dumortier. Lorsque je lis dans l’article 20 que « personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché, ni inquiété en aucune manière pour une participation quelconque, directe ou indirecte aux événements politiques », je dis qu’il s’agit évidemment ici des pays que la Belgique cède au roi Guillaume et des pays que le roi Guillaume, en sa qualité de grand-duc de Luxembourg, cède à la Belgique. Ce sont là les pays qui « changent de domination ». S’il pouvait y avoir le moindre doute sur le sens de ces mots, il serait parfaitement éclairci par l’article 24 qui porte :
« Aussitôt après l’échange des ratifications du présent traité, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, places et lieux qui changent de domination. »
Evidemment, messieurs, lorsqu’on met cet article en présence de l'article 20, il ne peut plus y avoir le plus léger doute sur la question de savoir ce qu’il faut entendre par ces mots : « les pays qui changent de domination. »
Je le répète, messieurs, j’ai été blessé lorsque j’ai vu la manière dont le gouvernement veut interpréter l’article 20 du traité. La révolution belge s’est toujours montrée magnanime, le gouvernement pouvait encore se montrer magnanime à l’égard du général Vandersmissen ; mais lorsqu’il envisage la mesure prise à l’égard de ce général comme un acte obligatoire, comme un acte qui lui était imposé par le traité du 19 avril, alors il n’y a plus de magnanimité, alors il n’y a plus rien que l’accomplissement d’un devoir.
Je ne conçois réellement rien à l’inintelligence de nos ministres, qui font tous leurs efforts pour se mettre dans la position qui leu est la plus désavantageuse.
M. F. de Mérode – Messieurs, c’est en vertu de nos lois constitutives et de nos règlements civils et militaires que nos officiers possèdent leurs grades et ne peuvent en être privés arbitrairement ; or, si M. Vandersmissen n’a pas été à même de remplir les formalités exigées par ces mêmes règlements et lois, n’est-ce point par sa faute, par son fait bien volontaire, non, j’en conviens, quant à l’acte lui-même ? Supposez que M. Vandersmissen n’ait pas été réintégré dans l’armée belge avec le grade de général, pensez-vous que le gouvernement hollandais eût réclamé de notre gouvernement cette réintégration comme conséquence d’une loyale exécution du traité ? Quoi ! le gouvernement fût venu vous dire : « Des hommes qui se sont mêlés aux mouvements insurrectionnels par lesquels mon pouvoir a été détruit en Belgique ont obtenu, par ce moyen, une position supérieure. Un major en retraite sous la cocarde orange est devenu général sous la cocarde tricolore, qu’il a déclarée ensuite publiquement une cocarde d’intrigants et de misérables. Eh bien, je vous somme de lui rendre un grade auquel il a renoncé lui-même, et en vertu du traité par lequel je reconnais votre drapeau.
Non, messieurs ; le gouvernement hollandais n’eût jamais songé à donner une interprétation pareille à un article pacificateur dans sa lettre et dans son esprit, mais non pas absurde et immoral dans l’une et l’autre, s’il avait la portée que lui a donnée bénévolement le ministre. Eh bien, messieurs, tout au plus pour reconnaître la componction avec laquelle M. Vandersmissen protestait, en 1832, de l’intérêt qu’il portait au bonheur du prince contre lequel il avait d’abord prononcé lui-même ; tout au plus, pour reconnaître ce repentir inopiné, le gouvernement de la Hollande eût réclamé, peut-être, la réintégration de l’ex-major dans la position où la révolution l’avait trouvé.
Aller plus loin ne pouvait venir, dans l’esprit de qui que ce soit, ni dans la conférence, ni ailleurs. Je regrette donc vivement que M. le ministre de la guerre et ses collègues aient si légèrement porté la plus grave atteinte au principe qui sert de fondement à l’existence de toute armée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement n’avait pas, comme l’a avancé l’avant-dernier orateur, à examiner s’il fallait user de magnanimité ou non. Il n’avait pas non plus, comme le pense l’honorable préopinant, à se demander s’il était exposé ou non à une réclamation de la part du gouvernement hollandais. Le gouvernement avait à se demander ce qu’il devait faire dans la circonstance donnée, pour agir légalement, si l’on veut, pour être juste, dans le sens légal ; il n’a été que forcément juste dans le sens légal ; c’est ce que nos honorables collègues le ministre de la guerre, et le ministre des affaires étrangères ont déjà établi, c’est cette considération que je chercherai à faire ressortir. Nous avons été forcément justes sous le point de vue légal, nous l’avons été bien à regret, mais nous ne pouvions faire autrement ; s’il nous avait été permis de nous abstenir, nous nous serions abstenus ; s’il nous avait été permis d’attendre, nous aurions attendu ; mais nous ne le pouvions pas.
Rappelons-nous, d’abord, messieurs, qu’il ne s’agit pas d’une condamnation contradictoire, qu’il ne s’agit que d’un arrêt rendu par contumace. Lorsque le condamné se présente, aux termes des principes sur la contumace, l’arrêt porté contre lui vient à tomber, indépendamment de toutes les considérations qui peuvent se rattacher dans le cas présent à l’amnistie. C’est là, messieurs, un premier point qui est évident, l’arrêt par contumace rendu le 29 octobre 1831 contre le général Vandersmissen, cet arrêt est venu tomber par suite de la comparution volontaire de ce général.
Une voix – Il doit être jugé de nouveau.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’y viendrai.
Voici ce que porte l’article 476 du code d’instruction criminelle.
« Si l’accusé se constitue prisonnier, ou s’il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription, le jugement rendu par contumace et les procédures faites contre lui depuis l’ordonnance de prise de corps ou de se représenter, seront anéantis de plein droit, et il sera procédé à son égard dans la forme ordinaire. »
Qu’est-il arrivé, messieurs ? Le condamné s’est présenté, il a dit : « Ma position doit être régularisée, je demande, ou bien que je sois jugé, ou bien que l’on déclare que je ne puis être jugé. » Remarquez-le bien : l’arrêt par contumace du 29 octobre 1831 n’existe plus ; il n’existe plus par le seul effet du principe sur la contumace.
Maintenant se présente une question que je poserai très nettement : Y avait-il possibilité de juger de nouveau le général Vandersmissen ? Non, messieurs, la possibilité de juger le général Vandersmissen n’existait plus ; elle n’existait plus, parce qu’il n’y avait plus de peine applicable, parce qu’il pouvait invoquer le bénéfice de l'article 20 du traité du 19 avril 1839.
« Personne, dans les pays qui changent de domination, dit l’article 20 du traité, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
De deux choses l’une, nous dit le général Vandersmissen, je demande à être jugé, s’il y a possibilité de me juger ; si la possibilité de me juger n’existe plus, déclarez-le.
Voilà la position dans laquelle le gouvernement s’est trouvé placé par la comparution du général Vandersmissen.
Je n’ai donc pas besoin d’invoquer l’article 20 du traité pour établir que l’arrêt de contumace du 29 octobre 1831 est non avenu par l’amnistie, bien que ce résultat soit aussi un des effets de l’amnistie ; l’arrêt de contumace est déjà non avenu par la comparution volontaire du condamné.
Je le répète, je n’ai pas besoin d’invoquer sur ce point le bénéfice de l’amnistie ; je n’ai à examiner les effets de l’amnistie que dans un sens plus limité, je n’ai qu’à examiner la question de savoir s’il y avait possibilité ou non de juger encore le général Vandersmissen, de le juger contradictoirement, puisqu’il le demandait.
M. le ministre des affaires étrangères, et avant lui M. le ministre de la guerre, vous ont démontré que l’article 20 du traité doit recevoir une application générale. Ils vous ont prouvé que l’expression : « les pays qui changent de domination », doit être prise dans un sens général, comprenant la domination de fait comme la domination de droit ; ils vous ont aussi expliqué le sens du traité en lui-même, sens que l’honorable M. Trentesaux vient de remettre en doute.
D’après l’honorable membre, il s’agirait, dans le traité d’un simple échange territorial. Mais les cessions territoriales ne forment que les stipulations particulières, les conditions du traité. Le but du traité a été la constitution définitive de l’Etat belge vis-à-vis de l’Europe, et notamment vis-à-vis de la dynastie déchue ; une des conditions de la constitution définitive de l’Etat belge était la cession territoriale.
C’est là le véritable but du traité du 19 avril 1839 ; c’est là la véritable portée du traité, et c’est une portée que dans notre propre intérêt nous ne devons pas méconnaître.
Sans doute, avant ce traité, la Belgique existait, elle existait légalement pour elle-même, elle existait pour tous ceux qui l’avaient reconnue ; mais au point de vue du droit européen, elle n’existait pas légalement, par exemple, pour la confédération germanique ni pour la dynastie déchue qui n’avait pas abdiqué.
Je m’associe à tous les honorables préopinants pour rendre hommage à la souveraineté nationale. Je reconnais l’indépendance de la Belgique, proclamée par le peuple belge lui-même. Mais, d’un autre côté, je ne puis pas méconnaître le droit public européen ; je dois tenir compte de ce fait, ne fût-ce que comme d’un fait. La Belgique, qui s’était constituée par elle-même et pour elle-même, avait à se constituer aux yeux de l’Europe : c’est ce qu’elle a fait définitivement par le traité du 19 avril 1839.
Partant de là, on doit donner au mot de « domination » le sens le plus large, et reconnaître que la Belgique tout entière a de droit changé définitivement de domination aux yeux des puissances qui l’ont reconnue, aux yeux du roi Guillaume, qui a abdiqué, quant à la Belgique.
De fait, il y a eu, en outre, un changement de domination dans les deux provinces dont nous avons été malheureusement forcés d’abandonner une partie ; là il y a un changement de domination de fait.
Le premier orateur que vous avez entendu, M. Dumortier, a très bien senti que si on parvenait à rendre l’article 20 du traité applicable au général Vandersmissen, quelles que fussent les répugnances personnelles, il faudrait accepter les conséquences de cette application.
Aussi l’honorable membre a-t-il fait tous ses efforts pour restreindre l’application de l’article 20. Selon lui, l’amnistie ne s’applique qu’aux habitants des deux parties que nous avons été forcés d’abandonner dans le Limbourg et le Luxembourg.
D’après cette interprétation, il n’y aurait eu changement de domination qu’à l’égard du Luxembourg allemand et du Limbourg hollandais.
Eh ! messieurs, l’amnistie ne pourrait donc plus être invoquée, non seulement en faveur des habitants de la Belgique en dehors des deux provinces du Limbourg et du Luxembourg, mais pas même en faveur des habitants du Limbourg belge et du Luxembourg belge.
J’appelle toute l’attention de la chambre sur cette interprétation extrêmement restrictive de l’amnistie. Ainsi, moi, par exemple, qui pourrait avoir besoin du bénéfice de l’article 20, et qui appartient non pas à la partie allemande, mais à la partie belge du Luxembourg, je ne pourrai pas invoquer l’article 20 du traité, tandis qu’il pourra être invoqué par un habitant de la partie allemande du Luxembourg.
Il n’y aurait donc pas même réciprocité dans l’application de l’article 20…
M. Dumortier – Il n’y a pas d’application possible ; les habitants restent sous la même domination ; ils n’ont pas besoin d’invoquer l’article 20.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il y a une application possible, en ce sens que le Luxembourg belge a changé de droit de domination par l’effet du traité du 19 avril 1839, et qu’un habitant du Luxembourg belge pourrait invoquer l’amnistie, en se rendant dans le Luxembourg allemand.
M. Dumortier – Le Roi Léopold a donc été un usurpateur.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – M. Dumortier répète une expression dont il s’est servi dans son discours : le Roi Léopold, dit-il, aura donc été un usurpateur dans le grand-duché, par exemple. Messieurs, ne jetons pas dans la discussion des mots qui prêtent à l’exagération : il y avait simplement occupation du Luxembourg par le gouvernement belge ; il n’y a pas eu une souveraineté reconnue par le droit public européen.
Je suis étonné, messieurs, de devoir tant insister sur la portée du traité. Il me semble que chacun de nous pourrait consulter ses souvenirs et se demander quels ont été nos motifs déterminants, quand nous avons accepté cet acte si douloureux sous tant d’autres rapports.
Je dis que, d’après l’interprétation de l’honorable M. Dumortier, il n’y aurait pas même réciprocité dans l’amnistie, car je ne puis pas admettre qu’il y ait réciprocité, si vous bornez l’application, quant aux Belges de l’amnistie aux habitants de Lillo et de Liefkenshoek ; en définitive, ce serait à quoi se réduirait le bénéfice de l’amnistie, quant à nous.
Nous soutenons, au contraire, que l’amnistie doit recevoir l’application la plus générale ; que l’amnistie doit profiter à tous ceux qui, soit dans le Limbourg belge, ou le Limbourg hollandais, soit dans le Luxembourg allemand, soit dans le Luxembourg belge, soit enfin dans la Belgique entière, se trouveraient dans le cas d’être inquiétés pour une participation quelconque aux faits de la révolution.
En donnant cette interprétation à l’article 20 du traité, nous nous conformons à tous les précédents du droit public, et nous croyons agir dans le véritable intérêt de tous les Belges. Comment, messieurs, soutenir qu’il y a eu changement de domination seulement pour le Limbourg hollandais et la partie allemande du Luxembourg, en présence du texte du traité ? Je pourrais vous donner lecture des articles du traité un à un, pour vous démontrer qu’on ne peut admettre une semblable interprétation.
L’article premier, par exemple, énumère les provinces qui doivent constituer le royaume de Belgique, mais pourquoi cette énumération ? Pourquoi cette expression : « le territoire belge se composera » : de telle et de telle province ? Evidemment il s’agissait de constituer le nouvel Etat belge aux yeux de l’Europe, il s’agissait de sanctionner le changement de domination qui était survenu, pour l’Europe, dans toutes les provinces méridionales de l’ancien royaume des Pays-Bas. Il faut interpréter le traité du 19 avril au point de vue de la conférence, il faut l’interpréter, non pas au point de vue du droit interne, mais au point de vue du droit externe.
Il est impossible et il serait très impolitique de donner une interprétation aussi restrictive de l’article 20 du traité du 19 avril.
En admettant la nécessité de donner une application aussi complète à l’article 20 du traité, la position du général Vandersmissen se simplifie singulièrement. Un arrêt de contumace a été porté contre lui. Il se présente, il offre de se constituer prisonnier. Aux termes des principes sur la contumace, l’arrêt qui le condamne est censé non avenu. Il demande à être jugé ; mais il y a impossibilité de le juger par suite de l’article 20 du traité. Du moment qu’il y a impossibilité de procéder à un nouveau jugement, que l’arrêt de contumace est tombé, on est forcément amené aux conséquences que le gouvernement s’est borné à reconnaître, c’est-à-dire, qu’un militaire à l’égard duquel, d’une part, un arrêt qui le condamnait est non avenu, et à l’égard duquel, d’autre part, il y a impossibilité de procéder à un jugement nouveau, est replacé dans son grade.
Voilà les conséquences auxquelles a été conduit le gouvernement en ne voyant ni question de personne, ni question de sentiment, mais en s’attachant à la question de droit, à la question de légalité.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai besoin de protester contre l’accusation de légèreté qu’a fort légèrement lancée contre le gouvernement l’honorable comte de Mérode. Le gouvernement n’a pas agi avec légèreté mais avec réflexion. Il y a eu seulement de sa part exécution consciencieuse et scrupuleuse de la loi.
Ce n’est pas là tout ce que j’ai à relever dans les paroles de l’honorable comte de Mérode. Il a prétendu qu’un mécontentement s’était manifesté et que la mesure prise portait atteinte au principe qui maintient toute armée. J’ai établi que le gouvernement avait voulu rendre hommage au principe qui maintient en tout temps, en tout pays, l’ordre public, le respect pour la loi. Il n’a fait que cela, il n’a pas porté atteinte au principe qui maintient toute armée, au principe de la discipline, en donnant à un officier qui s’était rendu coupable d’un fait de la plus haute gravité.
M. d’Huart – D’un crime !
M. Rodenbach – Oui d’un crime !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Dans les circonstances où cet officier s’est trouvé, la constitution ne permettait pas qu’on lui enlevât son grade, le gouvernement l’a mis dans la plus mauvaise position légale que la législation du pays autorisait, il l’a mis hors des cadres de l’armée. C’est là une chose qu’on perd de vue, que cette position de non-activité est une position hors cadres ; c’est, je le répète, la position la plus mauvaise, une vraie position de réprobation quand elle est donnée dans les circonstances semblables à celles dont il s’agit. Aussi le gouvernement a fait dans cette circonstance, dans l’intérêt de la discipline, tout ce que le respect du traité et le respect de la loi lui permettaient de faire.
Ceci me permettra, comme je l’ai d’ailleurs déjà fait, de faire justice de ces expressions de faveur accordée au général Vandersmissen, que l’on a encore reproduites dans le précédent discours.
La position faite au général Vandersmissen est celle qui a été faite à un petit nombre d’officiers de l’armée ; et on fait au gouvernement le reproche d’avoir été injuste, rigoureux envers ces officiers, de les avoir mis en disgrâce. De sorte que la même position pour l’un est une faveur, et pour les autres une disgrâce.
M. Dumortier – Ceux-là avaient rendu des services au pays.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – La position de non-activité étant la plus mauvaise, étant dans le cas actuel une position de réprobation, le gouvernement en y plaçant un officier général qui avait commis la faute la plus grave…
Plusieurs membres – Un crime ! un crime !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Le gouvernement, dis-je, a rendu hommage à la loi ; s’il lui avait été permis de se montrer plus sévère, il n’eût pas hésiter, soyez-en persuadés, messieurs.
M. de Brouckere – Je m’étais fait inscrire pour parler sur l’ensemble du budget de la guerre. Je désire conserver mon tour de parole. Je ne comptais pas parler sur l’incident ; mais ce que vient de dire le ministre des travaux publics me force à rompre le silence.
Si, dans l’esprit de quelques-uns d’entre vous, il pouvait rester du doute sur le sens de l’article 20 du traité des 24 articles, ce doute serait levé par la faiblesse même des considérations qu’ont fait valoir trois ministres successivement ; pour soutenir un système véritablement insoutenable.
En effet, pour quiconque veut lire l’article 20 avec impartialité sans préoccupation, sans nécessité de falsifier son sens, ce sens est de toute évidence.
« Personne, dans les pays qui changent de domination, ne pourra être recherché ni inquiété en aucune manière, pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques. »
C’est là, messieurs, un de ces articles que l’on emploie dans toutes les traités, qui sont conclus soit après une guerre, soit après une révolution, quand il y a entre deux pays, après que les hostilités ont cessé, cession réciproque de territoire. Les deux nations stipulent qu’aucunes poursuites politiques ne pourront avoir lieu dans les pays qu’on se cède réciproquement. Si cet article avait besoin d’explication, il en aurait une dans l’article 24, cité par l’honorable M. Dumortier. Les pays qui changent de domination sont d’un côté le Limbourg et le Luxembourg, et de l’autre les forts de Lillo et de Liefkenshoek. Peu importe si ces contrées sont plus ou moins étendues, on les appelle pays.
Je suppose, d’ailleurs, que la partie du Limbourg que nous avons cédée mérité bien une semblable qualification. Ainsi, le traité ne contient pas d’amnistie. Il est impossible de tirer cette conséquence de l’esprit ou du texte du traité, si on veut le lire avec impartialité et sans préoccupation.
M. le ministre des travaux publics est venu présenter un argument d’une nouvelle espèce, mais qui n’est pas pour cela plus heureux que ceux présentés par ses collègues. Le général Vandersmissen, dit-il, avait été condamné par contumace ; il se présente, l’arrêt présenté contre lui tombe. Et, d’après la manière dont le ministre entend la loi, l’arrêt de contumace venant à tomber, le général rentre dans la classe de citoyen ; il n’y a plus, de la part des fonctionnaires de l’ordre judiciaire, aucune obligation à remplir, le général lui-même n’a plus rien à faire. Autant de mots, autant d’erreurs.
Je ferai remarquer d’abord que le ministre des travaux publics s’est trompé, quand il a cité le code d’instruction criminelle ; car ce code n’est pas applicable à la juridiction militaire. Pour un moment, je vais abonder dans le sens de M. le ministre ; supposé qu’il eût été condamné par une cour d’assises, il aurait été condamné non pas au bannissement, mais à la peine comminée par les lois contre le crime dont il était accusé. Le général se représentant, l’arrêt de contumace venait à tomber ; mais l’arrêt de la chambre des mises en accusation restait ; il fallait nécessairement un arrêt de la cour d’assises pour faire tomber l’arrêt de la chambre des mises en accusation ; il ne suffisait pas qu’il se présentât, il fallait qu’il fît ce qu’on appelle purger sa contumace. Cela est écrit dans le code d’instruction criminelle. Le plus mince avocat de village sait cela aussi bien que chacun de nous.
Je vais citer non plus le code d’instruction criminelle, mais le code d’instruction criminelle militaire ; vous verrez que la question est aussi simple pour les militaires que pour les citoyens non militaires :
L’article 200 du code d’instruction criminelle militaire porte :
« Lorsque le conseil de guerre aura trouvé les rapports et les autres pièces justificatives en ordre, il déclarera l’ajourné et réajourné déchu de sa charge militaire ; et il le bannira du territoire de l’Etat, en condamnant ledit accusé aux frais causés jusqu’au jour actuel, tant par sa contumace que par les accusations intentées contre lui. »
Ainsi donc, suivant le code criminel militaire, un accusé fugitif n’est pas condamné du chef du crime pour lequel il est poursuivi, il est condamné parce qu’il ne se présente pas. Après l’ajournement et le réajournement, on le déclare déchu de sa charge militaire et on ne condamne au bannissement.
L’article 201 ajoute :
« Nonobstant ce jugement, l’auditeur militaire est obligé de compléter, autant que possible, ses informations et l’accusé conserve la faculté de produire ses moyens de défense ; mais ledit accusé devra payer les frais auxquels il aura été condamné par contumace et se rendre dans la prison militaire du lieu où réside le conseil de guerre. »
Ainsi, vous le voyez, ce condamné comme latitant ou fugitif est condamné à la dégradation militaire et au bannissement. S’il se présente, non pas pour se promener dans les rues de Bruxelles, c’est-à-dire, s’il se constitue dans la prison militaire, et que connaissance en est donnée à l’auditeur militaire, la condamnation tombe, mais à charge de comparaître devant la cour ou conseil de guerre qui porte alors un arrêté définitif.
En effet, l’article 102 dit positivement qu’on continuera à procéder comme s’il ne s’était pas absenté.
Cet article est ainsi conçu :
« Dans ce cas on continuera à procéder contre l’accusé, comme s’il ne s’était pas absenté, pour autant que cela, d’après l’état du procès original, lui sera encore applicable. »
Ainsi, vous le voyez, on ne laisse pas au ministère public, l’organe du gouvernement devant le conseil de guerre, la faculté de poursuivre ou de ne pas poursuivre.
Quand un militaire a été condamné par contumace, il faut que cette condamnation soit purgée. L’obligation pèse sur les organes du gouvernement de la faire purger ; elle l’est par arrêt du conseil de guerre, ou de la cour militaire, qui l’a condamné au bannissement.
Les principes que je viens d’énoncer sont tellement clairs que je ne crois pas qu’il soit possible de les contester.
J’oubliais de répondre à une observation qu’a faite M. le ministre des travaux publics et que je n’ai pas comprise. C’est lorsqu’il a dit qu’il n’y avait pas possibilité de mettre M. Vandersmissen en jugement.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Sans doute. A cause de l’article 20 du traité.
M. de Brouckere – Mais il n’y avait pas lieu à amnistie, puisqu’il est établi que la condamnation devait nécessairement être purgée.
Mais, dit-on, au moment où la paix venait d’être signée, où une réconciliation de bonne foi s’opérait entre deux nations ennemies depuis neuf ans, n’aurait-il pas été bien fâcheux qu’une condamnation sévère eût été prononcée du chef d’un crime politique. Qu’une condamnation eût été prononcée, je ne vois pas ce que cela aurait eu de fâcheux. Si elle avait été suivie d’une exécution, je l’aurais trouvée déplorable. Mais personne ne songe à demander une exécution pour crime politique. Ce que nous voulons, c’est l’exécution de la constitution et des lois.
Qu’y avait-il à faire ? Une chose bien simple. Le général Vandersmissen, condamné par contumace, se constituait prisonnier dans la prison militaire, conformément à l’article 201 du code d’instruction criminelle militaire ; l’affaire était portée devant la haute cour. Là l’auditeur général présentait telle réquisition qu’il jugeait convenable ; il pouvait même demander l’acquittement de M. Vandersmissen. La cour prononçait son arrêt, et, en supposant qu’elle se fût crue obligé de prononcer une condamnation quelconque contre le général, le droit de grâce n’était-il pas là ? N’était-ce pas le moment d’en faire l’application ? l’application du droit de grâce en cette circonstance n’aurait-elle pas eu lieu aux applaudissement de la nation entière ? Quant à moi, j’aurais été heureux de voir le ministère observer la constitution, remplir son devoir ; et le souverain faire un si noble usage du droit de grâce que lui confère la constitution.
Au lieu de cela, la conduite du ministère n’a-t-elle pas été imprudente, je ne veux pas me servir d’une autre expression. On a violé la constitution ; je le prouverai. On a violé la loi, et on a commis un acte qui a eu la réprobation de la plus grande partie de la nation et je puis dire de l’armée, puisque M. le ministre de la guerre l’a reconnu. (M. le ministre de la guerre fait un signe négatif.)
Je crois que je pourrais dire de l’armée entière ; mais comme je n’aime pas l’exagération, je me borne à dire, avec M. le ministre de la guerre, d’une partie de l’armée. Je dis donc que cette mesure a eu la réprobation de la grande majorité de la nation et d’une partie de l’armée.
Je dis que vous avez violé la constitution. En effet la constitution donne au Roi le droit de grâce dans l’acception la plus large ; mais le droit d’abolition des poursuites dont on faisait usage sous le roi Guillaume, parce que la constitution était muette à cet égard, le droit d’abolition de poursuites est interdit par la constitution. Or, c’est une véritable abolition de poursuites que vous avez prononcée. Vous avez arrêté le cours de la justice.
Vous avez empêché qu’il ne fût donné suite à la procédure contre un contumace, que le contumace ne fût pas purgé ; vous avez violé les lois, car les articles 201 et 202 du code d’instruction criminelle militaire font partie de nos lois et, je le répète, vous avez fait un acte qui a déjà eu et qui aura encore les conséquences les plus fâcheuses ; un acte qui a entraîné le blâme de la grande majorité de la nation et qui, dans ma pensée, aura les plus funestes résultats sur l’esprit militaire de l’armée ; un acte qui doit nécessairement porter atteinte à l’esprit de subordination que M. le ministre de la guerre, avec tant de raison, a cherché à inculquer à l’armée.
On croit que l’on a paré à tout, parce que l’on a imposé silence à des officiers ; mais dans leurs cœurs germe un profond mécontentement et il est des circonstances que je ne veux pas indiquer où ce mécontentement éclatera.
Je pense donc que la chambre doit se prononcer contre cette mesure ; je regarde cela comme un devoir impérieux qui lui est imposé.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Quand il s’agit de porter la parole au nom de l’armée, de parler des sentiments de l’armée, je crois avoir le droit, plus que personne, de parler contre l’interprète réel de ses sentiments.
On dit que la mesure prise par le gouvernement a été un objet de réprobation pour l’armée entière, et on se rectifie soi-même en disant pour une partie de l'armée.
Que des officiers aient éprouvé un sentiment douloureux, je crois que cela est réel, j’aurais été fâché que cela n’eût pas eu lieu ; j’ai déclaré que le ministre de la guerre l’avait éprouvé lui-même. Mais quant à une réprobation, expression qui veut dire qu’il y a eu plainte ou blâme, je dois déclarer qu’une expression de ce genre n’est échappée qu’à un très petit nombre d’officiers. On a insinué que c’était la crainte d’un châtiment sévère qui avait réprimé cette expression. Je dois démentir cette assertion.
M. Dumortier (à M. le ministre de la guerre) – Vous-même avez tout à l’heure menacé les officiers.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Certainement ; et si un acte d’insubordination quelconque se manifestait, il serait assurément réprimé. Mais ce que j’ai dit est pour l’avenir, et non pas pour le passé.
Quant au fait dont il s’agit, il a suffi de quelques remontrances pour que le très petit nombre d’officiers qui avaient exprimé un blâme aient senti qu’ils avaient manqué à leur devoir, et pour qu’ils y soient rentrés sur le champ.
Qu’on ait éprouvé un sentiment pénible, en voyant rendre, non une position dans l’armée (puisqu’il n’y a rien de cela), mais un grade à un homme qui a violé ses devoirs militaires, cela est naturel ; je le répète, je serais fâché qu’il n’en eût pas été ainsi dans l’armée. Mais entre ce sentiment et une manifestation de réprobation il y a une différence immense que tous ceux qui sont imbus de l’esprit militaire, tous ceux qui ont le droit d’en parler auront sentie.
Ce n’est pas pour violer les lois et la constitution, c’est pour respecter les lois et la constitution que l’on a reconnu un droit à un homme à la condamnation duquel il ne pouvait plus être donné suite.
On a parlé d’imprudence, messieurs ; il y a, selon moi, haute imprudence à prédire que, dans une circonstance quelconque, des hommes manqueront à leur devoir par un motif quelconque. Des prédictions de ce genre portent atteinte à l’ordre public ; ce sont de véritables prédictions au désordre. S’il y a eu de l’imprudence, elle est dans ces expressions.
On a prétendu que la loi a été violée parce qu’il n’y a pas eu jugement ; mais certainement s’il n’y eût pas eu l’article 20 du traité où le gouvernement a vu l’application de l’amnistie, toutes les dispositions du code d’instruction criminelle militaire auraient dû être appliquées. Il y aurait eu devoir pour le gouvernement, lorsque M. Vandersmissen s’est présenté, de le mettre en jugement sur-le-champ. Ce qui n’a pas permis de tenir cette conduite, c’est le respect pour le traité. C’est le respect pour le traité qui a fait reconnaître à un homme qui ne pouvait être puni, le droit d’être réintégré dans sa position, laquelle a été réduite autant qu’il a été possible.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Lorsque je me suis attaché tout à l’heure à faire connaître la position prise par le gouvernement Vandersmissen, je pourrais dire son attitude vis-à-vis du gouvernement, c’est parce que plusieurs orateurs avaient semblé croire que le ministère avait agi spontanément, sans nécessité ; qu’il aurait pu s’abstenir ou attendre. Je vous au fait connaître les circonstances qui ont précédé l’acte du gouvernement ; elles prouvent à la chambre que le ministère n’a pas agi de son propre mouvement, qu’il a été en présence de faits qu’il ne pouvait méconnaître. J’ai cité le code d’instruction criminelle ordinaire, parce qu’en matière de contumace les principes sont les mêmes devant la juridiction militaire que devant la juridiction ordinaire.
L’arrêt rendu par contumace tombe « à la charge de poursuivre contradictoirement », ajoute M. de Brouckere. Sans doute, si la possibilité de la poursuite contradictoire existe. C’est la considération sur laquelle j’avais insisté et à laquelle l’honorable membre n’a pas cru devoir s’arrêter.
L’honorable membre trouve qu’il n’y avait pas lieu à l’application de l'amnistie. Il nous dit ce qu’il aurait fait à la place du ministère : il aurait laissé juger. C’est-à-dire que le général Vandersmissen aurait été traduit devant la haute cour ; son avocat aurait excipé de l’article 20 du traité ; la haute cour aurait déclaré l’amnistie applicable. Je dis que, dans cette manière d’agir que l’honorable membre conseille au ministère, il y aurait eu imprudence et légèreté. Après l’arrêt de la haute cour, on serait venu dire ; le ministère n’a eu qu’un but, celui d’échapper à la responsabilité qui pouvait résulter pour lui de l’application franche, complète, a priori, de l’amnistie. On aurait élevé contre le ministre une accusation bien plus grave, on l’aurait rendu responsable des mesures de réaction qui ont été prises dans les parties cédées du Luxembourg, qui pouvaient l’être dans les parties cédées du Limbourg. On les aurait mis sur le compte de la conduite légère et imprudente du ministère on aurait dit : Il avait une occasion unique d’interpréter l’amnistie et d’y donner l’application la plus large ; il ne l’a pas voulu ; il a voulu échapper à toute responsabilité ; il n’a pas voulu, il n’a pas osé poser un précédent dont il aurait pu se prévaloir contre le cabinet de La Haye.
Plusieurs membres – Aux voix ! la clôture.
M. Pirson – Je demande la parole.
M. le président – Voici la proposition que fait parvenir au bureau M. Dumortier :
« La chambre a vu avec regret la conduite du gouvernement dans l’affaire du général Vandersmissen. »
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande que la discussion sur la proposition qui vient d’être déposée soit renvoyée à demain ; Elle est assez importante pour être discutée. M. Dumortier reconnaîtra lui-même qu’il n’y aurait pas de loyauté à lancer une proposition à la fin d’une séance, et à prendre une délibération sur-le-champ. Je suis prêt à répondre à différents arguments que l’on a fait valoir ; toutefois je désire la remise de la discussion à demain.
M. Dumortier – Dès le commencement de la séance j’ai annoncé la proposition que j’ai déposée ; cette proposition est celle qui exprime l’opinion de la section centrale, seulement j’ai mis la chambre au lieu de la section centrale. Toutes les convictions sont faites ; il est temps d’en finir.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Lorsqu’à la fin d’une séance on lance un amendement et que la remise de la délibération au lendemain est demandée, elle est acceptée sans difficulté, il me semble que la question soulevée par la proposition est assez importante pour mériter aussi une remise ; je ne dis pas quant à la position du ministère ! mais quant aux relations internationales en ce qui concerne l’application ultérieure du traité.
M. de Brouckere – Je désire que la discussion soit terminée aujourd’hui parce qu’elle est extrêmement délicate ; elle a quelque chose de désagréable puisqu’elle porte à nommer une personne qui est dans une position fâcheuse. Pour ma part, je n’ai pas reculé devant mon devoir, toutefois je désire que la discussion soit terminée le plus tôt possible. La proposition n’est pas nouvelle ; elle est contenue textuellement dans le rapport de la section centrale ; et les ministres ont dû s’y préparer.
M. Pirson – Je demande le renvoi à demain. N’avez-vous pas entendu dire aux ministres, pendant toute la discussion, qu’ils avaient été forcés ; que c’est avec regret qu’ils ont été obligés de prendre la mesure.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est avec répugnance que nous l’avons prise !
M. Pirson – Si, comme les ministres, vous ne faites que regretter, il en résultera que demain, dans l’Indépendant, on dira : « Le ministère est blanc comme neige ; la chambre, comme les ministres, s’est trouvée sous l’empire des circonstances, et n’a pu trouver ni d’autres moyens, ni d’autres termes qui ceux qui ont été employés ; les choses sont pour le mieux du monde… »
Le ministre de l’intérieur ayant déclaré prendre la responsabilité de la mesure, je fais la proposition suivante :
« Le ministère a blessé l’honneur national… » (On rit.)
Cela est un peu fort ; mais on peut mettre :
« Le ministère a blessé toutes les convenances en rétablissant le général Vandersmissen sur les contrôles de l’armée, quoiqu’en le plaçant en non-activité. »
M. Demonceau – La question est excessivement délicate, et c’est une raison pour y réfléchir avant de la discuter. J’ai pour habitude de faire grande attention aux conséquences d’une résolution. J’ai écouté attentivement ceux qui ont blâmé la mesure ; ils voudraient que le pouvoir judiciaire décidât ; mais si le pouvoir judiciaire est compétent, vous n’avez pas à vous occuper de la question, et d’après ce que vous avez dit, lorsqu’un jugement par contumace vient à tomber, la cour militaire doit juger.
Vous prétendez que l’article 20 du traité n’est pas applicable à l’individu dont il s’agit, mais les tribunaux, que vous dites seuls compétents pour en connaître, peuvent être d’un avis contraire à l’opinion que vous émettez ; sans doute la chambre est omnipotente, mais est-il prudent de préjuger la question ?
Ecoutez-moi, bien, je vais dire ma pensée sur ce point. Le jugement de contumace, aux termes de la loi militaire, a pu priver le général Vandersmissen de son grade ; l’on peut soutenir que ce jugement doit subsister aussi longtemps qu’il n’est pas révoqué par l’autorité qui l’a prononcé ; mais lorsque le condamné se présentera devant elle, je dis qu’elle a qualité pour décider si l’article 20 du traité est applicable. Vous portez atteinte au pouvoir judiciaire si vous adoptez la proposition qui vous est faite, ou au moins vous vous exposez à voir juger le contraire de ce que vous aurez résolu ; que ferez-vous en ce cas ? veuillez bien y réfléchir.
M. Dolez – M. Demonceau vient de produire une doctrine que je ne puis qualifier que d’étrange. Le gouvernement a pris une mesure qui a ému tout le pays, qui émeut la chambre elle-même, et M. Demonceau vient nous refuser le droit d’examiner la conduite du ministère : c’est confondre deux choses. Les tribunaux ont le droit de juger le général Vandersmissen ; mais à nous, et à nous seuls appartient le droit de juger la conduite du ministre. Si c’était à l’autorité judiciaire à en connaître, n’est-ce pas déclarer que le gouvernement a eu tort d’appeler à lui ce qui devait aller devant les tribunaux ? Si le texte de l’article 20 était douteux, c’était aux tribunaux à en décider ; puisque le gouvernement a appelé l’affaire à lui, qu’il a décidé contrairement à ce que commandent les lois sur la procédure et contrairement à ce que commandent les lois sur la procédure et contrairement au texte du traité ; je dis que la chambre a le droit de blâmer une telle conduite, et je crois qu’elle n’hésitera pas un seul instant à émettre son vote sur la proposition de M. Dumortier.
Je ne parle que sur l’incident ; mais je me réserve de parler sur la question si la discussion est renvoyée à demain.
M. Milcamps – J’appuie la proposition de remettre à demain. La section centrale n’a pas fait de proposition ; elle a exprimé un regret, et ce regret ne provoque ni blâme, ni vote ; c’est la proposition de M. Dumortier qui provoque le vote. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole ; mais aujourd’hui qu’il y a une proposition déposée sur le bureau, et une proposition fort grave, je désire pouvoir motiver mon vote sans dire quel il sera ; je veux examiner, et je demande le renvoi à demain.
M. F. de Mérode – Il me serait difficile de me décider sur une proposition pareille à celle que vient de faire M. Dumortier ; j’ai bien eu l’intention de manifester mon opinion sur un acte du gouvernement ; mais de là à une censure par un scrutin, il y a loin, et c’est une chose à laquelle je ne me suis pas préparé. Je ne puis me décider aujourd’hui, je demande la remise à demain.
M. Mercier – Je demande aussi que la discussion soit remise à demain, aussi longtemps qu’une proposition n’a pas été déposée sur le bureau, beaucoup de membres ont cru pouvoir se dispenser de prendre la parole pour développer les motifs de leur vote ; il en est qui, bien que ne pouvant partager l’opinion du ministère sur le sens de l’article 20 du traité, ne veulent pas cependant inculper ses intentions. Il est donc convenable de leur permettre d’expliquer leur pensée et d’ajourner le vote à demain.
Je demande que le vote soit ajourné à demain.
M. Pirmez – Je pense, messieurs, aussi que le vote doit être ajourné à demain. L’honorable comte de Mérode a fait tout à l’heure une observation qui a excité de l’étonnement, mais qui n’en est pas moins juste ; il y a une grande différence entre le fait de blâmer le gouvernement et celui de contribuer par son vote, à faire blâmer le gouvernement par la chambre. Nous n’étions pas appelés par le rapport de la section centrale à émettre un vote semblable à celui qu’on nous demande en ce moment et qui aurait une bien autre portée que l’expression d’opinions particulières sur un acte du gouvernement.
Il est donc juste que nous puissions réfléchir jusqu’à demain avant de voter sur la proposition dont il s’agit.
M. Rodenbach – Messieurs, dans la section centrale, j’ai voté dans le sens de la proposition de l’honorable M. Dumortier, mais je demande que la discussion soit remise à demain, parce que je désire motiver mon vote.
- La proposition d’ajournement à demain est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 5 heures.