(Moniteur belge n° 67 du 7 mars 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 1 heure et demie.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Quelques professeurs du canton de Hasselt demandent que la chambre s’occupe de la loi sur l’instruction publique. »
Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de la loi sur l’instruction publique.
« L’administration communale de Saint-Paul (Flandre orientale) adresse des observations contre les pétitions tendant à majorer le droit sur le lin à la sortie. »
- Renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
M. Delehaye – Messieurs, il est d’usage dans tous les pays constitutionnels, lorsque le gouvernement met à exécution un traité important, que les ministres fassent connaître que la résolution a été prise sur des raisons fondées. Les journaux viennent de nous apprendre qu’un premier paiement a été effectué à la Hollande, conformément à l’article 13 du traité du 19 avril ; jusqu’ici cependant le gouvernement avait cru ne pouvoir exécuter ce paiement, en présence des nombreuses réclamations qui sont faites. Je demanderai si le paiement a été effectué de manière à laisser assez de garanties pour exécuter les reprises, s’il y a lieu.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs je puis donner les explications qu’on demande. Il est vrai que le gouvernement belge a payé un semestre de la rente due en vertu du traité du 19 avril, moyennant certains retours de la part de la Hollande ; mais ce paiement ne préjuge rien quant aux garanties ; il ne constitue qu’un pur fait.
M. Delehaye – J’ai demandé si les raisons qui avaient d’abord engagé le gouvernement à ne pas payer jusqu’à présent, n’existent plus maintenant, et c’est à quoi le ministre n’a pas répondu. J’ai trop bonne opinion du gouvernement pour ne pas croire qu’il a des raisons pour effectuer le paiement ; mais, malgré ce paiement, les garanties pour les réclamations subsistent-elles encore ?
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le préopinant vient de répondre lui-même à sa question quand il a supposé que ce n’est pas sans raison que le gouvernement a payé un semestre ; c’est parfaitement vrai. Ainsi que je l’ai dit, ce paiement ne constitue qu’un fait en n’engage à rien, ne préjuge rien.
M. le président – Voici les amendements présentés à l’article 3. Paragraphe à ajouter à l’article 3 :
« S’il y a eu préméditation, l’emprisonnement sera de trois mois à deux ans et d’une amende de 300 à 2,000 francs », d’après la proposition de M. de Roo.
« Celui qui a excité au duel ou celui qui, par des actes ou paroles injurieuses, a pu y donner lieu, » est la rédaction proposée par M. Metz.
« Ceux qui auront instigué une personne à se battre en duel, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cent francs à mille francs, » est la proposition faite par M. Van Cutsem.
M. de Villegas – Plusieurs amendements sont proposés à l’article 3. L’amendement présenté par M. de Roo me semble détruire l’économie de la loi et l’échelle des peines, car il inflige des peines aussi sévères contre l’excitation au duel que pour le cas où le fait a eu lieu avec ses résultats les plus sanglants. Je trouve que dans la loi on peut proportionner la peine conformément aux circonstances qui sont laissées à l’appréciation des juges, et qu’elle est préférable à l’amendement.
Quant à l’amendement de M. Van Cutsem, je pense aussi qu’il ne peut être adopté. M. le rapporteur vous a fait remarquer qu’il faut distinguer l’excitation de l’injure, parce que l’excitation est l’effet du tiers, et que l’injure est la cause véritable du duel ; ainsi l’amendement est inutile.
Quant à la proposition de M. Metz, je préfère celle de M. Fleussu, laquelle embrasse tous les cas et laisse toute latitude aux tribunaux.
Maintenant, je désirerais obtenir quelques éclaircissements sur l’article 3 en discussion. Cet article porte que celui qui a excité au duel ou qui, par des injures, aura donné lieu à la provocation, sera puni d’une peine corporelle ; mettez cet article 3 en regard de l’article 7 où il s’agit d’une complicité pour excitation, ainsi voilà deux dispositions qui traitent de l’excitation ; il me semble qu’elles ne peuvent exister simultanément sans que, dans la pratique, il n’en résulte des doutes quant à l’application. Je livre ces observations à la sagacité des auteurs des amendements.
M. de Roo – On dit que mon amendement pose sur la même ligne les faits de provocations avec les faits eux-mêmes ; mais mon amendement a pour but de pouvoir punir proportionnellement le délit en laissant une latitude plus grande que celle présentée par l’article 5 où la peine est portée de 2 ans à 5 ans et de 1,000 à 10,000 francs. Toutefois, je ne tiens pas beaucoup à mon amendement, et je demanderai au ministre de la justice s’il croit que la pénalité de l’article 3 est suffisante pour réprimer tous les faits qui ont donné lieu à l’excitation, c’est-à-dire, les voies de fait : il serait absurde de punir les voies de fait qui ont excité le duel d’une peine de un mois à un an, tandis que le code pénal punit les voies de fait de 2 à 3 ans. Quoique nous fassions une loi spéciale, on peut la mettre en harmonie avec le code pénal.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Pour répondre aux observations faites par l’honorable préopinant, je ferai remarquer qu’il a signalé un cas spécial qui, à mon avis, ne se trouve pas compris dans la disposition dont il s’agit ; ce cas est prévu par l’article 31 du code pénal, c’est celui des coups et blessures. Si des blessures ont été faites, si des coups ont été portés avec préméditation et guet-apens, la peine est de deux ans à cinq ans. Mais ce délit de coups et blessures existe indépendamment d’une provocation à un duel par une injure quelconque. Si des coups et blessures amènent une provocation au duel, qu’en résultera-t-il ? c’est qu’il y aura deux dispositions de loi à appliquer ; eh bien, les tribunaux connaissent la disposition de l’article 365 du code criminel, lequel inflige la peine la plus forte dans le cas d’un double délit.
Messieurs, ce qui concerne cet article 3, résultat d’un amendement présenté au sénat par mon prédécesseur, a été bien expliqué par son auteur ; il tenait à ces expressions « injures quelconques », à cause de leur généralité. Voilà ce qu’il disait dans la séance du sénat du 26 décembre 1836.
« Il vaut mieux se servir des mots : « une injure quelconque ». De cette manière, il n’y aura pas moyen d’échapper à la loi, je me suis expliqué à cet égard ; j’entends une injure de quelque manière que ce soit, faits, gestes, écrits, menaces, n’importe de quelle manière, elle sera punie.
« Je n’ai pas prétendu que l’on punît l’injure qui ne serait pas de nature à donner lieu à la provocation, et qui n’en serait que le prétexte. Celui qui est trop susceptible, et qui a envie de se battre, profite souvent du motif le plus léger pour provoquer, alors qu’on n’a pas eu l’intention de l’insulter. Les juges apprécieront les circonstances du fait ; ils verront s’il y a eu véritablement une injure, une offense volontaire qui pouvait naturellement amener une provocation. »
Je crois, messieurs, que lorsqu’on a ces explications, qui ont été données en même temps que l’on a présenté la disposition, on ne peut pas élever de doute sérieux sur le sens de cette disposition, et je pense que la disposition qui a été proposée par mon honorable prédécesseur et mûrie par lui, est préférable aux amendements proposés dans la séance d’hier. Je crois même qu’il est inutile de revenir sur ces amendements. C’est assez dire que je n’en puis adopter aucun. Je pense que celui de M. Van Cutsem n’a aucune chance d’être adopté. Quant à celui présenté par M. de Roo, je crois, d’après les explications qu’il a données, qui sera retiré. Reste donc celui de M. Metz, eh bien, messieurs, il me semble que les expressions « injure quelconque » sont préférables à celles qu’il propose, que les explications données sur le sens des expressions du projet et qui n’en sont en quelque sorte que la paraphrase, démontrent suffisamment qu’il y a lieu de préférer ces expressions.
M. le président – Voici un amendement que M. Fleussu vient d’adresser au bureau :
« Celui qui a excité au bureau ou à celui qui a donné lieu à la provocation. »
M. Fleussu désire-t-il développer cet amendement ?
M. Fleussu – Je l’ai déjà développé hier. Je céderai la parole à M. Metz, qui l’a demandée.
M. Metz – Je disais hier, messieurs, que le mot « quelconque » accolé à un autre mot, qui est destiné à qualifier un acte répréhensible, me paraissait d’une élasticité extraordinaire. En effet, messieurs, j’ai eu beau me creuser la tête pour chercher, dans les dispositions pénales qui nous régissent encore aujourd’hui, un mot qui ressemble seulement à ce mot « quelconque », il m’a été impossible d’y rencontrer une seule expression de cette nature. Il n’est donc pas raisonnable d’introduire un mot d’une extension aussi effrayante que le mot « quelconque », dans une loi nouvelle et surtout dans une loi sur le duel. L’honorable ministre de la justice sait fort bien qu’il est un principe de droit portant que la meilleure loi est celle qui ne laisse pas beaucoup à l’arbitraire du juge, le meilleur juge est celui qui n’abandonne pas beaucoup à son propre arbitre : « optima lex quoe minimum judici, optimus judex qui minimum sibi. »
Pourquoi donc la loi est-elle établie ? Elle est établie pour poser, autant que possible, avec une exacte précision, les faits qu’il s’agit de punir. Si donc vous laissez à l’arbitraire du juge le soin d’indiquer les faits que vous entendez punir, ce n’est plus faire une loi, ce ne serait plus la loi qui déciderait, ce serait le juge ; c’est évidemment ce que nous ne voulons pas établir. Il faut au moins que la loi trace au juge certaines règles dont il ne puisse pas s’écarter ; il faut préciser, autant que possible, les faits sur lesquels le juge aura à se prononcer. C’est ce que je propose de faire par mon amendement, d’après lequel seraient punis celui qui a excité au duel et celui qui, par des actes ou des paroles injurieuses, aura pu donner lieu à la provocation. Il me semble que cette rédaction serait infiniment plus naturelle, plus juste, plus digne d’une loi que celle qui laisserait tout faire par le juge.
D’après les principes que je viens de vous soumettre, je dois m’opposer, messieurs, à l’amendement présenté par l’honorable M. Fleussu. Cet honorable membre propose de dire : « Celui qui a excité au duel ou celui qui a donné lieu à la provocation. » Eh bien, il y a dans cette rédaction quelque chose de tout aussi élastique que les expressions « injure quelconque » ; cette rédaction livrerait également tout à l’arbitraire du juge. « Celui qui a pu donner lieu à la provocation » ; comment pourriez-vous apprécier la nature des faits qui pourraient avoir donné lieu à une provocation ? cela dépendra du degré de susceptibilité du juge. Une parole, un geste tout à fait inoffensif pourra dans certains cas être considéré comme ayant pu donner lieu à une provocation. Evidemment, messieurs, il faut dans la loi pénale définir les faits d’une manière plus positive ; il faut poser des règles aussi précises que possible.
M. Liedts, rapporteur – J’ai droit de m’étonner, messieurs, que ceux qui veulent justifier le duel, qu’ils considèrent comme un remède contre les injures et la calomnie, s’opposent à un article qui a précisément pour but de prévenir les injures qui donnent souvent lieu au duel. Remarquez, messieurs, que l’élasticité dont se plaint l’honorable membre est ici dans la nature des choses, et qu’il est fort désirable de l’introduire aussi dans la loi. Je vais vous faire comprendre, par un exemple, qu’en fait d’injures qui peuvent donner lieu au duel les actes empruntent souvent leur caractère de gravité uniquement des circonstances qui les accompagnent. Je suppose que quelqu’un se promène au Parc, par exemple, tenant au bras une femme voilée, et qu’un impertinent s’avise de soulever le voile de cette dame et de la regarder face à face ; évidemment on verrait là une offense grave, et si jamais une injure a motivé une provocation, ce serait bien dans un cas semblable ; cependant l’honorable M. Metz conviendra que cet acte en lui-même, abstraction faite des circonstances qui l’accompagnent, ne constitue pas une injure. Nous devons donc laisser beaucoup de latitude au juge pour l’appréciation des actes qui constituent l’injure, et la loi ne sera bonne qu’autant qu’elle remplira cette condition.
Après tout, messieurs, qu’elle est cette règle que l’honorable M. Metz voudrait prescrire au juge ? Il veut substituer aux mots : « injure quelconque », ceux-ci : « actes ou paroles injurieuses. » Eh bien, je prétends que si ce changement était adopté, le juge aurait la même latitude, car il aura toujours à décider si tel acte, telle parole constitue un acte injurieux, une parole injurieuse ; telle parole prononcée sur un certain ton peut fort bien n’être qu’une raillerie innocente, tandis que, prononcée sur un autre ton, elle constituerait une injure ; tel acte constituera une injure lorsqu’il sera fait en public, et n’en sera pas une lorsqu’il sera fait à huis clos ; enfin il y a mille circonstances qui peuvent modifier la nature d’un fait, et la loi ne sera complète qu’autant que nous laisserons sous ce rapport une grande latitude au juge ?.
L’honorable M. de Villegas a fait remarquer que l’article 3 lui semble faire double emploi avec l’article 7 ; il est dit en effet, dans l’article 3, que celui qui a excité au duel sera puni, et l’on trouve également dans l’article 7 que des personnes qui n’auront en réalité qu’instigué le duel seront punies comme complices ; mais, en y réfléchissant bien, on s’aperçoit que le sénat et la section centrale ont voulu établir une distinction : l’article 7 punit comme complices ceux qui par dons, promesses, menaces, etc., ont provoqué le duel ; d’après les expressions de cet article, on voit qu’il ne s’applique que lorsque le duel est consommé, tandis que l’article 3 punit ceux qui ont instigué le duel, qui ont excité au duel, alors même que le duel n’aurait pas eu lieu, de la même manière que vous punissez quoiqu’il n’y ait pas eu de duel proprement dit, celui qui a donné lieu à la provocation par des injures.
Celui qui, par une injure, a donné lieu à une provocation en duel, est punissable, quand même le duel ne s’en serait pas suivi et que les parties se seraient raccommodées plus tard. Eh bien, de la même manière, on a voulu punir celui qui aurait excité à une provocation, en discréditant une personne, en la traitant de lâche dans un lieu public, pour n’avoir pas accepté ou provoqué un duel.
Voilà l’explication que j’ai cru pouvoir donner à l’honorable M. de Villegas, au nom de la section centrale.
M. de Roo – Messieurs, il résulte des explications de M. le ministre de la justice, que lorsque ce sont des voies de fait qui ont donné lieu à une provocation, ce n’est pas l’article 3 de la loi en discussion qu’on appliquera, mais bien l’article 311 du code pénal combiné avec l’article 363 du code d’instruction criminelle. Comme c’est principalement contre les voies de fait que mon amendement était dirigé, je déclare que je suis satisfait des explications qui ont été données, et qu’en conséquence je retire mon amendement.
M. Fleussu – Messieurs, si l’on veut renfermer le juge dans un cercle, si l’on veut lui tracer des règles d’appréciation, il faut renoncer à faire une loi sur le duel. De même, si l’on veut en venir à l’application des principes généraux qui ont été invoqués par l’honorable M. Metz, il faut laisser le moins d’arbitraire possible dans la loi. Mais je soutiens que ces maximes ne peuvent pas être appliquées, lorsqu’il s’agit d’une loi tout à fait exceptionnelle, car il ne faut pas perdre de vue que c’est une loi tout à fait spéciale que nous faisons, une loi à part, une loi qui, si je puis m’exprimer ainsi, est en quelque sorte en dehors des principes généraux. En effet, s’il était question de faire l’application des principes généraux, la loi en discussion ne serait pas nécessaire. Il ne faut donc pas se faire illusion sur les maximes qu’on a invoquées, et les prendre en trop grande considération.
Messieurs, il y a trois amendements qui ont été présentés sur l’article en discussion. Je ne parlerai ni de celui de M. de Roo, ni de celui de M. Van Cutsem. Quant à l’amendement de M. Metz, j’étais assez disposé à l’appuyer ; mais maintenant que j’y ai réfléchi davantage, je ne pourrai l’adopter, parce qu’il est véritablement restrictif.
L’honorable M. Metz et moi, nous différons complètement de sentiment en cette matière. M. Metz veut tracer des règles au juge ; moi, je veux que le juge puisse apprécier les injures de la manière la plus large. Il est impossible de préciser dans une loi tous les faits qui peuvent caractériser une injure.
Messieurs, on vous a dit qu’une loi sur le duel était une chose très difficile ; on vous a représenté le duel comme un legs des temps de barbarie, comme un préjugé atroce ; mais, messieurs, si le duel n’avait été qu’un legs des temps de barbarie, s’il n’avait été qu’un préjugé féroce, il y a longtemps que la raison publique en eût fait justice. S’il a résisté et aux épreuves du temps et aux attaques moralistes, et aux anathèmes de la religion, c’est qu’il prend son point d’appui sur autre chose que ces traditions anciennes et bien malheureuses… L’homme outragé a besoin de vengeance. Lorsque la loi lui promet sa protection, il doit se plier à la volonté de la loi, et attendre sa vengeance de la justice humaine ; mais malheureusement jusqu’à présent, nous n’avons pu faire des lois, en matière d’injures, telles que tous les cas puissent s’y rencontrer. Le duel donc a été jusqu’ici un grand fait qui a témoigné de l’insuffisance des lois humaines ; c’est ce qui lui a servi d’excuse, et si un jour nous parvenons à faire cesser cette excuse, il sera vrai de dire alors que le duel est un acte barbare.
Il aurait donc fallu commencer par modifier toute notre législation en matière d’injures et de calomnie : c’était là le point principal. Les lacunes que présente cette législation sont véritablement la cause des duels ; or, que faisons-nous ? nous réprimons les effets et nous laissons subsister la cause du mal.
Je donnerai mon assentiment à la loi en discussion, toute imparfaite qu’elle est à mes yeux, je ne veux pas refuser mon appui à une loi qui peut apporter de grandes améliorations dans la société. C’est à titre d’essai que j’approuve la loi, mais pour que cet essai soit heureux, il faut que nous nous hâtions de modifier notre législation sur les injures et la calomnie. J’engage donc le gouvernement à présenter le plus tôt possible un projet de loi sur la matière. J’aurai l’honneur de lui rappeler qu’un docteur en droit, homme très instruit, a fait sur cette matière des observations judicieuses, je veux parler de l’honorable M. Hauss, professeur à l’université de Gand, qui a fait des remarques sur le projet de révision du code pénal, et la partie relative aux injures et à la calomnie est peut-être la plus remarquable de son travail.
Vous comprenez, messieurs, que puisque nous n’avons pas encore modifié notre législation sur les injures, il convient de laisser la plus grande latitude au juge. Je voudrais que des propos qui auraient été tenus même en l’absence de celui qui par suite de ces propos a provoqué un duel, pussent être considérés comme des injures. Pour cela, la rédaction que je propose réaliserait parfaitement mon idée, par la suppression des mots : « par une injure quelconque. » Je crains qu’en laissant subsister ces mots, le juge ne se croie obligé de faire l’application de la loi, alors même qu’il s’agit d’une injure apparente, d’une injure qui n’aurait pas été de nature à provoquer un duel.
Or, pour mettre le juge à l’aise, je le laisse appréciateur absolu des circonstances qui ont pu provoquer le duel. Si le juge, après avoir pesé toutes les circonstances de l’affaire, trouve dans sa conscience que ce qu’on reproche comme un manque d’égard, comme un outrage, n’a pas le caractère que veut lui donner le provocateur du duel, il ne punira pas celui qui aura été l’objet de la provocation.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, plusieurs observations ont été faites sur le projet, je vais les parcourir successivement ; il y a déjà été répondu en partie.
L’honorable rapporteur de la section centrale a fait remarquer que l’article 3 se concilie très aisément avec l’article 7.
Quant aux objections qui sont relatives aux autres lois pénales, je crois y avoir également répondu. Mais hier on a présenté une autre observation sur le même article. On vous a dit : « Mais la peine est moindre que dans le cas de la calomnie, où elle peut être portée de 2 à 5 ans ; la peine est moindre que dans le cas d’un juge qui serait outragé dans l’exercice de ses fonctions, ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. »
Messieurs, un magistrat serait bien à plaindre, s’il devait répondre par des provocations à tous les outrages, c’est un cas qui doit arriver fort rarement. Si un magistrat est outragé dans l’exercice de ses fonctions, le code pénal s’appliquera, et il ne sera pas question de la loi actuelle.
Quant à l’article 371 du code pénal, je ferai remarquet, que lorsqu’il y aura délit de calomnie, et que même ce délit aura donné lieu à une provocation en duel, le fait de calomnie tel qu’il est défini par la loi, étant bien caractérisé, on appliquera les peines de la calomnie.
Faut-il maintenant répondre à ce qu’on a dit relativement à l’origine du duel ? On a prétendu contre toutes les notions reçues, que la manie du duel est le résultat d’une soif de vengeance, et qu’elle n’est pas un héritage des temps de barbarie. Messieurs, il suffit de consulter l’histoire pour voir que cette manie n’est qu’un reste de ces temps barbares et que le duel provient de ces guerres privées si communes pendant le régime féodal. Croit-on que les Grecs et les Romains, chez lesquels le duel était inconnu, n’avaient pas de courage ? Croit-on que chez ces peuples ne régnait pas la soif de vengeance ? mais l’histoire nous démontre absolument le contraire, et cependant, je le répète, le duel état inconnu parmi ces peuples. Nous ne pouvons donc pas assigner au duel les causes qui ont été signalées par l’honorable préopinant.
Toutefois, je n’en conçois pas moins, comme je l’ai déjà dit dans une autre séance, que les lois sur les injures et les calomnies ont besoin d’être révisées. J’ai dit de plus que la procédure elle-même devait être soumise à une révision.
Messieurs, ceci me conduit à la disposition que nous discutons en ce moment, et qui est relative à l’injure qui aurait donné lieu à une proposition en duel. Sur ce point il reste deux amendements à discuter, celui de M. Metz et celui de l’honorable M. Fleussu. Ces deux amendements sont absolument en sens contraire, et je vous avoue que je ne puis adopter ni l’un ni l’autre Je préfère la disposition du projet, telle qu’elle avait été proposée par mon honorable prédécesseur, et telle qu’elle a été adoptée par le sénat.
Quant à l’amendement de M. Metz, je trouve qu’il définit trop ou pas assez. Quand il y aura eu des actes ou des paroles qualifiées d’injurieuses, il pourra y avoir difficulté de savoir si ces paroles, si ces actes sont réellement injurieux ; le vague sera le même. Il y a des injures aussi graves que celles résultant d’actes ou de paroles, par exemple, celles résultant des écrits, qui ne seront pas prévues avec cette rédaction ; tandis que tous les cas seront prévues si vous dites « par une injure quelconque. »
On a dit (c’était la maxime du chancelier Bacon) que la meilleure loi est celle qui laisse le moins à l’arbitraire du juge, et que le meilleur juge est celui qui use le moins d’arbitraire. Il y a une autre maxime qu’on peut également concilier, c’est que l’arbitraire du juge est moins à craindre que l’arbitraire de la loi. Ces deux maximes ne sont pas contradictoires. Il est facile de les concilier, si la loi peut prévoir les cas, et les définir d’une manière précise, alors on appliquera la maxime de Bacon. Mais si la loi ne peut pas les prévoir ; si elle ne peut caractériser les délits ; si la variété des faits en fait échapper la définition au législateur, alors on appliquera l’autre maxime. Par suite, c’est cette dernière maxime qui doit être appliquée dans les dispositions que nous discutons.
Je crois, du reste, que l’arbitraire du juge est moins à craindre que celui de la loi. Vous devez craindre l’arbitraire de la loi ; car il peut en résulter que vous atteindriez des cas moins graves que d’autres qui ne seraient pas prévus dans des définitions trop restreintes, et pour lesquels le juge ne pourra condamner.
La maxime du chancelier Bacon doit être jugée d’après les temps où vivait son auteur ; alors elle a pu produire beaucoup de bien ; il fut une époque où l’on condamnait, non d’après une loi formelle pour les cas résultants du procès et d’après des règles arbitraires qu’on qualifiait d’équité ; ce qui avait fait dire ; « Dieu nous garde de l’équité du parlement ! » mais en sera-t-il ainsi aujourd’hui ! Dans ce cas actuel, le juge ne sera-t-il pas obligé de donner les motifs de sa décision ! Vous voyez que nous n’avons pas à craindre l’arbitraire des magistrats et que la disposition du projet vaut mieux que l’amendement de l’honorable M. Metz.
Je viens à la suppression proposée par l’honorable M. Fleussu. Je crois que si nous devons admettre l’arbitraire du juge dans l’appréciation des faits, cependant il est toujours bon d’y donner de certaines limites, sans tomber ni dans un excès ni dans l’autre. Le juste milieu est quelquefois le meilleur parti. Si vous retrancher les mots : « par une injure quelconque », le juge devra punir celui qui aura donné lieu à la provocation d’une manière quelconque ; par exemple, celui qui aura marché sur le pied de quelqu’un ou craché sur lui, sans aucune intention de l’offenser, ce qui peut arriver, quand on ne voit pas la personne qu’on a près de soi. Cela peut donner lieu à un duel ; et cependant il n’y a pas d’injure. Mais si vous maintenez les mots « par une injure quelconque », dans ce cas-là, le juge ne pourra condamner ; car il n’y a pas d’injure sans intention d’injurier. Mais dans le cas d’injure, il appliquera la loi.
Je crois donc qu’il y a lieu de rejeter les deux amendements qui iraient trop loin, soit dans un sens, soit dans un autre.
M. Fleussu – J’ai deux mots à dire, moins sur la loi que sur la manière dont M. le ministre de la justice a interprété les paroles proférées par moi à la séance d’hier. Soit que je me suis mal exprimé, soit que mes paroles aient été mal recueillies, j’ajoute qu’elles sont assez singulièrement rendues dans le Moniteur. M. le ministre de la justice a compris ce que j’ai dit hier comme si j’avais prétendu que les magistrats seraient dans la position d’avoir des duels avec ceux qui leur auraient manqué à l’audience. Je respecte trop la magistrature, et je sais trop par position ce que les magistrats se doivent à eux-mêmes pour faire une supposition pareille. Mais un honorable membre avait trouvé une anomalie dans la loi ; j’ai fait observer qu’il y en aurait bien d’autres ; et j’ai dit notamment que les magistrats que la loi protège d’une manière spéciale pourront se trouver moins protégés que les simples particuliers ; mais il n’est nullement entré dans ma pensée de mettre un magistrat en contact avec un homme qui lui aurait manqué d’égards.
M. Van Cutsem retire son amendement.
L’amendement de la section centrale consistant à supprimer les mots « ou celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation », est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’amendement de M. Metz, consistant à commencer l’article par ces mots : « celui qui a excité au duel ou celui qui, par des actes ou paroles injurieuses, a pu y donner lieu » est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’amendement de M. Fleussu consistant à supprimer les mots : « par une injure quelconque est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article 3 du projet du sénat est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Art. 3. Celui qui a excité au duel, ou celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, et d’une amende de cent francs à mille francs. »
La chambre passe à l’article 4, ainsi conçu :
« Art. 4. Celui qui, dans un duel, aura fait usage de ses armes contre son adversaire, sans qu’il soit résulté du combat ni homicide, ni blessure, sera puni d’un emprisonnement de deux mois à 18 mois, et d’une amende de deux cents à quinze cents francs.
« Celui qui n’aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire, sera puni des peines comminées par l’article premier. »
M. le président – M. Metz propose la suppression du deuxième paragraphe de cet article. La parole est à M. Metz pour développer cet amendement.
M. Metz – Nous voulons tous prévenir le duel. Mais si nous voulons le prévenir, c’est surtout à cause des graves conséquences qu’il peut entraîner, des malheurs qui en sont souvent la suite.
Dans l’article 4, nous trouvons deux dispositions : la première qui condamne l’individu qui se rend sur le terrain et qui fait usage de ses armes contre son adversaire, sans l’atteindre, sans le blesser ni le tuer. Celui-là est puni ; et je conçois qu’il puisse l’être ; car il a voulu donner la mort à son adversaire ou dans tous les cas le blesser plus ou moins grièvement. Mais le deuxième paragraphe punit également celui qui n’aura pas fait usage de ses armes. Celui-là doit-il être puni ? Je ne le crois pas. Vous punissez par l’article premier celui qui a provoqué en duel, par l’article 3 celui qui a excité au duel et celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation.
Voilà celui qui a donné lieu à la provocation puni encore ; voilà, en troisième lieu, puni celui qui use de ses armes sans atteindre son adversaire, qui ne le blesse pas ou ne le tue pas, parce qu’il n’a pas assez d’adresse pour l’atteindre. Mais pour celui qui n’a pas été provocateur, qui n’a pas excité par des injures à la provocation, qui s’est laissé traîner, le préjugé au cou, sur le terrain, pour satisfaire au point d’honneur qui domine la société, et qui, se trouvant en face de son adversaire, essuie courageusement son feu, n’est pas atteint, et, tenant peut-être entre ses mains la vie de son adversaire, a la générosité de lui laisser, en tirant en l’air, vous le puniriez encore ! Ce serait une injustice, ce serait une barbarie de punir un homme qui s’est conduit d’une manière aussi honorable, alors qu’il n’a adressé ni injure, ni provocation et a été mené sur le champ de bataille par un préjugé que nous subissons tous. Vous ne pouvez pas le punir !
Je voudrais pouvoir imiter le ton de persiflage avec lequel M. le ministre de la justice répondait hier à un de mes honorables collègues. Cet homme qui laisse un mari à un femme éplorée, un père à ses enfants, un fils à sa mère, la loi est assez cruelle pour le punir ! c’est une barbarie, c’est plus, c’est un acte impolitique ; vous ne laissez aucune chance à la générosité quand vous dites à un homme qui, sur le champ de bataille, pourrait ménager son adversaire : Que vous tiriez ou que vous ne tiriez pas, c’est la même chose, vous serez puni d’un mois à trois mois de prison ; c’est lui dire : Venge-toi, tue, casse, frappe, brise, car tu seras toujours puni que tu te venges ou que tu ne te venges pas ; venge-toi parce que la vengeance est le plaisir des dieux.
Je le répète, une disposition semblable est barbare et impolitique.
D’après cela, il y a lieu, selon moi, de biffer le paragraphe 2 de l’article 4. Il faut engager tout homme d’honneur à ménager son adversaire quand il n’y a plus rien à craindre des événements du combat. Vous atteindrez à ce but si vous absolvez celui qui aura tenu la conduite honorable que je viens d’avoir l’honneur de vous signaler, ce que vous ne ferez pas si vous punissez celui qui n’a d’autre tort que de ménager son adversaire quand il pouvait le tuer.
M. Van Cutsem propose d’amender de la manière suivante la dernière disposition de l’article 4 :
« Celui qui n’aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire n’encourra aucune peine.
« Sont réputées armes : les sabres, pistolets, fleurets et toutes armes à feu. »
M. Van Cutsem a la parole pour développer son amendement.
M. Van Cutsem – Le paragraphe deux de l’article 4 punit le duelliste qui n’a pas fait usage de ses armes de la peine comminée à l’article premier du projet de loi sur le duel ; pour moi, je voudrais que celui qui, dans un duel, après avoir essuyé le feu de son adversaire n’aura pas fait usage de ses armes, n’encourût aucune peine, parce qu’alors il n’y a pas eu, à proprement parler, de duel ; car il n’y a de duel, duellum, bellum inter duos, que lorsqu’il y a attaque et défense réciproques ; je voudrais encore que celui qui n’a pas fait usage de ses armes contre son adversaire, en tirant, par exemple, en l’air, ne fût pas puni, parce qu’il s’est montré généreux, et parce que cette impunité est le plus fort stimulant pour engager le combattant qui a essuyé le feu de son adversaire à ne pas tirer à son tour et à terminer la querelle par un acte de générosité.
L’impunité de celui qui n’a pas fait usage de ses armes, après avoir essuyé le feu de son adversaire, est conforme aux principes généraux de notre système pénal, qui ne punit la tentative de crime que lorsqu’elle n’a pas été suspendue ou lorsqu’elle n’a pas manqué son effet par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de l’auteur ; or celui qui, après avoir essuyé le feu de son adversaire, a la générosité de ne pas tirer sur lui et d’interrompre ainsi le combat singulier qui se livrait entre eux, suspend évidemment, par des circonstances dépendantes de sa volonté, le duel qu’il n’avait jusque là fait que tenter : d’où la conséquence que si on le punit, on agit avec plus de sévérité à son égard qu’envers celui qui se sera rendu coupable de la tentative d’un assassinat qu’il n’aura pas commis par des circonstances indépendantes de sa volonté, ce qui n’est pas admissible.
L’article 4 du projet du sénat et le même article de la section centrale ne définissant pas ce qu’ils entendent par le mot armes, je crois que la chambre ne peut adopter cet article sans combler la lacune que je viens de lui signaler ; sans cela un paysan serait un duelliste : en effet, si le législateur ne détermine pas dans l’article 4 ce qu’il entend pas le mot armes, que fera le juge ? Le juge aura recours à notre législation pénale ordinaire, et il verra que l’article 101 du code pénal range sous cette classification le bâton, et à défaut de détermination précise dans la loi sur la répression du duel, il comprendra aussi le bâton au nombre des armes dont l’usage est défendu dans un combat singulier.
On me dira peut-être qu’il est inutile de déterminer la signification du mot armes, parce qu’il sera résulté des discussions qui auront lieu dans cette enceinte que l’on ne devait entendre par ce mot que les armes ordinaires de guerre ; mais depuis quand les lois pénales peuvent-elles avoir l’élasticité qu’on veut leur donner à l’occasion de la loi sur le duel, lorsque les auteurs les plus distingués ont voulu que tout fût clair et précis dans une loi pénale, lorsque tous les auteurs ont défendu de raisonner par analogie en matière pénale, et depuis quand enfin les discussions qui ont eu lieu à l’occasion d’un projet de loi peuvent-elles, comme on a semblé le dire, être considérées comme parties intégrantes de la loi et être obligatoires pour les juges ?
Lorsque le législateur de 1810 s’est servi, dans ses lois pénales, du mot armes, il a senti la nécessité de définir ce qu’il entendait par cette expression ; lorsque la chambre des pairs en France, a été saisie, en 1839, d’un projet de loi sur la répression du duel, elle a aussi expliqué ce qu’elle entendait par le mot armes ; pourquoi ne ferions-nous pas comme ces législateurs, au nombre desquels on comptait les plus grandes lumières de France, c’est ce que je ne puis m’expliquer.
Ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, messieurs, me porte à vous proposer l’amendement suivant à l’article 4 du projet de loi du sénat et de la section centrale :
« Art. 4. Celui qui aura faire usage, dans un duel, de ses armes contre son adversaire, sans qu’il soit résulté du combat ni homicide, ni blessure, sera puni d’un emprisonnement de deux mois à 18 mois, et d’une amende de deux cents à quinze cents francs.
Celui qui n’aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire n’encourra aucune peine.
« Sont réputées armes : les sabres, pistolets, fleurets et toutes armes à feu. »
M. d’Huart – Messieurs, je pense, contrairement à l’opinion des auteurs des amendements proposés, qu’il faut maintenir, dans l’article 4, le deuxième paragraphe, dont M. Metz demande le retranchement, et pour lequel M. Van Cutsem présente une rédaction nouvelle. L’on a en vue, par la loi qui vous est soumise, d’empêcher le duel, et l’on qualifie celui-ci de délits ; or, l’un et l’autre de ces amendements auraient pour effet de déclarer, par une sorte de contresens, ce délit non punissable dans certains cas. Le fait même de se rendre sur le terrain, de se mettre en face de son adversaire, et d’essuyer le feu de son pistolet, ne serait pas punissable par la loi, qui cependant punirait la simple provocation.
M. Metz trouve que la générosité de celui qui, ayant exposé sa vie, n’aura pas fait usage de ses armes, devrait être louée et non punie ; et il ajoute qu’il ne faut pas, par la loi, porter à se servir de son arme celui qui, sans cela, n’en aurait peut-être pas fait usage ; d’abord il ne s’agit ici que de punir l’action d’avoir accepté le duel, lequel est considéré comme délit par la loi ; en second lieu, cette objection, que la peine comminée porterait le combattant à regarder la générosité comme de la duperie, n’est pas sérieuse.
Si l’on considère que, d’après le paragraphe dont il s’agit, on inflige à celui qui n’a pas fait usage de ses armes la peine minime prononcée par l’article premier (peine que je ferai tous mes efforts pour rendre au besoin moindre encore, en donnant la faculté aux juges de la réduire selon les termes de l’article 463 du code pénal, lorsqu’il y aura des circonstances atténuantes), tandis que s’il fait feu, la moindre peine est de deux mois d’emprisonnement et peut s’élever à 18. Ainsi, messieurs, vous n’encouragez nullement à faire usage de ses armes celui qui voudrait user de sa générosité. Vous le punirez toutefois, pour avoir accepté le duel ; si vous ne le punissez pas, vous ne seriez pas d’accord avec les prémisses de la loi qui renferment des dispositions préventives d’après lesquelles les faits qui sont seulement de nature à amener le duel sont punissables.
Je pense qu’il ne me reste presque rien à dire sur l’amendement de M. Van Cutsem. Cet amendement, conçu dans le même sens que celui de M. Metz, va même plus loin, car il équivaut à dire que tel duel n’est point punissable, que par conséquent chacun peut accepter impunément une provocation s’il prévoir la possibilité ou s’il a d’avance l’intention de ne point faire usage de son arme ; ce serait là une espèce d’encouragement, une sorte de sanction du duel dans certaine occurrence, et pourtant la loi est conçue dans le but de réprouver le duel, quel qu’il soit.
Quant à la proposition de déterminer quelles sont les armes qui seront réputées armes de duel, il est tout à fait inutile de poser de semblables indications dans une loi qui concerne exclusivement le duel. Le juge saura apprécier les circonstances qui constitueront véritablement ce qu’on entend par duel, et par conséquent, il saura fort bien, sans qu’il soit besoin de définition, de quelles armes le législateur a voulu parler.
La définition proposée par M. Van Cutsem pourrait d’ailleurs être dangereuse, parce qu’il existe peut-être des armes pouvant servir au duel, autres que celles énumérées ; parce qu’enfin il pourrait arriver qu’il se fabriquât par les suite des armes de formes différentes de celles connues actuellement et auxquelles il serait donné des noms nouveaux, non exprimés dans la rédaction de l'honorable membre. D’après tous ces motifs, je suis d’avis que ce qu’il y de mieux à faire, c’est d’adopter l’article 4 tel qu’il nous a été envoyé par le sénat.
M. le président – M. Metz vient de déposer la proposition suivante :
En cas de rejet de mon amendement, je demande qu’il soit ajouté à l’article 4 un troisième paragraphe ainsi conçu :
« En ce cas, s’il n’a pas excité à la provocation ou provoqué en duel, il ne sera puni d’aucune peine. »
M. Metz – Après ce que j’ai dit tout à l’heure, je pourrais me dispenser de développer mon sous-amendement. J’ai oublié de dire que sous le royaume des Pays-Bas le duel n’était pas puni quand il n’avait pas donné lieu à la mort ou à des blessures. Il s’agit ici de punir tout individu qui va sur le terrain, parce que c’est déjà un délit que d’accepter un duel. C’est ce que je ne puis pas croire. Il est difficile de concilier cela avec le préjugé auquel chacun de nous rend un certain hommage, parce que ce préjugé existe, parce qu’il est vrai. Je réduis mon amendement à un cas plus spécial, à celui qui n’a ni provoqué, ni excité à la provocation par des injures, mais s’est rendu sur le lieu du combat et ne s’est pas servi de ses armes. Celui-là ne doit subir aucune peine, il a cédé à un préjugé auquel il n’est pas possible de se soustraire. S’il a commis une faute, en cédant à ce préjugé, il l’a racheté en ayant le courage d’user de générosité envers son adversaire. S’il a provoqué, il sera puni par l’article premier ; s’il a excité à la provocation par des injures, il encourra les peines portées par l’article 3, mais celui qui n’a ni provoqué ni excité à la provocation et a eu la générosité de laisser la vie à son adversaire quand il pouvait la lui enlever ; celui-là ne mérite aucune peine.
M. Devaux – Je viens appuyer l’amendement de M. Metz. La section centrale, dans son rapport, dit que le projet n’a pas pour but d’empêcher mais de restreindre le duel. C’est de cette vue que nous devons partir, car si nous voulions faire une loi pour empêcher le duel, nous échouerions ; nous ne l’empêcherons par aucune loi. C’est un résultat qu’il n’est pas en notre pouvoir d’atteindre. Tant d’autres législations y ont échoué, que la nôtre doit y échouer également.
Comment faut-il restreindre le duel ? en tâchant de le rendre moins meurtrier, en tâchant qu’il n’ait pas lieu pour des causes légères, en tâchant que les chances du combat soient toujours égales. Voilà les principes au moyen desquels nous devons tâcher de rendre les duels moins fréquents. Si on pouvait arriver à ce que les chances de mort fussent moindres, à ce que le duel n’ait lieu que pour des causes graves, à ce qu’il y ait toujours égalité dans les chances du combat, on aurait fait beaucoup.
Le duel, messieurs, a de très mauvais côtés, ce sont les malheurs qu’il trouve à sa suite, c’est de soumettre en quelque sorte un homme paisible au caprice d’hommes de mœurs rudes ; mais il ne faut pas se le dissimuler, le duel a aussi de bons côtés ; sans cela il ne se serait pas maintenu depuis tant de siècles, il met un frein, incomplet, il est vrai, à la calomnie ; il entretien des habitude de dignité et de courage dans certaines classes de la société, ou le courage s’en va pour ne se montrer que dans des classes plus grossières ; un bon côté du duel, c’est qu’il met fin à des haines invétérées : anciennement il n’y avait pas de duels, et il y avait des empoisonnements et des guet-apens ; un bon côté du duel, c’est de favoriser les réconciliations ; eh bien, il faut tâcher, à mon avis, de ne pas détruire ce qu’a de bon le duel. Je trouve que l’amendement de M. Metz entre dans ce sens, parce qu’il facilite les réconciliations. Si vous punissez un homme qui n’a pas été provocateur, et qui n’a pas tiré sur son adversaire, pas un juge ne voudra sévir. Cet homme a fait une faute, dites-vous, en consentant à aller sur le terrain ; mais il a racheté cette faute en n’arrachant pas la vie à son adversaire quand il le pouvait : il faut faire en sorte que le duel ne soit pas trop meurtrier, et pour cela il ne faut pas punir l’homme généreux.
La loi a quelquefois perdu de vue que nous ne pouvons pas empêcher le duel ; que nous devons nous borner à le restreindre ; et qu’en voulant l’empêcher on ne le restreint pas assez.
Comme l’amendement de M. Metz rentre dans mes idées, je me borne à l’appuyer pour le moment ; je présenterai moi-même des amendements quand nous en serons arrivés à d’autres articles de la loi.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je dirai d’abord un mot de l’amendement de M. Van Cutsem. Il a dit que si vous ne donnez pas une définition du mot « armes », on rentre dans la disposition de l’article 101 du code pénal : quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’il y ait lieu à donner une définition, parce qu’on pourrait employer des armes meurtrières qui ne tomberaient pas sous la définition. Il peut arriver, dit M. Van Cutsem, qu’on se batte à coups de pierre, à coup de bâton, et il ne regarde pas cela comme un duel ; nous avons déjà eu l’occasion de faire remarquer que les définitions sont quelquefois dangereuses, et qu’on s’en est convaincu dans plusieurs circonstances ; aussi je crois qu’il faut faire une large part à l’arbitraire du juge. Il peut arriver, par exemple, qu’au bout d’un bâton on applique une baïonnette, et alors le bâton devient tout aussi meurtrier que le sabre.
Anciennement on faisait distinction entre les armes qu’on pouvait employer dans les duels ; les nobles se battaient à l’épée, et ce qu’on appelait alors les vilains ne pouvaient se battre qu’au bâton ; aujourd’hui, ces distinction seraient ridicules. Je crois que la disposition en discussion sera applicable au duel au bâton comme au duel à l’épée et au pistolet, si les circonstances établissent la réalité d’un duel ; et ce sera toujours au juge à apprécier les faits, et les résultats à prévoir des armes dont on aura voulu faire usage.
J’en viens à l’amendement de M. Metz, lequel demande la suppression de la seconde disposition de l’article 4. je pense qu’il convient de rappeler ici ce qui a été dit au sénat pour modifier cette seconde disposition.
M. Dumon-Dumortier, sur la proposition duquel la proposition a été adoptée, s’exprimait ainsi :
« Il n’est pas possible, sans de grands inconvénients, d’exempter de toute peine celui qui se rend sur le terrain, ne voulût point faire usage de ses armes. Si vous adoptiez ce système, vous exposeriez à la merci des spadassins la vie des hommes estimables qu’un faux point d’honneur empêcherait de refuser un duel, mais qui l’accepteraient avec la résolution de ne point profiter de l’avantage de leurs armes.
« Un homme d’honneur, un homme respectable reculera devant l’espèce de flétrissure qui accompagne une condamnation ; il hésitera en présence de l’emprisonnement et de l’amende, mais il ne reculera plus s’il n’expose que sa vie.
« Il semble que le but de la loi est d’empêcher le duel ; si vous exemptez de toute pénalité celui qui ne fait pas usage de ses armes, vous n’atteignez pas votre but. Qu’arrive-y-il à tel individu provoqué ? Au premier moment il résistera, s’il sait que la loi le condamne, s’il sait qu’il l’atteindra, quelle que soit l’issue du combat, et il reculera devant cette espèce de flétrissure qu’imprime toujours une condamnation à des peines afflictives.
« Si, au contraire, il n’en résulte rien pour lui, au cas où il ne ferait pas usage de ses armes, il ira sur le terrain et risquera sa vie ; car, vous le savez, messieurs, la vie n’est rien auprès de l’honneur ; il risquera donc sa vie, car il ne voudra point user de ses armes, afin d’échapper à la loi. »
Je crois que la suppression de cette disposition ne produirait pas les résultats que l’on s’imagine, et je pense au contraire qu’elle sera de nature à prévenir les duels ; mais, nous dit-on, vous ne devez pas chercher à empêcher tous les duels, vous devez vous borner à les restreindre ; faites quelque loi que vous voudrez, il y aura toujours des duels. Messieurs, nous savons bien que malgré les peines portées au code pénal contre les crimes, il s’en commet encore ; il en sera de même du duel ; mais si le code pénal empêche beaucoup de crimes, la loi dont nous nous occupons empêchera aussi beaucoup de duels ; la loi sur le duel sera sur la même ligne que les lois pénales qui restreignent les crimes autant que le peuvent les lois humaines.
Mais, nous dit-on encore, par suite du duel on ne voit plus chez nous, comme on voyait chez les Romains, tant d’empoisonnements et de guet-apens ; nous ne sommes pas de l’avis du préopinant ; nous ne croyons pas avec lui que ce soit le duel qui ait rendu moins fréquents les empoisonnements ; un tel résultat est dû à la civilisation, nous n’avons plus l’esclavage, et sans doute son abolition n’a pas été le résultat du duel ; c’est encore à la civilisation qu’on le doit ; il ne faut pas attribuer à une cause ce qui est l’effet d’une autre cause.
On a prétendu, messieurs, que la suppression du paragraphe 2 de l’article aurait pour effet de faciliter les réconciliations ; je ne partage pas du tout cette opinion, car celui qui aura fait usage de ses armes sera dans tous les cas puni, nous sommes tous d’accord à cet égard, mais, d’après l’amendement de M. Metz, celui qui n’aurait pas fait usage de ses armes ne serait pas puni ; ainsi l’un des combattants serait puni et l’autre ne le serait pas ; eh bien, je ne pense pas que cela soit de nature à faciliter les réconciliations, car celui qui sera puni sera toujours fort mécontent et ne sera dès lors pas fort disposé à se réconcilier avec son adversaire.
Je pense, messieurs, que le maintien du deuxième paragraphe aura pour effet de prévenir autant que possible le duel, parce que tous ceux qui se rendront sur le terrain sauront qu’ils n’échapperont pas à la peine comminée par la loi. D’ailleurs, par cela même qu’ils seront sur le terrain, ils se trouveront en état de fragrant délit, et alors les officiers de police, s’ils ont quelques données sur le duel projeté, pourront intervenir pour empêcher qu’il ne soit consommé.
Je dis donc, messieurs, que la disposition pourra avoir des effets très utiles, et que la suppression de cette disposition ne peut avoir aucun bon résultat ; et que si, dans des cas extrêmement rares, on pouvait trouver la peine trop forte, c’est un point dont nous aurons à nous occuper lorsqu’il s’agira des circonstances atténuantes.
M. Metz – Messieurs, l’honorable ministre de la justice ne me paraît pas avoir bien compris mon amendement, ou il en a fait une fausse application. Il a confondu l’article 4 avec l’article 1er, en croyant que la suppression du deuxième paragraphe de l’article 4 était la même chose que l’amendement subsidiaire que j’ai eu l’honneur de vous présenter. C’est une erreur : l’article 4 prévoit un délit particulier, il prévoit le cas où l’on se sera trouvé sur le terrain, et dès qu’on se trouve sur le terrain, le fait de la provocation est effacé. On est puni en vertu de l’article 4, non plus pour avoir provoqué, mais pour s’être trouvé sur le terrain, et si l’article 4 renvoie à l’article premier, ce n’est que pour l’indication de la peine. L’amendement subsidiaire que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre diffère donc entièrement de la suppression que j’ai réclamée.
Le deuxième paragraphe de l’article 4 punit celui qui s’est trouvé sur le terrain et qui n’a pas fait usage de ses armes, qu’il ait ou qu’il n’ait pas été le provocateur ; c’est précisément ce que je ne veux pas ; je propose par mon amendement subsidiaire de déclarer que celui qui n’aura ni excité à la provocation, ni été l’auteur de cette provocation, qui se sera rendu sur le terrain et qui, après avoir essuyé l feu de son adversaire, n’aura pas tiré, je proposer de statuer que celui qui se sera conduit d’une manière aussi généreuse soit absous.
Je n’entrerai pas dans la discussion de tout ce qui a été avancé par M. le ministre de la justice. Je m’applaudis d’avoir trouvé l’appui d’un homme aussi grave que celui qui a bien voulu soutenir l’opinion que j’ai émise. Comme l’a dit cet honorable membre nous faciliterons les réconciliations en assurant l’impunité à celui qui n’aura pas tiré sur son adversaire. « Mais, dit M. le ministre de la justice, qui paraît avoir pris le parti de combattre tous les amendements ; mais, dit-il, cela ne facilitera pas les réconciliations, car celui qui aura tiré sur son adversaire sera puni, que celui-ci ait ou n’ait pas tiré sur lui, et dès lors, il sera toujours mécontent. Certainement, messieurs, celui qui sera puni sera mécontent, mais ce sera contre la loi qui le punit à tort, et nullement contre son adversaire qui se sera montré avare de son sang, qui lui aura généreusement laissé la vie qu’il avait en quelque sorte acquis le droit de lui ôter. Je dis donc que l’argument de M. le ministre de la justice ne prouve absolument rien, et je persiste à croire avec l’honorable M. Devaux que mon amendement produirait un grand bien ; je soutiens que celui qui a été assez généreux pour épargner son adversaire, après avoir essuyé son feu, mérite plutôt ma reconnaissance du pays, qu’une punition, et que cet acte de générosité suffirait, et au-delà, pour effacer le tort qu’il pourrait avoir eu en excitant à la provocation ou en faisant la provocation. Dans tous les cas est-il certain qu’il ne doit pas être puni s’il n’a ni provoqué le duel ni excité à la provocation.
M. Liedts, rapporteur – L’honorable préopinant se trompe messieurs, lorsqu’il pense qu’il y a dessein arrêté de combattre tous les amendements ; mais lorsque l’honorable membre a fait l’apologie du duel, lorsqu’il a annoncé d’avance l’intention de combattre toutes les propositions de la section centrale, il nous est bien permis de nous défier des amendements qu’il propose. Le premier de ces amendements tend à effacer de la loi une des dispositions les plus salutaires ; cet amendement ferait dépendre la question de savoir s’il y a délit, oui ou non, de celle de savoir si l’on a fait usage de ses armes ; et lorsqu’on n’aurait pas faut usage de ses armes, il n’y aurait pas de délit, et par conséquent pas de punition. Les auteurs les plus graves qui se sont occupés de cette délicate question ont indiqué comme un moyen préventif des plus efficaces l’arrestation provisoire des champions, ils ont voulu qu’on les séparât, qu’on leur laissât le temps de réfléchir, de calculer froidement tous les résultats de l’action à laquelle ils vont se livrer ; eh bien ce moyen vous échappe si vous déclarer qu’il n’y aura de duel qu’autant que les parties auront fait usage de leurs armes, car je suppose qu’on fasse arrêter les champions pour les séparer ; mais ils demanderont : « En vertu de quoi droit m’arrêtez-vous ? je ne serai coupable d’un délit qu’autant que j’aurai fait usage de mes armes ; jusque-là je suis aussi innocent que vous qui m’arrêtez. » L’emprisonnement préalable ne peut se justifier qu’autant qu’il y a un délit ou du moins tentative de délit ; or, il, il n’y aurait ni l’un ni l’autre, si l’individu arrêté n’avait pas l’intention de faire usage de ses armes ; tandis que si l’action de se mesurer avec son adversaire, sur le terrain convenu, constitue un délit, lors même que l’un d’eux n’aurait pas fait usage de ses armes, l’arrestation préalable se justifie par la nécessité de prévenir le délit. Certes, on ne peut être aussi rigoureux envers celui qui n’a pas fait usage de ses armes qu’envers son adversaire : mais la section centrale a cru faire une assez large part à la générosité et à la loyauté en disant que celui qui n’aura pas fait usage de ses armes ne sera pas puni aussi sévèrement que son adversaire. D’après ces considérations, et celles qu’on fait valoir l’honorable M. d’Huart et M. le ministre de la justice, je persiste à m’opposer au premier amendement de l’honorable M. Metz. Quant à son amendement subsidiaire, j’avoue qu’il est moins dangereux ; toutefois, je pense que la disposition du sénat est préférable.
M. Metz – Je disais à l’instant, messieurs, que l’on semblait avoir pris à tâche de combattre tous les amendements, et j’en trouve encore une preuve dans l’opposition que je rencontre de la part de l’honorable M. Liedts ; car je ne comprends pas qu’il en soit autrement, lorsqu’on doit recourir au singulier moyen que vient d’employer cet honorable membre. « Lorsqu’on arrêtera préventivement, dit-il, un individu qui veut se battre en duel, celui-ci réclamera, il demandera pourquoi on l’arrête. » Mais la raison pour laquelle on l’arrête est fort simple, messieurs : lorsqu’il se rend sur le terrain, il n’a pas encore annoncé que son intention est de ne pas faire usage de ses armes ; lorsque je suis provoqué ou que j’en provoque un autre et que je me rends sur le terrain, je suis censé y aller avec l’intention de me venger, d’obtenir réparation ; je suis donc, dans ce cas, en tentative fragrante de délit et peut-être de crime, et dès lors il est tout naturel qu’on m’arrête.
Mais il y a une différence minime entre celui qui se rend sur le terrain, peut-être avec le dessein de tuer son adversaire, et celui qui, après avoir essuyé son feu, lui accorde généreusement la vie qu’il pourrait lui enlever peut-être ; cet homme qui n’aura ni excité au duel, ni provoqué, qui se sera rendu sur le terrain peut-être malgré lui, qui aura exposé sa vie pour ne pas être flétri du nom de lâche et qui aura épargné le sang de son adversaire, cet homme auquel tous les honnêtes gens donneront des éloges, auquel ses amis serreront la main avec effusion, vous, à son retour, vous le ferez arrêter par des gendarmes, et, en prison ! et vous appelez cela une loi raisonnable ! Quant à moi, je ne voudrais pas qualifier une semblable loi, si la disposition que je combats y reste.
M. d’Huart – Je persiste à croire, messieurs, que si vous adoptez l’amendement de l’honorable M. Metz, ou si vous supprimez le dernier paragraphe de l’article premier, vous introduirez dans la loi une véritable anomalie. Par l’article premier, vous punissez la provocation ; or, d’après M. Metz, celui qui accepterait la provocation, et qui serait pas conséquent ainsi complice du provocateur, n’encourrait aucune peine. Il y a plus, l’homme généreux dont on parle aura non seulement accepté la provocation, mais il se sera rendu sur le terrain, se sera placé en face de son adversaire, et peut-être même, contre son intention première, il se sera mis dans la nécessité de chercher à porter la mort à son adversaire. Je suppose le cas où l’homme en question n’a pas été provocateur, les deux adversaires arrivent sur le terrain, ils tirent au sort pour savoir qui lâchera le premier coup de feu. Eh bien, cet homme généreux doit tirer le premier, que fera-t-il dans ce cas ? Forcément il tâchera de tuer son adversaire, et cependant vous l’aurez en quelque sorte autorisé à venir sur le terrain, en n’insérant pas dans votre loi des mesures préventives pour tous les cas.
M. Devaux – Messieurs, il semble que l’on commet une erreur, en voulant à toutes forces empêcher tous les duels, en croyant que cela est possible.
M. le ministre de la justice vous dit : « La loi sur le duel est dans le même cas que toutes les autres lois pénales ; nous savons bien, par exemple, qu’on en peut pas empêcher tous les assassinats, mais il n’en faut pas moins les punir tous. »
Messieurs, il y a une très grande différence entre les duel et les crimes ordinaires. Vous ne pouvez pas empêcher tous les assassinats, tous les vols et cependant il faut les menacer tous, parce qu’un assassinat, un vol, est toujours un crime. Mais, messieurs, lorsque, dans un duel, l’on se borne à aller sur le terrain, et qu’on se réconcilie ensuite, s’il y a là un mal, ce mal est fort inoffensif. L’on ne doit pas sacrifier à la punition d’un pareil méfait, la punition d’un délit véritable ; or, c’est précisément ce qu’on veut faire ; on veut sacrifier la punition de ce qui est réellement coupable à la punition de ce qui ne l’est pas.
Dans le cas prévu par l’amendement de l’honorable M. Metz, c’est-à-dire lorsqu’un homme qui n’aura ni provoqué, ni injurié, essuie le feu de son adversaire, et y répond en tirant en l’air, vous ne parviendrez pas, avec votre loi, à faire punir cet homme ; le juge ne le punira pas, il le déclarera innocent, et, s’il le condamne, la voix publique le proclamera innocent.
Il arrivera donc le plus grand mal à votre loi, celui de n’être pas appliquée, ou si elle est appliquée, d’être appliquée de telle façon qu’il s’ensuivra un blâme général.
Renoncez donc à punir un fait qui a causé peu ou point de mal, et si l’individu que nous supposons à commis une faute, il l’a rachetée par un acte généreux.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, je crois avoir bien compris le second amendement de l’honorable M. Metz, permettez-moi de vous en donner une nouvelle lecture :
« En cas de rejet de mon premier amendement, je demande qu’il soit ajouté à l’article un troisième paragraphe ainsi conçu : « En ce cas, s’il n’a pas excité à la provocation ou provoqué en duel, il ne sera puni d’aucune peine. »
Eh bien, messieurs, si l’individu a excité la provocation, nous avons l’article 3 qui punit ce fait ; si c’est au contraire lui qui a provoqué au duel, nous avons l’article premier qui punit la provocation. Ainsi, le second amendement de l’honorable M. Metz consiste à dire que si on ne se trouve ni dans le cas de l’article premier ni dans le cas de l’article 3, on ne sera puni d’aucune peine. Mais, messieurs, il est fort inutile de dire cela ; l’individu qui aura commis le délit prévu par chacun de ces deux articles sera condamné.
Il y aura deux délits de la part de celui qui aura provoqué et qui n’aura pas fait usage de ses armes, le délit de provocation et celui de s’être rendu sur le terrain. Ces deux délits subsisteront simultanément ; nous savons bien que, d’après une disposition du code d’instruction criminelle, il n’y a pas de cumul de peine. Si les peines sont équivalentes, on applique indifféremment l’une ou l’autre ; si elles sont différentes, on sait qu’on applique la plus forte.
Ainsi, le dernier amendement de l’honorable M. Metz ne dit absolument rien, et ne peut avoir pour but que de parvenir, par une circonlocution, à la suppression du second paragraphe de l’article.
Convient-il d’adopter la suppression du second paragraphe de l’article ? J’ai déjà expliqué les motifs qui me faisaient croire qu’il n’y avait pas lieu à adopter cette suppression. Et une observation qui n’a pas échappé à l’honorable rapporteur de la section centrale, c’est que lorsque des individus se rendent sur le terrain, ils sont en flagrant délit, quoiqu’ils n’aient pas encore fait usage de leurs armes : la police judiciaire peut en conséquence saisir ces individus, les emprisonner, et par ce moyen, les empêcher de se battre en duel.
La disposition dont il s’agit pourra donc avoir de très bons effets ; mais, nous dit-on, il peut arriver qu’il y ait générosité, qu’on ne tire pas sur son adversaire, et l’on a voulu en quelque sorte trouver dans ce cas une espèce de moralité du duel.
Mais, remarquer, messieurs, que si vous ne punissez pas également l’un et l’autre des deux combattants qui se sont rendus sur le terrain, vous ne regardez pas dans tous les cas le duel comme une action immorale aux yeux de la loi. Cependant quel est le but que vous recherchez, en faisant la loi ? C’est de déclarer aux yeux du législateur, comme aux yeux de la morale et de la religion, selon l’expression des arrêts de la cour de cassation de France qui, tout en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre, du chef du duel, le flétrissait dans ses arrêtés ; de décider, dis-je, que dans tous les cas, le duel est une infraction à la loi. Or, en punissant l’un et l’autre des combattants, vous êtes conséquent avec le principe que vous voulez poser, au lieu que si vous n’adoptez pas la disposition, il s’ensuivrait que, dans un cas donné, le fait même du duel ne serait pas une infraction à la loi.
Je conçois qu’il peut y avoir des cas où les dispositions de la loi doivent être appliquées plus ou moins rigoureusement ; mais j’ai déjà dit que ce n’est pas ici le moment de s’occuper de cette question, mais qu’il y aura lieu de l’examiner lorsqu’il s’agira de la disposition relative aux circonstances atténuantes. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président – Personne ne demandant plus la parole, je commence par mettre aux voix le premier paragraphe de l’article 4 sur lequel il n’y a pas eu d’amendement.
- Ce paragraphe est adopté.
L’amendement de M. Van Cutsem n’est pas adopté.
Le deuxième paragraphe de l’article 4, dont M. Metz a demandé la suppression, est adopté.
Le paragraphe additionnel, proposé par M. Metz, n’est pas adopté.
Il en est de même du paragraphe additionnel proposé par M. Van Cutsem.
L’ensemble de l’article, tel qu’il a été proposé par le sénat est adopté.
« Art. 5. Lorsqu’il sera résulté du duel des blessures qui auront causé une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, ou que l’un des combattants aura donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni conformément aux dispositions du code pénal. »
La section centrale propose dé rédiger ainsi cet article :
« Art. 5. Lorsque dans un duel l’un des combattants aura donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans, et d’une amende de mille à dix mille francs.
« Lorsqu’il sera résulté du duel des blessures qui auront causé la maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, le coupable sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et d’une amende de cinq cents à trois mille francs.
M. de Mérode propose, par amendement au projet de la section centrale, de réduire, à la première disposition de l’article 5, le maximum de l’emprisonnement à un an, au lieu de deux ans.
M. F. de Mérode – Messieurs, je propose de modifier ainsi qu’il suit l’article 5 :
« Lorsque, dans un duel, l’un des combattants aura donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni d’un emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende de mille à dix mille francs. »
Messieurs, pour attaquer avec fruit le duel, il faut bien apprécier la nature de ce moyen de vindicte privée en usage depuis la destruction de l’empire romain et, par conséquent, d’une si ancienne origine ; il est certain que la culpabilité de tel ou tel champion usant d’armes meurtrières dans un combat singulier n’est pas toujours corrélative à la gravité des blessures qui en sont la suite : celles-ci doivent être, j’en conviens, prises en considération par le législateur à l’égard de l’échelle des peines à établir, mais toute fois avec beaucoup de réserve. Tel homme étranger aux habitudes querelleuses se trouve entraîné par les plus faibles circonstances à prendre part à une affaire dite d’honneur, il n’a pas étudié l’art du tir, il frappe son adversaire au hasard. Il le blesse mortellement. Faut-il, malgré la contrainte dont aura usé envers lui un être brutal ou un spadassin de profession, faut-il que le combattant excusable par les circonstances les plus atténuantes soit nécessairement condamné à un emprisonnement de deux ans ? Je ne le pense pas. Qu’il subisse un an de détention, ce sera un hommage rendu par la justice sociale au principe sacré qui défend le meurtre et en vertu duquel l’homicide, même involontaire et par imprudence, est frappé d’une peine. Mais il ne faut pas que le sentiment public puisse se révolter contre une rigueur qui lui semblerait excessive. Rien de plus juste que le maximum de cinq ans de prison et de dix mille francs d’amende appliqués au duelliste qui, poussé par l’opiniâtre susceptibilité d’orgueil insolent ou une cruauté froide, tuera son semblable ; on peut dire même que la punition sera alors, à l’égard du coupable, au-dessous du crime, mais combien se présenteront d’occasion où le juge, obligé par sa charge de respecter la loi, éprouvera le plus vif regret d’être forcé de condamner à deux ans de prison un prévenu de mœurs paisibles, entraîné en quelque sorte malgré lui dans une lutte déplorable ? Il peut être dur de se voir privé de la liberté pendant un an ; mais tout homme humain et sensé qui aurait eu le malheur de frapper un adversaire à mort, considérant la menace salutaire que la loi répressive du duel fulmine contre le méchant provocateur, passible, lui, d’un emprisonnement de plusieurs années, subirait avec résignation la détention temporaire qui tend à préserver la société d’une plaie funeste à la sécurité de tous ; il est sans doute par le monde des personnes qui voudraient à ce sujet ne rien accorder à l’intérêt commun ; peut-on supposer, disent-elles, tel ou tel outrage sans réparation ? et comment voulez-vous me punir pour avoir maintenu mon honneur ? Mais, leur répliquerai-je, dans l’état actuel des choses quand l’offensant adroit et audacieux tue l’offensé et qui brave ensuite l’animadversion générale, l’honneur public qui vaut bien l’honneur privé ne supporte-t-il pas une grave atteinte ? Souffrez qu’une justice plus éclairée que le hasard gêne du moins fortement la plus aveugle des justices. Si l’empire de celle-ci diminue au profit d’une justice meilleure, quoiqu’imparfaite encore, ne devez-vous pas vous en féliciter ? Pour ma part, je vois avec satisfaction, messieurs, arriver l’époque où l’impunité ne sera plus en Belgique assurée à l’égard du meurtre régulièrement combiné sous le nom de duel. Mais, pour atteindre un but, il ne faut pas le dépasser, il ne faut pas vouloir écraser un préjugé dont les racines sont trop profondes pour être extirpées jusque dans leurs dernières ramifications. Faites en sorte que l’arbre malfaisant, produit d’un mélange immoral d’honneur et d’iniquité, se dessèche à la longue au moyen d’obstacles élastiques opposés sans relâche toutefois aux développements de ses rameaux. Vous les verrez alors languir et peut-être mourir un jour, si les tribunaux civils et militaires remplissent leur tâche avec sagesse et fermeté.
M. Van Cutsem – Je ne puis, messieurs, donner mon assentiment à l’article 5 du projet de loi du sénat et de la section centrale, parce que le système du sénat est trop général, et par conséquent trop sévère, et parce que je ne voudrais le voir appliquer qu’aux duellistes qui se sont battus sans témoins, et à ceux qui ont donné la mort ou fait des blessures à leurs adversaires avec déloyauté.
Qu’il y ait des exemples de duels sans témoins, cela est hors de toute contestation ; que les peines comminées contre les témoins porteront certains duellistes à se battre sans témoins, cela est encore évident ; que les duels sans témoins sont beaucoup plus dangereux que les duels ordinaires, un chacun en conviendra encore avec moi, parce que personne, dans les duels de cette espèce, ne fera d’efforts pour réconcilier les adversaires avant l’action, et enfin parce que personne ne sera là pour mettre un terme à l’animosité des combattants lors de l’action. S’il en est ainsi, nous devons nécessairement établir un genre de peine différent pour ceux qui se seront battus sans témoins et pour ceux qui se seront battus avec des auxiliaires qui peuvent au moins empêcher le duel de dégénérer en assassinat.
La présence des témoins fera observer les règles et les usages du duel et empêchera que l’un des duellistes tire sur son adversaire avant le signal donné, qu’il vise, tandis qu’il est convenu de tirer sans viser, ou enfin qu’il tombe sur son adversaire désarmé.
Je ne puis pas également adopter le système de la section centrale, parce qu’il pêche par le vice contraire. L’idée dominante de ce système est de soustraire ces sortes de fait à la connaissance du jury, dont l’on craint les verdicts d’acquittement.
Les principes du système que je crois le meilleur sont formulés dans l’amendement suivant :
« L’homicide commis et les blessures faites dans un duel, si elle ont causé une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, seront punis conformément au code pénal dans les deux cas suivants :
« 1° Lorsque le duel a eu lieu sans témoins ;
« 2° Lorsque la mort a été donnée, ou que les blessures ont été faites avec déloyauté.
« Lorsque, dans un duel régulier, l’un des combattants aura donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de mille à dix mille francs.
« Lorsqu’il sera résulté du duel des blessures qui auront causé une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, le coupable sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de cinq cents à trois mille francs. »
M. le président – Les amendements seront imprimés et distribués à messieurs les membres de la chambre.
- La séance est levée à 4 heures ¼.