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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 5 mars 1840

(Moniteur belge n° 66 du 6 mars 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à 1 heure et demie.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE

« Des habitants des communes de Tamise, Achel, Ruysse, Loo, Berchem, Vorselaer, Eecloo et Severghem, demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces pour les affaires de la commune et de la province. »

« Le sieur Jean Herens, meunier à Fouron-Saint-Martin, demande une modification à la loi des douanes qui lui permette de continuer à moudre pour les habitants des communes de Noorbeeck et de Alkeer, actuellement situées en Hollande. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission.


« L’administration communale et les habitants de la commune d’Aeltre demandent des mesures protectrices de l’industrie linière. »

« Même pétition des habitants de la commune d’Aspet. »

- Renvoyé à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.


« Le sieur Charles de Saint-Cyr, lieutenant de cavalerie, né en Pologne, au service de la Belgique depuis 1832, demande la naturalisation. »

- Renvoyé à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Vrencop, instituteur, adresse des observations sur le projet de loi relatif à l’instruction primaire. »

« Des professeurs et habitants d’Huy demandent à la chambre de hâter la réorganisation de l’instruction primaire. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur l’instruction primaire et moyenne.


M. de Renesse demande un congé de deux jours.

- Accordé.

(M. Dubus (aîné) remplace M. Fallon au fauteuil.)

Motion d'ordre

Organisation de l'exposition industrielle à Bruxelles

M. Delehaye – Quelque peu favorable que soit la manière dont on accueille les motions d’ordre, je croirais manquer à mon devoir, si je gardais le silence en présence d’une mesure qui vient d’être prise par le ministère. Par un arrêté du 28 février dernier, le gouvernement a décrété qu’il y aura en 1841 une exposition de produits de l'industrie nationale et que cette exposition aura lieu à Bruxelles. Un arrêté du gouvernement hollandais, pris en 1819 ou 1820, statuait qu’à des époques déterminées, il y aurait des expositions de produits de l’industrie nationale, alternativement dans une ville du midi et dans une ville du nord.

L’exposition de 1841 sera la troisième qui aura lieu à Bruxelles, et l’on se demande dans les provinces comment il se fait que cette ville, qui a peut-être le plus gagné à la révolution, jouit de tous les avantages ; hier, le conseil communal de Gand s’est réuni et s’est occupé de cet objet. L’on se demande surtout comment il se fait que d’autres villes, qui sont plus industrielles que Bruxelles, n’obtiennent pas à leur tour cette faveur. On espérait à Gand que cette fois l’exposition aurait lieu dans le sein de cette ville ou à Liége, et en effet, Liége a, sous ce rapport, des titres que Bruxelles ne peut pas faire valoir. Ceux qui se défient du gouvernement (et le nombre en est très grand), ceux sur qui pèse le gouvernement, disent que le ministère n’agit de la sorte que pour dérober au Roi la connaissance des plaintes du peuple ; on veut que quand le Roi sort de son palais il ne rencontre que des visages riants, et que la voix de ceux qui souffrent ne puisse pas arriver jusqu’à lui. Eh bien, messieurs, les réclamations sont générales à cet égard et bientôt vous les connaîtrez pas les journaux.

Quant à moi, quoique je n’aie pas l’espoir de voir le gouvernement revenir sur une mesure aussi impolitique que celle qu’il vient de prendre, j’ai cru cependant qu’il était de mon devoir de la signaler dans cette enceinte.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne vois rien d’impolitique, messieurs, dans la mesure par laquelle il a été décidé que l’exposition aura lieu à Bruxelles. Bruxelles est le centre et la capitale du pays, elle était donc naturellement désignée à l’attention du gouvernement, pour être le siège de l’exposition ; il y a beaucoup de facilité, pour les industriels, à y faire parvenir leurs produits, il y a aussi une facilité toute particulière pour les habitants du pays, ainsi que pour les étrangers, à venir la visiter.

Je ne répondrai pas, messieurs, à cette autre considération que l’on a fait valoir, que le ministère chercherait à soustraire à la connaissance du Roi certaines plaintes des industriels. On sait que le Roi est très accessible, et que ce n’est point en Belgique qu’il peut y avoir rien de caché ; tout s’y fait au grand jour de la publicité, et nous n’avons rien à redouter sous ce rapport.

M. Delehaye – Je conçois, messieurs, que sous le gouvernement hollandais, Bruxelles était plus accessible aux industriels et aux particuliers que beaucoup d’autres villes ; mais aujourd’hui que nous avons le chemin de fer, je soutiens que Bruxelles est moins accessible que Gand, par exemple. Est-ce que Gand n’est pas plus accessible aux habitants du Hainaut que Bruxelles ? Liége va se trouver dans le même cas que Gand ; en 1841, le chemin de fer ira jusqu’aux portes de Liége, et certainement il y aurait eu beaucoup plus d’avantage à placer l’exposition de 1841 dans cette ville qu’il n’y en a à la placer à Bruxelles.

M. F. de Mérode – Messieurs, j’aime tout autant les villes de Gand et de Liége que la ville de Bruxelles ; mais il me semble que dans tous les pays on fait, dans la capitale, certaines choses que l’on ne fait pas ailleurs. En France, par exemple, les expositions ont lieu à Paris, et personne ne songe à demander qu’elles aient également lieu à Lyon, à Bordeaux ou dans d’autres villes également intéressantes. Il en est de même dans les autres pays, et je ne sais pas pourquoi nous agirions d’une manière différente. Quant à moi, j’aimerais tout autant aller visiter l’exposition à Gand ou à Liége qu’à Bruxelles, mais si l’on veut avoir une capitale, il faut bien que l’on fasse quelque chose pour cette capitale ; d’ailleurs, si l’on accordait l’exposition à Gand ou à Liége, pourquoi ne l’accorderait-on pas également à Mons, à Bruges, et aux autres villes de la Belgique ? Si l’on adoptait ce système, les villes dont il s’agit n’y gagnerait rien, si ce n’est d’avoir une exposition tous les 25 ou 30 ans, et autant vaut n’en avoir jamais ; en partageant les avantages des expositions, on les réduirait à rien. Je pense donc que le gouvernement fait très bien de fixer les expositions à Bruxelles, bien que, comme je l’ai déjà dit, je m’intéresse tout autant aux autres villes du pays.

Projet de loi sur le duel

Discussion des articles

Article premier

M. le président – L’ordre du jour appelle la continuation de la discussion du projet de loi sur le duel. La clôture avait été demandée sur l’article premier et les amendements qui s’y rapportent ; si l’on n’insiste pas pour la clôture, j’accorderai la parole aux orateurs qui se sont fait inscrire.

M. Van Cutsem – Messieurs, tous les orateurs qui ont parlé pour ou contre l’article premier du projet de loi qui nous est soumis, pensent que, dans certains cas, la provocation peut être entourée de tant de circonstances atténuantes, que le ministère public ne poursuivra pas les délinquants, et même que, s’il intente une action contre eux, les juges les acquitteront ; je demanderai aux orateurs s’ils sont d’avis que le ministère public peut, d’après sa seule volonté, poursuivre ou ne pas poursuivre les délits qui sont dûment constatés, lorsqu’ils lui sont signalés, et qui croient aussi que le juge peut acquitter un homme qui est en aveu d’avoir commis un délit, dans quelle loi est écrit le pouvoir exorbitant qu’ils donnent aux magistrats ? Pour moi je crois pouvoir leur dire que, lorsque la loi est encore dans des termes impératifs, les magistrats n’ont pas le pouvoir qu’ils leur attribuent, et qu’on ne peut pas le déduire du droit qu’ils ont de constater l’intention plus ou moins criminelle des personnes accusées d’avoir posé un fait défendu par la loi, parce que cet examen ne peut s’étendre au delà de ce qui a précédé et accompagné l’acte prohibé, d’où la conséquence que, s’il est établi pour le juge que le prévenu a eu l’intention de provoquer son adversaire au moment où il l’a défié, il ne pourra pas se dispenser, après une réconciliation, de le punir, si la loi est impérative, au lieu d’être facultative.

Ces théories étant conformes aux principes du droit criminel, n’est-il pas évident que le magistrat consciencieux poursuivra et condamnera tout provocateur, lorsque le fait sera joint à l’intention de provoquer au moment où le défi aura été porté, parce qu’il voudra juger d’après la loi, et qu’il se dira qu’il ne peut juger la loi

Toutes les fois que le législateur français a voulu donner aux magistrats le droit de condamner ou d’acquitter les prévenus d’après les circonstances qui ont accompagné ou suivi le méfait, il l’a dit en termes formels, et alors, au lieu de s’exprimer d’une manière impérative, il a pris la formule facultative de « pourra » au lieu de « sera ».

Cette faculté, laissée au juge, de punir d’après telles ou telles circonstances n’est pas contraire aux principes généraux du droit criminel, et encore bien moins aux lois pénales qui nous régissent actuellement, quoiqu’en pense le député d’Audenaerde, l’honorable M. Liedts, qui vous a dit qu’il ne conçoit pas que le législateur puisse déclarer qu’un fait constitue un délit et qu’il dise en même temps qu’on pourra punir ce fait ou ne pas le punir, et qu’une pareille manière de faire est sans exemple dans les annales de la législature.

Une loi est une loi pénale, quoiqu’elle laisse au juge la faculté de ne pas l’appliquer dans certaines circonstances ; en effet, pour avoir cette qualité, il lui suffit de défendre, en général, un fait et de le punir dans des circonstances qu’elle peut ou non abandonner à la prudence du juge ; quant au délit de ne trouver aucun exemple de loi qui donne une pareille faculté au juge, je dirai que si l’honorable rapporteur de la section centrale avait eu présentes à l’esprit, les dispositions du code pénal, il n’aurait pas émis de pareilles assertions dans cette enceinte ; car il y a trente-deux articles dans notre code pénal qui donnent au juge la faculté de punir ou de ne pas punir d’après les circonstances qui auront précédé, accompagné ou suivi le fait prohibé par la loi.

Cela suffit sans doute pour prouver que l’honorable M. Liedts a eu tort de s’étonner de ce que j’ai appuyé l’amendement de l’honorable M. Vandenbossche ; cependant depuis que j’ai donné mon assentiment à la proposition de M. Vandenbossche, j’ai cru qu’elle pouvait encore être améliorée dans l’intérêt de la vindicte publique et dans celui du trésor, en prescrivant d’une manière impérative aux magistrats de punir toute provocation en duel d’une amende de seize à cinq cents francs et en laissant la faculté de ne pas appliquer d’emprisonnement lorsque quelques circonstances atténuantes militent en faveur des personnes.

En n’établissant qu’une amende de seize à cinq cents francs, le juge sera toujours en position d’appliquer une peine en rapport avec le méfait, et il ne mentira pas à l’évidence et à sa conscience, en niant, pour acquitter le prévenu, l’existence d’une provocation certaine ; le trésor public sera couvert des frais qu’il aura avancés pour punir des actes qui plus tard auront perdu de leur gravité par la réconciliation des parties ou par d’autres circonstances atténuantes, parce que le juge appliquera toujours sans répugnance une légère amende pour un délit de cette espèce. Dans les cas de provocations plus graves, la loi à la main le juge pourra aussi sévir là où la nécessité le requerra.

Je renonce, messieurs, à soumettre mon premier amendement à vos délibérations, et j’appelle votre attention sur le suivant :

« La provocation en duel sera punie d’une amende de seize à cinq cent francs. Pourra, suivant les circonstances, être prononcé contre le provocateur, outre l’amende portée dans le présent article, un emprisonnement de six jours à trois mois.

M. Vandenbossche – Je retire mon amendement pour me rallier à celui qui vient d’être présenté par l’honorable M. Van Cutsem.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, tous les arguments mis en avant par l’honorable préopinant, qui veut renouveler une discussion déjà assez longue, se réduisent à dire que peut-être accompagnée de circonstances atténuantes, que le ministère public n’en sera pas moins obligé, lorsque le délit existe, de poursuivre le provocateur, et le juge tenu de le condamner. Je ne sais pas si l’honorable membre s’est bien rappelé ce qui a fait le sujet de la discussion qui a eu lieu vendredi dernier ? est-ce que quelqu’un a prétendu que lorsque le délit est bien constaté, le ministère public pourra ne pas poursuivre ; est-ce qu’un seul de tous les orateurs qui ont parlé dans cette discussion, est venu dire que dans ce cas le juge ne serait pas obligé de condamner ? il faut que l’honorable préopinant suppose et à l’honorable rapporteur de la section centrale, et à d’autres encore qui ont pris la parole vendredi dernier et à moi, il faut que l’honorable préopinant nous suppose une connaissance du droit bien restreinte pour croire que nous ignorions les principes qu’il a proclamés ; il ne s’agit pas, messieurs, de ces principes à l’égard desquels nous sommes tous d’accord, il ne s’agit que de leur application ; il ne s’agit pas de savoir quand il y a délit. Eh bien, messieurs, on a discuté sur ce que constitue la provocation, on a parlé de propos inconsidérées, et nous avons dit que ce serait au juge d’apprécier les circonstances du fait, d’examiner s’il constitue le délit prévu par la loi, nous avons dit que lorsque le fait ne constituera pas ce délit, le ministère public ne poursuivra pas et que le juge ne condamnera pas, voilà l’expression de notre système ; et ce que l’honorable préopinant n’a détruit en aucune manière. Ainsi donc, les motifs par lesquels il a voulu étayer son amendement tombent d’eux-mêmes.

Loin d’empêcher les poursuites inutiles, la disposition proposée par l’honorable député de Courtray, les favoriserait, car en abaissant le minimum de la peine jusqu’à 16 francs d’amende, on ferait croire que la loi atteint, par exemple, les propos inconsidérés, ce qui n’est pas, je pense, dans l’intention de la section centrale, ni dans l’intention du sénat. La loi ne s’applique évidemment qu’aux provocations véritables, aux provocations bien caractérisées, et je dis qu’il faut laisser une certaine latitude aux magistrats pour l’appréciation des circonstances qui accompagnent la provocation, je dis qu’il faut abandonner au juge le soin de décider si le fait présente tous les caractères d’une provocation réelle.

Je pense donc, messieurs, que loin d’atteindre le but de l’honorable député de Courtray, on irait directement contre ce but en adoptant la proposition qu’il vient de nous soumettre.

M. Metz – Messieurs, arrivé d’aujourd’hui à la chambre, je crois devoir, dans une affaire aussi grave que celle qui nous est déférée en ce moment, vous soumettre rapidement quelques observations que me suggère le projet de loi dont nous nous occupons. C’est le seul moyen, je pense de vous faire apprécier les raisons par lesquelles je combattrais successivement les divers articles du projet.

M. le président – Je dois faire remarquer à l’orateur que la discussion générale est close et qu’il ne s’agit que de l’article premier et des amendements qui s’y rapportent.

M. Metz – Je ne pense pas qu’on puisse interdire à un orateur de présenter, à l’occasion d’un article, quelques observations même générales.

Il est quelque chose dont l’empire est absolu ; qui brave et élude l’autorité des lois, qui commande à tous les âges, qui subjugue toutes les conditions, c’est le « point d’honneur », qui donne naissance au duel.

Le duel, on l’appelle préjugé fatal, legs de l’ancienne barbarie : quant à moi, je le crois une nécessité.

Inconnu à Rome et dans la Grèce, il n’affligeait pas, dit-on, les peuples que l’histoire nous offre comme des modèles de civilisation.

Cela est vrai ; mais si César et Marius recevaient des provocations en répondant au provocateur d’aller se pendre s’il était las de vivre ; si Socrate recevait, sans se venger, des coups de bâton, si Thémistocle disait : Frappe mais écoute, c’est que le duel n’était pas dans les mœurs de ces peuples ; aussi une loi romaine parlait-elle qu’un coup de bâton n’offensait pas, ne déshonorait pas un citoyen romain. En est-il de même parmi nous ? qui oserait le soutenir.

Lherminier, Rousseau, Gans, publiciste allemand, Mercier, Bentham, dix autres ont proclamé la nécessité du duel.

« Il y a dans le duel quelque chose de plus grave que la satisfaction de la vanité ; c’est la dignité de l’individualité humaine : l’homme n’existe socialement qu’estimé de lui-même et des autres. Il doit toujours jouir du droit de venger les outrages que la société ne permet pas de pardonner. » (Lherminier).

« Sur le chapitre de l’honneur, l’insuffisance des lois nous laisse dans l’état de nature : laisser impuni son déshonneur, c’est y consentir ; on doit la vengeance à soi et aux autres gens d’honneur. » (Rousseau.)

Mais c’est assez de philosophie, laissons parler l’homme du monde, celui qui en connaît les exigences.

« Celui-là est perdu dans le monde de lâches qui n’a pas le cœur de se battre ; car alors les lâches, qui sont sans nombre, font du courage sans danger à ses dépens ; celui-là est perdu dans ce monde où l’opinion est tout, qui ne saura pas acheter l’opinion d’un coup de feu ou d’un coup d’épée ; celui-là est perdu dans ce monde d’hypocrites et de calomniateurs, qui ne saura pas se faire raison, l’épée au poing, des calomnies et surtout des médisances. La médisance assassine mieux qu’une épée nue ; la calomnie vous brise, bien plus à coup sûr, que la balle d’un pistolet. Je ne voudrais pas vivre vingt-quatre heures dans la société, telle qu’elle est établie et gouvernée, sans le duel.

« Le duel fait de chacun de nous un pouvoir indépendant et fort ; il fait de chaque vie, à part, la vie de tout le monde ; il prend la justice à l’instant où la loi l’abandonne ; seul il punit ce que les lois ne peuvent pas punir, le mépris et l’insulte. Ceux qui ont parlé contre le duel étaient des poltrons ou des imbéciles ; celui qui a parlé pour et contre était un sophiste et un menteur des deux parts. Nous ne sommes encore un peu des peuples civilisés, que parce que nous avons conservé le duel. »

Oui, messieurs, le duel est devenu une nécessité de notre époque : entré dans nos mœurs par la susceptibilité de notre honneur, il est devenu une nécessité parce que lui seul peut nous éviter les offenses que la loi ne saurait saisir, nous venger quand les lois sont impuissantes pour les punir.

Il faut subir l’inévitable influence de l'esprit de son siècle, et le nôtre autorise le duel, il l’impose à la société.

Et n’est-ce pas un noble sentiment que celui qui nous fait attacher tant de prix à la pureté, à l’inviolabilité de notre honneur, qui nous fait exposer notre vie pour effacer le moindre souffle qui pourrait le ternir ; si c’est un délire, c’est un noble délire ; si c’est une maladie, cherchez à extirper le mal, ne tuez pas le malade.

Mais est-ce bien un délire. N’est-ce pas le sentiment instinctif de notre dignité personnelle, l’élément le plus actif de notre sociabilité ? Nous voulons conserver l’honneur intact, souscrire à l’opinion qui veut que l’on préfère la mort au déshonneur, à la lâcheté, qui nous demande cette abnégation de la vie, qui défend notre honneur aujourd’hui, qui pour la patrie fera des héros demain. A quel moyen recourir si ce n’est au duel ? c’est du temps, des changements à intervenir dans les mœurs que vous devez attendre le remède, non pour abolir le duel, il ne le sera jamais, mais pour le diminuer, le raréfier, si je puis parler ainsi.

On éviterait bien plus le duel en le régularisant qu’en le punissant, en établissant comme autrefois, un tribunal d’honneur, aujourd’hui que cet honneur domine la société.

Une loi sur les injures n’arrêtera pas les duels : comment définir les injures ? les laissera-t-on à l’appréciation du juge ? un homme souvent perdu aux émotions, impassible, froid comme la loi, sans passion ? C’est chose difficile : dans l’offense, tout est offense, la parole, le regard, le geste, la voix ; qui rendra tout cela ? Qui pourra se placer dans ma poitrine pour sentir et dire ce que cette injure a pu avoir de poignant ? Irai-je d’ailleurs la confier aux tribunaux ? Ils répriment aujourd’hui déjà ; comment en jugent-ils entre gens qui se battent ? Et qu’importe à l’offensé que la peine soit de cinq francs ou de mille francs d’amende ? Dans notre belle société, ce n’est pas l’argent qui est le tarif de notre honneur.

Et d’ailleurs, l’opinion, cette tyrannique opinion, est là derrière l’offensé et lui soufflera : Tu es lâche d’aller aux tribunaux, tu n’as pas de cœur. Ne disons pas que ce ne sont que des mots, ce sont des faits, c’est la réalité de la vie que je vous décris. Et la nature de l'offense, est-elle adressée à une femme, ira-t-on l’offrir en appât à la malignité de la ville, l’exposer aux fâcheuses insinuations de la défense, pour qu’elle sorte de l’enceinte du tribunal plus offensée qu’en y entrant. Et si le fait est vrai, l’offense en sera plus grave, et comment en demander réparation aux tribunaux. Et d’ailleurs ce moyen de la répression des injures par les tribunaux seulement, s’il arrête quelques duels, en engendrera mille. Un insolent est arrêté aujourd’hui par la crainte de devoir payer de la vie l’offense dont il nous aura rendu l’objet, mais qu’il n’ait plus besoin de courage, vous en ferez dix qui pourront l’être à peu près impunément, et vous n’aurez pas autant d’hommes de cœur pour le souffrir, et ceux qui ne le souffriront pas, les plus honorables, il faut le dire, c’est d’eux que vous peuplerez vos prisons !

Rien ne nous protège dans la vie contre les offenses et les injures, que le courage et la possibilité d’en exiger une réparation éclatante, et c’est le duel, c’est lui qui protège notre honneur, sauve la réputation de nos femmes, de nos sœurs, des atteintes de la méchanceté ou de la légèreté ; c’est comme on l’a dit avec raison, nous combattons le duel parce que nous l’avons ; nous l’appellerions s’il nous manquait. Et d’ailleurs, en voyant quel immense bien il procure à la société, en lui donnant cette urbanité, cette déférence, cette tranquillité qui distinguent notre époque, que deviennent les maux causés par le duel ? Quelques hommes rarement tués, c’est à déplorer sans doute, mais c'est peut de chose dans l’ordre général qu’il faut envisager ; morts de la fièvre on n’en parlerait pas, d’accidents on les plaindrait ; si un noble sentiment les a conduits, plaignons-les, honorons leur mort, elle est en ce sens utile à la société qu’elle apprend à redouter, à éviter tout offense qui peut conduire à un si triste résultat ; c’est ce mode qui frappe, qui effraie, car leur mort est peu de chose en elle-même, considérée au point de vue social, il en tombe par les fenêtres autant que l’on en tue en duel, il s’en engloutit davantage sous la glace que les patineurs effleurent, et dix fois plus trouvent la mort en se baignant ; et de toutes ces victimes on s’occupe à peine.

En 1833, il y eut 4,501 morts accidentelles, dont 1973 suicides et 90 duels, dont 32 suivis de mort. En 1827, 51 morts en duels, 4,744 morts accidentelles, dont 1542 suicides.

Votre loi sera inutile ; elle n’arrêtera pas le mal

Et c’est ici que je prends bien acte de tout ce qui a été dit, que la loi est préventive et non répressible : et en effet, si on voulait punir, est-ce par des peines aussi légères, que l’on compenserait la mort d’un homme tué en duel. Non, on veut, par la crainte de la prison, retenir des hommes que la mort n’arrête pas, on change la peine, pour espérer qu’on ne l’appliquera pas.

Le sénat disait dans son rapport :

« Nous sommes restés dans l’agitation et dans la crainte. »

Il ne suffit pas que quelque chose soit juste et moral pour l’introduire dans les lois : il faut rechercher si les mœurs, les habitudes, les préjugés mêmes des nations ne repousseront pas les mesures que l’on veut revêtir de la sanction royale ; il faut examiner et l’on peut espérer que la loi produira les effets que l’on doit en attendre dans l’intérêt de l’humanité.

Et c’est aussi le plus grand mal qui puisse arriver dans un pays, que de voir les lois ostensiblement violées, réprouvées par l’opinion. Or, point de doute, l’opinion réprouvera toute peine qui pourrait atteindre l’homme d’honneur, condamné par l’inflexible nécessité à se battre, à exposer sa vie, et que le ciel ou le hasard a favorisé ; et vous punissez tout.

Mais cette peine n’arrêtera pas. Peut-on raisonnablement supposer que l’homme que le danger de la mort d’effraie pas reculera devant quelques jours de prison : avoir plus à craindre encore, la mort et la loi, ce sera un nouvel aliment à son courage ; ainsi est fait l’home, et il se battra pour ne pas paraître chercher un refuse à sa lâcheté dans les pénalités de la loi.

Vos peines n’empêcheront donc pas un duel, elles en amèneront peut-être : avec elles vous punirez, c’est vrai, mais ce n’est pas votre but, et vous avez raison, vous voulez prévenir et non punir.

Maintenant, pour la loi qui nous est soumise, je la combattrai dans tous ses articles, parce que le principe ne me convient pas ; je la combattrai, parce qu’elle punit la provocation, je la combattrais, parce qu’elle punit les témoins ; je la combattrai, parce qu’elle n’assigne pas au jury la connaissance des délits qu’elle prévoit. Et si nous parvenons à obtenir les modifications que cette loi d’un intérêt immense peut réclamer, je voterai encore contre la loi, parce que je considère qu’il y a quelque chose de mieux qu’une loi sur le duel, c’est de n’avoir pas de loi du tout.

Quant à ce qui concerne la provocation dont il a été question, du moment que je ne veux pas punir le duel, à plus forte raison, ne veux-je pas punir la provocation. Cependant, quoiqu’adversaire de la loi, j’appuierai tous les amendements qui tendront à l’amélioration. C’est pour cela que j’appuierai toutes les propositions qui auront pour objet de réduire les peines, parce que, dans ma manière de voir, les peines n’arrêteront pas un homme d’honneur qui doit se battre, qui sera soumis à une nécessité sous laquelle il devra invinciblement courber la tête ; eh bien, si ce sont des hommes d’honneur que vous avez à juger, au moins appliquez-leur la pénalité la plus légère.

Je me rallierai donc à tous les amendements qui réduiront les peines le plus que possible, et dès lors je dois appuyer l’amendement qui a été proposé par l’honorable M. Dolez.

J’ai entendu dire que la provocation était un délit sui generis. Je vous avoue franchement que cette opinion me paraît extraordinaire. La provocation n’est rien autre chose que la tentative du duel, le moyen d’arriver au duel. Or, le duel dans les cas les plus graves n’est puni, suivant le projet, que de peines correctionnelles ; eh bien, quiconque est versé dans la connaissance des lois sait bien que la tentative d’un délit qui n’est puni que d’une peine correctionnelle n’est pas un délit. Ainsi, en la soumettant à l’examen des lois générales, la provocation ne pourrait pas être considérée comme délit. Le fait lui-même auquel la provocation conduit, n’étant qu’un délit, la tentative n’est pas punie par la loi :

L’article 3 du code pénal porte :

« Les tentatives de délits ne sont considérées comme délits que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi. »

Donc, en général, la tentative d’un délit n’est pas un délit, et je ne pense pas que l’article 3 du code pénal ait grand besoin de commentaires pour ceux qui les connaissent.

Si j’appuie donc l’amendement de l’honorable M. Dolez, c’est que je ne puis voir dans la provocation un délit sui generis. Qu’est-ce que la provocation ? La provocation est un appel au duel. Pourquoi punissez-vous la provocation ? parce que la provocation met un homme dans la nécessité de se battre ; vous placez un homme, eu égard à l’opinion publique qui dirige ces sortes d’affaires ; vous le placez, dis-je, dans la nécessite de se battre ou de passer pour un lâche aux yeux du public. C’est pour cela que vous punissez la provocation, car sans cela vous n’auriez pas de raison de la punir. M. Dolez inséra dans cet article que la provocation ne devait pas être punie quand elle manquait son effet par des circonstances dépendantes de sa volonté. De cette manière vous replacez tout à fait les parties dans la position où elles étaient avant la provocation. L’homme vis-à-vis duquel on aura retiré une provocation faite aura reçu, par cela seul, toute la satisfaction à laquelle il pouvait prétendre ; il n’est plus dans la position d’un homme qui doit exposer sa vie pour répondre à une provocation, sous peine de passer pour un lâche. Dès le retrait de la provocation, je le répète, les parties se trouvent replacées dans la position ordinaire, comme s’il n’y avait pas eu de provocation.

Dès lors, je crois par ces simples observations que l’amendement est on ne peut plus raisonnable ; vous évitez le duel, en laissant la possibilité de revenir sur une provocation, sans encourir la peine que vous voulez infliger. Vous devez adopter cet amendement, si vous ne voulez pas empêcher celui qui a provoqué de revenir contre son fait, si vous ne voulez pas l’engager à pousser sa provocation jusqu’au bout. Vous dites à un homme ; Soyez modéré ; et quand, répondant à une insulte, il a adressé une provocation, vous le contraignez en quelque sorte à persévérer dans une provocation qu’il était disposé à retirer. Je crois que l’amendement remplit tout à fait le but de la loi. En effet, vous avez voulu le soustraire au besoin de se battre et à la crainte de passer pour un lâche. Par l’amendement de M. Dolez, ce but est atteint, je pense qu’il doit être adopté par la chambre.

M. Van Cutsem – Loin de moi l’intention que m’a prêtée M. le ministre de la justice. Je n’ai nullement voulu apprendre à mes adversaires ce qu’ils savent aussi bien que moi. J’ai voulu démontrer que M. le ministre de la justice, en disant dans une séance précédente que dans certains cas, alors même que la provocation en duel sera constatée par écrit, le ministère public pouvait ne pas poursuivre et le juge ne pas condamner, avait émis une doctrine en opposition avec les principes du droit criminel. Voici ce qu’il a dit vendredi dernier :

« Lorsqu’on aura été plus loin, lorsqu’il y aura eu un cartel ou écrit par lequel on aura provoqué en duel, je conçois qu’on ne poursuive pas encore si les parties se sont immédiatement réconciliées. »

Moi, j’ai dit que dans ce cas un juge consciencieux devrait condamner le délinquant à la charge duquel le délit serait établi.

J’ai répondu aussi à l’honorable représentant d’Audenaerde qui s’était exprimé en ces termes :

« Je ne sais s’il est nécessaire d’insister beaucoup sur le rejet de l’amendement de l’honorable M. Vandenbossche. Je ne concevrais pas que le législateur déclarât qu’un fait constitue un délit, et qu’il dît en même temps qu’on pourra punir ce fait ou ne pas le punir. Ce serait inouï dans les annales de la législation. »

Le même orateur a dit encore dans la même séance :

« Je m’étonne de voir le député de Courtray soutenir l’amendement de M. Vandenbossche. Vous remarquerez que le député d’Alost voudrait que le ministère public fût libre de poursuivre ou de ne pas poursuivre le provocateur, ce qui serait sans exemple. Vous pouvez déclarer ou ne pas déclarer que le fait de la provocation est un délit. Mais si la loi la considère comme un délit, alors la poursuite de ce délit ne peut pas plus être facultative que celle de tout autre délit, bien entendu lorsque, dans la conviction du parquet, le fait remplit toutes les conditions d’une véritable provocation au duel. La loi ne serait pas plus logique si elle disait que « la provocation pourra être punie » ; car on conçoit bien la faculté laissée au juge d’appliquer la peine depuis le minimum jusqu’au maximum mais on ne comprend pas que le fait étant constant et déclaré délit par la loi, il soit loisible au juge d’appliquer ou de ne pas appliquer la loi ; dans ce cas ce n’est pas pour le juge une faculté de punir, c’est un devoir. »

Ce sont ces principes que j’ai cru devoir combattre, et je crois les avoir combattus d’une manière victorieuse, en prouvant que le législateur, en faisant une loi pénale, avait le droit de laisser aux juges la faculté de punir ou de ne pas punir. J’ai démontré que ce principe était conforme aux lois pénales en général, en faisant observer que la législation française en vigueur chez nous, dans 32 articles différents laissait la faculté de punir ou de ne pas punir dans des circonstances données.

Comme on avait attaqué la doctrine que j’ai émise, j’ai cru devoir la justifier ; démontrer que les attaques dont elle a été l’objet n’étaient pas fondées.

M. Delfosse – L’article premier du projet en discussion punit la simple provocation en duel d’un emprisonnement de un à trois mois cumulé avec une amende de 100 à 500 francs.

L’honorable M. Van Cutsem a fait remarquer, avec raison, que dans bien des cas cette peine serait trop sévère. Il vous propose de la réduire à une amende de 16 à 500 francs, et de laisser au juge la faculté de prononcer, selon les circonstances, la peine de l’emprisonnement.

J’appuierai de toutes mes forces cet amendement, et je ne conçois pas l’insistance que le ministre de la justice met à le repousser. Aux termes de l’article 463 du code pénal, dans tous les cas où la peine de l’emprisonnement est portée par ce code, si le préjudice causé n’excède pas 25 francs et si les circonstances paraissent atténuantes, le juge peut réduire l’emprisonnement même au-dessous de six jours et l’amende au-dessous de 16 francs.

Voilà une disposition du code pénal qui permet de ne condamner qu’à une amende de moins de 16 francs et à un emprisonnement de moins de six jours un homme qui a commis un vol, un escroc, un filou, et vous ne voulez pas que la même faveur puisse être accordée à l’homme d’honneur que de fatales circonstances ont poussé à une provocation en duel.

Il me paraît que si une faveur doit être accordée, si le juge doit avoir la faculté de prononcer une réduction de peine, ce doit être pour l’homme qui subit une fatale nécessité plutôt que pour ceux qui commettent des vols ou qui se livrent à l’escroquerie. Il n’y a pas de comparaison à établir entre ces hommes : l’un est plus à plaindre qu’à blâmer, les autres ont encouru la réprobation de tous les honnêtes gens.

Je le répète, je ne conçois pas l’insistance qu’on met à repousser l’amendement de M. Van Cutsem. On vous l’a dit, il y a bien des cas où un homme ayant à opter entre un parti qu’il croit dicté par l’honneur et les prescriptions de la loi, sera malheureusement poussé à se mettre en opposition avec elle ; on vous a cité des exemples qui ne sont que trop vrais. Un homme reçoit un soufflet dans un lieu public ; cédant à un mouvement d’indignation bien naturel, il provoque son adversaire en duel. Un autre est outragé dans ce qu’il a de plus cher, dans l’honneur de sa mère, de sa femme, de sa sœur, de sa fille ; dénoncera-t-il l’outrage à la justice ? Mais l’honneur d’une femme est une chose délicate et il est des faits dont la publication pourra le ternir ; il doit donc se taire, mais il ne veut pas laisser l’outrage impuni, et il se laisse aller à son ressentiment ; ces deux hommes, messieurs, sont dignes d’intérêt et s’il faut absolument les punir, que la peine au moins soit légère et que le juge puisse se montrer envers eux tout aussi indulgent qu’il peut l’être pour des voleurs, pour des escrocs.

Le duel, messieurs, est un préjugé déplorable, mais il existe, il est profondément enraciné dans les mœurs, et il a résisté jusqu’à ce jour à l’action des lois et aux progrès de la civilisation ; c’est donc une lutte contre des mœurs encore vivaces que vous allez entreprendre, lutte difficile et dans laquelle la loi sera plus d’une fois impuissante.

Si vous voulez, messieurs, qu’elle ait quelque force, faites qu’elle obtienne l’assentiment des hommes éclairés, faites qu’ils ne la trouvent pas trop sévère dans son application.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – En discutant les amendements proposés à l’article premier, on est rentré dans la discussion générale, et l’on a examiné de nouveau le point de savoir s’il était ou non utile d’avoir une loi sur le duel. Un honorable préopinant, tout en reconnaissant qu’il y avait nécessité de se prononcer sur la question, sur l’état de la jurisprudence, a dit qu’au lieu de proposer une loi répressive du duel, il vaudrait mieux faire une loi réglementaire du duel, régler la manière de combattre, ce qui nous reporterait assez loin ; car autrefois les règles du combat judiciaire existaient. Sous l’empereur Othon le Grand, en 973, un combat judiciaire eut lieu pour décider une question de représentation, en matière de succession.

Ainsi c’est à cette époque qu’on voulait nous reporter, en proposant des règlements sur le duel. Je ne sais si on peut envisager comme un progrès ce retour à 973.

Mais on nous a cité un auteur moderne qui a discuté sur le duel. Faut-il entrer dans cette discussion. La chambre sans doute ne le désire pas. Chacun a pu lire ce qui a été écrit sur le duel ; on connaît ce qu’a écrit sur le duel un philosophe du 18e siècle qui a soutenu, comme on sait, le pour et le contre. Un passage a été répété dans le rapport fait au sénat par l’honorable M. de Haussy. On y cite l’opinion de Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social, un peu différente de celle de l’écrivain cité par un honorable préopinant. Nous ne sommes pas si éloigné de cette époque ; et certes nous ne le sommes pas autant que du règne de l’empereur Othon le Grand et de 973. Je crois donc qu’on peut citer l’opinion de Jean-Jacques Rousseau, aussi bien qu’on a cité celle de M. Jules Janin. Voici le passage transcrit dans le rapport fait au sénat par M. de Haussy, où il parle de cette opinion extravagante, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure, qu’un homme n’est plus fourbe, fripon, calomniateur, qu’il est civil, humain, poli, dès qu’il sait se battre, que le mensonge se change en vérité, que le vol devient légitime, la perfidie honnête, l’infidélité louable, sitôt qu’on soutient tout cela le fer à la main, qu’un affront est toujours réparé par un coup d’épée,, et qu’on n’ a jamais tort avec un homme pourvu qu’on le tue. »

Je crois que cela répond aux autorités qu’on nous a citées, et que personne après cela ne peut conserver de doute.

On a parlé de mari outragé, de frère offensé. Mais êtes-vous sûrs que l’offensé sera vainqueur ? ne peut-il pas être la victime de celui qui l’a outragé ? Et celui-ci sortira vainqueur du duel qu’il aura eu à raison d’un pareil outrage ! Et il se promènera librement sans que la main de la justice s’appesantisse sur lui ! Je ne crains pas qu’un pareil système puisse jamais prévaloir dans cette chambre. Quant au projet en lui-même, je crois que tous les bons esprits seront d’accord sur ce point qu’il faut une loi répressive du duel. On l’a pensé au sénat et dans la section centrale de cette chambre. C’était aussi l’opinion de mon prédécesseur qu’une loi spéciale était préférable à une loi d’interprétation.

Je viens maintenant à quelques objections de l'honorable préopinant sur les amendements en discussion. Deux honorables préopinants ont appuyé les amendements parce qu’ils sont contraires à l’adoption d’un loi répressive du duel. L’un d’eux s’est est expliqué franchement, et une opinion franche, à mes yeux, est toujours respectable. Si on appuie les amendements parce qu’on a une opinion défavorable à la loi, c’est bien le cas de les rejeter de la part de ceux qui ne suivent pas la même opinion.

L’honorable député de Courtray est revenu sur le discours qu’il a prononcé au commencement de la séance, et sur un passage du discours que j’ai prononcé à la séance de vendredi dernier, dont il vous a lu un extrait. Permettez-moi de le rétablir en entier. Voici ce que j’ai dit :

« Dans mon opinion, je ne vois pas le délit de provocation dans des propos inconsidérés qui ont été prononcés lorsque les parties seraient de suite réconciliées ; à mon avis, ce n’est pas là une provocation en duel.

« Mais lorsqu’on aura été plus loin, lorsqu’il y aurait eu un cartel, un écrit dans lequel on aura provoqué en duel, je conçois qu’on ne poursuive pas encore, si les parties se sont immédiatement réconciliées. »

Chacun sait que souvent, quand des personnes qui ont eu une querelle se sont réconciliées, pour ne pas apporter la perturbation, le trouble dans les familles, le ministère public, s’il n’est pas poussé par une plainte ou par une partie civile, ferme les yeux dans l’intérêt de la société, et parce qu’une poursuite ferait plus de mal que de bien. Je crois que les officiers du ministère public qui ont suivi le principe que je viens d’indiquer n’ont pas manqué à leur devoir.

Je viens à l’amendement.

Si un honorable préopinant ne conçoit pas l’insistance que l’on met à soutenir le projet de la section centrale et à rejeter les amendements proposés je ne conçois pas non plus l’insistance que l’on met à chercher à faire adopter ces amendements. En effet, nous avons déjà énoncé l’opinion que la provocation, pour être considérée comme telle dans l’opinion du ministère public, devra être grave. Lorsque la provocation est grave, la peine comminée par l’article premier n’est pas trop forte.

Mais on croit avoir trouvé une arme terrible dans l’article 463 du code pénal, qui porte :

« Article 463. Dans tous les cas où la peine d’emprisonnement est portée par le présent code, si le préjudice causé n’excède pas 25 francs (somme énorme !) et si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux sont autorisés à réduire l’emprisonnement, même au-dessous de six jours, et l’amende, même au-dessous de seize francs. Ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, sans qu’en aucun cas elle puisse être en dessous des peines de simple police. »

Ceci est connu de tous et de chacun.

Ainsi, dit-on, un filou, un escroc qui a escroqué une somme de 25 francs, ou une somme moindre, un voleur qui a volé une somme de 25 francs ou une somme moindre, pourra n’être condamné qu’à une peine minime, mais celui qui aura suivi un sentiment d’honneur en se battant en duel, vous le condamnerez à un mois de prison, au minimum ; et sait-on où peut conduire une provocation ? Elle peut enlever un père de famille à ses enfants, un mari à son épouse ; et on voudrait une assimilation avec un délit qui a causé un préjudice n’excédant pas 25 francs.

D’ailleurs, est-ce au filou regardé comme tel qu’on applique l’article 463 du code pénal. Pour le croire, il ne faut pas avoir suivi les audiences des tribunaux. Mais un malheureux père de famille, voyant ses enfants dans le besoin emporte un pain ou quelque autre objet pour nourrir sa famille ; ne trouvez-vous pas qu’il y a lieu d’appliquer l’article 463 du code pénal, et assimilez-vous ce malheureux père de famille à un provocateur en duel ? Je crois que le parallèle qu’on a voulu faire n’est nullement admissible.

D’ailleurs nous avons à faire une loi spéciale. Il y a même un article qui a été retranché par la section centrale et qui prévoit des circonstances atténuantes. C’est quand nous viendrons à cet article que nous pourrons discuter, s’il y a lieu, le point des circonstances atténuantes.

La clôture est prononcée sur l’article premier et les amendements y relatifs.

M. le président – M. Van Cutsem avait présenté un amendement qui réduisait le minimum de la peine, et qui consistait à commencer ainsi l’article premier : « La provocation en duel sera punie d’un emprisonnement de six jours à trois mois et d’une amende de seize francs à cinq cents francs, lorsqu’elle est, etc. (comme dans l’amendement de M. Dolez).

M. Van Cutsem a retiré cet amendement.

M. d’Huart – Je déclare reprendre cet amendement et le faire mien.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je dois faire observer que, si on veut faire la proposition d’autoriser le juge à réduire la peine lorsqu’il y aura des circonstances atténuantes, ce sera le moment de le faire lorsque nous viendrons à l’article 10, qui prévoit le cas où il y aura des circonstances atténuantes.

Il est évident que cette discussion pourra venir, et ne devra même venir qu’à l’article 10, quoique la section centrale en ait proposé la suppression.

M. d’Huart – Je persiste à croire que je pouvais présenter mon amendement à l’article premier, quoiqu’il ne s’agisse pas de circonstances atténuantes. Cependant si M. le ministre de la justice ne s’oppose pas à ce qu’on propose des amendements quand on en sera à l’article 10, j’ajournerai ma proposition ; mais je ne retirerai mon amendement que sous cette réserve.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Les circonstances atténuantes constituent un point qui sera discuté à l’article 10 ; alors on pourra présenter tel amendement qu’on jugera convenable. J’ai déjà expliqué les motifs qui ont déterminé la section centrale à rejeter l’article 10 relatif aux circonstances atténuantes : c’est que dans le projet du sénat on considérait le duel comme crime dans certains cas ; tandis que la section centrale ne propose dans tous les cas que des peines correctionnelles.

M. d’Huart – Je retire mon amendement pour le présenter ailleurs ; M. le ministre de la justice connaît l’économie de la loi, et je suivrai son opinion relativement au moment opportun pour s’occuper des circonstances atténuantes.

M. le président – Restent les amendements de MM. Van Cutsem et Dolez.

- Ces amendements mis aux voix sont écartés.

L’article premier du projet du sénat, admis par la section centrale, est adopté..

Article 2

« Art. 2. Seront punis de la même peine ceux qui décrient publiquement ou injurient une personne pour avoir refusé un duel. »

M. Van Cutsem – Il me paraît que la chambre ne pourra pas adopter cet article 2. D’abord « décrier publiquement » est une redondance car décrier signifie adresser des reproches publiquement ; on aurait dû se borner à dire que l’on sera puni pour avoir reproché publiquement à quelqu’un de ne s’être pas battu en duel.

En second lieu, on aurait dû établir une distinction entre celui qui a injurié publiquement et entre celui qui aurait injurié en particulier, ou dans une lettre, car alors l’injure est moins grave.

Je proposerai l’amendement suivant :

« Seront punis d’un emprisonnement d’un mois à trois mois, et d’une amende de 100 francs à 500 francs, ceux qui auront reproché publiquement à une personne d’avoir refusé un duel, ou qui l’auront injurié de ce chef.

« Si l’injure a été faite publiquement, l’emprisonnement sera de deux à six mois, et l’amende de 200 francs à 1,000 francs. »

M. Liedts – Je crois que, dans aucun cas, la chambre ne peut adopter la rédaction qu’on vient de proposer ; car il faudrait toujours punir ceux qui reprocheraient à quelqu’un de n’avoir pas accepté un duel ; mais il y a tels reproches qui peuvent être adressés de manière à ne point porter atteinte à l’honneur ; il y a des reproches qui peuvent être conçus dans de certains termes où il soit impossible de voir l’intention de nuire à l’honneur de celui à qui l’on parle. Les expressions de l’article 2 du projet sont beaucoup plus faciles que celles de l’amendement : il faut que l’on ait décrié la personne à laquelle s’adressent les reproches ; il faut qu’on l’ait représentée publiquement comme une personne qui abjure à l’honneur, qui a perdu l’honneur ; il faut qu’on se soit permis des railleries telles qu’on ait pour but de la faire passer une personne lâche ; telles qu’on ait pour but de la faire passer une personne lâche ; voilà le sens de l’article en discussion.

M. Milcamps – Je crois que ce que nous pouvons faire de mieux, c’est d’adopter la disposition telle qu’elle est proposée par la section centrale. Le mot « décrier » est compris de tout le monde ; je ne l’ai point encore vu dans les lois ; mai son sens est clair ; décrier, c’est blesser publiquement quelqu’un dans son honneur ; par exemple, on décrie un ambassadeur quand on dit que c’est un homme sans foi et sans parole. J’adopte la disposition de la section centrale par le principe que j’ai proclamé dans la discussion de l’article premier ; par ce principe je demandais qu’on laissât la plus grande latitude aux juges pour apprécier les injures ou les reproches ; il faut que les tribunaux soient pour ainsi dire des cours d’honneur. L’amendement de M. Van Cutsem a le tort de trop caractériser le fait de l’injure. Car il dit : « Celui qui reproche publiquement à quelqu’un d’avoir refusé un duel. » Je voterai contre cet amendement.

M. Van Cutsem – Messieurs, l’honorable préopinant a fait à mon amendement un reproche que je ne considère pas du tout comme tel ; il lui a reproché d’être trop précis, trop clair, de pouvoir être compris par tous. Il me semble que la première chose à désirer dans une loi, c’est qu’elle soit claire, qu’elle puisse être comprise de tous, que chacun sache, en la voyant, ce qu’il peut faire et ce qu’il doit éviter. Par ce motif, je crois que les mots « reproche à un individu d’avoir refusé un duel », expliquant mieux le fait qu’il s’agit de réprimer, que celui de « décrié », il y aurait lieu de préférer la rédaction que je propose. Dans tous les cas, il me paraît que si l’on maintient le mot « décrié », il faut au moins supprimé l’expression « publiquement » parce qu’il ne faut pas dans une loi dire deux fois la même chose en termes différents.

L’honorable rapporteur de la section centrale n’a pas combattu la distinction que je propose de faire entre celui qui injurie publiquement une personne pour ne pas s’être battu en duel, et celui qui reproche la même chose à quelqu’un, soit par lettre, soit dans une société particulière. Je voudrais avoir une réponse à cet égard, sinon je persisterai à soutenir que la distinction doit être faite.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, les questions soulevées par l’amendement de M. Van Cutsem se réduisent à deux : la première est celle de savoir si l’on substituera à la rédaction proposée par le sénat et par la section centrale, celle qui est présentée par l’honorable membre ; la seconde est celle de savoir si l’on distinguera entre l’injure faite publiquement et celle qui n’a point été publique. Quant au premier point, je pense, messieurs, que la rédaction du sénat et de la section centrale est préférable à celle de l’honorable député de Courtray, en tant au moins que j’ai pu en juger par la lecture rapide qui en a été faite. Nous avons le projet sous les yeux, chacun a pu en apprécier les termes et je crois que l’on comprend sans peine ce qu’il faut entendre par « décrier publiquement » et « injurier », il me semble que ces expressions ne peuvent donner lieu à aucun doute. « Mais, dit-on, il y a une redondance. » Eh bien, messieurs, quand même il y aurait une redondance dans la loi pour exprimer que la chose doit avoir été publique, je n’y verrais pas d’inconvénient puisque le texte en serait plus clair ; je crois donc que les mots « décrié publiquement » sont préférables à ceux de « reproché publiquement », car d’après la lecture de l’amendement que j’ai entendue, je ne sais même s’il ne suffirait pas que le reproche fût fait en l’absence de celui à qui il s’adresse pour que la disposition n’y fût pas applicable ; il me semble en effet que les mots « reprocher à quelqu’un » supposent que la personne est présente ; « décrier » à une autre signification. Je pense que nous voulons atteindre celui qui a décrié une personne hors de sa présence aussi bien que celui qui lui a adressé des reproches plus personnellement ; sous ce rapport, je maintiens la disposition présentée par le sénat comme préférable à celle de l’honorable député de Courtray.

Quant à la seconde question que soulève l’amendement, je serais tout à fait disposé à adopter la distinction que veut établir l’honorable M. Van Cutsem, s’il était bien certain qu’un reproche fait dans un lieu public est toujours plus fort que celui qui a été fait dans tel autre lieu, mais le contraire peut arriver, et l’on concevra aisément que sous ce rapport nous devons laisser une latitude au juge. Un reproche aura été fait dans un lieu public, il ne se sera trouvé là que des personnes qui n’y auront pas fait attention, des personnes qui ne connaissent pas celui auquel le reproche s’adressait ; dans ce cas, le mal ne sera certes pas aussi grand que lorsque le reproche aura été fait, par exemple, dans une société particulière, en présence de personnes à l’estime et à la considération desquelles celui auquel s’adresse le reproche attache une grande importance. Il est donc impossible d’établir la distinction que propose l’honorable député de Courtray, et il faut ici s’en rapporter entièrement au juge.

M. Fleussu – D’après les explications qui viennent d’être données par M. le ministre de la justice, il me semble que la circonstance de la publicité du lieu où le reproche a été fait est tout à fait indifférente. Ainsi le reproche d’avoir refusé un duel, qui aurait été fait à quelqu’un dans une maison particulaire, mais en présence d’une nombreuse société pourra être puni d’une peine plus sévère que celui qui aura été fait dans un lieu public qui serait désert dans ce moment. Je tenais à avoir cette explication pour qu’il ne puisse pas y avoir d’ambiguïté possible dans l’exécution de la loi et je crois que j’ai bien saisis la pensée de M. le ministre de la justice ? (M. le ministre de la justice fait un signe affirmatif).

Cependant le mot « publiquement » pourra donner lieu devant les tribunaux à quelques doutes, parce que les dispositions pénales se servent ordinairement de ce mot lorsqu’elles comminent une peine plus forte contre un fait qui a été posé dans un lieu de réunion publique. Si donc les tribunaux interprétaient la disposition dont il s’agit en ce moment, dans le sens du code pénal, ils appliqueraient une peine beaucoup plus forte lorsque l’injure aurait été proférée dans un café, par exemple, que lorsqu’elle l’aurait été dans une maison particulière, quoique l’offense eût été plus grande dans le dernier cas. Je ne sais pas trop si, pour éviter toutes ces difficultés, nous ne ferions pas bien de supprimer l’article 2. Je vois d’ailleurs une espèce d’incohérence entre cet article et l’article 3, car l’article 3 punit d’un emprisonnement d’un mois à un an celui qui a excité au duel, tandis que l’article 2 ne punir que d’un emprisonnement de un à trois mois celui qui décrie publiquement ou injurie une personne pour avoir refusé un duel. Or, messieurs, y a-t-il, dans l’état actuel de nos mœurs, une injure plus forte que de dire à quelqu’un : « Vous êtes un lâche, vous n’avez pas eu le courage d’accepter un duel » ? Ne peut-il pas se faire que celui qui aura refusé le duel auquel il était provoqué, par exemple, par une personne dont il voulait se ménager la considération provoque, au contraire celui qui lui reproche d’avoir agi de la sorte ; eh bien, pour ce fait il pourra être puni d’un emprisonnement d’un an tandis que celui qui, par ses injures l’aura en quelque sorte forcé de le provoquer ne pourra être puni que d’un emprisonnement de trois mois. Il y a quelque chose qui choque dans le rapprochement de ces deux dispositions, et je voudrais que l’on me donnât à cet égard mes apaisements.

M. Liedts – Il est prudent de laisser subsister l’article 2 ; évidemment lorsqu’un individu adresse à la personne qui a refusé un duel une injure telle que le juge puisse y voir une excitation à la provocation, et individu tombera sous l’application de l'article 3 ; mais il peut y avoir des cas tels que le tribunal ne puisse pas voir dans l’injure une provocation au duel ; et si vous supprimiez l’article 2, le juge sera forcé, dans de semblables cas, d’acquitter celui qui se sera permis des expressions outrageantes envers la personne qui aura refusé un duel. Certes il peut se présenter des circonstances où l’article 2 serait inutile, mais il s’en présentera aussi où cet article sera indispensable.

Je demande donc le maintien de l’article 2

- L’amendement de M. Van Cutsem est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’article 2 du projet est ensuite adopté.

Article 3

« Art. 3. Celui qui a excité au duel ou qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cent francs à mille francs. »

La section centrale propose de supprimer le mots « ou qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation. »

M. Liedts, rapporteur – Je crois, messieurs, que la section centrale s’est trompée sur le sens que le sénat attache à ces mots : « celui qui a excité au duel » ; la section centrale a pensé que cela comprenait aussi bien les injures qui ont donné lieu à la provocation que toute autre excitation au duel ; mais, en consultant la discussion du sénat, je me suis convaincu que par ces expressions on a voulu particulièrement atteindre non pas ceux entre qui le duel pourrait avoir lieu ou de qui la provocation pourrait venir, mais des tiers qui, au moyen de paroles tendant à déconsidérer une des deux personnes entre lesquelles la discussion s’engage ou de toute autre manière, auront excité au duel, de sorte qu’on n’entend point par là tous ceux qui, par une injure quelconque, peuvent donner lieu à une provocation. Pour qu’il n’y ait aucun doute sur la portée de cet article, je crois qu’il serait prudent de le rétablir tel qu’il a été adopté par le sénat dans les termes suivants :

« Celui qui a excité au duel ou qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cent francs à mille francs. »

M. de Roo – Messieurs, je trouve aussi la rédaction de l’ancien projet plus en harmonie avec la pénalité. Le projet du sénat porte : « « Celui qui a excité au duel ou qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, et d’une amende de cent francs à mille francs. »

La section centrale étend cette disposition, elle dit : « celui qui a excité au duel sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, ou d’une amende de cent francs à mille francs. »

La section centrale comprend donc, dans son article, toutes les manières de provocation, soit par injure, soit par voie de fait. Si la section centrale entend réellement son article ainsi, je ferai observer que, d’après le code pénal, les voies de fait sont punies d’un emprisonnement d’un mois à deux ans ; tandis qu’ici, les voies de fait, mêmes accompagnées de circonstances aggravantes, ne sont punies que d’un emprisonnement d’un mois à un an.

Voilà une contradiction manifeste avec l’article 311 du code pénal. Je crois qu’il faudrait étendre la pénalité au mois à deux ans.

J’ai surtout pris la parole pour faire remarquer qu’on avait perdu de vue, dans l’article, le cas de préméditation. Il est certain que la provocation qui résulte d’une intention arrêtée d’avance de provoquer quelqu’un, est plus punissable que la provocation qui est la suite d’une rixe spontanée. C’est pour combler cette lacune, en ce qui concerne la préméditation, que je proposerai l’amendement suivant :

« S’il y a eu préméditation, l’emprisonnement sera de trois à deux ans et d’une amende de 300 à 2,000 francs. »

- L’amendement est appuyé.

M. Delfosse – Messieurs, je ne concilie pas l’article 3 du projet avec l’article premier que vous avez adopté. Aux termes de l’article 3, vous punissez celui qui a excité au duel d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 100 à 1,000 francs ; et aux termes de l’article premier, vous ne punissez celui qui a provoqué au duel que d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 100 à 500 francs.

Je crois que, dans le cas de l’article 3, la peine ne devrait pas être plus forte que dans le cas de l’article premier.

Celui qui, sans motif aucun, provoque en duel me paraît aussi coupable que celui qui excite au duel. Que l’excitation au duel vienne d’un tiers, ou qu’elle vienne de celui qui provoque, il me semble que l’un de ces cas est aussi punissable que l’autre. Il est certain que la provocation en duel, et surtout la provocation sans motifs, est une excitation au duel. Dès lors, je ne saisis pas bien la différence qui existe entre les peines qu’on applique à ces deux délits.

Voilà une première observation. J’en ai maintenant d’autres à faire. On propose de rétablir la disposition telle qu’elle a été adoptée par le sénat ; on propose de rétablir dans l’article ces trois mots : « par une injure quelconque. »

Je demanderai à l’honorable rapporteur de la section centrale s’il entend que les injures seront punies, alors même qu’une provocation n’en aura pas été la suite. Avant de continuer mes observations, j’attendrai les explications de l'honorable préopinant sur le sens qu’il attache à cette partie de la disposition.

M. Liedts, rapporteur – Messieurs, je crois être l’organe fidèle de la section centrale en disant que l’injure n’est ici punissable qu’autant qu’elle se lie à une provocation. C’est une loi spéciale que nous faisons ; nous n’avons pas voulu faire ici une révision complète de la législation sur les injures et les calomnies, mais nous avons cru qu’une peine spéciale devait être appliquée à celui qui, par une injure, avait donné lieu à une provocation.

Quant à ce qui regarde l’anomalie que l’honorable préopinant semble trouver en ce que nous punissons d’une année d’emprisonnement celui qui aura excité au duel, tandis que le provocateur n’est puni que d’un emprisonnement de trois mois, je ferai remarquer que, d’après les explications que j’ai données tout à l’heure, l’excitation au duel s’applique plutôt à des tiers. Or, vous avouerez qu’un tiers qui n’est nullement intéressé dans un débat, et qui excite méchamment au duel, dans lequel il n’a rien à risquer, est plus punissable que le provocateur ; car celui-ci au moins a un honneur vrai ou faux à venger ; il expose sa vie, et par conséquent, il est moins coupable que celui qui, personnellement désintéressé, excite les autres, uniquement pour avoir le plaisir d’amener un duel.

M. Delfosse – Messieurs, les explications qui viennent d’être données par l’honorable rapporteur de la section centrale, calment une partie de mes inquiétudes ; car si on avait pu l’injure, alors même qu’elle n’aurait pas été suivie de provocation, on aurait bouleversé toute la législation en matière d’injures, on aurait fait, au moyen d’une seule disposition, la révision de cette législation, révision dont le gouvernement s’occupe, si l’on en croit le rapport de la section centrale.

Cependant, ces explications ne me satisfont pas complètement. Je trouve encore que la disposition, restreinte dans les termes qui viennent d’être posés, présente quelques inconvénients.

Messieurs, l’injure peut être plus ou moins grave ; et il n’y aura lieu à une peine quelconque, qu’autant qu’il y aura eu provocation, de manière que vous ne faites plus dépendre la peine de la gravité du fait, mais de la susceptibilité plus ou moins grande de l’individu auquel on aura affaire. Si j’adresse une injure très grave à un homme pacifique, qui ne me provoque pas, qui reçoit l’injure sans se plaindre, je ne serai pas puni.

Si au contraire, je me permets une injure beaucoup plus légère, si, par exemple, je me permets envers quelqu’un une plaisanterie inoffensive, mais que cet individu plus susceptible, regardera comme trop piquante, je serai puni s’il me provoque en duel. Ainsi, pour une injure légère, je serai passible de la pénalité, parce que j’aurai eu affaire à un homme querelleur, tandis que je ne serai pas puni pour une affaire beaucoup plus grave, parce que j’aurai eu affaire à un homme pacifique.

Il y a dans la disposition, telle qu’elle est rédigée, une singularité qui doit frapper tous les esprits. Au reste, je reconnais qu’une loi sur le duel est très difficile à faire, et qu’on rencontrera dans cette disposition, comme dans beaucoup d’autres, des inconvénients qui se feront surtout sentir dans la pratique.

M. Metz – Messieurs, si l’honorable M. Delfosse n’avait pas persisté dans son opinion, il aurait été inutile de lui répondre, parce que l’honorable M. Liedts me paraissait avoir fait justice des craintes de l’honorable membre, et avoir entièrement justifié l’article auquel s’appliquerait les observations de l’honorable M. Delfosse.

Il faut remarquer que nous faisons ici une loi sur le duel, nous ne faisons pas une loi sur les injures ; nous ne punissons les injures que pour autant qu’elles puissent avoir donné lieu à ce que la loi veut prévenir, c’est-à-dire à un duel ou même à une simple provocation.

Or, une injure, quelque grave qu’elle soit, qui aura été adressée à un individu sans qu’elle ait amené le résultat que la loi veut prévenir, est une injure qui rentre dans la classe des injures ordinaires. Voilà ce qui doit rassurer l’honorable M. Delfosse.

Quant à la peine comminée à l’article 3, article qui me paraît le seul justifiable de la loi, je suis étonné que la section centrale, ainsi que le sénat, n’ait pas déployé plus de sévérité contre ceux qui, sans aucun danger pour eux-mêmes, vont, de gaîté de cœur, exciter à un combat, pour avoir le plaisir d’être les spectateurs souvent de la mort d’un homme.

Je conçois, sous ce rapport, qu’on use de plus de sévérité contre eux. L’article 3 est justifié, en ce qu’il prononce une peine plus élevée contre l’instigateur que contre le provocateur.

Il n’est qu’un seul cas où ce surcroît de peine ne serait pas mérité, c’est celui où des rapports de famille ou des liens d’amitié auraient déterminé celui qui a excité au duel. Ainsi, par exemple, un individu voyant son ami fléchir, et croyant que son honneur exige qu’il se batte, l’engage à lancer une provocation et à se battre. Il en est de même pour un intérêt de famille. Il y a là des circonstances atténuantes ; il faut laisser au juge une latitude suffisante pour les apprécier. Je crois qu’il y a lieu de maintenir l’article.

M. Van Cutsem – En lisant l’article 3, nous voyons que le projet du sénat veut punir aussi celui qui, par une injure, a donné lieu à la provocation. Sous ce rapport, le projet du sénat est préférable à celui de la section centrale ; en effet, exciter au duel, c’est faire des efforts pour déterminer quelqu’un à se battre, c’est l’instiguer à faire une chose qu’il n’aurait peut-être pas faite sans des conseils perfides, sans des menaces.

L’injure qui a donné lieu à la provocation n’est donc pas comprise dans l’excitation, à moins qu’on n’ait injurié quelqu’un dans le ubt de le déterminer à se battre en duel, ce qui n’est qu’un cas exceptionnel.

Je n’adopte ni le système du sénat ni celui de la section centrale.

Si le duel a eu lieu, le provocateur et celui qui a donné lieu à la provocation par une injure seront punis l’un et l’autre d’après des peines à établir ultérieurement dans la loi ; si le duel n’a pas eu lieu, il ne restera qu’à punir une provocation d’un côté et une injure de l’autre ; ne punissez que la provocation et laissez la punition de l'injure à la loi sur les injures.

J’ajouterai encore que si c’est une calomnie qui a donné lieu à la provocation, par exemple, une calomnie commise par la voie de la presse, la peine établie par l’article 3 serait bien trop faible. On devrait donc aussi prévoir dans cet article la calomnie, et l’on ferait ainsi rentrer dans la présente loi toute la matière sur la calomnie et les injures.

A mon avis, l’article 3 ne devrait s’appliquer qu’aux instigations du duel et être rédigé comme suit :

« Art. 3. Ceux qui auront instigué une personne à se battre en duel, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cent francs à mille francs. »

M. Liedts, rapporteur – Messieurs, je dirai d’abord deux mots du dernier amendement présenté par l’honorable M. Van Cutsem. Il voudrait que l’article 3 se bornât à punir celui qui aurait instigué au duel ; quant aux injures, il les abandonnerait à la répression ordinaire du code pénal. Je crois, au contraire, que l’article 3 est le plus utile et le plus moral de la loi ; car de même qu’il n’y a pas de duel sans provocation, il n’y a presque jamais de provocation sans qu’elle ait été amenée par une injure ou une conduite injurieuse. Vous avouerez que quand une personne lance publiquement à une autre une injure assez grave pour motiver une provocation, cette injure doit être punie plus sévèrement que celles dont il est parlé dans le code pénal. Vous n’atteindriez aucunement le but que vous vous proposez, si vous ne punissiez les injures de nature à motiver un duel que des peines portées par le code pénal.

M. Delfosse a paru craindre que l’article ne fût trop élastique et ne prêtait à des inconvénients. Si, dit-il, l’injure n’est punie par l’article 3, qu’autant qu’elle donne lieu à une provocation, il dépendra du plus ou moins de susceptibilité d’une personne, qu’une injure soit punie plus ou moins sévèrement. Telle personne s’offensera d’une expression presque insignifiante, et provoquera en duel celui qui l’aura proférée, celui-ci sera-t-il puni d’un emprisonnement d’un an à un mois ?

Je lui répondrai qu’on doit laisser au juge à décider si l’injure dont il s’agit a été assez grave pour motiver une provocation, et si ce juge trouve que ce n’est pas seulement la susceptibilité de la personne offensée, mais le caractère de toutes les circonstances environnant l’injure, la publicité, la manière dont les paroles ont été prononcées, qui ont pu décider la personne à lancer la provocation ; il décidera que cette injure a donné lieu à la provocation, et appliquera l’article 3. Si, au contraire, l’offense alléguée est tellement insignifiante, qu’il trouve que la provocation doit être attribuée à un excès de susceptibilité, l’injure rentrera dans les dispositions du code pénal, et la loi actuelle qui est une loi spéciale sur le duel ne recevra pas d’application.

Je ne vois aucune opposition entre l’article 3 et l’article premier. La provocation, a dit l’honorable membre est plus coupable quand elle est précédée de l’injure, cependant celui qui après avoir injurié aura adressé une provocation, sera puni moins que celui qui n’aura commis que le délit d’injure. C’est une erreur ; celui-là réunira les deux qualités, les deux caractères d’excitateur et de provocateur. Je suppose un soufflet donné à une personne dans une discussion et accompagné d’une provocation ; ce délit réunira les deux caractères et l’article 3 sera appliqué comme prononçant la peine la plus forte.

Vous voyez qu’il n’y a aucune contradiction entre l’article premier et l’article 3.

M. Metz – Cet article 3 a été rédigé d’une manière obscure. Il m’a trompé moi-même. J’ai cru tout à l’heure qu’il ne s’agissait que de ceux qui avaient excité au duel sans être appelés à y prendre part. C’est ce qui ressort de cet article, « Celui qui a excité au duel ou qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation, sera puni, etc. »

J’ai cru qu’il s’agissait de tiers venant se mêler à une querelle dans laquelle ils n’avaient que faire, et engageant les adversaires à se provoquer et à se battre. Mais je viens d’apprendre qu’il s’agit encore de l’individu qui a donné lieu à la provocation. Cependant ces mots : « Celui qui a excité au duel ou qui, par une injure, etc. » s’appliquent à la même personne. Il faudrait dire ; « Celui qui a excité au duel ou celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu, etc. »

Cette rectification n’est pas la seule qu’il soit nécessaire d’introduire dans cet article. Par exemple, ces mots : « Celui qui a excité au duel ou celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation » sont d’une élasticité telle que le moindre mot pourra servir de texte à une provocation et être puni très sévèrement, alors que l’individu qui l’a prononcé ne pensait pas qu’il pût avoir une conséquence aussi grave que de le mettre dans le cas d’aller sur le terrain. Je proposerai de remplacer les mots : « Injure quelconque » par ceux-ci : « Par des actes ou paroles injurieuses, a donné lieu à la provocation. »

Le style de l’article sera plus français et exprimera mieux l’intention du législateur.

Je ne pense pas que M. le rapporteur s’oppose à ces amendements.

M. Liedts – Je crois que l’article tel que M. Metz propose de le rédiger laisse la même latitude et est beaucoup moins complet que celui proposé par la section centrale. Il laisse le même arbitraire au juge, et cela est nécessaire, il faut laisser à sa prudence et à sa sagacité le soin de décider la question de savoir si l’injure est assez grave pour motiver une provocation, je ne dis pas justifier une provocation. L’honorable membre propose de substituer au mots : « Par une injure quelconque » ceux-ci : « Par des actes ou des paroles injurieuses, » a donné lieu à une provocation.

Eh bien, avec ces expressions, comme avec celles proposées par la section centrale, le juge aura à examiner si les paroles ou actes étaient assez graves pour motiver la provocation. Il n’y a rien changé, excepté que l’on est moins complet. Les actes et les paroles ne renferment pas tout ce qui peut motiver une provocation ; il y a les lettres, il y a les gestes et tant d’autres choses que pour les comprendre toutes et n’en omettre aucune, vous ne pouvez rien faire de mieux que d’adopter la rédaction de la section centrale.

M. Metz – Je crois, messieurs, que s’il manquait quelque chose à la rédaction que j’ai proposée pour compléter l’idée, un changement très facile satisferait tout le monde. L’on veut sans doute que l’injure qu’il s’agit de punir soit d’une nature tellement grave qu’elle puisse amener une provocation. C’est là l’idée que ne rend pas les mots « injure quelconque. » car une injure quelconque c’est la plus minime injure comme la plus grave. On a voulu punir d’une peine plus forte celui qui, par une injure grave, donne lieu à une provocation. C’est ainsi que j’entends mon amendement.

Mais l’arbitraire sera toujours le même. Je crois que l’arbitraire sera évité avec la rédaction suivante, qui exprimera ma pensée :

« Celui qui aura excité au duel, ou celui qui, par actes ou paroles injurieuses, a pu donner lieu (au lieu de, a donné lieu) à la provocation, sera puni d’un emprisonnement, etc. »

Alors le juge sera averti que l’injure a dû être assez grave pour pouvoir donner lieu raisonnablement à la provocation.

Je pense que cette rédaction, qui exprimerait mieux ma pensée, exprimerait aussi celle de la section centrale.

M. Delfosse – On a cherché à expliquer pourquoi la peine comminée par l’article 3 est plus sévère que celle comminée par l’article premier. On a dit que celui qui excite un tiers à un duel est bien plus coupable, bien plus répréhensible que celui qui provoque en duel ; car celui-ci s’expose et l’autre ne s’expose pas. Je suis peu touché de cette raison, et je crois le dernier peut-être le moins coupable.

Vous en jugerez pas un exemple. Une personne reçoit une injure grave. Un de ses amis lui dit : Tu es déshonoré si tu ne te bats pas ; il l’excite ainsi à se battre ; cet ami est-il plus coupable que le spadassin qui provoque en duel sans motif ? Non, dans doute ; cet ami a tort, mais il est poussé par un sentiment honorable, et on ne peut ni le comparer à un spadassin, ni le punir aussi sévèrement que ce dernier.

L’explication qu’on a donné ne justifie donc pas la différence des peines dans les deux articles.

J’avais fait remarquer aussi que la peine à appliquer pourrait résulter, non de la gravité de l’injure, mais de la susceptibilité plus ou moins grande de celui à qui l’injure est adressée. On a répondu que le juge n’aurait pas égard à la susceptibilité de celui qui aurait reçu l’injure, mais à la gravité de l’injure elle-même ; cela peut être vrai. Mais il est vrai aussi que des individus qui se seront rendus coupables de la même injure, l’un sera poursuivi et l’autre ne le sera pas ; l’un parce qu’il aura eu affaire à un individu pacifique qui ne l’aura pas provoqué, l’autre parce qu’il aura eu affaire à un individu plus susceptible qui l’aura provoqué. Ainsi une même injure deviendra plus ou moins grave selon le degré de susceptibilité de celui qui l’aurait reçue. Voilà une singularité que les explications données n’ont pas fait disparaître.

M. F. de Mérode – L’honorable préopinant a oublié que dans cet article 3 il y a une latitude laissée au juge. Il est évident que si quelqu’un engage un de ses amis à se battre en duel, par zèle pour son honneur, le juge lui appliquera le minimum de la peine. Si au contraire quelqu’un excite des individus à se battre, uniquement pour le plaisir de les faire se battre, le juge lui appliquera le maximum de la peine.

Quant à la dernière objection qu’a faite l’honorable M. Delfosse, que telle injure qui n’aura pas amené un duel sera souvent plus grave qu’un autre qui aura amené un duel, je répondrai à cela que nous faisons une loi sur le duel, et que c’est par conséquent surtout des cas où il y aura eu duel que nous devons nous occuper.

Il est vrai que tel individu moins coupable sera puni, et que tel autre plus coupable échappera. Mais dans beaucoup de lois les petits coupables sont punis, et les grands coupables échappent. Le législateur ne peut s’occuper de ces circonstances. Il cherche à éviter un grand mal pour la société ; ce qu’il cherche à empêcher dans cette loi, c’est le duel. Occupons-nous-en donc exclusivement. S’il y a quelques délits que nous laissions impunis, nous nous en occuperons dans une autre loi.

M. d’Huart – Je pense que la chambre ne peut admettre l’amendement de M. Metz ; cet amendement a une portée que l’honorable membre ne lui suppose pas, à en juger par les développements qu’il a présentés à l’appui de sa rédaction.

La proposition de M. Metz aura pour effet de punir non seulement l’injure qui aurait réellement donné lieu à la provocation, mais encore celle qui aurait simplement pu donner lieu à la provocation, ; de sorte que, alors même que la provocation n’aurait pas eu lieu, le juge pourrait décider, d’après l’article 3 ainsi rédigé, qu’une provocation aurait pu suivre l’injure, et appliquer la pénalité comminée par cet article, au lieu de la disposition du code pénal (M. Metz fait un signe négatif.) Evidemment ce n’est pas là le but que se propose l’honorable M. Metz, il l’a suffisamment expliqué ; mais je dis que son amendement pourrait être ainsi entendu plus tard ; il porte :

« Celui qui a excité au duel, ou celui qui, par des actes ou des paroles injurieuses, a pu donner lieu à une provocation, sera puni, etc. »

Eh bien, que la provocation n’ait pas eu lieu, et que le juge décide que l’injure aurait pu donner lieu à une provocation, ne sera-t-il pas dans les termes de l’article 3 en appliquant les pénalités que cet article établit ?

Je pense donc que l’amendement de l’honorable M. Metz ne peut être admis, parce qu’il a une portée qui n’est pas dans l’intention de son auteur.

Les observations que l’honorable M. Delfosse sur le plus ou moins de culpabilité dans différents cas qu’il a indiqués, démontrent qu’il faut attribuer au juge une grande latitude dans l’appréciation des faits constituant le délit ; c’est parce que je l’ai pensé ainsi dès le principe de la discussion que j’avais voulu, à propos de l’article 1er, réserver, comme conséquence nécessaire, une plus grande latitude aux tribunaux pour l’application de la peine ; je tâcherai d’arriver à ce résultat en proposant (non quand nous arriverons à l’article 10, ainsi qu’il en a été question tantôt, mais à la fin de la loi), une disposition tendant à conférer au juge la faculté d’abaisser, lorsqu’il y aura des circonstances atténuantes, le minimum des peines établies par les trois premiers articles de la loi.

D’après ces considérations, je voterai pour l’article 3 du projet du sénat, auquel M. le rapporteur de la section centrale vient de se rallier.

M. Metz – Je ne conçois vraiment pas comment l’honorable préopinant a pu verser dans une erreur aussi grave que celle qu’il vient d’exprimer. Comment a-t-il pu supposer que je voulais rendre l’article 3 applicable au cas où il n’y aurait pas eu de provocation ? Toutes les dispositions d’une loi s’interprètent l’une par l’autre ; et il est évident qu’il s’agit dans l’article 3 de la provocation dont il a été question dans l’article 1er.

Pour que mon amendement eût la portée que lui donne l’honorable M. d’Huart, il aurait fallu que j’eusse dit : « a pu donner lieu à une provocation », au lieu de dire : « à la provocation. »

Je pense qu’il convient d’adopter mon amendement, qui tend à punir l’injure qui a donné lieu, à bon droit, à une provocation effective. Mais nous ne devons pas considérer celui qui a été provoqué à raison d’une injure légère aussi coupable que le provocateur.

Je maintiens mon amendement.

M. Fleussu – J’avais demandé la parole pour répondre à l’honorable M. d’Huart et vous présenter l’observation que vient de faire l’honorable préopinant. Cependant on a fait remarquer qu’il y a quelque contradiction entre la loi et le code pénal. Il est évident que c’est une loi spéciale que nous faisons, et que, si nous voulons nous en rapporter aux principes généraux, il nous sera impossible de la mener à bonne fin.

Vous aurez d’autres anomalies que celle sur laquelle l’honorable M. Delfosse a appelé votre attention.

Par exemple, les magistrats sont protégés par le code, et ont le droit de réprimer les injures qu’ils reçoivent dans leurs fonctions. Mais si vous rapprochez cette loi du code pénal, vous verrez que, d’après cette loi, les magistrats manqueront de protection, tandis que les particuliers en auront une très grande.

C’est ainsi qu’à l’article 223 vous trouverez que, lorsque les magistrats auront été outragés, même sur leurs sièges, la peine n’est que d’un mois à deux ans et d’une amende de 16 à 200 francs. D’un autre coté, si vous venez à l’article 71, concernant la calomnie, vous trouverez que la peine est de deux à cinq années d’emprisonnement contre le calomniateur. Eh bien quand on aura provoqué en duel il se trouvera que la peine sera réduite à un emprisonnement de un à trois mois : voilà ce qui résulte quand on fait des lois spéciales, quand on fait des lois tout à fait en dehors des règles générales.

Quant à l’observation de M. Metz, je l’appuierai, il faudrait mettre : « celui qui aura donné lieu à la provocation. » Car, pour donner lieu à la provocation, il faut des injures ou des voies de fait : vous donnerez de cette manière toute latitude aux juges.

Lorsque nous en viendrons aux circonstances atténuantes, je demanderai que l’article 463 du code pénal soit applicable ; car de cette façon on mettra les juges à même de punir chacun comme il l’aura mérité.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Après les discours que vous venez d’entendre, il me restera peu de chose à dire pour justifier l’article de la section centrale.

Il y a un principe que plusieurs préopinants ont perdu de vue : c’est l’impossibilité de caractériser toutes les circonstances qui peuvent accompagner, précéder ou suivre un délit, de manière à fixer par la loi une peine proportionnée à ce délit. C’est donc fort inutilement qu’un honorable membre présente l’exemple d’un spadassin qui provoque, ou d’un ami qui provoque son ami. Dans l’impossibilité de prévoir tous les cas, que faut-il faire ? Il faut supposer que les juges ont la conscience de leurs devoirs, et qu’ils savent apprécier les faits portés devant eux. Mais, dit-on, il peut arriver que les cas prévus par l’article 3 ne soient pas plus graves que les cas prévus par l’article 1er ; mais n’y a-t-il pas des maximum et des minimum dans les peines ? Un honorable député de Thielt propose une peine plus forte quand il y a préméditation. Le juge se décidera selon les circonstances qui accompagneront le délit.

Un honorable député de Courtray veut aussi qu’on entre dans des détails : ces dispositions n’amélioreraient pas la loi ; elles la détérioreraient plutôt que de l’amender.

Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’adopter l’amendement proposé par M. Metz qui veut remplacer les mots « injure quelconque » par les mots « actes, gestes, paroles injurieuses, » par des détails enfin ; mais les explications données par M. d’Huart suffisent pour répondre à M. Metz.

On trouve du vague dans le projet de la section centrale ; est-ce que les amendements seraient sans vague ? Laissez aux juges l’appréciation des injures et des moyens d’injurier, et ils verront s’il y a des injures et si les injures ont donné lieu à la provocation. Quand vous aurez dit : « actes, gestes, paroles injurieuses », il ne suffira pas de l’existence des actes, gestes et paroles, il faudra savoir en outre si ces actes, gestes, ou paroles contiennent véritablement une injure.

Je le répète, il est impossible de faire une loi d’après des cas particuliers ; c’est détruire l’essence d’une loi que de faire figurer des cas particuliers pour son application ; il faut s’en rapporter aux juges pour l’appréciation des faits ; et l’expression « une injure quelconque » comprend tout. Il n’y a pas d’utilité à modifier le projet de la section centrale.

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures.