(Moniteur belge n° 29 du 29 janvier 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure un quart.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre :
« La veuve Corneille Roevens, meunière à Lillo, demande une indemnité du chef des pertes qu’elle a essuyées en 1831, par suite des inondations des poldres. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux indemnités.
« Le sieur André Lefebvre, vétérinaire, auteur de la méthode curative de la morve, demande que la chambre oblige le gouvernement à adopter son projet d’organisation d’une école vétérinaire, et demande aussi une indemnité pour ses travaux pour découvrir les moyens de guérir les maladies épidémiques. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président invite MM. les présidents des sections à les faire convoquer pour qu’elles s’occupent de la demande de crédit supplémentaire de 100,000 francs, pour l’érection d’un petit séminaire à Saint-Trond, en remplacement de celui de Rolduc.
Discussion générale
M. le président – La discussion continue sur le chapitre VI – Industrie, commerce et agriculture.
M. Smits – N’ayant pas reçu le Moniteur avant d’arriver à la chambre et n’ayant trouvé le temps que de parcourir à la hâte les notes que j’ai prises hier, il me serait difficile, pour ne pas dire impossible, de répondre, d’une manière complète, aux honorables collègues qui ont pris la parole dans la discussion d’hier. Je tâcherai cependant de rencontrer les principaux arguments qu’ils ont présentés.
Je commencerai par M. de Foere.
Cet honorable membre trouve que le système suivi par le gouvernement est irrationnel. Il accuse le gouvernement d’avoir imposé ce système au pays, sans avoir consulté, soit les chambres de commerce, soit la législature. Il accuse le système suivi d’avoir provoqué les maux et les souffrances dont nos diverses branches d’industrie sont atteintes aujourd’hui. Ces attaques dans la bouche de l'honorable membre, je les conçois, parce qu’il a un tout autre système, système qui est en quelque sorte chez lui une idée fixe. Je respecte les convictions ; très probablement son système serait bon et profitable au pays. Mais les systèmes d’économie et d’application se résument en tarifs et en dispositions corollaires à ces tarifs. Or, j’ai souvent, pour ma part, demandé à l’honorable membre qu’il voulût bien formuler son système, et faire usage de son droit d’initiative parlementaire. Alors nous aurons une base rationnelle de discussion, et ces discussions qui se reproduisent tous les ans auront une fin.
Cependant, il y a quelquefois contradiction chez l’honorable membre ; car tantôt il dit : « Votre système est mauvais « ; tantôt il dit : « Vous n’avez pas de système. » C’est ainsi qu’il disait dernièrement que beaucoup d’armateurs et de négociants ne savaient ni avancer, ni reculer, ne connaissant pas les principes qui guident le gouvernement. Mais tous ceux qui sont dans le commerce, et ceux même qui sont hors du commerce, savent qu’il y a un système qui n’est pas nouveau, qui est ancien, qui a été créé par une loi de 1816, et qui a été amélioré par une loi de 1822. Il a été conservé pour la partie maritime ; mais il a été amélioré par les traités avec les divers pays, par les explorations maritimes et par diverses autres mesures.
Pour l’agriculture, le système a été modifié par la loi sur les céréales et par la loi sur le bétail étranger. Pour l’industrie manufacturière, il a été modifié par les tarifs en faveur des fers, des toiles de lin, des draps, des tissus de laine, de la bonneterie, de la verrerie, enfin pour une masse d’objets. Il y a donc bien réellement un système déjà ancien qui a été amélioré, de la manière que je viens d’indiquer, et, en outre par la loi du chemin de fer et par la loi du transit.
Je sais que la loi du transit n’a jamais obtenu l’approbation de l’honorable membre. Mais il n’est pas vrai de dire qu’elle a été imposée au pays. Jamais la loi n’a eu une sanction plus éclatante ; car elle a passé devant cette chambre à l’unanimité des suffrages.
L’honorable membre en veut au transit : il dit qu’une politique rationnelle devrait consister non à admettre les marchandises des nations étrangères à traverser notre territoire, mais à créer le marché intérieur. Mais si vous voulez (erratum au Moniteur du 30 janvier :) le marché intérieur, c’est-à-dire le marché exclusif, réfléchissez aux conséquences de ce système, on ne peut en donner le privilège à une industrie indigène qu’en repoussant les produits similaires des auteurs pays ; et quand vous aurez repoussé de votre marché les nations étrangères, celles-ci ne repousseront-elles pas vos produits ? Alors que sera votre marché intérieur, réduit à la consommation de 4 millions d’âmes ?
A cette occasion, je répondrai à ce qui a été dit par un autre membre. On a beaucoup parlé de la France. Mais se rend-on bien compte de nos relations avec la France ? Permettez-moi d’appeler votre attention sur ce point.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, c’est-à-dire alors que la Belgique et la Hollande étaient réunies, nos exportations vers la France s’élevaient à une valeur de 50 millions de francs. Depuis, cette exportation de nos produits a reçu une extension remarquable. Notre exportation a été :
En 1831 de 36,000,000 francs.
En 1832, 44,000,000
En 1833, 53,000,000
En 1835, 54,000,000
En 1836, 60,000,000.
Et à partir de 1836, époque à laquelle le gouvernement a fait, avec la France, une convention pour améliorer les tarifs des deux pays, suivant leur intérêt réciproque, les exportations ont considérablement augmenté.
Elles ont été de 60 millions en 1836 et de 83 millions en 1837. Enfin du tableau de 1838 que je viens de recevoir, il conste que la Belgique a exporté en France pour une valeur de 93 millions de francs.
Un membre – La houille forme presqu’exclusivement cette exportation.
M. Smits – Les toiles de lin y entrent pour une somme considérable. D’ailleurs, les houilles sont un produit aussi intéressant qu’un autre.
L’honorable M. de Foere a combattu le système de transit. Je comprends encore cette opposition, parce que l’honorable membre n’a pu encore apprécier les avantages de ce système. Tous ceux qui ont pu suivre notre mouvement commercial avant la révolution ne sauraient nier ses avantages.
Avant 1830 le mouvement du transit vers les provinces rhénanes était de 120 millions de kilogrammes, et c’est par ce mouvement commercial, d’où résultait en grande partie notre prospérité de cette époque, que nous avons pu nous créer un marché ; car ce n’est que par le mouvement des arrivages commerciaux qu’on peut se créer un marché. Et remarquez, messieurs, qu’à cette époque, le transit était limité aux provinces rhénanes qui n’avaient qu’une population de 3 ou 4 millions d’habitants ; et du moment que le chambre atteindra le Rhin et la frontière de France, cette population ne sera plus de 4 millions d’hommes ; elle sera de 26 millions d’hommes agglomérés dans une même confédération commerciale.
On doit remarquer d’ailleurs que le transit, qui a été si souvent blâmé par l’honorable membre, est l’origine du chemin de fer, ce grand œuvre de civilisation, de communication. Je ne fais aucun doute que si la Belgique se constitue, et persiste à se constituer comme intermédiaire de changes entre les puissances qui l’environnent, elle réalisera d’immenses bénéfices et les espérances que ce travail national qui a beaucoup fait pour notre indépendance politique, a fait concevoir.
Ainsi, messieurs, sous le rapport maritime, industriel et commercial, il y a véritablement un système ; et ce système a été constamment amélioré d’après la position du pays, d’après les nouveaux intérêts qui se sont créés.
L’honorable M. Dumortier a dit que le premier principal commercial c’était la création des marchés. Je suis de cette opinion, mais je crois qu’il n’y a de marchés à établir qu’au moyen du transit, c’est-à-dire qu’en se plaçant l’intermédiaire des peuples environnants, parce qu’on établit ainsi un grand mouvement commercial, et par conséquent de grands marchés. Mais je n’admettrai pas avec lui qu’il faille favoriser l’importation directe des matières premières des colonies, afin d’avantager les industries du pays. Il arrive souvent que, sur les grands marchés d’Europe, la matière première est à meilleur marché qu’au lieux de production, à cause de la grande concurrence qui s’y établit.
Nos industriels doivent jouir de leur libre arbitre, comme ils l’ont fait jusqu’à présent, acheter les matières premières là où ils les trouvent à meilleur compte.
Il y a d’ailleurs peu d’industries aussi favorisées que celles de la Belgique. Les matières premières ne sont pas imposées au-delà d’un simple droit de balance ; et les primes qu’on pourrait accorder pour l’importation de ces matières premières ne seraient pas une compensation de la différence des prix auxquels on pourrait obtenir ces matières premières sur des marchés favorisés.
Je pourrais citer l’industrie cotonnière et établir une comparaison entre les droits payés sur la matière première en France, en Angleterre et en Pusse et ceux qu’on paie en Belgique, certain que le résultat serait tout à l’avantage des industriels de notre pays, mais je m’en abstiendrai pour ne pas fatiguer votre attention.
Hier, messieurs, l’honorable député de Thielt nous a fait une grande concession ; il a abondé dans notre système ; il est convenu avec nous que la navigation n’était pas un but mais un moyen, que conséquemment il allait favoriser les arrivages le plus possible, parce que plus on a de moyens de transporter, plus il est facile d’importer des matières premières et d’exporter les produits fabriqués. C’est le système que nous avons toujours défendu dans cette enceinte. Mais l’honorable membre, en faisant cette concession, devrait comprendre que le système qu’il préconise, celui des droits différentiels, va à l’encontre de la concession qu’il nous a faite ; car du moment qu’il y a des droits différentiels en faveur de la navigation nationale, ce qui lui donnerait une espèce de privilège, on exclut, on éloigne la navigation étrangère Or, la navigation étrangère diminuant, il est évident que l’universalité des industries du pays en souffrira. Je prends pour exemple l’industrie cotonnière. Je suppose la navigation étrangère exclue ou éloignée de nos ports par les droits différentiels ; dès lors n’ayant plus assez de navires pour importer vos matières premières et exporter vos produits fabriqués, le fret augmentera et par suite l’augmentation du fret tombera sur la matière première, importée et sur la matière fabriquée.
L’honorable député de Thielt a dit encore : Sous un certain rapport je veux bien du transit, mais il y a transit et transit ; il y a le transit actif et le transit passif. Le transit actif est celui qui résulte du transport et de l’emmagasinage des marchandises importées sous pavillon national ; celui-là est véritablement profitable au pays. Le transit passif, au contraire, c’est celui des marchandises importées sous pavillon étranger, cela-là ne profite pas au pays.
Je demanderai à l’honorable membre s’il croit réellement qu’un tonneau de marchandises transporté de Bruges vers le Rhin, importé sous pavillon national, coûtera moins cher en salaires d’ouvriers, en frais de transport et d’emmagasinage qu’un tonneau de marchandises importé par un navire étranger. Certainement non puisque les frais sont les mêmes. D’ailleurs, comment ferait l’honorable membre avec les marchandises qui nous viendront du nord de l’Italie, de la Suisse, de l’Allemagne et du nord de la France ? Voudra-t-il aussi que ces marchandises soient importées sous pavillon national ?
Vous voyez que cela est impossible. Votre système, dit l’honorable membre, n’est suivi nulle part ; il est exotique, aucune nation ne fait de son transit la base de son système commercial. Le transit partout est considéré comme un moyen de commerce tout à fait secondaire. Mais quand l’honorable membre raisonne de cette manière, il devrait, pour l’application, jeter les yeux sur les pays qui ont une position identique à la nôtre, il ne doit pas prendre pour point de comparaison l’Angleterre, car l’Angleterre est un pays hors ligne, elle ne peut être comparée avec qui que ce soit. La comparaison devait être faite avec la Hollande et les villes anséatiques, dont la position est analogue à la nôtre. Eh bien, tout le système hollandais repose sur l’encouragement du transit, tout le système des villes anséatiques repose également sur cet encouragement, et je défie l’honorable membre de me citer, dans la législation de ces deux peuples, le système colonial de la Hollande excepté, une loi quelconque qui favorise le commerce direct d’une manière spéciale. Je ne dis pas qu’il ne faut pas favoriser le commerce direct, au contraire, mais il faut le faire sans exagération et par des moyens qui ne soient pas susceptibles de susciter des représailles ou de compromettre l’avenir.
Je soutiens donc que les peuples que je viens de citer favorisent le transit, parce que, comme nous, ils savent très bien que le moyen d’avoir un marché, c’est d’avoir un grand mouvement commercial et une grande et nombreuse navigation sans lesquels tout marché est impossible ; c’est qu’ils savent, en outre, comme nous que le moyen de se donner ces avantages, c’est de se placer comme l’intermédiaire des échanges entre les peuples dont on est entouré.
Enfin, on a dit que c’était à notre système, au système que mes honorables amis et moi défendions, système, je le répète, qui est ancien et que nous n’avons fait qu’améliorer, qu’il fallait attribuer le malaise du commerce et de l'industrie ; mais personne ne le croira. Le malaise de quelques branches de notre industrie tient à des causes générales qui ont agi sur tous les peuples, sur l’Allemagne, sur la France, sur l’Angleterre et la Suisse. Ces causes, je ne les développerai pas, parce que cela nous mènerait trop loin ; mais quand ces causes n’auraient pas existé, il n’en aurait pas été autrement, car ce n’est pas au milieu des cris de guerre, du cliquetis des armes, au milieu des commotions violentes que le commerce peut prendre son essor ; alors le crédit se resserre, la confiance se perd, et le travail souffre.
Il y a perturbation, et cette perturbation se présente à l’étranger sous des couleurs plus sombres qu’à l’intérieur ; car les nations rivales exploitent cette situation, elles l’exagèrent et font naître des craintes ; les négociants étrangers effrayés suspendent leurs commandes et l’envoi de leurs cargaisons ; et à ces causes d’interruption des affaires vient se joindre encore souvent une autre cause de malaise, c’est le cri de détresse que jette l’industrie elle-même. Celui qui fait travailler attend pour faire ses achats, parce que plus la détresse est grande, plus il a de chances d’acheter à bon compte et de faire de gros bénéfices.
Qu’on cesse donc de dire que le malaise qu’éprouvent quelques branches de notre industrie dérive du système suivi par le gouvernement. Ce malaise, je le répète, tient à des causes générales, et il résulte des circonstances fâcheuses dans lesquelles nous nous sommes trouvés.
Je concevrais cependant les reproches adressés au gouvernement; lorsqu’une branche de commerce ou une branche d’industrie se trouve momentanément en souffrance, si le gouvernement avait véritablement une action sur le commerce et l’industrie. Mais je pose en fait que le gouvernement n’en a aucune, il ne peut empêcher une branche de commerce de s’exploiter, ni une industrie de s’établir. Aussi que voit-on ? Du moment où un article de commerce ou d’industrie offre quelque bénéfice, tout le monde s’y jette à la fois pour l’exploiter. De là une concurrence, une surexcitation de production à laquelle le gouvernement ne peut rien. Et au milieu de cette surexcitation de production, de cette concurrence effrénée, on ne fait pas attention à une chose, c’est que tous les pays entrent successivement dans l’arène industrielle, et que tous veulent être producteurs à leur tour. Ainsi, tandis que d’un côté la production augmente, de l’autre les débouchés se restreignent plus ou moins ; mais, encore une fois, cela ne tient pas au système adopté, mais à la force, à la nature des choses.
Messieurs, je puis vous assurer que le gouvernement n’a jamais négligé un conseil ; il en a donné chaque fois qu’il l’a pu ; il a fait voir souvent à des industriels qui voulaient ériger de grands et somptueux établissements le défaut de bases sur lesquelles on voulait bâtir. Je le répète, à défaut de moyens d’action, il a dû se borner à des conseils dont bien souvent, malheureusement, on n’a pas tenu compte.
Il est facile de dire à un gouvernement : Vous n’avez rien fait pour le commerce et pour l’industrie ; mais moi, je poserai une autre question, et je demanderai ce qu’il aurait fallu faire et ce qui ne s’est pas fait ? Si le système suivi, système ancien mais amélioré, comme je l’ai déjà dit, avait été réellement défectueux, votre industrie aurait diminué, votre mouvement commercial se serait ralenti. Or, messieurs, c’est le contraire qui est arrivé, et je vais le prouver par des chiffres, qui sont la loi écrite des problèmes économiques.
Depuis 1831, nos exportations générales se sont élevées de 104 à 155 millions ;
Nos exportations exclusivement belges se sont élevées de 96 à 129 millions ;
Le mouvement de notre navigation s’est accru de 126,000 tonneaux à 288,000 tonneaux ;
Et les bâtiments chargés, partis de nos ports avec des produits du pays, ont cru augmenter leurs chargements de 74,000 tonneaux à 180,000 tonneaux.
En présence de pareils résultats peut-on accuser un système ? non, un pareil système est bon, puisque l’expérience prouve que les résultats sont favorables.
Je disais tantôt, messieurs, que le gouvernement n’avait rien négligé pour l’industrie et le commerce ; et ajoutez maintenant, parce qu’il faut rendre hommage à la vérité, que jamais on n’a tant fait pour toutes les branches de la prospérité publique, que depuis que les ministères des affaires étrangères et de l’intérieur ont été réunis dans les mêmes mains, dans les mains de l’honorable M. de theux.
Que d’autres se vantent de ce qu’ils font pour le commerce et l’industrie, je le conçois. C’est une petite satisfaction qu’ils donnent à leur petit amour-propre ; mais les hommes vraiment dévoués au pays, et qui ne cherchent qu’en eux-mêmes et dans leur conscience, la seule récompense de leurs travaux ne font pas si grand étalage. Ils travaillent et ne disent rien.
C’est ainsi qu’on ignore le plus souvent les difficultés des gouvernements, et, pour ne citer que quelques exemples, permettez-moi de rappeler celles que le cabinet actuel rencontra peu de temps après son arrivée au pouvoir.
Le Danemark voulait nous fermer les eaux du Sond et des deux Belt, en nous assujettissant à des droits additionnels qu’il eût été difficile de supporter. A la même époque la Suède se montrait également hostile à notre pavillon. Et pendant que ces deux nations du Nord se montraient peu favorables, l’Angleterre exigeait les surtaxes de la Trinity House. D’un autre côté, l’Amérique du nord frappait nos cargaisons d’un droit différentiel de 10 à 15 pour cent. Eh bien, toutes ces difficultés ont été aplanies.
Le Danemark admet nos navires dans le Sund et les Belt, comme il admet ceux des nations les plus favorisées. La Suède nous a admis comme ses nationaux. En Amérique nous sommes reçus comme les Américains. La perception des taxes de la Trinity House a été suspendue. Depuis lors différents traités de commerce et de navigation ont été conclus. Nous sommes admis sur le pied des nations les plus favorisées dans les Etats de l’union américaine, au Mexique ; avec le Brésil, nous avons un traité ; vous en avez un avec la Sardaigne et avec la France. Ainsi presque toute la côté orientale de l’Amérique nous est ouverte depuis le Canada jusqu’au cap Horn. Nous nous trouvons, par les traités de la Turquie, de la Sardaigne et de la France, avoir une navigation privilégiée depuis Ostende jusqu’à la mer Noire. Si ce ne sont pas là des résultats heureux pour une nation dont l’indépendance politique n’avait pas encore été sanctionnée par l’Europe, je n’y comprendrais véritablement rien. Que l’on consulte d’ailleurs nos chambres de commerce, et elles nous diront, si elles veulent être justes, que jamais elles n’ont reçu des renseignements plus détaillés sur la situation de toutes les branches de l'industrie et du commerce que sous le gouvernement actuel.
Aucun renseignement ne leur a été dérobé, à tel point que leurs secrétariats doivent former aujourd’hui des petits bazars où presque tous les produits du monde se trouvent déposés.
Chose singulière, messieurs, on dit sans cesse au gouvernement : marchez, mettez-vous en mouvement, protégez le commerce et l’industrie ; et quand il veut marcher, qu’il veut se mettre en mouvement, on l’arrête, on lui dit : Vous ne marcherez pas !
Je concevrais une pareille conduite chez l’opposition si le crédit annuellement voté pour l’encouragement du commerce et de l'industrie avait donné lieu à des critiques fondées ; mais c’est tout le contraire ; car, chose remarquable, messieurs, c’est que chaque fois que la chambre a eu à s’occuper de l’emploi du crédit, jamais aucune difficulté ne s’est élevée. Au contraire, on a toujours témoigné de la satisfaction au gouvernement pour la manière dont ce fonds avait été réparti.
La section centrale s’est plaint de ce qu’on n’avait pas donné assez d’explications ; mais ces explications sont souvent impossibles ; car pourquoi demande-t-on des fonds ? C’est pour encourager les efforts d’industries nouvelles, c’est pour venir aux secours des anciennes industries qui souffrent par une cause accidentelle et inopinée. Ainsi il n’est pas possible de déterminer d’avance l’emploi des crédits. Quand même ce serait possible, quand même le gouvernement aurait la prescience de l’avenir, il ne pourrait pas encore donner des explications ; car il est imprudent quelquefois de dire comme on appliquera tel ou tels fonds. Je vais en citer un exemple.
En 1835 le gouvernement, pressé par des sollicitations nombreuses, eut égard à la souffrance extraordinaire de l’industrie cotonnière, et prit une mesure pour la favoriser. Il préleva sur les crédits encore disponibles des années antérieures une somme assez majeure pour aire quelque chose. Le gouvernement dit : faites une association ; tâchez d’exporter, tâchez de ressaisir vos anciens débouchés ; il y aura perte d’abord, mais cette perte je la supporterai jusqu’à concurrence de telle somme.
Eh bien, cette combinaison marcha parfaitement bien ; on avait pris pied dans des anciens parages, lorsqu’une malheureuse indiscrétion commise par un journal qui ne devait pas la commettre vint révéler l’existence de cette prime indirecte. Immédiatement après une mesure fut prise, et les produits de notre industrie, au lieu d’être assujettis à un droit de 25 p.c. furent frappés d’un droit de 50 p.c. Vous voyez donc, messieurs qu’il n’est pas toujours prudent de trop dire.
Quant à ce qui concerne le million Merlin, je ne pense pas qu’il fasse naître de craintes sérieuses, puisque tous les ans la chambre a la faculté d’examiner l’emploi qui a été fait des crédits, et jamais, dans aucune circonstance, je le dis encore la chambre n’a trouvé aucune critique à faire sur la répartition des fonds. Au reste il serait peut-être désirable que le gouvernement eût un million à sa disposition, et quant à moi, je le voterais volontiers.
On a parlé de bateaux à vapeur ; eh bien, je demande si dix fois cent mille francs appliqués à la construction de deux bateaux à vapeur pour établir une navigation régulière d’Ostende et d’Anvers vers l’Amérique, le Brésil, le Mexique, ne seraient pas une chose essentiellement utile au pays ? Et si ce ne serait pas un moyen de faire connaître davantage nos produits dans des parages qui sont trop peu exploités ? cette navigation ne serait-elle pas un bien nécessaire à notre pays, à notre industrie ?
Je suis de très près le mouvement commercial des autres nations qui nous environnent, et j’avoue que c’est avec tristesse que je parcours les tableaux des importations de ces pays. L’Amérique du nord, entre autres, reçoit des masses de marchandises de l’Allemagne et de la France, tandis que nous, qui sommes pour plusieurs articles dans des conditions de production tout aussi favorables, nous ne lui envoyons presque rien. Explorons donc davantage ce pays et notre industrie s’en trouvera bien, j’en ai la conviction.
La Belgique, messieurs, est certainement, relativement à son territoire, la nation la plus commerçante et la plus industrielle du monde ; cependant c’est le pays où le budget est le moins bien doté pour l’encouragement de l'industrie et du commerce. La Hollande n’a presque pas d’industrie, et néanmoins tous les ans, figurent à son budget une somme de 7 à 8 cent mille florins pour la favoriser. En France, il y a, je crois, un crédit de 3 à 4 millions. Mais ces nations s’imposent des sacrifices bien plus importants.
L’Angleterre dépense pour ses consulats seuls près de 7 millions ; et la France dépense 4 millions pour le même objet. Vous voyez donc, messieurs, que les propositions que le gouvernement fait sont extrêmement, excessivement modérées, et quant à moi, je les admets sans hésiter, prêt même à voter un subside plus considérable.
M. Verhaegen – Messieurs, je croirais manquer à mon devoir si je ne disais quelques mots sur une question aussi importante que celle qui s’agite dans ce moment. Je n’examinerai pas s’il convient ou s’il ne convient pas de voter l’allocation demandée par le gouvernement, c’est une question qui me paraît être aujourd’hui assez controversée, que celle de savoir s’il fait, par des subsides, venir au secours d’un commerce. Quoi qu’il en soit, messieurs, au milieu de cette divergence d’opinion, je préfère voter l’allocation ; mais je ne pense pas que là doive se trouver la solution de la véritable question ; le commerce et l’industrie sont en souffrance ; tout le monde est d’accord sur ce point ; quel est le remède qu’il faut y apporter ? c’est ce que nous avons à examiner. Pour nous, messieurs, avant de nous prononcer sur cette question délicate, il conviendrait que nous sachions quel est le système du gouvernement en matière commerciale ; et, il faut le dire franchement, le système du gouvernement sur cette branche importante nous est inconnu, aussi bien que son système sur les autres branches de l’administration.
Le système du gouvernement en matière commerciale est-ce un système de liberté illimité de commerce ? Ou enfin est-ce un système de temporisation ? Impossible, messieurs, de distinguer auquel de ces trois systèmes le gouvernement donne la préférence. Cependant le temps est venu de ne pas rester dans l’incertitude et de prendre un parti, parce que tous nos voisins s’occupent de cette question qui est vivace, et que si nous attendons plus longtemps, nous arriverons trop tard.
J’au cru, messieurs, qu’il était d’autant plus de mon devoir de prendre la parole dans cette circonstance que, dans les sessions précédentes, je m’étais occupé des questions de douanes et que je vais à cet égard, franchement énoncé mon opinion. Je marchais à cette époque d’accord avec certain membre du cabinet ; j’ignore si ce membre a changé d’avis depuis lors, mais il avait alors des opinions bien plus tranchées que nous. On m’a reproché, en 1838, de professer des opinions anti-libérales en matière commerciale ; je pense qu’on ne m’avait pas compris ou qu’on n’avait pas voulu me comprendre, mais aujourd’hui on me comprendra mieux.
Je n’ai jamais été partisan des prohibitions, mais j’ai été partisan et je serai toujours partisan, des mesures de représailles ; j’adopterai des prohibitions, quand d’autres nous frappent de prohibition, parce que je vois qu’en définitive (et l’expérience est là pour me prouver que j’ai raison), parce que je vois qu’en faisant des concessions et en en faisant toujours on finit par être dupe.
Messieurs, lorsque tous nos voisins s’occupent de cette question importante, celle qui se rattache à la faveur qu’il faut accorder au commerce et à l’industrie, pouvons-nous rester dans l’inaction, et n’est-il pas du devoir d’un député de venir demander compte au gouvernement de ce qu’il a fait pour se mettre à la hauteur des autres pays ? On nous a dit, messieurs, que depuis que les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères avaient été remis et confiés à l’honorable M. de Theux, on avait beaucoup fait pour le commerce, on avait fait ce que nous ne pouvions jamais espérer. Et qu’a-t-on fait ? Je croyais, messieurs, que l’honorable préopinant allait nous donner un détail de tout ce que l’on avait fait. J’ai entendu parler des relations avec des pays lointains ; immédiatement après j’ai entendu dire qu’il était désolant de voir que d’autres pays faisaient des importations considérables en Amérique, tandis que nous, nous ne faisions rien, et l’on a attribué cette position au défaut d’une navigation pour laquelle nous avons des sacrifices à faire. Ainsi, nous aurions établi pour le moment des relations avec les pays avec lesquels nous ne pouvons rien opérer, et avec les pays voisins nous n’avons rien fait ou du moins presque rien. C’est cependant avec nos voisins que nous avons à compter, c’est avec nos voisins que nous avons à établir des relations pour éviter que nous ne soyons, comme l’a dit hier l’honorable M. Dumortier, victimes d’un véritable blocus continental ; c’est avec les pays limitrophes que nous avons à faire des affaires. Peu importe dans les circonstances actuelles, surtout d’après l’observation qui vient de vous être soumise par l’honorable directeur du commerce, peu importe dans les circonstances actuelles quelles sont les relations qu’ont a pu établir avec le Brésil, avec l’Amérique ; ces relations, certes, pourraient nous être d’une très grande utilité dans la suite, mais jusqu’au moment où la Belgique aura pu faire de grands sacrifices pour se créer une marine, ces relations ne nous seront pas avantageuses. Nous devons donc surtout nous occuper aujourd’hui d’établi des relations avec les pays limitrophes. Nous avons d’abord à compter avec la France et dans maintes circonstances je me suis expliqué à cet égard, avec toute franchise, chaque fois qu’on a demandé des concessions, je m’y suis opposé. Alors que l’industrie drapière était appelée à faire des concessions, j’ai élevé la voix pour m’opposer à ce qu’on nous demandait dans cette circonstance, et j’ai dit alors, comme je le dirai toujours, qu’il est inouï qu’alors que nos produits similaires sont frappés de prohibition, nous recevions chez nous ceux que nos voisins refusent de recevoir chez eux. C’est là, remarquez-le bien, messieurs, un principe de représailles et non pas un principe de prohibition ; je veux traiter les autres comme ils nous traient eux-mêmes. Je crois qu’il n’y a là rien d’anti-libéral, mais quoi qu’on en dise, je n’admettrai jamais que le libéralisme doive aller jusqu’à être dupe d’autrui.
Dans une circonstance récente (et je me bornerai à celle-là ; et je ne veux pas, messieurs, vous faire perdre votre temps en énumérant tout ce qui s’est passé depuis 1838) dans une circonstance récente, alors qu’il s’agissait du canal de l'Espierre, que je considérais comme un sacrifice fait à la France, j’ai élevé la voix pour combattre la conduite du ministère, et remarquez, messieurs, que la France comprend autrement que nous la question de légalité qui a été agitée alors ; le gouvernement français vient de nous donner un petit échantillon de sa conduite en pareille circonstance. Pour le canal de l’Espierre notre ministère a soutenu qu’il n’avait pas besoin de s’adresser aux chambres ; eh bien, croiriez-vous, messieurs, qu’en ce moment le traité, que nos ministres ne jugeaient pas à propos de nous soumettre, est soumis à l’approbation des chambres françaises. On lit en effet dans le compte-rendu de la séance de la chambre des pairs : « Il vient d’être remis sur le bureau par le maréchal Soult… le traité fait avec la Belgique pour la prolongation du canal de Roubaix… »
Une voix – Ce n’est pas pour demander l’approbation.
M. Verhaegen – Vous ne savez pas quelles seront les propositions qui feront suite à cette présentation ; au moins est-il certain qu’on se conduit en France d’une toute autre manière qu’on ne s’est conduit ici.
Voulez-vous savoir, messieurs, comment la France, pour laquelle nous avons fait tous ces sacrifices et pour laquelle nous ne cesserons d’en faire si nous n’arrêtons le ministère dans sa marche, savez-vous comment la France agit à notre égard ? On vient de présenter aux chambres françaises un projet de loi qui est destructif de notre industrie linière ; ce projet a été présenté le 23 janvier, il équivalait à une prohibition dans toute la force du terme.
Qu’on dise après cela qu’il faut être large dans les concessions, que l’on dise, comme on l’a dit dans la discussion relative au canal de l’Espierre, qu’il faut accorder des concessions pour trouver des défenseurs lorsqu’il s’agira de nouveaux projets en matière de douane. A chaque pas que nous faisons on nous frappe, et jamais nous n’obtenons rien. Je serais fort curieux de savoir ce que nous avons obtenu en retour de tous les sacrifices immenses que nous avons faits.
Il en est de même, messieurs, pour l’Angleterre. Comment l’Angleterre nous traite-t-elle ? Eh bien à cet égard, je vous dirai franchement ma pensée ; je crois qu’en ce moment l’Angleterre réunit tous ses efforts pour détruite et notre industrie cotonnière, et notre industrie linière, et nos hauts fourneaux. Et qu’on ne s’y trompe pas, messieurs, dans les statistiques publiées par le gouvernement lui-même, nous voyons, en ce qui concerne, par exemple, nos fontes, qu’à une certaine époque (je crois que c’était en 1836), les importations surpassaient des deux tiers nos exportations. D’après les statistiques qui nous sont fournies par le gouvernement, l’Angleterre nous fournit pour plus de 60 millions ; et à combien se montent nos exportations vers ce pays ? A peine à 17 millions. Et on laisse subsister cet état de choses ! Et le gouvernement reste dans l’inaction !
Voyons ce qui se passe autour de nous, et comment nos voisins agissent ; voyons les précautions qu’ils prennent, et demandons alors au gouvernement quelles sont les précautions que nous avons prises.
La France est en négociation avec l’Angleterre pour un traité de commerce.
La France a fait sonder le terrain en Allemagne, pour profiter de l’union des douanes allemandes. Il paraît même que la seule difficulté qu’elle rencontre est relative à ses vins.
L’Angleterre elle-même paraît avoir fait des démarches pour participer aussi aux avantages de l’union des douanes.
La Hollande est en négociation pour entrer dans la même association.
Tout le monde travaille donc autour de nous à l’effet d’obtenir les meilleures voies de débouchés.
Et que faisons-nous ? Quels sont les traités que nous avons conclus avec les pays limitrophes ? Quelles sont les démarches que nous avons faites pour établir des relations ?
Nous avons des diplomates ; qu’ont-ils fait pour le commerce ? Lors de la discussion sur le budget des affaires étrangères, un honorable député a fait remarquer que, dans la position actuelle de la Belgique, notre diplomatie devait être utilisée sous le rapport commercial : ce qui a fait dire à l’un de nos ministres qu’on avait traité notre diplomatie de commerce. Je pense, moi, que, dans les circonstances où la Belgique se trouve placée, notre diplomatie doit en effet nous être utile pour établir des relations commerciales et qu’il faut à cet effet chercher des capacités ; il ne s’agit que de faire un choix et surtout un bon choix.
Eh bien, je viens demander au gouvernement ce que nos envoyés dans les pays voisins ont obtenu. Je viens lui demander s’il est enfin question d’établir des relations, s’il y existe des projet de traité de commerce ; je viens en un mot demander au gouvernement, et je prends acte aujourd’hui de mes interpellations, si toutes les précautions sont prises, pour qu’en dernière analyse la Belgique ne soit pas dupe, pour que la Belgique profite à son tour des avantages que les circonstances peuvent lui offrir.
Pourquoi, par exemple, ne dirait-on pas à l’Angleterre qui nous fournit une masse des marchandises et même des cafés, que si elle continue à nous traiter comme elle nous traite aujourd’hui, nous pourrons changer nos relations et en établir avec la Hollande ? Quelle qu’ait été la position des deux pays, l’un vis-à-vis de l’autre, je ne vois pas pourquoi l’on ne pourrait pas, au moyen de sacrifices réciproques, établir un traité de commerce dont, en définitive, nous devons retirer des avantages, y eût-il quelques concessions à faire de notre part.
Voilà, messieurs, où est la véritable question. Je ne la voix pas dans le chiffre qu’on demande. Quant à l’importante question de savoir s’il faut ou non des primes, il y a divergence d’opinions, et, dans le doute, comme je l’ai dit, je suis plus disposé à voter le chiffre qu’à le refuser. Ce que je vois cependant, et il m’importe de le dire dans cette enceinte, c’est qu’en France l’on vient de proposer, par un projet de loi, une allocation de 40,000,000 de francs, pour indemniser les fabricants de sucre indigène. En Angleterre, vous le savez, messieurs, il y a un fonds spécial des douanes ; le produit des douanes y est destiné à être réparti en primes. Voilà cependant d’un côté la France, de l’autre l’Angleterre, qui ont chacune un système que ceux qui prétendent que le nôtre est anti-libéral n’ont pas voulu apprécier.
Pour me résumer, je dis que mes principes sont aujourd’hui ce qu’ils étaient en 1838 ; je ne suis, ni ne serai partisan des prohibitions, mais je suis et je serai toujours partisan des mesures de représailles. Alors que nous nous tiendrons dans cette position, alors que nous pourrons dire à ceux avec lesquels nous aurions à traiter : « J’ai encore quelque chose que je puis vous accorder ; à votre tour, accordez-moi quelques avantages, » il y aura moyen d’établir des traités de commerce ; mais aussi longtemps que vous ne vous serez pas mis dans cette position, vous ferez des sacrifices et vous finirez toujours par être dupes.
Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire dans les circonstances actuelles, et j’avais à cœur de démontrer que l’opinion que j’ai énoncée en 1838 est encore celle que j’énonce en 1840.
M. Dumortier – Messieurs, je remercie l’honorable député d’Anvers d’avoir enfin défini le système commercial du gouvernement. Je dis « du gouvernement » ; car quoique l’honorable député n’appartienne plus au gouvernement, nous savons qu’il a été pendant très longtemps à la tête de la direction du commerce, et que, par conséquent, ce système ne lui est pas inconnu.
Vous l’avez entendu, messieurs, ce système se réduit à des termes bien simples : « faciliter les arrivages », voilà le système du gouvernement.
Faciliter les arrivages… certes, c’est là une bonne chose, quand toutefois les arrivages ne sont pas l’affaire principale du commerce ; car il faut distinguer entre les arrivages.
Sous ce rapport, je ne partage point l’opinion de ceux qui prétendent que la navigation n’est pas un but, mais qu’elle est un moyen. Je pense qu’en matière d’industrie, tout est moyen, tout en but : il n’est aucune branche d’industrie qui n’amène avec elle des productions, et qui par conséquent, ne soit un but pour celui qui l’exerce. Je ne comprends donc pas les distinctions subtiles, toutes de théorie, que l’on a faites, dans la pratique (et c’est toujours à la pratique qu’il faut d’attacher ; tout est industrie ou moyen, et but ; tout ce qui rapporte est un but vers lequel doivent tendre les efforts du gouvernement.
A la vérité, il existe dans l’industrie des positions tout à fait différentes qui amènent des résultats aussi très différents.
Ainsi le commerce de transit est le moindre de tous les commerces. J’insiste, messieurs, sur cette proposition, parce que nous sommes habitués à avoir les oreilles blasées par ce grand mot de transit, et que plusieurs d’entre vous, moins familiarisés avec les questions de commerce, pourraient croire à l’immense avenir qui nous est préparé au moyen du transit.
Or, messieurs, le transit en lui-même, est l’opération la moins lucrative de toutes les opérations commerciales. Le transit s’effectue dans un pays, avec d’autant plus d’activité qu’il s’y fait à un taux plus économique. Ainsi vous aurez plus de transit par un chemin de fer ou par une voie d’eau que vous n’aurez de transports par voitures. Mais sera-ce un avantage pour nous ? Evidemment non, car moins le transit nous laisse de bénéfices, moins il est avantageux au pays. Dans mon opinion, le commerce pour une nation consiste à amener, au moyen de toutes les opérations commerciales, le plus grand nombre de bénéfices possible ; et certes, en pareille matière, il est constant que la partie qui offre le moins de bénéfices est précisément l’opération de la marchandise qui passe. Un exemple fera sentir cette vérité. Si l’Angleterre et la France, la Hollande pouvaient opérer le transit à travers la Belgique, sans toucher notre sol, ce serait ce mode de transit que ces nations choisiraient de préférence. Ainsi, je suppose que, par impossible, on parvienne à opérer un transport par les airs, évidemment ce transit sera préféré, puisqu’il coûterait le moins ; mais quel avantage la Belgique retirerait-elle d’un pareil commerce, qui se ferait par l’atmosphère ? Evidemment aucun ?
Vous voyez donc, messieurs, ce que c’est que le commerce de transit, c’est le moyen le plus économique pour les autres nations de traverse notre territoire, et, par conséquent le moins productif pour le pays qui en est l’objet.
En matière de commerce, et surtout de commerce international, il faut distinguer trois choses : il y a à considérer d’abord la navigation, en second lieu la vente, en troisième lieu la commission qui est le transit.
De ces trois choses, celle qui rapporte incomparablement le plus de bénéfices, c’est la navigation ; vient ensuite la vente, la commission n’arrive qu’en troisième ligne, elle ne rapporte que des bénéfices infiniment minimes ; ainsi elle ne procurera qu’un bénéfice d’un quart p.c., tandis que la vente peut procurer à celui qui arrive dans nos ports de mer un bénéfice de 5,6 et même 10 p.c.
Ce n’est donc pas le nombre des arrivages, mais la qualité des arrivages qui est la question principale pour un pays. Ainsi, la Belgique gagnera beaucoup plus, s’il existe seulement chez elle un arrivage de 100 navires qui viennent y effectuer un dépôt commercial destiné à la vente, qui si elle recevait mille navires, qui n’y opèrent que la commission, parce que le bénéfice de la commission ne l’élève pas au-delà de la quarantième partie du bénéfice commercial de la vente.
Il ne faut donc pas que le gouvernement borne ses vues à ces commissions et le transit, qui en est la suite, est au-dessous de toutes les autres opérations commerciales.
En matière d’industrie, il faut réunir tous les bénéfices possibles. Si vous pouvez faire le bénéfice de la navigation, faites le bénéfice de la navigation ; si vous pouvez seulement faire le bénéfice de la vente, faites le bénéfice de la vente ; si vous devez vous borner à faire le bénéfice de la commission, faites encore le bénéfice de la commission ; mais pour Dieu ! lorsque vous pouvez faire le bénéfice de la vente et de la navigation, gardez-vous de borner vos vues au seul bénéfice de la commission. Or, le système qu’on vient de développer ne tend à rien autre chose, sinon à limiter le bénéfice commercial de la Belgique au seul bénéfice résultant de la commission. Faciliter les arrivages, établir un port libre, c’est le système de l’honorable député auquel je réponds, et ce système est celui de la vente par commissions.
Eh bien, ce système, appliqué à la navigation par l’honorable membre auquel je réponds, est la même chose que la liberté commerciale appliquée à la tarification. Maintenant, je vous le demande, si on venait vous proposer d’établir la liberté de commerce, qui oserait l’appuyer ?
Elevés que nous sommes dans les principes de liberté, nous désirerions tous pouvoir admettre cette liberté commerciale ; nous le désirerions d’autant plus que la Belgique, par l’activité de ses habitants, par l’immense ressource des capitaux qu’elle possède, pourrait lutter avantageusement avec les autres pays. Mais aussi longtemps que les puissances voisines conservent un système protecteur douanier, quel que soit notre désir de proclamer la liberté du commerce, nous ne pouvons pas le réaliser ; nous sommes toujours dans la nécessité d’avoir des droits protecteurs dans notre industrie. Pareille chose doit avoir lieu pour la navigation. Si vous restez dans le système où nous nous trouvons, vous êtes sans protection pour notre navigation, car le système actuel est l’absence de protection pour elle. Nous allons voir quels ont été les résultats de ce système.
Ce système, dit,-on, existait sous la Hollande et a amené d’immenses avantages pour nos ports de mer. Mais la question n’est pas entière ; car si alors notre navigation n’avait pas l’avantage de droits protecteurs, elle avait un autre avantage, celui du monopole des colonies hollandaises. Ce privilège constituait un avantage sur lequel était hypothéquée la navigation. Vous avez perdu cet avantage par la révolution, et vous n’avez pas compris qu’il fallait le remplacer par un autre ; vous n’avez pas vu que vous tombiez dans le système de liberté illimitée de navigation.
Messieurs, quelles ont été les conséquences de cette conduite ? vous les connaissez tous. A l’époque de la révolution, vous aviez une marine très florissante, vous aviez à Anvers des chantiers de construction magnifiques, des vaisseaux nombreux se trouvaient dans nos ports. Eh bien, qu’est-il arrivé ? par suite du faux système ou plutôt de l’absence de système commercial du gouvernement, les chantiers ont été fermés, vos beaux navires vous ont abandonnés et sont allés dans les pays où on accordait une protection à la navigation. Je vous le demande, est-il vrai de dire qu’un système qui a produit d’aussi funestes résultats doit amener la prospérité du pays, doit continuer à nous régir. Pour moi, je dis qu’un pareil système est jugé et ne peut amener que la ruine du pays.
Depuis lors on a bien adopté quelques dispositions de détail qui ont pu favoriser l’industrie ; on a accordé des primes à l’industrie dans des moments de souffrance, on en a accordé également à la pêche nationale. Par suite de ces primes, quelques navires ont été construits ; mais nous sommes encore bien loin de l’état où nous étions au moment de la révolution ; ce qui prouve que la situation de notre marine tient au vice du système qui nous régit. Si nous pouvions revenir à un système protecteur, soit par des colonies, soit par des traités sagement conçus, soit par des droits différentiels, notre navigation redeviendrait bientôt florissante. Messieurs, sans navigation, vous n’aurez jamais de commerce prospère. Si nous pouvons revenir à un système protecteur, nous aurions bientôt recréé une marine plus florissante que celle qui existait du temps du roi Guillaume, et cette marine amènerait la prospérité du pays.
Messieurs, qu’est-il arrivé pendant les dix années qui viennent de s’écouler ? Nous avons joui d’une prospérité inouïe dans les fastes de la Belgique. L’industrie du producteur comme celle du détaillant a prospéré ; un mouvement immense s’est emparé des capitaux ; cependant une seule industrie, celle de la navigation a toujours été stationnaire. Il faut donc bien le reconnaître, c’est dans le système et dans le système seul, qu’est le vice de notre navigation.
Voulez-vous un témoignage qui ne sera pas suspect de la vérité que je viens d’avancer ? M. Huskisson, l’un des ministres les plus distingués de l’Angleterre, disait relativement à cette haute question commerciale, de la position de l’Angleterre et de la Belgique, qu’il fallait attribuer la prospérité de l’Angleterre et la décadence de la Belgique à l’existence des lois sur la navigation.
Voici ce que disait M. Huskisson, le 22 mars 1825 :
M. Smits – Il est mort en 1826 ; la Belgique n’existait pas.
M. Dumortier – Sous l’influence de quelles circonstances l’Angleterre fonde-t-elle son système de navigation ? Lorsque, comparativement à ce qu’elle est maintenant, sa marine maritime était insignifiante et ses capitaux médiocres ; avant que ses manufactures ne fussent établies et lorsqu’elle exportait son grain, ses farines et beaucoup d’autres de ses matières premières. Elle l’a établi à une époque où, d’un autre côté, la Hollande et les Pays-Bas (la Belgique) étaient puissants en richesse et en manufactures, et faisaient la plus grande partie du commerce de transport de l’Europe et du monde entier. Qu’est-il arrivé depuis ? la marine marchande de ces contrées est toujours allée en diminuant et celle de la Grande-Bretagne est maintenant immense. »
Voilà, messieurs, les résultats d’un système commercial bien entendu et pratique, voilà l’opinion du plus haut interprète des intérêts commerciaux de l’Angleterre, sur cette grande question commerciale. C’est la législation commerciale qui a poussé à un aussi haut degré la prospérité de l’Angleterre, tandis que l’absence de cette législation a fait tomber au plus bas de l'échelle l’industrie en Belgique.
Messieurs, vous voyez donc que le système du laisser-faire, du laisser-passer, système qu’admet l’honorable député d’Anvers, est un système qui n’aura d’autre résultat que celui obtenu depuis dix ans, de laisser la haute industrie de navigation sans prospérité. L’honorable membre lui-même en a fait l’aveu ; il a reconnu combien était vicieux le système qu’il a défendu. « Lorsque, vous a-t-il, je parcours la statistique des exportations faites en Amérique, ce pays qui consomme une si grande quantité de produits européens, je vois que l’Amérique reçoit des produits de France, d’Allemagne, de Suisse, d’Angleterre ; et de nous, rien. »
Mais pourquoi n’envoyons-nous rien dans les diverses contrées de l’Amérique ? La raison en est bien simple ; parce que nous n’avons pas de droits qui favorisent notre navigation directe aux grandes Indes. Etablissons des droits protégeant notre navigation avec ces contrées, et nous y enverrons des produits, tandis que maintenant notre marché n’existe pas il n’est qu’un bureau de commissionnaires, il n’a pas de véritable négoce. Les navires américains au contraire viennent décharger leurs cargaisons en France ou en Angleterre et retournent avec des produits de ces pays. Ce n’est pas étonnant, la législation des pays voisins frappant de droits beaucoup plus élevés les navires qui, venant des colonies, ont touché quelque port d’Europe, tout navire arrivant des colonies se rend d’abord dans ce pays avant de venir en Belgique, certain de trouver le port ouvert, en sorte qu’il n’arrive chez nous qu’avec son rebut.
Messieurs, vous voyez que la cause, l’unique cause de la stagnation de la navigation commerciale, de l’absence de toute relation avec l’Amérique , est le défaut de navigation directe avec l’Amérique, si vous n’établissez pas une législation semblable à celle qui régit les pays voisins. Sans doute, si cette législation n’existait pas en France et en Angleterre, nous aurions tort de la demander ; elle serait inutile. Il en serait de même du tarif de douane. Mais il faut bien tenir compte des faits, et quand il existe chez nos voisins des droits plus élevés pour les navires venant des colonies lorsqu’ils touchent à un port d’Europe, que lorsqu’ils viennent en ligne directe, vous devez mettre notre commerce dans la même position que ces pays, si vous voulez avoir un marché. Comment voulez-vous créer un marché avec un transit ! L’honorable membre dit que les grands marchés se créaient au moyen de transit.
Je viens de démontrer le contraire. Le transit, c’est le commerce de passage qui ne crée aucun marché. Comment voulez-vous créer un marché si vous n’avez pas d’arrivages directs ? mais si vous n’avez pas d’arrivages directs, et que vous deviez tirer vos marchandises des marchés de Londres, de Liverpool et du Havre, ce sera toujours un marché de seconde main, et vous serez pas là dans une position plus défavorable que les marchés étrangers. Comment voulez-vous, en recevant les marchandises des ports de l’Europe, vendre au même prix que sur les marchés qui reçoivent ces marchandises des lieux de production ? Si vous voulez vendre au même prix que sur ces marchés, commencez par avoir la marchandise par les mêmes moyens qu’eux.
Lors de la discussion de l'enquête, il a été démontré par les fabricants de l’industrie cotonnière que la différence du prix de la matière première sur nos marchés et les marchés étrangers, était de 10 à 15 p.c. relativement au prix de revient. Comment voulez-vous que notre industrie puisse lutter avec l’industrie étrangère ; avec une pareille différence, la lutte devient impossible. Vous placez donc, par votre système, notre industrie dans des conditions défavorables dont elle ne pourra jamais sortir. Remarquez cependant qu’il n’y a pas de pays au monde plus heureusement situé que la Belgique pour établir un marché de coton en laine. Et, vous le savez, l’importation des cotons en laine en Europe est une des grandes branches de l'industrie coloniale. La Belgique emploie, chaque année, au-delà de 30 mille balles de coton ; elle peut en livrer à l’Allemagne environ 20 mille balles. Avec de pareils éléments, je vous le demande, n’est-ce pas la position la plus favorable pour établir un marché de coton dans un de nos ports ? Et, remarquez-le bien, nous sommes les seuls qui soyons dans une position semblable ; car, pour établir un marché commercial de cotons en laine, il faut que le pays lui-même offre un grand débouché. En Hollande on ne le pourrait pas, parce qu’il n’y a pas de manufactures. Mais lorsque le pays consomme lui-même 30 mille balles, c’est un élément d’arrivages qui vous permet de former un marché. Messieurs, il n’y a que deux marchés de coton en Europe : en France, et en Angleterre, au Havre et à Liverpool. Mais pourquoi ne pas chercher à avoir chez nous un pareil marché ? ce serait un avantage immense pour nos fabricants.
Dans la séance d’hier, M. le ministre de l'intérieur a dit qu’avec les droits différentiels on n’aurait plus le coton au même prix qu’aujourd’hui. C’est là une erreur matérielle avancée sans aucune connaissance de la question. Quiconque a des connaissances en cette matière sait qu’au moyen des arrivages directs nous aurons du coton à plus bas prix que nous ne l’avons aujourd’hui qu’il nous vient des ports d’Angleterre ou de France. Cela se conçoit aisément, puisque dans l’état actuel des choses on doit payer deux fois les frais de chargement et de déchargement, double frais de commission les frais de transport de la marchandise et l’intérêt des capitaux pendant tout le temps qui s’est écoulé. Pour quiconque a des connaissances commerciales, il est constant (cela d’ailleurs a été prouvé devant la commission d’enquête) que ce système de provenance indirect cause à notre commerce un préjudice de 10 p.c.
C’est la même chose pour la question des sucres. Nous consommons en Belgique une quantité considérable de sucre. Il a été démontré dans l’espèce d’enquête qui a eu lieu il y a trois ans que les ¾ du sucre brut qui vient dans le pays nous arrivent par la France, la Hollande et l’Angleterre et qu’une partie extrêmement minime nous arrive en provenance directe par nos navires.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole.
M. Rogier (à M. Dumortier) – Ce n’est pas plus exact que les autres faits que vous avez avancés.
M. Dumortier (à M. Rogier) – Je défie d’en contester un seul. Je vous porte, à cet égard, le défi le plus formel.
M. Rogier (à M. Dumortier) – Je n’accepte pas, pour le moment, ce défi-là. Je vous laisse aller aussi loin que vous voudrez.
M. Dumortier – Je viens de vous établir d’une manière incontestable, je pense, quoi que puisse dire l’honorable interrupteur, que nous n’avons éprouvé aucun bien-être du système qui nous régit. J’ai démontré, et l’on ne me répondra pas, qu’avec ce système toute notre belle marine qui était à Anvers s’en est allée, qu’avec ce système, tandis que tout était florissant en Belgique, que tous les capitaux étaient en activité, la navigation seule se trouvait dans un état de souffrance. J’ai démontré que le système suivi par le gouvernement n’était qu’un palliatif et que ce qu’il y aurait à faire, ce serait d’adopter une véritable législation tendant à développer l’industrie.
Maintenant comment qualifier le système de prime adopté par le gouvernement ? Il n’y a pas deux expressions pour le qualifier, c’est un système d’aumône. Oui, ce système tend, non pas à protéger l’industrie en souffrance, mais à lui faire l’aumône. Eh bien, je ne veux pas, moi, réduire l’industrie et le commerce à l’aumône, je veux les voir florissants et prospères. Avec un tel système vous n’y arriverez jamais.
M. Rogier (pour un fait personnel) – Mon intention n’était pas de prendre part à la discussion théorique qui s’est élevée à l’occasion du budget de l'intérieur, mais sur une observation que j’ai adressée à l’honorable M. Dumortier, il m’a porté, pour me servir de son expression, le défi le plus formel de répondre à aucune de ses allégations. Je demanderai à lui répondre quelques mots (Parlez ! parlez !)
Lorsque l’honorable préopinant a avancé qu’il était résulté de la discussion sur les sucres, ce fait que la plus grande partie des sucres bruts nous arrive des ports européens et qu’une très minime partie nous arrive des lieux de provenance, je n’ai relevé cette allégation que pour faire observer à l’orateur qu’il se trompait, que ce n’était pas ce fait qui était résulté de l’enquête, mais le fait contraire, et que la plus grande partie des sucres bruts nous arrive des pays de provenance. C’est pour cela que j’ai accusé l’honorable préopinant d’inexactitude. Voici donc ma première réponse au défi formel que l’orateur a bien voulu me porter.
L’orateur a rappelé (et ce sera ma seconde réponse) que le système suivi depuis 1830 avait entraîné la perte de notre marine, de notre navigation. La perte d’un assez grand nombre de navires qui ont émigré à l’époque de la révolution ne peut pas être attribuée au système suivi depuis la révolution. Ce système est absolument le même qu’avant la révolution. Je défie à mon tour l’honorable préopinant d’indiquer en quoi ce système a été changé.
M. Dumortier – Nous n’avons plus de colonies.
M. Rogier – Ainsi, le système du gouvernement consiste a avoir perdu les colonies, à avoir perdu Java (on rit) ; or, je ne pense pas que jamais cela ait fondé un système pour la Belgique. La perte de Java est le résultat de la révolution, et non du système suivi depuis la révolution, système qui heureusement pour la Belgique a été le même que celui suivi avant la révolution. Seulement il y a eu amélioration. Une loi qui fait honneur aux lumières commerciales du pays, une loi de transit fort libérale a été adoptée ; et lorsqu’elle sera bien appliquée, elle amènera dans nos ports cette prospérité que chacun de nous appelle à grands cris.
M. le président – Je ferai remarquer à l’orateur qu’il ne s’agit plus là de fait personnel.
M. Rogier – Je conviens, M. le président, que je m’éloigne un peu du fait personnel, mais comme il m’avait été porté un défi, j’ai dû y répondre. Pour ne pas abuser des moments de la chambre, je m’arrêterai ici.
M. le président – Si M. Rogier le désire, je l’inscrirai après les orateurs déjà inscrits.
M. Rogier – Je vous remercie, M. le président ; je ne veux pas prolonger des débats sans conclusion.
(Moniteur n°30 du 30 janvier 1840) M. de Foere – Messieurs, l’orateur qui, le premier, a pris la parole dans cette séance, a soulevé des questions fort importantes, des questions de principe qui intéressent le pays au plus haut degré. Il s’est particulièrement attaché à l’examen du système commercial que je défends dans cette chambre et qui, dans mon opinion, est le seul qui convienne aux intérêts du pays.
L’honorable député d’Anvers a dit d’abord que j’avais accusé le gouvernement d’avoir imposé au pays un système commercial sans le consulter. C’est, sous le rapport des opinions que l’honorable membre m’a attribuées, la seule assertion exacte qu’il ait formulée. Je n’aurai donc qu’à justifier mon accusation ; je le ferai par des faits irrécusables. Mon accusation avait exclusivement pour objet le traité de commerce et de navigation que, dernièrement, le gouvernement a conclu avec la France. Ce traité recèle dans son sein un système commercial tout entier. Or, avant d’entrer en négociation de ce traité et avant de le conclure, ni les chambres législatives, ni les chambres de commerce, ni aucun autre corps constitué n’ont été consultés. Aussi, aucune enquête n’a été instituée. Il y a plus : l’avis de quelques chambres de commerce a été demandé sur une seule question spéciale qui entre dans le système adopté par le gouvernement dans ledit traité de commerce et de navigation, et la majorité de ces chambres a donné un avis contraire. Messieurs, les gouvernements parlementaires qui se respectent et qui se dévouent aux vrais intérêts de leur pays et ne veulent pas les compromettre, consultent, avant de poser des actes aussi importants, tous les corps constitués. Les gouvernements absolus suivent cette sage conduite. Les gouvernement absolus même suivent cette sage conduite ; ils s’entourent, en outre, des lumières des personnes intéressées et entendues dans ces graves questions. Je crois avoir prouvé par des faits l’accusation que j’ai dirigée contre le ministère. J’attendrai l’honorable membre auquel je réponds sur le terrain des faits pour me contredire.
L’honorable député d’Anvers a qualité d’ « idée fixe » le système commercial que je défends. Ce n’est pas par des discours, a-t-il ajouté, que l’on soutient un système…
M. Smits – J’ai dit aussi qu’il aurait fallu formuler votre système.
M. de Foere – Un moment de patience ; nous y arriverons. Je pris l’honorable membre de ne pas m’interrompre. J’ai écouté son discours avec beaucoup d’attention et sans l’interrompre, il aura le droit de répliquer.
De plusieurs bancs – C’est vrai, c’est juste !
M. de Foere – L’honorable membre a ajouté que ce n’est pas par des discours que l’on soutient un système commercial, mais par les principes puisés dans les législations étrangères.
Je répondrai d’abord à mon honorable adversaire que l’on ne répond pas à des raisons en qualifiant les discours. Les raisons n’en subsistent pas moins. Je lui demanderai ensuite si ce n’est pas aussi par des discours qu’il cherche à établir son système à lui ? En troisième lieu, je lui dirai que c’est dans les législations et dans les faits commerciaux de toutes les nations européennes, à la fois industrielles, commerçantes et maritimes que j’ai puisé le système commercial que je défends. Il n’est donc pas de mon invention ; ce n’est pas une nouvelle théorie ; je l’ai puisé exactement, sans y rien ajouter, qui pût être attribué à mes propres opinions, je l’ai puisé, dis-je, dans les législations de ces nations étrangères et dans les faits commerciaux qu’elles ont régulièrement et constamment développés. La chambre peut vérifier mon assertion et dans tous mes discours et dans les mémoires que j’ai remis, l’année passée, à tous les membres qui siégeaient alors dans cette enceinte. J’ai donc satisfait, sous ce rapport, au vœu de mon honorable adversaire. Le système que je défends n’est donc pas une « idée fixe » qui m’appartiendrait exclusivement, et je ne le soutiens pas par des discours vagues qui ne seraient basés ni sur des faits, ni sur des principes.
Cependant il semble que l’honorable membre ne l’a pas tout à fait ignoré ; j’avais dit aussi que son système, qui est celui du gouvernement, n’était suivi par aucune autre nation étrangère. Il répond à cette objection que je ne devrais pas prendre l’Angleterre pour exemple ; mais bien la Hollande et les villes anséatiques. Il soutient que leur législation tout entière est basée sur le transit, et que le commerce direct n’est établi chez elles que comme commerce secondaire.
D’abord, je ne vois pas de raison pour laquelle il récuse l’autorité et l’exemple de l'Angleterre. Il y a similarité exacte de position entre elle et la Belgique. L’Angleterre, comme la Belgique, est une nation industrielle, commerçante et maritime. Les deux termes de ma comparaison sont donc identiques. L’Angleterre se trouve, dit-il, dans une situation particulière. Mais alors, pour ne rien répondre de vague, il aurait dû prouver cette différence de position. Or, c’est ce que l’honorable membre n’a pas fait. C’est donc une assertion purement gratuite.
Ensuite, l’honorable membre passe sous silence toutes les autres nations continentales et maritimes, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, etc., pour s’arrêter à la Hollande et aux villes anséatiques. Or, je persiste à soutenir que le système commercial et naval adopté par les quatre premières nations, est exactement celui que je défends. Il est dans leurs lois commerciales et dans le développement public et généralement connu de ces lois. Le système commercial qui régit la Hollande et ces villes serait fondé, selon mon honorable adversaire, sur le transit. En ce qui concerne les villes anséatiques, ces villes ne forment pas une nation. C’est une population commerçante, qui, sans autre industrie particulière que la navigation, n’a pas derrière elle, comme la Belgique et les autres nations, une population industrielle avec laquelle, comme membre de la communauté, elle doit partager le même sort et entrer dans la même solidarité. Les villes anséatiques font très bien d’adopter en première ligne le système de transit. Ce système a été toujours et est encore aujourd’hui la seule condition de leur existence. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que le pays tout entier s’aperçoit que la ville d’Anvers voudrait, en Belgique, se substituer aux villes anséatiques et négliger les intérêts industriels et commerciaux du pays tout entier. L’honorable membre a parlé de dissimilarité de position entre la Belgique et l’Angleterre ; mais si dans cette question il y a disparité quelque part, c’est bien évidemment dans les deux termes de comparaison qu’il prétend établir entre la Belgique et les villes anséatiques.
Mais la Hollande ! la Hollande suivrait un système fondé exclusivement sur le transit ; le commerce direct ne serait envisagé chez elle que comme système secondaire.
Messieurs, l’honorable membre lance encore gratuitement cette assertion. Il ne l’appuie sur aucun fait. Il eut été impossible de la prouver. D’abord la Hollande protège ses industries principales et anciennes, soit par la prohibition absolue, soit par des droits prohibitifs. Ses lois excluent de ses marchés de consommation intérieure les produits similaires étrangers, tels que le fromage, le genièvre, le bétail, le beurre, le poisson et autres produits. Pour ce qui regarde le commerce direct, mis en regard avec le transit, tous les traités de commerce et de navigation qu’elle a conclus avec les nations étrangères sont basés sur le système des provenances directes. C’est ainsi que, par ses traités récemment conclus avec l’Angleterre et les Etats-Unis, ces deux nations ne peuvent importer en Hollande, pour la consommation intérieure, que les produits de leurs pays. Les produits des autres nations et d’autres parties du monde leur sont prohibés à l’importation, sinon en transit. La Hollande subir réciproquement envers ces deux nations la même loi. Enfin la Hollande protège sa navigation marchande à l’intérieur, et sa navigation coloniale est favorisée à tel point que les navires étrangers ne peuvent importer dans ses colonies des articles de consommation, ni même en exporter sans être frappés de droits différentiels qui montent de 20 à 50 p.c.
Telle est la législation d’une nation que mon honorable contradicteur cite pour renverser mon assertion qui consistait à affirmer que le système que je défends était celui de toutes les autres nations maritimes, et que, par conséquent, celui du gouvernement n’était suivi par aucune autre.
Le système qui convient à la Belgique est celui des autres nations. Il est basé sur une longue expérience et sur une pratique unanime. Il faut donc établir, comme base et en première ligne, le système des provenances directes et chercher secondairement à attirer sur le pays autant de transit que possible. Tout autre système serait ruineux pour l’industrie et le commerce du pays.
L’honorable membre aurait encore voulu que j’eusse formulé un système commercial ; alors, a-t-il ajouté, la chambre aurait pu le discuter.
C’est encore ce que j’ai fait. En 1834, lors de la discussion sur l’établissement du chemin de fer auquel l’administration assignait aussi le but de servir de ligne de communication entre Anvers et l’Allemagne, je prévoyais que le ministère de 1834 se proposait d’ériger le transit en première ligne de commerce, ou que le transit allait servir de base à notre système commercial. Pendant la discussion même, j’ai présenté à la chambre un projet de loi basé sur le système opposé. J’ai développé cette proposition ; elle a été prise en considération par la législature. L’impression du projet et des développements a été ordonnée par la chambre. Le projet de loi repose, parmi tant d’autres, dans les documents de la chambre. S’il n’a point été discuté, à qui la faute ? J’ai donc encore, sous ce rapport, rencontré les désirs de mon honorable adversaire.
J’aurais dit tantôt que le gouvernement n’avait pas de système commercial, tantôt que son système était mauvais.
C’est confondre les choses les plus distinctes. Quand j’ai dit que le système commercial du ministre était vicieux, c’était parce qu’il n’avait pas de système régulier, fondamental dans toutes ses applications, parce qu’il applique tel principe de politique commerciale, tantôt dans tel sens, tantôt dans un sens inverse. Ce système, selon moi, n’est pas un système, et c’est dans ce dernier sens que j’ai affirmé que le ministère n’en avait pas.
Je pourrais prouver cette politique vacillante et contradictoire du ministère, en matière commerciale, sur des faits nombreux. Je me bornerai à des faits qui récemment se sont passés sous vos yeux.
Dans la séance d’hier, l’honorable ministre de l’intérieur a levé un coin de voile qui couvre le système mystérieux qui sert de base à ses négociations commerciales. Il nous a dit que son intention est de mettre nos ports en communication directe avec le port du Havre, par la raison que ce dernier port a des relations fréquentes avec les principaux ports des autres nations ; il croit que, par l’intermédiaire de la navigation du Havre, nous pourrions exporter les produits de notre industrie. Quelle est la conséquence inévitable de ce système indirect ? L’exportation de nos produits sera assujettie à un grand nombre de frais de commission, de transports, d’embarquement et de débarquement, d’emmagasinage et d’entreposage, d’assurances de port, de bassin, de fanal, etc. ; c’est aussi exposer nos marchandises à la détérioration. Or, c’est, chargés de ces énormes frais, que nos produits, souvent détériorés, et après avoir fait des circuits onéreux, devraient arriver sur des marchés lointains de consommation, et lutter, sur ces marchés, contre les articles similaires, transportés d’autres pays par des voies directes. Ce système ne peut avoir aucun avenir. Il porte sa réprobation sur son front. Je le repousse de toutes mes forces, comme excessivement pernicieux au placement lointain des produits de notre industrie.
J’arrive à la contradiction dans l’application de ce système.
Je suis charmé que l’honorable ministre des travaux publics soit entré à propos dans la chambre. Il pourra être témoin de l'exactitude de l’élément de contradiction, dans les principes commerciaux ministériels, que je puise dans un des ses derniers discours. Dans la discussion sur le canal de l'Espierre, cet honorable ministre a posé un principe de politique commerciale entièrement opposé à celui de son honorable collègue de l’intérieur ; c’est celui de l’exportation des produits belges sur le marché étranger par la voie la plus courte, la plus directe et la moins onéreuse ; c’est celui du rapprochement du centre de la production vers celui de la consommation, sans assujettir les transports à des circuits qui augmentent les prix de nos produits et les font présenter sur les marchés étrangers dans des conditions défavorables. Ce principe est aussi le mien ; c’est le seul admissible. Si l’honorable ministre des travaux public l’avait appliqué d’abord au placement des houilles belges sur une grande partie de la Flandre occidentale où le besoin s’en fait sentir, et puis au marché extérieur de la France, j’aurais pu partager, sous ce rapport, ses moyens de défense ; mais cette observation appartient au fond de la discussion sur le canal de l’Espierre, et je n’y entrerai pas. Toujours est-il que l’honorable ministre des travaux publics a posé le susdit principe, qu’il y a puisé même la plus grande force de son argumentation, et que ce principe est en contradiction manifeste avec celui de son honorable collègue.
Il en résulte que le ministère applique des principes opposés, selon ses convenances parlementaires et ses positions particulières, et qu’en conséquence il n’a pas de système de politique commercial fixe, positif, bien dessiné, qui le conduit à des conséquences normales.
Selon mon honorable adversaire, je me serais encore opposé au commerce de transit ; le transit aurait été l’objet constant de mon blâme. J’aurais désapprouvé la loi du transit.
Messieurs, c’est encore une erreur manifeste. Loin d’avoir émis des opinions semblables, j’ai, au contraire, toujours soutenu que, conformément à la pratique des autres nations, la Belgique devrait attirer sur son territoire autant de transit que possible. Je me suis aussi plusieurs fois exprimé sur le mérite de la loi du transit. J’ai soutenu qu’elle était ce qu’elle devait être pour attirer la plus grande somme de transit sur le pays. Je défie mon honorable contradicteur de produire une seule parole de blâme que j’aurais versé soit sur le commerce de transit, soit sur la loi qui, chez nous, régit cette matière. Mais mon honorable adversaire a encore confondu ici deux idées très distinctes entre elles. Ce que j’ai constamment blâmé, messieurs, c’est le système du ministère qui fait primer le transit sur le commerce direct, qui en fait la base du commerce du pays, système qui n’est admis par aucune nation.
Le transit sur le commerce direct, qui en fait la base du commerce du pays, système qui n’est admis par aucune nation.
Plusieurs bancs – C’est vrai.
M. de Foere – L’honorable membre semble ne pas admettre la distinction que j’ai établie entre le transit actif et le transit passif. Cependant, la distinction existe malgré son opinion contradictoire. Elle est établie par les faits mêmes des marchandises importées en transit, les unes sont importées en transit par votre propre commerce maritime ; c’est le transit actif. Il vous donne les bénéfices de ce commerce, il vous offre encore de nombreuses occasions d’exporter vos produits, attendu qu’il assure au négociant du pays une cargaison de retour. Les autres marchandises sont importées en transit par le commerce étranger ; c’est le transit passif. Il ne laisse au pays que le misérable bénéfice de la commission. Il met encore obstacle à l’exportation de nos produits par le commerce maritime du pays, attendu que, lorsque nos entrepôts sont abondamment fournis par le transit étranger, la navigation nationale, le commerce du pays ne peuvent compter sur le placement facile de ses cargaisons de retour. Le transit passif produit encore une lutte redoutable entre les articles de ce commerce et les articles de notre commerce direct et de notre industrie.
Je ne partage pas l’opinion de l’honorable membre sur les bénéfices de transport que donne le transit passif. Ces bénéfices ne pourront jamais compenser les dépenses énormes de la construction du chemin de fer d’Anvers aux frontières allemandes, de son exploitation, de son administration et de sa réparation, dépense que le remboursement des droits de tonnage est venu grossir dans le même but. Afin de pouvoir lutter avec avantage, si toutefois la lutte est possible, contre le transit hollandais qui s’effectuera par eux, il faudra que les péages sur ce chemin de fer soient très légers. La chambre de commerce d’Anvers a réclamé plusieurs fois le bas prix de ses péages. Je comprendrais les avantages de ces transports, si les marchandises à transiter étaient le produit de notre propre commerce direct, de notre commerce de transit actif ; la comparaison s’établirait par un grand nombre d’autres avantages qui se rattachent à ce transit, surtout celui des facilités qu’il nous donnerait d’exporter nos propres produits. Mais, comme Anvers réclame ce bas prix pour le transit passif, pour les articles de commerce étranger, je ne puis m’associer à l’opinion que le transport de ces marchandises soit profitable au pays, en présence des dépenses considérables dont ce chemin de fer et le payement des droits de tonnage accablent le pays.
Quant aux bénéfices de chargement et de déchargement que procure le commerce de transit, ils ne peuvent être acquis, avec ceux de la commission, qu’à la place d’Anvers et non au pays tout entier qui porte les charges du chemin de fer. C’est en vain que l’honorable membre a exagéré, sous ce rapport, les bénéfices du transit par le mouvement commercial qui, en matière de transit, eut lieu, en 1829, entre Anvers et les provinces rhénanes. Ce mouvement, quelque grand qu’on le suppose, ne pouvait être profitable sous le rapport des chargements et des déchargements, qu’à la localité d’Anvers et non au pays.
Je serais d’accord avec lui, dit encore l’honorable député d’Anvers, sur la manière d’apprécier la navigation. Selon lui, je la considérerais comme moyen et non comme but.
C’est encore une nouvelle exactitude. J’ai toujours établi une distinction essentielle qui existe, dans la nature de la question, entre les deux faces sous lesquelles la navigation peut être envisagée. Lorsque j’ai traité la question de la nécessité d’exporter au loin les produits de notre industrie, j’ai établi que notre propre navigation et notre propre commerce direct étaient la condition indispensable de cette exportation. Sous ce rapport, il est évident que je considère la navigation comme le moyen, et l’exportation comme le but. Lorsque j’ai considéré la navigation du pays sous le rapport des avantages qu’elle procure au pays comme industrie particulière, je l’ai considérée comme but et non comme moyen. Elle est donc, dans mon opinion, tantôt moyen, tantôt but.
Mais l’honorable adversaire est tombé ici dans une contradiction flagrante. Il a avoué, dans le discours qu’il vient de prononcer, que nous n’exportons rien aux Etats-Unis, que nous n’avons avec ce pays aucune relation directe. Or, la raison en est que nous n’avons pas de navigation nationale régulièrement établie entre la Belgique et les Etats. Il n’est pas de navigation étrangère qui fréquente plus nos ports que celles des Etats-Unis de l’Amérique ; mais ses navires partent sur lest et vont prendre des chargements soit au Havre ou à Hambourg, soit à Londres ou à Liverpool. Le fait est avoué par la Revue nationale, quoiqu’elle défende le système du gouvernement actuel. Il est inutile, comme je l’ai toujours soutenu, de compter sur la navigation étrangère comme moyen d’exporter nos produits. Le seul moyen qui puisse atteindre ce but est la navigation du pays. Les faits sont venus confirmer, non seulement nos prévisions personnelles, mais les expériences antérieures que l’histoire du commerce de tous les pays maritimes avait déjà signalées et sur lesquelles j’ai basé mon opinion à l’égard de la navigation nationale, considérée comme moyen indispensable d’exporter nos produits.
Le système qui établit, en matière de droits, des différences entre les importations faites par la navigation nationale et celles opérées par la navigation étrangère, nuirait, selon l’honorable député d’Anvers, à notre industrie. Celle-ci a le plus grand intérêt à pouvoir se procurer les matières premières au plus bas prix possible. Or, les droits de différence imposés sur la navigation étrangère feraient payer à notre industrie ses matières premières plus cher ; la différence monterait à la totalité de ces droits. Dans la séance d’hier, l’honorable ministre de l'intérieur m’a fait la même objection qu’il a établie sur l’article coton. Les deux orateurs en concluent que je suis en contradiction avec la protection que j’ai toujours voulu accorder, sous tous les rapports, à notre industrie.
C’est encore une erreur manifeste, ajoutée à tant d’autres. Tout ce raisonnement pêche par sa base. Loin d’avoir jamais voulu imposer des droits différentiels sur les matières premières, nécessaires à notre fabrication, j’ai toujours soutenu qu’il fallait les exempter de ces droits, soit qu’elles fussent importées par nos navires ou par les navires étrangers. Ce serait une faute énorme que d’assujettir notre industrie à cette condition onéreuse. Le principe est incontestable. Il faut que nos manufactures puissent se procurer les matières premières au plus bas prix. S’il y a, sous ce rapport, contradiction quelque part, elle est évidemment du côté de l’honorable ministre de l’intérieur qui veut établir une navigation entre les ports du pays et celui du Havre. C’est de là que nous arriveraient les cotons chargés des frais inutiles que je vous ai déjà énumérés. Aussi cette navigation indirecte, une fois établie, nous empêcherait de tirer, par voie directe, les cotons et plusieurs autres marchandises des lieux de production sur lesquels nous ne pourrions plus placer nos produits industriels, sinon par la voie indirecte et onéreuse du Havre.
J’avais attribué le malaise du commerce et de l’industrie du pays au vicieux système commercial que le ministère prétend imposer au pays. Ce système consiste à ériger le transit comme base du commerce du pays, à établir le principe des provenances indirectes et à refuser à la navigation nationale la protection qu’elle réclame comme moyen d’agrandir le cercle de son activité et de ses précieux services, et de concourir à l’exportation de nos produits. C’est à ce système que j’ai attribué la chute de notre industrie et de notre commerce. Notre industrie d’exportation avait pris un bel élan, partout on voyait surgir de beaux établissements industriels ; des capitaux immenses prirent cette direction. Il y a deux ans, je vous ai prédit que notre industrie aurait été replacé au delà de son point de départ. Je puisais cette prévoyance dans le déplorable système commercial du ministère. Les faits sont encore venus justifier mes prévisions. Le ministère, comme de raison, veut le but de l’industrie, mais il repousse le seul moyen par lequel il est possible de l’atteindre. Cependant mon honorable adversaire attribue ce malaise à d’autres causes. Il serait véritablement fastidieux de les discuter, tant elles sont improbables et futiles ; mais il soutient, en même temps, que notre position commerciale s’est améliorée depuis 1836. Depuis cette époque, le cercle de nos exportations s’est agrandi. En est-il moins vrai que, depuis 1831, jusqu’à l’année dans laquelle nous sommes entrés, notre balance commerciale nous a présenté, chaque année, et terme moyen, une différence défavorable de 40 millions ? Ce résultat n’est-il pas assez significatif pour condamner votre système commercial et pour contredire les causes auxquelles vous rattachez le malaise que nous subissons.
Si vous éprouvez une sollicitude intelligente pour les intérêts généraux du pays, gardez-vous bien de prendre ce malaise pour une crise passagère. Cette crise sera l’état normal du pays. Elle durera tant que vous ne changerez pas de système commercial. Les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets. Les années précieuses, pendant lesquelles vous avez persisté dans votre déplorable système, ont été perdues pour l’industrie et le commerce du pays. Vous ne pouvez revenir assez tôt aux vrais principes commerciaux établis et pratiqués partout ailleurs, si vous voulez relever lentement, mais sûrement votre industrie et lui rendre la vie. L’opinion que j’ai constamment soutenue n’a pas, comme la vôtre, pour objet la prospérité d’une seule localité du pays ; elle s’étend à la prospérité de l’industrie du pays tout entier. Il n’y a pas de coin dans le pays, où quelque industrie est exercée, qui ne soit intéressée au système commercial que e défends dans cette chambre. Je le répète, si vous ne changez pas de système, vous pousserez notre industrie et notre commerce aux dernières extrémités. L’étranger viendra vous exploiter radicalement sous le rapport du commerce extérieur et de l'industrie d’exportation. Si, après ce déplorable résultat, vous n’êtes pas assez sages pour assurer à votre industrie et au commerce intérieur la marche du pays, la Belgique est ruinée et livrée à la mendicité et à la commisération publique.
(Moniteur n°29 du 29 janvier 1840) – M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je répondrai très brièvement à quelques observations qui ont été faites dans la discussion de ce jour.
Un honorable député de Bruxelles a trouvé une contradiction entre la communication faite, à la chambre des pairs de France, de la convention au sujet du canal de l’Espierre, et la conduite du gouvernement belge.
Messieurs, il n’en est rien. Cette communication n’a pas pour but de soumettre la convention à la sanction des chambres françaises. Vous savez qu’aux termes de la charte constitutionnelle le roi des Français a le droit de conclure de conventions, seulement s’il les communique aux chambres.
Et pourquoi cette communication a-t-elle été faite à la chambre des pairs ? parce que, comme je l’ai déjà dit dans cette enceinte, c’est une convention qui lie la France.
Le même orateur a prétendu que notre diplomatie avait été inutile sous le rapport commercial.
Cependant, messieurs, il n’aurait pas dû perdre de vue que plusieurs conventions importantes ont été conclues, et que d’autres conventions sont négociées. Il est aussi à la connaissance de la chambre que plusieurs mesures qui menaçaient notre commerce et notre industrie ont été détournées, grâce à l’activité et à la sollicitude du gouvernement.
Indépendamment de cela, nos légations à l’étranger nous ont toujours tenus au courant de tout ce qui s’y passait et qui pouvait intéresser notre commerce ; et, j’ose le dire, il est résulté, tant des informations que nous avons prises à l’étranger que de celles que nous avons recueillies à l’intérieur, que toutes les questions importantes de commerce extérieur sont élaborées d’une manière complète dans la direction du commerce attachée à chacune des deux départements de l’intérieur et des affaires étrangères ; nous pouvons donc dire que les archives commerciales des deux départements sont complètes et que le gouvernement est en mesure de saisir toutes les occasions pour faire quelque chose d’utile au pays, pour autant toutefois qu’il trouve un concours bienveillant de la part des autres Etats ; car il ne suffit pas de la volonté d’un seul Etat pour terminer un arrangement commercial, il faut le concours de ceux avec lesquels on traite.
Messieurs, la discussion qui s’est élevée sur notre système de navigation est véritablement prématurée, et je regrette qu’on ne l’ait pas différée jusqu’à l’époque où les traités avec la France et la Turquie seront mis à l’ordre du jour ; toutefois, je ne puis me dispenser de répondre à quelques considérations qui ont été émises dans cette discussion.
L’on a, en premier lieu, eu tort de comparer la situation de la Belgique, qui n’a pas de colonies, avec celle des autres Etats qui ont des colonies, et qui ont besoin d’avoir tout à la fois une marine militaire et une marine marchande, marine marchande qui doit être d’autant plus considérable que, dans des cas donnés, elle doit compléter les équipages de la marine militaire ; de telle sorte que ces puissances maritimes militaires sont obligées à tout prix de soutenir leur marine.
L’on a beaucoup parlé des importations directes des pays de provenances. Ici, messieurs, il y a une distinction à faire entre l’importation du pays de provenance, par navire sans distinction de nation, et l’importation par navires nationaux. Si l’on a eu uniquement égard à l’importation diverse des pays de provenances, nous pouvons dire que dès maintenant ces importations sont beaucoup plus considérables que les importations indirectes ; nous pouvons fournir une preuve péremptoire de cette assertion.
Le café est sans doute celui des articles qui se présente sous le point de vue le plus défavorable, attendu qu’il est résulté de l’union de la Belgique avec la Hollande que le pays s’est habitué à la consommation du café des Indes hollandaises ; et cependant, quoique le pays soit habitué à cette consommation, quoiqu’il existe pour Java un régime spécial qui favorise entièrement l’exportation de cette île par les navires hollandais, il n’en est pas moins vrai que les importations directes vont toujours croissant en Belgique. Ainsi, en 1836, l’importation directe n’était que de 41 p.c. ; en 1837, elle était déjà de 46 p.c. ; et en 1838, elle a été de 53 p.c.
A propos de café, l’on a dit que nous devions menacer l’Angleterre de ne plus nous approvisionner de cette denrée chez elle si elle ne nous traitait pas plus favorablement.
Mais l’on a perdu de vue que ce n’est pas en Angleterre que nous allons chercher le café. Le café nous vient, soit du B soit indirectement de Java. S’il y avait une déclaration à faire, ce serait à la Hollande ; mais le moment n’est pas encore arrivé, il faut tâcher de s’entendre à l’amiable avant d’en venir là. Aussi je ne cite ce fait que pour prouver avec quelle légèreté on avance quelquefois comme certains des faits complètement inexacts.
Quant aux autres articles coloniaux qui peuvent influer sur nos rapports avec les pays de provenances, l’importation directe est dans la proportion de ¾ à ¼. Veuillez bien remarquer cette circonstance. Voici des détails qui en établiront la preuve.
Les importations directes de sucre en caisse ont été, pendant les trois années 1836, 1837 et 1838, de 84 p.c.
Les importations de sucre en causse provenant des entrepôts d’Europe n’ont été que de 16 p.c.
Cependant, il n’y a qu’un instant qu’on vient d’assurer dans la chambre que les sucres n’étaient pas importés directement, que presque tout venait des entrepôts d’Europe.
Les sucres en sacs et en balles et canastres importés directement s’élèvent 81 p.c. et les importations indirectes à 19 p.c.
Le coton a été importé directement dans la proportion de 66 p.c., terme moyen de trois années, et indirectement dans la proportion de 34 p.c.
Pour le coton, j’ai cité les années 1836, 1837 et 1838.
Voici dans quelle proportion ils ont été importés pendant les années 1836, 1837 et 1838 ; directement 62 p.c et indirectement 38 p.c.
Il est à remarquer que les importations directes sur les autres articles ont toujours été croisant ; l’importation des cuirs a été en moyenne pendant les années 1836 inclus 1838 dans la proportion de 92 p.c. ; l’importation indirecte n’a été que de 8 p.c.
Les potasses ont été importées directement en moyenne de 90 p.c. et indirectement de 10 p.c. ; le tabac dans la proportion de 62 p.c.
Ces divers chiffres concernent le port d’Anvers.
L’on voudrait apparemment, pour que les importations directes en coton fussent dans une proportion plus forte que 62 p.c., que l’on prît quelque mesure pour empêcher les importations indirectes, mais voyez ce qui en résulterait.
En 1837, les importations de coton en laine par voie indirecte ont été plus considérables que les importations indirectes. Cela a été une circonstance très avantageuse pour nos fabriques. Car le coton était à meilleur marché au Havre et en Angleterre qu’en Amérique.
Mais, dira-t-on, nous ne voulons pas augmenter les droits sur les importations indirectes, nous demandons seulement qu’on les diminue sur les importations directes. Remarquez combien peu le fabricant y gagnerait.
Le droit d’importation sur le coton en laine n’est que de 1,69 par cent kilogrammes.
Le droit de balance est ordinairement de 20 centimes par cent kilogrammes. Ainsi en supprimant tout droit et en maintenant un droit de balance, il n’y aurait d’économie sur cent kilogrammes que de 1 francs 49 centimes.
On ne me fera jamais croire qu’avec cette légère différence les importations se feraient directement et qu’il n’y aurait plus d’importations indirectes. Lorsque des circonstances comme celles de 1837 se reproduiraient, que les Américains retiennent leurs cotons dans l’espoir d’obtenir un meilleur prix et qu’on peut s’en procurer à un prix plus bas dans les principaux entrepôts, cette différence devient nulle quant au commerce.
Il est d’ailleurs à remarquer que la navigation, pour la consommation seule de la Belgique, ne peut pas être aussi considérable qu’on se l’imagine. Nous n’avons qu’une population de quatre millions d’habitants. Vous ne pouvez pas établir de droits différentiels pour le transit, vous l’écarteriez. Le transit a besoin de la liberté la plus grande, il ne peut pas exister avec des droits différents.
J’ai dit, messieurs, que dans les années de 1836, 1837 et 1838 les importations indirectes avaient été constamment en décroissant. La navigation à vapeur, qui est devenue plus considérable et qui sert beaucoup à l’importation indirecte, par la grande facilité qu’elle procure, a cependant entretenu ce genre d’importation, parce que nous n’avons pas encore de navigation à vapeur vers les pays éloignés.
Il est d’ailleurs inexact de dire qu’on ne fait rien pour la marine nationale : on a réservé la pêche, le sel, et, je dois le dire, en grande partie le sucre, d’après les droits différentiels qui existent sur cet article. Il y a encore un autre article c’est le thé pour lequel notre marine est favorisée, mais c’est un vice qui devra être réformé, parce que nous n’avons pas de navigation directe vers la Chine. Il en résulte qu’on nous livre le thé en fraude. Voilà le résultat auquel on s’expose avec des droits trop élevés sur certains articles susceptibles de fraude.
On a prétendu que les importations indirectes grevaient considérablement la marchandise par les différents frais et droits auxquels elle était assujettie dans les entrepôts intermédiaires. S’il en était ainsi, il serait inutile d’établir une distinction entre les importations directes et les importations indirectes ; si les matières premières, en passant par les entrepôts, sont chargées de frais et de droits, cette seule circonstance suffirait pour déterminer les importations directes. Mais l’expérience a prouvé qu’il était des circonstances qui faisaient que le prix d’entrepôt était inférieur à celui du lieu de provenance. Ce sont ces circonstances dont nous ne pouvons abandonner le profit sans préjudicier à nos manufactures.
On s’est prévalu de ce que j’ai dit hier, en parlant de la convention de navigation faite avec la France, que le port du Havre et d’autres ports pourraient nous servir pour expédier les produits de nos manufactures vers les contrées lointaines, et on a en conclu que je voulais grever nos produits de différents droits et frais qu’ils auraient à supporter en passant par les entrepôts de la France. C’est là une objection qui n’a pas l’apparence de fondement. Elle n’en aurait qu’autant que nous voudrions empêcher les exportations directes de nos ports vers les lieux de consommation. Nous laissons toute latitude, nous voulons même favoriser les exportations directes en faisant des traités de navigation avec les pays où nous voulons placer nos produits, en cherchant à établir une navigation régulière permanente avec quelques contrées où nous avons le plus de chances de commerce. Mais cela n’empêche pas de profiter des occasions que nous offrent les entrepôts de France et d’Angleterre.
Je crois pouvoir borner là les courtes réponses que j’avais à faire à quelques assertions complètement inexactes en fait, et, j’ose le dire, inexactes en théorie.
On s’est étonné que les navires américains viennent en aussi grand nombre dans nos ports et que nous n’ayons pas d’exportations vers l’Amérique. Cette observation ne se borne pas à l’Amérique. Elle peut être étendue à d’autres contrées ; cela tient à une considération qu’on perd de vue, c’est que nos négociants sont d’une extrême prudence. Ils n’opèrent que lentement et en sécurité ; ce n’est qu’après s’être assurés d’un placement qu’ils prendront sur eux de faire des expéditions considérables. La preuve de la prudence de notre commerce, c’est qu’il n’est peut-être pas de pays au monde où les faillites soient si rares qu’en Belgique. Cette circonstance prouve la haute moralité de notre commerce. Mais il ne faut pas douter que les exportations augmenteront, le commerce trouvant plus de sécurité et devant plus confiant.
J’ai déjà eu l’occasion de rappeler que sous le royaume des Pays-Bas, quand nous avions l’importante colonie de Java, nos manufactures ont été pendant dix ans dans un état languissant. Notre commerce maritime même n’était pas prospère. Ce n’est que dans les dernières années du royaume des Pays-Bas que notre commerce maritime a pris le plus d’extension. Or s’il a fallu au moins dix ans au commerce maritime pour bien s‘établir, dans de telles circonstances, il n’est pas étonnant que, lorsque nous comptons à peine dix années d’indépendance, lorsque toutes les nouvelles relations maritimes étaient à créer en remplacement de celles avec les colonies, le commerce n’ait pas atteint tout son développement, alors que dans les premières années qui ont suivi la révolution, en 1831, 1832 et 1833, il s’est trouvé dans la plus grande incertitude. Ce n’est réellement que depuis que le traité de paix a été signé par toutes les puissances et qu’il consacre définitivement la libre navigation de l'Escaut, que le commerce a pu commencer avec assez de sécurité des opérations qui exigent un temps et des capitaux considérables, et qui ne pouvaient être hasardées dans un état d’incertitude.
M. Cools – Messieurs, un honorable membre, qui a parlé à la fin de la séance d’hier, a cru trouver de la contradiction dans mes paroles, alors que je condamnais d’une part les primes, et que, de l’autre, je demandais l’établissement d’une société de commerce, soutenue par le gouvernement. J’éprouve le besoin d’expliquer ma pensée. Ce motif, tout personnel, ne m’aurait cependant pas engagé à prendre de nouveau la parole, si une autre considération plus puissante ne m’y avait déterminé. Au moment où plusieurs branches d’industrie se trouvent dans une situation fâcheuse, des centres de production demandent aide et assistance au gouvernement et aux chambres, je crois qu’il est de notre devoir tous de chercher à nous éclairer mutuellement. A mes yeux, l’intervention du gouvernement, dans la création d’une société de commerce, porterait d’heureux fruits ; mais tout dépend de la nature de cette intervention.
Et d’abord, répondant à l’honorable député de Charleroy qui, pas plus que moi, ne désire voir adopter un système de primes, je lui dirai que c’est précisément pour savoir si les encouragements que le gouvernement se propose d’accorder à la société qui se chargera d’écouler les produits ne dégénéreront pas en primes, que j’ai tant insisté pour savoir si la société serait ou non composée de fabricants. Vous comprendrez ma distinction si vous voulez bien me prêter un moment d’attention.
Des fabricants qui s’associent pour établir des relations avec les contrées lointaines ne sont pas en position de tirer tout le parti possible des débouchés qui se présentent. Parmi les articles susceptibles de placement, ils choisiront ceux qui offrent le plus d’analogie avec les genres de fabrication de leurs propres établissements, et ce ne sont pas toujours les objets sur lesquels il y a le plus de bénéfices à espérer.
Si, comme il arrive souvent, ces articles ne diffèrent pas d’une manière sensible de leurs fabricats habituels, ils feront à peu près la même chose, plutôt que d’apporter des changements frayeux à leurs métiers ou mécaniques. L’intérêt privé raisonne toujours ainsi. Il recule devant une dépense instantanée et ne voit pas que le seul moyen de s’emparer d’un marché est d’y apporter des produits appropriés, à tous égards et jusque dans les plus petits détails, au goût des consommateurs. Lors maintenant que un vaisseau est chargé, il va chercher non les meilleurs débouchés pour la Belgique, mais exclusivement ceux où il y a espoir de voir placer sa cargaison. S’il en trouve où la cargaison est à peu près du goût du pays, mais où il ne peut cependant vendre qu’à perte, parce que les Anglais ou d’autres nations y auront apporté des produits plus perfectionnés, alors la société aura son recours aux subsides du gouvernement, et de la sorte ces subsides seront de véritables primes, qui, ainsi que je l’ai dit hier, compenseront la différence de valeur entre les produits dont se compose la cargaison et d’autres plus perfectionnés.
Je trouve ces primes ou subsides, n’importe quel nom on leur donne, nuisibles à l’industrie, parce qu’ils arrêtent les progrès. Une société de cette nature a été organisée à Gand en 1834, sous le nom de société cotonnière. Je ne dis pas que la société a procédé de la manière que je viens d’indiquer, je n’en sais rien. Mais je dis que tôt ou tard, par la force des choses, elle aurait été amenée à procéder ainsi. Je ne blâme pas non plus les fabricants de Gand d’avoir pris à l’association. Loin de moi cette idée. Je les loue au contraire d’avoir réuni leurs efforts pour étendre leurs relations. Ce sont des efforts qui dénotent de l’activité et du courage et qui honorent toujours ceux qui osent les tenter. Mais je blâmerais le gouvernement s’il fondait sur une société de cette nature des espérances d’une amélioration durable ; si, avec cette préoccupation, il lui allouait des subsides permanents. D’abord le gouvernement ne doit pas avoir eu en vue une seule industrie, exploitée par quelques fabricants, mais toutes celles qui peuvent profiter des débouchés qui se présentent ensuite, ainsi que je viens de le dire, les subsides qu’il accorderait, seraient de véritables primes que pour ma part, je repousse. Des subsides ont été accordés en 1834 et 1835, alors qu’une crise sévissait également. Je veux bien admettre que le gouvernement ait bien fait de faire taire un instant les principes et que des subsides étaient nécessaires. Ils l’étaient si on avait des troubles à craindre dans la classe ouvrière. Mais des remèdes de cette nature doivent être momentanés ; sans cela, ils deviennent des abus. Sous ce rapport, j’ai peine à comprendre comment, ainsi que M. le ministre de l'intérieur l’a dit hier, une partie des fonds que nous allons voter pour 1840 doit encore servir à couvrir les pertes que cette société a faites en 1835, alors que le roi Guillaume a pris, à l’égard des colonies, un arrêté, auquel l’honorable M. Smits vient de faire allusion, qui a exposé la société cotonnière de Gand à des pertes qui nous pouvaient entrer dans ses prévisions.
Un autre inconvénient qui reste d’une société composée de fabricants, exportant leurs propres produits, c’est qu’elle ne profite qu’à la localité où elle est établie, et que du moment que le gouvernement lui accordé des fonds, il traite une seule localité en enfant gâté, au détriment des autres ; or cela ne doit pas être, ni dans des moments de crise, ni en temps ordinaire, et ici je dois relever une observation qui est échappée à M. le ministre de l'intérieur, c’est que la dernière crise, qui malheureusement ne touche pas encore à sa fin, aurait sévi exclusivement dans un grand centre de population. Cette assertion n’est pas exacte. Les souffrances ne sont pas toujours les plus vives, là où les réclamations sont les plus bruyantes. La crise a été forte à Gand, mais elle n’a pas été moindre dans d’autres localités que je pourrais citer.
Voyons maintenant si les mêmes inconvénients existent avec une société non composée de fabricants.
Je dois d’abord déclarer que j’entends par société de commerce, une société qui ferait les opérations pour son propre compte, comme la société de commerce de Hollande, et non pas une société qui feraient les opérations en commission, aux risques et périls du fabricant. Une société agissant comme un courtier inspirera toujours de la défiance aux fabricants qui doivent, pour les comptes des opérations, s’en rapporter à la probité des agents de cette société, agents qu’ordinairement ils ne connaissent pas. Ensuite, du moment que la société opère en commission avec les contrées lointaines, les Indes par exemple, les fabricants doivent attendre 15 et 18 mois après leurs rentrées, ce qui est un autre inconvénient de ces sortes de sociétés tels, par exemple, que la société voudra avoir ses frais de commission assurés sur les mauvaises opérations comme sur les bonnes, ce qui diminue d’autant les bénéfices du fabricant, tandis qu’une qui opère pour son propre compte se retrouve des mauvaises opérations sur les bonnes, mais je les néglige pour arriver à l’inconvénient principal : c’est qu’une société commissionnaire n’éclairera jamais l’industrie du pays sur les intérêts, sur les améliorations à introduire, aussi bien que le fera une véritable société de commerce. Une société commissionnaire donnera bien des indications, des échantillons aux fabricants, mais après cela, qu’on s’y conforme ou non, il ne lui importe guère, pourvu qu’on lui envoie une cargaison. Du moment que le navire est chargé, ses frais de commissions sont assurés, le reste est aux risques du fabricant.
Une société de commerce au contraire, qui profitera exclusivement des bénéfices et supportera aussi seule des pertes, étudiera avec soin le marché qu’elle veut exploiter ; elle n’achètera pas chez tels et tels fabricants avec les subsides du gouvernement, comme le Moniteur d’hier me le fait dire. De la sorte, il y aurait véritablement primes passant par les mains de la société. La société de commerce achètera au moyen de ses propres capitaux et chez tous les fabricants où elle espère le faire avec avantage ; car une société ne doit pas avoir de préférences. Elle ne doit pas s’approvisionner chez tous les fabricants qui veulent exporter, mais uniquement chez ceux qui lui offrent les meilleurs produits, et au plus bas prix. Si, après une première expédition, la cargaison ne s’est pas bien vendue, elle en demandera la cause à ses agents, agents qui s’identifient avec ses intérêts et qu’elle sait mériter sa confiance. Pour un second voyage, elle dira aux fabricants de modifier leurs produits, ou elle achètera chez d’autres. Il s’établira ainsi une lutte continuelle entre les fabricants, au profit de l’industrie en masse. Les pertes sont bien moins à craindre que pour les sociétés dont j’ai parlé au commencement de mon discours, parce que les cargaisons se composeront, non pas de produits qui ont des chances plus ou moins réelles d’être placées, mais d’objets choisis, sur lesquels il y a surtout des bénéfices à prévoir. Les opérations porteront ainsi, non pas à quelques localités, mais à toutes les industries les plus avancées du pays.
Cependant il y a des difficultés pour que des relations de cette nature s’établissent d’une manière suivie. D’abord il y a des agents à envoyer pour étudier les pays à exploiter ; de là des premiers frais ; ensuite dans les pays mêmes où nous sommes admis sur un pied d’égalité avec les nations les plus favorisées, d’autres, les Anglais surtout, nous ont devancés. Avec des produits à valeur égale, il faut encore lutter contre l’engouement et la mode.
Quelques efforts devront été tentés avec suite, et même avec des prévisions de perte, avant qu’on puisse espérer les voir couronnés de succès. C’est pour couvrir ces premières pertes, que je voudrais voir le gouvernement accorder des subsides à une société de cette nature, mais sans la condition que les opérations seraient conduites avec suite. A cet effet, le gouvernement pourrait assurer des subsides pour un certain nombre d’années ; de manière, par exemple, que des pertes seraient garanties à la société, jusqu’à concurrence d’une certaine somme, sur une série donnée d’expéditions, dont les pertes et bénéfices seraient d’abord compensés, avec obligation, pour la société, de continuer ses opérations d’une manière suivie, pendant une période donnée d’années.
Maintenant, je le demande, qu’y a-t-il de commun entre des primes et des subsides de cette nature ? Ces subsides ne serviraient qu’à garantir des pertes inhérentes à toute entreprise nouvelle, et n’auraient aucun rapport avec la valeur des marchandises exportées. Ils seraient supprimées, lorsque les relations seraient bien établies, lors que les frais et pertes, que je viens d’indiquer, ne se présenteraient plus ; et cependant, ce n’est qu’à partir de cette époque qu’on pourrait craindre de les voir dégénérer en primes. Pour ma part, je serais heureux de voir le gouvernement donner cette destination aux fonds que nous allons voter ; je crois qu’en adoptant ce parti il aurait réellement travaillé pour l’avenir de l’industrie.
La clôture de la discussion du chapitre VI est demandée ; elle est combattue par MM. Donny, Dumortier et Delehaye ; elle est mis aux voix ; deux épreuves sont douteuses.
M. le président – Dans le doute, la discussion continue. La parole est à M. Delehaye.
M. Delehaye – Plusieurs honorables membres ne m’ont pas compris lorsque j’ai dit que je ne voulais aucun subside pour l’industrie et le commerce ; je n’ai pas voulu dire que le commerce et l’industrie n’avaient pas besoin de subsides, mais que le commerce et l’industrie devaient se ressentir de l’influence bienfaisante d’une bonne administration. C’est ainsi que je comprends les primes à l’industrie, telles que celles accordées au meilleur mode de fabrication, au perfectionnement d’une industrie quelconque, à l’invention d’un meilleur procédé ; mais je ne conçois pas une prime à une industrie souffrante.
Le gouvernement demande un fonds plus considérable qu’il n’a demandé jusqu’à présent ; mais il ne s’agit pas de venir au secours de l’industrie et du commerce. Le gouvernement a mis les fabricants à même de conserver des ouvriers que, sans cela, ils auraient dû renvoyer. Sous ce rapport, il a agi sagement ; il a enlevé les produits qui encombraient le marché et a mis les fabricants à même de continuer la fabrication ; mais quand le gouvernement se propose un second but, celui d’établir un marché aux colonies, je ne sauras l’approuver, car je suis convaincu que les marchandises transportées aux colonies subiront une perte considérable.
Je ne puis admettre non plus le système de l’honorable M. Cools. Lorsque le gouvernement prendra des arrangements avec une association, qu’arrivera-t-il ? L’association s’entendra avec quelques personnes qui, à raison de relations d’amitié, obtiendront des commandes qu’elles n’obtiendraient pas sans cela. C’est ce que nous avons déjà vu. Je préfère donc que le gouvernement opère par lui-même. Alors seulement il portera la responsabilité des es actes.
L’honorable M. Smits, le seul qui soit à même par la nature des fonctions qu’il a remplie, d’apprécier les vues du gouvernement, nous a fait voir que le seul système consistait à favoriser uniquement le commerce proprement dit au détriment de toutes les industries.
M. Smits – C’est une erreur.
M. Delehaye – Je prouverai que ce n’est pas une erreur.
D’après l’opinion de l'honorable membre tout a été fait pour introduire en Belgique le système de transit opposé à l’intérêt de notre propre industrie ; car on transite pas ses propres produits. Vous ne transitez que les produits des nations étrangères, vous voyez donc que ce système entraîne la perte de votre propre industrie. Qui ne saurait lutter contre l’industrie étrangère à laquelle ou saura accordé sur votre marché des avantages dont vous-mêmes ne jouissez pas.
D’ailleurs vous ne sauriez jamais établir sur votre sol un transit avantageux.
La Hollande transporte par eau depuis Rotterdam jusqu’à Cologne, à un prix très bas, les produits destinés à l’Allemagne ; elle peut encore diminuer ce prix, et du moment qu’elle sera en concurrence avec vous, il n’y a pas un sacrifice qu’elle ne s’impose.
En outre, elle possède une marine considérable qui lui permettra toujours d’atteindre un avantage qui, à défaut de pareilles ressources, doit vous échapper.
Quant à la concurrence étrangère contre laquelle vous avez à lutter, voyez ce qui se passe.
Il arrive qu’en Belgique on vend quelquefois à 15 p.c. au-dessous du produit des produits anglais et français, et la chose n’est pas difficile à comprendre : les fabricants anglais et français sont d’abord en possession de leur propre marché ; ils remplissent ce marché, mais quand il sont fournis à la consommation intérieure, il leur reste ordinairement un excédent dont il faut bien qu’ils se débarrassent ; eh bien, cet excédant, ils le jettent sur nos marchés ; ils l’y vendent et ils viennent ainsi nous faire une concurrence qui est mortelle pour notre industrie.
Pourquoi ne faisons-nous pas comme la France et l’Angleterre ? Pourquoi n’assurons-nous pas notre marché aux produits de notre industrie ? Jusqu’ici nous avons si souvent voulu imiter la France et l’Angleterre en ce qu’elles ont de défavorable, pourquoi ne les imiterions-nous pas aussi en ce qu’elles ont d’utile ?
La France aussi aime les principes de liberté, mais elle a grand soin de ne les appliquer que lorsqu’elle est bien certaine qu’ils ne peuvent pas nuire à son industrie. Voyez ce qui se passe en ce moment pour l’industrie linière ; sous ce rapport nous sommes menacés d’un coup mortel. Croyez-vous que les Français ne connaissent pas toute l’étendue du mal qu’ils vont nous faire ? Ils savent certainement quel tort immense ils nous causeront, mais ils n’en prendront pas moins les mesures qui nous menacent, parce que ces mesures sont conformes à leur intérêt. Pourquoi donc ne prendrions-nous pas aussi les mesures sans lesquelles notre industrie ne peut exister ? Je sais fort bien que toutes les mesures qu’un droit prohibitif entraîne sont très désagréables, mais quelles sont les personnes qui en souffrent ? Ce sont précisément celles en faveur de qui elles sont prises. Je suppose que vous admettiez l’estampille ; eh bien qui est-ce qui éprouvera les désagréments que cette mesure peut entraîner ? ce sont précisément ceux dans l’intérêt desquelles vous aurez créé l’estampille. D’ailleurs, l’estampille n’est pas une mesure si peu commune aujourd’hui ; elle s’exerce à l’égard d’une infinité de personne sans qu’elle donne lieu à la moindre plainte ; ainsi, par exemple, les orfèvres, les horlogers, les étainiers, les brasseurs et une foule d’autres producteurs y sont soumis et n’en murmurent pas. Je sais bien que ces mesures ne sourient pas à tout le monde ; moi-même je n’y trouve rien d’agréable. Mais il faut ne pas perdre de vue que la Belgique n’a, à défaut d’estampille, d’autres ressources que l’adjonction à la douane allemande, ou la réunion à la douane française. Cette alternative ne peut pas paraître brillante, mais seule elle peut sauver l’industrie.
M. Desmet – J’avais demandé la parole pour répondre quelques mots à l’honorable député d’Anvers qui a parlé dans la séance d’aujourd’hui. Pour prouver que le commerce de Belgique se trouvait en prospérité, l’honorable membre nous a communiqué un extrait d’une statistique de douanes, il nous produit le relevé des importations et des exportations de France en Belgique et de Belgique en France, pour l’exercice 1839. Ce relevé porte à la vérité que nos exportations vers la France ont surpassé celles de France vers notre pays. Mais, messieurs, ce relevé ne nous donne aucune preuve qu’il y ait prospérité ou progrès dans notre commerce, dans nos exportations. D’abord, ce relevé, ne contient point tout ce que la France exporte vers la Belgique ; beaucoup d’articles français sont introduits chez nous en fraude ; comme ce sont en grande partie des objets peu volumineux et peu pondéreux, ils se fraudent facilement, tandis que les objets qui s’introduisent de Belgique en France, sont en majeure partie des produits qui se fraudent difficilement et doivent être déclarés à la douane ; de sorte qu’on peut avoir un relevé exact des produits belges qui entrent en Belgique, mais qu’on n’a point celui des produits français qui entrent en Belgique.
Ensuite, quand on examine les espèces de produits que la France prend chez nous, on y trouve en grande partie des matières premières dont elle a un indispensable besoin pour ses fabriques et manufactures ; nous pourrons vous citer la houille qu’elle tire du Borinage ; elle ne peut s’en passer à cause qu’elle a une qualité spéciale pour les machines à vapeur ; le lin, qu’elle tire de Belgique et particulièrement du district de Tournay, c’est le seul lin qu’elle emploie et qu’elle peut employer dans la fabrication des toiles de mulquinerie, dont le centre est Valenciennes, et qui est une branche de commerce très importante pour la France ; le marbre qu’elle tire en bloc de nos marbrières et qu’elle scie et polit chez elle ; enfin une quantité d’articles de matière première qu’elle tire de chez nous et dont elle a besoin, tandis que les objets que la France nous importe sont, je puis le dire, tous des objets travaillés et manufacturés et même des objets de luxe, dont presque toute la valeur consiste dans le travail et dont la matière est de petite valeur.
Quant on présent des statistiques d’importations et d’exportations, on ne doit pas s’attacher aux totaux pris indistinctement entre les matières premières et les objets manufacturés, mais si on veut avoir une donnée certaine sur le progrès ou la décadence du commerce national on doit dans ces relevés, distinguer les objets fabriqués avec les matières premières, car tout l’avantage n’est point de beaucoup exporter, mais uniquement à exporter des objets fabriqués qui ont produit du travail dans le pays.
Nous savons bien que la France nous enlève des produits, et que son marché est important pour nous ; mais aussi la Belgique est d’une très grande importance pour recevoir ses marchandises. Certainement que le marché belge est, proportion gardée, le plus important que la France ait ; et je ne crains point d’avancer que si elle le perdait, elle ferait une perte très sensible, et particulièrement pour ses articles de mode et de luxe dont nous pouvons facilement nous passer.
Vous avez fait des concessions à la France l’an dernier ; tous les articles de votre tarif qui étaient favorables à diverses branches de l’industrie belge, mais qui étaient nuisibles à l’industrie française, vous les avez modifiés ; vous pensiez que la France vous en aurait tenu compte ; elle fait le contraire, elle vous punit, parce que vous lui avez fait du bien.
Le projet qui est pendant à la chambre des députés, est un coup mortel pour la branche industrielle la plus importante de votre pays, celle qui donne l’existence à la majeure partie de votre commerce et qui en est un des principaux éléments ; ce projet, je n’en doute, passera, et je n’attends aucune exception pour la Belgique, quoique ce ne sont pas les produits liniers de Belgique qui font tort à l’industrie française, mais bien ceux des Anglais. J’espère que notre gouvernement ne tardera pas à agir en représailles, sinon la chambre usera de son droit d’initiative, et des proposition seront faites pour agir contre la France, comme elle agi contre nous ; et si elle prohibe nos produits, nous prohiberons encore plus facilement les siens.
Le même membre a encore avancé que le seul moyen pour agrandir le marché intérieur, c’était celui du transit ; messieurs, il faut distinguer : si votre transit est bien dirigé et organisé, certainement il peut être avantageux à l’exportation des produits nationaux ; mais si, au contraire, il est mal établi, alors il fait plus de mal que de bien.
J’entends par un transit bien établi celui qui surtout se fait, soit pas votre propre marine marchande, soit par des arrivages des pays de production. Alors je peux en espérer des exportations de nos produits, soit dans le départ, soit dans le retour, mais quand c’est par navires étrangers ou par des arrivages indirects que le transit se fait, alors je n’y vois aucun avantage pour nos exportations ; les étrangers, et surtout nos voisins, ne viendront pas charger nos produits, ils préfèreront les prendre de leur propre pays. Et c’est malheureusement ce qui se passe le plus souvent dans nos ports ; des navires étrangers nous apportent des marchandises à transiter et souvent adressées à des maisons étrangères ; mais au lieu de prendre quelque changement, ils retournent le plus communément sur lest ; je ne puis voir quel avantage tourne au profit du pays de ces transits : quelques produits de commission, et, comme je viens de le dire, qui sont encore gagnés par des maisons étrangères. Ce transit est plus nuisible qu’avantageux à notre commerce et industrie ; et très souvent il est très dangereux, car il donne l’occasion et la facilité d’introduire dans le pays des produits étrangers sans payer les droits d’entrée. Messieurs cela arrive plus souvent que vous le penseriez bien, et ce en quoi je critique la loi sur le transit, c’est qu’elle n’a pas assez pris de précautions contre la fraude qui pourrait se faire par le transit en laissant dans les pays des produits étrangers déclarés en transit.
A ce sujet, messieurs, je peux vous alléguer un fait officiel ; il existe au bureau de West-Wesel, frontière hollandaise, un ballot de marchandises qui avait été déclaré en transit et dont les objets ont été enlevés et remplacés par d’autres. Quoique ce ballot fût plombé et scellé, et que le sceau comme le plombage fussent restés intacts, tout a été enlevé et remplacé. Ce fait est officiel et on peut s’en assurer au bureau que je viens de citer. J’ai donc droit de soutenir que le transit tel qu’il est organisé par la loi existante est dangereux pour le commerce et l’industrie du pays.
Messieurs, je ne vois donc aucune prospérité dans notre commerce ; au contraire, je vois une souffrance dans l’industrie et par conséquent dans le commerce national. Cette souffrance n’est pas dans une seule branche ; toutes sont atteintes ; elle n’est pas dans un seul pays, dans la Belgique seule ; elle est dans tous les pays.
On doit en chercher la principale cause dans une trop grande production, dans une production disproportionnée à la consommation ; mais si cette souffrance et ce malaise existent partout, ils existent cependant plus fortement en Belgique que dans beaucoup d’autres pays. La raison en est que la Belgique est, on peut le dire, presque sans commerce ; elle ne peut aider à exporter ses propres produits ; sa marine marchande est petite, ses débouchés et ses relations de commerce avec les autres pays sont presque nuls ; elle n’a point de colonies dans lesquelles elle puisse établir un marché exclusif, et ce qui la rend encore plus malheureuse, c’est qu’elle n’a pas à elle son propre marché ; de tous les côtés elle trouve toutes les portes fermées à ses marchandises ; et elle, de son côté, les tient ouvertes pour les marchandises étrangères, elle joue réellement un rôle de dupe, mais qui pourrait la conduire fort loin.
Messieurs, j’ai cependant entendu avec une grande satisfaction dans le dernier discours qu’a prononcé l’honorable ministre de l'intérieur et des affaires étrangères qu’il était de l’opinion de ceux qui voulaient protéger les arrivages directs ; nous pouvons donc dire que nous allons entrer dans une nouvelle ère de commerce et que le gouvernement, d’accord avec la majorité de la chambre, va travailler à rendre prospères le commerce et l’industrie du pays.
Mais quand le ministre nous a donné l’échelle progressive des arrivages directs, je ne crois pas que les proportions qu’il a été établies étaient tout à fait exactes ; je pense qu’il y avait quelques erreurs ; je citerai, par exemple, l’article coton ; je ne pense point que les arrivages directs de cette matière première y soient pour une soixantième partie, je pense, au contraire, que la plus grande partie nous arrive encore par des expéditions indirectes ; que ce ne sont pas les contrées de production qui nous les expédient directement, mais que ce sont des ports de Liverpool et du Havre que le coton est expédié sur notre marché.
Nous devons aussi garantir notre marché de l’intérieur de l’entrée de produits étrangers, surtout de ceux qui nous proviennent de pays qui déploient un tarif prohibitif à notre égard ; et je crois la chose très possible quand l’on veut prendre les précautions nécessaires et quand nous accordons au gouvernement tous les moyens dont il a besoin pour arrêter la fraude.
L’honorable M. Dumortier a cru qu’il était impossible de prendre des mesures efficaces contre la contrebande en Belgique, à cause, disait-il, de nos frontières trop étendues ; je pense, au contraire, qu’il y a possibilité d’y réussir ; et tout ce qu’il a à faire, d’après moi, c’est de faire ce que font nos voisins, user de tous les moyens nécessaires, et même de l’estampille, comme la France vous en donne l’exemple. Car, quand il s’agit de se conserver et de ne pas se jeter dans la détresse, il faut employer des moyens extrêmes.
Dans la séance d’hier nous avons entendu l’honorable M. Pirmez, qui ne veut d’aucune protection, qui ne veut pas qu’on vienne en aide à l’industrie, par aucun moyen, et qui soutient que plus on ferait pour le progrès de l’industrie nationale, plus on ferait de mal au pays ; car, dit-il, vous augmentez la production, et par conséquent vous rendez plus difficiles les échanges.
Quand l’honorable membre soutient qu’on produit trop, et que la trop grande production est la cause principale de la crise actuelle qui existe dans le commerce et l’industrie, je pense comme lui. Mais s’il veut y songer, c’est à cause de cette crise qu’il faut venir au secours de l’industrie nationale, et prendre des mesures pour maintenir intact le marché intérieur.
Les secours et la protection que je réclame pour l’industrie nationale n’ont point pour but de produire beaucoup et encore faire augmenter la production, mais particulièrement pour produire du beau et du solide et le plus économiquement possible ; car ce sera en fabriquant mieux et à meilleur marché que les autres nations que se trouvent les moyens de triompher sur elles et de conserver la prospérité de notre industrie.
Avant de terminer je témoigne le désir que le gouvernement porte un œil attentif sur ce qui se passe autour de nous, pour ce qui regarde les traités de commerce qui se négocient actuellement, et particulièrement sur celui entre la France et la Hollande. Je désire qu’il ne reste point en arrière et qu’il fasse des tentatives pour sonder l’opinion des gouvernements étrangers à notre égard, sous le rapport des relations de commerce afin de pouvoir prendre à temps des mesures telles que les circonstances les exigeront.
Quand nous avons passé le traité qui concernait nos différents avec la Hollande, et quand nous avons consenti à lui payer une rançon pour avoir une navigation libre dans ses eaux intérieures, beaucoup de nos collègues et les membres du cabinet pensaient que le tout était aplani, et que désormais la Belgique n’aurait plus de difficulté avec la Hollande pour la navigation ; mais je crois qu’on s’est vilainement trompé ; car la Hollande a trouvé de nouveaux moyens pour gêner notre navigation, et favoriser étrangement la sienne. D’abord sur le canal de Terneuzen, dont vous avez cru la navigation libre de tout péage, elle vous fait payer des forts droits d’écluse, de quai et de rivage ?.
Sur la houille qui arrive dans les eaux intérieures par des navires belges, elle perçoit un droit différentiel de 2 florins au tonneau, qui équivaut à l’import du fret.
Sur les centres de tourbes, dont elle peut se passer, et dont nous avons besoin pour notre agriculture, elle perçoit un fort droit de sortie.
Pour favoriser sa pêche, elle défend aux pêcheurs de Belgique de vendre en Hollande les produits de leur pêche ; tandis que les pêcheurs hollandais ont la faculté de débiter chez nous leur poisson.
Je ne dis point que la Hollande n’est pas en droit de faire chez elle ce qu’elle désire ; mais aussi, de notre côté, nous devons, dans notre propre intérêt, user de représailles et ne pas être plus longtemps sa dupe.
J’ai dit.
- La séance est levée à 4 heures ½.