(Moniteur belge n°356 du 22 décembre 1839)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Lejeune fait connaître l’analyse des pièces suivantes :
« Des débitants de boissons distillées des communes de Neufvillers et Chaussées-N.-D. de Louvignier (Hainaut), demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1835. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le conseil communal de Bruges demande le maintien de la section actuelle de la route en fer de Gand à Bruges. »
- Renvoi au ministre des travaux publics.
Première section. Président, M. Demonceau ; vice-président, M. Scheyven ; secrétaire, M. Kervyn ; rapporteur des pétitions, M. Zoude.
Deuxième section. Président, M. Jadot ; vice-président, M. Eloy de Burdinne ; secrétaire, M. Dubois ; rapporteur des pétitions, M. Maertens.
Troisième section. Président, M. Angillis ; vice-président, M. Wallaert ; secrétaire, M. de Villegas ; rapporteur des pétitions, M. Van Cutsem.
Quatrième section. Président, M. de Behr ; vice-président, M. Devaux ; secrétaire, M. Ullens ; rapporteur des pétitions, M. Troye ?
Cinquième section. Président, M. Dumortier ; vice-président, M. Fleussu ; secrétaire, M. d’Hoffschmidt ; rapporteur des pétitions, M. Lys
Sixième section. Président, M. Vanderbelen ; vice-président, M. Thienpont ; secrétaire, M. de Garcia ; rapporteur des pétitions, M. Raymaeckers.
M. Dubus (aîné) – La commission qui a vérifié les pouvoirs de M. Cogels-Dubois, élu par le district d’Anvers, en remplacement de M. Liedts qui a opté pour le district d’Audenaerde, m’a chargé de présenter le résultat de son investigation. 916 électeurs se sont présentés ; cependant il a été trouvé 919 bulletins dans l’urne.
Parmi ces bulletins il y en avait 3 blancs et deux qui ont été déclarés nuls, l’un parce qu’il portait la signature de l’électeur, l’autre parce qu’il ne contenait pas de désignation suffisante. Il restait 912 votants ; majorité absolue 456. Il résulte des procès-verbaux que M. Cogels-Dubois a obtenu 492 suffrages ; en déduisant de ce nombre les trois bulletins trouvés en sus, il reste 489 suffrages, c’est-à-dire encore 33 voix de plus que la majorité absolue. Il en résulte donc que cette circonstance de 3 bulletins de plus que de votants, n’a pas concouru à former la majorité qui demeure acquise à M. Cogels-Dubois. Du reste, il a paru à votre commission que toutes les formalités voulues par la loi ont été scrupuleusement remplies. Mais M. Cogels-Dubois n’a pas produit son acte de naissance et il a été impossible de vérifier s’il réunit toutes les conditions d’éligibilité. En conséquence, votre commission a été d’avis de proposer de déclarer valables les élections d’Anvers et d’ajourner l’admission de M. Cogels-Dubois, jusqu’à production de son acte de naissance.
Les conclusions de la commission sont adoptées.
(Moniteur n°357 du 23 décembre 1839) M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, je suis pressé de donner à la chambre quelques explications relativement au fait qui a été signalé par un représentant de Bruxelles. Ce fait, d’après un journal d’Arlon, devrait être celui d’une extradition qui aurait été ordonnée par le commandant militaire de la province de Luxembourg, au préjudice d’un officier français en garnison à Longwy. Ce fait d’extradition résulterait de ce que l’officier français s’est rendu d’Arlon à la frontière sous la conduite d’un sous-officier belge, et qu’arrivé à la frontière française, il y a été arrêté par la gendarmerie qui s’est trouvée là. Le journal dit que les autorités militaires des deux pays avaient été d’accord entre elles. Messieurs, les autorités françaises n’avaient été nullement averties par les autorités belges ; aucun concert n’avait existé entre elles et le commandant de la province.
(Erratum du Moniteur du 28 décembre 1839 :) Un officier de la garnison de Longwy paraît avoir contracté dans Longwy une liaison qui ne convient pas à sa famille ; il avait obtenu un congé pour se rendre dans une ville du Nord de la France ; au lieu de jouir de ce congé, il est venu en Belgique. Il avait un permis de séjour de trois jours. Il arriva à Arlon quand son congé était périmé. Il se mit sous le patronage du général de Tabor, qui lui conseilla de ne pas rester, attendu que ses papiers n’étaient pas en règle. L’officier se dirigea sur Virton ; la gendarmerie lui demande ses papiers ; elle agit sans l’incitation de l’autorité militaire, il fut conduit à Bastogne devant l’autorité civile qui déclara qu’il n’y avait pas lieu à arrêter l’officier. Le général lui conseilla encore de partir, puis il lui permit de revenir, parce que la mère de l’officier demande au général de permettre à son fils de revenir à Arlon, pour avoir une entrevue avec elle.
Enfin, il l’engagea de nouveau à sortir du pays, à rentrer en France ; et alors tout à coup l’officier, changeant d’avis, devient inconvenant à l’égard du général ; et oubliant qu’il n’avait pas a faire à son subordonné, celui-ci le traita militairement et l’avertit qu’il allait le faire reconduire. Il lui donna, non pas deux sous-officiers ayant leurs armes chargées, mais un sous-officier dans la tenue du jour, avec son sabre-briquet pour toute arme, ce qui équivaudrait à une canne ou un bâton ; c’est ce sous-officier qui le conduisit vers la frontière, et cela prouve qu’il n’y eut pas de contrainte, mais bien, en quelque sorte, consentement. Ce sous-officier était plutôt une sauvegarde qu’une véritable garde.
Si la gendarmerie s’est trouvée sur la frontière, c’est par une circonstance que j’ai omise. Le général français, commandant la garnison, apprenant que l’officier ne s’était pas rendu dans le lieu pour lequel il avait son congé, avait ordonné à la gendarmerie de l’arrêter. Le jour même du départ de l’officier, deux autres officiers de la garnison de Longwy s’étaient trouvés à Arlon, et avaient engagé leur camarade à venir avec eux. C’est ce que la gendarmerie put apprendre. L’officier désigna lui-même le point de la frontière où voulait se rendre, ce qui éloigne l’idée d’une contrainte. Le général de Thabor a agi d’une manière irrégulière ; c’est ce que je lui ai fait savoir ; mais il n’y a rien qui ressemble à une extradition ; il n’y a pas eu de concert avec l’autorité française. Il y a peut-être eu de la part du général de Thabor trop de condescendance pour se prêter à des arrangements de famille ; mais il n’y a eu de sa part aucune intention, aucune tentative de porter violemment atteinte à la liberté de qui que ce soit.
M. de Brouckere – Je ne sais pas si les explications du ministre de la guerre seront trouvées satisfaisantes. Toujours il me paraît qu’il y a eu extradition. Il n’y a eu aucun accord entre les autorités militaires, françaises et belges, je le crois ; toutefois, il y a eu emploi de la force. Je ne veux pas discuter sur ce point aujourd’hui ; s’il doit y avoir distinction, elle sera reprise lors des débats sur le budget de la guerre.
M. Milcamps – Messieurs, je suis chargé de vous faire, au nom de la commission des pétitions, le rapport d’une pétition adressée à la chambre par trois avoués du tribunal civil de première instance de Tongres, et sur laquelle la chambre a demandé un prompt rapport.
Les pétitionnaires exposent que la nouvelle circonscription judicaire du Limbourg cause un immense préjudice à la plupart des officiers ministériels établis auprès de ce tribunal, et qu’eux personnellement, en perdant la rive droite de la Meuse, perdent la majorité de leurs clients. Ils disent qu’ils exerçaient avant 1831 les fonctions d’avoué près le tribunal de Maestricht, et qu’à l’appel du gouvernement provisoire ils ont donné leur démission, qu’ils sont venus s’établir, en la même qualité, auprès du tribunal de Tongres, et que leur retour à Maestricht et la réintégration dans leurs places est impossible. Ils font connaître leur position pénible résultant de la perte de leur clientèle, que le nombre des avoués près le tribunal de Tongres est fixé à douze, et que neuf sont encore présents.
Après cet exposé ils demandent que le gouvernement vienne à leurs secours et leur accorde un traitement temporaire.
A l’appui de cette demande ils invoquent un précédent.
A la nouvelle organisation judiciaire en France en 1810, quarante avoués perdirent leurs places et le gouvernement leur accorda, en proportion de leurs pertes, un traitement d’attente. Il fit plus, ajoutent les pétitionnaires, par un décret il fut statué que les places de greffier qui deviendraient vacantes auprès des cours et tribunaux seraient données de préférence aux avoués qui avaient été dépossédés. Ils terminent par faire observer qu’un projet de loi avait été proposé à la chambre des représentants de Belgique, contenant une disposition d’après laquelle les fonctionnaires publics dépossédés recevraient un traitement d’attente, et que le projet ne fut retiré que sur l’observation qu’il contenait des lacunes.
Votre commission, messieurs, a examiné la pétition des trois avoués de Tongres, adressée à la chambre. Elle n’y a pas vu et n’a pu y voir la réclamation d’un droit, mais seulement des éléments que les pétitionnaires présentent comme pouvant provoquer la proposition d’une loi qui accorderait des traitements d’attente non seulement à des fonctionnaires à traitement, mais même à ceux qui ne jouissent d’aucun traitement et qui auraient éprouvé des pertes par suite de la cession d’une partie du territoire, ordinairement ces sortes de pétitions sont renvoyées au bureau des renseignements. Mais votre commission a pensé qu’il y avait lieu en outre au renvoi au ministre de la justice, c’est ce double renvoi que j’ai l’honneur de proposer.
- La chambre, adoptant les conclusions du rapport, ordonne le dépôt au bureau des renseignements, et le renvoi au ministre de la justice.
M. de Behr – Messieurs, il a été distribué avant-hier un tableau comparatif des travaux judiciaires des trois cours d’appel en Belgique. L’apparition de cette pièce la veille au soir du jour même où devait se discuter le budget de la justice m’a causé autant de peine que de surprise. Le but en est facile à saisir, c’est de mettre en relief la cour de Bruxelles aux dépens des deux autres ; aucun doute n’est possible à cet égard après l’observation imprimée au bas du tableau ; en voici les termes : La cour d’appel de Bruxelles termine donc A ELLE SEULE, année commune, 32 affaires civiles et commerciales de plus que les cours d’appel de Liége et de Gand réunies… Chacun sent et apprécie les convenances à sa manière ; mais, pour moi, je ne saurais accorder le procédé dont j’ai personnellement à me plaindre, avec les égards que se doivent mutuellement des magistrats du même rang. Quoi qu’il en soit, j’ai la plus profonde estime pour la cour de Bruxelles, et je rends pleine justice au zèle qu’elle apporte dans l’exercice de ses fonctions ; je pense comme elle, que les traitements de ces membres sont insuffisants, et qu’il en est de même des autres cours et tribunaux, y compris les justices de paix ; mais puisqu’on a lancé dans cette enceinte un acte d’accusation contre deux cours d’appel, permettez-moi, messieurs, de dire quelque mots en faveur de celle qui m’a appelé par ses suffrages à l’honneur de la présider. La cour de Liége a toujours regardé comme une calamité l’arriéré dans les causes judiciaires : elle a fait tous ses efforts pour le faire disparaître, et mettre ses affaires à jour ; mais elle a rencontré dans le barreau un nombre de jurisconsultes très distingués, quelques-uns d’entre eux avaient néanmoins le monopole des affaires, et suffisaient à peine au travail de deux chambres civiles ; une troisième n’eût donc servi qu’à entraver les audiences des deux autres. Mais depuis que les affaires se sont un peu dissimilés, et que le nombre des avocats plaidants le permet, la cour de Liége s’est empressée d’organiser dans son sein une troisième chambre qui juge les causes civiles urgentes et commerciales, en même temps que les appels de police correctionnelle.
Dans cet état de choses, il n’y aurait guère sujet de s’étonner que la cour de Bruxelles, qui a un personnel plus considérable, et autant de chambres civiles à elle seule que les deux autres cours ensemble, eût expédié le même nombre d’affaires que celles-ci ; mais il s’en faut bien qu’il en soit ainsi. Je regrette que mes occupations, comme membre de cette chambre et comme magistrat, ne m’aient pas laissé le loisir de me livrer à des investigations sur chacun des chiffres du tableau. Mais j’ai pu parcourir la statistique judiciaire de 1834 à 1835, dont le résultat figure en tête de l’extrait, et vous allez voir quel parti on a su en tirer. M. le procureur-général Fernelmont certifie que, d’après les relevés officiels, le nombre des causes civiles terminées cette année est de 359 à la cour de Bruxelles, de 259 à celle de Liége, et de 152 à la cour de Gand. C’est fort bien, je suis d’accord avec M. le procureur-général ; mais pour avoir la mesure du travail des magistrats, il faut naturellement savoir comment se sont terminées les affaires qui leur étaient dévolues. Le tableau comparatif est toutefois entièrement muet sur ce point ; mais je vais le compléter avec la statistique même dont il a été extrait. Pendant l’année judiciaire que je viens d’indiquer, la cour de Bruxelles a terminé, par arrêt contradictoire ou par défaut, 241 causes civiles et commerciales, et celle de Liège 219. On voit combien peu ces chiffres diffèrent l’un de l’autre, malgré les obstacles que la cour de Liége a rencontrés dans sa marche, ainsi que je l’ai fait observer précédemment.
La statistique indique ensuite le nombre de causes rayées du rôle, et les réunit au chiffre des causes terminées dans une colonne spéciale. Eh bien, c’est à cette colonne que sont empruntés les chiffres du tableau comparatif. Mais chacun sait que les radiations du rôle se prononcent à l’audience, et ne comptent absolument pour rien dans le travail du juge. Or, voici le nombre des causes qui ont été rayées aux deux cours, et qui sont confondue, pour faire de l’effet, avec le chiffre des arrêts, dans le tableau comparatif.
Il a été rayé du rôle, à Bruxelles, 107 causes, et 13 seulement à la cour de Liége ; on s’étonne peut-être de cette disproportion dans le nombre des radiations, mais elle s’explique aisément par la circonstance que l’arriéré considérable qui va croissant chaque année à la cour de Bruxelles, excite les plaideurs à interjeter des appels pour gagner du temps, appels qui sont ensuite désertés lorsqu’ils viennent en tour d’être jugés.
La statistique judiciaire en matière civile s’arrête à l’année 1836. Toutefois, M. le procureur-général certifie des extraits de documents que je ne saurais consulter puisqu’ils n’ont pas encore vu le jour ; je pense que les relevés de 1838 à 1839 n’ont pas encore reçu le caractère d’un document officiel sous le rapport statistique.
Au reste, je ne veux pas suspecter l’exactitude des chiffres indiqués par M. le procureur-général, mais je crois pouvoir me défier quelque peu du zèle de ce magistrat, et des sentiments peu bienveillants qui l’ont inspiré dans cette circonstance.
Il m’en coûte beaucoup, messieurs, d’être entré dans ces détails ; mais j’ai bien dû vous les présenter pour vous faire apprécier à sa valeur le tableau comparatif qui vous a été distribué ; et effacer la fâcheuse impression qu’il a dû produire dans vos esprits contre des magistrats recommandables dont je m’honore d’être le chef.
(Erratum Moniteur du 24 décembre 1839 : ) Je terminerai mes observations par une motion d’ordre ; je demanderai à MM. les questeurs s’ils sont intervenus dans l’impulsion de la pièce dont il s’agit, et si c’est par leur ordre qu’elle a été remise à MM. les membres de la chambre.
M. Liedts – Messieurs, l’honorable représentant qui vient de prendre la parole demande comment il se fait que le tableau dont il a parlé ait été distribué aux membres de la chambre. L’explication en est toute simple.
Quand il arrive des pièces destinées aux membres de la chambre, et qu’il est manifeste que ces pièces ne renferment rien qui soit contraire aux convenances, alors le chef des huissiers, d’après les ordres qu’il a reçus à cet égard, en fait faire la distribution, sans en référer aux questeurs. Malgré tout ce qu’a pu dire l’honorable préopinant, je m’étonne qu’il ait pu trouver dans la pièce dont il s’agit quelque chose d’humiliant pour les membres de la cour de Liége et d’attentatoire à leur honneur ; et je suis persuadé que l’honorable magistrat qui l’a dressé a été loin de vouloir les attaquer en quoi que ce soit ; dans tous les cas, l’honorable membre aurait dû mettre de côté les intentions et se borner à discuter la pièce. Quant à moi, si j’avais pu voir dans cette pièce quelque chose qui fût le mois du monde inconvenant, j’en aurais défendu la distribution.
M. Donny – Je vais à mon tour dire quelques mots pour combattre l’impression défavorable que pourrait produire le tableau statistique dont vient de parler un honorable préopinant. Je m’y crois forcé, parce que ce tableau, qui a été rendu public, doit faire naître dans l’esprit de ceux qui le consultent, sans autre explication, cette idée erronée, résultat naturel des chiffres du tableau, que la cour de Bruxelles travaille beaucoup plus que les deux autres cours. Or, il m’importe de faire voir qu’il n’en est pas ainsi, et je vais le prouver par une démonstration arithmétique.
Messieurs, si vous voulez comparer les travaux d’une cour aux travaux des deux autres, et si vous voulez faire cette comparaison en vous servant des données statistiques dont il s’agit, il faut, pour être justes, commencer par faire subir à ces données deux opérations essentielles. D’abord, il faut en retrancher tout ce qui ne constitue pas un travail réel, comme par exemple les causes terminées par radiation de rôle, par transaction, par désistement, etc., car une radiation de cause n’est pas plus un travail pour la cour de que ne l’est une simple remise à huitaine. Après avoir fait ces déductions, il faut ensuite combiner le nombre des causes jugées avec le nombre des membres de chaque cour, attendu que chacune des trois cours belges se compose d’un nombre différent de membres.
L’honorable M. de Behr vous a parlé de la première des opérations, je vais vous entretenir de la seconde.
Je prends à cet effet les chiffres tels qu’ils se trouvent au tableau statistique dont il s’agit, de sorte que je considère pour un instant, comme ayant occasionné un travail sérieux, toutes les causes rayées du rôle ou terminées par désistement, transaction ou décrètement. Je vois que la cour de Bruxelles termine, année commune, 823 causes, celles de Liége, 591, et celle de Gand, 501.
De sorte que les trois cours réunies terminent annuellement 1,915 causes.
Pour la facilité des calculs, je réduis ce chiffre à 1,914. Je trouve ensuite que si ces 1,914 affaires terminées par arrêts avaient été réparties entre les trois cours, proportionnellement au nombre des membres dont chacune d’elles se compose, celle de Bruxelles qui, avec 27 conseillers, doit expédier les 27/66 de la besogne, aurait eu à terminer pour son juste contingent 783 affaires ; celle de Liège, pour 21/66, 609 affaires ; et celle de Gand, pour 18/66, 522 affaires.
Or, d’après le tableau dont il a été parlé tout à l’heure, la cour de Bruxelles a terminé, année commune, 823 affaires au lieu de 783, c’est-à-dire 40 affaires de plus que son contingent ; voilà encore à quoi se réduit l’excédant des travaux de cette cour : 40 affaires de plus sur 783, ce n’est pas encore un excédant de travaux de 6 p.c ;
Je viens, messieurs, de prendre les chiffres tels qu’ils vous sont fournis par la cour de Bruxelles. Je vais maintenant avoir égard à la correction indiquée par l’honorable M. de Behr ; je déduirai des chiffres du tableau ce qui ne peut être considéré comme un travail sérieux, et vous verrez, messieurs, que je vais arriver à des résultats bien plus singuliers encore. Et cela doit être, car dans la seule année judiciaire 1834-1835, parmi les 359 affaires civiles terminées à la cour de Bruxelles, il s’en trouve 11 terminées par transaction, etc., 107 par simple radiation du rôle et 241 seulement par arrêt ; tandis que, pendant la même année, la cour de Liège ne compte, dans les 259 affaires terminées devant elle, que 13 causes rayées et 27 transigées, contre 219 jugées par arrêt ; tandis encore que pendant la même année 21 causes seulement ont été rayées et 5 transigées, contre 126 arrêts rends par la cour de Gand.
Je vais, messieurs, borner mes opérations aux seules années judiciaires 1834-35 et 1835-36 parce que nous n’avons pas à la chambre de documents officiels allant au-delà de ces années.
D’après le tableau, la cour de Bruxelles a terminé pendant ces années, tant au civil qu’au criminel et au correctionnel 1,424 affaires. Il faut en déduire, pour causes terminées par simple radiation, etc. 217 affaires. Reste pour les deux années 1,207 affaires. Ce qui fait pour une seule 603 affaires.
La cour de Liége, de son côté, a terminé 1,190 causes qui, rectification faite, se réduisent pour les deux années à 1,108 affaires, et pour une seule à 554 affaires.
La cour de Gand en a terminé 1,091, qui se réduisent, pour les deux années, à 1,034, et pour une à 217 affaires.
De sorte que les trois cours ont terminé par arrêt 1,674 affaires.
Ces 1,674 affaires ont été terminées par 63 conseillers, dont 24 composaient alors la cour de Bruxelles. Celle-ci avait donc à terminer pour sa part 24/63e du total, ce qui fait, en négligeant la fraction, 637 affaires. Or, elle n’en a terminé par arrêt que 603, et il se trouve que, loin d’avoir eu à cette époque un excédant de travail, elle s’est au contraire trouvée en déficit de 34 causes par an.
Je suis loin d’en faire un reproche à la cour de Bruxelles, et je n’attache d’importance à ces résultats que parce qu’ils servent à vous faire voir le peu de fond qu’on peut faire sur les chiffres statistiques communiqués, lorsqu’on voudrait les employer comme élément de comparaison.
Tout autant que l’honorable préopinant, je regrette qu’on ait lancé dans cette chambre le tableau statistique, objet de ce débat. Je regrette qu’on soit venu ainsi provoquer une discussion publique sur les travaux de la cour de Bruxelles comparés à ceux des deux autres ; ce sont là des discussion qui me semblent peu dignes de la magistrature, mais une fois que la pièce avait été publiée, il était de mon devoir d’en rectifier les données et de détruire les impressions injustes qu’elle pouvait laisser dans vos esprits.
M. de Brouckere – Ce n’est que depuis l’ouverture de la séance, messieurs, que j’ai connaissance du tableau comparatif dont on vient de parler. C’est assez vous dire que ce tableau n’est point l’œuvre de la cour, puisque moi, membre de la cour d’appel de Bruxelles, je n’en avais, je le répète, aucune connaissance. Ce tableau est l’œuvre de celui qui l’a signé, il est l’œuvre du chef de parquet près de la cour de Bruxelles. Je crois donc que les attaques de l’honorable orateur qui a parlé le premier n’eussent dans aucun cas, dû atteindre la cour d’appel, qui est tout à fait hors de cause.
On a parlé de ce tableau, messieurs, comme si c’était un acte d’accusation lancé contre les cours d’appel de Liége et de Gand (ce sont les termes dont s’est servi l’honorable M. de Behr ; j’en ai pris note.)
Je connais trop l’honorable magistrat qui a signé le tableau pour ne pas affirmer que telle n’a jamais été son intention. Quant au but qu’il a voulu atteindre, je l’ignore complètement ; je n’ai jamais entendu parler ni du tableau, ni du dessein que l’on avait de le publier ; il m’est absolument impossible de répondre ni à l’honorable M. de Behr, ni à l’honorable M. Donny. Peut-être que M. le ministre de la justice, mieux informé que moi, sera à même de faire une réponse ; mais si j’ai demandé la parole, c’est parce que les attaques des honorables préopinants, surtout de celui qui a parlé le premier, m’avaient fait éprouver un sentiment extrêmement pénible. On a voulu mettre les trois cours d’appel de la Belgique, en quelque sorte, dans un état d’hostilité entre elles. Cet état d’hostilité rendu public par la discussion qui a eu lieu dans cette enceinte me semble une chose extrêmement fâcheuse, et j’eusse préféré que les membres des cours de Liége et de Gand qui appartiennent à la législature eussent communiqué le tableau au procureur général près de ces cours et que les deux procureurs généraux eussent répondu à celui de Bruxelles par la voie que lui-même avait prise. Maintenant j’ai entendu attaquer le procureur général près la cour de Bruxelles d’une manière que je ne qualifierai certainement pas trop sévèrement en disant qu’elle était violente ; non content d’attribuer à un magistrat des sentiments indignes de son caractère, de mettre la cour d’appel de Bruxelles en cause, on est allé jusqu’à dire positivement que l’auteur du tableau avait voulu induire la chambre en erreur, qu’il lui avait communiqué à dessein des chiffres erronés ; on a ajouté de plus que le procureur général avait cherché des renseignements qui n’existaient pas : Vous conviendrez que lancer des accusations comme celles-là, dans la chambre des représentants, contre un des premiers magistrats de la Belgique, c’est là une chose fort grave, et il faut que la dépense puisse avoir la même voie de se faire connaître que l’attaque.
Or, l’ignorance complète où je suis des faits m’oblige de demander à la chambre la faculté de répondre lundi ; je prendrai des renseignements ; je verrai M. le procureur général, et je le prierai de me mettre à même de répondre d’une manière aussi satisfaisante que possible aux accusations qui ont été lancées contre lui, et sous le coup desquelles il est impossible qu’il reste. S’il a eu tort, s’il est vrai qu’il ait falsifié des chiffres, s’il est vrai qu’il ait puisé des renseignements dans des pièces qui n’existent pas, certainement je ne prendrai pas sa défense ; mes antécédents sont là pour le garantir ; mais je suis persuadé qu’il y a erreur dans les accusations dont il a été l’objet ; et cette erreur, il faut, je le répète, en bonne justice, que je puisse la faire connaître par la voie dont on s’est servi pour lancer l’accusation.
Ainsi, je prie la chambre de vouloir bien me permettre de m’expliquer lundi, la discussion du budget de la justice, dût-elle être même terminée aujourd’hui. (Oui ! oui !)
M. le président – Ainsi il est entendu que M. de Brouckere aura lundi la parole pour donner des explications sur le fait dont il s’agit.
M. de Behr – Messieurs, je n’ai attaqué en aucune manière la cour de Bruxelles ; cette cour n’est pas en cause, puisque le tableau n’est pas son ouvrage ; au contraire, j’ai rendu justice au zèle avec lequel elle administre la justice. Mes observations n’ont été adressées qu’à M. le procureur général, qui est le signataire du tableau. Cette pièce, ayant été distribuée à chacun des membres de la chambre, avait ainsi acquis un caractère de publicité qui m’imposait le devoir de défendre la cour de Liége, accusée dans cette enceinte. Au reste, je n’ai nullement reproché à M. le procureur général d’avoir falsifié des chiffres ; j’ai dit, au contraire, que les chiffres dont il s’agit avaient été extraits littéralement de la statistique ; mais j’ai soutenu qu’il aurait fallu indiquer les autres chiffres contenus dans ce document : j’ai dit qu’il y avait omission dans ce tableau, et j’ajoute qu’il a été dressé dans une intention que je ne veux pas qualifier.
M. de Brouckere – Messieurs, l’honorable M. de Behr ne s’est pas, en effet, servi du mot « falsifier », mais il a dit qu’on avait posé des chiffres tels qu’ils devaient induire en erreur, et il a ajouté qu’on l’avait fait à dessein. C’est là, messieurs, ce que j’ai trouvé plus grave dans les accusations qui ont été formulées par l’honorable M. de Behr. Du reste, son discours était écrit, il sera publié dans le Moniteur, où M. le procureur général pourra le lire, et je ne doute pas que ses explications ne précèdent les miennes. Je le répète, je ne veux pas prétendre que M. le procureur-général a bien fait, comme je ne veux pas soutenir qu’il a mal fait ; mais je prie la chambre de suspendre son jugement ; de ne pas se laisser aller à des préventions contre ce magistrat, préventions qui seraient injustes, alors que vous n’avez entendu que l’attaque.
M. de Villegas – Messieurs, ainsi qu’il a été observé dans le rapport fait au nom de la section centrale, le budget du ministère de la justice pour l’exercice 1840 ne peut donner matière à de grands débats, parce que la plupart des dépenses qui y figurent sont obligatoires.
Toutefois, je me permettrai à l’occasion de la discussion générale de ce budget, de vous présenter, dans l’ordre même de l’examen fait par la section centrale, quelques observations dont l’utilité et l’opportunité, je pense, sont incontestables.
J’appellerai d’abord l’attention de la chambre sur deux projets de loi dont elle est saisie depuis nombre d’années.
Je veux parler du projet de loi relatif à la nouvelle circonscription cantonale, présenté à la chambre le 23 février 1834, et celui qui concerne la compétence en matière civile, présenté le 12 novembre de l’année suivante.
Je conçois très bien que les travaux urgents dont la chambre a eu à s’occuper ne lui ont pas permis de livrer à la discussion les projets auxquels je fais allusion ; mais je pense que le moment est venu de s’en occuper activement, et de régler d’une manière définitive une des branches les plus importantes de l’administration de la justice. Ces deux lois sont impatiemment attendues dans le pays. Elles intéressent au plus haut degré l’action d’une bonne et prompte justice.
Il va sans dire que le projet de loi sur la compétence civile doit avoir la priorité de la discussion sur celui relatif à la circonscription cantonale. Car les cantons ne pourront être convenablement circonscrits, que lorsque la compétence des juges de paix sera déterminée.
Au surplus, il est à remarquer que les administrations provinciales sont également entravées par les retards de ces projets de loi, auxquels se rattache celui relatif à la révision de la loi sur le notariat.
Cette révision est également indispensable, notamment en ce qui concerne le ressort des notaires. On sait que la loi du 25 ventôse an X établit une distinction entre les notaires des tribunaux de première instance et de justice de paix, et que ceux-ci n’ont pas le droit d’instrumenter hors du ressort de leur canton. Le projet de loi a en vue de faire disparaître cette distinction restrictive et que rien ne justifie. Il est donc à espérer que la chambre s’empressera de faire droit aux justes et nombreuses réclamations qui émanent d’une classe de fonctionnaires publics infiniment liée à l’ordre judiciaire et digne de toute notre sollicitude.
Toutefois, il est à regretter que la révision sur le notariat n’ait pas été formulée dans un seul projet. Au lieu d’intercaler, dans le projet de loi déterminant la circonscription cantonale, un titre spécial concernant le ressort et la résidence des notaires, mieux eût valu sans doute que le gouvernement nous eût présenté un code et un système complet sur la réorganisation du notariat. Du reste, cette observation pourra venir à point, lors de la discussion de ces divers projets.
Dans le projet de loi sur la compétence en matière civile, il est alloué une augmentation d’appointements aux juges de paix et à leurs greffiers. C’est une justice que ces magistrats réclament depuis longtemps de la législature et il est de notre devoir de la leur rendre.
Il est vraiment inconcevable, que lorsque, depuis l’époque de l’organisation judiciaire, les magistrats supérieurs ont reçu une augmentation d’appointements, les juges de paix seuls aient été oubliés. Mais ignore-t-on que l’institution des justices de paix est la plus belle institution de l’ordre judiciaire ? qu’un juge de paix a non seulement une juridiction contentieuse, mais que sa plus belle mission, ainsi que le porte son titre, est de prévenir et d’aplanir, par la confiance qu’il inspire et la considération dont il doit jouir, les contestations qui s’élèvent entre parties ? Ignore-t-on que pour exercer convenablement les fonctions de juge de paix on doit avoir des connaissances profondes en droit et que ses occupations sont varies, continuelles et nombreuses. Et c’est précisément à raison de l’importance de ces fonctions que le juge de paix est le moins rétribué de la magistrature !
Ces considérations sont plus que suffisantes pour démontrer l’urgence nécessité d’améliorer le sort des juges de paix et de leur procurer une existence convenable et indépendante, digne du rang qu’ils occupent dans la magistrature.
Je ne dirai que peu de mots relativement au service des prisons. Il est constant que le système pénitentiaire de notre pays est en grande voie d’amélioration. Des règlements d’administration intérieure, l’appropriation de locaux pour les diverses catégories de détenus, une surveillance active de la part des commissions sont autant de moyens que le gouvernement emploie effacement dans l’intérêt des détenus. Toutefois, j’appellerai l’attention de la chambre sur la nécessité d’avoir un pénitentiaire pour les jeunes délinquants. Le projet de loi que le ministère nous a présenté à ce sujet obtiendra, sans aucun doute, l’assentiment de la chambre ; car c’est un établissement qui doit exercer une grande influence sur le moral des détenus et sur la justice répressive.
En parcourant l’état de répartition du crédit, porté à l’article 2 du chapitre VIII du budget, je remarque que le secrétaire de la commission administrative des maisons de sûreté civile et militaire de Bruxelles et d’Anvers sont payés sur le fonds de ce crédit, tandis que c’est la province qui paie les employés de cette catégorie dans toutes les autres maisons d’arrêt du royaume. Je prie M. le ministre de la justice de nous dire s’il ne croit pas convenable d’adopter à cet égard un mode uniforme d’administration et d’allocation de fonds.
Je demanderai, en dernier lieu, à M. le ministre, s’il ne convient pas que, dans les maisons secondaires, il y ait une surveillance pour le quartier des femmes. Si l’on croit que les besoins du service ne réclament pas partout cette augmentation de personnel, que le ministère l’introduise là où elle est nécessaire. En consultant l’administration provinciale et les commissions des maisons d’arrêt, le gouvernement sera à même de connaître cette nécessité dans l’intérêt de la morale publique.
M. de Renesse – A l’occasion de la discussion du budget de la justice, je crois devoir appeler l’attention toute particulière de M. Le ministre sur la position de quelques fonctionnaires de l’ordre judiciaire, rentrés en Belgique depuis le morcellement du Luxembourg et du Limbourg ; plusieurs de ces fonctionnaires réclament avec instance leur replacement, et leur situation serait très fâcheuse, s’ils ne parvenaient à être replacés dans un bref délai ; outre les pertes assez considérables qu’ils ont éprouvées par l’obligation de devoir quitter les parties cédées, où ils avaient depuis longtemps toutes leurs relations d’intérêt et de famille, ils verraient encore diminuer dans quelques mois leurs traitements, puisque, après le délai d’un an, à dater de l’exécution du fatal traité, ils n’obtiendraient plus que les deux tiers de leurs appointements actuels.
J’ose espérer que M. le ministre de la justice aura égard à leur position toute exceptionnelle, et qu’au fur et à mesure qu’il y aura des vacatures, il voudra bien les nommer, pour le moins, à des fonctions équivalentes à celles qu’ils ont dû quitter.
Je crois aussi devoir faire observer que, pour fixer la quotité des traitements d’attente, il faudrait nécessairement prendre en considération les émoluments dont plusieurs de ces fonctionnaires jouissaient ; déjà, leurs appointements sont d’une si minime importance, que s’ils doivent encore subir une diminution quelconque, ces fonctionnaires, si fortement lésés par l’exécution du traité, verraient leurs moyens d’une existence honorable compromis.
Par suite de l’exécution du traité, d’autres officiers ministériels, attachés à des tribunaux dont les arrondissements judiciaires ont été morcelés, et ont subi une forte diminution de leur population, ont aussi à éprouver des pertes notables dans leurs ressources ordinaires ; ils se sont adressés tant à la chambre qu’au gouvernement afin d’être en partie indemnisés des fortes pertes qu’ils subissent actuellement.
En appuyant leur demande, qui me semble mériter d’être prise en considération, puisque c’est par le fait de l’acceptation du fatal traité que leur position s’est empirée, je crois que le gouvernement belge doit suivre à leur égard l’exemple d’un pays voisin, où lors de la réorganisation des cours et tribunaux, l’on a cru devoir indemniser ceux des officiers ministériels qui n’avaient pu être replacés immédiatement, et dont les arrondissements judiciaires avaient dû subir une trop fâcheuse réduction de population.
La situation très fâcheuse de ces officiers ministériels mérite donc toute l’attention du gouvernement et des chambres, leur position étant tout exceptionnelle et ne pouvant se reproduire ; car il est à espérer que jamais la Belgique ne se trouvera dans la triste nécessité de consentir encore à l’abandon d’une partie quelconque de sa population.
J’espère que M. le ministre de la justice voudra bien s’occuper au plus tôt de la position de ces officiers ministériels, dont plusieurs, à ma connaissance, attachés au tribunal de Tongres, ayant une nombreuse famille à entretenir, demandent à être indemnisés des pertes qu’ils éprouvent ou d’obtenir une amélioration de position, soit par leur nomination, avec avantage, auprès d’un autre tribunal, soit par la réduction du nombre des avoués actuellement attachés à ce tribunal, qui est encore actuellement de huit, tandis que, d’après la population dudit arrondissement depuis l’exécution du traité, le nombre de cinq ou six avoués suffirait pour le service des affaires judiciaires.
M. Verhaegen – La haute mission confiée à la magistrature devrait faire obstacle à ce que ses membres descendissent jamais dans l’arène des passions. L’esprit de conciliation dont ils ne cessent de donner des preuves, alors qu’il s’agit des intérêts des justiciables, ne devrait pas les abandonner quand il s’agit de leur intérêt personnel. Le malheureux débat qui vient de surgir me donne, à moi, la conviction que tout ce qui a été dit, tout ce qui a été fait dans cette occurrence, n’est dû qu’à la position fâcheuse dans laquelle le ministère a laissé la magistrature en général.
Aussi, messieurs, n’est-ce pas tel corps plutôt que tel autre corps que je viens défendre à l’occasion du budget. C’est la magistrature en général qui mérite nos sympathies, et c’est de la magistrature en général dont je vais m’occuper.
En 1837, j’ai déposé une proposition pour améliorer le sort des magistrats. Un de mes amis me dit à cette époque que ma proposition ne serait jamais discutée. Je vous avoue qu’entré à peine dans cette enceinte, connaissant peu les habitudes parlementaires, j’avais peine à me rendre à cette idée ; mais deux années se sont écoulées sans qu’il ait été fait droit à une demande qui me semblait des plus justes ; je commence à croire que mon ami avait raison.
Quel que doive être le sort de cette proposition, si au fond elle pouvait ne pas réunir tous les suffrages, car je déclare d’avance que je serais disposé à y apporter tel amendement, tel tempérament que les circonstances pourraient rendre nécessaire ; le moment est arrivé où le gouvernement doit s’occuper enfin de rendre justice à ceux qui la réclament.
Messieurs, il n’y a que quelques jours, au sujet de la discussion du budget des affaires étrangères, nous avions l’occasion de faire remarquer à la chambre que le gouvernement, loin d’user d’économies, jetait l’or à pleines mains, l’expression n’est pas trop forte, quand il s’agissait de diplomates et de leurs voyages, dépenses que nous pouvons appelés dépenses de luxe ; et lorsqu’il s’agit de magistrats, rien ; tout est trop, la position du pays ne permet pas de faire quelque chose pour eux ; il faut attendre et attendre fort longtemps sans doute.
Le rapport de la section centrale, à la page 2, contient un passage qui mérite de fixer votre attention. J’ai vu avec satisfaction que la section centrale avait compris, cette année, la nécessité de venir au secours de la magistrature.
La deuxième section témoigne le désir de voir réviser les traitements des membres de l’ordre judiciaire.
La section centrale appuie le vœu émis par la deuxième section. L’insuffisance des traitements de la magistrature est depuis longtemps reconnue par un grand nombre de membres de cette chambre et par le gouvernement lui-même : il semble dès lors rationnel de procéder à la révision de ces traitements. En supposant que la situation du trésor ne permît pas d’accorder pour l’exercice prochain les augmentations jugées nécessaires, rien n’empêcherait de fixer une époque ultérieure pour en faire jouir les fonctionnaires à qui elles sont dues. Ce serait là un encouragement pour les magistrats qui doivent vivre de leur état, et une garantie de l’indépendance dont ils ont besoin pour remplir la haute mission qui leur est confiée.
Oui, messieurs, et la section centrale a eu raison de le dire, ce que nous demandons est une garantie d’indépendance dont les magistrats on besoin pour remplir la haute mission qui leur est confiée. C’est la magistrature qui est la gardienne née de nos libertés ; sans la magistrature indépendante, nos libertés écrites dans la constitution seraient illusoires. L’inamovibilité, ce mot magique que l’on fait sonner bien haut, l’inamovibilité n’est rien si la magistrature n’est indépendante. Voudrait-on par hasard empêcher que cette indépendance n’existe telle qu’elle nous a été promise ? Voudrait-on dire à cet égard ce que, dans d’autres circonstances, l’on a insinué, que notre constitution est trop libérale, que nos libertés sont trop grandes pour que nos gouvernants ne soient pas gênés dans leur allure. Voudraient-ils pour ne pas être gênés davantage, conserver à leur disposition des magistrats qui, d’après les principes constitutionnels, doivent être à tous égards indépendants. Ce n’est pas, messieurs, pour les personnes que nous réclamons, c’est pour le principe.
Nous avons dit, dans d’autres circonstances, que les libertés qui ne résident que dans les mots sont des libertés insignifiantes, ; mais qu’il faut le fait ; quand nous parlions de la responsabilité des ministres, nous disions également que ce mot n’était rien sans le fait, et nous demandions la responsabilité réelle.
Aujourd’hui qu’il s’agit de l’indépendance de la magistrature, nous demandons encore le fait, c’est-à-dire l’indépendance réelle avec toutes ses garanties, et elle n’existera, cette indépendance, que quand les magistrats auront été mis au-dessus du besoin. La section centrale avait donc raison de considérer comme une garantie de l’indépendance de la magistrature l’amélioration de son sort.
La section centrale vous dit ensuite « que ce serait un encouragement pour les magistrats qui doivent vivre de leur état. » Il est temps de leur donner cet encouragement, car, il ne faut pas se le dissimuler, c’est peut-être à cela que nous devons attribuer le malheureux débat qui n’aurait pas dû surgir. La magistrature est découragée. Il y aurait des arriérés et des arriérés énormes. La cour de Liége sans doute, la cour de Gand aussi, aura fait ce qu’a fait la cour de Bruxelles. Les magistrats se sont partagés une besogne extraordinaire, c'est ainsi qu’ils sont parvenus à faire ce qui, avant cette époque, n’avait pas été fait.
Il y a des chambres civiles dont les membres siègent en même temps à la chambre des mise en accusation et ont encore d’autres occupations. Ils ont par semaine trois audiences de quatre heures, et se réunissent à d’autres jours pour les délibérations ; car jamais les audiences ordinaires ne sont entravées par les délibérations. Malheureusement il y a un terme à tout. La magistrature, qui s’était si bien montrée dans ces derniers temps, qui avait sacrifié tous ses loisirs au bien public, se décourage, elle laisse entendre partout qu’elle ne fera plus que le strict nécessaire, et qu’elle se bornera à remplir ses obligations, puisqu’on ne s’occupe pas d’elle. C’est à cet état de choses qu’il faut porter un remède et la section centrale l’a sentie, car elle a dit que ce serait un encouragement pour les magistrats.
Il est malheureux que, depuis 1830, la magistrature ait été traitée autrement qu’elle ne l’était auparavant. Ce serait elle seule qui, sous le rapport matériel, aurait perdu au nouvel état de choses. Il importe de faire cesser ces reproches et d’y faire droit, le plus tôt possible. Je dis que la magistrature était mieux traitée avant 1830. En effet, je prends l’exemple parmi les conseillers des cours d’appel. Ils avaient 6 mille francs, en y comprenant ce qui était accordé à titre d’indemnité pour siéger à la cour de cassation ; ils touchaient, en outre, quand ils présidaient les assises, 900 francs, ce qui faisait près de 7,000 francs par an.
Aujourd’hui un conseiller de cour d’appel a cinq mille francs d’appointement, ce qui fait une différence de deux mille francs. Certes dans les temps où nous vivions, les dépenses sont plus grandes et l’on voit cependant que les ressources diminuent.
Je le demande à quiconque est impartial, est-il possible qu’un conseiller qui a femme et enfants vive, je ne dirai pas à Bruxelles, mais même à Gand ou à Liége, avec une misérable somme de cinq mille francs ? Me dira-t-on qu’il faut choisir les magistrats parmi les personnes ayant de la fortune ? Alors c’est exclure le mérite, c’est violer le principe d’égalité qui domine dans notre système constitutionnel. Les hommes sans fortune qui ont du mérite et qui sont probes, doivent pouvoir être admis dans la magistrature comme ceux qui sont riches. C’est donc encore un grand inconvénient que de ne pouvoir prendre les magistrats que parmi ceux qui ont des moyens de subsistance indépendamment de leurs appointements.
Un organe de la presse, que le ministère ne suspectera pas, publiait, il y a quelques jours, dans ses colonnes, un arrêté du ci-devant prince souverain, en 1814, qui appréciait, lui, la position de la magistrature et l’importance qu’on doit y attacher. Le préambule de cet arrêté, transcrit dans ce journal, est assez important pour que je me permette de vous en donner lecture. Le voici :
« Voulant donner à l’ordre judiciaire une marque de notre bienveillance et le faire jouir pour autant que possible, dans l’état provisoire de la Belgique, de toute la considération qui doit y être attachée, en accordant à ses membres le traitement convenable, et qui les mette à même de ne pas devoir s’occuper d’autres affaires, incompatibles avec la dignité de leurs fonctions, auxquelles d’ailleurs ils se doivent entièrement et exclusivement. »
Suivait un arrêté qui fixait à 6,000 francs le traitement des magistrats, auquel taux ils sont restés jusqu’en 1830.
Le prince souverain comprenait que les fonctions de la magistrature étaient trop importantes pour qu’on pût les laisser dans l’oubli. Il voulait les entourer de la considération dont ils ont besoin ; l’un de ses premiers actes fut d’améliorer leur position. Et dans quelle circonstance ?
Toujours dans notre pays la magistrature a été honorée, respectée. Dans l’ancienne Belgique, les membres du conseil de Brabant, du conseil de Flandre, du grand conseil de Malines, du conseil du Hainaut, étaient honorés, respectés. Nos familles nobiliaires briguaient la faveur d’y entrer. Un membre du conseil de Brabant avait un traitement de 8,000 francs ; il avait en outre ses épices ; et à cette époque 8,000 francs valaient 25,000 francs d’aujourd’hui. On comprend qu’à cette époque ces places fussent briguées ; on cherchait avec empressement à entrer dans ces corps ; et bien loin qu’aujourd’hui ces places soient briguées par ceux qui pourraient les honorer, on trouve à peine des candidats qui veuillent se présenter.
Tel vice-président d’un tribunal de province ne se mettra pas sur les rangs pour devenir conseiller à la cour d’appel, parce que son traitement de vice-président, dans la petite ville qu’il habite, lui vaut plus que le traitement de conseiller qu’il aurait dans la capitale ou dans une ville de premier ordre, et parce que la considération dont il jouirait comme conseiller à la cour d’appel ne serait pas plus grande que celle dont il jouit comme vice-présidence d’un tribunal de première instance.
C’est cet état de choses qu’il faut changer, parce que pour la magistrature il faut une hiérarchie comme partout. Il faut que les conseillers de la cour d’appel aient une position supérieure à celle des membres des tribunaux de première instance. Il faut aussi que le tribunal de première instance de la capitale soit placé au-dessus des autres tribunaux, même de premier ordre.
Il est vrai qu’en 1832 (nous avions alors le même ministre de la justice que nous avons aujourd’hui) une proposition fut faite de porter à 6,000 francs le traitement des conseillers des cours d’appel, mais en même temps de diminuer l’indemnité qu’on accordait aux présidents des cours d’assises, qui était de 900 francs, et de la porter à 500 francs. La chambre des représentants admit cette proposition. Mais malheureusement le sénat (je ne sais comment la chose se fit ; le ministre n’y attachait probablement pas beaucoup d’importance) réduisit les appointements à 5,000 francs, c’est-à-dire, rejeta la proposition d’augmenter les appointements, mais accueillit la diminution pour l’indemnité des présidents de cours d’assises. Ainsi, l’indemnité, qui était de 900 francs fut réduite à 500 francs, et les appointements, qui de 5,000 francs, devaient être portés à 6,000 francs, furent maintenus à 5,000 francs.
Cet état de choses ne peut pas subsister. Il y avait en 1832 des raisons qui n’existent plus en 1839. Après tout ce qui a été fait, après tout ce que nous avons pu avoir, il y a quatre jours, nous aurions tort de regarder à une dépense de 350,000 francs destinée à augmenter les traitements de la magistrature. Le temps est venu de faire quelque chose pour une des trois branches du pouvoir ; car la magistrature ne doit pas venir ici en suppliante ; elle est l’égale du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ce pouvoir est au moins aussi indépendant que les deux autres ; il a de plus l’honneur d’être le gardien né de nos libertés constitutionnelles.
En parlant de la diminution d’indemnité pour les présidents de cours d’assises, je fais une réflexion, et une réflexion pénible. Nous parlions, il y a quelques jours, des frais de voyage de nos diplomates, à l’égard desquels nous demandions des documents qui auraient été fort curieux et qu’on a jugé à propos de ne pas nous soumettre. Mais aujourd’hui il s’agit d’indemnités à donner aux présidents de cours d’assises et à la magistrature.
Un président de cours d’assises sera dans une ville de province où siège la cour pendant trois ou quatre semaines ; il y fera les dépenses que comporte sa position : pour des frais de transport et de séjour analogue, un diplomate, je ne dirai pas de premier ordre, mais de deuxième ou de troisième ordre, touchera une indemnité de 12, 13 ou 15 mille francs ; et vous osez donner à un président de cour d’assises une indemnité de 500 francs, lorsque dans la ville où siège la cour d’assises, il représente le corps qui le délègue, lorsqu’il a, lui aussi, des frais de représentation à faire, s’il veut tenir son rang ! Ne reçût-il qu’une ou deux fois les membres du tribunal, ses 500 francs seraient bientôt employés.
Et voilà comment la magistrature est traitée ! Il est temps que cela finisse. Je dois faire à cet égard un reproche au gouvernement puisque c’est à lui qu’il appartient de prendre l’initiative. Aussi longtemps qu’il ne nous soutiendra pas dans notre proposition, nous sommes convaincus que, comme on nous l’a dit, elle ne sera pas discutée. Au sujet du budget de la justice, je fais donc au gouvernement un reproche qui me paraît bien fondé, c’est de laisser la magistrature dans un état de dépendance, contraire à notre système constitutionnel.
Je crois qu’il est temps de mettre la magistrature dans la position qu’elle doit occuper ; et le ministre de la justice ne pourra échapper au reproche qu’il mérite de ce chef, qu’en présentant immédiatement un projet de loi tendant à améliorer le sort des magistrats.
Ensuite qu’a fait le ministère de la justice depuis 1830 ?
Il me semble que ce ministère pourrait bien faire aussi quelque chose, et apporter son contingent dans l’administration des affaires publiques.
A cette occasion, je me permettrai de demander ce qui est sorti du portefeuille de la justice depuis 1830. Nous avons des choses extrêmement importantes ; nous avons la loi sur les faillites et les sursis. Il y a un projet fort simple et fort sage du président du tribunal de commerce de Bruxelles. Qu’est-il devenu ? Le code de commerce prescrit des formalités sans nombre, des formalités ruineuses : On ne fait rien pour changer cet état de choses. Dira-t-on qu’il y a une commission ? S’il suffit aux ministres, pour remplir leur devoir, de faire renvoyer à des commissions, ils ne manqueront pas de le faire, et de se débarrasser ainsi du fardeau de la discussion.
Pour le code pénal militaire, qu’a-t-on fait ? Rien.
Pour la révision des codes ? Rien, on n’y songera jamais.
Si le ministère de la justice comprenait l’importance de sa mission, il y aurait encore bien autre chose à faire. Il y a aurait à créer un nouveau système hypothécaire. Car tout le monde sent les inconvénients du système actuel.
Que nous présente-t-on ? des budgets. Nous n’avons que cela !
Il me semble que le ministère a une autre mission que de demander constamment à la chambre des allocations. Le temps est venu de s’occuper activement de doter le pays de bonnes lois. C’est ce dont nous engageons le ministère à s’occuper ; et nous pensons qu’avec de la persévérance, on peut arriver à réaliser les promesses consignées dans notre pacte fondamental.
M. Simons – Messieurs, depuis plusieurs années nous réitérons régulièrement, à l’occasion de l’examen du budget de la justice, nos plaintes sur l’état de délabrement dans lequel se trouve la maison d’arrêt de Tongres, et, tous les ans, M. le ministre de ce département reconnaît le fondement de notre réclamation. Non seulement l’on promet d’y faire droit, mais, chaque année, pour nous donner tout apaisement à ce sujet, l’on a soin de faire figurer parmi les pièces à l’appui de ce budget et parmi celles fournies à la section centrale, un état détaillé des travaux jugés nécessaires et indispensables aux prisons, sur lequel la maison d’arrêt de Tongres occupe toujours une des premières places pour un chiffre de 30 ou 40 mille francs.
Mais, chose étrange et digne de remarque, tous les ans, malgré les assurances les plus positives données par le chef de ce département de faire cesser ces plaintes, nous nous trouvons constamment déçus dans notre juste attente. L’allocation de 350,000 francs, pétitionnée pour ces sortes de travaux, absorbe, il est vrai, régulièrement (ou a encore eu soin de nous l’apprendre par un état récapitulatif des travaux exécutés pendant l’exercice courant) ; mais en ce qui concerne la maison d’arrêt, dont je m’occupe, elle est constamment perdue de vue, lorsqu’il s’agit de disposer de ce crédit.
Loin de moi cependant d’en faire un sujet de reproche à l’honorable ministre qui se trouve actuellement à la tête de ce département : telle, dans doute, n’est pas et n’a pu être mon intention.
Mon intention n’est pas davantage de vouloir jeter le moindre blâme sur la conduite de son honorable prédécesseur.
Il a pu croire, j’aime à me le persuader, que le dénouement final de nos affaires politiques obtiendrait un résultat tout autre que celui que mes malheureux compatriotes ont à déplorer, et dès lors, il a pu venir dans l’opinion que, cette dépense pouvant éventuellement devenir inutile et frustratoire, il fallait la retarder autant que possible.
En attirant donc de nouveau l’attention de M. le ministre sur cet objet, mon unique but est de l’engager à vouloir s’en occuper sérieusement. Aucune considération, aucun motif plausible ne pourrait désormais justifier un plus long retard. Par l’abandon de Maestricht et de la partie de son arrondissement sur la rive droite de la Meuse, tout espoir de replacer jamais le siège du tribunal dans son ancien chef-lieu, est malheureusement évanoui ; et par la loi du 5 juin dernier, ce siège judiciaire se trouve définitivement fixé à Tongres. Il devient donc indispensable que le gouvernement dote cette ville d’une prison en rapport avec l’importance du tribunal principal auquel elle s’attache.
La moralité autant que la sûreté publique exigent impérieusement que l’on s’occupe promptement de cet objet de la plus urgente nécessité.
En effet, le local qui sert actuellement de prison, et qui, avant la révolution, n’a été constamment qu’un simple maison de passage, répond si peu à sa destination, que l’on y rencontre un pêle-mêle vraiment révoltant. Les simples prévenus correctionnels s’y trouvent forcément confondus avec le criminels, et souvent encore l’on est même obligé de placer, à dessein, les condamnés correctionnels à proximité, et de les loger, côté à côte, avec les condamnés criminels, pour prévenir leur évasion. En un mot, le mauvais état et le délabrement sont tels, que, sans le zèle infatigable et l’activité incessante du concierge, auquel je me plais à donner un témoignage public de gratitude bien mérité, nous aurions certainement eu à déplorer plus d’une évasion de malfaiteurs condamnés à des peines infamantes.
Il est à ma connaissance que, tant pour la sûreté personnelle que pour mettre sa responsabilité à couverte, ce fonctionnaire est obligé d’organiser à ses frais, dans l’intérieur de la prison, un service de surveillance extraordinaire de nuit, qui absorbe une partie du faible traitement qui lui est attribué.
Certes, un tel état de choses ne peut se prolonger. Aussi j’aime à me persuader qu’il aura suffi d’avoir éveillé l’attention de M. le ministre sur cet objet pour que, cette fois, droit soit promptement fait à nos justes réclamations. Les sentiments de philanthropie dont cet honorable membre du cabinet est animé, me sont un sûr garant que nous n’aurons plus à revenir sur le même objet.
Comme j’ai la parole, qu’il me soit permis de dire aussi un mot en faveur des malheureux officiers ministériels, et spécialement des avoués, attachés au même tribunal qui, lors de la translation provisoire à Tongres, ont répondu à l’appel du gouvernement. Ils méritent, sous bien des rapports, que l’on s’occupe de leur sort.
Avant la révolution, ils avaient tous une position brillante à Maestricht ; jouissant à juste titre de la confiance du public, ils étaient en possession d’une clientèle étendue, acquise par une pratique honorable d’un grand nombre d’années ; enfin, leur sort était assuré et leur avenir se présentait sous les auspices les plus favorables.
L’exécution du traité de paix vient de leur enlever cette perspective brillante et tarir à jamais la source de leur bien-être. Il est de notoriété publique, et les archives du tribunal sont d’ailleurs là pour le constater, les cantons de la rive droite de la Meuse, y compris la ville de Maestricht, fournissaient la majeure partie des affaires judiciaires ; c’était aussi là que se concentrait la clientèle de ces malheureux pères de famille. Eh bien, le fatal traité du 19 avril dernier leur enlève irrévocablement cette partie de l’arrondissement et leur porte le coup de mort. Il en est qui ont perdu toute leur pratique ; oui, messieurs, il en est, dans le nombre, qui bientôt se trouveront avec une nombreuse famille dans la détresse si l’on ne vient promptement à leur secours.
La position de ces malheureux fonctionnaires n’est pas assez connue. Le gouvernement, et plus particulièrement M. le ministre de la justice, voudra bien ne pas perdre de vue qu’ils ont quitté leurs foyers par suite d’un ordre exprès du gouvernement provisoire. Lors de l’établissement provisoire du tribunal à Tongres, l’injonction la plus pressante leur fut intimée de rejoindre dans un très court délai ce tribunal, sous peine d’être envisagés comme démissionnaires.
Dans des circonstances bien pénibles, ils ont répondu à cette injonction ; ils ont abandonné leur famille, leurs propriétés, enfin tout ce qu’ils avaient de cher au monde ; ils n’ont reculé devant aucun sacrifice pour satisfaire à l’ordre émané de l’autorité supérieure, et par suite le pays entier a contracté envers ces malheureux une dette d’autant plus sacrée, que c’est par son fait qu’ils se trouvent maintenant plongés dans cette position déplorable.
Je me rappelle, messieurs, que, du temps de l’empire, par suite d’une nouvelle organisation judiciaire, plusieurs placés d’avoué furent supprimées près du tribunal de première instance à Paris ; Que fit le gouvernement pour dédommager les titulaires qui furent atteints par cette mesure extraordinaire ? Jusqu’à ce qu’ils pussent être placés avantageusement, il leur accorda des subsides, et les premières vacatures leur furent de préférence réservées pour réparer le sacrifice qui leur avait été imposé dans l’intérêt d’une mesure jugées utile au ressort du tribunal de la capitale. C’est ainsi qu’un de ces avoués fut appelé, de préférence à tous autres compétiteurs, aux fonctions de greffier en chef au tribunal de première instance à Maestricht.
Le gouvernement, j’ose m’en flatter, s’empressera de suivre cet exemple. Ici, messieurs, il ne s’agit pas seulement de réparer un dommage causé par une simple mesure d’ordre ; il s’agit de payer une dette d’honneur nationale. Pour la consolidation de l’indépendance de la Belgique, mes trop malheureux compatriotes ont été offerts en holocauste ; ils ont été sacrifiés dans l’intérêt général, vous ne pouvez donc refuser de tendre une main secourable à ceux d’entre eux qui, par votre fait, se trouvent obligés de renoncer à leur patrie, et de s’imposer un exil volontaire.
Il se peut que l’égoïsme étroit et l’intérêt particulier froissé trouvent à redire à ces actes réparateurs ; mais tout ce qui a un cœur vraiment belge ne pourra qu’y applaudir bien cordialement, et l’Auguste chef du pays, j’en ai la conviction intime, chaque fois qu’il apposera sa signature royale sur un arrêté de ce genre se félicitera d’avoir pu cicatriser une des nombreuses plaies que le fatal traité a laissées dans le pays.
M. A. Rodenbach – Je ne conteste pas l’utilité de réviser les traitements de l’ordre judiciaire ; mais je pense que préalablement la chambre doit discuter les projets de loi dont elle est saisie, sur la circonscription cantonale et sur la compétence judiciaire.
L’honorable député de Bruxelles nous dit qu’il a fait une proposition en 1837. Je crois avec quelques honorables membres qu’il a lieu de s’occuper des magistrats de la cour de Bruxelles, parce que les loyers sont extrêmement chers à Bruxelles. Mais je n’accorderai pas de majoration, parce que je vois d’autres corps, par exemple, la cour des comptes, que demandent des majorations. Si nous entrons dans cette voie, tous les fonctionnaires du gouvernement demanderont des augmentations ; car ils aiment tous plus ou moins à augmenter leur budget. Nous ne connaissons pas notre position ; on a parlé de déficit ; nous avons de 20 à 30 millions de bons du trésor. Preuve irrécusable que nous devrons faire un emprunt. Dans une année de calamités, où l’industrie souffre, pouvons-nous songer encore à des augmentations de traitement ? nous connaîtrons la position du trésor l’année prochaine, et nous verrons si l’on peut s’occuper de l’augmentation des traitements judiciaires. Les conseillers à Bruxelles ont trop peu. Cependant soyons circonspects quand il s’agit de dépenses ; car nous aurons probablement un budget prochain plus élevé que celui de cette année.
M. Vandenbossche – Je suis de l’avis que le traitement des juges est inférieur à celui qu’il aurait dû être ; mais je crois devoir faire observer que c’est sous l’empire de la législation qui fixe des traitements que tous les tribunaux sont remplis, que tous les juges ont été nommés ; et que les places de la magistrature se trouvent assez sollicitées. J’admettrais cependant des majorations de traitements ; mais avec des conditions. Je désirerais que les traitements plus élevés ne fussent affectés qu’aux juges qui seraient nommés à l’avenir, et qu’à ceux qui voudraient donner volontairement leur démission pour se soumettre à une nouvelle nomination. Je veux entourer les tribunaux de considération, et je sens fort bien que les traitements étant minimes, nous ne trouvons pas toujours les hautes capacités qu’on est en droit d’exiger d’un homme qui dispose de la fortune de ses concitoyens. Toutefois je pense que ce n’est pas le moment de songer à ces augmentations et je partage l’opinion de M. Rodenbach, qu’il faudrait avant tout déterminer la compétence des juges, et aussi la circonscription des tribunaux. On a parlé de la circonscription des cantons ; mais je crois qu’il serait convenable de commencer par une loi sur les circonscriptions des tribunaux de première instance. Il n’y a que trois localités qui demandent un changement de circonscription judiciaire : Alost, Saint-Nicolas et Wavre ; mais je crois que le ministre de la justice ferait bien de jeter un coup d’œil sur tout le pays, et de voir s’il ne conviendrait pas de modifier les circonscriptions des tribunaux de première instance, tant dans l’intérêt du trésor que dans l’intérêt des justiciables.
J’ai dit.
M. Pirmez – Tout à l’heure M. Verhaegen a parlé de la loi hypothécaire. Je crois qu’il a voulu parler de la loi hypothécaire en général ; mais je ferai remarquer qu’il y a une loi hypothécaire, ayant un but spécial, et qui a été présentée. Elle reste dans les cartons ; cependant elle est urgente et elle intéresse le pays tout entier. Les lois qui concernent les localités ou les particuliers passent avant toutes les autres ; celles qui regardent tout le monde, quoique urgentes, sont laissées de côté. La législation hypothécaire actuelle empêche une foule de transactions ; il y a beaucoup de contrats dont on ne peut renouveler les inscriptions. Je n’entrerai pas dans d’autres détails ; mais je demanderai au ministre de la justice, qu’il fasse en sorte que la loi dont je parle paraisse devant la chambre.
M. Lys – Je me réunis, messieurs, à l’opinion de mon honorable collègue M. Verhaegen, sur la nécessité d’augmenter les traitements des présidents et conseils des cours ; il est temps de faire prendre à la magistrature le rang qui lui appartient et qu’il me tarde de lui voir accorder ; et cela, messieurs, sans distinction de cours, car le motif allégué par un honorable préopinât, pour avantager la cour de Bruxelles, que les loyers seraient plus élevés, s’applique aussi à la ville de Liége.
Je dirai maintenant quelques mots sur les besoins du tribunal de Verviers, et, à ce sujet, j’appelle l’attention , particulière de l’honorable ministre de la justice.
Tongres se plaint, messieurs, et avec raison ; cependant il est porté à l’état de travaux, en 1840, pour la somme de 40 mille francs, destinée à la construction d’une prison neuve.
Mais Verviers, messieurs, a bien autrement à se plaindre, car là, la construction d’une prison neuve au moyen de 30 mille francs n’est point portée au budget de 1840 ; il se trouve seulement au tableau des travaux à faire dont l’exécution est ajournée indéfiniment, ainsi renvoyée sans délai fixe. Cependant, messieurs, cette construction est d’une si urgente nécessité qu’on est forcé à chaque instant de transporter dans d’autres prisons, dans d’autres lieux, les prisonniers qui doivent rester dans les prisons de Verviers.
Je me réunis aussi, messieurs, à mon honorable collègue M. Pirmez pour ce qui concerne la loi sur les inscriptions hypothécaires. J’ai reconnu la nécessité de donner suite à la loi proposée sur le renouvellement desdites inscriptions, j’en ai moi-même senti la nécessité ; voulant obliger l’un de mes amis, il m’a été impossible de réaliser mon vœu ; il s’est trouvé des inscriptions qui n’auraient pas dû exister, et qu’il n’eût été impossible de faire lever, qu’après un long délai, causé par les poursuites que j’aurais dû exercer, sans parler des frais considérables que les poursuites m’auraient occasionnés.
M. de Behr – Je fais partie de la commission qui a été chargée de la révision des dispositions relatives au renouvellement des inscriptions hypothécaires ; cette commission n’est plus complète ; M. Pollénus, qui en faisant partie ne siège plus dans cette enceinte. La question est extrêmement grave ; la commission a voulu avoir le temps de la mûrir. Je fais la proposition de remplacer M. Pollénus.
- Le bureau de la chambre est invité à nommer un remplaçant à M. Pollénus.
M. Verhaegen – Je n’ai pas la prétention de croire que la chambre va s’occuper instantanément de ma proposition. Je n’ai fait que remplir mon devoir, que d’ailleurs je remplis chaque année ; et je renouvellerai ma demande dans toutes les circonstances qui se présenteront encore. Deux honorables préopinants ont parlé comme s’il s’agissait aujourd’hui du mérite de ma proposition de 1837. Ce sont toujours les mêmes adversaires que je rencontre. Cependant j’ai la satisfaction de voir que ma proposition a quelques partisans depuis l’année dernière. Toutes les sections avaient terminé leur besogne relativement à l’examen de cette proposition ; elles avaient nommé leurs rapporteurs ; mais deux de ces rapporteurs ne font plus partie de la chambre.
M. le président – Ils sont remplacés.
M. Verhaegen – Il faudrait que la section centrale voulût s’en occuper ; on ne peut renvoyer cette proposition après toutes les lois de circonscription, car cela voudrait dire que l’augmentation n’aura jamais lieu.
Un des préopinants a représenté la chose sous un jour tout à fait faux ; il vous a dit que les places de la magistrature étaient assez recherchées. Mais fixez le traitement à six cents francs et vous aurez encore des amateurs. Il faut savoir aussi qui vous aurez. Quand une place est vacante, il y a une foule de jeunes gens sortant des écoles qui demandent à être juges ; les juges qui siègent depuis deux ans voudraient être conseillers. Ce ne sont pas de tels candidats qu’il faut. Voulez-vous savoir ce qu’a produit l’oubli dans lequel on a laissé la magistrature ; c’est que des hommes qui occupaient des places indépendantes, inamovibles, les ont quitté pour des occupations plus lucratives.
M. Peeters – Messieurs, M. le procureur général près de la cour d’appel de Bruxelles, dans un discours prononcé lors de l’audience solennelle de rentrée, le 15 octobre dernier, est parvenu à dépeindre l’arrondissement de Turnhout comme l’arrondissement le plus criminel de la Belgique (arrondissement que je soutiens, moi, comme un des plus moraux du pays).
En parcourant le tableau des crimes des trois dernières années joint audit discours, vous ne trouverez pour l’arrondissement de Turnhout ni assassinats, ni infanticides, ni attentats à la pudeur, ni banqueroutes frauduleuses, ni faux en écritures publiques ou privées ; vous y trouverez 39 incendies, mais remarquez que plusieurs de ces incendies sont occasionnés par le feu du ciel, dont l’action n’est pas du ressort de la justice humaine, aucun, que je sache, n’est attribué même à la malveillance, et, au lieu de ces 39 incendies indiqués comme crimes, il faut donc litre 0.
Il me reste à parler de 111 vols qui y sont indiqués, et qu’on impute à la négligence et au manque de capacité des autorités communales ; quelle est l’importance de ces vols et par qui ont-ils été commis ?
La plupart consistent dans quelques pommes de terres ou autres denrées enlevées la nuit dans un grange, quelques habillements volés dans une maison ou autres objets de peu d’importance, vols qui peuvent se commettre facilement, et dont il est difficile de connaître les auteurs dans un pays comme la Campine, privé des bonnes communications, et où plusieurs maisons se trouvent à l’écart au milieu des bois.
Ces petits vols se commettent le plus souvent par des étrangers ; deux colonies existent, comme vous savez, dans notre arrondissement ; plusieurs détenus de la colonne forcée de Merxplas parviennent à s’échapper ; comme ils portent des habillements uniformes ils sont obligés de demander ou de voler d’autres habits pour se soustraire à l’attention de la police, de manière que tous ces crimes, dont on fait tant de bruit dans ledit discours, sont de si peu d’importance, que dans d’autres arrondissements le plus grand nombre serait resté inconnu ; c’est grâce à l’exactitude et au zèle des autorités communales de cet arrondissement, que le plus petit crime parvient à la connaissance de la justice ; d’ailleurs, si ces crimes avaient été aussi importants que M. le procureur général a paru le croire, il était fort injuste d’en imputer tous les torts exclusivement aux administrations communales ; car alors la gendarmerie et les autres agents du pouvoir payés par l’état et stationnés dans cet arrondissement, n’auraient pas été moins coupables.
M. le procureur général prouve que l’instruction du peuple influe beaucoup sur les crimes ; je partage entièrement cette opinion, et c’est parce que je crois l’instruction de notre arrondissement bonne, solide et basée sur de vrais principes, que j’ai voulu prouver que les chiffres de M. le procureur général étaient inexacts, et que c’est dans notre arrondissement qu’il se commet le moins de crimes et de peu d’importance ; il est vrai que la langue française, que M. le procureur général regarde comme la langue de la civilisation, n’y est pas très répandue, mais par contre la langue flamande y est cultivée ainsi que d’autres objets de sérieuse instruction, que trop souvent on néglige ailleurs.
Je pense en avoir dit assez, pour détruire la fâcheuse impression que ledit discours pourrait avoir produit sur le public par rapport à notre arrondissement, et j’espère que M. le ministre de la justice veillera à ce qu’à l’avenir le public soit mieux informé.
M. de Brouckere – J’aurais désiré ne pas prendre part à la discussion générale, mais cette discussion tirant à sa fin, et personne n’ayant dit mot d’un corps qui a droit à une augmentation d’appointements, j’en parlerai. Il s’agit du tribunal de première instance de Bruxelles.
D’abord, messieurs, tout ce que l’on a dit de la cherté de Bruxelles s’applique aux magistrats de première instance comme aux autres fonctionnaires qui résident dans la capitale. D’un autre côté, il n’est peut-être pas de magistrats plus occupés. Quant aux affaires civiles, le tribunal de première instance de Bruxelles a à connaître de toutes celles qui concernent le gouvernement ; et l’on conçoit que, dans une ville où sont établies toutes les grandes administrations, le nombre de ces affaires est très grand ; ce sont des affaires importantes et difficiles. Relativement à la justice criminelle, voulez-vous voir dans quelle proportion Bruxelles est occupé en le comparant aux autres ressorts de la cour d’appel ?
Il y a, messieurs, dans le ressort de la cour d’appel de Bruxelles, 9 arrondissements. Eh bien, j’ai sous les yeux le relevé statistique des crimes et délits commis dans le ressort de la cour d’appel de Bruxelles en 1836, 1837 et 1838 ; pendant ces trois années, il y a eu dans ce ressort 21,311 délits, et dans l’arrondissement de Bruxelles seul il y en a eu 6,281, c’est-à-dire à peu près un tiers.
Pour les crimes, messieurs, la proportion est encore plus grande, et cela se conçoit facilement, puisque beaucoup de malfaiteurs, beaucoup de gens sans aveu se rendent dans la capitale et l’exploitent. Pour vous donner une idée de la proportion dans laquelle Bruxelles est occupée en comparaison des autres villes, je vous ferai remarquer, par exemple, que, pendant ces trois années, sur 34 assassinats ou tentatives d’assassinat qui ont eu lieu dans tout le ressort, il y en a eu 12 dans l’arrondissement de Bruxelles ; que sur 52 meurtres ou tentatives de meurtres commis dans le ressort, il y en a 19 dans l’arrondissement de Bruxelles ; que sur 68 banqueroutes frauduleuses qui se sont présentées dans le ressort, l’arrondissement de Bruxelles en compte 59 ; or les banqueroutes sont précisément les crimes qui donnent lieu à l’instruction la plis compliquée, la plus longue, la plus difficile. En ce qui concerne les délits, tous les magistrats ont à en connaître, mais quant aux crimes, ils regardent particulièrement les juges d’instruction. Aussi je suis persuadé que d’ici à peu de temps le gouvernement reconnaîtra que deux juges d’instruction ne peuvent pas suffire. IL y a impossibilité.
Je pense donc, messieurs, que,, quand on en viendra à s’occuper du sort des magistrats, il faudra placer en première ligne le tribunal de première instance de Bruxelles, dont les membres n’ont que 3,200 francs d’appointement.
Ce qui est plus extraordinaire, messieurs, c’est que le président et le procureur du Roi à Bruxelles, qui, jusqu’en 1830, avaient toujours eu 6,000 francs, ont été, en 1832, réduits à 4,800 francs. Or, vous comprendrez que le président du tribunal de Bruxelles est chef d’un corps qui, d’après sa qualité, l’importance de ces fonctions et le nombre de ses membres mérite tout l’intérêt de la chambre, et qu’un fonctionnaire aussi élevé doit être mieux traité qu’il ne l’est.
Je n’ajouterai qu’un seul mot, messieurs, relativement aux frais de déplacement qu’on accorde aux magistrats. Il n’y a de magistrats qui se déplacent régulièrement que les procureurs du Roi et les juges d’instruction, et savez-vous, messieurs, quel est le tarif pour eux, tandis que vous avez vu la prodigalité du ministère envers les agents du département des affaires étrangères et du département de la guerre ? Quand les procureurs du Roi et les juges d’instruction se déplacent, on leur donne, selon la distance, neuf ou douze francs, au maximum, par jour, y compris les frais de déplacement et les frais de séjour, tandis que vous avez vu accorder à des fonctionnaires, dont le rang n’était pas beaucoup plus élevé, 40 et 60 francs pour frais de séjour et 12 francs par poste pour frais de route.
Dernièrement, messieurs, dans une circonstance extraordinaire, un magistrat d’un ordre très élevé, a dû se rendre à Paris, chargé d’une mission du gouvernement. Eh bien, on m’a assuré que ce magistrat n’avait touché que 12 francs par jour pour tous frais. Voilà la justice distributive ; voilà comment on traite les magistrats. Vous avez vu comme on traite les autres.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je vais répondre, messieurs, aux diverses observations qui ont été faites par les honorables préopinants, les unes générales, les autres particulières à certaines parties du budget.
La première chose dont on ait parlé, c’est l’insuffisance des traitements des membres de l’ordre judiciaire, traitements dont on a reproché au gouvernement de n’avoir pas encore proposé l’augmentation. Je crois, messieurs, que ce reproche n’est nullement fondé, et d’abord je vous ferai observer que mon honorable prédécesseur, avant que l’honorable député de Bruxelles n’eût fait une proposition à cet égard, avait émis, tant en son nom qu’au nom du gouvernement, l’opinion que les traitements de l’ordre judiciaire devaient être majorés, ainsi que les traitements d’autres fonctionnaires qui pourraient être insuffisants. « Mais, ajoutait mon honorable prédécesseur, les circonstances ne nous ont pas encore permis de proposer cette majoration, » et il a dit, dans un autre discussion que cette majoration était une question de voies et moyens, et qu’elle était envisagée comme telle par le gouvernement.
Vous voyez donc, messieurs, que le gouvernement est d’accord sur le principe, mais que l’application du principe dépend des moyens qui lui seront fournis pour y faire face.
On s’est reporté à ce qui existait avant la révolution de 1830, et, à ce qui a eu lieu depuis cette époque. Je ne remonterai pas, messieurs, aux magistrats des anciens conseils de la Belgique, je ne parlerai que de l’état des traitements de l’ordre judiciaire à l’époque de 1814, où ils ont été majorés, et à ce qui a été fait depuis.
Ces traitements, messieurs, qui étaient minimes sous le gouvernement français, furent augmentés par divers arrêtés de 1814. un de ces arrêtés fixa le traitement des conseillers des cours d’appel, des cours supérieures d’alors, à 5,000 francs. Les deux cours d’appel supérieures existant en Belgique étaient en même temps investies d’un droit de prononcer en cassation ; de ce chef il fut accordé une indemnité aux magistrats, ce qui porta leur traitement à 6,000 francs environ. La somme fixée pour la présidence des assises était de 900 francs, c’est la même somme qui avait été déjà fixée par le gouvernement français.
C’est en cet état de choses qu’est survenue la révolution de 1830. Si ma mémoire est fidèle, en 1831, il fut présenté un projet de loi par lequel on accordait également une indemnité pour le service comme cour de cassation, mais ce projet ne fut pas adopté par le congrès ; et le traitement des conseillers resta fixé à 5,000 francs. Lors de la discussion de la loi de 1832, il fut adopté dans cette chambre une proposition qui portait les traitements des membres de la cour d’appel de Bruxelles à 6,000 francs, et ceux des membres des autres cours à 5,500 francs, mais en même temps la chambre diminua l’indemnité des assises, indemnité que le gouvernement soutenait et qui était de 900 francs. C’est dans cet état que la proposition fut portée au sénat. Je crois devoir ajouter que le ministère avait proposé une augmentation pour les juges de première instance ; cette augmentation fut adoptée et la chambre fixé à une époque postérieure la date de l’exécution de la loi. C’est cet acte, messieurs, qui a fixé les traitements de l’ordre judiciaire, tels qu’ils existent encore aujourd’hui, et je ne pense pas que, du chef de cet acte, aucun reproche puisse être adressé au gouvernement.
Si, maintenant le gouvernement n’a pas encore satisfait, cette année, aux demandes d’augmentation qui ont été faites pour l’ordre judiciaire, c’est que les voies et moyens ne le permettaient pas, car en même temps que nous aurions fait une proposition semblable, nous aurions dû proposer une augmentation du budget des voies et moyens.
Remarquez, messieurs, que nous ne pouvons pas considérer cette année le budget comme un budget normal ; un honorable membre l’a déjà fait observer, ce n’est qu’un budget transitoire. Plus tard, lorsque nous aurons pu régler d’une manière bien définitive, bien exacte, nos dépenses, de manière qu’elles puissent se reproduire à peu près les mêmes chaque année, alors seulement on pourra envisager le budget comme normal. Mais, jusque-là ; il ne peut pas être envisagé comme tel ; il n’était donc pas possible, dans le moment actuel, de présenter la majoration qu’on réclame en faveur des membres de l’ordre judiciaire.
Mais le gouvernement s’est-il jamais refusé à s’occuper de cette augmentation ? Mon honorable prédécesseur n’a-t-il pas à diverses reprises, entretenu la chambre de cet objet ? N’a-t-il pas fixé l’époque de rendre justice à la magistrature au temps où les finances de l’état permettraient d’accorder une majoration, tant aux membres de l’ordre judiciaire qu’à d’autres fonctionnaires en faveur desquels une augmentation aurait été réclamée.
Il me semble que de ces divers chefs, il n’y a donc aucun reproche à adresser au ministère..
Du reste, je le répète, cet objet n’a pas été perdu de vue par le ministère et il ne le sera pas non plus ultérieurement.
Messieurs, on a encore fat un reproche au ministère de ce que plusieurs projets de loi n’avaient pas été présentés. On a signalé une loi sur les faillites ; on a cité encore un nouveau système hypothécaire, le code pénal militaire, et même la révision des codes.
Je ne sais pas, messieurs, si le moment actuel serait bien propice pour la présentation de ces divers projets de loi. La chambre est déjà saisie d’une foule de projets importants. Du reste, les diverses matières qu’on a signalées n’ont pas été perdues de vue par le gouvernement, et l’on n’a pas cessé de s’en occuper. Mais on sait que, pour qu’une proposition puisse être présentée à la chambre, il faut qu’elle soit mûrie.
Quant à l’introduction d’un nouveau système hypothécaire, on ne peut disconvenir que ce ne soit une très grande entreprise, que de faire une nouvelle loi sur les hypothèques, en vue d’introduire des améliorations ; car ce qu’on regarde quelquefois comme devant constituer une amélioration n’est rien moins qu’une amélioration, quand on en vient à la pratique.
Du reste, la chambre se trouve déjà saisie depuis un temps assez long de deux projets de loi, dont l’un concerne les hypothèses et l’autre les faillites. Nous n’avons pas encore eu de rapport sur ces projets. Je n’en fais de reproche à qui que ce soit, car je conviens que ces matières sont extrêmement graves et demandent d’être sérieusement mûries.
Messieurs, j’arrive maintenant à quelques points que je puis considérer comme spéciaux et qui concernent principalement les prisons et les maisons d’arrêt.
Un honorable député a fait une observation quant aux secrétaires des prisons. Messieurs, les secrétaires des prisons sont salariés par le gouvernement quand il s’agit des grandes prisons de l’état. La commission dont a parlé l’honorable député d’Audenarde a dans ses attributions une des grandes prisons de l’état, et le secrétaire de cette commission est salarié par le gouvernement.
Le même honorable préopinant a parlé d’un pénitentiaire pour les jeunes délinquants. Je rappellerai que la chambre est saisie de ce projet, et que même dernièrement elle a renvoyé au ministère de la justice une pétition du conseil communal de Saint-Hubert, qui sollicite l’établissement de ce pénitentiaire dans cette ville.
On a signalé aussi quelques prisons dont on a entretenu particulièrement la chambre. Ainsi, un honorable député de Tongres vous a entretenus de l’état de délabrement de la prison de cette ville. Messieurs, le gouvernement s’est occupé de cette prison, et cela depuis longtemps. Les plans même avaient été faits, mais ces plans ont dû être changés, parce que, par suite du traité, cette prison n’est plus destinée à recevoir le même nombre de prisonniers.
Quant à la prison de Verviers, on s’en occupe également ; mais le crédit nécessaire pour la construction de cette prison n’a pu être porté cette année à l’article du budget concernant cet objet, parce que les travaux, en ce qui concerne les plans, ne sont pas suffisamment avancés. Du reste, le gouvernement ne perdra pas de vue l’objet qui a été signalé par l’honorable député de Verviers.
Messieurs, je crois avoir répondu aux principales objections qui ont été faites dans le cours de cette discussion. Quant à ce qu’a dit un honorable député de Tongres relativement aux fonctionnaires des parties cédées, le gouvernement certainement ne perdra pas de vue leur position, mais il est impossible qu’il prenne un engagement à cet égard.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je regrette qu’on ait essayé de comparer des choses entièrement dissemblables, telles que la diplomatie et l’ordre judiciaire. Assurément, si les honorables membres qui ont renouvelé leurs observations sur la diplomatie avaient fait partie de la diplomatie, ils en auraient jugé d’une tout autre manière, et ils auraient reconnu que, sous le rapport financier, il n’est pas une carrière aussi ingrate, parce que, pour remplir convenablement cet état, il faut subir des nécessités sociales auxquelles il est impossible de se soustraire, quoi qu’on fasse. Ainsi, comme nos diplomates, sous le rapport des traitements, sont généralement beaucoup moins rétribués que les diplomates des autres nations, leur position est généralement fâcheuse ; et, en ce qui concerne les frais qui leur sont remboursés pour se rendre à leur poste, il n’en résulte pour eux aucune espèce de profit ; si ces dépenses sont considérables c’est encore une conséquence d’un usage généralement admis, et auquel nos diplomates ne peuvent pas seuls échapper. Mais les nôtres n’ont pas, comme ceux des autres pays, des frais de premier établissement, et personne n’ignore que les frais de premier établissement sont très considérables ; il faut avoir vu la chose de près, et en avoir conféré avec des membres de la diplomatie, pour en avoir une idée.
Du reste, messieurs, nous n’entendons nullement combattre la majoration qu’on réclame dans l’intérêt de l’ordre judiciaire. Nous rappellerons seulement à la chambre que nous avons signalé à sa bienveillance une autre classe de fonctionnaires, ceux de l’ordre administratif, et que nous aurons le soin de les recommander à sa sollicitude lorsqu’elle s’occupera de la révision générale des traitements.
Mais, messieurs, la chose la plus urgente, et sur laquelle j’appelle votre attention, c’est la discussion de plusieurs lois importantes qui procureraient des ressources au pays, qui feraient développer certaines branches d’industrie, et qui conséquemment augmentant la prospérité, permettraient de faire face aux diverses dépenses. Sous ce rapport, je recommanderai la plus grande sobriété possible dans les discussions, parce que c’est le seul moyen d’arriver à vider l’arriéré dont la chambre est accablée. Cet arriéré vidé, nous pourrons nous occuper de tous les autres objets signalés à votre attention.
(Moniteur belge du 23 décembre 1839) M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, j’ai besoin de protester également contre le reproche de prodigalité qu’on a adressé au gouvernement, à propos des indemnités qu’on accorde aux militaires pour frais de voyage ; et contre la comparaison qu’on a été établie entre des choses de nature toute différente.
Messieurs, les indemnités de voyage dans l’ordre militaire sont très peu élevées, et il y a même quelques catégories de voyages pour lesquels l’indemnité est tout à fait nulle. J’ai reçu à cet égard des plaintes qui me permettent de dire que, sous ce rapport, la parcimonie va peut-être jusqu’à l’inhumanité. Mais quand on exige que les militaires fassent des voyages avec des moyens de transport déterminés, il faut pourtant bien qu’on leur donne une indemnité en harmonie avec ces moyens de transport.
Maintenant, je ne sais pas si les magistrats qui ont des indemnités de voyage, peuvent voyager de la manière qui leur plaît ; mais je crois qu’il en est ainsi, et je ne pense pas qu’on puisse argumenter de la modicité des indemnités qui leur sont allouées, pour prétendre que le taux de ceux qu’on accorde aux militaires est excessive. Et je dirai à ce sujet qu’on est tombé dans une exagération évidente, lorsqu’en parlant dernièrement de l’indemnité accordée à un lieutenant pour frais de poste, on a prétendu que ce lieutenant pouvait, à ce taux, se faire traîner à quatre chevaux ; le fait est, messieurs, qu’avec l’indemnité qu’on lui a accordée, et eu égard aux moyens de transport dont il doit se pourvoir, les deux chevaux et les postillons payés, il lui reste moins d’un franc pour tous les accidents qui peuvent arriver en route.
(Moniteur belge du 22 décembre 1839) M. Dolez – Messieurs, quelque pénible qu’il me fût de voter encore un budget qui, dans ma manière de voir, consacre une véritable injustice envers la magistrature, je comptais le faire en silence. Je dois l’avouer, le silence que je comptais garder était surtout motivé par l’espérance que j’avais conçue que le gouvernement nous dirait quelque chose de positif sur l’avenir qu’il réserve à la magistrature. A différentes reprises, j’ai entendu dans cette enceinte, non seulement plusieurs de mes collègues, mais les organes du pouvoir lui-même reconnaître que les traitements de l’ordre judiciaire n’avaient qu’un caractère éminemment provisoire ; j’ai entendu reconnaître à différentes reprises, que du moment que l’état de guerre cesserait de peser sur le pays, il deviendrait possible de déférer aux justes réclamations de la magistrature. J’espérais donc, messieurs, que le gouvernement nous aurait saisis dans le cours de cette session d’un projet relatif aux traitements de l’ordre judiciaire. La réponse de M. le ministre de la justice aux observations de quelques honorables préopinants, nous laisse malheureusement dans ce vague dans lequel nous nous sommes trouvés jusqu’ici.
L’on dit que la question de la majoration des traitements de l’ordre judiciaire est une question de voies et moyens. Tout en reconnaissant qu’alors qu’on veut augmenter des traitements, il s’agit plus ou moins d’une question de ce genre, il ne faut pas non plus exagérer l’importance de cette question, sous le rapport des voies et moyens. Croyez-vous qu’il faille modifier notre système des voies et moyens pour parvenir à doter convenablement la magistrature ? une dotation de 4 à 500 mille francs suffirait pour cela. J’entends dire par un honorable collègue qui s’est occupé de la tarification, que 300 et quelques mille francs suffiraient pour donner un traitement convenable aux membres de l’ordre judiciaire ? Faut-il, pour se les procurer, changer notre système des voies et moyens ? Non, certes, il suffirait de quelques économies de détail, sur quelques points susceptibles d’en recevoir. Je voudrais donc que le gouvernement pensât, une bonne fois, à la magistrature et reconnut la nécessité de s’occuper sérieusement de son sort.
Je ne suis mû par aucune pensée hostile au gouvernement ; ce que je demande, au contraire, est tout dans l’intérêt du pouvoir. L’ordre judicaire, comme on l’a dit, est non seulement un des grands pouvoirs de l’état, il est le plus respecté de tous les pouvoirs ; il est celui qui, dans l’état actuel de l’opinion publique, a la plus grande influence sur cette opinion. Il importe donc au gouvernement, dans des vues politiques, qu’un projet que l’appelle réparateur, émane directement du pouvoir. Il ne faut pas qu’il se laisse devancer en pareille matière, il ne faut pas qu’il attende que la chambre soit tellement convaincue de l’incontestable nécessité d’améliorer le sort des magistrats, qu’elle se hâte d’adopter un projet dans ce but, sur la proposition d’un de ses membres.
Je voudrais quant à moi, non seulement dans l’intérêt des magistrats, mais dans l’intérêt du gouvernement, qu’un projet fût présenté par le gouvernement pour régler le traitement des magistrats durant l’exercice 1841.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères, répondant à l’observation faite par mon honorable ami, M. de Brouckere, sur la comparaison faite entre les indemnités de voyage accordées à la diplomatie et celles allouées aux membres de l’ordre judiciaire, a dit que, si l’on appartenait à la diplomatie, on tiendrait probablement un autre langage. Moi, qui n’appartiens ni à la diplomatie ni à la magistrature, ou du moins qui n’appartiens à la magistrature que par la vénération que je lui voue, je dirai que je suis parfaitement de l’avis de l’honorable M. de Brouckere.
Un avocat général qui voyage a autant d’importance qu’un diplomate. Quand vous donnez à l’avocat général une indemnité de 12 francs par jour, vous pourriez donner la même somme à la diplomatie, ou plutôt, il faudrait indemniser convenablement l’un et l’autre ; car je ne suis pas, d’ordinaire, l’homme des petits traitements, je sais que, pour avoir des employés de talent et dévoués, il faut les rétribuer convenablement. Je prêterai mon concours à toutes les demandes d’augmentation de traitements que je croirai juste.
J’appuierai une demande d’augmentation de traitement en faveur des commissaires de districts qui sont peut-être les seuls employés qui puissent, avec autant de raisons que les magistrats, se plaindre de l’excessive modicité des traitements que leur accorde le budget. C’est par la magistrature et les commissaires de district qu’il faut commencer pour l’amélioration des traitements.
J’ai fait sentir, je pense, toute la convenance qu’il y a, pour le gouvernement, à ne pas tarder davantage à présenter un projet déterminant le nouveau traitement des magistrats. Je désire, dans son intérêt, que mes conseils ne soient pas perdus.
M. Dumortier – Messieurs, mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette discussion. Etranger à la magistrature et à tout ce qui tient à l’ordre judicaire, j’étais résolu à laisser aux personnes de la partie tout le fardeau. Mais je dois le dire, j’ai été péniblement affecté de la discussion d’aujourd’hui, car nous nous sommes singulièrement éloignés des principes émis quand nous examinions le budget des voies et moyens. Chacun alors se plaignait de l’état fâcheux de nos finances, de la plaie profonde de notre système financier, chacun de nous aurait voulu faire disparaître l’énorme charge qui grève notre budget, le déficit réel qui se trouvera dans le trésor. Aujourd’hui que peu de jours seulement se sont passés depuis cette importante discussion, chacun se lève pour demander des majorations de traitements, comme si des majorations de traitement étaient compatibles avec des réductions de recettes. Quand j’ai vu chaque ministre se lever pour proclamer la nécessité d’augmenter les traitements de ses subordonnés, j’ai cru que c’était pour moi un devoir impérieux et sacré de m’opposer à ces majorations. Ce n’est pas qu’il ne m’en coûte, messieurs, de prendre la parole dans de pareilles circonstances ; il est plus facile, plus beau de demander des augmentations d’appointements, le rôle est plus agréable et fait plus d’honneur auprès de ceux dont on veut améliorer la position. Mais à force d’augmenter les traitements, prenons garde de mécontenter singulièrement le populations que nous devons avoir à cœur de satisfaire. Si nous voulons aller de majoration en majoration, le résultat inévitable sera une augmentation d’impôt ou la création de nouveau emprunts.
On a commencé par demander une majoration de traitement pour les membres de l’ordre judiciaire, puis pour l’administration, ensuite pour la diplomatie, et jusqu’à M. le ministre de la guerre qui s’est plaint que des allocations n’étaient pas assez élevées. Voilà donc que tous les ministres demandent des majorations à leurs budgets.
Où allons-nous ? Il y a quinze jours nous proclamions un déficit dans nos ressources. Il semble qu’on voudrait encore l’augmenter. Il semble, à entendre beaucoup d’honorables préopinants, que la magistrature est dans un état pitoyable, que le traitement qu’on lui alloue est insuffisant, qu’il y a une lacune immense à combler. Quand nous avons discuté la loi de 1832, sur le traitement des magistrats, je fus un des premiers à m’opposer aux réductions proposées, je partageais alors et je partage encore l’opinion que ces réductions étaient chose fâcheuse ; mais entre ce système et une augmentation de traitement de tous les magistrats, il y a un tempérament. Je trouve cette augmentation générale inutile. Comment ! nous avons doté grandement la cour de cassation, et il faudrait encore augmenter le traitement des ses membres, quand les juges de paix n’auraient qu’une augmentation minime !
D’ailleurs, on semble perdre de vue deux circonstances qui cependant dominent cette discussion : la première, c’est que les traitements de tous les tribunaux de première instance, celui de Bruxelles excepté, ont été majorés ; la deuxième, c’est que le sénat nous a renvoyé une loi sur le traitement de l’ordre judiciaire qu’il a refusé d’admettre. C’est en présence de pareils faits, qu’on nous demande des augmentations de traitements en faveur des fonctionnaires de l’ordre judicaire et de l’ordre administratif.
Réfléchissons-y bien, il nous faut penser que ces demandes de majoration n’ont qu’un résultat ; celui de rendre tous les fonctionnaires mécontents de leur sort. A la suite d’une révolution, il se trouve toujours des personnes qui font de grandes fortunes, chacun veut trouver une immense amélioration à sa position. Mais il faut savoir poser une règle sage, prendre un juste milieu auquel il est indispensable de s’arrêter ; sans cela, vous ne savez où vous irez.
(Moniteur belge du 23 décembre 1839) M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai demandé la parole pour répondre à l’observation faite par le préopinant, que tous les ministres s’étaient levés pour demander des majorations. Le fait est inexact. Je me suis levé uniquement pour repousser une expression de blâme qu’on avait employée et que je n’ai pas trouvé juste. Mais je pense, en effet, comme l’a dit M. Dumortier, que les allocations que ministre de la guerre a portées à son budget sont justes et convenables.
(Moniteur belge du 22 décembre 1839) M. Vandenbossche – L’honorable M. Verhaegen a cru voir dans mes observations que je voulais ajourner la loi relative au traitement de l’ordre judiciaire. Je ferai remarquer que les lois que je réclame peuvent être discutées et adoptées dans la session actuelle, de sorte que celle sur l’augmentation de traitement des magistrats ne pourrait être votée pour l’exercice de 1841.
On n’a pas jugé convenable de répondre à l’observation que je faisais, que la nomination de tous les membres de l’ordre judiciaire, et notamment des tribunaux de première instance, et des juges de paix, ayant été faite sous l’empire de la législation actuelle, nous devons voir ceux qu’on a placés ; plusieurs sont nommés à vie. C’est pour cela que j’ai dit qu’on n’accorderait d’augmentation qu’à ceux qu’on nommeraient dans la suite à ceux qui, étant en place, donneraient leur démission pour se soumettre à une nouvelle élection.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – On est revenu sur le traitement des membres de l’ordre judiciaire. Il serait agréable pour les ministres, et en particulier pour moi, ministre de la justice, de pouvoir majorer le traitement de l’ordre judiciaire. Chacun voudrait voir les fonctionnaires qui ressortent de son département, convenablement rétribués à raison de leurs fonctions. Mais j’ai déjà fait l’observation que c’est une véritable question de voies et moyens. Le gouvernement, et mon prédécesseur l’a répété, s’occupe encore de ce qui concerne le traitement de l’ordre judiciaire, ainsi que d’autres fonctionnaires, comme on en a fait l’observation dans cette séance. Mais, avant, il faut voir comment on subviendra aux majorations qui seraient adoptées, car il faut toujours qu’un budget des dépenses soit en rapport avec un budget des voies et moyens. Je ne saurais pas dire pour le moment quelle somme devrait être portée pour majorer le traitement de l’ordre judiciaire.
Mais au moins faut-il voir, dans le cas d’une majoration importante, si on pourrait retrouver cet objet sur des économies, s’il faudrait recourir à une majoration d’impôt, et si (ce qui serait beaucoup à désirer) on pourrait trouver la somme nécessaire à ces dépenses, en améliorant la perception des impôts, sans augmenter ces impôts mêmes.
Vous voyez donc, messieurs, que les reproches adressés au ministère ne sont nullement fondés, puisque dés avant mon entrée au ministère on s’y était occupé de cette majoration.
- La clôture de la discussion générale est prononcée.
La séance est levée à 4 heures et demie.