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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 novembre 1839

(Moniteur belge n°331 du 27 novembre 1839)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Mast de Vries fait l’appel nominal à deux heures, lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée, et présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Dabrostri, lieutenant au 13e régiment de réserve à Anvers, demande la naturalisation. »


« Le sieur Boulleau, sergent-major au 8e régiment d’infanterie, demande que la chambre s’occupe de sa naturalisation. »


« Le sieur Jacques Moltzberger, lieutenant au 13e régiment de réserve à Anvers, demande la naturalisation. »


« Six habitants de Bruxelles adressent des observations sur le projet de loi portant interprétation de l’article 442 du code de commerce. »


« Le sieur Henry Heinemann, sergent au 3e régiment de ligne, à Anvers, demande la naturalisation. »


« Le sieur H. Verbeke, à Courtray, adresse des observations sur la loi des sels. »


« Des habitants de la commune de Looz (Tongres) demandent une loi qui régularise les bases et tarifs des taxes municipales. »


« Trois avoués de Tongres demandent à jouir de leur traitement d’attente comme fonctionnaires publics dépossédés. »


« Le sieur Sinave, solliciteur à Ypres, demande la révision de l’article 94 de la loi du 8 janvier 1817 sur la milice. »


« L’administration communale de Deuterghem adresse des observations en faveur du projet de déplacement du chemin de fer entre Gand et Bruges. – Même réclamation de 4 communes du canton d’Ingelmunster. – Même réclamation de 4 communes du canton d’Ardoye. »


M. A. Rodenbach – Messieurs, dans un de nos dernière séances j’ai demandé, conjointement avec l’honorable M. de Roo, que la commission des pétitions soit invitée à faire un rapport avant la discussion du budget des travaux publics sur la requête de la ville de Thielt, relativement au déplacement du chemin de fer entre Gand et Bruges. Il m’a été adressé aujourd’hui une adhésion à cette pétition de la part des régences d’Ardoye, Coolscamp, Enghein et Swevevezeele. Je viens la déposer au bureau, et je demande qu’on en fasse également un prompt rapport avant la discussion du budget dont je viens de parler.

La proposition de M. A. Rodenbach est adoptée.


Les pétitions qui ont pour objet des demandes en naturalisation sont renvoyées à M. le ministre de la justice.

La requête qui est relative au projet de loi tendant à interpréter l’article 442 du code de commerce est renvoyée à la commission chargée de l’examen de ce projet

Les autres pétitions sont renvoyées à la commission.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1840

Rapport de la section centrale

M. Demonceau, au nom de la section centrale, dépose le rapport sur le budget des voies et moyens.

La chambre en ordonne l’impression.

Mise à l'ordre du jour

M. le président – A quel jour la chambre désire-t-elle fixer la discussion ?

M. de Brouckere – Messieurs, je m’oppose à ce que la chambre fixe dès aujourd’hui un jour pour discuter le budget des voies et moyens, et à cette occasion je demanderai à la chambre si elle ne juge pas qu’il est de sa dignité de mettre enfin un terme à la marche irrégulière, contraire à la raison et au bon sens, contraire aux usages reçus dans tous les pays parlementaires, de discuter le budget des voies et moyens avant les budgets des dépenses. Messieurs, voilà huit ans que nous réclamons contre cette marche irrégulière, et voilà huit ans que l’obstination de MM. les ministres nous force d’y rester. Je dis l’obstination, car il y a ici mauvaise volonté évidente de la part du gouvernement ; il suffirait, pour que les choses restassent dans l’ordre dont elles n’auraient jamais dû sortir, qu’il nous convoquât un mois plus tôt ; nous aurions alors le temps d’examiner à loisir les budgets des dépenses et de voter en temps le budget des voies et moyens ; mais, messieurs, quoiqu’on ait fait, quelques instance qu’on ait employées auprès des ministres pour les engager à convoquer les chambres, tous les efforts ont été inutiles ; et je conçois facilement pourquoi : MM ; les ministres vivent beaucoup plus à l’aise en l’absence des chambres ; ce n’est jamais qu’en l’absence des chambre qu’on voit des choses exorbitantes, ce n’est jamais qu’en l’absence des chambres que le public apprend des destitutions injustes, des démissions forcées, des visites domiciliaires vexatoires et injustifiables, des adjudications de canaux faites contre toutes les règles établies, faites exclusivement pour faire la cour à un pays voisin. Tout cela ne se fait qu’en l’absence des chambres, et c’est pour cela que depuis huit ans nous agissons, je le répète, d’une manière contraire au bon sens et à la raison.

La chambre comprend très bien que dans tout pays bien organisé il faut commencer par fixer les dépenses avant d’établir les voies et moyens ; car en votant le budget des voies et moyens le premier, nous nous exposons ou à surcharger la nation d’un fardeau inutile ou à voter des fonds insuffisants. Je prie la chambre de remarquer que cette année nous aurons pour la première fois un budget normal pour le département de la guerre. M. le ministre demande, si j’ai bonne mémoire, 32 millions pour ce département ; eh bien, la chambre aura à discuter si son intention est que la Belgique conserve sur pied une armée plus nombreuse qu’il est nécessaire pour le maintien du bon ordre, et si l’on venait à résoudre cette question négativement, il y aurait sur le budget de la guerre une réduction à faire, qui s’élèverait peut-être à 10 millions ; or, je le demande, quelle absurdité n’y aurait-il pas eu à voter un budget des voies et moyens de dix millions plus fort qu’il n’aurait dû l’être réellement ? Je ne sais pas d’avance, avancés comme nous le sommes dans l’année, si sera possible que nous ayons examiné tous les budgets avant le 1er janvier ; mais toujours est-il que la chambre ne peut, selon moi, fixer le jour de la discussion du budget des voies et moyens, avant que l’examen du budget des dépenses ne soit terminé dans les sections, avant qu’il ne soit indispensable d’en venir à ce vote irrégulier. Après cela, messieurs, si cette année-ci, il était encore une fois nécessaire de voter en premier lieu le budget des voies et moyens, qu’au moins alors la chambre déclare que l’année prochaine, quelles que soient les conséquences de ce refus de voter, elle ne votera plus le budget des voies et moyens avant le budget des dépenses. Force sera bien alors au ministère de sortir de son apathie et de nous convoquer avant l’époque où nous nous réunissons de droit.

Je demande que la chambre ne fixe le jour de la discussion du budget des voies et moyens que lorsque les sections auront terminé l’examen du budget des dépenses.

M. Demonceau, rapporteur – Je n’ai pas qualité, messieurs, pour justifier dans cette enceinte le ministère ; il sait ce qu’il a à faire, mais je crois devoir justifier la section centrale…

M. de Brouckere – Je ne l’ai pas attaquée.

M. Demonceau, rapporteur – Vous ne l’avez pas attaqué, soit ; mais je veut faire voir à la chambre que la section centrale a senti aussi bien que l’honorable préopinant les inconvénients de la marche qui a été suivie jusqu’ici. Je demanderai la permission de lire le passage de mon rapport qui concerne cet objet :

« La section centrale fait observer qu’il est sans doute contre les règles, en matière financière, d’arrêter les recettes avant d’avoir réglé les dépenses ; mais elle ne peut se dispenser d’ajouter que, dans l’état actuel des choses et eu égard aux circonstances, il convient de passer outre pour l’exercice prochain à l’examen préalable du budget des voies et moyens, d’abord pour qu’il puisse être transmis au sénat assez à temps pour laisser à cette branche du pouvoir législatif le moyen de l’examiner, ensuite pour que le gouvernement soit à même de le publier et de mettre les impôts en recouvrent dès le premier janvier prochain.

« Elle adopte ensuite pour combinaison la plus propre à faire cesser l’inconvénient signalé et reconnu, de voter le budget des dépenses de l’exercice 1841 avant la clôture de la session actuelle, et cela par six voix contre une qui préférerait voir convoquer les chambres dans le mois d’octobre. »

« La majorité de la section centrale justifie son opinion par ce seul motif que l’adoption du système qu’elle propose ne donnerait lieu qu’à la discussion d’un budget double pendant cette session tandis que le système de la minorité nécessiterait chaque année la réunion des chambres avant le délai fixé par la constitution, sans qu’il fût certain encore qu’il resterait aux deux chambres assez de temps pour l’examen et l’adoption de tous les budgets avant la fin de l’année. Du reste, elle appelle les méditations du gouvernement et de la chambre sur ce point important. »

Vous voyez, messieurs, que la section centrale n’a pas attendu qu’on fît des réclamations dans cette enceinte pour en faire elle-même. Maintenant je laisse à la chambre le soin de fixer, si elle le trouve bon, un jour pour discuter le budget des voies et moyens, et je pense qu’elle sera convaincue, comme nous, qu’il n’y a pas possibilité, cette année, de voter les budgets des dépenses avant le budget des recettes. L’honorable préopinant a senti lui-même cette impossibilité. Je ferai seulement une observation, qui est péremptoire : vous n’avez qu’à lire le projet de loi de budget des voies et moyens, et vous verrez que pour tenir les finances à flot, si je puis m’exprimer ainsi, il est nécessaire de recourir à une émission de bons du trésor ; eh bien, s’il est possible de faire des réductions dans les dépenses, qu’on les fasse et qu’on diminue d’autant le chiffre des bons du trésor à émettre, car, quelles que soient les économies que l’on fasse, elles ne seront jamais assez fortes pour dépasser le chiffre de la dette flottante, et dès lors elles n’affecteront pas le budget des voies et moyens.

Maintenant, messieurs, afin d’activer les travaux de la chambre, je lui proposerai de fixer la discussion du budget des voies et moyens à aujourd’hui ou demain en huit ; dans cet intervalle les sections pourraient achever leurs travaux, et il en résulterait que nous n’aurions plus besoin de nous séparer avant d’avoir voté tous les budgets. Je pense que vous sentirez tous, messieurs, que ma proposition a pour but d’activer les travaux de la chambre ; c’est aussi dans cette vue que j’ai fait toute diligence pour présenter aujourd’hui mon rapport.

M. Verhaegen – Non seulement, messieurs, j’appuierai la proposition de l’honorable M. de Brouckere, mais je me permettrai d’en soumettre une autre à la chambre. Il se passe ici quelque chose de très insolite ; à la manière dont on veut procéder, je crois m’apercevoir qu’on désire nous mettre dans l’impossibilité de faire ce qui, à l’ouverture de la session, se fait dans tous les pays constitutionnels ; il me semble qu’on veut réduire la discussion du budget à une discussion de chiffres ; eh bien, messieurs, avant de nous occuper de la question de chiffres, nous avons à examiner en première ligne une question de moralité.

Cette année, messieurs, à notre grand étonnement, nous n’avons pas eu de discours du trône ; il y a donc impossible pour la chambre de s’expliquer avec le gouvernement, car l’adresse en réponse au discours du trône est le moyen qu’a la chambre de s’expliquer avec le gouvernement, de lui faire comprendre quels sont les besoins de la nation. Nous ne savons pas jusqu’à présent ce que le gouvernement a fait pendant que nous nous sommes séparés ; nous ne savons pas non plus ce que le gouvernement veut faire, et cependant de prime abord on vient demander des subsides, on commence par présenter le budget des voies et moyens, tout comme s’il s’agissait de voter des fonds sans savoir à quoi ces fonds sont destinés. Des observations ont été faites à cet égard, elles me paraissent péremptoires ; je ne me permettrai pas d’y ajouter quoi que ce soit ; mais il est un autre point sur lequel je veux appeler l’attention de la chambre, c’est qu’en l’absence d’un discours du trône et d’une adresse, il faut que, dans une discussion générale de tous les budgets, nous puissions mettre le gouvernement dans la position où il aurait été s’il y avait eu un discours du trône ; en d’autres termes, je pense que, dans une discussion générale de tous les budgets, nous devons rencontrer ce que j’appelle, moi, la question de moralité ; c’est dans une discussion générale de tous les budgets que la nation pourra entretenir le gouvernement, lui demander compte du passé, lui demander ses projets pour l’avenir.

Si au contraire on suivait la marche que l’on semble vouloir prendre, l’on votera aujourd’hui avec un budget, demain avec un autre, et tout se réduira à une question de chiffres.

La proposition faite par M. de Brouckere peut comprendre en même temps celle-ci : c’est qu’il n’y a pas lieu à s’occuper isolément d’un seul budget, mais qu’il y a lieu à attendre que toutes les sections et que la section centrale aient achevé leurs travaux sur les divers budgets ; car alors une discussion générale pourra avoir lieu. On pourra ensuite rencontrer chacun des membres du cabinet sur les budgets spéciaux, après avoir ouvert une discussion sur l’ensemble des budgets.

Je pense qu’il faut décider que l’on ne prendra de mesures sur les budgets particuliers que quand tous les rapports sur ces budgets particuliers seront présentés et qu’il y aura eu discussion générale.

M. Dumortier – Ce qu’a dit tout à l’heure M. de Brouckere est de toute évidence. Il est clair qu’en matière de finance, avant de voter le chiffre des recettes, il est rationnel de voter le chiffre des dépenses. Pourquoi n’agissons-nous pas de la sorte ? c’est que par une habitude très fâcheuse, prise depuis quelques années, on a suivi dans les sections, pour l’examen des budgets, l’ordre dans lesquels ils ont été présentés. Chaque année, dans l’impression des budgets, faite par ordre du ministère, on met en tête le budget des recettes.

M. de Brouckere – Pas cette année !

M. Dumortier – Cette année comme les autres le budget des recettes est en tête, puis viennent successivement les budgets des dépenses. Chaque année nous avons reconnu vicieux ce précédent ; nous avons reconnu qu’on avait eu tort de commencer par le budget des voies et moyens, et qu’il serait plus logique de commencer par le budget des dépenses.

Faut-il dans la chambre suivre le même ordre que l’on a suivi dans les sections ? je crois que non, et qu’il faut organiser le budget des recettes jusqu’à ce que nous ayons délibéré sur les budgets des dépenses.

Un honorable membre craint que nous n’ayons pas, cette année, le temps d’examiner les budgets de manière à nous permettre l’examen en temps utile, du budget des voies et moyens. Mais l’examen des budgets des dépenses est presque terminé dans les sections ; et l’expérience vous a démontré que leur discussion ne demande pas un temps considérable.

Si, en 1832, cette discussion fut un peu longue, c’est que tout était à créer : une discussion s’établissait sur chaque chiffre ; maintenant les budgets sont régularisés ; et la chambre, dans les sections comme dans cette enceinte, vote presque toujours sans examen les chiffres qui ont subi l’examen des années précédentes ; ses investigations se portent sur le très petit nombre des articles nouveaux ; aussi en résulte-t-il que depuis quelques années le vote des budgets se fait rapidement. L’année dernière nous avons voté plusieurs budgets spéciaux en une seule séance ; il en arrivera de même cette année. La discussion des dépenses ne durera pas au-delà de dix jours.

Alors pourquoi ne pas remettre le budget des voies et moyens après le budget des dépenses ? Le budget des voies et moyens ne présente pas les réductions que l’on devait s’attendre à y trouver à la suite de la mise en état de paix. On pensait en Belgique que l’on aurait des diminutions dans les impôts ; les subventions de guerre ou les centimes additionnels mis l’année dernière sont les seules choses effacées. Le public attendait davantage. C’est après avoir examiné les économies à faire dans les dépenses que nous pourrions opérer des réductions dans les recettes, s’il y a lieu d’en faire. La question est d’autant plus importante cette année que nous entrons dans une situation nouvelle, que nous n’avons plus une armée sur l’état de guerre. C’est en entrant dans un système nouveau qu’il faut marcher rationnellement. Quoi que la chambre décide, je tiens à ce qu’une discussion générale s’ouvre sur la conduite du ministère…

M. de Brouckere – Certainement !

M. Dumortier – Le ministère a voulu soustraire à la chambre l’examen de sa conduite ; c’est un fait constant, parce qu’il n’y a pas eu de discours du trône. Il a voulu qu’on ne jugeât pas ses actes. Cependant il est temps que le jour du jugement arrive ; il faut examiner la conduite du ministère dans ses actes et voir s’il est digne de notre confiance ; il faut que nous sachions ce que nous avons à faire à l’égard du gouvernement. Je vote une discussion générale, non seulement sur les budgets, mais sur l’ensemble des actes consommés par le ministère.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est juste !

M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Je dois justifier le ministère du reproche qu’on lui a adressé relativement à ce qu’il n’aurait pas convoqué les chambres avant l’époque fixée par la constitution.

Messieurs, il a été impossible au gouvernement de les convoquer avant cette époque, à la suite d’une session extrêmement longue et très laborieuse des chambres législatives, et attendu que l’exécution du traité de paix n’a pu commencer que vers la fin du mois de juin. Les travaux du ministère l’on empêché de préparer les budgets avant le mois de novembre ; force a donc été d’attendre jusqu’à ce moment. Si le budget des voies et moyens se présente en premier lieu à la discussion de la chambre, le gouvernement n’y est pour rien, car il ne s’est pas immiscé dans les travaux des sections. Elles se sont occupées en premier lieu du budget des voies et moyens sans que le ministre ait réglé l’ordre de leurs travaux ou rien demandé concernant cet ordre.

Toutefois, je dois ajouter qu’il était tout naturel que les sections procédassent de cette manière ; car le budget des voies et moyens doit être nécessairement voté par les deux chambres législatives avant le premier janvier, et il n’en est pas de même des budgets des dépenses. On peut sans inconvénient reculer le vote de ceux-ci après le commencement de l’année.

Il y a nécessité constitutionnelle pour que le budget des voies et moyens soit voté avant le 1er janvier ; sans cela on ne pourrait pas percevoir les impôts. Et comme il y a un très court laps de temps d’ici au commencement de la prochaine année, il était naturel, je le répète, que les sections suivissent l’ordre qu’elles ont suivi.

Je sais qu’on peut soutenir en principe qu’on devrait s’occuper des dépenses avant les voies et moyens, parce qu’il n’en est pas de l’état comme d’un particulier : un particulier doit examiner ce qu’il recevra pour régler ses dépenses ; mais l’état doit commencer par examiner les dépenses indispensables qu’il a à faire.

On pourrait cependant aussi alléguer des motifs aussi plausibles à l’appui d’une opinion contraire. Mais en admettant même qu’il faille absolument en principe discuter les dépenses avant les voies et moyens, il faut considérer si ce principe est applicable ou non aux circonstances actuelles ; je viens de démontrer qu’il n’y est pas applicable, puisque, si on voulait l’appliquer, il serait impossible que le budget des voies et moyes fût voté par le sénat avant le 1er janvier. Encore une fois, les sections ont donc eu raison de procéder de cette manière.

En fait maintenant, il n’y a que le rapport sur le budget des voies et moyens qui soit prêt ; il n’y a donc de discussion possible en ce moment que sur le budget des voies et moyens. Force est donc à la chambre, si elle ne veut arrêter indéfiniment ses travaux, de commencer par la discussion du budget des voies et moyens.

Maintenant, messieurs, en ce qui concerne la discussion générale, le ministère ne s’oppose nullement à cette discussion ; elle peut même précéder, si l’on veut, celle du budget des voies et moyens, nous ne nous y opposons aucunement.

Quant à l’inconvénient qu’un honorable membre a trouvé à faire précéder la discussion du budget des dépenses de celle du budget des voies et moyens, en ce qu’il pourrait arriver que la chambre voulût faire des diminutions sur l’un ou l’autre des budgets des dépenses. Il a parlé, je crois, d’une diminution de 10 millions que, selon lui, on pourrait faire sur le budget du département de la guerre.

M. de Brouckere – Je n’ai pas dit que telle était mon opinion.

M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Soit, j’ai mal compris ; mais toujours est-il que l’inconvénient signalé n’existe pas dans la circonstance actuelle, puisque, alors même que des réductions s’opèreraient sur les dépenses, il n’y aurait pas encore des motifs pour réduire le budget des voies et moyens, attendu que nous sommes en présence d’une dette flottante de quatorze millions, et que plus il nous est possible de la réduire, sans surcharger immédiatement les contribuables, mieux cela est pour notre avenir financier.

M. de Brouckere – Messieurs, je commencerai par relever une erreur dans laquelle est tombé l’honorable M. Dumortier, qui nous a dit que si, dans les sections, on avait commencé par l’examen du budget des voies et moyens, c’est parce qu’elles avaient suivi la marche tracée par le ministère : c’est une erreur ! le ministère lui-même a très bien compris qu’on devait commencer par le budget des dépenses, et ce qui le prouve, c’est que, dans l’énorme cahier qu’il a fait imprimer, le budget des dépenses se trouve à la page 1, et le budget des voies et moyens à la page 21 : tout le reste ne se compose que de développements. Vous voyez donc que le ministère lui-même a reconnu qu’en bonne administration c’était par le budget des dépenses qu’il fallait commencer.

M. le ministre des finances s’est excusé de ce que le gouvernement n’avait pas convoqué les chambres plus tôt, en prétextant une impossibilité ; je ne reconnais cette impossibilité en aucune manière, et certes M. le ministre ne l’a nullement démontrée.

L’honorable M. Demonceau qui, en sa qualité de rapporteur de la section centrale a, comme toute la chambre, je pense, adopté mon opinion sur la marche à suivre vous a dit qu’il conviendrait mieux de discuter les budgets une année d’avance, c’est-à-dire, de discuter pendant la session de 1840, par exemple, le budget de 1841, et que ce système était préférable à celui de rapprocher l’époque où les chambre se réunissent. Le système de l’honorable M. Demonceau me convient parfaitement, mais je voudrais savoir comment la chambre s’y prendra pour forcer le ministère de nous présenter le budget de 1841 pendant 1840 ; le ministère fera des promesses, mais il ne les tiendra pas : il vous dira qu’il présentera le budget de 1841 en 1840, mais pour vous faire cette présentation, il attendra la fin de la session, il attendra l’époque où chacun songe à regagner ses foyers, fatigué de ses longs travaux ; et nous serons réduits au point où nous avons été chaque année, c’est-à-dire à n’avoir pas de budget préparé pour l’année suivante.

Messieurs, on s’est demandé s’il y aurait une discussion générale qui précéderait le budget : cela ne peut faire question ; nous avons le droit d’ouvrir une discussion générale sur l’ensemble de tous les ministères, sur la conduite générale du ministère, sur les griefs que la chambre peut avoir à charge du gouvernement, sauf à discuter ensuite les griefs particuliers à charge de chacun des départements.

J’arrive maintenant à la proposition que vous a faite l’honorable M. Demonceau : il croit qu’il est indispensable de fixer dès à présent le jour où commencera la discussion du budget ; eh bien, je me range à son opinion, mais en la modifiant ; je m’y range en ce sens que je demande qu’on mette à l’ordre du jour la discussion des budgets pour mercredi en huit ; mais je propose qu’on ne dise pas formellement qu’on s’occupera dans cette séance du budget des voies et moyens. Ainsi, par exemple, si d’ici à mercredi, un rapport avait été fait sur un titre du budget des dépenses, et je prie la chambre de remarquer que c’est à dessein que je dis « un titre » du budget, parce que je ne connais qu’un budget de dépenses ; si, dis-je, un rapport était prêt sur un titre du budget des dépenses, la chambre examinerait si elle peut scinder la loi du budget des dépenses, et s’occuper d’abord du titre sur lequel le rapport aurait été fait. De cette manière rien ne sera préjugé.

Je fais donc la proposition formelle que la chambre ordonne que sur son ordre du jour de mercredi on place : « loi des budgets ».

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je ferai remarquer que la proposition de l’honorable préopinant est inadmissible : il faut que les députés connaissent l’objet qui sera mis en discussion, pour qu’ils puissent l’examiner ; si c’est le budget des voies et moyens, la préparation doit être tout autre que s’il s’agissait du budget des dépenses. Il faut nécessairement que l’objet soit déterminé dans l’ordre du jour. Ainsi, messieurs, j’appuie la proposition faite par M. le rapporteur de fixer l’ordre du jour à mercredi prochain pour la discussion du budget des voies et moyens.

M. de Brouckere – Il arrive journellement qu’on mette deux objets à l’ordre du jour ; il est peu de nos séances où l’on ne porte deux objets à l’ordre du jour. Je me demande qu’on mette à l’ordre du jour de mercredi le budget des voies et moyens et le budget des dépenses ; la chambre décidera ensuite à quel budget elle accordera la priorité.

M. Demonceau, rapporteur – Nous paraissons être maintenant parfaitement d’accord avec l’honorable M. de Brouckere sur les principes : personne ici n’a élevé de doute sur ce point. Toute la question est de savoir si nous sommes dans des circonstances telles qu’il soit possible de discuter les dépenses avant les voies et moyens. Je conçois qu’il peut être possible pour la chambre des représentants de voter à temps le budget des dépenses et celui des recettes ; mais il y a une autre branche du pouvoir législatif envers laquelle nous sommes tenus à des égards. Il ne faut pas, comme cela est arrivé jusqu’à présent, envoyer les budgets au sénat à une époque telle qu’il est presque impossible à ce corps de les examiner. En agissant ainsi, nous paralysons en quelque sorte les droits de cette branche du pouvoir législatif. Voilà pourquoi j’insiste, en ce qui concerne cette année seulement, pour que nous discutions d’abord le budget des voies et moyens.

Quant à la discussion générale dont on a parlé, je ne sais si je comprends bien sur ce point les principes qui servent de base à tous les états constitués comme le nôtre ; mais il me semble que l’on peut tout aussi bien aborder cette discussion, lorsqu’il s’agit de voter les recettes, que lorsqu’il s’agit de voter les dépenses.

M. Verhaegen – Messieurs, je ne conçois pas qu’on puisse dire qu’il n’y a plus de temps suffisant pour discuter les budgets, il nous reste encore cinq semaines ; l’honorable préopinant est d’accord avec nous que ce temps suffit pour la chambre, mais il pense que le sénat n’en aura pas assez. Puisqu’on a parlé des égards que la chambre devait à une autre branche du pouvoir législatif, je dirai que si on manque à ces égards, ce ne serait pas à la chambre qu’on en devrait faire le reproche , mais au ministère qui est arrivé trop tard ; nous ne sommes pas responsables d’un manque d’égards de la part du gouvernement vis-à-vis du sénat ; nous sommes dans la position dans laquelle nous devons être, nous avons été à notre poste, quand on nous a convoqués, et nous sommes prêts à discuter le budget.

Maintenant il n’est pas impossible que le budget des dépenses soit voté en même temps que le budget des voies et moyens ; aussi longtemps qu’on ne nous démontre pas cette impossibilité, il n’y a pas de raison pour mettre à l’ordre du jour le budget des voies et moyens avant l’un ou l’autre des budgets de dépenses. Aucune objection sérieuse n’a été élevée contre la proposition de l’honorable M. de Brouckere, et je pense que la chambre sentira la nécessité d’entrer enfin dans les voies régulières.

M. le président – Si personne ne demande plus la parole, je vais mettre aux voix la proposition de M. le rapporteur de la section centrale qui demande que la chambre veuille fixer à mercredi prochain la discussion du budget des voies et moyens/

M. de Brouckere – Pardon, M. le président, la question ne doit pas être posée ainsi. Je demande la parole sur la position de la question. Il n’est nullement décidé qu’on discutera mercredi le budget des voies et moyens, mais seulement qu’on le mettra à l’ordre du jour.

Je demande qu’on mette également à l’ordre du jour de cette séance le budget des dépenses, et que mercredi on décide si on commencera par le budget des dépenses ou par le budget des voies et moyens.

M. le président – M. le rapporteur a demandé qu’on fixât la discussion du budget des voies et moyens à mercredi en huit. C’est sur cette proposition qu’on a voté.

M. Demonceau – S’il y avait du doute sur le vote, je demanderais qu’on votât de nouveau. Ma proposition est formelle. Je demande qu’on discute préalablement le budget des voies et moyens, parce qu’il y a impossibilité (je crois l’avoir démontré) de vote le budget des dépenses mercredi.

M. le président – M. le rapporteur, comme on voit, a proposé de fixer à mercredi en huit la discussion de son rapport.

M. de Brouckere – Je demande l’ajournement de cette proposition.

Remarquez, messieurs, que ma proposition d’ajournement n’a pas pour but d’empêcher que l’on discute mercredi le budget des voies et moyens, mais de laisser la question intacte. Enfin je demande qu’on mette à l’ordre du jour de mercredi le budget des dépenses et celui des recettes, et qu’on ne se prononce pas maintenant sur la priorité.

M. le président – Il est impossible de dénaturer ainsi la proposition du rapporteur ; votre ajournement porte sur la proposition telle qu’elle a été faite.

M. de Brouckere – L’ajournement porte sur la question de priorité.

Plusieurs membres – Aux voix ! L’appel nominal !

M. Demonceau – Le résultat du vote que nous allons émettre sera l’adoption ou le rejet de ma proposition. Quand j’ai consenti à ce qu’on renouvelât le vote de la chambre, c’était à la condition que ce nouveau vote porterait encore sur ma proposition et non sur celle que ferait M. de Brouckere.

M. Dumortier – Je demande si on vote sur l’ajournement ou l’ordre du jour.

M. Delehaye – Si j’ai bien compris les observations faites par les différentes membres qui ont pris la parole, l’opinion de ceux qui s’opposent à la proposition du rapporteur de la section centrale est que, s’il y avait avant mercredi quelque budget des dépenses sur lequel la section centrale pût faire un rapport, on devrait le mettre en discussion avant le budget des voies et moyens, c’est-à-dire que si, quand nous arriverons à la séance de mercredi en huit, il y a possibilité de faire précéder la discussion du budget des voies et moyens par celle d’un budget de dépenses, ce dernier aura la préférence. C’est dans ce sens que j’ai compris la proposition de M. de Brouckere ; c’est à cette proposition que je donne mon assentiment.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – La proposition avait été parfaitement comprise. Je l’avais combattue en faisant observer qu’elle conduirait à ce résultat que personne ne serait préparé pour discuter spécialement le budget des voies et moyens ou le budget des dépenses ; et parmi les budgets des dépenses, il faudrait encore savoir lequel sera mis en discussion.

Il suffit d’avoir fait sentir à quelles conséquences conduirait la proposition de M. de Brouckere pour qu’il n’y ait pas d’hésitation dans le vote de la chambre.

M. le président – La proposition de M. le rapporteur est de discuter préalablement le budget des voies et moyens.

M. de Brouckere propose l’ajournement de cette proposition.

L’ajournement ayant la priorité, je vais le mettre aux voix.

M. Verhaegen – Si l’ajournement est rejeté, il restera à voter sur la proposition de M. Demonceau.

M. Metz – Malgré les explications qui ont été données, je crois que la question n’est pas encore bien comprise. Je désire savoir si en adoptant l’ajournement proposé par M. de Brouckere, le budget des voies et moyens reste à l’ordre du jour, sauf à décider la question de priorité entre ce budget et celui des dépenses.

M. de Brouckere – On va mettre aux voix l’ajournement. S’il est adopté, on mettra à l’ordre du jour de mercredi le budget des voies et moyens et celui des dépenses, et mercredi la chambre statuera sur l’ordre de ses travaux. Si vous rejetez l’ajournement, il sera décidé que mercredi vous commencerez par la discussion du budget des voies et moyens, alors que vous auriez tous les rapports des budgets des dépenses.

- L’ajournement est mis aux voix par appel nominal

Nombre de votants, 57

Majorité, 29

Ou répondu oui, 19

Ont répondu non, 38.

En conséquence, l’ajournement n’est pas adopté.

La proposition de M. Demonceau est adoptée. L’ordre du jour de mercredi 4 décembre est la discussion du projet de budget des voies et moyens.

Ont répondu oui : MM. David, de Brouckere, de Foere, de Langhe, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Renesse, Doignon, Donny, Dubois, Dumortier, Duvivier, Lange, Maertens, Metz, Sigart, Van Cutsem, Verhaegen.

Ont répondu non: MM. Coghen, Cools, de Behr, de Florisone, de Garcia de la Vega, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, B. Dubus, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Liedts, Lys, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Puissant, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Wallaert, Willmar, Zoude.

M. de Brouckere – Je demanderai s’il est bien entendu que la discussion générale de tous les budgets aura lieu mercredi? (Oui ! oui !)

M. Jadot – L’ordre du jour que vient de fixer la chambre est, bien entendu, subordonné à l’impression et à la distribution du rapport quelques jours avant mercredi.

M. le président – Le rapport sera distribué au moins trois jours avant la discussion.

M. Demonceau – Il sera probablement distribué dans deux jours.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il doit être fait mention dans le rapport de la section centrale sur le budget des voies et moyens, de quelques difficultés qu’a soulevées la perception de la redevance proportionnelle sur les mines.

J’ai préparé sur ce point des explications que je dépose sur le bureau et dont je demande l’impression.

J’ai profité de cette occasion pour donner à la chambre des renseignements sur l’administration des mines et le degré d’instruction des demandes en concession.

- La chambre décide que ces observations seront imprimées et distribuées.

Rapport sur des pétitons

M. Zoude présente un rapport sur la pétition des notaires de Neufchâteau.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.


- La chambre décide qu’elle se réunira sur la convocation de M. le président quand il y aura des rapports terminés sur les budgets des dépenses.

Projet de loi autorisant le gouvernement à émettre 12 millions de bons du trésor pour la construction du chemin de fer et de routes pavées

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Desmaisières) présente un projet de loi ayant pour but d’autoriser le gouvernement à émettre 12 millions de bons du trésor pour couvrir les dépenses de construction du chemin de fer et des routes pavées.

- La chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l’impression et la distribution et le renvoi à l’examen des sections.

Projet de loi de naturalisation

Le projet de loi relatif à la naturalisation ordinaire de M. J.-B. Bourcier, premier commis-greffier de la chambre des représentants, est mis aux voix par appel nominal.

La chambre n’est plus en nombre.

La séance est levée à 4 heures.