(Moniteur du 22 mai 1839, n°142)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Lejeune présente l’analyse d’une pétition, adressée à la chambre par la dame veuve Vandermaesen, à Rummen, qui demande la pension à laquelle elle prétend avoir droit par la mort de son fils, tué dans les journées de septembre.
- Cette pièce est renvoyée à la commission des pétitions.
M. de Brouckere, au nom de la section centrale, présente le rapport sur le projet de loi relatif aux officiers étrangers.
M. Demonceau dépose un rapport sur la réorganisation des conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg.
La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces rapports, et décide qu’ils seront discutés à la suite des projets qui sont déjà à l’ordre du jour.
M. Zoude, fait au nom de la commission des pétitions, le rapport suivant :
Messieurs, un grand nombre de négociants et boutiquiers de Louvain exposent à la chambre que la loi du 24 mars 1838, sur les ventes publiques de marchandises neuves, n’a pas atteint le résultat que le législateur en attendait, et que les dispositions en sont constamment éludées, soit par des ventes à la suite de prétendues cessations de commerce, soit par des ventes publiques déguisées.
Ils signalent comme devant encore augmenter ce malheureux état de choses, des arrêts récents, rendus par les cours d’appel de Gand et de Bruxelles, arrêts qui s’attachent plutôt au texte qu’à l’esprit de la loi, interprètent celle-ci contrairement aux intentions des législateurs, et se trouvent sous ce rapport même, en opposition avec un arrêt de la cour de cassation du 31 août dernier.
Ils demandent, en conséquence, que la législature porte remède au mal, soit au moyen d’une interprétation de la loi du 24 mars précitée, soit en y faisant quelques modifications.
La commission n’a pu vérifier si les abus signalés par la réclamation de Louvain se présentent également dans d’autres localités, et, dans l’incertitude de la jurisprudence qui prévaudra à ce sujet, elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à messieurs les ministres de l’intérieur et de la justice.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président – L’article unique du projet est conçu comme suit :
« Sont prorogés au 1er juillet 1840 :
« 1° L’article 1er de la loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n°196)
« 2° Les articles 2,3 et 4 de la loi du 31 mai 1838 (Bulletin officiel, n°203) »
La commission propose l’adoption du projet.
M. Ullens – Messieurs, le chemin de fer a été créé dans l’intérêt de toute la Belgique ; il faut donc aussi que le gouvernement cherche à en faire jouir la plus grande somme d’individus possible. Il ne me paraît pas que telle a été sa pensée. Il a cherché à majorer les recettes en augmentant le prix du transport ; mais ne devait-il pas plutôt s’occuper à augmenter le nombre des voyageurs, en modifiant encore les prix les plus bas. Cependant je pourrais admettre une surtaxe sur les deux premières classes de voitures ; car, dans toute contribution volontaire, il faut prendre l’argent là où il se trouve. D’ailleurs, ceux qui emploient ces moyens de transport, ne changeront pas leurs habitudes dans l’occurrence ; ils paieront, même sans se plaindre. Mais quant aux waggons, je ne puis voir qu’à regret qu’on augmente les places ; il faut éviter à la classe peu aisée même les dépenses minimes, car le déplacement entraîne encore d’autres dépenses. De plus, vous nuirez à vos recettes, en faisant déserter les voyageurs ; en augmentant les frais vous risquez de recevoir moins ; dans l’espèce, deux et deux ne font pas quatre. Ensuite, pour ne parler que des localités que je connais, le tarif tend à atténuer les rentrées aux stations entre Malines et Anvers. Je veux parler de Duffel et du Vieux-Dieu ; là, les prix sont tels, que les gens des campagne aiment mieux aller à pied que de payer ce qu’on exige d’eux. Mais, messieurs, je vous le demande, doit-on ainsi tout sacrifier aux villes ; les paysans ne paient-ils pas leur part dans les impôts ? En agir comme on le fait, me parait chose impolitique et défavorable même au trésor. Du reste, je me plais à rendre justice aux bonnes intentions de M. le ministre ; lui signaler des faits dont il n’a pas prévu la portée, est servir le gouvernement et le peuple dont nous devons soigner les intérêts.
Je terminerai en demandant pourquoi, alors que la ligne de Bruxelles à Anvers est la plus productive, on a supprimé un départ pendant la période d’été. Je crains que, par le nouveau système, on n’ait diminué le nombre des voyageurs, et qu’on me réponde par suite que les services suffisent aux besoins. S’il devait en être ainsi, j’aimerais mieux avoir un peu moins de recette qu’un peu moins de voyageurs. Moi, je pense toutefois qu’on pourrait aisément obtenir un résultat favorable, même dans les deux hypothèses, en combinant les choses de toute autre manière. Convaincu que l’on voudra bien avoir quelqu’égard à mes observations, je voterai la loi.
M. Devaux – Messieurs, le chemin de fer a rendu tant de services à la Belgique entière, je dirai même à la nationalité belge, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, que tout ce qui le touche à droit de nous intéresser au plus haut degré ; c’est ce qui me porte à faire quelques observations à propos de la loi qui nous est soumise. C’est une loi de péage ; c’est le moment naturel de parler d’abord du péage ; j’ajouterai quelques observations sur les recettes en général et ensuite sur les dépenses du chemin de fer.
A la fin de février dernier, le gouvernement a introduit un nouveau tarif pour le chemin de fer ; ce tarif élève le prix des places de 25 ou 30 p.c. pour les waggons ; il augmente également, mais dans une moindre proportion, le prix des chars-à-bras et des diligences : le but a été d’augmenter les recettes de l’état. J’ai demandé dernièrement à M. le ministre des travaux publics : de vouloir bien nous communiquer les résultats de ce nouveau tarif, quant au nombre des voyageurs et aux recettes effectuées, depuis qu’il est en vigueur, c’est-à-dire depuis le 21 février dernier ; les tableaux qui indiquent ce résultat viennent d’être publiés dans le Moniteur. Pour pouvoir les apprécier, il faudrait les comparer avec ce qui a eu lieu l’année dernière à la même époque ; mais dans une conversation particulière, M. le ministre des travaux publics m’a fait remarquer que l’année dernière il n’y avait que 7 sections en exploitation, tandis que maintenant il y en a 10, de sorte qu’une semblable comparaison serait fautive, et il m’a indiqué un meilleur moyen d’apprécier les résultats obtenus ; il m’a fait remarquer que le mois de mars correspond d’ordinaire, pour la recette et la circulation des voyageurs, au mois de novembre, et le mois d’avril au mois d’octobre ; j’ai donc comparé les mois de mars et d’avril derniers au mois d’octobre et novembre de l’année dernière ; et vous verrez, messieurs, par les résultats que j’ai obtenus, que les conséquences du nouveau tarif sont extrêmement graves pour le chemin de fer.
Le nouveau tarif a été introduit, si je ne me trompe, le 21 février ; le Moniteur publie le montant des recettes et le nombre des voyageurs par dizaine ; il y a eu dans la première dizaine de février 45,000 voyageurs, dans le deuxième dizaine 44,000 et, dans la dernière huitaine, 22,000 seulement ; pour faire de cette huitaine une dizaine, il n’y a qu’à augmenter d’un quart et vous obtiendrez à peu près 28,000 voyageurs, c’est-à-dire que le nouveau tarif introduit le 1er jour de la dernière huitaine de février a réduit le nombre des voyageurs dans la proportion de 44,000 à 28,000.
Lorsque maintenant je passe au mois de mars, et que, d’après l’indication de M. le ministre des travaux publics, je compare ce mois au mois de novembre 1838, je trouve qu’avec le nouveau tarif il n’y a eu que 103,000 voyageurs, tandis qu’avec l’ancien tarif il y en a eu 152,000, ce qui présente une différence approximative de 50,000 voyageurs en un mois ; au mois d’avril dernier, il y a eu 127,000 voyageurs ; ce mois correspond, d’après l’administration, au mois d’octobre, et dès lors il devrait donner les mêmes résultats ; eh bien, messieurs, au mois d’octobre 1838, il y a eu 199,000 voyageurs, c’est-à-dire que le nouveau tarif a fait perdre au chemin de fer 72,000 voyageurs pendant le mois d’avril.
Je dis, messieurs, que ces résultats sont extrêmement graves ; plus du tiers des voyageurs qui se servaient du chemin de fer s’en trouvent exclus, et dès lors on peut dire que le chemin de fer a perdu le tiers de son utilité, puisqu’il ne sert plus qu’aux deux tiers des personnes auxquelles il servait précédemment ; c’est comme si l’on en avait démoli un tiers.
On a eu pour but, en faisant le nouveau tarif, d’élever les ressources : sous ce rapport, on est arrivé à des résultats, non pas tout à fait aussi désavantageux que ceux auxquelles on en est venu sous le rapport du nombre des voyageurs, mais cependant également fâcheux. Au mois d’avril la recette produite par les voyageurs civils (car il ne faut pas tenir compte des voyageurs militaires dont le nombre est tout à fait indépendant du tarif), au mois d’avril, dis-je, la recette produite par les voyageurs civils à été de 248,000 francs tandis qu’au mois d’octobre, qui est le mois correspondant à avril, elle s’était élevée à 285,000 francs ; ainsi, au lieu d’augmenter les recettes, le nouveau tarif les a diminuées de 37,000 francs en un mois.
J’ai entendu dire, par des personnes qui soutenaient le nouveau tarif, que la diminution du nombre des voyageurs n’était pas le résultat du tarif, mais de la crise financière ; c’est une erreur facile à reconnaître ; il suffit de remarquer que c’est depuis le 21 février seulement, époque de l’introduction du nouveau tarif, que cette diminution a eu lieu, tandis que la crise financière existait tout aussi bien dans la première partie du mois de février que dans la dernière.
Je ne blâme pas le gouvernement d’avoir fait cet essai ; tout ami des améliorations est ami des essais ; j’aurais voulu cependant qu’il n’eût pas commencé par celui-là qui est un moyen extrême. Quoi qu’il en soit, l’expérience est faite, elle est décisive ; je pense bien que le gouvernement en profitera, qu’il renoncera à un essai dont les résultats sont si funestes.
Je crains cependant qu’il n’y ait dans l’administration des intérêts qui tiennent à rendre le tarif durable ; un tiers des voyageurs en moins, cela doit donner beaucoup de commodité à l’administration inférieure ; je ne parle pas du ministre, qui est au-dessus de considérations de cette nature, mais dans l’administration proprement dite cela doit arranger tout le monde ; tous les employés à traitement fixe voient ainsi diminuer les difficultés de leur tâche ; quand il y a peu de monde, les convois marchent mieux et plus facilement ; directeurs, inspecteurs, conducteurs, tout le monde voit diminuer sa besogne.
Pour augmenter les revenus du chemin de fer, il y a des essais à faire d’une toute autre nature. Je me permettrai d’en indiquer un. Sous l’ancien tarif, le chemin de fer rapportait assez sur les petites distances ; sur les petites distances, il y avait une grande affluence de voyageurs, mais ce qui rapportait peu, ce sont les grandes distances ; si l’on trouvait le moyen de faire fréquenter les grandes distances, je ne dis pas autant que les petites, mais plus qu’elles ne le sont, on aurait résolu une partie du problème. Qu’est-ce qui s’oppose à ce que les voyageurs parcourent les grandes distances ? D’abord, entre les points éloignés, il y a moins de relations. Mais un autre obstacle très puissant, c’est le prix des places. Naturellement le prix des places doit augmenter, quand la distance augmente ; mais au bout d’une certaine distance les prix deviennent tellement forts qu’ils ne sont plus à la portée du peuple, de la classe de voyageurs la plus nombreuse sur les petites distances. Ainsi le prix du waggon de Bruxelles à Ans est de 4 francs, et de Bruxelles à Ostende de 5 francs. Evidemment, à ce prix, la classe ouvrière est exclue de ces voyages.
Si l’on pouvait transporter sur les grandes distances à aussi bon compte que sur les petites, il est manifeste que la classe ouvrière, ou la classe qui en est voisine, pourrait aussi franchir les grandes distances.
Qu’est-ce qui empêcherait de faire le calcul que fait les entrepreneurs de diligences ? Quand ils ont à transporter un voyageur à 20 lieues, ils ne lui font pas payer le double de ce qu’ils lui feraient payer pour le parcours de 10 lieues. Le bénéfice qu’ils réalisent sur les dix premières lieues, fait qu’ils se contentent d’un bénéfice moindre sur les 10 autres lieues. C’est le calcul que font tous les marchands qui vendent en gros et en détail. Ils gagnent plus sur les ventes en détail que sur les ventes en gros.
L’on n’a pas fait ce calcul sur le chemin de fer. On a pris une base tout à fait opposée. La proportion des prix, loin de diminuer, augmente avec les distances.
En allant d’ici à Gand par waggon, on paie 14 centimes et demi par lieue de cinq kilomètres ; si l’on va jusqu’à Bruges, l’on paie 16 centimes, et 17 centimes sui l’on continue jusqu’à Ostende.
Vous voyez que, pour les grandes distances, ce tarif est conçu en raison inverse de ce qu’il devrait être.
La même chose existe pour la route de Liége.
Si vous allez à Louvain, vous payez 14 centimes et une fraction par lieue ; si vous poussez jusqu’à Tirlemont, vous payez 18 centimes ; si vous allez jusqu’à Ans, vous payez 18 centimes et demi.
Evidemment, à l’aide d’un semblable tarif, les grandes distances ne peuvent pas produire ; le tarif en ce point pêche par sa base.
Il est résultat un fait assez bizarre. Les voyageurs qui viennent en waggons d’Ostende à Bruxelles ne prennent leurs billets que pour Gand ; arrivés à Gand, ils vont prendre un autre billet pour Bruxelles, parce qu’ils gagnent à faire la route en deux fois…
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je vais dire pourquoi. Pour faire le trajet d’ici à Louvain, il a fallu tenir compte à ceux qui vont de Bruxelles à Louvain et à Gand de la circonstance qu’il y a un détour par Malines, c’est-à-dire qu’on a calculé le trajet de Bruxelles à Louvain et à Gand a peu près comme si on allait par l’ancienne route. Il n’a pas semblé nécessaire de tenir compte de cette circonstance lorsqu’on a dépassé Gand et Louvain.
M. Devaux – Je ne puis admettre ce motif. S’il faut tenir compte de ce détour pour Gand et Louvain, il faut évidemment en tenir compte pour Liége et pour Ostende. Si vous diminuez le prix des places pour Gand et Louvain, à raison de cette circonstance, il faut le diminuer pour Ostende et pour Liége.
Quoi qu’il en soit, si vous pouvez transporter les voyageur à raison de 14 centimes ½ par lieue jusqu’à Gand ou jusqu’à Louvain, je dis que vous devez les transporter à meilleur compte quand ils vont 10 ou 15 lieues plus loin. Si vous ne le faites pas, vous continuerez ce qui existe, c’est-à-dire que vous éloignez tous les voyageurs qui ne seront pas en état de payer 4 ou 5 francs pour aller vers un point éloigné, et autant pour le retour.
Il me semble que ce qu’il y a à faire est très facile. Que l’on augmente, si l’on veut, légèrement, sur les petites distances le prix du premier tarif ; qu’on paie, par exemple, une augmentation de cinq ou six centimes par kilomètre ; que sur une distance qui dépasse 10 kilomètres, l’on prenne un centime de moins par kilomètre ; que sur une distance qui ne dépasse par 50 kilomètres, et 100 kilomètres, on paie encore un centime ou un demi-centime de moins.
Alors vous rendrez les grandes lignes accessibles à la classe nombreuse. Si vous n’arrivez pas là, une partie des recettes sera perdue. L’on voit quelle influence le prix exerce, puisqu’il a suffi de l’élever d’un tiers pour diminuer le nombre des voyageurs dans une proportion plus forte encore. Si les grande distances étaient parcourues davantage, on retrouverait, sur le nombre, bien au-delà de ce qu’on sacrifie sur le prix.
Ce que je viens de dire s’applique aux waggons ; il y a dans les bases du tarif une autre erreur, quant aux voitures supérieures.
Le tarif est fait d’une manière mathématique ; l’on dit : Le waggon coûte autant, la diligence doit coûter le double, quel que soit le prix du waggon.
On a eu raison d’introduire la différence de voitures. Mais, si vous ne voulez pas que cela nuise à vos recettes au lieu de leur profiter, il ne faut pas que la différence des prix soit trop grande. Je conçois qu’une différence d’un franc ou d’un franc et demi ne fera pas préférer les waggons ou les chars-à-bancs. Mais avec le principe que l’on a posé, que la diligence doit payer, on arrive sur les grandes distances à des différences de 4 et de 5 francs entre les diligences et les waggons. Evidemment, c’est trop, et vous refoulez dans les waggons les personnes qui devraient aller dans les diligences. Avec ce principe, s’il y avait un chemin de fer, il pourrait y avoir une différence de 30 ou 40 francs d’une voiture à l’autre. A part la comparaison avec les autres voitures, les prix des diligences sont trop élevés sur les grandes distances ; on doit y perdre beaucoup.
Quand vous fixez à 8 francs les prix de la diligence sur la route de Bruxelles à Liége, et 10 francs sur la route de Bruxelles à Ostende, c’est trop, même pour les classes aisées. Dans ces classes, l’on voyage beaucoup par plaisir ; quand on voyage par plaisir, on voyage rarement seul ; il est rare qu’on en soit pas au moins deux. Pour aller en retour, cela fait 40 francs, sans ce qu’on dépense en route. Les voyages de plaisir deviennent ainsi un plaisir cher, comme autrefois ; c’est, dès lors, un plaisir qu’on se donne à de longs intervalles une fois par an peut-être et non plus une fois par mois.
Je crois donc qu’il faut, pour faire rapporter le chemin de fer, revenir à l’ancien tarif, l’élever un peu quant aux petites distances, et le réduire considérablement pour toutes les voitures sur les grandes distances.
Maintenant, il y a un autre obstacle qui s’oppose, je ne sais pourquoi, à ce que les grandes distances rapportent. Je veux parler des heures de départ. Sur les grandes lignes, et notamment sur la ligne des Flandres,, le chemin de fer fait gagner peu de temps au voyageur par le défaut de retours combinés. Pendant toute la période d’hiver, il n’y a eu par jour qu’un convoi d’Ostende et de Bruges sur Bruxelles, l’on ne pouvait pas retourner le même jour. D’après les nouvelles heures de départ, c’est encore la même chose. On laisse si peu de temps entre l’arrivée d’un convoi et le départ d’un autre convoi sur la même route, que le voyageur a à peine un moment pour se rendre en ville. Par exemple, le convoi d’Ostende arrive à Bruxelles vers midi, et je crois qu’à une heure et demie il faut repartir.
Si l’on maintient les départs pour la saisons d’été, les bains de mer d’Ostende qui pourraient rapporter beaucoup, rapporteront infiniment moins. Il faut que l’habitant de Bruxelles puisse aller à Ostende et en revenir le même jour. Sans cela, ce ne sera que la classé aisée qui pourra de temps à autre aller à Ostende, en y couchant. C’est comme si l’on augmentait de nouveau le prix des places, quand on oblige le voyageur à découcher. Par là on diminue encore le nombre des voyageurs de toutes les classes et surtout ceux appartenant à la classe peu fortunée qui font la plus grande masse. Quand un ouvrier découche, c’est une affaire importante pour lui, c’est une nouvelle dépense ajoutée au prix du trajet, et une journée de travail perdue.
Et cependant rien ne serait plus aisé que d’établir des correspondances entre des convois qui vont si exactement à l’heure.
Quant au transport des marchandises, j’exprimerai mes regrets de ce qu’on n’ait pas encore adopté un système définitif pour l’organisation de ce service, puisque nous votons, même d’après la recette du mois d’avril, que c’est là une ressource assez considérable, outre que ce serait d’une grande utilité pour le commerce.
Voici cinq ans que l’on essaie de diverses façons, et l’on n’est pas encore arrivé à quelque chose de positif. Le commerce se plaint, et avec raison, selon moi, de ce que le gouvernement ne veut pas se charger de toute l’entreprise et de ce qu’il a recours aux entrepreneurs de messageries, qui font une partie du bénéfice que le gouvernement pourrait partager avec le commerce.
On se plaint également de ce que le tarif est extraordinairement élevé pour les marchandises sur les grandes distances. Il est en outre calculé de telle façon que les entrepreneurs de messageries peuvent transporter sur le chemin de fer à meilleur compte que le gouvernement. Il paraît qu’il ne doivent payer que 50 p.c. de ce que paient les particuliers. Par conséquent, les particuliers s’adressent aux entrepreneurs qui transportent à meilleur compte que le gouvernement ; ce sont dès lors ces entrepreneurs qui font les bénéfices.
Ce qui intéresse tout autant que les recettes, ce sont les dépenses.
A mon avis, pour faire produire le chemin de fer, la première chose à laquelle on devrait penser, avant d’élever les tarifs, ce qui nuit au commerce et aux voyageurs, ce serait de diminuer les dépenses, ce qui ne nuirait à personne. Depuis que j’ai vu le gouvernement, cédant à la demande de quelques membres de la chambre, consentir à l’établissement de quatre ou cinq lignes à la fois, je n’ai pas eu grand espoir dans l’économie des dépenses. Mais enfin, puisqu’on n’a pas voulu marcher prudemment pour voir où on allait avant de faire de nouvelles constructions, puisqu’on a voulu faire de ce nouveau moyen de communication une affaire provinciale, qu’on apporte du moins toute l’économie possible dans les dépenses.
Je crois que le gouvernement est entré dans une voie assez coûteuse, quand il a accordé des stations intérieures aux villes ; les villes trouvaient assez d’avantages à avoir le chemin de fer à leurs portes pour attendre quelque temps qu’on pût examiner s’il y avait possibilité d’établir des stations intérieures. J’ai été amené à faire cette réflexion, en voyant que Bruxelles, qui a obtenu aux Bogards une station, qui nuira à l’exploitation du chemin de fer, car il en résultera une interruption dans la course des voyageurs ; j’ai été, dis-je, amené à faire cette réflexion, en voyant que Bruxelles venait d’obtenir une troisième station. Ce sont là des dépenses inutiles.
C’est trop de trois stations pour Bruxelles. Une grande et belle station serait préférable et coûterait moins. De grands embarras résulteront de ces stations éloignées l’une de l’autre.
Messieurs, j’entends de plusieurs côtés parler d’autres dépenses qui me paraissent peu nécessaires. Quand vous consultez des industriels entendus dans cette partie, presque tous sont frappés de la prodigalité qui règne dans certaines parties de l’administration : ce n’est pas que les traitement soient trop élevés, mais on fait avec un grand nombre d’ouvriers ce qu’on pourrait faire avec un nombre moindre ; Consultez des industriels de Liége, ils vous diront que les employés des ateliers de malines coûtent beaucoup plus qu’ils ne coûtent à Liége, qu’on y introduit cette espèce de grandiose qui a si mal réussi à l’établissement de Seraing.
Il ne faut pas s’étonner de ces choses ; c’est un résultat assez naturel de l’état actuel de l’organisation. Ce qui m’étonnerait, ce serait qu’il en fût autrement ; car on ne fait rien pour organiser l’administration de la dépense. Une administration qui préside à des dépenses si importantes et si diverses exige une constitution nouvelle, des efforts nouveaux. Je ne vois rien faire dans ce sens, tout le monde est intéressé à dépenser, personne n’est intéressé à faire des économies.
J’avais émis, il y a plusieurs années, l’idée qu’on pourrait aviser au moyen d’intéresser les fonctionnaires les plus influents au succès de l’entreprise au moyen d’un tantième dans les bénéfices. On m’a répondu qu’on en était encore à une époque d’essai et que ce projet serait trop difficile à exécuter. Je pense qu’en y songeant un peu on trouverait bien moyen de mettre l’intérêt des employés en jeu. A défaut d’autre moyen, j’en indiquerai un, un peu grossier peut-être, mais dont le succès cependant ne serait pas douteux. Je prendrais trois hommes intelligents et sûrs en dehors de l’administration et des ponts et chaussées ; je prendrais de ces hommes qui s’entendent en industrie, je leur donnerais trois mille francs de traitement fixe et une gratification indéterminée, en leur disant : Vous êtes chargés de me proposer des économies ; vous pourrez vous faire, par ce moyen, un traitement de 12 à 15,000 francs par an ; entrez dans les bureaux, faites vous remettre les livres, examinez toutes les parties de l’administration, parcourez toutes les sections du chemin de fer et voyez les économies qu’on peut y apporter. Votre traitement sera proportionné aux économies que vous me ferez réaliser. On obtiendrait ainsi d’introduire des économies très considérables. Une administration nouvelle nécessite une constitution nouvelle pour que l’économie y préside, il faut quelque chose qui remplace la vigilante surveillance qu’apporte l’intérêt privé dans tout établissement particulier.
En terminant ces observations, j’engagerai le gouvernement à commencer le plus tôt possible les travaux de la section qui doit mettre le chemin de fer en communication avec la Prusse, et surtout à commencer ces travaux du côté de la frontière de Prusse. Ce qui se passe en France à l’égard des compagnies de chemin de fer doit nous engager à ne pas avoir une confiance trop grande dans la durée des compagnies. Je regrette que la compagnie prussienne ait commencé ses travaux du côté de Cologne ; j’aurais préféré qu’elle commençât du côté de la Belgique. Il faut l’y exciter par notre exemple.
Je vous prie, messieurs, de ne voir dans mes observations que le désir de contribuer au succès du chemin de fer ; je regarderais comme un grand malheur tout ce qui pourrait le compromettre.
M. Mast de Vries – J’ai quelques observations à ajouter à celles qui vous ont été présentées. Lors de l’établissement du chemin de fer, toutes les localités devaient se lier avec les villes voisines. La cessation du service des diligences devait en résulter. La localité que j’habite était dans ce cas, nos diligences sur Malines cessèrent de marcher, le plus grand nombre des voyageurs allant prendre le chemin de fer à Duffel pour aller à Bruxelles ou à Anvers. Le nombre s’est considérable accru : de 12,000, il s’est élevé à 60,000. les anciennes diligences ont d’abord suffi pour transporter les voyageurs au chemin de fer, mais bientôt on a organisé un service d’omnibus pour tous les départs. Depuis que le tarif est changé, le nombre des voyageurs est tellement minime que les omnibus ne marchent plus, au moins pour chaque départ.
Une chose bien remarquable, c’est que M. le ministre des travaux publics a reçu de nouvelles demandes en concession de messageries sur Anvers et une demande en concession de service d’omnibus au chemin de fer de Malines. Il en résultera que le gouvernement qui percevait le transport de Duffel à Bruxelles et Anvers, ne le percevra plus que de Malines à Bruxelles, et dans la direction d’Anvers il ne recevra plus rien. L’augmentation des prix à pour résultat que le nombre des voyageurs suit maintenant la même progression descendante qu’il avait précédemment suivie en sens contraire.
Une autre observation que j’ai à faire, c’est que si le tarif du chemin de fer doit changer tous les jours, toute construction d’embranchement deviendra impossible. Chez nous un entrepreneur s’était présenté et avait demandé à établir à ses frais un embranchement, il calcule son entreprise sur le tarif du chemin auquel il se rattache et sur le nombre de voyageurs qu’il peut en obtenir ; mais si tout à coup le tarif change et que le nombre de voyageurs diminue, comment l’entrepreneur de l’embranchement remplira-t-il ses engagements ? Cette observation s’applique à un très grand nombre de localités où des projets semblables avaient été conçus, qui ont dû être abandonnés.
Je demanderai à M. le ministre s’il n’y aurait pas possibilité de diminuer le tarif, du moins pour les waggons, et de lui donner de la fixité. Pour les diligences, la chose n’est pas aussi importante.
Tous les jours, je parcours cette route de Duffel à Bruxelles, et j’ai pu voir sur la section de Duffel à Malines, que le nombre de voyageurs qui était parfois de 30 à 40 par convoi se trouve réduit à 3 ou 4.
M. de Langhe – Je ne répéterai pas les considérations qui ont été présentées par les honorable préopinants, je désirerais que M. le ministre pût y répondre victorieusement. Il en est une qui leur a échappé, c’est relativement aux plaintes du commerce concernant une disposition prise par le gouvernement, portant qu’aucune indemnité ne sera due pour les pertes de marchandises, quelle qu’en soit la cause. Cela empêchera le commerce de s’adresser directement à l’administration du chemin de fer ; il devra s’adresser à des entrepreneurs qui veilleront à ce que rien ne se perde et seront responsables. Je désire savoir pourquoi le gouvernement ne peut pas se charger de ce soin ; avec une bonne surveillance les pertes seraient rares, et on ferait beaucoup plus de transports par le chemin de fer, tandis que si le gouvernement n’est pas responsable des pertes, on fera très peu usage du chemin de fer, les négociants ne pouvant pas avoir un employé en permanence à la station pour voir s’il n’arrive rien à l’adresse de son patron.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je ne vois, dans les observations qui vous on été soumises par les préopinants, que le désir d’éclairer le gouvernement et de lui fournir les renseignements propres à améliorer l’administration du chemin de fer. Sous ce rapport, je remercie bien sincèrement ces honorables orateurs.
Il n’y a, selon moi, rien de définitif dans cette administration toute nouvelle, rien de définitif ni pour le transport des personnes, ni pour le transport des marchandises. Tout est à l’état d’expérience, et restera probablement longtemps à l’état d’expérience. Il ne peut en être autrement ; en effet la chose est toute nouvelle, et elle devient plus nouvelle encore en ce que c’est le gouvernement qui exploite le chemin de fer.
Mon intention n’est pas de discuter tous les détails qui viennent d’être indiqués. Je ne le ferai point, parce que telle observation qu’en ce moment je trouve peu fondée, sera peut-être très fondée quand l’expérience sera complète. Il est d’autres observations qu’au premier abord je trouve très fondées, et qui seront peut-être démenties par l’expérience. C’est que toutes réflexions sont à mes yeux plus ou moins des conjectures, parce que l’expérience n’est pas complète. Tel fait que l’on rattache à une seule cause se rattache à un grand nombre de causes qui n’ont pas été indiquées, et qui ne peuvent l’être.
Vous vous rappelez qu’à plusieurs reprises on avait demandé une augmentation du tarif. L’administration a cru devoir prendre cette mesure ; elle a pensé qu’il y avait lieu de faire cet essai. Cet essai a été fait ; mais le résultat n’est pas complet ; il faut attendre encore pour établir une comparaison entre les résultats anciens et les résultats nouveaux.
Il y a différentes causes qui peut-être expliqueraient pourquoi le tarif n’a pas produit les résultats qu’on avait espérés. Cependant il ne faut pas voir dans la question du tarif que le seul nombre des voyageurs ni même le montant directe des recettes. Il faut y rattacher la question des dépenses et la question des possibilités d’administration. Quant à la question des dépenses, je m’en occupe en ce moment. Je voudrais savoir jusqu’à quel point il y a diminution des dépenses, surtout quant à l’usure du matériel, par suite du nouveau tarif. Un second point est la question de possibilité d’administration. Vous savez dans quel chaos nous nous sommes trouvés l’année dernière. L’affluence des voyageurs était telle qu’il y avait impossibilité d’exploitation.
Il est donc très probablement résulté du nouveau tarif une diminution de dépenses quant au matériel et une grande facilité d’exploitation. C’est quelque chose que cette facilité ; car l’année dernière il y a eu des semaines, des mois où tout était dans l’incertitude. On partait de Bruxelles sans savoir si l’on arriverait et à quelle heure. Cette question de possibilité d’administration est d’autant plus importante en Belgique, que nos chemins de fer, à la différence de ceux d’Angleterre, sauf la section de Bruxelles à Anvers, sont à une seule voie, ce qui fait naître un problème très difficile d’exploitation. Les ingénieurs anglais ne comprennent pas même comment on pouvait exploiter un chemin de fer à une seule voie et transporter tant de voyageurs.
Ces observations, je ne les fais pas pour détruite les indications données par M. Devaux ; ma prétention ne va pas jusque-là. C’est seulement pour vous indiquer pourquoi l’administration, dans cette affaire toute expérimentale, n’a encore rien arrêté définitivement.
C’est aussi parce qu’il n’y a qu’une seule voie que le règlement des heures prête à tant d’objections ; avec deux voies, rien ne serait plus facile.
Ainsi, je ferai mon profit des observations qui ont été présentées. Je ne fais pas de la question d’exploitation une question d’amour-propre.. Quand un fait quelconque nous révèle une amélioration, nous accueillons toujours la mesure avec empressement./
Je crois que prochainement un travail complet sur l’exploitation faite dans ces derniers temps pourra être préparé. Ce travail vous sera probablement soumis pendant la session prochaine.
Si dans l’intervalle les faits qui ont été signalés étaient complètement vérifiés, l’administration n’hésiterait pas à revenir sur la mesure, soit en revenant à l’ancien tarif, soit en prenant un moyen terme et l’ancien et le nouveau tarif.
J’ignore en ce moment ce qui reste à faire à cet égard ; le temps nous le dira.
M. Desmet – Il y a un fait qu’on ne saurait nier, c’est que depuis que le tarif est augmenté, il y a diminution de voyageurs. Je ne me plains pas de ce que le nouveau tarif soit trop élevé pour les chars-à-bancs et les diligences, mais je crois qu’il y a lieu de réduire le prix des waggons.
On s’est plaint de ce que les travaux du chemin de fer coûtent si cher ; pour moi, je me plaindrai de ce que ces chemins ne sont pas très bien faits. M. le ministre des travaux publics a fait un voyage en Allemagne, il a vu avec quel soin on y construit les chemins de fer. Là ce n’est pas du bois du Canada, du bois tendre qu’on emploie, c’est du bois de chêne.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Parce qu’on en a.
M. Desmet – Je puis vous assurer qu’il y en a en Belgique plus qu’il n’en faut pour les chemins de fer. Vous serez obligés un jour de refaire tous les chemins de fer et de remplacer votre bois tendre par du bois de chêne ; c’est alors que la dépense sera considérable.
J’appellerai aussi l’attention de M. le ministre sur l’insuffisance des remorqueurs. Il n’y a guère longtemps que dans un trajet de Bruxelles à Gand, trois fois les remorqueurs ont manqué ; nous avons eu un retard de quatre heures, ce qui n’aurait pas eu lieu s’il y avait eu des remorqueurs de réserve dans les stations.
On a dit tout à l’heure que le nombre des voyageurs diminue, et cela est vrai ; cependant j’appellerai l’attention de M. le ministre sur une autre observation : Il faut que le gouvernement avise à ce qu’on ait dans tout le pays des moyens de transport, et il est certain que depuis que nous avons une seule ligne de chemin, toutes les autres routes sont abandonnées par les messageries. L’année dernière, quand j’ai dit que tout le monde devrait avoir équipage, on a ri ; cependant rien n’est plus vrai ; il n’y a plus de service de messagerie sur les routes de manière qu’il faut aller à pied ou avoir équipage. Je crois que le moyen que le gouvernement pourrait employer pour obvier à cela serait d’accorder un subside aux villes pour qu’elles construisent des embranchements. On va bien au secours des canaux qui ont perdu, à plus forte raison doit-on venir au secours des villes.
M. Pirmez – Vous vous rappelez sans doute que j’ai combattu, en proposant un amendement, deux stations à Bruxelles. Aujourd’hui on reconnaît que la station des Bogards est de luxe, superflue ; mais ce n’est pas là, à mes yeux, son principal défaut ; c’est qu’elle établit un solution de continuité dans le chemin de fer pour favoriser Bruxelles. Lors de la discussion on a avoué hautement que l’on voulait favoriser Bruxelles de cette manière, et il a été démontré que cette faveur serait un grand mal pour le pays. On a répondu que la solution de continuité n’aurait pas lieu, que la jonction se ferait ; mais je pense qu’on l’attendra longtemps, et qu’il y aura réellement solution de continuité ; un bien pour Bruxelles, si vous le voulez, mais un grand mal pour le pays.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La jonction se fera ; elle est dans l’intention du gouvernement ; elle est indiquée dans les plans qui vous sont connus.
La nécessité de la station des Bogards est devenue plus évidente encore depuis l’époque où la chambre s’en est occupée ; car depuis il a été décidé, en vertu des pouvoirs que le gouvernement a trouvés dans la loi du 27 mai 1837, que le chemin de fer de Namur se rattacherait à la ligne du midi. Il y aura donc un système de chemin de fer au midi, dont l’exploitation ne serait pas possible pour Bruxelles seul sans une station spéciale.
On a été longtemps dominé par une idée de centralisation, on a cru qu’il était nécessaire de tout centraliser dans une seule station. Eh bien, alors qu’on regarde la centralisation comme indispensable en Belgique, en Angleterre, au contraire, on s’efforce de décentraliser pour simplifier.
Comme je l’ai dit en commençant, la jonction aura lieu, et si elle n’a pas lieu immédiatement, elle restera toujours possible. Du reste ce qui a été dit à ce sujet dans la discussion subsiste toujours.
Le gouvernement doit présenter aux chambres un rapport annuel sur le chemin de fer. Ce rapport vous sera présenté, et alors la chambre pourra se rendre compte des différents actes du gouvernement quant à la construction et à l’exploitation du chemin de fer.
M. F. de Mérode – Messieurs, si on a réclamé une augmentation de péage sur les chemins de fer, c’est parce qu’on a fait observer que les dépenses qu’ils occasionnent ne seraient pas couvertes par leurs recettes. Puisque c’est le trésor qui doit payer l’augmentation de la dépense, il est bien naturel que l’on cherche les moyens de décharger le trésor.
Je mets en fait qu’il y a en Belgique les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des contribuables qui ne vont pas sur le chemin de fer, est-il raisonnable qu’ils paient pour que les autres voyagent par le moyen de la vapeur ? Il faut absolument que le ministre des travaux publics balance les recettes et les dépenses. Au reste, à force de faire valoir les chemins de fer, on détruit les autres moyens de communication dans le pays, et il arrive que les localités qui avaient des diligences n’en ont plus. Si des voitures pouvaient s’établir en concurrence avec le chemin de fer, ce n’est pas un inconvénient, c’est un avantage, puisque les localités y trouvent des ressources. Je ne vois pas ce qu’il y a d’avantageux à ruiner les entrepreneurs de diligences. Ce qu’il faut, c’est que le chemin de fer rapporte le plus possible, et que le plus grand nombre ne soit pas obligé de payer pour qu’un petit nombre se serve de cette voie de communication.
M. A. Rodenbach – J’ai dit l’année dernière qu’il y aurait déficit dans le chemin de fer, et bientôt on en aura la conviction. Je ne suis pas de l’avis de l’honorable membre, qui veut que l’on continue l’essai ; l’expérience d’une année suffit. Ce que le ministre doit prendre en grande considération, c’est d’achever les chemins de fer qui doivent rapporter beaucoup. (erratum, Moniteur du 23 mai 1839 : ) Celui de Gand à Courtray est de ce nombre, et on n’y a pas assez travaillé cet hiver, en sorte que l’on perdra toutes les recettes de la belle saison, puisqu’il ne sera ouvert qu’en septembre.
M. Rogier – Messieurs, un des honorables préopinants a dit que ce qu’il fallait obtenir du chemin de fer, c’est qu’il rapporte le plus possible ; je suis parfaitement d’accord avec ce qu’il faut entendre par les revenus du chemin de fer. D’après un préopinant, les chemins de fer auraient été institués pour transporter beaucoup de voyageurs et beaucoup de marchandises. Toutes modifications dans la législation ou dans l’administration de ces chemins de fer, qui tendraient à restreindre ce transport, iraient contre la pensée qui a présidé à leur érection. Je suis loin de trouver mauvais que le ministre des travaux publics, bien qu’il n’y ait pas été excité par un grand nombre de membres, ait essayé des changements dans les tarifs ; cependant je doute que le moment ait été bien choisi ; je regrette qu’il n’ait pas attendu l’effet de l’ouverture de dix sections. On voit que les recettes comparées aux voyageurs allaient en augmentant à mesure qu’on ouvrait de nouvelles sections. On a fait un essai que j’appellerais déplorable puisqu’il a eu pour résultat de supprimer 72,000 voyageurs par mois.
Un membre – Il faut attribuer cette diminution à la crise commerciale.
M. Rogier – La crise commerciale est une excuse ridicule ; cette crise ne s’est pas fait sentir sur les clases qui voyagent. Les ouvriers, les paysans sont privés maintenant du chemin de fer.
Je ne sais par quel aveuglement on a voulu ôter à l’administration un grand moyen de force et de popularité. Je ne crains pas, quant à moi, qui parcours le chemin de fer, la cohue dont un préopinant a paru se plaindre ; cette cohue ne donne lieu à aucun désordre. On a remarqué au contraire que les classes populaires, quand elles sont sur le chemin se montrent satisfaites et paisibles et comme pénétrées de la grandeur de l’entreprise. Je ne crains pas que le peuple se déplace. Sous le point de vue moral, il vaut mieux que le peuple voyage le dimanche que de le voir se renfermer une partie de la journée dans les cabarets. Messieurs, j’espère donc que le malheureux essai d’augmentation de tarif qui a été tenté ne sera pas continué plus longtemps. Si, en votant la loi en discussion, je présumais consacrer ce tarif augmenté, je donnerais un vote négatif.
Il est une observation de M. de Langhe sur laquelle je dois insister. Je ne comprends pas comment l’administration ne se sent pas en position d’offrir des garanties pour les marchandises, tandis que des particuliers offrent cette garantie : s’il est une administration publique qui puisse présenter des garanties, n’est-ce pas celle du chemin de fer ? Je demande ce que le gouvernement peut avoir à craindre ? Est-ce que les marchandises peuvent se perdre ou se prendre ? La rapidité du transport est un obstacle à ce qu’on les enlève, quand elles arrivent dans les stations : elles sont entourées de nombreux surveillants et d’agents de police ; leur soustraction est presque impossible. Je serais d’autant plus étonné que l’administration se refusât à garantir les marchandises quand je la vois se charger de transporter des choses bien autrement délicates.
C’est le ministre des travaux publics qui a dans ses attributions le transport des lettres, qui sont remises avec beaucoup d’exactitude à chacune des personnes auxquelles elles sont adressées ; eh bien, messieurs, c’est là une chose d’un très grand importance, une chose extrêmement délicate, et je ne sais pas pourquoi l’administration ne pourrait pas, de la même manière, faire remettre au domicile de chacun des destinataires des ballots de marchandises.
Malheureusement les choses sont organisées de manière que tous les avantages sont pour les entreprises particulières et tous les désavantages pour le gouvernement ; lorsque les particuliers s’adressent à l’administration, ils doivent payer beaucoup plus cher qu’aux messageries ; je ne sais pas si, abondant dans le système qui a été annoncé tout à l’heure, on a eu pour but d’assurer le maintien des entreprises de messageries, je ne le pense pas, je crois qu’on veut faire rapporter au chemin de fer le plus possible et surtout lui faire rapporter le plus d’avantages possibles pour le commerce, mais cependant les choses sont organisées de telle manière que tout est à l’avantage des entrepreneurs de messageries, tandis que le gouvernement et le commerce sont privés des avantages que le chemin de fer leur promettait.
J’espère que M. le ministre des travaux publics ne verra rien dans mes observations qui puisse lui être personnel ; je suis un des premiers à reconnaître son zèle et son désir, peut-être quelquefois poussé trop loin, de satisfaire à tous les vœux, à toute les exigences ; quant à sa capacité, messieurs, nul plus que moi n’y rend hommage ; je le répète donc, il n’y a rien de personnel dans les observations que j’ai présentées et dont je me serais abstenu si je n’avais voulu, pour ma part, détruire l’effet des observations de l’honorable comte de Mérode.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je suis entièrement de l’avis de l’honorable préopinant lorsqu’il dit que le chemin de fer doit avant tout être considéré comme un grand bienfait national, et non pas comme une spéculation telle que pourrait en faire une compagnie ; néanmoins le chemin de fer a été créé pour être exploité, et il faut aussi prendre en considération la possibilité de l’exploitation. Je rappellerai à cet égard ce qui est arrivé en septembre dernier : vous n’avez connu, messieurs, que les conséquences en quelque sorte extérieures de l’exploitation, mais tous les détails intérieurs, tous les embarras de l’administration vous sont inconnues ; presque le quart du matériel était hors de service à la fin du mois de septembre, et nous n’aurions pas pu exploiter le chemin de fer pendant plusieurs mois comme il l’a été alors, parce que le matériel nous aurait manqué.
Il faut donc attirer sur le chemin de fer le plus de monde possible, mais en ne dépassant pas, cependant, la limite de ce qu’on peut transporter, car il ne suffit pas de faire venir des voyageurs aux bureaux, il faut encore qu’il soit possible de former des convois et de les faire marcher avec régularité.
En répondant tout à l’heure aux observations qui avaient été faites, je suis resté dans les limites du doute, je reste dans les mêmes limites et j’aurais désiré que les honorables préopinants y fussent également restés, car, selon moi, l’expérience n’est pas encore complète. Certainement si je n’avais égard qu’au nombre des voyageurs, je conviendrais que les résultats du nouveau tarif sont fâcheux, mais je ne les envisage plus entièrement comme tels si, avec un nombre moindre de voyageurs, nous avons obtenu les mêmes recettes ; or, si je pouvais entrer dans tous les détails de l’exploitation, je prouverais que probablement il n’y a pas de diminution dans les recettes et qu’il y a, d’un autre côté, diminution de dépenses, que le matériel se trouve en bon état et qu’enfin il y a possibilité d’exploitation. Voilà, messieurs, comment il faut poser la question pour la poser d’une manière complète.
Je suis loin de dire cependant que le nombre des voyageurs ne soit pas extrêmement important ; j’ai vu avec beaucoup de peine cette diminution du nombre des voyageurs ; j’ai vu avec beaucoup de peine qu’il n’y a presque plus de voyageurs dans certaines stations intermédiaires et je crois qu’il faut trouver un moyen de remédier à ce changement ; je crois que le chemin de fer doit, autant que possible rester accessible aux classes inférieures de la société, mais j’accepte le problème dans son entier, et je ne puis pas le restreindre à un seul côté de la question, je ne puis pas renfermer le problème tout entier dans une seule question, celle du nombre des voyageurs.
Les détails qui ont été soumis à la chambre feront l’objet de mon attention sérieuse ; je me proposais d’ailleurs, dès que j’en aurai le loisir, dès que la session sera close, d’examiner de la manière la plus attentive, la plus impartiale les résultats de la dernière expérience, et s’il faut revenir sur la mesure on y reviendra sans faire de cette question importante une question d’amour-propre.
M. Dumortier – Messieurs, lorsque la chambre a décidé la construction du chemin de fer, je conçois qu’elle n’ait pas eu en vue d’en faire une ressource pour le trésor, mais elle a eu certainement en vue que le chemin de fer couvrît ses propres dépenses. Voilà ce que l’honorable député d’Anvers devrait ne point oublier. Or, il est incontestable que le chemin de fer ne pourra pas couvrir ses dépenses s’il continue à marcher comme l’année dernière, parce que le prix était trop bas et que le grand nombre des voyageurs donnait lieu à une dépréciation considérable du matériel à une consommation extraordinairement grande de combustible, à des dépenses en un mot, qui étaient hors de toute proportion avec les recettes. Je pense donc, messieurs, qu’on a parfaitement bien fait d’augmenter le prix du transport, et cette modification est d’autant plus heureuse que, suivant M. le ministre des travaux publics, les produits du chemin de fer n’ont pas diminué.
Remarquez, messieurs, que les parties du chemin de fer actuellement en exploitation sont précisément celles qui ont coûté le moins en frais de construction et qui rapportent le plus parce qu’elles mettent en contact les populations les plus considérables. Or il est démontré que malgré des circonstances si favorables le chemin de fer couvrait à peine les dépenses ; que serait-ce donc lorsqu’on aura construit les sections dont la dépense doit être immense, comme par exemple celle qui doit commencer à Ans pour finir à la frontière de Prusse ? Vous vous rappelez, messieurs, qu’il a été déclaré dans une précédente discussion que cette section coûterait à elle seule presqu’autant que tout le chemin de fer qui est aujourd’hui en exploitation ; il y aura donc de ce chef un déficit considérable, et si, après cela, il doit encore y avoir déficit sur les autres sections, il est évident qu’alors le chemin de fer deviendrait une véritable lèpre, un chancre pour l’état ; c’est ce qu’il faut éviter, et pour cela il faut faire en sorte que le chemin de fer puisse couvrir ses dépenses.
Et vous qui venez vous plaindre du prix trop élevé, selon vous, du transport par le chemin de fer, avez-vous perdu de vue tous les avantages que cette voie de communication vous procure ? Autrefois, pour venir d’Anvers à Bruxelles, il vous fallait un jour, aujourd’hui une heure vous suffit, indépendamment de cela vous avez une réduction considérable sur le prix, et vous n’êtes pas encore satisfait ! Il me semble, messieurs, que si le prix du transport par le chemin de fer était aussi élevé que le prix des diligences, on devrait encore être très satisfait, puisque la célérité avec laquelle on voyage, constitue un avantage immense.
On vous a parlé des avantages que le chemin de fer procure aux populations, on est allé jusqu’à dire qu’il doit établir l’égalité et la liberté. Je répondrai à cela que je suis tout aussi partisan du bonheur du peuple que l’honorable député d’Anvers, mais que le peuple de la Belgique n’est pas renfermé tout entier entre Anvers et Bruxelles ; le peuple est répandu sur toute la surface du territoire, et il ne faut pas que la Belgique tout entière paie les impositions pour faire aller en voiture, très lestement, le peuple qui se trouve entre Bruxelles et Anvers.
Il faut, messieurs, en revenir à cet axiome de bon sens, que le chemin de fer doit couvrir ses dépenses. Je dirai même que si le chemin de fer pouvait donner un léger bénéfice ce serait encore un véritable avantage, dès l’instant où la position des voyageurs ne serait pas plus mauvaise qu’avant l’établissement de cette communication. Je ne sais donc pas, messieurs, comment on a pu faire un reproche à M. le ministre des travaux publics du nouveau tarif qu’il a établi.
D’ailleurs, messieurs, l’argumentation qu’on a faite pêche par sa base puisqu’il n’y a pas encore de moyen certain d’apprécier les résultats obtenus ; le nouveau tarif est établi depuis deux mois, et c’est précisément pendant ces deux mois que la crise financière a arrêté toutes les affaires ; laissez renaître la prospérité et lorsque vous vous trouverez dans des circonstances analogues à celles où nous étions l’année dernière, faites alors des comparaisons ; mais ne venez pas nous présenter des statistiques qui pêchent par leur base et qui ne tiennent aucun compte des circonstances.
Le fait qui nous a été signalé par M. le ministre des travaux publics, que malgré la grande diminution du nombre des voyageurs, les produits du chemin de fer n’ont cependant pas diminué, ce fait, messieurs, me semble suffisant pour répondre à toutes les objections qui ont été faites. Si, au milieu des circonstances fâcheuses dans lesquelles le tarif a été fait, la position de l’Etat n’est pas empirée évidemment, cette position s’améliorera lorsque les circonstances seront devenues favorables.
Je regrette que le gouvernement n’ait pas pressé l’exécution des parties du chemin de fer qui doivent rapporter beaucoup, car ce sont ces parties qui doivent couvrir les dépenses qui nécessitent les autres. Un de ces embranchements qui produiront beaucoup, c’est la section de Gand à Courtray ; je regrette que l’exécution de cette partie du chemin de fer éprouve tant de retard…
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Elle n’éprouve aucun retard.
M. Dumortier – Eh bien, je m’en félicite.
D’ailleurs, il serait à désirer que le gouvernement fît en sorte d’augmenter le revenu du chemin de fer. Sans vouloir me prononcer formellement sur la question, je suis porté à croire avec l’honorable M. Rogier, que le gouvernement devrait se charger seul du transport des marchandises, car ce transport doit rapporter beaucoup. Je voudrais aussi qu’on effectuât un autre transport qui est très productif en Angleterre. Je veux parler du transport des bestiaux. L’organisation du service pour ce transport n’exigerait qu’une faible dépense.
Je dirai deux mots sur un objet qui a déjà été touché par d’autres orateurs. Je veux parler de la dépense inutile qui va résulter de la nouvelle station aux environs de Bruxelles. Je ne comprends pas le but d’une pareille dépense. C’est une véritable dilapidation des deniers publics. Il importe assez peu aux habitants de Bruxelles d’aller prendre le chemin de fer à l’endroit où sera établie la nouvelle station, ou d’aller le prendre à l’endroit de la station actuelle. J’aurais compris l’utilité de la dépense, s’il se fût agi d’une nouvelle station au centre de la capitale. Une de ces stations est destinée aux voyageurs, et l’autre aux bagages et aux marchandises. Il va en résulter une gêne considérable…
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Le voyageur porte son bagage avec lui.
M. Dumortier – Dans certains cas, c’est possible ; mais quand le bagage est un peu fort, on l’assimile à des marchandises.
Enfin, qu’à cela ne tienne, la question principale est celle-ci : il existait une station dont tout le monde était content. Une société particulière, pour faire de bonnes affaires, est venue proposer de faire une nouvelle station. Le ministre adopte à l’instant le plan de cette société et met à la charge de l’état une somme considérable. Je ne pense pas que les crédits que nous mettons à la disposition du gouvernement soient votés avec une telle extension que le ministre puisse les dépenser comme bon lui semble. La loi a ordonné que les chemins de fer aboutissent à Bruxelles, ils y aboutissent ; il faudrait dès lors une nouvelle loi pour l’établissement d’une nouvelle station. Je ne conçois donc pas comment le ministre a pu faire une dépense aussi considérable sans y être autorisé par la législature, et je suis convaincu que si le ministre s’était adressé à la législature, elle lui aurait répondu par un refus.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je sais très bien qu’en prenant la résolution dont vient de parler l’honorable préopinant, les apparences seraient d’abord contre moi ; mais je savais aussi qu’en donnant les renseignements nécessaires sur la question, les apparences tomberaient bien vite, et qu’on comprendrait facilement la décision.
La station qui existe à l’Allée-verte n’est pas la station complète, telle qu’elle avait été projetée. D’après les plans existants, destinés à compléter cette station, il aurait fallu acquérir beaucoup plus de trois hectares. Savez-vous ce que coûté un hectare, à côté de la station actuelle ? plus de 400,000 francs.
Eh bien, il s’est présenté une compagnie (sans doute pour faire une spéculation de son côté, en quoi on ne peut lui donne tort) qui a offert au gouvernement de lui donner le terrain nécessaire pour établir en quelque sorte une bifurcation c’est-à-dire une deuxième division de la station qui serait exclusivement consacrée aux voyageurs. Cette compagnie lui a demandé, pour neuf hectares de terrain, 400,000 francs, c’est-à-dire le tiers environ de la somme qu’il eût fallu dépenser de l’autre côté pour l’agrandissement projeté.
Ce n’est pas une chose bien extraordinaire que de diviser ainsi les stations en stations pour les voyageurs, et en stations pour les marchandises. Cela se fait en Angleterre, et il est sans doute permis de citer l’Angleterre dans une pareille question. La station à Londres du chemin de fer de cette ville à Birmingham est partagée en deux. La station des voyageurs est à Londres même, la station pour les marchandises est au canal du régent, à un demi mille à peu près de Londres, mais toujours aux abords de cette ville.
L’on a parfaitement compris qu’il y avait économie et facilité à décentraliser l’administration. L’on a aussi compris qu’il serait très désagréable pour les voyageurs s’il y avait confusion complète pour les stations. Je ne sais si quelques-uns d’entre vous ont vu, l’hiver dernier, à la station de l’Allée-Verte, arriver du poisson par exemple, avec des convois de voyageurs.
Il est absolument impossible de confondre ainsi les marchandises avec les personnes, à moins d’avoir un terrain immense, comme celui de Malines, terrain qu’on ne peut plus trouver à Bruxelles, au point où en sont les choses. Si l’on avait pu tout prévoir, l’on aurait probablement acheté en 1834 tout le terrain qui se trouve entre l’Allée-Verte et la route de Laeken. On aurait fait alors une chose extraordinaire qui aurait étonné tout le monde, et la dépense aurait été justifiée par l’expérience. L’on n’a pas pu prévoir l’immense développement que prendrait le chemin de fer ; on a acheté rigoureusement ce qu’il fallait. L’on a bientôt reconnu qu’on n’avait pas assez, et il est arrivé que pour s’étendre quelque peu, on était obligé d’acheter à des prix extraordinaires des terrains auxquels l’établissement même du chemin de fer a contribué à donner une aussi grande valeur.
Ainsi, messieurs, je crois que la mesure qui a été prise par l’administration, est beaucoup plus facile à justifier que ne le suppose M. Dumortier. Du reste, je ne pense pas que la question de la construction du chemin de fer se rattache d’une manière rigoureuse à la loi que nous discutons, et qui est relative à l’exploitation. J’ai néanmoins suivi l’honorable M. Dumortier dans sa digression. Je me réserve d’entrer dans de plus grands détails à cet égard dans le prochain rapport que je dois présenter à la chambre. Toutes les pièces seront publiées, entre autres le tableau comparatif de ce qu’eût coûté la grande station de l’Allée-Verte, et de ce que coûtera la bifurcation projetée en ce moment. La chambre pourra alors juger en connaissance de cause.
M. Lardinois – Je pourrais me dispenser de prendre la parole, car il ne s’agit que de rectifier un fait absurde qui a été avancé avec une grande assurance par M. Dumortier. Mais comme il a aussi voulu jeter de la défaveur sur la section du chemin de fer de Liége à la frontière prussienne, je lui dois un mot de réponse.
L’honorable M. Dumortier ose vous dire que cette section coûtera autant que les dépenses faites jusqu’à ce jour pour tous les chemins de fer, et vous savez que ces dépenses s’élèvent à trente millions environ.
En passant dernièrement à Liége, j’ai été voir M. l’ingénieur Simons. Cet honorable fonctionnaire, qui a fait les études complètes de la section de Liége à la frontière prussienne, m’a assuré que cette partie coûterait à peu près sept millions. Ce chiffre s’éloigne de beaucoup de celui de M. Dumortier, comme aussi de l’exagération d’un honorable interrupteur qui vient de dire que cette section coûterait quatre millions par lieue.
Je conviens que cette section présente beaucoup de difficultés et qu’elle coûtera beaucoup d’argent ; mais qu’on se rassure, elle couvrira ses dépenses parce qu’il est probable qu’elle sera très animée. Je pense que le transport des marchandises suffira seul pour payer ces dépenses, car la station de Verviers deviendra l’entrepôt général des marchandises venant de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France et d’autres pays.
A entendre certains membres de cette chambre, il me semble que l’on méconnaît l’importance du district et du commerce de Verviers. L’on doit savoir cependant que son industrie n’emploie que des marchandises pondéreuses , telles que laine, fer, houille, huile, drogues de teinture, etc. Rien que pour la houille, nous payons annuellement quatre cent mille francs pour le transport. Nous comptons, par le chemin de fer, faire une économie sur le transport des marchandises ; mais ce bénéfice que fera le commerce ne doit-il pas être également attribué au chemin de fer et ne profite-il pas au pays ? En y réfléchissant, vous conviendrez, messieurs, que le chemin de fer produit aussi des revenus indirects. Au reste, je suis d’avis que les tarifs du transport par le chemin de fer doivent être calculés de manière à couvrir les dépenses.
Je dirai avec M. le ministre des travaux publics que nous n’en sommes encore qu’à des essais, que nous ne faisons qu’expérimentés. Pour juger sainement des résultats du chemin de fer, il faudrait que le tronc principal fût achevé, et c’est pourquoi j’engage de nouveau le ministre à faire achever ce chemin d’Anvers à l’Allemagne ; c’est seulement alors que vous pourrez apprécier, par les résultats, ce nouveau système de communication.
Une députation de la ville de Verviers a eu l’honneur d’être reçue aujourd’hui par M. le ministre, qui a promis de s’occuper de suite de la section de Liége à la Prusse. Je l’engage donc à réaliser ses bonnes intentions. Il sait que le directeur du chemin de fer de Cologne est ici pour engager le gouvernement à faire cette section, parce que autrement on sera obligé d’arrêter les travaux une fois arrivés à Aix-la-Chapelle.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je n’ai jamais dit que j’allais m’occuper de la section dont vient de parler l’honorable préopinant, ce qui ferait supposer que le gouvernement ne s’en est pas occupé jusqu’à présent. Le gouvernement n’a jamais cessé de s’en occuper. Je ne veux pas répéter ce que j’ai dit dans une autre séance, où j’ai parlé des grandes difficultés qu’elle présentait. Je crois qu’heureusement nous touchons à un dénouement. Les études sont arrivées à ce point qu’on peut exprimer cet espoir sans crainte d’être démenti. Je crois entre autres qu’on pourra prochainement adjuger les deux extrémités du chemin qui offrent le moins de difficultés. Une de ces extrémités touche à la frontière de Prusse ; nous prouverons par là que nous allons à la rencontre de la Prusse.
M. Demonceau – Je ne me proposais de prendre la parole dans cette discussion, mais j’ai été peiné en entendant M. Dumortier dire qu’il fallait achever d’abord les sections devant produire beaucoup, et que sous ce rapport la section centrale vers la frontière de Prusse était inférieure à celle de Courtray. (Plusieurs voix : Non ! non !)
Je ne sais si j’ai bien compris l’honorable membre, mais je tiens à ce qu’une pareille idée ne s’accrédite pas. J’ai demandé la parole parce que je n’ai pas vu réfuter les observations de M. Dumortier quand il a exagéré les dépenses de la section de Verviers.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je l’ai arrêté aussitôt.
M. Demonceau, continuant – J’avais cru que M. le ministre rassurerait la chambre et le pays. Je sais que cette section coûtera beaucoup, mais quand elle sera achevée, on peut être sûr que les frais d’entretien seront peu de chose à cause de la grande solidité du sol. Ils seront moindres que sur la section de Bruxelles à Liége. Une fois établi sur le roc, les travaux ne se dégraderont pas. Si vous tenez compte de cette circonstance, vous trouverez très peu de différence entre les dépenses auxquelles donneront lieu les deux sections.
Vous pouvez être aussi certains que l’achèvement de la section vers la Prusse rendra toute la ligne beaucoup plus productive, parce qu’alors vous pourrez transporter d’Ostende et d’Anvers, de la mer et de l’Escaut, les marchandises à la frontière de Prusse. Je suis charmé que M. Dumortier lui-même ait reconnu que le transport des marchandises serait très productif. C’est surtout par ce transport que la section de Verviers sera productive, il suffit, pour s’en convaincre, de considérer les relations de Verviers avec Liége et Aix-la-Chapelle.
Nous recevons toutes nos laines d’Allemagne et nos houilles de Liége. Cependant le gouvernement a l’air de ne pas oser entreprendre cette section. Il a tort de reculer devant l’adjudication. J’étais tranquille, parce que dans une séance précédente le ministre avait pris des engagements ; mais je vois avec peine qu’il ne s’y est pas conformé. Je le déplore, parce qu’on aurait toujours pu construire les ponts, ce qui est très facile en été, la Vesdre étant alors à sec tandis que dans la saison des pluies le travail devient extrêmement difficile.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je n’ai rien rétracté de ce que j’avais dit. C’est à tort qu’on a pensé, je le répète, que le gouvernement ne s’occupait que depuis quelques jours de la section de Verviers, car il ne l’a jamais perdue de vue depuis que la loi existe.
M. Devaux – L’honorable M. Dumortier et le ministre lui-même ont dit qu’il n’y avait pas eu de déficit en argent dans la recette depuis le changement du tarif. Eh bien, quant à la recette brute, il y a un déficit de 37 mille francs dans le mois d’avril, en prenant le point de comparaison adopté par le ministre lui-même au mois d’octobre. Il ne s’agit pas de la recette brute, me dit M. le ministre, mais le produit net, pour le connaître, il faut attendre les renseignements qui nous seront fournis à la fin de l’année. Et à cet égard, j’ai des doutes.
D’abord, les traitements fixes ne seront pas diminués. Une locomotive pour cinq waggons coûte autant que pour dix. On a parlé aussi de la dégradation du matériel et de l’impossibilité pour l’administration de transporter un grand nombre de voyageurs. Je ne comprends pas cette impossibilité, je ne conçois pas qu’on ne puisse pas transporter plus d’un certain nombre de voyageurs, quand on a un matériel suffisant pour le faire.
Je ne conçois pas la dégradation qui peut en résulter ; on ne transporte qu’un certain nombre de personnes par waggon, et on ne remorque qu’un certain nombre de waggons par locomotive.
Il est à désirer que le chemin de fer couvre ses frais ; il faut faire ses efforts pour cela, mais ceux qu’on a faits jusqu’ici sont en sens contraire. Je n’admets pas cela, cependant, comme principe rigoureux. Je ne dis pas que le chemin de fer doit nourrir le chemin de fer, comme César disait que la guerre doit nourrir la guerre ; car le chemin de fer, comme on l’a fait observer présente des avantages indirects.
M. Dumortier – C’est bien à tort que les députés de Verviers se sont donné tant de peines pour défendre leur chemin de fer. S’ils connaissaient l’opinion de chacun de nous, ils verraient que nous sommes pénétrés de son importance et ne nous accuseraient pas de donner la préférence à une autre section sur celle-là. Je me suis borné à dire qu’il eût été à désirer qu’on mît d’abord en adjudication les chemins productifs et d’une exécution facile. Celui de Verviers aura 22 ponts, deux plans inclinés et 4 ou 5 percées considérables ; c’est ce qui a fait dire qu’il ne couvrirait pas ses dépenses. La chose est même d’une impossibilité absolue ; nous n’en sommes pas moins convaincus qu’il faut l’exécuter.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il n’y aura qu’un plan incliné et peut-être n’y en aura-t-il pas du tout, preuve qu’on a bien fait de continuer les études.
M. Dumortier – Si j’étais du district de Verviers, je préférerais qu’on continuât les études un an et même deux plutôt que d’avoir des plans inclinés pour sortir de chez moi ou y rentrer.
L’essentiel est que le chemin de fer couvre ses frais. Aujourd’hui le produit se trouve peu réduit par les frais d’entretien, parce que le matériel est neuf et cependant le chemin de fer couvre à peine ses dépenses. Que ferez-vous quand il faudra renouveler une partie de ce matériel ? Il est démontré en Angleterre que la grande augmentation du nombre des voyageurs dégradait considérablement le chemin à cause du frottement et que c’était ruineux pour les entrepreneurs.
On ne peut donc pas blâmer les changements qui ont été apportés au tarif.
- La discussion générale est close.
M. le président – Je vais mettre aux voix l’article unique qui est ainsi conçu :
« Sont prorogés au 1er avril 1840 :
« 1° L’article 1er de la loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n°196) ;
« 2° Les articles 2,3 et 4 de la loi du 31 mai 1838 (Bulletin officiel, n°203) »
- La chambre procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ; en voici le résultat :
67 membres sont présents.
1 membre (M. Milcamps) s’abstient.
66 prennent part au vote.
65 votent pour l’adoption.
1 (M. Seron) vote contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Berger, Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Frison, Heptia, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Metz, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Van Hoobrouck, Verdussen, Verhaegen, H. Vilain XIIII, Zoude.
M. Milcamps motive en ces termes son abstention – Je n’ai pas voulu voter contre la loi, parce qu’elle s’applique à des routes que je reconnais être dans l’intérêt général. Je n’ai pas voulu voter pour la loi, parce qu’elle s’applique aussi à des routes que je ne crois pas dans l’intérêt général, et qui compromettent l’intérêt de certaines arrondissements. Je développerai ma pensée à cet égard quand on demandera des fonds pour la continuation du chemin de fer.
M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.
M. de Renesse – Messieurs, par le fatal traité qui doit enlever à la Belgique une forte partie du territoire du Limbourg, l’arrondissement judiciaire de Tongres, comprenant actuellement deux districts administratifs, le canton de Maeseyck du district de Ruremonde, avec une population de plus de 140,000 habitants, se trouvera morcelé, et le tribunal du chef-lieu de la province, établi à Tongres par arrêté du gouvernement provisoire du 24 février 1831 conservera une circonscription trop restreinte pour que le barreau et le personnel nombreux attachés à ce tribunal, composés en grande partie d’émigrés de Maestricht, la plupart pères de famille, puissent y trouver une existence aisée en compensation des sacrifices qu’ils ont dû faire en quittant leurs familles pour venir s’établir à Tongres, où les membres du tribunal de Maestricht et les avoués postulant près de ce tribunal avaient été invités de se rendre de la part du gouvernement belge, sous peine d’être envisagés comme démissionnaires : alors ils avaient l’espoir de pouvoir retourner plus tard dans le foyer de leurs pères, parce que l’on croyait que la ville de Maestricht appartiendrait un jour à la Belgique ; mais maintenant que, par l’acceptation de l’inique traité, cette ville reste à la Hollande, et qu’une grande partie du Limbourg doit retourner sous le joug du roi Guillaume, presque tous ces émigrés de Maestricht, s’étant compromis envers ce monarque en s’associant franchement à la révolution de la Belgique, ne peuvent espérer de retourner dans une ville dont les fonctionnaires, restés fidèles à la maison d’Orange, ne les verraient jamais d’un œil favorable et emploieraient tous les moyens pour empêcher que ces émigrés puissent y exercer derechef les fonctions qui les attachent actuellement au tribunal du chef-lieu de la province.
Si, dans l’intérêt de la reconnaissance de l’indépendance de la Belgique par le roi Guillaume, si, pour éviter la guerre, qui d’ailleurs, je crois, n’était pas à craindre, par suite de la situation politique de la plupart des grands états de l’Europe, on a cru devoir consentir au pénible délaissement de la partie la plus belle, la plus populeuse, et surtout la plus riche de la province du Limbourg, d’où affluait la grande masse des affaires au tribunal établi à Tongres, il est aussi de toute justice que cet arrondissement judicaire, qui doit supporter le sacrifice de plus de 82,000 habitants, soit reconstitué en y adjoignant d’autres populations de la province, d’ailleurs plus rapprochées de la ville de Tongres, avec laquelle elles ont constamment des relations très intimes, par suite du plus grand marché du Limbourg, qui s’y tient chaque semaine, et où ces populations ont l’habitude depuis un temps immémorial d’y venir vendre les produits de leur industrie agricole.
Depuis que le tribunal du chef-lieu est établi à Tongres, les habitants de cette ville ont été obligés d’engager des capitaux assez considérables, pour la construction de maisons neuves, ou reconstruction de celles existantes, servant maintenant à l’habitation d’un personnel nombreux attaché à ce tribunal ; l’intérêt de ces capitaux serait en partie perdu, si ce tribunal de Tongres venait à être supprimé, ou si cet arrondissement judiciaire n’obtenait pas une circonscription assez étendue pour que le barreau actuellement existant puisse continuer à y résider ; car il ne suffit pas d’avoir un tribunal, il faut encore qu’une existence honnête soit assurée à ceux qui y sont attachés par leurs fonctions.
L’intérêt de la ville de Tongres serait fortement compromis, si le tribunal du chef-lieu venait à être déplacé ; outre son droit acquis depuis 1831, où elle est en possession de ce tribunal, elle a à faire valoir les pertes qu’elle a faites d’un commerce de transit très considérable, se dirigeant d’Anvers par Tongres et Maestricht vers l’Allemagne, qui depuis la fermeture de la forteresse de Maestricht a dû prendre une autre direction, de même que celui qui se dirigeait de Liége vers la Hollande en passant par Tongres ; alors le passif y était si actif que plus de 20 diligences circulaient chaque jour sur les routes qui la traversent, tandis que maintenant on n’en compte plus que cinq, et encore, en dernier lieu, l’établissement du chemin de fer vers Liége vient de lui enlever le peu de passage qui lui restait ; d’un autre côté, son commerce a beaucoup à souffrir de la grande fraude qui se fait à l’entour de Maestricht ; si l’administration des finances ne prend pas de mesures plus efficaces pour réprimer cette fraude, il est à craindre que maintenant la rive droite de la Meuse doit retourner à la Hollande, elle s’étendra sur toute la rive du fleuve, et que les localités qui avoisinent la frontière hollandaise perdront entièrement le commerce des denrées coloniales et de sel, apportés déjà au domicile des consommateurs par les fraudeurs.
La ville de Tongres serait entièrement sacrifiée, si l’on n’y maintenait point le tribunal actuel, qui compense les pertes qu’elle a faites, et qui est le seul avantage qu’elle tient de la révolution.
L’intérêt même de la partie la plus habitée et la plus riche de la province, qui se trouve dans la direction et à l’entour de Tongres, réclame surtout que le tribunal du chef-lieu soit maintenu dans cette ville. L’accès de ces cantons populeux est facilité par des routes pavées qui y aboutissent ; et si le gouvernement, comme j’ai lieu d’espérer, fait exécuter bientôt la route de Tongres vers Bilsen et la Campine, tous les cantons de cet arrondissement se trouveront liés avec leur chef-lieu actuel. Les officiers de police judicaire pourront alors se transporter avec célérité dans tous les cantons ; mais pour que cette police judiciaire puisse s’exercer avec activité, il est nécessaire de maintenir deux tribunaux dans le Limbourg, dont l’étendue égalera encore celle de la province d’Anvers ; d’ailleurs, la population étant, d’après le dernier recensement du 1er janvier 1839, de plus de 168,000 habitants, est encore assez forte pour donner de l’occupation à deux tribunaux, et mon honorable collègue et ami M. Simons prouvera jusqu’à l’évidence, par des données statistiques, qu’il y a nécessité de maintenir les deux tribunaux actuels du Limbourg. L’établissement d’un seul tribunal, surtout s’il était placé à Hasselt, donnerait lieu à beaucoup d’inconvénients pour la plupart des justiciables, qui habitent des cantons n’ayant aucune communication directe avec cette ville pendant les deux tiers de l’année, à cause du mauvais état des chemins vicinaux, et qui seraient cependant obligés de passer par Tongres pour y arriver.
Si les tribunaux sont établis dans l’intérêt des justiciables, il faut aussi les placer là où la population est la plus forte, où elle est la plus riche, où, par conséquent, il se traite une plus grande masse d’affaires. L’établissement d’un seul tribunal froisserait aussi l’intérêt de la partie la plus populeuse du Limbourg, surtout si ce tribunal unique était placé dans une localité trop excentrique par rapport à la population de cette province, qui doit actuellement être considérée comme une place de guerre, et pourrait un jour se trouver dans la même position où la ville de Maestricht s’est trouvée en 1814, et surtout depuis 1830 ; il faudrait alors que les justiciables du seul tribunal de la province ressortissent provisoirement du tribunal de Liége, ce qui donnerait lieu à beaucoup de dépenses et à bien des inconvénients.
En n’établissant qu’un seul tribunal pour le Limbourg, cette province sera traité d’une manière tout exceptionnelle relativement aux autres provinces, qui toutes ont plusieurs tribunaux ; et, certes, on ne peut la traiter moins favorablement que le Luxembourg, puisqu’elle a la même population ; et plus d’importance sous le rapport de la richesse ; il y aurait alors un encombrement d’affaires, qui amènerait chaque année un arriéré considérable, et au lieu d’obtenir justice, la longue attente peut souvent causer la ruine de ceux qui ont le bon droit pour eux ; aussi on réclame partout une prompte justice, et ce besoin est si bien senti que la chambre est déjà saisie de plusieurs propositions qui tendent à l’établissement de nouveaux tribunaux.
L’économie du trésor, en ce qui a rapport à la taxe des témoins, milite aussi en faveur du maintien du tribunal actuel de Tongres ; les frais de justice seront évidemment moindres, puisque la masse des affaires afflue de la partie la plus populeuse et la plus riche de la province, qui se trouve, comme l’on peut s’en assurer par l’inspection de la carte du Limbourg, vers le centre de cette population, à l’entour de la ville de Tongres ; ainsi la plupart des jurés habitent cette partie de la province, et l’intérêt même de la bonne harmonie dans la province de Limbourg plaide en faveur du maintien de deux tribunaux ; car, pour la conserver entre ces habitants, il ne faut pas que l’une des parties de cette province soit entièrement sacrifiée à celle qui conserve actuellement tous les avantages acquis depuis la révolution ; si le Limbourg doit subir la dure nécessité de se voir mutilé, il faut aussi que le restant de la province concoure pour établir une compensation en faveur du tribunal de Tongres qui, par ce morcellement, perd la partie la plus importante de son arrondissement judiciaire ; il serait inique de vouloir faire supporter seul à cet arrondissement le sacrifice pénible que la province de Limbourg doit subir dans l’intérêt général de la Belgique.
Le gouvernement et les chambres doivent être justes, envers un arrondissement qui est forcé de subir une mutilation si désastreuse ; il doit obtenir une compensation équitable pour la perte qu’il doit faire ; il serait impolitique surtout, dans le moment où la Hollande va nous entourer de toutes parts, de mécontenter des populations qui ont été les premières dans la province de Limbourg à arborer le drapeau de la révolution, et de vouloir maintenant leur faire regretter d’y avoir pris, en les sacrifiant et en leur retirant le seul avantage qu’elles ont obtenu par notre émancipation.
Pour que l’arrondissement judiciaire de Tongres puisse être en partie reconstitué, il faut pour le moins admettre la proposition de la section centrale, et lui accorder tout le canton de Looz, dont 32 sur 36 communes sont très rapprochées de la ville de Tongres, et y communiquent par la chassée de Saint-Trond vers Maestricht ; il faut que cet arrondissement obtienne une importance plus marquante, et par conséquent une population plus forte, que celui de Hasselt, et pour le moment il ne faut pas distraire du canton de Looz les communes de Cortessem et d’Alken ; plus tard, lors de la circonscription cantonale de toute la province, les rectifications de limites entre les différents cantons, pourront plus facilement avoir lieu, et alors on pourra avoir égard à la situation des localités et à la convenance des habitants.
Si l’arrondissement de Hasselt doit subir une diminution, elle n’est pas à comparer à celle que l’on impose à celui de Tongres, qui lors du morcellement perdra plus de 82,000 habitants ; si l’on n’y ajoute que les cantons de Looz et de Bree, la perte sera toujours de plus de 54,000 justiciables., tandis que l’arrondissement de Hasselt, ne fera réellement qu’un sacrifice de 14,000 de ses habitants ; par les motifs que je viens d’énoncer à la chambre, je crois qu’il est nécessaire et équitable de maintenir le tribunal de chef-lieu à Tongres ; il y aurait d’ailleurs injustice de froisser l’intérêt de la partie la plus populeuse et la plus riche de la province de Limbourg, déjà forcée, dans l’intérêt de la Belgique, de subir une mutilation si désastreuse. J’ose espérer que la chambre prendra en sérieuse considération la position pénible de cette partie du Limbourg, et qu’elle ne lui retirera pas le seul avantage qu’elle ait obtenu par la révolution.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La carte que vous avez sous les yeux est inexacte ; elle n’indique pas une route nouvellement construite entre Saint-Trond et Hasselt.
Il a été fait une réserve à l’égard de deux communes d’Alken et de Cortessem. La commun d’Alken est sur la route nouvelle non indiquée de Saint-Trond à Hasselt, et celle de Cortessem est sur la route de Hasselt à Tongres. On avait pensé, en réunissant le canton de Looz à l’arrondissement de Tongres, à faire une réserve pour les communes d’Alken et de Cortessem, qui auraient été réunies au canton de Hasselt ; en effet, ces deux communes sont plus rapprochées de Hasselt. La section centrale a pensé qu’il ne fallait pas faire de réserve et qu’il convenait de réunir le canton de Looz en entier à l’arrondissement de Tongres.
D’après les renseignements que j’ai reçus, on pourrait faire une distinction entre ces deux communes. Il me semble désirable de réunir la commune d’Alken au canton de Hasselt. Mais on pourrait, sans inconvénient, laisser la commune de Cortessem au canton de Looz, qui ferait partie de l’arrondissement de Tongres. En un mot, ce serait la substitution de l’amendement de M. Pollénus, au projet primitif du gouvernement et au projet modifié de la section centrale. Je ne repousse donc pas cette idée.
M. Dumortier – Quoique je n’aime pas prendre part à la discussion des lois qui sont la conséquence de l’acceptation du traité, je crois devoir soumettre à la chambre une observation. Il ne nous reste presque rien de la province de Limbourg ; d’après cela, ce qu’il y aurait de plus rationnel serait de réunir à cette province les communes de la province de Liége où l’on parle flamand. Les habitants de ces communes sont maintenant forcés d’aller devant des tribunaux dont ils ne comprennent pas la langue ; je désirerais que le ressort de chaque tribunal se composât de communes où l’on parle la même langue et que dans chaque tribunal on plaidât dans la langue qu’on parle dans le ressort. On se plaignait sous le roi Guillaume de ce qu’on nous forçait à parler hollandais ; ceux qui parlent flamand n’ont-ils pas droit de se plaindre qu’on les force à parler français ? C’est ainsi que dernièrement un homme a été condamné aux assises ; il ne savait pas un mot de français, et sa défense a été prononcée dans cette langue, de manière qu’il n’y a rien compris. C’est là un grave abus. Puisque nous sommes maintenant occupés de la circonscription du gouvernement, il me semble qu’il conviendrait de réunir à cette province le canton de Landen où l’on parle flamand.
M. de Brouckere – L’observation de l’honorable préopinant est parfaitement juste ; il est vrai que dans le canton de Landen on parle flamand ; mais il me semble cependant impossible de donner suite maintenant à cette observation ; en effet, distraire un canton d’une province pour le réunir à une autre, cela ne peut se faire à la légère ; il faut pour cela une instruction fort longue ; or, la loi dont nous nous occupons est d’une urgence telle que personne ne songe à la contester. Ainsi, tout en reconnaissant la justesse de l’observation de M. Dumortier, je crois que nous ne pouvons y donner suite maintenant et que nous devons voter la loi telle qu’elle est, sauf à nous occuper dans une loi spéciale de la réunion du canton de Landen à la province de Limbourg.
M. Heptia, rapporteur – On se tromperait si l’on croyait que l’on parle flamand dans tout le canton de Landen ; on parle cette langue dans six ou sept communes de ce canton, mais dans le reste du canton, c’est-à-dire dans les 4/5, on parle wallon comme dans toute la province de Liége. La réunion du canton de Landen à la province du Limbourg offrirait donc plus d’inconvénient que l’état actuel des choses. Les six ou sept communes où l’on parle flamand dépendent d’un canton wallon depuis l’organisation des tribunaux sous l’empire français ; il vaut mieux attendre que nous soyons mieux éclairés pour revenir sur cette circonscription.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. La province du Limbourg est divisée en deux arrondissements dont les chefs-lieux demeurent fixés à Tongres et à Hasselt. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 2 (proposé par le gouvernement) : L’arrondissement judicaire de Tongres comprend les cantons de Tongres, Bilsen, Mechelen, Maeseyck, Brée, la partie du canton sud de Maestricht qui reste à la Belgique, et enfin le canton de Looz, moins les communes d’Alken et de Cortessem, qui sont réunies au canton de Hasselt. »
« Art. 2 (proposé par la section centrale) : L’arrondissement judiciaire de Tongres comprend les cantons de Tongres, Bilsen, Mechelen, Maeseyck, Brée, Looz, et la partie du canton de Maestricht sud qui reste à la Belgique. »
M. le président – Voici l’amendement de M. Pollénus, il a la parole pour le développer.
« Art. 2 (proposé par le gouvernement) : L’arrondissement judicaire de Tongres comprend les cantons de Tongres, Bilsen, Mechelen, Maeseyck, Bree, la partie du canton sud de Maestricht qui reste à la Belgique, et enfin le canton de Looz, moins la commune de Alken qui est réunie au canton de Hasselt. »
« Article additionnel. Le notaire actuellement de résidence en la commune de Alken, aura droit d’instrumenter dans le ressort du canton de Hasselt. »
M. Pollénus – Messieurs, je n’ai pas besoin, je pense, d’entrer dans de longs développements pour justifier l’amendement que j’ai déposé. Déjà le ministre des travaux publics, dans la discussion générale, vous a exposé quelques-unes des considérations qui militent en faveur de cet amendement. Le gouvernement avait proposé de disjoindre le canton de Looz de l’arrondissement de Hasselt, moins deux communes, Alken et Cortessem ; la section centrale de son côté propose de réunir à l’arrondissement de Tongres le canton de Looz tout entier. Parmi les considérations développées par M. de Renesse, il en est une que je n’ai jamais perdu de vue, c’est qu’il important d’imprimer au projet un caractère de conciliation ; il m’a toujours paru qu’un système de transaction équitable était nécessaire.
Si l’on insiste pour laisser la commune de Cortessem à Tongres, quoiqu’elle soit plus rapprochée de Hasselt, soit, cette commune le demande et le gouvernement incline vers cet avis mais quant à la commune d’Alken, il est impossible de la détacher de Hasselt. Cette commune est située sur la route pavée qui relie les villes de Hasselt et Saint-Trond. Dans la délimitation des arrondissements, il faut suivre le grand principe de la continuité des territoires.
La nécessité de conserver Alken et Hasselt a été si bien sentie que dans la pétition de Tongres même on convient qu’il doit en être ainsi ; les avis émis par toutes les autorités s’accordent sur ce point. La section centrale en convient aussi, mais elle croit que ce changement ne pourrait se faire par la loi actuelle ; cependant ne serait-il pas raisonnable d’opérer aujourd’hui ce qu’on sera forcé de faire plus tard par la nouvelle loi sur la circonscription ? Je crois que j’en ai dis assez pour vous prouver que la séparation de la commune d’Alken de l’arrondissement d’Hasselt, ne peut se faire sans blesser les idées les plus élémentaires en fait de circonscription.
Messieurs, je devrais aller bien au-delà des termes de mon amendement, mais l’accueil peu favorable qu’ont obtenu les propositions relatives à la circonscription judiciaire du Luxembourg, m’avertissent d’être modéré et surtout sobre d’amendements, qui seraient en dehors, soit du système du gouvernement, soit de celui de la section centrale.
Toutefois, messieurs, il est une considération qu’il importe de ne pas perdre de vue, c’est le but, c’est le caractère lui-même de la loi projetée.
Un honorable député de Tongres a invoqué, à l’appui de son système, les principes de justice. Veuillez ne pas perdre de vue que tout en invoquant les principes de justice, on cherche cependant à enlever à Hasselt les parties les plus importantes de son arrondissement. Prenez-y garde, messieurs, que l’on ne vous entraîne à commettre une grande injustice en détruisant, sans nécessité, un ordre de choses auquel se rattache tant d’intérêts.
Tout ce que je demande à la chambre, c’est de se montrer juste envers Hasselt, et de lui appliquer les mêmes règles qu’elle a adoptées hier à l’égard d’une autre province.
La disposition concernant le notaire résidant à Alken, est la reproduction d’une disposition que vous avez adoptée hier pour le Luxembourg ; cela me dispense de motiver davantage cette partie de mon amendement.
M. de Brouckere – Dans ce que vient de dire le préopinant, il se trouve des considérations qui sont d’une grande justesse ; cependant je me lève pour combattre son amendement et pour appuyer la proposition de la section centrale.
Je dirais d’abord que nous avons posé, en principe, dans la section dont je faisais partie, de ne pas toucher à la circonscription cantonale, de ne distraire aucune commune du canton dont elle fait partie aujourd’hui. Si nous dévions de ce principe, pour une commune, nous ne manquerions pas d’avoir des réclamations d’autres communes. Pour éloigner toutes ces réclamations de localité, nous avons dit que nous ne changerions rien à la circonscription existante et que nous ne ferions aucune exception à cette règle.
Déjà vous voyez que le gouvernement a renoncé à la demande qu’il avait faite pour distraire les communes de leurs cantons, excepté pour la commune d’Alken. On dit, il est vrai, qu’Alken est plus près de Hasselt que de Tongres ; mais il ne faut pas rapporter Alken à Tongres, il faut la rapprocher à Looz, et alors vous trouverez qu’Alken est plus près de Looz que de Hasselt.
La véritable partie intéressée, c’est la commune elle-même ; je ne vois pas qu’elle ait réclamé ; je ne connais pas de pétition sur cet objet. Voulez-vous voir l’inconvénient qu’il y a à changer les communes de leurs cantons : à Alken, il y a un notaire ; or, vous dérogeriez à la loi de ventôse de l’an XI, en mettant Alken dans le canton de Hasselt, car il y aurait 6 notaires, et la loi n’en donne que 5. la clientèle de ce notaire est nécessairement dans le canton de Looz, et vous le placeriez dans un canton où il n’a pas de relations.
M. Pollénus – Pour ce qui est de la distance de la commune d’Alken au chef-lieu actuel du canton, et la distance de la même commune à Hasselt, je prie la chambre de vouloir bien consulter l’exposé des motifs du gouvernement où il est dit que la commune d’Alken touche au territoire d’Hasselt, tandis qu’elle est à une distance de deux lieues au moins de Looz.
L’honorable préopinant a trouvé des difficultés pour l’adoption de mon amendement en ce qui est relatif à un notaire résidant dans la commune d’Alken ; cette partie de ma proposition dérogerait, dit-il, à la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat. Je répondrai, messieurs, qu’une loi peut déroger à une autre loi, et c’est précisément ce que la chambre a fait dans la séance d’hier, car si jamais il y a eu dérogation, et dérogation immense à une loi, c’est bien certainement par la disposition votée hier en vertu de laquelle les notaires, tout en continuant à résider dans les communes où ils se trouvent actuellement établis, pourront instrumenter dans toute l’étendue du ressort du tribunal nouveau, alors que leur institution serait pour un moindre ressort, et alors même qu’ils ne résideraient point au chef-lieu nouveau. Cette objection est donc détruite par votre vote d’hier.
Messieurs, je désire autant que possible ne faire usage dans cette discussion que des seules pièces qui nous ont été communiquées ; cependant, puisqu’on est entré dans des détails touchant la clientèle d’un notaire d’Alken, je dirai que la clientèle de ce notaire auquel l’honorable préopinant paraît s’intéresser si fort, est à peu près entièrement circonscrite dans la commune d’Alken elle-même, comme la clientèle des notaires de Diepenbeek et de Zonhoven, autres communes du canton de Hasselt, est également circonscrite dans les limites de la communes où ils résident, et les notaires de Hasselt eux-mêmes trouveront une ample compensation dans la conservation de cette commune pour la concurrence que pourrait leur faire un collègue établi dans une commune rurale.
« Mais, dit encore l’honorable préopinant, la commune d’Alken n’a pas réclamé. » Je conçois très bien qu’au milieu de cette masse de pétitions qui nous ont débordés de toutes parts, on ait perdu de vue la pétition du conseil communal d’Alken, mais je prierai l’honorable M. de Brouckere de vérifier une pétition qui a été imprimée et distribuée et dans laquelle il verra que la commune d’Alken, par l’organe de son conseil municipal, proteste contre sa séparation de l’arrondissement de Hasselt ; ce scrupule est donc encore écarté.
Je crois, messieurs, avoir suffisamment répondu aux objections qui viennent d’être faites contre mon amendement ; et je vous prie de ne pas perdre de vue les graves inconvénients et la perturbation qui résulteraient de l’adjonction d’une commune à un arrondissement dont vous devez aujourd’hui prévoir qu’elle doit être distraite dans un très court délai. Je crois que l’honorable préopinant qui, par sa proposition, est à même d’apprécier toute l’importance d’une semblable perturbation, conviendra qu’il ne faut pas la faire naître sans motifs graves.
Il n’est ni juste ni raisonnable de sanctionner aujourd’hui une circonscription qui, de l’aveu de tout le monde, est mauvaise et cela pour n’y porter remède que dans une loi future ; mieux vaut prévenir le mal.
Indépendamment de cette considération, il faut encore remarquer, messieurs, que vous ne pouvez détacher la commune d’Alken de l’arrondissement de Hasselt, sans rompre entièrement la continuité territoriale qui est la première condition de toute circonscription.
Je persiste donc dans mon amendement, et j’espère qu’il sera accueilli par la chambre.
M. de Brouckere – Messieurs, j’ai cité un des inconvénients qui résulteraient d’une décision prise ainsi subitement par la chambre et par laquelle on placerait la commune d’Alken, seule et exceptionnellement, d’un canton dans l’autre ; j’ai dit qu’il en résulterait une dérogation évidente à la loi du 25 ventôse an XI ; l’honorable préopinant en tire la conséquence que je m’intéresse au notaire qui réside à Alken ; j’affirme à la chambre que loin de porter intérêt à ce notaire, je ne sais pas qui il est, je ne connais pas même son nom.
« Mais, dit-on, une loi peut déroger à une autre loi. » C’est là, messieurs, un principe que personne ne peut contester, mais on conviendra qu’on ne doit, pour un cas spécial, déroger à une loi générale que lorsque la nécessité l’exige ; or, il est de principe général, pour tout le royaume, qu’il ne peut y avoir que 5 notaires par canton ; vous voulez pour le seul canton de Hasselt faire une exception, sans aucun motif, c’est je pense ce n’est pas raisonnable.
J’ai parlé, messieurs, de la distance, et j’ai dit qu’on se trompait lorsqu’on mettait en relation, à propos d’Alken, Tongres avec Hasselt, qu’il fallait mettre Hasselt en relation avec Looz parce que Looz est le chef-lieu actuel du canton dont la commune d’Alken fait partie et que c’est au canton de Hasselt qu’on veut réunir cette commune. « Mais, dit-on, la commune d’Alken est plus près de Hasselt que de Looz. » Je le répète, j’ai sous les yeux un tableau exact des distances, d’où il résulte qu’Alken est à 9 kilomètres de Looz et à 10 kilomètres de Hasselt ; on a répondu à cela que je me suis trompé puisque, dans le rapport du conseil provincial, il est dit que la commune d’Alken touche au territoire de Hasselt ; mais cela signifie tout simplement que la commune d’Alken touche au canton de Hasselt. Or, cette commune étant à l’extrémité du canton de Looz, il faut nécessairement qu’elle touche au canton voisin, et cela ne prouve en aucune manière qu’elle soit plus rapprochée de Hasselt que de Looz.
M. Simons – Messieurs, je crois également devoir m’opposer à la distraction de la commune d’Alken du canton de Looz, et pour motiver mon opinion à cet égard, je me bornerai à ajouter aux raisons qu’a fait valoir l’honorable préopinant, une seule observation, c’est que si nous séparions la commune d’Alken du canton de Looz, une foule d’intérêts se trouveraient compromis par cette mesure. On a déjà parlé du notaire qui réside à Alken, mais ce n’est pas ce notaire seul, ce sont tous les notaires du canton de Hasselt qui sont intéressés à ce qu’Alken ne soit pas réuni à ce canton, puisque, par cette réunion, ils auraient un concurrent de plus qui pourrait instrumenter dans tout le canton.
D’ailleurs, messieurs, n’est-il pas indispensable, avant d’apporter des modifications à une circonscription cantonale, d’entendre toutes les parties intéressées ; or personne n’a été entendu, cependant le juge de paix du canton de Looz, aurait peut-être pu présenter des observations très plausibles, la chambre des notaires du canton de Hasselt aurait également pu donner des renseignements très importants. Certainement, ces renseignements auraient démontré qu’il n’est nullement conforme aux intérêts des localités dont il s’agit, de détacher Alken du canton de Looz.
Quant à la distance, messieurs, il est certain que la commune d’Alken est plus éloignée de la ville de Hasselt que de Looz ; le tableau que j’ai sous les yeux et qui est officiel, en fournit la preuve.
Je pense, messieurs, que ce qui a été dit suffira pour vous convaincre que le moment n’est pas encore arrivé de changer la circonscription cantonale, et que par conséquent, vous n’adopterez pas l’amendement de l’honorable M. Pollénus.
- Sur la demande de plus de 10 membres, la clôture est mise aux voix et prononcée.
L’amendement de M. Pollénus est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article de la section centrale est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Le nombre des juges composant le tribunal de Tongres est réduit à sept, compris le présidente et le vice-président.
« Cette réduction s’opérera au fut et à mesure des vacatures. »
M. Pollénus – Messieurs, vous n’avez pas adopté tout à l’heure l’amendement que j’avais eu l’honneur de vous proposer, et parce qu’il vous a semblé qu’il n’y avait pas sur ce point une instruction suffisante ; mais s’il n’y a pas d’instruction suffisante aux yeux de la majorité de la chambre en ce qui concerne la commune d’Alken, il me semble que l’on doit convenir que l’instruction est bien moins complète encore relativement aux points que préjuge l’article 3 du projet ; car cet article préjuge la question de savoir où seront placés les chefs-lieux du tribunal principal et celui du tribunal secondaire. Dans la séance d’hier on a abandonné au gouvernement le soin de fixer, pour le Luxembourg, les lieux où seront établis les deux tribunaux adoptés pour cette province.
Je me suis aperçu que le ministre des travaux publics a accueilli avec plaisir cette partie des propositions de la section centrale pour le Luxembourg. (On rit.) Je suppose que les motifs qui l’ont engagé à appuyer cette proposition de la section centrale, le détermineront également à désirer de se réserver la même faveur à accorder au Limbourg.
Je voudrais donc savoir si M. le ministre des travaux publics n’est pas dans l’intention de faire concorder cette loi avec celui que nous avons votée hier. Pour être conséquent, il doit vouloir cette concordance.
Je ne fais pas de proposition formelle sur ce point, mais il me semble qu’il faudrait, pour être juste, ouvrir entre Hasselt et Tongres les mêmes chances quant au tribunal du chef-lieu judiciaire, que celles que le ministre a réservées pour les tribunaux rivaux du Luxembourg. Je conçois qu’une semblable proposition, sans avoir des chances de succès, devrait émaner du gouvernement ; ma position n’est pas assez neutre pour que je puisse convenablement hasarder de faire cette proposition en faveur du chef-lieu de la province du Limbourg.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, les positions ne sont pas les mêmes, car pour faire concorder comme le dit l’honorable préopinant, le projet de loi avec la loi que vous avez votée hier, il faudrait changer celle que nous discutons. L’article premier de cette loi est en discordance avec l’article premier de la loi que nous avons votée hier.
M. Pollénus – Les chefs-lieux ne sont pas fixés.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Les chefs-lieux sont fixés.
M. Pollénus – Mais le chef-lieu judiciaire ne l’est pas.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, l’idée qui nous a dominés en votant cette loi, serait complètement abandonnée, il y aurait bouleversement, si on pouvait admettre un doute sur le chef lieu judiciaire ; le chef-lieu reste à Tongres où il est maintenant.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. L’arrondissement judiciaire de Hasselt comprend les cantons de Hasselt, Beeringen, Herck-la-Ville, Peer, St-Trond et Achel. »
M. Verhaegen – Messieurs, je comptais prendre la parole sur l’article ; par une circonstance indépendante de ma volonté, je n’ai pu me faire entendre sur cet article ; on ne m’empêchera pas de présenter mes observations maintenant ; au reste, elles concernent aussi l’article 4.
J’ai entendu beaucoup parler de distance. Lorsqu’il s’est agi de la commune d’Alken, on a agité la question de savoir si cette commune était plus éloignée de telle localité ou de telle autre, pour en tirer des conséquences en faveur de l’une ou de l’autre de ces localités.
Je suis aujourd’hui dans la même position que je l’étais hier, quant au Luxembourg. Mais je suis encore plus étonné que hier, lorsque je vois qu’on donne à l’arrondissement de Tongres le canton de Brée qui se trouve à l’extrémité opposée et qu’on ôte à l’arrondissement de Tongres le canton de Saint-Trond qui paraissait actuellement devoir lui être adjoint.
Je dis que le bon sens donne à Tongres le canton de Saint-Trond avec le canton de Looz, comme le canton de Brée doit appartenir à l’arrondissement de Hasselt. Je dirai toute ma pensée. Je crois qu’il doit y avoir ici un motif tout spécial. Il est possible que la circonscription judiciaire ait quelque rapport avec la circonscription administrative. Il y a de motifs que je ne puis perscruter. Ce qui me paraissait déjà assez extraordinaire, c’est qu’on proposait, dans le projet de circonscription administrative, de créer à Maeseyck un petit canton qu’en termes vulgaires j’appellerai un bourg pourri.
En voyant les choses telles qu’elles doivent être, et je le demande à quiconque jette les yeux sur la carte, entre-t-il dans le bon sens qu’on donne à Tongres un canton qui en est éloigné de 9 à 10 lieues, et qu’on ne lui donne pas le canton de Saint-Trond, qui doit naturellement lui appartenir ? Pour arranger les choses convenablement, tirez une ligne droite en dessous de Hasselt ; donnez à l’arrondissement de Tongres tout ce qui est en deçà de cette ligne, et Hasselt tout ce qui est au-delà.
Je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire de faire voyager les gens d’une extrémité à l’autre. Je désire des explications, et si elles ne sont pas satisfaisantes, je voterai contre le projet.
M. Heptia, rapporteur – Quand la section centrale s’est occupée de la circonscription des arrondissements de Hasselt et de Tongres, elle a cherché à donner à l’arrondissement de Tongres assez d’importance pour occuper le tribunal qui devait y siéger, tout en conservant une certaine importance à l’arrondissement de Hasselt.
Saint-Trond fournissait à lui seul le quart des affaires qui se présentaient devant le tribunal de Hasselt, de manière qu’ôter le canton de Saint-Trond à l’arrondissement de Hasselt, c’était lui ôter toute son importance, eu égard surtout à cette circonstance qu’on ne pouvait lui donner aucune compensation, car les cantons de Brée et d’Alken qu’on donnait à l’arrondissement de Hasselt en remplacement du canton de Looz qu’on lui enlevait, étaient une compensation assez insignifiante.
Mas, il fallait maintenir une espèce de proposition dans les populations, et vous avez vu par les tableaux joints au rapport de la section centrale que la proportion était assez bien établie. D’un côté, le tribunal du chef-lieu a un arrondissement dont la population est de 99,000 âmes, et le tribunal de Hasselt qui a un arrondissement dont la population est de 63,000 habitants. Il serait donc assez difficile de faire mieux que n’a fait la section centrale. Si l’on adopte la proposition de l’honorable M. Verhaegen, on tomberait dans un autre inconvénient, tout en voulant éviter celui qui vous a été signalé.
M. de Brouckere – Je désire rectifier une erreur, qui vient d’échapper à l’honorable préopinant. Il suppose que l’arrondissement de Tongres a 99,000 habitants, et celui de Hasselt 63,000, et il a donné ces chiffres comme ceux qui résultaient de la circonscription actuelle. D’après le projet que nous avons voté, l’arrondissement de Tongres aura 85,000 habitants, et celui de Hasselt 76 à 77,000.
- L’article 4 est mis aux voix et adopté.
M. de Behr propose et la chambre adopte les 4 articles suivants qui sont la reproduction de ceux qui ont été adoptés hier dans le projet de loi relatif à la nouvelle circonscription du Luxembourg
« Art. 5. En exécution de l’article 11 de la loi du 15 mai 1838, les jurés pourront être pris dans les listes générales dressées par l’administration. »
« Art. 6. Les citoyens qui auront fait partie du jury et qui auront satisfait aux réquisitions à eux faites n’auront droit à être dispensés que pendant les 4 sessions suivantes. »
« Disposition transitoire
« Les nouvelles listes du jury pour le service de la cour d’assises seront dressés par la députation, conformément à la loi, dans le délai déterminé par le gouvernement. »
M. Simons – J’ai un article additionnel à présenter dans lequel j’ai formulé l’idée exprimée par M. Verhaegen. Voici cet article, il est la reproduction de l’article inséré dans la loi sur l’organisation judiciaire :
« Les affaires actuelles pendantes devant les tribunaux de premières instances de Ruremonde et de Hasselt, qui par suite de la nouvelle circonscription deviendront de la compétence du tribunal de Tongres ou de Hasselt, seront poursuivies devant les tribunaux par simple assignation faite à la personne ou à domicile. »
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, voici l’article correspondant à cet amendement dans la loi votée hier :
« Les causes pendantes devant les tribunaux supprimés seront respectivement portées devant les tribunaux maintenus, par exploit d’assignation en constitution de nouvel avoué, dans les délais de la loi, et il sera procédé conformément aux dispositions du code de procédure civile, en matière de reprise d’instance. »
Les termes dans lesquels la disposition se trouve rédigée, importent peu. Mais je demanderai que la loi que nous votons soit imprimée et que le deuxième vote pour les deux lois ait lieu dans la même séance afin de mettre autant que possible de la concordance dans les termes des dispositions analogues.
M. de Brouckere – Il n’y a aucun inconvénient à adopter l’amendement de M. Simons tel qu’il est rédigé. Chacun de nous l’examinera chez lui, et au second vote, on pourra, s’il y a lieu, le formuler autrement.
- L’amendement est adopté.
Le deuxième vote de la loi est fixé à demain.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je demande la parole pour présenter un projet de loi ainsi conçu :
« Art. unique. Il est ouvert au département de la guerre un crédit extraordinaire de 106,834 francs 30 centimes, applicable au paiement des dépenses qui restent à liquider sur les exercices 1830, 1831 et 1832, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi. Cette allocation formera le chapitre 9 du budget du département de la guerre pour l’exercice 1839. »
- Il est donné acte à M. le ministre du projet de loi, qui est renvoyé à la commission des finances.
La séance est levée à 5 heures.