(Moniteur du 19 mai 1839, n°139)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à onze heures et demie.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal des deux séances d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître des pétitions suivantes :
« Le sieur Hanspie (Célestin) à Woesten (Flandre occidentale) demande qu’un milicien de sa classe, et qui s’est fait exempter pour prétendue surdité, subisse un nouvel examen. »
« Le sieur Sinave, solliciteur, à Ypres, demande que dans la liquidation générale avec la Hollande, M. le ministre de la guerre réclame le paiement des masses qui revenaient aux miliciens belges pour les classes de 1826, 1827 et 1828. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le président – La discussion continue sur l’article 1er et les amendements y relatifs.
M. Lebeau a présenté un amendement qui consiste à ajouter après le paragraphe premier de l’article 1er du projet de la section centrale ces mots :
« Toutefois, s’il se présente, à l’égard de l’un des pavillons étrangers, des motifs graves et spéciaux, le gouvernement est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présente disposition. »
M. Lebeau – Messieurs, plusieurs amendements vous ont été présentes. Vous avez notamment l’amendement de l’honorable M. Verdussen.
Je déclare bien volontiers que si la chambre donnait la priorité du vote à l’amendement de l’honorable M. Verdussen, et que cet amendement fût adopté, j’examinerai s’il n’y aurait pas lieu de renoncer au mien. Mais comme le concours pourrait avoir lieu entre l’amendement de M. Verdussen et le mien, je crois devoir donner quelques explications pour démontrer que dans mon opinion, bien naturelle, la préférence doit être accordée au mien. (On rit.)
L’amendement de M. Verdussen et le mien ont cet avantage qu’ils se concilient parfaitement avec le système du gouvernement et avec le système de la section centrale. L’amendement de M. de Muelenaere au contraire bouleverse complètement le projet de loi ; il substitue à une règle tracée par la loi le bon plaisir du gouvernement ; et comme le gouvernement est une chose essentiellement variable de nos jours, il en résulte que l’exécution de la loi formulée d’une manière aussi vague est subordonnée à toutes les éventualités d’une modification ministérielle même très partielle. Je ne crois pas que ce soit là ce que vous vouliez donner au commerce, je crois que vous devez parler clairement au commerce ; car il ne vit pas d’énigmes. Si vous ne voulez pas le remboursement du péage, dites-le hautement ; le commerce saura ce qu’il a à faire. Mais si vous voulez rembourser le péage aux navires nationaux et étrangers, il faut aussi le dire hautement ; il ne faut pas d’équivoque, la situation du commerce n’en comporte pas. C’est le reproche que je ferai à l’amendement de M. de Muelenaere. A la différence du projet du gouvernement, il ne formule rien ; c’est un blanc-seing donné au gouvernement, mais il n’y a pas de règle positive ; mon amendement au contraire maintient le remboursement du péage comme la règle ; le non remboursement devient l’exception et l’exception est entourée de certaines garanties qui ne permettent pas au gouvernement de la prononcer à la légère.
Voici mon amendement :
« Toutefois, s’il se présente à l’égard de l’un des pavillons étrangers des motifs graves et spéciaux, le gouvernement est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présente disposition. »
Vous voyez que si le gouvernement suspend le remboursement du péage, il sort de la rège et entre dans un régime exceptionnel, dont il devra justifier les motifs devant la législature et le pays. Il y a là une garantie de la manière dont le gouvernement exécutera la loi. Le gouvernement a un guide ; il sait ce que veut la législature ; et il ne peut le savoir si l’amendement de M. de Muelenaere est adopté.
Le gouvernement peut être modifié dans son personnel ; il peut en résulter un changement complet de système quant au remboursement du péage avec le vague qu’il y a dans l’amendement. Voilà ce que nous, partisans du remboursement, nous ne voulons pas.
Mon amendement présente aussi l’avantage de rendre inutile l’exception atténuée, j’en conviens, par la nouvelle rédaction présentée par M. le ministre des finances, mais exemption dont je ne voudrais pas voir de trace dans la loi, parce que je la regarde comme impolitique. Mon amendement a l’avantage de laisser au gouvernement la faculté d’établir cette exception s’il la juge nécessaire aux intérêts du pays. Ainsi, si par le fait la Hollande remboursait elle-même, si elle s’abstenait de percevoir le péage sur son pavillon, il y aurait là pour le gouvernement un motif grave spécial de ne pas rembourser le péage aux navires hollandais ; cela est évident. Si les fraudes relatives aux pêcheries signalées par l’honorable M. Donny se commettaient, et si le gouvernement hollandais dispensait des droits de tonnage, les pêcheurs hollandais ou belges concourant à ces fraudes, le gouvernement, armé de la disposition que je propose, pourrait à l’instant faire cesser cet abus.
Il y a encore un avantage dans la rédaction plus générale de mon amendement comparée à la rédaction du gouvernement, c’est que le gouvernement qui, en raison d’un acte quelconque d’un gouvernement étranger, a peut être dans le cas de suspendre le remboursement du péage, a la faculté de le faire. Ainsi, si un gouvernement avec lequel il est intervenu des arrangements par suite de la loi du 26 août 1822, n’observait pas fidèlement chacune des dispositions du traité de réciprocité, s’il prenait des mesures dont le commerce belge eût à se plaindre, le gouvernement pourrait suspendre, pour les navires de cette nation, la faveur du remboursement. Il aurait ainsi un moyen de se faire rendre justice.
Remarquez que la disposition proposée n’est pas nouvelle, qu’il y a des dispositions analogues dans les lois de douanes de divers pays. Dans la loi de douanes de France, notamment, on a très bien compris qu’en l’absence des chambres il peut subvenir dans les relations des peuples tel incident qui oblige le gouvernement à prendre sous sa responsabilité et immédiatement une mesure de représailles. Cet avantage je le donne au gouvernement. Le gouvernement peut faire usage de ce droit qui a son analogue dans la législation de douanes de France et d’Angleterre.
J’aurais encore beaucoup à dire pour appuyer mon amendement ; mais comme la discussion a déjà été longue, j’attendrai les objections qui pourraient être présentées pour l’exécution, et j’y répondrai, le cas échéant.
- M. Fallon remplace M. Raikem au fauteuil.
(Moniteur belge du 20 et 21 mai 1839) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, dans vos précédentes séances on vous a dit que la loi que vous discutez est la réparation d’une double faute : d’une faute de la diplomatie belge qui a consenti à un péage sur l’Escaut, d’une faute de la majorité qui a voté le traité du 23 janvier ; ces considérations m’ont paru frapper quelques esprits, non que je les croie de nature à écarter la proposition, mais elles peuvent la faire accepter avec une certaine répugnance, résultat du sentiment que l’on répare une faute.
Vous vous souviendrez peut-être que dans la discussion générale du traité du 23 janvier, répondant à M. Dumortier, j’avais annoncé que j’attendrais l’occasion d’examiner spécialement la question de l’Escaut ; si au début de la discussion actuelle, parvenue maintenant à son sixième jour, je n’ai pas rempli cet engagement, c’est que je supposais que la discussion serait très courte, et que l’on ne reproduirait pas d’anciennes accusations qui dénotent la lecture la plus inattentive des textes. Ces accusations ont été renouvelées par messieurs Dechamps et Dumortier, et quelque désireux que je sois de hâter le moment du vote, je crois devoir ajouter quelques explications à celles que vous a déjà données M. le ministre des affaires étrangères. Ces honorables membres persistent à soutenir que le traité du 15 novembre 1831 avait affranchi l’Escaut de tout droit de navigation, et que c’est le nouveau traité, en cela plus défavorable que l’ancien, qui a introduit un péage ; partant de là, ils disent à la majorité de cette assemblée : Si une loi de réparation est aujourd’hui nécessaire, la faute en est à vous ; il fallait rejeter le traité du 23 janvier ; il fallait vous en tenir à l’article 9 du traité du 15 novembre.
Ces accusations, je ne puis les accepter ni pour le gouvernement ni pour la majorité ; je viens à mon tour disculper le ministère et la chambre.
En ce qui concerne la question de l’Escaut, le traité du 15 novembre a été amélioré au-delà de toute attente.
L’acte du 23 janvier est une première réparation que la déclaration du 18 avril a complété quant à la conférence.
La loi que l’on vous demande, est une deuxième réparation que la conférence a considéré comme en dehors de sa compétence.
Cette loi est la réparation d’une conséquence de la révolution de 1830, et non d’une faute, soit du gouvernement, soit de la majorité de cette chambre.
L’article 9 du traité du 15 novembre a été maintenu en ce qu’il avait d’avantageux à la Belgique.
Ila été mitigé en ce qu’il avait d’onéreux à la Belgique.
Ce sont les deux propositions que je vais établir.
Je les établirai, non à l’aide de simples assertions, accompagnées d’épithètes désobligeantes, mais par les actes de la négociation considérée dans son ensemble ; je placerai dans son véritable jour la solution qu’a reçue la question de l’Escaut ; je prouverai que ceux qui nous accusent avec si peu de mesure, n’ont compris ni la question, ni la solution.
Ces explication sont aujourd’hui sans danger ; tandis que d’autres vous disent que tout nous est défavorable dans l’article 9, moi je viens vous dire que tout nous est favorable dans cet article ; c’est ainsi que j’entends la politique du pays. La conférence a été animée dans cette question des meilleures intentions, et ses intentions étaient d’accord avec ses propres intérêts. Nous avons une singulière manie en Belgique, c’est d’interpréter contre nous des contrats devenus irrévocables.
Attachons-nous d’abord à quelques observations générales propres à faire apprécier cette partie de l’œuvre de la conférence, en même temps que la longue résistance de la Hollande.
L’Escaut peut être considéré comme dans une position exceptionnelle ; l’embouchure n’en semble pas géographiquement déterminée ; les Hollandais, maîtres de la rive droite jusque près de Lillo, ont conquis la rive droite gauche, et plaçant l’embouchure à Flessingue, ils ont comme riverains revendiqué le domaine du fleuve du point où cesse le territoire belge, en refusant de le faire participer aux franchises de la mer. Les Belges, au contraire, ont cherché à placer l’embouchure de l’Escaut à Lillo, assimilant, à partir de ce point, le fleuve à la mer.
En effet, on peut soutenir que d’Anvers à Flessingue, l’Escaut se divise en deux parties distinctes, offrant des phénomènes différents ; la première partie, d’Anvers à Lillo, conserve la plupart des caractères d’un fleuve ; la deuxième partie, de Lillo à Flessingue, n’en présente plus aucun de ces caractères ; ce n’est plus un fleuve, c’est une crique de mer qui a perdu jusqu’au nom de fleuve, ; ce n’est plus l’Escaut, c’est le bras de mer appelé de temps immémorial le Hondt.
L’Escaut en aval d’Anvers, ajoute-t-on, ne doit pas son importance à ses propres eaux, mais aux eaux de la mer qui l’atteignent même en amont d’Anvers. Bien différent des autres fleuves, il reçoit en quelque sorte de la mer plus qu’il ne lui donne. Supposons que par une suspension des lois qui forcent la mer à se mouvoir sur elle-même, l’action de la marée cesse ; l’Escaut reprendra ses proportions fluviales en aval de Lillo, et vous aurez raison de dire que ce n’est qu’un fleuve.
La position exceptionnelle de l’Escaut, difficile à définir, a donc mis en présence deux opinions également extrêmes : d’après l’une, l’Escaut est, à partir de Lillo, un bras de mer ; d’après l’autre, l’Escaut reste un fleuve ordinaire jusqu’à Flessingue.
La conférence de Londres a cherché à concilier ces deux opinions aussi anciennes que la question même de l’Escaut ; elle a cherché à les concilier en créant pour l’Escaut un régime spécial qui n’est ni celui de la mer ni celui des fleuves ordinaires ; pour une position spéciale, elle a établi un régime spécial. Elle n’est pas arrivée de prime abord à cette conciliation ; elle n’y a été amenée que par une succession d’idées.
La contestation sur la nature de l’Escaut, à partir de Lillo, est ancienne ; de fait, elle était sans objet de 1815 à 1830, où elle n’avait qu’une valeur théorique ; et cependant je ne sais par quel pressentiment, de part et d’autre, on semblait se prémunir contre des éventualités encore inaperçues. Dans le remarquable mémoire de M. Belpaire sur les changements qu’a subis la côte d’Anvers à Boulogne, couronné par l’académie de Bruxelles le 7 mai 1827, on trouve le passage suivant : « A proprement parler, l’Escaut cesse d’exister à quelques lieues au-dessous d’Anvers, et tout le reste doit être considéré comme un bras de mer, car il n’y a aucun rapport entre le fleuve et la masse d’eau qui baigne les îles de la Zélande. Ce sont, ainsi que les bras de la Meuse, d’énormes criques par où la mer se jette à chaque marée dans l’intérieur des terres, et dans lesquelles l’Escaut et la Meuse trouvent une issue. »
La question de l’Escaut n’avait point été traitée spécialement au congrès de Vienne. La réunion des provinces belges à la Hollande ayant eu pour conséquence de rendre le même état riverain de la frontière de France jusqu’à l’embouchure du fleuve, la révolution de 1830, en séparant les deux pays est venue poser la question à la diplomatie européenne comme question spéciale.
L’idée qui devait se présenter naturellement, c’était de déclarer applicables à l’Escaut les article 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne, mais c’était là ne considérer l’Escaut que comme un fleuve ordinaire.
C’est que ce l’on fit dans les bases de séparation du 27 janvier 1831, acceptées, comme on le sait, le 18 février suivant par le roi Guillaume ; l’article 3 porte : « Il est entendu que les dispositions des articles 108-117 inclusivement de l’acte général du congrès de Vienne, relatifs à la libre navigation des fleures et rivières navigables, seront appliquées aux fleuves et rivières qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge. »
L’on se borna à cette déclaration ; on ajouta seulement dans les 18 articles du 26 juin 1831, qui furent acceptés par le congrès belge : « Art. 7. § 2. La mise à exécution de ces dispositions sera réglée dans le plus bref délai possible ; » mais sans dire par qui.
Arrêtons-nous à ce premier ordre d’idées. Il ne s’agit jusqu’à présent que de placer rigoureusement l’Escaut dans le droit commun des traités de 1815, en lui appliquant les articles 108-117 de l’acte général de Vienne ; par cette application l’Escaut se serait trouvé positivement divisé en deux parties ; l’une d’Anvers à Lillo, sur un cours de 4 lieues, eût été placée exclusivement sous la souveraineté de la Belgique riveraine, l’autre de Lillo à Flessingue, sur un cours de 18 lieues eût été exclusivement placée sous la souveraineté de la Hollande riveraine. D’Anvers à Lillo la Belgique aurait exercé à l’exclusion de la Hollande, de Lillo à Flessingue la Hollande aurait exercé à l’exclusion de la Belgique, tous les droits de police fluviale, de surveillance, de visite, de pilotage et de pêche. Il y aurait eu strictement un Escaut belge et un Escaut hollandais, indépendants l’un de l’autre, sans surveillance commune.
Nous allons entrer dans un autre ordre d’idées.
Les négociations ayant été rouvertes à la suite de la campagne du mois d’août 1831, les deux gouvernements remirent des projets de traité à la conférence ; par son projet du 30 septembre 1831, le plénipotentiaire belge proposa, en déclarant les articles 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne applicables à l’Escaut, d’ajouter : « Le pilotage, le balisage, la police et tout ce qui concerne la navigation et la conservation des passes de l’Escaut, en aval d’Anvers, seront soumis à une surveillance commune, sans autres droits que ceux qui étaient établis et perçus en 1814, avant la réunion de la Belgique et de la Hollande. Les pêcheurs belges auront le droit de pêcher dans les eaux de l’Escaut depuis Anvers jusque dans la mer. »
C’était là, messieurs, une proposition importante, proposition dont nous avons eu l’initiative ; je tiens à le constater ; cette addition en dehors des articles 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne, créait pour tout le cours de l’Escaut, sans distinction, d’Anvers à Flessingue, une communauté de surveillance.
La conférence adopta cette proposition qu’elle rédigea en ces termes :
« En ce qui concerne spécialement la navigation de l’Escaut, il sera convenu que le pilotage et le balisage, ainsi que la conservation des passes de l’Escaut en aval d’Anvers, seront soumis à une surveillance commune ; que cette surveillance commune sera exercée par des commissaires nommés à cet effet de part et d’autre ; que des droits de pilotage modérés seront fixés d’un commun accord, et que ces droits seront les mêmes pour le commerce hollandais et pour le commerce belge. »
Tel est le texte du paragraphe 2 de l’article 9 des 24 articles du 14 octobre 1831.
Le paragraphe 4 du même article consacre le principe de l’exercice du droit de pêche et de commerce de pêcherie dans toute l’étendue de l’Escaut, sur le pied d’une parfaire réciprocité, en faveur des sujets des deux pays. »
Nous nous occuperons tout à l’heure des autres paragraphes.
Voilà donc la conférence dans un autre ordre d’idées : l’application pure et simple des articles 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne ne suffit pas ; l’Escaut n’est pas un fleuve ordinaire ; en aval d’Anvers, il faut tenir compte de la position exceptionnelle de l’Escaut ; il faut éviter de donner des règlements trop distincts à l’Escaut en le partageant d’une manière positive en Escaut belge et en Escaut hollandais ; bien que la Belgique ne soit riveraine que d’Anvers à Lillo, il faut instituer une surveillance commune d’Anvers à Flessingue, il faut considérer ce régime spécial de l’Escaut comme l’un des avantages commerciaux que nous payons par le surcroît de 600,000 florins de dettes ; chose que le gouvernement néerlandais a constamment perdue de vue dans ses nombreuses réclamations.
Car c’est contre cette addition en dehors de l’acte général du congrès de Vienne, qu’il s’est le plus vivement élevé ; il y a vu une grave dérogation au droit commun ; ce fut un des motifs principaux de sa non-adhésion en 1831.
Le cabinet de La Haye avait d’abord soutenu que la séparation des provinces belges d’avec la Hollande replaçait celle-ci, sous tous les rapports, dans sa position de 1790 ; à la suite de la suspension d’armes du 21 novembre 1830, qui stipulait le rétablissement de la liberté de communication par terre et par mer, et la levée du blocus des ports et des côtes, le roi Guillaume avait révoqué toutes les mesures hostiles qu’il avait prises, à l’exception du blocus de l’Escaut, qu’il ne voulait point considérer comme un acte d’hostilité proprement dite, mais comme le résultat des anciens droits que la Hollande indépendante avait exercés en temps de paix ; système qui ne tendait à rien moins qu’à faire revivre l’article 14 du traité de Munster de 1648, confirmé par l’article 7 du traité de Fontainebleau de 1786. Ce système avait été condamné par la conférence ; l’Escaut avait été ouvert le 20 janvier 1831.
Le gouvernement hollandais ne reproduisit plus la prétention de faire revivre le traité de Munster ; dans le projet adressé à la conférence le 1er octobre 1831, il se borna à proposer qu’il serait ouvert « sans délai, une négociation pour régler la libre navigation de l’Escaut aux termes de l’acte du congrès de Vienne. » En refusant d’adhérer au 24 articles du 14 octobre, il s’exprimait en ces termes au sujet des stipulations relatives à l’Escaut ; cette réclamation qui est restée sans succès est importante comme commentaire en quelque sorte d’un texte demeuré intact. Rappelez-vous, nous a-t-on dit, que le Roi Guillaume a tenu quinze ans l’Allemagne en échec sur l’interprétation de trois mots des traités de Vienne concernant le Rhin ; que ne fera-t-il pas quand il s’agira d’expliquer les dispositions relatives à l’Escaut ? Mais remarquez, messieurs, que, grâce toujours à la résistance de sept ans, le cabinet de La Haye a interprété l’article touchant l’Escaut avant son exécution ; il s’est attaché à faire ressortir tout ce que cet article renferme d’avantageux à nos intérêts.
« Le premier alinéa de l’article 9, est-il dit dans le mémoire hollandais du 14 décembre 1831, ne présente aucun inconvénient ; mais, en continuant la lecture de cet article, on rencontre les difficultés les plus graves. Nul exemple, que l’on sache, dans l’histoire des traités, qu’un état indépendant ait soumis le pilotage et le balisage d’un de ses propres fleuves à la surveillance commune d’un autre gouvernement, qu’il ait consenti à fixer les droits de pilotage d’un commun accord avec un état étranger, et, par conséquent, à faire dépendre les droits que paieront ses propres sujets, de la volonté d’un de ses voisins, et à substituer au principe souvent adopté, que le pavillon étranger sera traité comme celui de la nation la plus favorisée ou assimilé au pavillon national, le principe opposé, que le pavillon nation sera traité comme celui de l’étranger et comme celui-ci le jugera convenable ; qu’il ait signé qu’on lui laissera la faculté de naviguer sur ses propres rivières, comme il adviendrait, si le gouvernement des Pays-Bas convenait que la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin pour arriver d’Anvers au Rhin, eaux qui n’existent que sur le territoire hollandais, restera réciproquement libre, et, par conséquent, aussi libre pour les navires hollandais ; qu’il ait assujetti son propre commerce, en ce qui concerne la navigation de ses eaux intérieures, aux mêmes péages que celui de l’étranger, et qu’il ait accordé à un autre état le droit de pêche et de commerce de pêcherie dans toute l’étendue d’un de ses fleuves, stipulation dont l’analogie se trouve seulement sur les côtes de certaines colonies.
« Le gouvernement des Pays-Bas ne peut souscrire à ces clauses dérogatoires aux droits de souveraineté de tout état indépendant, et étrangères à l’annexe A du 12e protocole.
« D’ailleurs, l’acte du congrès de Vienne ayant déterminé ce qui concerne la navigation des rivières qu’on y a mentionnées, et au nombre desquelles se trouve l’Escaut, il n’existe point de motif de déroger à cet égard audit acte, et de lui porter une atteinte, qui exigerait l’assentiment de toutes les puissances signataires et accédantes.
« Aujourd’hui que la navigation du Rhin se trouve réglée à la satisfaction de tous les états riverains, y compris ceux représentés à la conférence de Londres, d’après une convention récente qui laisse la faculté de favoriser la navigation des propres sujets de préférence à celle des autres états riverains, et d’établir le pilotage et balisage, sans qu’il soit question à cet égard d’une surveillance commune, ni de commissaires nommés à cet effet, et sans qu’on ait agité le droit de pêche ou de commerce de pêcherie, ni se soit entendu sur la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin ; l’on n’a pu pénétrer pourquoi il s’agirait de stipuler en faveur de la Belgique, au détriment des droits de souveraineté territoriaux de la Hollande, des conditions que les gouvernements badois, français, bavarois, hessois, prussien et nassovien, pendant tout le cours d’une négociation de quinze années au sujet de la navigation du Rhin, et au milieu d’une grande diversité d’opinions, ne réclamèrent jamais pour leur propre compte.
« Indépendamment de ces considérations, la politique semble écarter tout arrangement tendant à multiplier les points de contact entre les nations pour des intérêts secondaires, tels que serait la faculté de la pêche et du commerce de pêcherie, abandonnée aux sujets respectifs dans toute l’étendue de l’Escaut ; faculté qui compromettait inévitablement, dans les deux états, le service des douanes et de la police et les intérêts de la justice.
« Quant à la navigation de l’Escaut, le gouvernement des Pays-Bas n’a jamais eu l’intention de l’entraver ; sinon, lorsque la défense du royaume pendant la guerre le commandait temporairement, et bien que par la séparation de la Hollande et de la Belgique l’article 14 du traité de Munster avait repris sa vigueur, la Hollande considère la liberté de l’Escaut comme la conséquence immédiate d’un traité équitable de séparation. Elle est prête à s’engager à fixer les droits de pilotage sur l’Escaut à un taux modéré, et à veiller à la conservation des passes dudit fleuve, et elle ne se refusera pas à adopter provisoirement pour l’Escaut les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831, à Mayence, relativement à la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de cette convention, en autant qu’elles pourront s’appliquer à l’Escaut ; mais cette assimilation de la navigation de l’Escaut à celle du Rhin, pour devenir définitive, exigera une convention spéciale assurant à la Hollande des avantages réciproques, à l’instar de la convention de Mayence, basée non seulement sur l’acte du congrès de Vienne dont les stipulations sont demeurées en litige entre les états riverains du Rhin, mais aussi sur des concessions mutuelles dont il ne fut point question au congrès de Vienne, circonstance qui range la convention de Mayence dans la catégorie à la fois d’une émanation de l’acte du congrès de Vienne et d’un traité de navigation ordinaire. »
Dans son mémoire justificatif du 4 janvier 1832, la conférence, en abordant le paragraphe 2 de l’article 9, s’exprime ainsi : « C’est ici que pèsent les accusations les plus graves contre le travail de la conférence ; » elle s’attache ensuite à expliquer ces dispositions et déclare que si elle a cru des garanties spéciales nécessaires, c’est que la Hollande a invoqué le droit de clôture de l’Escaut, et qu’elle pourrait d’ailleurs, faute d’entretien, rendre à dessein la navigation difficile ou périlleuse. (en note, dans le Moniteur « papier » : texte des explications de la conférence extraites du mémoire du 4 janvier 1832, à l’exception des observations relatives aux eaux intermédiaires)
La disposition du paragraphe 2 de l’article 9 fut une de celles que le cabinet de La Haye dénonça avec le plus de force à la cour de Saint-Pétersbourg ; elle fut un des motifs des réserves mises aux ratifications. Relisez les notes échangées à La Haye durant la mission extraordinaire du comte Orloff (mars 1832), et vous verrez que la rectification de l’article 9, et ce qui concerne la surveillance commune de l’Escaut, y est indiquée de part et d’autre comme premier amendement de rigueur.
Le paragraphe 2 de l’article 9 ne fut pas reproduit par le thème de lord Palmerston, qui contenait une disposition beaucoup moins explicite. Il était dit : §5. Chacun des deux gouvernements désignera, l’un à Flessingue et l’autre à Anvers, des fonctionnaires ou des commissaires ad hoc qui seront chargés de se concerter sur toutes les mesures qu’exigeront la conservation des passes de l’Escaut et le placement ainsi que l’entretien des balises qui les indiquent ; ces mesures seront immédiatement adoptées et mises à exécution, le cas échéant, par les commissaires ou fonctionnaires néerlandais ou belges pour les parties de territoire qui les concerne respectivement. »
Cette disposition nouvelle fut adoptée par le thème prussien, concerté, comme on sait, avec le gouvernement hollandais, mais avec une variante très remarquable ; il y est dit : « Ces mesures seront immédiatement mises à exécution, le cas échéant, par les fonctionnaires ou commissaires néerlandais sur l’Escaut hollandais, et par les fonctionnaires belges sur l’Escaut belge. » Nous voilà arrivés à la distinction absolue, tant désirée : il y aura un Escaut néerlandais et un Escaut belge ; l’Escaut que j’appellerai cosmopolite, dont la police commune est déléguée à deux peuples au nom des intérêts de tous, a disparu.
Fort heureusement que les négociations de 1833, reprises à la suite de la convention du 21 mai, ne furent point dirigées d’après cette distinction rigoureuse, qui aurait pu nous devenir fatale. Sans entrer dans d’autres détails, nous rappellerons que, se prévalant de l’une des propositions du thème de lord Palmerston, les plénipotentiaires belges demandèrent que le pilotage fût facultatif, et qu’à cet effet il fût permis aux deux pays d’établir, dans tout le cours de l’Escaut et à son embouchure, des services de pilotage.
Nous sommes arrivés aux négociations qui ont amené l’acte du 23 janvier 1839.
Le roi Guillaume, par sa note du 14 mars 1838, a adhéré au paragraphe 2 de l’article 9 en même temps qu’aux autres dispositions des 24 articles du 14 octobre 1831.
L’acte du 23 janvier 1839 reproduit le paragraphe 2 de l’article 9 ainsi que la stipulation concernant le droit réciproque de pêche, et établit, comme nous l’avions demandé en 1833, le pilotage facultatif.
Cet acte renferme donc quatre dispositions spéciale :
1° Communauté de surveillance dans tous les cours de l’Escaut ;
2° Droits de pilotage fixés de commun accord ;
3° Droit réciproque de pêche ;
Ces trois dispositions ont paru tellement exorbitantes au cabinet de la Haye, qu’il a soutenu pendant sept années qu’elles constituent une sorte de co-souveraineté au profit de la Belgique ; ces dispositions ont été non seulement maintenues, mais renforcés par la suivante ;
4° Service facultatif de pilotage.
Nous verrons tout à l’heure qu’on peut encore y ajouter une cinquième disposition, conséquence des précédentes.
Nous abordons un autre côté de la question, car la question en a plusieurs ; toute la question n’est pas dans le péage comme on semble le croire ; la liberté fluviale surtout n’est pas tout entière dans le péage. Il pourrait y avoir un péage minime, très minime, presque nul, sans que l’Escaut fut véritablement libre.
Le péage doit être modéré sans doute, mais la liberté de l’Escaut dépend encore et même principalement des garanties de navigation, garanties que la Hollande a, pendant sept ans, à tort sans doute, considérées comme attentatoires à sa souveraineté et au droit commun.
Le traité du 15 novembre 1831 avait-il consacré le principe d’un péage sur l’Escaut ?
En cas d’affirmative, le péage stipulé par l’acte du 23 janvier est-il plus élevé que celui qui devait résulter du traité du 15 novembre ?
Telles sont les deux questions que nous avons à examiner.
Remarquons d’abord, messieurs, que l’affranchissement de l’Escaut de tout péage eût été une exception et qu’une exception ne se sous-entend jamais ; il faut qu’elle soit formellement exprimée. La liberté fluviale n’emporte pas nécessairement, comme le pense M. Dechamps, l’exemption de tout péage ; le congrès de Vienne, en disant « les fleuves sont libres », n’a pas ajouté : « ils sont exempts de tout péage » ; il a dit : « il n’y aura que des péages modérés. » La liberté des fleuves est un principe moderne ; d’après l’ancien droit public, les fleuves étaient la propriété exclusive des riverains qui pouvaient en interdire l’usage aux autres nations, eussent-elles offert de supporter un péage ; même en consentant à payer on restait exclu ; d’après le droit public nouveau, l’usage de certains fleuves est à toutes les nations ; les riverains se bornent à percevoir un péage, qui représente à la fois un droit de transit et un dédommagement pour l’entretien ; dès que l’on consent à payer, le passage est forcé. C’est le grand changement introduit dans l’Europe moderne ; un gouvernement peut interdire tout transit par terre ; mais chose singulière, si son territoire est traversé par un des fleuves européanisés, si je puis parler ainsi, par le congrès de Vienne, il ne peut interdire le transit par cette voie fluviale ; il subit ce transit, quelque contraire qu’il puisse être à ses intérêts industriels et commerciaux ; il le subit en se contentant du péage.
Il est donc évident qu’à moins de donner au traité de Vienne une portée qu’il n’a pas, on n’aurait pu considérer l’affranchissement de l’Escaut de tout péage que comme une exception au droit commun ; passons à la question comme question de texte.
L’article 9 de la première édition des 24 articles consiste en cinq paragraphes :
Le paragraphe 1 est général ; il déclare les articles 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne applicables aux fleuves et rivières qui traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais.
Le paragraphe 2 est particulier à l’Escaut ; il porte que, en ce qui concerne spécialement la navigation de l’Escaut, il sera convenu que le pilotage et le balisage, ainsi que la conservation des passes de l’Escaut en aval d’Anvers, seront soumis à une surveillance commune ; que cette surveillance commune sera exercée par des commissaires nommés à cet effet de part et d’autre ; que des droits de pilotage modérés seront fixés de commun accord, et que ces droits seront les mêmes pour le commerce hollandais et pour le commerce belge.
Le paragraphe 3 est particulier aux eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin ; le paragraphe 3 déclare que la navigation de ces eaux restera réciproquement libre ; qu’elle ne sera assujettie qu’à des péages modérés et uniformes pour les deux pays.
Les paragraphes 4 et 5 sont généraux ; le paragraphe 4 institue une commission pour l’exécution de l’article 9 ; il ajoute que dans le règlement général à faire par cette commission, on comprendra l’exercice réciproque du droit de pêche et du commerce de pêcherie dans toute l’étendue de l’Escaut.
Mais que fera-t-on en attendant la rédaction du règlement général ?
Le paragraphe 5 et dernier répond à cette question : On appliquera les tarifs et dispositions de la convention rhénane du 31 mars 1831 ; on appliquera ces dispositions, en autant qu’elles pourront s’appliquer, aux fleuves et rivières navigables qui séparent et traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais.
Je dis que ce dernier paragraphe est général, car quels sont les fleuves et rivières qui séparent et traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais ?
Je ne connais qu’un fleuve de cette espèce ; l’Escaut ; qu’une rivière, la Meuse.
Par l’application des tarifs de Mayence, comme nous l’a démontré avant-hier M. Smits, l’Escaut aurait été provisoirement frappé d’un péage équivalent à un droit de tonnage supérieur à 4 florins.
Il est évident en premier lieu que l’application des tarifs de Mayence suppose le principe d’un péage.
Il est évident en second lieu que les tarifs de Mayence une fois appliqués, le gouvernement hollandais aurait difficilement renoncé à un provisoire si avantageux pour lui et si onéreux pour nous.
Il y avait dans ce provisoire un grand danger qui a été aperçu dès 1832 ; il fallait soustraire l’Escaut à l’application même provisoire des tarifs de Mayence ; pour l’y soustraire, il fallait fixer définitivement le péage dans le traité même à rédiger sous les auspices de la conférence.
Tel a été le but de lord Palmerston, lorsque, par son thème du 30 septembre 1832, il a proposé de fixer définitivement le péage de l’Escaut à 1 florin (suit dans le Moniteur « papier » : note de bas de page, reprenant la justification par lors Palmerston de ses propositions, annexées au thème, non reprise ici)
Ce n’était pas là établir le péage en principe ; c’était en réduire le montant.
Tel a aussi été le but de l’acte du 23 janvier ; au droit provisoire excédant 4 florins résultant de l’application des tarifs de Mayence, on a substitué le droit définitif de 1 florin 50.
Examinons les objections contre cette interprétation du paragraphe dernier de l’article 9 du traité du 15 novembre.
Ce paragraphe, dit-on, ne comprend point l’Escaut.
Mais s’il en est ainsi, quel est le fleuve dont on veut parler ? En disant que la convention de Mayence sera provisoirement appliquée aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent les deux territoires, on n’aura entendu que la Meuse : indication qui évidemment n’exigeait pas le pluriel. Pour justifier l’emploi de ces mots, dira-t-on qu’il s’agit, outre la Meuse, des eaux intermédiaires ? autre non-sens, car les eaux intermédiaires ne traversent ni ne séparent les deux territoires.
On insiste : le paragraphe 5, dit-on, ne concerne point l’Escaut ; le paragraphe 2 crée un régime spécial pour ce fleuve, et le paragraphe 2 ne parle pas de péage, il ne parle que de droit de pilotage.
Oui, le paragraphe 2 crée un régime spécial pour l’Escaut, mais seulement quant aux points qui y sont énumérés : c’est-à-dire quant à la surveillance du pilotage et du balisage, ainsi que de la conservation des passes, surveillance qu’il déclare commune, quant aux droits de pilotage, droits qu’il ne déclare pas uniques, mais qu’il déclare devoir être fiés de commun accord.
Pourquoi dans le paragraphe 2 est-il fait mention des droits de pilotage ? est-ce pour dire qu’il y aura des droits de ce genre ? Non, cela résultait de la nature des choses. Mais pour dire que les droits de pilotage, résultant du droit commun, seront fixés de commun accord, ce qui constitue une disposition spéciale, disposition dont le cabinet de La Haye s’est plaint très vivement.
Tous les points indiqués au paragraphe 2 de l’art 9 sont autant de dispositions spéciales ; pour tous les points où ce paragraphe ne fait point d’exception, nous restions quant à l’Escaut dans le droit commun.
On va plus loin encore : on trouve une exemption du péage sur l’Escaut dans l’application des articles 108-117 de l’acte général du congrès de Vienne, application stipulée par le paragraphe 1 ; et voici comment.
L’article III porte que la quotité des droit ne pourra, en aucun cas, excéder les droits existant actuellement ; or, il n’existait pas de péage sur l’Escaut en 1814 et 1815, donc on pourra en établir aujourd’hui.
Ce raisonnement aurait pu avoir quelque valeur en présence des bases de séparation du 27 janvier 1831 et des 18 articles, ces deux actes s’étant bornés à déclarer les articles 108-117 du traité de Vienne applicable à l’Escaut sans autre explication ; mais c’est précisément pour éviter les effets de ce raisonnement que la conférence a déclaré, par le paragraphe dernier de l’article 9 du traité du 15 novembre 1831, les tarifs de Mayence provisoirement applicables à l’Escaut.
Mais supposons même que cette addition n’eût point été faite : nous aurions eu dans ce cas à rechercher si en 1814 il existait, non de fait, mais de droit, un péage sur l’Escaut ? Question très délicate, et à l’égard de laquelle le gouvernement des Pays-Bas a fait ses réserves de 1815 à 1830.
Le traité conclu le 27 floréal an III entre les républiques française et batave portait : « Art. 10. La navigation de l’Escaut, du Rhin, de la Meuse, du Hondt, et toutes leurs branches jusqu’à la mer sera libre aux deux nations française et batave, les vaisseaux français et des Provinces-Unies y seront indistinctement reçus et aux mêmes conditions. »
Quoi qu’il n’eut été question que des vaisseaux français et hollandais, tous les vaisseaux des nations amies furent admis dans l’Escaut à la suit de la paix d’Amiens. Mais Anvers était alors appelé à d’autres destinées ; le congrès de Vienne a réduit le port d’Anvers à n’être qu’un port de commerce ; Napoléon avait voulu en faire le grand port militaire de son immense empire. Aucun péage, si ce n’est le droit de pilotage, ne fut perçu sur l’Escaut jusqu’en l’an X ; par le décret du 30 floréal de cette année, il fut établi un droit de navigation intérieure, décret qui fut appliqué à l’Escaut et rendu applicable à toutes les eaux de la Hollande à la suite de la réunion de ce pays à la France en 1810. L’article 1er de ce décret est ainsi conçu : « Il sera perçu dans toute l’étendue de la république, sur les fleuves et rivières navigables, un droit de navigation intérieure dont les produits seront spécialement et limitativement affectés au balisage, à l’entretien des chemins de halage, à celui des pertuis, écluses, barrages et autres ouvrages d’art établis pour l’avantage de la navigation. »
Un des premiers actes de Guillaume d’Orange, proclamé prince souverain des Provinces-Unies, en décembre 1813, dut être de fixer pour 1814 les budgets des recettes et des dépenses ; par les articles 42-46 de son arrêté du 23 décembre 1813 il abolit les droits de navigation résultant du décret français du 30 floréal an X, et il déclara qu’à partir du 1er janvier 1814 l’on percevrait de nouveau sur les rivières les péages (watertollen) en vigueur au 21 décembre 1810. En Belgique le droit sur l’Escaut cessa d’être perçu à la suite de la retraite des autorités françaises ; il ne le fut ni durant l’interrègne, ni après la création du royaume des Pays-Bas ; de fait, l’Escaut se trouvait exemple de tout péage, mais en février 1817 le gouvernement des Pays-Bas, invoquant d’anciens édits, fit ou laissa faire une tentative qui excita les réclamations les plus vives ; cette tentative, on n’y croirait pas si elle n’était attestée par des faits ; il fut annoncé que l’on percevrait sur l’Escaut l’ancien tol zélandais ; la perception se fit effectuée pendant deux mois ; elle fut suspendue par une décision administrative du 10 avril 1817, sans que l’on ait jamais connu les véritables intentions du gouvernement.
Je n’entrerai dans aucune discussion de ces détails qu’il faudrait d’ailleurs préciser et compléter ; vous voyez seulement que s’il avait été nécessaire de soutenir que de droit il existait un péage sur l’Escaut en 1814, on n’aurait pas manqué de trouver des arguments soit dans le décret français du 30 floréal an X, frappé seulement d’inexécution par un fait, soit dans les anciens édits que la Hollande, en se reconstituant comme ancien peuple à la suite de sa restauration de décembre 1813, a prétendu faire revivre au moins partiellement, prétention attestée par l’étrange tentative de 1817.
Quoi qu’il en soit, revenant au texte de l’article 9 du traité du 15 novembre 1831, je crois qu’il est incontestable que l’Escaut est le fleuve auquel, d’après le paragraphe dernier, les tarifs de Mayence devaient être provisoirement appliqués ; application qui assujettissait l’Escaut à un tonnage de plus de 4 florins, tonnage réduit à 1 florin 50 par le nouveau traité.
1° Mais si telle était votre opinion, m’objectera-t-on, pourquoi à certaines époques à-t-on soutenu, pourquoi avez-vous soutenu que l’Escaut n’était pas soumis à un péage par l’article 9 du traité du 15 novembre ? Le gouvernement est donc en contradiction avec lui-même.
Le gouvernement a en effet contesté le principe du péage, non qu’il eût grand espoir de voir accueillir sa réclamation, mais parce qu’il voulait subordonner le principe à certaines conditions : il a commencé par dire à la conférence tout ce que l’on vous a dit, pour soutenir que l’Escaut ne doit pas de péage ; il a soutenu que la rente de 600,000 florins devait être considérée comme renfermant le rachat du péage de l’Escaut ; quand il vu que cette prétention était condamnée, non seulement par l’opinion unanime des membres de la conférence, mais par le texte du paragraphe dernier de l’article 9 sainement entendu, il a reconnu le principe, mais en y mettant les conditions suivantes : fixation du tonnage ou plutôt réduction du tonnage à 1,50 ; perception du droit à Anvers même ; exemption de visite et de relâche ; pilotage facultatif, maintien de la surveillance commune et du droit réciproque de pêche. Tel a été le sens des instructions données en août 1833, instructions dot les nouvelles stipulations de 1839 sont le résultat.
Il me reste à parler de la négociation qui a immédiatement précédé la signature de l’acte du 23 janvier, devenu le traité du 19 avril, négociation qui a produit la déclaration du 18 avril.
Dans son thème du 30 septembre 1832, lors Palmerston avait proposé une disposition ainsi conçue : « Le droit de tonnage sera annuellement acquitté par S.M. le Roi des Belges à S.M. le Roi des Pays-Bas, moyennant une somme de 150,000 florins qui servira d’acquit pour tous les navires indistinctement, et S.M. le Roi des Belges aura en outre la faculté de se libérer pour toujours au moyen d’une capitalisation. »
Cette disposition qui, au moyen d’un sacrifice annuel de 150,000 florins, eût affranchi l’Escaut de tout péage, était sans doute avantageuse à la Belgique, mais sous d’autres rapports le thème de lord Palmerston était moins favorable que l’article 9 du traité du 15 novembre, que l’article 9 du traité nouveau. Nous avons déjà vu que ce thème ne reproduisait pas l’importante disposition du paragraphe 2 relatif à la communauté de surveillance.
Le gouvernement néerlandais se déclara d’une manière absolue contre toute proposition de rachat ; le but de cette proposition était principalement d’assurer aux navires le trajet de la mer à Anvers sans visite ni relâche ; pour atteindre ce but, l’on en vint à l’idée de demander que le péage fût perçu à Anvers, et non, soit à Flessingue, soit en un point intermédiaire, comme Bathz ou Terneuzen. Si le péage avait pu être acquitté de gouvernement à gouvernement, il eût été inutile de s’occuper du lieu de perception en détail ; ainsi, la demande de la fixation du lieu de perception à Anvers impliquait abandon de la proposition de rachat en masse. Tel a été le point de vue nouveau en 1833 ; le gouvernement néerlandais repoussa également l’idée de percevoir le péage ailleurs que sur son propre territoire, en rattachant ce refus à des principes de souveraineté ; ce n’est qu’en adhérant à l’acte du 23 janvier qu’il a accepté cette stipulation.
Je crois devoir insister sur le changement survenu dans les esprits en août 1833 ; le but était d’exempter les navires de toute visite, de toute relâche dans le trajet de la mer à Anvers ; ce but pouvait être atteint de deux manières : par la conversion du péage en une rente annuelle à acquitter directement au gouvernement hollandais par le gouvernement belge, ou bien par le paiement du droit en détail à Anvers même. Dans l’un et l’autre cas, tout examen de la cargaison durant le trajet devient inutile. Le premier moyen, celui du rachat, a été proposé en 1832 et rejeté ; le deuxième, celui de la perception à Anvers, a été proposé en 1833, stipulé par l’acte du 23 janvier 1839, et accepté par le gouvernement néerlandais.
Nous avons déjà vu que par l’application du tarif de Mayence, aux termes du paragraphe dernier de l’article 9 du traité du 15 novembre, le péage aurait excédé 4 florins par tonneau ; ce n’est pas tout, messieurs, ce n’est pas la seule différence entre l’ancien et le nouveau traité ; ce péage de 4 florins par tonneau eût été perçu, non à Anvers, mais sur un point du territoire hollandais, à Flessingue ou à Bathz, c’est-à-dire qu’il y aurait eu visite et relâche.
Je dirai donc avec mon honorable collègue, le ministre des affaires étrangères : d’après le traité du 15 novembre, vous auriez payé, au lieu de 1 florin 50, plus de 4 florins ; et j’ajouterai : Vous auriez acquitté ce péage énorme, non sur le quai d’Anvers, mais en vous arrêtant, en jetant l’ancre, en vous soumettant à une visite devant Flessingue ou devant Bathz.
En stipulant par l’acte du 23 janvier que le lieu de perception serait Anvers, la conférence avait cru rendre sans objet l’ancienne proposition du rachat ; en reproduisant cette proposition, il fallait donc la rattacher à un autre but que celui de l’exemption de toute visite et relâche. C’est ce que l’on a fait dans ces derniers temps ; il serait sans doute désirable que le péage sur l’Escaut pût être acquitté directement par le gouvernement : mais néanmoins il est vrai de dire que le lieu de perception en détail, étant fixé à Anvers, la proposition n’offre plus la même importance qu’en 1832 lorsqu’elle a été faite pour la première fois. Si le lieu de paiement en détail avait été ou Flessingue ou Bathz, il aurait fallu demander le rachat même au prix d’une somme très forte, je dirai presque exorbitante ; or, c’eût été s’assurer l’exemption de toute visite et relâche ; mais le péage devant s’acquitter en détail à Anvers même, ce qui procure déjà cette exemption, le rachat ne pouvait plus être proposé et accepté qu’à un prix modéré ; c’est ce que vous a très bien indiqué hier M. le ministre des affaires étrangères ; et ceux qui se donnent la peine d’approfondir les questions seront de son avis.
La proposition de rachat était en dehors de l’article 9 de l’acte du 23 janvier.
Indépendamment de cette proposition, il se présentait plusieurs questions qui se rattachaient à l’exécution même de cet article, et sur lesquelles il importait d’être fixé avant la signature.
Je ne veux pas dire que ces questions soulevaient des doutes sérieux ; car il y aurait maladresse à exagérer par amour propre un succès ; ces questions ressortaient du texte même, et on pouvait y répondre sans s’écarter du texte.
Mon intention n’est pas de discuter ces questions en détail, ni surtout de montrer jusqu’à quel point elles étaient susceptibles de controverse ; je me bornerai à les indiquer rapidement.
1° La Belgique sera-t-elle, immédiatement, après l’échange des ratifications et avant la rédaction du règlement général, mise en possession des avantages que lui assure l’article 9 ; notamment la surveillance commune de l’Escaut sera-t-elle immédiatement introduite ?
2° Les navires se rendant de la mer à Gand paieront-ils, outre le droit de 1 florin 50 par tonneau, les droits existants sur le canal de Terneuzen en 1830 ?
3° D’après quelle règle mesurera-t-on le tonnage ? Comment appliquera-t-on cette règle aux bateaux à vapeur ? Les navires paieront-ils une deuxième fois à raison des bateaux remorqueurs ?
4° La Belgique sera-t-elle immédiatement admise à la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin, même avant la fixation du péage définitif ; et sur quel pied ?
5° Le service sanitaire sera-t-il dans les attributions de la commission de surveillance commune, ou réglé par la Hollande seule ?
6° Le droit de naviguer emporte-t-il le droit de stationner dans tout le cours du fleuve ?
7° En cas de dissentiment sur la rédaction du règlement général de l’Escaut, à qui s’adressera-t-on ?
Ces questions ont toutes été résolues à l’avantage de la Belgique, sans toutefois que l’on ait fait le moindre tort à la Hollande.
Ces questions, je suis disposé à le reconnaître, étaient ou insignifiantes ou superflues ; je me garderai bien de dire que pour y répondre, il a fallu forcer le sens de l’article 9 ; en exigeant des explications, on a pris des précaution surabondantes.
Ces questions, à l’exception d’une seule, étaient restées inaperçues dans la longue discussion qui a précédé le vote sur l’acte du 23 janvier ; et j’en félicite le pays, si ces questions avaient été posées dès lors, il se serait sans doute trouvé des orateurs qui auraient soutenu que toutes devaient être résolues dans un sens contraire aux intérêts belges. Ce qui n’empêchera pas les mêmes hommes de dire aujourd’hui que ces questions étaient sans objet, et presque niaise : en lisant la déclaration de la conférence du 18 avril, l’on a pu s’écrier : « Cela va sans dire » ; je le veux bien ; mais je répondrais par le mot favori d’un ancien membre de la conférence (M. Talleyrand) : « Cela va encore mieux en le disant. » (Rires.)
Je m’arrêterai cependant à une de ces questions, parce qu’elle se rattache spécialement au projet de loi qui vous est soumis ; je veux parler de la deuxième question concernant le canal de Terneuzen. Le tarif de ce canal a été fixé par un arrêté royal du 9 avril 1830.
D’après les renseignements que je vous ai donnés dans une séance précédente, il y a trois écluses sur le canal, savoir :
La 1re à Gand ;
La 2e au Sas-de-Gand ;
La 3e, qui est double à cause de la bifurcation, à Terneuzen.
Le tarif comprend un droit d’écluse par tonneau et un droit de pont par bateau ou navire.
Ce dernier droit est tellement minime qu’il est inutile de s’en occuper.
Quant au droit d’écluse, il varie suivant qu’il s’applique aux bâtiments de mer ou aux bâtiments de l’intérieur.
Bâtiments de mer. Les droits sont en cents par tonneau :
Bâtiments de l’intérieur. Les droits varient d’après les saisons.
Ils sont pour la saison d’été :
A l’écluse de Gand : en remonte : 10 ; en descente, 8.
A l’écluse du Sas-de-Gand : en remonte : 8 ; en descente, 6.
A l’écluse de Terneuzen : en remonte : 8 ; en descente, 6.
Total : en remonte : 26 ; en descente, 20.
Et pour la saison d’hiver :
A l’écluse de Gand : en remonte : 13 ; en descente, 11.
A l’écluse du Sas-de-Gand : en remonte : 11 ; en descente, 9.
A l’écluse de Terneuzen : en remonte : 12 ; en descente, 9.
TOTAL : en remonte : 35 ; en descente, 29.
La Hollande ayant conservé les écluses du Sas-de-Gand et de Terneuzen, il s’ensuit qu’elle aurait perçu :
Sur les bâtiments de mer : en remonte : 30 ; en descente, 24.
Tandis que la Belgique n’aurait perçu à la seule écluse de Gand que : en remonte : 18 ; en descente : 14.
Si la deuxième question avait été résolue contre nous, les navires pour se rendre de la mer à Gand, auraient payé à la Hollande, remonte et descente, 1-50 pour l’Escaut et 0-54 pour le canal, c’est-à-dire 2-04.
Il eût été injuste et même contraire aux précédents de la conférence de décider cette question autrement qu’elle ne l’a été, le texte d’ailleurs l’exigeait. Le thème de lord Palmerston, tant de fois cité, avait fait une distinction ; les vaisseaux se rendant à Anvers devait payer 1 florin, les vaisseaux se rendant à Gand la moitié : en abandonnant cette distinction dans l’acte du 23 janvier pour assujettir au péage intégral les vaisseaux se rendant à Gand et ne se servant de l’Escaut que sur un cours de 4 lieues environ, la conférence a évidemment voulu leur tenir compte du trajet par le canal de Terneuzen ; l’interprétation contraire eût été une injustice et un non-sens.
Je me résume.
La question de l’Escaut est complexe.
C’est une question d’administration fluviale, et une question d’argent.
La question d’administration a reçu la solution la plus favorable aux intérêts, et de la Belgique et du monde commercial.
Communauté de surveillance dans tout le cours du fleuve ;
Droits de pilotage fixés de commun accord ;
Droit réciproque de pêche ;
Service facultatif de pilotage ;
Service sanitaire réglé en commun.
Telles sont les cinq dispositions, résultant :
Les trois premières, du traité du 15 novembre ;
La quatrième, du traité du 23 janvier ; La cinquième de la déclaration du 18 avril.
Et qui créent pour l’Escaut un régime spécial parmi les fleuves, régime spécial justifié par sa position spéciale.
C’est ainsi que la conférence a résolu la question de l’Escaut ; vieille question qui avait fait le désespoir de nos pères, que Philippe IV avait dédaignée à l’époque des négociations de Munster ; que Marie-Thérèse avait oubliée dans le cours de son beau règne, et dont Joseph II a trafiqué ; question qui, dans le siècle dernier, avait exercé l’esprit de Linguet et le génie de Mirabeau. Cette solution, véritable nouveauté en droit public, je n’hésite point à le dire, dussé-je m’exposer au ridicule d’être juste envers la conférence, fait honneur à la conférence de Londres.
Les cinq dispositions que je viens d’énumérer, ne sont, dans leur exécution, sujettes à aucun ajournement.
Ces dispositions, c’est à nous à nous en assurer l’exécution par de bonnes mesures d’organisation et le choix de commissaires capables ; là est maintenant la question d’administration fluviale : elle est dans les hommes.
Ces dispositions, véritablement exécutées, donnent à la Belgique sur l’Escaut une position qu’elle n’a jamais eue, qu’elle n’a pas même eue durant la réunion, ainsi que vous l’a dit avec raison M. le ministre des affaires étrangères. Il est vrai que de 1815 à 1830 l’Escaut ne supportait pas de péage, mais toute l’administration était hollandaise ; elle avait son siège à Flessingue.
La question d’argent a été résolue, je ne dirai pas contre la Belgique, mais en faveur de la Belgique en tant qu’elle pouvait l’être en présence du traité du 15 novembre et du droit public général.
La conférence n’a pas cru aller plus loin ; mais vous, messieurs, vous pouvez dépasser les limites du droit public ; l’Escaut est libre sous le rapport administratif ; vous pouvez, par la mesure qui vous est demandée, l’exempter, en outre, de tout péage ; il faut bien l’avouer aujourd’hui, la conférence n’a pu aller jusque-là.
On peut même soutenir que la conférence ne serait pas sortie des termes du droit commun en attribuant à la Hollande l’administration exclusive de l’Escaut sur 18 lieues, à la Belgique l’administration exclusive de l’Escaut sur 4 lieues, mais pour une position mixte, je le répète, elle a créé, et avec raison, un régime mixte qu’il nous est réservé d’organiser ; en cela elle a prouvé qu’elle avait l’intelligence de la situation.
La question d’argent, que la conférence a dû respecter, c’est à nous à l’écarter ; vous êtes sous l’empire de considérations qui ne pouvait exercer d’influence sur elle. Si le droit public général qui soumet à un péage les fleuves traversant deux états a dû être remis en vigueur, c’est le fait de la révolution de 1830, qui a séparé les deux pays ; c’est à la Belgique indépendante à réparer la conséquence de ce fait. L’existence d’un péage sur l’Escaut n’est pas le résultat, soit du traité du 15 novembre, soit du traité du 19 avril ; la seule chose dont on puisse demander compte à la diplomatie belge, c’est de la fixation du montant du péage ; le principe même était préexistant ; les effets en avaient été suspendus par la réunion de la Belgique à la Hollande ; le principe a été rendu applicable à l’Escaut par la séparation. C’est ainsi qu’il faut poser la question quand on remonte impartialement à l’origine des choses.
Ce n’est donc pas une faute de la diplomatie belge que vous êtes appelés à réparer.
Ce n’est pas une faute de la majorité qui a voté l’acte du 23 janvier que vous êtes appelés à réparer.
C’est une conséquence de la révolution de 1830 que vous êtes appelés à réparer, que vous devez réparer au nom de cette révolution.
(Moniteur belge du 19 mai 1839) M. Mercier – Messieurs, je regretterais beaucoup de prolonger une discussion déjà bien longue ; mon intention lorsque j’ai demandé la parole était au contraire de cherche à la simplicité en la portant plus directement sur le seul objet qui me parût encore sérieusement en contestation.
Je ne chercherai donc pas à démontrer, comme l’ont fait d’ailleurs avec succès plusieurs orateurs, que la liberté de l’Escaut est indispensable à la prospérité matérielle du pays, qui elle-même se lie intimement à la prospérité commerciale de notre principale ville maritime ; je ne répèterai pas non plus que le droit de péage frappant la consommation intérieure quant aux objets importés définitivement, et notre industrie quant à ceux de ses produits qui sont livrés à l’exportation ; ce sont les consommateurs et les producteurs belges qui ont intérêt au remboursement de cette partie du droit. Ce sont là de ces vérités qu’il suffit d’énoncer pour qu’elles soient immédiatement reconnues par quiconque possède les moindres notions d’économie politique.
Les observations que je vais vous soumettre, messieurs, sont puisées dans les faits qui se rattachent immédiatement à la partie de la question du péage, actuellement soumise à nos délibérations. Avant de les entamer cependant, je dirai quelques mots d’un nouvel amendement présenté dans notre séance d’hier, celui de l’honorable M. de Muelenaere.
Je ne puis y donner mon assentiment parce qu’une mesure provisoire de cette nature ne donnerait pas au commerce cette sécurité, cette confiance dans l’avenir qui lui est indispensable pour se livrer à des spéculations de quelqu’importance.
Si des abus qu’on a paru appréhender, notamment en ce qui concerne la pêche, viennent à se commettre, le gouvernement et la législature ne manqueraient pas de remplir leur devoir et d’y porter remède par tous les moyens que les circonstances exigeraient.
Je crois que la grand majorité de la chambre est d’accord sur ce point, que le péage doit être restitué aux navires belges.
Cela étant, voyons quelle a été la moyenne du tonnage des navires de mer entrés par l’Escaut pendant les trois années les plus prospères de notre commerce maritime. Cette moyenne est de 217,000 tonneaux ; mais il faut déduire de ce chiffre le tonnage de toute la partie des bateaux à vapeur qui n’est pas destinée à recevoir des marchandises, c’est-à-dire les deux tiers environ.
Le tonnage des bateaux à vapeur a été en 1838, pour le port d’Anvers, dans la proportion de 32 p.c. ; en suivant cette base, il doit être de 68,500 tonneaux sur la moyenne des trois dernières années ; après déduction des 2/3 de ce chiffre, le tonnage soumis au droit de péage sera réduit de 171,300 tonneaux ; et la somme du péage ne s’élèvera qu’à 257,000 florins.
Dans ce tonnage, la navigation belge entre pour environ 29 à 30 p.c., de sorte que la somme du péage à rembourser aux navires étrangers ne serait que de 179,900 florins ou 380,000 francs. Sous le rapport des intérêts du trésor public ou de la somme que nous aurions à supporter par suite du projet de loi, la discussion n’a donc plus pour objet qu’une charge de 380,000 francs ; en admettant que par suite d’une grande prospérité commerciale le mouvement de nos ports augmente encore d’un tiers, le chiffre sera porté à 508,000 francs.
Plusieurs honorables membres de cette enceinte, opposés au projet tel qu’il est conçu, veulent aussi que le remboursement du péage ait lieu pour les nations avec lesquelles nous avons des traités de commerce : on peut donc admettre que pour eux l’objet en litige est encore diminué au moins de moitié par suite des traité conclus ou sur le point de l’être, et qu’ainsi ils ne contestent plus que le vote d’une somme annuelle de 190,000 florins ou de 254,000 francs, en cas de l’augmentation de nos relations commerciales dans la proportion d’un tiers.
C’est messieurs, pour un sacrifie aussi faible qu’on se refuserait à rétablir entre nos différents ports de mer l’égalité détruite par un traité qui intéresse toute la Belgique, et qu’on s’exposerait à compromettre tout notre avenir commercial.
J’ai la conviction, messieurs, qu’en présence d’un tel état de choses il est impossible que votre détermination soit douteuse.
Il me reste à examiner, messieurs, quelle est la portée des amendements proposés sous le rapport des droits différentiels, et quelle influence ils pourraient exercer sur notre navigation et sur notre commerce maritime.
Un honorable orateur a dit, dans notre séance d’avant-hier, que son système de droits différentiels n’est pas combattu au fond, mais uniquement sous le rapport de l’opportunité ; qu’il me soit permis de lui faire observer que toute la question, quant à présent, est dans l’opportunité. Personnellement, je suis loin de décliner en temps utile l’examen approfondi d’un système de droits différentiels ; c’est, au contraire, parce que cette question est trop grave et trop vague qu’il me paraît impossible de la traiter à l’occasion du péage sur l’Escaut. Non seulement le temps nous manque, mais le droit de péage, alors même qu’il serait rendu général, par l’application d’un droit équivalent, aux ports dans lesquels on n’entre pas par l’Escaut ; ce droit, dis-je, par son exiguïté relative, ne présente pas une marge suffisante pour établir des droits différentiels qui seraient de quelque efficacité pour atteindre le but principal qu’on doit se proposer, et qui est de tirer les produits étrangers directement des lieux de provenance au moyen de la navigation belge, et de faciliter ainsi l’échange de nos produits.
Pour se convaincre qu’un tel droit serait inefficace, il suffit de se représenter ce qui a lieu à l’égard du sucre brut importé dans nos ports. Par suite des disposition du tarif des douanes, il existe sur cette denrée un droit différentiel, en faveur de la navigation belge, de 17 fr. 28 par tonneau de mer sur les navires étrangers qui arrivent directement des lieux de provenance ; malgré cet avantage, les importations directes par navires belges n’ont été, en 1837, que de 1,758,000 kilogrammes, tandis que les importations de même nature, par navires étrangers, se sont élevées à 10,990,000 kilogrammes ; en 1838, les premiers ont été de 1,783,000 kilogrammes, et les derniers de 9,940,000.
Que serait-ce donc qu’un avantage de 1 fl. 50 c. ou 3 fr. 36 c. quand une faveur de 17 fr. 28 exerce si peu d’influence sur le chiffre relatif des importations directes par pavillon national ?
Des observations de même nature pourraient s’appliquer encore à d’autres objets de notre commerce maritime.
Il est donc de toute évidence qu’on ne peut fonder un système de droits différentiels sur un péage de 1 fl. 50 c. par tonneau.
Me résumant, je conclus, messieurs, en exprimant l’opinion que dans l’intérêt des consommateurs, des producteurs et du commerce de transit et d’entrepôt, le péage doit être remboursé aux navires de toutes les nations indistinctement, et qu’il faut remettre à d’autres temps toute discussions sur un système plus complet de droits différentiels.
M. Dechamps – A l’ouverture de cette discussion, je suis entré dans cette enceinte avec l’intention bien formelle de coopérer pour ma part à l’affranchissement de l’Escaut. Dans la discussion du traité du 19 avril, au nombre des motifs qui m’ont porté à refuser mon adhésion à ce traité, était, je vous l’ai dit, la question du péage. Ce que j’ai dit, je le répète, je ne rétracte aucune des paroles que j’ai prononcées à la tribune à cette occasion, et je crois avoir autant de sympathie pour la prospérité de l’Escaut que ceux qui s’en sont constitués ici les défenseurs officiels.
Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire dans une précédente séance, nous qui sommes convaincus qu’il est de l’intérêt de la Belgique d’avoir un commerce direct, nous avions cru trouver dans la question du péage une occasion favorable d’introduire ce système d’une manière partielle et prudence. L’honorable rapporteur, M. Rogier, a avoué lui-même que cette occasion pouvait paraître favorable. Nous le pensions d’autant plus que le péage nous étant imposé, nous n’avions pas l’inconvénient de faire un acte d’hostilité à l’égard des puissances. Voilà le motif qui m’avait déterminé à présenter mon amendement, et je me réjouis de la discussion à laquelle il a été soumis ; mais cet amendement a rencontré deux espèces d’adversaires. Les uns le rejettent parce qu’ils n’admettent pas le principe ; les autres (et c’est, je crois, le plus grand nombre), parce qu’ils trouvent inopportuns de l’introduire dans notre législation commerciale à propos de la question du péage. Je me suis aperçu aussi que d’honorables membres ont appuyé mon amendement pour atteindre un but qui n’est pas le mien. Je ne veux pas lancer mon amendement dans une pareille mêlée, je le crois trop sérieux ; j’y attache une trop grande importance pour risquer de le voir repousser par des motifs opposés. Si la chambre rejetait mon amendement, on pourrait arguer de ce rejet pour soutenir que la chambre repousse le système que je défends, tandis qu’un grand nombre de membres ne l’auraient rejeté que comme inopportun ; ainsi je retire mon amendement, me réservant de le reproduire soit à propos d’une question de douanes, soit en usant de mon initiative et comme système plus général.
Puisque j’ai la parole, vous me permettrez de répondre quelques mots à M. le ministre des travaux publics. Si j’étais préparé à répondre au long mémoire historique et justificatif qu’il vient de prononcer, je me garderais bien de le faire pour ne pas lui donner l’occasion d’ajouter à l’indiscrétion qu’il vient de commettre et que je pardonne difficilement à un homme d’état de sa valeur. Comment ! M. Smits nous apprend dans une séance précédente que le gouvernement, dans les négociations conduites à Londres, a suivi le système que nous avons défendu, c’est-à-dire que l’acte du congrès de Vienne était applicable à l’Escaut, c’est-à-dire qu’aucun péage ne devait être établi sur l’Escaut, d’après l’acte du congrès de Vienne qui devait dominé la question ; et M. le ministre des travaux publics nous dit que notre gouvernement a eu tort de soutenir cette thèse dans les négociations, il nous apprend que le roi Guillaume a eu raison de soutenir la thèse opposée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Quel danger y a-t-il à cela ?
M. Dechamps – Il n’y aurait pas de danger si la question belge était à tout jamais résolue ; mais il n’en est pas ainsi dans l’état actuel de l’Europe, lorsqu’il est possible que ces questions reviennent sur l’eau et soient traitées d’ici à quelques années.
M. le ministre a soutenu que l’acte du congrès de Vienne n’avait pas détruit le traité de Munster et n’avait fait que le modifier ; je ne conçois pas qu’un ministre belge tienne ce langage ; je comprends qu’on subisse une décision de la conférence en ce sens, mais je ne comprends pas qu’on l’approuve ; car s’il est vrai que l’acte du congrès de Vienne, ce que je pense, n’a pas détruit le traité de Munster, ne pouvons-nous pas espérer qu’un jour un nouveau traité ne régisse pas l’Escaut comme fleuve spécial, mais le comprenne dans la catégorie des fleuves européens ? N’est-il pas évident que dans une telle hypothèse le gouvernement donne des armes à nos adversaires ? Je trouve la communication de M. le ministre intempestive, je trouve que c’est là une indiscrétion.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je dois être étonné que le préopinant qui en toute circonstance s’est attaché à démontrer que tout est contraire à l’intérêt belge dans l’article 9 du traité, me fasse un reproche d’indiscrétion. Si je suis entré dans ces détails, c’est parce que je pense qu’il y a avantage à répéter publiquement que l’article 9 du traité nous est favorable, que la conférence a entendu résoudre la question d’une manière favorable à l’intérêt belge et au commerce en général. C’est sous ce point de vue qu’il faut se placer. Il faut se garder d’imiter le préopinant, qui en toute circonstance s’efforce de trouver un côté faible à l’article 9 du traité.
Quant à l’indiscrétion, je répondrai que ces explications sont sans aucun danger. Quiconque a étudié l’histoire maritime sait parfaitement le sens de l’acte du congrès de Vienne. Le congrès de Vienne a déclaré certains fleuves européens, il a rendu le transit par ces fleuves obligé moyennant un péage modéré. C’est là le sens de l’acte du congrès de Vienne. Le congrès de Vienne n’a pas eu pour but d’affranchir de tout péage les fleuves qui traversent plusieurs territoires.
Le traité de Munster avait fermé l’Escaut, c’est-à-dire, quand même on aurait voulu y payer un péage au profit des riverains, on n’aurait pu transiter. C’est là le sens du traité de Munster. Le congrès de Vienne a déclaré le transit obligatoire moyennant un péage modéré, c’est là l’esprit de l’acte du congrès de Vienne. En le disant, je n’ai commis aucune indiscrétion. Car c’est une chose que savent tous les diplomates, tous ceux qui ont étudié les actes de la diplomatie ancienne et moderne.
M. Van Cutsem – Messieurs, l’amendement que j’ai proposé a pour but de conserver à la Belgique sa dignité de nation indépendante, et de conclure avec les puissances alliées des traités qui favorisent notre commerce et notre industrie.
Aucun orateur n’a essayé de détruire les arguments que j’ai fait valoir pour prouver que la Belgique, comme nation, ne devait pas commercer par donner, avant de savoir ce qu’elle recevait en échange de ses donations. Un orateur a essayé de contester l’exactitude des faits que j’ai allégués pour établir que notre marine marchande, notre commerce et notre industrie avaient besoin de protection pour rivaliser avec les autres nations commerçantes, c’est l’honorable M. Smits. Ce député d’Anvers nous a dit que la marine marchande, que l’industrie et le commerce étaient dans un état florissant ; que le député de Courtray se trompait, quand il disait à la chambre que la marine marchande était venue presqu’à rien depuis 1830, et quand il disait que nos fabricants avaient besoin de débouchés à l’extérieur pour se débarrasser des marchandises qui encombrent leurs magasins ; et cet honorable orateur croit avoir démontré la véracité de ces allégations quand il nous a dit que la marine marchande se compose actuellement de 150 navires, dont il n’indique ni la capacité, ni l’usage, et que la Belgique a exporté plus en 1836 qu’en 1832.
Vous osez dire, vous, députés d’Anvers, vous qui, par votre position actuelle et par celle que vous aviez il y a quelques années, devez savoir mieux que personne si la marine marchande décline ou non depuis 1830, que cette marine marchande est aujourd’hui dans un état florissant ? Vous avez donc oublié que nous avons compté dans le port d’Anvers, vingt-huit frégates, dont la plus petite avait une capacité de 350 tonneaux, et dont la plus grande était de douze cents tonneaux ; que nous avions dans cette même ville un grand nombre de bricks de deux et trois cents tonneaux, et qu’aujourd’hui, nous n’avons plus que cinq frégates, que nous avons peu de bricks, et que notre marine marchande se compose à peine de quelques koffs, de quelques cutters, de quelques bélandres et de quelques barques de pêcheurs. Je ne suis pas le seul qui dise que notre marine marchande est venue presqu’à rien : l’honorable Ullens, autre député d’Anvers, qui demande aussi la liberté franche et entière de l’Escaut, nous a dit aussi que cette marine était bien faible, en nous priant de ne pas détruire une partie de l’industrie de la Belgique au profit de nos quelques armateurs. Si notre marine se trouvait dans un état florissant, se serait-il servi de l’expression de « nos quelques armateurs » ? Evidemment non. Après cela, ne puis-je vous demander, M. Smits, quelle opinion vous avez de la chambre, quand vous osez lui dire que notre marine est dans un état florissant, si vous avez l’idée de la convaincre de ce que vous lui apprenez ? Mais vous ne pouvez avoir espéré de nous faire croire que notre marine est dans un état prospère, car vous n’ignorer probablement pas plus que moi que pour persuader les autres, il faut d’abord être persuadé soi-même de ce qu’on avance ; c’est le premier principe de toute éloquence. Dites-nous quel était le tonnage de nos navires marchands en 1830, en 1831 et les années suivantes, et quel est leur tonnage à l’heure où je parle, et vous me prouvez ainsi, par la comparaison que je serai à même de faire, que notre marine marchande a augmenté, je ferai amende honorable en avouant que j’ai eu tort de demander protection pour une marine qui n’en a pas besoin, parce qu’elle est dans un état florissant.
Nous avons exporté plus en 1836 qu’en 1832, d’où vous tirez la conséquence, vous messieurs, les députés d’Anvers et d’Audenaerde, que nos magasins, que nos usines ne sont pas remplis de fabricats ; est-elle juste, cette conséquence ou ne l’est-elle pas ? Elle pourrait l’être, mais elle ne l’est pas nécessairement par ce fait seul que les exportations ont augmenté jusqu’en 1836 ; en effet, elle le serait si l’on nous prouvait que le commerce a exporté des fabricats et des produits pour des sommes plus fortes en 1836 qu’en 1832 ; mais elle ne l’est plus si, au lieu d’exporter des fabricats et des produits de notre industrie, nous n’avons exporté que des matières premières telles que nos lins, nos étoupes et nos écorces. Que l’honorable M. Smits, encore une fois, veuille bien nous donner des explications à cet égard, et alors nous pourrons dire avec connaissance de cause : Le commerce et l’industrie ont besoin de protection ou n’en ont pas besoin. J’ajouterai cependant que, pour me convaincre entièrement, il devra m’apprendre aussi le résultat de nos exportations de 1837 et de 1838, qu’il me paraît à même de nous faire connaître par les documents qui reposent dans son cabinet.
Aussi longtemps que l’honorable député d’Anvers n’aura pas fourni à la chambre les renseignements que je désire qu’il lui donne, je maintiendrai mon amendement, parce qu’il est démontré pour moi qu’une marine marchande dans un pays essentiellement producteur a besoin de protection lorsqu’elle décline, et que le commerce et l’industrie de ce même pays ont également besoin de protection lorsque les magasins et les usines abondent de leurs produits. Je n’ai pas à défendre mon amendement des reproches que certains orateurs ont fait aux honorables Messieurs de Foere et Dechamps, ceux de vouloir saisir l’occasion du projet de loi sur le péage de l’Escaut pour introduire dans notre législation financière le système des droits différentiels, ou de vouloir un Escaut pour la Belgique seule, car autre chose est, comme l’a fort bien dit l’honorable M. de Foere, d’établir un système différentiel et de demander protection pour son pavillon, son industrie et son commerce.
Je veux par mon amendement rendre la jeune Belgique digne du nom de nation indépendante ; je veux par mon amendement la placer sur la même ligne que les autres puissances de l’Europe, qui, pour avoir un territoire plus étendu et une population plus nombreuse, ne sont cependant que nos égales quant il s’agit de nos droits comme nation. Si nous avons comme nation les mêmes droits que l’Angleterre, la France et les autres puissances du monde, pourquoi devons-nous nous abaisser devant elles comme si nous étions leurs inférieures ? Pourquoi devons-nous commercer par leur offrir des présents comme les vassaux en présentaient à leurs seigneurs pour obtenir une grâce de leurs maîtres ? Ne vaudrait-il pas mieux nous conduire comme les autres nations, qui ne donnent rien sans obtenir quelque chose en échange, et ce dans l’intérêt de notre dignité nationale, de notre commerce, de notre industrie et de notre agriculture ? Qu’on me cite une seule législature en Europe qui grève ses peuples de contributions pour encourager le commerce de transit aux dépens de son propre commerce, et alors je consentirai aussi à faire peser sur nos concitoyens le nouvel impôt qu’on veut leur imposer, sans exiger des autres nations des traités de commerce qui sont favorables à notre prospérité nationale.
Ne craignons pas que si nous n’ouvrons pas l’Escaut sans condition aucune aux autres nations du monde, la marine marchande étrangère déserte nos ports : l’Angleterre, la France, l’Amérique et les autres peuples marchands ont trop d’intérêt à y aborder pour y renoncer. Que les armateurs étrangers trouvent leur compte à déposer leurs marchandises à Anvers, qu’ils désirent continuer à y aborder, c’est l’honorable M. Rogier qui nous l’aurait appris, si nous ne l’avions su déjà. Cet orateur nous a dit, lorsqu’il a voulu nous convaincre qu’il fallait rembourser le péage à toutes les nations indistinctement, que du jour où la question du péage a été introduite à la conférence, le gouvernement a pris l’engagement de demander aux chambres de mettre le péage à la charge du pays. Pourquoi le gouvernement a-t-il pris cet engagement ? Evidemment parce qu’on lui a adressé de pressantes sollicitations à cet égard ; et pourquoi les lui a-t-on faites, si ce n’est parce que le commerce européen ne peut se passer de la navigation de l’Escaut ? S’il nous est démontré à présent que la libre navigation de l’Escaut est indispensable aux nations alliés, ne serait-ce pas oublier entièrement les intérêts de la nation belge que de supprimer l’entrave qui existe sur l’Escaut, sans exiger des traités qui protègent aussi notre marine et notre commerce à l’étranger ? Que résulte-il de ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire ? j’en conclus, pour ma part que l’argument que l’honorable M. Rogier a fait valoir pour vous engager à rendre immédiatement l’Escaut libre pour la navigation de toutes les nations, loin d’atteindre le but qu’il s’est proposé en vous le soumettant, doit produire un effet contraire.
Si, comme je ne le révoque pas en doute, c’est l’honorable M. Rogier qui nous l’a appris, les membres de la conférence ont, du jour où la question du péage a été introduite à la conférence, insisté pour que notre gouvernement prît l’engagement de demander aux chambres de mettre le péage à charge du pays, ne pensez-vous pas avec moi que nous avons eu tort de prendre cet engagement, et que si nous ne l’avions pas pris, l’Escaut n’eût pas été grevé d’un péage que certains orateurs regardent comme devant anéantir la navigation étrangère.
L’honorable M. Rogier a encore demandé si les orateurs qui voulaient voir modifier le projet de loi sur l’Escaut, demandant un Escaut libre ou un Escaut fermé, ou simplement à demi ouvert, ouvert seulement à quelques pavillons, à quelques intérêts privés. Nous demanderons à notre tour, à cet honorable député et aux honorables orateurs qui appuient son système, s’ils veulent eux un Escaut sur lequel flotteront les paillons de toutes les nations, le seul pavillon belge excepté, ce qui doit nécessairement arriver si la législature ne fat rien pour encourager la marine marchande indigène, et si elle ne profite pas de l’occasion que nous fournit le traité des 24 articles, pour obtenir des traités de commerce des puissances qui ne nous ont pas encore reçus chez elles sur le pied des nations les plus favorisées.
Je ne veux donc pas plus que les honorables messieurs Rogier, Liedts et Smits, la fermeture de l’Escaut pour toutes les nations, excepté pour la nation belge, mais je ne veux rien donner en échange de rien ; je veux protéger notre industrie, notre commerce, notre marine marchande, parce que je suis convaincu qu’un seul navire marchand indigène produit plus de bénéfice à la Belgique que vingt navires étrangers qui y portent de la marchandise en transit et retournent sur lest dans leur pays ; je ne veux pas que les autres peuples puissent croire de nous que nous voulions justifier aujourd’hui la pensée de Montesquieu, qui a osé dire le premier que les gouvernements les plus libres étaient aussi les plus chers, je veux que nos navires soient admis dans tous les ports du monde, je veux que la Hollande nous reçoive dans ses ports d’Europe, comme elle y reçoit les autres nations, qu’elle nous ouvre ses ports de l’Inde comme elle les ouvre aux autres nations, sans nous faire payer un droit de cinquante pour cent sur toutes les marchandises que nous voudrions y introduire, tandis que les autres nations ne paient qu’un droit de 25 p.c. ; je veux encore que les produits de notre industrie n’encombrent pas nos usines de manière que les fabricants ne puissent occuper leurs ouvriers que trois jours par semaine ; je veux que les capitaux ne s’enfouissent pas dans les terres pour y produire un intérêt d’un pour cent, que les négociants du plat pays fassent leurs affaires avec un crédit de trois mois qui leur suffisait il y a quelques années, tandis qu’aujourd’hui ils ont besoin d’un crédit d’un an pour faire honneur à leurs obligations ; je veux que les nations étrangères prennent nos draps, nos cotons et nos fabricats en échange des produits qu’ils importent chez nous au lieu d’encombrer notre pays de leurs produits et de retourner chez eux sur lest.
Voilà pourquoi j’ai proposé mon amendement, et voilà pourquoi je le maintiens.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Nous avons dit et nous continuons à penser que ni la question commerciale ni la question des droits différentiels ne peuvent être examinées actuellement. C’est ce qu’a compris l’honorable M. Dechamps, qui a agi très sagement, selon moi, en retirer son amendement. Je ne viens donc pas combattre les amendements relatifs à ces question, mais j’ai quelques mots à dire relativement à l’amendement de M. de Muelenaere. Selon cet honorable membre, qui va, concernant la question d’inopportunité beaucoup plus loin que nous, nous ne serions pas même en état de discuter actuellement la question du remboursement du péage sur l’Escaut ; et à cet effet il nous propose d’ajourner jusqu’au 1er avril 1840 la décision sur cette question.
Ainsi, messieurs, nous ne serrions pas en état aujourd’hui de décider la question de la liberté de l’Escaut ! Mais si nous ne sommes pas en état aujourd’hui de discuter cette question, nous l’étions encore moins lorsque nous avons discuté le traité lui-même. Cependant, lorsque nous avons discuté le traité, c’est consciencieusement que les honorables membres qui ont voté contre le traité ont cherché à accuser le gouvernement de n’avoir pas su obtenir la liberté pleine et entière de l’Escaut. C’est consciencieusement aussi que les honorables membres dans l’esprit desquels il y a eu nécessité d’accepter le traité ont bien établi leurs réserves à l’égard de la question de l’Escaut, en disant qu’il fallait obtenir le rachat ou que le remboursement devait avoir lieu à la charge de la nation.
Ainsi, messieurs, lorsque nous avons discuté le traité, tout le monde était d’accord, et ceux qui n’en voulaient pas, et ceux pour lesquels il y avait nécessité de l’accepter, qu’il était de l’intérêt général tout à fait évident d’obtenir la liberté pleine et entière de l’Escaut ; et c’est alors que le gouvernement, remplissant un devoir impérieux pour lui, vint proposer à la législature le seul moyen qui nous restait d’arriver à cette liberté ; c’est dans ces circonstances que l’on vient soutenir que nous ne sommes pas en état de discuter cette question !...
Messieurs, nous devons remercier, quant à nous ministres, l’honorable auteur de l’amendement de la haute confiance qu’il veut bien avoir en nous, en nous accorant un pouvoir exorbitant, pouvoir que l’on n’a jamais accordé à aucun ministère dans cette chambre ; mais je dois voir dans cette question tout autre chose qu’une question d’amour-propre de ministre. J’y vois une question très importante, une question de sécurité pour le commerce. Tout le monde sait qu’il n’y a rien qui énerve, qui tue plus facilement le commerce et l’industrie que l’état d’incertitude. Si l’amendement était adopté, cet état d’incertitude à l’égard de la liberté de l’Escaut, que tous nous devons désirer se prolongerait encore au moins jusqu’au 1er avril de l’année 1840.
Il y a plus, c’est que si à cette époque, il n’était pas intervenu de la part de la législature une nouvelle décision, il en résulterait qu’à cette époque il n’y aurait plus rien et que l’on en reviendrait à ce que la navigation de l’Escaut serait sujette à toutes les entraves qui sont la suite du traité.
Messieurs, mon honorable collègue des affaires étrangères a trop bien démontré que dans l’exception que nous avons proposée, à l’égard des navires hollandais, il n’y avait de notre part aucune pensée hostile, pour que je croie devoir y ajouter quelque chose ; mais il y a encore d’autres motifs que nous n’avons pas encore fait connaître et qui nécessitent au moins la faculté d’exception en ce qui concerne les navires hollandais.
Messieurs, il faut bien faire attention à ce que seront les agents hollandais qui, par le traité, seront chargés de la perception du péage ; eh bien, s’il arrivait que ces agents en vinssent, soit à favoriser les navires hollandais, soit à vexer plus ou moins les navigateurs belges, quels moyens aurions-nous d’appuyer les réclamations qui seraient faites dans ces circonstances, si nous n’avions pas la faculté de retirer aux navires hollandais le bénéfice du remboursement ?
Ensuite c’est au profit de la Hollande que se percevra le péage sur l’Escaut ; et si nous accordions le remboursement aux navires hollandais sans compensations, sans condition, qu’en résulterait-il ? C’est que s’il plaisait au gouvernement hollandais de ne pas percevoir en réalité ce péage des navires hollandais, le remboursement obligé que nous ferions, constituerait une véritable prime en faveur de la navigation hollandaise, une espèce de droit différentiel, dont cependant plusieurs honorables membres de cette chambre ne veulent pas même en faveur de notre navigation.
Vous le voyez bien, messieurs, des motifs très puissants militent très vivement en faveur de ce que le remboursement puisse être retiré aux navires hollandais par le gouvernement belge.
L’amendement de M. Lebeau va plus loin, en ce sens qu’il accorde la faculté de retirer le remboursement aux navires de toutes les nations ; à moins qu’il ne soit adopté, et je ne m’y oppose pas, je persiste à demander l’adoption de celui que nous avons présenté.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable député de Courtray, M. Van Cutsem, a supposé bien gratuitement que c’était à l’instigation des puissances étrangères que le gouvernement remboursera le péage sur l’Escaut ; cette supposition n’a pas de fondement ; aucun gouvernement n’a fait de démarche près du nôtre en ce sens, n’en a même exprimé le désir. Si nous nous sommes déterminés à présenter le projet de loi, ç’a été dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt du commerce.
Il est très vrai que les pays étrangers profiteront indirectement des dispositions de la loi ; mais il en est ainsi de toutes les dispositions favorables au commerce que nous pouvons établir dans notre législation, et de plus c’est un titre pour obtenir une juste réciprocité de la part d’autres états.
Ayant répondu à cette supposition, j’ajouterai quelques mots sur l’amendement présenté par l’honorable M. de Muelenaere. Ainsi qu’on l’a dit, le terme qui a été fixé est infiniment trop court. Cet amendement jetterait évidemment la perturbation dans les relations commerciales, parce que l’on considérerait cette mesure, dès maintenant, comme étant peu susceptible de devenir définitive, d’être consacrée par une disposition finale.
Cet amendement consacre d’ailleurs un principe contraire au remboursement ; or, nous voulons faire consacrer le principe du remboursement dont l’utilité n’a été contestée par personne. Chacun a considéré le péage comme un mal, tant dans la discussion du traité de novembre 1831 que dans la discussion des conventions du 23 janvier : toujours l’on a été d’accord que le péage était onéreux au pays, qu’il fallait que le gouvernement cherchât a parer à ce mal s’il était possible. Dès lors que l’on était d’accord sur ce point, il ne s’agissait que de voir si le remboursement ne constituerait pas une charge trop forte, c’est-à-dire supérieure aux avantages commerciaux que l’on pourrait retirer de la liberté absolue de l’Escaut ; or, la question envisagée sous ce point de vue n’en est pas une, car il est évident que de deux choses l’une : ou le péage est tellement onéreux que la navigation ne se fera plus comme à présent, et alors le commerce en éprouvera préjudice ; ou bien la navigation aura lieu sur le même pied, et les armateurs qui auront payé des droits au gouvernement hollandais s’en feront rembourser par les consommateurs. S’il en est ainsi pourquoi ne pas prendre une disposition plus certaine dans l’intérêt du commerce et assurer d’une manière formelle le remboursement des navigateurs ? Le pays n’en sera pas grevé, et le commerce aura l’assurance qu’il n’y aura pas perturbation dans ses relations actuelles.
Après cela on ne pourra faire qu’une seul objection au projet, c’est la rivalité du port d’Ostende ; mais il a été bien démontré que l’on ne pouvait s’arrêter à cette considération. La révolution de 1830 a trouvé le port d’Anvers libre ; elle n’a pas été faite pour favoriser le port d’Ostende ou détruire celui d’Anvers : le pays doit protection aux deux ports : aussi avons-nous fait nous-mêmes, il y a plusieurs années, des propositions pour améliorer le port d’Ostende et avons-nous demandé des sommes considérables aux budgets dans ce but.
Tels, messieurs, seront constamment les principes du gouvernement ; nous favoriserons l’un et l’autre port de la même manière et autant qu’il sera en notre pouvoir, parce que de la prospérité de ces deux projets dépend en général la prospérité du pays.
Je crois pouvoir me borner à ces courtes observations, qui me semblent résumer la discussion et j’espère, messieurs, que vous n’hésiterez pas à accueillir le projet de loi que le gouvernement vous a présenté.
Quant à l’amendement de M. Lebeau, comparé à celui de M. le ministre des finances, il m’est assez indifférent lequel des deux la chambre voudra adopter ; il me suffit de déclarer, pour le cas où l’amendement de M. le ministre des finances serait adopté, qu’on ne peut voir aucune espèce d’hostilité contre la Hollande dans la disposition de l’article premier, qui consacre la faculté d’excepter les navires néerlandais de la faveur du remboursement ; que cette disposition n’a été proposée que parce que le gouvernement hollandais percevant le péage, il pourrait se présenter des circonstances qui missent le gouvernement belge dans la nécessité de refuser le remboursement aux navires néerlandais. Par des motifs analogues, nous ne nous opposerons pas à l’amendement de M. Lebeau qui, par sa généralité et par la latitude qu’il laisse au gouvernement relativement aux autres nations, est peut-être même préférable.
Un grand nombre de voix – La clôture !
M. Donny – Messieurs, depuis le commencement de la discussion de l’article premier, je n’ai pas encore eu l’occasion de dire un seul mot ; d’autres membres ont parlé et ont agité des questions entièrement étrangères au projet ; la moitié de la séance d’hier a été consacrée à une discussion sur ce qui s’est passé lors de la délibération sur le traité des 24 articles ; mais on a dit fort peu de choses sur le projet lui-même. Je demande dont que la discussion continue, afin que l’on puisse au moins s’occuper un instant de la question dont il s’agit.
M. de Muelenaere – Messieurs, presque toute la séance de ce jour a été absorbée par trois ministres, dont l’un, au lieu de se borner à la discussion des amendements, est rentré dans la discussion générale ; après cela, M. le ministre des finances et son honorable collègue M. le ministre de l'ntérieur, ont successivement attaqué l’amendement que j’ai déposé à la fin de la séance d’hier, et que j’ai déposé précisément hier afin qu’il pût être examine et discuté dans la séance de ce jour. Je crois réellement qu’il serait contraire à tous les usages de la chambre, contraire même à la liberté de nos discussions, de vouloir clôturer les débats après avoir entendu successivement trois ministres, et sans permettre à ceux qui on déposé des amendements de répondre au moins quelques mots.
M. Dolez – On pourrait, messieurs, prononcer la clôture, sauf à entendre l’honorable M. de Muelenaere comme auteur de l’amendement.
M. Pollénus – Adopter le système de l’honorable préopinant ce serait, messieurs, vouloir étouffer la discussion, ce serait vouloir obtenir d’une manière détournée la résultat que l’on se proposait lorsqu’on a demandé la question préalable. Il faut au moins que nous puissions discuter l’amendement de M. de Muelenaere dont il n’a, pour ainsi dire, par encore été parlé.
- La clôture est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Donny – Autant que personne, messieurs, je sens combien le temps nous presse, aussi je tâcherai d’être bref, et je ne reviendrai sur aucune des questions que j’ai déjà traitées.
Pendant que tout le monde est d’accord, dans cette enceinte, que les droits différentiels constituent une véritable protection, une véritable faveur pour le pavillon national, il nous est arrivé une pétition d’armateurs belges, d’armateurs d’Anvers qui nous priaient de ne pas accorder cette faveur à notre pavillon, c’était là un phénomène tellement extraordinaire qu’il a excité chez nous le plus grand étonnement. J’ai pris à ce sujet quelques renseignements que je vais avoir l’honneur de communiquer à la chambre, sans cependant citer les noms propres qui m’ont été signalés, et ces renseignements feront cesser l’étonnement auquel la pétition d’Anvers a donné lieu.
Les armateurs d’Anvers possèdent une cinquantaine de navires, parmi lesquels il en est un certain nombre qui font exclusivement le commerce avec la Hollande, et quelques-uns sans doute par les eaux intérieures. Il y en a sept autres, d’un assez fort tonnage, qui naviguent sous pavillon étranger ; vous concevez, messieurs, que les propriétaires de ces derniers navires ont intérêt à ce que le pavillon belge ne soit pas protégé aux dépens du pavillon étranger. Si mes renseignements sont exacts, six de ces bâtiments, navigant sous pavillon étranger, appartiennent précisément à cinq des signataires de la pétition. Pour donner à mes honorables adversaires l’occasion de me réfuter si j’étais mal informé, je vais leur citer les nom et le tonnage des bâtiments.
Un des signataires de la pétition est propriétaire de deux bricks, navigant sous pavillon de Kniphausen : le Forester, de 240 tonneaux ; et le Hope, de 238 ;
Un autre signataire est propriétaire d’un autre brick navigant sous le même pavillon : le Marco Paolo, de 170 tonneaux ;
Un troisième est propriétaire d’un autre brick navigant aussi sous le même pavillon et nommé le Jules, de 150 tonneaux ;
Un quatrième est propriétaire d’un brick navigant sous pavillon danois et appelé Amicilia, de 190 tonneaux.
Enfin, un cinquième est propriétaire d’un koff navigant sous pavillon papenbourgeois, se nommant Lambertus, et jaugeant 80 tonneaux.
Voilà, messieurs, par qui les intérêts belges sont représentés dans certaines pièces qu’on nous fait adresser d’Anvers.
Maintenant, messieurs, je dois dire un mot à l’honorable M. Verhaegen. Cet honorable membre a trouvé bon de travestir de la manière suivante le système que j’ai eu l’honneur de vous proposer par mon amendement, et que les amendements d’autres collègues ont appuyé avec plus ou moins de modifications :
« La Belgique a deux ports, l’un naturel, l’autre artificiel ; le premier bon, l’autre mauvais : il faut frapper le bon port pour le mettre sur le même pied que le mauvais. »
Voilà, messieurs, l’absurdité que l’honorable député de Bruxelles prête à mes honorable amis et à moi.
Je commencerai par répondre à l’honorable membre qu’il se trompe sur le point qui est en discussion ; la question que nous avons à décider n’est pas celle de savoir s’il faut frapper le port d’Anvers ou tout autre port quelconque, c’est celle de savoir s’il faut frapper le pays, et c’est là ce que l’honorable M. Verhaegen et mes autres honorables contradicteurs ont constamment perdu de vue ; il s’agit de savoir si l’on veut imposer des sacrifices considérables au pays, au commerce maritime et même à ceux qui, bien loin de profiter de la mesure, doivent au contraire en éprouver du préjudice.
Voilà, messieurs, la question, et l’honorable membre ne l’a pas saisie.
Non content de nous prêter des vues absurdes, l’honorable M. Verhaegen s’est permis de dénaturer les faits, car, messieurs, c’est dénaturer complètement les faits que de vous dire que des deux ports d’Anvers et d’Ostende, l’un est bon et l’autre mauvais. La Belgique, messieurs, a le bonheur de posséder deux bons ports ; c’est là une vérité qu’il est de l’intérêt général de rendre palpable pour tout le monde, et pour qu’il n’y ait plus aucun doute à cet égard, je vais citer des faits, contre lesquels il n’y aura rien à objecter.
Je ne me bornerai pas à dire que le port d’Ostende est plus profond que ceux de Dunkerque d’environ deux pieds ; que suivant la marée, le port d’Ostende admet des bâtiments de 18 à 24 pieds d’eau ; car l’honorable député de Bruxelles pourrait peut-être me répondre que malgré des avantages aussi marqués, il est possible que d’autres causes rendent le port mauvais.
Je n’irai pas non plus chercher les faits que je veux vous signaler dans les annales de temps qui sont déjà loin de nous ; je ne parlerai pas de l’époque où le port d’Ostende recevait annuellement le double des navires qui fréquentent aujourd’hui le port d’Anvers, ni de l’époque où le port d’Ostende était le siège d’une compagnie commerçant avec les Indes orientales, et qui aurait fait prospérer le pays si la jalousie de la Hollande et la faiblesse de nos gouvernants n’y avaient mis obstacle. L’honorable membre pourrait répondre qu’il est possible que le port d’aujourd’hui ne soit pas aussi bon que le port d’autrefois.
Je vais chercher mes faits dans ce qui s’est passé depuis la révolution.
Sous le gouvernement hollandais, le port était mauvais, archi-mauvais. Mais dès que le gouvernement provisoire eut pris les rênes des affaires, il a fait opérer des chasses à grandes eaux, et en peu de semaines le port d’Ostende fut rendu au commerce dans un très bon état, et tellement en bon état que lorsque l’Escaut fut bloqué, c’est par le port d’Ostende seul qu’a dû se faire et que s’est fait, sans difficulté, tout le commerce maritime de la Belgique.
Voici d’autres détails ; depuis le 1er janvier 1831 jusqu’au 31 décembre 1836, il est entré au port d’Ostende et il en est sorti un total de 8,217 bâtiments. J’ignore quel est au juste le chiffre des entrées et des sorties pendant les années 1837 et 1838. mais je suis certain de rester au-dessous de la vérité en faisant monter le chiffre de toutes les entrées et sorties jusqu’au 1er janvier dernier à 10,000. Et veuillez remarquer que dans ce nombre de 10,000 navires ne se trouvent pas compris les bâtiments employés par la pêche. S’il fallait tenir compte de ceux-là, je ne devrais pas vous parler de 10,000 bâtiments, mais bien de 60,000, comme il me serait fort aisé de le prouver.
Eh bien, sur un nombre aussi considérable de bâtiments qui ont affronté le danger de ce port, qu’on vous a dépeint comme si mauvais, il y a eu à peine quelques rares sinistres à déplorer ; et encore ces sinistres ne peuvent être attribués, avec justice, à l’état du port. Il y a eu un ou deux de ces sinistres qui paraissent avoir été le résultat de l’incurie de ceux qui conduisaient les bâtiments. Quant aux autres, ils ont été les tristes conséquences de ces ouragans épouvantables qui ont couvert les côtes de l’Angleterre, de la France et de la Hollande, de débris et de cadavres.
Tel est, messieurs, l’état du port que l’honorable M. Verhaegen considère comme mauvais.
Chose singulière ! vous avez entendu l’honorable M. Coghen qui, certes, est en position d’avoir des renseignements précis sur les ports de la Belgique comme sur bien d’autres ; vous avez entendu, dis-je, l’honorable M. Coghen vous donner la certitude que les assureurs ne faisaient aucune distinction entre le port d’Ostende et celui d’Anvers ; l’honorable membre a même ajouté que s’il y avait une distinction à faire, elle serait en faveur du port d’Ostende.
Et à peine ces paroles sont-elles sorties de la bouche de l’honorable M. Coghen, que M. Verhaegen se lève et vous dit, avec un sérieux imperturbable et de la manière la plus tranchante du monde, que le port d’Anvers est bon et que celui d’Ostende est mauvais. (Hilarité.)
Messieurs, il me semble qu’il résulte de ce rapprochement de deux choses l’une : ou bien que les assureurs, et l’honorable M. Coghen à leur tête, ne connaissent pas leurs affaires et courent droit à leur ruine, faute de savoir distinguer un bon port d’un mauvais ; ou bien que l’honorable M. Verhaegen ferait à l’avenir acte de sagesse et de prudence, en prenant les conseils des assureurs et de l’honorable M. Coghen, avant de venir lancer du haut de cette tribune dans le monde commercial des inquiétudes et des méfiances que rien ne justifie.
M. Lejeune – Messieurs, je ne comptais pas prendre part à cette discussion ; j’ai demandé la parole, uniquement pour rectifier un fait. Je serai très court.
L’honorable M. de Muelenaere a présenté hier un amendement, que je ne puis pas adopter. Je n’ai pas l’intention de discuter cet amendement ; mais je suis obligé de m’expliquer sur un des motifs développés par l’honorable membre, motif qui, selon moi, est une erreur, que je serais fâché de voir s’accréditer.
L’honorable M. de Muelenaere vous a dit que son amendement serait un moyen d’obtenir de bonnes conditions dans les négociations avec la Hollande pour ce qui concerne l’écoulement des eaux ; il a ajouté que, d’après le traité, la Hollande était obligée à de fortes dépenses pour cet écoulement.
Est-ce bien là la position que nous fait le traité ? Nullement, messieurs,. La Hollande est obligée de souffrir l’écoulement de nos eaux ; la Hollande consent même qu’à cette fin il soit fait usage, sur un pied raisonnable du terrain nécessaire sous leur domination ; ce sont les expressions du traité.
Mais la Hollande ne nous donnera pas ce consentement sans nous faire payer largement le territoire sur lequel ces travaux seront exécutés.
Il pourra être établi sur le territoire hollandais des travaux d’art, des écluses pour l’écoulement de nos eaux ; ces écluses, d’après le sens que M. de Muelenaere paraît avoir attaché au traité, seraient faites aux dépens des Hollandais.
Il n’en est rien, messieurs, c’est à nos dépens que ces travaux seront faits, au gré et sous la surveillance des Hollandais ; nous n’en aurions pas même la direction, ou du moins nous n’en aurions certainement pas la direction exclusive.
Il y a plus. Lorsque nous aurions établi des moyens d’écoulement à nos dépens et à grands frais sur le territoire hollandais, ces ouvrages ne nous appartiendraient pas à nous, mais bien à la Hollande. Le traité est formel à cet égard ; tous les ouvrages que nous ferions à nos frais sur le territoire hollandais seraient acquis à la Hollande et resteraient sous la surveillance de cette puissance.
Des membres – C’est ainsi.
M. Lejeune – Pour mon compte, j’attache peu d’importance aux dispositions du traité qui paraissent favorables à la Belgique, quant à l’écoulement des eaux. La Hollande ne peut plus nous faire ni grand bien ni grand mal. Toute la faveur que le traité nous procure, c’est de laisser subsister ce qui existe maintenant.
Mais quand il s’agira de faire des dépenses pour l’écoulement des eaux du pays, c’est sur le territoire belge qu’il faudra exécuter les travaux. Si on s’avisait de travailler encore sur le territoire hollandais, outre les inconvénients que j’ai déjà signalés, les dépenses seraient tout aussi grandes, et nous n’aurions aucune garantie d’efficacité pour le présent ni de durée pour l’avenir.
Je ne dirai qu’un mot sur la loi qui nous occupe. La question sur l’Escaut m’apparaît sous son point de vue exclusivement politique.
Depuis son insurrection de 1572, la Hollande n’a cessé de diriger tous ses efforts vers deux résultats qu’elle n’a que trop bien obtenus : le premier, d’entraver le commerce de la Belgique, de l’anéantir par la fermeture de l’Escaut ; le second, de gêner notre agriculture, de la ruiner autant que possible, en rétrécissant de plus en plus les voies d’écoulement des eaux.
Maintenant que la Belgique est constituée en état indépendant, il y a deux grandes œuvres de réparation qui lui restent à faire.
D’abord elle doit affranchir l’Escaut. Or, le traité nous a fait des conditions telles que l’affranchissement, la liberté de l’Escaut est entièrement entre nos mains. Il ne s’agit plus absolument que d’un sacrifice que la prospérité du commerce doit compenser.
Si nous affranchissons l’Escaut, ce sera la première fois que la Hollande, depuis plus deux siècles et demi, sera vaincue par notre pays sur l’Escaut même. C’est une époque importance dans notre pays, c’est une victoire pour nous, c’est une défaite pour la Hollande. Après cela il nous reste à accomplir une autre œuvre de réparation qui portera à la Hollande un coup non moins sensible.
Si nous recevons beaucoup d’eaux dans notre pays ; si nous n’avons pas de moyens d’écoulement suffisants, nous avons le bonheur de toucher à ma mer, nous pouvons créer un système d’évacuation qui délivre complètement le pays de ces désastreuses inondations auxquelles on a trop peu songé jusqu’ici à porter remède.
Je voterai de grand cœur l’affranchissement de l’Escaut. Et on ne pourra pas tirer de mon vote cette conclusion, que je ne veux pas de protection pour notre marine marchande. Ce vote n’est pas exclusif ; la question que nous sommes appelés à résoudre aujourd’hui est indépendante de toutes les mesures que nous trouverons convenable de prendre plus tard en faveur du commerce et de l’industrie belges.
Puisque j’ai la parole, je demanderai une explication sur l’amendement de l’honorable M. Lebeau.
Cet amendement porte :
« Toutefois, s’il se présente à l’égard de l’un des pavillons étrangers, des motifs graves et spéciaux, le gouvernement est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présente disposition. »
Je voudrais savoir quel sens l’honorable auteur de l’amendement attaché à ce mot « suspendre ». Lorsqu’on suspend une disposition et qu’elle est remise ensuite en vigueur, il faut considérer la disposition comme n’ayant jamais été suspendue. Il n’est sans doute pas dans l’intention de M. Lebeau de faire rembourser après la suspension tous les péages qui n’avaient pas été remboursés pendant cette suspension. (Non ! non !) Le sens de l’amendement serait donc de faire cesser entièrement, pendant un laps de temps indéterminé, le remboursement du péage. (Oui ! oui !) C’est aussi mon intention.
M. Lebeau – Il est évident que le mot suspendre n’emporte le droit de réclamer aucune espèce d’arriéré. J’ai employé cette expression parce que, si le grief qui aurait motivé la suspension venait à cesser, l’exemption reprendrait ses effets sans qu’une nouvelle loi fût nécessaire.
M. de Muelenaere – Je dois une courte réponse à l’honorable député d’Eccloo. Je croyais qu’il y avait dans l’article 9 du traité une disposition plus ou moins favorable ; si elle doit être interprétée dans le sens indiquée par le député d’Eccloo, elle devient nulle, ou même très onéreuse au pays. Cette disposition avait été insérée dans le traité du 15 novembre ; alors elle avait un certain sens, mais elle devient une lettre morte si l’on admet l’interprétation du député d’Eccloo. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec lui que la Belgique ne doit faire aucuns travaux en Hollande ; je n’attends pas assez de la Hollande, quant à l’écoulement de nos eaux, pour y consentir. Je sais que nous pouvons faire des travaux plus utiles ; quand le moment sera venu, nous pourrons nous en expliquer.
Quant à l’amendement proposé, je ne répondrai qu’aux objections de messieurs les ministres des finances et de l’intérieur. Ces objections se réduisent à deux. On reproche d’abord à mon amendement d’être dicté par un esprit de mesquine rivalité entre Anvers et Ostende ; je déclare qu’il est complètement étranger à de telles idées ; je ne l’ai proposé que dans la crainte qu’une mesure prise à la légère ne portât préjudice à la marine marchande, à l’exportation de nos produits et surtout à l’extension de la pêche nationale.
M. le ministre de l'ntérieur se plaint du droit exorbitant que mon amendement donne au gouvernement. En effet, ce pouvoir est grand, puisque je propose d’autoriser le gouvernement à faire, jusqu’au 1er avril 1840 tout ce qu’il jugera convenable quant au péage sur l’Escaut ; mais si le gouvernement lui-même, qui a mûrement examiné (puisque le ministre des finances a déclaré que la chambre était à même de décider tout ce qui a rapport au péage), recule devant la responsabilité du pouvoir exorbitant que mon amendement lui confère, comment la chambre ne reculerait-elle pas devant l’adoption du projet de loi ? Car moi, je n’ai pas le bonheur d’être éclairé sur la question autant que ceux qui veulent la résoudre de suite. J’ai écouté attentivement la discussion. J’ai lu le peu de pièces qui nous ont été communiquées, et après cet examen, je me suis déterminé à présenter mon amendement, parce que je crois que le gouvernement est le mieux à même de faire ce qu’exige l’intérêt général du pays. Dès lors je ne crois pas qu’on puisse de ce chef repousser mon amendement.
D’un autre côté on dit que le 1er avril 1840 était trop rapproché et qu’il en résulterait des inquiétudes pour le commerce. Je dis que ces deux idées ne peuvent se concilier, car c’est précisément dans l’intérêt de nos relations commerciales que je propose une époque très rapprochée. Au mois d’avril 1840 avec l’expérience de quelques mois, vous serez en mesure de décider, sur la proposition du gouvernement, ce qu’il convient de faire à l’égard de l’Escaut.
J’ai eu l’honneur de faire pressentir un autre motif qui m’a décidé, c’est que je trouve qu’il est en quelque sorte contraire à la dignité de la chambre de prendre un mesure relative à l’exécution d’un traité qui n’est pas ratifié.
Je persiste dans mon amendement.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – On a dit que notre projet de loi supposait prématurément la ratification du traité. Mais je ferai remarquer que l’amendement du préopinant suppose également la ratification, car sans la ratification son amendement serait inutile. Tout le résultat serait de donner lieu à une nouvelle discussion d’ici à six mois. Or il y a tant de projets de loi d’une haute importance à voter, que je crois qu’il vaut mieux prendre une disposition un peu plus large.
- La chambre prononce la clôture de la discussion.
M. Rogier renonce à la demande qu’il avait faite du vote par questions.
M. Dumortier déclare se rallier à l’amendement de M. de Muelenaere.
- L’amendement de M. de Muelenaere est mis aux voix par appel nominal. Voici le résultat du vote.
76 membres sont présents.
1 membre (M. Desmet) s’abstient.
75 prennent part au vote.
20 votent pour l’adoption.
55 votent contre.
La chambre n’adopte pas.
Ont voté pour l’adoption : MM. Van Cutsem, Coppieters, de Muelenaere, Doignon, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Jadot, Maertens, Manilius, Morel-Danheel, Pollénus, A Rodenbach, Seron, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Zoude.
Ont voté contre : MM. Berger, Coghen, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Duvivier, Fallon, Frison, Sigart-Goffin, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lecreps, Lejeune, Liedts, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Peeters, Pirmez, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen, Willmar.
M. Desmet motive en ces termes son abstention – D’un côté j’ai pensé qu’il eût été plus prudent de la part du gouvernement de ne pas provoquer une décision avant la ratification. D’un autre côté j’ai craint que l’amendement de M. de Muelenaere n’apportât des entraves au commerce quant à la liberté de l’Escaut et au canal de Terneuzen.
- Les amendements de Messieurs. Donny et Van Cutsem sont successivement mis aux voix. Ils ne sont pas adoptés.
- L’amendement de M. Lebeau est mis aux voix et adopté.
- L’article 1er du projet de la section centrale est adopté avec l’amendement de M. Lebeau, dans les termes suivants ;
« Art. 1er. Le péage à percevoir par le gouvernement des Pays-Bas sur la navigation de l’Escaut, pour se rendre de la mer en Belgique ou de la Belgique à la mer, par l’Escaut ou le canal de Terneuzen, sera remboursé par l’état aux navires de toutes nations.
« Toutefois, s’il se présente à l’égard de l’un des pavillons étrangers, des motifs graves et spéciaux, le gouvernement est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présenté disposition.
« Il est ouvert au gouvernement un crédit de trois cent mille francs, destiné à couvrir les dépenses des derniers mois de l’exercice 1839. »
La chambre passe à l’article 2 ainsi conçu :
« Art. 2. Avant le 1er janvier 1843, il sera examiné si le bénéfice de la disposition précédente doit être maintenu en faveur des pays avec lesquels il ne sera pas intervenu d’arrangements commerciaux de douane ou de navigation. »
M. Verdussen a présenté à cet article un amendement ainsi conçu :
« Avant le 1er janvier 1843, il sera examiné si la disposition précédente doit être maintenue à l’égard des pays avec lesquels il ne sera pas intervenu d’arrangements commerciaux de douanes ou de navigation. »
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Cet amendement n’est qu’un changement de rédaction. Mais cependant je crois que la rédaction du projet du gouvernement doit être maintenue, parce qu’il faut qu’il soit bien entendu que c’est une faveur que nous accordons.
M. Verdussen – D’après cette explication je retire mon amendement.
- L’article 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Pour faire face en partie au remboursement prescrit par l’article précédent, il sera prélevé trois centimes additionnels sur les droits de douane, de transit et de tonnage, à partir de la date qui sera fixée ultérieurement par le gouvernement. »
M. Donny – Sans vouloir renouveler les arguments que j’ai eu l’honneur de vous présenter et qui frappent sur cet article, je vous prierai de remarquer que c’est ici la partie la plus injuste de la loi. Si l’article 3 est adopté, les négociants des ports de la Flandre orientale seront obligés de payer pour que le commerce ne se fasse pas chez eux, mais chez leurs rivaux en industrie. J’ose espérer que la chambre rejettera cette disposition, comme je la repousse moi-même.
M. Verdussen – Je trouve dans l’article que les 3 centimes additionnels seront prélevés sur les droits de douane, de tonnage et de transit : je demanderai si le droit de tonnage comprend les droits d’entrée et de sortie ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il est évident que le gouvernement entend par droit de douane ceux d’entrée et de sortie.
M. Lardinois – En adoptant l’article premier vous avez fait acte de justice, et on doit aussi des éloges à vos intentions ; vous voulez protéger le commerce et l’industrie ; toutefois ce que propose le ministère contrevient à l’article premier, car c’est prendre d’une main ce que l’on donne de l’autre. Il est probable qu’avec la paix les affaires augmenteront considérablement, et qu’au lieu de percevoir neuf millions de droits de douane, vous en percevrez pour douze ou quinze millions, et que par conséquent vous aurez par les centimes additionnels au-delà du besoin. Le moyen que l’on propose deviendra avantageux au fisc et aura encore le défaut de frapper indistinctement tous les articles d’exportation ; ce que je dis est fondé sur des données bien simples. Vous avez pour 210 millions d’importations dans lesquelles sont compris des produits naturels et des denrées pour 140 millions. Devez-vous frapper ces produits naturels et ces denrées autant que les soixante et dix millions de produits manufacturés ?
Les importations et les exportations donnent 9 millions de droits et produiront 270 mille francs par les 3 centimes additionnels. Les affaires, prenant de l’extension, les 3 centimes additionnels donneront quatre ou cinq cent mille francs, c’est-à-dire au-delà de ce qui est nécessaire pour le remboursement. On doit encourager le commerce par des primes et non le grever, et surtout on ne doit pas lui demander au-delà du strict nécessaire. Je crois qu’il conviendrait de faire supporter le remboursement par tous les impôts.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il est très inexact de dire que les droits frappent toutes les importations, quelles que soient leurs natures ; les trois centimes sont sur les droits en principal ; or, le droit principal varie selon la marchandise. Nous avons dit dans la discussion générale que nous recouvrions en grande partie sur le commerce les avantages que nous lui faisons par le remboursement des droits de péage. Je crois que cette charge que nous lui imposons dans son intérêt, est tellement faible que vous n’hésiterez pas à l’adopter. Il y a, d’ailleurs, une espèce de transaction, parce qu’une partie de la charge sera supportée par le commerce, et l’autre par tout le monde.
M. A. Rodenbach – Le commerçant ne paiera rien du tout ; ce seront les consommateurs qui supporteront ces charges comme toutes les autres. Le commerce ne paie jamais rien, ; s’il est obligé à quelques avances, il sait fort bien se les faire rembourser. On veut en venir par le remboursement du péage à frapper l’agriculture ; c’est un impôt de 20 centimes par tête établi d’une manière indirecte et que l’on établira directement par la suite. J’appuierai maintenant les trois centimes additionnels, quoique je voterai contre la loi.
L’article 3, mis aux voix, est adopté.
M. le président – La loi a été amendée ; je dois consulter la chambre pour savoir si elle croit devoir passer au second vote.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Le gouvernement s’est rallié à ces amendements.
M. Desmanet de Biesme – Il faut procéder immédiatement au second vote, parce que le sénat s’assemblera mardi. Il y a urgent.
MM. de Brouckere, Duvivier et d’autres – Il y a urgence !
- La chambre déclare l’urgence et passe au second vote sur la loi.
Les articles étant de nouveau mis aux voix sont adoptés sans discussion.
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
76 membres sont présents.
61 votent l’adoption.
15 votent le rejet.
2 s’abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté et sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Berger, Coghen, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Duvivier, Fallon, Frison, Sigart-Goffin, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lecreps, Lejeune, Liedts, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Peeters, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, C. Rodenbach, Rogier, Simons, Smits, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen, Willmar, Zoude
Ont voté le rejet : MM. Andries, Van Cutsem, Coppieters, de Muelenaere, Doignon, Donny, Dubus (aîné), Maertens, Manilius, A Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche.
MM. Dumortier et Jadot se sont abstenus.
M. Dumortier – Messieurs, j’attache une importance trop grande à la navigation de l’Escaut pour repousser le projet qui tend à améliorer une disposition du traité de novembre mais d’un autre côté j’aurais voulu, à l’occasion du projet qui nous occupe, améliorer la navigation nationale, en favorisant la construction des navires, car dans mon opinion le port d’Anvers n’aura jamais l’importance qu’il doit acquérir, avant que l’Escaut ne soit l’objet d’une grande navigation nationale. De plus, je ne pourrais dans aucun cas consentir à rembourser le péage aux navires hollandais et leur accorder ainsi, comme je l’ai déjà dit, une prime, au détriment des navires belges, puisque le roi Guillaume pourra de son côté exempter les bâtiments hollandais de tout péage. Par ces motifs, il m’a été impossible de voter en faveur de la loi, et dès lors j’ai dû m’abstenir.
M. Jadot – Je me suis abstenu, messieurs, parce que la loi stipule le remboursement en faveur des navires hollandais.
M. le président – Le projet de loi proposé par la commission est ainsi conçu :
« Article unique. Il est ouvert au département de la guerre un crédit de la somme de quarante-trois mille cent quatre-vingt-neuf francs, soixante-neuf centimes (fr. 43, 189 69) applicable au paiement des dépenses de 1830 et années suivantes, qui restent à liquider.
« Ce crédit formera le chapitre VIII du budget de la guerre, exercice de 1839 et sera réparti sur les articles 1 et 2, conformément à l’état joint à la présente loi. »
(Tableau repris au Moniteur en annexe mais par dans la version numérisée)
M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à ce projet.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Par suite de l’insuffisance des documents relatifs au projet, la section centrale a cru devoir ajourner certains articles ; comme je ne suis pas encore à même de fournir les documents demandés et que je ne saurais en ce moment donner des explications propres à suppléer à ces documents, je crois pouvoir me rallier au projet.
M. le président – Si personne ne demande la parole, je mettrai d’abord le tableau aux voix.
M. de Brouckere – Je crois, messieurs, que nous devrions supprimer le tableau, car je ne vois pas la nécessité d’insérer dans la loi cette longue nomenclature de créances ; d’ailleurs il nous est impossible d’examiner les détails d’un semblable tableau, et dès lors nous ne pouvons pas l’approuver.
Je pense qu’il vaudrait beaucoup mieux se borner à dire que le crédit est destiné à liquider des créances arriérées de 1830 à 1832.
M. Fallon – Dans toutes les lois de cette nature qui ont été votées, nous avons toujours agi comme le propose la commission, et cela par le motif que si la loi ne contenait pas un tableau, il sera impossible à la cour des comptes de contrôler l’emploi des fonds alloués ; nous avons voulu que ces fonds fussent consacrés aux créances que nous avons désignées et pas à d’autres, et dès lors, il faut absolument que le tableau soit annexé à la loi.
Une voix – Mais alors nous faisons la besogne de la cour des comptes.
M. de Jaegher – C’est une erreur ; en votant le tableau, nous ne faisons qu’indiquer les créances au paiement desquelles les fonds alloués doivent servir, mais nous n’entendons en aucune manière enlever à la cour des comptes le soin de vérifier les pièces et d’autoriser ou de refuser le paiement suivant que les créances seront ou ne seront pas justifiées.
M. de Brouckere – Si on l’entend comme vient de l’expliquer l’honorable préopinant, je n’ai plus aucune objection à faire contre le vote du tableau, mais c’est précisément parce que je ne voulais pas que la chambre, sans connaître les pièces à l’appui, déclarât que toutes les créances indiquées doivent être soldées ; si maintenant, malgré notre vote, la cour des comptes reste toujours chargée de la vérification des pièces, je n’ai plus rien à dire.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’année dernière, messieurs, vous avez voté une loi semblable concernant le département des travaux publics ; eh bien, la cour des comptes a exigé la production de toutes les pièces. Le tableau n’est donc qu’une simple indication qui n’oblige en aucune manière la cour des comptes a autoriser le paiement de créances qui ne seraient pas complètement justifiées.
- Le tableau est mis aux voix et adopté.
L’article unique de la loi est également mis aux voix et adopté.
M. le président – Il va être procédé à l’appel nominal pour le vote sur l’ensemble du projet.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il serait peut-être bon de fixer d’abord l’ordre du jour de lundi.
M. de Brouckere – Je crois, messieurs, que le premier objet à mettre à l’ordre du jour, c’est, pour autant que tous les rapports soient faits, la nouvelle circonscription des provinces qui ont été démembrées ; mais je crois également qu’il ne faut s’occuper d’aucun projet sur cette matière sans qu’on puisse discuter en même temps tous ceux qui concernent l’un ou l’autre des deux provinces dont il s’agit. Si donc les rapports sont faits sur la circonscription judiciaire, administrative et électorale du Limbourg, par exemple, je demanderai que ces trois rapports soient mis à l’ordre du jour de lundi.
Des voix – Mardi.
D’autres voix – Lundi.
M. le président – Il y a un rapport qui n’est pas fait.
M. de Brouckere – Alors on ne peut pas, selon moi, s’occuper du Limbourg lundi ; mais le Luxembourg ?
M. Simons – Depuis quelques jours, messieurs, le projet concernant la circonscription judiciaire du Limbourg a été mis à l’ordre du jour ; je demande qu’on s’en occupe définitivement lundi ou mardi, si lundi il n’y a pas de séance. Je ne vois pas qu’il soit indispensable d’aborder à la fois tout ce qui est relatif à la circonscription judiciaire, administrative et électorale ; ces différents objets peuvent sans inconvénients être divisés, car je ne pense pas que nous parvenions jamais à établir en quelque sorte une seule circonscription pour l’ordre judicaire, l’ordre administratif et les élections.
M. le président – On m’annonce que tous les rapports seront prêts lundi.
M. de Brouckere – Alors je demanderai qu’on mette à l’ordre du jour les différents projets concernant le Limbourg ; mais je déclare dès à présent que je m’opposerai à la discussion séparée de l’un des projets si tous les rapports n’étaient pas faits. Pour prouver que l’opinion de l’honorable M. Simons n’est pas admissible, il suffit de faire remarquer que lui-même est déjà entré dans la discussion, en disant qu’il est impossible d’établir une circonscription uniforme pour les affaires judiciaires, administratives et électorales. C’est précisément là qu’est la question, et si M. Simons paraît la trancher légèrement, elle n’est pas également simple pour tout le monde. Du reste, toutes les difficultés cessent, si tous les rapports peuvent être prêts, et alors je demande qu’on mette le tout à l’ordre du jour de lundi.
- Sur la proposition de M. Metz, la chambre décide qu’elle s’occupera lundi, en séance publique, du projet de loi concernant la nouvelle circonscription du Luxembourg. La séance est fixée à deux heures.
Il est procédé par appel nominal sur le projet de loi relatif aux créances arriérées à charge du département de la guerre.
Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 65 membres présents. Il sera transmis au sénat.
La séance est levée à 4 heures.