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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 mai 1839

(Moniteur du 18 mai 1839, n°138)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« La dame veuve de Schryver à Maldeghem demande l’exemption de la milice pour son second fils comme soutien de sa mère. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Van Hoobrouck fait connaître par lettre qu’un accident survenu dans sa famille l’empêche de prendre part aux travaux de la chambre.

- Pris pour notification.


M. Demonceau dépose une pétition d’un grand nombre d’habitants de Verviers, tendant à ce que le gouvernement mette le plus tôt possible en adjudication les travaux du chemin de fer de Liège à la frontière prussienne. L’honorable membre demande que la chambre ordonne le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. de Brouckere – Je ne vois pas quelle serait l’utilité d’un renvoi comme celui-là. Que l’honorable M. Demonceau remette la pétition au ministre. Ce sera la même chose que le circuit que l’on ferait faire à la pétition par le bureau de la chambre, lorsque la chambre n’a pas pris connaissance de la pétition ; car un avis comme celui-là n’est pas un avis.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Cette pétition a pour objet d’engager le gouvernement à s’occuper des études et de la construction du chemin de fer de la Vesdre, qui doit continuer le chemin de fer vers la Prusse. Je ne ferai pas un reproche aux notables du district de Verviers, de s’adresser à la chambre ; je conçois leur impatience. Mais ce n’est la faute de personne si l’exécution de cette partie de la loi du 1er mai 1834 a subi de si grands retards. C’est la faute des circonstances ; c’est le résultat des difficultés que rencontre cette partie du système des chemins de fer. Il y a quelques semaines que j’ai reçu le projet destiné à la mise en adjudication. L’ingénieur même chargé de cette partie des études a renoncé à toute autre occupation, à cessé de s’occuper de l’exploitation pour se charger exclusivement de ces études. Je le répète, ; il y a quelques semaines que j’ai reçu son travail ; je l’ai soumis au conseil des ponts et chaussées qui l’examine en ce moment. Maintenant que la chambre a entendu les explications que cette pétition aurait soulevées, elle jugera si elle doit me la renvoyer immédiatement ou non ; je n’ai rien à dire à cet égard.

M. Demonceau – Je répondrai à M. de Brouckere que je n’ai pas mandat de remettre à M. le ministre des travaux publics une pétition adressée à la chambre des représentants. Au reste, ce que je demande à eu lieu souvent.

M. de Brouckere – Jamais.

M. Demonceau – Il est arrivé à M. de Brouckere lui-même d’en faire la demande.

M. de Brouckere – Jamais.

M. Demonceau – M. de Brouckere l’a oublié.

Au reste, la pétition rappelle à la chambre toutes les promesses faites par le gouvernement au district de Verviers. Mais puisque l’on s’oppose au renvoi à M. le ministre des travaux publics, je n’insiste pas ; je sais tout aussi bien que l’honorable préopinant que le texte du règlement s’y oppose. Je demande seulement le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport. Je suis certain que quand la commission aura examiné la pétition et les pièces qui y sont jointes, elle donnera un avis favorable à cette pétition.

Que le gouvernement vienne dire qu’il n’y a pas de sa faute, soit ; mais il a toujours le tort d’avoir fait ces promesses qu’il n’a pas tenues. Quand il a promis de mettre immédiatement les travaux en adjudication, il devait savoir si la chose était possible. Il y a deux ans que le département des travaux publics, dirigé alors par M. de Theux, a promis de mettre immédiatement en adjudication les travaux de Liége à Verviers ; eh bien, cette adjudication n’a pas encore eu lieu. Qu’il y ait des difficultés, je le conçois ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas commencer.

Chaque jour j’entends dire que c’est sacrifier le chemin de fer que de ne pas laisser l’Escaut libre. Je l’ai entendu dire dans cette discussion et je partage cette opinion de plusieurs honorables collègues. Il est certain que si vous fermez l’Escaut, le but que vous avez voulu atteindre par la construction du chemin de fer ne sera pas atteint ; mais si vous laissez traîner en longueur la construction du chemin de fer de Liège à la frontière prussienne, vous aurez beau ouvrir l’Escaut, cela ne vous avancera à rien ; car quel a été votre but en décrétant un système de chemins de fer ? Votre but a été de créer une voie rapide de communication avec l’Allemagne ; eh bien, ce but sera-t-il atteint si vous vous arrêtez plus longtemps à Liége ? J’en doute.

Le gouvernement doit réunir tous ses efforts pour achever promptement le chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est ce qu’il fait.

M. Demonceau – Pour moi, je dis que le gouvernement ne fait pas assez.

Je demande le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.

M. Lardinois – Je ne puis que confirmer ce que vient de dire l’honorable M. Demonceau. M. le ministre des travaux publics prétend qu’il fait ce qu’il peut ; pour moi je ne le pense pas. Depuis cinq ans on nous fait les plus belles promesses ; mais c’est tout. Depuis cinq ans on nous dit que dans un an les études du chemin de fer de Liége à la frontière prussienne seront achevées. M. le ministre des travaux publics nous l’a toujours promis depuis cinq ans. La dernière fois que je l’ai vu à Verviers, il m’a dit que le chemin de fer serait achevé à la fin de 1840. Eh bien, il est probable qu’il ne sera pas seulement commencé à la fin de 1839.

Il faut convenir que le département des travaux publics marche singulièrement ; il s’occupe des petits chemins ; il s’occupe des parties insignifiantes du chemin de fer. Ainsi on a fait le chemin de fer de Landen à St-Trond ; ainsi le chemin de fer jusqu’à Courtray sera achevé cette année. Mais je vous demande, avec la misère commerciale où nous sommes, s’il n’eût pas été important d’achever le grand système du chemin de fer d’Anvers à la frontière prussienne, de terminer le chemin de fer pour le transit, au lieu de s’occuper de petits embranchements.

Il y a une grande irritation dans le district de Verviers. Je ne voulais pas parler sur la pétition, parce que les termes n’en sont pas très convenables, mais le ministre m’y a forcé. Je le répète, l’irritation est grande à Verviers. Si je n’étais pas député et fonctionnaire public, je me mettrais à la tête des pétitionnaires ; et si vous êtes toujours injuste, vous verrez ce qui arrivera.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La chambre a déjà répondu par ses murmures à une partie du discours de l’honorable préopinant. Je ne m’attacherai pas à ses expressions ; je conçois l’impatience de Verviers ; mais, je le demande, est-ce ma faute, est-ce la faute de l’administration si par la nature du sol les chemins de fer de Gand à Courtray et de Landen à St-Trond ont pu être complètement étudiés en quelques mois ? Est-ce la faute de l’administration si le chemin de fer de la Vesdre présente des difficultés immenses, que ne présente aucun chemin de fer ni dans le pays ni à l’étranger ?

Je pourrais prouver par la correspondance, s’il m’étais permis de la déposer, que ce chemin de fer n’a jamais été perdu de vue, ni par le ministre ni par les ingénieurs ; il y a environ un mois que le travail m’a été remis ; je l’ai envoyé immédiatement au conseil des ponts et chaussées. Les ingénieurs sont sur les lieux en ce moment même.

Je pense qu’il ne convient pas de cette enceinte encourager l’irritation au dehors. Il me semble donc que les paroles du préopinant sont au moins imprudentes. Du reste, je ne lui en fais pas un reproche ; je conçois, je le répète, son impatience, celle du district de Verviers ; je la partage. Il ne peut en douter s’il veut se référer aux explications que je lui ai maintes fois données en particulier.

J’espère (ce ne peut être chez moi qu’un espoir) mettre en adjudication les deux extrémités de ce chemin de fer : de Liége vers Chaudfontaine et de Verviers vers la frontière prussienne ; ces sections ne présentent pas les mêmes difficultés que les autres parties du chemin de fer. C’est pourquoi je viens d’inciter le conseils des ponts et chaussés à scinder le projet.

M. Lardinois – Je reconnais que j’ai été un peu loin, et que j’ai peut-être proféré des paroles déplacées. Mais il faut comprendre ma position. Je représente par mes fonctions le gouvernement, et c’est sur moi que tombent tous les reproches. Régence, chambre de commerce, députés, commissaire de district, députation provinciale, tous ont réclamé, et le ministre a toujours tout promis. Au reste, si les choses vont si mal au département des travaux publics, cela tient à ce que le ministre ne fait pas marcher les ingénieurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je répondrai faut un grand courage pour faire marcher des ingénieurs. Je ré seulement au préopinant que l’ingénieur directeur s’occupe exclusivement de cette ligne ; il a renoncé complètement, d’après mes ordres, à l’exploitation du chemin de fer. Il me semble donc qu’il n’y a aucun reproche à faire au ministre, ni à l’ingénieur, puisque cet ingénieur est depuis le mois de septembre exclusivement chargé de ce travail. Le retard est dû uniquement aux difficultés que présente le terrain.


M. Devaux – Je n’ai pas demandé la parole pour m’associer aux réclamations des deux honorables députés de Verviers ; je crois que la discussion de la loi relative au péage du chemin de fer offrira l’occasion de faire des réclamations de ce genre. Je veux seulement demander à M. le ministre des travaux publics de faire connaître, avant la discussion de cette loi le mouvement des recettes et des voyageurs du chemin de fer pendant les mois de mars et d’avril. Ces tableaux qui, jusqu’ici, avaient été insérés dans le Moniteur, n’y sont plus insérés. Ils seraient d’autant plus intéressants qu’ils feraient connaître les effets du changement qui a eu lieu dans le tarif du chemin de fer. Je demanderai la publication des mêmes tableaux pour les mois correspondants de l’année dernière.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Ces tableaux du chemin de fer sont dressés depuis longtemps. C’est par suite de circonstances particulières qu’ils n’ont pas encore été insérés au Moniteur. Ces tableaux ont été envoyés chez moi pendant que j’étais à Londres. Depuis mon retour, la chambre a été réunie et le compte-rendu de ses séances a rempli les colonnes du Moniteur ; l’on n’a pas trouvé de place pour l’insertion sans frais. Du reste, l’insertion des tableaux au Moniteur aura lieu.

M. Devaux – Je n’ai pas voulu faire à M. le ministre des travaux publics un reproche de ce défaut de publication étranger, j’en suis sûr, à sa volonté. J’ai voulu seulement indiquer l’intérêt qu’offrent les tableaux dont j’ai parlé ; ils permettront d’apprécier par la comparaison les effets favorables ou défavorables du nouveau tarif.

Projet de loi modifiant la durée de service dans la milice nationale

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je suis chargé de soumettre à la chambre, de concert avec M. le ministre des travaux publics, un projet de loi qui a pour objet d’apporter des modifications à la durée du service dans la milice nationale. (Ce temps serait désormais de 8 années, et les deux dernières années se passerait dans un corps de réserve, dont les réunions auraient lieu quelques jours chaque année.) Ce projet est assez urgent pour que je croie qu’on doive le renvoyer devant la section centrale qui…

M. Dumortier – Non ! non ! il est assez important pour être renvoyés devant les sections.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Il est indispensable que cette loi soit votée cette année. La milice se réduit à cinq classes, et il y en a deux qui ne sont pas incorporées ; ainsi la véritable force de l’armée se réduirait à trois classes si la loi n’était pas votée.

M. le président – Les sections seront convoquées demain s’il n’y a pas d’opposition.

M. Dumortier – Avant d’examiner un projet comme celui-ci, il importe de voir sa portée ; il importe de savoir sur quel pied sera l’armée. Je voudrais, avant que les sections examinassent le projet que le gouvernement déposera sur le bureau, l’ensemble des calculs qui indiqueront ce que coûtera l’armée dans le système nouveau. Nous allons avoir tout à l’heure à payer la dette hollandaise, nous allons avoir à faire face à toutes sortes de dépenses. Comme je le disais hier, il faut que le pays combine ses ressources avec ses dépenses.

L’urgence d’un pareil projet ne me paraît pas démontrée, et il faut connaître les conséquences de ce que l’on vote. Du temps du roi Guillaume, l’armée a existé quinze ans avec le système qui nous régit ; l’armée peut encore exister quelques mois avec la même législation. Remarquez que ce n’est pas aux derniers jours d’une session que l’on peut voter une loi semblable, une loi dont dépend le sort d’un grand nombre de familles et de citoyens.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Il est évident que la portée du projet, ainsi qu’on vient de l’exposer, n’est pas exacte ; ce projet n’a aucun rapport avec les dépenses ; il s’agit de savoir combien de classes seront incorporées, ce qui est indépendant de ce que coûtera l’armée. On a prétendu que le gouvernement des Pays-Bas ayant pu marcher avec la législation actuelle, on peut marcher encore ; cela n’est pas tout à fait exact non plus ; sous le gouvernement précédent, on n’avait pas pris la mesure de laisser les jeunes gens se fortifier dans leurs familles avant de les faire entrer au service, ; et on ne plaçait qu’une classe en réserve ; maintenant on en place deux en réserve, ce qui diminue la force de l’armée d’un quart. En 1830, la situation de l’Europe n’était pas celle qu’elle est aujourd’hui ; on pouvait, sans être accusé d’imprudence, avoir un contingent très faible sous les armes, on ne pourrait maintenant, sans imprudence, agir de la même manière.

La lecture des articles du projet montre que, relativement aux familles, son importance est assez faible, puisque les deux classes qu’on ajoute sont astreintes à un petit nombre de jours de réunion tous les ans. Tout ce que l’on a dit sur la loi est une véritable exagération. Il faut l’examiner promptement, parce que trois classes sont insuffisantes pour composer convenablement l’armée.

M. Dumortier – Il est étonnant que l’on vienne dire que ce que j’ai exposé fût une véritable exagération, alors qu’il est constant que l’armée a été formée sous le régime de la législation existante. De telles paroles sont déplacées dans la bouche d’un ministre qui voulait de la persévérance et du courage pour faire la paix, et qui nous demande une grande armée quand la paix est faite. Peut-on examiner une telle loi dans les derniers jours d’une session ? La loi de la milice est celle qui exige les plus grands sacrifices ; elle arrache les enfants aux familles, et les citoyens à leurs occupations. Je demande qu’on l’examine dans deux mois.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je maintiens ce que j’ai dit.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable préopinant demande l’ajournement de l’examen en sections ; c’est aller bien loin. Le gouvernement a fait usage de son initiative ; par conséquent la chambre, conformément aux principes constitutionnels, doit renvoyer la proposition du gouvernement devant les sections. Si elles étaient de l’avis du préopinant, la section centrale conclurait à l’ajournement, et alors il y aurait lieu à adopter ou à rejeter cet avis. Je demande la question préalable sur l’ajournement.

M. Dumortier – Je m’oppose à la question préalable. La chambre n’est pas obligée d’examiner un projet de loi aussitôt qu’il est présenté par le gouvernement. La chambre règle ses travaux ; elle a le droit d’examiner les projets de loi quand elle l’entend. La chambre n’est pas sous les ordres du gouvernement. C’est une hérésie constitutionnelle que vient d’avancer le ministre.

M. de Muelenaere – On s’occupe d’une question oiseuse. Rien ne s’oppose à ce que l’on renvoie le projet devant les sections. Je pense que ce projet n’est pas du nombre de ceux que l’on peut adopter sans y avoir réfléchi. Il tend à prolonger de trois années le service que l’on fait aujourd’hui dans la milice ; elle sera examinée par les sections ; et alors on verra quelles propositions il sera convenable de faire. Renvoyons donc devant les sections.

M. Dubus (aîné) – Il serait raisonnable de renvoyer devant les sections lundi ; le projet sera alors imprimé.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, puisque le projet sera distribué ce soir, on peut tout aussi bien l’examiner demain que lundi. Je crois donc qu’il faut s’en tenir à la proposition de le mettre à l’ordre du jour des sections pour lundi prochain.

- La chambre, consultée, met le projet à l’ordre un jour des sections pour lundi prochain.

Projet de loi autorisant le gouvernement à vendre l'établissement de Meslin-l'Evêque

Dépôt

Projet de loi autorisant le gouvernement à vendre l'établissement d'Uccle

Dépôt

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) monte à la tribune et présente deux projets de loi tendant à autoriser le gouvernement à vendre les établissements de Meslin-l’Evêque et d’Uccle, à charge des acquéreurs de les conserver à leur destination actuelle.

- Ces projets sont renvoyés aux sections.


M. le ministre dépose ensuite les renseignements relatifs au droit de pilotage, demandés dans la séance d’hier par M. de Muelenaere.

Projet de loi relative au remboursement du péage sur l'Escaut

Discussion des articles

Article premier

M. Verdussen – Après la clôture de la discussion générale, on pouvait s’attendre à ne plus voir s’établir ou défendre des systèmes, à ne plus voir poser ou soutenir des principes, mais d’en venir à leur application dans la rédaction des articles. Il en a été autrement, et j’avoue qu’il était presque inévitable qu’il n’en fût pas ainsi, parce que, dans les différents systèmes qui ont surgi, on s’est très souvent écarté des principes, même les plus simples ; c’est ainsi, par exemple, que, dans la séance d’hier, nous avons entendu un honorable député de Thielt déclarer que s’il désirait que la navigation nationale augmentât, il désirait aussi que la navigation étrangère diminuât. Est-ce là ce que la chambre veut ? Veut-elle, contrairement à ce que chacun de nous a toujours voulu atteindre, veut-elle chercher à faire décroître le commerce étranger et abandonner ainsi le principe qui nous a constamment guidés ? Je ne le pense pas. Chacun vante, et avec justice, la supériorité de la Hollande dans les questions commerciales et financières ; imitons-la donc et attirons dans nos ports le plus grand nombre de navires étrangers qu’il nous sera possible, sans négliger en même temps l’importante industrie de la navigation nationale.

Je me serai bien gardé, messieurs, de relever le mot échappé hier à M. de Foere, si ce mot ne devenait très significatif parce qu’il nous dévoile, non seulement le but, mais aussi la conséquence du système des droits différentiels défendu par nos adversaires coalisés ; je dis coalisés, parce que l’honorable député dont je parle nous a dit lui-même qu’il s’était entendu avec M. Dechamps, et qu’ils étaient parfaitement d’accord ; je dis coalisés, parce que le même député nous a dit dans une autre séance, celle du 15 mai,, que ses amis et lui, en signalant dans la discussion des 24 articles l’importance du péage sur l’Escaut, n’avaient trouvé que le moyen de remboursement pour atténuer l’effet désastreux de l’article 9, mais pour ne l’appliquer qu’aux navires nationaux, et il ajoutait que le désir qu’il y ait à Anvers affluence d’arrivages étrangers, est contraire aux intérêts du pays. Eh bien, messieurs, voilà la coalition que nous combattons, voilà le piège qu’on nous tendait en exaltant outre mesure le mal que devait nous faire l’article 9 du traité et dont le remède était dans notre pensée. Si la majorité de cette assemblée veut partager les vues de cette coalition, qu’elle le déclare franchement et qu’elle vote ensuite des remerciements à la conférence d’avoir fourni à la Belgique l’occasion de fermer son plus beau port aux navires étrangers, dont on a dit que l’affluence est une calamité pour le pays.

Si au contraire la majorité montre encore une fois cette haute sagesse dont elle a naguère donné une preuve si éclatante, qu’elle repousse avec la même franchise le pernicieux système du remboursement partiel, puisque les auteurs du système différentiel vous indiquent eux-mêmes la conséquence funeste de leur opinion, conséquence dont certainement la représentation nationale ne voudra pas ; en un mot, si elle ne veut pas la fin, qu’elle repousse les moyens et qu’elle s’en tienne au principe si simple et si naturel que les faits ont établi dans notre propre histoire, que la prospérité commerciale maritime est une source féconde de prospérité nationale.

Mais il est un autre principe plus spécialement applicable à l’article 1er que nous discutons, que je viens de défendre, et dont la déviation par le gouvernement embarrasse malheureusement beaucoup cette pénible discussion.

Tous ceux qui s’opposent à l’opinion de la section centrale, qui tend à opérer le remboursement sans exception aucune, envisagent, suivant moi, sous un faux point de vue la question du péage sur l’Escaut, et s’écartent évidemment du principe qui a guidé la conférence en l’adoptant. Personne ne contestera sans doute que les plénipotentiaires réunis à Londres, en rédigeant le traité du 23 janvier, n’aient été dominés par la pensée de stipuler les conditions auxquelles la séparation entre la Belgique et la Hollande aurait lieu, leur intention n’a pas été de frapper les cours respectives qu’ils représentaient, mais bien l’une des deux fractions de l’ancien royaume des Pays-Bas. C’est donc contre la Belgique et en faveur de la Hollande que le paragraphe 3 de l’article 9 a été dirigé ; c’est à nous qu’il doit être hostile ; c’est la Belgique qu’il s’agissait de frapper, et les citations que j’ai faites dans un précédent discours démontrent que nos adversaires l’ont parfaitement compris dans ce sens et l’ont absolument entendu comme nous. C’est donc de cette vérité de principe qu’il faut partir, que cette base, cette intention manifeste de nuire aux intérêts belges que nous ne pouvons pas perdre de vue, lorsque nous voulons porter une loi réparatrice du tort qu’on nous a fait. Or, si l’article 9 est dans sa généralité préjudiciable à la Belgique, il est de notre intérêt d’en limiter l’étendue ; car un tout se compose de parties, et si nous laissons subsister une partie d’un tout qui est mauvais, nous sommes ennemis à nous-mêmes, nous n’entendons plus nos propres affaires.

Cependant plusieurs orateurs et le gouvernement lui-même, en introduisant son exception à l’égard de la marine marchande néerlandaise, ont raisonné comme si l’impôt devait peser sur les nations qui, par l’Escaut, entreront en relation avec la Belgique. S’il en était ainsi, la Belgique serait désintéressée dans la question, ou plutôt elle ne s’y trouverait intéressée que pour le petit nombre de navires dont se compose aujourd’hui sa propre marine. S’il en était ainsi, il faudrait croire que la conférence a agi contre elle-même ; que, dans la vue de caresser la Hollande, je ne sais à quels propos, les plénipotentiaires ont eu l’idée d’imposer les nations gigantesques dont les intérêts leur étaient confiés, au profit d’un petit état, dont la destinée était, dans ce moment-là surtout, entre leurs mains ; mais, messieurs, cela nous conduit à des suppositions absurdes, et la conférence n’aurait pas eu le sens commun.

Je sais qu’on est allé jusqu’à dire que l’envoyé de France à Londres avait méconnu les intérêts de ce pays dans le traité du 15 novembre 1831 ; que le ministre de l’Angleterre avait mal apprécié ceux des îles britanniques, et que les plénipotentiaires des puissances d’Allemagne n’avaient pas compris la question hollando-belge qu’ils étaient appelés à traiter ; mais ce langage qui déconsidérerait même un homme supérieur, s’il était en état de le tenir, ne m’empêchera pas de croire que les diplomates distingués qui ont été envoyés à la conférence n’étaient pas assez imbéciles pour insérer dans l’acte de séparation entre la Belgique et la Hollande des conditions onéreuses, non à l’un des deux pays dont ils avaient à régler les relations réciproques, mais nuisibles aux populations des contrées respectives qu’ils représentaient. Je le répète donc, c’est évidemment contre la Belgique et au profit de la Hollande que l’article 9 a été admis, et une considération que je me permettrai de soumettre à vos méditations vient à l’appui de ce que j’avance, et tendra en même temps à corroborer l’opinion de ceux qui soutiennent avec moi qu’il n’est pas moins dans la justice que dans l’intérêt bien entendu de la Belgique de faire sans exception le remboursement dont il s’agit.

Si jadis le gouvernement des Pays-Bas n’avait été persuadé que toutes les entraves financières mises à l’entrée des grands ports tournent au détriment du royaume qui possède ces ports, un péage sur l’Escaut eût existé certainement pendant notre réunion à la Hollande ; les charges qui pesaient sur le trésor des Pays-bas étaient assez lourdes pour que le roi Guillaume n’eût pas dédaigné cette ressource, s’il n’avait été convaincu qu’une semblable mesure devait nuire au commerce néerlandais et qu’ainsi d’autres sources de prospérité publique se trouveraient taries. Le même motif doit guider aujourd’hui la Belgique. Le sacrifice apparent d’un revenu possible que les Pays-bas ont fait dans leur intérêt, en ne frappant point le commerce maritime d’un impôt incompatible avec son existence prospère, la Belgique doit le faire aussi dans son intérêt, en acquittant de ses revenus ordinaires une dette inévitable pour les Belges, et qui, laissée à la charge du commerce, lui serait aujourd’hui d’autant plus préjudiciable que notre séparation du royaume uni nous a donné dans la Hollande nouvellement reconstituée une redoutable rivale de plus.

D’ailleurs, messieurs, en faisant une juste distinction des deux branches dont l’importation par mer se compose dans les pays de consommation et de commerce, nous nous convaincrons que pour une majeure partie le remboursement dont le gouvernement se charge n’est pas un véritable sacrifice, mais une simple avance qu’il fait aux contribuables qui supporteront, en dernière analyse, la charge du tribut imposé. En effet, personne n’ignore qu’une grande partie des importations est destinée à la consommation intérieure du pays. Ce serait une grave erreur de croire que l’importateur, qui connaît l’urgence de vos besoins, ne vous fera pas payer tout ce qu’il aura été obligé de débourser, pour vous fournir ce que vous lui demandez, et dès lors le consommateur belge restera chargé, en réalité, du droit de tonnage, soit en achetant un peu plus cher ce qu’il voudrait acquérir, soit en versant le montant du péage dans les coffres du trésor public, qui en aura fait l’avance, par une légère augmentation des contributions directes ou indirectes.

Quant à l’autre partie de l’importation par mer, elle se compose des objets destinés à la réexportation, qui constitue le véritable commerce, soit que cette exportation ait lieu par le transit direct immédiat, soit qu’elle s’opère après que les matières premières ont été transformées en fabricats ou ont subi une manipulation quelconque ; je conviens que par cette partie-là l’avantage attaché au remboursement du tonnage par le gouvernement est moins sensible, mais dans ma conviction il n’est pas moins réel, afin de vous mettre à même de soutenir la concurrence sur les marchés extérieurs et ne rien ôter à cette activité dont notre commerce de transport a besoin pour pouvoir être profitable en même temps à l’industrie manufacturière et agricole du pays.

Guidés par les principes que je viens d’exposer, j’aurai l’honneur, messieurs, de vous proposer un léger changement de rédaction au dernier paragraphe de l’article 1er du projet primitif du gouvernement, et qui constitue à le rédiger de la manière suivante :

« Avant le 1er janvier 1843 il sera examiné si la disposition précédente doit être maintenue à l’égard des pays avec lesquels il ne sera pas intervenu d’arrangement commerciaux de douane ou de navigation. »

En comparant cette rédaction avec celle du projet primitif du gouvernement ou de la section centrale, vous remarquerez, messieurs, qu’elle tend à ne pas maintenir une opinion que je trouve tout à fait erronée, celle de croire que le remboursement proposé est une faveur que nous faisons aux nations étrangères qui traitent avec nous, tandis que c’est exclusivement dans notre propre intérêt que la mesure doit être adoptée.

D’après ce que je viens de dire, j’appuie la proposition de la section centrale d’écarter toute exception, et je crois donc pouvoir me dispenser d’examiner les amendements présentés par messieurs Donny, Van Cutsem et Deschamps, qui tous reposent sur un principe que je repousse.

A entendre les adversaires du projet de loi, il semble, messieurs, que c’est l’intérêt des armateurs qui les anime. Mais d’où vient-il donc que les armateurs d’Anvers dont vous avez hier reçu la pétition qui a été insérée dans le Moniteur,, sont d’une opinion tout à fait contraire ? Serait-ce peut-être parce qu’ils habitent Anvers qu’ils n’entendent pas les intérêts du commerce maritime ? Seraient-ce peut-être les seuls Anversois qui ne savent plus ce que c’est que le commerce ? Je crois, messieurs, que vous ferez justice de pareilles extravagances. Lorsqu’on prend à cœur les intérêts des armateurs belges, il faut en croire ceux qui sont sur les lieux mêmes.

On nous signale, comme un des avantages qui doivent résulter du développement de la marine marchande nationale, l’immense effet qu’elle doit produire pour nos exportations ; mais quelles garanties nous donne-t-on que cet avantage se réalisera ? Tout commerce est essentiellement égoïste ; qu’il appartienne à l’étranger ou qu’il appartienne à la Belgique, tout armateur exportera les marchandises qu’il trouvera à meilleur compte ; si c’est à Londres ou à Amsterdam qu’elles se trouvent à meilleur marché, il ira les prendre à Londres ou à Amsterdam ; s’il peut les obtenir à plus bas prix en Belgique, il les prendra en Belgique.

En vérité, messieurs, l’influence et l’établissement d’un léger droit différentiel, tel qu’il est envisagé par nos honorables adversaires, tiendrait du prodige ; les trésors qu’ils nous font voir en perspective, comme devant résulter de leur système, seraient immenses ; malheureusement rien ne nous garantit que leurs prévisions se réaliseraient, et dans cet état de choses je crois que ceux qui décident si légèrement des questions de haut commerce, feraient mieux de s’en rapporter à nous, qui sommes, je pense, mieux qu’eux à même d’apprécier de semblables questions.

Je crois, messieurs, n’avoir pas besoin d’en dire davantage pour prouver que si l’opinion de nos adversaires a été défendue avec chaleur, elle n’a pas été émise après un mûr examen.

- L’amendement de M. Verdussen est appuyé.

M. Lardinois – Il est incontestable, messieurs, qu’après la question territoriale, ce sont les entraves apportées à la libre navigation de l’Escaut par l’article 9 du traité de paix, qui ont le plus préoccupé le pays. En effet, sans la liberté de l’Escaut, notre commerce maritime serait anéanti, et la décadence de notre agriculture et de notre industrie manufacturière en serait la conséquence immédiate.

Ce n’est pas une hypothèse que j’avance, messieurs, notre propre histoire constate cette vérité. Vous savez que depuis le traité de Munster, qui a fermé l’Escaut jusqu’à la révolution française qui l’a rendu libre, la Belgique n’a vécu que de son agriculture ; mais son existence était pénible, misérable, car la masse du peuple végétait dans la crasse et dans l’ignorance.

Dans les temps antérieurs, aux 14e, 15e et 16e siècles, la Belgique était-elle couverte de misère ? Non, c’était le premier peuple du monde sous le rapport commercial et industriel, parce que la mer et son fleuve principal étaient libres, et qu’ainsi ses habitants pouvaient déployer toutes les ressources de leur génie et de leur activité.

Malgré les sinistres prédictions que nous avons entendues de nouveau, dans la séance d’hier, je ne puis désespérer de la fortune de mon pays, et nous devons, messieurs, tâcher de reprendre cette position prospère. La révolution de 1830 est close ; nous en sommes malheureusement sortis mutilés, mais n’oublions pas que nous restons nation plus grande, plus compacte et plus riche que nous n’avons jamais été.

Nous devons nous féliciter, messieurs, que les maux que le traité de paix nous a apportés ne soient pas tous irréparables. Du moins en ce qui concerne la navigation sur l’Escaut, ce n’est qu’une redevance que la conférence nous a imposée, et nous pouvons avec de l’argent affranchir le commerce de ce tribut. C’est ce que le gouvernement vous propose de faire.

Nous sommes à peu près tous d’accord sur le principe ; mais nous différons sur les moyens d’exécution. Les uns considèrent la question sous le point de vue de l’intérêt général, les autres la rapetissent aux proportions de l’intérêt local, et une troisième opinion demande un péage différentiel.

Il faut convenir, messieurs, que l’esprit de prévention est une chose déplorable ; car il aveugle les hommes les plus réfléchis et fait souvent commettre des injustices majeures. Quoi ! la libre navigation de l’Escaut intéresse vivement Anvers, Louvain, Bruxelles, Gand et d’autres villes considérables de la Belgique, et vous prétendez que c’est une question d’intérêt local ! Quoi ! la prospérité du commerce maritime, et il ne peut prospérer avec des entraves, a une influence immense sur la prospérité de l’agriculture et de l’industrie manufacturière, et vous faites entendre qu’il ne verse ses richesses qu’au port où arrivent les navires ! Détrompez-vous, la répartition des richesses ne s’opère pas ainsi ; les bénéfices que procurent un commerce et une industrie quelconque profitent à tout le monde et se répandent à l’infini.

Je ne m’appesantirai pas davantage sur cette question, car je suis persuadé que la grande majorité de cette chambre la comprend comme moi. Dernièrement nous avons montré une sympathie à l’égard des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, en modifiant notre tarif de douanes en faveur de leurs produits ; et nous ne commettrons pas la faute immense de ne pas protéger notre commerce maritime qui intéresse la Belgique entière.

Je suis d’avis que le péage sur l’Escaut doit être remboursé par l’état aux navires de toutes les nations et sans exception.

Le projet du gouvernement établi une exception contre les navires néerlandais, parce que le droit est prélevé au profit de la Hollande.

Il y a dans cette réserve une apparence de justice, mais je crois qu’il serait impolitique et dangereux d’adopter cette mesure. Il est de notre intérêt de nous lier commercialement et peut-être politiquement avec la Hollande ; nous devons donc éviter tout ce qui pourrait la blesser ou lui donner des doutes sur nos bonnes intentions. Oublions nos griefs passés, messieurs, et garantissons-nous des réminiscences qui pourraient altérer nos rapports pacifiques et nos relations commerciales avec le peuple hollandais. La Hollande a besoin de nous et nous avons besoin d’elle. Les deux nations sont riches, elles produisent des articles différents et d’un échange facile, et si en 1836 nous avons eu avec la Hollande un mouvement d’affaires de trente millions, nous ne pouvons manquer de le doubler sous les auspices de la paix.

D’ailleurs, en supposant l’exception proposée par le gouvernement, adoptée par la législature, je me demande à qui elle profiterait ? Au trésor public, sans doute, mais à la Belgique nullement. Je ne pense pas que le gouvernement hollandais abandonne le revenu du péage sur l’Escaut même en faveur des navires nationaux, et, dans ce cas, la marchandise importée en Belgique par navires hollandais supportera les frais de péage, et le consommateur belge la paiera d’autant plus cher. Et comme l’article principal d’importation est le café, ce sera encore la classe pauvre, qui consomme le plus de cette denrée, qui paiera l’exception. Cette seule considération, messieurs, doit suffire pour vous faire rejeter cette proposition. Mais une considération non moins puissante, c’est que cette exception peut provoquer des mesures de représailles de la part de la Hollande, en exigeant, par exemple, que toutes les marchandises que nous aurons à lui fournir soient expédiées par mer. Que deviendront alors nos expéditions par terre et par la Meuse ? L’on ne me répondra pas que c’est une suggestion gratuite que je fais, car vous n’ignorez pas que l’ex-gouvernement des Pays-Bas a obligé pendant plusieurs années la France à nous expédier ses vins par la voie maritime. D’un autre côté, il n’est pas probable que la somme que nous aurions à rembourser aux navires hollandais serait bien forte, parce qu’ils se serviront souvent des eaux intérieures pour leurs expéditions sur Anvers.

Maintenant, disons quelques mots sur le péage différentiel que plusieurs honorables membres proposent dans leurs amendements.

Je ne veux pas entrer dans la discussion des droits différentiels, parce que cette question ne nous est pas soumise régulièrement, et parce qu’elle mérite d’être profondément méditée. Les partisans de ce système ont donc tort d’en vouloir introduire furtivement le principe à chaque loi de douane, et ils agiraient plus rationnellement en formulant un projet de loi séparé. Si ce système présente tous les avantages annoncés par plusieurs de nos honorables collègues, ils doivent être persuadés qu’il trouvera des défenseurs même parmi ceux qui semblent aujourd’hui l’attaquer. Mais pour réussir, il faut que le système réalise une condition essentielle, à savoir : faciliter et augmenter les échanges, importer et exporter par navires nationaux, avec autant d’économie que par navires étrangers.

J’ai été frappé d’un argument avancé plusieurs fois par le promoteur du système des droits différentiels ; c’est un moyen certain, disent-ils, de donner des débouchés aux produits de nos manufactures. Si c’était le cas, vous trouverez, je le répète, des défenseurs de votre système, parce que la Belgique est essentiellement industrielle ; mais en attendant que vous nous ayez convaincus d’un pareil résultat, vous nous permettrez d’en douter et de croire que ce système tend d’abord à faire diminuer les importations et à faire augmenter le prix des matières brutes.

La nécessité de débouchés pour nos fabricats devient de plus en plus urgente. Il y a encombrement de tous les produits manufacturés, ce qui cause un malaise général. La position de nos industriels est beaucoup plus difficile qu’en Angleterre, parce que là le producteur n’est pas obligé d’être en même temps spéculateur ;: il trouve toujours des armateurs qui viennent acheter sur place les produits dont il a besoin pour l’exportation. Mais en Belgique le manufacturier doit posséder la science du fabricant et les connaissances du négociant ; car il est vrai de dire qu’on rencontre peu de secours parmi nos armateurs, et c’est pourquoi l’exportation est si faible en produits de nos manufactures.

Les amendements proposés apporteraient une innovation dans notre législation financière, et ce premier résultat serait de porter un coup funeste au commerce de la ville d’Anvers. Ce port jouit de plus d’avantages naturels que celui d’Ostende, et il paraît qu’on voudrait rétablir l’équilibre par une mesure exceptionnelle et de privilège. Les lois doivent être justes et non pas odieuses, et je suis persuadé, messieurs, que vous rejetterez ces amendements.

Avec un péage différentiel, vous éloignerez les navires du port d’Anvers, vous aurez moins d’arrivages, et les matières premières seront plus rares et plus chères. Ce système donne un passeport aux navires étrangers pour Rotterdam au détriment du commerce d’Anvers. Vous forcerez même dans bien des circonstances les négociants du pays à se servir de cette voie, parce qu’elle sera plus économique. Je vais vous donner un exemple.

Le fabricant ou le négociant de Verviers achète une partie de laine en Espagne ; comme il ne peut l’expédier que par navires étrangers, il préférera la diriger, le fret étant le même, sur Rotterdam que sur Anvers, afin d’éviter le péage sur l’Escaut qui pourrait s’élever à deux mille francs sur cette cargaison. De Rotterdam la marchandise pourra arriver jusqu’à Liége par la Meuse. Ce fait pourra avoir lieu dans bien des cas et pour toute espèce de marchandise.

En vous donnant cet exemple, vous aurez déjà fait la réflexion, messieurs, qu’il n’est pas applicable à la ville de Gand, à cause de sa position topographique. Ainsi elle ne pourrait faire venir les cotons en laine dont elle a besoin pour ses manufactures, qu’en payant un florin cinquante par tonneau, parce que l’importation de cet article qui vient principalement des Etats-Unis, se fait par navires étrangers. Je ne sais pas si l’industrie cotonnière est assez prospère pour supporter une nouvelle charge de cinquante mille francs environ par an.

Le système des amendements aura encore le triste avantage de détruire absolument le commerce de transit par la Belgique. Il est de la nature de ce commerce de chercher la voie la moins coûteuse, et tout ce qui sera destiné pour l’Allemagne et d’autres pays sera dirigé sur la Hollande, si le trésor ne rembourse pas le péage sur l’Escaut. Alors la Belgique perdra non seulement le profit commercial, mais encore le chemin de fer une partie de son revenu.

On reproche au gouvernement d’abandonner la navigation nationale et de lui préférer le commerce de transit. Je pense que ce reproche n’est pas fondé, car s’il reconnaît l’utilité du commerce de transit, le ministre des travaux publics ne négligerait pas la partie essentielle du chemin de fer d’Anvers à la frontière prussienne. Je me réserve de revenir plus tard sur cet objet important.

Au reste, je pense que l’essai que l’on veut tenter du système des droits différentiels ne peut avoir lieu dans le cas présent. D’abord le système devrait être général, uniforme, et le port d’Ostende devait être soumis aux mêmes conditions que celui d’Anvers. Ce projet n’est pas admissible, car si l’on consultait la chambre de commerce d’Ostende sur le droit d’un florin cinquante cents par tonneau à imposer sur les navires étrangers arrivant dans son port, je ne crains pas d’avancer qu’elle repousserait une pareille proposition.

Si, contre toute attente, on commettait l’injustice flagrante de faire supporter au commerce d’Anvers une partie du péage, je ne fais pas de doute que cette ville, tant elle est intéressée dans cette question, serait forcée d’aviser aux moyens de remboursement du péage, surtout pour les marchandises que les étrangers lui envoient en consignation.

En me résumant, je dirai, messieurs, que le péage sur l’Escaut doit être remboursé par l’état, et que nous ferons ainsi acte de justice et de prévoyance ; qu’établir une exception contre les navires hollandais, ce serait impolitique, et qu’au contraire nous devons chercher à lier des relations commerciales avec la Hollande et ses colonies ; qu’enfin vouloir introduire dans cette loi le principe du système des droits différentiels est chose impraticable.

- M. Fallon remplace M. Raikem au fauteuil.

M. Coghen – Messieurs, au point où en est arrivée la discussion il reste fort peu à ajouter aux paroles prononcées par ceux qui ont défendu le projet de loi ; la défense de ce projet vient d’être complétée par l’honorable M. Lardinois, qui a fort bien exposé la position et des armateurs du haut commerce et de l’industrie manufacturière.

La question, messieurs, qui a dominé presque toute la discussion, c’est la question des droits différentiels ; je crois que le moment n’est pas venu pour agiter cette question ; la marine que la Belgique possède n’est pas d’une importance telle qu’elle puisse réclamer dès à présent un surcroît de protection qui, s’il était accordé, serait diamétralement opposé aux intérêts généraux du pays. Nous avons encore trop peu de navires ; 150 ne suffisent certes pas pour faire le mouvement commercial, et c’est cependant tout ce que nous avons ; il est vrai que nous en avons une vingtaine sur les chantiers ; la loi qui accorde des primes pour les constructions navales porte déjà ses fruits, mais on ne peut pas improviser une marine, elle ne peut se créer qu’à la longue ; on ne peut pas construire des vaisseaux avec précipitation. En 1828, 1829, et surtout au commencement de 1830, on a précipité la construction des navires ; qu’en est-il résulté ? c’est que presque tous ceux construits sans qu’on y ait mis le temps nécessaire, sans qu’ils aient hiverné sur les chantiers, ont été promptement détruits par ce qu’on appelle l’échauffement du bois. Maintenant la leçon est donnée, et l’on en profite ; on construit des navires, mais on y mettra le temps nécessaire, on aura soin de les laisser hiverner sur les chantiers ; on n’ira plus aussi vite, mais on fera des constructions solides et durables.

Il est donc impossible que nous ayons immédiatement une marine considérable, et dès lors il serait impolitique d’établi immédiatement en faveur de notre marine, qui n’existe encore qu’en un petit nombre de navires, des droits différentiels, propres à éloigner les navires étrangers ; ce serait nuire gravement au commerce du pays, à l’industrie du pays, et surtout à l’industrie manufacturière, qui ne peut prospérer que par l’exportation, laquelle ne se fait en grande partie, aujourd’hui, que par les navires étrangers.

Cela est tellement vrai, messieurs, que la rareté des moyens d’expédition oblige souvent, lorsque nous voulons expédier aux Indes anglaises, à Manille, en Chine, d’employer la voie de Londres ; lorsque nous expédions aux colonies hollandaises, d’employer la voie de la Hollande. Et lorsque nous faisons des expéditions pour l’Amérique du Sud, ce qui arrive assez souvent, ou pour le golfe du Mexique, nous sommes obligés d’expédier par Hambourg. Ces voies indirectes sont contraires et nuisent aux résultats des expéditions.

L’intérêt du commerce, l’intérêt de l’industrie, l’intérêt de tout ce qui constitue la richesse du pays, exige donc que nous ayons le plus de moyens possibles d’exportation, et dès lors, puisque nous ne possédons pas par nous-mêmes ces moyens, il faut que nous cherchions à attirer les navires étrangers, bien loin de les repousser.

On a voulu, messieurs, faire de la question de l’Escaut une question toute locale, une question anversoise. Non, messieurs, la question n’est pas anversoise, elle est tout à fait d’intérêt général, et si peut-être une seule localité doit ne pas profiter de la décision que prendra la chambre, tout le reste du pays en profitera ; il est impossible de ne pas reconnaître que le port de Louvain, qu’on a créé et pour l’amélioration duquel on a encore dépensé un million, il n’y a pas longtemps ; que le canal de Terneuzen, qui va être affranchi de tout droit de péage et qui a coûté tant de millions ; que le canal de Bruxelles, dont la création et l’amélioration ont coûté plus de quatre millions, que toutes ces communications créées pour faciliter nos relations avec les autres peuples, ne peuvent pas être sacrifiées à l’intérêt d’un seul port. Or, tout serait sacrifié si la chambre n’adoptait pas le projet de loi, puisque le petit et le grand cabotage se font presque exclusivement par ces communications. Ne pensez pas que cette navigation soit peu importante, Bruxelles seul a reçu 180 navires venant de la mer en 1838.

On veut, messieurs, que l’Escaut soit un fleuve national, qu’il serve uniquement à la navigation des navires nationaux ; je pense moi que l’Escaut ne sera réellement un fleuve national que lorsqu’il sera entièrement libre, affranchi de toute espèce de péage, et lorsque, par suite de cette liberté, les navires étrangers arriveront en foule dans nos ports, au grand avantage de notre commerce et de notre industrie. C’est alors que j’appellerai l’Escaut un fleuve véritablement national, parce qu’il procurera des richesses à la nation tout entière.

On veut établir des systèmes ; on voudrait que le pays fût seulement un pays de commerce direct avec les nations étrangères.

Messieurs, en théorie, c’est très bien, je désirerais aussi que cela fût possible ; je voudrais que nous pussions charger de produits nationaux tous les navires qui arrivent à Anvers et dans d’autres ports du pays. Mais il faut voir si nous pouvons soutenir la concurrence sur les marchés étrangers et si nos fabricats sont partout voulus. Dans ma pensée, il faut non seulement un commerce directe et aussi de transit, pour pouvoir former une importance commerciale dans le pays, mais il faut aussi une marine nationale. Quand elle existera, on pourra la favoriser dans l’intérêt de cette nouvelle richesse.

Un honorable membre a été effrayé de l’engagement que le pays va prendre, en se chargeant de la restitution du péage sur l’Escaut. Il vous a dit que vous alliez prendre des engagements dont vous ne connaissez ni l’importance, ni l’étendue.

Quant à moi, loin d’être effrayé, je désirerais que la restitution, au lieu d’avoir une importance de 6 à 700,00 francs, s’élevât à 2 millions. Voici ma pensée.

On a évalué le droit de péage à peu près à un demi p.c., valeur moyenne, sur tous les objets. Je n’ai pas vérifié ce calcul. Mais en admettant qu’il soit vrai, voyons ce qui en résultera. Si vous opérez une restitution de péage, à concurrence de deux millions de francs, vous aurez, il est vrai, 1,400,000 francs de plus à restituer, mais cela supposera une augmentation de commerce de 280 millions. Je désire dans l’intérêt de mon pays que cela puisse se réaliser, et je féliciterai la nation de ce brillant résultat, qui procurerait au moins au décuple la somme restituée pour le péage.

Un honorable membre vous a parlé hier de la différence qui existait entre les primes d’assurance au détriment du port d’Ostende. Il vous a dit : Ne craignez pas d’accabler Anvers, en laissant subsister le droit de péage, parce que l’assurance diffère entre Anvers et Ostende de 2 p.c., et la moyenne du droit n’est qu’un demi pour cent.

Messieurs, c’est là une erreur de fait qu’il faut relever ; la chambre l’aura certainement aperçue. Mais il se peut que cette assertion ait pu exercer de l’influence sur l’esprit de quelques membres, et dès lors il convient de rétablir les faits tels qu’ils sont.

Or, les assurances maritimes à Anvers et à Ostende se font à la même prime, sans aucune distinction, et s’il pouvait y avoir de l’avantage pour une localité, cet avantage serait plutôt pour Ostende.

Un des organes du gouvernement, dont au moins l’opinion est souvent consultée, quand il s’agit de lois commerciales, vous a dit hier qu’il fallait des importations à bon marché.

Je partage tout à fait cette opinion dans l’intérêt des consommateurs, de notre industrie et de nos manufactures, parce que nous pourrions plus avantageusement concourir avec l’étranger.

Mais, partant de ce principe, je n’ai pas bien compris pourquoi l’on propose 3 p.c. sur le droit de douane à l’entrée, surtout en généralisant le droit de 3 p.c. Il est un grand nombre d’objets qui peuvent supporter ce droit, et même un droit plus fort. Mais je me verrai cependant à regret forcé de donner mon vote à ce supplément de droit, surtout pour les matières premières. Le droit de douane à la sortie serait également majoré de 3 p.c. ce droit va frapper nos produits nationaux qui le sont déjà par un droit de 3 p.c. à l’entrée, indépendamment du tonnage qui subira également cette augmentation.

Je crois, lorsque les loisirs de la paix permettront au gouvernement de s’occuper du tarif de douane, qu’il conviendrait qu’on l’établisse par catégories, savoir : matières premières nécessaires, indispensables à notre industrie ; puis des objets étant le produit du sol, de nos usines, de nos manufactures, que nous avons intérêt à exporter ; et une dernière classification des objets étrangers aux deux premières et surtout des objets de luxe. De cette manière, quand on voudra majorer les droits de douane, on ne commettra pas la faute qu’on veut faire de frapper les matières premières à l’entrée et les objets à la sortie, dont l’exportation est si utile, si avantageuse au pays.

L’honorable M. Dechamps a proposé un amendement que je ne puis pas plus appuyer que celui de M. Dumortier. On a déjà combattu en partie l’amendement de M. Dechamps. Il voudrait d’abord l’exemption pour les navires belges. Nous sommes d’accord sur ce point. Il veut étendre l’exemption aux navires étrangers appartenant aux pays de provenance et arrivant de ces pays directement et sans rompre charge.

Messieurs, nous recevons une foule de marchandises des pays qui n’ont presque pas de marine, et par conséquent ils ne pourront jouir du bénéfice de la loi, s’ils sont importés par des navires étrangers à ces pays.

D’abord, le Brésil ne possède presque de navires que pour son commerce de côte. La Havane n’en possède presque pas ; les échelles du Levant n’en ont que pour le commerce du cabotage. Manille, dont nous recevons beaucoup de sucre, n’a pas de marine ; il n’y en a pas non plus à Buénos-Ayres, Montevideo, Rio-Grande, Fernambouc. Ce sont presque tous navires étrangers qui importent les marchandises de ces pays. Par conséquent, si vous n’accordez pas le remboursement du péage à ces navires, les marchandises qu’ils importent seront encore frappées d’un droit d’un florin 50 cents.

Ce serait un bonheur, si l’on pouvait adopter l’amendement qui a été proposé par l’honorable M. Dumortier, parce qu’au moins il y aurait alors possibilité d’écouler quelques produits en plus de notre industrie. Mais le commerce, tel qu’il se passe, ne permet pas de recourir à ce système.

Je suppose des navires qui arrivent de la Méditerranée avec des produits, soit des échelles du Levant, soit de la mer Noire. Ces navires abordent à Anvers. Ensuite, ils vont ordinairement vers le nord, et retournent de là vers la Méditerranée, chargés des produits de la Suède ou de la Russie.

Pouvez-vous forcer les capitaines de ces navires à composer un quart de leurs cargaisons de produits du pays ? Qu’importeront-ils dans le Nord ? S’ils ne satisfont pas à la condition de la loi, ils paieront donc le droit de péage, droit qui viendra grever les objets que ces navires ont importés.

Je pourrai citer une foule d’autres exemples qui prouveraient que le non remboursement du péage tombera à la charge des marchandise qu’on importera chez nous, c’est-à-dire à la charge du consommateur.

J’arrive maintenant à l’amendement qui a été proposé par le gouvernement. Quant à la restitution, en ce qui concerne les navires hollandais, je désire beaucoup qu’il soit possible de ne pas trouver dans nos lois ce qui pourrait avoir l’air d’une arrière-pensée d’hostilité contre une nation avec laquelle nous avons tant d’intérêt de nous lier d’une cordiale et franche amitié.

La Hollande a 2,500,000 habitants ou consommateurs riches et opulents ; la Hollande produit peu ou presque rien ; elle a en outre 6 millions de consommateurs dans ses colonies ; elle a un commerce considérable avec beaucoup d’autres pays du monde. Or, si maintenant nous avons l’imprudence d’insérer contre elle des dispositions hostiles, je crains que dans les négociations nous ne rencontrions pas cette bienveillance que je désirerais parce que la Hollande a tant autant besoin de nos 4,500,000 consommateurs qui achètent les produits de ses colonies, que nous avons besoin de la Hollande et de ses colonies, pour l’écoulement des produits de notre industrie. (Très bien ! très bien !)

M. Verhaegen – Messieurs, j’étais résolu de ne pas prendre la parole dans cette discussion, parce que déjà tous les arguments avaient été présentés, parce que la matière avait été épuisée.

Mais, à la séance d’hier, des insinuations tout au moins inconvenantes, je dirai même des personnalités contre la majorité de cette chambre, sont parties d’un des bancs du centre ; il nous importe qu’à côté de l’attaque vienne se placer la défense.

On vous a dit, messieurs (l’honorable M. Dumortier), que c’est nous qui avons fait le traité des 24 articles ; que c’est nous qui l’avons trouvé bon ; que c’était dès lors à nous à en subir toutes les conséquences. – A vous, a dit l’honorable membre, la responsabilité de vos actes, à vous la solidarité ; et si le port d’Anvers est anéanti, on dira avec raison que c’est vous qui êtes cause de cet anéantissement, comme on dira que c’est vous qui êtes cause de tous les désastres que le traité de paix aura amenés.

A chacun la responsabilité de ses actes ; c’est pour mettre tout le monde à sa place que je me suis permis de prendre la parole.

Nous avons fait le traité…. Nous avons fait le traité et nous devons en supporter les conséquences ! A-t-on donc oublié la discussion qui a eu lieu récemment ; nous avons été un des premiers à condamner le traité désastreux auquel nous avons dû, par nécessité, donner notre assentiment.

Déjà à cette époque nous avons dit ce que nous pensions des actes et de la conduite du ministère, et si nous n’avons pas levé entièrement le voile, c’est que nous avons voulu ménager ses susceptibilités ; c’est que nous n’avons pas voulu faire parler les passions ; mais aujourd’hui on nous attaque, et on se dresse commodément un piédestal populaire en se donnant des intentions qu’au fond on n’a pas réellement ; on se fait de la popularité aux dépens d’une majorité qui n’a été poussée que par la nécessité, résultat de la conduite de ceux qui lui adressent des reproches.

Une fraction, mais une fraction extrême, car je distingue entre l’exagération et la modération ; une fraction extrême d’un parti que nous avons combattu quelquefois et que nous combattrions encore lorsque des exagérations nous y obligeront, avait imposé au gouvernement une politique. Cette politique dans le principe était celle de la résistance quand même ; et tout le monde sait que ce parti était assez bien partagé au pouvoir ; certes, il ne s’en plaindra pas, et il ne reviendra pas sur des faits accomplis et qui sont de notoriété publique. A l’intérieur il était parfaitement bien représenté ; nous avons souvent ressenti les suites de son influence dans les affaires intérieures. Cela ne suffisait pas. A l’intérieur il fallait joindre l’extérieur ; c’est de cette manière et par suite de cette influence que les deux ministères ont été réunis. La fraction dont nous avons parlé était donc maîtresse de l’intérieur et de l’extérieur, et la résistance quand même a été imposée par ceux-là qui maintenant se posent nos adversaires. (Interruption.) Cela n’est pas plaisant du tout ; c’est désolant pour le pays, et le temps apprendra le reste.

J’avais donc cru, dans la première discussion sur le traité, dire toute ma pensée. J’ai l’habitude de la dire ; je la dirai toujours. Je ne m’arrêterai devant aucune considération, si ce n’est celle de l’intérêt général.

Je n’ai aucun pouvoir à caresser, et je peux dire ici franchement ma pensée. Si je m’en suis abstenu jusqu’à présent, c’est par des considérations d’intérêt général. J’aurai pu mettre au jour des documents, invoquer même les organes de certaine presse, pour établir que c’étaient pas des sentiments de générosité pour les malheureuses populations du Limbourg et du Luxembourg, que ce n’étaient pas des sentiments d’intérêt social et d’honneur national, qui dirigeaient la fraction du pays qui voulait la résistance quand même ; que c’était tout autre chose ; que la voix de l’honneur que l’on faisait sonner si haut, n’était que de la propagande…

M. Dumortier – Précisez les faits ; produisez les pièces.

M. Verhaegen – Je prends à moi la responsabilité de tout mon discours, et l’honorable M. Dumortier peut en prendre note. Je le prie de ne pas m’interrompre parce que cela rompt le fil de mes idées.

L’histoire est là pour faire connaître les faits, et le temps n’est pas lieu où sera jugé ce grand procès.

Je n’ai pas besoin pour le moment de produire des pièces ; le procès Bartels pourra vous en dire beaucoup plus que je ne pourrais le faire. Tout ce que je puis dire maintenant, c’est que si Bartels, à tort ou à raison, est accusé d’avoir provoqué l’insurrection dans les provinces rhénanes, il y a des personnages, et des personnages très haut placés, qui pourraient fort bien partager la responsabilité de ses actes. Mais c’est en simulant ou en invoquant des sentiments de générosité, que l’on a cherché à obtenir des sympathies ; et l’opinion à laquelle nous appartenons à vu se fractionner, parce que plusieurs de ses membres ont pris le change. Cette jeunesse studieuse et généreuse aussi a été mise en erreur, égarée par de fausses lueurs et par l’expression de sentiments travestis. Quant à moi, je le dirai, mes premières idées ne m’ont pas abandonné un seul instant ; alors que nous faisions de la propagande, alors que nous devions faire croire aux pays voisins que nous étions de dangereux voisins, alors que nous mettions contre nous les puissances qui avaient des représentants dans la conférence, nous en pouvions espérer que nous obtiendrions des conditions avantageuses.

Eh bien, ce sont ceux-là même qui nous ont mis dans une position si fâcheuse, qui nous ont placés dans la malheureuse nécessité où nous nous sommes trouvés, et à laquelle nous avons été obligés d’obéir, ce sont ceux-là qui nous imputent les conséquences de ce qui a été fait. Un pas de plus et la nationalité belge était perdue. La nécessité s’est montrée à nous dans tout son jour. Ce qui était fait ne pouvait se défaire ; l’impression était produite ; et malgré toute notre répugnance, si nous n’avions pas accepté le traité, les conséquences en auraient été incalculables. Cependant on vient nous dire que c’est nous qui avons fait le traité, que c’est à nous à en subir les conséquences !

Je n’abuserai pas des moments de la chambre, car le temps nous fera bientôt justice sur ce point. Avant un mois, on saura tout ce qui a eu lieu. L’histoire, avec toutes ses investigation et son flambeau, montrera nos adversaires tels qu’ils sont. Nous avons, nous, accepté un traité parce que la nécessité était là ; nous l’avons subie avec toutes ses conséquences ; et nous qui avons accepté le traité, nous ne reculerons pas devant les sacrifices qu’il imposé, non pas à des localités, mais à la généralité.

Deux grands sacrifices nous ont été imposés. Nous avons dû abandonner une partie du Limbourg et du Luxembourg ; cette perte est irréparable. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’alléger le sort de nos malheureux frères, dont nous avons été forcés de nous séparer. Des lois de réparation sont là, et nous adopterons les dispositions proposées par le gouvernement, et nous y ajouterons d’autres encore s’il était possible.

Un autre sacrifice nous est imposé : c’est un péage sur l’Escaut. Ce sacrifice, qui doit le supporter ? je le demande d’abord à tout le monde, est-ce que personne a jamais eu la pensée de faire supporter une charge telle que celle-là à une localité ? Celui qui recueille les avantages doit supporter la charge. Est-il entré dans la tête de qui que ce soit que lorsque parmi quatre associés, par exemple, il y en a un qui fait des sacrifices dans l’intérêt commun, les autres ne doivent pas y participer ?

C’est une question de bonne foi dont il s’agit. La main sur la conscience, pouvez-vous aujourd’hui, alors que vous avez fait un traité prescrit par la nécessité, alors que des sacrifices sont commandés par cette même nécessité, pouvez-vous exiger que ces sacrifices pèsent sur une partie seulement de la population ?

Si dans les affaires privées on traitait de la sorte, mais on accuserait celui qui ne voudrait pas partager les charges de mauvaise foi ; je ne pense pas que la bonne foi et la mauvaise foi puissent s’entendre autrement dans les affaires publiques que dans les affaires privées.

La question a été envisagée, ainsi que je la présente, par M. Dumortier lui-même. C’est à lui que je réponds, et je puis citer son discours.

Voici ce que je lis à la page 24 de son discours imprimé :

« Ce qui prouve que la conférence voulait rendre l’Escaut libre, c’est que, dans le même moment, elle ajoute dans le traité du 15 novembre une disposition spéciale pour établir la co-souveraineté de l’Escaut, et qui ne se trouvait pas dans les 18 articles ; elle établit en même temps à la charge de la Belgique, par le protocole n°48, une rente annuelle de 600,000 florins à payer à la Hollande pour avantages commerciaux, et qui ne se trouvait pas non plus dans les 18 articles. C’était donc le rachat de la co-souveraineté sur l’Escaut. Voilà ce que le ministre n’a pas compris. De deux choses l’une : il faut supprimer les 600 mille florins qui sont le prix de la co-souveraineté de l’Escaut ou le droit de péage qui en est l’équivalent. Evidemment, frapper la navigation de l’Escaut d’un droit de péage et imposer à la Belgique une rente annuelle de 600 mille florins pour avantages commerciaux, c’est lui faire payer deux fois la même chose. Voilà ce que le gouvernement n’a pas compris, et ce qui est cause de la stipulation introduite dans le nouveau traité qui consacre la ruine du port d’Anvers…

« L’article 9, après avoir maintenu la libre navigation des fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois la Belgique et la Hollande, après avoir, par un disposition spéciale, déclaré que la navigation de l’Escaut ne serait soumise qu’à un simple droit de pilotage modéré, et avoir établi des péages sur les eaux intermédiaires, entre le Rhin et Anvers, eaux exclusivement hollandaises, la conférence déclare que des commissaires se réuniront à Anvers pour régler les stipulations relatives à ces péages.

« En attendant et jusqu’à ce que ledit règlement soit arrêté, dit l’article 9, la navigation des fleuves et rivières navigables ci-dessus mentionnés restera libre au commerce des deux pays qui adopterait provisoirement à cet égard les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831 à Mayence, pour la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de cette convention, en autant qu’elles pourront s’appliquer aux fleuves et rivières navigables qui séparent et traversent à la fois le territoire hollandais et le territoire belge. »

« Ainsi, en attendant le règlement à faire conformément à paragraphe 4, la conférence appliquait aux fleuves et rivières le tarif de la convention de Mayence ; mais il va de soi qu’une mesure provisoire ne peut s’appliquer que là où une mesure définitive doit intervenir. Or, comme d’après le traité il ne devait pas y avoir de droits de péage sur l’Escaut, on ne devait pas non plus en mettre provisoirement. Le provisoire devait suivre les conséquences de la règle définitive.

« J’admettrai même que provisoirement la Belgique ait dû être soumise au tarif de la convention de Mayence sur l’Escaut. Il n’était pas moins écrit que la Belgique devait obtenir en définitive la co-souveraineté de l’Escaut, ce qui était l’absence de tout droit de péage sur l’Escaut, et nous avions en main des moyens de faire cesser bientôt le provisoire et d’établir la disposition définitive.

« Comment est-il possible qu’une disposition aussi favorable aux intérêts de la Belgique ait pu être ainsi abandonnée ! je conçois que les plénipotentiaires hollandais aient fait tous leurs efforts pour arriver à ce résultat, car la fermeture de l’Escaut tarit la source de notre commerce. »

N’est-il pas évident d’après cela que la charge qu’on imposait était une charge de l’état ; car ce dont M. Dumortier fait un reproche au gouvernement c’était de cumuler les charges ; la rente de 600,000 florins pour avantages commerciaux et le péage.

M. Dumortier dit plus loin (page 25 de son discours) :

« Comment est-il possible qu’une disposition aussi favorable aux intérêts de la Belgique ait pu être ainsi abandonnée ! Je conçois que les plénipotentiaires hollandais aient fait tous leurs efforts pour arriver à ce résultat, car la fermeture de l’Escaut tarit les sources de notre commerce. »

Et c’est ce même M. Dumortier qui vient nous dire que c’est nous qui sommes responsables de l’anéantissement du port d’Anvers, nous qui avons accepté le traité parce que la nécessité nous y a contraint, qui l’avons accepté avec les charges qui en compensent les avantages. Comment ! nous voulons l’anéantissement du port d’Anvers, et nous sommes les premiers à demander que l’Escaut soit comme avant la révolution ; c’est nous qui voulons qu’il soit libre, et M. Dumortier vient dire que nous en voulons l’asservissement ! Mais puisqu’il y a un remède, et que c’est vous qui refusez ce remède, ce sera vous, et l’histoire, si votre amendement est adopté, dira que c’est vous, M. Dumortier, qui êtes cause de l’anéantissement du port d’Anvers.

Voilà comment en changeant de rôle, en travestissant des opinions on arrive à des résultats diamétralement opposés à ceux qu’on devait espérer. Rien ne coûte à nos adversaires. On blâme aujourd’hui ce qu’on préconisait hier, on attaque aujourd’hui des individus dans lesquels on avait placé sa confiance, et au moyen de circonstances que l’on n’a pas le droit d’invoquer, on se donne une position que l’on n’a pas ; on se donne, aux dépens d’une majorité respectable, une popularité à laquelle on n’a pas droit et au sujet de laquelle encore le temps prononcera.

Sur le fond de la question, je n’ai rien à ajouter aux arguments péremptoires qu’on a fait valoir. La charge doit peser sur la généralité ; la généralité a recueilli le bénéfice du traité, elle doit supporter aussi les charges qui en dérivent.

Fût-ce un intérêt de localité au secours duquel nous viendrions, cet intérêt de localité ayant été sacrifié par le traité dont nous avons voté l’acceptation, la généralité devrait y pourvoir. Mais je pense qu’on a démontré à la dernière évidence qu’il ne s’agit pas ici d’un intérêt local et que l’intérêt d’Anvers est l’intérêt de tout le pays. C’est encore une de ces idées mesquines que, malheureusement, on rencontre souvent dans cette enceinte. Si le commerce d’Anvers déchoit, la Belgique déchoit ; la Belgique doit s’honorer du commerce d’Anvers. Quand il a été question dans cette enceinte de la capitale, aux yeux de certains membres, il ne s’agissait que d’une ville. Je vous ai dit à cette occasion ce que je vous dis aujourd’hui pour Anvers. Je vous ai dit que si Anvers déchoit, la Belgique déchoit. Je vous disais : Si Bruxelles déchoit, la Belgique déchoit ; si le crédit de la capitale se perd, le crédit du pays se perd. Voilà comment j’envisage les choses, repoussant toute idée mesquine et admettant ces idées générales dont sont pénétrés ceux qui entendent sainement les principes de l’économie politique.

On vous a entretenus d’amendements dont j’ai à peine compris tous les développements ; tout ce que j’ai vu, c’est qu’ils se contredisent. Je conçois que mes collègues qui s’occupent spécialement de ces matières, y comprennent plus que moi, aussi, je ne me permettrai pas d’entrer dans la discussion de ces amendements, et pour ne pas me tromper, je suis résolu à voter le projet de loi sans exception. En effet, je veux dégager l’Escaut de toutes entraves, mettre le port d’Anvers dans la position où il était avant le traité : il me semble que rien n’est plus simple ; c’est à ce résultat que je veux arriver. J’ai beaucoup entendu parler de droits différentiels. Ces droits se compliquent d’une singulière manière. Ceux-ci les envisagent d’une façon, ceux-là d’une autre façon. Hier l’honorable M. de Foere a dit qu’il n’est pas question ici de droits différentiels ; il a dit qu’il veut seulement donner une protection à la marine marchande ; mais il me semble qu’une disposition de ce genre établit des droits différentiels, ou je ne comprends plus ce que sont des droits différentiels. Tout ce que je vois, c’est qu’on veut établir des droits différentiels sur les navires, tandis qu’en général ces droits sont établis sur les marchandises.

Ainsi accorder une protection à la marine nationale, c’est établir des droits différentiels. Evidemment, si vous établissez un différence par une inégalité de nature à mettre de côté l’assimilation, vous établissez des droits différentiels. Voilà la question. Cette question a été traitée par l’honorable M. Lebeau ; et je l’ai parfaitement bien compris. On a prétendu que ce n’était pas le système d’un homme d’état, comme s’il n’y avait des hommes d’état que sur le banc de l’honorable membre que je combats. Pour moi, je trouve le système de l’honorable M. Lebeau parfaitement bon ; je trouve que c’est le système d’un véritable homme d’état. Ce qui me prévient en faveur de ce système, c’est que je l’ai compris au premier abord, tandis qu’il y a beaucoup de vos systèmes de droits différentiels auxquels je n’ai rien compris. (On rit.)

Que dit l’honorable M. Lebeau ? Il dit que si vous voulez établir des droits différentiels, vous devez frapper tous les ports ; vous devez frapper le port d’Ostende, comme celui d’Anvers. L’honorable M. Dechamps a parfaitement compris cette objection ; il a eu la bonne foi de dire qu’elle est très sérieuse, ; il l’a trouvée la plus forte ; moi je dis qu’il n’y a pas de réponse à y donner. En effet, si vous voulez, par vos droits différentiels, établir une compensation entre la position naturelle d’Anvers et celle d’Ostende, c’est une injustice. Ainsi, un port que la nature a fait, vous voulez le traiter moins favorablement qu’un port artificiel pour lequel vous avez fait beaucoup de dépense, et vous en ferez encore. Pour établir l’équilibre entre le bon et le mauvais port, vous voulez frapper le bon et le mettre sur la même ligne que le mauvais. Vous avez un bon port et un mauvais port ; vous frappez le bon. Il en résultera que les deux ports seront dans la même position, c’est-à-dire que vous aurez deux mauvais ports. Voilà le système ; en bien, j’avoue que ce système ne me convient pas. Je me permets de trouver que ce n’est pas là le système d’un homme d’état.

D’un autre côté, on vous a dit que c’était détruire l’assimilation résultant du traité avec toutes les nations avec lesquelles vous avez des relations établies. On dit : Qu’est-ce que cela, qu’est-ce qu’un traité ? ces traités ne peuvent prévaloir sur des lois ! mais on oublie l’article 294 de la loi du 26 août 1822, on oublie que les traités sont sanctionnés par cette loi. L’honorable M. Lebeau vous a démontré que les systèmes proposés pour Anvers tendent à violer les traités et cette loi. Pour moi qui n’ai jamais été homme d’état et qui ne peux encourir le reproche qu’on a fait à M. Lebeau, j’irai plus loin que cet honorable membre. Je n’ai pas besoin de faire une comparaison entre Ostende et Anvers, et je dis que l’inégalité provenant du remboursement fait par le gouvernement à certains navires, détruit l’économie de la loi de 1822 et les traités d’assimilation qui en sont la conséquence.

Dira-t-on qu’on paie le péage à la Hollande, que c’est le fait de la Hollande et non de la Belgique ; mais le fait du remboursement ou du non remboursement est le fait de la Belgique.

Du moment que vous détruisez l’assimilation, vous violez le traité et la loi de 1822, et pour l’établir ultérieurement, je vais citer un exemple.

A Ostende, Anvers et Gand on paie des droits de pilotage, non au gouvernement, mais aux villes ; c’est peut-être un inconvénient ; mais enfin il en est ainsi. Eh bien, je suppose que le gouvernement rembourse ces droits aux navires de telles ou telles nations et ne le rembourse pas à d’autres, je dis qu’il violerait les traités parce qu’il romprait l’égalité qui est dans leur esprit.

Je crois donc qu’il est impossible d’admettre le système des droits différentiels. Quant à moi je ne fais aucune exception. Par conséquent mon système est le plus simple. Je ne fais pas même d’exception pour la Hollande. Voici ma raison. Certainement s’il y avait quelque chose à gagner, je ferais une exception ; mais, dans ma manière de voir, cette exception serait plutôt à notre préjudice qu’à notre avantage. Je vois dans le paragraphe 3 de l’article 9 du traité qu’on nous a imposé que l’Escaut occidental est frappé d’un droit de 1 florin 50 cents ; et quand j’examine tout ce qui est relatif à cette disposition, je reconnais qu’on a voulu sacrifier le port d’Anvers au port de Rotterdam. Si nous éloignons les navires hollandais du port d’Anvers en ne leur remboursant pas le péage, ils iront à Rotterdam. Si la position est égale, ils donneront la préférence à Anvers, parce qu’ils trouveront à meilleur compte les approvisionnements, les radoubs et les marchandises en retour pour les colonies. Ainsi, en mettant les choses dans la position où elles doivent être, le remboursement aux navires hollandais est un avantage pour la Belgique.

Voilà pourquoi j’adopte le projet de loi et je rejette tous les amendements.

J’ai voulu dire les motifs de mon vote et répondre à une attaque déplacée. Si je me suis porté sur un terrain qui peut être glissant pour quelques-uns, mais ne l’est pas pour moi, cela tient aux circonstances ; le temps en dira plus que moi ; il jugera entre mes adversaires et moi.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le préopinant a dit qu’il n’approuvait pas les actes de la dernière négociation, je lui répondrai avec la même franchise que nous n’avons pas eu le tort de compter sur son approbation.

Mais, pour faire apprécier les négociations, nous nous bornerons à vous prier de comparer le traité du 15 novembre avec celui du 19 avril, et à vous rappeler que le traité du 15 novembre avait été signé par la Belgique, par les cinq puissances, qu’il avait été exécuté en partie, et que le roi Guillaume y avait donné son adhésion pure et simple. Nous vous prierons également de porter votre attention sur la composition de la conférence, c’est alors que vous pourrez juger si la négociation a été mal conduite.

En ce qui concerne la réunion de deux départements qui semble être le grief capital du préopinant, je dirai une fois pour toutes que jamais je n’ai ambitionné cette réunion ; mais je l’ai acceptée quand on a proposé de distraire du ministère de l’intérieur les travaux publics et d’autres attributions pour créer un département spécial. Cette réunion, nous en avons accepté et nous en acceptons encore toute la responsabilité ; nous sommes prêts à répondre à tous les griefs qui peuvent être articulés de ce chef. Je dois ajouter que cette réunion a produit de bons résultats surtout quant aux relations commerciales du pays.

M. Dumortier – Puisque le préopinant, qui a parlé immédiatement après le ministre, oubliant qu’il est simple avocat, s’est porté accusateur public et a appelé la vindicte des lois sur plusieurs collègues, et sur moi en particulier, je n’ai aucune mesure à garder dans la réponse que je vais lui faire.

D’abord, je dirai qu’il est bien fâcheux de voir ramasser dans la boue du ruisseau des arguments auxquels on ne croit pas soi-même, pour représenter la Belgique comme un foyer de propagande révolutionnaire. Il est pénible, dans un moment où nous avons besoin d’établir des relations commerciales avec l’étranger et avec l’Allemagne en particulier, qu’on vienne ici proférer des allégations auxquelles on ne croit pas, pour essayer de flétrir quelques collègues et une partie du pays avec laquelle on n’a pas de sympathie.

L’honorable membre croyait sans doute être dans une autre enceinte lorsqu’il s’est permis les insinuations perfides que vous venez d’entendre. S’il a des faits à signaler, qu’il les signale ; mais des insinuations perfides, de nature à faire perdre au pays sa considération, ce n’est pas un langage qui convienne au sein de la représentation nationale.

Le préopinant vous a dit que si Bartels était accusé d’avoir excité la propagande, il y avait (erratum, Moniteur du 19 mai 1839 : ) des hommes éminents qui pourraient bien s’asseoir à ses côtés sur les bancs de la cour d’assises. Cet homme, il l’a suffisamment désigné pour que personne ne s’y trompe, vous avez tous pu comprendre à qui il a fait allusion. Je somme le préopinant de déclarer nettement dans cette assemblée quels sont dans cette enceinte les hommes qui ont voulu faire de la propagande à l’étranger ; je le somme d’articuler des faits au lieu de rester dans des insinuations que le règlement interdit. S’il ne le fait pas, je déclare que ces insinuations ne sont qu’infâmes et odieuses calomnies.

Mais vous le voyez, ce n’est autre chose que le cauchemar de l’acceptation qui se fait jour ; il faut rejeter sur autrui le poids de l’acceptation qu’on a peine à porter, il faut tâcher de reconquérir une popularité évanouie, il faut effacer les reproches dont on est assailli. Voilà l’explication du langage du préopinant.

Que chacun conserve la responsabilité de ses actes, que chacun conserve ses opinions et que le pays juge ; mais pas d’insinuations, car par là on arrivera à diviser le pays ; jamais à le constituer.

Je sais qu’il y a des gens qui pêchent en eau trouble, et qui ne trouvent leur compte qu’à pêcher en eau trouble. Telle n’est pas ma manière de voir. Ma tolérance est connue, et je repousse avec mépris le stigmate dont on voudrait flétrir ceux qui ne partagent pas mes opinions religieuses.

« Une fraction extrême, dit le préopinant, a imposé au gouvernement une politique qui a amené le traité du 23 janvier. » Est-il possible, messieurs, de venir soutenir dans cette enceinte une pareille absurdité ? N’est-il pas constant que c’est du trône lui-même que sont descendues les premières paroles auxquelles tout le pays s’est rallié ? N’est-il pas vrai encore que, l’été dernier, toute la nation, toutes les administrations communales et provinciales, tous les corps constitués ont protesté avec énergie contre le traité ? Ce n’est donc pas une faction, messieurs, c’est le pays tout entier qui a repoussé le traité, et je rends à la plus grande partie de ceux qui l’ont voté la justice de dire qu’ils ne l’ont accepté qu’à regret. Vous avez donc bien tort de venir dire que ce n’est qu’une fraction extrême qui a repoussé le traité. Vous avez grand tort aussi de chercher à faire croire que c’est nous qui sommes les auteurs de ce traité ; le pays jugera, et il saura qui, de vous ou de nous, a voulu l’humiliation de la Belgique.

Après avoir attaqué toute la fraction de la chambre à laquelle je me fais gloire et honneur d’appartenir, l’honorable préopinant a représente ceux qui refusent d’adopter le projet de loi proposé, comme ne voulant pas contribuer à fermer les plaies du pays, plaies que lui-même, il a contribué à faire ; eh bien, messieurs, il n’est personne d’entre nous qui refuse de fermer ces plaies, si cela est possible, et quant à moi je ferais toujours tous les efforts imaginables pour assurer à mon pays, la souveraineté pleine et entière de l’Escaut ; j’irai même plus loin, et je le déclare ici de la manière la plus formelle, si la Hollande cherchait à entraver notre navigation, je serais le premier à proposer à la représentation nationale, de détourner le cours de l’Escaut et de le faire passer entièrement par le territoire belge. (Marques d’étonnement.) Oui, messieurs, la chose serait très praticable, elle coûterait 50 millions, mais la Belgique saurait sacrifier cette somme pour se soustraire à jamais aux tracasseries que l’on susciterait à sa navigation. Je le répète donc, messieurs, si la Hollande entravait notre commerce maritime, ce serait là une mesure que je proposerais à la chambre, et je suis persuadé qu’elle serait accueillie ; mais là n’est pas aujourd’hui la question ; ce dont il s’agit en ce moment c’est de savoir si nous devons accorder au gouvernement la faculté de rembourser ce péage à la Hollande, au profit de laquelle il est perçu et qui peut le supprimer ; il s’agit de savoir si nous accorderons une prime aux navires hollandais, au détriment de notre propre navigation. Eh bien, messieurs, c’est là un système auquel je ne pourrai jamais consentir ; mais, je le répète, lorsqu’il en sera besoin, on me trouvera toujours prêt à appuyer toutes les mesures propres à assurer la liberté de l’Escaut.

M. Verhaegen – J’en appelle à vous tous, messieurs, et je vous demande si je mérite la sortie dont je viens d’être l’objet de la part de l’honorable M. Dumortier. Je vous avoue, cependant, que je n’en suis pas très étonné, et que j’y serais peut-être beaucoup plus sensible si elle était venue de toute autre partie de la chambre, ; mais de ce côté nous devons être habitués à ces espèces de sorties, que je me contenterai d’appeler inconvenantes, en déclarant que, si je pouvais blesser quelqu’un dans cette enceinte, je reste responsable de mes paroles, et qu’en toute circonstance, je saurai donner à ceux qui m’entendent la satisfaction qu’ils pourraient exiger de moi.

Messieurs, je ne me suis posé l’accusateur de personne, j’ai pris dans cette circonstance tous les ménagements imaginables, et quand on m’a fait le reproche de venir au sein de la représentation nationale, exprimer des doléances sur la politique du gouvernement, je crois qu’on a perdu de vue que c’est dans le sein de la représentation nationale, et là seul qu’un député a le droit de parler de la politique. Je n’irai jamais ailleurs que dans cette enceinte traiter des questions politiques, me poser l’accusateur de mes adversaires ; si les circonstances me forçaient à me poser accusateur, je n’hésiterais pas à le faire, mais ce serait à la tribune nationale et jamais hors de cette enceinte.

Jamais on ne me verra dans des réunions quelconques appeler l’animadversion publique sur qui que ce soit. Notre conduite sera toujours conforme aux convenances, et nous la soumettons en toute confiance au jugement de toute la Belgique. Il est bien entendu que quand je parle de la Belgique, je ne suis pas du tout d’accord avec l’honorable préopinant qui la résume dans un député, car je ne crois nullement que la Belgique puisse se résumer en l’honorable M. Dumortier.

Projet de loi sur la circonscription judiciaire du Luxembourg

Rapport de la section centrale

Projet de loi sur la circonscription administrative du Limbourg

Rapport de la section centrale

M. Heptia monte à la tribune et dépose deux rapports, l’un sur la circonscription judiciaire du Luxembourg et l’autre sur la circonscription administrative du Limbourg.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces deux rapports et les met à l’ordre du jour pour être discutés à la suite des projets qui y figurent déjà.

Projet de loi relative au remboursement du péage sur l'Escaut

Discussion des articles

Article premier

M. de Muelenaere – Messieurs, dans la séance d’hier, j’avais prié le gouvernement de vouloir bien nous communiquer quelques documents relatifs au droit de pilotage ; j’avais fait remarquer à la chambre que ces droits de pilotage allaient subir des modifications assez importantes par suite de l’article 9 du traité ; quelques documents ont été déposés par le gouvernement à l’ouverture de la séance de ce jour, mais malheureusement ces documents n’indiquent pas les distances ; cependant, d’après l’article 9 du traité, c’est en raison des distances que le droit de pilotage doit être perçu ; ainsi, pour établir des calculs quelconques, il faudrait de toute nécessité connaître les distances, pour voir quelle différence il y aura entre le droit de pilotage tel qu’il se perçoit actuellement, tel qu’il se percevait avant le 1er septembre 1838, et tel qu’il se percevra en exécution du traité du 23 janvier.

Il se peut, messieurs, que le gouvernement n’ait pas été à même de nous fournir des renseignements sur les distances, que ces renseignements ne se trouvent pas actuellement en son pouvoir, peut-être même y aurait-il quelque inconvénient à communiquer en ce moment de semblables renseignements à la chambre. Je crois cependant pouvoir profiter de la communication qui nous a été faite pour appeler l’attention la plus sérieuse du gouvernement sur l’administration du pilotage, non pas sur l’Escaut seulement, mais sur toutes les eaux de la Belgique. Je crois devoir vous rappeler, messieurs, qu’avant la révolution l’administration du pilotage était sous la direction immédiate du gouvernement ; je ne fais aucune motion positive à cet égard, je me borne à appeler l’attention sérieuse du gouvernement sur ce point ; je crois que lorsqu’il s’agit de faire le remboursement du péage sur l’Escaut, c’est le moment dont il faut profiter pour réclamer d’une manière définitive l’administration du pilotage ; Déjà plusieurs fois, messieurs, on a voulu revenir sur la manière dont le pilotage est actuellement géré, et chaque fois on a rencontré de grands obstacles ; aujourd’hui les deux villes maritimes les plus importantes de la Belgique, Anvers et Ostende, sont en possession du pilotage, elles ne veulent pas s’en dessaisir, peut-être en ce moment pourrait-on arriver sans difficulté à faire un arrangement convenable à cet égard. Je crois, messieurs, que cette question est réellement importante dans l’intérêt même du commerce ; je ne comprends pas d’ailleurs une administration du pilotage qui ne soit pas dans les attributions du gouvernement lui-même.

Je viens maintenant au projet de loi actuellement en discussion. Je ne m’explique par très bien l’empressement que le gouvernement a mis à nous présenter le projet de loi, tel qu’il est conçu.

Dans des affaires souvent minimes, le gouvernement s’entoure de toute espèce de lumières ; il consulte les parties intéressées ; il demande les avis des chambres de commerce. Je ne sais pas pourquoi on n’aurait pas pu agir de même en cette circonstance, d’autant plus que tout ce qui a été dit dans cette enceinte, depuis quatre jours, prouve combien est réellement grave la question que vous avez à décider.

Cette discussion prouve aussi que ce projet de loi se lie en quelque sorte, aux intérêts les plus chers du pays.

Pour ma part, je regrette qu’on ait parlé de certaines localités. Le port d’Ostende est sans doute d’une grande importance. A différentes époques, et dans des circonstances données, le port d’Ostende a prouvé qu’il pouvait être pour la Belgique d’une immense utilité. Mais lorsque ces circonstances n’existent pas, je conviens franchement que le port d’Ostende, relativement au port d’Anvers, n’est plus qu’un port secondaire.

Il serait ridicule de croire qu’Anvers, avec sa magnifique position, avec son marché fait, avec ses immenses capitaux, puisse jamais avoir à craindre aucune concurrence de la part d’Ostende. Aussi mes illusions n’ont-elles jamais été jusque-là. Ce n’est donc pas une question de localité qui nous préoccupe. Ce qui nous inquiète, c’est l’avenir de notre marine marchande, c’est l’exportation de nos produits, c’est la pêche nationale qui pourrait se trouver compromise par une mesure prise à la hâte.

Voilà ce qui cause nos appréhensions Dès lors, je le répète, je ne conçois pas pourquoi dans cette affaire, on a mis un si grand empressement à vouloir faire décider immédiatement en principe que la Belgique remboursera sans condition, sans restriction aucune, aux navires des puissances un péage dont ces puissances elles-mêmes ont frappé l’Escaut.

Le traité du 23 janvier n’est pas encore ratifié. On nous dira peut-être qu’il le sera prochainement. J’espère qu’il en sera ainsi ; mais qui peut nous garantir, messieurs, que sinon la ratification, du moins l’exécution de quelques clauses de ce traité ne donnera pas lieu à des discussions plus ou moins sérieuses.

Le traité, messieurs, renferme sans doute des conditions fort onéreuses pour le pays, il impose à la Belgique de très douloureux sacrifices. Mais d’un autre côté il y a dans le traité quelques dispositions qui sont plus ou moins favorables au pays.

Et pour ne vous parler en ce moment que d’une seule de ces stipulations, parce qu’elle a quelque analogie avec la question que nous traitons, je vous dirai que cette stipulation sera une lettre morte dans le traité, si le gouvernement hollandais de son côté ne s’engage pas, pour lui donner son effet, à des sacrifices pécuniaires considérables.

Vous devinez, messieurs, que je veux parler de l’écoulement des eaux des Flandres.

D’après l’article 8 du traité, l’écoulement des eaux des Flandres doit être réglé entre la Hollande et la Belgique.

Je pense qu’il est bien entendu qu’il ne suffit pas que la Hollande n’oppose à l’écoulement de nos eaux aucun obstacle matériel, pour que la Hollande soit censée avoir rempli la stipulation du traité.

Depuis 1830, l’ensablement de toutes les voies d’écoulement a été d’autant plus rapide que l’écoulement de ces eaux a été interrompu à différentes époques. Dès lors, il serait vraiment ridicule de prétendre aujourd’hui que la Hollande exécuterait cette partie du traité, en s’abstenant d’opposer aucun obstacle matériel à l’écoulement de nos eaux. Car aujourd’hui l’écoulement est devenu nul ; la Hollande ne peut presque plus rien faire pour nous ; depuis la signature du traité, elle ouvre ses écluses, et c’est là probablement tout ce à quoi elle prétend être obligée.

La stipulation qui se rapporte à cet objet avait peut-être quelque sens dans le traité de 1831 ; mais dans le traité de 1839, la stipulation comprise dans ce sens devient nulle. Ce à quoi la Hollande s’est virtuellement obligée, c’est de procurer l’écoulement des eaux d’une manière convenable. Il y avait, messieurs, dans le traité de Fontainebleau une clause qui portait que l’écoulement des eaux devait avoir lieu à la satisfaction de l’Empereur.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Cette stipulation est maintenue.

M. de Muelenaere – Dès lors, si elle est maintenue, il ne suffit pas que la Hollande n’oppose à l’écoulement de nos eaux aucun obstacle matériel ; mais nous avons droit d’exiger que la Hollande procurer à nos eaux un écoulement nécessaire pour qu’il devienne efficace. Quoi qu’il en soit, cette stipulation peut donner lieu à des difficultés.

Je prie le gouvernement de consulter la brochure qui a été publiée par un de nos collègues, et il verra par cette brochure et les autres documents qu’il se procurera, que c’est là une question vitale pour les Flandres.

Tous les gouvernement qui ont régi la Belgique ont attaché à l’écoulement des eaux la plus haute importance ; c’est ce qu’on peut voir par le traité de Fontainebleau et d’autres documents diplomatiques.

Eh bien, dans un pareil état de choses, lorsque, sinon la ratification du traité, du moins l’ exécution d’une foule de clauses de ce traité peuvent provoquer des débats plus ou moins sérieux, et absorber un temps considérable, convient-il de faire en faveur de la Hollande et en faveur des puissances dont peut-être dans la suite nous aurons encore à invoquer l’intervention officieuse ; convient-il de leur accorder maintenant tout ce que la Belgique peut leur accorder ? N’est-il pas prudent au contraire de leur faire sentir que ces puissances, dans l’interprétation officieuse qu’elles pourront être appelés à donner à l’un ou à l’autre des articles du traité, voulaient interpréter tout en faveur de la Hollande, la Belgique ne serait pas complètement désarmée. N’est-il pas prudent dès lors aussi de se réserver certains moyens d’influence.

Je suis partisan aussi de la liberté de l’Escaut, je ne méconnaîtrai jamais l’importance de ce fleuve pour la Belgique. Je désire qu’il y ait le moins d’entrave possible au commerce et à la navigation. Mais ce que nous faisons en faveur de la navigation de l’Escaut, doit pouvoir se concilier avec les intérêts bien entendus du pays. Or, ces intérêts jusqu’à présent n’ont pas été consultés ; nous n’avons pas tous les documents nécessaires pour nous former une conviction consciencieuse et raisonnée sur la question qui nous est soumise. Je crois que cette question a besoin d’un examen ultérieur. Cependant je ne voudrais pas que cette espèce d’ajournement pût nuire à la navigation ; je ne voudrais pas qu’elle pût porter un préjudice réel au pays.

Pour éviter ces inconvénients, je vais avoir l’honneur de déposer un amendement. Cet amendement remplacerait l’article 1er du projet. Voici comment il serait conçu :

« Jusqu’au 1er avril 1840, le gouvernement est autorisé à prendre à l’égard du péage sur l’Escaut les mesures que réclamera l’intérêt général du pays. »

Je crois que cet amendement présente plusieurs avantages. Il présente l’avantage de ne pas engager la législature ; il présente l’avantage de satisfaire aux besoins du moment, il permet au gouvernement d’instruire complètement cette affaire, d’interroger les intéressés, de consulter les chambres de commerce. Mon amendement présente un avantage encore plus grand à mes yeux, c’est qu’il met entre les mains du gouvernement une arme dont il pourra se servir dans les négociations ultérieures qui devront nécessairement s’entamer sur quelques dispositions du traité.

Quant à moi je ne vois à mon amendement aucun inconvénient ; je ne vois pas qu’il puisse en naître de l’inquiétude pour le commerce. Le gouvernement est naturellement le meilleur juge de ce que peut exiger l’intérêt du pays dans de pareilles circonstances.

Eh bien ! le gouvernement accordera ou refusera le péage. C’est une affaire que nous lui abandonnons provisoirement sous sa responsabilité, mais avant le 1er avril 1840 il viendra rendre compte aux chambres de ce qu’il aura fait ; éclairé par l’expérience qu’il aura acquise, et entouré de tous les renseignements et de tous les documents nécessaires, le gouvernement nous soumettra, dans les premiers mois de la session prochaine, un projet de loi que la chambre aura le temps d’examiner et de discuter.

Ainsi la chambre sera mise à même de se prononcer en parfaite connaissance de cause. D’un autre côté, il n’y aura pas craindre que le commerce du pays soit entravé ou puisse se déplacer.

Ce sont là les motifs qui m’ont déterminé à présenter cet amendement. Je ne le fais pas dans un esprit de localité. Mais je suis vivement frappé des craintes manifestées par quelques honorables membres quant à l’exportation de nos produits, quant à la protection dont notre marine marchande a besoin et surtout quant au dommage pour notre pêche nationale, qui commence à se relever enfin de l’état de langueur dans lequel elle se trouve.

Je dépose cet amendement qui est, je crois, de nature à satisfaire à toutes les exigences. S’il était adopté l’article 2 deviendrait insignifiant.

Je donnerais mon adhésion à une allocation éventuelle pour le cas où le gouvernement jugerait convenable de rembourser le péage à quelques navires.

- Sur la proposition de M. le ministre des travaux publics, la chambre décide qu’elle tiendra séance ce soir.

La séance est levée à 5 heures.

Appel nominal

M. Lejeune fait l’appel nominal à 8 heures.

La séance est ensuite ouverte.

Projet de loi relatif aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois

Second vote des articles

Article premier

M. le président – D’accord avec M. le ministre, la section centrale propose la rédaction suivante de l’article premier :

« Article premier. Toute personne jouissant de la qualité de Belge, qui perdrait cette qualité par suite des traités du 19 avril 1839, peut la conserver, à la condition de déclarer que son intention est de jouir du bénéfice de la présente disposition, et de produire en même temps un certificat de l’administration d’une commune située dans le territoire qui constitue définitivement le royaume de Belgique, qu’elle a transféré son domicile dans cette commune.

« Cette déclaration devra être faite dans les quatre ans, à compter du jour de l’échange des ratifications des traités prémentionnés, si le déclarant est majeur, ou s’il le devient avant le commencement de la quatrième année. S’il ne devient majeur qu’après cette époque, il aura la faculté de faire la déclaration dans l’année qui suivra sa majorité.

« La déclaration et la production du certificat auront lieu devant le gouverneur de la province de laquelle ressortit le lieu où elle a transféré son domicile, ou celui qui le remplace, assisté du greffier provincial.

« La déclaration sera faite en personne ou par un mandataire porteur d’une procuration spéciale et authentique. »

M. Milcamps – Messieurs, j’ai donné mon attention à l’examen du projet de loi de la section centrale relatif à la naturalisation des habitants du Limbourg et du Limbourg détachés de la Belgique, car c’est ainsi que ce projet est intitulé, et je vais présenter des observations sur quelques articles du projet.

L’un des principaux effets des traités, c’est que par la séparation les peuples deviennent étrangers. La partie séparée conserve celles de ses lois qui ne lui sont pas ôtées par le vainqueur, elle reçoit les lois nouvelles que le nouveau souverain juge à propos de lui imposer, mais elle ne peut pas être atteinte ni régie par les lois du peuple dont elle est séparée et qui ont été rendues depuis la séparation.

D’après ces principes, professés par les publicistes et le jurisconsultes, tous les individus ou naturalisés dans les territoires cédés, du moment de la ratification des traités du 19 avril 1839 ou de leur publication, deviendront Hollandais.

Or, il est de toute justice de donner à ceux qui ne veulent pas changer de patrie, la faculté de conserver leur qualité de Belge, et c’est ce que fait l’article 1er du projet de la section centrale qui porte que :

« Toute personne jouissant de la qualité de Belge, qui perdrait cette qualité par suite des traités du 19 avril 1839, peut la conserver, à la condition de déclarer que son intention est de jouir du bénéfice de la présente disposition, et de produire en même temps un certificat de l’administration d’une commune située dans le territoire qui constitue définitivement le royaume de Belgique, qu’elle a transféré son domicile dans cette commune. »

Sous le premier rapport, le principe de l’article 1er du projet me paraît fort bien justifié. Seulement, j’aurai l’honneur de faire observer que la déclaration pouvant être faite dans les quatre ans, à compter des ratifications, et alors que le déclarant aura perdu de droit sa qualité de Belgique, il serait peut-être convenable de substituer à l’expression « peut la conserver » (deuxième ligne de l’article), celle-ci : « peut la recouvrer. » Je ne présente pas d’amendement, je soumets seulement cette observation à la chambre.

M. Van Volxem, rapporteur – Il me semble qu’il est plus à propos de mettre dans la loi le mot « conserver » que le mot « recouvrer ». La qualité de Belge n’a pas été enlevée à l’habitant dont il s’agit, il la conserve donc moyennant une certaine formalité. S’il recouvrait la qualité de Belge, c’est qu’il serait devenu Hollandais, étranger, et qu’il redeviendrait Belge par sa volonté.

M. Milcamps – Nous sommes d’accord avec M. le rapporteur de la section centrale. Au reste, comme il ne s’agit ici que de mots, je ne tiens pas à mes observations.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable M. Milcamps trouve de la contradiction entre l’expression : « le Belge qui a perdu », et le mot « conserver », car si l’habitant a perdu, il recouvre et ne conserve pas. Mais, d’après le texte de la loi, on ne suppose pas que l’habitant a perdu la qualité de Belge. L’honorable M. Milcamps a raisonné comme si le projet était ainsi conçu : Tout habitant qui aura perdu la qualité de Belge… Mais le projet est conçu dans un sens moins absolu, et on a choisi une rédaction capable d’embrasser tous les cas.

M. Dumortier – L’article maintenant en discussion donne lieu à une singulière pensée, savoir que la chambre aurait fait par le traité du 15 novembre un trafic d’hommes, puisque si vous exigez une déclaration, c’est que vous considérez les habitants du territoire cédé comme n’étant plus Belges. Mais dès que ces habitants restent sur le territoire, ils sont Belges comme nous ; vous avez vendu le territoire, mais vous n’avez pas vendu les hommes. Il faut que toute personne jouissant de la qualité de Belge la conserve, pourvu qu’elle continue à résider sur le sol du pays. Vous voulez davantage puisque vous voulez une déclaration. Une mesure semblable, prise par le congrès, vous a montré l’inconvénient des déclarations ; beaucoup de personnes auxquelles le congrès avaient imposé cette condition, négligèrent de s’y conformer ou par ignorance ou par négligence, et on fut ensuite assailli de nombreuses réclamations. Les personnes dont il s’agit sont aussi Belges que nous, vous ne pouvez leur dénier cette qualité si elles restent sur le sol belge.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je pense que si la question devait se réduire à une question de sentiment, nous serions tous d’accord avec le préopinant. Tous nous voulons que ceux sur l’état-civil desquels la cession du territoire doit influer puissent rester Belges ; il suffira qu’ils restent sur le territoire, nous ne demandons pas autre chose ; mais encore faut-il que cette intention soit déterminée par un acte, sans quoi nous serions dans le vague.

M. Dumortier – L’habitation est un fait de notoriété.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Mais un fait de notoriété est trop vague, et il ne faut pas de l’incertitude relativement à l’état des personnes.

Le traité qui a morcelé la Belgique, il faut l’accepter comme un fait en dehors maintenant de toutes nos délibérations ; il faut en rechercher les conséquences et les prévenir ; c’est là le but de la loi. Ce n’est pas une loi de générosité seulement que nous portons, c’est aussi, et peut-être avant tout, une loi de nécessité ; le code civil n’a pas prévu le cas du démembrement d’un état. Ce démembrement a lieu en ce moment en Belgique, et dès lors il se présente une lacune qu’il faut remplir, des incertitudes qu’il faut prévenir. Tel est l’objet de la loi qui est soumise à la chambre. Cette loi est conçue sous plusieurs rapports, selon moi, dans un sens très généreux : elle accorde quatre ans aux personnes qui se trouvent dans la position que j’ai indiquée tout à l’heure, elle leur accorde quatre ans pour poser un fait duquel doit résulter leur intention de rester Belges ; elle leur accorde pour cela quatre ans, c’est-à-dire un terme beaucoup plus long que tous ceux qui se trouvent prescrits par le droit commun.

Je crois donc que ce serait se jeter dans un extrême si l’on adoptait une disposition telle que celle qui a été annoncée par l’honorable préopinant ; je crois que c’est concilier tous les intérêts, et faire une part très large même à la question de sentiments, que de s’en tenir au projet de loi tel qu’il est présenté.

- L’amendement de M. Dumortier n’est pas appuyé.

M. Demonceau, rapporteur – Je dois, messieurs, donner une explication sur le point qui a été traité par l’honorable M. Milcamps. Lorsque la section centrale a proposé le mot « conserver » au lieu de « recouvrer », c’était dans l’idée que les habitants des parties cédées restaient Belges pendant tout le temps qui leur est donné pour faire la déclaration prescrite par le projet de loi. Ainsi nous avons pensé qu’un individu né dans la ville de Maestricht ou dans celle de Luxembourg (car faites bien attention, messieurs, que nous étendons les effets de la loi à ces deux villes) et qui n’aurait jamais habité le reste de la Belgique depuis 1830, s’il ne se trouve pas dans le cas d’exclusion stipulé dans le projet, nous avons pensé, dis-je, qu’un individu qui se trouverait dans cette position sera considéré comme Belge s’il vient habiter la Belgique et s’il fait la déclaration prescrite dans le délai fixé. Si ce n’est pas dans ce sens que l’article doit être entendu, je prierai M. le ministre de la justice de vouloir bien s’en expliquer.

- L’article 1er est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et administratif, de résidence dans les parties du Limbourg et du Luxembourg détachées de la Belgique, jouiront de leur traitement actuel la première année, et les années suivantes, des 2/3 du même traitement actuel, aussi longtemps qu’ils n’auront pas été appelés à un autre emploi, et à charge d’avoir leur domicile et leur résidence en Belgique.

« Ceux de ces fonctionnaires qui sont nés dans une des parties du Limbourg ou du Luxembourg détachées de la Belgique, ne seront admis au bénéfice de la disposition précédente que si, dans les six mois à compter du jour de l’échange des ratifications des traités prémentionnés, ils ont fait la déclaration exigée par l’article 1er.

« Le gouvernement est autorisé à indemniser les fonctionnaires qui, par la diminution de leur ressort, perdront une partie des émoluments attachés à leurs fonctions. »

M. de Brouckere – Je crois, messieurs, qu’il conviendrait d’introduire dans l’article qui vient d’être adopté, un simple changement de rédaction ; il s’agirait de remplacer les mots « conserveront leur qualité de Belge », par ceux-ci : « jouiront de la qualité de Belge. »

M. Lejeune – Je crois, messieurs, que l’amendement de l’honorable M. de Brouckere changerait non seulement la rédaction mais tout le sens de l’article ; d’après la rédaction actuelle, ceux qui sont Belges de naissance, conserveront la position de Belges de naissance, ceux qui ont obtenu la grande naturalisation conserveront les droits qui leur ont été confiés par cet acte, ceux qui ont obtenu la naturalisation ordinaire continueront à jouir des effets de cette naturalisation ; si au contraire vous adoptez la proposition de M. de Brouckere, tous ceux qui auront obtenu un acte de naturalisation quelconque seront assimilés aux Belges de naissance ; or, je crois qu’il n’est pas dans l’intention de la chambre de donner cette portée à la loi, et que le gouvernement et la section centrale ont seulement entendu conserver à chacun la position qu’il avait au moment de la conclusion du traité ; il me semble dès lors qu’il faut conserver l’article tel qu’il est rédigé.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable M. Lejeune vient d’expliquer très bien les intentions de la section centrale et du gouvernement ; on a voulu que les personnes qui ont obtenu soit la petite soit la grande naturalisation, soit l’indigénat, puissent conserver la position acquise par ces actes, rien de plus, rien de moins. C’est pour cela qu’on s’est servi des expressions « conserveront leur qualité de Belge », c’est-à-dire conserveront cette qualité au même degré où la possèdent au moment même de la séparation. Je trouve ces expressions beaucoup plus précises, beaucoup plus nettes que celles de l’honorable M. de Brouckere, et je crois dès lors devoir insister pour le maintien de la rédaction adoptée.

M. Demonceau, rapporteur – Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, messieurs, nous avons voulu que chacun pût conserver la jouissance des droits qu’il avait acquis ; si maintenant vous adoptiez l’amendement de M. de Brouckere, les personnes, par exemple, qui n’ont obtenu que la naturalisation ordinaire, seraient assimilées aux Belges de naissance, et dès lors ces personnes ne conserveraient plus simplement des droits acquis, mais elles acquerraient des droits nouveaux. Je pense donc que la rédaction adoptée est la seule convenable, et je déclare que nous ne l’avons proposée à la chambre qu’après un très mûr examen.

M. de Brouckere – Je croyais, messieurs, que la chambre n’aurait pas refusé de considérer comme Belges de naissance les personnes qui, étant à l’étranger, habitent depuis longtemps dans l’une des parties cédées du Limbourg ou du Luxembourg et ont obtenu la naturalisation ; c’était en effet ce sens que je donnais à ma proposition ; mais si le gouvernement et la section centrale sont unanimes pour penser qu’il faut rigoureusement laisser chacun dans la position qu’il avait et ne rien accorder de plus, je sens bien que mon amendement échouerait, et je préfère le retirer.

M. Rogier – Messieurs, je considère la loi que nous faisons en ce moment, non seulement comme une loi de nécessité, mais encore comme une loi de faveur ; et comme la faveur que l’honorable M. de Brouckere voulait établir ne pouvait pas s’étendre à un très grand nombre de personnes, il me semblait qu’on aurait pu, sans inconvénient, accorder la qualité de belge à tous les habitants des territoires cédés, qui ont obtenu soit la grande naturalisation, soit la naturalisation ordinaire. Pour mieux préciser mon opinion à cet égard, je citerai un exemple : je connais un Belge très respectable à tous égards, qui sous le régime des Pays-Bas a obtenu un acte de naturalisation qui équivaut, je crois, à la déclaration ordinaire ; à l’époque où il fallait faire la déclaration prescrite par l’article 133 de la constitution, il a cru que la naturalisation qu’il avait obtenue suffisait pour lui assurer tous les droits attachés à la qualité de Belge, et dans cette pensée il a négligé de faire la déclaration voulue par l’article 133 ; il conserve son domicile dans la province de Limbourg, et son intention formelle est de rester Belge ; cependant si vous maintenez la rédaction actuelle, cette personne ne pourra jouir en Belgique que de la qualité accordée par la naturalisation ordinaire, c’est-à-dire d’une partie seulement des droits politiques. Il me semble que pour éviter de semblables inconvénients, il serait bon d’adopter l’amendement de M. de Brouckere.

M. Demonceau, rapporteur – Il est retiré.

M. Rogier – Je le fais mien.

M. le président – Veuillez alors le déposer sur le bureau.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, il ne faut pas faire une loi précisément en faveur de telle ou telle personne, d’autant plus qu’il se trouve dans les lois existantes un remède pour le cas qui a été signalé par l’honorable préopinant. C’est la loi du 27 septembre 1835, relative aux naturalisations.

L’article 16 de cette loi porte :

« Les étrangers qui, dans le cas prévu par l’article 133 de la constitution, n’ont pas fait la déclaration prescrite par cet article, pourront obtenir du pouvoir législatif la grande naturalisation, en justifiant que, par des circonstances indépendantes de leur volonté, ils ont été empêchés de faire cette déclaration dans le terme prescrit. »

Le remède est donc là. Pourquoi donc créer encore un remède extraordinaire, et placer la loi que nous discutons absolument en dehors du droit commun ?

M. Liedts – Messieurs, je veux autant que personne favoriser les habitants des deux provinces que nous avons été dans la nécessité de céder. Mais je crois que l’amendement qu’on vous a présenté donnerait lieu à de grands inconvénients, et pourrait ouvrir la porté à des abus.

Je me contenterai de citer un seul cas : c’est que si l’amendement était adopté, il permettrait à toutes les personnes qui n’ont obtenu que la petite naturalisation d’obtenir la grande naturalisation. Et remarquez bien que cela n’aurait pas seulement lieu de ceux qui dans ce moment-ci sont habitants des provinces cédées mais encore de tous ceux qui se trouvent sur le territoire de la Belgique, et à qui vous n’avez accordé que la petite naturalisation.

Voici comment on s’y prendrait :

Le texte de l’article porte que tous ceux qui ont leur « domicile » (remarquez le mot « domicile », car le domicile est distinct de la résidence) dans une des provinces cédées au moment de la ratification des traités, pourront obtenir la grande naturalisation, en faisant la déclaration prescrite par l’article 1er dans les quatre années suivantes.

Que se passera-t-il ?

C’est que toutes les personnes (celles au moins qui voudront abuser de la loi) auxquelles on n’a accordé que la petite naturalisation, et qui probablement n’auraient pas obtenu la grande naturalisation, pourront transporter leur domicile fictivement, pendant huit jours, par exemple, dans une des communes du territoire cédé, et munies d’un certificat du bourgmestre de cette commune, venir en Belgique, après la ratification des traités, déclarer qu’ils veulent jouir du bénéfice de la loi. Dès ce moment, ces personnes auraient la grande naturalisation.

Voilà l’abus qu’on pourrait faire de la loi. Il est possible que peu de personnes s’avisent de commettre cet abus. Je crois cependant que nous ne devons pas nous exposer à ce qu’il se fasse de grandes naturalisations malgré nous.

- L’amendement de M. de Brouckere repris par M. Rogier, n’est pas appuyé.

L’article 2 du projet est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Seront déchues du bénéfice des articles précédents les personnes qui poseront un des faits emportant perte de la qualité de Belge, aux termes des articles 17 et 21 du code civil.

« Toutefois, le Roi pourra les relever de la déchéance, aux termes des articles 18, 20 et 21 du même code. »

M. Milcamps – La première partie de l’article 3 déclare déchues du bénéfice des articles précédents les personnes qui poseront un des faits emportant la perte de la qualité de Belge, aux termes des articles 18, 20 et 21 du code civil.

Evidemment, ceux qui, après la ratification des traités du 19 avril 1839, se feront naturaliser en pays étranger, accepteront, sans autorisation, des fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger, qui s’y prendront un établissement, qui prendront du service militaire chez l’étranger ou s’affilieront à une corporation militaire étrangère, ne doivent pas être traités aussi favorablement que ceux qui n’auraient posé aucun de ces faits. A cet égard, j’approuve la première partie de l’article 3 du projet de la section centrale.

Mais la deuxième partie de cet article 3 porte que le Roi pourra les relever de la déchéance, aux termes des articles 18, 20 et 21 du code civil.

Je regrette que la section centrale n’ait pas justifié cette disposition, sous le rapport des principes.

Remarquez que les personnes qui, après la ratification des traités du 19 avril 1839, poseront l’un des faits indiqués dans les articles 17 et 21 du code, si elles sont nées ou naturalisées dans le territoire cédé, ne poseront pas ce fait en qualité de Belge, mais en qualité de Hollandais ; que dès lors elles ne conviendront en aucune manière aux lois du royaume de Belgique, et ces personnes, après avoir posé le fait, ne pourraient invoquer les bénéfices des articles 18, 20 et 21 du code civil.

Aussi, pour les faire jouir de ce bénéfice, la section centrale a dû vous proposer et vous a proposé la deuxième partie de l’article 3 du projet ; mais, je dois le dire, c’est là une grande faveur.

Il me semble, messieurs, que si vous voulez leur accorder une aussi grande faveur, ce que je n’ai jamais vu dans aucun traité ni dans aucune loi, il faudrait au moins fixer un terme, le terme de quatre ans, par exemple ; il se peut cependant que telle soit l’intention de la section centrale : qu’elle n’a voulu autoriser le Roi à relever de la déchéance que dans les quatre ans à compter de sa ratification. Si telle est son intention, elle le dira ; mais j’ai pensé qu’il était bon d’en faire l’observation, afin qu’il ne reste aucun doute sur le sens de l’article 3 du projet.

Après les quatre ans, les personnes qui se trouveront dans ce cas, doivent, pour devenir Belges, se conformer aux lois générales du royaume.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, la loi forme un système. Un individu est déchu du bénéfice des dispositions des articles 1 et 2. On le relève de cette déchéance. Il est évident qu’en le relevant de cette déchéance, on le met simplement à même de jouir du bénéfice des dispositions des articles 1 et 2, comme s’il n’avait jamais été déchu. (Adhésion.) Dès lors il ne jouit du bénéfice des dispositions dont il s’agit que dans les délais qui restent encore à courir. (C’est clair !)

M. Milcamps – Je me déclare satisfait de cette explication.

- L’article 3 est adopté.

Article 4

« Art. 4. Les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et administratif, de résidence dans les parties du Limbourg et du Luxembourg détachés de la Belgique, jouiront de leur traitement actuel la première année, et les années suivantes, des deux tiers du même traitement, aussi longtemps qu’ils n’auront pas été appelés à un autre emploi, et à charge d’avoir leur domicile et leur résidence en Belgique.

« Ceux des fonctionnaires qui seraient dans l’un des cas indiqués dans les articles 1 et 2, ne seront admis au bénéfice de la disposition précédente, qu’autant qu’ils auront fait la déclaration prescrite par l’article 1er, dans les six mois, à compter du jour de l’échange des ratifications des traités.

« Les fonctionnaires qui ne seraient pas dans l’un de ces cas, ne seront admis au bénéfice de la même disposition, qu’en déclarant, dans les six mois, que leur intention est de rester au service de la Belgique. »

M. Pollénus – Messieurs, lors de la première discussion, un membre du cabinet a déclaré qu’il pensait que la disposition de l’article 4 pourrait s’appliquer aux membres des députations des conseils provinciaux, ainsi qu’aux ministres du culte. Un membre de la chambre a dit ensuite qu’il y avait du doute, qu’au moins la chambre ne ratifierait pas l’extension que le ministre donnait à la disposition.

Il importe que ce doute soit levé. La section centrale ne s’est pas occupée de cet objet. Une explication de l’honorable rapporteur serait nécessaire.

Messieurs, l’article en discussion accorde aux fonctionnaires des provinces morcelées leur traitement intégral pour la première année et une partie de ce traitement pour les années suivantes.

Messieurs, il me semblerait infiniment rigoureux, en ce qui concerne une catégorie de fonctionnaires, de ne pas continuer à leur accorder leur traitement intégral.

Je veux parler des membres de l’ordre judiciaire, surtout de ceux qui appartiennent à la catégorie des juges, de ceux qui sont nommés à vie.

Messieurs, vous savez que les jugés près les tribunaux sont nommés à vie, aux termes de la constitution. Il me semble que ce serait dévier du principe de l’inamovibilité si une loi leur enlevait leur traitement, car le traitement constitue aussi une des parties de l’indépendance du juge.

Messieurs, je crois qu’il y a d’autant moins de motif de refuser à ces fonctionnaires la continuation de leur traitement intégral que, par la disposition du projet, telle que la propose la section centrale, on ne leur continuera le traitement qu pour autant qu’ils n’auront pas été appelés à un autre emploi. Je conçois à la rigueur que dans le projet primitif du gouvernement, on consacrât le système du traitement partiel parce qu’aux termes de ce projet il dépend de ces fonctionnaires de perpétuer la jouissance de ce traitement, ce projet portant qu’il en jouiraient tant qu’ils n’ « auraient pas obtenu un autre emploi. » Mais, d’après le projet de la section centrale, il suffit que les fonctionnaires « soient appelés » à un autre emploi pour que, par le fait de cet emploi, le traitement cesse. Il me semble qu’il n’y a plus à craindre l’inconvénient auquel on voulait parer par le premier projet.

Certainement il y aura peu de ces fonctionnaires qui seront dans le cas de pouvoir jouir d’un traitement intégral.

Dans le Limbourg il n’y en a qu’un seul, un président de tribunal, qui soit dans le cas de jouir plus d’une année de son traitement intégral. C’est un magistrat qui a blanchi dans ses fonctions, et qui n’est plus dans le cas d’être appelé à d’autres fonctions. Quand on est obligé de quitter sa résidence et que par ce seul fait on est obligé à des dépenses, surtout alors que l’on n’a plus que quelques années à vivre, il est pénible d’être réduit à une partie d’un traitement déjà minime. Il me semble qu’agir ainsi ce serait commettre une injustice ; ce serait une lésinerie de la part du pays. Je crois qu’il est de toute justice de conserver à ce fonctionnaire son traitement intégral.

- L’amendement de M. Pollénus, consistant à dire : « jouiront de leur traitement aussi longtemps qu’ils n’auront pas été appelés, etc. » est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

La suppression proposée par la section centrale, est mise aux voix et adoptée.

L’article 4 de la section centrale est mis aux voix et adopté.

M. Dumortier - Je demanderai si les membres des députations provinciales sont compris dans la loi. Je ne pense pas que cela fasse question ; car ils sont fonctionnaires de l’état ; cependant comme je désire connaître la portée de l’article, je voudrais qu’on donnât une explication.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai pensé que la loi devait être applicable aux membres des députations provinciales aussi longtemps que devait durer leur mandat, mais pas au-delà. Le motif est qu’ils reçoivent un traitement à la charge de l’état. D’autre part, comme leurs fonctions sont temporaires, ils ne peuvent se prévaloir de cela pour jouir à perpétuité d’un traitement d’attente.

Pour les ecclésiastiques, comme ils reçoivent un traitement à la charge de l’état, il est évident que s’ils ont un motif pour quitter le territoire cédé et qu’ils ne soient pas replacés immédiatement, ils jouiront de leur traitement de la même manière que les fonctionnaires de l’ordre administratif.

Vote sur l’ensemble du projet

La chambre procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet. En voici le résultat :

56 membres sont présentes.

1 membre (M. Dumortier) s’abstient.

55 votent pour l’adoption.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Van Cutsem, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Doignon, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Frison, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Simons, Smits, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Van Volxem, Verdussen, Willmar.

M. Dumortier fait connaître, en ces terme, les motifs de son abstention – je ne puis voter contre une loi qui accorde aux habitants des parties cédées le droit de rester Belges. Je ne puis voter une loi qui sanctionne un trafic d’hommes auquel je ne donnerai jamais les mains. (réclamations.)

Projet de loi qui règle le port des journaux

Discussion de l'article unique

M. le président – Le projet de loi est ainsi conçu :

« Article unique (Projet du gouvernement). Par dérogation à l’article 10 de la loi du 29 décembre 1835, le port des journaux est fixé à 2 centimes, quelle qu’en soit la dimension.

« Les dispositions de l’article 10 précité continueront à être exécutées en ce qui n’est pas contraire à la présente loi. »

« Article unique (Projet de la commission) Par dérogation à l’article 10 de la loi du 29 décembre 1835 (Journal officiel, n°859), le port des journaux est fixé comme suit :

« 1 ½ centime par feuille de 16 décimètres carrés ;

« 2 centimes par feuille au-dessus de 16 jusqu’à 32 décimètres carrés :

« 3 centimes par feuille au-dessus de 32 décimètres carrés.

« Les dispositions de l’article 10 précité continueront à être exécutées en ce qui n’est pas contraire à la présente loi. »

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il se rallie au projet de la commission.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Dans les temps ordinaires, c’est-à-dire si nous ne touchions pas à la fin de la session, je maintiendrais d’une manière absolue le projet du gouvernement ; j’insisterais beaucoup pour qu’il fût adopté de préférence au projet présenté par la commission ; j’aime mieux obtenir quelque chose que de m’exposer à n’obtenir rien du tout.

M. Lebeau – J’aime mieux rien du tout.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’entends autrement les intérêts de la presse. Du reste, je n’abandonne pas le projet ; j’annonce seulement que pour obtenir une décision, j’éviterai d’être absolu.

Les motifs qui m’engagent à défendre le projet du gouvernement, sont ceux-ci :

D’abord la raison qu’il faut identité entre le système du timbre et celui de la poste, n’est pas aussi fondé que le croit la commission. Le port des journaux n’est pas nécessairement proportionnel, il n’est d’ailleurs pas calculé à raison de la distance. Le port des imprimés est une véritable faveur que fait l’état à ces sortes d’objets ; il n’y a donc pas nécessité d’établir identité parfaite entre le système du timbre et celui de la poste. Cependant c’est là le motif pour lequel la commission propose de modifier le projet du gouvernement.

En second lieu, les petits journaux sont déjà favorisés par la loi sur le timbre. Si vous les favorisez encore dans la loi postale, ils seront vraiment l’objet d’une faveur extraordinaire.

En troisième lieu, introduire un système proportionnel pour le port des journaux, c’est multiplier sans véritables avantages pécuniaires la besogne de l’administration. L’uniformité pour la taxe du port des journaux simplifie la besogne de l’administration sans amener une grande diminution dans le revenu total.

En quatrième lieu, il est vrai de dire que le système proportionnel du port des journaux ne frappe que la presse étrangère. Je ne sais jusqu’à quel point il convient de frapper la presse étrangère. L’administration est occupée à introduire les journaux belges dans les pays étrangers, ne serait-il pas prudent et politique de se présenter aux offices étrangers avec une loi très libérale ?

Voilà les quatre motifs qui m’engagent à maintenir le système du gouvernement ; néanmoins je ne le ferai pas avec cette insistance qui ne me permettrait pas, si la proposition du gouvernement n’était pas adoptée, de demander le vote immédiat, parce que j’aime mieux quelque chose que de n’avoir rien, ce qui arriverait si je venais provoquer l’ajournement en élevant une discussion semblable à celle que nous avons eue l’hiver dernier à propos du timbre proportionnel.

Je crois qu’il y a une erreur de fait dans la manière dont on a accueilli le projet de la commission. Si je suis bien informé, il n’y a pas en ce moment de feuille inférieure à 16 décimètres ni supérieure à 32 décimètres, de sorte qu’il est vrai de dire que de fait il y a taxe uniforme. De fait tous les journaux paieront 2 centimes. Il n’y a que les journaux anglais et français (le Journal des Débats par exemple) qui paieront 3 centimes.

Je soutiens donc le projet du gouvernement comme offrant plus de facilité à l’administration, comme laissant les journaux dans la même position où ils seraient avec le système de la commission, mais ce que je désire par-dessus tout, c’est qu’on fasse quelque chose.

M. Rogier – Je vois avec plaisir que M. le ministre des travaux publics maintient le projet du gouvernement, car mon intention est de soutenir ce projet. La section centrale, conformément d’ailleurs au principe adopté dans la loi du timbre, a voulu appliquer aussi le système du droit proportionnel en ce qui concerne les droits de port des journaux ; cependant si ma mémoire ne me trompe pas, M. le ministre des finances, dans la discussion de la loi sur le timbre, avait déclaré que les grands journaux seraient en quelque sorte allégés, par une modification à la loi postale, de la surcharge qui leur était imposée. Il m’a paru que cette déclaration avait reçu l’assentiment unanime de la chambre. Conformément à cette déclaration, M. le ministre des travaux publics propose le droit uniforme pour tous les journaux, quelle que soit leur dimension. La commission ne veut pas plus le droit uniforme pour le port que la section centrale ne l’a voulu pour le timbre. Par les mêmes motifs que nous avons invoqués pour faire adopter un droit de timbre uniforme, d’accord avec le gouvernement qui depuis a changé d’opinion, nous invoquons les engagements de l’ancien ministre des finances et nous demandons qu’on adopte un droit de timbre uniforme

Qu’on accorde aux journaux de dimension moyenne une diminution d’un demi-centime si l’on veut, mais nous demandons que les journaux de 30 décimètres carrés aient la faculté de s’étendre sans rencontrer un obstacle, qu’ils puissent s’étendre jusqu’à 40 décimètres sans que le droit de port soit augmenté.

Dans quel but voulez-vous empêcher les grands journaux de s’agrandir ? Déjà vous leur avez posé des limites dans la loi du timbre ; ne les atteignez pas de nouveau dans la loi postale. Je crois qu’il y a vraiment une sorte d’intolérance contre tout ce qui tend à s’agrandir ; la presse sera surtout respectable, influente, puissance comme elle doit l’être, lorsqu’elle pourra prendre tous ses développements.

Si vous la forcez à se restreindre dans des limites trop étroites, son influence sera restreinte dans la même proportion. La chambre n’ara pas fait une loi progressive en empêchant les journaux de s’étendre ; elle aura fait pour ainsi dire une loi restrictive. Nous demandons que vous ne renforciez pas votre loi en empêchant les grands journaux de s’accroître encore dans l’intérêt de l’ordre public, de la civilisation, des sages progrès. Je demande que l’on s’arrête à deux centimes additionnels et à la division des paragraphes du projet.

M. Demonceau – La section centrale et ensuite la commission ont proposé un tarif proportionnel, parce que le port, et pour les lettres et pour les imprimés, maintient le droit proportionnel. J’engage l’honorable M. Lebeau à lire mon rapport pour voir que j’y ai copié textuellement celui fait au sénat. Voici les considérations qui nous ont guidé. Les employés des postes qui distribuent les lettres, reçoivent la moitié du droit, le gouvernement reçoit l’autre moitié. Nous avons cherché une combinaison qui permît aux journaux qui veulent aller jusqu’à 32 décimètres de ne pas payer plus que ceux de 17 décimètres. M. Liedts, rapporteur de la loi sur les postes, vous dira que la proportion a été mise pour le format relativement aux journaux, et pour le poids relativement aux lettres.

Il a été dit que l’uniformité existait en France ; c’est une erreur : le port a toujours été en proportion de la grandeur du journal. La loi française de 1827 est formelle à cet égard ; nous ne maintenons donc que ce que la législation a toujours maintenu. L’uniformité sort de la législation qui a jusqu’ici été en vigueur.

Avez-vous combien les journaux paient en définitive au trésor ? Ils paient de port, 27,000 francs aux employés, et 27,000 francs au trésor ; le trésor fait le transport, les employés font la distribution. Vous voyez qu’il ne fait pas attacher une grande importance à cette recette. Adoptez le droit uniforme ou le droit proportionnel, ce sera la même chose.

Vous dites que nous allons atteindre les journaux français ; ils paient 4 centimes maintenant, et ils en paieraient trois. Adoptez l’amendement de M. Rogier si vous le voulez, ou adoptez tout autre amendement, cela est peu important pour le fisc.

M. Lebeau – Ma tâche sera facile ; M. le ministre ne tient pas à son projet ; M. le rapporteur ne tient pas non plus beaucoup au sien ; et comme j’ai une conviction moins molle que ces honorables orateurs, je pourrai plus aisément la faire prévaloir. (On rit.)

Messieurs, il ne faut pas oublier les précédents de la loi. Elle est le résultat d’un engagement pris par le précédent ministre des finances. Jusqu’à 30 décimètres carrés, le droit de poste était en fait uniforme pour tous les journaux du pays, et l’est encore. La tolérance du timbre pour les grands journaux a été portée de 30 à 32 décimètres carrés ; il en est résulté que, voulant adapter le droit postal au taux du timbre, le ministre des finances a dû prendre l’engagement de reculer jusqu’au format de 32 décimètres le taux du droit postal. Ainsi, au lieu de doubler le droit comme le fait la loi actuelle sur la taxe des lettres et journaux, dès que ceux-ci dépassent 30 décimètres, le ministre a proposé de ne le doubler qu’au-dessus de 32. C’est parce qu’on a craint de faire revenir la loi du timbre devant la chambre, que ce système n’a pas été sanctionné au sénat. L’ancien ministre des finances professait l’opinion qu’il fallait l’uniformité pour le port des journaux.

Le système français ne distingue pas entre les formats des journaux ; il ne distingue que d’après la distance des transports.

Les journaux aient 2 centimes dans leur département et quatre centimes au-delà du département. En Angleterre, le droit, ou, pour mieux dire, le régime du port, est uniforme, le transport des journaux étant gratuit. En Amérique, le droit est établi comme en France, d’après la distance ; mais sans distinction de format. Je conçois qu’on peut, à la rigueur, prendre la distance ou le poids pour base d’un tarif gradué ; mais prendre les formats cela pourrait devenir absurde ; on peut imprimer sur du papier grand format qui serait plus fin, et par conséquent plus léger que celui d’un petit.

Puisque l’honorable rapporteur de la section centrale abandonne à peu près son système, et que le ministère, tout en tenant peu au sien le déclare cependant le meilleur, je demande que l’on donne la préférence à la proposition du gouvernement, laquelle n’est que la consécration des promesses faites par l’ancien ministre des finances au sein des deux chambres.

M. Dumortier – Je conçois que le ministre et le rapporteur proposent un droit uniforme ; mais la chambre n’a pas admis ce principe. Elle a voulu un droit proportionnel et la loi actuelle est la conséquence toute naturelle de la loi que nous avons votée, elle doit donc être conforme au principe de la proportionnalité.

Si vous admettez le droit uniforme, qu’arrivera-t-il lorsqu’un journal augmentera son format ? c’est que vous forcerez les journaux de moindre dimension à le suivre, sous peine de perdre leurs abonnés. Ce serait là évidemment une injustice. Il faut donc laisser le transport dans une proportion analogue à celle qui a été admise pour le timbre. Cela sera d’ailleurs conséquent avec tout ce qui s’est fait jusqu’à cette époque et avec ce qui se fait aujourd’hui. En effet, lorsque vous mettez à la poste une lettre qui pèse un gramme au-delà du poids fixé pour une catégorie, cette lettre entre dans la catégorie suivante, et paie un droit de port plus élevé que celui qu’elle aurait payé si elle avait pesé moins. Je pense, messieurs, que la chambre doit rester conséquente avec sa décision antérieure relativement au timbre, qu’elle doit rester conséquente avec les dispositions de la loi postale sur le port des lettres, qu’elle doit s’en tenir au principe du droit proportionnel, qui est le seul qui soit juste et raisonnable.

M. Demonceau, rapporteur – Je dois répondre un mot à l’honorable M. Lebeau. Quand nous avons dit dans le rapport de la section centrale qu’il fallait mettre la loi actuelle en harmonie avec la loi sur le timbre, nous avons entendu qu’il fallait conserver la proportion qui est la base de cette dernière loi. L’honorable M. Lebeau a dit que la loi française consacre le droit uniforme ; il n’a probablement pas entendu la lecture que j’ai faite du texte de cette loi, je me permettrai donc de le lire de nouveau ; je crois que c’est la meilleure réponse que je puisse faire à l’honorable membre.

(M. le rapporteur donne ici une nouvelle lecture de ce texte.)

M. Lebeau – Je n’ai qu’un mot à répondre à l’honorable rapporteur. La loi du 29 décembre 1835 fixe le port des journaux à 2 centimes pour chaque feuille de 12 à 30 décimètres carrés ce qui, avant la loi sur le timbre que nous avons votée, comprenait tous les journaux du pays ; la loi sur le timbre a permis aux journaux de 30 décimètres carrés de s’étendre jusqu’à 32 décimètres, et c’est de cette légère tolérance que la section centrale trouve un motif pour changer toute l’économie de la loi postale sou prétexte de mettre cette loi en harmonie avec la loi sur le timbre. Eh bien, je dis qu’avant la modification de celle-ci, elle n’était nullement en harmonie avec la loi postale, et que si l’on n’avait pas adopté de nouvelles catégories pour le timbre, il ne serait venu à l’idée de personne de vouloir mettre ces deux lois en rapport. Quant à la loi française invoquée par M. ; le rapporteur, c’est lui qui se trompe, en citant une loi qui a été abrogée.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je tiens à mes opinions autant que l’honorable M. Lebeau, mais je n’ai pas l’habitude d’entraîner sans nécessité la chambre dans des discussions qui sont au fond sans objet. Quel que soit celui des deux systèmes en présence qui prévale, la condition des journaux politiques, actuellement existants, sera la même ; il n’existe pas de journal inférieur à 16 décimètres, il n’en existe pas de supérieur à 32 décimètres. Cependant, en temps ordinaire, c’est-à-dire si nous n’étions pas au terme de la session, j’aurais défendu le projet du gouvernement avec plus d’insistance, surtout par la considération que ce projet simplifie la besogne de l’administration. En outre, je voudrais qu’en ce moment où l’on s’occupe de faire de nouveaux arrangements avec les offices étrangers, le gouvernement pût se présenter à ces offices avec une loi très libérale.

Je pense, messieurs, qu’on en reviendra peut-être au principe de l’uniformité même pour le port ordinaire des lettres ; en ce moment même on s’occupe très sérieusement en Angleterre de la question de savoir s’il ne conviendrait pas adopter un droit uniforme pour le port des lettres en dessous d’un certain poids ; on a reconnu que le droit proportionnel multiplie tellement la besogne de l’administration qu’il n’en résulte aucun bénéfice.

Je désire, messieurs, que, considérant le projet de loi, non sous un point de vue systématique, mais sous le rapport des résultats réels, on donne la préférence à la proposition du gouvernement.

Vote sur l'ensemble du projet

- La proposition de la section centrale est mise aux voix par division ; elle n’est pas adoptée.

La proposition du gouvernement est ensuite mise aux voix par appel nominal.

52 membres prennent part au vote.

51 adoptent.

1 (M. Demonceau) rejette.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

La séance est levée à 10 heures.