(Moniteur belge du 30 janvier 1839, n°30)
(Présidence de M. Raikem)
M. Scheyven fait l’appel nominal à 2 heures.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le conseil communal de Stabroek demande qu’il soit alloué un secours aux victimes de l’inondation. »
« Le sieur Ehrrismann, Henri, né en Suisse et habitant a Belgique depuis 1816, demande la naturalisation. »
« Le sieur Tardieu, Amand Louis, avocat, sténographe de la chambre des représentants, né Français et habitant le Belgique depuis 5 ans, demande la naturalisation ordinaire. »
« Des membres de la garde civique de Bruxelles demandent le maintien de l’intégrité du territoire. »
Les pétitions qui ont pour objet des demandes en naturalisation sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
Les autres requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
Sur la demande de M. de Renesse, la commission est invitée à faire un prompt rapport sur la pétition qui concerne l’intégrité du territoire.
Par message en date du 29 janvier, M. le ministre de la justice adresse à la chambre des représentants des renseignements sur des demandes en naturalisation.
- Envoyé à la commission des naturalisations.
M. Demonceau – Messieurs, dans une de nos précédentes séances, M. le ministre des travaux publics nous a présenté un projet de loi concernant le port des journaux ; précédemment plusieurs éditeurs de journaux nous avaient fait parvenir une pétition relativement au même objet ; je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission qui est chargée de l’examen du projet de loi dont il s’agit.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Brouckere – Je demanderai si la commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi que j’ai présenté, concernant le doctorat, sera bientôt à même de faire son rapport.
M. Dubus (aîné) – La section centrale a demandé un renseignement au ministre ; ce renseignement lui parviendra demain.
M. le président – Veut-on reprendre la discussion de l’article 12 qui a été remise à aujourd’hui.
M. Demonceau – Messieurs, vous avez eu sous les yeux la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de l'ntérieur, et vous aurez remarqué qu’il a singulièrement modifié la proposition de la section centrale. M. le ministre ne se borne pas à déclarer que les chemins vicinaux sont imprescriptibles, il demande en outre que les servitudes soient aussi imprescriptibles ; c’est là une question extrêmement grave, et je demanderai que la proposition de M. le ministre soit renvoyée à la section centrale pour être examinée avec toute l’attention qu’elle mérite.
- La proposition de M. Demonceau est adoptée.
M. le président – Nous passerons donc à l’article 14. Voici la proposition du gouvernement :
« Art. 14. En cas d’insuffisance des ressources communales, il est pourvu aux dépenses des chemins vicinaux de la manière déterminée ci-après. »
La section centrale fait la proposition suivante :
« En cas d’insuffisance des revenus ordinaires de la commune, autres que ceux provenant de répartitions personnelles, il est pourvu chaque année aux dépenses des chemins vicinaux au moyen :
« 1° D’une prestation de deux journées de travail à fournir par chaque chef de famille ou chef d’établissement payant au moins trois francs de contributions directes ;
« 2° D’une prestation de trois journées de travail à fournir par le propriétaire, usufruitier, ou détenteur ; par chaque cheval, bête de somme, de trait et de selle, charrette attelée au service de la famille ou de l’établissement dans la commune.
« La prestation à fournir sur les chevaux et autres bêtes, ainsi que sur les charrettes et voitures employées exclusivement à l’agriculture, ne pourra être que du tiers de celle qui sera fournie sur les bêtes, voitures et charrettes employées à un autre usage.
« 3° Des centimes spéciaux en addition à la cote des contributions directes payées dans la commune, patentes comprises.
« Ces centimes spéciaux contribueront toujours pour un tiers au moins dans la dépense ; si le montant des prestations imposées d’après les deux premières bases excède les deux autres tiers, elles concourront par part égale. »
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, l’article 13 de la loi en discussion, tel que nous l’a fait la section centrale, admet le système mixte de la prestation en nature et des centimes additionnels. Après avoir fait valoir dans son exposé des motifs les meilleures raisons contre la prestation en nature, elle l’admet parce que les partisans de ce mode répondent que dans beaucoup de localités, les prestations en nature se font d’une manière satisfaisante. Il me semble que ce qu’il y aurait de mieux à répondre aux partisans du mode en nature, c’est que c’est au moyen de leur système que les chemins vicinaux se restaurent ou plutôt ne se restaurent pas depuis de nombreuses années ; que c’est sous l’influence de leur système que les communications se détériorent tous les ans de plus en plus, malgré les efforts pénibles de l’autorité supérieure. C’est ce que personne ne contestera, car les plaintes sont générales. Mais, dit ensuite le rapport, si l’on rejette la prestation en nature ? La répartition deviendra injuste ; le rentier, le négociant, le charretier contribuera peu ou pas. Je répondrai que l’homme opulent qui habite la campagne est d’ordinaire un propriétaire foncier qui contribuera largement ; que le gros négociant habite la ville, que le petit détaillant à la campagne ne possède pas de voitures et de chevaux ; qu’il détériore peu les chemins, et sera atteint d’ailleurs par les centimes additionnels sur les patentes ; que le charretier qui fréquente les chemins vicinaux, est cultivateur et sera atteint comme tel ; que celui qui ne l’est pas, suit les routes pavées et ne doit pas l’être. Quant à l’usufruitier, je conviens qu’il est en position de dégrader les chemins ; mais si des centimes additionnels l’atteignent peu, l’article 25 y a pourvu, en autorisant les conseils communaux à le taxer à des subventions spéciales proportionnées aux dégradations. Je ne vois donc pas qu’il y ait répartition inégale en rejetant la prestation en nature. Ce mode offre d’ailleurs les abus les plus notoires, que je suis à même de constater depuis nombre d’années. D’une part les contribuables cherchent tous les moyens d’éluder leur quote-part, soit en prétextant, pour ne pas envoyer d’ouvriers au jour fixé, qu’il n’ont pu en trouver de disponibles, ou qu’il sont employés à des travaux plus urgents, soit en mettant à la disposition de l’administration des ouvriers trop jeunes, faibles, âgés, toujours mal disposés, souvent sans expérience de ces travaux.
D’un autre côté, il est à craindre que les fonctionnaires communaux ne requièrent de préférence la prestation de ceux de leurs administrés, pour lesquels ils sont mal disposés ; la prestation des autres sera requise tard ou pas du tout ; ces préférences ou apparences de préférence sont l’objet de plaintes fréquentes. Puis le surveillant des travaux, peu délicat comme d’ordinaire pour des travaux de ce genre, usera aussi de préférence ; il retiendra certains ouvriers, il laissera parti ses protégés, et portera sur son livret de compte des journées qui n’ont pas été faites et qui tourneront à son profit.
L’on peut juger de la durée de travaux pareils ; un mois après il n’en reste plus de vestiges.
Mais, objectera-t-on peut-être, les tribunaux sont là pour obliger le contribuable à faire sa tâche. Il sera facile de répondre que les fonctionnaires communaux, qui doivent leur position à l’électeur, sont peu disposés à user de ces moyens, et quand ils en usent, qu’en résulte-t-il ? souvent un acquittement, toujours une condamnation tardive, quand la saison ne permet plus de s’occuper de ce genre de travail.
Pour qu’une loi s’exécute, pour en obtenir les résultats qu’on est en droit d’en attendre, il faut qu’elle soit simple, d’une application facile. Je trouve ces conditions dans la prestation en argent, dans l’exécution confiée à une administration responsable ; si les travaux nécessaires ne s’exécutent pas, en évitant le long et inutile recours aux tribunaux, la députation ordonne les travaux d’office, sur l’avis des autorités intermédiaires. Les charges sont ensuite pour ceux qui ont intérêt à l’entretien, elles sont pour ceux qui habitent les campagnes ou pour ceux qui y possèdent ; vous atteignez ainsi les propriétaires forains. La prestation en argent permet enfin le mode de réparation et d’entretien le plus assuré et le moins dispendieux, elle permet la mise en adjudication.
Par la mise en adjudication, accompagnée d’un bon cahier des charges, l’entretien sera bon, parce que l’adjudicataire sera pourvu d’ouvriers spéciaux pour ce genre de travail ; il sera bon et peu coûteux, parce qu’au lieu de restaurer une fois dans l’année, il entretiendra et réparera au fur et à mesure des dégradations occasionnées quelque fois par quelques jours de pluie. Il y aura toute la différence du coût qu’exige l’entretien du bâtiment d’un propriétaire vigilant et de celui qui demande la restauration d’une construction dont on a attendu la quasi-ruine. Je suis si convaincu des inconvénients de la prestation en nature, si convaincu de la nullité de ses résultats, que si elle était admise, je voterais contre la loi, persuadé qu’elle n’aura aucun résultat, et que mieux vaut le provisoire des règlements provinciaux qu’une mauvaise loi.
Messieurs, je tiens à prévenir encore une objection contre la prestation en argent, et qui semble la plus fondée ; l’on objectera que cette prestation en argent sera onéreuse pour le petit cultivateur, qui préfère s’acquitter en nature. Eh bien, je répondrai que le petit cultivateur pourra encore s’acquitter en nature, et voici comment : L’administration, obligée à se pourvoir de beaucoup de travailleurs, pourra admettre à l’ouvrage les contribuables de cette catégorie, et ces contribuables acquitteront leur cote en argent avec le salaire de ces journées.
M. Vandenbossche – Messieurs, nous avons admis comme règle que les dépenses relatives aux chemins vicinaux sont à la charge des communes.
Sous la désignation des communes, l’honorable M. Verhaegen a sagement observé qu’on comprenait les propriétés et les habitants ; aussi je pense que c’est sous cette considération que l’amendement de l’honorable M. Peeters a été rejeté comme inutile.
Nous sommes tous d’avis, je pense, que là où il n’existe point d’obligation spéciale ou particulière, tous ceux qui s’en servent, les détériorent ou profitent de leur bon entretien et de leur amélioration, doivent y contribuer, et cela dans une juste proportion autant que possible.
Les propriétés en profiteront ; leur valeur locative ainsi que leur valeur vénale augmentera si on leur procure un facile accès. Il faut donc qu’ils y contribuent.
L’habitant en général en profitera en agrément et même matériellement, en ce que les charges qu’il aura à faire transporter ne seront plus aussi coûteuses.
L’habitant tenant des chevaux ou bêtes de trait y profitera doublement.
Telle paraît aussi avoir été l’opinion de la section centrale, qui propose, dans le dernier paragraphe de son article, de faire contribuer les propriétés, les hommes et les chevaux, etc., par part égale.
Mais ce n’est qu’en cas d’insuffisance des revenus de la commune qu’on pourrait, d'après le prremier paragraphe de l’article, recourir aux autres bases. Je pense qu’une pareille disposition serait dangereuse et de nature à soulever des difficultés, outre que ces cas seront tellement rares, qu’une loi ne doive pas s’en occuper. En effet, une commune pourrait avoir des revenus suffisants, pour pourvoir aux dépenses de ses chemins vicinaux, mais elle peut avoir par contre des objets d’humanité ou d’utilité en projet. Par exemple, la construction d’un asile pour les pauvres orphelins, d’un refuge pour les pauvres vieillards, etc. On pourrait contester l’utilité ou l’urgence de ces constructions, et faire appliquer ces ressources aux chemins. Ce qui n’est point, je crois, dans la pensée de la chambre.
Je veux que la commune y concoure par ses revenus. Je les mets même en première ligne, mais pour autant qu’on n’aura point une autre destination à leur assigner.
Je propose donc pour première disposition de l’article, en suivant le projet de la section centrale :
« Il est pourvu chaque année aux dépenses des chemins vicinaux, au moyen :
« 1° Des revenus ordinaires de la commune autres que ceux provenant de répartitions personnelles et auxquels on n’aura point assigné une autre destination. »
Dans une infinité de communes on aura besoin d’élargir des chemins au-delà de leur largeur légale connue, de les aligner, de le payer dan différents endroits ; à cet effet, il faudra acheter des terrains, des matériaux, et payer des travaux d’art, ce qui exigera de l’argent. Je m’oppose par conséquent à ce que toutes les cotisations puissent s’acquitter en nature, et je propose dans n°2 une cotisation en centimes spéciaux, en addition à la cote des contributions foncières et des patentes, payables en argent.
J’exempte ainsi la contribution personnelle, par la raison que dans le n° 3 de mon amendement je propose une contribution personnelle.
Je propose d’établir cette contribution personnelle par tête, par la raison que ceux qui ont des propriétés ou qui font un trafic, et sont ainsi sujets à attente, y ont déjà de ce chef contribué d’après leurs capacités à la justice distributive.
La section centrale propose une prestation de deux journées de travail à fournir par chaque chef de famille, etc.
Je dois désapprouver cette disposition sous deux points de vue :
1° Parce que j’y vois mises en principe les corvées d’odieuse mémoire. Ce n’est que le rachat qu’elle autorise.
2° Parce qu’elle ne s’applique qu’aux chefs de famille ou chefs d’établissement, la moitié ou le tiers peut-être des habitants.
Je veux une contribution stipulée en argent, mais laquelle peut être acquittée par des prestations en nature.
Je veux que les chefs de famille et les chefs d’établissement paient pour leurs fils et leurs domestiques, avec l’option, toujours, de se faire ou de les faire remplacer par d’autres ouvriers.
La section centrale veut imposer des prestations sur les chevaux, bêtes de somme, de trait et de selle, ainsi que sur les charrettes et voitures attelées ; elle veut d’ailleurs favoriser les chevaux, bêtes et voitures employées exclusivement à l’agriculture, ceux enfin qui les dégradent et en profitent le plus.
Je trouve ces dispositions inadmissibles. Elles imposent séparément les charrettes et voitures attelées. Or, il arrive qu’un cultivateur ait le double des voitures nécessaires pour son exploitation ; cependant il ne peut s’en servir que proportionnellement au nombre de ses chevaux ou bêtes de trait. Il y aurait donc une injustice à l’imposer de ce chef. D’autres ont un cheval ou autre bête de somme et n’ont point de voiture. S’ils veulent travailler avec ces chevaux ou bêtes de somme aux chemins, il faut bien qu’ils se procurent une charrette ou tombereau ou voiture attelée, et la disposition ne les y oblige pas. Elle impose les cabriolets, etc., le triple des voitures propres au travail ; elles imposent les chevaux de selle, etc., au triple d’un cheval de labour. Mais des seigneurs, etc., qui ne sont pas cultivateurs, sont des propriétaires fonciers ; ils paient dans les centimes additionnels, ils paient pour leurs domestiques ; ce sont d’ailleurs eux qui, à l’exception des maîtres de certaines exploitations industrielles et qu’un article spécial atteint, dégradent le moins les routes, peut-on sérieusement encore ici leur imposer un surcroît de charges ? Elles imposent toute bête de somme, laquelle jamais n’est employée à l’agriculture, au triple de journées ; ainsi un âne de meunier, etc., y contribuera le triple d’un cheval de labour. Cela est-il bien rationnel ?
J’établis donc pour quatrième base une contribution pour chaque cheval avant l’âge de deux ans et par chaque bête de trait avec charrette, etc. ; d’après ma disposition le contribuable devra fournir le cheval ou bête de trait avec la voiture, s’il veut se libérer. Si son cheval n’est pas propre à l’ouvrage, ou s’il n’a pas de charrette, il pourra se procurer soit l’un soit l’autre, soit tous les deux, ou payer.
J’élève les journées d’un homme à un franc et demi, et la journée d’un cheval avec voiture à cinq francs. De sorte que l’on pourra pour l’un et pour l’autre s’acquitter au moyen de trois journées de travail. Ils peuvent se faire remplacer ; ils sont libres de travailler ou de payer. Je ne me réfère pas à une taxation de journée de travail, qui ordinairement est taxée à moins, parce qu’on n’a pas toujours des hommes ou des chevaux à la main pour ces sommes. Toutefois ceci formera l’objet de l’article subséquent, ou de l’article 15.
Voulant me conformer à l’opinion de la section centrale, sur la répartition des dépenses, j’ai établi le maximum des centimes additionnels à 10 centimes pour franc de la contribution en principal, ce qui revient à un pour cent du revenu net.
J’ai établi la contribution pour l’homme et pour les chevaux de manière à pouvoir l’acquitter au moyen de trois journées de travail, ce qui, attendu qu’il n’y a que 300 jours ouvrables dans l’année, leur impose de sacrifier aux améliorations des chemins un pour cent de leur travail, de sorte que chacun y contribuerait ainsi en raison d’un pour cent de son revenu.
M. le président - Voici l’amendement de M. Vandenbossche :
« Art. 13. Il sera pourvu, chaque année, aux dépenses des chemins vicinaux, au moyen :
« 1° Des revenus ordinaires de la commune, autres que ceux provenant des répartitions personnelles, et auxquels on n’aura point assigné une autre destination ;
« 2° De centimes spéciaux, en addition de la cote des contributions foncières et des patentes.
« Cette cotisation, qui sera acquittée en argent, ne pourra jamais dépasser dix centimes pour franc de contribution en principal. »
3° D’une contribution personnelle et par homme de 18 à 60 ans, à fournir par chaque chef de famille ou chef d’établissement, payant au moins trois francs de contributions directes.
« Cette contribution personnelle, qui pourra être acquittée en nature, ne pourra jamais s’élever au-delà de quatre francs et demi par tête.
« 4° D’une contribution par chaque cheval ayant l’âge de deux ans accomplis, et par chaque bête de trait avec charrette, tombereau ou voiture attelée, à fournir par le propriétaire, usufruitier ou détenteur de ces animaux.
« Cette contribution, qui pourra aussi être acquittée en nature, ne pourra jamais s’élever au-delà de quinze francs par tête.
« Art. 15. Les prestations en nature se feront par tour de rôles à former dans chaque commune.
« Les contribuables pourront s’acquitter en raison d’un franc et demi par chaque jour de travail d’homme, et en raison de cinq francs par chaque journée de travail de cheval ou de bête de trait, en se rendant aux travaux, soit en personne, soit par substitué, aux jour, heure et lieu qui leur seront assignés par les autorités communales, en conformité des rôles, et en se confirmant aux prescriptions qu’ils en recevront.
« Les récalcitrants seront directement contraignables pour payer en argent le prix de la journée ou des journées, en tant qu’ils n’auraient pas rempli les injonctions qui leur étaient imposées. »
- L’amendement est appuyé.
M. Lebeau – Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, nous sommes arrivés à la partie la plus importante de la loi, J’ose même dire que c’est toute la loi ; à tel point que si l’on conservait le système proposé par la section centrale, et qui est le maintien de la loi actuelle, je crois qu’il vaudrait mieux ne pas faire de loi du tout et s’en rapporter entièrement aux règlements à faire par les provinces en exécution de la loi existante.
Il est fâcheux, messieurs, qu’on discute une loi de cette importance, une loi dont l’importance vient, dans mon opinion, immédiatement après la loi sur l’instruction primaire, il est fâcheux, dis-je, qu’on discute une pareille loi au milieu des préoccupations qui agitent les esprits et qui empêchent une grande partie des membres de la chambre de suivre la discussion actuellement engagée.
Je demanderai donc qu’on prononce l’ajournement de cette discussion. Je demanderai ensuite à M. le ministre s’il n’a pas tel autre projet de loi qui serait beaucoup moins important que celui que nous discutons en ce moment, et dont la chambre pourrait, en attendant, s’occuper, à moins que M. le ministre ne fût en mesure de faire cesser plus ou moins prochainement les préoccupations auxquelles j’ai fait allusion tout-à-l’heure.
- L’ajournement de la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux est mis aux voix et adopté.
M. Pirson – Je demande la parole.
M. Pirson monte à la tribune et s’exprime en ses termes :
Messieurs, l’honorable M. Lebeau vient de nous dire qu’au milieu des préoccupations auxquelles toute la chambre et toute la nation sont livrées, nous ne pouvions pas continuer de nous occuper d’une loi très importante. Eh bien, messieurs, il faut faire cesser ces préoccupations. J’aurai, à cette occasion, à faire une interpellation à MM. les ministres. Je ne la ferai pas dans l’intention de provoquer une discussion qui pourrait nuire à nos intérêts. Dans le moment actuel, nous devons être calmes, nous devons être prudents, nous devons laisser agir le gouvernement qui n’a pas encore perdu notre confiance.
Il est cependant nécessaire que le gouvernement s’explique. Il faut qu’il nous dise s’il est vrai qu’il ait reçu ou un traité ou un protocole ; si enfin il peut nous faire une communication. Mon intention n’est pas de le presser. Je veux lui donner le temps de la réflexion, comme il nous en faut à nous-mêmes.
Je demanderais donc seulement à M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères si, comme on l’annonce, il a reçu des communications de Londres ; et ensuite s’il croit pouvoir nous faire un rapport dans un délai plus ou moins rapproché. Quand cette communication nous aura été faite, les préoccupations cesseront, et nous reprendrons nos travaux avec le calme qui doit présider à nos délibérations.
Voici les motifs qui me déterminent à faire ma proposition ; je les ai écrits, parce que je ne veux rien dire qui puisse amener des embarras dans notre position. Mais, messieurs, je dois vous faire remarquer que, dans un pays voisin, il y a des embarras bien autres que ceux que nous éprouvons maintenant. Et il ne faut pas que notre gouvernement tombe dans l’anarchie semblable à celle que nous vivons à côté de nous.
Messieurs, nous avons pris une belle position, nous avons été unanimes, nous avons été dignes. Eh ! messieurs, ce n’est pas quand on reproche à un gouvernement voisin d’avoir été peu digne, que nous devons renoncer à notre dignité. Nous avons été dignes dans notre adresse ; j’espère que le gouvernement se maintiendra dans la belle position que nous lui avons indiquée.
Messieurs, nous sommes arrivés à ce moment suprême de la vie ou de la mort du royaume de Belgique, nous allons déchirer ou produire à la postérité le titre que nous tenons de César.
Une seconde édition du traité des 24 articles existe, revue et corrigée, nous assure-t-on. Mais après des siècles de communauté, après huit années de révolution, révolution reconnue légitime par la conférence elle-même, puisqu’elle a avoué que le royaume des Pays-Bas avait été créé avec des éléments antipathiques, après huit années d’une nouvelle confédération entre toutes les provinces belges, le Luxembourg et le Limbourg compris ; après huit années des mêmes chances, des mêmes succès, et j’ose dire de sagesse sans égale chez nos voisins, la conférence revient au projet suranné de la séparation de deux de nos provinces.
Lorsque notre session s’est ouverte en novembre dernier, nous savions que la conférence était réunie, nous connaissions toutes les intrigues de nos ennemis, nous avons prévu le cas qui se présente ; et alors, calmes, de sang-froid, Belges dans l’âme, unis, le Roi, les chambres, tous les échos du pays, se sont prononcés pour l’indivision de la Belgique ; nous avons dit d’une commune voix que nous ferions tous les sacrifices possibles pour la conservation du territoire, nous avons laissé agit tranquillement les diplomates ; maintenant la diplomatie veut nous mutiler, pour arriver plus facilement à notre anéantissement total ; mais nous avons des armes. Les rendrons-nous sans coup férir au premier huissier que se présentera de la part de juges qui tous peut-être, sans exception, spéculent sur nos desseins ?
La seconde édition du traité de 24 articles est donc arrivée. Mais comment sera-t-il exécuté ? Voilà le champ ouvert à toutes les opinions. Les diplomates, ces hommes qui traînent toujours à leur suite les égoïstes, les agioteurs, les dilapidateurs du trésor, les amateurs quand même de portefeuilles, en un mot, tous les lâches par caractère ou par intérêt ; les diplomates, dis-je, pensent et répètent que la Belgique se résignera sans coup férir.
Que disent le roi, les chambres et l’armée ? Jouent-ils la comédie ? Nous verrons bien. Cependant, messieurs, il faut arrêter le flot des on-dit qui pourrait bien nous entraîner dans l’abîme de l’anarchie et de l’anéantissement. On se dit à l’oreille que le gouvernement, d’autres disent une partie du gouvernement, penche vers le système de la résignation quand même ; qui si ce parti est pris, les ministres actuels ou quelques-uns d’entre eux se retireront ; que toujours dans le même système, les chambres seront dissoutes, si elles n’abandonnent pas, elles, leur système de résistance. Qui oserait renier la nation au milieu d’une pareille crise ? Qu’ils y prennent garde ceux qui ont quelque chose à perdre ! En France, aujourd’hui, où il y a aussi crise politique, on n’a pas osé dissoudre la chambre des députés, et cependant ils ne sont point unanimes comme nous.
Paix ou guerre, crient les uns ; moi je crie union ou anarchie, choisissez. Non, messieurs, nous ne reproduirons point à Bruxelles le tableau anarchique du gouvernement français ! Si nous voulons imiter la France dans un des plus beaux moments de son histoire contemporaine, nous choisirons celui du serment du jeu de paume (J’y étais). Jurons tous ici, ministres et représentants, que nous ne verrons point enlever 400,000 de nos frères sans les avoir couverts de nos armes.
Je le jure pour moi et mes fils. (Applaudissements.)
Messieurs, ce ne sont point des applaudissements que je cherche, veuillez le croire ; je ne demande que des garanties pour notre honneur. (Approbation.)
Si la lutte devient inégale, si nous succombons, ceux de nous qui resterons, se résigneront ; ils n’auront point tout perdu, car il leur restera l’honneur. Les Belges ont dû se soumettre plus d’une fois à la force brutale, mais toujours ils se sont relevés, car nous voici encore.
Ce n’est pas lorsque le gouvernement français est accusé de faiblesse par les vrais représentants du pays (car je ne compte pas les hommes corrompus qui l’entourent), ce n’est pas, dis-je, lorsqu’il se voit forcé de prendre une attitude plus digne, que nous, dignes dans notre adresse au roi, irons tomber plats devant les écrivassiers de protocoles. Hé ! ces protocoles ne sont-ils pas anéantis par ceux-là mêmes qui les avaient signés ? Car les cours de Russie, de Prusse et d’Autriche n’ont point ratifié purement et simplement le traité des 24 articles, qui avait été déclaré irrévocable et inaltérable.
Messieurs, il ne me reste plus que peu de temps à vivre ; ma tombe sera-t-elle recouverte de la fange dont la Hollande nous aurait inondés !
Ma seule interpellation est celle-ci : Le ministère a-t-il reçu un projet de traité définitif ? Croit-il pouvoir nous faire une communication, ne fût-ce que pour tranquilliser l’opinion publique impatiente de savoir ?
Malgré tous les on-dit, je ne vois pas que le ministère ait démérité. Je continue à lui accorder toute ma confiance.
En résumé, je demande au ministère s’il a reçu un traité définitif ? croit-il que dans un délai que je ne veux pas limiter, il pourra nous faire une communication. Je pense que cela est nécessaire pour tranquilliser l’opinion publique
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, j’espère être prochainement en mesure de faire un rapport aux chambres. Je désire cependant ne pas fixer le jour dès maintenant. Entre-temps la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi sur les chemins vicinaux pourrait s’occuper des divers amendements qui ont été déposés, et faire son rapport pour la séance de vendredi, par exemple ; de cette manière, si je n’étais pas en mesure de lui faire une communication, la chambre pourrait reprendre la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux ; il y aurait donc lieu de fixer la prochaine séance à vendredi, et de laisser l’ordre du jour tel qu’il est.
M. Pirson – Je demande une explication. Je désire savoir si M. le ministre pourra faire son rapport pour vendredi, ou si dans cette séance il fixera le jour de la présentation de son rapport.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je ne puis affirmer que je pourrai soumettre aux chambres mon rapport pour vendredi prochain ; mais je donne à l’assemblée l’assurance que le rapport lui sera fait le plus tôt possible. Je me suis borné à demander tout-à-l’heure qu’il n’y eût pas de séance avant vendredi, et que, dans l’intervalle, la section centrale du projet de loi sur les chemins vicinaux examinât les amendements qui ont été déposés.
- La chambre consultée, décide qu’elle se réunira vendredi prochain en séance publique, à deux heures, pour continuer la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux.