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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 février 1839

(Moniteur belge du 2 février 1839, n°33 et Moniteur belge du 3 février 1839, n°34)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à 2 heures un quart.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven fait connaître l’analyse de la pétition suivante :

« Le conseil communal de Namur demande le maintien de l’intégrité territoriale. »

Sur la proposition de M. de Renesse, cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.

Présentation des négociations diplomatiques autour du traité des XXIV articles

Communication du gouvernement

M. le président – La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) monte à la tribune au milieu d’un profond silence, et donne lecture d’un rapport sur les négociations suivies avec la conférence de Londres. Cette lecture a duré plus de deux heures – Messieurs, le dernier rapport fait aux chambres, en ce qui concerne nos différends avec la Hollande, a eu lieu le 4 octobre 1833. M. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, a rendu compte alors des motifs qui avaient suspendu les négociations ouvertes à Londres, immédiatement après la conclusion de la convention du 21 mai de cette année.

Vous n’ignorez pas, messieurs, que, durant ces négociations, plusieurs articles du traité du 15 novembre 1831 furent paraphés avec ou sans modifications, modifications qui, dans aucun cas, n’altérèrent essentiellement la disposition qui en était l’objet. Il en fut ainsi des articles 1, 2, 4 et 6, relatif au territoire, de l’article 7, qui consacre l’indépendance et la neutralité de la Belgique, de l’article 8, qui règle l’écoulement des eaux des Flandres, de l’article 10 et de l’article 15 qui déclarent, l’un que l’usage des canaux qui traversent la Hollande et la Belgique continuera d’être libre et commun aux deux pays, et l’autre que le port d’Anvers sera uniquement un port de commerce, de l’article 16, qui règle la propriété des ouvrages d’utilité publique ou particulière, de l’article 17 concernant les séquestres, des articles 18, 19, 20, 21, 22 et 23, relatifs à la situation des sujets des deux pays, aux pensions, traitement d’attente et cautionnement, de l’article 24, qui détermine l’époque de l’évacuation réciproque.

L’article 3, qui porte que, pour les cessions faites dans le Luxembourg, il sera assigné au roi des Pays-Bas une indemnité territoriale dans le Limbourg, et l’article 5, qui réserve à ce souverain de s’entendre avec la diète et les agnats de sa maison sur le point de savoir si cette partie du Limbourg sera incorporé à la Hollande ou à la confédération germanique, avaient été provisoirement écartés. Le cabinet de La Haye ayant espéré qu’il pourrait réunir à la Hollande la rive droite de la Meuse, ses plénipotentiaires avaient demandé la suppression de ces articles et des expressions de l’article 2 qui s’y attachaient. Les plénipotentiaires belges, de l’aveu du gouvernement, y avaient, de leur côté, consenti à la condition qu’il fut admis par la Hollande que le roi grand-duc produirait, avant la signature du traité, le consentement de la diète germanique et des agnats de la maison de Nassau.

On examina, en outre, les questions soulevées par l’article 9, touchant la navigation de fleuves et rivières, les articles 11 et 12 touchant les routes et autres communications, les articles 13 et 14, touchant les arrangements financiers. Les prétentions de la Hollande étaient exorbitantes. Elle voulait borner la libre navigation de l’Escaut à l’Escaut occidental, avec un droit de péage de 2 florins, qui serait perçu à Batz ou à Flessingue ; elle rejetait la disposition relative à la pêche ; elle exigeait un droit de transit pour les routes indiquées à l’article 11, et déclarait inadmissible l’article 12 ; quant à la dette, outre le remboursement de ses avances, réclamation que tous les membres de la conférence jugeaient fondée, elle voulait que la liquidation des fonds du syndicat d’amortissement n’eût lieu que comme mesure d’ordre.

Aucune rédaction ne fut formellement arrêtée à la suite du débat qui s’établit sur ces différents points ; mais des principes généraux furent posés ; des propositions furent éventuellement admises. Ainsi, en ce qui concerne l’Escaut, un péage de 1 florin 50 centimes, moyennant certaines conditions, parut être consenti par le gouvernement belge.

Vous savez, messieurs, comment furent suspendues ces négociations, lorsque la conférence apprit que le roi grand-duc n’avait point fait les démarches nécessaires pour se procurer l’assentiment de la diète germanique et des agnats de la maison de Nassau à la cession éventuelle de la partie du grand-duché de Luxembourg attribuée à la Belgique. (Voir le Récit secret de la conférence, annexe A dans ce Moniteur.)

J’arrive maintenant à une tentative du cabinet de La Haye pour reprendre les négociations.

Le roi Guillaume, à la suite de l’ajournement de la conférence, avait fait, enfin, des ouvertures à la diète et aux agnats. Ces ouvertures ne conduisirent point au résultat qu’il avait en vue. Le 18 août 1836, la diète prit la décision suivante :

« 1° S.M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, sera informé par l’intermédiaire de sa légation, que la confédération germanique ne peut donner son assentiment à la cession d’une partie du grand-duché de Luxembourg, sans indemnité territoriale ; mais qu’elle est disposée, en ayant égard à la déclaration produite par rapport aux agnats de la maison de Nassau, à donner son consentement à la cession de la partie du grand-duché de Luxembourg mentionnée dans l’article second de l’acte 4 dudit article, sous la condition que l’obligation soit imposée au gouvernement belge de ne point établir de fortifications dans la partie du grand-duché de Luxembourg qui lui sera cédée, et qui, dès lors, se sépare des liens fédératifs de l’Allemagne, et nommément de ne jamais fortifier la ville d’Arlon. »

« 2° L’arrangement ultérieur et la fixation de l’indemnité territoriale à allouer à la confédération dans le Limbourg, sont réservés en conformité de la stipulation exprimée dans l’article 5 de l’acte de séparation, à une négociation spéciale entre la confédération et S.M. le roi des Pays-Bas ; et la confédération y partira du principe, que le territoire à réunir à celui de la confédération, entièrement sur le même pied, en remplacement de la partie à céder du grand-duché de Luxembourg, s’il ne peut pas former une compensation équivalente en étendue et en population, devra cependant répondre, autant que possible, aux intérêts de la confédération sous le rapport de la contiguïté de la ligne de défense.

Par une note du 27 octobre 1836, le plénipotentiaire du roi grand-duc porta cette résolution à la connaissance des plénipotentiaires d’Autriche, de France, de Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, en exprimant, au nom de sa cour, le vœu de voir reprendre les négociations ajournées depuis le 24 août 1833.

Cette note fut remise à lord Palmerston avec prière de la communiquer à leurs excellences les plénipotentiaires réunis en conférence.

Bien que cette démarche obtînt l’assentiment de plusieurs puissances, elle resta infructueuse. Lord Palmerston déclara qu’il n’y avait point lieu de convoquer la conférence.

Voici les termes de la réponse de sa seigneurie :

« Le soussigné regrette d’informer M. Dedel qu’il n’est pas en son pouvoir, dans les circonstances actuelles, de leur (aux plénipotentiaires) communiquer cette note.

« Les réunions de la conférence ont été suspendues jusqu’à ce que les plénipotentiaires néerlandais soient mis à même de déclarer de deux choses l’une, ou que S.M. néerlandaise a obtenu l’assentiment de la diète et du grand-duc de Nassau à l’arrangement territorial proposé par le gouvernement néerlandais en 1833, et ensuite duquel tout le district du Limbourg serait incorporé à la Hollande, ou que S.M. n’ayant pu obtenir ce consentement, était prête à accéder à l’arrangement territorial contenu dans les 24 articles, et à autoriser ses plénipotentiaires à signer les sept premiers de ces articles qui ont rapport à l’arrangement territorial.

« La note adressée par M. Dedel aux plénipotentiaires des cinq cours déclare bien que sa majesté néerlandaise n’a pas réussi à obtenir l’assentiment de la diète et du duc de Nassau à l’arrangement territorial proposé par sa majesté néerlandaise en 1833 mais la note ne dit pas si, dans le cas que les conférences soient reprises, les plénipotentiaires seraient autorisés et prêts à accéder aux sept premiers des 24 articles et ainsi à donner l’assentiment de sa majesté néerlandaise à l’arrangement territorial des cinq puissances. »

Une nouvelle note de M. Dedel n’eut pas plus de succès ; et il n’insista pas davantage. Les choses en restèrent là jusqu’au mois de mars 1838.


Ici commence le récit des négociations qui forment l’objet principal de ce rapport.

A cette époque, le roi des Pays-Bas fit connaître officiellement qu’il adhérait au traité du 15 novembre 1831.

Voici les termes de la note, en date du 14 mars, de son plénipotentiaire, M. Salomon Dedel :

« A la fin du mois d’octobre 1836, le soussigné, plénipotentiaire de S.M. le roi des Pays-Bas, en portant le résultat des démarches de son souverain auprès des agnats de la maison de Nassau et de la confédération germanique à la connaissance de la conférence de Londres, exprima en même temps le vœu du roi de voir reprendre avec elle les négociations, etc. ; constamment frustré dans sa juste attente d’obtenir, par la voie des négociations, de meilleurs termes pour ses fidèles sujets, le roi s’est convaincu que le seul gage qui lui restait à donner de l’invariable sollicitude qu’il a vouée à leur bien-être et l’unique moyen de faire apprécier ses intentions, étaient d’adhérer pleinement et entièrement aux conditions de séparation que les cours d’Autriche, de, etc., ont déclaré finales et irrévocables. – Dans cette conviction, S.M. a envoyé à son plénipotentiaire l’ordre de signer avec ceux des cinq puissances, réunis en conférence à Londres, les 24 articles, à la signature desquels les plénipotentiaires du roi ont été invités par la note de leurs excellences du 15 octobre 1831.

« Parvenu au terme de ces longues discussions, le cabinet de La Haye prend, à ce qu’il espère, une précaution superflue, en faisant annoncer par le soussigné que, dans le cas inespéré d’un défaut de coïncidence réciproque de vues et d’action chez toutes les parties intéressées, la présente déclaration devra être considérée comme non avenue. »

En recevant cette adhésion, les plénipotentiaires parurent être sur le point de poser un acte qui eût exercé sur la négociation l’influence la plus décisive.

Un projet de note destinée à M. Dedel avait été rédigé, par lequel les cinq plénipotentiaires déclaraient qu’ils étaient prêts à signer les 24 articles avec le plénipotentiaire hollandais, mais sous la réserve des articles 9, 11, 12, 13 et 14 et du principe d’une indemnité territoriale dans le Limbourg en faveur de la confédération germanique. C’était admettre que les cinq puissances avaient le droit de signer le traité avec la Hollande, sauf à s’entendre plus tard avec la Belgique, et que les modifications à introduire de gré à gré ne tomberaient que sur les cinq articles indiqués.

Les détails furent portés officiellement à la connaissance du ministre plénipotentiaire de Belgique.

Dès que j’eus avis de la communication de M. Dedel je m’empressai de faire savoir à M. Van de Weyer que, dans le cas où il serait appelé à prendre immédiatement part aux conférences, il s’y refusât, vu qu’il n’avait pas cru devoir, en l’absence d’une notification officielle de la démarche du cabinet de La Haye, réclamer des instructions de son gouvernement. M. Van de Weyer recevait en même temps l’invitation de ne rien négliger pour éviter la reprise des négociations sous l’influence de la conférence, de continuer ses rapports officieux avec les plénipotentiaires, rapports si utiles en ce qu’ils permettaient d’agir sur les esprits, mais en ayant soin qu’ils ne pussent, en aucun cas, être envisagés comme une sorte d’adhésion à un arbitrage désormais sans motif. Je fis sentir que la ratification pure et simple des 24 articles n’était plus possible et que les plénipotentiaires réunis en conférence ne devaient prendre aucun engagement à l’égard du cabinet de La Haye avant un sérieux examen de la situation diplomatique, si essentiellement modifiée. Notre intérêt était de prévenir tout acte positif de la part de la conférence, de nous procurer des délais et de les mettre à profit pour sonder le terrain et préparer les voies à notre système. Mes instructions furent rédigées dans ce sens. – Nos efforts obtinrent un premier succès. L’envoi de la note projetée fut combattu par deux des plénipotentiaires réunis en conférence, qui appuyèrent l’idée de se borner à accuser à M. Dedel la réception de sa communication et d’en référer, sur le fonds même de la question, aux cours respectives. Au protocole de cette résolution auraient été annexées toutes les pièces reçues ou envoyées depuis le mois de septembre 1833.

Cette dernière condition, sur laquelle les plénipotentiaires britannique et français insistèrent, excita les vives réclamations des plénipotentiaires d’Autriche, de Prusse et de Russie qui semblaient craindre, pour le cabinet de La Haye, les effets de cette publication. Elle amena une scission au sein de la conférence. On arrêta qu’il n’y aurait point de protocole, que le ministre britannique répondrait à M. Dedel par un simple accusé de réception, et que les plénipotentiaires dissidents demanderaient à leurs cours de nouvelles instructions.

Par là, nos désirs étaient satisfaits. Aucune mention n’était faite ni de l’acceptation des 24 articles, ni de la négociation de 1833, et l’on avait obtenu du temps. Ceci se passait le 6 avril.

Ainsi donc, voici quelle était la situation des choses : il importe de la préciser.

Trois des plénipotentiaires se trouvaient sans instructions suffisantes ; et, par conséquent, il était impossible que la conférence de réunît ; condamnée à une inaction complète, elle n’existait réellement pas. Rappelons ici que M. de Senfft, plénipotentiaire d’Autriche, qui prit, depuis, une part si active aux travaux diplomatiques, n’arriva en Angleterre qu’au mois de juillet ; l’ambassadeur de France resta éloigné de son poste du 15 avril au 10 juin. Des entretiens privés plus ou moins confidentiels, c’était là tout ce qui pouvait avoir lieu. Ce n’est qu’après l’arrivée des instructions aux plénipotentiaires du Nord que la conférence a pu se reconstituer ; et, de fait, ce n’est qu’au mois d’août, lors de la présence à Londres de nos commissaires, MM. Fallon et Du Jardin, qu’a eu lieu cette reconstitution, qui, du reste, n’a jamais été notifiée aux plénipotentiaires belges et néerlandais.

Mais l’on se méprendrait singulièrement, messieurs, si l’on supposait que, durant cet intervalle, le gouvernement belge demeura inactif.

A vrai dire, des négociations proprement dites, n’étaient point possibles ; nous n’étions saisis d’aucune proposition et nous n’avions pas à en formuler de notre côté ; je vais plus loin, et je dis que, si même l’initiative nous eût été permise, si la conférence eût été assemblée, il aurait été d’une inexcusable légèreté à nous de proclamer hautement l’ensemble de nos réclamations, alors que nous savions déjà de quelles immenses difficultés nous étions entourés, alors que nous avions tant d’intérêts à agir au dehors, pour nous procurer quelque point d’appui efficace. Or, l’imprudence eût été plus grande encore, au moment où nous ignorions si la dissidence qui s’était manifestée entre les plénipotentiaires ne serait pas suivie d’actes qui empêcheraient la conférence de commencer ses travaux.

Des négociations régulières, il ne pouvait, je le répète, en être question : mais nous avions la ressource des pourparlers préliminaires, et c’est dans ces entretiens que nos agents à Londres et à Paris s’appliquaient à développer les idées que j’avais exposées dans mes instructions ; c’est dans ces entretiens que, tous, nous pûmes nous convaincre des résistances qui attendaient, de toutes parts, nos réclamations territoriales.

Il convient de se rendre compte, messieurs, des dispositions des différentes cours à cette époque.

Le cabinet de La Haye avait été contraint d’adhérer aux 24 articles par l’attitude qu’avaient prise les états généraux. Il avait obéi à d’impérieuses nécessités. Les difficultés qui avaient eu lieu, à diverses reprises, et récemment encore, dans le Luxembourg, à l’occasion de Grunenwald, avaient, par contrecoup, donné lieu à des démonstrations militaires en Belgique, en France et en Allemagne, état de choses qui avait nui au statu quo, qui l’avait, en quelque sorte, frappé de discrédit aux yeux des cabinets de Vienne et de Berlin. Aussi, la résolution du roi Guillaume, lorsqu’il fut constaté qu’elle était sérieuse, elle fut accueillie avec faveur par toutes les cours. Celles-ci désirèrent vivement d’arriver, sans retard, à une solution définitive. Elles voulaient profiter de leur bonne intelligence actuelle, prévoyant que le changement de politique d’un seul cabinet pourrait tout remettre en question. L’Orient d’ailleurs était là avec ses complications graves, qui pouvaient exiger tout à coup une entière liberté d’action, et rendre plus que jamais nécessaire le calme dans l’occident de l’Europe.

Voilà, messieurs, sous quelles influences s’ouvrirent les pourparlers, et ensuite les négociations sur la question hollando-belge. C’est là qu’il faut chercher le motif de ces déclarations qui furent faites, dès le principe, par les différentes cours sur l’impossibilité de toute modification aux arrangements territoriaux du 15 novembre ; c’est là ce qui dicta au cabinet britannique une démarche officielle dont j’aurai bientôt à vous entretenir, démarche qui eut lieu avant les réunions de la conférence, et qui suffirait à elle seule pour établir qu’il y avait, même chez les gouvernements les plus favorables à notre cause, un invariable parti pris, en ce qui touchait la question territoriale. D’autres cours, à une époque peu éloignée, avaient été beaucoup plus loin sous ce rapport.

Vous avez vu, messieurs, que l’acte de la diète germanique du 18 août 1836, dont j’ai eu l’honneur, il y a peu d’instants, de vous donner lecture, renfermait, à notre détriment, une clause relative à des éventualités de fortifications dans la partie belge du Luxembourg, aux termes des 24 articles.

Une tendance du même genre s’était manifestée, dans le courant de la même année, ailleurs qu’à Francfort. L’un des cabinets représentés à la conférence de Londres avait laissé entrevoir le désir qu’il fût apporté de nouvelles rigueurs à la combinaison territoriale imposée par le traité du 15 novembre.


En face de ces volontés puissantes, en dépit de ces précédents fâcheux, le gouvernement du roi ne se découragea pas. Il voulut poursuivre jusqu’au bout cette œuvre de réparation qu’il appelait de tous ses vœux. Une issue lui semblait ouverte : la Hollande à l’effet d’améliorer son état financier si désastreux, manifesterait peut-être l’intention de s’entendre avec la Belgique pour arriver à un système de compensation ; la diète germanique, ainsi placée entre les sollicitations d’une puissance amie et les embarras que pouvait susciter la Belgique, ne mettrait-elle pas fin à son opposition ? La possibilité d’un arrangement de gré à gré avec la Hollande lasse et épuisée, ; telle était donc notre chance principale de succès dans la négociation. La persistance de nos efforts pouvait, d’ailleurs, dans une autre hypothèse, nous valoir le bénéfice d’un terme moyen. C’est ce qu’eut en vue le gouvernement belge, en produisant et en développement, à diverses reprises, l’idée d’une trêve de longue durée, qui aurait consacré le statu quo territorial, idée dont la presse s’empara plus tard.

Dès le 20 mars, c’est-à-dire immédiatement après l’adhésion du roi Guillaume, j’avais écrit à M. Van de Weyer qu’il fallait s’attacher à la conservation du territoire. J’avais écrit dans le même sens à notre envoyé à Paris.

L’un et l’autre reçurent des explications étendues sur les intentions du gouvernement du roi.

Mes instructions générales reposèrent sur les données suivantes :

Les réserves apportées aux ratifications des cours du Nord ont ôté au traité du 15 novembre son caractère d’immutabilité et d’indivisibilité ; le texte même du traité et des actes diplomatiques qui en ont expliqué l’origine et le but, et, de plus, les erreurs matérielles commises, viennent, sous ce rapport, en aide aux réserves ; la convention du 21 mai 1833, le refus prolongé du roi Guillaume et les conséquences naturelles de ce refus ont créé une situation nouvelle, en maintenant et en fortifiant de plus en plus les liens auxquels les 24 articles portent une si cruelle atteinte ; les négociations de 1833 n’ayant pas amené un résultat complet, le paraphe donné à cette époque a perdu sa valeur, et la Belgique conserve la faculté de décliner tout ou partie de ces négociations. D’autres considérations étayaient celles-là : le vœu si manifeste des populations belges en faveur du statu quo ; l’intérêt bien entendu, quoiqu’à titre divers, de toutes les puissances, y compris la Hollande, pour qui des populations désaffectionnées, hostiles, seraient un grave et perpétuel embarras ; les dangers que présenterait, pour la paix et la stabilité générales, un démembrement qui blesserait les sympathies nationales, les plus pures, les plus légitimes, et qui, en troublant le présent, compromettrait la sécurité de l’avenir.

Des raisons d’un autre ordre, et plus particulièrement applicables à telle situation donnée, furent, en outre, exposées avec soin.

En ce qui touchait à la validité des précédents, nous ne pouvions, sans manquer de prudence, qu’il me soit permis d’insister sur cette remarque, dépasser une certaine limite. Aller plus loin, déclarer formellement anéantis, de droit et de fait, tous les actes antérieurs, eût été se priver de toute chance favorable de négociations. Déjà, plusieurs fois, il nous fut objecté :

« Si nul engagement ne subsiste, vous rétrogradez au premier jour de votre révolution ; tout lien avec les puissances et vous est désormais brisé ; vous n’en restez pas moins en présence de la diète germanique, appuyée sur les traités de 1815 ; et, de plus, vous vous retrouvés (abandonnés à toutes les chances de l’avenir) sous le coup des articles constitutifs de 1814, et en face de la conférence ramenée à cette position d’arbitre que vous lui déniez aujourd’hui. »


En appelant votre attention, messieurs, sur les inconvénients de toute déclaration intempestive, je suis amené à vous rendre compte de cet acte significatif, auquel j’ai fait allusion, que posa le cabinet britannique, presqu’au début des pourparlers à Londres.

Immédiatement après les manifestations qui eurent lieu en Belgique, au mois d’avril, le ministre de S.M.B., qui n’avait cessé d’exprimer l’opinion que la négociation de 1833 avait été suspendue et non rompue, et qu’il fallait reprendre cette négociation ou s’en tenir au traité, fit une notification officielle aux autres cours représentées en conférence et à la Belgique, pour déclarer que le cabinet de S.M.B. était résolu à maintenir les arrangements territoriaux des 24 articles.

D’un autre côté, le cabinet français, dès le mois de mars, ne se dissimulait pas que la question des territoires paraissait irrévocablement jugée. La notification du cabinet britannique acheva de le déterminer à ne pas se séparer, sur ce point, des autres cours. Son langage, en ce sens, devint de jour en jour plus prononcé.

Ces obstacles, qui ne pouvaient être écartés de prime abord, le gouvernement dut s’étudier à les tourner, en cherchant ailleurs des ressources pour les aborder de nouveau plus tard avec moins de désavantage. Il s’occupa donc activement des questions financières, questions qui avaient, du reste, par elles-mêmes, une si haute importance.

Des principes furent posés quant à la nécessité d’une révision du partage des dettes et au non-paiement des arrérages. Des démarches furent faites pour établir les erreurs commises en 1831 ; j’invoquai pour la rectification de ces erreurs, les déclarations de la conférence elle-même, et notamment le protocole n°48, protocole que n’a infirmé ni le memorandum du 7 octobre, ni la note du 14.

Des arguments furent également puisés dans le protocole n°45 et dans d’autres documents diplomatiques.

C’était là des jalons établis sur la route qui restait à parcourir : des travaux considérables et s’étendant à tous les détails de cette question si compliquée, vinrent compléter les éclaircissements à fournir. Je me plais à reconnaître qu’indépendamment de l’action du gouvernement, la publication d’écrits qui eurent du retentissement à l’étranger exerça une salutaire influence.

Peu favorablement accueillie d’abord, la question de la dette, grâce à des efforts persévérants, gagna du terrain. Ainsi, des deux cabinets qui nous appuyaient le plus fréquemment, l’un paraissait disposé à soutenir la révision de la dette et la libération des arrérages ; l’autre, qui avait commencé par présenter des objections à toute modification dans le chiffre de la rente, s’était enfin rapproché de nous, n’admettant toutefois le principe de la révision que dans les termes restrictivement interprétés du protocole n°48. Interprétation qui semblait exclure toute amélioration sensible dans la répartition de la dette.

Le gouvernement du roi avait donc obtenu quelques avantages partiels dans les pourparlers préliminaires ; bien qu’aucune résolution n’eût été et n’eût pu être prise, la conférence ne siégeant pas, ces avantages n’étaient pas sans valeur et pouvaient servir de points d’appui.


Les faits que je viens de résumer doivent être envisagés comme formant la première période de la négociation, cette période toute en pourparlers, qui a revêtu un caractère plus arrêté, quoique toujours officieux et confidentiel, par suite de l’arrivée à Londres des instructions qu’avaient réclamées les plénipotentiaires d’Autriche, de Prusse et de Russie, à qui elles parvinrent du 10 au 15 juillet.

On pouvait craindre que chacun des plénipotentiaires étant muni des pouvoirs nécessaires, ils ne commençassent leur délibérations par la déclaration formelle que, reprenant les négociations suspendues en 1833, ils tenaient pour valides les articles paraphés alors, et, par conséquent, comme décidée la question territoriale.

Pour prévenir ce danger, M. Van de Weyer, ensuite de mes instructions, exposa à lord Palmerston l’ordre que le gouvernement du roi désirait de voir adopter dans la négociation qui allait s’ouvrir (annexe B).

La pensée première de quelques-unes des cours représentées en conférence fut de nous proposer la signature d’un traité avec la Hollande, comprenant les 24 articles, sauf quelques modifications, traité qui aurait maintenu les cessions territoriales et aurait abandonné à l’examen d’une commission et, au cas d’un désaccord complet dans le sein de cette commission, à l’arbitrage de la conférence, la question des arrérages et celle de la liquidation du syndicat d’amortissement.

Ces propositions furent, conformément à notre opinion, déclarées inacceptables par deux membres de la conférence.

Persuadé de plus en plus que la révision de la liquidation de 1831 sauverait seule, si elle pouvait être sauvée, l’intégrité du territoire belge, j’insistais constamment, dans mes instructions, sur la nécessité d’entamer le débat par les questions financières ; en même temps que je continuais à faire valoir le caractère odieux et toutes les conséquences dangereuses d’un démembrement.

Chacune des considérations précédemment indiquées, appuyée d’observations spécialement applicables à des circonstances présentes, telles que l’état des esprits en Belgique et en Allemagne, reçut des développements plus étendues.

Mais la France et la Grande-Bretagne persistèrent à répéter à nos envoyés que la Belgique ne parviendrait pas à faire modifier en sa faveur les arrangements territoriaux. Le projet d’une trêve, malgré nos efforts, demeura également dépourvu de toute chance de succès.

Outre les travaux entrepris par le département des affaires étrangères et le ministère des finances, une commission avait été créée par ce dernier, le 29 juin 1838, pour examiner tous les points relatifs à la révision de la dette. Sous la présidence de mon honorable collègue, elle avait rédigé un mémoire que j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de la chambre (annexe C), lequel servit de base aux instructions ministérielles expédiées à Londres et à Paris.

Les principes et les faits exposés dans ce document remarquable devaient donner lieu à des discussions qui pouvaient rendre utile la présence de commissaires spéciaux, chargés de fournir les éclaircissements les plus complets. C’est dans cette vue que Messieurs Is. Fallon et Du Jardin se rendirent à Londres. Ils y arrivèrent le 2 août. Ils n’étaient revêtus d’aucun caractère politique ; leur mission se bornait à appuyer d’explications nouvelles les assertions énoncées dans le mémoire, à la rédaction duquel ils avaient pris part. ils se mirent sur-le-champ en relation avec les plénipotentiaires de France et de la Grande-Bretagne, auxquels prit part M. Van de Weyer. Le mémoire de la commission des finances avait été remis à ces plénipotentiaires et communiqué à leurs collègues, qui rédigèrent et envoyèrent à lord Palmerston une réfutation de ce document.

Cette réfutation était accompagnée de propositions qui avaient pour but d’assurer à la Hollande le paiement annuel de 8,400,000 florins ; sauf, pour la Belgique, la diminution éventuelle résultant d’une liquidation du syndicat d’amortissement, liquidation qui aurait lieu après la signature du traité (annexe D).

Ces propositions, que leurs auteurs ne tardèrent pas à rendre plus précises en posant des principes sur le mode de liquidation et sur les points auxquels, selon eux, cette liquidation devait se restreindre, firent l’objet, de la part de M. Van de Weyer et de nos commissaires, de notes où furent consignées les idées qu’ils avaient plus d’une fois exposées aux plénipotentiaires de France et d’Angleterre et sur le syndicat d’amortissement et sur le non-paiement des arrérages. Ces notes furent remises le 25 août. L’une d’elles est annexée au présent rapport (annexe E).

Un des plénipotentiaires, en prenant lecture de ces documents, présenta des objections qui peuvent se résumer de la manière suivante :

« La Belgique, liée par le traité du 15 novembre 1831, a consenti purement et simplement à payer la somme de 8,400,000 florins par an. La conférence, dans son protocole n°48, s’est imposé, à elle, l’obligation de réparer les erreurs où elle pourrait avoir été entraînée par les tableaux qui lui ont été fournis. Ce protocole ne donne indirectement un droit à la Belgique que parce que l’une ou l’autre des cinq cours peut demander que l’on remplisse le devoir que ce protocole impose. Mais il n’en est pas de même pour tout ce qui sort de cet acte et de ses annexes. Là, le traité reprend tout son empire, et la France, ni l’Angleterre, n’ont, elles-mêmes, aucun titre à invoquer pour exiger des trois autres puissances que la révision s’étende à cette partie de la dette. Or, pour en affranchir la Belgique, il faudrait le concours et le consentement des cinq puissances qui vous l’ont imposée, et ce consentement, vous ne l’obtiendrez pas. »

En présence de nos objections aux propositions des représentants des cours du Nord, lord Palmerston, d’accord avec le plénipotentiaire de France, revint sur une idée qu’il avait déjà mise en avant, à savoir qu’un chiffre transactionnel était le seul moyen pratique d’en finir.

Messieurs. Fallon et Du Jardin furent sollicités de produire un chiffre transactionnel approximatif ; mais leurs instructions, pas plus que celles de M. Van de Weyer, ne les autorisaient à sortir des termes du rapport de la commission des finances. Ils revinrent en Belgique au commencement de septembre pour exposer au gouvernement les détails et les résultats de cette première mission. Ils étaient de retour à Londres le 4 octobre.

Dans cet intervalle, le principe d’une cote mal taillée, énoncé par lord Palmerston, et que les plénipotentiaires des cours du Nord semblaient disposés à accueillir, fut discuté par le gouvernement du roi ; et je m’attachai, dans ma correspondance diplomatique à développer de nouveau nos arguments du chef de la délimitation territoriale et du chef des dettes. Les uns rencontraient toujours d’inébranlables résistances ; les autres les mêmes objections. Le cabinet français, qui avait reçu des explications sur tous les points du rapport de la commission des finances, et auquel avait été présenté le résumé du compte des arrérages, des dépenses de guerre et des emprunts belges, restait toutefois disposé à ne pas abandonner le système de la révision.

Le gouvernement n’ayant point donné son assentiment au principe de la transaction, les commissaires étaient retournés à Londres, avec mission de faire connaître les motifs de cette détermination. Ces motifs de diverse nature furent exposés dans des instructions développées. Quelques-uns sont rappelés dans un memorandum confidentiel remis, le 12 octobre, à lord Palmerston et au général Sebastiani, memorandum ainsi conçu :

« La proposition officieuse d’un chiffre transactionnel global n’a pu être acceptée par le gouvernement belge. Il lui eût été impossible de fixer ce chiffre avec quelque certitude, attendu qu’il n’a point en sa possession tous les documents nécessaires pour établir le compte du syndicat. Dans ce système, la position des deux parties n’eût point d’ailleurs été égale, puisque la Hollande aurait toute latitude de ne pas accepter le chiffre. D’autres considérations encore, sur lesquelles il est, pour le moment, inutile de s’étendre, démontreraient que cette proposition présentait, pour le gouvernement belge, des difficultés d’exécution insurmontables. Dans cet état de choses, les plénipotentiaires réunis en conférence doivent avoir à cœur de coopérer à une liquidation sincère et véritable de la dette, opération à laquelle ils n’ont pu se livrer en 1831.

« Le seul moyen d’atteindre ce but si désirable, est de procéder simultanément à la révision de la dette d’après le travail fourni par la commission des finances, notamment en ce qui concerne la dette française et la dette austro-belge, et à la liquidation préalable du syndicat d’amortissement. Le terme de la liquidation devra être fixé au 30 septembre 1830.

« Pour procéder à cette opération, des commissaires devraient être nommés, de part et d’autre ; tous les documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission seraient communiqués. Ce serait seulement en cas de désaccord, que les difficultés devraient être soumises à la commission d’arbitrage.

« Cette commission pourrait être composée de trois membres dont deux choisis par les parties et un troisième à nommer, en cas de partage. La commission de liquidation se réunirait à Lille ou à Aix-la-Chapelle. Elle aurait à terminer son opération dans le délai de …

« La révision de la dette et la liquidation du syndicat étant terminées, on s’occuperait immédiatement de l’examen des autres articles du traité définitif. »

La résolution du gouvernement belge excita un vif mécontentement. Les plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse, dès qu’ils eurent connaissance de ce memorandum, y répondirent en termes très vifs par une note en date du 15 octobre, dont voici un extrait :

« Si le gouvernement belge restait sourd à la voix de la raison, s’il méconnaissait plus longtemps ses obligations et cherchait à prolonger un état provisoire, il serait bien temps aussi que les cabinets de Londres et de Paris lui déclarassent qu’ils ne comptent plus protéger et garantir un statu quo que la Belgique maintiendrait contre l’esprit et la lettre de la convention du 21 mai 1833. »

Le 16 octobre, les plénipotentiaires des cinq cours se réunirent en conférence ; et, malgré la déclaration du gouvernement belge, les explications verbales et les efforts du ministre du Roi et des commissaires, ils repoussèrent le système de la révision, persistant dans le projet d’une transaction. Le chiffre de la déduction à faire sur la porte de la dette à mettre à la charge de la Belgique fut, par eux, porté à 3,000,000 de florins.

Ils arrêtèrent, en outre, que des démarches seraient faites auprès des deux parties pour les amener à l’adoption de ce système de transaction.

Ces démarches furent immédiatement faites auprès du cabinet de Bruxelles, à qui l’on communiqua confidentiellement des propositions, en forme d’articles, qui consacraient les arrangements territoriaux du 15 novembre. Ces propositions parvinrent à Bruxelles, le 23 octobre. Remarquons que ces actes des plénipotentiaires appartenaient encore à un ordre de négociations plutôt officieuses qu’officielles. Dans l’état des choses et des esprits, il eût été très imprudent, de la part du gouvernement belge, de cherche à donner un autre caractère aux délibérations des plénipotentiaires.

Notre ministre et nos commissaires n’étant nullement autorisés à admettre de semblables bases, durent s’abstenir de les discuter, mais ils cherchèrent à connaître, afin de pouvoir, au besoin, les rectifier, les données qui avaient déterminé la fixation du chiffre de 3,000,000 de florins ; ils ne purent obtenir des éclaircissements bien précis. Ainsi, le gouvernement belge se trouvait, cette fois, en présence, non seulement du principe, mais du chiffre même d’une transaction et du projet de traité qui maintenait les arrangements territoriaux du 15 novembre.

La plupart des plénipotentiaires se montraient fort impatients de recevoir la réponse du cabinet de Bruxelles. Ceux d’Autriche et de Prusse remirent à lord Palmerston, le 27 octobre, un memorandum pour déclarer que, dans l’opinion de leurs cours, les puissances, si la Belgique repoussait l’arrangement proposé, devaient mettre un terme au statu quo établi par la convention du 21 mai. Quelques jours après, lord Palmerston faisait savoir, à son tour, au gouvernement belge, que « si la négociation présente échouait par suite d’obstacles suscités par nous, la Grande-Bretagne ne pourrait s’opposer à ce que, ou la confédération germanique ou le roi des Pays-bas, soit dispensé de respecter plus longtemps le statu quo territorial, et ne pourrait accéder à l’occupation prolongée, par les Belges, de la partie allemande du Luxembourg et des équivalents dans le Limbourg. »

Cette déclaration, l’Angleterre en donna connaissance au cabinet de Paris. J’en pris occasion pour rétablir, par une suite de déductions tirées des faits, le sens et la portée de la convention du 21 mai, convention dont, à mes yeux, la violation donnerait à la Belgique le droit de profiter des chances favorables et d’imputer, sur le chiffre de la dette, le montant des frais et des dommages qu’elle pourrait avoir à supporter (annexes F et G.)

Le cabinet français, près duquel nous insistâmes sur les obligations résultant pour lui de la convention du 21 mai, quelle que fût, d’ailleurs, l’interprétation qu’y attachassent les autres parties contractantes, pensait qu’il serait obligé de s’abstenir, si le statu quo cessait d’être maintenu par la Grande-Bretagne, dans le cas où la confédération germanique interviendrait, pourvu, toutefois, que celle-ci ne dépassât point les limites de la Belgique aux termes des 24 articles.

Le gouvernement belge expédia à Londres, les instructions suivantes, sous la date du 10 novembre :

« Le gouvernement du roi, ayant eu égard à l’initiative prise par les plénipotentiaires des grandes puissances, fixant le chiffre transactionnel de la dette à 5,400,000 florins payables à partir du jour de l’échange des ratifications, veut répondre à cet esprit de conciliation, en proposant de déterminer ce chiffre à un taux mieux en rapport avec la vérité des faits et avec la justice qui doit présider au partage de la communauté. Par ces motifs, il propose, de son côté, de fixer le chiffre à 3,200,000 florins, payables à partir de ce même jour. Il est bien entendu que, par suite de la renonciation à la liquidation du syndicat et du caissier de l’état, le gouvernement hollandais n’aurait, de ce chef, aucune répétition à exercer en Belgique ; le but de la non-liquidation étant de laisser à la Hollande la jouissance de ce dont le syndicat est actuellement en possession. Cette réserve est, en tout, conforme aux explications qui ont été verbalement données aux commissaires belges.

« Le gouvernement du roi s’est occupé exclusivement du chiffre transactionnel, parce qu’il considère toujours et surtout aujourd’hui qu’on est en voie de rapprochement, qu’il y a nécessité de s’entendre, avant tout, sur la question de la dette et d’ajourner la discussion de tout autre article. En conséquence, vous aurez, monsieur le ministre, en faisant connaître à lord Palmerston notre proposition transactionnelle, à déclarer, de la manière la plus expresse, que le gouvernement se réserve de répondre aux communications officieuses qui lui ont été faites sur d’autres points, et qu’il n’entend, quant à présent, admettre aucun article des projets que sa seigneurie vous a remis. »

On le voit, le gouvernement avait soin de disjoindre, si l’on peut s’exprimer ainsi, le principe de la transaction des autres points à régler. Il continuait de faire, à l’égard de ces derniers, les réserves les plus explicites et s’en tenait invariablement à la discussion préalable des questions financières.

Mentionnons ici que M. Dedel avait, le 8 novembre, fait en vain une démarche officielle pur obtenir une réponse à l’adhésion de son souverain, adhésion remontant au mois de mars.

Le chiffre proposé par nous fut envisagé à Londres comme un refus de négocier.


La situation était grave ; toutefois un avenir rapproché pouvait l’améliorer. Les traités n’étaient encore qu’à l’état de propositions purement officieuses. Rien n’était donc irrévocable. L’idée d’une transaction était dans le vœu du pays. Les chambres, en l’exprimant formellement, donnaient un appui aux propositions que le gouvernement avait résolu de faire, appui d’autant plus utile qu’elles fournissaient ainsi une preuve des sentiments de conciliation qui animaient la Belgique, qu’elles faisaient un appel aux vues élevées des puissances et qu’elles signalaient à l’attention de la Hollande les avantages que celle-ci pouvait retirer d’une semblable combinaison. Cette marche est d’autant mieux justifiée que le cabinet des Tuileries, avant de poser un acte qui l’engageât, a voulu faire connaître à la législature nationale la ligne politique qu’il s’était tracée.

Néanmoins, le vif désir qu’éprouvaient plusieurs des puissances de terminer la grande question qui, depuis si longtemps, les occupait, fit que les faits qui se produisirent, à cette époque en Belgique, furent défavorablement appréciés.

Je ne m’en appliquai pas moins, dans la correspondance officielle, à reproduire toutes les considérations d’intérêt européen, qui se rattachaient à la conservation des territoires que nous possédons. Je revins sur l’ensemble des raisons que je pouvais puiser dans des antécédents plus ou moins rapprochés de nous, dans l’unanimité de sentiments qui se manifestait en Belgique par l’organe des corps constitués. C’est alors que le gouvernement français, jugeant que le moment était venu de sonder les intentions du cabinet de La haye, voulut suggérer à ce dernier, l’idée d’une transaction sur les territoires. Cette idée ne fut pas accueillie.

De son côté, le gouvernement du roi avait confidentiellement transmis à M. Van de Weyer, le 23 novembre, des instructions ainsi conçues :

« Il paraît résulter de votre correspondance et de celle de Paris que la conférence ne voudra plus s’occuper de la question de la dette dans l’état actuel des choses. S’il en est réellement ainsi, vous ne ferez aucun usage de la présente ; si, au contraire, cette haute assemblée était d’intention de suivre la voie où elle était entrée et d’arriver à un arrangement équitable, le gouvernement ne serait pas éloigné de consentir à un chiffre de 3,800,000 florins dans lequel seraient compris les avantages commerciaux dont le prix ferait cependant l’objet d’un article distinct ; mais vous comprendrez, en tout cas, que vous devez user d’une extrême circonspection pour que l’on ne s’empare pas du chiffre de 3,800,000 florins, afin de nous engager à des concessions plus fortes. Ainsi, soit que la Hollande ne veuille pas descendre au-dessous du chiffre de 5,000,000 de florins, soit que la conférence veuille vider au préalable la question territoriale, ce qui serait contraire à toute justice, vous vous abstiendrez de faire mention du contenu de cette dépêche. »

Toutes les tentatives furent infructueuses, et ces instructions éventuelles restèrent provisoirement sas application possible. Quatre des plénipotentiaires persistèrent à ne pas vouloir s’occuper de la question financière, voulant trancher avant tout la question territoriale, et tous déclarant, comme leurs cours, irrévocables les sept premiers articles du traité du 15 novembre.


Nous avons dit qu’une tentative avait été faite par le cabinet français au gouvernement néerlandais pour amener ce dernier au système d’une transaction concernant le territoire.

Cette tentative tout amicale avait éveillé à Londres des susceptibilités. En présence des intentions manifestées par la Belgique, on crut y voir, soit des arrière-pensées, soit un dangereux encouragement.

C’est ici que commence la troisième période des négociations.

Les plénipotentiaires d’Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie rédigèrent, à la fin de novembre, un projet de déclaration tendant à constater officiellement l’immutabilité des arrangements territoriaux de 1831. Cette déclaration devait être signifiée au plénipotentiaire belge. L’ambassadeur de France fut invité à s’associer à cette démarche, à laquelle avait coopéré le ministre britannique ; mais il répondit qu’il ne pouvait signer qu’après en avoir référé à sa cour. Messieurs. De Senfft et de Bulow, comme investis des pouvoirs et chargés des intérêts de la diète, remirent en outre, le 28 du même mois, entre les mains de lors Palmerston une protestation formelle, au nom de la confédération, contre les prétentions de la Belgique.

Le gouvernement du roi avait essayé, d’une part, de faire comprendre que la démarche dont on faisait un grief à la France avait en vue un résultat qui satisferait à toutes les prétentions légitimes, en affermissant la paix européenne ; et, de l’autre, que le droit de poursuivre l’exécution partielle des 24 articles ne saurait être reconnu à la confédération germanique ; que permettre l’occupation des territoires contestés, ce serait anéantir la convention du 21 mai, que cette convention devait subsister jusqu’à ce qu’il intervînt un traité convenu de gré à gré et débattu dans toutes ses parties ; qu’elle liait, non seulement la France te la Grande-Bretagne, mais encore les cours qui l’avait acceptée pour point de départ des négociations de 1833 ; que la France n’avait, du reste, aucune hostilité à craindre, et que son devoir était de ne point accorder son adhésion à la note projetée.

Le gouvernement apprit, sur ces entrefaites, que le cabinet des Tuileries, partageant son opinion sur la portée de la convention du 21 mai et sur la durée de ses effets, avait refusé de s’associer à la notification proposée.

Mais la situation diplomatique ne tarda pas à changer d’aspect à notre détriment.

Le 6 décembre, les plénipotentiaires des cinq puissances se réunirent, et le protocole suivant fut rédigé :

« Les plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie s’étant réunis en conférence, ont pris acte de la note ci-annexée adressée, le 28 novembre dernier, aux plénipotentiaires de France, de la Grande-Bretagne et de Russie, par ceux d’Autriche et de Prusse, agissant de la part de la confédération germanique.

« Les plénipotentiaires des cinq cours, ayant aussi pris en considération l’état où se trouve la négociation confidentielle dont ils se sont occupés à la suite de l’ouverture adressée à la conférence par le plénipotentiaire de S.M. le roi des Pays-Bas, le 14 mars dernier, à l’effet d’arriver à une entente sur un arrangement définitif de l’affaire hollando-belge, acceptable pour ces deux parties, il a été proposé de communiquer au gouvernement des Pays-Bas et à celui de la Belgique les articles ci-joints rédigés dans le cours de cette négociation, comme renfermant des conditions justes et équitables,et dont il serait de la plus haute importance pour l’affermissement de la tranquillité générale, d’effectuer le plus tôt possible l’acceptation par lesdits gouvernements. Les projets également ci-joints de deux notes destinées à être adressées, dans cette vue, aux plénipotentiaires néerlandais et belge avec les projets annexés des traités à conclure entre les cinq puissances et la Hollande, entre la Hollande et la Belgique, et entre les cinq puissances et la Belgique, ont reçu l’approbation des plénipotentiaires d’Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, tandis que le plénipotentiaire de France a déclaré n’être pas autorisé à accéder aux termes et à l’esprit du présent protocole, et la pris ad referendum.

« A la suite de cette déclaration, les plénipotentiaires des quatre autres cours ont invité le plénipotentiaire de France à porter ce protocole, avec ses annexes, à la connaissance de sa cour, et ils ont exprimé la confiance que le cabinet français, toujours animé du désir de rester uni à ses alliés, et de coopérer avec eux au maintien de la paix générale et des traités qui en constituent la base, n’hésitera pas à adhérer à une marche conçue dans ce même but et dictée par une juste appréciation des circonstances qui font regarder la prompte exécution d’un arrangement final dans l’affaire dont il s’agit comme un objet d’un intérêt général et pressant. »

Ce protocole fut signé ad referendum par l’ambassadeur de France.

Dès que j’eus connaissance de ces projets de notes et de traité, j’invitai M. le comte Le Hon à ne rien négliger pour amener le cabinet français à refuser son adhésion. Mais ce cabinet envisagea les choses d’un autre œil ; il se décida à adhérer, en réclamant un ajournement, qu’il obtint avec difficulté ; l’ambassadeur de France s’engagea vis-à-vis de la conférence à signer les notes avant le 16 janvier, et à s’associer aux actes relatifs à cet ultimatum.

Dans cette situation, le gouvernement du roi crut devoir appeler l’attention de son plénipotentiaire sur l’autorisation qu’il lui avait donnée, le 23 novembre, de consentir au chiffre de 3,800,000 florins, moyennant certaines conditions. Il porta ce chiffre à 4 millions de florins. Je revins, en outre, sur cette idée que la conférence ne pouvait plus exercer un arbitrage forcé, et que le traité devait être négocié de gré à gré. J’engageai notre ministre à continuer ses efforts pour empêcher la notification d’avoir lieu, ajoutant que, s’il ne pouvait y parvenir, il devait, du moins, faire en sorte qu’elle fût envisagée comme le commencement d’une négociation officielle et régulière.

Notre envoyé put se convaincre que la conférence, en ce qui concerne la dette, n’accueillerait point la proposition de 4 millions ; qu’une offre supérieure ne serait même discutée qu’autant que la Belgique renoncerait à toute prétention sur le territoire.

Dans ces circonstances, le gouvernement du roi jugea opportun de faire remettre à la conférence la note dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture :

« Le soussigné plénipotentiaire de S.M. le Roi des Belges, ayant appris que les plénipotentiaires de l’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie se sont occupés d’une proposition dont l’adoption aurait pour conséquence la notification aux cours de Bruxelles et de La Haye, d’un projet de traité, qui, présenté à l’acceptation de l’une et de l’autre, serait destiné à mettre fin à leurs différends, croit devoir appeler l’attention la plus sérieuse de ces plénipotentiaires, sur le morcellement dont les provinces de Limbourg et de Luxembourg pourraient encore être menacées à leur grand préjudice et à celui de la Belgique.

« Le gouvernement de S.M. le Roi des belges est prêt à faire les plus grands sacrifices pécuniaires pour régler la question territoriale à l’amiable et à la satisfaction commune. Pour justifier cette proposition, il importe de rappeler, en peu de mots, les précédents des longues négociations qui se rapportent à cette question.

« Le protocole du 28 juin 1831 et l’article 3 du projet en 18 articles proposés à l’acceptation du congrès belge, par la lettre des plénipotentiaires en date du même jour, ne permettaient point à la Belgique de douter un seul instant de la conservation du Luxembourg. Aussi le congrès national fût-il amené à l’acceptation de ces articles et S.A.R. le prince Léopold, élu Roi des belges, accepta la couronne de Belgique sous la foi des mêmes assurances.

« L’article 3 précité réservait à la diète ses droits utiles quant à la forteresse de Luxembourg. Il est évident que si les plénipotentiaires des cinq cours, en y comprenant ceux d’Autriche et de Prusse, n’eussent eu la conviction que cette proposition était de nature à satisfaire la haute diète, ils n’eussent pas présenté cet article à l’acceptation du congrès belge. La diète pouvait, en effet, d’autant plus facilement accéder à cet arrangement, que le Luxembourg fut constamment et exclusivement régi par la loi fondamentale et les autres lois du royaume des Pays-Bas, ainsi que toutes les provinces belges avec lesquelles il avait été depuis plusieurs siècles intimement uni.

« Si la Belgique, surprise par une attaque d’autant plus imprévue qu’elle avait accepté le gage de paix que lui avait offert les cinq puissances représentées en conférence, et qu’elle se reposait sur l’armistice qu’elle croyait ne pouvoir être rompu que de leur consentement, si la Belgique a subi le sort des armes et si les cinq cours, préoccupées elles-mêmes d’un événement qui venait de mettre en péril la paix de l’Europe, n’ont pas cru devoir donner suite au troisième des 18 articles ; si, au contraire, par le motif proclamé par elles qu’elles ne pouvaient abandonner à de plus longues incertitudes les questions dont la solution immédiate était devenue un besoin pour l’Europe, questions qu’elles se trouvaient forcées de résoudre sous peine d’en voir sortir l’incalculable malheur d’une guerre générale, elles ont cru devoir adopter un projet nouveau en vingt-quatre articles, avec cette déclaration que ces articles contiennent les décisions finales et irrévocables des cinq puissances qui, d’un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes l’acceptation pleine et entière desdits 24 articles par la parte adverse, si elle venait à les rejeter (protocole n°49, annexes B et C), si, en un mot, la conférence a pu, en raison de motifs majeurs qu’elle a exposés dans ces actes, dévier des propositions des 18 articles, il ne paraît pas douteux que la Belgique puisse insister aujourd’hui avec justice, pour un arrangement conforme au principe posé dans le troisième de ces18 articles. Cette prétention se fonde sur la non-acceptation des 24 articles par la cour de La Haye dans le délai utile ; sur les réserves mêmes apportées aux ratifications de ces articles ; sur les gages de sécurité que la Belgique a donnés à l’Europe au milieu des temps si difficiles qui ont accompagné et suivi sa constitution en état indépendant ; sur la convention du 21 mai 1833, qui, consacrant dans les termes les plus absolus la cessation complète des hostilités, permît de négocier avec toute maturité un arrangement final qui garantirait, d’une manière efficace et stable, la mission dévolue à la Belgique comme état neutre, et qui offrirait au gouvernement néerlandais des avantages plus certains que la possession de deux demi-provinces, éloignées qu’elles seraient désormais des sources de leur prospérité, et privées de leurs rapports naturels, fortifiés par une longue communauté d’intérêts.

« Le soussigné doit encore faire remarquer à leurs Excellences les plénipotentiaires, qu’il résulte des adresses votées au mois de mai et de novembre 1838, par les chambres belges, que ces chambres supposent la nécessité de communications ultérieures de la part du gouvernement pour être muni de pouvoirs nouveaux conformément à la constitution, à l’effet de signer un traité, attendu que, s’il a été mis par elles à même de souscrire, dans les premiers temps, le traités des 24 articles en vue de l’exécution immédiate annoncée dans les annexes B et C du protocole n°49, et sous l’empire de considérations énoncées dans ces actes, il n’en est plus de même aujourd’hui que l’acceptation du gouvernement néerlandais n’ayant pas eu lieu en temps opportun, et sous l’empire des mêmes circonstances qui avaient déterminé l’acceptation de la Belgique, et celle-ci n’ayant pas obtenu les résultats qu’elle attendait d’une paix immédiate et notamment la possibilité du désarmement.

« Il est à observer surtout qu’une séparation telle que celle dont il s’agit à la suite d’événements désastreux, quoique toujours douloureuse, est cependant susceptible d’exécution immédiate mais qu’une semblable mesure acquiert une tout autre gravité. Lorsque ces populations ont continué de vivre pendant un grand nombre d’années sous les mêmes lois et de jouir des mêmes avantages que le reste du pays, et que, par cette longue communauté, de nouveaux liens se sont formés.

« Telles sont les causes de l’opposition générale qui s’est manifestée dans le pays à toute idée de séparation. Ces sentiments nationaux si légitimes, si unanimes doivent être envisagés avec satisfaction pour les plénipotentiaires des cinq puissances ; ils doivent leur servir de témoignage irrécusable que leurs cours ne se sont point trompées lorsqu’elles ont reconnu la Belgique comme état indépendant et neutre. Aussi on ne doit pas hésiter à penser qu’elles s’empresseront de donner un appui à cet esprit national.

« Le plénipotentiaire soussigné arrive maintenant à exposer à LL. EE. Les sacrifices pécuniaires que la Belgique est disposée à faire pour obtenir le désistement de toutes prétentions sur les territoires du Limbourg et du Luxembourg.

« Mais, pour en faire mieux comprendre l’étendue, il commencera par traiter succinctement la question du partage de la dette, en prenant pour point de départ les derniers errements de la négociation qui a eu lieu sur cet article et qui ont pour objet la discussion d’un chiffre transactionnel.

« Il paraîtrait que Leurs Excellences les plénipotentiaires des cinq cours seraient disposés à faire peser annuellement et perpétuellement sur ce pays une somme de cinq millions de florins, et que ce chiffre serait établi d’après les données suivantes :

« Loi du 9 février 1818, capital : fl. 14,135,836

« Loi du 31 décembre 1819, capital : fl. 23,083,000

« Loi du 24 décembre 1820, capital : fl. 7,788,000

« Loi du 2 août 1822, capital : fl. 56,902,000

« Loi du 27 décembre 1822, capital : fl. 67,292,000

« Loi du 3 mars 1822, capital : fl. 12,603,000.

« Du chef de ces différentes lois il serait imposé à la Belgique, en rectifiant l’erreur commise en 1831 au préjudice de la Hollande dans la défalcation de l’amortissement, une rente annuelle de 1,690,000 florins.

« On y ajouterait l’ancienne dette belge constituée et la part de la dette austro-belge : fl. 525,000.

Total : fl. 2,215,000.

« On pourrait prétendre, non sans raison, que ces deux millions deux cent quinze mille florins constituent la seule dette perpétuelle, liquide, que strictement la Belgique eût dû supporter.

« Toutefois, en faisant revivre une dette qui n’existait plus, dont le royaume des Pays-Bas n’a jamais rien porté à ses budgets, on frapperai en outre la Belgique, à la décharge de la Hollande, sous le titre de dette franco-belge, d’une annuité de 1,000,0000 de florins.

« Les avantages commerciaux, pour la navigation dans les eaux intéreiures de la Hollande, ont été évalués, en 1831, à 600,000 florins par an ; ils formeraient un tribut perpétuel de fl. 600,000.

« Qu’on remarque qu ce tribut, la Belgique serait dénuée de tout moyen de s’y soustraire, si la Hollande rendait illusoires les avantages commerciaux qui doivent en être le prix.

« D’un autre côté, pour déférer au désir de la cour de La Haye, et bien que l’on n’ait point constaté si, au lieu d’un passif, cette opération n’offrirait point à la Belgique un boni considérable, on n’admettrait point la liquidation du syndicat d’amortissement, et l’on mettrait de ce chef à la charge du gouvernement belge 1,185,000 florins.

« Total général : fl. 5,000,000.

« Il convient de ne point perdre de vue que, dans cette répartition, il n’est tenu aucun compte à la Belgique de ce dont elle aurait pu revendiquer le retour, savoir : du matériel de la marine militaire, des colonies, des sommes énormes supportées dans l’amortissement de la dette purement hollandaise pendant quinze années, et enfin de plusieurs autres sommes dont la Hollande profitera désormais seule, bien que la charge ait été commune.

« Le soussigné doit terminer en déclarant que la Belgique ne saurait se soumettre au chiffre de cinq millions de florins, en l’envisagent sous le rapport du droit et isolément ; mais il s’empresse d’ajouter qu’en rattachant cette question à celle du territoire, le gouvernement du roi, si l’on reconnaît son état de possession actuelle, n’hésiterait pas à accepter la dette ainsi fixée, et que même il serait disposé, dans ses vues de paix et de conciliation, à consentir une majoration. Il ajouterait à la rente de 5,000,000 de florins une somme capitale de 60,000,000 de francs, à payer immédiatement. »

Cette note fut portée à Londres par M. de Gerlache, commissaire du gouvernement, lequel avait été complètement initié à sa pensée sur le système transactionnel et les moyens de faire admettre ce système par la conférence.

M. le comte de Mérode, ministre d’état, fut chargé de se rendre à Paris pour appuyer notre proposition, conjointement avec M. le comte Le Hon, auprès du gouvernement de S.M. le roi des Français.

La note, qui pris la date du 14janvier, fut officiellement remise le 13 à lors Palmerston qui, depuis le début des négociations, servait d’intermédiaire entre la conférence et nous, par M. Van de Weyer, accompagné de M. de Gerlache.

Dans les jours qui précédèrent et ceux qui suivirent immédiatement, nos divers agents, tant à Paris qu’à Londres, appuyèrent de leurs démarches les plus actives le système transactionnel, ne négligeant point de faire ressortir les difficultés que présenterait l’occupation forcée des territoires cédés, et les embarras de toute nature qui arrêteraient la marche des puissances dans cette voie. M. Van de Weyer et M. de Gerlache virent successivement les plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne et de Prusse ; ils les trouvèrent également inébranlables.


On se rappelle que la signature de l’ambassadeur de France devait être apposée au protocole ouvert avant le 16 janvier. Elle ne le fut réellement que le 22.

Le 23, notre plénipotentiaire reçut :

1° Une note accompagnant deux projets de traité : Traité entre S.M. le roi des Belges et S.M. le roi des Pays-Bas ; Traité entre les cinq puissances et S.M. le roi des Belges, avec une annexe ;

2° Une note adressée à M. Dedel (annexe II). »

Cet envoi comprenait en outre une réponse de la conférence à la note du 14, réponse ainsi conçue :

« Les soussignés, plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie ont pris connaissance de la note que M. le plénipotentiaire de S.M. le roi des Belges leur a fait l’honneur de leur adresser, le 14 du courant ; ainsi que des trois mémoires séparés dont cette pièce est accompagnée. La note du 14 propose une somme d’argent à payer à S.M. le roi des Pays-Bas comme équivalent des territoires que la Belgique est tenue de restituer à ce souverain, en vertu du traité du 15 novembre 1831, soit pour être possédés par lui comme grand-duc du Luxembourg, soit pour être réuni au royaume des Pays-bas.

« Les soussignés observent à ce sujet que les déterminations annoncées à la conférence de la part de la confédération germanique, dont les droits sont reconnus par les puissances, s’opposent à la prise en considération de cette proposition.

« Quant au contenu des trois mémoires joints à la note de M. le plénipotentiaire de S.M. le roi des Belges, les soussignés doivent se référer à la teneur des propositions pour un arrangement définitif, qu’ils ont adressés à M. le plénipotentiaire de S.M. le roi des Belges, en date de ce jour.

« Les soussignés prient le plénipotentiaire de S.M. le roi des Belges de porter la présente note, contenant leur réponse, à la connaissance de son gouvernement.

« Ils saisissent cette occasion pour avoir l’honneur de renouveler à Son Exc. L’assurance de leur haute considération.

« Senfft, Sébastiani, Palmerston, Bulow, Pozzo di Borgo. »

Telle est, messieurs, la dernière communication parvenue au gouvernement du roi.

Proposition de passer à l'ordre du jour

M. A. Rodenbach – Je demanderai l’impression du rapport et de tous les documents politiques. En outre je demanderai que le cabinet nous fasse connaître ses intentions, nous dise quelle résolution il a prise, quelle attitude il compte prendre. Je ne demande pas que le gouvernement fasse immédiatement cette communication, mais qu’il fixe le jour où il la fera à la chambre.

M. Gendebien – J’ai demandé la parole pour faire la même demande, la même observation que vient de faire l’honorable M. A. Rodenbach.

Il résulte, ce me semble, de la communication qui vient de vous être faite que les négociations sont à leur terme. On nous communique un long rapport. A la suite du rapport on dépose des traités. Il me semble qu’il est du devoir du gouvernement de prendre couleur ; il est plus que temps que le gouvernement nous dise quelle est son opinion. Nous avons le droit d’exiger une conclusion ; car toutes les négociations sont faites sous la responsabilité du gouvernement, du ministère. Il convient donc que le ministère prenne des conclusions et que nous sachions s’il entend accueillir ou rejeter ces traités. Ce n’est pas que, pour mon compte, j’aie besoin de connaître son opinion pour savoir quel parti j’ai à prendre. Chacun le devine ; mais à chacun sa responsabilité. Que le ministère dise donc maintenant quelle attitude il compte prendre. Il nous est impossible de nous préparer à la discussion si nous ne savons pas d’avance ce que nous avons à combattre.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Vous savez, messieurs, par expérience, qu’aucun membre du cabinet ne décline la responsabilité de son opinion dans les affaires soumises à la chambre ; mais ici nous ne considérons pas l’affaire comme soumise à la chambre. Je pense que les négociations ne doivent pas être considérées comme terminées. Je pense qu’il y a encore certaines ouvertures. C’est par ce motif que je demande à m’abstenir pour le moment d’exprimer une opinion.

M. Gendebien – C’est cela, jusqu’à ce qu’on ait acquis une majorité dans la chambre. Alors on ira loin.

- La chambre consultée ordonne l’impression et la distribution du rapport présenté par M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur.

M. le président – La chambre a maintenant à fixer le jour de la prochaine séance

Plusieurs membres – A lundi !

D’autres membres – A mardi !

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je serai obligé de faire demain la même communication au sénat. Après le travail naturellement fatigant auquel j’ai dû me livrer, j’aurais désiré avoir un jour ou deux de repos. Je désirerais donc que la prochaine séance fût fixée à mardi.

Plusieurs membres – A mercredi !

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Soit, à mercredi. Je crois en effet que ce serait préférable.

M. Dumortier – Nous sommes aujourd’hui dans une des circonstances les plus graves dans lesquelles un pays puisse se trouver. De l’attitude que vous allez prendre peut dépendre l’avenir de la patrie. Vous venez d’entendre le rapport de M. le ministre des affaires étrangères. Vous voyez quelle a été la suite des négociations, vous voyez quelle en est l’issue. Il y aurait beaucoup à dire sur ce point, mais ce n’est pas le moment de nous expliquer sur la marche des négociations, sur tout ce qui a été fait. Il faut maintenant que la Belgique se montre unie, forte, résolue à maintenir la position qu’elle a prise dans les adresses présentées au roi par les deux chambres.

Messieurs, le jour qui nous rassemble est un jour solennel pour l’histoire de la Belgique. Il y a aujourd’hui huit ans qu’en présence de circonstances analogues, lorsque la conférence voulait nous enlever nos frères, et nous imposer une dette que nous n’avions pas contractée, le congrès national a protesté à la face de l’Europe contre le morcellement du territoire, et l’Europe a reculé devant la protestation du congrès. Il y a précisément aujourd’hui huit ans que dans cette même salle le congrès a ainsi protesté pour le maintien des droits du pays : serons-nous infidèles aux errements de nos devanciers ; consentirons-nous à abandonner nos frères ; renierons-nous lâchement le langage de l’adresse que nous avons faite il y a quelques mois, et qui a exprimé les vœux de l’unanimité de cette assemblée ? Organes comme nous des vœux du peuple belge, tous les conseils provinciaux, toutes les régences ont exprimé les mêmes sentiments. Le pays a été unanime pour demander le maintien de notre indépendance et de l’intégrité du territoire. Dans de pareilles circonstances nous devons nous montrer calmes et modérés, et prendre aux yeux de l’Europe une attitude noble et ferme. Je crois donc que puisque le gouvernement n’a pas de conclusions à soumettre à la chambre, il convient que la chambre reprenne son ordre du jour. Mais, en reprenant l’ordre du jour, faut-il ne rien dire ? faut-il laisser croire à l’Europe que ce silence signifie que nous sommes prêts à abandonner nos droits et à revenir sur le langage que nous avons tenu dans notre adresse ? Non, dans doute, messieurs ; nous devons adopter un ordre du jour motivé, qui ne soit injurieux ni pour le ministère, ni pour la conférence, ni pour qui que ce soit, mais qui soit motivé sur le fait que notre adresse est là, que nous y adhérons, et que nous laissons au gouvernement le soin de continuer les négociations. C’est dans ce sens que j’ai déposé sur le bureau une proposition d’ordre du jour motivé. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président – Je déclare que si ces manifestations se renouvellent, je ferai évacuer les tribunes.

La proposition suivante a été déposée sur le bureau :

Les soussignés ont l’honneur de faire la proposition suivante :

« La chambre des représentant après avoir entendu le rapport du gouvernement :

« Considérant que, par son adresse du 17 novembre dernier, elle a exprimé sa volonté irrévocable de conserver l’honneur national et l’intégrité du territoire et qu’elle autorisé des négociations dans ces vues, reprend son ordre du jour.

« Fait au palais de la Nation, le 1er février 1839.

« Signé : B.-C. Dumortier, Gendebien, Lecreps, Dechamps, Lejeune, Doignon, Corneli, d’Hoffschmidt, de Renesse, Vandenbossche, de Meer de Moorsel ; Metz, Berger, Pollénus, Raymaeckers, Beerenbroeck, Scheyven, Andries, Heptia, de Puydt, Desmet, Pirson, Zoude, Thienpont, Frison, de Man d’Attenrode, Simons, de Roo, Jadot, de Longrée, Vanhoobrouck de Fiennes, Vergauwen, Seron. »

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je proposerai à la chambre, en invoquant précisément les motifs qu’a fait valoir l’honorable M. Dumortier, de ne pas voter immédiatement sur cette proposition. Il a dit que, dans les circonstances présentes, la chambre, devait montrer du calme, de la dignité. Or, je trouve que la chambre ne ferait preuve ni de calme, ni de dignité, en adoptant sans discussion une proposition d’ordre du jour, à la suite d’une communication faite au nom du gouvernement et résumant une longue série de négociations entre la Belgique et les cinq puissances. Je crois même qu’il y aurait quelque chose d’offensant dans un procédé de cette nature. (Dénégations de la part de plusieurs membres). San doute cela aura échappé à l’honorable M. Dumortier ; et bien que tel ne soit pas l’esprit de sa proposition, elle n’en serait pas moins comprise ainsi. C’est ici une question d’appréciation. Je pense que la proposition qui vous est faite serait considérée comme ayant quelque chose d’offensant et qu’elle ne dénoterait pas le calme et la dignité qu’on vous recommande.

Je crois qu’il y a lieu d’ajourner la proposition, sauf si on le désire, à la reprendre lors de la prochaine séance.

M. Gendebien – La dignité de la chambre, la dignité du pays ne consiste pas à chercher à plaire à des hommes qui ont entassé injustices sur injustices, iniquités sur iniquités depuis huit ans. La dignité de la nation aujourd’hui consiste à exposer nettement ces vérités. Elle en a le droit ; c’est pour elle un devoir. On ne sacrifie pas à de prétendues formes de convenances une nation généreuse, une nation de 4 millions d’hommes unanime pour se défendre.

Ce qui adviendra de la dignité, à la manière dont l’entend le ministre de l’intérieur, ce qui adviendra ? une nouvelle mystification ajoutée à tant d’autres mystifications. On mollira les courages ; on exagérera les dangers ; on exagérera la détresse de la nation et la lassitude de l’armée ; et lorsqu’on se sera formé une majorité dans la chambre, alors on trouvera que la dignité de la nation est satisfaite ; elle n’aura plus rien à craindre de la susceptibilité des puissances, mais alors on sacrifiera impunément les Luxembourgeois et les Limbourgeois ! Voilà où l’on veut en venir.

C’est ainsi qu’on a procédé en 1831, lorsqu’on nous a imposé les 18 articles ; c’est ainsi qu’on veut procéder en 1839 pour consommer l’œuvre d’iniquité.

Quant à moi, je proteste hautement, et le plus énergiquement qu’il soit possible, contre toute hésitation, contre toute lenteur, à prendre une résolution qui est la seule digne de la nation. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président – Les bons citoyens doivent montrer du calme dans les circonstances actuelles ; ce n’est pas en cherchant à influencer la chambre dans un sens ou dans un autre qu’on peut sauver le pays.

M. Dumortier – Je pense, messieurs, que M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur n’a point compris la motion que j’ai eu l’honneur de faire avec mes honorables amis ; cette motion, je l’ai dit et je le répète, n’a rien, absolument rien d’offensant ni d’hostile ni contre le gouvernement, ni contre la conférence, ni contre qui que ce soit ; ce que nous proposons à la chambre, c’est de déclarer qu’elle veut s’en tenir aux termes de son adresse au roi, qu’elle entend persévérer (et ce mot a eu du retentissement dans le pays), qu’elle entend persévérer avec courage dans la voie où elle est entrée. Il n’y a donc ici aucun motif ni d’écarter ni d’ajourner la proposition. Quel est celui d’entre vous, messieurs, qui voudrait renoncer au système que la chambre des représentants tout entière a adopté ; quel est celui qui voudrait dévier de cette unanimité qui a été jusqu’ici le palladium de notre indépendance, de l’intégrité de notre territoire ?

La proposition que nous avons l’honneur de faire à la chambre n’a donc, je le répète encore, absolument rien d’hostile ni contre le gouvernement, ni contre la conférence, ni contre qui que ce soit, et je proteste en mon nom et au nom de mes honorables amis contre toute interprétation dans ce sens. Après une déclaration aussi formelle, je ne pense pas que le gouvernement puisse insister dans son opposition.

D’ailleurs, messieurs, en quels termes le congrès national a protesté, il y a aujourd’hui huit ans, contre le morcellement du territoire ? Je me permettrai de vous donner lecture de la résolution prise par cette assemblée, le 1er février 1831.

« Au nom du peuple belge

« Le Congrès national,

« Vu l’extrait du protocole, n°11, de la conférence tenue au Foreign-Office, le 20 janvier 1831, communiqué à l’assemblée le 29 janvier, et relatif aux limites de la Belgique ;

« Considérant que les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis à Londres, en proposant au gouvernement provisoire de la Belgique la conclusion d’une suspension d’armes et d’un armistice, ont formellement déclaré, dans le protocole du 4 novembre 1830, que leur seul but est d’arrêter l’effusion du sang, sans préjudicier en rien les questions dont ils auraient plus tard à faciliter la solution ;

« Que le gouvernement provisoire de la Belgique, en consentant à la suspension d’armes et en acceptant la proposition d’armistice, a également déclaré, dans ses actes du 10 et du 21 novembre, et du 18 décembre 1830, ne considérer la mission de la conférence que comme toute philanthropique et n’ayant pas but que d’arrêter l’effusion du sang, sans préjudice à la solution des questions politiques et territoriales ;

« Que, dans tous les actes ultérieurs et notamment dans la réponse faite le 16 janvier au protocole du 9 du même mois, le gouvernement belge a rappelé à la conférence que toute convention dont l’effet serait de résoudre les questions du territoire ou de finances, ou bien d’affecter l’indépendance ou tout autre droit absolu de la nation belge, est essentiellement dans les pouvoirs du congrès national de la Belgique, et qu’à lui seul en appartient la conclusion définitive ;

« Que c’est dans ce sens que les instructions ont été données aux commissaires délégués à Londres ; qu’aussi ces derniers, dans la note remise à la conférence le 6 janvier, et dont il leur a été accusé réception, ont déclaré, en fournissant des éclaircissements sur les limites de la Belgique, et en faisant connaître les uniques bases sur lesquelles on pourrait voir s’établir un traité ; que toute les questions de cette nature ne pouvaient être décidées que par le congrès national, à qui seul en appartient le droit ;

« Qu’il résulte de ces documents que c’est dénaturer le but de la suspension d’armes et de l’armistice, et la mission de la conférence de Londres, que d’attribuer aux cinq puissances le droit de résoudre définitivement des questions dont elles ont annoncé elles-mêmes vouloir seulement faciliter la solution, et dont, à leur connaissance, le congrès belge ne s’est jamais dessaisi ;

« Que, d’ailleurs, c’est violer, de la manière la plus manifeste, le principe de la non-intervention, principe fondamental de la politique européenne, et pour le maintien duquel la France et la Grande-Bretagne notamment ont pris l’initiative dans les occasions les plus solennels ;

« Considérant que ce n’est point par un système de conquête et d’agrandissement que le peuple belge comprend dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l’Escaut, mais en vertu du droit de postliminie ou par suite de cessions ;

« Qu’en effet le grand-duché de Luxembourg et la majeure partie du Limbourg ont appartenu à l’ancienne Belgique, et se sont spontanément associés à la révolution belge de 1830 ;

« Qu’en 1795, et postérieurement, la Hollande a fait cession de la rive gauche de l’Escaut, et de ses droits dans le Limbourg, contre des possessions dont elle jouit actuellement et qui appartenaient à l’ancienne Belgique,

« Déclare :

« Le congrès proteste contre toute délimitation de territoire et toute obligation quelconque qu’on pourrait vouloir prescrire à la Belgique, sans le consentement de sa représentation nationale.

« Il proteste dans ce sens contre le protocole du 20 janvier, en tant que les puissances pourraient avoir l’intention de l’imposer à la Belgique, et s’en réfère à son décret du 18 novembre 1830, par lequel il a proclamé l’indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique.

« Il n’abdiquera, dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, l’exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confiée ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et mutilerait la représentation nationale ; il réclamera toujours de la part des puissances étrangères le maintien du principe de la non-intervention.

« Le pouvoir exécutif est chargé de rendre publique la présente protestation, laquelle sera transmise à la conférence de Londres. »

Voilà, messieurs, en quels termes le congrès national a protesté contre une résolution de la conférence de Londres qui voulait nous arracher des frères et nous imposer une dette que nous n’avons pas contractée. Je ne viens point vous proposer une protestation semblable ; c’est au gouvernement de voir quelle est la marche à suivre pour maintenir le bon droit de la Belgique ; c’est au gouvernement de diriger ses efforts de la manière qu’il croit la plus efficace pour atteindre ce résultat. Quant à nous, ce que nous devons faire c’est d’être fermes et de ne pas désespérer de notre salut, et pour mon compte, je l’ai souvent déclaré dans cette assemblée et je le déclare encore, aussi longtemps que je verrai le drapeau brabançon flotter sur un seul clocher de la Belgique, je ne désespérerai pas de l’avenir de la patrie. Mais pour prouver que nous ne désespérons pas de l’avenir de la patrie, il faut savoir prendre une résolution, il faut savoir se prononcer aujourd’hui où notre décision peut avoir de l’effet à l’intérieur et à l’extérieur.

A l’intérieur, messieurs, il est nécessaire de tranquilliser la nation qui a des inquiétudes sérieuses sur les intentions du gouvernement ; eh bien, que le gouvernement s’associe à notre proposition, et la nation sera satisfaite ; que le gouvernement s’associé à notre proposition, et les gouvernements étranger verront de nouveau qu’il y a unanimité dans les chambres et dans le pays pour maintenir nos droits, pour ne pas abandonner des frères qui ont fait la révolution avec nous et qui ont le même droit que nous de rester Belges.

Je pourrais aller plus loin, messieurs, mais je pense que ce que je viens de dire suffit pour démontrer qu’il n’y a rien, absolument rien d’hostile dans la proposition que nous avons faite à la chambre. Je proteste de nouveau, en mon nom et au nom de mes honorables amis, contre toute interprétation qui tendrait à donner à cette proposition le moindre caractère d’hostilité contre qui que ce soit.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai encore une courte observation à soumettre à la chambre. De quel œil eussiez-vous, messieurs, envisagé la conduite de la conférence de Londres, si lorsque la note dont je vous ai donné lecture tout-à-l’heure lui a été remise, elle eût à l’instant même retourné cette note à notre envoyé, avec une sorte de protestation ? je pense que nous n’eussions reconnu dans ce procédé aucune espèce de dignité, aucune espèce de respect pour les formes qui s’observent dans les rapports internationaux. Ici, messieurs, veuillez bien le remarquer, il ne s’agit point de vous soumettre une proposition : le gouvernement vous a seulement fait connaître qu’il a reçu une proposition, mais il ne vous l’a pas soumise.

Je dis donc que la mesure proposée par l’honorable M. Dumortier et d’autres membres de la chambre me paraît une mesure précipitée, et dans laquelle je ne vois ni la dignité ni les formes que l’on doit observer en de semblables circonstances ; je n’hésite pas à déclarer que non seulement je voterai l’ajournement que j’ai proposé, mais que si l’ajournement était écarté, je ne balancerais pas un seul instant à voter contre la proposition elle-même.

M. le ministre de la justice (M. Ernst) – Je regrette vivement, messieurs, que l’honorable M. Dumortier ait soumis à la chambre la proposition qui nous occupe, et qui sera bien loin d’atteindre le but que l’honorable membre se propose. Cette proposition ne peut avoir d’autre résultat que de nous diviser, et si je pouvais exercer quelqu’influence sur l’honorable M. Dumortier, je l’engagerais à la retirer. Je suis aussi porté, messieurs, que qui que ce soit pour la conservation de l’intégrité du territoire ; cependant je voterai, si elle est mise aux voix, contre la motion ; par les motifs que M. le ministre des affaires étrangères vient de développer.

Je voterai donc d’abord l’ajournement, mais je proteste en même temps contre les motifs qu’un honorable député a supposés à cet ajournement : l’ajournement je le voterai par les raisons toutes simples qu’a données M. le ministre des affaires étrangères et que les honorables membres de la chambre comprendront aisément.

M. F. de Mérode – Je demande la parole.

Un membre – Est-ce comme ministre ?

M. F. de Mérode – c’est comme député.

Messieurs, sans désapprouver la proposition, je crois qu’il y a quelque chose de plus utile.

Nous avons fait jusqu’aujourd’hui des déclarations suffisamment explicites sur nos intentions. Il est superflu de les renouveler. C’est par des actes de persévérance particulièrement que nous devons procéder, si nous voulons sincèrement une prolongation de résistance efficace. La résistance est coûteuse, elle exige des dépenses considérables. Le trésor public, soutien des armements, doit être alimenté tout autrement que pendant les années paisibles.

Je le dis donc de nouveau, c’est par la création de ressources financières supérieures que nous devons répliquer à des exigences injustes que nous ne voulons pas subir. Je propose donc de créer ces ressources, et, pour mon compte, je suis prêt à payer double contribution pour les propriétés que je possède en dehors même du territoire belge, et à verser cette seconde part, égale à la première, dans les caisses de l’état belge.

Voilà, messieurs, la meilleure manière de défendre notre cause. Quant aux paroles énergiques, elles ont fait leur temps. Remplaçons-les par des actes généreux, et rien n’est perdu.

M. Gendebien – Eh bien, agissez !

M. F. de Mérode – Ce sont des actes que je proposerai. D’ici à la prochaine séance je m’entendrai avec d’honorables amis pour formuler un projet que je me contente d’indiquer aujourd’hui

Je voterai donc contre une proposition qui n’aboutit qu’à des paroles.

M. Dechamps – Les signataires de la proposition qui vous est soumise en ce moment sont loin, messieurs, de vouloir diviser la chambre ; bien au contraire : leur but est d’unir, car il nous a paru que la portée de la résolution que nous proposons ne devait échapper à personne, et nous ne nous sommes nullement attendu à l’interprétation que M. le ministre vient d’y donner. Elle est toute simple : M. le ministre des affaires étrangères vient de nous dire lui-même qu’il ne formule aucune proposition, qu’il n’a fait qu’un simple rapport. Eh bien, messieurs, quelle discussion voulez-vous entamer sur ce terrain-là ? Les signataires de la proposition ont voulu deux choses : ils ont voulu d’une part que la chambre conservât l’attitude qu’elle a prise, ils ont voulu que la chambre restât fidèle à ses adresses ; d’un autre côté, ils ont voulu laisser au gouvernement les mains parfaitement libres, ils n’ont voulu le gêner en aucune manière.

En effet, messieurs, en déclarant que la chambre s’en rapporte à l’adresse qu’elle a votée, que font-ils autre chose que de déclarer que les négociations futures doivent avoir pour base l’intégrité du territoire ? Or, messieurs, y a-t-il quelqu’un parmi nous qui veuille rétracter l’adresse que nous avons faite ? Eh bien, nous voulons que le gouvernement reste absolument dans la position où il se trouvait après le vote de nos adresses, nous voulons que la chambre ne révoque pas ce qu’elle a décidé avec tant de solennité. Voilà, messieurs, quel est le but des signataires de la proposition ; ils veulent, je le répète, laisser le gouvernement entièrement libre de juger si l’heure est venue de rompre toutes les négociations et de protester contre les bases qu’on nous propose, ou bien si le moment est arrivé d’ouvrir de nouvelles négociations. En adoptant la motion qui lui est soumise, la chambre ne prend pas une attitude nouvelle : le gouvernement ne se trouve pas dans une position nouvelle. Nous sommes précisément dans la position où nous nous sommes trouvés après le vote de nos adresses. Nous ne compromettons rien ; nous adoptons une attitude de dignité et de calme. Il est hors de doute, messieurs, que ni la conférence, ni les cinq puissances signataires des propositions qui nous sont soumises, ne pourront s’en trouver offensées.

Je supplie donc le gouvernement de revenir sur la décision qu’il a cru devoir prendre, parce que je pense qu’il n’a pas suffisamment apprécié la portée de la proposition que nous avons déposée sur le bureau.

M. Dumortier – Messieurs, notre intention n’est nullement de semer la division dans cette chambre. Comme j’ai eu l’honneur de le déclarer, nous avons au contraire pour seul et unique but de maintenir l’union qui fait notre force depuis longtemps. Puisque M. le ministre de la justice pense que le meilleur moyen d’entretenir cette union est d’ajourner jusqu’à mardi le vote sur cette motion, je consens volontiers à cet ajournement.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai à faire une seule observation : c’est que la chambre avait décidé qu’elle n’aurait pas de séance avant mercredi prochain. Eh bien, si l’honorable M. Dumortier persiste de sa proposition, je demande qu’elle soit discutée mercredi.

M. Gendebien – Messieurs, qu’on remette la séance à mardi ou à mercredi, peu m’importe, ce que je veux, ce que j’ai le droit de savoir, c’est si le gouvernement a une opinion, s’il nous présentera des conclusions, si nous saurons, en un mot, sur quoi nous aurons à discuter. Il n’entre sans doute dans l’intention de personne de borner la discussion à l’examen purement historique de la série des 85 ou 90 protocoles dont la conférence nous a accablés. Ce serait du temps perdu, et pas autre chose. Mais qu’une bonne fois on prenne une attitude convenable ; qu’on ne renouvelle plus le scandale dont nous avons été témoins et victimes à l’époque des dix-huit articles. Alors aussi, messieurs, l’on est venu nous soumettre les propositions de la conférence, sans formuler de conclusions : aucun membre du cabinet n’avait osé prendre sous sa responsabilité d’en présenter. Ce ne fut qu’après un délai de plusieurs jours que le cabinet prit couleur, alors qu’une majorité s’était prononcée, grâce à d’infâmes intrigues.

Messieurs, je crains tout, quand je me rappelle le passé ; j’ai le droit d’être exigeant maintenant, et il est de mon devoir de l’être, parce que mes commettants ne me pardonneraient pas de m’être laissé leurrer une seconde fois.

Je demande donc formellement si le ministère proposera des conclusions, et en cas d’affirmative, à quelle époque il les communiquera à la chambre.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je m’expliquerai à cet égard dans la séance de mercredi.

M. Gendebien – On veut arriver au même but qu’en 1831 ; l’on y arrivera.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.