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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 janvier 1839

(Moniteur belge du 23 janvier 1839, n°23)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adresséees à la chambre

M. Scheyven communique à la chambre l’analyse des diverses pièces qui lui sont adressées :

« Le sieur J.-L. Van Gallebaert, boulanger à Bruxelles, demande que la chambre s’occupe de la loi relative aux indemnités. »


« Les sieurs P. Engel et M. Wever, cultivateurs à Bruch (Luxembourg), demandent l’autorisation de construire chacun une habitation sur la frontière d’Escheveiller, commune de Rodenbourg. »


« Le sieur C. Willems, saunier à Desselghem, adresse des observations sur la loi relative aux sels. »


« Des négociants en bois, de Bruxelles, adressent des observations sur le projet de loi relatif aux bois étrangers. »


« Quatre légionnaires de Philippeville demandent que la chambre s’occupe de la question qui les concerne. »


M. le président – La pétition relative aux bois étrangers et celle concernant les légionnaires resteront déposées sur le bureau pendant la discussion des projets de loi sur ces objets.

- Les autres pétitions seront renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi sur le duel

Rapport de la section centrale

M. Liedts dépose le rapport de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur le duel.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Projet de loi sur les chemins vicinaux

Rapport de la section centrale

M. Heptia dépose un rapport supplémentaire sur la loi concernant les chemins vicinaux.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

Projet de loi qui autorise la perception, par anticipation, de la contribution foncière de 1839

Communication du gouvernement

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, l’attitude menaçante que vient de prendre l’armée hollandaise en concentrant et renforçant les troupes près de nos frontières, a mis le gouvernement dans la nécessité de rappeler un certain nombre de permissionnaires sous les armes, et de faire cantonner et camper un partie de nos forces militaires.

Il résulte de cet état de choses dont on ne saurait prévoir la durée, qu’à l’inverse de ce qui se pratiquait les années précédentes, les dépenses du département de la guerre se trouveront nécessairement beaucoup plus considérables pendant les mois d’hiver qu’elles ne l’étaient durant l’été.

Vous n’ignorez pas, messieurs, que la mise en recouvrement des rôles des impôts directs ne peut ordinairement avoir lieu qu’un certain temps après le commencement de l’année, en sorte que les trois premiers mois de l’exercice sont presque toujours très peu productifs dans la perception des impôts.

Ces considérations, messieurs, qu’appuient les règles de la sévère prudence qui doit diriger le gouvernement dans les circonstances actuelles, l’ont déterminé à venir vous demander de rendre exigible, dès la promulgation de la loi dont je vais vous soumettre le projet, la contribution foncière des six premiers mois de l’année. La simple anticipation qui sera ainsi réclamée des contribuables ne saurait les gêner sérieusement, parce que nous sommes arrivés au moment le plus convenable pour la vente des céréales, et, d’un autre côté, le trésor se trouvera ainsi mis en position de pourvoir aux dépenses ordinaires et extraordinaires que l’intérêt et la sûreté du pays commanderont.

« Projet de loi,

« Léopold, Roi des Belges

« A tous présents et à venir, salut.

« De l’avis de notre conseil des ministres.

« Nous avons chargé notre ministre des finances de présenter, en notre nom, à la chambre des représentants, le projet de loi dont la teneur suit :

« Article unique. Le gouvernement est autorisé à percevoir, par anticipation, les six premiers douzièmes de la contribution foncière de l’exercice 1839.

« Cette perception aura lieu, soit provisoirement, d’après les rôles de 1838, soit définitivement, d’après ceux de 1839.

« La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation.

« Donné à Bruxelles, le 22 janvier 1839.

« Léopold.

« Par le Roi : le ministre des finances, E. d’Huart. »

M. le président – Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.

Quelques membres – Aux voix ! La discussion immédiate.

D’autres membres – Le renvoi à une commission !

La chambre renvoie le projet présenté à M. le ministre des finances, à une commission à nommer par le bureau.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président – Nous avons à l’ordre du jour le projet de loi sur les chemins vicinaux, celui sur les bois étrangers, et le projet concernant les légionnaires. Par quel objet veut-on commencer ?

M. Lebeau – On vient de déposer le rapport sur les observations faites par les conseils provinciaux sur le projet de loi concernant les chemins vicinaux ; il est impossible que nous nous engagions dans une discussion aussi grave sans avoir entendu les autorités à l’avis desquelles vous avez renvoyé le projet, sans avoir pris connaissance de l’opinion de la section centrale sur l’ensemble des observations de ces autorités.

Je demande qu’on ajourne la discussion jusqu’à l’impression du rapport de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Avant de prononcer sur la motion de l’honorable préopinant, il conviendrait, ce me semble, de prier M. le rapporteur de donner lecture de son rapport ; on verra s’il est tel que la discussion doive être ajournée, et quelle doit être la durée de l’ajournement.

M. Lebeau – Une autre objection à faire à la discussion immédiate, c’est que les procès-verbaux des conseils provinciaux viennent seulement de nous être distribués ; quelques membres même, et je suis de ce nombre, ne les ont reçus que ce matin.

Comment voulez-vous qu’on ait pu se former une opinion sur des observations qui entrent dans les détails, dans le cœur de la loi ? Je demande que, sans rien préjuger, on ordonne l’impression du rapport, se réservant de statuer après sur la mise à l’ordre du jour du projet de loi.

M. le président – La lecture peut avoir lieu sans rien préjuger.

M. Heptia, le rapporteur est invité à donner lecture de son rapport. (Nous donnerons ce rapport dans un prochain numéro.)

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Après la lecture d’un rapport assez long, je pense que la chambre ne sera pas disposée à entamer immédiatement la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux ; mais je pense qu’il serait désirable de fixer la discussion à jeudi. On aura le temps de prendre connaissance des documents qui ont été distribués et du rapport de la commission.

- La chambre fixe à jeudi la discussion du projet de loi et du nouveau rapport sur les chemins vicinaux.

Prise en considération d'une demande en naturalisation

M. le président – Voici le rapport de la commission.

« Messieurs,

« Par requête du 4 avril 1831, M. le général Mellinet demande au congrès qu’il veuille confirmer son titre de citoyen belge.

« A cette époque il n’existait pas de loi sur les naturalisations, et s’il pouvait s’élever aujourd’hui quelque doute sur la nature de la demande, il disparaîtrait devant une déclaration subséquente, en date du 20 octobre 1836, par laquelle le général a fait connaître qu’il persiste dans la demande qu’il a adressée, en avril 1831, au corps législatif, pour l’obtention de la grande naturalisation en Belgique.

« Une brochure ayant pour titre ; « Notice biographique sur le général Mellinet », porte que : Mellinet, Antoine-François, est né à Corbeil (Seine-et-Oise), le 29 août 1768.

« Dans les deux premières pièces citées plus haut, le général expose qu’après la bataille de Waterloo, à l’époque de laquelle il commandait la jeune garde, une ordonnance royale de Louis XVIII, du 24 juillet 1815, l’a compris parmi les illustres généraux exilés, Carnot, Clauzel, Lamarque, Soult, Gérard… ; que, réfugié à Bruxelles, depuis cette époque, il n’a cessé, par ses écrits et tous ses moyens, de servir la cause libérale ;

« Qu’aux glorieuses journées de septembre, l’artillerie de Bruxelles et de Liége, abandonnée de ses chefs et dépourvue de munitions de guerre, invoque son expérience et son civisme ; qu’il se dévoue soudain au salut de ses camarades ; que, le feu cessant, il trouve, dans l’intervalle d’un jour de combat à un autre, de nouveaux moyens de vaincre, et enfin, par des efforts multipliés, à repousser l’ennemi, dans la mémorable journée du 26 septembre ; qu’à ce premier fait d’armes, unique dans les fastes militaires, succèdent les victoires de Walhem, Contich, Vieux-Dieu, Berchem, Anvers et les glorieux combats en avant de Maestricht ; que rien ne lui a paru impossible pour assurer le triomphe de la nation et mériter la confiance dont elle l’a investi ; que les services qu’il a rendus à la patrie, sa participation éminente à la conquête de l’indépendance nationale, sont connus de toute la Belgique et de l’Europe ; que, toujours avare du sang des citoyens-soldats, mais prodigue de sa personne et de ses deniers, son dévouement à la nation est attesté par une abnégation qui s’étend jusque sur son avenir ; qu’on ne peut douter de l’importance et du prix qu’il attache au titre et aux droits de citoyen belge ; que son souhait le plus profond est d’achever une longue et honorable existence dans la cité de Bruxelles, dont les citoyens ne cessent de l’honorer de leur estime et de leur affection.

« Les rapports qui se trouvent au dossier n’entrent pas dans le détail des faits d’armes cités par le général ; ils se bornent à dire à ce sujet que la part active qu’a prise le général Mellinet aux glorieux combats de la révolution, est de notoriété publique. »

- Il est procédé à l’appel nominal sur la prise en considération de cette demande.

En voici le résultat :

Nombre de votants : 81.

Boules blanches : 48.

Boules noires : 33.

En conséquence, la demande en grande naturalisation du général Mellinet est prise en considération par la chambre. Cette décision sera transmise au sénat.

Projet de loi, amendé par le sénat, majorant les droits sur les bois étrangers

Discussion générale

M. le président – Le projet de loi qui vous a été transmis par le sénat a été adopté par la section centrale.

La parole est à M. Donny.

M. Donny – Messieurs, je viens m’opposer à l’amendement que le sénat a introduit dans la loi sur les bois étrangers. Je repousse cet amendement, d’abord parce que les motifs sur lesquels on s’est appuyé me paraissent dénués de fondement, ensuite parce que cet amendement me paraît contraire à l’intérêt général, et enfin parce qu’il doit préjudicier considérablement aux intérêts du commerce maritime. J’ai dit d’abord que les motifs sur lesquels on s’était appuyé étaient dénués de fondement. En effet, quel est le principal de ces motifs ? Il faut, nous dit-on, réserver à la Belgique la main-d’oeuvre du sciage. Si, par là, l’on a voulu accorder une protection aux scieurs de long, je ferai remarquer que, de tous les ouvriers en Belgique, ces scieurs de fond sont peut-être les seuls qui soient certains d’avoir toujours de l’occupation et de retirer un salaire convenable, souvent même un salaire assez élevé. Si l’on a voulu au contraire protéger les scieries mécaniques, il y a à cet égard une distinction à faire entre les scieries éloignées de la côté, celle, par exemple, qui sont dans le Luxembourg, et celles qui sont dans les provinces maritimes.

Quant aux premières, il est évident qu’elles ne pourront recueillir de la loi aucun avantage, aucun bénéfice sensible, car aujourd’hui les planches que le Nord nous envoie sont consommées presque en totalité dans les provinces maritimes et dans les provinces limitrophes. Certainement les habitants de ces provinces ne feront jamais la folie d’envoyer les poutres dans la provinces du Luxembourg pour les y faire débiter en planches et les faire revenir ensuite.

Quant aux scieries mécaniques qui sont dans les provinces maritimes, je serais curieux d’en avoir le dénombrement et de savoir les lieux où elles se trouvent.

Il y a un demi-siècle, il y en avait une vingtaine dans les environs d’Ostende, mais depuis longtemps ces moulins n’existent plus ; ils ont disparu, mais non pas comme le dit la section centrale, par suite de la loi qui permet la libre entrée des bois étrangers, car, du temps de la république française beaucoup ont cessé de marché et à peu près le reste du temps de l’empire. Il n’existait plus qu’un seul petit établissement qui servait à scier des lattes, il a aussi disparu. Du côté d’Anvers, il existe encore deux ou trois moulins à scier ; j’ignore si on en a dans d’autres localités. Mais vous conviendrez qu’on ne peut pas raisonnablement faire une loi pour accorder une protection à trois ou quatre moulins à scier.

Je sais que la section centrale est d’opinion que si l’amendement est adopté, il s’établira des moulins dans des endroits où il n’y en a pas. Je conçois qu’on fasse une loi pour faire naître une industrie capable de contribuer puissamment à la prospérité du pays. Mais je ne puis concevoir qu’on porte une loi pour faire surgir au plus trois ou quatre moulins à scier.

L’on vous dit encore qu’il y a en Belgique un assez grand nombre d’ouvriers sans travail, et que l’amendement dont il s’agit doit avoir pour résultat d’améliorer leur position. Mais on a oublié de dire comment ce résultat sera atteint. On n’a pas l’opinion, je pense, qu’on peut prendre dans la rue le premier ouvrier inoccupé, le placer sur des tréteaux et en faire un scieur de long. Le sciage de long est un art qui n’est pas sans difficulté, qu’il faut apprendre, et auquel tout le monde n’est pas propre.

Si l’on a voulu dire qu’au moyen de l’amendement les scieries futures donneront de l’occupation aux ouvriers inoccupés, je ferai remarquer que les trois ou quatre scieries de plus qui surgiront n’emploieront qu’une vingtaine d’ouvriers, et que ce nombre ne mérite pas assez l’attention de la législature pour lui faire voter une loi qui doit bouleverser tout ce qui existe maintenant dans cette branche d’industrie.

Ainsi viennent de s’écrouler un à un tous les motifs qu’on a fait valoir à l’appui de la loi.

Si j’avais eu à motiver une loi semblable, je m’y serais pris d’une tout autre manière. Je l’aurais fait en signalant le seul résultat positif qu’elle peut avoir. J’aurais dit qu’il s’agit tout simplement d’accorder une faveur aux propriétaires de bois en Belgique ; et en m’exprimant ainsi, j’aurais dit la vérité.

J’ai dit que l’amendement est contraire à l’intérêt général. Si l’amendement est adopté, si le droit de 10 p.c. à la valeur est perçu intégralement, il est évident que les planches que le Nord nous envoie, enchériront. Il y aura enchérissement en raison des 10 p.c. qu’on veut nous faire voter, et à raison de la moindre abondance de bois. Ce renchérissement doit avoir pour résultat un ralentissement plus ou moins considérable dans les constructions qui se font en Belgique ; car vous savez qu’on ne peut faire de bonnes constructions qu’en employant les planches qui viennent du Nord. Cela est si vrai que le département des travaux publics, quand il a à faire exécuter des constructions où doivent entrer des planches de sapin, ne manque jamais de stipuler dans le cahier des charges qu’on emploiera des planches de sapin du Nord. Cette diminution de construction, résultat inévitable de l’amendement, s’il est adopté et exécuté, doit peser particulièrement sur les ouvriers, sur cette classe nombreuse qui trouve sa subsistance dans ce genre de travaux.

S’il en est ainsi, on peut dire que la loi serait en faveur de ceux qui ont de l’aisance au détriment de ceux qui n’en ont pas. Eh bien, une loi qui a ce caractère est évidemment contraire à l’intérêt général.

J’ai dit en troisième lieu que l’amendement doit causer un grand préjudice au commerce maritime. Rien ne me semble plus facile que d’établir cette troisième proposition. D’abord il est évident que lorsqu’on remplace un droit de balance par un droit de 10 p.c., par là même on apporte une entrave assez forte aux arrivages maritimes. C’est donc un préjudice qu’on cause au commerce ; et ne croyez pas que ce soit peu de choses.

D’après les renseignements qui me sont parvenus, l’amendement aurait pour résultat de diminuer d’un tiers l’importation du bois ; c’est là un avantage pour les propriétaires de bois, mais c’est au détriment du commerce maritime.

Il y a encore un préjudice plus grave qui doit résulter de l’amendement ; c’est celui-ci : Aujourd’hui le droit d’entrée est assis d’après le tonnage des bâtiments ; c’est un droit dont la perception est assurée par le gouvernement et dont la liquidation est facile pour le négociant ; il est impossible qu’il y ait fraude. On veut remplacer ce droit par un droit à la valeur, c’est-à-dire qu’on veut assujettir le consignataire à faire des déclarations contenant tous les éléments propres à assurer la perception à l avaleur. Il faudra qu’il indique le nombre et les dimensions des planches ; il faudra qu’il en fasse connaître les différentes espèces, et comme il y a beaucoup d’espèces de bois, sa déclaration sera très compliquée. S’il se trompe dans les éléments de sa déclaration, le navire et la cargaison seront confisqués ; cependant, il est inévitable qu’il se trompe, il se trompera par la force des choses. Les cargaisons de bois arrivant du Nord se composent de planches et de poutres de qualités, d’espèces et de dimensions différentes. Ces planches et poutres sont entassées dans le bâtiment d’une manière irrégulière, et à moins d’effectuer le déchargement du navire, il est impossible au consignataire de dire exactement ce qu’il renferme.

Quant aux papiers de bord que l’on pourrait croire suffisants pour établir la déclaration, ils sont encore en grand désordre. Quelques parties de planches sont désignées, quant à la dimension, par pieds anglais, d’autres par pieds d’Ostende, d’autres par mesure de Norwège, etc. Il faut donc, pour établir la déclaration, un travail long et difficile qui doit nécessairement entraîner des erreurs.

Je terminerai par une observation que je recommande spécialement à l’attention de M. le ministre des finances. En la présentant, je ne ferai, je pense, que reproduire les réflexions que ce haut fonctionnaire a déjà faites lui-même. Un droit à la valeur est un droit dont la perception n’est garantie que par la seule préemption. La préemption est un acte volontaire de la part du visiteur. Les visiteurs ne font cet acte que lorsqu’ils ont la certitude qu’il y aura bénéfice pour eux et qu’ils pourront, dans un délai rapproché, réaliser ce bénéfice et le capital qu’ils auront dû avancer. Eh bien ! y a-t-il un visiteur qui puisse se rendre un compte assez exact de la valeur d’une cargaison de bois pour en opérer la préemption ? Il n’y en a pas un. Et quand il y en aurait, une autre considération les arrêterait, ce serait l’impossibilité de se défaire de la cargaison, car il n’en est pas de même d’une cargaison de bois comme d’un ballot de quincaillerie ou d’une partie de drap ou de coton. On ne peut se défaire d’une cargaison de bois qu’au moyen de relations dans tout le pays. Les marchands de bois ont ces relations ; ils savent à qui ils peuvent faire crédit ; quelquefois ils sont obligés de faire des crédits très longs. Comment un visiteur pourra-t-il faire de telles opérations, en un mot faire le marchand de bois ? ce sera impossible ; jamais il n’y aura de préemption. On ne doit pas considérer comme acquis au trésor les 10 p.c. quand vous les aurez votés. D’un autre côté, il y aura perte pour le trésor. En effet, si, comme tout doit le faire croire, les arrivages diminuent par suite du vote de la loi, il y aura diminution dans la perception du droit de tonnage de 2 fr. 23 c. par tonneau. Le déchet qu’il y aura de ce côté fera plus que compenser l’augmentation que vous pourrez avoir dans les droits de douanes.

Je bornerai là pour le moment ce que j’ai à dire contre la loi.

M. Desmet – J’ai demandé la parole quand l’honorable préopinant a dit que le nombre des moulins ne serait pas augmenté si l’on établissait un droit sur les planches à l’entrée. Il a cité les moulins d’Ostende qui n’ont pas pu y tenir, parce que les arrivages de bois sciés devenaient plus importants. Messieurs, la raison pour laquelle les moulins d’Ostende n’ont pas pu tenir, c’est qu’à l’entrée des Français ils n’ont plus eu la même protection qu’auparavant.

Sous le régime autrichien, il y avait protection en ce que les bois sciés payaient un fort droit. Alors les moulins d’Ostende pouvaient tenir ; mais une fois les droits supprimés, il ne leur a plus été possible de lutter contre les bois sciés venant du Nord.

Pour moi, je considère le bois scié comme une matière première, dont nous avons surtout besoin pour les constructions industrielles. A cet égard, je dois appuyer les observations de l’honorable préopinant.

Il y a une autre considération, c’est que dans le pays nous n’avons pas assez de ces bois sciés qui, venant de l’étranger, sont tellement bon marché que tous nos planchers sont faits par ces planches ; et il me semble que si on devait les frapper d’un droit élevé, vous n’auriez plus d’arrivages de ces planches de médiocre qualité, car tous les bois du Nord que nous recevons en poutres ou en madriers, sont d’une qualité plus chère, et comme je crois que nous avons réellement besoin de cette espèce de planches, je crains que l’amendement pourrait faire du tort à nos constructions.

Je soumettrai à la chambre une dernière considération ; on se plaint de ce qu’il n’y a pas de navigation, de ce qu’il n’y a pas d’arrivages. Je crois que les bâtiments qui arrivent dans nos ports, les quittent chargés de nos produits. Encourager les arrivages, c’est donc encourager l’exportation de nos produits. Je crois donc que dans ce moment où toutes les branches industrielles sont en progrès, il ne faut pas faire enchérir les bois de construction, et je dois encore répéter que j’envisage les bois du Nord comme une matière première ont nous avons grand besoin.

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, je n’ai pu saisir parfaitement tous les raisonnements de l’honorable M. Donny, cependant je répondrai à quelques-uns des arguments qu’il a fait valoir.

D’abord il a dit que la loi est entièrement dans l’intérêt des propriétaires forestiers. Je déclare positivement, messieurs, qu’il n’en est rien. Nous ne demandons aucune faveur pour les propriétaires de bois, quoiqu’ils eussent cependant le droit d’être protégés tout aussi bien que les autres industries qui toutes ont été favorisées.

L’honorable membre a di qu’il faut recourir au bois du Nord pour les constructions ; c’est là une hérésie, car le bois de sapin n’a aucune consistance, et on a bien soin de ne pas l’employer lorsqu’on veut faire une construction qui ait quelque solidité.

L’honorable M. Donny a dit encore qu’il faut être expert, habile pour être scieur de long ; je ne sais s’il en est ainsi dans les Flandres, mais dans la province de Luxembourg le dernier manœuvre, lorsqu’il n’a pas d’ouvrage, monte sur un tréteau et devient scieur de long. L’honorable préopinant est donc tombé ici dans une nouvelle hérésie.

« A quoi servira, continue l’honorable membre, que vous parveniez à rétablir quelques moulins à scier ? Le nombre d’ouvriers qui sera employé par là sera excessivement restreint. » Eh bien, nous avons demandé à M. le ministre de l'ntérieur quel était le nombre de scieries existant dans le pays, et quel était le nombre d’ouvriers qui y était employé ; la réponse a été qu’il était difficile de donner des renseignements complets à cet égard, qu’il pouvait cependant nous dire que, notamment dans la province d’Anvers, il y avait 3 scieries occupant 201 ouvriers. Je ne sais pas comment il en est dans la province qu’habite l’honorable préopinant, mais nous avons reçu une pétition couverte de nombreuses signatures dans laquelle on exprime le regret que les moulins à scier ne soient pas protégés.

Le roi Guillaume, au moment même où la révolution a éclaté, avait l’intention d’imposer les bois sciés étrangers d’un droit de 30 p.c. ; j’apprends qu’en Hollande les scieries sont prospères, c’est que probablement le roi Guillaume aura pris pour la Hollande la mesure qu’il se proposait de prendre pour les deux pays avant la révolution ; sans cela les scieries hollandaises se trouveraient sans doute dans une aussi mauvaise situation que celles de notre pays, car on ne peut pas dire que nos ouvriers soient moins habiles que les ouvriers hollandais, ni qu’ils soient plus éloignés des lieux de débarquement.

On dit que nos moulins à scier ont été détruits il y a 50 ans ; il y a 50 ans, messieurs, les grandes propriétés appartenaient aux abbayes et aux gens de main-morte ; alors on bâtissait peu, mais on bâtissait solidement et l’on n’employait que du chêne ; depuis que les bâtisses se sont multipliées et qu’on ne faut plus que des châteaux en Espagne, des maisons de cartes, on emploie beaucoup de sapin.

« Comment voulez-vous, dit-on, que les employés puissent vérifier si les déclarations auront été faites exactement ? » Mais messieurs, combien n’y a-t-il pas d’objets qui demandent des connaissances beaucoup plus spéciales ? les étoffes de toute espèce, par exemple. Cependant la douane remplit ses devoirs avec exactitude. S’il est une marchandise dont la valeur soit bien connue, c’est sans doute le bois ; soumettez une planche au dernier artisan, il vous dira immédiatement qu’elle en est la valeur.

Je crois avoir entendu dire, messieurs, que le bois de sapin n’est employé que dans les provinces maritimes ; c’est là une erreur, le bois de sapin s’emploie aujourd’hui partout : à Liége, par exemple, il est d’un usage général ; cela vient de ce que tout le monde veut bâtir, et comme le cher est trop cher, on emploie du sapin et l’on fait des constructions qui tombent en ruines au bout de quelques années. Je le demande, messieurs, n’est-il pas contraire à l’intérêt des constructions de favoriser un tel état de choses ?

Je me bornerai, messieurs, à ces observations, sauf à reprendre la parole dans le cours de la discussion. Toutefois, je ne puis m’empêcher de vous faire remarquer que le sénat a adopté l’amendement qui nous occupe, à la majorité de 29 voix contre trois.

M. Donny – L’honorable préopinant m’a traité d’hérétique, je tiens à vous prouver, messieurs, que j’ai, sur la matière dont il s’agit, des sentiments orthodoxes.

J’ai dit, messieurs, que le sapin du Nord est préférable pour les constructions au sapin du pays…

M. Zoude – J’avais compris que vous préfériez le sapin du Nord au bois du pays ; si vous avez parlé du sapin du pays, je n’ai rien à objecter.

M. Donny – Alors nous sommes d’accord. Je n’ai jamais songé à dire que le sapin du Nord fût préférable au chêne ; si je m’étais servi de l’expression « bois du pays », il faudrait l’attribuer à l’improvisation ; mais mon intention ne pouvait être douteuse, car j’ai cité à l’appui de mon opinion la circonstance que le gouvernement fait toujours insérer dans les cahiers des charges que, lorsqu’il faut employer du sapin, ce doit être du sapin du Nord, préférablement à tout autre.

Je n’ai pas dit, messieurs, je n’ai pas eu l’intention de dire que la section centrale ou l’honorable rapporteur eût demandé une protection pour les propriétaires de bois, mais j’ai dit et je dis encore qu’il résulte de la nature des choses même qu’en établissant un droit de 10 p.c. sur les planches, on ne fait autre chose que d’accorder une protection aux propriétaires forestiers au détriment des ouvriers employés aux constructions ; j’ai dit encore que l’on ferait par là un tort considérable au commerce maritime, et j’ai ajouté que si le droit était établi à la valeur, au lieu de l’être par tonneau, il en résulterait des dificultés extraordinaires.

S’il faut absolument que les propriétaires de bois soient protégés, s’il faut absolument donner quelque satisfaction au sénat, qu’on prenne un terme moyen, qu’on augmente le droit actuel, mais en conservant au moins la base actuelle de l’impôt, et qu’on ne jette pas le commerce dans les embarras inextricables qui résulteraient de l’adoption du système qui nous est soumis. Cela aurait d’ailleurs cet avantage que le gouvernement serait certain de percevoir entièrement le droit, puisqu’on ne peut pas frauder un droit basé sur le tonnage, tandis que si vous établissez le droit sur la valeur, vous ne percevrez que ce que le négociant voudra bien déclarer.

M. Coghen – On parle sans cesse, messieurs, de la protection que la loi accorderait aux propriétaires de bois ; eh bien, il me paraît qu’elle n’en accorde aucune, quoique, à mon avis, il serait très juste de protéger les bois du pays, puisqu’ils supportent les charges ; cependant, je le répète, la loi qui nous occupe ne favorise en aucune manière les propriétaires de bois ; ce qu’elle protège, c’est la main-d’œuvre indigène. On fait un grand étalage du droit de 10 p.c. qu’il s’agit d’établir ; vous n’ignorez pas, messieurs, quelle influence un semblable droit pourra exercer. Le prix du sapin varie de 10 à 30 francs les 100 pieds, l’augmentation serait donc de 1 à 3 francs par 100 pieds, dans les cas où les déclarations seraient toujours exactes ; mais comme l’on déclarera moins que la valeur réelle, le droit, au lieu d’être de 10 p.c., ne sera peut-être que de 4 à 5, et dès lors, l’influence du droit sera réduite à bien peu de chose.

On a demandé, messieurs, que le droit fût perçu d’après le tonnage. Alors il faudrait qu’il fût le même pour les planches et pour les poutres, car une cargaison se compose presque toujours d’une parte de planches et d’une partie de poutres, et il est impossible de reconnaître quelle quotité du navire se trouve remplie par l’une ou par l’autre de ces deux classifications.

Ce qu’on demande, messieurs, par l’amendement qui nous occupe, c’est un droit protecteur de la main-d’œuvre, et il ne s’agit nullement de favoriser les propriétaires de bois, puisque le droit qu’ils s’agit d’établir ne peut avoir aucune espèce d’influence sur le prix du bois du chêne, le seul qui puisse remplacer le sapin ; je ne parle pas du bois blanc, qui n’est pas assez abondant pour que la valeur se ressente le moins du monde du droit qu’on réclame.

M. Pirmez – Messieurs, si quelque chose me surprend dans cette discussion, c’est que l’on invoque à l’appui du projet de loi l’intérêt des ouvriers. C’est, dit-on, pour protéger les ouvriers que l’on veut mettre un impôt nouveau sur les bois. Et pour appuyer ce dire, l’on met en avant l’intérêt des ouvriers de quelques moulins à scier qui existent dans le pays, selon les uns, et qui n’y existent pas, selon les autres. Mais on ne s’aperçoit pas que tous les ouvriers indistinctement vont être frappés par la loi. Tous les ouvriers n’ont-ils pas besoin d’abri ? Vous voulez favoriser la main-d’œuvre, et pour la favoriser, vous voulez augmenter le prix de la vie ; est-ce que le prix du logement n’est rien dans le prix de la main-d’oeuvre ? La main-d’oeuvre, c’est la faculté de vivre, et le logement entre dans le prix de la vie aussi bien que la nourriture et le vêtement. Il est donc très singulier de venir invoquer l’intérêt des ouvriers, à l’appui de l’établissement d’un impôt nouveau sur les bois ; vous allez frapper toutes les habitations, et le plus grand nombre de ces habitations sont occupées par des ouvriers.

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, il ne s’agit nullement ici, comme l’a prétendu un honorable préopinant, de favoriser la propriété boisée ; le but de la loi est uniquement d’assurer au pays la main-d’œuvre du sciage des bois importés de l’étranger en Belgique. J’ai dit, et je le répète, qu’hier des marchands de bois m’ont avoué qu’il ne s’introduirait pas une planche de moins en Belgique après l’adoption de la loi, et que si l’on voulait protéger réellement la main-d’œuvre, il faudrait un droit de 20 p.c.

Je n’aborderai pas ce que l’honorable M. Pirmez a dit sur la main-d’œuvre ; mais il est une vérité d’économie politique, c’est que les produits étranger doivent être frappés d’un droit au moins égal à celui qui pèse sur les produits similaires indigènes. Or, dans l’espèce cette égalité n’existe pas.

M. de Foere – Je ne viens pas m’opposer à la majoration de droit sur les bois étrangers. Il suffit que les besoins du trésor soient constatés, pour que la chambre avise aux moyens d’y pourvoir. Mais je désire présenter quelques considérations sur le mode de perception qui a été changé par l’amendement du sénat. En premier lieu, l’assimilation entre le bois scié et non scié, par cargaisons complètes, n’est plus admis à l’égard de deux spécialités. Il en résulte que l’amendement du sénat est injurieux à la Norwège , et favorable à la Russie et à la Prusse. Les cargaisons qui nous arrivent de Norwège sont mixtes, parce qu’elle n’a que des planches pour arrimer le chargement. La Russie et la Prusse ont des merrains et des douves pour arrimer les cargaisons de bois.

Il en résulte aussi que l’amendement est injurieux à la Belgique , car les navires de la Norwège sont les seuls qui, après avoir importé dans le pays des bois pour notre propre consommation, exportent, quoiqu’en petites quantités, quelques produits du pays, tels que des étoupes de lin, des lins peignés, des pommes de terre, du foin, des cochons, des tuiles, des briques, du genièvre, du café, du sucre raffiné, des cuits tannés, du savon et des huiles.

Les navires qui nous viennent de Riga, de Danzick et de Memel n’exportent rien pour leurs retours. La raison en est que ce sont des navires qui appartiennent au Mecklembourg et au Hanovre.

Voilà, messieurs, la première conséquence de l’amendement du sénat. La seconde résulte de l’imposition des droits sur la valeur, tandis que, d’après la loi qui a régi la matière jusqu’ici, les droits étaient imposés sur la capacité des navires. Ce mode de perception amènera dans le pays une grande quantité de mauvais bois. C’est la raison pour laquelle l’Angleterre n’impose pas ces mêmes espèces de bois à la valeur.

Tout autre mode de tarification est nuisible aux constructions civiles et navales. Lorsque l’impôt est établi à la valeur, les négociants en bois ont intérêt à importer des bois de qualité inférieure. En peu d’années, presque toutes les constructions en sont affectées. Les négociants importent, au contraire, des bois d’une bonne quantité lorsque le droit est perçu sur la capacité du navire : il est donc de l’intérêt généra d’adopter ce mode de tarification.

Il résultera aussi du système adopté par le sénat des complications et des contestations continuelles entre le négociant et la douane. Lorsque le bois est imposé à la valeur, la douane a la faculté de préempter. Les négociants et les entrepreneurs sont souvent en pressant besoin de bois. Si ces besoins sont connus par les employés de la douane, ils sont disposés à en profiter pour préempter.

Ensuite, les vérifications dans le système de l’impôt à la valeur, sont d’une grande difficulté ; elles font naître continuellement des complications entre la douane et le négoce, qui font toujours perdre au gouvernement sa confiance et son influence salutaire. Le mécontentement et l’opposition augmentent sans cesse dans les provinces. Le véritable principe que le devrait suivre à l’égard de tout droit d’importation, c’est d’assurer au trésor ses revenus, et d’autre part de ne pas gêner le commerce et l’industrie.

Je suis personnellement grand partisan de mesures protectrices en faveur de toutes les mains-d’œuvre ou de tout travail au pays, sans exception ; je ne m’oppose donc pas à une majoration de droits sur les bois non sciés. Mais afin de faciliter les vérifications de la douane, il suffirait, en cas de chargements mixtes, de prendre pour base de perception la partie dominante de la cargaison ; c’est-à-dire, si c’est le bois non scié qui domine, ce serait le bois sur lequel le droit serait perçu ; si, au contraire, c’est le bois scié qui domine dans le navire, on le prendra à son tour pour base de la perception.

Il résulte encore de la nouvelle disposition du projet de loi que les douaniers peuvent faire amener le navire où bon leur semble, pour opérer la vérification, tandis qu’il existe dans le pays plusieurs établissements considérables, placés à proximité des ports auxquels on ferait un tort extrêmement grave, si la douane prétendait faire arriver dans les bassins des ports les navires qui importent des bois. Sous le gouvernement hollandais on a toujours permis que la douane allât vérifier sur les lieux voisins, où ces établissements sont situés. C’est encore pour cette raison que je m’opposerai à la loi.

M. Mercier – L’honorable M. Coghen me paraît avoir placé la question sur son véritable terrain: il s’agit, en effet, de décider si nous voulons encourager la main-d’œuvre dans le pays. D’après les antécédents de la chambre, sa décision ne peut être douteuse ; une fois le principe adopté, il importe de choisir le mode d’asseoir l’impôt sur les bois sciés : le droit adopté sur les bois non sciés présente une trop grande différence avec celui qui est proposé sur le bois scié pour qu’on puisse admettre le système de l’honorable préopinant ; la mesure qu’il propose sera inefficace, car on ne manquerait pas de compose toujours chaque cargaison d’un peu plus de la moitié de bois non scié et du restant de bois scié, de manière à n’être jamais soumis qu’au plus faible droit. Il faut donc nécessairement choisir entre la tarification au mètre cube et celle à la valeur. Chacun de ces deux modes présente certains inconvénients. On peut objecter contre l’adoption du premier que les diverses espèces de bois ne seront pas imposées dans une juste proportion entre elles, car elles offrent de grandes différences de valeur dans un même volume. On ne peut se dissimuler que c’est là un grand vice de ce mode de tarification, qui, sous le rapport de l’exactitude, serait préférable. D’un autre côté, on repousse le droit à la valeur, dans la pensée que les employés des douanes n’ont pas à leur disposition des capitaux assez considérables pour opérer la préemption de cargaisons dont la valeur s’élève à des sommes fort élevées. Cette objection ne me paraît pas aussi fondée qu’on a pu le croire, car elle s’applique plutôt à l’état de choses actuel qu’au système proposé : l’effet de la loi votée par le sénat sera infailliblement de restreindre les importations de bois scié et d’augmenter au contraire celle de bois non scié ; les préemptions ne devront donc pas s’appliquer à des valeurs aussi fortes que celles qui se présentent sous le régime actuel, et dès lors les employés pourront faire usage de leur droit. Il me semble d’ailleurs que pour ne pas renvoyer une seconde fois ce projet de loi au sénat, qui peut-être modifierait difficilement sa première détermination, il conviendrait d’adopter la tarification du droit à la valeur, d’autant plus qu’il est permis de douter du meilleur mode à choisir. Au fond, je ne pense pas que le droit de 10 p.c. soit trop élevé pour que la main-d’œuvre trouve un encouragement efficace.

Je ne peux me dispenser de faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’un droit qui protège les propriétaires des forêts, quoique je croie avoir démontré dans une autre occasion que si un droit modéré était établi à l’entrée des bois de toute espèce, ce ne serait qu’une compensation de la contribution foncière acquittée pendant un grand nombre d’années par nos propriétaires de forêts, et dont les étrangers sont affranchis en ne payant qu’un simple droit de balance sur les bois qu’ils importent en Belgique. Du reste, je ne veux pas traiter cette question en ce moment, et je me borne à cette seule observation. Il ne s’agit ici que d’un encouragement à donner à la main-d’oeuvre, et je voterai pour le projet tel qu’il est amendé par le sénat.

M. Eloy de Burdinne – Je prends la parole pour répondre quelques mots à quelques arguments présentés par d’honorables préopinants.

Il est constant que le gouvernement ne peut pas marcher sans impôt, et celui que le gouvernement trouve moyen d’obtenir sur les produits étrangers doit être préféré à celui qui serait prélevé sur les habitants. Un orateur a dit que c’était aux régnicoles à payer les impôts, qu’on ne pouvait pas atteindre les étrangers. Mais en frappant leurs produits à l’entrée du pays, on les atteint. On a objecté que ce n’était pas l’étranger qu’on frappait alors, mais le consommateur. Alors il faut faire disparaître les impôts sur tous les produits étrangers, l’impôt sur la houille, parce que si les Anglais en importaient beaucoup, elle diminuerait, et les malheureux qui en usent s’en procureraient plus facilement. Il faut admettre cette conséquence ou renoncer aux arguments qu’on a fait valoir. Car si nous les admettons pour le bois, il faut les admettre pour tous les objets dont usent les habitants de la Belgique.

L’impôt sur les bois étrangers n’empêchera pas qu’on importe des bois de sapin qui sont très abondants dans le Nord. Ce n’est pas un droit de 10 p.c. qui fera qu’on s’en privera, le commerce et la navigation n’en souffriront pas. Qu’on importe du bois scié ou du bois non scié, pour le commerce et la navigation ce sera toujours la même chose.

Au surplus, comme je l’ai déjà dit dans cette enceinte, si l’on veut complètement favoriser la navigation, il faut faire disparaître toute espèce de droit sur les fers ; la navigation se chargera d’aller en chercher en Suède et en Danemark, où on en a de très bon et à très bon compte. A quoi bon, dira-t-on, se fatiguer à faire du fer ? Nous en aurons de meilleur et à meilleur marché à l’étranger.

Il en est de même de la houille, les entrepreneurs d’extraction de houille n’exposeront plus la vie des ouvriers dans leurs mines, ils les renverront chez eux ; nous aurons de la houille en Angleterre.

Les droits sont établis pour protéger l’industrie du pays contre les produits étrangers dont on craint la concurrence. Et comme nous devons accorder la même protection à tous les ouvriers, je voterai pour le projet amendé par le sénat.

M. de Foere – J’avais proposé, au lieu du mode de perception à la vapeur, d’imposer le droit sur la capacité des navires, et de plus, lorsque les cargaisons sont mixtes, et pour arriver facilement à la quotité du droit, de prendre pour base la partie dominante des chargements.

Mais puisque cette proposition ne paraît pas convenir à l’administration, je proposerai le mode présenté par M. Mercier lui-même et appuyé par M. le ministre des finances dans la séance du premier mai dernier. C’est la perception par mètre cube. Je ferai cependant observer que ce mode entraîne un perte de temps précieux pour la navigation et un surcroît de frais pour le commerce. Les frets sont calculés sur le nombre de voyages qu’un navire peut faire pendant la bonne saison. Cette perception exige aussi un personnel d’employés plus nombreux, tandis que la perception sur le tonnage est plus simple sous tous les rapports.

Je ne puis admettre qu’on doive adopter ce projet amendé, parce qu’il faudrait le renvoyer au sénat. Cette assemblée n’est pas le dernier terme de la perfection que les chambres peuvent apporter à un projet de loi.

D’ailleurs, puisqu’on maintient le principe de l’augmentation du droit, le sénat ne s’opposera pas à un meilleur mode de perception. M. le ministre des finances a appuyé, dans la dernière séance, la proposition de M. Mercier de percevoir les droits par mètre cube ; je pourrais me rallier à cette proposition ; mais, je le répète, je préfère de beaucoup et dans l’intérêt de toutes les parties intéresses, la perception sur la capacité des navires, telle qu’elle était établie dans la législation actuelle.

M. Verdussen – Je crois que pour mettre la chambre à même de juger en pleine connaissance de cause, il faut remontrer à l’origine de la question. La vérification, telle qu’elle existe aujourd’hui, résulte du tarif que vous pouvez avoir sous les yeux, et dont le premier article concernant les bois est ainsi conçu :

« Toute espèce de bois propre aux constructions civiles ou navales, arrivant de la Norwège, de la Baltique et de la Russie, par cargaison complète, est imposée à 50 c. le tonneau. »

Il y a en marge une note qui explique cet article sous le rapport de l’expression de cargaison complète, et qui dit qu’on considérera comme cargaison complète celle dont la moitié consistera en bis.

Vous voyez que le grand but de la loi qui existe est de favoriser la navigation avec le Nord. On n’a pas demandé que le chargement fût composé exclusivement de bois en grume ou scié. Mais on a demandé que ce fût une cargaison de bois. La modification que le sénat a introduite tend à bouleverser tout le système, car le premier article du projet du sénat porte :

« Bois – Toute espèce de bois, soit en grume, soit non scié, soit en poutre, propre à la construction civile et navale, et arrivant de la Norwège, de la Baltique et de la Russie, par cargaison complète, 60 centimes le tonneau.

« Et pour expliquer les mots : « cargaison complète », on ajoute :

« Seront réputées complètes les cargaison dont la moitié consisterait en bois non scié. »

Voilà la grande difficulté.

Le sénat va si loin dans son amendement, que toute cargaison de bois dont la moitié ne consiste pas en bois de grume ou non scié doit être imposé à la valeur.

Il est certain que le but de la loi que le sénat a adoptée doit être de restreindre la navigation, et ce ne peut être son idée, ou de donner une faveur aux ouvriers régnicoles ; mais s’il en est ainsi, je ne conçois plus le dilemme posé par l’honorable M. Eloy de Burdinne. Il nous a dit que quant à lui il se prononce en faveur de la loi du sénat, parce qu’il pense qu’elle doit procurer au fisc une certaine somme. Mais si la loi a pour effet de restreindre la navigation, comme c’est très probable, au lieu d’augmenter les rentrées du trésor elle les diminuera ; ainsi, au lieu d’atteindre son but, l’honorable M. Eloy de Burdinne atteindra un but opposé.

Il nous a dit encore : Si on veut favoriser la navigation, il faut abolir tout droit. Ceci vous prouve que le fond de sa pensée est de nuire autant que possible à la navigation. Dès lors vous voyez que son but n’est pas encore atteint. Les arguments que cet honorable membre a fait valoir me paraissent détruits par ceux de l’honorable M. de Foere. Tout ce qui a été dit dans cette discussion me prouve que nous devons voter contre l’amendement du sénat, et c’est ce que je me propose de faire.

M. Eloy de Burdinne – Il n’est pas exact de dire que je veuille nuire au commerce maritime ; je ne veux nuire à aucune industrie ; mais je pense que toutes les industries doivent concourir aux charges de l’état, et qu’il ne doit y avoir de privilège pour personne. Voilà quel est mon système.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – J’ai cherché au sénat à faire prévaloir la loi telle qu’elle y avait été envoyée par la chambre des représentants ; malgré mes efforts, le sénat s’est décidé à admettre l’amendement soumis à vos délibérations. Je dois avouer maintenant que, d’après ce qui s’est dit dans les deux chambres, je ne suis plus aussi décidé à combattre l’amendement qui nous occupe, et force m’est de reconnaître qu’il y a des motifs assez puissants pour vous engager à confirmer le vote du sénat.

Quel est le but de l’amendement ? c’est exclusivement d’assurer au pays la main-d’oeuvre du sciage des bois venant de l’étranger ; et qu’oppose-t-on à cela ?. Selon un honorable membre, « en augmentant les droits d’entrée, vous allez augmenter le prix des bois étrangers, et ainsi atteindre les consommateurs belges, en voulant seulement atteindre le producteur étranger. » Or, messieurs, il est permis de douter que tel puisse être le résultat de la mesure ; selon moi il s’agit simplement de substituer les ouvriers belges aux ouvriers étrangers dans la main-d’œuvre du sciage des bois étrangers employés en Belgique. La main-d’œuvre est-elle plus chère en Belgique qu’aux lieux de production des sapins ? Je n’en sais rien ; mais en fût-il ainsi, cette différence serait insignifiante en dernière analyse et nulle surtout à côté de l’avantage qu’on assurera à un grand nombre d’ouvriers du pays, en adoptant la proposition du sénat, c’est-à-dire en leur réservant, par la différence des droits de douanes, le sciage des bois venant du Nord.

Il est évident, ainsi que l’a fait remarquer l’honorable M. Coghen, qu’il ne s’agit pas ici de protection au profit des propriétaires de bois, et que le résultat intéresse exclusivement la classe ouvrière, qui trouvera ainsi une source de travail, qu’on peut évaluer annuellement à plus d’un million. Une telle main-d’œuvre n’est pas à dédaigner, et dussent les droits sur les bois étrangers protéger en même temps nos propriétaires dans une proportion équivalente à la contribution foncière qu’ils supportent, la loi qui n’a pas ce but et n’aura pas ce résultat, ne serait, certes, qu’un acte de bonne justice.

On a fait des objections contre le mode de perception en signalant la difficulté qu’auront les employés d’exercer la préemption ; après avoir écouter attentivement les arguments produits pour et contre ce mode, je reste persuadé que les inconvénients seraient plus grands en établissant l’impôt à la mesure qu’en le maintenant à la valeur. Le cubage des cargaisons nécessaires pour constater les différentes espèces de bois exigerait des opérations fort longues et qui seraient souvent contestées ; de sorte qu’en définitive le système du mesurage offrirait beaucoup plus de difficultés au commerce et à l’administration que celui du projet.

On a proposé, il est vrai, de prendre pour règle de l’application de l’impôt la quantité dominante du bois de la cargaison ; mais l’honorable membre qui a suggéré ce moyen aura sans doute reconnu, par les objections présentées par l’honorable préopinant, que ce mode serait par trop vicieux. Il frapperait d’une manière inégale les différents bois. Ceux en grume qui sont du moindre prix paieraient le même droit que les madriers qui sont plus chers. Les madriers ne seraient pas imposés moins fortement que les planches de la moindre épaisseur, qui, en raison du sciage, ont une valeur plus grande.

En résumé, messieurs, bien qu’il y ait des inconvénients dans la perception à la valeur, je crois que ces inconvénients ne seront pas aussi grands que ceux des systèmes indiqués. (Aux voix ! aux voix !)

Un grand nombre de membres – La clôture !

M. le président – Je dois d’abord donner connaissance à la chambre d’un amendement qui vient d’être déposé par M. Donny. Il est ainsi conçu :

« Par modification au tarif des douanes, en ce qui concerne les espèces de bois étrangers ci-après désignées, et à partir du 1er avril 1839, les droits d’entrée, etc., (comme au projet). »

M. Donny – J’espère toujours que la chambre prendra en considération les arguments que j’ai présentés, et que le système que j’ai soutenu pourra être adopté.

Cependant, messieurs, comme il pourrait en être autrement, j’ai déposé l’amendement dont M. le président vient de donner lecture, afin que le commerce ne soit pas victime du changement introduit par l’amendement du sénat ; des ordres ont été donnés en Norwège et dans tout le Nord pour faire venir du bois, il est juste que les négociants aient le temps de recevoir leurs arrivages ; c’est pour cela que je propose de ne rendre la loi exécutoire qu’à dater du premier avril prochain.

- L’amendement de M. Donny est appuyé.

La séance est levée à 5 heures.