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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 décembre 1838

(Moniteur belge du 25 décembre 1838, n°360)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven fait l’appel nominal à une heure.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven présente l’analyse d’une pétition du sieur Léonard, particulier à Bruxelles, qui adresse à la chambre des observations sur le projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à venir au secours de la banque de Bruxelles.

- Sur la demande de M. Scheyven, cette pétition est renvoyée à la commission chargée d’examiner le projet dont il s’agit.

PROJET DE BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS POUR L’EXERCICE 1839

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 5

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000 »


« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 167,250. »


« Art. 3. Fournitures de bureau, impressions, achats, etc : fr. 17,000 »


« Art. 4. Papier pour l’administration centrale des postes et des provinces : fr. 7,000. »


« Art. 5. Frais de route et de séjour du ministre, des fonctionnaires, etc… : fr. 6,600 fr. »

Chapitre II. Garde civique

Article unique

« Article unique. Frais de voyage et d’administration ; achat ; réparation et entretien des armes: fr. 25,000. »

Chapitre III. Milice

Article unique

« Article unique. Frais d’impression des listes alphabétiques pour l’inscription des miliciens : fr. 1,600. »

- Tous ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion.

Chapitre IV. Travaux publics

Article premier

« Art. 1er. Routes : fr. 2,298,000 »

M. Lejeune – Je ne viens pas, messieurs, demander un subside au gouvernement pour construction d’une route ; mais je dois relever une erreur qui s’est glissée dans la rapport de la section centrale. Je lis dans ce rapport :

Route de Thielt à Eecloo

« Le gouvernement fournit un subside égal au tiers de la dépense, sous la condition que la route deviendra sa propriété. »

La route de Thielt à Eecloo se compose, messieurs, de 2 sections différentes ; l’une dans la Flandre occidentale, l’autre dans la Flandre orientale, et ce qui est dit dans le rapport de la section centrale peut s’appliquer à la section centrale de la Flandre occidentale ; c’est là que le gouvernement s’est chargé de contribuer à l’exécution de la route, à la condition qu’elle devienne route de l’état ; mais il n’en est pas de même pour la section centrale de la Flandre orientale ; celle-là se fait aux frais de la province avec le concours de la ville d’Eecloo, et ce sera une route provinciale. J’ai voulu faire cette observation afin que l’on ne croie pas que l’arrondissement d’Eecloo a une part dans la distribution du fonds des routes, tandis qu’il n’a encore rien reçu. Les communes de cet arrondissement sont en instance auprès du gouvernement pour obtenir une concession de péages, afin de pouvoir construire une route à leurs frais, et sans subsides du gouvernement ni de la province ; ces communes ont tellement reconnu le besoin de communications qui les rattachent à l’intérieur du pays, qu’elles ont résolu de ne plus perdre de temps et de faire les derniers sacrifices pour construire par eux-mêmes la route dont il s’agit. J’espère que le gouvernement leur accordera au moins la faveur d’une prompte décision. La route à laquelle je fais allusion, est celle de Gand à Watervliet ; elle a rencontré, antérieurement, de l’opposition de la part du ministère de la guerre ; M. le ministre des travaux publics a donné hier à un honorable député de la Campine l’assurance que l’opposition de même nature que les communications à établir dans ce pays avaient aussi rencontrée, vient à cesser ; je serais heureux d’apprendre qu’il en est de même pour la route de Watervliet, et je crois qu’il y a réellement des motifs pour que cela soit ainsi ; on ne doit attacher aucune importance à mon opinion à cet égard, mais je puis l’appuyer sur l’opinion d’un officier du génie que vous estimez tous et qui siège dans cette enceinte.

Une autre route en projet est celle de Gand à Bouchoute ; jusqu’ici il n’a pas pu être donné suite à ce projet parce qu’il a aussi rencontré de l’opposition de la part du département de la guerre. J’espère que cette opposition aura également cessé, d’autant plus que l’on a construit plusieurs travaux de défense, et que la route dont il s’agit ne serait peut-être pas inutile au ministère de la guerre lui-même.

M. Pirson – Messieurs, lorsque nous avons discuté la loi modifiant le tarif des douanes, on a remis à l’année 1840 la diminution du droit sur les ardoises de Fumay, parce que d’ici là le petit embranchement de route de Beauraing à Neufpont pourrait être fait, et qu’alors les ardoises des environs de Neufchâteau et de toute la province de Luxembourg pourraient arriver dans le pays. Je crains bien qu’un homme qui a beaucoup d’influence dans ce qu’on appelle le « conseil des travaux publics », et qui a toujours été hostile à l’embranchement que je demande, n’ait fait déclarer par ce conseil que cet embranchement n’est pas urgent. Je sais bien que des études ont été faites, mais je ne crois pas qu’il soit question de procéder à l’adjudication.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je regrette que l’honorable préopinant ait mêlé à cette discussion un nom propre qui n’avait qu’y faire. On s’exagère singulièrement l’influence des agents du ministère ; ils prennent part aux délibérations ; c’est à cela que se borne toute leur influence, mais ce n’est pas eux qui décident.

Quant à la route dont parle l’honorable préopinant, il est dans l’intention du gouvernement de donner suite aux engagements qui ont été pris à cet égard, lors de la discussion de la loi des douanes.

- L’article 1er est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Plantations : fr. 50,000 »

M. Lejeune – Je lis, messieurs, dans le rapport de la section centrale, qu’il a paru de toute équité à M. le ministre des travaux publics, que le droit de plantation fût réservé à l’état puisque celui-ci est propriétaire des routes, lesquelles sont d’ailleurs construites à ses frais ; que sans cela l’état supporterait les charges sans être appelé à en recueillir les bénéfices. ». Je suis entièrement de l’avis de M. le ministre, et je prends acte de cette opinion, le priant de bien vouloir s’en souvenir lorsqu’il s’agira de discuter le projet de loi sur les chemins vicinaux et communaux. Il s’agira alors d’examiner la question de savoir s’il ne conviendrait pas de laisser aux communes le droit de plantation sur les routes qui seront leur propriété et dont elles supporteront les charges.

- L’article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. canaux et rivières – fr. 257,910 »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Travaux à la Meuse : fr. 40,000 »

M Corneli - Le gouvernement a demandé tous les ans des sommes plus ou moins fortes pour travaux à la Meuse dans le Limbourg ; cette année, il demande 40,000 francs. Quoique cette somme ne soit point forte, proportion gardée au besoin, je ne me permettrai cependant point d’élever des objections de ce chef.

Je voudrais attirer l’attention de M. le ministre sur l’exécution des travaux ; je ne sais à quoi attribuer la faute, mais fort peu des ouvrages défensifs exécutés soit par la province, soit par l’état, présentent des garanties suffisantes ; la plupart même ont cédé aux envahissements des eaux ou sont le point d’être emportés ; tandis que des particuliers (grands particuliers, grands propriétaires) ont fait exécuter et entretiennent à grands frais, il est vrai, des ouvrages qui résistent à tous les débordements. Il faut donc croire que les plaintes nombreuses que, les communes et les particuliers ont élevées depuis longtemps, sont plus ou moins fondées, et que c’est à la mauvaise construction ou aux mauvais matériaux qu’il faut attribuer le peu de durée des travaux exécutés par l’autorité provinciale ou l’état.

Des administrations communales croyant pouvoir mieux faire et engagées par des propriétaires intéressés, ont demandé de pouvoir, à leurs frais et sous leur surveillance, avec des subsides de l’état, construire les ouvrages défensifs dans leur commune. Mais je ne pense point que ces travaux aient été couronnés de succès ; l’insuffisance de ces hommes sans connaissances pratiques a été constatée, et je suis persuadé que les autres communes, quoique disposées à faire des sacrifices, ne voudront point imiter leur exemple. Le gouvernement doit donc employer tous ses efforts pour construire des ouvrages solides et en confier l’exécution à des hommes d’une capacité reconnue. Mais, me semble-t-il, il devrait faire examiner s’il ne serait point préférable, et je sais que c’est l’avis de plusieurs ingénieurs, de faire établir des perrés au lieu de fascinages, du moins là où la solidité du fonds permettrait d’asseoir des ouvrages en pierre. Je sais que les perrés coûteraient plus cher, mais n’est-il pas préférable de faire des ouvrages plus solides et partant à longue moins coûteux ? Car si l’on avait pu construire des digues en pierre avec les 120,000 francs et plus qu’on a employés depuis 1819, il y aurait encore des ouvrages solides, tandis que maintenant il n’y a rien, comme j’ai eu l’honneur de le dire ; la plupart des travaux exécutés ne laissent plus de traces de leur existence. On attribue généralement le peu de solidité d’abord à ce qu’on n’emploie point assez de gros gravier pour rendre les digues imperméables, ensuite parce qu’on emploie des bois de mauvaise essence et qu’on attend la mauvaise saison, où l’on paie, il est vrai, les ouvriers moins cher, mais où les eaux pluviales et quelquefois les eaux de la Meuse, par leur retour vers la rivière, imbibent et enlèvent les terres et sable qui couvraient les fascinages au lieu de pierres qui seules, quand elles sont en suffisante quantité, peuvent rendre les ouvrages imperméables.

Quoi qu’il en soit, j’ose recommander l’exécution de ces travaux à l’attention toute spéciale de M. le ministre.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, vous vous rappellerez que, dans votre dernière session, vous avez renvoyé à mon département les pétitions par lesquelles les communes sollicitaient des subsides sur le trésor, pour la construction de travaux de conservation aux rives de la Meuse. Le gouvernement a cherché à entrer dans ce système, mais malheureusement il n’a pas réussi : sur 16 communes, si ma mémoire est fidèle, trois seulement ont accepté les offres qui ont été faites par le gouvernement. Cependant je ne désespère pas d’être plus heureux dans une nouvelle tentative. Les travaux à faire aux rives de la Meuse dans le Limbourg, où cette rivière est très capricieuse, présentent de très grandes difficultés. Il faudrait un crédit très considérable pour exécuter des travaux complets. Cependant c’est déjà beaucoup d’avoir arrêté les détériorations qu’éprouvaient les rives de la Meuse.

Il sera nécessaire d’ajouter les mors « dans le Limbourg » au libellé de l’article en discussion.

- Cette addition est adoptée ; l’article, avec l’addition, est ensuite mis au voix et adopté.

Articles 5 et 6

« Art. 5. Ports et côtes : fr. 285,585 »

- Adopté.


« Art. 6. Phares et fanaux : fr. 9,000 »

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. Poldres : fr. 70,000 »

M. Van Hoobrouck de Fiennes, rapporteur – Messieurs, je demande la parole pour attirer l’attention spéciale de M. le ministre sur la position des poldres des deux Flandres. Vous savez, messieurs, que les propriétaires de ces poldres sont constitués en diverses associations particulières sous le nom de wateringues. Ces associations ont leur législation à elles ; elles sont très fréquemment en contestation sur des questions de canaux mitoyens. Il en résulte de très graves abus. Sous l’empire il y avait une administration chargée de maintenir toutes ces associations dans leurs droits, de se prononcer sur toutes les questions litigieuses. Cette administration n’existe plus aujourd’hui, de sorte que les associations dont je parle, sont pour la plupart dans un véritable état d’anarchie. Il y a déjà 5 ou 6 ans que l’on a éveillé l’attention du gouvernement sur cet objet. J’ai moi-même alors présenté un mémoire, accompagné d’un projet de législation destiné à remplacer le décret de l’empire de l’an 1811. Ce décret est complètement tombé en désuétude. L’objet dont j’entretiens la chambre est de la plus haute importance sous tous les rapports. Je prie en conséquence M. le ministre de porter toute son attention sur un objet qui devient de la dernière gravité dans les circonstances actuelles.

M. Lejeune – Messieurs, j’ai vu avec beaucoup de satisfaction que l’attention du gouvernement est portée sur les dunes et les digues de mer. Je lis dans le rapport : « Il résulte des explications données par M. le ministre des travaux publics, que la défense des côtes vers la mer du Nord est l’objet des soins les plus minutieux, et que tous les ouvrages de conservation sont dans le meilleur état. »

Le rapport m’a également appris que les bords de l’Escaut font aussi l’objet de la sollicitude de M. le ministre.

Messieurs, il y a un point sur notre frontière qui, jusqu’ici, je pense, n’a pas éveillé l’attention spéciale du gouvernement, et qui cependant est digne de toute sa sollicitude. Nous devons préserver notre territoire de toute invasion. Je ne parle pas ici de l’invasion à main armée, on s’est est occupée lors de la discussion du budget de la guerre ; mais il nous reste un autre ennemi que nous devons combattre soigneusement et continuellement : c’est la mer. Depuis Assenede jusques et y compris Capitalen-Dam, il y a plus de 8,000 mètres de digues de mer qui doivent nous préserver des inondations de la mer. Ces 8,000 mètres de digues de mer sont en possession de la Hollande.

Le gouvernement hollandais n’a pas un très grand intérêt à surveiller ces digues qui doivent cependant nous préserver. D’abord, en cas de guerre, la Hollande, peut percer ces digues, comme elle les a percées en 1831, et c’est déjà beaucoup pour nous d’être fort exposés. Mais en tenant compte seulement de ce qui concerne l’administration, je dirai que la Hollande n’est pas fort intéressée à tenir les digues dans un état d’entretien convenable. La partie du territoire hollandais qui est attenante aux digues est très restreinte ; il y a de notre frontière à la digue de mer l’intervalle d’un poldre très étroit, de manière que, moyennant le sacrifice d’une petite portion de territoire, la Hollande, si cela lui convenait, pourrait nous faire le plus grand tort.

Cette position n’était pas probablement connue lorsqu’il s’est agi de traiter avec la Hollande, par l’intermédiaire de la conférence en 1831 ; cette limite a été dictée dans d’autres temps par la Hollande victorieuse, pour avoir le moyen de nous causer du préjudice quand elle le voudrait.

Maintenant que cette limite existe et que les digues de mer qui doivent nous préserver ne sont pas en notre possession, il est de la plus haute importance que les digues de seconde ligne soient mises en bon état de défense. Cela est d’autant plus nécessaire que, depuis plus de 50 ans, ces dernières digues sont restées dans le plus grand abandon, parce que depuis 50 ans la Hollande et la Belgique ont été réunies sous le même gouvernement. Sous la domination française et sous le gouvernement des Pays-Bas, la même administration pouvait surveiller les digues de mer qui devaient défendre en même temps une partie du territoire hollandais et le territoire belge. Mais cette position a changé depuis la révolution ; nous devons donc apporter une attention toute spéciale au bon entretien et à l’état de défense des digues de seconde ligne, afin qu’en cas d’accident aux digues de mer, nous soyons préservés par ces digues de seconde ligne.

Je recommande cet objet à la sollicitude toute particulière du ministre. Je pense que M. le ministre des travaux publics est assez d’avis qu’on en apprend plus par une seule visite sur les lieux que par une longue correspondance. Nous avons vu souvent que M. le ministre a usé de ce moyen pour être parfaitement au courant d’une affaire. Si ses graves préoccupations lui en laissaient le loisir, il n serait peut-être pas mauvais qu’il visitât la ligne dont je parle.

Messieurs, si les digues de seconde ligne sont restées dans un état d’abandon, cela dépend presqu’exclusivement de ce que le gouvernement a renoncé totalement à l’administration des poldres. Notre gouvernement, depuis la révolution, paraît s’être affranchi de toute la besogne qui concerne l’administration des poldres. Je crois moi que les lois ne sont pas tombées en désuétude ; je ne pense pas comme l’honorable préopinant que le décret du 28 décembre 1811 soit tombé en désuétude ; à mon avis ce décret est en vigueur, et il y a encore d’autres dispositions dans lesquelles le gouvernement trouverait la force, le moyen d’agir ; il est temps de ressaisir tout le pouvoir, toute l’influence que le gouvernement doit exercer sur les poldres.

Messieurs, si je ne me trompe, les administrations centrales ont toujours dit : C’est la besogne des intéressés, des propriétaires : laissez-les faire, c’est fort bien : les propriétaires se réunissent en assemblée générale : ils font leurs affaires. Mais en disant : Laissez-les faire, veuillez faire attention que vous excluez le plus grand intéressé : cet intéressé, c’est l’état, c’est la nation.

Le gouvernement est intéressé parce qu’il doit défendre le territoire contre toute invasion de la mer, et il est le plus grand intéressé parce qu’il a l’obligation de prévenir les inondations sur le territoire belge et toutes les calamités qu’elles traînent à leur suite, parce que, indépendamment des ruines dont les propriétaires et les localités sont frappés, les inondations rendent impossible la perception des contributions au profit de l’état.

Je crois que l’intervention du gouvernement est très nécessaire et qu’il est plus que temps d’introduire dans l’administration des poldres une bonne organisation.

M. de Puydt – Messieurs, je viens confirmer les observations qui ont été faites par les deux honorables préopinants. Il existe dans l’administration des poldres des deux Flandres une véritable anarchie. Certes, si cette anarchie ne portait préjudice qu’aux intérêts particuliers des propriétaires des poldres, nous pourrions ne pas nous en occuper ; mais cette anarchie peut avoir des conséquences graves pour toute la Flandre orientale.

Avant la révolution, la wateringue du Capitalen-Dam était composée de poldres belges et de poldres hollandais ; depuis la révolution de 1830 il y a une séparation entre les poldres belges et les poldres hollandais. Les poldres hollandais ont été privés de faire écouler leurs eaux par la rigole principale qui avait son embouchure au Capitalen-Dam, de sorte que ces poldres ont dû chercher à déposer leurs eaux dans l’intérieur du pays, et se sont réunis à une autre wateringue, la wateringue des Isabelles.

Sous cette nouvelle administration les choses se passaient régulièrement, et à la satisfaction des propriétaires. Mais, par suite de discussions entre quelques-uns d’entre eux, il y a eu dissidence dans le cours de cette année, et des propriétaires qui faisaient partie de l’ancien wateringue du Capitalen-Dam ont voulu se réunir à la wateringue hollandaise ; ils se sont entendus avec eux sans consulter l’autorité du pays ; ils ont fait aux digues des ouvertures pour l’écoulement des eaux vers un canal hollandais et ont ainsi compromis la sûreté des poldres belges. Un pareil désordre n’aurait pu avoir lieu, si la haute administration des travaux publics avait toujours conservé l’inspection de ces administrations particulières.

Je parle de cela avec d’autant plus de connaissance de cause que je suis chargé de faire des travaux de défense sur ce point et que ces ouvertures compromettent la défense militaire. C’est pour avoir vérifié ces faits sur les lieux que je les signale.

Quant à la digue de la deuxième ligne, il n’y faut pas compter ; pour moi, je ne la crois pas en état de résister à une inondation ordinaire si la première ligne était coupée. Sur une longueur d’une lieue, j’ai compté plus de trente constructions particulières, élevées depuis 7 ou 8 ans sur cette digne, sans l’autorisation des ponts et chaussées. Ces constructions dans la digue ont des caves qui y sont creusées, et des coupures dans la digue, des rampes pour y arriver. On conçoit que d’après cela la digue ne soit pas en état de résister à une inondation ordinaire.

Je crois donc que le gouvernement devrait intervenir dans l’administration des wateringues, et qu’il pourrait le faire en vertu des lois en vigueur.

M. Desmet – L’objet est assez important pour attirer notre attention, car il s’agit de la défense du pays.

J’appuie les observations de l’honorable M. Lejeune. Je ferai remarquer en outre qu’il ne s’agit pas seulement de rassurer la deuxième ligne de digue, mais qu’il s’agit surtout de la digue de mer. C’est pourquoi je demanderai à M. le ministre des travaux publics, je demanderai également à M. le ministre de la guerre, si l’on a pris assez de précautions pour nous garantir complètement des inondations de l’ennemi ; car, il n’y a pas longtemps, on sait quel tort il a fait aux poldres en perçant la première digue, et une fois la première digue coupée, il n’y a pas grand parti à tirer de la deuxième ligne de digue.

Vous savez qu’au Doel et près du fort de Liefkenskoek appartenant aux Hollandais, ils peuvent facilement couper les digues et inonder une grande partie de poldre jusqu’au-delà de Calloo et près de Beveren. Je voudrais savoir si le département de la guerre a pris les précautions nécessaires pour se garantir. Si je suis bien informé, les Hollandais auraient augmenté leurs forces à Hulst et dans les forts qu’ils ont sur l’Escaut. Je désirerais aussi de savoir si le département de la guerre et en particulier la direction du génie ont pris les précautions nécessaires pour mettre en défense le fort Isabelle ; vous savez que ce n’est que de ce côté que nous pouvons lâcher nos eaux. Si je suis bien informé, ce fort n’est pas en bon état ; il demanderait des réparations.

J’appuie ce qu’ont dit Messieurs de Puydt et Lejeune sur la nécessité de l’intervention du gouvernement dans l’administration des poldres. Les lois existent à cet égard ; il ne s’agit que de les faire exécuter, et il y a nécessité de le faire, car il n’y a pas seulement absence de toute surveillance de la part de l’administration publique, mais il y a aussi une espèce d’anarchie dans l’administration des wateringues qui, bien souvent, ne sont pas d’accord entre elles pour construire ou restaurer des ouvrages qui conservent la généralité ; et même il y a division dans l’administration intérieure de plusieurs wateringues ; les membres de l’administration sont divisés entre eux, et on voit parfois qu’un seul individu s’érige en dictateur et dirige lui seul, sans consulter personne, tous les travaux de la wateringue. Je peux déclarer ici qu’il y a beaucoup de plaintes à ce sujet, et j’ai la conviction que, sans retard, le gouvernement doit y intervenir et faire exécuter à cet égard les lois et règlements généraux.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Faut-il que le gouvernement intervienne dans l’entretien des poldres ? Telle est la question que soulèvent les observations des honorables préopinants. L’intervention peut être de deux genres (il ne faut pas s’y méprendre) : intervention par subsides et intervention par surveillance. C’est de cette dernière qu’on veut parler : intervention de surveillance, d’inspection. Telle est l’intervention qui, en effet, a été créée par les anciens règlements et par le décret impérial de 1811. Mais, en 1814, la direction générale des poldres a été abolie. On a considéré les poldres comme ne présentant qu’un intérêt local ; on les a abandonnés aux wateringues locales, aux autorités locales.

On a très bien fait remarquer à la chambre, dans cet entretien des poldres, il y a un autre intérêt que celui des propriétaires : celui de l’état, celui de la nation. L’intervention du gouvernement, sous le rapport de la surveillance, se trouve parfaitement justifiée par cette considération.

Si le roi Guillaume, en 1814, a aboli la direction générale des poldres, c’est que probablement il a craint d’être amené, par l’intervention trop active de surveillance, à l’intervention pécuniaire ; c’est là probablement ce que l’ancien gouvernement a redouté.

Je crois avec les honorables préopinants que la question du rétablissement d’une direction générale des poldres est digne de l’attention du gouvernement. Le roi Guillaume a agi à l’égard des poldres comme il a agi à l’égard des grandes rivières ; il a abandonné tout droit de surveillance aux autorités locales sur les rivières comme sur les poldres. C’est toujours le même système.

Pour ma part je promets de faire de la question de la création d’une direction générale des poldres, considérée comme intervention de surveillance, l’objet de l’examen le plus sérieux.

M. Lejeune – Au fond je suis entièrement d’accord avec ce qu’a dit l’honorable M. de Puydt. Lorsque j’ai parlé de la nécessité de l’intervention du gouvernement dans l’administration des poldres, je n’ai pas voulu entrer dans les détails des difficultés d’administration qui se sont présentés l’été dernier. Je ne parlerai pas non plus maintenant de ces difficultés.

L’honorable M. de Puydt a cité un fait qui, je crois, n’est pas entièrement fondé. Il a dit que pour favoriser l’écoulement des eaux vers le Capitalen-Dam, on a coupé des digues. Oui, on a coupé des digues ; mais ce n’a pas été pour favoriser l’écoulement des eaux vers le Capitalen-Dam ; les canaux vers cette écluse existaient autrefois, ils existent encore aujourd’hui, et n’ont pas cessé d’exister. Les coupures faites aux digues l’ont été pour conduire les eaux vers l’écluse Isabelle. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’insister sur ce point. Il suffit, je pense, que nous soyons d’accord au fonds et sur ce qu’il est nécessaire de faire.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec M. le ministre des travaux publics quand il dit que le gouvernement hollandais avait abandonné complètement la surveillance des administrations des poldres et wateringues. Je crois, au contraire, que le gouvernement hollandais a toujours conservé une grande influence, un grand pouvoir sur ces administrations. Il exerçait sur ces administrations une surveillance très active en vertu des lois et arrêtés qui étaient en vigueur et qui le sont encore ; car notre constitution maintient la partie de la loi fondamentale relative à cet objet.

Je crois que le gouvernement pourrait exercer sur ce point une influence salutaire.

Lorsque la direction des poldres a été supprimée, ses attributions sont passées au département du waterstaat. Le gouvernement hollandais a toujours conservé cette administration. Je crois qu’en la reprenant le gouvernement peut faire le plus grand bien.

- L’article 7. « Poldres : fr. 70,000 » est mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 8. Amélioration des canaux d’Antoing et de Maestricht à Bois-le-Duc : fr. 60,000.

- Adopté.

Article 9

« Art. 9. Construction d’un barrage entre Tournay, sur l’Escaut, dont l’état reprend l’administration à partir du 1er janvier 1840 : fr. 95,000. »

La section centrale propose d’allouer le chiffre de 93,000 francs. Quant au libellé, trois membres de la section centrale en proposent l’adoption ; trois se sont abstenus.

(M. Fallon remplace M. Raikem au fauteuil)

M. de Jaegher – Dans le courant de la session dernière il vous a été présenté par M. le ministre des travaux publics un projet de loi relatif à la navigation de l’Escaut et à la construction de travaux par voie de concession de péages. Ce projet de loi, avec les mémoires à l’appui, fut envoyé, au nombre de quelques exemplaires, aux états provinciaux des trois provinces intéressées et entre autres à la Flandre orientale. L’objet principal dont avaient à s’occuper les états provinciaux, celui qui devait absorber toute leur attention, c’était la question de savoir si les travaux devaient être exécutés aux frais des provinces ou par l’industrie privée.

La province de la Flandre orientale ne s’est pas prononcée à cet égard.

Aujourd’hui le gouvernement vous propose un nouveau projet complètement différent de celui soumis à l’avis des propriétaires intéressés, et qui tend tout bonnement à la reprise de l’Escaut par le gouvernement.

Si dans le premier projet cette question a été soulevée, les états de la Flandre orientale se seraient occupés d’examiner si l’Escaut devait être envisagé comme fleuve isolé, ou bien si, d’après l’arrêté de 1819, l’Escaut ne devait être envisagé que comme partie principale de la cession faite par l’état à l’administration des fleuves.

D’après cet arrêté de 1819, tout le bassin de l’Escaut a été effectivement abandonné, quant à l’administration et à la direction, à la province de la Flandre orientale en tant que les fleuves et rivières qui forment ce bassin sont sur son territoire. De toutes ces voies de communications par eau, il n’y a guère que l’Escaut qui soit productif. La navigation de l’Escaut figure effectivement au budget de la Flandre orientale pour une somme de 20 mille francs qu’elle produit annuellement. Mais on voit d’un autre côté figurer aux dépenses une somme équivalente pour entretien des autres rivières et canaux dont la cession a été faite à la même époque. Il y a donc cette remarque à faire que l’Escaut n’a pas été cédé à la province, quitte et libre de toute charge, mais avec cette charge onéreuse que la province ferait la dépense du dévasement des autres canaux et rivières qu’il serait trop long d’énumérer ; et que le projet de loi mentionne.

L’article dont il s’agit tend à autoriser le gouvernement à établir un barrage dans le bief entre Audenaerde et Tournay. Je n’examinerai pas si ce barrage pourra être utile ou nuisible à la navigation, je ne doute même pas qu’il soit utile à la navigation. Mai il y a encore ici une question complexe. L’Escaut touche à plusieurs intérêts : à l’intérêt agricole, à l’intérêt manufacturier et à l’intérêt de la navigation, et je ne sais pas si au moment où le gouvernement vous demande de l’autoriser à établir ce barrage conditionnellement, en ce qu’à dater du 1er janvier 1840 il reprendrait l’administration de ce fleuve ; je ne sais pas, dis-je, si le gouvernement s’est préalablement entouré de toutes les lumières possibles sur ces trois intérêts, pour savoir s’il n’y aurait pas inconvénient grave pour eux à déplacer le centre de l’administration de ce fleuve.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il n’y a pas de centre.

M. de Jaegher – C’est Gand, en tant que cela concerne la province de la Flandre orientale.

Messieurs, en thèse générale, je ne m’opposerai pas à la reprise des grands fleuves par l’état. Je crois qu’à cette question se rattache un intérêt politique trop élevé pour en faire une question d’étroit intérêt provincial ; mais, je le déclare, je n’ai pas mes apaisements sur la question de savoir si de la manière dont cette reprise est proposée par le gouvernement d’une manière à peu près accidentelle, dans un budget, il n’y aurait pas préjudice pour la province.

Je désire que la solution de cette question soit ajournée jusqu’à ce que les états provinciaux aient été entendus et qu’on fasse de cet article du budget un projet de loi spécial. Je soumettrai cette proposition à la chambre, je pense qu’elle restreindra le cercle de la discussion. Sans cela, il y aurait à examiner si le premier barrage qui est un commencement de canalisation ne sera pas préjudiciable aux intérêts agricoles.

Il ne faut pas se le dissimuler, c’est une question de principe très grave que nous déciderions dans un chiffre du budget sans que la question principale qui est en dehors du chiffre ait été examinée.

Je propose donc d’ajourner cet article du budget, en engageant le ministre à faire un projet de loi séparé sur lequel seraient entendus les états des provinces intéressées, les chambres de commerce et les commissions d’agriculture, qui sont également intéressées dans la question. Je pense que cette question est assez importante pour mériter ces précautions préliminaires. Je n’en dirai pas davantage pour le moment.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il vous a été présenté, le 27 décembre de l’année dernière, un projet complet de canalisation de l’Escaut à la Lys. Cette question n’est pas neuve comme semble le croire l’honorable préopinant. Tout le monde a pu examiner le fond de la question.

On est généralement d’accord que la construction d’un barrage nouveau entre Tournay et Audenaerde ne présente aucun danger, qu’on peut construire ce barrage et réserver pour l’avenir, après expérience, la question de savoir s’il fait en faire davantage. Il n’y a qu’un seul bief de Tournay à Audenaerde sur une étendue au moins de 11 lieues. La nécessité d’un barrage nouveau entre Audenaerde et Tournay est facile à saisir.

Dans le bief qui existe entre Antoing et Tournay, et qui n’est que de deux lieues environ, il est nécessaire de faire une retenue suffisante pour alimenter l’immense bief de 11 lieues de Tournay à Audenaerde. La nécessité de couper ce grand bief est une chose reconnue depuis des siècles. Maintenant on propose un nouvel ajournement ; nous irions donc d’ajournement en ajournement, car voilà plusieurs années que l’on ne fait qu’ajourner.

Mais, dit l’honorable M. de Jaegher, avez-vous prévenu les provinces de votre intention ? Avez-vous dit, à la session dernière, aux provinces : « Prenez-y garde, en ne vous chargeant pas cette fois des travaux d’amélioration de l’Escaut et de la Lys, l’état pourrait reprendre les deux rivières. » Oui le gouvernement l’a dit aux provinces, et je vais en donner la preuve.

J’ai eu soin de faire imprimer toutes les pièces, tous les documents relatifs à cette question. Ce travail a été communiqué aux députations, aux conseils provinciaux ; il a fait, dans la Flandre orientale, l’objet d’un examen particulier.

J’avais prévenu les provinces des conséquences du refus de se charger des travaux d’amélioration ; voici comme je me suis exprimé, page 31 du rapport du 27 décembre 1837 :

« Trois modes d’exécution ont été proposés :

« 1° Exécution par l’état, sur les fonds généraux du trésor ou sur le produit d’un emprunt ;

« 2° Exécution par les provinces ;

« 3° Exécution par voie de concession de péages.

« Le premier est le troisième mode enlèvent l’administration de l’Escaut et de la Lys aux provinces que ces rivières traversent.

« C’est pour laisser cette administration à ces provinces que le gouvernement eût désiré recourir au deuxième mode.

« Malheureusement il a échoué dans cette tentative.

« Néanmoins il compte encore sur un retour de la part des provinces, et il ne vous demande que sous certaines réserves, qui lui permet de renouveler ses démarches, l’autorisation de faire, de la canalisation des deux rivières, l’objet d’une concession ; il désire même pouvoir disposer séparément de chacune d’elles.

« S’il n’avait point conservé cet espoir, il aurait pu, dès à présent, traiter avec une compagnie concessionnaire, et, au lieu de vous demander une autorisation générale, vous soumettre directement une convention précise.

« En vous demandant une autorisation générale, il use de la latitude que laisse la loi du 19 juillet 1832, qui se borne à excepter la canalisation des rivières, sans dire de quelle manière il sera fait droit à cette exception.

« La canalisation des deux rivières par les provinces laisserait subsister un état de possession qui dure depuis 17 ans ; c’est l’amélioration sans innovation.

« Cet état de possession est le résultat de l’arrêté royal du 17 décembre 1819, arrête en quelque sorte organique de la loi fondamentale de 1815, et qui a survécu à celle-ci.

« Il n’est pas hors de propos de nous arrêter un instant à ces dispositions trop peu connues peut-être.

« La loi fondamentale de 1815 avait consacré un chapitre spécial aux travaux publics.

« Ce chapitre, le neuvième, attribuait au Roi une surveillance suprême sur les travaux publics, sans distinction si la dépense était faite par le trésor public ou de toute autre manière (article 215 et 216) ; il lui réservait le pouvoir de confier aux états des provinces la direction d’une partie des travaux publics, soit à cause d’un intérêt moins général, soit pour des raisons d’utilité ou de convenance tirée de la chose même (articles 218 et 219).

« C’est en exécution de ces dispositions constitutionnelles qu’a été rendu l’arrêté royal du 17 décembre 1819, arrêté non inséré au journal officiel, bien que de la plus haute importance.

« Par cet arrêté, l’administration, l’entretien et les revenus de l’Escaut, de la Lys et des autres rivières navigables du pays, ont été transportées aux provinces, sous réserve de la surveillance suprême attribuée au Roi par la loi fondamentale.

« Cette remise, toutefois, n’emporte pas aliénation du domaine de l’état.

« Les principales conditions, résultant de l’arrêté du 17 décembre 1819, sont les suivantes :

« 1° Révocabilité de la direction confiée aux provinces. Le Roi se réserve la faculté de reprendre par la suite, et suivant les occurrences, sous la direction générale et à la charge du trésor, tel ouvrage mentionné dans l’arrêté qu’il jugera convenable ;

« 2° Charges d’entretien. A partir du 1er janvier 1820, tous les frais qu’entraînent les ouvrages remis aux provinces sont à la charge des états provinciaux, tenus de pourvoir à cette dépense, même en cas d’insuffisance des revenus de ces ouvrages ;

« 3° Abandon des revenus aux provinces. Ces revenus, néanmoins, sont affectés à l’entretien des travaux remis aux provinces, ainsi qu’à l’achèvement des ouvrages déjà commencés, et à la confection des ouvrages qui peuvent être autorisés ultérieurement par le Roi sur la proposition des états. »

« Tel est, en résumé, le régime établi en vertu de la loi fondamentale de 1815, par l’arrêté de 1819, régime qui embrasse toutes nos rivières navigables. »

Peut-on être plus formel dans les expressions ? Les provinces sont prévenues que le maintien de l’arrêté de 1819 n’est compatible qu’avec un seul mode d’exécution, celui de l’exécution par les provinces.

Je vais plus loin ; je rappelle que mon prédécesseur n’a proposé aux provinces de se charger des travaux que pour leur conserver l’administration.

« Lors de la première session provinciale, M. le ministre de l'intérieur appréciant, d’une part, l’avantage de maintenir ce qui existait et de conserver aux provinces une administration dont elles sont en possession depuis 17 ans et, d’autre part, la difficulté pour l’état d’ajouter de nouveaux travaux à tous ceux qui s’exécutent déjà pour son compte, chargea les gouverneurs de faire aux conseils provinciaux la proposition de se charger de travaux de canalisation, moyennant jouissance des péages à établir du chef de ces travaux ; péages qui, ainsi qu’on l’a vu, sont calculés de manière à couvrir tous les frais d’entretien, à pourvoir au paiement des intérêts et à assurer l’amortissement du capital d’exécution en trente années.

« Dans la session de 1836, on ne s’occupa de cette proposition du gouvernement dans les trois provinces, que pour en prononcer l’ajournement à la session suivante.

« La session de 1837 a été tout aussi infructueuse.

« Dans le Hainaut la question de la canalisation n’a pas de nouveau été abordée ; on s’est borné à émettre un vœu, celui de voir instituer une administration spéciale et unique, pour la surveillance et la direction de l’Escaut sur tout son cours en Belgique.

« Dans la Flandre orientale, un membre du conseil a proposé de décréter que la canalisation de l’Escaut serait faite aux frais de la province sur son territoire ; la proposition a été renvoyée à la prochaine session et la députation chargée de l’instruire.

« Dans la Flandre occidentale, la députation permanente a été chargée d’insister auprès du ministère pour que les travaux de canalisation fussent le plus promptement possible exécutés, aux frais de l’état.

« Au milieu de ces hésitations des conseils provinciaux, le gouvernement désire ne pas être lié d’une manière absolue, et pouvoir faire une dernière offre aux provinces dans la session prochaine de 1838 ; l’autorisation qu’il vous demande lui permettra de rendre cette tentative décisive dans l’un ou l’autre sens ; un principe d’unité étant nécessaire, son premier soin sera de chercher à amener un concert entre les trois assemblées provinciales. »

Ainsi, dans le rapport qui précède le projet de loi, toutes les conséquences d’un refus sont énumérées. Dans ce rapport, les provinces ont été rendues attentives au projet du gouvernement ; on a posé en principe que le maintien de l’arrêté de 1819 n’est compatible qu’avec le mode d’exécution par les provinces.

Que s’est-il passé depuis dans les conseils provinciaux ? Rien n’a été fait dans le Hainaut ni dans la Flandre occidentale. Dans le Hainaut on avait émis le vœu qu’il fût au moins institué une direction unique pour l’Escaut, dans tout son cours : mais la direction unique de l’Escaut n’est compatible qu’avec la reprise de cette rivière par l’Etat. Dans la Flandre occidentale, on avait exprimé le désir que les travaux fussent faits par l’état, mais ce mode d’exécution suppose également la reprise par l’état. Par le silence, en 1838, des deux conseils, les résolutions de 1837 sont implicitement maintenues.

Ce n’est que dans la Flandre orientale que l’on s’est de nouveau occupé de la question. Une proposition a été faite par un honorable membre du conseil provincial de la Flandre orientale, tendante à ce que les travaux de canalisation fussent entrepris dans la province aux frais de la province. Cette proposition a été instruite par le conseil provincial ; il avait connaissance de toutes les pièces ; il s’est fait présenter par l’ingénieur en chef de cette province un rapport spécial sur la question ; de plus, dans le cours de l’été dernier, il avait institué dans la Flandre orientale une commission chargée de rechercher les causes des inondations des rives du bas Escaut ; cette commission a fait un très remarquable travail sur ce point. Dans ce travail on avait de nouveau insisté pour que des travaux d’amélioration fussent faits à l’Escaut ; elle a fait ressortir dans son rapport de quelle importance seraient de nouveaux barrages pour les propriétés riveraines ; entre autres ce rapport avait été également imprimé et communiqué aux membres du conseil provincial de la Flandre orientale.

La commission du conseil a été d’avis que pour consacrer les revenus de l’Escaut, il était indispensable que la province se chargeât des nouveaux travaux. Vous voyez que la commission avait très bien senti qu’il y allait pour la province de la conservation de l’Escaut. Voici ce que je lis dans le rapport imprimé de cette commission, page 4 :

« Il est à remarquer, messieurs, qu’une nouvelle disposition peut révoquer cet arrêté, et que l’impossibilité de confier l’entretien des rives de l’Escaut et des nombreux travaux d’art exécutés sur le fleuve à des administrations séparées est un motif puissant qui déterminerait l’administration supérieure à prendre cette disposition, dès que la concession serait accordée à un entrepreneur.

« Pour nous conserver cette importante branche de revenus, votre commission a cru, à l’unanimité, que nonobstant les nombreux travaux entrepris sur tous les points de la province, il serait de son intérêt de se charger des travaux à effectuer sur l’Escaut, conformément au plan de M. l’ingénieur Vifquain joint au rapport de M. le ministre des travaux publics. »

La commission a donc eu soin de rendre attentif le conseil de la province des conséquences du rejet de la proposition. Le conseil provincial, dans sa séance du 18 juillet 1838, a prononcé le rejet. Dès lors, messieurs, il se trouve que le gouvernement a tout épuisé quant aux provinces. Il les a prévenues que les travaux d’amélioration étant devenues indispensables à l’Escaut, elles couraient le risque de perdre l’administration de cette rivière, si elles ne se chargeaient pas elles-mêmes de ces travaux.

Le gouvernement avait donc agi avec la plus entière publicité, la plus entière loyauté. Messieurs, nous nous trouvons réellement dans une impasse, à moins que le gouvernement ne se charge des travaux ; nous savons que les provinces ne veulent pas s’en charger. On a plusieurs fois réclamé leur intervention ; leur refus est constaté.

Nous avons plus que le refus ; nous avons du Hainaut, de la Flandre occidentale, le vœu que l’état se charge de ces travaux. Que pourrait nous apprendre une instruction ultérieure ?

Il s’agit, messieurs, d’un seul barrage sur l’Escaut, et je dois le répéter, ce barrage, tout le monde en convient, les adversaires du projet comme ses partisans, étant construit entre Audenaerde et Tournay, ne présente aucun danger pour les propriétés riveraines.

M. Doignon – J’ai demandé la parole pour réclamer aussi l’ajournement de l’article concernant la construction d’un barrage entre Tornay et Audenaerde. Je crois que c’est abusivement que l’article est présenté. Il est de principe que le budget est une loi d’application ; ainsi la loi qui ordonne la dépense doit précéder le budget. Or, l’ouvrage dont il s’agit est compris, en tout ou partie, dans le système de canalisation pour lequel le ministre a présenté un projet le 27 décembre 1837.

Ainsi, soit que M. le ministre réduise aujourd’hui son système à un seul barrage, soit que ce seul barrage ne soit que le commencement de l’exécution de ce système, le projet de M. le ministre est toujours nécessairement en rapport avec le projet de loi qui n’a pas encore été examiné par la chambre. Or le gouvernement ne peut pas ainsi anticiper sur l’exécution d’un projet de loi auquel la législature n’a pas encore donné son assentiment. De la manière dont M. le ministre des travaux publics s’y prend, il pourrait exécuter tout son projet de canalisation sans aucune loi, car cette année il propose le placement d’un barrage, l’année prochaine il proposerait le placement d’un second barrage, et ainsi successivement jusqu’à ce que l’Escaut fût entièrement canalisé.

Eh bien, messieurs, je pense que la chambre ne peut pas autoriser le gouvernement à entrer dans cette voie ; la chambre ne peut pas, à l’occasion d’un article du budget, trancher l’importante question dont il s’agit. Je voterai donc l’ajournement.

M. Dumortier – Messieurs, la question de la canalisation de l’Escaut, est une question aussi importante que celle de la concession des chemins de fer ; elle se complique des intérêts de la navigation, des intérêts de l’agriculture, des intérêts de l’industrie ; ce n’est pas à l’occasion du budget qu’on peut trancher une question de cette nature. Quant à moi, si l’assemblée voulait discuter le fond, j’aurais beaucoup de choses à dire, et je suis persuadé que la discussion durerait plusieurs jours.

Un projet de loi nous a été présenté sur la matière, et maintenant, sans même avoir retiré ce projet, M. le ministre nous propose dans le budget une disposition qui lui permettrait de faire en détail ce qu’il n’aurait peut-être pas été autorisé à faire en gros : je pense que cela n’est pas admissible.

D’un autre côté M. le ministre veut reprendre l’administration de l’Escaut, de la Meuse et de quelques autres rivières ; je comprends fort bien les motifs qui dirigent ici M. le ministre des travaux publics, et j’avoue qu’il serait fortement à désirer qu’il existât une direction unique pour tous les cours d’eau ; mais pouvons-nous ainsi nous emparer des fleuves que des arrêtés royaux pris en vertu de la loi fondamentale attribuent aux provinces ? C’est encore là une question fort grave que nous ne pouvons pas décider à l’occasion d’un article du budget.

M. le ministre des travaux publics propose de faire un barrage entre Tournay et Audenaerde ; or il existe plusieurs projets de canaux entre ces deux villes ; le barrage ne pourra se rapporter qu’à un seul de ces canaux, et il n’est pas indifférent pour la législature de savoir auquel il se rapportera ; sera-ce au canal de Courtray ou à celui de Roubaix ? Je désire pour mon compte que ce soit le canal de Courtray, car là s’établirait une navigation toute nationale ; je donnerai donc, à l’occasion tout mon appui à ce projet ; mais la disposition qui nous est soumise ne préjuge rien à cet égard, de sorte que si nous l’adoptions, le gouvernement aurait la faculté de choisir entre celui des deux canaux qu’il préférerait. Vous comprenez, messieurs, que nous ne pouvons pas donner une semblable autorisation au gouvernement.

Ainsi, messieurs, la question qu’on veut nous faire décider, ici d’une manière incidente se rattache aux plus grands intérêts, et je le répète, elle a une importance tout aussi majeure que la question des chemins de fer. J’appuie donc de tous mes moyens l’ajournement, tout en me réservant de parler sur le fond, dans le cas où l’ajournement ne serait pas adopté.

M. Van Hoobrouck, rapporteur – Je commence par déclarer, messieurs, que ce n’est pas comme rapporteur que je prends la parole. Dans la section centrale, je me suis opposé au libellé proposé par le gouvernement quant à la reprise par le gouvernement de l’administration de l’Escaut ; ce sera encore cette opinion que je soutiendrai, et j’appuierai l’ajournement proposé par l’honorable député d’Audenaerde.

Je ne puis disconvenir que l’établissement d’un barrage entre Audenaerde et Tournay ne soit une chose fort utile, nécessaire même. Si l’on en doutait, il me suffirait de dire que pour faciliter la navigation dans le bief de l’Escaut entre Audenaerde et Tournay, c’est-à-dire sur une étendue de plus de 11 lieues, il faut retenir l’eau dans le canal d’Antoing sur une étendue de moins d’une lieue et demie, et par conséquent à une telle hauteur que l’on compromet chaque fois les terres basses de cette partie du Hainaut et même celles de la vallée de la Scarpe.

Ensuite, lorsque cette grande masse d’eau est amenée par suite à la grande pente de terrain dans les environs d’Audenaerde, elles sont encore retenues à une telle hauteur que les prairies environnantes sont chaque fois également inondées. Un barrage sur cette partie de l’Escaut supérieur remédiera incontestablement à cet état de choses.

Les provinces ont été vainement sollicitées de faire ce travail et s’y sont refusées. Le ministre ne croit pas que l’état ne pourrait s’en charger qu’à condition de reprendre en même temps l’administration de l’Escaut et de recueillir les bénéfices des péages, parce qu’il se charge des travaux d’entretien et d’amélioration. Ceci est juste, il faut le reconnaître. Mas l’état a-t-il le droit de reprendre ces rivières ? C’est là une première question. L’arrêté de 1815 qui cède ces rivières aux provinces les a toutes comprises dans cette cession. Il faut donc qu’elles fassent toutes parties de la rétrocession, et ces provinces pourront exiger avec justice que le gouvernement, puisqu’il reprend celles où il y avantage pécuniaire, se charge également de celles qui ne sont qu’onéreuses.

Dans cet état de choses, je crois que le gouvernement a mis trop de précipitation à décider une question aussi grave et aussi compliquée. Car ce n’est que par un libellé introduit pour ainsi dire incidentellement au budget, qu’elle a été tranchée.

Mais, en tout cas, cette reprise de l’administration de l’Escaut est-elle utile ? Je n’hésite pas à répondre affirmativement quant à la navigation, parce qu’elle donnerait de l’unité, de la force, aux mesures prises à son avantage. Mais il n’en sera peut-être pas de même quant à la propriété, et celle-ci est assez importante pour que l’on consulte également ses intérêts.

Sous la législation actuelle il a toujours existé des conflits entre l’administration provinciale et le génie civil.

Le génie est toujours enclin, par sa position, à favoriser la navigation ; les autorités provinciales au contraire devaient défendre les intérêts des riverains ; de là des conflits qui étaient souvent poussés à tel point qu’il fallait toute l’énergie des préfets et des gouverneurs pour empêcher qu’on n’occasionnât les plus grands désastres : toutes les personnes qui appartiennent à la Flandre orientale se rappellent parfaitement ce qui a eu lieu à plusieurs reprises par suite de ces conflits.

Un jour, par exemple, le préfet ne pouvant rien obtenir de l’administration du génie civil a dû finir par faire enlever de force les écluses ; peu de temps avant la révolution, le gouverneur de la Flandre orientale, ne pouvant déterminer le génie civil à ouvrir les écluses, a dû en venir à menacer le chef de l’administration de les faire ouvrir à coups de canon. Or, je le demande, messieurs, en présence d’un état de choses semblable, ne serait-il pas dangereux d’abandonner exclusivement au génie civil de intérêts aussi importants ? ne serait-il pas à craindre que ces intérêts ne fussent gravement compromis.

Jadis, messieurs, l’Escaut était administré par une commission composée de députés de la province du Tournaisis (dont la suppression, soit dit en passant, a été un véritable malheur pour la Belgique, et qui, je l’espère bien, sera un jour reconstituée), et de toutes les autres localités intéressées, de sorte que tous les intérêts étaient représentés dans cette commission ; elle avait pour mission d’examiner non seulement le cours de l’Escaut, mais encore tous les affluents ; elle était en même temps munie d’assez de pouvoir pour ordonner la construction de tous les travaux qui pouvaient être nécessaires à la généralité.

M. le ministre des travaux publics parlait tout-à-l’heure de la commission qui a été nommée pour rechercher les causes des inondations dans les Flandres et proposer les moyens d’y porter remède ; j’ai eu l’honneur de faire partie de cette commission ; elle a examiné avec soin tout ce qui se rapportait à cette grave question ; mais elle n’a pas cru qu’il fallait réunir l’administration entre les mains du gouvernement ; elle a reconnu comme utile la construction d’un barrage, mais elle a demandé que, comme contrepoids à l’intervention du gouvernement, il fût créé des wateringues représentant tous les intérêts. Ces wateringues seraient des commissions administratives extrêmement utiles, surtout si on leur donnait assez de pouvoir pour qu’elles pussent porter des décisions sur le jeu des écluses ; car ce ne sont que des commissions locales qui puissent prendre les mesures nécessaires pour empêcher les inondations. Comment est-il possible à M. le ministre des travaux publics de prévoir, de son cabinet, des crues d’eau extraordinaires, et d’y porter immédiatement le remède nécessaire ? Il faut être sur les lieux, et c’est pour cela que je coudrais l’établissement de commissions comme celle dont je viens de parler.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Dans ma pensée, messieurs, la demande d’allocation pour la construction d’un nouveau barrage de l’Escaut, et la reprise du fleuve, sont deux propositions corrélatives ; l’une est la condition de l’autre. Il semble cependant que quelques-uns des honorables préopinants regardent comme possible la division de ces deux propositions, c’est-à-dire que, selon eux, le gouvernement pourrait fournir la somme nécessaire pour la construction d’un nouveau barrage sans reprendre le fleuve, que le gouvernement se chargerait de la dépense sans en retirer aucun profit. Certes, messieurs, il ne fait pas méconnaître les intérêts provinciaux, mais il est aussi de notre devoir de ne pas méconnaître les intérêts de l’état ; si l’état se charge de l’amélioration de la navigation de l’Escaut, il faut aussi que l’état profite des revenus de l’Escaut : agir dans un autre sens serait évidemment méconnaître les intérêts du trésor.

Il me semble donc que la division des deux propositions n’est pas possible : si l’Escaut doit rester aux provinces, l’état ne peut pas se charger d’améliorer le fleuve, et dès lors, celui-ci est condamné à rester dans un statu quo déplorable.

« Avons-nous le droit de reprendre l’administration de l’Escaut. », s’est demandé l’honorable M. Dumortier ? Mais, messieurs, ce droit est écrit en toutes lettres dans l’article premier de l’arrêté de 1819. Cet article porte :

« Nous nous réservons, est-il dit, la faculté de reprendre dans la suite, et suivant les occurrences, sous la direction générale et à la charge du trésor, tel ouvrage mentionné ci-dessus que nous jugerons convenable. »

Ainsi, messieurs, le droit qu’à l’état de reprendre l’administration des fleuves est formellement consacré par l’arrêté de 1819, où, comme je l’ai dit en d’autres termes dans le mémoire qui est joint au rapport de la section centrale, le principe que les rivières navigables appartiennent à l’état, ce principe a été maintenu ; l’arrêté de 1819 a entendu confier l’administration aux provinces, mais le droit de propriété a été conservé à l’état. L’Escaut appartient à l’état mais l’état a pensé qu’il pouvait confier l’administration de cette propriété publique aux provinces : aujourd’hui que les inconvénients de cet état de choses sont constatés, il faut le faire cesser.

« Il faut faire, dit-on, une nouvelle instruction ; vous agissez avec précipitation, la chambre n’a pas même été prévenue des intentions du gouvernement, ce n’est qu’à la section centrale que le projet de reprendre les fleuves a été annoncé. » C’est une erreur , messieurs ; il est dit dans les développements du budget, article 8 et article 9, que l’état, en faisant cette nouvelle dépense, reprendrait l’Escaut et la Lys ; ce qui a été dit de nouveau à la section centrale, c’est ce qui concerne la Meuse.

Et pourquoi, messieurs, faudrait-il une nouvelle instruction ? La question n’a-t-elle pas été assez longuement et assez complètement examinée ? N’est-elle pas entièrement mûre ? Que pouvons-nous apprendre encore par une nouvelle instruction ? Voici, messieurs, ce que apprendrez : Pour la Flandre occidentale, la question est indifférente ; dans le Hainaut, on désire ardemment que l’Escaut soit amélioré, dût le Hainaut perdre la partie du fleuve dont il a l’administration ; toutefois je dois excepter Tournay, car Tournay a conçu une certaine inquiétude pour les propriétés riveraines, les prairies ; c’est-à-dire que cette question excite dans le Hainaut la malheureuse division qui y existe presque pour chaque question entre Tournay et le reste de la province. Faites une nouvelle instruction, vous ne ferez pas cesser cette division et vous n’apprendrez rien de plus que ce que vous savez déjà ; vous aurez une nouvelle édition de toutes les pièces que vous avez sous les yeux, et voilà tout.

Les inquiétudes que l’on a conçues à Tournay relativement aux propriétés riveraines naissaient principalement de ce qu’il avait été présenté un projet complet de canalisation ; aujourd’hui, messieurs, il ne s’agit plus d’exécuter immédiatement un semblable projet ; il s’agit uniquement de construire un barrage. « Mais, dit l’honorable M. Doignon, ce barrage est le commencement de l’exécution du projet complet ; on cherche à obtenir ainsi en détail ce qu’on n’obtiendrait peut-être pas en masse. » Je répondrais à cela que je ne sais pas si ce barrage sera un commencement d’exécution ou toute l’exécution ; c’est ce que l’avenir seul nous apprendra : le nouveau barrage étant construit, nous en verrons les effets quant aux propriétés riveraines et quant à la navigation ; nous verrons si la navigation a besoin d’un autre barrage, nous verrons si les riverains ont quelque chose à craindre de l’établissement de cet autre barrage. Rien donc n’est plus prudent que de procéder de la sorte.

L’honorable M. Van Hoobrouck, tout en redoutant la centralisation, dit cependant que la construction d’un barrage entre Tournay et Audenaerde est nécessaire aux intérêts de la navigation, et il ajoute qu’il serait désirable d’avoir de l’unité dans le régime de la navigation. Encore une fois, messieurs, l’unité du régime de la navigation, qu’on l’appelle centralisation, ou qu’on se serve d’un mot qui porte moins d’ombrage, l’unité du régime fluvial n’est possible que si l’état intervient. Rappelez-vous ce qui a été dit tout à l’heure relativement aux poldres. Pourquoi le régime des poldres existe-il des plaintes ? C’est que les poldres sont abandonnés aux soins de chaque localité intéressée ; c’est que les poldres forment une masse de petites républiques aquatiques, pour me servir d’un expression que je trouve dans un rapport qui vient de m’être adressé sur la question.

Du moment qu’on abandonne le premier fleuve de la Belgique aux provinces et aux propriétaires, l’administration est sans point central, sans unité ; on divise ce qui est indivisible par la nature même des choses ; car enfin l’Escaut ne peut pas se diviser, il présente un ensemble d’administration ; ce qui se fait à Tournay doit se coordonner avec ce qui se fait à Audenaerde et à Gand, et réciproquement. Cependant le moyen de coordination (si je puis m’exprimer ainsi) n’existe pas, car ces autorités se trouvent l’une à côté de l’autre et n’ont pas le droit d’agir l’une sur l’autre. Qu’arrive-t-il dans ces conflits perpétuels quand un embarras majeur se présente ? On a recours au ministère à qui on a soustrait l’administration du fleuve, pour demander qu’il mette fin au conflit, qu’il fasse cesser les embarras, quand il est reconnu que les autorités locales et provinciales ne peuvent pas y mettre un terme à elles seules.

C’est aussi au gouvernement central que s’adresse le commerce étranger, car l’Escaut ne présente pas seulement un grand intérêt pour la Belgique, mais aussi pour les nations étrangères ; c’est pour cela que l’Escaut a été rangé parmi les fleuves qu’on doit considérer comme étant du droit des gens. C’est au gouvernement que la France s’adresse quand la retenue extraordinaire d’eau qu’on est obligée de faire dans le petit bief d’Antoing à Tournay, fait refluer les eaux en France. C’est le gouvernement central qui est responsable vis-à-vis du commerce étranger. Ainsi, on a beau faire, on a voulu morceler le fleuve, le fleuve ne s’est pas prêté au morcellement. Le gouvernement paraît étranger à l’administration de ce fleuve, il l’est en effet ; mais quand il s’agit de rétablir l’unité dans cette administration, c’est à lui qu’il faut s’adresser, parce que lui seul est capable de la rétablir.

Rien ne serait plus facile pour le gouvernement que de se charger de l’administration de l’Escaut. Un ingénieur serait chargé de ce service spécial ; il aurait peut-être sa résidence à Tournay : il y aurait une commission où se trouveraient les propriétaires riverains.

Ce ne serait pas le ministre à Bruxelles qui déciderait de tous les détails de navigation, irrigation et autres ; ce serait la jointe centrale qui serait instituée pour l’unité du régime fluvial. Le ministre ne serait appelé à intervenir que pour les cas graves. Par l’existence de cette administration centrale à laquelle seraient associés les propriétaires riveraines, les dangers que l’on craint pour les propriétés se trouvent entièrement dissipés. Le gouvernement n’agirait que par l’intermédiaire des gouverneurs ; les députations mêmes seraient ordinairement consultées.

Il y a, vous a-t-on dit, trois intérêts qui se rattachent à l’Escaut, l’intérêt agricole, l’intérêt manufacturier et l’intérêt de la navigation. L’intérêt de la navigation est même de deux espèces, car il comprend la navigation quant à la Belgique et la navigation quant aux nations étrangères. Ces divers intérêts manquent d’organisation, sont abandonnés à eux-mêmes, et des conflits surviennent, que l’intervention du gouvernement peut seule faire cesser.

Revenant à la question d’ajournement, je ne puis que répéter que nulle étude, nulle enquête n’apprendront rien de plus que ce qui se trouve dans les documents que vous avez sous les yeux.

M. Desmet – Le droit de reprendre les rivières navigables, on ne peut le contester au gouvernement. Pour moi, toute la question est celle-ci : Y a-t-il utilité de reprendre l’administration et la réparation des rivières navigables ? Je n’hésite pas à répondre non seulement que c’est utile, mais encore que c’est nécessaire ; car, depuis 1819 et même avant, l’administration et la police des rivières navigables a constamment été négligée. Vous savez qu’aucune réparation n’a été faite à l’Escaut. On ne s’est pas plus occupé de la police. Ensuite, on vous a très bien démontré qu’il fallait qu’il y eût unité d’action dans l’administration de l’Escaut. Pour qu’il y eût de l’ensemble, on vous a rappelé que, sous le régime autrichien, on avait établi une jointe à Gand. C’est exact. Je reviens sur ce point, parce que si on veut établir pour l’administration de l’Escaut un service à la tête duquel serait un ingénieur, il faut qu’il ait sa résidence à Gand et non à Tournay, parce que c’est là que sont les écluses. Pour moi, l’intérêt du trésor n’est rien dans cette question, je ne considère que la nécessité de mettre l’administration des fleuves et rivières navigables entre les mains de l’état, par la raison que les provinces ne font rien et que réellement nos rivières sont en un état de souffrance. Mais alors il ne suffit pas que le gouvernement reprenne l’Escaut et la Meuse, il faut qu’il reprenne aussi les autres rivières, car ce n’est pas pour qu’il profite des recettes mais pour qu’il soit chargé de l’administration et de la réparation des communications que je veux qu’il les reprenne. Je désire que le ministre se déclare à cet égard. Quand il reprend l’Escaut, il faut, pour être juste, qu’il reprenne aussi la Dendre. Cette rivière a été tellement négligée, qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’un petit ruisseau, et cela parce que depuis un grand nombre d’années on n’y a fait aucune réparation ; elle n’a été soignée en aucune partie, et quand on veut rendre la navigation possible d’Ath jusqu’Alost, il faut tellement hausser les eaux qu’on ne peut le faire sans endommager les propriétés riveraines, et même dans la saison d’été quand les prairies seraient en pleine croissance.

Je prie de ne pas envisager la question sous le rapport de l’intérêt du trésor, mais sous le rapport de l’intérêt de la navigation et des propriétés riveraines.

Remarquez qu’il ne s’agit pas seulement de faire un barrage, mais de redresser les sinuosités. Le projet du gouvernement n’a pas seulement pour but la navigation, mais aussi l’écoulement des eaux des propriétés riveraines et l’irrigation des prairies. Je dois dire à cet égard que j’approuve le plan entier proposé par l’ingénieur Vifquain, qui ne consiste pas seulement à faire un barrage à haute rive, mais à redresser les sinuosités et à régler l’écoulement des eaux.

Voici mon opinion sur le barrage et l’écoulement des eaux des propriétés riveraines. Il faut abandonner l’Escaut à la navigation et les maîtresses rigoles à l’écoulement des eaux. Je prie le ministre de faire attention à cela, et je me permettrai de lui faire l’observation qu’il me peine qu’il ait abandonné tout le plan primitif présenté par l’inspecteur Vifquain, et je dois faire remarquer que c’est ce projet en entier, pour ce qui regarde la Flandre, que la commission d’enquête d’Audenaerde a approuvé.

De cette manière l’écoulement des eaux ne gênera pas la navigation, et vous aurez la rivière qui sera particulièrement employée pour la navigation, et les maîtresses rigoles serviront à l’écoulement des eaux. Songez que les usines établies à Gand ont toujours donné lieu à des contestations. On a vu cela depuis plus de trois siècles. On avait peur de l’administration et de l’ingénieur, et on a établi non pas seulement des wateringues particulières ou des jointes provinciales, mais une jointe des eaux qui était établie à Bruxelles, ce qui a été très utile, parce qu’elle était composée de membres du génie et de propriétaires pris dans les provinces, et cette jointe s’occupait et de la navigation et de l’écoulement des eaux et de l’irrigation des prairies riveraines aux rivières.

Les obstacles qu’on rencontre sur l’Escaut, ce sont les fabriques, les usines et les moulins de Gand ; c’est à tel point que sous le régime autrichien, on voulut acheter les moulins pour pouvoir faire manœuvrer les écluses ; c’est pour moi une raison particulière pour laquelle je désire que l’état reprenne la direction de l’Escaut, parce que nous aurions alors probablement la certitude que les règlements sur la manœuvre des écluses à Gand seront régulièrement observés, qui depuis plusieurs années sont tombés en désuétude et dont l’inobservation a été très souvent une cause principale des débordements désastreux de la rivière, qui ont causé de grands dommages aux propriétés riveraines ; et je prie M. le ministre de prendre surtout attention à ces propriétés, objet qui a été bien soigné dans le projet de M. Vifquain.

Je ne dirai rien à ce qu’on a dit sur le fond quant au barrage, mais je renouvellerai ma demande que le gouvernement reprenne toutes les rivières du pays.

M. de Jaegher – M. le ministre s’est appuyé sur le travail du rapporteur pour repousser la demande d’ajournement. La question, vous a-t-il dit, a été longuement examinée, toutes les pièces ont été transmises ; on est généralement d’accord sur le principe. Moi aussi, je suis d’accord sur le principe, c’est-à-dire, sur l’utilité d’un seul barrage. Que M. le ministre retranche la condition de la reprise du fleuve par l’état, et je suis d’accord avec lui. Mais, dit-il, les deux propositions sont corrélatives ; si ces propositions sont corrélatives, elles n’ont pas été soumises à la province. Comment aurait-elle pu se prononcer sur des propositions qu’elle ne connaissait pas ?

On lui a soumis un projet de canalisation complète dont la dépense devait s’élever à un million. Maintenant, on ne demande qu’un barrage dont la dépense est de 100,000 francs. Si cette proposition avait été faite à la province, elle n’aurait peut-être pas refusé de contribuer pour sa part ; car il est à remarquer qu’on ne devait pas lui faire supporter toute la dépense ; la navigation de l’Escaut intéressant le pays entier, on ne pouvait pas faire supporter par une province seule les frais d’amélioration de cette navigation. Le ministre s’est défendu d’avoir agi avec précipitation ; tout le monde, a-t-il dit, a été prévenu de ce qu’il s’agissait de faire, et tous les intérêts ont été entendus.

On n’a peut-être pas agi avec précipitation, mais on a agi. La province ne savait pas que l’état reprendrait le fleuve.

On a remis à un conseil, qui n’avait que 15 jours pour s’occuper de toutes les affaires qui lui étaient soumises, un rapport volumineux qu’on aurait pu à peine lire pendant ce temps. Si encore ce rapport avait été communiqué en nombre suffisant d’exemplaires, chacun aurait pu en prendre connaissance, mais on n’en a remis que huit ou dix ; ce n’était pas assez pour chacun pût le parcourir. Le rapporteur, dit-on, en a donné connaissance dans son travail : il a appelé l’attention des états sur l’importance pécuniaire qu’avait l’Escaut pour la province. Je trouve là une raison pour ne pas l’en priver. Si ce fleuve a une si grande importance pour la province de la Flandre orientale, pouvez-vous l’en priver par un vote sur un chiffre de 100 mille francs ?

M. le ministre vous a dit que la proposition avait été longuement discutée ; je le prierai de me citer un seul mot de l’agent du gouvernement. Il n’a prononcé un seul mot ni contre, ni pour : ce serait un projet qui aurait été rejeté sans discussion et sans examen.

Messieurs, je ne veux pas contester à l’état le droit de reprendre les fleuves qu’il a cédés aux provinces.

L’article 1er de l’arrêté de 1819 lui accorde ce droit, mais il n’accorde pas le droit de les reprendre partiellement, il ne dit pas : Nous vous attribuons tous les canaux, fleuves et rivières navigables, mais nous vous les reprendrons partiellement. Nous vous donnons en masse les avantages et les désavantages ; nous vous retirerons plus tard les avantages, pour vous laisser les désavantages. Ce serait une injustice que, j’espère, M. le ministre ne consommera pas.

Le barrage sera-t-il un commencement d’exécution du grand projet de canalisation ? Je ne le sais pas, dit le ministre. Je regrette, moi, qu’il ne le sache pas.

Je ferai observer à M. Desmet, qui s’est prononcé assez légèrement sur la reprise des fleuves, qu’une fois le gouvernement substitué à l’autorité locale, quelles garanties aura l’intérêt agricole, l’intérêt des propriétaires mise en présence de l’intérêt industriel, qui agit en corps, tandis que l’intérêt agricole agit individuellement ? Quels défenseurs aura à Bruxelles le propriétaire qui attend chez lui qu’on lui fasse une injustice pour réclamer, tandis que le commerce et l’industrie, actifs de leur nature, viendront solliciter l’établissement d’un plus grand nombre de barrages ?

On a l’air de traiter l’intérêt des propriétaires avec assez de légèreté, on le considère comme peu important. On a peut-être oublié que ces belles prairies situées entre Gand et Tournay valent 8 à 10,000 francs l’hectare. C’est une richesse qu’on ne pourrait pas, sans une grande imprudence, exposer la Flandre à perdre.

M. Raikem – La question qui se présente en ce moment est celle de savoir si, à dater de 1840, l’état reprendra l’administration des rivières navigables pour lesquelles il demande des subsides aux articles actuellement en discussion. De cette question on n’a généralement traité que ce qui est relatif à la rivière de l’Escaut, en se fondant sur des motifs particuliers à ce fleuve, on a demandé l’ajournement de la disposition soumise à la chambre. Déjà la proposition concernant l’Escaut a été discutée à la section centrale, et en général on a reconnu qu’il était d’utilité publique que l’état reprît l’administration des fleuves et rivières navigables. Mais, ainsi qu’on l’a répété encore à cette séance, on a craint, quant à l’Escaut, qu’on ne méconnût les besoins et les intérêts de l’agriculture. Certes personne ne songe à froisser en quoi que ce soit, les intérêts de l’agriculture. Chacun veut protéger aussi bien les intérêts de l’agriculture que ceux de la navigation et du commerce. C’est en combinant la protection due à tous ces intérêts que l’on arrive à une bonne administration, qui est le but que se propose le gouvernement.

Mais les motifs avancés en ce qui concerne l’Escaut ne peuvent, en aucun cas, s’appliquer à la Meuse.

M. de Jaegher – Ma proposition concerne l’Escaut seul.

M. Raikem – En effet, à la section centrale, on a été unanime en ce qui concerne la Meuse. Il y a donc lieu, dans ce cas, à la division.

Je me proposais de traiter la question relativement à la Meuse. Mais puisqu’on paraît d’accord à cet égard, je me bornerai à faire remarquer qu’il y a urgence à ce que le gouvernement en reprenne l’administration pour prévenir les sinistres, ou plutôt pour les faire cesser ; car malheureusement déjà il y en a eu. Il est même arrivé qu’un homme a péri ; d’autres ont manqué périr, à l’endroit où des travaux pour lesquels une allocation vous est demandée, doivent être exécutés. Et on ne peut élever de doute sur l’extrême urgence de ces travaux.

Comme on ne conteste pas sur ce point, je crois inutile d’en dire davantage en ce moment, et j’attendrai la discussion ultérieure pour m’expliquer plus amplement su cela devient nécessaire.

M. le président – La parole est à M. de Puydt.

M. de Puydt – Je n’avais demandé la parole que parce que je croyais que l’intention de M. Dumortier était d’entrer dans le fond de la discussion. Dans ce cas, je l’y aurais suivi.

Cependant je ne puis me défendre de faire une observation. J’ai fait partie d’une commission d’enquête qui a examiné cette affaire. Je connais les objections des opposants et notamment des opposants de Tournay ; ils ont constamment été dans l’erreur, non quant à un principe, mais quant à une application.

M. Dumortier – Je demande la parole.

M. de Puydt – Ils ont cru que l’intérêt de l’agriculture était compromis dans cette question.

L’Escaut est une rivière qui charrie des limons indispensables pour la culture de ses rives. On a supposé qu’en établissant des barrages le gouvernement ralentirait la vitesse du fleuve et ferait descendre le limon au fond du fleuve ; ce qui empêcherait les propriétaires de faire usage de ce limon pour la culture de leurs prairies. Si cela est vrai en principe, ce n’est pas exact dans l’application ; car il ne s’agit pas de barrages fixes qui auraient les résultats dont je viens de parler ; il s’agit de barrages mobiles, qu’on peut ouvrir quand on veut, qu’on ouvre à des époques fixes pour laisser un passage aux eaux et au limon. Quand on aura établi un ou deux barrages, cela ne changera rien, cela ne fera courir aucun risque à l’agriculture.

Sous ce rapport, les craintes des opposants de Tournay sont mal fondées. On les a détruites dans la commission d’enquêté ; il serait étonnant que l’on vînt les manifester dans cette enceinte.

M. Rogier – Je ne conçois pas l’opposition qui se manifeste contre l’intention annoncée par le gouvernement de reprendre l’administration de nos trois principales rivières. Lorsque cette administration fut remise aux provinces, elle fut acceptée par elles, au moins en ce qui concerne la Meuse et une partie de l’Escaut à moi particulièrement connue, comme un présent onéreux.

Aujourd’hui on veut, en quelque sorte, réparer un grief, mettre fin à une injustice. On le fait en prenant en même temps une mesure d’administration générale à laquelle tout le monde doit rendre hommage. Cependant, dans cette enceinte, il s’élève des voix contre un pareil système. Une première question à se faire serait de savoir si le pouvoir exécutif qui avait cédé l’administration des fleuves aux provinces contre leur gré, ne pouvait le reprendre en vertu du même pouvoir, sans l’avis des chambres. Je crois que le pouvoir exécutif aurait été dans son droit, en remettant l’état en possession d’un domaine qui n’a pu cesser de lui appartenir.

Des orateurs ne contestent pas l’utilité du principe en lui-même, ni le droit du gouvernement ; mais ils voudraient que les provinces fussent consultées. Les provinces ont été averties à l’époque où les rivières leur ont été remises ; et il en est qui ont manifesté leur opinion par une protestation. Tout récemment les provinces (comme M. le ministre des travaux publics l’a fait observer) ont été de nouveau consultées.

Je crois que les consulter encore, ce serait ou une démarche parfaitement inutile, ou un ajournement indéfini. Elle serait inutile pour quelques provinces ; car j’assure qu’elles n’hésiteraient pas à applaudir à la mesure que le gouvernement veut prendre. Quant aux provinces de la Flandre orientale et du Hainaut, je crois que la discussion qui a eu lieu dans cette enceinte s’y reproduirait avec plus de vivacité et d’intensité ; de sorte que le gouvernement ne pourrait arriver au résultat qu’il se propose et qu’il soumet à votre appréciation et à votre décision. La législature est un juge suprême appelé à prendre des décisions suprêmes en matière d’intérêt général. Il n’y a pas à considérer des intérêts locaux, lorsqu’il s’agit de prendre des mesures d’intérêt général, ou plutôt de revenir aux vrais principes d’intérêt général ; car il est contraire à la nature des choses qu’un fleuve devienne le domaine d’une province ou d’une commune.

Le gouvernement hollandais ne prenait pas toujours grand soin des intérêts de la Belgique ; il a pu « provincialiser » et « municipaliser » nos fleuves ; mais les principes du gouvernement belge doivent être tout autres ; s’ils ont été provincialisés et municipalisés sous le gouvernement hollandais, il faut aujourd’hui les nationaliser de nouveau. Il y a quelque chose de mesquin à diviser ce que la nature a créé grand et indivisible. Qu’arrive-t-il de ce que les fleuves sont livrés à l’égoïsme et à l’insouciance des localités ? Il arrive que l’entretien ou l’amélioration de ces voies de communication n’a pas lieu, où a lieu d’une manière incomplète.

Dans la province du Limbourg, chaque année, n’a-t-on pas fait appel au trésor, pour venir au secours des propriétaires riverains qui sont menacés par défaut d’entretien des rives de la Meuse ? Et remarquez-le, il ne s’agit pas de l’intérêt de la navigation de la Meuse dans ces réclamations, mais de l’intérêt des propriétaires.

Dans d’autres provinces, qu’arrive-t-il ? La fiscalité s’empare des produits du fleuve, mais on ne les applique pas selon leur destination ; la rivière n’est pas entretenue. N’est-ce donc rien qu’une voie fluviale comme la Meuse, comme l’Escaut ? Quant à moi, messieurs, je crois que les chambres auraient dû saisir avec empressement l’occasion de retirer au gouvernement ce qui aurait dû ne jamais cesser de lui appartenir.

La question a été parfaitement traitée et éclaircie dans les mémoires distribués par M. le ministre aux membres de la chambre. Personne ne peut avoir de doute sur l’utilité qu’il y a pour l’état de se remettre en possession d’une chose du domaine public. Consulter les pouvoirs locaux c’est méconnaître nos prérogatives, c’est dire que les pouvoirs locaux sont plus aptes que vous à décider sur les intérêts généraux. Les conseils locaux sont utiles pour défendre les intérêts de leurs localités ; votre devoir est d’apprécier toutes les questions d’intérêt général, et d’oser les décider vous-mêmes sans recourir à des ajournements qui ne peuvent amener que des résultats fâcheux pour l’intérêt public. J’appuie la proposition telle qu’elle est faite par le ministre.

M. Gendebien – Au point où est arrivée la discussion, je crois que je puis ménager vos moments. Il y a ici une question qui domine toutes les autres : le roi Guillaume a-t-il aliéné les fleuves ? Non ; il ne l’a pas fait et ne pouvait le faire. Il est reconnu que les fleuves appartiennent au domaine public c’est-à-dire qu’ils n’appartiennent à personne, ou, si vous voulez, qu’ils appartiennent à tout le monde, que l’usage en appartient à tous ; dès lors l’administration n’en peut appartenir qu’au gouvernement qui représente toutes les individualités. Pour l’Escaut, l’usage n’en est pas même à toute la Belgique seulement, il est encore à la France. Dès l’instant qu’il n’y a pas d’aliénation, et qu’il ne pouvait y en avoir, je demande quels scrupules empêcheraient de s’emparer des fleuves, comme le disait un député de Tournay ? On ne s’empare même pas des fleuves, le gouvernement ne fait que reprendre la direction de certains travaux publics que le roi Guillaume, en vertu de la loi fondamentale, a confié aux provinces ; voyez la loi fondamentale et vous vous convaincrez qu’il n’y a eu qu’une dénégation d’une branche de l’administration des travaux publics. Ce que Guillaume a fait par un arrêté, nous ne pourrions pas le faire ou le défaire en assemblée nationale ? ce serait contraire à tous les principes ; autant vaudrait dénier au gouvernement le droit de reprendre les grandes routes, parce qu’il en a concédé la restauration, pendant quelques années, à des concessionnaires.

Je le demande de nouveau, quels scrupules peuvent s’opposer au vote de l’article tel qu’il est proposé par le gouvernement ?

M. de Jaegher – Mais le gouvernement doit reprendre tous les autres canaux et rivières ?

M. Gendebien – Soit ; cette question n’est pas à l’ordre du jour. Mais si les provinces croient pouvoir se décharger de toutes leurs obligations, elles réclameront devant le gouvernement, qui y fera droit, et s’il se refusait à rendre justice, nous verrions ce que nous aurions à faire ; mais, je le répète, nous ne sommes pas saisis de cette question.

Il est un autre scrupule que je ne conçois pas davantage. On a dit : Une loi a été présentée pour un ensemble de travaux plus nombreux sur l’Escaut : l’article du budget en discussion est un commencement d’exécution.

Je ferai remarquer qu’il n’y a aucune connexité entre le projet de loi et l’article du budget en discussion : le barrage entre Tournay et Audenaerde est indépendant de tous les autres travaux compris au projet de loi ; vous pouvez faire ces travaux sans qu’il entraîna l’exécution des autres ; comment peut-on y voir l’exécution anticipée de la loi ? on n’exécutera pas cette loi si cela ne convient pas à la chambre, et cela par une raison toute simple : elle conserve toujours le droit de refuser les subsides. Et encore, quand on y verrait l’exécution de la loi, quel danger y a-t-il ? Pour moi je voterai l’article du ministre.

M. Desmet – Si on est pressé, je ne répondrai pas à M. de Jaegher, et d’ailleurs on pourra lire mon premier discours. Je désire que le libellé ne s’étende pas seulement à l’Escaut et à la Lys, mais qu’il s’étende à toutes les rivières qui étaient sous l’administration du gouvernement avant 1819. C’est l’amendement que je vais avoir l’honneur d’envoyer au bureau.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable préopinant pense qu’il faut insérer dans la loi du budget, car c’est une loi que nous faisons, que l’état reprendra tout ce qui a été attribué aux provinces en 1819. Messieurs, c’est sans doute un sentiment de justice qui anime le préopinant, mais l’honorable M. Gendebien lui a déjà répondu.

Le gouvernement reconnaît qu’il est d’intérêt général que l’état se remette en possession de nos trois grandes rivières, l’Escaut, la Lys et la Meuse : faut-il faire davantage et reprendre toutes les autres rivières navigables ? Mais attendez que les provinces fassent leurs réclamations, si ces réclamations sont justes, vous ne les repousserez pas. La chambre, en s’associant au gouvernement pour la reprise de nos trois principales rivières, sait parfaitement ce qu’elle fait ; la question est instruite ; en allant plus loin, elle s’aventurerait.

Qu’on attende les réclamations des provinces ; nous sommes ici pour y faire droit ; le gouvernement instruira les réclamations et vous en fera part ; il vous dira s’il y a justice à reprendre telle ou telle rivière.

Vous allez dépouiller les provinces d’un revenu, a dit M. de Jaegher ; mais les provinces n’avaient pas le droit de se faire un revenu des rivières ; c’est un abus que je vous ai dénoncé. Qu’a fait la province de la Flandre orientale dont on a plaidé la cause ? Depuis 1831 ; elle a perçu 200 mille francs, et n’a fait de travaux que pour 82 mille francs.

La Flandre orientale n’avait pas le droit de se faire ce revenu, au moyen de la perception du droit de navigation. La Flandre orientale aurait dû faire à l’Escaut les travaux d’amélioration qui ont été si vivement réclamés ; elle ne les a pas fait, quoiqu’elle ait été mise en demeure par le gouvernement. Le gouvernement à cet égard n’a aucun moyen d’action sur les provinces ; comment le gouvernement imposerait-il tel ou tel ouvrage à l’Escaut, sous prétexte que le revenu n’a pas été entièrement épuisé en travaux ?

Ce qui est arrivé dans la Flandre orientale est arrivé dans d’autres provinces ; cela est arrivé, entre autres, pour la Meuse, dans la province de Namur et dans celle de Liége. Dans chacune de ces provinces, on a économisé depuis 1830 environ 100,000 francs sur les recettes ; et néanmoins pendant que chacune de ces deux provinces réalisait une économie de 100,000 francs, l’état était obligé de dépenser pour le Limbourg une somme de 150,000 francs, et une autre de 80,000 francs pour la province de Liége.

Si l’on persistait dans un semblable système, remplirait-on les devoirs qui nous sont imposés ? Ne sacrifierait-on pas l’intérêt du trésor de l’état à l’intérêt du trésor provincial.

Messieurs, est-il nécessaire d’aller plus loin, de reprendre d’autres rivières ? Le gouvernement examine la question, le gouvernement recevra les réclamations qui lui seront adressés et vous proposera d’y faire droit, s’il est reconnu qu’elles doivent être accueillies. En proposant aujourd’hui de reprendre l’Escaut, la Lys et la Meuse, l’état n’exclut pas la reprise d’autres rivières. Cependant les honorables préopinants auxquels je réponds ont raisonné comme si le vote que je provoque excluait la reprise d’autres rivières ; il n’y a pas d’exclusion à cet égard, je le déclare de la manière la plus formelle à la chambre. (Aux voix ! aux voix !)

M. Dumortier – Messieurs, la question est tellement importante, que la chambre me permettra sans doute de dire encore quelques mots. Je l’ai déjà dit à l’assemblée, et je le répète, la question de la canalisation de l’Escaut, qu’il ne faut pas confondre avec la question de la reprise, par l’état, des fleuves et des rivières, est une des plus graves questions d’art qui puissent jamais être agitées, puisque l’Escaut est notre fleuve principal, la grande artère commerciale de la Belgique.

Eh bien, je vous le demande, messieurs, est-il convenable, est-il possible, à propos du vote d’un chiffre du budget, de trancher, sans discussion préalable, d’une manière incidente, le principe de la canalisation de l’Escaut qui peut détruire l’agriculture sur les bords de cette rivière, et compromettre gravement la navigation de la Belgique entière.

J’entends qu’on m’objecte qu’il ne s’agit ici que de la construction d’un barrage. Moi, je dis que l’on pose ici le principe de la canalisation de l’Escaut. La question que l’on veut réduire à des proportions si simples, me paraît tellement renfermer le principe de la canalisation de l’Escaut, que M. le ministre des travaux publics vous dit en toutes lettres dans son rapport que plus tard l’on pourra peu à peu multiplier les barrages, c’est-à-dire, qu’on a l’intention, en procédant ainsi, d’éviter d’établir la question du principe de la canalisation de l’Escaut, et que l’on veut opérer cette canalisation au moyen de votes de détail.

Maintenant ce qui prouve de nouveau et à l’évidence que cette grave question doit faire l’objet d’un examen spécial et approfondi, c’est qu’un des membres de la chambre les plus éclairés dans ces matières n’a pu la saisir. L’honorable M. de Puydt, dont tous nous apprécions la compétence dans ces sortes de questions, ne saisit pas l’objection que nous faisons contre la canalisation de l’Escaut ; comment dès lors est-il possible que la chambre puisse émettre un vote en parfaite connaissance de cause ?

L’objection que nous faisons contre la canalisation de l’Escaut est très simple, et vous allez apprécier combien elle est grave. Nous disons, nous, que l’Escaut n’est pas un fleuve comme la Meuse, comme la Moselle. L’Escaut est un fleuve qui charrie son limon ; mais lorsque vous aurez établi votre barrage, l’Escaut déposera son limon, et en peu d’années le lit de la rivière deviendra plus élevé que les prairies avoisinantes, et la navigation deviendra impossible.

Comprend-on maintenant la grave et sérieuse objection que nous avons à faire contre la canalisation de l’Escaut ? Nous ne nous opposons donc pas à la canalisation de l’Escaut, comme on l’a prétendu, par ce seul motif que le limon du fleuve ne serait plus déversé sur les prairies avoisinantes.

Et il est tellement vrai que le déplorable résultat que je viens de signaler à la chambre se réalisera, que déjà des affluents de l’Escaut ne sont plus navigables, par suite d’une mesure semblable qu’on a prise relativement à ces affluents.

L’on a prétendu canaliser la Scarpe, et aujourd’hui cette rivière n’est plus navigable ; les prairies avoisinantes sont devenues des marais, à cause qu’il n’y a plus d’écoulement. L’on a voulu canaliser la Dendre, autre affluent de l’Escaut, et aujourd’hui la Dendre n’est plus navigable, parce que, par l’établissement d’une écluse, la rivière ne charrie plus son limon qui se dépose dans le fond du fleuve. Il existait autrefois dans la ville que j’habite un quartier longeant l’Escaut et où se tenait le parlement de Tournay ; eh bien, ce quartier s’est tellement envasé qu’on a dû le relever de sept à huit pieds ; les chambres où se tenaient les juges sont devenues des caves. Ce qui prouve que le lit des fleuves s’élève tous les ans.

Mais vous parlerai-je d’un fait plus frappant et plus récent, de l’écluse de Dottignies qu’on a cent fois citée ? Sous la restauration, on a voulu établir une écluse à Dottignies, à trois lieues au-dessus de Tournay, et cela également dans l’intérêt du commerce. Jusqu’à cette époque tous les bateaux de Tournay passaient à Dottignies avec un tirant d’eau de 2 mètres 30 centimètres ; eh bien, aujourd’hui, les bateaux de Tournay ne peuvent passer à Dottignies qu’avec un tirant d’eau d’un mètre 60 centimètres.

Un honorable député de la province d’Anvers vient de citer un fait semblable. Le Rupel tend à s’envaser, a-t-il dit, et pourquoi ? parce qu’il y a de l’embarras au fond du fleuve. Le limon ne pouvant plus marcher avec l’eau, le fleuve se relève. C’est ce qui arrive et arrivera toujours lorsqu’on voudra canaliser des fleuves qui charrient du limon. Or, l’Escaut charrie du limon, et quand l’Escaut sera ainsi relevé, que ferez-vous ? L’honorable M. Desmet a dit que si la Dendre, s’est ainsi relevée, c’est qu’on l’a négligée. Et si plus tard l’Escaut vient à être relevé de dix pieds au-dessus des prairies avoisinantes, l’on viendra encore dire : C’est qu’on l’a négligé. Et alors, messieurs, il n’y aura plus que deux moyens de remédier au mal : ou d’épurer le fleuve, ce qui pourra entraîner une dépense de 50 millions, ou bien de relever les écluses, et alors toutes les prairies avoisinantes deviendront des endroits marécageux, et des fièvres pestilentielles en résulteront qui viendront décimer la population.

Voilà, messieurs, les conséquences du système dans lequel on cherche à vous entraîner ; il est indispensable d’ajourner un question à laquelle se rattache les intérêts les plus graves. Messieurs, si la chambre donne au ministre le vote qu’il demande, la navigation de la Belgique pourrait être sacrifiée au profit de la navigation française.

Je suis loin de dire que telle est l’intention de M. le ministre des travaux publics ; mais, pour ma part, je ne suis nullement disposé à voter un principe qui pourrait entraîner, dans l’avenir, une conséquence aussi défavorable.

Si la chambre devait adopter l’article présenté par le gouvernement, si elle écartait aujourd’hui l’ajournement que M. de Jaegher et moi avons proposé, je demanderai alors que le lieu de l’écluse que M. le ministre veut établir, fût cité dans la loi, pour qu’au moins il n’y eût pas de doute à cet égard. Je me réserve de faire cette proposition, si l’ajournement n’était pas admis.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, il ne s’agit pas ici de sacrifier les intérêts de l’agriculture, il s’agit de concilier tous les intérêts ; et réellement il y a de quoi s’étonner de l’accusation dirigée contre le gouvernement et contre les partisans de la proposition qui vous est faite, que leur intention serait de sacrifier les intérêts de l’agriculture.

Y a-t-il dans cette chambre des partisans exclusifs de tels ou tels intérêts, des partisans des intérêts agricoles, des partisans des intérêts industriels ? il me semble que tous vous avez à cœur, et le gouvernement avec vous, de protéger tous les intérêts.

Les objections faites contre la canalisation de l’Escaut considéré dans son ensemble vous sont connues ; elles ont été indiquées dans les pièces jointes au projet présenté l’année dernière ; elles sont résumées dans le rapport qui précède ce projet ; tout y a été discuté, et rien de nouveau n’a été dit par l’honorable préopinant.

A Tournay, on ne veut pas de la canalisation de l’Escaut, on ne veut aucun genre d’amélioration sur l’Escaut. A Mons, on veut le système complet. Qu’a fait le gouvernement ? Il s’est arrêté à une chose bien simple : faisons un barrage ; l’avenir décidera s’il faut faire davantage.

Cette proposition, messieurs, est une espèce de transaction entre Mons qui veut tout, et Tournay qui ne veut rien. Ajournons, dit l’honorable M. Dumortier. Cet ajournement donnerait gain de cause à ceux qui ne veulent rien : car l’ajournement n’aboutira à aucun résultat : ce sera un nouveau renvoi aux conseils provinciaux ; on reproduira les mêmes discussions, les mêmes objections, et la question se reproduira avec les mêmes éléments, dans la session prochaine. L’on se retrouvera en présence des mêmes oppositions provinciales et locales. Espérez-vous peut-être rencontrer l’unanimité ? Vous ne l’aurez jamais ; aujourd’hui comme dans un an, dans deux ans, vous vous trouverez en présence d’intérêts opposés.

Que vous décidiez aujourd’hui ou dans un an, la discussion ne fera pas un progrès, qu’on le sache bien ; il ne s’agit pas de décréter ici un système complet de canalisation, il s’agit d’une simple amélioration ; et peut-être si l’administration du fleuve était restée aux mains de l’état, toutes ces oppositions ne se seraient pas rencontrées. L’état, administrant l’Escaut, aurait fait ce qu’il fait à l’égard d’autres ouvrages ; il y fait des améliorations partielles, il procède par expérience, d’essai en essai et l’on eût construit un nouveau barrage depuis longtemps entre Tournay et Audenaerde, sans faire naître toutes les inquiétudes qui se produisent aujourd’hui.

Par ces motifs, je crois devoir persister dans ma proposition, qui, remarquez-le bien, laisse entière la question du système complet de la canalisation de l’Escaut. L’avenir nous apprendre ce que nous aurons à faire à cet égard.

De toutes parts – Aux voix ! aux voix !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président – M. Dumortier a fait parvenir au bureau une proposition tendante à faire de la demande du gouvernement l’objet d’une loi spéciale.

M. Desmet a fait parvenir de son côté un paragraphe additionnel, qui terminerait l’article présenté par le gouvernement. Il est ainsi conçu :

« Ainsi que de toutes les rivières qui, avant l’arrêté de 1829, étaient sous sa direction. »

- L’amendement est appuyé.

M. le président – La chambre désire-t-elle que je mette d’abord aux voix la proposition du gouvernement ou celle d’ajournement.

M. Dumortier – La question d’ajournement a toujours la priorité, il faut d’abord la mettre aux voix..

M. de Jaegher – Je demande à faire une observation : j’ai, il est vrai, demandé l’ajournement, mais alors j’entendais que la question fût divisée.

Mon intention n’est pas de faire ajourner la remise de la Meuse à l’état ; ma proposition d’ajournement ne concerne que la question de l’Escaut.

M. Raikem – Je voulais faire l’observation qu’a faite l’honorable préopinant, à savoir que la question d’ajournement ne concerne que l’Escaut et nullement la Meuse.

M. Rogier – Si j’ai bien compris l’honorable M. Dumortier, il ne demande pas l’ajournement d’une décision sur la question de principe, en ce qui concerne la reprise des fleuves et des rivières : il demande seulement qu’on ajourne la dépense, parce que, suivant lui, cette première dépense supposerait une canalisation sur laquelle, dit-il, on n’a pas obtenu tous les renseignements propres à éclaircir la question. Je demande que la chambre prenne une décision en ce sens : qu’elle décide la question du principe de la reprise des fleuves et des rivières, puis, qu’on pose la question d’ajournement, en ce qui concerne la dépense destinée au barrage, je le veux bien ; mais je ne pense pas qu’on puisse confondre la question de principe avec la question de la dépense relative au barrage. Ce sont deux choses distinctes. Je demande donc qu’on mette d’abord aux voix la question de principe, et qu’on ajourne ensuite, si l’on veut, la question de la dépense.

M. Dumortier – Messieurs, j’ai demandé l’ajournement de tout ce qui est relatif à l’Escaut, voici pourquoi : La question de l’Escaut n’est pas un question simple, comme celle de la Meuse ; c’est une question complexe. Entre autres raisons que l’on a mises en avant, je rappellerai celle-ci : C’est qu’en même temps qu’on a remis aux provinces l’administration de l’Escaut qui est productif, on a mis à leur charge d’autres rivières qui ne rapportent rien. Il y a donc connexité : c’est ce qui a motivé l’amendement de M. Desmet.

M. de Jaegher – Je ne conçois pas que l’on puisse discuter si longtemps une question bien simple. Dans le budget on nous propose un article ainsi conçu :

Construction d’un barrage entre Tournay et Audenaerde sur l’Escaut, dont l’état reprend l’administration à partir du premier janvier 1840 : fr. 95,000. »

J’ai demandé l’ajournement de tout ce paragraphe, afin qu’il soit présenté un projet de loi spécial. Je ne conçois pas comment l’honorable M. Rogier peut demander qu’on tranche incidemment dans un budget une question de principe. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président – S’il n’y a pas d’opposition, je mets aux voix l’ajournement.

Plusieurs membres – L’appel nominal !

- On procède au vote par appel nominal ; en voici le résultat :

55 membres prennent part au vote.

3 s’abstiennent : Messieurs A. Rodenbach, Smits et Ullens.

34 répondent non.

18 répondent oui.

En conséquence, l’ajournement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, de Jaegher, Demonceau, de Perceval, de Sécus, Desmanet de Biesme, Doignon, Dumortier, Eloy de Burdinne, Scheyven, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Van Hoobrouck et Verdussen.

Ont répondu non : MM. Beerenbroeck, Coghen, Corneli, de Florisone, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, de Nef, Dequesne, de Renesse, Desmet, de Terbecq, Dolez, B. Dubus, Duvivier, Lecreps, Lejeune, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Seron, Vandenhove, Vanderbelen, Verhaegen, Willmar, Zoude et Fallon.

M. Dumortier – Je demande que mon vote affirmatif soit inséré au procès-verbal.

M. Doignon – Je le demande également.

M. Gendebien – Je demande l’insertion de mon vote négatif.

M. Raikem – Je demande aussi l’insertion de mon vote négatif.

- Tous les membres demandent l’insertion de leurs votes.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. A. Rodenbach – Je me suis abstenu parce que je n’étais pas présent à la discussion.

M. Smits – J’aurais voulu voir décréter en principe l’administration de tous les fleuves du pays par l’état, mais je n’ai pas osé voté pour les travaux proposés parce que je ne sais pas si la navigation de l’Escaut ne pourrait pas se trouver compromise.

M. Ullens – Je me sui abstenu pour les mêmes motifs que M. Smits.

M. le président – M. Dumortier vient de déposer un amendement ainsi conçu :

« Je propose d’établir l’écluse à Haute-Rive. »

Plusieurs voix – Il y a clôture.

M. Dumortier – Il n’y a eu clôture que sur la question d’ajournement.

M. Dolez – Il y a eu clôture sur le tout.

M. Dumortier – Je demande la parole.

M. Dolez – Je la demande aussi.

M. le président – M. Dumortier a la parole.

- MM. les membres quittent leurs places.

La séance est levée à 5 heures.