(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1838)
(Présidence de M. Dubus (aîné), vice-président.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pi
« Des bateliers de la rivière d’Ourthe demandent l’achèvement ou la suppression des ouvrages d’art du cantonnement de Liège à Barvaux. »
« L’administration communale de Flostoy demande que cette commune soit distraite de la justice de paix de Ciney et de l’arrondissement de Dinant, pour être réunie au canton d’Andenne. »
« Le conseil communal de Denderleeuw demande que la chambre adopte la proposition de M. C. Rodenbach, relative à la nouvelle circonscription de la Flandre orientale. »
- Ces trois pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Des cultivateurs de l’arrondissement de Nivelles adressent des observations sur le projet d’imposer le lin à la sortie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux fils de lin.
« Des fabricants de tabac de Liége adressent des observations sur le projet de loi relatif au tabac. »
- Cette pétition sera déposée sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi sur la matière.
M. le président. - Plusieurs amendements ont été proposés, et développés et appuyés dans la séance d’hier.
Amendement de M. de Nef : « Le fil écru et blanc, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle et dont la mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus par hectogramme, est exempt de droit à l’entrée. »
Amendement de M. Desmet :
« Fil simple écru, n°1 à 30 (anglais), à 20 fr. les 100 kil.
« Fil simple écru, n°31 à 60 (anglais), à 25 fr. les 100 kil.
« Fil simple écru, n°61 et au-dessus, à 30 fr. les 100 kil.
« (Celui de mulquinerie excepté.) »
M. Verdussen a proposé le maintien du mode de perception à la valeur, et il a demandé que la chambre prononçât préalablement sur le mode.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, j’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l’honorable député d’Alost. Je conviens avec l’honorable M. Desmet que les toiles des Flandres sont les plus belles et les plus solides qui soient confectionnées en Europe. Tout en convenant de cette vérité, il n’en est pas moins vrai que notre débouché à l’extérieur est considérablement diminué.
Messieurs, je l’ai déjà dit dans la séance d’hier, les Anglais ont exporté pendant les dernières années jusqu’à près de 100 millions de toiles et de fils de lin. Cet accroissement est véritablement effrayant. C’est la Belgique qui autrefois avait pour ainsi dire ce débouché. Lorsqu’on examine les rapports des exportations de l’Angleterre, on remarque que déjà en 1834 (et aujourd’hui elle en exporte davantage), qu’en 1834, dis-je, l’Angleterre a envoyé aux Etats-Unis pour 25 millions de toiles, et au Brésil pour près de 7 millions ; enfin elle a expédie l’année dernière pour 50 millions en Amérique. Et notez bien que c’était la Belgique qui faisait exclusivement ce commerce dans le Nouveau-Monde.
Il est donc certain que nous devons changer de système, nous devons être à la hauteur du siècle. On l’a dit, messieurs, le siècle est en marche ; nous ne pouvons pas nous arrêter : nous devons marcher avec le siècle. Nous devons, tout en convenant que nos toiles sont plus belles et plus solides que les toiles anglaises ; nous devons aussi confectionner de la toile anglaise. Nous avons dans notre pays le lin, les frais de fabrication ; nous avons tout ; nous pouvons faire des machines, nous sommes donc en position de soutenir la concurrence avec l’Angleterre. Puisque nous sommes en cette position, l’intérêt du pays exige impérieusement qu’on se mette à l’œuvre ; il y va de la prospérité de la richesse du pays, car la grande richesse de la Belgique vient de l’industrie linière.
Je dis donc que nous devons fabriquer les deux espèces de toiles ; nous devons continuer à confectionner, comme nous le faisons depuis des siècles, nos belles et bonnes toiles des Flandres, mais nous devons aussi fabriquer de la toile anglaise, que la mode recherche et que les Anglais trouvent le moyen de vendre. Si les Anglais peuvent la vendre, nous, avec notre matière première, nous devons pouvoir soutenir la concurrence avec les Anglais.
Mais, tout en convenant de la nécessité de fabriquer aussi les toiles d’après le système anglais, je ne demande pas pour cela protection pour la fabrication à la mécanique. D’abord, cette industrie n’a pas besoin de protection, car elle est puissante ; il n’y a que les faibles qui aient besoin d’être protégés ; ce sont nos 400,000 fileuses des Flandres qui doivent être protégées ; mais je le répète, la fabrication à la mécanique n’a pas besoin de protection, cette industrie se protège par sa puissance même ; demander protection pour cette fabrication reviendrait à réclamer une protection financière pour M. Rothschild, ou pour la grande banque de Bruxelles : c’est le faible, et non le fort qu’il faut protéger.
Messieurs, nous devons surtout protéger les fils qui sont fabriqués à l’intérieur ; mais ce droit doit être raisonnable ; car si nous allons trop loin, nous pourrions nuire à certaines industries. L’amendement qui a été présenté par un honorable député de Turnhout n’obtiendra pas mon assentiment, je l’ai déjà combattu hier ; cet amendement constituerait une espèce de privilège, il ne peut dès lors être admis. D’ailleurs, il serait impossible de faire cette perception à la douane.
L’amendement de l’honorable député d’Alost qui demande qu’on perçoive le droit par numéros à l’entrée est également impraticable ; j’en appelle aux honorables membres de cette chambre qui ont des connaissances spéciales en matière de douanes, et ils vous diront que l’industrie qui est si vigilante trouvera moyen de faire passer les numéros moyens pour des numéros fins ; cet amendement créerait donc un appât à la fraude ; je crois donc qu’il est également inadmissible.
Je voterai pour le mode à la valeur qui, selon moi, est le seul praticable dans l’espèce. Je sais bien qu’on peut objecter que les déclarations sont d’un tiers au-dessous de la véritable valeur. On nous a dit que le commerce, même honnête, faisait de semblables déclarations. Eh bien, rien n’empêche que nous ne fassions le tarif en conséquence ; nous n’avons qu’à augmenter d’un quart le droit que nous voulons faire percevoir.
Je voterai donc pour le chiffre qui protège le fil à l’entrée.
M. de Muelenaere. - Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur a fait ressortir les contradictions qui semblent résulter de la combinaison de plusieurs rapports de chambres de commerce. M. le ministre a particulièrement insisté sur la différence qui existait entre le rapport de la chambre de commerce de Bruges et le rapport de la chambre de commerce de Courtray.
En effet, messieurs, la chambre de commerce de Bruges ne propose sur les fils écrus qu’un droit de 15 francs, et sur les fils blancs, teints et tors, un droit de 30 francs par 100 kilog. Mais je ferai remarquer que la chambre de commerce de Bruges ajoute elle-même que c’est en considération des motifs énonces dans la réclamation des fabricants de toiles à carreaux qu’elle ne propose que ce droit. Or, un de nos honorables collègues a déjà proposé un amendement pour faire droit aux réclamations des fabricants de toiles à carreaux.
Il est à remarquer que le droit de 15 francs sur les fils écrus, et celui de 30 francs sur les fils blancs, teints et torts, perçus au poids, ne sont évalués par la chambre de commerce de Bruges qu’à 10 p. c. à la valeur. La chambre de commerce de Courtray, au contraire, propose des droits infiniment plus élevés au poids, et cependant ce collège n’évalue ces droits qu’au taux de 8 p. c. à la valeur.
Messieurs, si cette contradiction était réelle, je crois qu’on devrait se tenir de préférence au chiffre qui a été proposé par la chambre de commerce de Courtray. Et en effet, le commerce des fils est un commerce d’une haute importance dans la ville et dans l’arrondissement de Courtray. Il est à ma connaissance que plusieurs membres de la chambre de commerce de Courtray ont fait autrefois le commerce des fils ; dès lors ce commerce leur est très familier, leur est parfaitement connu.
Indépendamment de cela, je puis encore affirmer que les droits que propose la chambre de commerce de Tournay, et qui ne sont évalués qu’à 8 p.c. à la valeur, sont le résultat d’expériences répétées, et je pense que les contradictions dont il s’agit sont beaucoup plus apparentes que réelles, et qu’elles proviennent uniquement de ce que, pour arriver à ce résultat, on a opéré sur des fils de qualités et de prix entièrement différents. Et en effet, quand on prend pour base de cette opération des fils de qualités et de prix essentiellement différents, il faut inévitablement, en fixant le droit au poids, arriver à des résultats qui sont dissemblables, si vous voulez réduire ce droit en un droit à la valeur.
Quoi qu’il en soit de ces avis des chambres de commerce, assez difficiles à concilier pour les personnes qui n’ont pas une grande habitude de ces affaires (et je vous avoue que pour moi j’ai eu quelque peine à les concilier), quoi qu’il en soit, dis-je, il faut convenir qu’il en résulte une vérité : c’est qu’il sera très difficile d’établir un droit uniforme au poids, et que ce droit devra être établi d’après des numéros, c’est-à-dire d’après des qualités différentes, et qu’en agissant de cette manière, on agira d’après l’avis émis par les diverses chambres de commerce qui ne diffèrent dans leurs propositions que parce qu’elles ont pris pour base de leurs opérations des articles différents.
D’après cela, je serais disposé à adopter l’amendement présenté par M. Desmet, qui consiste à diviser les fils en catégories, en classes, et à varier le droit suivant la classe à laquelle les fils appartiennent. Je crois que de cette manière nous parviendrons à faire une application plus juste du nouveau tarif ; nous n’aurons pas pour une espèce de fil un droit écrasant, un droit équivalent peut-être à la prohibition, tandis que pour d’autres nous n’aurons pas un droit suffisamment protecteur, si nous adoptons un droit uniforme perçu au poids sur les fils. Je bornerai là mes observations pour le moment, parce qu’il m’a semblé qu’on était généralement disposé à établir un droit et qu’on ne différait d’opinion que sur la question de savoir de quelle manière il fallait l’établir. Je pense que le moyen le plus juste est de l’établir au poids, en adoptant des catégories.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, la nouvelle publiée depuis hier par les journaux, que le roi Guillaume aurait accepté les 24 articles, est d’une trop grande importance pour que la nation et la chambre ne désirent pas connaître si le gouvernement a reçu des communications officielles à cet égard, et je viens demander à MM. les ministres qu’ils veuillent bien s’en expliquer.
Mon unique but, en faisant cette interpellation, est de tirer le public de l’incertitude pénible dans laquelle il est encore sur un événement politique qui serait de la plus haute gravité pour le pays.
Mon intention n’est pas, et ne sera sans doute celle d’aucun de nous, de faire naître en cette occasion une discussion sur notre situation actuelle vis-à-vis de la Hollande ; une semblable discussion serait prématurée et peut-être imprudente, en supposant même que la nouvelle de l’acceptation des 24 articles soit officielle et sans restriction.
Je dirai seulement aujourd’hui que, dans tous les cas, cette acceptation ne pourrait amener, en 1838, les résultats déplorables qu’elle eût pu entraîner en 1831 ; car, messieurs, bien des faits sont venus, depuis cette époque, changer notre situation politique, et j’aime à me persuader que le gouvernement saura s’en étayer pour défendue le droits sacrés de tous les Belges, à quelque prix que ce soit.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs l’honorable préopinant vient de demander si le gouvernement belge avait reçu la nouvelle officielle que le gouvernement néerlandais aurait accepté purement et simplement le traité des 24 articles.
Le gouvernement n’a pas reçu d’avis officiel, mais un avis officieux. Le gouvernement néerlandais n’a pas encore accepté le traité des 24 articles, mais il s’est montré disposé à l’accepter.
Voilà le seul renseignement que nous puissions donner à la chambre.
En ce qui concerne la réserve que l’honorable préopinant a mise dans son interpellation, je ne puis qu’engager la chambre à l’imiter. Elle se rappellera que dans une circonstance récente la réserve qu’elle a apportée dans une discussion relative à une affaire diplomatique, a laissé au gouvernement toute la liberté dont il avait besoin pour négocier, et que le résultat de la négociation a été satisfaisant.
M. Dumortier. - Je suis certainement du nombre de ceux qui partagent l’opinion que dans des circonstances comme celles-ci on doit user de la plus grande réserve. J’aurais désiré plus, j’aurais désiré que dans la circonstance grave dans laquelle le pays se trouve, et en présence des dangers qu’il y aurait à appeler la publicité sur certains faits que je me proposais de signaler, j’aurais désiré, dis-je, que la chambre se formât en comité secret pour avoir du gouvernement des éclaircissements qu’il ne pourrait pas nous donner en séance publique. Puisqu’il n’en a pas été ainsi, je crois devoir ajouter quelques mots à l’interpellation de l’honorable M. d’Hoffschmidt.
Le gouvernement, dit M. le ministre des affaires étrangères, n’a pas reçu d’avis officiels, mais l’information officieuse que le gouvernement hollandais se montrait disposé à accepter les 24 articles. Ici de graves questions se présentent, et je dirai en premier lieu que celle qui me frappe le plus, c’est de savoir si le gouvernement hollandais peut encore signer purement et simplement le traité des 24 articles. Evidemment non, il ne le peut pas, car le traité des 24 articles a été rédigé dans des circonstances différentes de celles où nous nous trouvons et contient des stipulations qui ne pourraient plus exister aujourd’hui. Dès lors, un traité faisant un tout indivisible, si une seule stipulation cessait d’exister, ce serait un nouveau traité à faire, et pour cela, le gouvernement a besoin de l’intervention de la législature.
Le gouvernement doit bien se pénétrer d’une chose, c’est qu’il ne peut pas faire un traité avec la Hollande, comme l’indique la convention du 21 mai, sans l’intervention de la législature. Alors nous aurons à examiner quelles sont les bases d’après lesquelles sera réglée notre séparation d’avec la Hollande.
Le traité du 15 novembre ne contient pas seulement 24 articles, il y a un 25ème article stipulant un engagement que prenaient à cette époque les puissances contractantes d’amener l’exécution du traité dans un bref délai. Les puissances n’ont pas rempli leurs promesses, n’ont pas exécuté, quoique cela leur fût possible, la stipulation qui les liait ; reste à savoir jusqu’à quel point les dispositions de ce traité qui devaient nous lier sont encore obligatoires pour nous. C’est une chose reconnue en droit des gens, qu’un traité n’est réel que quand il a été exécuté. Or, celui dont il s’agit n’a pas été exécuté ; donc il ne peut être considéré que comme un projet. Puisqu’il faut qu’un traité intervienne tôt ou tard entre la Belgique et la Hollande, le gouvernement, je le répète, doit bien se pénétrer qu’il a épuisé son mandat dans la convention de novembre 1831, et que, pour conclure un nouveau traité, il lui faut un nouveau mandat de la législature.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, nous reprendrons la discussion sur le droit d’entrée des fils de lin.
M. Rogier. - La discussion a roulé sur la base à adopter pour le nouveau droit dont on frapperait le fil étranger à l’entrée en Belgique. Jusqu’ici je dois dire qu’il ne m’a pas été démontré qu’il était nécessaire d’établir un nouveau droit sur le fil étranger à l’entrée en Belgique, d’élever le droit existant, de changer le système actuel.
J’avais présenté quelques chiffres auxquels il n’a pas été donné de réponse, j’avais cité quelques faits auxquels il n’a pas été répondu non plus. J’ai demandé de quoi se plaignaient les fileurs à la main. Etait-ce d’une importation considérable de fils étrangers ? J’ai démontré que ces importations qui avaient été insignifiantes de 1830 à 1835, s’étaient élevées en 1837 à 1,200,000 fr., mais que les exportations avaient dépassé cette somme. Je demande si en partant de cette base officielle, on a raison de soutenir que les fils étrangers font une concurrence fatale aux fils indigènes.
Je le répète, la valeur des fils étrangers importés en 1837, année dans laquelle le chiffre des importations a été le plus élevé, cette valeur n’a été que de 1,200,000 fr. Et de quoi se composent ces importations ? D’espèces particulières qui ne font pas concurrence aux fils indigènes et qui sont indispensables à une grande variété d’industries que vous frapperiez dans leurs matières premières en frappant ces espèces de fil.
Dans leurs pétitions, ceux qui exercent ces industries demandent que leurs intérêts soient aussi respectés. Ils vous disent que si vous élevez le droit sur les fils étrangers, vous rendez leurs moyens de fabrication plus coûteux et vous les empêchez de concourir à l’étranger avec les fabricats similaires de l’étranger ; vous restreignez le placement de leurs produits au marché intérieur. On n’a pas répondu un seul mot à tout cela.
On paraît disposé à admettre l’amendement de M. de Nef, à faire une exception en faveur des fils allemands destinés à la fabrication des coutils. Mais pour les fils qui servent à la fabrication des articles qui se font à Bruxelles, à Alost, à Ninove, à Bruges, à Courtray, a-t-on trouvé un remède ? Peut-on aussi exempter les fils qui servent à leur fabrication ?
On a dit que le procédé actuellement employé pour fabriquer le lin, n’était pas destiné à vivre encore longtemps, que la filature à la main était à l’agonie, que c’était le moment de la soutenir encore pour un an ou deux. Je demande si un droit que la plupart de ceux qui le soutiennent, ne veulent pas élever très haut, que je fixerai provisoirement à 8 p. c., pourra empêcher cette mort prochaine de la filature à la main. On ne le pense pas, on reconnaît que la filature à la main doit éprouver un coup très rude de l’établissement des métiers à la mécanique ; que, quelles que soient les mesures que vous preniez, à moins d’empêcher l’introduction en Belgique des métiers à filer, ces métiers anéantiront en grande partie la filature à la main ; que cette protection que vous voulez accorder à une industrie mourante, va profiter tout entière à une industrie naissante, fatale à la première.
Quant à moi, je ne suis pas contraire à un droit protecteur destiné à encourager une industrie naissante ; mais il faut qu’il me soit démontré qu’il y a opportunité à soutenir cette industrie naissante, qu’elle présente des conditions de vitalité, et que la protection qu’on veut lui accorder ne frappe pas de conditions onéreuses des industries anciennes. C’est donc cette industrie naissante que le droit proposé va protéger. Mais a-t-elle réclamé cette protection ?
Bien que le Moniteur me fasse dire le contraire, j’ai dit que les fileurs à la mécanique ne réclamaient rien. Vous leur faites donc un cadeau qu’ils n’ont pas demandé, et vous le leur faites au détriment d’une grande variété d’industries et même de votre fabrication actuelle de fil ; car vous devez le prix du fil étranger dont ces industries font usage concurremment avec le fil belge. Si vous restreignez l’importation des fils étrangers qui servent à la fabrication des articles de Turnhout, de Bruxelles, de Ninove, d’Alost, etc., vous restreignez cette fabrication ; et comme dans cette fabrication on fait usage de fils belges et étrangers, en frappant les fils étrangers, vous frappez en même temps les fils belges.
Plus tard, lorsque le fil à la mécanique aura remplacé le fil à la main, il jouira de la protection que vous aurez voulu donner au fil à la main, et devenant la matière première exclusive du tisserand, le tisserand sera forcé de payer au fileur belge cette différence de 7 à 8 p. c. entre le fil indigène et le fil étranger. C’est donc dans l’avenir contre le tisserand que vous travaillez.
Soyez sans inquiétude, si ce droit protecteur est le moins du monde utile à la filature à la mécanique, elle viendra le réclamer, mais n’allez pas au-devant d’elle, ne lui donnez pas une protection qu’elle ne demande pas. Et c’est bien à elle que profitera la mesure qu’on vous demande, s’il est vrai qu’elle doive faire disparaître du pays le fil à la main. Pour ce dernier, ce ne sera pas un droit protecteur de 7 à 8 p. c. qui pourra le sauver. Ce ne sera pas en restreignant l’introduction des fils étrangers qui ne lui font pas concurrence, que vous parviendrez à sauver le fil à la main du sort dont le menace le fil à la mécanique.
Cette protection qui serait tout à fait inefficace pour le but qu’on se propose, serait une charge très lourde pour la fabrication qui emploie les fils que le droit atteindrait ; en frappant de 7 p. c. le fil destiné à fabriquer les coutils, on nuirait gravement à cette industrie qui ne vit que d’économies ; vous lui avez montré de la sollicitude, en demandant qu’on facilitât l’introduction de ses produits en France et dans tous les autres pays, et vous allez la forcer à ne fournir que le marché intérieur, si tant est qu’elle puisse encore se soutenir, alors que vous aurez porté d’un demi p. c. à 7 ou 8 p.c. le droit sur la matière première de sa fabrication : c’est un avantage de 7 à 8 p. c. que vous faites aux produits étrangers, au détriment des produits belges.
Les fileurs à la main ont-ils la prétention de fournir ces industries des fils dont elles ont besoin ? S’ils pouvaient le faire, pourquoi les fabricants iraient-ils chercher des fils à l’étranger, payer un droit d’entrée, léger, il est vrai, des frais de transport et de commission ? S’ils le font, c’est que c’est une matière première qui leur est utile. Et il est de principe, même pour les plus grands prohibitionnistes, que la matière première doit entrer librement de même que les produits doivent sortir librement.
Frappez, si vous le voulez, les fils qui font concurrence avec les fils à la main que vous filez ; mais ne frappez pas des fils qui ne font pas concurrence avec les vôtres et qui sont nécessaires à des industries sinon considérables, au moins nombreuses et variées. Il est d’une bonne politique, d’une bonne économie politique d’encourager dans le pays une grande variété d’industries.
Je demande donc que la chambre prête attention aux sollicitations qui lui sont adressées par les fabricants de toiles de coutil, de toiles à carreaux, de rubaneries (hier encore il a été adressé à la chambre une pétition par un fabricant de rubaneries), par les fabricants d’étoffes d’été, de fils à coudre, de toiles à voiles. Cette dernière industrie est une industrie nouvelle ; on substitue déjà pour beaucoup de toiles à voiles les fils de lin aux fils de chanvre. Vous allez paralyser en partie cette industrie naissante, qui peut être importante pour l’industrie linière même, en la frappant d’un droit qui lui portera préjudice, sans être utile à aucune autre industrie rivale.
Maintenant que je vous ai soumis mes observations sur la nécessité, que je ne reconnais pas, de changer le tarif actuel, et sur les inconvénients incontestables de ce changement pour un grand nombre d’industries, je dirai que les remèdes qui ont été proposés me paraissent inapplicables. M. Verdussen a proposé de maintenir les bases actuelles de perception. Je partage son opinion ; j’attends pour l’appuyer qu’il ait fixé le chiffre de la valeur, chose qui est restée dans le vague jusqu’ici. L’amendement de M. Desmet, quoi que atteignant d’une manière plus juste les différentes espèces de lin que la proposition de la commission laisse encore considérablement à désirer. D’abord, si la tarification, d’après les numéros peut s’appliquer à certaines espèces de fil, comme les fils anglais (et encore avec peu de certitude ; car le numérotage est plus ou moins arbitraire), elle est inapplicable à d’autres espèces de fil, par exemple, aux fils allemands, qui ne s’assortissent pas, qui ne se numérotent pas de la même manière, Cependant, il faut bien que vous atteigniez toutes les espèces de fil.
Encore en admettant le chiffre de M. Desmet, il y aurait un droit exorbitant sur les qualités inférieures. Le droit serait de 25 p. c. sur certaines espèces. Certes, aucun de vous n’a pu concevoir l’idée d’une telle protection, tandis que sur les espèces plus fines le droit serait de 2 à 3 p. c. Il faut donc, dans mon opinion, renoncer à ce mode de tarification. Mais, je le répète, j’engage la chambre à y penser (mon opinion est désintéressée, comme j’ai cherché à l’exprimer en toute circonstance), j’engage la chambre à y songer sérieusement : Y a-t-il nécessité de changer le système actuel ; de bouleverser les industries établies à l’abri du système actuel, alors qu’il est reconnu que votre soi-disant protection ne profitera pas à d’autres industries sauf une industrie naissante qui ne demande pas de protection ? En effet, plusieurs membres ont dit que ce n’est pas l’industrie mourante, mais l’industrie naissante qu’ils veulent protéger. Quel spectacle présente cette assemblée ? Les uns veulent protéger une industrie soi-disant mourante ; d’autres veulent l’abandonner à elle-même, ne veulent pas la soutenir. Ils veulent au contraire aider à la naissance d’une industrie qui doit faire périr l’autre.
Entre ces deux opinions il est permis de croire que ceux qui ne partagent ni l’une ni l’autre peuvent être dans le vrai. Quoi qu’il en soit, j’ai parlé avec sincérité. Je ne sais si mon opinion a chance d’être adoptée par la majorité de la chambre. Je ne la considère pas moins comme méritant votre attention.
M. de Foere. - Dans la discussion d’hier un honorable député de Verviers a lancé des accusations humiliantes contre l’industrie des toiles dans les Flandres. Selon lui, cette industrie serait stationnaire, elle n’entrerait pas dans la voie des progrès. Député d’un district où l’industrie des toiles s’exerce dans une grande étendue, et où se trouve le plus grand marché de toiles connu dans le pays, je ne puis laisser subsister cette accusation sans y répondre. Avant que l’honorable membre eût parlé, j’avais déjà fait, dans la séance d’hier, une distinction entre les toiles grosses et les toiles fines. Cette distinction est établie par le fait, par les marchés, par le commerce et par les aveux des fabricants à la mécanique. La fabrication des toiles communes continue. Nos marchés en sont fournis. Le commerce les exporte.
Les fabricants à la mécanique ne peuvent remplacer sous le rapport de la solidité nos toiles grosses, sur lesquelles la fabrication porte presque exclusivement ; eux-mêmes en conviennent. Ce serait donc rétrograder que d’entrer pour les grosses toiles dans le système nouveau de la fabrication à la mécanique. Nos toiles communes seraient remplacées par d’autres fabricants à la main, si on ne les confectionnait plus de cette manière dans les Flandres. Il faut des toiles solides pour des usages communs, qui exigent de la résistance dans les tissus de lin. Or, les fabricants à la mécanique avouent qu’ils n’ont trouvé jusqu’à présent aucun moyen de les confectionner à aussi bas prix et dans les mêmes qualités.
Que l’opinion de l’honorable député de Verviers soit vraie à l’égard des toiles fines, le temps l’apprendra ; je suis pour ma part assez disposé à croire que cette opinion est fondée en ce qui concerne les toiles fines.
Dans la discussion d’aujourd’hui l’honorable M. A. Rodenbach a reconnu la supériorité de nos toiles à l’égard de leur solidité ; mais il a dit en même temps que nos toiles avaient besoin de débouchés à l’extérieur. C’est là, en effet, où est la plaie.
Les négociants du pays qui expédient encore aujourd’hui des toiles en Espagne, où nous avions autrefois un immense débouché, sont obligés de prendre la voie de terre. Ils doivent faire transportes par terre, à travers la France, leurs toiles jusqu’à Marseille. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que les droits différentiels maritimes en Espagne sont plus élevés que les frais de transports par terre. Nos négociants sont obligés de se soumettre à des conditions de commerce aussi onéreuses. C’est contre cet état de choses que je ne cesserai de réclamer. Il n’y a qu’un moyen de guérir cette plaie, c’est de ne plus dédaigner les droits différentiels. C’est un négociant qui, par des calculs, m’a fait voir qu’il lui était moins onéreux d’expédier par le roulage à travers la France que d’expédier par mer. C’est un pareil système que nous avons le courage de maintenir en le tolérant, ou en ne prenant pas des mesures de représailles.
M. A. Rodenbach. - L’honorable préopinant vient de dire que la cause pour laquelle nous n’expédions plus autant de toiles en Espagne et en Portugal tenait aux droits différentiels : je crois que cette assertion est de la plus grande exactitude ; toutefois, je ferai observer qu’aux Etats-Unis d’Amérique, où nous sommes reçus dans les ports sur le même pied que les Anglais (car nous sommes plus sévères envers les Etats-Unis qu’ils ne le sont envers nous), l’immense importation de toiles qu’y font les Anglais tient à autre chose. Il en est de même au Brésil et à Saint-Domingue, où nous ne payons pas un droit plus fort que les Anglais.
Sur 50 millions de toiles entrées dans les deux Amériques, les nôtres y figurent en bien petite quantité : C’est que dans ces pays on demande des toiles que nous ne fabriquons pas, des toiles légères, apparentes.
Si Verviers a trouvé des débouchés pour ses draps, c’est que cette ville a compris la nécessité de fabriquer des draps légers. Si nous voulons conserver notre industrie relativement aux toiles, il nous faudra, forcément, faire les divers articles qui satisfont les consommateurs.
L’honorable député d’Anvers a demandé s’il y avait haute nécessité de protéger nos fils ; je lui répondrai que oui : non quant aux machines, car cette industrie ne peut que devenir trop puissante, même en Belgique.
C’est pour nos fileuses qu’il faut protection. Elles continueront de souffrir néanmoins, mais leurs ressources ne seront pas taries subitement, et il n’y aura pas perturbation instantanée.
D’année en année il entre en Belgique plus de fils que précédemment ; on vous l’a prouvé des statistiques à la main ; si vous laissez le droit de 1 p. c., vous ne parviendrez pas à conserver votre industrie, et il y a nécessité absolue d’augmenter le tarif.
Nous expédions moins de fils en France, un tiers de moins que par le passé ; les Anglais nous remplacent sur ce marché ; ils en ont exporté pour six millions, et ils n’en exportaient pas du tout autrefois.
On trouve plus de facilité à employer les fils anglais que les nôtres pour la rubanerie, et pour les tissus qui se fabriquent en Belgique à Turnhout, à Courtray, à Bruges… Nos fils sont un peu plus chers que ceux d’Angleterre ; en empêchant d’entrer les fils anglais, on emploiera nécessairement davantage les nôtres.
M. le président. - La loi n’ayant qu’un article, quand la discussion sera close, il sera passé outre au vote. Je dois en avertir l’assemblée.
M. Lardinois. - Lorsque j’ai pris la parole dans la séance d’hier, j’ai engagé le gouvernement à protéger, autant qu’il était en son pouvoir, les nouveaux établissements belges pour la filature du lin à la mécanique. Dans sa réponse, M. Desmet a dit que mon intention avait été d’engager le gouvernement à accorder des primes aux filatures de lin ; je n’ai point avancé une pareille absurdité ; j’ai toujours été contraire au système des primes ; et je les ai combattues en plusieurs circonstances.
Quand on vient appuyer la proposition faite d’augmenter le tarif en invoquant ce que disent les chambres de commerce elles-mêmes, c’est-à-dire que la fabrique de nos fils et de nos toiles est périclitante, il est vraiment étonnant d’entendre certains députés des Flandres, et notamment l’honorable M. Desmet, alléguer la supériorité des toiles belges reconnue sur tous les marchés : mais si cette supériorité existe réellement, notre industrie n’aurait pas besoin de protection et nos toiles devraient se vendre facilement. Messieurs, en fait de produits manufacturés, il ne faut pas toujours s’attacher à la beauté, à la solidité ; c’est souvent une faute que de donner ces qualités aux tissus. Il faut avant tout fabriquer pour les besoins et en se conformant aux goûts des consommateurs.
Un honorable député d’Anvers a dit qu’un droit de 5 p. c. serait insuffisant pour protéger la filature à la main ; il a parfaitement raison. Il a également raison lorsqu’il dit que plusieurs orateurs demandent ce droit afin de protéger les filatures à la mécanique : je suis de ce nombre ; je n’aurais cependant pas demandé d’augmentation de tarif ; mais je profite de la présentation du projet pour obtenir une protection pour nos filatures à la mécanique. Ces établissements seront utiles pour fournir les fils avec lesquels on pourra tisser des toiles capables de soutenir la concurrence avec celles des Anglais.
L’honorable député d’Anvers appelle le fil de lin matière première, parce qu’il est employé par un grand nombre de tisserands qui le fait venir de l’étranger. En ce sens le fil est matière première, comme la toile l’est pour la couturière qui en fait des chemises. Je ne puis considérer comme matière première un article qui a reçu beaucoup de manipulations avant d’être arrivé à sa dernière transformation.
L’honorable M. de Foere m’a reproché tout à l’heure d’avoir lancé des accusations humiliantes contre l’industrie linière. Cette opinion ne sera, je l’espère, partagée par aucun membre de cette chambre.
En fait d’accusations humiliantes et excentriques, j’en laisse l’initiative à l’honorable membre. Ce n’est pas moi qui attaquerait l’industrie linière ; au contraire, je désire vivement sa prospérité, et comme Belge, et comme industrie ; car il est à remarquer que chaque fois que les toiles se vendent avantageusement, nous trouvons dans les Flandres un bon débouché pour nos draps.
Je dols répéter que dans mon opinion l’industrie linière est stationnaire, et que si vous pouvez produire les qualités communes fabriquées à la main, en concurrence avec celles de l’étranger, ce n’est qu’une exception puisque vous convenez tous que l’industrie des toiles est mourante. Y a-t-il quelque chose de surprenant à cela lorsqu’on s’obstine à repousser les moyens de perfection et d’économie ? Il est évident que lorsqu’on emploie une machine qui fait autant d’ouvrage que vingt hommes, on obtient un produit qui coûte beaucoup moins de main-d’œuvre, et que vous pouvez le vendre à meilleur marché.
Je dis que vous êtes rétrograde en industrie linière et que vous resterez dans le même état aussi longtemps que vous ne perfectionnerez pas votre fabrication, aussi longtemps que vous n’introduirez pas les machines dans toutes les opérations de la fabrique. Un grand malheur pour la fabrication des toiles de Flandre, c’est, comme je l’ai déjà dit, que l’on s’obstine à ne pas vouloir profiter des progrès qui ont été faits depuis 50 ans dans les autres pays ; il est pénible de voir des députés instruits professer l’opinion que cette industrie rouillé peut lutter contre une industrie qui a su mettre à profit tous les renseignements de l’expérience, tous les perfectionnements que le temps a fait découvrir ; il est déplorable qu’on n’éclaire pas ceux qui fabriquent nos toiles ; on devrait former une association pour aider cette classe d’industriels et pour les lancer dans le progrès.
M. Lebeau. - Messieurs, je ne me hasarde pas volontiers dans des discussions sur des matières qui sont assez étrangères à mes études habituelles. Mais il est cependant ici une chose qui me frappe : c’est l’absence de motifs rationnels en faveur de la proposition qui nous est soumise : lorsque, dans l’intérêt de plusieurs industries, a nous a naguères demandé des majorations de crédits, bien que je fusse contraire à la plupart de ces majorations, me plaçant dans le système de mes adversaires, je pouvais cependant en comprendre les motifs: il s’agissait là d’avantager quelques industries aux dépens des consommateurs, et dans de semblables discussions la cause des consommateurs est facilement laissée à l’écart. Ici ce n’est pas seulement l’intérêt des consommateurs qu’on veut sacrifier, c’est aussi la cause d’une partie assez notable de l’industrie du pays. Eh bien, messieurs, il est de principe, même dans le pays où le système prohibitionniste prévaut le plus, même en France par exemple, de ne point imposer les matières premières, ou du moins, lorsqu’on les impose, il est encore de principe d’opérer la décharge des droits en faveur du commerce à l’extérieur. Autre est la conséquence d’une majoration qui, ne frappant que des produits manufacturés, ne sacrifie que les consommateurs à l’industrie indigène, et autre est la conséquence d’un système de majoration qui frappe des industries tout aussi nationales, tout aussi respectables que celle qu’on veut protéger. Quand le législateur établit de semblables majorations, force lui est d’introduire soit un drawback, soit des exceptions comme celle qui est proposée par l’honorable M. de Nef.
J’ai entendu ceux qui proposent d’établir une augmentation du droit d’entrée sur les fils étrangers, reconnaître la justice de ce que demande M. de Nef, mais si l’exception proposée par cet honorable membre est juste, il faut la rendre applicable à toutes les industries qui sont dans la position analogue à celle de l’industrie dont l’honorable député de Turnhout a pris la défense, à toutes les industries qui ont demandé qu’on ne frappât point la matière première de leur fabrication, qu’on ne rendît pas leur existence impossible. Eh bien, messieurs, je ne crois pas que le remède proposé par l’honorable M. de Nef soit acceptable, car l’exception qu’il demande, quoique juste dans son principe, serait extrêmement impolitique, en ce qu’elle nous ferait rentrer dans un système d’exception, dont nous sommes sortis naguère.
Il est évident que l’amendement de M. de Nef constituerait un acte d’hostilité contre l’Angleterre, par cela seul qu’il accorderait une faveur spéciale aux fils d’Allemagne (et la contexture de l’amendement ne laisse aucun doute à cet égard). Or, je le demande, messieurs, lorsque la chambre s’est associée aux efforts du gouvernement pour replacer toutes les nations voisines dans le droit commun, serait-il bien conséquent, bien politique surtout, d’accepter une proposition hostile à une puissance qui, eu égard surtout aux circonstances dans lesquelles la Belgique va se trouver peut-être bientôt, doit être l’objet des plus grands ménagements de notre part ?
Il se passe, messieurs, dans cette discussion quelque chose de fort étrange : de quoi se plaignent ceux qui défendent la filature à la main, cette industrie si intéressante, si morale, et que nous verrons tous succomber avec le plus grand regret ? C’est bien moins de la concurrence étrangère que de celle qui résulte de l’introduction d’une industrie nouvelle, le filage à la mécanique. Si l’on pouvait retarder la décadence de la filature à la main, ce ne serait qu’en retardant l’introduction dans le pays des filatures à la mécanique.
Eh bien, messieurs, je ne crains pas de le dire, la loi qui nous est proposée va directement contre ce but : elle rapproche évidemment l’époque où la filature à la main aura à subir une lutte terrible, lutte qu’on regarde généralement comme meurtrière. Aujourd’hui, par suite du grand nombre des habitants de la campagne qui s’occupent du filage à la main, de la modicité de leurs salaires, et par suite des lois qui permettent l’introduction des fils étrangers, la filature à la mécanique aurait des obstacles assez notables à vaincre pour s’établir en Belgique, elle se trouverait en présence d’une double concurrence. Si la filature à la mécanique venait réclamer un droit tendant à favoriser son introduction, qui est-ce qui devrait s’alarmer le plus ? Evidemment les partisans du filage à la main. Eh bien, ce sont précisément ceux-là qui s’associent à la pensée de l’honorable M. Lardinois, qui ne se montre préoccupé que d’une seule chose, la prospérité de la filature à la mécanique, qu’il déclare inconciliable avec le filage à la main.
Je crois, messieurs, que tout le résultat de majorations, et surtout de majorations aussi considérables que celles qu’on propose, ce sera de rendre plus prochaine la prospérité de la filature à la mécanique et par conséquent la décadence du filage à la main.
Indépendamment de cela, à moins d’établir autant d’exception qu’il y a d’industries intéressées, vous allez, messieurs, je le répète, ruiner plusieurs industries aussi très intéressantes, qui ne peuvent se passer des fils étrangers.
Qu’arrivera-t-il en outre, messieurs, lorsque vous aurez établi le droit qu’on vous demande, et que par là vous aurez facilité l’introduction de la filature à la mécanique ? Il arrivera nécessairement que cette industrie pourra vendre ses produits 7 ou 8 p. c. plus cher qu’elle ne pourrait les vendre sous l’empire du tarif actuel ; cela arrivera surtout lorsque la filature à la mécanique aura anéanti le filage à la main. Eh bien, quelle sera alors la protection de l’industrie des toiles ? Elle paiera à la filature, à la mécanique un tribut de 7, 8 ou 10 p. c.
Le sort de la tisseranderie dépend tellement du bas prix du fil, le fil est tellement considéré comme matière première, que l’Angleterre, malgré ses dispositions prohibitives, n’a jamais (si les documents qu’on nous a adressés sont exacts) frappé les fils étrangers que d’un droit insignifiant, que d’un droit de balance. Voilà, messieurs, ce que fait l’Angleterre en faveur de la tissanderie ; elle ne force pas cette industrie à payer un tribut à la filature comme devront le faire les tisserands belges, lorsque la filature à la mécanique aura remplacé le filage à la main, si la chambre adopte les droits qui lui sont demandés. Je vous adjure, messieurs, de réfléchit sérieusement aux conséquences d’un semblable vote.
Quant au mode de tarification au poids, les raisons qui ont été alléguées contre ce système sont tellement évidentes que ses partisans ont été obligés de reculer et de présenter un système mixte ; mais dans mon opinion ce nouveau système conserve la plus grande partie des défauts du premier. L’inconvénient de la perception au poids, c’est d’atteindre des produits d’une valeur très diverse de droits uniformes, de droits qui dans le cas dont il s’agit varieraient de 2 à 30 p. c., en n’allant pas même jusqu’aux qualités extrêmes, car alors les différences seraient encore bien plus choquantes.
En bien, je crois que les défauts de ce système ne seraient que très faiblement atténués par l’amendement de l’honorable M. Desmet : remarquez en effet, messieurs, que le droit proposé par cet honorable membre ne varie que de 20 à 30 fr. par 100 kilogrammes, tandis que la qualité de la marchandise varie dans une progression bien plus considérable ; remarquez ensuite que l’amendement de M. Desmet rendrait la loi inapplicable aux produits de l’Allemagne, car je ne comprends pas, lorsqu’on insère dans la loi les mots « numéros anglais, » comment on pourrait appliquer la tarification aux produits allemands ; je voudrais que l’honorable M. Desmet s’expliquât à cet égard.
Je voudrais bien aussi savoir si l’honorable M. Desmet entend combiner son amendement avec celui de l’honorable M. de Nef, et comment dans ce cas, avec une tarification par numéros, il serait possible de faire une distinction quelconque entre des fils qui sont la matière première obligée, non seulement des fabriques de coutils, mais aussi de plusieurs autres industries du pays auxquelles il ne nous est pas permis de porter un coup funeste.
Pour le cas où l’on jugerait utile de toucher à la loi actuelle sur l’importation des fils étrangers, je suis, en tout état de cause, tellement convaincu que le droit au poids, aussi bien que le système de l’honorable M. Desmet qui en diffère très peu, est contraire à toute équité que si déjà on ne l’a pas proposé, je viens faire la motion qu’au préalable la chambre soit consultée sur la question de savoir si le droit sera perçu purement et simplement au poids ou à la valeur.
M. le président. - M. A. Rodenbach propose un droit de 10 p. c. à la valeur sur les fils étrangers écrus, et un droit de 12 p. c., également à la valeur sur tous les autres fils, celui de mulquinerie excepté.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je n’ai pas de longs développements à donner ; la question est suffisamment connue. Si l’amendement de l’honorable M. Desmet était praticable, je serais prêt à retirer le mien ; mais comme je l’ai déjà prouvé, l’amendement de notre honorable collègue est impraticable.
Il me paraît dès lors impossible d’établir une tarification autre que celle à la valeur. Il se peut que le système au poids soit plus juste ; mais quand on ne peut pas atteindre la justice, quand l’application du système dans une autre, ce système ne peut être admis.
Je pense que ma proposition est bien plus simple, que chacun la comprendra aisément, et que dès lors elle mérite la préférence.
- L’amendement est appuyé.
M. de Langhe. - Messieurs, nous avons ici plusieurs industries à ménager, plusieurs intérêts à concilier. Je crois que pour concilier ces intérêts, il est indispensable d’établir un droit un peu plus fort à l’entrée des fils étrangers. Les fils indigènes renchériront nécessairement par suite de l’introduction des droits qui seront mis sur les fils étrangers ; mais je crois que pour favoriser les fabricants de fil indigène et les mettre à même de soutenir la concurrence sur les marchés étrangers, ce droit doit être modéré. Le droit qui est proposé par l’honorable M. Rodenbach ne me paraît pas remplir ce but ; je crois qu’il est beaucoup trop élevé. Je proposerai donc de réduire à moitié et d’établir le droit à la valeur. Je me suis prononcé pour ce mode, qui me paraît le plus convenable en cette matière.
Je proposerai en conséquence un droit à la valeur de 5 p. c. sur les fils simples écrus, et un droit de 6 p.c. sur les autres ; celui de mulquinerie excepté.
- L’amendement est appuyé.
M. Desmaisières. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans la discussion générale. Je n’aurais pas pris la parole, si M. le président n’avait annoncé qu’il n’y aurait pas une discussion particulière sur l’article ; et qu’aussitôt que la discussion serait close, l’on passerait au vote. Je viens seulement parler du système au poids, par comparaison avec celui qui vient d’être proposé.
Comme je l’ai dit hier, messieurs, je n’éprouve pas la moindre crainte à l’égard du vote que vous allez émettre. Vous avez déjà tant de fois admis en principe que le système au poids devait prévaloir sur celui à la valeur, que sans doute la chambre se montrera conséquente avec le vote qu’elle a émis à une très grand majorité dans beaucoup de circonstances, et récemment encore à l’occasion des dispositions qui ont été introduites dans le tarif général des douanes, pour satisfaire à l’espèce d’engagement qui avait été pris à l’égard de la France.
Messieurs, il est un fait certain que personne ne peut contredire, et qui résulte des avis des chambres de commerce, des gouverneurs, des députations des conseils provinciaux et des commissions d’agriculture : c’est que tous ces avis, à l’exception de celui de la chambre de commerce d’Anvers, adoptent le système au poids ; je dis à l’exception de la seule chambre de commerce d’Anvers, parce que je crois qu’il y a des avis de plusieurs autres chambres où l’on ne formule pas de conclusion ; l’on s’y déclare incompétent, et par conséquent il n’y a pas lieu de tenir compte de ces avis. Mais toutes les autres chambres de commerce, et surtout celles qui sont les plus compétentes pour se prononcer sur cet objet demandent un droit au poids. Elles reconnaissent qu’un semblable droit est le seul qui puisse protéger efficacement l’industrie linière.
Les commissions d’agriculture elles-mêmes adhèrent au système au poids. Il n’y a, comme je l’ai déjà dit, que la chambre de commerce d’Anvers qui voudrait un tout petit droit de 3 p. c. à la valeur, mais toutes les autres veulent le système de la perception au poids, parce qu’il n’y a que l’application de ce système qui puisse rendre la loi une vérité.
Ce qui m’a beaucoup étonné dans la séance d’hier, c’est d’entendre un honorable député de Verviers venir, à l’égard des fils, préconiser le système de la perception à la valeur, et repousser le système au poids, lorsqu’à la demande bien légitime de l’industrie de Verviers, non seulement nous n’avons pas voulu qu’on perçût le droit à la valeur sur les draps étrangers, mais que nous avons même repoussé le système de la perception à la valeur, combiné avec celui de la perception au poids.
Messieurs, je tiens en main les divers tarifs étrangers sur les fils, lesquels se trouvent annexés au rapport que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre en 1834, sur la question de l’industrie linière. Eh bien, le tarif prussien, le tarif français et le tarif anglais sont tous établis au poids. Depuis que ces tarifs sont établis, la France, l’Angleterre et la Prusse, y ont apporté des modifications, et jamais ces puissances n’ont songé à substituer la valeur au poids, en ce qui concerne les fils.
Il est donc prouvé par l’expérience que le système au poids est le seul admissible et praticable, si l’on veut, comme je le disais tout à l’heure, que la loi soit une vérité ; si l’on veut réellement protéger l’industrie linière que nos adversaires eux-mêmes représentent comme périclitante, comme ayant besoin de la plus forte protection en ce moment-ci.
L’honorable M. Lebeau a paru s’étonner de ce que nous nous montrions disposés à adhérer à l’amendement qui a été proposé par l’honorable M. de Nef. Il a dit que si vous admettiez cette exception, il fallait admettre également toutes les autres exceptions qui sont réclamées par les industriels autres que ceux de Turnhout.
Mais, messieurs, il n’a pas fait attention que l’amendement de M. de Nef pourvoit précisément à ces diverses exceptions. Et si nous nous sommes montrés disposés à acquiescer à cet amendement, si même, pour ma part, je l’appuie, c’est parce que le fil sur lequel porte cet amendement, est une espèce tout à fait particulière qui se trouve parfaitement désignée par la manière dont l’honorable membre a formulé son amendement.
Quant à l’espèce de contradiction qu’on a semblé y voir et à l’impossibilité d’exécution qu’on a cru trouver par rapport à l’amendement de M. Desmet, on se trompe. Il n’y aura aucune impossibilité d’exécuter l’amendement de M. de Nef en adoptant celui de M. Desmet ; tous deux peuvent marcher de concert, car tous deux reposent sur le même système. M. Desmet n’a pas expliqué dans la formule de son amendement ce que c’était que le numérotage des fils, et le numérotage a lieu précisément dans le sens expliqué par l’amendement de l’honorable M. de Nef. Ce numérotage a lieu d’après la longueur du fil qu’on obtient d’un certain poids donné. On sent que plus on obtient de longueur d’un poids donné, plus le fil a de finesse, plus il a de valeur, plus il faut élever le droit.
Maintenant on nous a fait en quelque sorte une espèce de crime d’avoir fait une concession, de n’avoir pas persisté dans la proposition de la commission d’industrie qui n’établit que deux catégories, fils blancs et fils écrus, et ne parle pas de numérotage.
C’est parce que vous avez dû reculer devant les conséquences du système au poids, que vous l’avez par là vous-mêmes condamné. Je viens de le faire pressentir, c’est une concession que nous avons voulu faire, parce que cette concession, nous pouvions la faire. Du moment que tout en maintenant le degré de protection que je veux donner à une industrie, je pourrai faire des concessions aux autres opinions, je serai toujours disposé à les faire, quand elles ne porteront pas préjudice à l’industrie que je prétends défendre.
Mais les tarifs français, prussien, anglais que je viens de citer, n’ont pas fait cette concession-là. Les droits sont établis en très peu de catégories, et dans le tarif français notamment. Je dis ceci parce qu’en adoptant le tarif proposé par la commission d’industrie, nous n’avions pas à craindre de représailles de la part de la France, puisque les droits proposés se trouvaient encore au-dessus de ceux qui existent en France. Le tarif français va pour certaines qualités jusqu’à 40 fr. ; nous, nous n’allons qu’à 30 fr.
Je crois donc que, d’accord avec toutes les chambres de commerce, toutes les commissions d’agriculture, avec les gouverneurs, avec les députations provinciales et avec les votes émis par vous précédemment, vous ferez de nouveau justice du système à la valeur, parce que le système au poids peut seul être adopté, et que la concession faite par l’amendement de M. Desmet ne doit pas vous arrêter ; car, que voulons-nous ? Nous voulons, ainsi que nos adversaires, protéger l’industrie linière.
C’est avec sincérité qu’ils disent vouloir la protéger. Mais il faut alors user de moyens efficaces. Si le droit est établi à la valeur, jamais vous ne pourrez l’obtenir ; vous n’avez de garantie que la préemption, et vous savez où mène la préemption. Qu’avons-nous voulu quand nous avons établi un tarif sur les draps ? Nous avons voulu atteindre certaines espèces de draps, parce que c’étaient celles dont la consommation était plus générale, et par suite nous n’avons pas établi un grand nombre de catégories, parce qu’alors il eût été difficile d’atteindre celles qu’on se proposait de frapper. On a adopté un droit uniforme qui a été calculé sur l’espèce qu’on voulait atteindre. Eh bien, le droit que propose la commission d’industrie est calculé aussi sur les espèces de fils anglais que nous voulons particulièrement frapper.
Nous pourrions donc ne pas même faire la concession que fait M. Desmet, parce qu’encore une fois nous pensons que vous voulez protéger efficacement l’industrie linière.
M. Desmet. - Je ne veux pas rentrer dans le fond de la discussion, je ne veux non plus répondre aux petites sorties de mon honorable ami le député de Verviers : quand je dis ami, je veux dire ami dans la discussion des draps, car il paraît que nous ne le sommes pas aujourd’hui.
Je veux vous expliquer comment j’entends le mode de perception. Quand j’ai présenté le numérotage, c’est seulement parce que j’ai pensé que le mode de droit uniforme aurait été rejeté. C’est subsidiairement que je l’ai proposé. Je crois toujours que nous pouvons sans crainte établir le droit uniforme. Qu’avons-nous fait quand nous avons établi des droits sur les draps, les toiles, les ouvrages de terre, etc. ? Nous avons établi tous ces droits au poids.
Cependant il y a plus de différence dans les draps que dans les fils, aussi vous avez excepté les fils de mulquinerie, parce que là les prix sont élevés ; le reste est dans le commun. L’honorable M. Desmaisières a fait remarquer qu’en France le droit est également uniforme, et cependant vous savez, messieurs, qu’en France on ne néglige rien pour arrêter l’entrée des fils étrangers.
L’honorable M. Lebeau a demandé, dans le cas où le système des numéros passerait, comment on appliquerait les numéros des fils anglais aux autres fils, aux fils allemands par exemple. Pourquoi ai-je proposé le numérotage anglais ? Parce qu’il est universel, parce qu’il est comme partout, tandis qu’il n’en est pas de même du numérotage métrique, du numérotage belge. Ceci concerne le gouvernement qui n’aura qu’à faire des confrontations. Au reste, si vous voulez donner la préférence au numérotage métrique, j’y consens et la difficulté ne sera pas grande, car on connaît le rapport du numérotage anglais avec le numérotage métrique.
On demande comment concilier mon numérotage avec l’amendement de M. de Nef. Il faut convenir que M. de Nef n’a pas suivi l’usage ordinaire. M. de Nef parle de l’opération ; ce n’est pas cela. Je lui demanderai le numéro commercial, alors nous pourrons nouas entendre. Le prix courant ne parle pas des opérations, mais des numéros.
On est revenu sur le taux du droit au poids, et on a dit qu’il équivaudrait à 2 p. c. à la valeur. On a tort. Nous sommes d’accord avec le département de l’intérieur, que les numéros de 1 à 30 doivent être estimés à 1 fr. 30 c. ; cela ferait 2 fr. 60 c. par kilog. ou 260 fr. les 100 kilog. ; ce n’est pas encore 10 p. c. Je crois que la chambre peut admettre ce droit.
M. Lardinois. - J’ai du malheur, je n’ai pas le talent de me faire comprendre ; plusieurs députés me reprochent des dires que je n’ai jamais avancés. L’honorable M. Desmaisières vient de me reprocher d’avoir proposé la tarification au poids pour la draperie et de combattre cette tarification lorsqu’il s’agit de l’industrie linière. J’ai dit hier le contraire, j’ai dit que je voulais une protection réelle de 5 p. c., et que je considère la tarification au poids comme infiniment plus assurée que la perception à la valeur que l’on peut facilement frauder par des déclarations à la douane. Cependant je suis indécis à la suite de la discussion qui s’est élevée aujourd’hui, et notamment par suite des observations de l’honorable M. A. Rodenbach ; je ne sais si l’on doit établir des catégories pour les fils, je ne sais si on doit préférer un droit uniforme ou un droit par catégorie comme le veut l’honorable M. Desmet. Je crains qu’il n’y ait une surprise comme il y en a eu une dans le temps pour les draps, que l’on voulait imposer à 7 p. c. et qui se sont trouvés frappés d’un droit s’élevant jusqu’à 25 p. c. Dans cette incertitude, si je ne puis exactement savoir à quoi correspond le droit au poids comme je veux un droit réel de 5 à 6 p. c., je voterai ce droit à la valeur.
M. Eloy de Burdinne. - Membre de la commission d’agriculture, ayant voté avec la majorité un droit sur le fil étranger de 25 et de 20 p. c. par 100 kilogrammes, je vous avoue que j’ai été porté à voter ces chiffres dans l’intérêt des fileurs des Flandres qu’on nous représentait comme dans le plus grand désastre. Depuis lors le gouvernement nous a fait distribuer un tableau où nous voyons les qualités de fils exportés de Belgique et importés en Belgique. Il résulte des calculs de ce tableau que trois qualités de fils doivent être considérées comme étant dans le commerce : fil écru, fil à tisser, fil à coudre.
Il résulte des mêmes calculs que l’excédant de l’exportation sur l’importation en faveur de la Belgique a été comme suit :
En 1831, 186,526 fr. ; en 1832, 717,000 fr. ; en 1833, 688,000 fr. ; en 1834, 908,000 fr. ; en 1835, 849,000 fr. ; en 1836, 503,000 fr., en 1837, 30,540 fr.
Le chiffre a beaucoup baissé, comme vous voyez, en 1837 ; cependant la balance a toujours été en notre faveur, et nous avons exporté plus qu’il ne nous a été importé.
M. de Jaegher. - L’excédant de l’exportation sur l’importation va toujours en diminuant.
M. Eloy de Burdinne. - Cela varie ; il y a eu augmentation en 1832, diminution en 1833 et augmentation en 1834. Ces variations peuvent provenir de circonstances étrangères aux importations de l’Angleterre.
On a fait valoir que les commissions d’agriculture se sont prononcées dans le même sens que la commission d’industrie, cela se conçoit. Si on m’avait dit, à moi, membre de la commission d’agriculture de la province de Liège, que l’industrie des fileurs de la Flandre est menacée d’une ruine complète, j’aurais dit qu’il faut un droit protecteur ; mais lorsqu’on me présente le tableau du gouvernement, d’où il résulte qu’il y a toujours balance en faveur de la Belgique, je dis que si on veut un droit protecteur, il faut qu’il soit faible, et qu’il ne convient pas d’établir des droits élevés qui ressemblent à des prohibitions. Voilà le danger qu’il y a dans cette question.
M. de Jaegher. - Je ne puis laisser sans réponse les assertions de l’honorable préopinant. Ses calculs sur les exportations et les importations peuvent être exacts ; mais ce dont il ne tient pas compte, quoique ce soit nécessaire, c’est la réduction dans le prix de la journée des fileurs. Il y a quelques années le prix était suffisant pour leur donner à vivre ; aujourd’hui le prix de la journée n’est plus que de 10 cents, et la journée de travail commerce à 6 heures du matin pour finir fort tard dans la soirée ; jusqu’ici les fileurs ont encore pu subsister grâce aux heureuses récoltes que la Belgique a eues successivement ; mais qu’il y ait une mauvaise récolte, et ils n’ont plus de moyens de subsistance. Voilà des choses qui ont été omises par le préopinant et qui doivent cependant entrer en ligne de compte.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Eloy de Burdinne. - J’aurais voulu répondre à M. de Jaegher ; mais si la chambre veut prononcer la clôture, je n’insiste pas.
M. Rogier. - Je ferai remarquer à la chambre qu’elle ne peut prononcer la clôture que sur la question de principe, car on n’a pas discuté l’amendement de M. de Langhe, on n’a pas discuté l’amendement de M. Desmet d’une manière spéciale. Il est impossible d’aller immédiatement aux voix sur cet amendement qui est évidemment incomplet.
M. de Brouckere. - Il sera rejeté.
M. Rogier. - J’en accepte l’augure.
- La chambre consultée prononce la clôture sur la question de savoir si le droit sera établi au poids ou à la valeur.
M. Lebeau. - Je crois qu’il faut maintenant voter sur la question sur laquelle la clôture vient d’être prononcée car si le système de la perception à la valeur prévaut, il est certain qu’il n’y aura pas lieu à discuter l’amendement de M. Desmet.
Si, au contraire, le poids est admis, les amendements de MM. de Langhe et Rodenbach tomberont. Il faut agiter la question de principe.
M. Desmet. - Il faut savoir si l’on percevra au poids ou à la valeur, mais il faut encore savoir si l’on percevra d’après des numéros.
M. de Brouckere. - Avant tout, nous devons commencer par décider si la perception se fera au poids ou à la valeur.
- La chambre vote par appel nominal sur la question de savoir si la perception se fera à la valeur.
69 membres sont présents.
30 votent en faveur du mode de perception à la valeur.
38 votent contre.
1 membre s’abstient.
En conséquence, la chambre rejette le mode de perception à la valeur et admet la perception au poids.
Ont voté pour la perception à la valeur : MM. Beerenbroeck, Berger, de Florisone, de Langhe, de Man d’Attenrode, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Eloy de Burdinne, Fallon, Heptia, Keppenne, Lebeau, Mercier, Metz, Milcamps, Polfvliet, A. Rodenbach, Rogier, Smits, Trentesaux, Troye, Vanderbelen, Verdussen, Wallaert, Peeters.
Ont voté contre : MM. Andries, Angillis, Bekaert, Coghen, Coppieters, Corneli, David, de Brouckere, de Foere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lecreps, Maertens, Manilius, Morel-Danheel, Raymaeckers, C. Rodenbach, Seron, Thienpont, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vergauwen, Zoude.
M. de Nef, qui s’est abstenu, rappelle que par suite de l’amendement qu’il a proposé, il ne pouvait émettre d’opinion sur la question du droit à la valeur ou au poids.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je pense, messieurs, que la discussion doit nécessairement continuer. D’un côté la commission propose un droit unique au poids, et de l’autre, M. Desmet propose d’établir trois catégories. Or vous reconnaîtrez peut-être qu’il serait bon de prendre un milieu et de faire deux catégories seulement, ce qui, selon moi, éviterait bien des difficultés à la douane, car la multiplicité des catégories complique les opérations. Une catégorie du n°1 anglais à 30 inclusivement, et une autre pour les numéros au-delà de 30, me paraîtraient admissibles en y appliquant un droit modéré.
M. Coghen. - Je crois qu’il serait convenable de renvoyer l’amendement de M. Desmet et la proposition du ministre à la commission d’industrie ; le ministre y serait entendu, et l’on pourrait y déterminer un droit protecteur sans être prohibitif. On continuerait demain la discussion après avoir entendu les conclusions de la commission.
M. Desmet. - Je me réunis à la proposition du ministre des finances, de ne faire que deux catégories.
M. A. Rodenbach. - Il est probable que demain le ministre, en proposant les chiffres applicables à deux catégories, donnera des explications, et alors nous saurons pourquoi nous votons. Je le prierai de nous dire aussi la pensée du gouvernement sur les fils d’Allemagne qui sont si importants pour l’industrie de Turnhout.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je prie la chambre de remarquer que je ne suis pas entré dans le fond de la question. J’ai seulement exposé quelques motifs pour engager à ne pas clore la discussion. Si elle continuait, tout en me ralliant à la motion de M. Coghen, je demanderais à la chambre de décider quel droit elle entend admettre : si, par exemple, c’est 5 p. c. pour les fils écrus, et 6 p. c. pour les fils tors et blanchis ; ce point résolu, il resterait à en régler l’application. C’est de cette manière qu’il faudrait procéder pour arriver à un résultat immédiat.
- La chambre consultée décide que la discussion continue sur les propositions faites et par la commission d’industrie et par M. Desmet.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Pour faciliter la discussion, je propose les chiffres 5 p. c. pour les fils écrus, et 6 p. c. pour les fils tors et blanchis.
M. Desmet. - Il est impossible, messieurs, d’admettre ces chiffres, quand on voit la chambre de commerce de Bruges, de cette ville qui a besoin de fils étrangers pour son industrie, demander que le droit soit au moins de 10 p. c. Je proposerai 10 p. c. pour les fils simples et écrus et 15 p. c. pour les fils blanchis, teintes ou tors.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ferai remarquer qu’en 1832 la chambre de commerce de Bruges ne demandait que 5 p. c. ; dans le mémoire qu’elle a présenté en décembre 1837 elle ne demande également que 5 p. c. La chambre de commerce de Courtray, dont on a également parlé, ne demande que 5 p. c. Je crois donc que le droit de 5 p. c. pour les fils simples et écrus et de 6 p. c. pour les fils blanchis, teints ou tors, est suffisant. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, qu’il ne s’agit pas ici d’une seule industrie mais que plusieurs intérêts sont en présence.
M. Desmet. - Je dois faire remarquer à M. le ministre de l’intérieur que, par leurs derniers avis, la chambre de commerce de Bruges demande 10 p. c. et la chambre de commerce de Courtray bien plus que 5 p. c. M. le ministre parle des anciens avis, tandis que moi je parle des derniers ; et, messieurs, nous devons particulièrement nous attacher aux nouveaux avis, car ce sont ceux où la question linière a été traitée spécialement, et on a tenu à avoir ces avis : que du moins à présent on les croie, mais qu’on ne vienne pas les repousser parce qu’ils ne sont pas de l’opinion qu’on voudrait faire prévaloir ; d’ailleurs vous n’avez pas seulement les avis des chambres de commerce, mais aussi ceux des commissions d’agriculture et des députations permanentes, des conseils provinciaux, et, excepté la chambre de commerce, toutes les corporations que vous avez consultées sont d’avis que le droit doit être au moins à 10 p. c. de la valeur.
Si donc la chambre veut réellement accorder quelque protection à notre importante industrie, et avoir quelque confiance dans les avis qu’elle a reçus, elle ne peut refuser cette protection.
M. Lardinois. - Nous ne devons pas perdre de vue, messieurs, que le droit n’est que un demi p. c., et que c’est l’augmenter considérablement que de le porter à 5 p. c. d’une part et à 7 p. c. de l’autre. Je ne puis donc que me rallier à la proposition de M. le ministre des finances. Si j’ai voté pour le droit au poids, c’est dans l’espoir qu’on aurait établi un chiffre modéré ; mais le droit de 5 et de 6 p. c’est, je le répète, un droit très élevé en comparaison de celui qui existe actuellement.
M. de Langhe. - On a cité, messieurs, les anciens avis des chambres de commerce et ceux qu’elles ont émis maintenant : toute la conclusion qu’on peut tirer de cette comparaison, c’est que les chambres de commerce sont en progrès prohibitif ; il s’agit de savoir si la législature veut les suivre dans cette voie.
M. Desmaisières. - L’honorable M. Lardinois vous a fait remarquer, messieurs, que le droit actuel n’est que d’un demi p. c. ; mais est-ce bien là un droit protecteur ? Evidemment, non ; on ne peut donc rien en conclure pour la fixation du droit qu’il s’agit d’établir.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je dois faire remarquer à la chambre que quand il s’est agi des fils de laine, nous n’avons établi qu’un droit de 15 p. c., et que les producteurs des fils de lin jouissent d’un avantage que n’ont pas ceux qui filent la laine : c’est que les premiers ont la matière première dans le pays, tandis que les autres doivent la faire venir de l’étranger. Je crois donc que pour demeurer conséquents avec nos antécédents, nous ne pouvons pas adopter un droit plus élevé que celui qui a été proposé par l’honorable M. de Langhe et appuyé par M. le ministre des finances.
M. A. Rodenbach. - L’honorable M. de Langhe semble faire un reproche aux chambres de commerce de ce qu’elles proposent maintenant une protection plus forte que celle qu’elles ont proposée jadis ; la raison en est toute simple, messieurs, c’est que de mois en mois l’Angleterre introduit plus de fils en Belgique. Je dis, moi, que si vous n’établissez pas un droit de 8 ou 10 p. c. sur les fils simples ou écrus et de 12 à 15 p. c. sur les fils blanchis, teints ou tors, vous n’aurez rien fait pour les 400,000 personnes qui vivent du filage à la main.
M. Verdussen. - L’honorable préopinant dit, messieurs, que vous ne ferez rien si vous établissez un droit de 5 et de 6 p. c., c’est-à-dire, si vous décuplez le droit actuel, et moi je dis que si vous établissez un droit de 10 p. c. vous n’aurez rien, car alors vous n’aurez travaillé qu’au profil des fraudeurs. Il n’y a pas de marchandise au monde qui se fraude plus aisément que les fils.
M. Eloy de Burdinne. - Remarquez, messieurs, que les fils anglais sont fabriqués avec du lin provenant de notre sol ; or, si vous allez trop fortement entraver le commerce de lin que nous faisons avec l’Angleterre, cette nation pourrait bien s’approvisionner ailleurs, et alors ceux qui réclament aujourd’hui des droits élevés pourraient bien s’en repentir trop tard. Je crois que le droit proposé par M. le ministre des finances est suffisant.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Indépendamment des considérations qui viennent d’être présentées en faveur d’un droit modéré, je rappellerai à la chambre que la filature du lin a déjà été protégée tout récemment par la loi des douanes, dans laquelle on a supprimé le droit de sortie sur les fils, lequel était de 3 p. c. sur certaines qualités, et de 5 p. c. sur certaines autres ; par là on a déjà amélioré d’une manière notable la position des fileurs. D’un autre côté ne perdons pas de vue, messieurs, que le fil est la matière première des tisserands, et que si nous frappons d’une manière trop sensible cette matière première, nous gênerons une industrie plus importante que la filature du lin, et contrarierons l’exportation de nos toiles.
Comme vient de le dire l’honorable M. Verdussen, le fil est extrêmement facile à frauder ; si nous le frappons de droits trop élevés, on les éludera et les fileurs ne trouveront pas la protection que leur promettrait la loi, tandis que le trésor de son côté ne recevra plus rien. Je pense donc que pour satisfaire tous les intérêts, il faudrait s’en tenir au droit moyen de 5 et de 6 p. c. qui est le décuple du droit actuel, et qui s’élèvera d’ailleurs jusqu’à 8 et 9 p. c. sur certaines qualités de fil.
M. Desmet. - Si l’honorable M. Verdussen a voulu parler du fil de mulquinerie, il a raison, mais il n’est pas question de ce fil dans le projet ; il s’agit seulement des fils communs.
On a consulté toutes les chambres de commerce et les commissions d’agriculture, et toutes sont d’avis qu’il faut établir un droit plus élevé que celui qui est proposé par M. le ministre des finances ; la commission d’agriculture d’Anvers elle-même propose un droit semblable à celui que demande la commission d’industrie. Je crois, messieurs, que si nous voulons faire quelque chose pour l’industrie linière, nous devons admettre un chiffre de 10 p. c. au moins, et si vous allez tellement rogner la protection, ce sera comme si nous n’avions rien fait.
M. Smits. - Messieurs, je dois rendre la chambre attentive sur la portée de la proposition qui tend à établir une moyenne de 10 p. c. Dans ce système, il arrivera que pour les numéros inférieurs, on obtiendra un chiffre de 20 et même de 30 p. c. J’ai voulu faire cette observation, pour qu’on ne se méprît pas sur la portée de la disposition.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 10 p. c. que la commission d’industrie et M. Desmet proposent sur les fils écrus.
Des membres. - L’appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal.
En voici le résultat :
69 membres y prennent part.
33 répondent oui.
36 répondent non.
En conséquence, la chambre n’adopte pas sur le chiffre de 10 p. c. sur les fils écrus.
Ont répondu oui : MM. Angillis, Bekaert, Berger, Coghen, Coppieters, David, de Foere, de Jaegher, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Roo, Desmaisières, Desmet, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lecreps, Liedts, Maertens, Manilius, Metz, Morel-Danheel, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Thienpont, Vandenbossche, Van Volxem, Vergauwen, Verhaegen, Wallaert, Zoude et Dubus (aîné).
Ont répondu non : MM. Beerenbroeck, Corneli, de Brouckere, de Florisone, de Langhe, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Heptia, Keppenne, Lardinois, Lebeau, Mercier, Milcamps, Polfvliet, Raymaeckers, Rogier, Smits, Trentesaux, Troye, Verdussen, H. Vilain XIIII et Peeters.
M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix le chiffre 5 p. c.
- Ce chiffre est adopté.
La chambre adopte ensuite le chiffre de 5 p. c., proposé par le gouvernement, sur la deuxième catégorie des fils.
Sur la demande de M. le ministre des finances (M. d’Huart), la chambre prononce le renvoi du projet de loi à la commission d’industrie.
La séance est levée à 4 heures 3/4.