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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 novembre 1837

(Moniteur belge n°334, du 30 novembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Charles et Philippe Kins, sauniers à Burht, demandent la discussion de la loi relative aux sels. »

« Même pétition des sauniers de Diest. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Des négociants détaillants de la ville de Bruges adressent des observations contre les ventes de marchandises neuves à l’encan. »

M. Maertens. - Quoique déjà à différentes reprises, et récemment encore, plusieurs d’entre nous aient pris la parole au sujet des réclamations adressées à cette chambre contre les ventes à l’encan, je me vois néanmoins encore obligé de dire quelques mots relativement à la nouvelle pétition de Bruges, que j’ai déposée aujourd’hui et dont l’analyse vient de nous être faite. Cette pétition, revêtue d’une masse de signatures et particulièrement appuyée par la régence, a un avantage sur les autres pétitions du même genre, en ce que non seulement elle signale les abus existants, mais indique en outre les moyens de porter remède au mal. J’engagerai donc MM. les ministres auxquels la pétition sera renvoyée d’y donner une attention toute particulière, et comme dans tous les cas, soit que l’on convertisse en dispositions légales les arrêtes de Guillaume. qui n’ont plus de force aujourd’hui et en vertu desquels les régences étaient autorisées à établir dans l’occurrence telles mesures qu’elles trouvaient convenables, soit que l’on prenne une mesure générale pour toute la Belgique dans l’intérêt du commerce intérieur ; comme, dis-je, dans tous les cas, il en résultera une modification à la loi sur les patentes, tout le monde comprendra qu’il est de la plus hante urgence de s’occuper sans plus de retard de cet objet, si nous ne voulons voir prolonger pendant encore tout l’exercice de 1838 l’état de souffrance d’une classe nombreuse de la société, qui ne cesse de nous adresser ses plaintes et qui réellement est digne de toute notre sollicitude. Je pense que M. le ministre de l’intérieur, qui est présent à la séance, voudra bien répondre quelques paroles pour rassurer ceux dont je plaide ici la cause.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je demande que la pétition me soit renvoyée. Je m’occupe de l’examen de celles qui m’ont été renvoyées et qui m’ont été adressées directement. Le rapport sera fait avant la discussion du budget des voies et moyens. Je verrai alors s’il y lieu de présenter un projet de loi.

- La chambre renvoie la pétition au ministre de l’intérieur et au ministre des finances.

(Addendum inséré au Moniteur belge n°335, du 1 décembre 1837) M. Pollénus (pour une motion d’ordre). - Messieurs, des plaintes sur l’augmentation du prix des houilles se font entendre de toutes parts ; les pétitions tendant à obtenir une réduction à notre tarif se succèdent ; il importe de s’occuper le plus tôt possible d’un objet qui intéresse à un si haut degré l’un des principaux besoins de la consommation.

Différentes pétitions ont été transmises à la commission avec invitation d’un prompt rapport.

Je prie M. le président de cette commission de bien vouloir nous dire si un rapport pourra nous être fait bientôt sur l’objet que je viens d’indiquer.

M. Zoude. - Je puis annoncer à la chambre que le rapport que réclame l’honorable préopinant pourra être fait dans peu de jours. Mon travail est retardé par des informations indispensables que j’ai dû réclamer. La commission joindra à son travail un projet de loi sur la matière.

M. Dumortier. - Mais il semble que la commission n’a pas de projet de loi à présenter.

M. Zoude. - Si l’on conteste ce droit à la commission, je ferai mien le projet qui sera présenté.

Projet de loi qui réunit à la commune de Rhisne le hameau d'Artey Falize dépendant actuellement de la commune de Suarlée

Rapport de la commission

M. Pirson, au nom de la commission chargée de l’examen d’un projet de loi relatif à une délimitation de communes, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et met le projet de loi auquel il est relatif à l’ordre du jour entre les deux votes du projet de loi relatif à l’école militaire.

Projet de loi organisant l'école militaire

Discussion des articles

Article 7

M. le président. - La chambre est arrivée à l’article 7, dont elle a adopté dans la séance d’hier le premier paragraphe ainsi conçu : « Le maximum u traitement du directeur des études s’il n’est militaire, est fixé à 8,000 fr. »

M. Dumortier. - Lorsque, dans la séance d’hier, j’ai fait remarquer l’élévation du chiffre des traitements et le grand nombre des professeurs, un seul membre a cru que je faisais la proposition de réduire ces traitements. Ce n’est pas mon intention. J’ai seulement fait cette observation afin de faire sentir la nécessité de revenir, au second vote, sur l’article relatif au nombre des professeurs. Si les traitements sont larges, il faut que les professeurs fassent plusieurs cours, ainsi que cela se fait dans tous les établissements.

- Les paragraphes suivants de l’article premier sont successivement mis aux voix et adoptés :

« Celui des examinateurs permanents, au maximum, à 6,000 fr.

« Celui des professeurs civils de première classe, au maximum, à 6,000 fr.

« Celui des professeurs civils de deuxième classe, au maximum, à 4,000 fr.

« Celui des répétiteurs civils, au maximum, à 2,400 fr.

« Celui des maîtres, au maximum, à 3,000 fr.

« Celui de l’aumônier, au maximum, à 1,200 fr.

« Celui du secrétaire et des dessinateurs, au maximum, à 2,000 fr.

« Celui du dessinateur militaire, au maximum, à 3,000 fr. »

- La chambre passe à la discussion du dernier paragraphe de l’article 7, lequel est ainsi conçu :

« Des arrêtés spéciaux détermineront le nombre et les traitements des employés pour le service intérieur. »

M. Dumortier. - Je crois que cette disposition peut être rayée du budget, attendu que tous les ans le gouvernement pourra fixer le nombre des employés d’après ce qui aura été alloué au budget : nous ne pouvons dire que des arrêtés détermineront le nombre et les traitements des employés du service intérieur.

M. de Brouckere. - Cette disposition doit rester dans la loi, et voici pourquoi. Dans l’article 5, on a fait l’énumération de tous les fonctionnaires attachés à l’école militaire, et comme les employés du service intérieur y sont compris, il faut ici dire qui fixera leurs traitements ou les fixer vous-mêmes. Leur existence est consacrée par l’article 5, et il n’y a pas d’inconvénient à laisser au gouvernement de fixer ces salaires. La chambre ne peut fixer le salaire des domestiques. La chambre a d’ailleurs le droit de demander des renseignements quand elle votera les fonds.

M. Dumortier. - Dans l’article nous avons mis, il est vrai, les employés du service intérieur au nombre de l’état-major ; cette disposition tombera au second vote. Tout le monde sait bien qu’il faut des employés dans un établissement, et la loi n’a pas besoin de le dire. Nous sommes à la fixation des traitements, et nous ne devons pas laisser au gouvernement le droit de fixer des traitements ; cela entraînerait des abus. Tous les ans le ministre présentera la somme nécessaire, et la chambre ne fera pas de difficulté pour l’accorder. C’est ainsi que cela se pratique pour les ministères. Pourquoi cela aurait-il lieu dans les écoles militaires, quand rien de semblable n’a lieu pour les universités ?

- La disposition est mise aux voix et adoptée. C’est le dernier de l’article 7.

L’ensemble de l’article est mis aux voix et adopté.

Article additionnel

M. Dumortier. - Par l’article qui précède, nous venons de fixer les traitements des professeurs de l’école militaire ; il me paraît que c’est le cas d’introduire ici une disposition semblable à celle qui existe pour l’enseignement universitaire, relativement aux professeurs civils. Elle porterait :

« Nul ne peut être professeur civil s’il n’a le grade de docteur dans la branche de l’instruction supérieure qu’il est appelé à enseigner : néanmoins des dispenses peuvent être accordées par le gouvernement aux hommes qui auront fait preuve d’un mérite supérieur. »

Vous donnerez par là une carrière à ceux qui ont le doctorat en sciences, et vous aurez la garantie que, pour être professeur de l’école militaire, il faut avoir fait preuve de hautes connaissances. Ceci n’est d’ailleurs que pour les professeurs civils. Nous devons trouver une garantie de capacité dans les professeurs. Le doctorat en sciences ne mène presque à rien en Belgique ; il ne mène qu’au professorat dans les universités ; il faut autant que possible élargir cette carrière. Pour devenir docteur, il faut dépenser beaucoup d’argent et beaucoup de temps. Si cela ne conduit à rien, vous écarterez de l’enseignement des hommes qui pourraient se distinguer dans les sciences. La disposition que je propose stimulera le mérite et écartera une foule de nullités que l’on rencontre sur toutes les routes qui conduisent aux emplois. Elle sera intercalée entre l’article 7 et l’article 8.

- L’amendement présenté par M. Dumortier est appuyé.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’amendement étant tiré de la loi concernant les universités, je ne vois pas de motifs pour m’y opposer ; mais je demande que la disposition applicable aux universités soit appliquée tout entière à l’école militaire, et que la position soit la même pour les professeurs de l’école militaire que pour ceux des universités ; ainsi, je demande que la deuxième partie de la disposition soit adoptée dans son entier et qu’on dise :

« Néanmoins, des dispenses peuvent être accordées par le gouvernement aux hommes qui auront fait preuve d’un mérite supérieur soit dans leurs écrits, soit dans la pratique de la science qu’ils sont appelés à enseigner. »

M. Dumortier. - J’ai dit que la disposition que je présentais était empruntée à l’article 13 de la loi concernant les universités ; mais je n’ai pas dit que ce fût l’article 13 lui-même, parce qu’il peut être une source d’abus.

Si l’on veut admettre cette seconde disposition, alors je préfère qu’on retranche tout l’article : s’il suffit d’avoir donné des preuves de science dans la pratique de l’enseignement, il est manifeste, messieurs, que tout le monde pourra être admis, et qu’il n’y aura plus aucune garantie.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, la pratique de l’enseignement est, à mon avis, une chose d’une très grande importance ; la faculté d’enseigner est une faculté à part : il y a des hommes très instruits qui ne savent pas très bien enseigner, tandis qu’il en est dont l’instruction est moindre et qui sont de parfaits professeurs ; l’art de faire travailler les élèves est peut-être en première ligne dans le talent du professeur. Je pense donc, messieurs, que cette partie de l’exception est très rationnelle, et qu’il est très important qu’elle soit maintenue.

M. Pollénus. - Je crois, messieurs, qu’il faut admettre l’opinion qui vient d’être énoncée par M. le ministre de la guerre, et voici pourquoi : vous avez décidé que l’école militaire serait adjointe à l’université de Gand ; vous avez voulu que le ministre de la guerre puisse profiter du talent des professeurs qui sont attachés à cette institution : eh bien, messieurs, si vous adoptiez le système de M. Dumortier, vous excluriez peut-être par là de l’école militaire plusieurs professeurs à l’université de Gand, ce qui serait contraire au vote que vous avez émis.

M. Dumortier. - Messieurs, les professeurs de la faculté des sciences de l’université de Gand sont tous, je pense, docteurs en sciences. Du reste, il y a une disposition dans la loi qui autorise le gouvernement à employer pour l’école militaire les professeurs de l’université de Gand.

M. le ministre dit qu’il y a des personnes qui enseignent très bien et qui ne sont pas docteurs ; mais je demanderai comment le gouvernement connaîtra ces personnes. Est-ce que le gouvernement ira se mettre sur les bancs pour savoir si le professeur pratique bien ?

Y a-t-il quelque chose de plus impalpable que de savoir si, en fait d’enseignement, une personne pratique bien ? Un professeur qui pratique bien suivant telle personne, pratique mal suivant telle autre ; tel professeur qui aura une belle élocution paraîtra être très bon quoiqu’il ne connaisse pas ce qu’il enseigne. La première condition pour bien enseigner, c’est de bien posséder la science qu’on enseigne ; c’est là une condition indispensable.

Si vous admettez tout simplement un professeur parce qu’il professe bien, il suffira, pour pouvoir être admis, d’apprendre par cœur un traité quelconque d’un professeur distingué de Paris ou d’Allemagne. Ce n’est pas ainsi, messieurs, que j’entends le professorat : celui qui vent être professeur doit fortement posséder la science qu’il veut enseigner ; or, il est impossible qu’une personne qui possède bien une science n’ait reçu aucun diplôme, ni publié aucun mémoire, aucun ouvrage quelconque.

Je vois donc dans la disposition que je propose une garantie que les fortes études auront du succès en Belgique, et je crois devoir maintenir cette disposition telle que je l’ai présentée.

Le sous-amendement proposé par M. le ministre de la guerre est mis aux voix et adopté.

La proposition de M. Dumortier, ainsi amendée, est ensuite mise aux voix et adoptée.

Article 8

« Art. 8 (Art. 7 de la section centrale). Les officiers attachés à l’école militaire y sont placés par arrêté du Roi.

« Le directeur des études, les examinateurs permanents, les professeurs et les répétiteurs civils, sont nommés et révoqués par le Roi.

« Toutefois, les répétiteurs civils pourront être provisoirement institués par le ministre de la guerre.

« Le gouvernement peut appeler au professorat des étrangers, lorsque l’intérêt de l’instruction le réclame.

« Les professeurs ne peuvent donner des répétitions rétribuées. Ils ne peuvent exercer une autre profession qu’avec l’autorisation du gouvernement. Cette autorisation est révocable. »

M. Dumortier. - Il me paraît, messieurs, que le dernier paragraphe de cet article ne peut être admis tel qu’il est ; je voudrais, pour mon compte, que les professeurs de l’école militaire, qui seront largement rétribués, fussent exclusivement attachés à l’école et y donnassent tous leurs soins. Les juges ne peuvent être que juges, les fonctionnaires publics ne peuvent être que fonctionnaires publics ; je ne vois pas pourquoi les professeurs de l’école militaire seraient exceptés de cette règle générale. Lorsqu’on donne aux professeurs de l’école militaire un traitement de 4 ou 6 mille francs, est-il juste qu’ils puissent encore donner des leçons dans des institutions particulières ? Manifestement non : il faut qu’ils donnent tout leur temps à l’établissement par lequel ils sont salariés, qu’ils en soignent les élèves avec tout le zèle dont ils sont capables. Si vous voulez, messieurs, que les professeurs de l’école militaire prennent à cœur les affaires de l’établissement, il faut qu’ils y soient exclusivement attachés, qu’il leur soit interdit de consacrer une partie de leur temps à donner des leçons dans d’autres institutions. Je ne parle pas ici des professeurs de l’université qui donneront en même temps des cours dans l’école militaire, et qui ne recevront de ce chef qu’un supplément de traitement ; c’est là une mesure d’économie qui ne peut avoir que de bons résultats.

Ce que je ne veux pas, c’est qu’on puisse autoriser les professeurs de l’école militaire, qui seront largement rétribués, à donner des leçons dans d’autres établissements, et à négliger ainsi l’institution qui les paie ; c’est là un abus que je ne saurais assez flétrir, abus dont pâtissent beaucoup de jeunes gens qui se trouvent par là privés des moyens d’utiliser les connaissances qu’ils possèdent.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je prie la chambre de remarquer que l’honorable membre vient de faire le procès, non pas précisément à la disposition que je propose, mais à l’article 12 de la loi sur l’enseignement supérieur que je propose d’introduire textuellement dans la loi sur l’école militaire.

Je ferai d’ailleurs remarquer que les professeurs de l’université qui donneront en même temps leur cours à l’école militaire, recevront un tiers en sus de leur traitement, et qu’ils auront ainsi des appointements plus élevés que ceux des professeurs qui ne seront attachés qu’à l’école militaire ; c’est déjà là une inégalité, et je ne vois pas de motif de l’augmenter encore en adoptant le système de l’honorable préopinant ; je pense que ce que la chambre a trouvé juste pour les professeurs des universités, elle doit le trouver juste aussi pour les professeurs de l’école militaire.

M. Dumortier. - Si on a introduit dans la loi sur l’enseignement universitaire la disposition dont parle M. le ministre de la guerre, dans la vue de ne pas permettre que des avocats ou des médecins fussent en même temps professeurs dans une université ; c’est dans ce seul but que l’article 12 a été introduit dans la loi sur l’enseignement supérieur ; j’en appelle à cet égard aux souvenirs de chacun de nous. Or, je ne pense pas qu’il soit question d’employer des médecins ou des avocats à l’école militaire, et dès lors il ne faut pas adopter la proposition de M. le ministre de la guerre.

Comment les élèves sont-ils introduits à l’école militaire ? Ils sont admis en vertu d’un examen, et les examinateurs sont les professeurs de l’école militaire ; or, si vous permettez à ces professeurs d’enseigner dans un autre établissement, comme ils auront un traitement dans cet établissement, leur intérêt et l’affection qu’ils porteront à leurs élèves, les engageront à favoriser ceux-ci et à leur adresser des questions moins difficiles qu’aux autres.

Mais je suppose même que les choses n’en viennent pas jusque-là, je suppose que les professeurs qui donneraient des leçons dans un établissement spécial ne sacrifient pas leur devoirs et qu’ils soient impartiaux pour tous les aspirants, toujours est-il constant que les élèves qui auront suivi les leçons particulières de ces professeurs auront infiniment plus d’avantages que les autres jeunes gens ; en effet, ils auront étudié d’après le système de ces professeurs qui les auront examinés sur les matières sur lesquelles l’interrogation devra porter.

Ces inconvénients n’existent pas pour les universités, puisque pour être admis à fréquenter les cours universitaires, il ne faut pas passer d’examen. D’ailleurs, messieurs, l’on ne doit pas favoriser les cumuls. Comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, il y a en Belgique des jeunes gens qui s’élèvent et qui voient souvent des personnes occuper 2, 3, 4, et 6 emplois, tandis qu’eux, malgré leur capacité, ils ne peuvent en obtenir un seul. La constitution s’oppose aux cumuls, et d’ailleurs nous avons, pour nous y opposer, d’autres motifs, qui sont ceux que je viens d’avoir l’honneur de vous indiquer. Par la loi d’enseignement nous avons donné aux professeurs une large part dans les traitements publics ; jamais les traitements n’ont été si élevés, je ne pense donc pas qu’il y ait de raisons pour laisser encore aux professeurs la possibilité de donner des leçons en ville. Les juges sont limités dans leurs devoirs, tons les autres fonctionnaires publics le sont également ; pourquoi n’en serait-il pas de même des fonctionnaires de l’école militaire ?

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, l’honorable préopinant vient de dire que vous avez cherché à faire une large part aux professeurs des universités dans les traitements publics ; il semble en conclure qu’une part plus petite doit être faite aux professeurs de l’école militaire. Cela est loin d’être juste. Que la position de ces derniers, telle qu’elle est fixée par les votes précédents, soit inférieure à celle de leurs collègues des universités, cela est de toute évidence. En effet, les professeurs de l’école militaire ne jouissent pas de minervalia. Voilà une première inégalité. Une seconde inégalité résulte de ceci, que le maximum des traitements des professeurs universitaires peut être porté à 9,000 fr., tandis que le maximum des professeurs de l’école militaire est de 6,000 fr.

L’honorable préopinant veut empêcher les professeurs de cumuler plusieurs traitements. Il me semble que ceci est contraire aux intentions qui ont été plusieurs fois manifestées dans cette chambre. On ne peut pas véritablement appeler cumul un double traitement qui résulte d’un double travail : c’est là une véritable rétribution et non un traitement de sinécure.

Quant aux jeunes gens auxquels, selon l’honorable orateur, il ne faut pas enlever leurs chances d’avenir, cette observation me paraît fondée ; mais je pense en même temps qu’il ne faut pas priver les professeurs, en possession d’une réputation méritée, de jouir de tous les avantages auxquels leurs talents et leur expérience leur donnent droit.

L’honorable membre a prétendu que la disposition de l’article 12 de la loi universitaire n’est applicable qu’aux avocats et aux médecins. Je pense au contraire que cette disposition a été prise en faveur de quelques professeurs qui donneraient en même temps des leçons dans un athénée, et à qui on n’a pas voulu enlever cet avantage par leur nomination à l’université. D’ailleurs la disposition dont il s’agit est absolue ; par conséquent, il me semble qu’une interprétation restrictive, telle que la propose M. Dumortier, vient au moins un peu trop tard.

L’objection principale de M. Dumortier consiste en ce que les professeurs de l’école militaire seraient les examinateurs des élèves qui se présenteront pour entrer à l’école, et qu’en conséquence cette double fonction ôterait toute garantie d’impartialité de leur part, en ce qui concerne les jeunes gens qui auraient été formés par d’autres professeurs.

Cette objection serait spécieuse, si l’assertion de M. Dumortier était exacte ; mais elle repose sur une supposition tout à fait gratuite ; ainsi, dans les examens pour l’admission à l’école militaire, les choses ne se passent pas comme il les a exposées. Le nombre des professeurs de l’école est assez grand pour qu’on puisse trouver pour chaque examen un nombre suffisant de professeurs qui aient été complétement étrangers à l’instruction scientifique des candidats. La commission d’admission est en outre présidée par le commandant de l’école, ou, en son absence, par l’examinateur permanent qui est aussi tout à fait étranger à l’instruction.

Quand les membres du jury d’admission sont réunis, on donne lecture de la liste des aspirants, et alors chacun des membres provisoires du jury est tenu de déclarer s’il a pris ou non part à l’instruction des élèves qui se présentent ; il est certain qu’aucun des professeurs ne répondra non, lorsque le oui serait vrai. Dès l’instant qu’un professeur aurait présidé à l’instruction d’un des aspirants, il doit se récuser sur-le-champ, et les véritables examinateurs ne sont plus que des professeurs entièrement étrangers à l’instruction des jeunes gens qui se présentent.

L’objection de l’honorable M. Dumortier étant donc complétement dénuée de fondement, ne justifie nullement la restriction que l’honorable membre veut imposer aux professeurs de l’école militaire.

M. de Brouckere. - Messieurs, je n’ajouterai que quelques mots à ce que vient de dire M. le ministre de la guerre. D’abord, l’article que nous discutons n’est que la reproduction d’un article qui se trouve dans la loi sur l’enseignement ; cela suffirait pour que nous admissions cette disposition dans le projet actuel, sous peine, en cas contraire, d’être regardés comme ayant deux poids et deux mesures.

Mais, dit l’honorable M. Dumortier, l’article de la loi sur les universités ne concerne que les médecins et les avocats. Je dirai d’abord que la disposition étant générale et absolue, il ne dépend pas de M. Dumortier de la réduire à une partie seulement des professeurs de l’université. Mais comme je l’ai entendu avancer tout à l’heure qu’il n’y avait pas d’exemple qu’un autre professeur eût des fonctions étrangères à l’université, je lui dirai que je pourrais citer tel professeur d’université qui est professeur et principal de l’athénée de la ville où se trouve l’université. Voilà une preuve évidente que l’article dont il s’agit n’a pas été fait seulement pour les médecins et les avocats.

L’honorable M. Dumortier a dit à satiété que les traitements des professeurs de l’école militaire sont assez élevés pour que ces professeurs n’aient pas besoin de chercher des occupations ailleurs. Mais, messieurs, veuillez ne pas perdre de vue qu’une partie des professeurs sera rangée dans la deuxième catégorie, et que dès lors ces professeurs ne pourront avoir plus de 4,000 fr. ; ce taux est le maximum des appointements qu’ils peuvent recevoir. Dans certains cas le gouvernement ne donnera aux professeurs de la seconde classe qu’un traitement inférieur à 4,000 fr. Eh bien, je suppose que ce traitement soit de 3,000 fr. : comment voulez-vous qu’un homme qui a fait de bonnes études, et que vous devez déjà regarder comme savant, aille s’établir à Gand avec un traitement de 3.000 fr., et avec la défense formelle de chercher des ressources en dehors de l’enseignement de l’école militaire ? Evidemment ce serait par trop rigoureux et par trop exigeant.

M. Devaux. - Messieurs, je désire beaucoup que les professeurs de l’école militaire soient bien rétribués ; j’éprouverais même quelque répugnance à leur ôter les avantages indirects attachés aux autres places qu’ils pourraient remplir. Cependant je dois dire qu’il me paraît y avoir plus d’inconvénients que d’avantages dans la proposition, telle qu’elle est formulée dans l’article 8.

Il est certain que, dans la loi sur l’enseignement supérieur, on n’a voulu établir une exception qu’en faveur des médecins et des avocats. On peut même dire qu’elle ne devait s’appliquer qu’aux médecins.

Je crois qu’il y a avantage à ce qu’il en soit autrement. Si nous ne trouvons pas les traitements des professeurs assez élevés, j’aimerais mieux qu’on les augmentât.

Le gouvernement est ici appréciateur, mais il n’est pas maître de refuser, notamment s’il s’agit d’un bon professeur auquel il tient. Si la faculté n’est pas inscrite dans la loi, ce professeur n’y pensera pas ; mais si elle y est, il demandera au gouvernement à en profiter, persuadé qu’on ne le refusera pas ; et si on le refuse, il partira ou il sera découragé.

Je crois qu’une règle absolue est meilleure pour l’instruction. Remarquez que les traitements varient de 4 à 6 mille fr. Si donc on trouve un traitement de 4,000 fr. insuffisant, on peut l’élever à 6,000 fr. Les professeurs pourront même avoir 8,000 fr., en cumulant l’enseignement à l’université avec l’enseignement à l’école militaire. Cette position est assez belle ; j’aimerais mieux qu’on la rendu plus belle encore s’il est nécessaire, et qu’on évitât les inconvénients que j’ai signalés.

Je crois que si un professeur donne deux leçons par semaine à l’école militaire et une leçon par jour dans un collège, les leçons du collège et de l’école militaire en souffriront. Ce que je dis des leçons dans un collège peut s’appliquer à toute autre occupation.

Je crois donc qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients à ne pas accorder au gouvernement la faculté énoncée dans l’article en discussion.

M. le président. - L’amendement déposé par M. Dumortier tend à rédiger comme suit le dernier paragraphe de l’article 8 :

« Les professeurs ne peuvent donner ni leçons ni répétitions rétribuées, ailleurs que dans les institutions de l’Etat. » Le reste comme au projet du gouvernement.

M. Dumortier. - Ce que vient de dire l’honorable M. Devaux me laisse peu de chose à ajouter.

Je me bornerai à répondre à M. le ministre de la guerre. Il prétend qu’il n’y a pas à craindre que les professeurs de l’école militaire favorisent dans les examens l’admission de jeunes gens auxquels ils auront donné des leçons, parce qu’à chaque examen ils sont obligés de déclarer s’ils ont donné des leçons au candidat qui doit être examiné.

Il est vrai qu’ils ne peuvent examiner les élèves qu’ils auront formés. Mais s’ils sont deux ou trois qui s’entendent, il leur sera très facile d’y parvenir. Je ne dis pas que cela ait lieu. Mais il est positif que deux membres du jury sont attachés à des institutions privées.

Je dirai avec l’honorable M. Devaux : « Si les traitements ne sont pas suffisants, qu’on les élève. » Mais je crois que c’est une chose vicieuse que de tolérer qu’un examinateur puisse donner des leçons dans une ville.

M. Gendebien. - C’est une chose vraiment extraordinaire de voir l’extrême confiance qu’on accorde au gouvernement dans des questions souvent fort délicates et fort importantes, et de voir que d’un autre côté, lorsqu’il s’agit d’un objet secondaire sur lequel le gouvernement a le plus d’intérêt à donner la plus grande attention, on porte la défiance jusqu’à ne pas vouloir lui accorder la faculté bien innocente d’autoriser les professeurs de l’école militaire à donner des leçons rétribuées ailleurs qu’à l’école militaire.

Quels sont les membres qui lui refusent cette faculté ? Ce sont ceux qui, d’un côté, prétendent que les professeurs de l’école militaire ne peuvent pas être payés comme ceux de l’université parce qu’ils ont beaucoup moins de travail, et qui ont fait même remarquer que les professeurs ne donnent des leçons à l’école militaire que pendant cinq mois de l’année. Cette dernière remarque a été faite par M. Dumortier, auteur de l’amendement. Ainsi on veut interdire au gouvernement la faculté d’autoriser les professeurs à donner des leçons rétribuées, même lorsqu’ils n’ont pas de cours à donner à l’école militaire. Je ne conçois pas cette contradiction, cette défiance.

En effet qui a le plus d’intérêt à faire prospérer l’école militaire ? Le gouvernement qui demande cette institution comme privilège, et ceux qui demandent pour cette école un privilège exclusif, une faveur spéciale, et qui en même temps se plaignent de la hauteur des traitements.

Vous accordez de faibles traitements ; et lorsque le gouvernement reconnaîtra qu’il n’y a aucun inconvénient à ce qu’un professeur soit indemnisé de la faible quotité de son traitement, en donnant des leçons rétribuées en dehors de cet établissement, vous n’avez pas assez de confiance dans le gouvernement pour consentir à ce qu’il autorise le professeur à donner ces leçons. Non seulement le gouvernement ne peut, dans cette circonstance, être suspect à ce point ; mais il me semble qu’il y a, en dessous du ministre, un homme intéressé à ce que l’école marche bien : c’est celui qui est à la tête de l’établissement.

Il ne souffrirait pas, le ministre ne souffrirait pas non plus qu’un professeur fût distrait de ses occupations à l’école, au détriment de l’instruction qui lui est confiée.

A moins qu’il n’y ait encore là une arrière-pensée que je ne veux pas rechercher, franchement je ne vois pas de motif raisonnable pour admettre l’amendement de M. Dumortier.

Mais, dit-on, si plusieurs professeurs donnant des leçons particulières s’entendent, ils feront entrer à l’école des élèves incapables. Pour cela il faudra que plusieurs s’entendent, ce qui ne serait pas difficile à déjouer ; je ne leur ferai pas l’injure de croire qu’ils complotent aussi bassement et aussi bêtement pour faire entrer à l’école des élèves incapables. Qu’arriverait-il d’ailleurs ? Que les élèves incapables reçus par faveur, ne pourraient pas suivre les cours. Les professeurs auraient beau s’entendre ; le chef, le sous-chef, le ministre, tous seraient intéressés et unanimes pour renvoyer le jeune homme incapable. De manière que les professeurs, après s’être entendus pour une entrée de faveur, auraient rendu un très mauvais service à l’élève incapable dont ils auraient favorisé l’admission à l’école, puisqu’elle n’aurait pour résultat qu’une expulsion ou une perte de temps sans profils aucuns.

Quant à moi je ne trouve rien de plus simple et même de plus rationnel et de plus profitable en même temps que de donner au gouvernement la faculté d’autoriser les professeurs à donner des leçons rétribuées, lorsqu’il s’est assuré que cette autorisation ne peut pas nuire aux cours qu’ils donnent à l’école militaire.

M. Lardinois. - Je commencerai par répéter l’observation de l’honorable M. Gendebien ; c’est que le paragraphe, contre lequel on s’élève, n’est qu’une faculté que l’on accorde au gouvernement. L’on objecte, comme argument principal, qu’accorder aux professeurs de l’école militaire le droit de donner des leçons ou des répétitions dans un autre établissement d’instruction, ce serait un cumul qu’il ne faut pas favoriser. La constitution, messieurs, défend le cumul ; mais ce principe n’est pas tellement absolu qu’il ne puisse souffrir d’exception, et certainement c’est ici le cas d’en établir une en faveur des hommes qui exercent le ministère pénible de professeur.

Il a été reconnu dans tous les pays que les professeurs et les instituteurs n’étaient pas en général, assez rétribués pour leur mérite et pour les services qu’ils rendent à la société. Aussi, a-t-on toujours cherché à les favoriser et à faire des lois capables d’assurer leur existence. Je vais vous en donner un exemple frappant.

Vous savez que la convention nationale voulait aussi un gouvernement à bon marché, et que la constitution de l’an III défendait également le cumul des fonctions. Néanmoins il fut reconnu, lors de la discussion de l’école des travaux publics ou école polytechnique et des autres institutions qui avaient rapport à l’instruction, qu’il était convenable et juste de porter le décret suivant, qui est daté du 2 septembre 1795 :

« La convention nationale décrète :

« Les savants, les gens de lettres et les artistes, qui remplissent plusieurs fonctions relatives à l’instruction publique, pourront en cumuler les traitements. »

Vous le voyez, messieurs, la convention nationale, si sévère d’ailleurs, favorisait les professeurs, parce que ce ne sont des hommes d’argent, et il est du devoir de tout gouvernement de prendre des mesures propres à assurer leur existence ; et, dans cette circonstance, il faut admettre le paragraphe en question.

- Les quatre premiers paragraphes de l’article 8 sont successivement mis aux voix et adoptés.

L’amendement de M. Dumortier est mis aux voix par assis et levé ; deux épreuves sont douteuses ; l’amendement est mis aux voix par appel nominal.

Voici le résultat du vote :

68 membres y prennent part.

35 votent pour l’adoption.

33 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, Coppieters, Corneli, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode (Werner), de Muelenaere, de Nef, de Roo, Desmet, Devaux, Doignon, Dubois, Dubus (Bernard), Dumortier, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Maertens, Mast de Vries, Morel-Danheel, Pirmez, Pollénus, Raikem, Rodenbach (Alexandre), Scheyven, Simons, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenbossche, Vergauwen, Wallaert.

Ont voté contre : MM. Berger, Coghen, de Behr, de Brouckere, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Mérode (Félix), de Perceval, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Terbecq, d’Huart, Donny, Duvivier, Troye, Vandenhove, Vilain XIII, Wallaert, Peeters, Gendebien, Jadot, Keppenne, Lardinois, Lecreps, Liedts, Meeus, Mercier, Metz, Nothomb, Raymaeckers.

Le dernier paragraphe de l’article 8 est mis aux voix et adopté avec l’amendement de M. Dumortier.

L’article 8 est mis aux voix et adopté dans son ensemble avec l’amendement de M. Dumortier.

Article 9

« Art. 9. L’admission des élèves sera prononcée par le ministre de la guerre, d’après les résultats d’un concours public dont le programme sera publié à l’avance, et par le ministre des travaux publics pont les aspirants de marine.

« Le programme fera connaître, chaque année, le nombre des élèves à admettre. Ce nombre sera réglé d’après le taux des besoins probables des différentes armes.

« Ne pourront se présenter à l’examen que les Belges, âgés de16 à 20 ans, qui se sont fait inscrire, en déposant toutes les pièces exigées par le programme.

« Par exception, les militaires de l’armée active pourront être admis jusqu’à l’âge de 25 ans.

« Les examens d’admission sont faits, sous la présidence du directeur des études de l’école, par un jury composé de trois membres, nommés annuellement par le Roi.

« Les examens ont lieu par écrit et oralement. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je proposerai un changement de rédaction au premier paragraphe pour rendre le concours applicable aux aspirants de marine. Je proposerai de le rédiger de la manière suivante :

« L’admission des élèves sera prononcée, d’après les résultats d’un concours public dont le programme sera publié à l’avance, par le ministre de la guerre, et par le ministre des travaux publics pour les aspirants de marine. »

M. Dumortier. - Je demande la parole pour faire plusieurs observations dans l’intérêt de l’école et des personnes qui veulent y entrer, Cet article est un des plus importants de la loi, car il règle le mode d’admission à l’école. Or, je ne trouve pas dans le mode de nomination du jury les garanties qu’on a le droit d’attendre. Je ne vois pas la disposition de l’article 36 de la loi universitaire, qui porte que tout examen oral est public. Il ne peut résulter que des avantages de l’application de cette disposition à l’examen d’admission à l’école militaire. Je pense que le ministre sera le premier à l’admettre.

Maintenant je ferai une observation sur le mode d’examen. Le vote que nous venons de prononcer, qui interdit aux professeurs de l’école de donner des leçons ou des répétitions hors de l’école, peut empêcher tant d’abus de ce chef. Je félicite la chambre de ce vote, car j’ai vu des réclamations des athénées et autres établissements de Mons, Tournay, Bruges, etc., contre l’état actuel des choses, et ces réclamations m’ont paru ne pas être dénuées de fondement.

Maintenant que cette question est réglée, nous en avons une autre. Dans la loi universitaire, malgré qu’il n’y ait pas de concours, la collation d’un brevet à un mauvais docteur n’entraîne pas de dommage pour un autre candidat capable ; malgré cela on a cru devoir faire concourir tous les élèves simultanément et par série. Je parle des examens écrits : c’est ce qu’il y de meilleur, de plus certain, en matière d’admission ; car, à un examen oral, le meilleur élève peut être intimidé en présence du jury qui l’interroge, tandis qu’un mauvais élève, qui aura de l’assurance, se tirera d’affaire. Si, au contraire, vous faites l’examen par écrit, tous sont au même titre, aucun ne peut être intimidé. Tous ayant un temps limité semblable pour composer leurs réponses, et ces réponses étant les mêmes, tous les concurrents sont sur le même pied, sur le même rang, sur la même ligne. Vous voyez que l’examen par écrit est le meilleur en matière d’admission. Mais cela est bien plus important, quand il y a concours. Or, ici il y a concours. Et s’il y a 30 places vacantes et qu’il y ait 60 concurrents, 30 seront rejetés. Il faut que tous les élèves puissent être interrogés sur les mêmes questions, afin que leur capacité respective soit bien constatée. Sans cela il n’y aura jamais parité ; tel élève pourra être interrogé sur une question facile, tandis que tel autre serait interrogé sur une question difficile.

Dans un pareil état de choses il était difficile d’éviter les soupçons d’arbitraire, car il est facile de favoriser l’admission d’un élève au préjudice d’un autre ; tandis que si, à l’ouverture de l’examen, tous les élèves qui se présentent concouraient ensemble sur des questions écrites, nous aurions une grande garantie de la justice du jugement du jury. Cela intéresse toutes les localités où existe des établissements dans lesquels on peut acquérir les connaissances préparatoires pour l’admission à l’école militaire : si nous voulons assurer la prospérité de ces établissements, il faut qu’il y ait une garantie de justice dans le mode d’examen pour l’école militaire, car la plupart des jeunes gens qui suivent les cours de hautes mathématiques aux athénées le font dans le but d’arriver à l’école. Si vous ne mettez pas dans la loi sur l’école militaire cette disposition de l’école universitaire, vous nuirez aux divers établissements d’instruction du royaume.

D’après la loi sur le jury, les élèves concourent par écrit et sur série complète. Cette disposition prise dans l’intérêt des sciences est bien moins importante quand il s’agit de délivrer des diplômes d’avocat ou de médecin, que quand il s’agit d’un concours entre des élèves dont un nombre déterminé doit seulement être admis. Car l’admission d’un mauvais docteur en droit ne nuit pas au bon candidat qui se présentera après lui, tandis que l’admission d’un mauvais élève après un concours en écarte un bon, car le mauvais élève écarte le bon.

Dès lors le gouvernement sera exposé à avoir un mauvais élève qui ne pourra pas suivre les cours, ou il aura un mauvais officier.

Les considérations que je viens de présenter vous font voir combien il est essentiel d’introduire toutes les garanties possibles pour que le concours se fasse de la manière la plus équitable. Je désirerais que tous les élèves composassent ensemble sur les mêmes questions. Les examens ayant lieu pendant les vacances, et se faisant dans les salles des bâtiments de l’école, on peut placer les aspirants dans les diverses salles de l’établissement. Je voudrais que l’examen par écrit fût la règle d’admission. Il est difficile d’asseoir un bon jugement sur des réponses orales aussi fugitives que la parole ; il peut ne rien rester de ces réponses.

L’examen écrit, au contraire, peut être l’objet des méditations de tout le corps professoral. On pourra alors estimer d’une manière juste et positive le nombre de bons points et de mauvais points pour chaque élève.

Je pense que toutes ces dispositions devraient figurer dans la loi. J’en trouve quelques-unes dans la loi universitaire. Toutefois les dispositions de la loi universitaire ne sont pas suffisantes, parce qu’elles font composer les élèves par séries ; quand il s’agit d’un concours, on ne peut composer ainsi par séries, parce que la seconde série, si elle peut avoir connaissance des questions, aura l’avantage sur la première série.

Le nombre des élèves qui se présentent pour l’école militaire est plus restreint que le nombre des élèves qui se présentent dans les universités. Il faut que nous ayons la certitude que tous les collèges, que tous les athénées du royaume, dans quelques localités qu’ils soient, ont la même chance de faire arriver leurs élèves à l’école militaire, et enfin que l’arbitraire ne puisse se mettre dans le jury d’admission. Il faut que nous ayons ces garanties en faveur de tous les pères de famille qui nous envoient ici.

Je ne pense pas qu’on puisse faire d’objection sur les considérations que je viens de présenter. Je déposerai un amendement sur cet objet. Je vais le préparer ; j’avoue que ce n’est pas chose extrêmement facile.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je ne prends pas la parole pour combattre, en principe, l’amendement dont parle l’honorable membre ; mais j’attendrai qu’il soit libellé pour connaître jusqu’à quel point il est exécutable. L’intention du ministre de la guerre ne peut être que d’avoir des examens faits avec la plus grande impartialité. Je dois faire remarquer que les changements importants qu’on veut apporter aux examens, pourraient faire induire que les examens, jusqu’ici, n’ont pas été faits avec une impartialité suffisante ; c’est contre ces inductions-là que je dois prémunir les honorables membres qui ont à prononcer sur l’amendement.

D’abord, le projet de loi a introduit l’examen par écrit ; cela ne s’est pas encore pratiqué.

Dans aucune école scientifique de France, l’examen écrit n’a lieu ; et la nature des matières qui font l’objet de ces examens est la cause qui a fait penser que l’examen écrit n’était pas nécessaire. Il n’est certainement pas indispensable.

A l’école polytechnique nous étions 300 ; et il n’est venu dans l’idée d’aucun élève qu’on ne l’eût pas placé selon son mérite. Cependant les examens étaient faits par des examinateurs différents, et dans des localités différentes. Tout cela tenait au mode admis dans les examens, et à la manière presque identique dont les examinateurs appréciaient les réponses.

L’honorable membre a parlé de plaintes, de réclamations venant de plusieurs athénées. Les élèves qui se sont présentés cette année étaient au nombre de 76 ; tous n’ont pas été reconnus admissibles. Un nombre assez restreint a passé les examens avec distinction. Les parents conviennent difficilement que leurs enfants soient inférieurs aux autres ; la faiblesse des maîtres peut être comparée à celle des parents ; ils se résignent difficilement à convenir qu’ils ont produit de faibles élèves, et ils sont disposés à s’en prendre aux examinateurs. Cependant, parmi les candidats eux-mêmes, l’opinion était que les élèves les plus instruits étaient ceux qui avaient fait leurs études à Bruxelles.

Quoi qu’il en soit, j’attendrai l’amendement pour savoir jusqu’à quel point il sera praticable. Je demanderai qu’on ne s’écarte pas trop des prescriptions de l’enseignement des universités, parce qu’il faut mettre l’enseignement de l’école militaire et l’enseignement universitaire en harmonie autant que cela est possible.

M. Dubois. - Je désire savoir de M. le ministre de la guerre si le programme sera annuellement le même ; s’il ne sera pas changé quelquefois. Si le programme ne devait pas rester le même, je demanderais qu’il fût publié une année à l’avance. Le ministre de la guerre comprendra l’importance de ces observations.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il y a si peu de changements dans les programmes, que les élèves les connaissent généralement d’avance. Ce sont les mathématiques poussées jusqu’au degré des mathématiques transcendantes que l’on exige.

J’ai tout à l’heure commis moi-même une erreur en disant que les examens écrits n’avaient pas lieu ; depuis plusieurs années ce mode d’examen est suivi.

M. Dumortier. - Voici mon amendement ; il est presque conforme à l’article 54 de la loi universitaire ; j’y ai ajouté deux paragraphes :

« L’examen par écrit sera le même pour tous les élèves. Les questions seront tirées au sort et dictées de suite aux récipiendaires. Il y aura autant d’urnes différentes que de matières sur lesquelles l’examen sera fait.

« Chacune de ces urnes contient un nombre de questions triple de celui que doit amener le sort. Les questions doivent être arrêtées immédiatement avant l’examen. Le résultat de l’examen par écrit compte au moins pour moitié dans le résultat du concours.

« Tout examen oral sera public. »

Cet amendement mis aux voix est adopté.

L’article 9, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 10

« Art. 10. Un premier classement des élèves admis à l’école sera fait à la fin du premier semestres des études, et, selon les résultats, les élèves continueront les études ordinaires de la première année, ou passeront à la section d’infanterie.

« Chaque année, après la clôture des cours, les élèves subiront des examens généraux.

« Les examens de la première année des cours auront pour objet de faire connaître si les élèves peuvent être admis aux cours de la seconde année.

« Les examens de la seconde année feront connaître les élèves admissibles, soit aux cours d’application pour les armes spéciales, soit dans les cadres de l’infanterie ou de la cavalerie.

« Les uns et les autres recevront le grade de sous-lieutenant, jusqu’à concurrence de la part revenant aux élèves dans les emplois vacants dans l’armée.

« Il sera compte, à titre d’études préliminaires, aux élèves nommés sous-lieutenants, quatre années de service effectif d’officier, qui toutefois ne compteront que pour la retraite, et non pour le classement dans les corps et pour l’avancement. »

- Adopté.

Article 11

« Art. 11. Sauf le cas d’interruption longue dans leurs études, par suite de maladie grave, les élèves ne pourront suivre, pendant plus de trois années, les cours de la première partie de l’enseignement.

« Aucune des troisième et quatrième années d’études ne pourra être doublée. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je pense, messieurs, qu’il serait trop rigoureux de ne pas permettre de doubler la troisième ou la quatrième année d’études, en cas de maladie grave ; je propose donc de rédiger cet article comme suit :

« Sauf le cas d’interruption longue dans leurs études, par suite de maladie grave, les élèves ne pourront suivre, pendant plus de trois années, les cours de la première partie de l’enseignement, pendant plus de deux années ceux de la deuxième partie. »

- La nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la guerre est mise aux voix et adoptée.

Article 12

« Art. 12. Les élèves sous-lieutenants qui ne satisferaient pas aux examens de la troisième année ou à ceux de la quatrième année d’études, seront placés dans l’infanterie ou dans la cavalerie.

« Les examens de la quatrième année détermineront le classement définitif des élèves sous-lieutenants, dans l’arme pour laquelle ils seront désignés. »

- Adopté.

Article 13

« Art. 13. Les examens de première et deuxième année, pour le passage d’une division à une autre, seront faits par les examinateurs permanents, auxquels, au besoin, un examinateur temporaire pourra être adjoint.

« Les examens définitifs de sortie sont faits :

« 1° Pour les élèves de la section d’infanterie, par un jury composé de 1 officier général ou supérieur, président, 1 officier d’infanterie, 1 officier de cavalerie, 1 officier d’une des armes spéciales (ces quatre désignés annuellement par le Roi), 2 examinateurs permanents.

« 2° Pour les élèves de l’école d’application, par un jury composé de l’inspecteur-général des fortifications et du corps du génie, ou un officier désigné pour le remplacer, l’inspecteur-général de l’artillerie, ou un officier désigné pour le remplacer, 1 officier d’artillerie, 1 officier du génie, 1 officier d’état-major, 2 professeurs universitaires de la faculté des sciences (ces cinq derniers désignés annuellement par le Roi.)

« 3° Pour les aspirants de marine, par un jury composé de … »

- Adopté.

Article 14

« Art. 14. Il sera formé deux conseils, l’un d’instruction, l’autre de perfectionnement.

« Le conseil d’instruction se réunit au moins une fois par mois, et s’occupe de ce qui est relatif à l’enseignement et aux études des élèves. Il est composé de : le commandant de l’école, président ; le commandant en second, le directeur des études, les examinateurs, les professeurs et un inspecteur permanents des études, secrétaire ; ceux-ci à la désignation du ministre.

« Le conseil de perfectionnement s’occupe des moyens de perfectionner l’instruction et de la diriger dans l’intérêt pratique du service militaire.

« Il se réunit, chaque mois, après les examens généraux : dans les cas extraordinaires il s’assemble sur la convocation du ministre. Il se compose de : le commandant de l’école, président ; les examinateurs permanents, le directeur des études, trois professeurs désignés par leurs collègues, cinq officiers désignés par le ministre de la guerre, et un officier de marine désigné par le ministre des travaux publics. »

M. de Puydt. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre si cette disposition est bien nécessaire dans une loi qui règle elle-même toutes les conditions de l’enseignement, toutes les matières qui doivent être enseignées ; il me semble que là où la loi fixe tout ce qu’il faut enseigner, il est bien difficile d’apporter des perfectionnements. Si cette opinion était partagée par M. le ministre, je demanderais le retrait de la disposition.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je crois, en effet, que cet article n’est pas essentiel. Il m’avait été inspiré par le souvenir de ce qui se pratiquait à l’école polytechnique ; mais lorsqu’on a établi cette institution d’enseignement encyclopédique, c’était quelque chose d’entièrement nouveau, et on ne savait pas jusqu’à quel point l’application aux armes spéciales pourrait en être étendue. Dans l’état actuel des choses, avec 30 années d’expérience, j’avoue que la nécessité d’établir les conseils dont il s’agit n’est pas bien grande, et surtout qu’il y ait lieu à les assembler aussi souvent que l’article l’indique ; il y aurait là effectivement presque toujours une perte de temps, car il y aura rarement des questions à examiner. Je pense donc qu’on peut s’en rapporter au gouvernement, soit pour les perfectionnements à introduire, soit pour la création de commissions semblables à celles que l’article dont il s’agit avait pour objet de créer. Je retire donc cet article.

M. Gendebien. - Je ne comprends pas trop, messieurs, qu’après avoir proposé un article qui paraissait avoir une assez grande utilité pour faire l’objet d’une proposition aux chambres, le ministre vienne ensuite le retirer sur une simple observation. Je conçois très bien qu’il puisse résulter une perte de temps de la réunion trop fréquente des commissions dont il s’agit ; mais ne pourrait-on pas les réunir, par exemple, deux fois par an ? Je conçois que si on les réunissait tous les mois, cela pourrait peut-être amener des discussions, des contradictions et même quelque aigreur entre des chefs et des subordonnés qui ne seraient pas du même avis ; mais en ne les assemblant qu’à des intervalles assez éloignés, cet inconvénient n’existerait pas, et il en résulterait souvent des avantages.

S’il n’y a jamais de réunion où chacun soit appelé par la loi à dire son opinion sur l’ensemble de l’établissement ou sur une matière donnée, personne n’osera émettre un avis, de crainte de se trouver en contradiction avec ses chefs ; mais si la loi invite chacun à émettre ses vues, alors une semblable crainte n’existera plus et n’aurait plus le moindre fondement, puisque la loi en ferait un devoir.

Il me semble donc, messieurs, qu’il faut conserver l’article, mais en disant que les commissions ne se réuniront que deux fois par an, à des époques indéterminées, si l’on veut. Il peut en résulter des avis utiles, et nul inconvénient.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - C’est, du reste, une disposition qui, si l’on y tient, pourra trouver sa place à l’article 17 ; il est évident que le gouvernement aura toujours intérêt à instituer les commissions dont il s’agit, chaque fois que cela pourrait être utile, quand même la loi ne statuerait rien à cet égard.

M. Gendebien. - Je crois, messieurs, qu’il est utile que la loi prescrive la réunion de ces commissions et que ce ne soit pas une simple faculté laissée au gouvernement ; sans cela, lorsque le ministre assemblerait une commission pour délibérer sur la marche ou sur les perfectionnements à introduire dans l’école, les chefs pourraient croire que cette mesure a été provoquée par un de leurs subordonnés ; il en pourrait donc résulter des défiances, des mésintelligences. Il me paraît beaucoup plus simple que la réunion ait lieu, de plein droit, une ou deux fois par an. S’il n’y a rien à faire, on en sera quitte pour se séparer.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Comme je l’ai déjà dit, on pourra, si l’on tient à la disposition, l’ajouter à l’article 17.

M. Gendebien. - Pourvu qu’on l’insère dans la loi, peu m’importe où on la place.

Article 15

« Art. 15. Les élèves fourniront en entrant un trousseau, et paieront, pendant qu’ils suivront les cours de la première partie, une pension annuelle de 800 francs. Ils seront logés, nourris et entretenus dans l’établissement.

« Les élèves sous-lieutenants cesseront de payer la pension : ils continueront à être logés aux frais de l’Etat.

« Les élèves sortant de l’armée active seront considérés comme détachés à l’école militaire, et continueront à recevoir la solde et les diverses masses de leur grade. »

M. de Puydt, rapporteur. - Il me semble que les motifs d’après lesquels la section centrale a proposé cet article sont changés depuis la discussion de la loi. Par l’article premier ou l’article 2, je ne me le rappelle pas bien, il a été prescrit que les élèves qui entreront à l’école militaire prendraient un engagement pour six années. Je dois avouer que j’éprouve quelques scrupules sur ce point, et je me suis demandé s’il serait bien juste de faire payer une pension de 800 francs à des élèves à qui on fait prendre un engagement de servir pendant 6 ans.

Je voudrais donc qu’une discussion s’établît sur ce point.

M. de Jaegher. - Messieurs, il me paraît indispensable que M. le ministre de la guerre donne une explication sur ce point ; car sans cela la disposition qui impose à l’élève la nécessité de payer une pension de 800 fr., pourrait être facilement éludée par le département de la guerre. Il suffirait qu’un protégé fût admis pendant quelque temps dans l’armée, pour qu’il pût entrer à l’école militaire, sans être tenu au paiement de la pension.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je pense que la disposition du dernier paragraphe de l’article en discussion tranche en quelque sorte la difficulté ; elle réserve aux élèves de l’école militaire sortis de l’armée active les avantages de leur position, mais elle ne les dispense pas du paiement de la pension. Ils paieront la pension, mais ils conserveront leur solde ; cela me paraît juste.

M. Dumortier. - Messieurs, l’article qui nous occupe n’est relatif qu’aux deux premières années ; car, lorsque les élèves passent de l’école élémentaire à l’école d’application, ils jouissent du traitement de sous-lieutenant.

Je pense avec un honorable préopinant que la somme que l’on demande est trop élevée. Puisque nous ne faisons qu’une école purement militaire, il faut rendre accessibles à toutes les capacités les moyens de se pousser dans l’armée. Il me semble donc que le chiffre proposé est trop élevé ; je désirerais qu’on le supprimât entièrement ; mais je pense que cela serait difficile ; c’est pourquoi je me borne à demander qu’on le réduise à 500 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - C’est sans doute une position assez fâcheuse que celle d’un ministre de la guerre proposant de maintenir des conditions onéreuses d’admission à l’école militaire ; cependant je continue à croire en âme et en conscience qu’il y a lieu de maintenir la pension de 800 fr.

Sans vouloir revenir aux développements que j’ai déjà donnés à cet égard, je dirai que, selon moi, la pension ne doit pas être trop modique, et qu’à plus forte raison l’admission à l’école ne doit pas être entièrement gratuite. Puisqu’il est à désirer, messieurs, qu’un grand nombre de nos officiers se recrute dans le corps de nos sous-officiers, je pense que nous ne devons pas ôter un stimulant à ceux qui, étant doués de quelque instruction, veulent entrer dans l’état militaire par la porte de l’engagement militaire. Or, si l’on baissait trop le chiffre de la pension à l’école militaire, cette circonstance, à mon avis, diminuerait considérablement le nombre de jeunes gens qui s’engageraient ; ce qui appauvrirait le cadre des sous-officiers de l’armée, de l’insuffisance duquel on se plaint déjà depuis longtemps.

Eh bien, si nous rendions trop facile l’admission à l’école militaire, nous découragerions encore davantage les jeunes gens qui n’ont pas de fortune, mais qui ont assez d’instruction pour devenir de bons sous-officiers, et par suite de bons officiers.

Ceci toutefois ne doit pas être absolu. En ce qui concerne les armes spéciales, il est surtout à désirer que des jeunes gens qui n’ont pas de fortune, mais une capacité réelle, puissent arriver à l’école militaire, pour passer de là dans les armes spéciales. Eh bien, ce but sera atteint au moyen des 12 bourses que l’on propose et qui pourront être divisées en demi-bourses.

- L’article 15, tel qu’il est proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Article 16

« Art. 16. Il y aura douze bourses gratuites, divisibles en demi-bourses, et dont la collation appartiendra au Roi ; elles pourront être accordées :

« 1° Aux fils de militaires, de fonctionnaires et d’employés qui ont rendu des services au pays ;

« 2° Aux jeunes gens qui se sont éminemment distingués dans leurs premières études. »

M. Gendebien. - Messieurs, je crois qu’il est convenable de maintenir la pension de 800 fr. ; pour ceux qui ont le moyen de la payer, ce n’est rien de trop ; mais je crois, d’un autre côté, qu’il faut augmenter le nombre des bourses pour ceux qui n’ont pas le moyen de payer, et augmenter aussi les catégories de ceux qui doivent être appelés à en jouir.

Je pense, messieurs, qu’il faut aussi donner des bourses aux sous-officiers et aux simples militaires. On ne parle dans l’article qui nous occupe que de fils d’officiers et de fonctionnaires, et de jeunes gens qui se sont éminemment distingués dans leurs études. Je voudrais qu’on mît à la suite, ou plutôt qu’on plaçât en première ligne pour la jouissance d’une bourse, les militaires qui, après deux ans de services au moins, seront reconnus, à la suite de l’examen requis, dignes d’entier à l’école militaire.

Une voix. - Ils auront leur solde.

M. Gendebien. - Mais leur solde ne suffira pas ; comment voulez-vous qu’ils paient avec leur solde une pension de 800 francs ?

Or, on a pris pour règle le chiffre de 800 fr. pour la pension ; il n’y a d’exception pour personne ; il faut donc accorder des bourses, ou il faut admettre qu’un soldat ou un sous-officier puisse avec sa solde payer la pension ; c’est ce qui ne me semble pas résulter de la loi. Ainsi que j’avais l’honneur de le dire dès le principe, 800 fr. ce n’est pas trop pour ceux qui ont de la fortune ; mais il faut songer à ceux qui ont rendu des services, soit comme sous-officiers, soit comme simples soldats ; à ceux qui, après deux années de service, seront en état de passer les examens d’admission.

Je vais rédiger un amendement dans ce sens.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Si un amendement comme celui qu’indique M. Gendebien était adopté, on manquerait le but qu’on se propose, celui d’avoir des jeunes gens instruits, de recruter de bons sous-officiers en les admettant au partage des bourses. Dans l’état actuel des choses, nous sommes convenus que l’école se composerait de 120 élèves. En déduisant les élèves des corps spéciaux, qui seront au nombre de 30 environ, il en restera 90, entre lesquels les 12 bourses devront être réparties ce qui fait environ une bourse sur 7 élèves. Cette proportion est raisonnable, et ne doit pas, à mon avis, être augmentée.

Indépendamment de cela, le dernier paragraphe de l’article 15 accorde de véritables fractions de bourses en faveur des sous-officiers et des simples soldats qui arriveront à l’école militaire. Le soldat aura une fraction de bourse de 300 fr., le caporal en aura une plus forte, et le sous-officier une plus forte encore. Le sergent-major aura une bourse entière. Ainsi la disposition de l’article 15 établit d’autres bourses dans une proportion qu’on ne pas évaluer. Alors il ne serait pas équitable d’ajouter à l’article 16 cette disposition que, par ce seul fait que des soldats ou sous-officiers seront aptes à entrer à l’école militaire, ils recevront des bourses. Le but que se propose M. Gendebien est atteint par la disposition de l’article précédent.

M. Gendebien. - Je n’ai rien à dire si, comme il paraît des paroles du ministre, nous sommes d’accord sur le but. Mais d’après les difficultés qui se sont présentées dans la discussion, je pense qu’il faut ajouter une disposition à l’article 15. Comme il a été introduit par amendement, je la présenterai au second vote si je m’aperçois que nous ne nous sommes pas entendus. Je vois dans cet article 15 que les militaires détachés à l’école continueront à recevoir la solde et les diverses masses de leur grade. Cela est très bien s’ils ne sont pas obligés de payer de pension, et qu’on les entretienne et nourrisse à l’école moyennant le versement de leur solde.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Leur solde leur tiendra lieu de fraction de bourse ; mais ils devront payer le complément de la pension. Voilà comme j’entends la chose.

Qu’est-ce qu’une bourse ? C’est le paiement en tout ou en partie d’une pension par l’Etat. Ici c’est indirectement que l’Etat paie une partie de la pension des élèves. Il est de fait que la disposition finale de l’article 15 crée un nombre indéterminé de bourses ou de fractions de bourses en faveur des militaires qui réuniront les capacités nécessaires pour entrer à l’école.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour éclaircir un doute. Le ministre de la guerre dit qu’en vertu du dernier paragraphe de l’article 15 le simple soldat, le brigadier ou le sous-officier qui sera jugé apte à entrer à l’école, y recevra l’instruction et trouvera une bourse ou fraction de bourse dans la solde qui lui sera continuée. Mais je demande ce qu’un soldat, recevant sa solde, pourra faire, avec quoi il pourra payer le supplément. Il en sera de même du sous-officier, à moins qu’on ne leur donne une demi-bourse. Mais le pourra-t-on ? Cela n’est pas dit dans la loi, et je n’en sais rien ; mais je suppose qu’on divise ainsi les 12 bourses, voyez à quel petit nombre de soldats et de sous-officiers cette faveur d’entrer à l’école militaire s’appliquera. Mettez-en 24, et quand vous aurez fait la part des fils de fonctionnaires, des fils d’anciens militaires et des jeunes gens qui se sont distingués dans leurs premières études, vous verrez qu’il n’en restera pas trop ou plutôt il n’en restera point pour l’armée ; si vous voulez qu’elle y trouve des motifs d’émulation, il faut joindre à la solde une fraction de bourse quelconque pour compléter la pension, sans cela vous n’aurez rien fait.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je rappellerai que l’intention n’est pas de rendre l’admission gratuite, mais seulement de la rendre plus ou moins accessible. Les militaires qui auront assez d’instruction pour entrer à l’école, deviendront officiers sans passer par là. C’est pourquoi on peut attacher le paiement d’une pension à l’admission à l’école militaire. On ne veut pas donner une prime contre les enrôlements volontaires, il faut les encourager et non les décourager ; nous voulons qu’une partie du corps des officiers soit alimente par les soldats en passant par le grade de sous-officier.

M. Gendebien. - Ma proposition aurait pour effet d’encourager les enrôlements volontaires, puisqu’elle leur donne la perspective d’entrer à l’école militaire après deux années de service, s’ils justifient de capacités suffisantes. Je ne vois pas comment cette disposition pourrait nuire aux enrôlements volontaires.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai fait observer qu’il fallait conserver un bon corps de sous-officiers, et par conséquent qu’il ne fallait pas faire sortir de l’armée tous les sous-officiers capables pour les faire entrer à l’école militaire.

M. Gendebien. - Cela ne dérangera pas et ne dégarnira pas les cadres, au contraire ; les plus studieux, au lieu d’attendre longtemps peut-être leur tour d’ancienneté, entreront à l’école militaire et en sortiront officiers, plus capables et plus distingués ; ils feront ainsi une place de plus à leurs camarades au lieu de leur porter préjudice, puisqu’il doit être pourvu aux grades de sous-lieutenant, moitié par l’école militaire, moitié par le corps des sous-officiers. Les sous-officiers trouveront dans cette mesure un encouragement et non un découragement.

M. Desmaisières. - Je crois que les craintes de M. le ministre ne sont pas fondées en ce qui concerne la désorganisation du corps de sous-officiers, en les faisant arriver à l’école militaire, car le nombre des élèves de l’école est très restreint ; par suite il ne pourra jamais y arriver un grand nombre de sous-officiers quand on aura fait la part des jeunes gens de famille, des fils de militaires, etc. Je crois que, si on veut faire une faveur à l’armée, il faut augmenter le nombre des bourses gratuites ; mais, au lieu de « il y aura, » il faut dire : « il pourra y avoir, » en faire seulement une faculté, afin que le gouvernement puisse, s’il y a lieu, étendre le bienfait à un plus grand nombre de sous-officiers.

M. Pirmez. - Il me paraît que le but que se propose le préopinant ne sera pas atteint, car il est évident que lorsqu’un soldat aura assez de capacité pour entrer à l’école militaire, ii ne restera pas soldat et deviendra sous-officier, et alors il se trouvera avoir par sa solde une bourse complète pour entrer à l’école militaire.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Gendebien.

Il propose 20 bourses au lieu de 12, accordées 1° aux militaires qui, après 2 ans de service au moins, auront subi les examens d’admission.

M. Gendebien. - On a supposé comme impossible qu’un soldat assez instruit pour entier à l’école puisse devenir sous-officier et officier ; cependant il n’en manque pas.

Des officiers et soldats, plus que les hauts dignitaires de l’armée, se sont souvent adressés à moi pour me confier leurs doléances, et j’ai souvent trouvé en eux des hommes très capables, et souvent plus capables que ceux qui les commandent, sans vouloir faire tort à leurs chefs, et sans prétendre qu’ils ne soient pas commandés par des hommes très capables. Il y a des soldats et sous-officiers très capables dans l’armée.

Malgré cela on se plaint de manquer de sujets capables pour être sous-officiers. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’on ne s’occupe pas assez et qu’on ne tient pas assez compte de l’instruction.

D’une part, on écarte des sous-officiers tous les miliciens qui ne prennent pas un engagement de 6 années ; on écarte ainsi beaucoup de capacités. D’un autre côté, comme on ne donne rien à l’instruction, on ne s’instruit pas : faute d’aliments à l’émulation et pour d’autres raisons encore, on manquera toujours de sous-officiers, à moins qu’on ne sorte une bonne fois du cercle vicieux dans lequel on s’obstine à rester.

Quand je propose d’augmenter le nombre des bourses pour faire arriver à l’école militaire les simples soldats et les sous-officiers, c’est comme une conséquence de l’article additionnel que j’ai proposé il y a six jours, et qui viendra à son tour dans la discussion : c’est dans la supposition qu’il y aura de bonnes écoles régimentaires et de sous-officiers.

Si vous ne voulez pas employer ce moyen, si vous ne voulez qu’une instruction transcendante pour les sommités, une instruction aristocratique enfin, alors vous devez rejeter mon amendement, mais vous ne remplirez pas non plus le vide de vos cadres de sous-officiers ; si, au contraire, vous donnez de l’instruction aux soldats et aux sous-officiers, vous ne manquerez plus de sous-officiers ni de sujets pour l’école, ils fourniront une pépinière inépuisable où vous pourrez recruter un grand nombre de sujets pour l’école militaire et pour les sous-officiers.

Maintenant, si vous ne voulez pas un système complet d’instruction, rejetez mon amendement. Mais vous devez l’adopter si vous voulez sincèrement un système complet d’instruction et une bonne armée,

Songez que ce ne sont pas ordinairement les gens riches qui s’instruisent. Ceux-là en ont rarement le courage et l’aptitude ; et il est souvent trop tard quand ils sentent le besoin de l’instruction. Ce sont ceux qui ont de la capacité, et qui sentent le besoin de parvenir, qui travaillent et qui parviennent le plus souvent à vaincre tous les dégoûts, toutes les difficultés que présente l’étude des sciences. C’est à ceux-là qu’il faut donner des encouragements, parce qu’ils en sont dignes, et qu’ils en ont besoin.

- L’amendement de M. Gendebien tendant à fixer à 20 le nombre des bourses est mis aux voix ; l’épreuve est douteuse ; elle est renouvelée : l’amendement n’est pas adopté.

Le chiffre 12 (pour le nombre des bourses) est mis aux voix et adopté.

La proposition de la section centrale tendant à ajouter au paragraphe premier de l’article 16, après les mots : « dont la collation appartiendra au Roi » ceux-ci : « sur l’avis préalable des examinateurs qui auront procédé au concours public d’admission, » est mise aux voix. Deux épreuves sont douteuses.

M. de Brouckere. - L’avis des examinateurs est-il obligatoire ? Il faut qu’on s’explique.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Cet avis est préalable et n’est pas obligatoire.

M. de Puydt, rapporteur. - La section centrale a proposé cette disposition, et son intention n’est pas que l’avis soit obligatoire. Je ferai remarquer que cet avis-là est déjà donné par l’examen, de sorte qu’il est inutile de le mettre dans la loi.

M. le président. - C’est la même chose que pour la loi universitaire.

- La disposition de la section centrale, mise aux voix, est rejetée.

M. le président. - Voici une disposition présentée :

« Les militaires ayant deux ans de service, qui auront subi les examens d’admission. »

De toutes parts. - A demain ! à demain !

Tous les députés quittent leurs places.

- Comme ce qui reste de la loi sur l’école militaire n’occupera probablement pas la séance entière de demain, la chambre, après un court débat, met à l’ordre du jour le budget de la marine.

Sur la proposition de M. Lebeau, le second vote sur l’école militaire n’aurait lieu que lundi prochain, pour avertir tous les députés absents, et leur donner le temps d’arriver.


M. Dumortier demande que la commission des sucres soit invitée à faire un prompt rapport.

Une voix. - Il sera fait demain ; on s’en occupe.

- La séance est levée à 4 heures et demie.