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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 novembre 1837

(Moniteur belge n°329, du 25 novembre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les bourgmestres et échevins des communes de Schimmert, Houthem et Ulestraten, demandent des modifications à la loi du 31 décembe 1835, relative à l’entrée et au transit du bétail. »


« Le sieur Ockers, curé à Huhtel, Limbourg, demande la naturalisation. »

- Renvoyé à M. le ministre de la justice.


« Des industriels de la commune de Eessen réclament contre le prix élevé de la houille et demandent la libre entrée des charbons étrangers. »

M. de Puydt. - La pétition qui a pour objet la diminution du prix des houilles n’est pas la première qui nous est adressée et ne sera pas la dernière ; je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire le plus promptement son rapport sur ce mémoire. La question est extrêmement importante. Il me paraît que le parti le plus convenable à prendre serait de faire une enquête sur les causes de l’augmentation de la houille. Je me proposerai de faire une proposition formelle à cet égard.

- La proposition de M. de Puydt est adoptée.

Proposition de loi relative au tribunal de première instance de Diekirch

Développements et prise en considération

M. Metz est appelé à la tribune pour exposer les développements de la proposition qu’il a déposée. - Messieurs, dit-il, j’ai eu l’honneur de donner lecture, à la séance d’avant-hier, de ma proposition tendant à porter le nombre des juges du tribunal de Diekirch à quatre au lieu de trois. Les motifs de ma proposition son très simples. La loi organique des tribunaux avait fixé à trois le nombre des juges qui devaient composer le tribunal de Diekirch ; et la même loi dit expressément que ce nombre sera augmenté selon les besoins du service. Le moment d’augmenter ce tribunal est précisément arrivé, parce que le nombre d’affaires en souffrance est tel qu’il faut se hâter de porter remède au mal qui s’y montre. Ce nombre s’élève à mille environ. Le district de Diekirch est très étendu ; il a plus de 20 lieues, et il comprend des contrées impraticables dans les mauvais temps.

Je demanderai le renvoi de ma proposition à la section centrale chargée de l’examen des propositions semblables relativement au tribunal de Charleroy et à d’autres tribunaux.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je suppose que la prise en considération ne souffrira pas de difficulté. Au reste, une proposition qui repose sur des faits demande naturellement une instruction et toute discussion actuelle serait prématurée. Mais, pour faciliter cette instruction, pour en hâter la fin, j’ai cru répondre au désir de la chambre, en préparant un rapport sur la question qui est soumise. Je suis prêt à le déposer sur le bureau. Je proposerai en même temps le renvoi à la section centrale qui est chargée de l’examen des propositions semblables pour Charleroy et autres villes.

- La proposition de M. Metz est prise en considération ; et elle est renvoyée à la section centrale chargée des autres demandes d’augmentation des tribunaux.

Le rapport de M. le ministre de la justice est également renvoyé à la même section centrale.

M. Gendebien. - Je demanderai que le rapport du ministre soit imprimé aujourd’hui dans le Moniteur. Cette impression ne souffre aucune difficulté, puisque la proposition a semblé assez importante au ministre, pour qu’il prépare un rapport à l’avance,

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La chambre a ordonné l’impression séparée des pièces relatives aux tribunaux de Charleroy et autres ; je crois qu’il serait convenable d’avoir aussi une impression séparée pour le rapport que je présente. De cette façon on aura toutes les pièces sous les yeux.

Projet de loi organisant l'école militaire

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La chambre a adopté hier l’amendement de M. Dumortier, et a renvoyé à l’article 2 les adjonctions et les amendements qui s’y rapportent. Il faut mettre aux voix l’article premier, puisqu’il a été amendé.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il me semble que l’article premier est voté avec l’addition des mots : « dans une des places de guerre du royaume. »

M. Dumortier. - On pourrait mettre successivement aux voix les énumérations et les ajouter à l’article. J’avais proposé de simplifier l’article et d’ajourner les énumérations, parce qu’elles avaient été l’objet d’observations de la part de quelques membres.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable M. Brabant a fait des observations sur les cours donnés à l’école militaire, sans formuler de proposition. Il a fait une objection contre l’adjonction de la marine aux autres branches pour lesquelles l’école militaire devrait fournir des sujets. Il a dit qu’il ne comprenait pas le rapport qu’il y avait entre la marine et les autres armes spécifiées à l’article premier.

En l’absence du ministre de la marine qui a proposé cette adjonction, je répondrai que les officiers de marine doivent être aussi instruits dans les sciences exactes que les officiers du génie et de l’artillerie, et qu’ils ont également besoin d’être habitués à la vie militaire.

M. Brabant. - Le seul retranchement que je demanderai dans l’énumération de l’article premier, tel qu’il a été formulé dans le projet du ministre de la guerre, est le retranchement du service de la marine. Il est vrai que les officiers de marine doivent avoir des connaissances mathématiques. Mais les connaissances mathématiques nécessaires à un officier de marine, à l’exception de quelques notions de mécanique qui ne doivent pas avoir de grande étendue, se trouvent dans le programme d’admission à l’école militaire. L’école polytechnique ne fournit qu’à deux services de la marine, les ingénieurs chargés des constructions de la marine et l’artillerie de marine. Il suffit que l’école nous fournisse des ingénieurs pour les constructions nautiques et des officiers d’artillerie de marine. Mais je regarde l’adjonction du service de la marine à l’école militaire comme superflue.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Le véritable motif pour lequel on doit admettre à l’école militaire les jeunes gens qui se destinent à la profession de la marine, c’est que le nombre des aspirants est trop petit pour les réunir dans une école spéciale. Les frais généraux de l’école militaire resteront les mêmes, et les officiers qui se destinent à la marine pourront y faire une partie de leur instruction et la compléter, si on ajoute à l’école militaire les cours nécessaires pour leur donner les connaissances spéciales relatives à leur profession.

M. Brabant. - Tous ceux qui savent quelles sont les habitudes des gens de mer, reconnaissent que c’est un métier auquel il faut se former dès la plus grande jeunesse. Or, il est impossible, avec les conditions d’âge proposées dans le projet du ministre, que nous puissiez espérer d’y avoir des gens propres à la navigation ; car, en prenant les jeunes gens à l’âge de 20 ans, et en les y gardant deux ou trois ans, ils sortiront à 25 ans. A cet âge, le corps n’est plus assez souple pour se plier aux exercices du vaisseau.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - On prend les jeunes gens à 16 ans, et il n’est pas nécessaire qu’ils restent quatre ans à l’école militaire pour acquérir une instruction scientifique, suffisante pour le service de la marine.

M. A. Rodenbach. - Cette discussion me suggère l’idée qu’on veut supprimer l’école nautique d’Ostende. Comme on vient de le dire, il faut commencer dès sa tendre jeunesse pour apprendre à être un officier de marine.

Je demande si on a l’intention de supprimer les écoles de navigation d’Anvers et d’Ostende. Comme on n’en parle pas, il y a lieu de le croire.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’école militaire sera destinée à revoir des aspirants de marine, des jeunes gens qui, comme aspirants (ce qui répond au grade de sous-officier), ont déjà acquis la pratique et les habitudes auxquelles il faut se former dès la grande jeunesse, et viendront se perfectionner dans les connaissances spéciales nécessaires pour devenir de bons officiers.

M. de Puydt, rapporteur. - Je dois rectifier une erreur que vient de commettre M. Brabant. Il vous a dit que l’école polytechnique ne fournissait des élèves que pour deux services de la marine, les constructions et l’artillerie de marine. Si nous prenons l’arrêté d’organisation de l’école polytechnique, nous trouvons qu’elle est destinée à fournir des élèves pour l’artillerie de terre et de mer, le génie civil, militaire et de marine, la marine royale et les ingénieurs hydrographes. La marine royale comprend bien certainement les officiers de marine. Ce qui n’a pas paru un inconvénient en France, ne peut pas en être un chez nous.

M. Dumortier. - Quant aux officiers de marine proprement dits, il est mieux de ne rien statuer. Une fois que l’école militaire sera établie, peut-être trouverons-nous des motifs pour y adjoindre cette branche d’enseignement. Mais maintenant il existe une école de marine qui, au moyen de quelques légers subsides, pourrait prendre l’extension nécessaire pour former d’excellents marins, non seulement pour la marine militaire, mais encore pour la marine marchande. Il y aurait donc lieu d’examiner quel système serait le meilleur, et d’ajourner la décision, et de se borner quant à présent à l’adjonction des quatre autres armes. Pour ce qui concerne la marine, la question n’est pas suffisamment instruite. Il faut avant tout savoir si on adoptera le système de constructions de navires aux frais de l’Etat. Si ce système est écarté, il sera inutile de créer une école de marine, puisque nous n’aurons pas de marine.

M. Donny. - Un honorable préopinant a demandé à M. le ministre si l’on avait l’intention de supprimer l’école de navigation d’Ostende. Il a paru à cet honorable membre que tel devait être le dessein du gouvernement, parce que sans cela il y aurait un double emploi entre cette école de navigation et les cours maritimes qu’on se propose de donner à l’école militaire. M. le ministre n’a pas bien saisi cette observation, car il n’y a pas fait de réponse catégorique. Je le prie de répondre à cette question.

Quant à moi, je ne vois pas d’analogie complète entre l’école de navigation d’Ostende et les cours de l’école militaire. Il s’agit d’un côté de la navigation militaire, il s’agit des manœuvres de l’artillerie maritime et de la stratégie des flottes, tandis qu’à l’école d’Ostende on apprend à diriger un bâtiment de commerce, à quel effet il ne faut guère d’autres connaissances scientifiques que celles qui sont nécessaires pour déterminer la longitude et la latitude.

L’on peut fort bien conserver d’un côté l’école d’Ostende, et cependant établir à l’école militaire des cours pour les sciences spéciales que doivent posséder les officiers de marine.

M. Dumortier. - Je trouve dans les observations de l’honorable préopinant des raisons de plus pour persister dans mon opinion. Il vous a dit que les cours de marine avaient pour but d’enseigner la manœuvre du vaisseau ; vous ne pouvez pas établir ces cours dans une école militaire dont le siège doit être dans une place forte. Autant vaudrait créer une école militaire à Nivelles.

Je persiste à demander qu’on ajourne ce qui concerne la marine et qu’on se borne à adopter ce qui concerne les armes de la cavalerie, de l’infanterie, de l’artillerie, du génie et du corps d’état-major.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je répondrai à M. Donny que lui-même ne m’a pas compris. Je n’ai pas eu l’intention de dire que de l’adjonction à l’école militaire, d’une division de la marine, pourrait résulter la destruction de l’école de navigation d’Ostende.

M. Gendebien. - J’avais demandé la parole pour faire l’observation que vient de faire M. le ministre de la guerre.

Il n’y a pas d’analogie entre l’école de navigation d’Ostende et l’école militaire recevant des jeunes gens possédant déjà des notions de navigation. M. Donny vient lui-même de vous le dire ; dès lors personne n’a à s’inquiéter ; et il est inutile d’interpeller M. le ministre de la guerre pour savoir s’il a l’intention de détruire l’école de navigation d’Ostende ; puisqu’il n’y a pas d’analogie entre les deux établissements, il n’y a pas lieu de craindre que l’un détruise l’autre.

Maintenant je demande quel inconvénient il y a à donner l’instruction aux jeunes gens qui se destinent à la carrière de la marine. Si des jeunes gens qui se destinent à la marine marchande considèrent leur instruction comme insuffisante même pour cette carrière, pourquoi le gouvernement ne leur donnerait-il pas des moyens faciles et économiques de compléter leur instruction pour la marine marchande et pour la marine militaire, s’il doit y en avoir une ? Si vous n’admettez pas l’amendement du ministre et que vous décidiez ensuite qu’il y aura une marine, il faudra donc faire une dépense nouvelle pour cette école spéciale.

Pour moi, je trouve que ce n’est qu’une querelle de mots et pas autre chose. Je voterai pour l’article tel qu’il a été proposé.

M. Rogier. - J’appuie l’adjonction à l’article premier des mots : « et pour la marine. » Je ne vois pas le moindre inconvénient à maintenir ces mots dans l’article premier.

Certainement il y a un commencement de marine militaire, et l’extension de cette marine paraît rentrer dans les vues du gouvernement. Et vous admettrez, sans doute, que les officiers de marine militaire ont aussi besoin d’enseignement disciplinaire que les officiers de l’artillerie et du génie.

On a parlé de l’école de navigation d’Ostende ; je ne sais pas ce qui se passe à Ostende, mais il existe à Anvers une école de navigation ; c’est une école élémentaire à laquelle des officiers de marine ne voudraient pas aller. Il faut cependant un moyen d’instruction. Tant qu’on n’aura pas établi une école spéciale de marine, je demande que les officiers de marine trouvent l’instruction dans une école du gouvernement.

- L’article premier est adopté dans les termes suivants :

« Art. 1er. Il est établi dans une des places fortes du royaume une école militaire. L’école militaire a pour objet de former des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie, pour le corps d’état-major et pour la marine.

Article 2

La chambre passe l’article 2, ainsi conçu :

« Art. 2 (nouveau). L’enseignement donné à l’école comprendra :

« Les mathématiques (complément des mathématiques élémentaires, haute algèbre ; analyse appliquée à la géométrie ; calcul différentiel et intégral ; calcul des probabilités).

« La mécanique analytique (statique, dynamique, hydrostatique, hydrodynamique).

« La géométrie descriptive et ses applications.

« La physique.

« La chimie et les manipulations.

« L’astronomie, la géodésie et la topographie.

« L’architecture.

« Les belles-lettres (grammaire, composition française).

« La mécanique appliquée.

« La chimie et la physique appliquées aux arts militaires.

« Les constructions militaires (poussée des terres, poussée des voûtes, résistance des matériaux, tracés de route, convenances des bâtiments militaires).

« La fortification passagère.

« La fortification permanente.

« L’art et l’histoire militaire.

« L’administration militaire.

« La balistique.

« La nomenclature raisonnée du matériel de l’artillerie.

« Le tracé raisonné des bouches-à-feu et des voitures.

« Les différentes parties du service de l’artillerie.

« Les travaux d’application (levés, projets, devis, mémoires).

« Les exercices et manœuvres d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, ainsi que les travaux pratiques de l’artillerie et du génie.

« Les exercices gymnastiques (équitation, escrime, natation).

« La navigation.

« Les applications du service de la marine (pour la section des aspirants de marine.)

« Il peut être donné en outre des cours sur :

« La minéralogie et la géologie.

« L’histoire, la géographie et la statistique.

« La législation militaire.

« L’hygiène.

« L’hippiatrique.

« La langue flamande.

« Les langues étrangères. »

M. Verhaegen. - Hier encore, avant la fin de la séance, la capitale, qui est près de succomber sous le poids des charges qu’ont attirées sur elle les événements de la révolution, pouvait espérer de conserver un établissement qui, pendant la révolution, avait été créé dans son sein, et de jouir d’une partie des avantages attachés à ses succès.

Ce n’était qu’illusion ; d’après le dernier vote de la chambre, Bruxelles, non seulement n’aura pas la préférence sur les autres villes du royaume, mais elle ne pourra pas même concourir avec celles-ci dans le choix qui est laissé au gouvernement ; elle seule, parce qu’elle a le malheur de constituer la capitale, et par suite le théâtre de toutes les catastrophes politiques, est exclue de ce que tout le monde est convenu d’appeler une faveur ; il faut se résigner ; la majorité, quelque faible qu’elle soit, fait la loi.

Comme habitant de Bruxelles, les convenances nous obligeaient à vous exprimer nos doléances ; comme député de la nation, notre tâche nous impose de vous faire apprécier les diverses dispositions du projet sous le rapport de l’intérêt général, et, certes, on ne nous suspectera plus de partialité alors que, pour nous, tout intérêt de localité a disparu ; d’autres peuvent espérer encore…

C’est de l’article 2 du projet de loi proposé par M. le ministre de la guerre, que dépend l’existence d’une bonne école militaire. L’amendement de notre honorable collègue M. Devaux, le sous-amendement des honorables députés de Liége et du Limbourg, la compromettent gravement.

Ce qu’il y a de remarquable dans la discussion qui s’est soulevée, c’est de voir des députés libéraux combattre le système de l’article 2, dans le but d’accorder aux universités de l’Etat un privilège exclusif nécessaire, d’après eux, à leur prospérité, tandis que d’autres députés dont les opinions ne sympathisent nullement avec les nôtres, combattent l’article 2 afin d’attacher l’existence de l’école militaire au sort des deux universités de l’Etat, et de parvenir ainsi à les renverser toutes trois du même coup.

Une indiscrétion a fait connaître depuis longtemps la marche convenue, et on doute si peu du succès qu’on ne cesse de dire à tout le monde que plus tard il n’y aura plus en Belgique que la seule université de Louvain.

Ainsi, messieurs, on cherche à s’opposer à la centralisation de l’enseignement des sciences positives à l’école militaire pour arriver à n’avoir plus qu’une seule université, destinée à fournir indistinctement des curés et des médecins à nos villes et à nos villages, des avocats et des juges à nos tribunaux, des officiers du génie et de l’artillerie à l’armée, enfin des ingénieurs civils et des chefs de manufactures à l’industrie : monopole effrayant, ou, si on veut, liberté, ainsi entendue, qui envahit et qui tue.

L’article 2 du projet du gouvernement doit être maintenu dans toutes ses parties, parce que les universités sont impuissantes pour fournir à l’école militaire des sujets capables d’en suivre les cours spéciaux. Cette impuissance, messieurs, ne tient point au manque de talents des professeurs des universités de l’Etat ; elle résulte de ce que ces établissements se sont perdus dans l’opinion publique, par la manière dont les diplômes ont été délivrés avant la création du jury d’examen ; et quant à ce jury, réclamé pour faire cesser ces abus, il ne parviendra pas à sauver les universités de l’Etat aussi longtemps qu’il sera composé comme il l’est aujourd’hui.

Sous le gouvernement hollandais, le ministère a voulu faire prévaloir son système gouvernemental dans la création du collège philosophique. L’opinion publique a fait justice de cette œuvre, et le collège est tombé pour ainsi dire à son érection.

L’honorable ministre de la guerre, en proposant aujourd’hui l’établissement d’une école militaire sur une large échelle et sur des bases solides, se trouve placé entre deux systèmes qu’il repousse à la fois et avec raison. L’un a pour objet de donner vie aux universités de l’Etat, en leur accordant un privilège et en écartant toute concurrence ; l’autre, en prenant ostensiblement la défense des universités de l’Etat, n’a pour but que leur ruine et la concentration à l’université catholique de toutes les sciences positives. L’opinion publique fera justice de l’un et de l’autre de ces systèmes qu’on veut lui imposer, comme elle a fait justice dans le temps du système du gouvernement hollandais. La violence ne peut rien en fait d’instruction ; les succès d’une université ou d’un établissement particulier servent seuls de guide aux parents dans le choix qu’ils ont à faire, lorsqu’ils n’écoutent que l’intérêt de leurs enfants, abstraction de tout esprit de parti.

M. le ministre de l’intérieur a beau réorganiser les universités de l’Etat et annexer à la faculté des sciences des écoles du génie civil, des manufactures et des mines ; ces écoles repoussées par l’opinion publique n’auront jamais qu’une existence débile et passagère. La preuve, c’est que Gand n’a pas d’élèves à son école des ponts et chaussées, et que Liége est parvenu à en réunir cinq à son école des mines, en y comprenant trois conducteurs en fonctions.

Des parents, après avoir visité l’école du génie de Gand, se sont décidés à envoyer leurs enfants à l’école centrale de commerce de Paris. Un de nos ingénieurs des ponts et chaussées, juge bien compétent à cet égard, a préféré placer son fils, qu’il destine aux ponts et chaussées, dans une école préparatoire particulière à Bruxelles.

Quant au passé, des jeunes gens qui avaient fait à Gand toutes les études de docteur en sciences sont encore, en ce moment, conducteurs des ponts et chaussées, faute de pouvoir se présenter à l’examen de sous-ingénieur, non point sous le rapport de la pratique, mais sous celui de la partie théorique, de la géométrie descriptive et des mathématiques transcendantes appliquées à la mécanique et à l’hydraulique. Ces faits expliquent assez pourquoi le public refuse sa confiance aux facultés des sciences des universités de l’Etat.

On croit, messieurs, ranimer la confiance et assurer l’existence des écoles du génie civil, des manufactures et des mines, en les mettant à l’abri de la concurrence de l’école militaire ; mais en supposant que l’article 2 du projet ministériel soit modifié dans ce sens, l’esprit du temps et les besoins du pays ne font-ils pas surgir de toutes parts cette concurrence si redoutée par les universités de l’Etat ? Déjà l’université catholique prépare son école du génie civil, des manufactures et des mines ; l’université libre de Bruxelles pourra en faire autant ; la députation provinciale du Hainaut, sans confiance dans l’école des mines de Liége, ne vient-elle de créer et de mettre en activité avec une promptitude remarquable une école des mines à Mons ? Verviers et Tournay ont des écoles industrielles ; l’école de commerce et d’industrie de Bruxelles, réorganisée sur une large base, n’est-elle pas une nouvelle concurrence pour l’école du génie civil et des manufactures de l’université de Gand ?

Allons plus loin, messieurs, et supposons que, contrairement la liberté de l’enseignement, il soit possible d’empêcher toutes ces concurrences qu’on semble redouter si fort : à part l’injustice d’accorder à un établissement un privilège contraire à la constitution, même au détriment d’un établissement similaire, ce privilège conduirait à des inconvénients très préjudiciables au bien du service et qui pourraient même le paralyser complétement : en effet, l’Etat ne serait-il pas obligé alors de prendre les jeunes gens formés dans son établissement privilégié, qu’ils aient ou non une instruction suffisante ? On conçoit que si déjà nous avons à rougir devant l’étranger de voir tomber successivement les ponts construits sur différents points de la Belgique, de voir écrouler des digues et d’autres objets d’art, on verrait de bien plus grands inconvénients encore dès que le corps des ponts et chaussées et le génie militaire se trouveraient réduits à ne plus se recruter que des ingénieurs formés par des jeunes professeurs qui n’ont acquis aucune expérience dans les constructions.

Pour remédier à ces inconvénients, on propose d’établir des pédagogies militaires près des universités de l’Etat ; c’est là l’objet de l’amendement de l’honorable M. Devaux : ici les difficultés surgissent de toutes parts : d’un côté, ceux à qui le sort des universités est confié reconnaissent qu’ils n’ont, parmi eux, pas un seul homme en état de réaliser cette mesure de salut ; d’un autre côté, les professeurs, comme les élèves, repoussent le casernement ; les derniers prétendent que c’est attenter à leur liberté, les premiers disent que c’est leur ôter toute indépendance. Et il serait vraiment curieux d’entendre ces messieurs développer leurs principes à cet égard. Quoi qu’il en soit, cette indépendance ne convient pas à un établissement tel que l’école militaire dont l’ordre, l’exactitude et la discipline sont les bases indispensables.

Faire une distinction entre le civil et le militaire dans une seule et même faculté, accorder aux uns ce que l’on refuserait aux autres, constituerait une injustice et donnerait lieu à des embarras et à des conflits sans nombre. Le civil aurait-il la prépondérant sur le militaire, ou devrait-il se rendre à ses exigences ? Les règlements de M. le ministre de la guerre seront-ils approuvés par M. le ministre de l’intérieur ? Les mesures que proposerait ce dernier rentreraient-ils dans les vues du premier ? Déjà nous avons pu remarquer par le vote d’hier que si ostensiblement ces deux membres du cabinet sont d’accord, en réalité ils diffèrent d’opinion. Sans cette divergence le projet de loi tel qu’il était présenté par M. le ministre de la guerre aurait infailliblement reçu l’assentiment de la chambre. J’en appelle à l’expérience de tous les jours.

J’ai à répondre à quelques observations de l’honorable M. Devaux. J’avais fait une comparaison entre les examens passés par les élèves des facultés des sciences des universités de l’Etat et les examens des élèves de l’école militaire. On m’a fait observer que ma comparaison n’est pas concluante, parce que les termes de comparaison manquent : les examens de l’école militaire, m’a-t-on dit, destines seulement, à faire passer les élèves d’une classe à une autre, sont bien différents de ceux passés par les élèves des facultés des sciences, examens qui donnent un titre.

Lorsque j’ai parlé des examens de l’école militaire, j’ai voulu parler, non des examens passés par les élèves pour passer d’une classe dans une autre, mais des examens passés par eux à la fin de leurs études préparatoires à l’école militaire.

Ainsi, loin que les points de comparaison manquent, ils sont identiques. Et même les points de comparaison qui se rencontrent dans l’espèce, pourraient nous fournir des arguments de plus pour fortifier ce que nous avons dit.

Nous tenons pour certain que l’enseignement de l’école militaire pendant deux ans comprend beaucoup plus que l’enseignement, pendant le même temps, des universités de l’Etat. L’on dit que les facultés spéciales n’existaient pas en 1835, époque à laquelle nous avons été chercher nos points de comparaison ; mais l’honorable M. Devaux s’est trompé en fait ; je n’ai pas pris mes points de comparaison en 1835, je les ai pris en 1837 ; alors les facultés spéciales étaient déjà organisées.

C’est justement à cette époque, rapprochée de l’établissement des écoles spéciales que l’on trouve zéro dans les facultés de Liége et de Gand. Remontez un peu plus haut, et vous allez trouver le contraire. Si vous allez à la session de 1836, vous trouverez quelques résultats ; ils ne seront pas bien beaux. A Gand, sur 8, il y a eu deux de reçus.

Liége ne présentait pas mieux. Quelle conséquence ai-je tirée des faits que j’invoquais ? C’est que les universités sont impuissantes.

Le gouvernement devait donc prendre des élèves autre part, et les prendre dans son propre enseignement.

On s’est plaint de ce que nous avions appelé l’école militaire une université militaire ; mais ce nom me semble naturel. Les universités ont leurs écoles préparatoires et leurs écoles d’application pour leurs diverses facultés ; l’école militaire a de même son école préparatoire et son école d’application pour ses spécialités.

Il faut donner de la force à l’enseignement militaire, pour donner de la force à notre armée. Si nous sommes tous d’accord sur ce point, donnons les moyens d’y arriver, à moins que ce ne soit un subterfuge pour refuser au pays ce qui lui est nécessaire. Nous qui n’avons pas recours aux subterfuges, nous appuyons la proposition du gouvernement ; nous aurions pu appuyer la proposition de M. Devaux si, au lieu de fractionner l’enseignement militaire, il l’eût centralisé.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je demande la parole pour interrompre un instant la discussion qui nous occupe, et pour répondre à cette insinuation contre la probité de l’armée. Il y a quelque chose d’inconvenant, de fâcheux, à répéter des accusations qui ne se trouvent que dans certains journaux. Notre armée possède environ 4,000 officiers ; il peut certainement se trouver dans ce nombre des malhonnêtes gens. Mais que l’on vienne me signaler et prouver des actes positifs de malversation, et je vous garantis, messieurs, que les membres de l’armée qui s’en seront rendus coupables ne resteront pas impunis. Qu’au lieu de se borner à parler de dilapidations, de concussions, on dénonce des faits, et on verra comment ils resteront tolérés.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne comprends pas dans quel but on cherche à attaquer les facultés des sciences organisées dans les universités de l’Etat à propos de l’école militaire. Dans cette discussion, il ne faut pas chercher à déprimer les universités de l’Etat ni chercher à déprimer l’école militaire. Il n’y a aucune espèce de conflit entre le ministre de la guerre et le ministre de l’intérieur. Le ministre de la guerre a parfaitement compris qu’il eût porté atteinte aux universités de l’Etat en appuyant le projet qui adjoignait les ponts et chaussées et les mines à l’école militaire. Aussi n’a-t-il point appuyé ce projet.

De mon côté, messieurs, loin de vouloir porter atteinte à l’école militaire, je pense au contraire qu’il faut la maintenir dans son état actuel, et le motif en est bien simple : les résultats de l’organisation actuelle sont connus ; ils sont avantageux. A côté de ces résultats certains, de ces résultats immédiats, on nous propose des résultats incertains, des résultats éloignés. Nous sommes donc entièrement d’accord.

Mais, messieurs, je dois entrer dans quelques détails sur les reproches qu’on a faits à l’organisation de la faculté de sciences de Gand. On a parlé d’anciens élèves sortis de la faculté des sciences de Gand qui n’ont pas pu passer au-delà du grade de conducteur des ponts et chaussées. Cette objection, si elle est vraie, n’a aucun trait à l’organisation actuelle ; chacun sait que c’est par la loi de septembre 1835 que la nouvelle organisation a été décrétée, que ce n’est qu’en 1836 que l’organisation de l’école des ponts et chaussées a été introduite.

Ceci me conduit tout naturellement à répondre à une autre observation de l’honorable orateur, suivant lequel l’école spéciale des ponts et chaussées de Gand ne renferme point d’élèves ; d’où il a tiré la conclusion que cette école ne jouit pas de la confiance du public. C’est là, messieurs, une erreur capitale : l’école des ponts et chaussées de Gand est divisée en deux parties, une école préparatoire dont les études doivent durer deux ans, et une école spéciale dont les études doivent également durer deux ans. Eh bien, messieurs, l’école préparatoire en est seulement à sa seconde année d’existence, et ce n’est qu’au mois d’octobre de l’année prochaine que les élèves pourront entrer dans l’école spéciale des ponts et chaussées ; il est donc tout simple qu’il n’y ait point encore d’élèves dans cette partie de la faculté.

Au surplus, messieurs, c’est bien en vain qu’on chercherait à déprécier cette faculté ; le mérite des professeurs qui la composent est suffisamment connu, et ce sera par leurs œuvres qu’on pourra les juger à l’avenir. Je puis en dire autant, messieurs, de l’école des mines de Liége. L’honorable orateur a parlé du nombre des élèves que cette école renferme : je ne pourrais pas en ce moment dire positivement quel est le nombre des élèves de l’école des mines de Liége, mais ce dont je suis bien certain, d’après les renseignements irrécusables que j’ai obtenus, c’est que l’enseignement qui se donne dans cette école est excellent et qu’il atteindra parfaitement le but que le législateur s’est proposé en l’établissant.

(Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1837) M. Dechamps. - Messieurs, je vous avoue que, pour ma part, il me répugne d’entrer dans la controverse irritante que l’honorable préopinant s’est permis de soulever ; je n’aime pas, messieurs, ces sortes d’insinuations ; je n’aime pas à me poser sur le terrain des partis ; mais puisque l’honorable préopinant s’est permis des insinuations malveillantes, il me sera aussi permis de lui répondre.

D’abord, messieurs, chacun sait, en fait de liberté d’enseignement, quels sont ceux qui veulent cette liberté et quels sont ceux qui ne la veulent pas. Chacun sait que plusieurs honorables membres de la chambre, quand il s’agit de la liberté d’enseignement, tombent dans les contradictions les plus étonnantes : quand il s’agit de la liberté de la presse, arche sainte à laquelle personne de nous n’a jamais voulu toucher, les honorables préopinants poussent les idées libérales jusqu’aux dernières limites : ils entendent par la liberté de la presse, non seulement la libre concurrence des particuliers, mais encore la neutralité du gouvernement. Je rappellerai à cet égard que, quand il s’est agi de créer le Moniteur, qui est le journal de la chambre, plusieurs honorables membres ont regardé cette création comme tellement contraire à la liberté de la presse, que plusieurs ont refusé de le recevoir afin de protester contre ce simulacre de presse gouvernementale.

Lorsqu’il s’est agi de la liberté des théâtres, les honorables membres, qui sont contraires à la liberté de l’enseignement, ont été jusqu’à dénier à l’autorité municipale un simple droit de simple surveillance sur des théâtres qui sont presque tous des établissements communaux.

Vous voyez, messieurs, qu’il est impossible de pousser les idées libérales plus loin ; eh bien, messieurs, les mêmes membres qui, lorsqu’il s’agit de la liberté de la presse, de la liberté des théâtres, donnent aux idées libérales une semblable extension, ces mêmes membres viennent demander la centralisation gouvernementale la plus large, lorsqu’il s’agit de la liberté d’enseignement, qui est sœur de la liberté de la presse. Je laisse aux honorables préopinants le soin de concilier des opinions aussi contradictoires.

L’article de la constitution sur la liberté de la presse est ainsi conçu :

« La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie. »

Eh bien, messieurs, si maintenant je montais à la tribune et si je vous disais : « Oui, la liberté de la presse existe ; la censure ne pourra jamais être établie ; mais, comme le gouvernement est libre au même degré que les particuliers, je propose, an nom de la centralisation, au nom du progrès des lumières, de donner un million au gouvernement pour établir une presse centralisante, une presse gouvernementale ; » je serais curieux de voir l’accueil qui serait fait à une semblable proposition.

Cependant, messieurs, elle ne serait pas inconstitutionnelle, elle serait identiquement la même que celle qu’on voudrait voir sanctionner quant à l’enseignement.

Oui, messieurs, je veux le moins possible de l’influence gouvernementale en fait d’enseignement, comme vous en voulez le moins possible en fait de presse ; je ne veux pas d’établissements d’instruction du gouvernement que là où les institutions privées ne peuvent suffire ; c’est là le principe qui a été émis dans les développements des motifs de la section centrale, que personne n’a contredits.

Mais quand ces établissements fondés aux frais du trésor sont reconnus nécessaires, alors je les veux bien organisés parce que je veux une bonne instruction. Si je veux la liberté, c’est parce que je suis convaincu que la liberté fera plus que le gouvernement dans cette sphère.

Mais, messieurs, il ne s’agit pas ici d’un établissement d’instruction gouvernementale, en concurrence avec des institutions privées, mais il s’agit d’une école spéciale pour l’un des services publics. Cela change la question du tout au tout. Nous allons même ici plus loin que les honorables préopinants, puisque nous accordons au gouvernement le droit de conférer un titre de candidature aux élèves de cette école spéciale.

Messieurs, l’honorable préopinant a beaucoup parlé de l’université de Louvain ; si nous avions demandé, nous, qu’on établît l’école militaire auprès de l’université de Louvain, ii faut convenir que l’honorable membre aurait peut-être eu quelque raison de nous adresser quelques récriminations qu’il s’est permises ; il aurait pu alors nous soupçonner de vouloir, en créant une école militaire, procurer, aux professeurs de l’université de Louvain, un traitement sur le trésor de l’Etat.

L’honorable préopinant concevra que l’insistance qu’il a mise à fixer l’établissement de l’école militaire à Bruxelles, aurait pu donner lieu de notre part aux mêmes soupçons, aux mêmes reproches, et nous ne l’avons pas fait. On aurait bien fait d’imiter notre réserve.

Vous n’ignorez pas, messieurs, que des journaux avec lesquels nous ne sympathisons pas (pour me servir de l’expression de l’honorable préopinant), nous ont révélé aussi une espèce de secret, une espèce de comédie, qui pourrait peut-être légitimer une accusation qui n’est cependant pas partie de nos rangs. Quoi qu’il en soit, messieurs, si j’étais fondateur d’une université libre, je ne viendrais pas moi-même en prédire ici la ruine ; je compterais sur l’opinion publique, sur la confiance des familles ; en un mot, je compterais plus sur la liberté.

(Moniteur belge n°329, du 25 novembre 1837) M. Dumortier. - Messieurs, après avoir pendant quatre jours exposé nos opinions d’une manière claire et péremptoire, d’une manière qui ne peut laisser aucune espèce de doute sur ce que nous voulons, il est vraiment pénible de voir un de nos honorables contradicteurs venir aujourd’hui prétendre que nous aurions été mus par des vues dissimulées et par des arrière-pensées ; ne pouvant combattre nos discours, ce sont nos opinions que l’on calomnie ; on accuse les bancs où nous siégeons de vouloir le renversement des établissements d’instruction publique. N’est-ce pas là, messieurs, une preuve de la faiblesse du système de nos adversaires, que d’être réduits à calomnier nos intentions à défaut d’arguments pour nous combattre ?

Oui, dit l’honorable membre, une indiscrétion est venue révéler quelle est la pensée des membres qui nous combattent ; ils veulent renverser d’un seul coup les trois universités, saper l’instruction dans sa base, afin d’en profiter seuls. Messieurs, j’ai un devoir à remplir dans cette circonstance, c’est de protester de toutes mes forces contre une semblable accusation, non seulement en mon nom mais en même temps au nom de toutes les personnes qui partagent mes opinions. Lorsqu’il s’est agi de l’organisation de l’instruction, alors que la Belgique était encore dans un état de souffrance, avons-nous reculé devant aucun sacrifice, devant aucune difficulté, pour doter le pays d’un enseignement universitaire aussi fortement organisé que dans aucun pays de l’Europe ? Il est donc absurde et odieux de venir aujourd’hui suspecter nos opinions, de venir prétendre que nous cherchons à renverser ce que nous avons créé nous-mêmes il y a deux ans de nos propres mains.

Le but évident de tout ceci est clair et manifeste, dit l’honorable membre ; on veut établir à l’université catholique une école de commerce, et c’est pour cela, dit-il, que nous voulons renverser le système du gouvernement. Eh bien, je le demande à l’honorable membre, qu’a de commun une école militaire avec une école de commerce ? Qu’a de commun l’école militaire avec ces institutions civiles qui sont exclusivement destinées à la vie sociale du citoyen ? Vous allez, dites-vous, établir une école semblable auprès de l’université que vous dirigez. Eh bien, si vous en créez une, loin de la combattre, je l’appuierai de toutes mes forces, et vous me trouverez toujours disposé à la soutenir même de tous mes moyens pécuniaires s’il est nécessaire.

Vous voyez donc, messieurs, quelle est la différence entre la manière de voir de nos adversaires et la nôtre : nos adversaires combattent ici la liberté d’enseignement, calomnient nos intentions, tandis que nous vous demandons cette liberté, et que nous sommes prêts à protéger les établissements d’instruction, non seulement par des lois, mais par des secours pécuniaires, s’il est nécessaire.

Mais dit l’honorable préopinant, les trois universités sont en jeu, l’on veut renverser les trois universités d’un seul coup. Je demanderai de mon côté à l’honorable préopinant où il a trouvé qu’il est question de renverser les trois universités. Si telle est sa crainte, il est évident que les observations qu’il a présentées sur le vote d’hier se rapportent à l’université dont il est l’inspecteur, et qu’il regarde ce vote comme dangereux pour cette université. Je lui demanderai dès lors en quoi notre vote d’hier a pu porter atteinte à l’université de Bruxelles.

Dites-nous, qu’a de commun votre université avec l’école militaire ? Ah ! si nous voulions lutter avec vous d’intentions, et vous prêter des opinions pour les combattre, nous vous dirions aussi qu’une indiscrétion commise ce matin nous dévoile le motif de vos furibondes déclamations. Oui, messieurs, s’il en faut croire un journal de ce matin, le motif pour lequel on voulait établir l’école militaire à Bruxelles, c’était pour y placer les professeurs de l’université qui se dit libre, et faire payer ainsi indirectement par l’Etat les traitements de ces professeurs. Si telle est votre pensée, je serai en droit de vous dire : Agissez avec sincérité, imitez notre franchise. Si vous avez besoin d’un subside, demandez-le, nous verrons si nous devons vous l’accorder ; mais alors il restera à voir aussi si nous devons en allouer à un autre établissement libre.

Je vous le demande, messieurs, si l’on n’avait pas une pareille pensée, pourquoi viendrait-on insister si fortement sur le danger qu’éprouve l’université de Bruxelles par le vote d’hier ? Si l’on n’avait pas cette pensée, pourquoi viendrait-on proposer d’établir à l’école militaire des cours tout à fait étrangers à l’art militaire, la géologie par exemple ? Eh bien, si le journal auquel j’ai fait allusion a raison, l’adjonction de ces cours avait pour motif de faire obtenir d’une manière indirecte des traitements aux professeurs de l’université libre de Bruxelles. Or, je déclare de nouveau que cette intervention occulte de l’Etat, je la repousserai toujours. Si vous voulez une intervention directe, je ne serai peut-être pas éloigné d’y donner mon assentiment ; mais si vous cherchez une intervention dissimulée, si vous voulez faire payer indirectement par l’Etat les traitements de vos professeurs, ce sera pour moi un motif de m’opposer dix fois davantage à cette intervention.

Messieurs, l’honorable préopinant, en attaquant une université rivale, n’a pas dissimulé son opinion et celle des siens.

Nous voulons la centralisation de l’instruction publique. La centralisation de l’instruction ! C’est donc le retour du monopole qu’il vous faut, du monopole qui a détruit le gouvernement hollandais.

La centralisation de l’instruction !... et c’est l’honorable membre qui est à la tête d’un établissement de liberté, qui veut centraliser l’instruction ! Ignore-t-il donc que c’est là la suppression de sa propre université qu’il demande ? Ce que nous demandons, nous, ce que nous voulons, c’est la liberté, la liberté pour laquelle la révolution a été faite, et sans laquelle le pays ne saurait résister ; la liberté qui est palpitante dans le cœur de tous les Belges. Oui, nous voulons la liberté, et non pas seulement pour nos institutions, mais encore pour les vôtres ; si l’on portait atteinte à vos institutions, nous nous ferions un devoir de les défendre. Voilà comment nous saurions répondre aux calomnieuses accusations que vous lancez contre nous.

Mais, dit l’honorable préopinant, je voudrais que des bancs de nos adversaires surgissent des paroles d’assurance que nos universités seront suffisamment protégées. Eh bien, messieurs, je rappellerai à la chambre ce que j’ai déjà signalé dans une occasion précédente. Je le demanderai donc à l’honorable préopinant, lorsqu’à la suite de la révolution, l’instruction supérieure fut complétement désorganisée, de quels bancs sont partis les arrêtés qui ont désorganisé les universités de l’Etat ? Qui est-ce qui, à cette époque, a porté la hache dans l’enseignement supérieur du pays, et qui a mutilé nos universités ? Sont-ce les bancs où mes amis et moi nous siégeons ? Ou plutôt ceux où siège l’honorable préopinant ?

Oui, messieurs, c’est de ces bancs accusateurs que sont parties en 1830 les mesures qui ont dévasté les universités qui faisaient la gloire de la Belgique ? Au contraire, ce sont mes amis et moi qui avons demandé qu’on leur donnât une nouvelle et forte organisation. Il ne sied donc pas à l’honorable préopinant de venir calomnier nos intentions, et de nous prêter des pensées qui ne sont parties que des bancs sur lesquels il siège.

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour défendre mon banc contre les attaques du préopinant. (On rit.)

M. Verhaegen. - Messieurs, je ne prends la parole en ce moment que pour un fait personnel ; car je me réserve de répondre à mes honorables collègues, MM. Dechamps et Dumortier, quand mon tour sera venir.

Le fait personnel est celui-ci : on m’a dit que dans tout mon discours ne dominait que l’idée de faire accorder à l’université libre de Bruxelles un secours indirect ; que je m’étais plaint du vote d’hier, parce qu’il enlevait à cette université l’avantage qu’elle espérait obtenir.

Il n’en est rien, messieurs ! Quand je prononce des discours qui peuvent être l’objet d’attaques, j’ai soin de les écrire, car souvent dans l’improvisation on se laisse emporter plus loin qu’on ne doit.

Or, qu’ai-je dit dans mon discours ? J’ai dit qu’il était à regretter que lorsque la capitale fait tant de sacrifices, lorsqu’elle est sur le point de succomber sous le poids de ses charges, par suite des événements divers de la révolution, elle fût mise dans un état d’exclusion. Voilà ce que j’ai dit, et je n’ai nullement parlé de l’université de Bruxelles. Des deux universités libres, celle de Bruxelles sera la dernière à demander des subsides, et je déclare qu’elle n’en a pas besoin.

M. Gendebien. - Messieurs, je ne sais si, en parlant des destructeurs de 1830 qui ont porté la hache sur les universités existantes avant la révolution ; je ne sais si M. Dumortier a entendu parler du gouvernement provisoire qui s’est occupé des universités. Si telle a été l’intention de M. Dumortier, je lui dirai quelle a été à cet égard la pensée du gouvernement provisoire.

La pensée du gouvernement provisoire était de réduire les trois universités à deux, et même, s’il était possible, à une seule, non pour détruire l’enseignement, mais pour l’améliorer, pour établir un centre de sciences, pour avoir un centre d’élèves, en un mot pour mettre les élèves en rapport avec les dépenses que ferait le gouvernement, et avec ce qui doit constituer le zèle des professeurs qui n’en ont le plus souvent, du moins, qu’en raison du nombre d’élèves qu’ils sont chargés d’instruire, comme le disait M. Devaux il y a deux ou trois jours. Ce n’était d’ailleurs qu’un provisoire commandé par la fuite de plusieurs professeurs et par la nécessité où nous avons été d’en destituer quelques-uns pour satisfaire aux exigences des circonstances.

Voilà, messieurs, pour le gouvernement provisoire. Quant à mon banc, je ne sais si je dois le défendre. Je n’ai de solidarité avec personne ; je marcherai toujours libre et franchement dans la même ligne, sans m’occuper de ce que se fait à droite, à gauche, devant ou derrière moi.

Toutefois, puisqu’on me provoque, j’entrerai en matière.

Je ne parlerai pas d’arrière-pensées, je ne procéderai pas par insinuation ; je citerai des faits, j’en tirerai des conséquences.

Or, voici ce que j’ai lu dans le rapport qui a été fait par M. Dechamps, lorsqu’il a été question de l’organisation des universités, et je prie chacun de vous de vérifier le texte :

« Depuis Charlemagne, disait M. Dechamps, nous sommes (le parti de M. Dechamps) en possession de l’instruction publique ; chaque cure était une institution primaire gratuite ; chaque couvent, une école secondaire gratuite, et chaque évêché ou archevêché, une école supérieure, transcendante, toujours gratuite. »

Eh bien, messieurs, quelle était la conséquence de la déclaration de ce fait ? C’était de proposer l’organisation des écoles primaires et secondaires pour toutes les opinions ? Croyez-vous qu’on voulût organiser l’instruction nationale sur le même pied ; qu’on demandât qu’on établît, en concurrence de ces institutions, datant de si loin, des écoles primaires et secondaires ? Non, messieurs. Croyez-vous qu’on eût le désir d’organiser définitivement même les universités ? Encore une fois, non : on ne voulait qu’un jury d’examen, parce que c’était la seule chose qui manquât à cette antique organisation de l’instruction du parti qui se croit le plus fort en Belgique.

Voilà, messieurs, le texte du rapport de M. Dechamps ; je n’ai pas besoin de tirer des conséquences, de faire des insinuations, ni de supposer des arrière-pensées. Non, messieurs ; voici le complément de la pensée du parti : d’un côté, on s’est vanté que depuis Charlemagne on a toujours été en possession de l’instruction publique, et de l’autre, on s’est refusé jusqu’ici à l’organisation de l’instruction primaire et moyenne nationale. Je n’insinue rien. Je cite les faits.

Enfin, on disait encore dans ce rapport (ceci est très significatif) que le gouvernement était essentiellement athée ; que le gouvernement ne pouvait, par conséquent, s’immiscer dans l’instruction ; que si la constitution semblait avoir posé une dérogation à ce principe, c’était pour le cas seulement où il ne serait pas suffisamment pourvu à l’instruction par les particuliers ou les associations.

Eh bien, messieurs, l’on vous dira un jour que puisqu’il est suffisamment pourvu à l’instruction supérieure par l’association qui a créé l’université de Louvain et celle de Bruxelles, il est inutile de dépenser des sommes considérables pour ce qu’on appelle hypocritement l’instruction supérieure nationale, et qu’on appellera alors gouvernementale ou athée ; et l’on refusera alors d’allouer au budget les sommes nécessaires à cet enseignement national.

Et ne croyez pas, messieurs, que ce soit là une insinuation. Un de nos honorables collègues, à la franchise et à la loyauté duquel je rends ici hommage, vous a dit en toutes lettres qu’il ne voulait deux universités que parce qu’il n’en voulait pas du tout ; et ce qui a été dit publiquement par cet honorable membre, dont je ne puis assez louer la loyauté, a été répété plus d’une fois et pas plus d’un membre du même parti, en dehors de cette enceinte.

Quelle conséquence tirer de cet aveu sincère et loyal d’un homme que j’estime, quoiqu’il appartienne au même parti que M. Dechamps ; c’est que ce parti ne voulait pas des universités de l’Etat. Si le parti n’en a détruit qu’une, c’est qu’il voulait s’établir sur les ruines de l’université de Louvain ; là se trouvaient de beaux établissements bien dotés ; là on espérait de réunir toutes les anciennes bourses, et rassembler tous les moyens propres à faire prospérer l’université envahissante, au détriment de celles de l’Etat, et plus tard de l’université de Bruxelles.

Quant à l’université libre de Bruxelles, on a besoin qu’elle existe, jusqu’à ce que les autres soient détruites, mais le jour où les deux universités de l’Etat seront tombés, le parti n’aura plus besoin de s’appuyer de l’université libérale pour prouver qu’il est suffisamment pourvu à l’instruction par des associations alors aussi l’université de Louvain sera assez richement dotée pour donner l’instruction gratuitement ; et l’université de Bruxelles disparaîtra, comme les universités du gouvernement, pour faire place au plus ignoble monopole.

Encore une fois, ce ne sont pas des insinuations, ce sont des faits, des conséquences rigoureuses que j’en tire et que ne peut contester. Et puisqu’on m’a provoqué, l’on m’entendra jusqu’au bout.

Si vous êtes amis de l’instruction libre, comme vous vous en vantez sans cesse, dirai-je à mes adversaires, eh bien, souffrez la concurrence pour les écoles primaires et secondaires ; abordez franchement la loi qui doit organiser ces deux branches de l’enseignement ; dotez chaque commune de l’instruction nécessaire, et ne faites pas un monopole de cette instruction.

Quand on a demandé des traitements pour les vicaires, ai-je hésité à dire quel était le sens de l’article 117 de la constitution ? Ai-je hésite à soutenir que les vicaires devaient être payés par l’Etat ? J’ai dit cependant aussi que j’entrevoyais dans ce traitement un moyen pour le parti d’avoir un instituteur primaire dans chaque commune, et que dès lors il ne voudrait plus établir aux frais de l’Etat une instruction primaire nationale ; ai-je reculé devant les conséquences de mon vote constitutionnel ? Non, messieurs, parce que je me suis senti la force de combattre tous les genres de monopoles.

Quant à l’instruction secondaire, il suffit de parcourir les villes de la Belgique, pour voir les établissements qui se forment sous le patronage du parti et à l’ombre d’une protection puissante, et les efforts qu’on fait pour détruire les établissements municipaux et particuliers.

En un mot, je suis de l’avis de mon honorable ami Seron ; je le dis à regret, mais c’est aujourd’hui un devoir : on veut faire de la Belgique une vaste capucinière. (On rit.) Mais on oublie que depuis 40 ans, il s’est écoulé plusieurs siècles, et à l’heure où le peuple sera convaincu de cette intention, il saura recourir au seul remède ; il ressaisira ses droits dont on aura abusé.

M. de Brouckere. - Quand j’ai entendu les honorables (erratum inséré au Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1837 : ) MM. Dumortier et Devaux demander la parole pour répondre à l’orateur qui avait parlé avant eux, je me figurais que s’il se glissait dans leurs discours quelques personnalités, elles concerneraient uniquement celui auquel ces messieurs répondaient. Point du tout. Non seulement ils ont attaqué ceux qui professent telle opinion, mais ils ont été jusqu’à s’en prendre à des bancs ; on a mis les bancs en cause. Si on s’était borné à attaquer des partis ou des opinions, j’aurais pu me taire. Mais je dois m’asseoir sur un banc, et le mien est un de ceux qui ont été l’objet de l’accusation de ces messieurs. Je vais donc leur répondre en ce qui concerne l’objet de ces accusations. On prétend que ceux qui s’assoient sur mon banc, quand il s’agit de liberté de la presse ou de la liberté des théâtres, nous défendons ces libertés de tous nos moyens, mais que du moment où l’enseignement est en jeu, nous devenons inconséquents, nous changeons de langage, nous ne voulons plus de liberté.

Je voudrais bien que ceux qui formulent de semblables accusations se donnassent la peine de les justifier. Quant à moi, pour ce qui me concerne je leur en donne le défi. Oui, j’ai défendu la liberté de la presse toutes les fois qu’elle s’est trouvée en jeu ; quant à la liberté des théâtres j’étais malade au moment de la discussion ; mais si j’avais été ici, je le dis avec franchise, j’aurais défendu la liberté des théâtres. Mais quand donc me suis-je montrer contraire à la liberté de l’enseignement ? Quand ai-je essayé d’y porter atteinte ? Je déclare que je respecte la liberté d’enseignement, et que si on voulait y porter atteinte, je m’y opposerais de tout mon pouvoir.

Cependant, me dit-on, vous ne voulez pas de presse gouvernementale ; comment pouvez-vous admettre l’enseignement dirigé par le gouvernement ? C’est parce que je veux la constitution tout entière. Et je ne sais pas si tout le monde est du même avis que moi.

L’article 18 porte : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être rétablie ; etc. »

Est-ce que, comme corrélatif, il y a une autre disposition qui dit : Il y a une presse salariée par le gouvernement ? Cependant, quoiqu’on ait dit que nous nous étions opposés à la création du il, je déclare que je serais très fâché s’il n’existait pas : l’honorable membre aura de la peine à me prouver que je me suis montré l’ennemi du Moniteur ; il faudrait être singulièrement susceptible !

Ainsi, la presse est libre dans le sens le plus absolu, et nulle part il n’est dit qu’il y aura une presse gouvernementale.

Venons maintenant à l’enseignement.

« L’enseignement est libre, dit l’article 117 de la constitution ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi. »

Mais s’arrête-t-on là ? Lisez le paragraphe suivant, que semblent ignorer certaines personnes, et que je vais lire pour qu’elles ne le perdent pas de vue :

« L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par la loi. »

Ainsi donc la constitution veut qu’il y ait une instruction publique donnée aux frais de l’Etat.

Maintenant, savez-vous la différence qu’il y a entre nous et nos adversaires ? C’est que nous voulons que cet enseignement soit bon et fort, et qu’il puisse lutter avec l’enseignement libre, car nous aimons cette concurrence, cette émulation. Quant aux personnes auxquels je réponds, elles n’en veulent pas ; ce n’est pas une supposition que je fais, j’ai tenu note des paroles prononcées par l’un de ces orateurs ; il a dit : « Je veux que l’influence du gouvernement dans l’instruction publique, se fasse sentir le moins possible ; » or, le moins possible, c’est pas du tout !

C’est-à-dire que tandis que nous, nous voulons l’enseignement libre, dans toute la force du terme, mais conformément à la constitution, avec une instruction publique aux frais de l’Etat, bien organisée, qui puisse lutter avec les établissements particuliers, certains de nos honorables contradicteurs cherchent à ruiner l’instruction publique aux frais de l’Etat, et à l’amener aussi bas que possible pour arriver à rien du tout.

Je laisse à la chambre et au pays à juger qui veut la constitution de nous ou de nos adversaires.

(Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1837) M. Dechamps. - Je suis fâché de devoir rentrer dans cette discussion. Mais veuillez remarquer que, messieurs, que je ne fais que me défendre, car l’attaque n’est pas venue de notre côté.

M. Gendebien. - Je ne parlerai pas de côtés. Vous avez attaqué nos bancs, c’est pour cela que j’ai pris la parole.

M. Dechamps. - Je ferai observer à M. Gendebien que je parlerai comme je voudrai.

M. Gendebien. - Ne parlez pas de parti.

M. Dechamps. - Je répondrai à l’honorable membre que le mot côté est une expression admise dans les usages parlementaires ; je n’ai eu aucune intention malveillante.

Je répondrai avec toute la franchise qu’il a l’habitude de mettre lui-même dans ses paroles, aux arguments qu’il a tirés de mon rapport qu’il a cité. D’abord quand j’ai parlé de l’état de l’enseignement du temps de Charlemagne, j’ai voulu seulement démontrer qu’avant 89, que sous le régime même du pouvoir absolu, le gouvernement n’avait jamais cru devoir s’arroger le droit de diriger l’enseignement, et avait laissé cette faculté à l’action individuelle. Je voulais conclure que, sous le régime de la liberté, le gouvernement avait beaucoup moins le droit de s’emparer de cette direction.

Messieurs, je le dirai franchement, s’il avait dépendu de moi d’organiser l’enseignement universitaire, comme je le désirais, je n’aurais pas voulu qu’il y eût d’université de l’Etat ; j’aurais voulu qu’il n’y eût que des universités indépendantes du pouvoir sous le rapport de la science, comme cela existe en Angleterre et aux Etats-Unis ; je les aurais fait rétribuer par le gouvernement, parce que son devoir est d’aider pécuniairement tous les établissements utiles. Ce système est aussi libéral que celui de M. Gendebien.

Je pense que, puisqu’il y avait deux universités organisées d’après les idées qui divisent la nation, il eût été beaucoup plus libéral que le gouvernement n’en fondît pas pour son compte, qu’il se bornât à les aider comme il doit aider tout établissement qui peut contribuer au bonheur public. Mais M. Gendebien s’est constamment placé à côté de la question. J’ai dit que je ne pouvais concevoir que celui qui soutient qu’à l’égard de la liberté de la presse et des théâtres, le gouvernement doit observer une neutralité complète, admette ensuite, quand il s’agit de la liberté d’enseignement, que le gouvernement établisse une vaste centralisation. Je ne comprends pas qu’un membre qui refuse au gouvernement la nomination d’un garde champêtre, dans la crainte de lui donner trop d’influence, consente à lui confier l’instruction publique, lui concédant ainsi une influence telle qu’il pourrait façonner, suivant son bon plaisir, les générations naissantes, et faire de l’avenir du pays tout ce qu’il voudrait, puisqu’il l’aurait entre ses mains. Je comprendrais que l’opinion d’une vaste instruction gouvernementale fût émise par ceux qu’on nomme des doctrinaires, et qui ne font pas mystère de leur propension vers la centralisation gouvernementale. Mais il y a contradiction flagrante à vouloir une liberté très large en toutes choses, excepté dans l’enseignement.

Je ne veux pas perpétuer cette discussion que je regrette profondément d’avoir vu soulever ; je n’y rentrerai plus.

(Moniteur belge n°329, du 25 novembre 1837) M. Gendebien. - Je ferai remarquer que lorsqu’il s’agit du jury d’examen, j’ai déclaré que je préférerai qu’il n’y eût pas d’université de l’Etat que d’en avoir deux ; je crois avoir été aussi libéral que le préopinant, en proposant de laisser tout à la concurrence. J’étais convaincu que si on créait deux universités, il n’y aurait pas de concurrence et nos adversaires ne veulent pas de concurrence ; mais n’osant pas le dire, ils ont voulu établir un simulacre de concurrence dont je voulais éviter l’essai apparent, pour économiser quelques millions.

Quant à ce membre qu’on désigne comme s’étant opposé à la censure des représentations théâtrales et à la nomination d’un garde champêtre par le gouvernement alors qu’il veut la centralisation de l’enseignement dans les mains du gouvernement, ce ne peut pas être M. Verhaegen, car il ne faisait pas partie de la chambre lorsqu’on a discuté ces divers points. Serait-ce un de ceux qui ont répondu à M. Dechamps ? Qu’il s’explique. Pour ce qui me concerne, je me borne à dire qu’il a tort ; si c’est au banc qu’il s’est adressé, que le banc réponde. Je ne suis pas solidaire du banc.

En matière d’instruction, je crois m’être montré aussi libéral que qui que ce soit. Je voudrais qu’on dît à quelle époque j’ai voulu centraliser l’enseignement dans les mains du gouvernement ; quand et comment j’ai nié la libre concurrence et contesté une des libertés consacrées par la constitution.

Du reste je crois avoir prouvé dans cette discussion même, et hier encore, qu’en matière d’instruction personne n’est plus libéral que moi ; car j’ai dit que je rejetterais les projets du gouvernement et de la section centrale, parce que je ne les trouve pas assez étendus, assez complets ; parce qu’ils ne donnent pas une instruction primaire pour le soldat et le sous-officier, et parce qu’ils ne s’appliquent pas aux sommités militaires.

J’aurais bien d’autres choses encore à répondre. Mais je crois que la chambre a besoin de se calmer. J’en resterai là pour lui éviter une plus grande perte de temps.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dubus (aîné). - Je suis assis sur un des bancs auxquels s’est adressée l’interpellation du député de Bruxelles, M. Verhaegen qui a provoqué cette malheureuse discussion. En conséquence, j’ai le droit d’ajouter quelques observations à celles faites par mes honorables amis. (Parlez ! parlez !)

Je ne m’attendais véritablement pas, d’après le discours que M. Verhaegen avait prononcé dans la discussion générale, qu’il considérerait l’université de Bruxelles comme se trouvant ici en cause, comme ayant reçu un coup par le vote d’hier ; car il a dit formellement que c’était un coup pour les trois universités. Je m’y attendais d’autant moins que j’avais remarqué dans le discours dont je viens de parler, qu’après avoir dit que l’intérêt des universités de l’Etat, mis en avant par les adversaires du projet de loi, ne servait que de prétexte, l’honorable membre ajoutait : « Quant à l’université de Bruxelles dont je me glorifie d’être l’un des fondateurs, je déclare qu’elle ne craint pas la concurrence de l’école militaire. »

Ce n’était donc, à entendre l’honorable membre, qu’une question de rivalité entre l’école militaire d’une part et les universités soit libres, soit de l’Etat d’autre part ; et aujourd’hui, parce que la chambre a décidé que l’école militaire serait dans une place de guerre, d’où il résulte qu’elle ne sera pas à Bruxelles, il trouve que c’est un coup porté à l’université libre. Il y a là une contradiction manifeste ; ou il y avait jactance dans le premier discours, ce que je ne veux pas croire, ou il ne peut dire maintenant que nous avons porté un coup à l’université libre de Bruxelles. Il faut être d’accord avec soi-même ; il faut surtout s’en faire une loi lorsqu’on se permet des insinuations pareilles à celles que j’ai entendues sortir de la bouche d’un député de Bruxelles.

Puisque cet honorable membre ne craint pas pour l’université libre, ainsi qu’il l’a dit dans son premier discours, la concurrence de l’école militaire, alors que cette école est à Bruxelles, il ne doit pas la craindre davantage alors que cette école est dans une place de guerre ; à moins peut-être qu’il ne la considère comme devant être à Bruxelles un appui pour l’université libre ; s’il en est ainsi, il faut convenir que jusqu’ici cet honorable membre avait parfaitement déguisé sa pensée ; mais je crois plutôt qu’il ne l’entend pas ainsi.

A cette occasion on est entré dans les récriminations sur les antécédents de différents membres de cette assemblée, sur les votes précédemment émis par plusieurs de ses membres, notamment lorsqu’il s’est agi de la loi sur l’enseignement et sur le rapport même qui a été l’expression de l’opinion de la majorité de la section centrale en 1835.

A entendre certain honorable membre, on ne voulait qu’une chose en 1835, un jury d’examen ; que c’est par cela que nous avons mutilé le projet de loi sur l’instruction, et fait voter précipitamment une loi sur l’enseignement supérieur seulement. A cet égard je recueille mes souvenirs ; je me demande qui a voulu les jurys d’examen, et je trouve que c’est l’université libre qui les a demandés en premier lieu. C’est, si je ne me trompe, une pétition partant de ce côté qui a occupé la chambre de cette grave question au moment où la session allait être close. Ce sont les honorables membres qui ont fait remarquer l’urgence d’établir les jurys d’examen, qui nous reprochent aujourd’hui d’avoir demandé, d’avoir insisté pour obtenir de suite cette grande garantie de la force des études et de la liberté de l’enseignement : d’un autre côté, on nous reproche d’en vouloir le monopole. Ainsi, c’est nous qui voulions les jurys d’examen ; c’est nous qui voulions en doter promptement le pays, et, d’autre part, nous ne voulions faire de l’instruction qu’un monopole ! Il me suffit de faire ce rapprochement pour faire voir que ces deux reproches se détruisent mutuellement.

Je ne veux de monopole, ni en matière d’instruction, ni en matière de presse ; je ne conçois pas comment, à l’instant où l’on nous reproche de vouloir une concurrence illimitée en matière d’enseignement comme en matière de presse, sans intervention, ou avec la moindre intervention possible du gouvernement, on nous suppose en temps des prétentions au monopole. Celui qui veut la concurrence la plus illimitée possible, en matière d’enseignement comme en matière de presse, ne veut pas plus le monopole de l’enseignement que de la presse. Je ne pense pas que personne puisse contester cette assertion.

Mais si nos adversaires nous disaient : « Nous nous défions de la majorité de la nation ; c’est par ce motif que nous voulons l’intervention du gouvernement en matière d’enseignement ; » alors je comprendrais un pareil raisonnement, je verrais leur but en même temps que leur motif ; mais alors c’est vous qui voulez le monopole et non ceux qui disent : « Nous voulons la concurrence la plus illimitée. »

Maintenant voyons si la constitution nous impose, comme l’a prétendue un orateur, l’obligation de faire intervenir l’Etat en matière d’instruction plutôt qu’en matière de presse.

Il n’y a pas, dit-on, dans la constitution à l’article presse : « Il y aura une presse salariée par le gouvernement. » Cela est vrai ; mais je défie de trouver dans la constitution un article, portant : « Il y aura un enseignement salarié par le gouvernement. » Ainsi sous ce rapport il y a parité.

On a voulu tirer du texte de la constitution, qui donne seulement une garantie contre l’intervention possible du gouvernement dans l’instruction publique, la preuve de l’obligation d’y faire intervenir le gouvernement. Voici le texte que l’on a invoqué : « L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par la loi. » Mais, messieurs, c’est là seulement une garantie ; c’est-à-dire que si l’on veut faire intervenir l’Etat dans l’instruction publique, il faudra que la loi règle cette intervention. Il y a loin de là à dire, comme un honorable député de Bruxelles, que la constitution a rendu, par cet article, obligatoire l’intervention du gouvernement dans l’instruction publique.

La constitution exige que l’intervention du gouvernement dans l’instruction soit réglée par une loi. Pourquoi ? Pour que si les circonstances faisaient sentir l’utilité ou la nécessité de cette intervention, la législature, après avoir reconnu cette utilité ou cette nécessité, réglât les conditions et les limites de cette intervention.

Voilà tout ce qui résulte de l’article de la constitution. Mes paroles sont là pour prouver que je l’ai toujours entendu ainsi, notamment lors même que j’émettais l’opinion qu’il devait y avoir des universités de l’Etat. Je me bornerai à ces observations.

Plusieurs membres. - La clôture.

M. de Brouckere. - Je ne demande pas la parole pour un fait personnel, mais pour répondre à l’honorable M. Dubus. Au reste, j’y renonce volontiers si l’on veut fermer la discussion.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Verhaegen. - Vous me laisserez dire deux mots sans doute pour répondre à une accusation dont j’ai été l’objet. On a dit que je n’étais pas d’accord avec moi-même, que dans mon premier discours il y avait de la jactance ou bien contradiction dans le second. Je vais relire, messieurs, ce que j’ai dit tantôt. (Quand on craint d’éveiller des susceptibilités, quoiqu’on ait l’habitude d’improviser, on écrit et c’est ce que j’ai fait.) J’ai déjà répondu tout à l’heure à M. Dumortier sur une accusation semblable, je ferai de même à l’égard de mon honorable collègue M. Dubus. Il a prétendu que j’aurais dit que l’université libre serait renversée par le monopole. Non, messieurs, je n’ai pas dit cela. L’université libre existera après toutes les autres ; ce sera la seule concurrence qu’aura l’université catholique. Dans la phrase que m’attribue l’honorable M. Dubus, je n’ai pas parlé de l’université libre. Voici la phrase de mon discours :

« Ce qu’il y a de remarquable dans la discussion qui s’est soulevée, c’est de voir des députés libéraux combattre le système de l’article, dans le but d’accorder aux universités de l’Etat un privilège exclusif nécessaire, d’après eux, à leur prospérité, tandis que d’autres députés dont les opinions ne sympathisent nullement avec les nôtres, combattent l’article 2 afin d’attacher l’existence de l’école militaire au sort des deux universités de l’Etat. »

Plusieurs membres. - C’est évident.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Comme je tiens à honneur de ne rien attribuer à personne qu’il n’ait prononcé, je vais citer les paroles de M. Verhaegen comme je les ai recueillies.

M. Verhaegen. - Mes paroles sont écrites.

M. Dumortier. - « Une indiscrétion a été commise ; on veut renverser d’un seul coup les trois universités. »

M. F. de Mérode. - C’est inexact.

M. Verhaegen. - Mais je n’ai pas improvisé ; ma phrase est là dans ces feuillets.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - La citation est erronée !

M. Gendebien. - Et moi aussi je dois protester contre les inexactitudes de M. Dubus, contre les dires erronés qu’il m’a prêtés.

M. Metz. - Messieurs, je crains de vous paraître trop froid après la discussion brûlante que nous venons d’entendre. C’est véritablement sur un volcan que nous nous trouvons. Les opinions ont été touchées au vif ; et vous voyez que chacun s’est levé pour défendre ses sentiments. Quelques sacrifices que mon amour-propre doive faire, je me hâte de vous faire descendre de ce terrain, où la guerre qu’on se livre est une guerre à mort.

Revenons donc à la question qui nous occupe et que nous avons véritablement oubliée, la question d’opinion ayant tout envahi. Vous avez voté l’école militaire en principe, il s’agit maintenant de mettre ce principe en pratique. Tel est le but de l’article 2.

Les objections principales qui ont été élevées contre l’école militaire se traduisent ainsi : l’école militaire est opposée à la liberté de l’enseignement ; elle est hostile à la constitution ; elle est un monopole que l’on veut poser en principe.

Messieurs, la liberté de l’enseignement, qu’il me soit permis de vous le dire, je n’en suis réellement pas partisan ; et je me hâte d’ajouter que ce n’est pas par les mêmes motifs que M. Dechamps. Je suis partisan de la liberté de la presse, mais il n’y a pas la moindre assimilation à faire entre ces deux principes.

M. A. Rodenbach. - Vous avez juré la constitution ! (Bruit.)

M. Metz. - La liberté de la presse, c’est la garantie d’un bon gouvernement ; c’est la sentinelle qui veille aux portes du Louvre.

Par elle vous n’avez rien à craindre ; si elle se livre à quelques écarts, supportez-les en faveur du bien qu’elle fait. On prend du poison en médecine. C’est pourtant, mû par les mêmes sentiments, que je me serais opposé à la liberté de l’enseignement si j’avais été appelé à donner mon avis sur ce point. La liberté de l’enseignement prend l’enfant au berceau ; la liberté de la presse ne parle qu’à des hommes, et les hommes savent en faire justice ; mais l’enfant auquel vous inoculez des opinions comme on inocule la vaccine, a besoin de protection ; cette protection est dans l’action du gouvernement.

Voyez ce que fait la liberté de l’enseignement et ce qu’elle ne fait pas. Quand nous examinons l’enseignement dans l’état où il se trouve aujourd’hui, abandonné par le gouvernement, nous voyons qu’il languit et périt partout. C’est le cas de regretter que le gouvernement n’ait pas cru devoir en faire l’objet d’une loi.

La liberté de l’enseignement nous a dotés de l’université libre et de l’université catholique, et je regarde ces deux universités comme un fléau pour le pays. Ce n’est plus aux accents de la science que ces établissements s’ouvrent : vous avez inscrit sur le frontispice de chacun son principe. L’université formée aux frais de l’Etat réunissait toutes les opinions ; aujourd’hui vous avez deux partis dans l’Etat ; quand l’un grandira, l’autre fera tous ses efforts pour réparer ses pertes. Qu’est-il advenu de la création des universités libres ?

Il est telle personne qui serait honnie si elle envoyait son fils à l’université catholique ; il est telle autre personne qui rougirait, qui serait honteuse d’envoyer son fils à l’université libre.

M. F. de Mérode. - Cela n’a pas rapport à la question.

M. Metz. - J’explique les raisons pour lesquelles je crois que l’école militaire n’est pas contraire à la liberté de l’enseignement.

Je le répète, quoiqu’un fondateur de l’université libre soit à mes côtés, je déclare que cette université et l’université catholique mises en présence l’une de l’autre sont un fléau.

J’ai dit que l’école militaire n’est pas contraire à la liberté de l’enseignement ; je dis actuellement qu’elle n’est pas contraire à la constitution.

Si la liberté de l’enseignement n’est pas contraire à la constitution, nous ne faisons qu’user de notre droit en établissant une école militaire. L’école militaire est dans la constitution, puisqu’il y a dans la constitution ce principe que l’instruction donnée aux frais de l’Etat sera réglée par une loi. Vous avez déjà réglé par une loi que les officiers seraient pris dans le sein de l’école militaire, ainsi vous avez déjà créé l’école militaire en principe ; et il ne s’agit plus que de mettre ce principe en pratique.

Je ne veux pas m’étendre davantage sur une question si simple, résolue par la constitution et par la loi.

Est-ce donc un monopole que nous voulons créer, comme on l’a prétendu ? Singulier monopole ! Non, messieurs, nous voulons simplement que le gouvernement fasse usage d’un droit qui lui est donné constitutionnellement ; nous laissons aux universités la médecine, le droit, les mines, les ponts et chaussées ; nous ne demandons qu’à créer des officiers ; peut-on croire au monopole quand nous avons tout abandonné aux autres !

Nous entendons établir une institution qui réponde aux besoins de l’armée, et pas davantage.

Quelles sont les objections faites contre l’école militaire ? On reconnaît l’utilité de cette école ; mais comment peut-elle être utile ? C’est par l’adjonction de cours généraux aux cours spéciaux, pour lesquels ils servent de préparation. Je le déclare, messieurs, si l’on enlève à l’école militaire les cours généraux, je voterai contre le projet de loi, en réservant au gouvernement le soin d’apporter une autre loi dans un temps plus opportun. Les cours généraux sont essentiels à l’école militaire ; ils en sont la vie. Et sans m’appuyer des faits cités par M. Verhaegen, relatifs à la difficulté de recruter l’école militaire dans les universités, je dirai qu’il faut aller chercher les exemples dans le sein de ces nations qui, comme le disait M. Devaux, ont un drapeau plus assuré que le nôtre.

Voyez en France, où l’esprit militaire est dans toute sa splendeur, voyez si on n’y joint pas les cours généraux aux cours d’application. Je sais bien que l’école polytechnique est à Paris, et que l’école d’application est à Metz ; mais ce n’en est pas moins le même système. Je voudrais que, pour nous, les cours généraux et les cours d’application fussent réunis, parce que ce serait un perfectionnement.

Je ne m’étonne pas que M. Devaux n’ait pas donné son assentiment au projet du ministre, puisqu’il avait trois projets tout prêts ; cependant j’aime à croire qu’il n’a pas attendu jusqu’à ce moment pour comprendre que ces trois projets sont inexécutables. Mais je m’étonne d’entendre M. Gendebien, dont je partage ordinairement les opinions, déclarer qu’il votera contre l’école militaire, parce qu’elle n’est pas assez bonne.

Est-ce qu’on peut faire tout en un jour ? Ne sait-il donc pas que quand on commence un édifice, on achève d’abord le faîte, pour travailler ensuite en dedans. Il aurait dû voter contre les universités parce qu’on ne demandait pas en même temps des écoles primaires !

Une voix. - Il a voté contre !

M. Metz. - Il faut commencer l’instruction par les hautes classes parce que ce sont elles qui dirigent. Le moyen de parvenir à l’instruction des masses, c’est de leur donner du travail ; l’instruction ne va pas se loger là où la misère a envahi tout le logis : donnez du travail et de l’aisance au peuple, et vous lui donnerez de l’instruction.

Maintenant, messieurs, pourquoi ne laisserait-on pas réunis en une même école militaire les cours spéciaux et les cours généraux ? Vraiment je l’ignore ; car de toutes les raisons qui ont été alléguées contre cette réunion, je n’en ai pas vu une seule qui fût plausible.

La concurrence que l’honorable M. Devaux redoute pour les universités, cette concurrence, comme je l’ai dit tout à l’heure, ne viendra pas de l’école militaire ; il existe deux autres universités rivales de celles de l’Etat (et il faut regretter, messieurs, de voir la science rivale d’elle-même ; c’est là une espèce de parricide que nous ne saurions assez déplorer) ; c’est de l’université libre et de l’université catholique que vient la concurrence pour les universités de l’Etat : ce sont ces établissements qui semblent tout envahir et qui nous forceront peut-être à peupler nos universités comme Potemkine peuplait les villages qu’il montrait à son souverain.

La concurrence de l’école militaire n’est pas à craindre pour les universités, car elle est destinée à des individus auxquels les universités ne sont pas accessibles ; comme l’honorable M. Devaux vous l’a dit hier, les élèves des universités doivent dépenser 3 à 4 mille francs, tandis qu’à l’école militaire on est admis pour 800 fr. par an ; les universités n’ont donc rien à craindre de l’école militaire, mais celle-ci offre un avantage, qui est conforme aux principes d’égalité invoqués hier par l’honorable Gendebien, de mettre les études à la portée d’un nombre immense de personnes qui n’ont pas les moyens pécuniaires de suivre les cours des universités.

Je ne veux, messieurs, de l’adjonction à une université, ni des cours généraux, ni des cours spéciaux, parce que je crois que l’école militaire, pour donner une instruction solide à ses élèves doit marcher au son du tambour : on a plaisanté hier sur le mot ; mais, dans toute école militaire bien organisée, l’instruction marche au son du tambour, elle marche à pas précipités, tandis que dans les universités elle languit, non pas qu’elle y descende moins puissante de la chaire du professeur, mais parce qu’elle y est écoutée avec négligence, parce que les élèves, lorsqu’ils devraient être aux cours, sont souvent partout ailleurs. Dans l’école militaire, au contraire, les élèves sont constamment tenus à leurs devoirs : dès 5 heures du matin, le son du tambour les appelle au travail qui les suit partout pas à pas, à chaque heure de la journée et même pendant la nuit. Je vous le demande, messieurs, les élèves d’une université pourront-ils jamais montrer une assiduité semblable à celle qu’on exige des élèves de l’école militaire. Voilà, messieurs, ce que nous apprend l’expérience ; voilà ce que nous avons vu à l’école polytechnique, dont les élèves font la gloire de l’armée française, dont la fréquentation est le premier titre d’admission aux fonctions partout où l’on sait apprécier le mérite.

C’est pour ces motifs, messieurs, que je crois devoir persister à appuyer de toutes mes forces le projet du gouvernement.

M. Brabant. - Je crois, messieurs, que la discussion qui s’est engagée sur la liberté d’enseignement et sur les universités est très déplacée : il est incontestable que la constitution autorise l’Etat à donner une instruction à ses frais, et que cette instruction doit être réglée par la loi. C’est ce qui est aujourd’hui proposé par le gouvernement relativement à l’école militaire. L’article 2 du projet qui a été présenté en dernier lieu par M. le ministre de la guerre, cet article dont il s’agit en ce moment, désigne les objets sur lesquels portera l’enseignement donné à l’école militaire ; ces matières d’enseignement se divisent en deux catégories : les matières générales qui peuvent préparer les élèves à toute espèce de service exigeant une forte instruction, et les matières spéciales à l’art militaire et à l’art de la navigation.

Il n’y a aucune différence d’opinion quand la partie spéciale ; vous avez décidé, messieurs, qu’il y aurait une école militaire, et personne n’a contesté que cette école dût comprendre l’enseignement de tout ce qui se rapporte à la partie pratique de l’art militaire ; il n’y a dissentiment que quant aux matières qui sont communes à plusieurs services publics ; ceux qui ne veulent pas que l’école militaire comprenne l’enseignement général croient que les universités pourront suffire pour donner à l’école spéciale le nombre d’élèves dont elle aura besoin pour alimenter les différentes armes. Eh bien, messieurs, je ne partage pas cette opinion, je ne crois pas que les universités puissent fournir des élèves propres à l’école militaire, car l’enseignement universitaire ne peut pas donner cette habitude de la discipline qui est essentielle à ceux qui se destinent à devenir officiers. L’enseignement donné aux universités n’a pas cette continuité et cette spécialité qui est nécessaire pour faire de bons militaires.

Dans une école militaire, les professeurs doivent l’exemple des vertus particulières aux militaires, comme ils doivent l’enseignement ; le professeur doit être soumis à la discipline militaire comme l’élève lui-même. Eh bien, croyez-vous, messieurs, que le professeur de l’université qui appartiendra comme professeur civil au ministre de l’intérieur, qui appartiendra comme professeur de l’école militaire au ministre de la guerre, croyez-vous que ce professeur saura concilier son caractère de liberté avec une obéissance entière ? C’est parfaitement impossible ; il faut des hommes qui soient tout d’une pièce.

Un membre. - Vous voulez l’obéissance passive !

M. Brabant. - Non, je ne veux pas l’obéissance passive : l’obéissance passive est incompatible avec l’élévation d’esprit qu’on acquiert par l’étude des hautes sciences ; l’obéissance d’un militaire doit toujours être subordonnée au devoir ; quand on lui commande du bon il doit obéir, quand on lui commande du mauvais, quand on lui commande quelque chose de contraire à sa conscience, il doit refuser d’obéir ; ceux qui ont de la science sauront toujours discerner ce qui est bon de ce qui est mauvais.

Les sciences, messieurs, ont une très grande étendue, les mathématiques surtout. Le professeur qui veut former des savants, ne les forme habituellement que pour l’enseignement lui-même. Quant à moi, lorsque j’étais à l’université, je n’ai jamais vu à la faculté des sciences que des jeunes gens qui se destinaient à l’enseignement. L’enseignement doit être plus restreint pour certaines parties lorsqu’il s’agit seulement de préparer les élèves pour les études spéciales militaires ; beaucoup de choses dans les sciences sont étrangères à l’art militaire : dès lors on sacrifiera l’enseignement des élèves civils à l’enseignement des élèves militaires, ou bien on donnera aux élèves qui se destinent à la carrière des armes tout l’enseignement qu’on donne aux élèves civils, et alors on leur apprendra une foule de choses qui leur sont complétement inutiles.

Messieurs, je crois que cette question ne se serait pas élevée, si la proposition faite par la section centrale, de créer une véritable école polytechnique, n’avait inspiré des craintes à plusieurs honorables membres qui ne veulent pas que les universités aillent se fondre dans l’école militaire. Eh bien, messieurs, il y a un moyen bien simple de prévenir cette fusion : vous avez institué une école militaire, cette école vous ne la voulez que pour fournir des officiers à l’armée : eh bien, exigez que ceux qui entreront à l’école militaire se destinent réellement à la carrière des armes, faites-les contracter un engagement ; s’ils ont échappé à la milice ou s’ils n’ont pas encore l’âge requis, rangez-les immédiatement sous la loi de la milice, comme s’ils étaient tombés au sort. Je vais déposer un amendement dans ce sens.

A mon avis, messieurs, fractionner l’école militaire, comme on l’a proposé, ou la réduire aux étroites proportions d’un enseignement spécial, c’est l’anéantir complétement.

L’honorable M. Verhaegen a proposé un amendement à la pensée duquel je m’associerai bien volontiers ; cet amendement, outre qu’il entre largement dans le système de la liberté d’enseignement, permettra de faire l’expérience de ce que peut produire les universités pour les armes spéciales dont les besoins seront toujours assez restreints. Si l’expérience nous apprend que les universités peuvent fournir des élèves assez forts pour alimenter l’école d’application, alors l’inutilité d’une école préparatoire étant reconnue, je crois qu’on pourra très facilement et unaniment la supprimer. Toutefois, messieurs, je crains bien que cette époque ne se présente jamais.

Messieurs, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, nous avons un établissement que l’expérience de trois années a fait reconnaître comme excellent.

Nous avons des besoins nombreux dans notre armée, auxquels nous avons la certitude que cet établissement fournira. Je n’entends pas détruire ; ce serait détruire l’établissement que de le fractionner, que de nous fier à une possibilité que je regarde moi comme chimérique.

Voici l’amendement que j’ai rédigé de concert avec l’honorable M. Mast de Vries :

« A l’entrée à l’école, les élèves contractent l’engagement de servir pendant 6 ans ; s’ils font partie de la milice, ils entrent en déduction du contingent pour la classe à laquelle ils appartiennent. »

- L’amendement est appuyé.

M. de Langhe. - Messieurs, je demande la permission de présenter un amendement, non pas sur le principe de l’article, mais sur un de ses détails. Je demande que le cours de langue flamande qui se trouve relégué dans la nomenclature des branches facultatives soit rangé dans la première catégorie, dans celle des cours obligatoires.

Messieurs, j’ai peu de mots à dire pour appuyer mon amendement. La langue flamande est parlée par les deux tiers au moins de la nation. Je sais bien que dans les provinces flamandes les personnes qui ont reçu une instruction plus ou moins étendue parlent le français ; mais la grande masse ne le comprend même pas. Je crois donc nécessaire que les officiers qui sortiront de l’école militaire sachent le flamand, pour pouvoir parler à leurs subordonnés dont la plus grande partie ne parle et ne comprend que le flamand. En outre les officiers du génie dans les travaux qu’ils feront exécuter auront à employer des ouvriers flamands ; il est donc nécessaire que ces officiers parlent le flamand.

- L’amendement de M. de Langhe est appuyé.

M. F. de Mérode. - Messieurs, j’appuie l’observation de M. de Langhe relative à la nécessité de l’étude de la langue flamande dans l’école militaire, parce que la moitié des soldats belges ne comprend que cette langue, et que les officiers doivent la connaître assez pour communiquer sans interprète avec leurs subordonnés. Il n’est pas nécessaire qu’ils la possèdent aussi parfaitement que le français ; mais il faut du moins qu’ils la comprennent et la parlent suffisamment. Quant à l’amendement de M. Brabant, je demanderai qu’il soit modifié en ce sens que l’engagement ne soit obligatoire qu’après un an passé à l’école militaire.

C’est une dure épreuve, dirai-je ensuite, pour une école de cette nature, que l’épreuve qu’elle doit subir en passant au creuset d’une assemblée délibérante où l’armée a bien peu d’organes. Le commerce, l’industrie, l’agriculture, les intérêts locaux ont ici des représentants multiplies et capables. Combien d’officiers avons-nous sur nos bancs ?

« Il en est jusqu’à trois que l’on pourrait citer. » (On rit.)

Et que faut-il conclure d’une observation vraie sans qu’elle s’adresse comme un reproche à la chambre qui m’écoute ? C’est qu’il faut, dans la discussion du projet qui vous est soumis, résister aux idées, aux combinaisons, aux inspirations particulières et diverses qui frappent nos esprits, Une seule intelligence douée de facultés heureuses à l’égard de l’objet qu’elle a cultivé avec toute l’attention dont elle est capable, peut organiser une excellente école d’officiers.

En se refusant à suivre l’expérience des hommes spéciaux et au fait de la matière ; en s’abandonnant aux notions que chacun dans cette enceinte croirait posséder, notions incomplètes nécessairement malgré tous les débats contradictoire, la chambre pourrait ruiner les plus belles espérances ; tandis qu’en suivant une voie connue, les précédents garantissent le succès de l’avenir ; or, ces précédents ne sont pas conformes à tous ces amendements et systèmes qu’on nous propose d’adopter : amendements et systèmes qui renversent plus ou moins le projet soutenu par M. le ministre de la guerre, ou pour m’exprimer plus justement, tendent à empêcher la continuation de ce qui existe et à nous relancer dans des essais.

M. Dumortier. - Messieurs, l’amendement que viennent de déposer MM. Mast de Vries et Brabant me paraît de nature à modifier beaucoup l’opposition que j’étais dans l’intention de faire au projet du gouvernement, l’opposition que j’aurais dû faire à ce projet était uniquement motivée sur cette considération : que je ne voulais pas que l’école militaire nuisît à nos universités. Comme l’Etat accorde à l’école militaire des privilèges considérables, il allait sans dire qu’on n’aurait pu admettre la création d’une école préparatoire, si l’on n’avait eu une garantie que l’école militaire n’absorberait pas les facultés des sciences de nos universités ; mais avec l’amendement de M. Brabant, la question se simplifie, et ne devient plus qu’une question d’argent.

Je désire savoir si le gouvernement se rallie à cet amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, l’amendement de M. Brabant convertit en quelque sorte en obligation un fait que je pose comme réel, c’est-à-dire que l’école militaire est le commencement de la carrière militaire.

Je n’ai donc pas de motif pour m’opposer à cet amendement. Toutefois, je dois faire remarquer que je regarde le sous-amendement de M. de Mérode comme nécessaire. Il est besoin de six mois ou d’une année d’étude pour connaître si un jeune homme qui entre à 16 ans à l’école militaire, a réellement des dispositions naturelles, pour qu’il puisse suivre les cours avec fruit. Je pense aussi que l’amendement est dans l’intérêt de l’institution elle-même ; car si les jeunes gens devaient, dès leur entrée à l’école, prendre un engagement, cette obligation pourrait détourner un nombre, plus ou moins grand, d’entrer à l’établissement. Si donc on adopte le sous-amendement de M. de Mérode, je n’ai plus aucune objection à faire contre l’amendement de M. Brabant.

M. Brabant. - Messieurs, mon amendement a d’abord pour but de lever les scrupules de quelques-uns de nos honorables collègues, qui ne voulaient pas que les facultés des sciences des universités fussent absorbées par l’école militaire.

Un second motif que je n’avais pas indiqué, c’est que pour participer aux avantages de l’état militaire, je crois qu’il est juste qu’on acquière toutes les choses, qu’on commence par être soldat, qu’on se soumette enfin à la loi commune.

Un troisième motif, c’était d’éloigner de l’école un grand nombre de jeunes gens qui s’y présenteraient, parce qu’un hasard les secondera, qui gênait la marche des études dans l’école et qu’on est quelquefois dans la nécessité de renvoyer au bout de six mois.

Je ne m’opposerai cependant pas à l’espèce d’épreuve préparatoire que M. de Mérode veut introduire par son amendement.

M. Devaux. - Messieurs, je n’ai pas encore pris la parole, parce que pendant deux heures et demie on a discuté d’une manière rétrospective en quelque sorte ; je ne sais pas même sur quoi l’on discute. Il y a quatre objets en discussion, l’article 2, l’amendement de M. Brabant, l’amendement que j’ai déposé, et enfin la question de savoir si l’école militaire renfermera des cours généraux, et en cas d’affirmative, si ces cours seront obligatoires. Cette complication rend la discussion difficile, et je ne sais pas si l’on ne ferait pas bien de s’entendre sur ce qu’on discute en ce moment.

Quant à moi, j’aurais plusieurs observations à faire, mais je ne sais comment les placer dans la discussion ; car je ne sais sur quel point elle porte. Qu’on précise d’abord la discussion, je demanderai alors la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il ne me semble pas que la discussion présente tant d’incertitude qu’on le pense : l’article 2 est fort clair, il établit l’ensemble des cours qui seraient donnés à l’école militaire.

M. Devaux. - Je demande si mon amendement est en discussion oui ou non.

M. Dubus (aîné). - Il est manifeste que l’énumération implique l’adoption des cours généraux et spéciaux ; l’amendement de M. Devaux étant relatif à ces cours, il doit être mis d’abord en discussion. Ce n’est que par voie de conséquence qu’on peut se prononcer sur l’amendement du ministre de la guerre ; décidez s’il y aura des cours généraux et à quelles conditions. Ce n’est qu’après que vous pourrez adopter le texte de l’article 2 nouveau.

M. Devaux. - La première question à résoudre est celle de savoir s’il y aura des cours généraux. Qu’on la décide ; mon amendement viendra après.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’amendement de M. Brabant devrait, selon moi, obtenir la priorité, car il est bien clair, d’après tout ce qui s’est passé dans le cours de la discussion, qu’il est de nature à donner apaisement à bien des opinions. En effet, si on peut avoir la certitude que l’école militaire ne servira que pour le service militaire, personne ne devra plus craindre de l’organiser fortement et d’une manière complète, comme le gouvernement le propose ; or, l’amendement de M. Brabant présente cette garantie, et je ne doute pas que si M. Devaux consentait à ce que la chambre se prononçât d’abord sur cet amendement, on arriverait facilement à une conclusion sur le tout, tandis que si la discussion s’engage d’abord sur les matières de l’enseignement, sur la question de savoir s’il y aura une école préparatoire jointe à l’école d’application, beaucoup de membres devront s’abstenir, parce qu’ils ne voudront de cours préparatoires à l’école militaire que dans le cas seulement où l’amendement de M. Brabant serait adopté.

Je demande donc la priorité en faveur de la proposition de cet honorable membre.

M. le président. - Avec le sous-amendement de M. de Mérode, la proposition de MM. Brabant et Mast de Vries serait ainsi conçue :

« En entrant dans la deuxième année d’étude, les élèves contractent l’engagement de servir pendant 6 ans ; s’ils appartiennent à la milice, ils viendront en déduction du contingent de leur commune. »

M. Mast de Vries. - Les six années commencent au moment de l’engagement.

M. Gendebien. - On veut exclure de l’école militaire les citoyens qui désirent y entrer, sans se destiner irrévocablement à l’état militaire ; cependant si je trouve qu’un de mes fils que je destine aux mines, aura à l’école militaire une meilleure instruction que dans les universités, si j’y trouve plus de garantie de bonne conduite, de mœurs et d’application, pourquoi voulez-vous me priver de cet avantage, de ce libre arbitre ? Si j’y trouve aussi plus d’économie ; s’il est vrai, comme le disait M. Devaux, que la dépense ne soit que le tiers de ce qu’elle est dans une université, pourquoi contraindre les pères de famille qui habitent Bruxelles ou les environs, à envoyer leurs enfants à Liége ou à Gand ? Ceci est contraire à la liberté de l’enseignement.

La liberté de l’enseignement ne consiste pas seulement dans la faculté de le donner, mais encore de le puiser où on veut. On ne peut pas m’empêcher d’envoyer mon fils à l’école militaire de France, si j’y suis autorisé par le gouvernement français, et l’on ne veut pas que je puisse l’envoyer à l’école militaire de Belgique. C’est absurde, c’est contraire au principe de liberté d’enseignement, dont on fait si grand bruit en d’autres occasions.

Il faut laisser aux pères de famille pleine liberté pour le choix les moyens d’instruction pour leurs enfants.

M. A. Rodenbach. - Si vous n’adoptez pas l’amendement de M. Brabant, vous verrez une foule de personnes et des personnes très riches envoyer leurs enfants à l’école militaire, parce qu’ils trouveront ainsi le moyen de leur donner une bonne instruction pour 7 ou 800 fr. Les personnes qui ont de la fortune doivent payer pour donner de l’instruction à leurs enfants ; je ne veux pas que cette instruction leur soit donnée aux frais du peuple ; c’est ce qui arriverait si on permettait l’entrée de l’école militaire à ceux qui ne se destinent pas à cette carrière. Comme je ne veux pas donner les mains à une pareille spéculation, je voterai pour l’amendement de M. Brabant.

M. Dumortier. - Quel est le but de l’école militaire ? De former des officiers pour l’armée.

M. Gendebien est dans l’erreur, quand il dit qu’on ne peut pas l’empêcher d’envoyer son fils à l’école militaire de France. L’article 2 du décret organique porte que les élèves de l’école militaire sont soldats. Si l’honorable membre y envoyait son fils, il devrait contracter un engagement ; son fils serait soldat ; nous proposons à l’égard de notre école militaire une disposition semblable.

Quant à la liberté d’enseignement il faut remarquer que les établissements de liberté sont ceux où on peut aller sans avoir passé dans une institution spéciale. S’il était possible de détourner les fonds destinés à former des officiers pour donner l’instruction à ceux qui ne veulent pas suivie la carrière militaire, vous nuiriez à nos universités. Si quelqu’un veut donner soi-même 1’instruction à son fils, qu’il la donne ; mais ne sacrifions pas nos facultés des sciences au profit d’une université militaire, où on n’enseignera qu’une seule partie des science à fond, la géométrie descriptive, mais où les hautes mathématiques ne seront jamais approfondies, non plus que les sciences naturelles, la chimie et la physique qui ne le seront que dans les universités.

Vous voyez que nous ne pouvons pas sacrifier les universités à l’école militaire.

M. Brabant. - M. Gendebien voudra croire que je n’ai pas voulu porter atteinte à la liberté d’enseignement. Je voudrais que tout le monde pût profiler des moyens d’instruction créés par la loi et payés par la nation. Mais l’école militaire est dans un cas particulier, l’élève qui en sort est sûr d’obtenir une place d’officier. C’est ainsi que la loi sur l’avancement a établi que pour parvenir au grade d’officier, il faut qu’on soit militaire. Je ne veux pas laisser l’alternative de prendre le bon et d’abandonner la charge.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour faire une simple réflexion. Quelle vocation peut avoir un enfant de 16 ans ? Pourquoi ne voulez-vous pas, quand il arrive à l’âge de 18 ou de 20 ans, le laisser maître de suivre ou de ne pas suivre la carrière militaire ? Vous en ferez donc un officier malgré lui ; vous aurez beau le soumettre à une discipline bien rigoureuse, vous n’y parviendrez pas. Qu’on y façonne le milicien qui ne s’en soucie pas, je le conçois, la loi, la constitution lui imposent le devoir de s’y soumettre ; mais faire un officier malgré lui, c’est impossible. On vous a cité le règlement de l’école militaire de France, où les jeunes gens sont soldats.

Mais jamais en France on n’a forcé un élève de l’école militaire à être officier malgré lui, il a la liberté de quitter l’école quand cela lui convient. D’ailleurs, il suffit qu’on soit officier pour pouvoir donner sa démission. Ainsi, je suppose que vous adoptiez l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries, un jeune homme prendra un engagement de 6 années ; mais si, quand il est devenu officier, il donne sa démission, comment l’empêcherez-vous de quitter le service ? Refuserez-vous sa démission, ce qui ne se fait jamais en temps de paix et très rarement en temps de guerre. Dès lors ce sera la chose du monde la plus facile d’éluder votre loi. Le législateur ne doit jamais porter de disposition facile à éluder et sans aucune sanction.

Si un père de famille veut faire donner à son fils l’éducation de l’école militaire, sans le destiner à l’état militaire, je persiste à soutenir que c’est porter atteinte à la liberté de l’enseignement ; c’est restreindre son choix, c’est le priver de la jouissance d’un établissement à la dépense duquel il concourt par ses contributions.

On a parlé de spéculation scandaleuse aux dépens des deniers de la nation ; on ne veut pas, dit-on, de pareilles spéculations. Mais s’il y a là spéculation, c’est au profit du gouvernement et du pays qu’elle est fort bonne.

Les dépenses de l’état-major, les frais généraux de l’établissement seront les mêmes qu’il y ait 10 élèves de plus ou de moins ; et ces 10 élèves qui ne se destineraient pas à la carrière militaire verseraient annuellement 8,000 fr., sans augmentation de dépenses ; ce serait donc 8,000 fr. de gagnés pour le trésor, moins le prix de la nourriture qui entre pour peu de chose dans les frais de l’établissement.

Comme l’a fait remarquer l’honorable M. Verhaegen, pour évaluer la dépense de l’école, il faut avoir égard au nombre des élèves ; il faut déduire des dépenses de l’école le prix de la pension. Or, si vous avez 100 élèves au lieu de 50, la dépense à porter au budget sera la même, et la rétribution des élèves produisant une somme double, il en résultera une économie de 50 p. c.

Vous voyez donc que toutes ces objections sont frivoles.

M. Devaux. - Je ne fais pas opposition à l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries, mais je crois qu’il doit être examiné ; il a été présenté tout à l’heure, et on pourrait l’adopter sans en connaître la portée. Je fais d’autant moins opposition à cet amendement que je crois qu’il peut se concilier avec le mien ; mais je ne crois pas qu’il ait la portée que suppose M. Brabant.

Vous faites prendre un engagement à un élève entré à l’école militaire depuis un an. Cet élève est nommé sous-lieutenant, et donne, je suppose, sa démission. Alors de deux choses, ou il se retirera sans autre charge ; ou il deviendra soldat ; c’est-à-dire qu’il aura un remplaçant ; c’est-à-dire enfin qu’il payera mille francs au lieu de 800 francs par an. Voilà dans l’opinion de M. Brabant toute la portée de son amendement, auquel d’ailleurs je ne vois pas grand inconvénient.

Mais je ne vois pas la possibilité de concilier l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries avec celui de M. Verhaegen. Vous faites prendre un engagement aux élèves de l’école militaire ; et à côté de cela il y aurait les facultés des universités de l’Etat ou des établissements libres où vous ne ferez pas prendre d’engagement. Comment concilier ces deux dispositions. Evidemment il y aurait inégalité en faveur des écoles préparatoires.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je crois que l’honorable préopinant donne à l’amendement de l’honorable M. Verhaegen une importance qu’il ne possède pas réellement. J’ai combattu cet amendement et je m’opposerai de tous mes moyens à son adoption. Je ne pense pas qu’il doive faire ajourner le vote sur l’amendement de MM. Brabant et Mast de Vries, qui me paraît de nature à lever beaucoup de difficultés, à faire cesser beaucoup de préventions.

- La séance est levée à 4 heures et 1/2.