(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837 et Moniteur belge n°328, du 24 novembre 1837)
(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La régence d’Audenaerde demande qu’il soit alloué, au budget de l’intérieur, une somme de 13,169 fr. pour réparer son hôtel-de-ville. »
« Les conseils communaux de St-Nicolas, de Lokeren, et d’un grand nombre de communes de l’arrondissememt de St.-Nicolas demandent un embranchement de chemin de fer de St.Nicolas vers la station de Wetteren. »
« Le sieur A. de Rosé, à Moulin, demande des droits protecteurs en faveur de la fonderie, batterie, et de toute fabrication en cuivre qui en Belgique ne peut maintenant soutenir la concurrence avec l’étranger. »
Il est fait hommage à la chambre des deux premières livraisons de la reprise de la correspondance mathématique et physique de l’observatoire de Bruxelles, par M. Quetelet.
M. Liedts. - Parmi les pétitions, il en est une de la régence d’Audenaerde qui réclame un subside pour réparer un des plus beaux monuments du pays. Comme il existe au département de l’intérieur des allocations de cette nature, je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la section centrale de l’intérieur, considérée comme commission spéciale, pour qu’elle fasse un prompt rapport sur l’objet du mémoire.
M. de Jaegher. - J’avais les mêmes observations faire que l’honorable préopinant ; je ne puis donc qu’appuyer sa demande de toutes mes forces, comme une question de convenance, et comme une question de justice.
- La proposition de M. Liedts est adoptée.
M. Pirson. - Parmi les pétitions, il en est une de M. le baron Rosé, propriétaire d’un établissement à Namur, où il fabrique le cuivre, par laquelle il demande des droits protecteurs. Déjà d’autres propriétaires de pareils établissements ont fait la même réclamation ; leurs pétitions ont été renvoyées à la commission d’industrie ; M. Zoude, au nom de cette commission, a présenté un rapport qui n’a pas eu de suite. Je demanderai le renvoi de la pétition de M. Rosé à la commission d’industrie, qui nous fera un nouveau rapport.
- La proposition de M. Pirson est adoptée.
M. Van Hoobrouck de Fiennes. - La commune de St-Nicolas et les communes environnantes demandent un embranchement du chemin de fer de St-Nicolas vers la section de Wetteren ; leur pétition doit attirer l’attention de la chambre ; je proposerai de la renvoyer la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics, pour qu’elle puisse émettre son avis.
- Le renvoi proposé par M. van Hoobrouck est ordonné.
M. Eloy de Burdinne écrit pour demander un congé de huit jours ; ce congé est accordé.
M. Metz est appelé à la tribune pour donner lecture de la proposition qu’il a déposée hier sur le bureau. Cette proposition a pour but d’augmenter d’un juge le tribunal de première instance de Diekirch. L’honorable membre demande à développer demain sa proposition, en présence de M. le ministre de la justice, qui aura probablement à s’expliquer.
M. de Puydt. - Messieurs, comme rapporteur de la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi sur l’école militaire, j’ai donné à la chambre les explications nécessaires pour motiver le parti qu’avait pris cette section centrale de présenter un amendement dans le but d’adjoindre à l’école une section pour le génie civil ; sous ce rapport, j’ai rempli le devoir de rapporteur. Mais la discussion d’hier et d’avant-hier ayant démontré aux membres de la section centrale que l’amendement devenait dans la chambre un prétexte pour une opposition systématique, ils se sont réunis et ils ont décidé qu’ils retiraient leur proposition ; je déclare donc au nom de cette section centrale que son amendement doit être regardé comme non-avenu. En mon particulier, j’adhère au projet du ministre de la guerre et je le défendrai de tous mes moyens.
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, avant de continuer à rencontrer les objections qui ont été faites par divers orateurs contre l’établissement de l’école militaire, ou plutôt contre le maintien de l’école militaire sur le pied où elle se trouve maintenant, je dois rappeler à votre attention deux points saillants de la discussion d’hier.
Je pense avoir établi qu’il n’y avait dans le projet aucune inconstitutionnalité : d’abord, parce que l’enseignement aux frais de l’Etat se trouve dans la constitution ; en second lieu, parce que l’école militaire dont il s’agit doit moins être envisagée, dans mon opinion, comme une école susceptible de produire des officiers pour les corps de l’armée, que comme formant, en quelque sorte, le premier degré de l’échelle des grades, et faisant partie de la carrière militaire ; de telle façon que le libre accès de cette école satisfait au vœu de la constitution, en ce sens que chacun peut élever des hommes propres à être admis dans les services publics.
J’ai établi que l’école était nécessaire dans sa double composition, c’est-à-dire, comme renfermant des cours généraux et théoriques, et comme renfermant des cours d’application. D’abord pour la cavalerie et l’infanterie elle est indispensable dans ses deux années, parce que sur ces deux années il y en a nécessairement une de pratique, deux années de théorie étant trop pour ces armes. Comme école préparatoire pour les armes spéciales, elle est nécessaire, on ne saurait en douter ; mais sous ce rapport elle est encore utile aux corps de l’infanterie et de la cavalerie, parce qu’elle conduit à alimenter ces deux armes de tous les jeunes gens qui, en avançant dans leurs études, renoncent à les pousser plus loin, ou ne présentent pas les dispositions nécessaires pour les conduire jusqu’au dénouement.
Peut-être même notre école doit être considérée comme nécessaire pour fournir aux armes de l’infanterie et de la cavalerie les officiers que ces armes doivent recevoir d’une école militaire ; car, pour d’ordinaire, on ne se présente pas pour ces armes ; de sorte que si les études n’y amenaient pas, une école particulière ne fournirait pas pour la cavalerie et l’infanterie les sujets nécessaires.
Si tous les élèves étaient propres aux armes spéciales, ce serait les derniers de la liste qui devraient forcément entrer dans ces deux dernières armes.
L’école préparatoire est nécessaire pour les armes spéciales elles-mêmes, parce que seule, par une constatation journalière des progrès des études, elle fournit une garantie suffisante que les officiers de l’artillerie et du génie, et même de l’état-major, se seront en quelque sorte assez bien assimilé les connaissances pour que instantanément ils puissent en faire l’usage que l’accomplissement de leurs devoirs réclamera : c’est là la véritable condition du savoir pour une arme spéciale ; un officier du génie ou de l’artillerie doit avoir son savoir à la main, il faut qu’il soit tel que jamais il ne puisse lui faire défaut. Cette nécessité n’existe pas au même degré pour les autres professions auxquelles conduisent les études scientifiques ; presque toujours dans ces autres professions, on a le temps de faire les recherches nécessaires aux besoins auxquels on est appelé à pourvoir. Tout ceci est, pour ainsi dire, le rapport moral ou intellectuel de l’école préparatoire.
Je pense avoir établi que le passage par cette école préparatoire n’est pas moins nécessaire dans l’intérêt de l’esprit militaire, de l’esprit de discipline. Elle a pour but d’empêcher le passage des élèves par des études faites dans un esprit essentiellement indépendant. L’école militaire doit donner l’esprit d’ordre et de subordination, dont il est impossible de se passer.
Je viens maintenant au discours de l’honorable M. Dechamps.
Cet orateur a prétendu que le gouvernement n’avait pas renoué au projet de la section centrale ; il en tirait la preuve de la nomenclature des cours qui est présentée dans l’article 2 de notre amendement ; cependant l’orateur a trouvé possible que ces cours fussent insuffisants pour tenir lieu d’école spéciale du génie civil et des mines.
Il me semble que, d’après cela même, on peut conclure qu’elle ne renferme rien de superflu pour une école militaire. En effet, si vous voulez bien réfléchir, messieurs, à ce qu’un officier du génie doit posséder toutes les connaissances d’un ingénieur des ponts et chaussées, vous comprendrez sans peine que cette nomenclature ne renferme rien de trop.
Du reste, les cours indiqués dans la nomenclature dont il s’agit, ne sont que ceux qui existent déjà à notre école militaire ; or, cette école est bien, dans l’état actuel des choses, purement militaire : par conséquent il n’est nullement juste de conclure de cette nomenclature que nous aurions l’arrière-pensée de vouloir établir une école polytechnique, devant fournir à toutes les fonctions pour lesquelles la connaissance des sciences est nécessaire.
Un autre argument présenté par l’honorable orateur contre le système de l’école militaire proposée pour notre pays, c’est l’exemple de ce qui se passe dans les pays étrangers, au moins dans ceux dont le système militaire nous est le plus connu ; dans tous ces pays, dit-il, les écoles préparatoires sont séparées des écoles spéciales. L’honorable M. Verhaegen avait répondu d’avance à cette objection, que la séparation des écoles préparatoires et spéciales, dans un grand pays comme la France, est une nécessité matérielle qui ne prouve nullement que si cette nécessité n’existait pas, la même séparation, le même système dût être adopté.
L’école polytechnique de France, qui est une école préparatoire pour les armes spéciales, n’est séparée de l’école d’application de Metz que d’une manière matérielle. L’école polytechnique est une véritable école militaire, elle a un régime entièrement miliaire, le temps qu’on y passe compte au service militaire, enfin ses élèves ont un grade militaire. C’est donc bien à tort que cette école a été assimilée aux universités, et j’ai eu raison de dire que c’est une véritable annexe à l’école d’application.
L’honorable orateur a prétendu que l’école polytechnique de France est la seule institution en quelque sorte où il y ait des facultés des sciences. C’est là, messieurs, une véritable erreur : il y a toujours eu en France et à Paris même des facultés libres des sciences, où pouvaient aller étudier tous ceux qui se destinaient aux professions libérales. Il suit donc de cette organisation de l’école polytechnique que, quoique cette école soit destinée à fournir des hommes habiles à toutes les professions qui exigent de l’habileté scientifique, cependant l’esprit militaire y domine, les institutions militaires y tiennent le premier rang. Si nous voulons suivre en cela l’exemple de la France, comme l’honorable orateur nous y a invités d’une manière détournée, alors, messieurs, nous devons aussi faire prédominer ici les institutions militaires, et ne pas les subordonner au danger, selon moi prétendu, qu’elles pourraient présenter, non pas pour les universités, mais seulement pour quelques cours des universités.
Vouloir, dans notre pays, séparer l’école préparatoire de l’école d’application, c’est morceler l’enseignement militaire, à tel point qu’il deviendrait véritablement impossible ; c’est mettre une disproportion extraordinaire et qui paraîtra insupportable, entre les dépenses et les produits ; c’est, pour me servir d’une expression de l’honorable orateur, rendre l’école militaire purement nominale.
M. Dechamps a passé en revue les institutions militaires de la Prusse, et il a prétendu que les écoles militaires de ce pays sont purement des écoles d’application. Il a fait l’énumération des établissements de ce genre qui existent en Prusse ; cette énumération, je la crois généralement exacte, cependant j’ai remarqué une lacune importante : les établissements militaires de la Prusse consistent, si je suis bien informé, en trois écoles spéciales, dont une pour l’état-major, une pour le génie et la troisième pour l’artillerie ; ces écoles sont séparées.
Il existe, en outre, en Prusse des écoles dites divisionnaires qui ont beaucoup d’analogie avec nos écoles réglementaires, étant établies pour les soldats et les sous-officiers ; il n’est pas à ma connaissance qu’il y ait des écoles d’artillerie par brigade. Mais il existe en Prusse quatre écoles dont l’honorable orateur n’a pas fait mention ; ce sont les écoles qu’on appelle écoles des cadets ; ce sont celles-là qu’on peut regarder comme ayanl un rapport avec notre école militaire proprement dite. Eh bien, messieurs, dans les écoles des cadets, la durée des cours peut aller jusqu’à 12 ans ; on y prend des enfants et on en fait sortir des officiers ; certes, des écoles de ce genre ne peuvent pas être des écoles d’application.
A Vienne, il y a une école du génie militaire dont les cours durent 6 ans ; ce n’est pas là non plus une école d’application. A l’académie militaire de Dresde, les cours durent 5 ans ; ce n’est pas encore là nos écoles d’application. Ainsi, messieurs, de toute cette partie de l’argumentation de l’honorable M. Dechamps, il faut tirer la conclusion toute contraire à la sienne ; c’est que si nous voulons mettre notre système d’instruction militaire en harmonie avec celui de tous les pays de l’Europe qui ont un système militaire, il faut que nous maintenions l’adjonction de l’école préparatoire à l’école d’application.
L’honorable orateur a voulu, messieurs, vous effrayer des conséquences de l’adoption d’un semblable système : il vous a parlé d’une grande école centrale. Messieurs, cette école militaire, pour être en harmonie avec notre système militaire, devra contenir tout au plus 80 à 120 élèves, dont un quart, environ, pourra appartenir aux armes savantes. Voilà donc, messieurs, la mesure du mal que cette école militaire pourrait, s’il y avait lieu, faire aux universités ; vous conviendrez que cette mesure est extrêmement faible, et que les universités n’en ont rien à craindre.
D’ailleurs, messieurs, il n’existe pas pour les universités de droits acquis en ce qui concerne les élèves qui se destinent à la carrière des armes ; je ne pense pas qu’il en ait été fait mention le moins du monde lors de la loi sur l’enseignement supérieur ; l’étude des sciences a été organisée dans l’intérêt de la médecine, du génie civil, des mines, mais nullement dans l’intérêt du service militaire ; personne certes n’a pensé alors faire des officiers ou des candidats officiers avec les élèves des universités ; dans tous les cas la loi n’en parle pas, et, par conséquent, dans l’état actuel des choses, les universités n’ont pas de droits acquis pour fournir des élèves à l’école spéciale militaire.
L’honorable orateur a proposé d’établir l’école militaire dans une ville d’université, afin que les élèves de l’université puissent alimenter l’école spéciale ; je crois, messieurs, qu’il n’est pas besoin que je rentre dans cette question, puisqu’il a été suffisamment établi qu’une semblable alliance n’est pas possible.
Les objections de l’honorable M. Lejeune ont été, à peu de chose près, les mêmes que celles de M. Dechamps ; je n’aurai par conséquent que peu de chose à y répondre ; je dois cependant m’élever d’abord contre l’idée qu’il a émise que la chambre n’avait dû s’attendre qu’à la présentation d’un projet secondaire, concernant l’école militaire. Je pense au contraire, messieurs, que la loi sur l’école militaire est une loi d’une très grande importance, dès l’instant qu’une loi est nécessaire pour fonder une école militaire. Il est sans doute superflu de développer que nous avons besoin d’une armée et d’une bonne armée. Or, pour avoir une bonne armée, une armée pénétrée d’un bon esprit, il est nécessaire de l’alimenter d’officiers suffisamment instruits, et dès lors il est nécessaire d’avoir une école militaire fortement organisée.
L’honorable orateur a dit qu’il fallait d’autant moins porter atteinte à l’existence des universités que les facultés des sciences, qui existent auprès des universités, sont à peine soumises au creuset de l’expérience qu’elles n’existent pour ainsi dire pas encore. D’abord, je conteste que l’école militaire puisse porter atteinte à l’existence des universités ; mais je demanderai à l’honorable orateur comment on pourrait faire dépendre l’existence de l’école militaire des cours qui se donnent aux universités, alors que ces cours n’existent pour ainsi dire pas encore ; car quand même ces cours existeraient depuis longtemps, il suffirait qu’ils ne soient pas reconnus éminemment propres à produire de bons élèves pour l’école militaire, pour que ce fût une grande imprudence d’en faire dépendre le sort de cette école.
L’honorable orateur a été également d’avis que l’abandon du projet de la section centrale n’était pas sincère de la part du gouvernement, et il a donné pour raison de son opinion les motifs d’abandon que j’ai allégués. L’honorable membre a prétendu que cet abandon était faible ; je ne sais pas trop ce qu’on peut entendre par un abandon faible ou fort ; l’abandon est une chose absolue, et il est même indépendant des motifs. L’abandon a été sincère de ma part, et je pense que la chambre n’en a pas douté un instant.
L’honorable orateur a profité de l’occasion pour déclarer que le département de la guerre manifeste une tendance à se mettre à côté de la question constitutionnelle. Je pense que je n’ai pas à répondre à cette espèce d’accusation ; il sera temps de rencontrer les faits quand ils seront précisés, ou plutôt quand ils seront à l’ordre du jour ; la discussion m’en paraît inutile en ce moment, elle ne pourrait que compliquer celle du projet concernant l’école militaire.
Le gouvernement ayant abandonné l’amendement de la section centrale, tendant à faire établir une école polytechnique dans notre pays, il n’y aura plus dès lors à discuter le projet de l’honorable M. Vandenbossche. Je n’aurais donc pas à répondre à son discours, s’il n’avait fait au projet de l’école militaire un reproche sur lequel il a beaucoup insisté, celui de ne faire en aucune façon mention de l’instruction religieuse.
Messieurs, cette question est fort grave, et il me semble que tout ce qui pouvait être fait dans le projet de loi a été fait.
Le personnel de l’école militaire doit être augmenté d’un aumônier ; lorsque la loi sera votée, et que l’aumônier sera nommé, il sera temps sans doute de concerter avec celui-ci les fonctions qu’il aura à remplir.
Il y a cependant une observation très importante que je crois devoir faire dès à présent. Que dans un collège tout à fait libre, où les parents peuvent mettre ou ne pas mettre leurs enfants, selon qu’ils le jugent à propos, il y ait une instruction religieuse possible, cela, je le conçois aisément, parce que les parents restent entièrement juges de la manière dont cette instruction doit être donnée ; mais quand il s’agit d’une institution obligatoire, quand il s’agit d’une institution qui peut être regardée comme faisant déjà partie de la carrière active de la vie, je pense qu’il faut bien réfléchir avant d’introduire une instruction obligée. Je crois que le véritable esprit de la constitution exige que l’on y laisse sous ce rapport toute la latitude possible.
J’ai déjà rencontré une partie des objections de l’honorable M. Gendebien. Cet honorable orateur s’est moins occupé peut-être de l’école militaire en elle-même que de l’instruction en général qu’il convient de donner dans l’armée.
Jusqu’à présent on a reproché au ministre de la guerre de ne pas avoir donné à cette instruction tous les soins possibles. Je pense que si le fait est vrai, sa justification existe dans l’état où s’est trouvée l’armée. L’armée sur pied de guerre ayant beaucoup de service à faire, n’étant pas dans une position stable, il a été impossible d’organiser dans son sein une instruction telle qu’elle doit être en temps ordinaire, lorsque l’armée est sur le pied de paix et qu’elle a des garnisons fixes. Du reste, comme cet état peut durer encore très longtemps, je pense que le moment est venu de chercher à faire une organisation qui produise plus d’effet ; je me suis déjà occupé de cet objet, et je m’en occuperai encore avec préférence.
L’honorable orateur a prétendu qu’on cherchait à introduire l’esprit d’ignorance dans l’armée ; il me semble que la preuve du contraire se trouve dans le projet de loi actuel qui, aux yeux de quelques autres membres, enferme du superflu en fait d’instruction ; mais l’honorable orateur, en expliquant sa pensée, a montré qu’il confond l’esprit d’ignorance avec l’esprit de discussion qui se porte sur tous les objets du service, avec ce qu’on appelle vulgairement l’esprit raisonneur. Je crois qu’on fait très bien de combattre cet esprit, au lieu de chercher à le faire développer.
L’honorable orateur s’en plaint que les sous-officiers et soldats ne fussent pas appelés à l’école militaire ; mais, messieurs, il y a dans le projet de loi un article spécial qui étend, pour l’admission à l’école, la limite de l’âge en faveur des sous-officiers et des soldats ; les dispenser des autres conditions d’admission ne me paraîtrait pas équitable.
Comme je l’ai déjà fait observer hier, le sort des sous-officiers est loin d’être mauvais dans l’état actuel des choses. La loi sur l’avancement leur assure la moitié de toutes les places d’officier, et de plus, toute la partie de l’autre moitié à laquelle l’école militaire n’aura pu fournir ; je pense que cela augmentera encore considérablement la part des sous-officiers dans l’avancement.
Enfin, l’honorable orateur s’est plaint qu’il n’y eût pas un cours où l’on professât en quelque sorte les hautes sciences stratégiques ; ce serait, pour ainsi dire, le couronnement de notre édifice militaire. Je pense que c’est là une fort belle idée ; mais, à mon avis, c’est une véritable utopie qui n’est pas susceptible d’exécution.
En effet je demanderai d’abord quels seraient les professeurs de cette école des hautes sciences stratégiques ? A coup sûr on devrait appeler à ces fonctions les généraux les plus habiles de l’armée ; seuls ils auraient eu le droit de professer de tels cours. Or, il n’est pas douteux que l’on ne puisse employer ces généraux dans des fonctions beaucoup plus nécessaires.
D’ailleurs, les parties transcendantes de toutes les sciences ne s’enseignent pas, elles s’apprennent ; l’éducation que l’on peut donner dans les écoles doit se borner à fournir les éléments nécessaires et à développer l’aptitude à atteindre aux parties les plus élevées de la science ; mais il n’est possible nulle part de les professer.
Pour les militaires, le véritable objet de ces hautes sciences, c’est le champ de bataille, c’est le champ des manœuvres, c’est la vie des camps, c’est l’étude de l’histoire, ce sont des mémoires particuliers des généraux, c’est enfin la méditation ; mais ce n’est pas là l’enseignement des écoles.
Quant aux exercices, propres à leur profession, à faire faire par les officiers, ils ont lieu quand le service le permet. Les officiers de l’état-major font sans cesse des reconnaissances d’étude, quand ils ne font pas des reconnaissances effectives. Quant aux officiers du génie, dès qu’ils arrivent dans une place, ils doivent en faire un mémoire d’attaque et de défense. Les officiers d’artillerie sont continuellement occupés d’examiner tous les perfectionnements, toutes les améliorations, toutes les inventions nouvelles qui, dans cette arme, se reproduisent plus souvent que dans toutes les autres applications des sciences.
Il est une autre objection plus grave, par laquelle l’honorable orateur a terminé son discours. Il s’est élevé contre les écoles militaires, en prétendant que ces écoles fournissent des demi-savants, des pédants bien plus propres à exciter parmi leurs camarades la jalousie et le trouble, qu’à y entretenir un esprit d’union et de concorde.
Messieurs, si tels devaient être les résultats de l’établissement d’une école militaire, certes, je ne me donnerais pas la peine de le défendre.
Mais l’honorable M. Verhaegen a déjà répondu à M. Gendebien, en signalant les bons effets que la présence d’un petit nombre d’officiers sortis de l’école militaire avait produits dans les corps de l’armée.
L’effet ordinaire d’une bonne éducation et d’une instruction complète n’est pas de produire le pédantisme, de produire un esprit de chicane et de désunion. Mais les avantages que possèdent ceux qui l’ont reçue ont souvent le malheur d’exciter l’envie.
Il se peut donc que quelques sous-officiers, mécontents, voient avec peine des jeunes gens instruits dans les corps. Mais, par l’expérience non seulement de notre pays, mais encore de tous les autres pays, et notamment de la France, je crois pouvoir rassurer la chambre à cet égard, et affirmer que c’est le très petit nombre de cas ; et en général, l’on se trouve parfaitement bien partout de l’introduction dans l’armée des jeunes gens instruits, bien élevés, et sortant d’une école militaire.
L’honorable M. Devaux a prétendu que c’était un devoir pour le gouvernement et pour les chambres de prendre en main les intérêts des universités, et d’empêcher tout ce qui pouvait porter atteinte à leur prospérité. J’accorde cela bien volontiers, si l’honorable orateur veut le restreindre dans les limites ordinaires de toute espèce de droits.
En abandonnant l’adjonction des cours civils à l’école militaire, je pense que le gouvernement a suffisamment satisfait à cette obligation, à laquelle l’honorable membre a fait un appel ; mais je pense aussi que le gouvernement irait beaucoup trop loin, s’il consentait à l’abandon total ou partiel de l’école militaire, telle qu’elle est actuellement constituée.
C’est, dit l’honorable membre, se placer dans un horizon tout spécial ; j’avoue pour ma part que dans une circonstance pareille j’accepte comme un éloge le reproche de se placer dans un horizon spécial. Comme je l’ai déjà dit, j’espère que l’école militaire ne porta aucune atteinte aux facultés des sciences des universités ; mais, je le répète, s’il fallait opter entre le sacrifice de ces facultés et celui de l’école militaire, je regarderais comme mon devoir de ne pas hésiter sur le choix. Mais mon opinion est qu’il ne faut sacrifier ni l’un ni l’autre de ces établissements ; et l’école militaire, celle qui existe, peut très bien subsister sans que les universités souffrent, ou du moins sans qu’elles doivent en périr : c’est là l’opinion de M. Devaux lui-même ; car il est convenu que le coup qu’elles pourraient recevoir ne serait pas un coup fatal. Il en peut donc résulter tout au plus une diminution dans leur prospérité. Or, je ne pense pas qu’on puisse et veuille racheter cette diminution au prix d’une institution aussi importante que l’école militaire.
L’honorable orateur a prétendu que l’enseignement, ainsi disséminé dans trois institutions, serait nécessairement pauvre dans toutes les trois. Je ne crains pas que l’instruction soit pauvre dans l’école militaire, si on la conserve dans son organisation actuelle.
La méthode sera toujours très bonne, et la discipline qui règne dans l’école fera que de cette méthode et de cette instruction elle-même on tirera tout le fruit possible. L’honorable orateur a cru devoir induire une infériorité d’instruction de l’infériorité du traitement, même dans le cas où on adopterait le projet du gouvernement, par l’absence des minervaliens. Il y aurait moyen de leur affecter une partie de la pension des élèves. Mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. En portant les traitements des professeurs de l’école militaire au taux de ceux des professeurs de l’université, ce qui est équitable, je crois qu’ils se trouveront suffisamment rétribués, et que l’infériorité de leur traitement leur semblera toujours compensée par l’honneur de contribuer à la prospérité d’un établissement aussi utile et aussi beau que l’école militaire actuelle.
L’honorable orateur se demande : Qu’est-ce qui garantit, dans l’intérêt de la faculté des sciences de l’université, que l’école militaire ne fournira que des militaires ?
Je dirai les faits tels qu’ils se sont passés jusqu’à présent, c’est-à-dire que, des jeunes gens qui sont entrés à l’école militaire, il n’en est aucun qui soit sorti pour entrer dans un autre service. J’ai la conviction entière qu’on n’entre à l’école militaire, qu’on ne se soumet à la discipline sévère de cette école, et au travail considérable auquel on doit s’y livrer, que quand on a une vocation bien prononcée pour l’état militaire, et qu’ayant la faculté d’entrer dans le génie civil ou dans les mines, ou d’être employé dans les établissements d’industrie en suivant les cours universitaires, on donnera toujours la préférence à ce moyen d’acquérir l’instruction qui leur est nécessaire.
Ce sont surtout ceux qui veulent se livrer à l’industrie, que l’honorable orateur a présentés comme devant alimenter l’école militaire aux dépens des universités. Je crois que le danger est infiniment moindre qu’il ne le suppose, parce que les jeunes gens qui se destinent à l’industrie doivent avoir un trop grand amour d’indépendance, et par conséquent trop d’éloignement pour la discipline militaire, pour se soumettre à ce que ce régime a d’assujettissant et arriver ensuite à un emploi indépendant dans l’industrie.
L’honorable membre a proposé de transférer l’école militaire auprès d’une université, et de subordonner à l’école militaire les facultés des sciences des universités.
Il faudrait alors les séparer des écoles des armes spéciales. Sans parler des inconvénients que pourrait présenter l’adjonction de l’école militaire à l’université, je dirai que, pour les école d’application, il y en aurait un grand en ce que ces écoles, n’ayant que leurs professeurs propres, coûteraient trop cher, nécessiteraient des dépenses trop grandes.
Maintenant, je dirai que l’adjonction et la subordination des facultés des sciences de l’université à l’école militaire me paraît une chose très hasardeuse.
J’ai déjà dit qu’il y avait incompatibilité entre l’esprit d’une école militaire et l’esprit d’une université. Je pense qu’il y aurait de grandes difficultés à établir la subordination entre les professeurs et le commandant ou directeur de l’école militaire. Cette difficulté même, il faut bien en convenir, serait en ce moment beaucoup plus grande, par la raison que cette discussion a établi une division entre l’école militaire et l’université. Il y aurait résistance, frottement, dont la conséquence serait fâcheuse pour l’un et l’autre établissement.
Je terminerai par une observation que je crois être dans un esprit d’équité et non dépourvue d’importance.
Dans toute cette discussion, l’école militaire a été présentée comme venant déposséder les universités. Au contraire, ce sont à mon avis les universités qui viennent déposséder l’école militaire de ce qu’elle possède actuellement. L’école militaire, celle qu’elle est maintenant, existe depuis 1831, et plus particulièrement depuis 1834, dans sa forme actuelle. Si elle n’a pas reçu dès l’abord toute son extension, c’est que, pour prendre cette extension, il lui fallait quatre années d’existence.
La loi sur les universités n’a été portée qu’en 1835, et ce qui concerne les facultés des sciences n’a été organisé qu’en 1836, et je crois même que ce n’est pas encore complétement organisé. Il est donc de fait que l’école militaire était en pleine possession de l’enseignement des sciences, quand les universités ont été établies. De plus, depuis leur établissement, les universités n’ont jamais pu s’attendre à être en possession des cours préparatoires pour l’école militaire ; ce serait un avantage inattendu qu’on leur procurerait au détriment de l’école militaire.
Il faut donner à l’instruction militaire, dans notre pays, une part réelle.
Notre école militaire, telle que nous la possédons et telle que quelques membres out pu la voir, forme une instruction complète qui peut se suffire et qui fera toujours honneur en pays.
L’honorable M. Verhaegen vous a lu une lettre de M. Arago, qui paie un juste tribut d’éloges à notre école militaire. Je n’ai pas besoin de faire observer qu’un juge plus compétent ne pouvait pas venir rendre témoignage de la bonté de l’école. Ce que M. Verhaegen vous a lu, je puis vous le redire d’après les paroles mêmes de l’illustre savant.
Je suis du nombre des élèves qui ont assisté aux premiers cours qu’il fit sur le système du monde à l’école polytechnique. Il n’avait aucune raison pour venir me rendre visite, quand il est passé en Belgique ; mais il a cru devoir le faire, et il m’a donné pour raison le besoin qu’il éprouvait d’exprimer combien il avait été satisfait de l’organisation de notre école militaire.
Ainsi, de l’aveu d’un des premiers savants, d’un des plus illustres professeurs de l’Europe, nous possédons une école militaire aussi parfaite que nous pouvions espérer de la former.
J’avoue que je suis très fier de cet hommage rendu par un homme d’un aussi haut mérite.
Si nous devions détruire cette école, je regretterais qu’un témoignage aussi éclatant lui eût été publiquement rendu, et je considérerais comme plus pénible de supporter la tâche d’assister à sa chute, que glorieux d’avoir reçu un si beau compliment.
(Moniteur belge n°328, du 24 novembre 1837) M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai soutenu le projet du gouvernement relativement à l’établissement de l’école militaire, avec les adjonctions des écoles préparatoires, parce que j’ai pensé que cet établissement est indispensable à notre pays ; j’ai soutenu aussi le projet de la section centrale, relativement à l’adjonction des sections du génie civil et des mines, parce que j’ai cru cette adjonction utile aux besoins du siècle. J’ai pensé que jamais une occasion aussi belle ne se présenterait pour créer en Belgique une école polytechnique. En un tout, j’ai soutenu ce que j’ai cru être bon, comme je soutiendrai tout ce qui me paraîtra bon, n’importe d’où vienne l’initiative.
A mon entrée dans la chambre, j’ai entendu dire tantôt par l’organe de la section centrale, qu’elle ne soutenait plus son projet d’adjonction des écoles spéciales du génie civil et des mines. M. le rapporteur a donné pour raison que la section centrale désespérait de son projet, parce que la majorité paraissait se prononcer contre son système. Comme il n’entre pas dans mes vues de marcher contre l’opinion d’une majorité, je me conformerai en ce qui me concerne au changement que vient d’adopter la section centrale ; je me bornerai à défendre le projet présenté par le gouvernement.
Ma tâche sera d’autant plus facile que beaucoup de raisonnements, qui échappaient en soutenant les deux projets, viendront moralement à mon secours, à l’effet de démontrer que le projet du gouvernement doit recevoir votre approbation.
D’abord il se présente ici quelque chose de bien extraordinaire : il y avait une école militaire à Bruxelles (M. le ministre vient de vous le dire) instituée depuis 1830, et établie d’une manière plus complète depuis 1834 ; on voulut, au moyen d’une loi, confirmer son existence, et c’est au moment où l’on discute la loi que tout est remis en question.
Quelques-uns de nos honorables collègues pensent que le projet contrarie la liberté d’instruction ; quelques autres estiment que le projet est en opposition avec les intérêts bien entendus des universités de l’Etat ; d’autres encore pensent que l’intérêt des masses se trouve sacrifié au profit d’une classe privilégiée, tous cependant sont d’avis qu’une école militaire est indispensable. Il ne s’agit que de se mettre d’accord sur les moyens d’arriver au but qu’on se propose.
Notre école militaire existe depuis 1834 dans l’état où elle est maintenant. Ceux dont les opinions politiques sont conformes à la conservation ou à la reconstruction devraient être d’accord avec nous pour maintenir ce qui est, quand il est démontré qu’il doit en résulter un bien pour la généralité, et lorsqu’il est incertain que ce qu’on demande produira des résultats aussi beaux que ceux obtenus jusqu’à présent.
Je m’explique.
L’école militaire telle qu’elle existe aujourd’hui a donné de beaux résultats. Des étrangers d’une haute réputation les ont appréciés ; mais on doit ces résultats aux écoles préparatoires existant dans l’établissement ; on veut les faire disparaître et les remplacer par les facultés des sciences des universités de l’Etat. Mais est-on sûr d’obtenir les mêmes résultats ? N’est-il pas prudent d’attendre, comme je le disais dans une séance précédente. Si vous espérez tôt ou tard que d’aussi bons résultats seront obtenus dans les universités de l’Etat, il sera temps assez de faire alors ce que l’on demande de faire aujourd’hui.
L’école militaire a donc pour elle son existence actuelle ; y toucher serait dangereux lorsqu’on n’est pas sûr d’obtenir la même chose par une reconstruction, dans l’opinion surtout de ceux qui se proclament partisans de la politique de construction et de conservation ; en attendant que l’on puisse faire mieux avec la garantie que l’on aura mieux, ne devons-nous pas conserver ce qui est ?
J’ai eu l’honneur de vous le dire tantôt, si au milieu de toutes ces divergences d’opinion on peut atteindre ce résultat de mettre tout le monde d’accord sur les moyens alors que l’on est d’accord sur le but, aura levé toutes les difficultés. Je pense qu’il est facile de mettre tout le monde d’accord ; et les craintes exprimées par trois honorables préopinants (MM. Gendebien, Dechamps et Lejeune) doivent disparaître si on admet l’amendement que j’ai eu l’honneur d’annoncer dans une des premières séances.
La liberté d’instruction se trouve, dit-on, froissée : d’abord c’est une question à l’égard de laquelle on peut élever des doutes sérieux, tout en adoptant le projet du gouvernement tel qu’il est. Déjà M. le ministre de la guerre est entré, à cet égard, dans des explications qui m’ont paru satisfaisantes.
Mais ce qui est incontestable, c’est qu’en admettant les élèves à l’examen d’un jury central, la liberté d’instruction reste intacte, car la liberté d’instruction est tout entière dans l’institution d’un jury central.
J’ai développé à cet égard mon opinion dans une séance précédente. Pour ce qui me concerne, j’abandonnerais volontiers la nomination du jury au ministère responsable de ses actes. Je crois qu’un jury ainsi formé offrirait au moins autant de garanties qu’un jury composé d’une autre manière. Mais c’est pour ne froisser aucune opinion, pour ne blesser aucune susceptibilité, que dans mon amendement je laisse le jury tel qu’il est organisé par la loi sur l’enseignement supérieur. Ainsi, plus de crainte pour ceux qui invoquent la liberté de l’instruction. Quiconque aura de la capacité, n’importe où il aura étudié, que ce soit dans les universités de l’Etat, dans les universités libres ou dans des institutions particulières, pourra être admis à l’école d’application. Ceci répond aussi aux craintes de l’honorable M. Gendebien, avec lequel je regrettais de ne pas être d’accord dans cette occurrence.
L’honorable M. Gendebien a dit que c’était créer une aristocratie militaire que d’organiser l’école de telle sorte que le simple soldat ne puisse y entrer. Mais en admettant encore une fois un jury central et, à côté de ce jury, une instruction primaire réglementaire, ainsi que l’honorable M. Gendebien l’a demandé et comme M. le ministre de la guerre l’a promis, en s’engageant de présenter incessamment un projet de loi sur ce point ; enfin en autorisant la création de bourses (et ici je ne m’opposerai pas à ce qu’on augmente le nombre des bourses, pour que les masses soient mises à même de profiter de cette faveur), les objections de mes honorables collègues viendront à cesser.
S’il y avait des écoles régimentaires et de bataillon, si on ajoutait à cela, comme on l’a dit, des écoles normales de sous-officiers, alors le simple soldat serait en état d’arriver aux positions les plus éminentes. Mais, dira-t-on, il n’aura pas les ressources pécuniaires nécessaires ; à cela je réponds que s’il fait preuve des talents requis, s’il est admis par le jury, on lui accordera une bourse. Il y aura donc pour le pauvre comme pour le riche moyen d’arriver à l’école spéciale ; il y aura pour le soldat, comme pour tout autre, possibilité d’arriver aux grades les plus élevés.
Pour atteindre ce but, auquel nous devons tendre, il sera nécessaire de créer 24 bourses au lieu de 12. A cet égard, il ne faut pas que l’économie nous arrête, car il s’agit de l’instruction du peuple ; pour moi, je le déclare, je donnerai mon assentiment à la création du nombre de bourses nécessaire pour que le soldat puisse arriver à la faveur de l’instruction que nous réclamons pour lui, faveur qui n’est après tout que justice ; mais en agissant ainsi toutes les exigences seront satisfaites.
L’honorable ministre de la guerre, répondant à l’honorable M. Gendebien, a dit qu’on ne pouvait forcer les personnes d’un rang élevé à passer par les premiers degrés, à être soldats pour devenir officiers ; cette opinion est donc en présence des inconvénients signalés par l’honorable M. Gendebien ; mais le tempérament de mon amendement concilie les deux opinions. Il ne faudra pas que l’individu de la classe aisée passe par les premiers grades ; lorsqu’il aura acquis les connaissances nécessaires pour entrer à l’école d’application, ii sera reçu. Le simple soldat qui aura acquis ses connaissances dans les écoles régimentaires, ou autres écoles qui seront créées, pourra se présenter. Le défaut de moyens pécuniaires ne sera pas une objection ; la création de bourses y pourvoira.
Ainsi se trouvent conciliées les exigences de ceux qui invoquent la liberté d’instruction et de ceux qui invoquent l’intérêt des masses ; nous serons donc arrivés à ce résultat que tout le monde, quelle que soit son opinion, ne pourra trouver d’objections contre l’établissement des écoles préparatoires à côté des écoles spéciales.
D’après l’amendement que j’ai présenté, on ne pourra se fonder ni sur la liberté d’enseignement, ni sur l’intérêt des masses pour refuser son assentiment au projet.
Mais d’autres honorables collègues invoquent l’intérêt des universités de l’Etat. Ceci peut n’être qu’un prétexte dans l’opinion de quelques-uns, et est peut-être le résultat d’une opinion consciencieuse chez quelques autres. Ces derniers sont ceux-là qui, lors de la discussion de la loi organique de l’enseignement supérieur, pensaient qu’une seule université aurait suffi aux besoins du pays. Si nous en étions à ce temps-là, je partagerais à tous égards l’opinion de ces honorables collègues, car je crois qu’une seule université, forte et bonne, établie dans la capitale (car c’est là que sa place était marquée), je crois qu’une telle université avait le plus bel avenir. Mais enfin les choses ont changé de face ; on a créé deux universités, il faut subir aujourd’hui les conséquences d’un fait accompli.
Loin de nous la pensée de vouloir porter le moindre préjudice aux deux universités de l’Etat ; nous pensons qu’on doit mettre en œuvre tous les moyens pour les faire prospérer ; mais malheureusement la position de ces deux universités est telle, qu’elles semblent n’avoir plus d’avenir. A cet égard, lors de notre premier discours, nous avons dit toute notre pensée.
En effet, voyons (et ceci va répondre à une objection quant au besoin d’une école militaire avec toutes ses dépendances) ; voyons quel a été le résultat des examens de la faculté des sciences des universités de l’Etat. Prenons d’abord la dernière section, qui est la plus remarquable, nous passerons ensuite à la première.
A l’université de Liége, pour la faculté des sciences, trois élèves se sont présentés, aucun n’a été reçu ; 3 ont été rejetés.
A l’université de Gand, pour la faculté des sciences, aucun élève ne s’est présenté.
Prenons la session précédente :
6 élèves de la faculté des sciences de l’université de Liége s’étaient présentés : 2 ont été reçus avec satisfaction ; 2 se sont retirés ; 2 ont été rejetés.
A Gand, 8 se sont présentés ; trois ont été reçus d’une manière satisfaisante ; 4 se sont retirés et 1 a été rejeté.
Vous voyez que le résultat de ces examens est loin d’être brillant. Que l’on me dise où le ministre de la guerre ira chercher des sujets pour ses écoles spéciales ? S’il eût été les chercher à Liége ou à Gand, il n’en eût pas trouvé.
Voyons maintenant les résultats des examens des sections préparatoires de l’école militaire.
En 1836, l’école préparatoire a présenté 23 individus et les examens ont donné pour résultat la preuve que ces 23 individus avaient des capacités suffisantes, et qu’ils avaient fait des études brillantes.
Je me suis enquis de la manière dont se faisaient ces examens ; et j’ai pu me convaincre que la plus grande impartialité y présidait.
Les diverses matières sur lesquelles roulent les examens représentent un certain nombre de notes. Toutes ces notes réunies forment un total de 520, dont la moyenne, qui est de 260, doit être dépassée pour être admis. Or, sur les 23 élèves, douze ont dépassé de beaucoup 260, et parmi les autres il y en a qui sont parvenus à 400 et même qui ont passé 460.
En 1837, se sont présentés 16 élèves qui devaient atteindre aussi la moyenne de 260 en bonnes notes. 15 ont été admis avec un nombre considérable de notes ; la plupart dépassaient 300 et même le chiffre de 400. Un seul a été rejeté, parce qu’il n’avait que 245.
Les universités sont restées évidemment au-dessous de semblables résultats.
Il ne s’agit plus dans l’occurrence du génie civil et des mines ; l’on abandonne ces spécialités aux universités de Gand et de Liége qui présentent, outre les écoles préparatoires, les écoles d’application ; mais nous demandons pourquoi on mettrait l’école militaire dans une position différente de celle de ces écoles civiles ? En dernière analyse, les universités de Gand et de Liége sont des universités civiles, et l’école militaire doit être une université militaire. Si les universités ont leurs écoles préparatoires organisées en raison de leurs besoins, laissez donc aussi à l’université militaire son école préparatoire appropriée aux besoins de son école d’application.
A Gand, il y a faculté de droit, de médecine, de génie civil ; la faculté des sciences y est organisée de manière à satisfaire aux besoins des trois écoles spéciales d’application. A Liége, il y a faculté de droit, de médecine, et école spéciale des mines, et la faculté des sciences est organisée de manière à satisfaire aux besoins de ces trois écoles d’application. Il faut donner à l’école militaire ce que vous avez donné aux écoles civiles, une instruction préparatoire avant l’école d’application. Pourquoi voudriez-vous traiter moins favorablement les sciences militaires que les autres sciences ? Vous avez deux universités civiles indépendantes par leur organisation ; mettez donc l’université militaire dans la même indépendance pour qu’elle puisse arriver aux résultats qu’elle se propose. Cela paraît juste ; cela paraît raisonnable ; et je ne sais pas comment le projet du gouvernement peut rencontrer des objections sérieuses.
L’honorable M. Devaux, critiquant le projet du gouvernement, trouvait trois moyens pour parer aux inconvénients qu’il lui reprochait. Laissez, disait-il, l’école militaire telle qu’elle doit être comme école d’application et renvoyez l’école préparatoire aux universités ; l’instruction préparatoire de ces établissements sera aussi bonne que celle de l’école du ministre de la guerre. Je ne puis admettre cette prétention. D’après ce que avons eu l’honneur de vous dire dans l’une des précédentes séances. Il y a dans l’école militaire des travaux poussés d’un tel degré de perfection qu’il serait impossible de trouver ce degré ailleurs, et notamment en ce qui concerne les travaux graphiques. Nous avons prié nos honorables adversaires de visiter l’école militaire ; nous avons supplié la chambre de demander ici les productions de ces nombreux élèves, pour que tout le monde en juge. Nous les avons vues, nous les avons admirées nous en avons été dans l’enthousiasme.
Quand il s’est agi de bonneterie, on a fait des enquêtes ; on a fait comparaître devant vous les objets mêmes ; que l’on agisse ainsi pour les travaux des élèves de l’école militaire, s’il y a des incrédules ; si les travaux des élèves des universités sont aussi parfaits, qu’on les dépose sur le bureau, et nous verrons qui mérite la préférence. Mais je n’ai pas besoin de ces documents pour être convaincu que les universités ne présenteraient pas la même perfection.
L’honorable M. Devaux a élevé des doutes quant à la discussion mais un amendement du ministre de la guerre a fait disparaître ses doutes. Cet amendement a pour but de ne retenir les officiers de cavalerie et d’infanterie que pendant deux ans à l’école. Mais ici l’on n’a pas saisi le mécanisme de l’établissement.
Il se fait la première année un examen ; et si par cet examen l’on n’acquière pas la conviction que les sujets qui se présentent pour les armes savantes, ne sont pas capables d’entrer un jour dans l’artillerie et dans le génie, on les arrête là, et ils sont classés dans l’infanterie et dans la cavalerie ; et toutes leurs études sont terminées au cours de la seconde année. C’est à quoi M. Devaux n’a pas pensé. Il résulte de ceci que le premier moyen proposé par cet honorable membre, consistant à conserver aux universités les études préparatoires, est impraticable.
Le deuxième moyen proposé, c’est de transporter l’école militaire à Gand ou à Liége. Le ministre de la guerre a déjà répondu en partie aux inconvénients d’un pareil système. Il faudrait pour les jeunes gens de l’école militaire le casernement, car on le considère comme indispensable ; cependant il y aurait dans le même établissement des élèves entièrement libres ; eh bien, par suite de cette différence, rien ne pourrait marcher, car les jeunes gens casernés envisageraient comme défaveur ce qu’ils envisagent dans l’école militaire de Bruxelles, comme une conséquence de la nature des choses.
Cet inconvénient est grave, relativement à la discipline. Il ne serait pas le seul. Le ministre de la guerre pourrait être en contradiction avec le ministre de l’intérieur et avec le ministre des travaux publics, en ce qui concerne les études ; il y aurait conflit le jour où l’unité de vues n’existerait plus entre ces ministres ; et le remède que l’on propose n’est propre qu’à aggraver le mal.
Tout ce que l’on dit n’est de nature que pour augmenter vos incertitudes ; dans cette position, conservez ce qui est, et ne démolissez pas ; vous avez quelque chose de bon, les progrès des élèves de l’école militaire l’attestent ; mettrez-vous de côté ce qui est bon pour le remplacer par quelque chose dont vous ne pouvez encore apprécier le mérite ? Mais en présence des faits que j’ai cités chercher dans les universités des élèves capables d’entrer dans l’école d’application non militaire, n’est-ce pas demander l’impossible, que les examens n’ont jusqu’ici rien produit ?
Eh, messieurs, nous attirerions-nous une pareille responsabilité lorsque M. le ministre de la guerre, d’après tout ce qu’il a développé, résume cette idée : « Pour faire de bons officiers, il est indispensable de créer une école militaire, de la créer d’après tel plan ; si vous ôtez de ce plan quelque chose, le but est manqué. » Messieurs, si plus tard notre armée éprouvait un revers, et si, lorsqu’il s’agirait de rechercher la cause de ce revers, M. le ministre de la guerre venait vous dire : « Le jour où je vous ai demandé les moyens pour faire de bons officiers, je vous ai dit toute ma pensée, je vous ai dit qu’il était impossible d’en obtenir si vous ne nous accordiez une bonne école militaire telle que je vous la demandais ; vous me l’avez refusée, et aujourd’hui vous venez me faire des reproches sur un malheur qui est la conséquence de ce refus et qui m’est par suite étranger ; vous venez me reprocher un événement que vous avez entraîné vous-mêmes ! »
Que répondriez-vous, messieurs, si le ministre de la guerre venait vous tenir ce langage dans une pareille circonstance ? Le ministre de la guerre aurait raison, car enfin il vient vous demander une école militaire avec tout son entourage, avec tous les rouages, enfin telle qu’elle doit être pour qu’on puisse façonner les jeunes gens comme les circonstances l’exigent, tout en admettant dans toute son étendue la liberté de l’enseignement, tout en admettant des dispositions favorables aux masses, tout en respectant vos moindres susceptibilités.
Voilà, messieurs, le système du gouvernement, et je l’appuierai, comme j’aurais appuyé le système de la section centrale si j’avais espéré qu’il eut pu obtenir l’assentiment de la majorité. Mais puisqu’il paraît évident que ce dernier système n’a pas de chances de triompher dans cette enceinte, je l’abandonne et je laisse de côté les spécialités du génie civil et des mines ; je les abandonne aux universités de Gand et de Liége.
Ces universités sont complètes. Messieurs, elles ont des cours préparatoires et des cours d’application ; nous devons donc accorder également ces avantages à l’école militaire, car il serait injuste de refuser au militaire ce qui est accordé au civil. Cela entraînerait de grands inconvénients : nous assumerions par là une bien grande responsabilité. Ne contrariez pas ici, messieurs, le ministre de la guerre qui attache la plus grande importance à l’adoption du projet qu’il vous propose, qui doit répondre du salut de notre armée, et qui ne pourrait plus en répondre si vous le mettiez en position de ne pas pouvoir atteindre le but qu’il se propose en vous présentant le projet de loi sur l’école militaire.
Je terminerai, messieurs, en déposant sur le bureau mon amendement, qu’il est temps de livrer à l’impression, afin que chacun puisse l’examiner.
Cet amendement, messieurs, est ainsi conçu :
« Les jeunes gens de 16 à 21 ans, qui désireraient embrasser la carrière militaire pourront se présenter aux examens auxquels sont soumis les élèves de l’école à la fin de leur deuxième année d’études.
« Ceux de ces jeunes gens qui satisferaient à ces examens seront classés selon leur mérite, et placés d’après le rang obtenu dans une des sections de l’école pour y suivre les études et les travaux d’application, et pour concourir indistinctement avec tous les élèves de la même section au placement définitif dans l’armée.
« Les examens auront lieu devant le jury central, institué par la loi organique sur l’instruction pour la faculté des sciences ; les divers grades détermineront la préférence. »
Je vous dirai en même temps, messieurs, que lorsqu’il s’agira des bourses, j’appuierai volontiers toute proposition tendant à les augmenter : je proposerai même un amendement dans ce sens, si quelque autre membre ne prend pas l’initiative.
M. Dumortier. - Je suis loin, messieurs, de partager l’opinion des préopinants sur la nécessité d’adjoindre des cours civils à l’école militaire. Je veux une école militaire, aussi forte que possible, mais purement militaire, et qui n’ait rien de commun avec les écoles civiles. Je ne veux point du nouveau projet du ministre de la guerre, parce que ce projet est précisément la même chose que le projet de la section centrale qui a été retiré. Je ne veux point du nouveau projet du gouvernement, parce que je ne veux point mettre l’instruction publique de notre pays entre les mains du ministre de la guerre, parce que je ne veux pas que le ministre de la guerre devienne le grand maître de l’instruction en Belgique. Je ne veux point du nouveau projet du gouvernement, parce que j’envisage comme une grande calamite la destruction des facultés des sciences des universités, destruction qui ne tarderait pas à avoir lieu si le projet du gouvernement était admis dans son ensemble.
Après les discours qui ont été prononcés par mes honorables collègues, MM. Dechamps et Devaux, il me restera peu de chose à ajouter pour justifier mon opinion ; cependant, j’ai besoin de répondre aux honorables préopinants, qui ont parlé immédiatement avant moi, et c’est pour cela que j’ai pris la parole.
Dans la discussion de la loi sur l’organisation de l’instruction publique je me suis prononcé, messieurs, pour deux universités ; j’aurais bien désiré, si cela avait été possible, qu’il n’y en eût qu’une seule, aux frais de l’Etat, parce que sous beaucoup de rapports une pareille concentration eût pu être favorable aux sciences. Mais dans les circonstances où nous nous trouvions, lorsque les villes de Liége et de Gand avaient jusque-là joui d’une université, il ne m’a pas paru possible de leur retirer les bienfaits qu’elles retiraient de ces institutions, j’ai donc voté deux universités. Mais lorsque depuis cette attaque, grâce à la liberté, deux autres universités se sont élevées à côté de celles du gouvernement, je me garderai bien d’en créer une cinquième, de créer, comme le dit l’honorable M. Verhaegen, une université militaire.
L’honorable M. Verhaegen a fort bien qualifié, là, le projet du gouvernement ; car il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, le projet que présente aujourd’hui M. le ministre de la guerre est bien différent de celui qui nous a été présenté en 1834 ; il ne tend rien autre chose qu’à établir une cinquième université, une université militaire.
Il n’y a point de doute, messieurs, que cette université, qui ne comprendra point de faculté de droit ni de philosophie et qui ne comprendra que plus tard une faculté de médecine, et qui sera ainsi principalement consacrée à l’enseignement des sciences, renversera presque totalement les facultés des sciences qui sont établies aux autres universités de l’Etat. Or, messieurs, j’ai trop à cœur la conservation de tout ce qui tient aux sciences pour ne pas repousser comme une calamité un projet qui tend à leur porter la plus dangereuse atteinte.
Messieurs, si les développements de l’industrie ont marché d’une manière brillante et rapide depuis 1830, les progrès intellectuels et scientifiques ont marché aussi ; plus lentement sans doute, mais avec plus de sécurité peut-être.
Une ère nouvelle commence pour la Belgique, les travaux scientifiques de notre pays prennent depuis quelques années un accroissement remarquable et donnent les plus grandes espérances pour l’avenir. Ne sacrifions donc point les universités dont dépend cet avenir, à une école militaire qui peut très bien exister sans qu’on lui fasse ce sacrifice,
S’il était besoin de justifier l’opinion que je professe sur le coup inévitable que l’école militaire telle qu’on entend l’organiser, doit porter aux facultés des sciences des universités, j’en trouverais la preuve dans le discours même de l’honorable membre qui vient de parler immédiatement avant moi.
En effet, l’honorable orateur a fait remarquer combien peu d’élèves sont sortis des facultés des sciences des universités depuis la nouvelle organisation de ces institutions. Eh bien, messieurs, les deux années depuis lesquelles les universités de l’Etat existent correspondent précisément aux deux années pendant lesquelles le ministre de la guerre, sans loi aucune, à la faveur des crédits que nous avons votés, a augmenté l’organisation de l’école militaire et a établi dans cette école des cours purement civils qui n’y existaient pas auparavant, et ce sont ces cours qui, à la faveur des grands avantages qu’on y accorde, ont absorbé tous les élèves destinés à la carrière des sciences.
L’organisation qu’on nous demande d’établir à l’école militaire renferme deux choses distinctes, d’abord l’instruction militaire, l’application de la science de l’art militaire ; tout ce qui tient à cette instruction-là, messieurs, vous devez le voter avec sollicitude, et ne rien négliger pour la mettre à la hauteur des besoins du pays. Mais la seconde partie, messieurs, ce qu’on appelle l’instruction préparatoire, c’est une instruction purement civile, analogue en tous points à celle qui se donne dans les universités. L’honorable député de Bruxelles qui a parlé immédiatement avant moi, a fait un appel à l’assemblée, il a dit : rendez-vous à l’école militaire et vous y verrez des travaux dont vous serez vous-même enthousiasmés. Avant de s’enthousiasmer sur ces travaux, qui du reste méritent beaucoup d’éloges, je voudrais que l’on commençât par se rendre aussi aux universités, là, on verrait aussi des travaux absolument analogues et souvent même supérieurs, on verra là ces mêmes travaux graphiques qui s’y exécutent avec le grand succès.
Loin de moi la pensée de chercher à affaiblir en rien le mérite de l’école, mais je dois à la vérité de dire que la supériorité des universités sur l’école militaire est telle, sous le rapport de la science, que des officiers sortis de l’école militaire, lorsqu’ils ont le bonheur d’être placés dans une ville d’université trouvent encore à profiter aux cours qui se donnent dans ces institutions, et à acquérir par ce moyen un degré de science auquel ils n’avaient pu atteindre à l’école militaire.
Voilà des faits, messieurs, qui prouvent que les universités, loin d’être impuissantes pour les études scientifiques, sont même supérieures à l’école militaire sons le rapport des connaissances civiles.
Dans l’organisation des écoles militaires, comment les choses se passent-elles, messieurs, dans les pays voisins ? La France qui certes, sous le rapport de l’instruction militaire, peut servir de modèle, la France a une école polytechnique et une école militaire ; l’école polytechnique est à Paris, l’école militaire à Metz. Eh bien, messieurs, qu’est-ce que l’école polytechnique ? Une faculté des sciences réunie en un collège et qui n’a de militaire que l’uniforme et le son du tambour. C’est tellement une faculté des sciences, que, d’après la loi qui l’organise, elle est dans les attributions du ministre de l’intérieur, et si momentanément elle est dans les attributions du ministre de la guerre, c’est à cause qu’un ministre envahisseur a su profiter de certain tumulte qui a eu lieu à Paris pour faire main basse sur cette belle institution. Mais il n’en est pas moins vrai que par son organisation elle se trouve dans les attributions de l’autorité civile, que sous l’empereur elle était dans les attributions de l’autorité civile, que sous la restauration elle était dans les attributions de l’autorité civile, qu’en un mot, c’est une institution purement civile qui n’a de militaire que l’uniforme et le son du tambour.
L’organisation militaire en France commence l’école de Metz ; c’est là qu’on devient militaire ; l’un des articles de la loi qui régit cet établissement porte que tout homme qui entre à l’école militaire et soldat, et c’est en vertu de cette disposition qu’il est soumis à la discipline militaire.
Ici, au contraire, l’on voudrait introduire une école civile à l’école militaire ; on voudrait soumettre nos citoyens au système militaire, que nous ne devons certes pas chercher à étendre dans un pays de liberté comme le nôtre ; on voudrait soumettre cette école civile à l’administration du département de la guerre, alors qu’on a établi à grands frais deux écoles semblables qui se trouvent dans les attributions du ministère de l’intérieur. Vous voyez donc qu’il y aurait ici, comme l’a observé l’honorable M. Devaux, une véritable concurrence que le gouvernement se ferait à lui-même. Jamais on n’a répondu à cet argument, et aussi il est impossible d’y répondre.
Pour moi, je ne veux pas de cette concurrence. Encore une fois, je ne veux pas que le ministre de la guerre devienne chez nous le ministre de l’instruction ; je veux lui donner une école militaire ; je veux la lui donner aussi fortement organisée que celle de Metz, mais je veux que cette école soit exclusivement militaire.
Si l’école militaire pouvait se transformer en une école civile je déplorerais ce résultat comme une véritable calamité pour le pays, car les jeunes gens qui entreraient à l’école, trouvant à se placer facilement dans la carrière militaire, déserteraient les travaux scientifiques, déserteraient toutes les institutions dont nous avons besoin pour former des hommes de capacité. Comme ami des sciences, comme les professant personnellement, je pense que ce serait là un grand malheur qui frapperait les universités au cœur ; or, il ne faut pas que l’on s’y trompe, ou bien les cours civils, que l’on veut attacher à l’école militaire, doivent absorber les facultés des sciences des universités, ou bien ils doivent être absorbés par elles ; et comme l’on accorde aux cours de l’école militaire des avantages immenses, dont les universités sont privées, nul doute que nos facultés de sciences seront bientôt absorbées par l’école militaire.
L’observation que je viens d’avoir l’honneur de faire et qui consiste en ceci : que l’introduction d’une faculté civile dans l’école militaire serait la ruine de nos universités ; cette observation est tellement frappante qu’elle n’a pas échappé à la sagacité de l’honorable M. Verhaegen. Dans le premier discours qu’il a prononcé, il a lui-même reconnu que nos universités devaient se réduire à une faculté de droit et une faculté de médecine ; tant cette vérité était frappante, que l’introduction d’une faculté des sciences à l’école militaire serait la ruine des mêmes facultés dans nos universités.
Ainsi donc ceux qui veulent conserver ce qui existe en vertu de la loi, ceux-là doivent s’opposer à l’introduction d’une faculté de sciences à l’école militaire, faculté qui, au reste, n’existe dans aucun autre établissement du même genre en Europe.
El ici je rencontre les observations des deux honorables préopinants qui viennent prétendre qu’ils ne demandent qu’une seule chose : le maintien de ce qui existe quant à l’école militaire.
A cet égard, il est bon de voir comment les choses se sont passées relativement à l’objet qui nous occupe.
C’est au budget de 1835 que nous avons voté pour la première fois un crédit de 48,000 francs pour l’école militaire. A cette époque, messieurs, l’illustre général Desprez, qui a laissé un nom si honorable dans le pays, et des souvenirs qui nous sont si chers, l’illustre général Desprez avait lui-même organisé cette école, comme un homme de génie et de haute capacité pouvait l’organiser ; et remarquez bien, messieurs, qu’il avait cru qu’il suffisait à la Belgique d’avoir uniquement une école militaire comme celle qui existe en France.
A cette époque donc, le crédit demandé par le gouvernement pour l’école militaire n’était que de 48,000 fr. Un pareil crédit fut encore voté au budget de 1834, et par un article additionnel, la chambre en ajouta un autre de 58,000 fr., pour le cas où l’on organiserait l’école militaire par une loi. C’est alors que M. Evain, ministre de la guerre, vint présenter le projet de loi qui est maintenant en discussion. Or, comment l’école militaire était-elle organisée à cette époque ? Elle était alors uniquement composée de cours d’application des sciences à l’art militaire, à l’exemple de l’école de Metz. Depuis lors, on a demandé à chaque budget successif une augmentation de crédit ; et, au moyen de ces augmentations, l’on est venu sans loi, et quoique la constitution impose l’obligation d’une loi pour l’organisation de tout ce qui est relatif à l’instruction ; l’on est venu, dis-je, élever autel contre autel, élever contre les facultés des sciences de nos universités des facultés rivales qui causeraient la ruine des premières, si la législature donnait la main au projet de la section centrale et à celui du ministre de la guerre, qui est la même chose.
En 1835, la chambre vota une somme de 85,000 fr. pour l’école militaire. Je tiens en main le rapport qui a été présenté à cette époque par notre honorable collègue, M. de Puydt, aujourd’hui rapporteur de la section centrale, et voici, messieurs, quel devait être le personnel de l’école militaire. Je vous prie, messieurs, de me prêter une grande attention, car ceci répond jusqu’à la dernière évidence aux observations que viennent de présenter les précédents orateurs, alors qu’ils disent ne vouloir qu’une seule chose, à savoir le maintien de ce qui existait en 1834.
Eh bien, au budget de 1835, il n’était demandé des traitements que pour onze professeurs qui composaient alors le personnel de l’école militaire. Aujourd’hui, l’on nous en propose quarante. Il faut convenir que cela est une transition singulière. Quoi ! l’on prétend ne demander aujourd’hui que ce qui existait en 1834, et l’on vient nous proposer de quadrupler le nombre des professeurs qui se trouvaient à l’école militaire lors de la discussion du budget de 1835.
J’ai été curieux d’examiner quelle dépense le projet de loi actuel occasionnerait et les résultats que j’ai obtenus m’ont paru devoir être d’un grand intérêt pour l’assemblée ; car si d’une part l’utilité de l’introduction de cours civils à l’école militaire est contestée ; si on la regarde comme nuisible aux facultés des sciences des universités, il importe d’autre part de voir la dépense qu’elle occasionnerait, dans l’hypothèse que la chambre y donnât son assentiment.
L’école militaire, telle que le ministre la propose dans son projet de loi, se composera de 20 professeurs, 14 répétiteurs et 6 maîtres ; en tout, 40 professeurs de tout degré (je ne parle ici que des professeurs civils). Les mêmes professeurs toucheront un traitement de 6 à 4,000 fr. ; terme moyen, 5,000 fr., ce qui fait pour 20 professeurs une somme de 100,000 fr. ; 14 répétiteurs à 2,400 fr., 35,000 fr. ; 6 maîtres à 3,000 fr., 18,000 fr. ; total, 151,000 fr.
Ainsi l’organisation civile de l’école militaire se composera de 40 professeurs, dont les traitements réunis formeront une somme de 151,000 fr. au moins.
Maintenant viennent les autorités militaires attachées à l’établissement, ce sont 1 commandant, 1 directeur des études, 1 commandant en second, 2 examinateurs permanents, 1 instructeur, 2 adjoints, 4 inspecteurs des études, 1 bibliothécaire, conservateur des instruments, 1 secrétaire, 2 dessinateurs, 1 aumônier, 1 médecin, les employés nécessaires pour le service.
Eh bien, je prends les traitements que la loi propose d’attacher à ces diverses fonctions, abstraction faite des employés nécessaires pour le service ; pour les autres, je prends les traitements dans les développements des budgets et je trouve une somme globale de 67,000 fr. qui, ajoutée aux 151,000 fr. (part des professeurs civils), formera un total de 218,000 fr. par an. Voilà, messieurs, la dépense que l’on vous a proposée.
Or, voulez-vous savoir, messieurs, ce que coûtent nos universités qui possèdent non seulement une faculté des sciences, mais encore une faculté de philosophie, une faculté de droit et une faculté de médecine ?
Eh bien, nos deux universités sont portées au budget pour une somme de 409,190 francs, en sorte que chaque université coûte 204,595 fr., c’est-à-dire 13.000 fr. de moins que ne coûterait la seule faculté des sciences à l’école militaire.
Il faut convenir, messieurs, que l’école est une chose qui n’est pas sans intérêt, et quoique cette considération ne soit peut-être pas un argument pour faire écarter d’emblée la proposition de M. le ministre de la guerre, il est certain que c’est là un document très précieux qu’il importe de ne pas perdre de vue.
Lors de l’organisation de l’enseignement supérieur, quel était, messieurs, le plus grand argument de ceux qui voulaient n’avoir qu’une seule université aux frais de l’Etat ? Ils vous disaient : vous allez ruiner le pays par des dépenses inutiles, en créant une double université. Et aujourd’hui que nous n’avons reculé devant aucun sacrifice, et que nous avons libéralement doté les deux universités de l’Etat ; aujourd’hui qu’elles honorent le pays par des professeurs qui y enseignent et par la manière dont elles sont organisées, l’on veut proposer une troisième université qui occasionnerait une dépense absolument semblable, et cela pour la seule faculté des sciences, en attendant qu’on double cette dépense par la création d’une faculté de médecine militaire.
J’ai entendu deux orateurs nous proposer de mettre l’université dans la ville de Bruxelles. Pour moi je déclare que je suis partisan du projet du gouvernement qui est d’établir l’école dans une place de guerre. Voici mes motifs. D’abord, lors de la loi d’organisation universitaire, je n’ai pas voulu d’une université du gouvernement dans la capitale ; je dois donc, pour être conséquent, vouloir moins encore que l’école militaire se trouve à Bruxelles. Les mêmes motifs qui m’ont engagé à ne pas vouloir de l’établissement d’une université de l’Etat dans la capitale, s’opposeront à ce que je consente au siège de l’école militaire à Bruxelles. ii y a d’ailleurs ici une autre raison. Comment ! vous voulez établir le siège de l’école militaire à Bruxelles ! Mais que sera cette école militaire dans la capitale qui n’a pas de fortifications ? Un jeune homme du Brabant, par exemple, entrera à l’école militaire ; il y passera quatre années, au bout desquelles il sera officier du génie, sans même avoir vu un bastion. Mais cela serait aussi absurde que si l’on avait étudié l’anatomie, sans avoir vu un squelette !
Aussi a-t-on eu grand soin en France d’établir l’école militaire dans une ville forte.
Voici ce que dit, à cet égard, un ouvrage dans lequel la section centrale paraît avoir puisé beaucoup de documents, tout en écartant ceux qui ne paraissaient pas favorables à la thèse qu’elle défendait.
« Il n’y avait, du reste, à l’école de Châlons-sur-Marne ni cabinet de physique, ni laboratoire de chimie, ni construction d’aucune espèce. » Voilà ce qui se trouve dans le rapport. Voici ce qui ne s’y trouve pas :
« II n’y avait que quelques pièces de siège et de campagne, pour tout matériel d’instruction, la ville n’était pas fortifiée et n’avait pas de garnison ; les élèves ne pouvaient se faire une idée nette sur le service de guerre. »
Messieurs, vous vous trouverez dans une position semblable si vous adoptez la proposition de fixer à Bruxelles un établissement semblable à celui qu’on a abandonné à Châlons-sur-Marne, pour le transporter dans une place forte, dans la ville de Metz. Le projet du gouvernement est plus sage, il propose d’établir l’école dans une ville de guerre.
L’article 1er est ainsi conçu :
« Une école militaire destinée à former des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie et pour le corps de l’état-major, sera établie, dans le courant de l’année 1834, dans une des places de guerre du royaume. »
Savez-vous comment s’exprimait le ministre de la guerre à l’occasion de cette disposition ?
« Cette école devra se trouver dans l’une de nos places de guerre ; il n’est pas besoin de développer la convenance d’une semblable disposition, personne n’en contestera les avantages. »
Ainsi, pour M. le ministre de la guerre, cela était tellement clair, qu’il suffirait d’énoncer le fait pour que tout le monde fût convaincu. Voilà comment le gouvernement envisageait la question. En réalité, nous avons des villes qui présenteront plus d’avantages que Bruxelles pour l’établissement d’une école militaire : indépendamment des villes où siègent les universités de l’Etat, nous avons Charleroy, Anvers, Namur, Ypres, Tournay, etc., qui offrent des ressources pour y placer, sans dépense, l’école militaire. Mais, messieurs, remarquez-le bien, si vous admettez que l’école militaire peut être dans la capitale, indépendamment des dépenses que j’ai eu l’honneur de vous signaler tout à l’heure, on viendra dans deux ou trois ans demander trois, quatre ou cinq cent mille fr., pour construction d’une école militaire.
En effet, il est incontestable qu’elle ne pourra pas toujours rester dans les écuries d’un prince déchu ; ii faudra lui donner des bâtiments convenables ; car la manie de bâtir a pris, chez nous, comme sous Louis XIV ; on viendra vous demander des fonds pour construire une école militaire, tandis que nous avons dans des places fortes des bâtiments tout appropriés, outre que l’école militaire y serait placée d’une manière plus avantageuse que dans une ville sans fortifications. Mais revenons à l’école telle qu’on veut aujourd’hui l’organiser.
Messieurs, on vous a dit quel était le chiffre qu’atteignait dans l’origine le nombre des professeurs ; il n’y en avait en tout que 11, et c’est sur ces bases que le budget de 1835 a été voté. Aujourd’hui on en est venu jusqu’à porter ce nombre à 40. Les professeurs civils de nos universités ne comprennent que de 24 à 30 personnes, et voici que l’on vous propose pour l’école militaire, qui n’est qu’une seule faculté incomplète, un personnel plus considérable que pour toute une université. Mais en revanche, si le personnel est plus considérable, le nombre des élèves sera beaucoup moindre. Car que propose-t-on ? De fixer le nombre des élèves à 60 ; quelques membres proposent de le porter à 120. Mais est-il possible que chaque année le ministre puisse trouver à placer 60 élèves dans l’armée, alors qu’il doit réserver aux sous-officiers et à ceux qui se sont formés par eux-mêmes un certain nombre de places ? On a dit qu’il suffisait que l’école fournît à 15 places par an ; je crois que ce calcul est exact ; que fera alors le ministre des 45 élèves qui resteront ? De deux choses l’une ; il devra forcer l’avancement ou violenter la loi, en n’accordant pas aux sous-officiers les places qui doivent leur être réservées, ou il renverra une partie des élèves dans leurs foyers.
Vous arriverez à ce résultat que vous dénaturerez le caractère de l’école militaire, et que vous en ferez une pure école civile.
J’ai dit que la faculté des sciences que l’on adjoindrait à l’école militaire absorberait bientôt les facultés des sciences de nos universités ; il me serait facile de le prouver. Indépendamment de ce que plusieurs élèves trouveront dans l’état militaire un sort assuré à la fin de leurs études, les sacrifices que fera l’Etat auront pour résultat d’attirer tous les élèves en science à la faculté adjointe à l’école militaire. En effet, pendant les deux premières années, les élèves paieront 700 fr., soit 1,400 fr. pour les deux années. Pendant les deux dernières années, ils recevront 2,100 fr., soit 4,200 fr. pour les deux années : ainsi, après la fin des cours, l’Etat, indépendamment de l’instruction gratuite, aura donné 2,800 fr. en écus à chaque élève, tandis que dans les universités les élèves devront dépenser 2 à 3,000 fr. chaque année. N’est-il donc pas évident que l’école militaire absorbera les facultés des sciences de nos universités, ainsi que nous l’avons vu depuis 2 années ? Ainsi le ministre de la guerre deviendra, pour ce qui concerne les sciences, le ministre de l’instruction publique en Belgique. Je tiens surtout, pour la haute partie des sciences, à ce que les universités restent entières et ne soient pas dépossédées par l’école militaire du petit nombre d’élèves qu’elles pouvaient avoir. Si depuis deux ans on n’avait pas introduit, sans loi, dans l’école militaire une faculté civile qui n’existait pas, les élèves auraient fréquenté nos universités et auraient acquis une capacité plus grande que celle qu’accorde l’école militaire.
Ainsi, ce ne sont pas les universités qui sont hostiles à l’école militaire, mais c’est l’école militaire qui, sans loi et malgré la loi sur les universités, vient leur enlever les élèves qui leur sont destinés.
On a parlé des examens d’admission à l’école militaire, et en les a comparés avec les examens de candidats en sciences, et on a tiré cette conséquence qu’il serait impossible aux universités de fournir un ombre d’élèves suffisant pour entrer à l’école militaire. Mais a-t-on bien réfléchi à la différence de ces examens ? Ignore-t-on qu’un élève, pour être candidat en sciences, a dû faire preuve de plus de capacité non seulement qu’un élève qui entre à l’école militaire, mais qu’un élève qui en sort ? Nous savons ce que sont les examens d’admission, ils se bornent à des éléments de hautes mathématiques, tandis que, pour être candidat en sciences, il faut prouver non seulement qu’on possède des éléments, mais qu’on a des connaissances réelles dans ces sciences. Ignore-t-on que celui qui passe candidat en sciences doit avoir acquis des connaissances réelles sur d’autres parties accessoires sur lesquelles l’examen ne porte pas pour l’entrée à l’école militaire ? Ainsi il est manifeste que l’enseignement de l’université est préférable à l’enseignement de l’école militaire, et qu’un candidat en sciences offre sous le rapport des sciences plus de garantie qu’un élève qui sort de l’école militaire.
Mais, nous dit-on, il y a des examens. Messieurs, quand nous en viendrons au chapitre des examens, je prouverai jusqu’à l’évidence que le mode d’examen d’admission à l’école militaire est la chose la plus vicieuse qu’on puisse imaginer. Je vous dirai en deux mots en quoi ce mode est vicieux, c’est que les examinateurs sont ceux qui forment les élèves hors de l’école.
M. le ministre fait un signe négatif ; je pourrais citer des noms et les établissements auxquels ces professeurs sont attachés. Ici comme il ne s’agit pas de donner des diplômes, mais d’assigner des places au concours, quand une médiocrité a été admise, et qu’une capacité se présente ensuite, il faut l’écarter. La chose est tellement vraie, que plusieurs fois il est arrivé que des élèves admis à l’école militaire, parce que par le fait de l’examen ils s’étaient trouvés dans le tiers supérieur des élèves, ne pouvaient continuer leurs études ou ne le faisaient qu’avec peine.
Il est donc manifeste que ce mode d’examen est complétement illusoire. Mais le ministre de la guerre, en améliorant son système d’examen, n’y trouvera que plus de garantie ; il les trouvera dans un jury impartial, bien composé, qui n’a pas encore existé jusqu’à ce jour. Que le ministre adopte le système qui existe à Metz et que les élèves qui entrent justifient devant un jury impartial qu’ils possèdent les connaissances préparatoires ; qu’ils reçoivent d’abord une commission, et qu’on ne leur accorde leur brevet définitif qu’en sortant d’école militaire ; par là le gouvernement aura ce qu’il peut raisonnablement désirer.
Quant à moi, le motif principal pour lequel je m’oppose à ce que l’école militaire ne comprenne aucune faculté civile, c’est que je ne veux donner au ministre de la guerre aucune espèce d’influence sur la direction de l’instruction civile du pays, et que je ne vois pas la possibilité d’introduire aucune garantie à cet égard. Je repousse toute intervention du ministère de la guerre dans l’instruction publique du pays comme une véritable calamité ; je la repousse surtout dans le moment où on voudrait frapper la faculté des sciences qui est susceptible de prendre un développement immense et de produire des fruits incalculables, fruits qu’elle n’a pas encore produits parce que l’école militaire est venue enlever les élèves appartenant à l’université pour les placer dans son domaine.
Par ces motifs, je voterai pour une école purement militaire, comme celle de Metz ; mais je veux qu’elle soit fortement organisée. A cet égard, je vais vous dire comment je veux qu’on l’organise.
L’article 27 de l’ordonnance du 5 juin 1821, qui organise l’école du génie et de l’artillerie en France, porte que ce personnel attaché à l’enseignement sera composé ainsi qu’il suit :
Un professeur d’application des sciences mathématiques à l’artillerie ;
Un professeur de constructions militaires ;
Un professeur de physique appliquée aux machines ;
Un professeur de fortifications ;
Un professeur d’art militaire et de fortification passagère ;
Un professeur d’architecture et de construction navale ;
Un professeur de géodésie comparée ;
Un maître de dessin en tous genres ;
Un professeur de sciences physiques et de chimie appliquées à l’art militaire ;
Un professeur de langue allemande ;
Un professeur d’hippiatrique et d’équitation ;
Un adjoint.
Total, douze professeurs.
Ces douze professeurs, je les veux bien ; je les donnerai de grand cœur.
Avec sa capacité et celle de la personne placée à la tête de l’école militaire, à laquelle nous rendons tous hommage, M. le ministre de la guerre arrivera aux plus heureux résultats ; car les mêmes moyens doivent donner les mêmes résultats. Une école comme celle de Metz est ce que nous pouvons désirer de mieux. Lorsque nous l’aurons donnée au pays, nous pourrons repousser le reproche articulé par l’honorable M. Verhaegen, le reproche d’avoir compromis le sort du pays ; le sort du pays ne dépend en aucune manière de ce que des cours civils seraient ou non réunis à ceux de l’école militaire.
Lorsque nous aurons donné au gouvernement les moyens d’organiser une école militaire comme celle existant en France, nous aurons rempli notre devoir ; ce sera au gouvernement à remplir le sien.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable orateur a rendu à l’école d’artillerie de Metz un hommage mérité ; mais, en faisant ressortir les avantages qu’elle présente, il n’a pas indiqué les causes auxquelles ils doivent être attribués ; il a omis de dire que l’école de Metz est alimentée par l’école polytechnique, c’est-à-dire par une bonne école préparatoire ; voilà la véritable cause du succès de l’école de Metz.
L’honorable orateur ne veut pas que le ministre de la guerre soit ministre de l’instruction publique. A cet égard, je suis parfaitement d’accord avec lui, et c’est un des principaux motifs qui m’ont fait renoncer à soutenir l’adjonction de cours civils à ceux qui doivent être donnés à l’école militaire.
Je ne suivrai pas l’orateur dans son argumentation ; il a dit plusieurs choses que je rencontrerai dans la discussion des articles ; son discours en renferme d’autres auxquelles je crois déjà avoir suffisamment répondu. Cependant, il s’y trouve deux points principaux sur lesquels je crois nécessaire d’appeler un moment l’attention de la chambre.
L’objection principale est celle de la dépense. L’honorable orateur prétend que l’école organisée, selon les derniers amendements du gouvernement, coûtera 218,000 francs. L’honorable M. Dechamps avait évalué cette dépense à 209,000 francs, et je lui ai répondu qu’en supposant tous les traitements au maximum, chose qui ne doit jamais arriver (car, pour que cela arrive, il faudrait que tous les professeurs eussent les mêmes droits par leurs talents et leur mérite et, pour le dire en passant, s’il en était ainsi dans les universités de l’Etat, où il y a plusieurs catégories de professeurs, il est évident que le budget des universités ne serait pas suffisant et qu’il devrait être augmenté) ; j’ai répondu, dis-je, que dans ce cas de maximum des traitements des professeurs, les dépenses qui pourraient résulter de la mise à exécution du dernier projet ne dépasseraient jamais 170,000 francs, et, je le répète, ce maximum, par la nature des choses, ne peut pas être atteint.
Je donnerai facilement à la chambre l’explication de cette grande différence entre l’évaluation des honorables préopinants et la mienne. Le projet permet peut-être de supposer que tous les emplois de professeur seront remplis par des professeurs civils ; mais cette dénomination est vicieuse : les professeurs ne sont pas et ne peuvent pas être des professeurs civils ; et il me semble que si l’honorable orateur, qui se montre un si juste appréciateur de tout ce qui concerne les sciences, y avait réfléchi, il se serait aperçu que le professeur de fortifications permanentes et passagères, et le professeur d’art militaire, ne sont pas et ne peuvent pas être des professeurs civils, 6 ou 7 professeurs au moins seront toujours des professeurs militaires, et par conséquent, au lieu d’un traitement de 6,000 fr., ils recevront un supplément de traitement de 1,200 à l,500 fr. ; il en sera de même pour les répétiteurs ; dès lors la chambre comprendra facilement que le maximum de 170,000 fr. ne sera jamais atteint.
L’honorable préopinant a surtout contesté ce que j’ai avancé, que l’école militaire était en possession de tout ce qu’elle devait avoir par suite de l’organisation de 1835 ; il s’est appuyé sur le budget de 1835 pour soutenir que mon assertion n’est pas exacte. Je pense avoir été au-devant de cette objection en disant à la chambre que l’école militaire, telle qu’elle a été organisée, n’a pu atteindre son développement qu’en 4 années, parce que les cours sont composés de 4 divisions, d’une année chacune. Au bout de la première année, on a eu besoin de fonds pour rétribuer les professeurs de la seconde division ; il en a été de même, au bout des troisième et quatrième années, pour les troisième et quatrième divisions ; en sorte que le budget de 1858 pourrait être regardé comme un budget normal si l’école devait rester telle qu’elle est.
L’honorable membre a trouvé illégale la marche qui a été suivie à cet égard ; je rappellerai que les chambres ont sanctionné chaque année cet état de choses par le vote du budget : au reste on ne peut obtenir de bons résultats, si les études ne sont pas suivies pendant 4 années ; car la première année ne produit rien, pas plus que la troisième ; la deuxième année ne procure que des officiers d’infanterie et de cavalerie ; la quatrième année seule peut produire des officiers du génie et de l’artillerie. Cela est tellement vrai, que j’ai dû résister aux sollicitations pressantes des inspecteurs-généraux des fortifications et de l’artillerie, qui demandaient que je leur donnasse des élèves sous-lieutenants de l’école militaire ; je m’y suis refusé, quoique je reconnusse que ces services étaient en souffrance, et cela parce que j’étais convaincu que les études de ces jeunes gens n’étaient pas complètes, et que ce n’était qu’au bout de la quatrième année d’étude qu’ils pouvaient devenir de très bons officiers du génie et de l’artillerie.
L’honorable orateur a pensé que l’école militaire avait en 1834 tout son développement ; c’est là une erreur.
Une autre erreur, c’est de croire que c’est le général Desprez qui a organisé l’école militaire. Personne plus que moi ne rend hommage au caractère de l’honorable général Desprez et à tout le bien qu’il a fait à notre pays ; mais ce qui est vrai, c’est que le général Desprez avait proposé un plan d’organisation de l’école militaire, et que ce plan n’a pas été adopté. Je puis dire même que plusieurs fois le général Desprez, parlant à ma personne, s’est plaint que l’on ne suivait pas le plan qu’il avait donné.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de prolonger la discussion déjà trop longue sans doute au gré de vos désirs et des miens ; je veux seulement justifier ce que j’ai dit, et répondre à quelques assertions du ministre de la guerre. Il paraît que je n’ai pas été bien compris par M. le ministre ; j’ai eu l’honneur de dire hier que je rejetterais le projet de la section centrale et le projet du gouvernement. Vous m’avez sans doute assez bien compris pour juger que ce n’est par aucun des motifs allégués par d’autres orateurs pour repousser ce projet. Ils veulent rejeter la loi parce qu’elle va trop loin, parce que, dans leur opinion, elle dépasse le but ; moi je la rejetterai parce que je trouve qu’elle ne va pas assez loin, parce qu’elle est incomplète ; parce qu’elle pèche par la base essentielle d’une bonne loi d’instruction militaire.
Je veux qu’on appelle toute l’armée à participer aux bienfaits de l’instruction ; je veux qu’on commence par s’occuper du soldat, ensuite du sous-officier, puis de l’officier ; et enfin, je ne veux pas négliger les sommités, je vais même sous ce rapport aussi, au-delà du gouvernement ; j’ai émis mes idées sur l’utilité de réunions d’officiers de tous grades et de toutes armes, où ils s’initieraient dans les hautes sciences stratégiques.
Mon opposition n’a donc d’autre motif, d’autre but, que d’étendre les bienfaits de la loi aux extrémités supérieures et inférieures, et non de la restreindre à une infiniment petite portion de l’armée.
Je disais qu’à la manière dont votre loi est faite, et vu que dans l’école militaire l’instruction n’est accessible qu’à la classe riche, j’en ai tiré la conséquence que vous voulez établir une aristocratie militaire ; M. le ministre de la guerre a protesté contre cette assertion, et il s’est donné lui-même la peine de la prouver ; car il a dit (j’ai retenu note de sa phrase) : « La loi porte peut-être atteinte à l’égalité, mais non pas à la liberté. » Ainsi, aux yeux même du ministre, la loi porte atteinte à l’égalité ; dès lors, elle établit un privilège.
Plus loin le ministre a dit que l’école militaire devait être seulement utile pour les personnes aisées ou riches à qui il ne convenait pas de passer par les grades de sous-officier ; si ce n’est pas là du privilège et de l’aristocratie, je ne comprends plus le sens de ces mots.
D’un autre côté le ministre a supposé que je ne veux admettre à l’école militaire que des sous-officiers exclusivement. Le ministre ne m’a pas compris, puisque j’ai demandé la concurrence de toutes les capacités. Je veux l’égalité et la concurrence ; et, je demande s’il y a concurrence lorsqu’il n’y a pas égalité ; eh bien, le ministre a reconnu que le projet de loi peut porter atteinte à l’égalité ; je vous demande si le ministre n’a pas prouvé mon assertion qu’il conteste.
Du reste, si j’avais émis l’assertion que m’impute le ministre, je pourrais la soutenir ; car je ne sais pas pourquoi tous les officiers ne seraient pas d’abord soldats et sous-officiers ; je ne sais pas s’il y aurait à cela de l’inconvénient, excepté pour les armes spéciales peut-être.
Je pourrais citer tel régiment, l’ancien 27ème de chasseurs à cheval, par exemple, où il y avait au moins 40 sous-officiers appartenant aux premières familles de Belgique et de France…
Ils y ont servi très honorablement pendant plusieurs années et ils sont devenus de fort bons officiers ; il en est qui sont devenus généraux. Je ne vois donc pas le grand inconvénient qu’il y aurait à faire de même.
Il ne faut reconnaître à personne le droit de dédaigner les grades de sous-officier ; ceux qui les dédaignent seraient indignes de commander, et ils seront toujours fort mal obéis.
Le ministre a dit qu’il ne répugnerait pas à l’idée d’un projet de loi pour les écoles régimentaires : il ne me suffit pas de savoir que le ministre ne répugne pas. Je veux une loi, et mon vote ne sera acquis au projet qu’à cette condition. J’ai déjà fait remarquer qu’on s’était arrêté imprudemment à l’enseignement supérieur pour l’instruction civile ; j’ai protesté contre cette marche ; j’ai dit que le jury d’examen adopté, vous n’auriez pas de loi d’instruction primaire ni secondaire : l’expérience est malheureusement venue confirmer mes prédictions. Prenant leçon du passé, je ne veux pas m’exposer volontairement à une nouvelle déception : je crains fort que lorsque vous aurez voté une école spéciale pour les sommités, vous n’aurez pas de loi pour l’instruction régimentaire, ni pour les sous-officiers, la seule vraiment intéressante, la seule vraiment utile. Si vous ne profitez pas de cette occasion pour exiger une loi qui règle l’instruction inférieure, les soldats et les sous-officiers seront abandonnés aux caprices des ministres. C’est la classe des soldats et sous-officiers, cependant, qui a seule le droit à l’instruction, comme compensation du sacrifice que la constitution exige d’elle. Pour ceux que la loi contraint à un sacrifice, vous ne voulez rien faire, tandis que vous créez un privilège en faveur des gens riches auxquels la loi n’impose aucun sacrifice. Cela est-il juste ? Cela est-il constitutionnel ?
Pour prouver qu’il ne voulait par établir un privilège, une aristocratie en faveur des gens riches, le ministre a rappelé que la loi accorde aux sous-officiers la moitié des grades d’officier. Mais ce partage, qui constitue déjà un privilège, répond-il à la nécessité d’écoles régimentaires et des sous-officiers ? Bien certainement cela n’y répond pas. Ce partage procure-t-il aux sous-officiers et soldats les moyens d’instruction que vous donnez aux riches ? Leur fournit-il le moyen de concourir pour l’entrée à l’école militaire, et pour y acquérir ce qui, au dire du ministre, constitue la dignité militaire ? Ce partage empêcherait-il que les sous-officiers, passant au grade d’officier, restent dans une position inférieure sous le rapport de l’instruction ? Faites-vous disparaître, par là, les motifs de morgue d’une part, et de jalousie et de haine de l’autre ? Il reste donc toujours un privilège, une aristocratie au profit des riches.
Par la même raison, je ne puis considérer comme remédiant à tout l’amendement qu’un de nos honorables collègues a présenté comme une panacée universelle. Il pense qu’en admettant au concours d’examens préparatoires les soldats et les sous-officiers, c’est satisfaire à ma demande dont il reconnaît la légitimité.
Mais ouvrir un concours et ne pas donner les moyens d’instruction à ceux qui ne peuvent se les procurer, c’est la négation de tout concours, c’est retirer d’une main ce qu’on semble offrir de l’autre. Tout concours sera toujours impossible pour la masse des sous-officiers et soldats, aussi longtemps que vous n’aurez pas créé de bonnes écoles pour les uns et les autres.
Il est d’autres points sur lesquelles je passe, pour ne pas abuser de vos moments. Je ne m’arrêterai plus que sur un seul point ; c’est la réunion des officiers de tous grades qui s’occuperaient des hautes sciences stratégiques. Le ministre a répondu à cet égard d’une manière singulière. Il a demandé quels seraient les professeurs d’une école stratégique ; des généraux sans doute ? Soit, des généraux, et pourquoi pas ? A moins qu’il ne se trouve des officiers plus capables dans les grades inférieurs. Si l’on rencontre des capacités plus étendues même dans un sous-lieutenant, je ne trouverais pas mauvais qu’on le choisisse de préférence ; car c’est l’instruction qui doit donner ici, comme partout, la prééminence ; personne, je pense, n’aurait le droit de le trouver mauvais. Je puis vous citer un exemple à l’appui de ce que j’ai dit. L’immortel Carnot qui a organisé quatorze armées, qui a préparé tous les plans de campagne, Carnot qui commandait aux généraux les plus distingués de la république, n’était que chef de bataillon.
Il n’y aurait donc pas d’inconvénient à nommer professeur même un sous-lieutenant, plus riche que tous les autres de la science qu’il aurait puisée dans les livres et qu’il aurait augmenté de ses propres observations.
Mais les plus hautes parties de la science stratégique ne s’enseignent pas, a dit le ministre, elles s’apprennent ; je ne vois là qu’un jeu de mots, ou peut-être une énigme. Tout ce qui s’apprend peut s’enseigner. Il n’y a qu’une seule chose dans l’état militaire qui ne s’enseigne pas, c’est le courage. Tous les hommes courageux, sauf de très rares exceptions, n’ont pas entendu les premiers coups de fusil sans émotion ; ils s’aguerrissent par l’habitude des combats. Mais à l’exception de cette partie, qui tient à l’instinct et à l’habitude, je dis que toutes les autres parties peuvent s’enseigner, par la raison même qu’elles peuvent s’apprendre.
Je ne vois donc pas de difficulté à compléter le projet de loi en le faisant descendre aux classes inférieures, et en le faisant monter plus haut que le point où l’on veut l’arrêter.
Je dois répondre encore à une observation. On a supposé que j’aurais dit hier qu’il ne sortirait de l’école que des pédants et des demi-savants. J’ai dit que la plupart des officiers, quand ils entreraient dans les régiments d’infanterie et de cavalerie, ne seraient que des demi-savants ; vous en trouvez la preuve dans l’article 10 du projet. Quand un jeune homme ne peut faire des études assez fortes pour continuer les cours exigés pour entrer dans le génie civil ou dans l’artillerie, on le fait entrer, au bout de deux ans, dans l’infanterie et dans la cavalerie. C’est donc la loi et le ministre lui-même qui les ont reconnus, avant moi, comme des demi-savants.
Je n’ai pas dit non plus que les officiers sortant de l’école seraient des pédants ; j’ai dit qu’ils seraient considérés comme tels par les hommes auxquels on aurait refusé la possibilité de s’instruire ; et j’ai dit qu’il en résulterait de grands inconvénients pour la discipline ; et quant à la morgue scolastique, elle n’est pas impossible de la part de ceux auxquels on ouvre l’école, précisément parce qu’ils dédaigneraient, au dire des ministres, de commencer leur carrière par le grade de sous-officier.
En un mot comme en cent, à moins de vouloir constituer un privilège, une aristocratie militaire, ce qui est contraire à la constitution, il faut, si vous voulez donner au pays une institution utile et constitutionnelle, prendre pour base l’instruction du soldat et du sous-officier, pour en faire des officiers ; instruire les officiers dans des écoles d’application ; puis, portant vos regards plus haut, formera la science stratégique des officiers de tous grades et toutes armes de l’armée.
Je me réserve de revenir sur ce sujet lors de la discussion des articles.
M. Dubois. - Je demande la parole.
De toutes parts. - La clôture ! La clôture !
- La chambre consultée ferme la discussion générale.
La séance est levée à quatre heures.