(Moniteur belge n°326, du 22 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse annonce que des négociants-détaillants des villes et communes de Zèle, Hamme, Sotteghem, Hal, Bruges, Termonde et Lokeren, adressent à la chambre des observations contre l’abus des ventes de marchandises à l’encan.
- Cette pétition est renvoyée au ministre de l’intérieur, avec demande d’explications avant la discussion du budget des voies et moyens.
M. Zoude, rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget du département des finances, dépose son travail sur le bureau.
M. de Puydt. - Je demande la parole pour une réclamation. Je n’ai dit que quelques paroles hier, et le sens n’en a pas été saisi par le rédacteur du il. Je n’ai pas dit que je tenais à parler comme rapporteur, parce que le ministre avait restreint le projet dans les limites posées par la section centrale ; j’ai dit au contraire que je tenais à parler comme rapporteur, parce que le ministre avait restreint, par son amendement, les limites posées par la section centrale.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Je la cède à M. le rapporteur ; je parlerai en son lieu et place.
M. de Puydt. - Messieurs, divers orateurs se sont prononcés contre le projet en employant des arguments à peu près analogues pour prouver qu’il est inconstitutionnel et destructif de la liberté de l’enseignement ; je vais essayer de démontrer l’inexactitude de ces faits et le peu de fondement de l’opposition de ces orateurs.
D’abord je tiens à justifier la section centrale dont je suis l’organe d’une espèce d’accusation formulée contre elle par le premier orateur qui a parlé dans cette discussion.
Je lis dans le discours de l’honorable M. Dubois les passages suivants :
« Depuis le 18 janvier 1834, jour auquel M. le ministre de la guerre présenta son projet à la chambre, la nouvelle loi a subi d’étranges modifications. Elle a grandi, elle a pris des proportions étonnantes, et, remaniée par la section centrale, elle nous est revenue méconnaissable, presque entièrement étrangère à elle-même.
« Le ministre de la guerre présente un projet en sept articles, et la section centrale produit une loi en 19 articles ; elle organise d’abord une école polytechnique, pour laquelle elle se propose de préparer les sujets qui se destinent aux diverses carrières civiles ou militaires, et les fait entrer ensuite dans les écoles spéciales qu’elle rattache à son école centrale.
« Le ministre de la guerre demandait une école militaire ; il ne s’occupait que de sa spécialité, ou du moins son intention était telle ; par un trait de plume, la section centrale outrepasse cette intention ; elle dénature le projet. Le projet présenté portait que l’école serait établie dans une place de guerre du royaume ; cette disposition éminemment sage a été supprimée, etc., etc. »
Il y a, messieurs, beaucoup d’erreurs dans ces allégations, et l’accusation contre la section centrale porte tout à fait à faux.
Le projet a été d’abord examiné en sections, et je ferai remarquer que les orateurs dont l’opposition se manifeste le plus vivement, sont précisément au nombre de ceux qui dans la chambre se prononcent habituellement pour l’envoi des projets aux sections. D’où vient donc que, malgré cette disposition presque systématique chez eux, ils n’ont pas jugé à propos d’assister aux travaux de leurs sections respectives, puisque aucun des arguments dont ils se servent n’a été articulé lors de la première instruction du projet ? Nous en avons la preuve dans les procès-verbaux des sections qui n’en font nulle mention : cependant ces arguments sont assez importants pour ne pas leur avoir échappé.
La loi avait 7 articles en sortant des mains du ministre. Elle en a 19 d’après le travail de la section centrale. Mais, hors l’addition d’une division pour le génie civil et les mines, il n’a rien été ajouté aux dispositions de principe, aux dispositions substantielles du projet ; l’augmentation du nombre des articles résulte plus de développements donnés à ces dispositions primitives.
La division en cours généraux et cours spéciaux appartient au premier projet, quoi qu’en dise l’honorable préopinant dont j’ai cité les paroles. Ce n’est donc pas à la section centrale qu’appartient l’idée toute rationnelle de préparer les élèves, par une instruction théorique, aux diverses applications nécessaires à la carrière que chacun peut vouloir suivre.
La suppression du paragraphe relatif à l’emplacement de l’école dans une place de guerre, dont on nous fait un tort, a été demandée par cinq sections sur six dont la chambre se compose : il y a là, je pense, une majorité suffisante pour que la section centrale soit à l’abri de tout reproche d’avoir détruit une disposition qualifiée d’éminemment sage.
Cette suppression, du reste, est justifiée par ce qui est arrivé à l’égard du choix de la ville où l’école devrait être. Des prétentions rivales se sont manifestées, et l’on n’aurait pas tardé à voir, dans le sein de la chambre même, les représentants de diverses localités plaider contradictoirement en faveur de toutes les villes où il a été possible de trouver un local. Nous n’avons eu que trop d’exemples de semblables débats pour ne pas désirer de n’y pas donner occasion. Les sections n’ont pas voulu autre chose, et la proposition de laisser le choix de l’emplacement de l’école à l’arbitraire du gouvernement a paru, à la section centrale, le meilleur moyen de prévenir une lutte inutile.
Enfin, pour terminer ces explications, je dirai que ce sont les propositions des divers rapporteurs des sections qui ont porté la section centrale à présenter au ministre de la guerre une série de questions dont la solution a eu pour résultat une rédaction nouvelle de la loi en prenant pour base et pour thème le projet primitif.
D’après cela, il n’est pas exact de dire, ni que « la loi est méconnaissable et entièrement étrangère à elle-même, ni que la section centrale a outrepassé ses pouvoirs en dénaturant le projet. »
Le projet est l’œuvre de la chambre elle-même, et ceux qui, en le repoussant, semblent nous attribuer les défauts qu’ils y trouvent, ont aux yeux de la section centrale le tort de lui avoir refusé le concours de leurs lumières, en n’assistant pas aux délibérations de leurs sections, ou en n’y faisant pas connaître, quand ils y étaient conviés par l’ordre du jour des travaux de la chambre, les observations dont ils s’étaient aujourd’hui pour combattre ce qu’ils auraient peut-être pu empêcher.
Je vais examiner maintenant les objections les plus sérieuses, sur lesquelles la discussion s’est établie.
Voyons le discours d’un honorable préopinant :
« Le projet tend à monopoliser l’instruction en Belgique, il porte une rude atteinte à nos lois organiques ; il révèle des idées funestes et bien décourageantes sur l’avenir de nos établissements scientifiques, élevés à tant de frais ; et son premier effet, s’il était accepté, serait qu’il entraînerait à une ruine certaine les universités de Gand et de Liége. »
Voilà, messieurs, un tableau singulièrement rembruni ; voilà, en peu de mots, des griefs bien graves, et il faut le dire, en l’absence de développements, en l’absence de preuves à l’appui de ces assertions, on éprouverait un certain embarras à y répondre, si l’on ne connaissait le secret de toutes ces craintes, et si le mal prédit si solennellement ne s’expliquait de lui-même.
En effet, si l’avenir des établissements scientifiques dont on parte est compromis par l’école militaire ; si les universités, ou tout au moins leurs facultés de sciences, doivent être ruinées par le seul fait de son organisation, cela prouverait tout au plus que les établissements scientifiques des universités sont vicieux, incapables de remplir le but proposé, incapables de soutenir la concurrence avec l’école projetée ; cela prouverait que, cette école étant appelée, de l’aveu même de nos contradicteurs, à produire des résultats plus efficaces, ils la reconnaissent comme meilleure, comme un progrès, et dès lors il est imprudent de la combattre : il faut, au contraire se hâter de la sanctionner comme un perfectionnement.
Oui, messieurs, cette concurrence de l’école militaire considérée comme dangereuse par ceux qui avaient un premier intérêt, un intérêt de position, à la redouter, a été l’origine de toutes les objections. Je n’en veux d’autres preuves que les écrits qu’on a déjà cités dans la discussion, écrits qui ont donné le premier éveil sur les questions d’inconstitutionnalité et de monopole dans lesquelles plusieurs membres sont entraînés, peut-être malgré eux. En vain voudrait-on s’en défendre, il faut bien le reconnaître ; ce n’est pas de la chambre qu’est partie la première attaque : depuis trois ans elle était saisie du projet dans lequel existent les principes prétendument vicieux qu’on signale, et ces vices ne l’avaient pas frappée. L’attaque est partie du dehors : elle a été dirigée par ceux qui, appréciant les immenses avantages qu’offrait à la jeunesse studieuse l’établissement formé à Bruxelles, ont compris que là, bien plus que dans les universités, se trouvaient les éléments de succès pour des études sérieuses ; par ceux qui ont compris que, de deux établissements en concurrence, celui qui produirait les meilleurs élèves, les élèves les plus complets, serait la ruine de l’autre : la ruine de l’établissement auquel leur existence personnelle est attachée. Ils ont dû, dans leur intérêt propre, bien plus que dans l’intérêt public, chercher à étouffer dès sa naissance une concurrence aussi redoutable.
Enfin, messieurs, ce qui m’étonne, c’est que les orateurs qui viennent ici prédire la perte des universités, ne soient pas frappés des arguments qu’ils fournissent contre eux-mêmes, par leurs propres paroles.
Le projet d’école militaire tend à monopoliser l’instruction, dit-on, parce que les élèves des cours spéciaux seront exclusivement recrutés dans une école théorique privilégiée. C’est sur cela qu’on se fonde pour la dire inconstitutionnelle.
Eh bien, je dirai que s’il faut trouver là un principe de monopole, alors les facultés des sciences des universités méritent le même reproche.
Ces facultés ont été organisées en vertu de la loi sur l’instruction supérieure, par les arrêtés des 26 et 27 septembre 1836.
Voici ce que dit l’arrêté organisant l’école des ponts et chaussées de Gand :
« Art. 1er. L’enseignement des branches ci-dessus désignées est réuni sous le titre d’école du génie civil.
« Art. 2. Les leçons sont données de manière à terminer les études en 4 ans.
« Pendant les deux premières années, elles seront communes aux diverses sections, les études seront spéciales à la carrière que les élèves se proposeront d’embrasser, et formeront l’école d’application.
« Art. 6. Après avoir satisfait aux examens des deux premières années, l’élève passera à l’école d’application, dont l’enseignement sera réparti de la manière suivante… »
Voilà bien une école destinée à former des ingénieurs civils, qui se recrute sur elle-même à l’exclusion des établissements particuliers et à l’exclusion des élèves qui auraient reçu une instruction privée. L’école des mines de Liége est organisée dans les mêmes termes.
Ainsi, nous voyons là une école polytechnique fournissant les sujets pour les différentes applications, et consacrant le monopole dont on vous fait ici un effrayant tableau ; et tel est l’empire de cet esprit de monopole, que c’est pour l’exercer plus librement qu’on cherche à détruire la concurrence de l’école militaire. Est-ce là respecter la constitution ?
La constitution a posé en principe que l’enseignement doit être libre. Il en résultait donc que l’Etat pouvait aussi avoir des établissements d’enseignement, Elle a dit que dans ce cas la loi en réglerait l’organisation. Or, la législature qui a reconnu la nécessité de créer des universités, qui en a réglé l’établissement, peut reconnaître aussi la nécessité, que personne ne conteste, d’une école militaire.
La loi en ordonnera l’organisation. Nous sommes donc dans l’esprit de la constitution. Cette école militaire consacrera des divisions intérieures analogies à celles des universités ; elle sera donc tout aussi légale que les universités elles-mêmes, et l’on ne pourra d’après cela trouver que l’une soit plus inconstitutionnelle que les autres.
Le monopole de l’école militaire a tout aussi peu de fondement que son inconstitutionnalité.
A-t-on jamais dit que les facultés des sciences monopolisaient l’instruction parce qu’elles renferment des subdivisions ? Le législateur a compris que, pour être efficace, l’enseignement doit être donné dans un même établissement où l’on ferait succéder l’application à la théorie : il a pensé que la concurrence serait suffisamment satisfaite du moment qu’on admettait aux cours généraux tous ceux qui auraient assez d’instruction élémentaire pour être en état de les suivre avec succès.
Eh bien, ce qui a été considéré comme légal à l’égard des universités, ne le sera pas moins pour l’école militaire dès que vous aurez voté son organisation. Cette école ne monopolisera pas l’instruction, puisqu’on y admet après examen les élèves provenant de tous les établissements publics ou particuliers.
Pour être d’accord avec nous sur ce point, il faut préalablement s’entendre sur le caractère à assigner à l’école.
Ici je rappellerai ce qu’a dit l’honorable M. Dechamps en terminant son discours :
« L’enseignement de l’école militaire ne doit commencer que là où commence sa spécialité. »
J’admets entièrement cette proposition ; mais, dans ma manière de voir, la spécialité de l’école militaire commence à la première année des cours généraux de cette école ; car ce qui a paru convenable sous ce rapport pour l’école des ponts et chaussées de Gand est non seulement convenable, mais encore rigoureusement nécessaire, pour l’école militaire.
Là est toute la question, messieurs, et quand je serai entré à cet égard dans quelques explications, vous serez de mon avis.
La carrière militaire, bien qu’en aient pu dire ceux qui croient à l’existence d’une armée compatible avec la liberté de raisonner les ordres de service ; la carrière militaire exige au contraire des habitudes spéciales et des habitudes de vie intérieure qui lui sont propres. Dans le monde ordinaire, pour se distinguer dans une carrière quelconque, on doit recevoir tout à la fois l’éducation et l’instruction. L’éducation vous forme aux usages sociaux ; l’instruction vous crée l’homme d’une spécialité quelconque.
Dans la carrière militaire, il faut, pour être un bon officier, la discipline et l’instruction.
La discipline, c’est l’éducation du soldat : c’est l’observation de règles convenues et rigoureusement nécessaires, sans lesquelles il n’y a pas d’armée possible.
La discipline est peut-être la partie de l’enseignement militaire la plus essentielle, car sans elle les autres connaissances sont inutiles. Elle est la garantie la plus sûre du pays contre ce qu’il peut y avoir de dangereux dans la force militaire ; elle est tout à la fois l’âme de l’armée et le principe de sécurité du pays.
La discipline ne s’apprend pas en un jour ; elle ne s’apprend surtout qu’à une époque. C’est dès le début de la carrière ; plus tard il devient pour ainsi dire impossible de s’y soumettre.
C’est précisément par cette raison que vous ne formerez jamais de militaires, si vous ne les assujettissez à la discipline dès les grades subalternes, soit dans les régiments, en les faisant passer par tous les degrés de l’échelle ; soit dans les écoles, en les ployant dès les premiers jours aux règles toutes particulières d’une carrière pour ainsi dire exceptionnelle.
On comprend d’après cela que les élèves de l’école militaire doivent sous ce rapport recevoir cette instruction essentielle et contracter ces habitudes d’ordre, de régularité et de soumission en commençant leur carrière. C’est pendant la durée des cours généraux et au moyen du casernement que ces conditions sont remplies ; dans tout autre situation cela devient impossible.
La spécialité de l’école militaire commence donc aussi avec l’entrée de l’élève, et non, comme on le prétend, avec la première année des cours spéciaux : il est donc inexact de dire que l’école militaire se recrute en elle-même, puisqu’elle appelle tous les ans au concours d’entrée tous les jeunes gens qui sont aptes à subir les examens déterminés par le programme.
Si l’on veut être de bonne foi, si l’on veut reconnaître ce véritable état de la question, on devra convenir aussi que toutes les objections présentées tombent devant ce fait.
On se serait épargné tous les raisonnements perdus jusqu’à présent à combattre la loi si l’on avait bien choisi le point de départ de la question, si l’on avait envisagé l’école militaire sous son véritable point de vue, si enfin on s’était attaché à considérer ce qu’elle est, ce qu’elle produit, ce qu’elle peut produire ; si, au lieu de jeter à tout hasard des cris d’alarme, on s’était borné à examiner la réalité des dangers signalés, au lieu de les admettre avec une foi implicite.
Je ne vois donc, messieurs, aucun fondement dans les objections en apparence si graves de nos contradicteurs, et la chambre peut être tranquille sur le sort de l’instruction publique dans le pays. Cette instruction ne souffrira pas parce qu’il y aura un établissement de plus, et surtout si, comme on semble le craindre, cet établissement produit des hommes plus solidement instruits que tout autre.
L’honorable M. Dechamps a critiqué plusieurs dispositions du projet. Il a émis quelques opinions sur des points essentiels de l’enseignement ; à ses critiques comme à ses opinions, je dois une réponse.
L’établissement d’écoles séparées pour les différentes spécialités lui paraît une organisation consacrée en France et dans d’autres pays, qu’il propose pour modèle à suivre.
En France, on l’a déjà dit, il y a eu impossibilité matérielle de réunir l’application à la théorie, bien que cette espèce de centralisation ait toujours été considérée comme préférable : mais cependant la tendance à la centralisation se manifeste de plus en plus, car l’école polytechnique qui, dans l’origine, ne fournissait qu’aux ponts et chaussées, au génie et à l’artillerie, ajouta successivement des dispositions à son programme pour le recrutement de l’artillerie de marine d’abord ; de la marine et des ingénieurs géographes ensuite ; enfin, du corps royal d’état-major.
Dans les pays étrangers la centralisation comme nous la concevons existe.
Les académies militaires d’Autriche, d’Angleterre, de Russie, de Hollande, des Etats-Unis, etc., comprennent deux divisons, cours généraux et spéciaux : cette organisation est la meilleure et la plus sûre, c’est un perfectionnement que l’on fera toujours bien d’admettre quand on le pourra matériellement. Jamais, a dit l’honorable préopinant, une école qu’il appelle centrale, ne pourra offrir les avantages si grands attachés aux localités de Gand et Liége.
Cette observation s’applique principalement aux spécialités des ponts et chaussées et des mines. Elle me semble à moi tout à fait oiseuse ; à Gand y a-t-il des routes et des ponts modèles, et faut-il à une école de ce genre une étude de localité ? faut-il Four l’étude des mines l’inspection journalière des exploitations des usines, etc. ? Non certes, car les écoles des ponts et chaussées et mines de France sont à Paris, ce qui n’empêche pas la France d’avoir de bons ingénieurs. Dans un établissement central on craint aussi de voir sacrifier une spécialité à une autre, les mines au génie par exemple.
Cette observation est tout fait spécieuse dans un établissement comme l’école militaire auquel on réunirait une division pour le génie civil et les mines. Cette confusion est impossible par la marche même des études.
Après l’expiration des cours généraux, ceux qui se destinent à une spécialité quelconque ne peuvent pas se destiner à une autre. Les cours se donnent isolément à des élèves différents ; il n’y a donc pas de confusion possible.
L’honorable M. Dechamps trouve que l’enseignement des cours généraux de l’école serait incomplet ; il ne dit pas en quoi. Qu’on examine la nomenclature de ces cours, elle répond à cette objection. De ce que cet enseignement théorique a en vue des spécialités militaires, s’ensuit-il que cet enseignement puisse en être altéré ? Des mathématiques sont toujours des mathématiques, dans quelque but qu’on les enseigne.
L’article 3 a paru obscur, et l’explication qui en est donnée renferme une nomenclature incomplète. Obscur, non ; mais général, oui ; et quant à l’explication, si elle n’est pas suffisante, consultez le reste de la loi, consultez les tableaux de division des cours et vous verrez que l’enseignement des matières appliquées est aussi complet que le comportait le projet primitif, et comme la discussion est ouverte ici pour appeler la lumière sur l’organisation proposée, ajoutez-y ce qui manque pour les additions faites ou à faire à ce projet.
L’école polytechnique existe en Belgique ; elle réside dans les universités : ses élèves seront plus .forts que ceux de l’école militaire, etc. Telle est encore une des opinions proclamées pendant la discussion.
D’abord, je ferai remarquer que cela est en contradiction avec la peu qu’inspire la concurrence de l’école militaire. On ne la craint que parce qu’elle est forte ; et en effet elle l’est, elle sera toujours supérieure aux facultés des sciences des universités.
L’étude des sciences exactes demande de l’assiduité et un travail non interrompu ; elle exige une surveillance intérieure toujours plus facile à exercer dans un établissement fermé et soumis à une discipline sévère, que dans des établissements privés de ces avantages. La vie régulière, la division uniforme du temps, les répétitions, les interrogations fréquentes, sont des moyens indispensables pour faire des élèves forts et surtout des élèves également forts. Ces résultats, on les obtient à l’école militaire, et je n’hésite pas à dire qu’on ne pourrait pas les obtenir ailleurs par d’autres moyens. Que nos contradicteurs aillent voir là ce qui se passe, ils pourront alors parler en connaissance de cause ; il s’agit ici d’un fait facile à vérifier, et c’est médire gratuitement que de parler sans savoir, quand on n’a qu’un pays à faire pour apprendre.
Comme étude, l’école militaire paraîtra à tout homme impartial un établissement sans rival. Comme moyen d’éducation, elle présente aussi beaucoup de garanties.
Quand des jeunes gens ont tout leur temps employé à des travaux assidus et qui exigent une contention d’esprit continuelle, quand ils sont soumis à une surveillance clairvoyante, il est difficile qu’ils contractent des habitudes vicieuses ; et même, dans les courts instants de liberté qu’on leur accorde, il devient presque impossible qu’ils se dépouillent entièrement de cette influence d’ordre et de tendance à éviter ce qui est blâmable.
La section centrale a été au-devant de tous les besoins, elle a voulu joindre à toutes les garanties déjà connues, des garanties morales par l’application aux devoirs religieux ; et c’est dans ce but qu’elle a proposé l’adjonction d’un aumônier à l’établissement : aumônier qui aura aussi une instruction à donner et des exemples à prescrire.
Consciencieusement parlant, je suis convaincu que l’école militaire sera toujours, pour les parents qui veulent le bonheur de leurs enfants, un établissement préféré, et je n’en veux d’autre preuve que ce qui se passe chaque année aux examens. Dès que le programme est publié, bien qu’il ne faille souvent que 15 à 20 élèves, il se présente de 70 à 80 candidats. Je doute que les inscriptions aux facultés des sciences des universités puissent offrir un pareil résultat.
Ces sont ces considérations-là, messieurs, qui ont donné naissance à la proposition d’ajouter à l’école militaire une section pour le génie civil et les mines.
La section a pensé que le développement obligé que doit prendre un établissement comme l’école militaire remplissant la presque totalité des conditions d’une école plus complète et plus généralement utile au pays, ce complément devenait une simple question de dépense. Or, le calcul démontre qu’avec une augmentation qui ne s’élève pas au vingtième du budget de l’école, on pouvait y adjoindre la section du génie civil et des mines. Il faut convenir que c’est atteindre un grand résultat avec bien peu de moyens, et nous n’avons jamais pensé qu’on pût y faire une objection raisonnable.
Tout ce qui a été dit pour prouver que la loi organique proposée n’est pas inconstitutionnelle en ce qui concerne la spécialité militaire, s’applique également aux sections du génie civil et des mines ; ce que la loi a pu faire en créant les facultés des sciences aux universités, elle le peut pour la création nouvelle. C’est une concurrence de plus ; ce qui est bien autrement dans l’esprit de la constitution que les restrictions qu’on vous conseille dans des vues plutôt étroites que libérales. Dans un pays aussi éminemment industriel et travailleur que la Belgique, on ne peut trop multiplier les foyers d’études ; c’est là une vérité triviale qui n’a pas besoin de démonstration.
Les applications pour le génie civil et les mines ne nécessitent aucun changement aux dispositions des cours généraux et théoriques ; le corps spécial des ponts et chaussées ayant avec celui du génie militaire des parties communes, il en résulte que l’enseignement particulier pour cet objet se réduit à presque rien. Les constructions en général, la résistance des matériaux, l’étude des ponts, voilà tous objets qui doivent s’enseigner à l’école, qu’on forme ou non des ingénieurs civils ; et, pour ce dernier cas, il suffit d’un seul professeur.
Le cours des mines est absolument dans le même cas.
S’il y a des applications à faire sur le terrain, elles peuvent avoir lieu dans le même ordre et suivant les mêmes conditions que pour l’étude des fortifications, pour les travaux topographiques, etc., lesquels sont dirigés par des professeurs qui à des époques déterminées conduisent les élèves sur les lieux où il y a des levées à faire. On pourra également conduire de cette manière les élèves dans les établissements industriels et dans les exploitations, sans que l’éloignement de ces exploitations soit plus un obstacle pour une spécialité que pour une autre.
La section centrale a donc cru faire une chose éminemment utile en profitant des éléments que présente l’école militaire pour multiplier les moyens d’avoir en Belgique des bons ingénieurs civils en même temps qu’on la dotera de bons officiers de toutes armes.
M. Lejeune. - Messieurs, la Belgique doit avoir son école militaire. Sur ce point la chambre est, je pense, unanimement d’accord.
Le projet de loi tendant à établir cette école ne devait être, à son origine, qu’un projet de loi secondaire ; mais nous voyons ce projet tellement grandi avec le temps, il se présente aujourd’hui à la chambre dans des proportions tellement exorbitantes, qu’il est devenu un projet de loi de premier ordre, un projet de loi organique, qui touche à une de nos liberté les plus précieuses, nous pouvons dire la plus précieuse, la plus chère aux Belges : la liberté de l’enseignement ; liberté qui place la Belgique au plus haut degré de l’échelle constitutionnelle.
Nous avons organisé l’enseignement supérieur, en ayant tous les égards possibles pour le principe de la libre concurrence et pour l’admission aux grades et aux emplois, sans distinction du lieu où les candidats ont puisé leurs connaissances.
D’un côté, messieurs, nous devons conserver intacte la liberté de l’enseignement ; d’un autre côté nous ne pouvons prêter la main à désorganiser l’enseignement supérieur, à peine mis au creuset de l’expérience.
Cette désorganisation serait, sous tous les rapports, nuisible au pays, aux universités libres, comme aux universités de l’Etat, puisqu’il ferait cesser cette lutte, cette concurrence qui contribue beaucoup à rendre les études solides, surtout dans ces établissements qui ne viennent que de naître.
Si nous voulons conserver la liberté de l’enseignement et ne pas désorganiser les universités de l’Etat, nous devons être sur nos gardes.
On a pu remarquer souvent que, dans tout ce qui concerne le département de la guerre, il y a une tendance de se mettre à côté de la constitution, et de s’affranchir des lois organiques. Ceci soit dit, messieurs, sans application au chef de ce département : c’est une observations générale qui ne doit pas même se borner à la Belgique ; c’est un fait ; tout ce qui s’agite dans un département de la guerre veut avoir les coudées franches. Ce n’est pas sans efforts qu’on parvient à cramponner, pour ainsi dire, ce département aux principes constitutionnels. Qu’avons-nous vu récemment, messieurs ? A peine l’enseignement supérieur était-il organisé, qu’on vint réclamer pour le département de la guerre une école spéciale de médecine. Je sais bien, messieurs, qu’on nous a dit alors qu’un médecin militaire doit savoir beaucoup de choses que l’on n’enseigne pas dans les universités de l’Etat ; mais j’aurais répondu alors comme à présent : Si les militaires ont une manière particulière d’être malades et de se guérir, si les études universitaires sont insuffisantes, ajoutez à celles-ci un cours de médecine militaire, organisez l’enseignement médical dans nos universités, de manière à pouvoir y puiser toutes les connaissances nécessaires au médecin de l’armée.
Aujourd’hui, messieurs, on va beaucoup plus loin : on veut joindre à l’école militaire une école de génie civil et une école de mines. C’est de l’école militaire que devraient nous arriver à l’avenir tous les ingénieurs dans l’ordre civil. C’est à l’école militaire que ces fonctionnaires civils devraient avoir reçu leur instruction et leur éducation. Ici ce n’est plus simplement s’affranchir du joug d’une loi organique, c’est empiéter sur d’autres départements.
Il est vrai que le gouvernement a abandonné ce système de former des ingénieurs civils l’école militaire ; abandon bien faible et motivé uniquement sur l’opposition qu’on prévoyait de rencontrer. D’ailleurs, si le mot est supprimé, avec les amendements du ministre de la guerre, la chose reste. Et si le gouvernement abandonnait de fait le système de la section centrale, ce système étant soutenu par plusieurs honorables membres, il reste toujours en discussion.
Pour nous engager à ériger sur les bases les plus larges notre école militaire, on nous met sous les yeux ce qui se fait dans les autres pays ; on nous cite entre autres la Turquie et la Russie. Je puis admettre, messieurs, que l’empereur Mahmoud a fait très bien en Turquie, que l’empereur Nicolas fait peut-être mieux encore en Russie ; mais si nous faisions en Belgique comme Mahmoud en Turquie, comme Nicolas en Russie, nous ferions, je pense, fort mal. Nous avons à consulter, ce que ces pays n’ont pas, une loi fondamentale. Nous avons en outre sur l’enseignement supérieur, une loi organique faite en conformité de la loi fondamentale. Nous ne devons pas prendre pour point de départ ce qui se fait dans toutes les écoles militaires du monde. Nous devons nous conformer aux principes fondamentaux établis en Belgique. Méconnaître la constitution et même simplement la loi organique sur l’enseignement supérieur, ce serait placer l’édifice à côté de sa base.
Pour établir une école militaire conforme à nos institutions et aux besoins du pays, l’enseignement doit y commencer là où les études universitaires finissent, là où la spécialité, qu’exige l’état militaire, commence.
Voulez-vous établir, comme le propose la section centrale, des cours théoriques à côté de ceux qui existent déjà dans nos universités ? Il est évident que vous détruisez une partie de l’enseignement universitaire ; vous dites au département de la guerre : Allez et supprimez ce que le département de l’intérieur vient à peine d’organiser conformément à la loi.
Dire-vous, peut-être, que les mêmes cours universitaires continueraient à subsister à côté des cours semblables donnés à l’école militaire ? Mais vous maintiendrez de droit ce qui serait détruit de fait. Et si ces établissements rivaux pouvaient continuer à exister sans s’entre-détruire entièrement, à quoi bon cette triple dépense aussi onéreuse qu’inutile ?
Mais, vous a dit un honorable orateur, la Belgique aura toujours le soin d’une école militaire fortement organisée, où les études théoriques et pratiques soient complètes ; pour les cours théoriques vous voulez renvoyer aux universités de l’Etat. Est-il donc certain que les universités de l’Etat seront maintenues ? En faisant cette question, l’honorable M. Verhaegen émet ses doutes à cet égard.
Pour moi, messieurs, je fais des vœux pour que les universités de l’Etat se maintiennent et se consolident par une sage administration, par une direction éclairée des études ; l’enseignement n’en sera que mieux soigné, et les études plus solides dans les universités libres.
L’honorable orateur que je viens de citer doute de l’existence future des universités de l’Etat ; mais ce doute serait extrêmement aggravé, ce doute commencerait aussi pour moi, si nous prêtions aujourd’hui la main à les étouffer à leur naissance.
Le même orateur a si bien compris que les cours théoriques à l’école militaire formeraient double emploi, et que ceux des universités de l’Etat pourraient suffire, qu’il consent à borner l’enseignement de l’école militaire aux études d’application ; mais ce n’est pas pour le moment.
L’honorable membre veut que nous commencions par organiser l’école militaire sur les bases les plus larges, en comprenant tous les cours de théorie et d’application proposés par la section centrale. Cela est nécessaire parce que l’enseignement universitaire est insuffisant ; après cela organisez mieux, dit l’orateur, ces branches d’instruction dans les universités de l’Etat, et alors le gouvernement pourra supprimer sans difficulté les deux années d’études théoriques de l’école militaire. Je ne pense pas que la chambre soit tentée d’adopter cette marche. Si les études universitaires sont insuffisantes, le moyen de les compléter, ce n’est pas de les détruire.
En résumé, messieurs, la Belgique doit avoir, selon moi, son école militaire ; mais cet établissement doit avoir pour bases la constitution et la loi organique sur l’enseignement supérieur, il doit offrir toutes les ressources nécessaires pour les études spéciales d’application aux différentes armes, il doit être organisé de telle manière qu’il puisse exister simultanément avec les universités de l’Etat, sans en être le rival,, sans les absorber en partie, sans les désorganiser.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, ayant comme membre de la section centrale proposé, avec l’honorable M. de Puydt, l’adjonction à l’école militaire d’une école pour le génie civil et les mines, j’avais cru devoir me faire inscrire pour appuyer le projet ; mais l’honorable rapporteur ayant suffisamment répondu à toutes les objections qui ont été faites, je crois inutile d’entretenir plus longuement la chambre à cet égard.
M. Vandenbossche. - Lors de la discussion de la loi sur l’instruction supérieure, j’ai proposé de restreindre l’enseignement universitaire en y supprimant les articles 2 et 4 du projet.
Ici, je propose d’étendre l’enseignement, dans l’école que nous nous proposons d’ériger, aux sciences relatées dans ces dits articles, et d’y ajouter un cours complet des sciences mathématiques, physiques et naturelles. Je propose enfin d’ériger une école polytechnique sur la plus grande échelle.
Les universités doivent nous produire les jurisconsultes et les médecins, et c’est dans ces deux branches de sciences, le droit et la médecine, que je désirerais aussi d’obtenir de hautes capacités spéciales.
Pour devenir une spécialité qui puisse honorer un pays, on doit avoir un génie supérieur ; mais quelle que soit son étendue, tout génie a des bornes.
Quelque vaste que soit l’intelligence d’un homme, s’il veut être homme universel, nécessairement il restera en tout homme ordinaire.
Or, quelles sont les sciences qui offrent le plus d’attrait pour les esprits supérieurs ?
Les sciences exactes et naturelles.
Supposons donc un élève qui se destine pour le droit ou la médecine, et qui soit particulièrement doué d’une conception facile et d’une mémoire heureuse ; il voudra tout apprendre, assuré qu’il est d’être toujours à même de pouvoir se tenir de niveau avec ses confrères ; il prendra les inscriptions exigées ; il fréquentera par nécessité les cours prescrits, pour parvenir aux grades qu’il se propose ; mais il fréquentera par goût, et par conséquent avec plus d’assiduité, les cours des sciences qui n’y ont aucune relation, et dont il s’occupera de préférence dans ses études. il y trouvera ainsi de quoi surcharger sa vaste intelligence, et, s’il devient homme universel, il restera en tout homme ordinaire. Or, ce ne sont pas les hommes universels, mais les hantes spécialités, qui honorent notamment au pays, et qu’il nous importerait de pouvoir obtenir en Belgique.
Ces hommes spéciaux, messieurs, la Belgique les obtiendrait en bornant l’enseignement universitaire, et en érigeant une école polytechnique particulière, bien plutôt qu’en concentrant l’enseignement de toutes les sciences dans un seul établissement.
Voilà les motifs qui, en 1835, lors de la discussion du projet de loi sur les universités, m’ont fait proposer une école spéciale pour les sciences relatées dans les articles 2 et 4, et qui m’engagent ici à vous proposer l’érection d’une école polytechnique sur la plus grande échelle, dans l’espoir qu’on ne tardera pas à supprimer dans nos universités les sciences qu’ils relatent.
L’enseignement ainsi circonscrit dans nos universités, les matières y seront encore trop multipliées pour le commun des élèves. Mais il se trouvera à la portée d’un génie supérieur, et ne surchargera pas sa capacité ; il pourra profiter de toutes les leçons, et il pourra se rendre compte, ainsi que rendre compte aux autres, des sciences qu’il y aura acquises.
Dans la discussion de la loi sur les universités, un honorable membre a dit « qu’on ne saurait trop étendre les connaissances d’un avocat. »
L’honorable M. Jullien ajoutait que celui qui n’a d’autres connaissances que celle du droit pourra être fort savant, mais que ce sera bien, en société, le plus sot mortel qu’il y ait au monde. » Tout cela peut être vrai ; mais à défaut de pouvoir connaître d’une manière complète et distincte différentes branches de sciences, il vaut mieux n’en connaître qu’une, celle qui constitue son état et de la connaître à fond. Qu’importe ici la conversation sociale ? On trouve des personnes très spirituelles en société, mais, en revanche, très bornées dans ce qu’il leur importe notamment de bien connaître. Et ce qui regarde ici les avocats et les magistrats, s’applique aux médecins et à tous les états de la vie sociale.
Je pense donc qu’il serait à désirer, dans l’intérêt de la science, de supprimer dans l’enseignement universitaire les hautes sciences mathématiques et géométriques dans leurs diverses applications, lesquelles ne sont d’aucune utilité en droit ou en médecine, et qui ne peuvent pas même orner l’esprit d’un avocat ou d’un médecin ; d’établir par contre une école spéciale pour leur enseignement.
Une école polytechnique telle que je propose, se trouverait plus fréquentée que la première université du royaume, et Gand ou Liége ne feraient que gagner, si elles pouvaient échanger leur université contre une pareille institution ; et attendu qu’une université de l’Etat suffit aux besoins de la nation, vu que la Belgique possède en outre deux universités libres, érigées sur un pied convenable, et qui se concilient, aussi bien que les universités de l’Etat, la confiance des parents ; vu d’ailleurs que tous les sièges de nos différentes universités se communiquent par le chemin de fer qui en abrège les distances et les rend, pour ainsi dire, voisins l’un de l’autre ; je désirerais la suppression d’une des deux universités de l’Etat, et son remplacement dans la ville qui la perdrait par l’école polytechnique que je propose d’établir.
Agissant ainsi, je pense que nous agirions et dans l’intérêt des sciences et dans l’intérêt du trésor public, en conférant un avantage à la ville qui l’obtiendrait en échange de son université.
J’approuve, et au besoin j’aurais même proposé d’attacher à cette école polytechnique une école militaire d’application.
Voilà l’école que je désirerais, dans l’intérêt des sciences et du trésor public, voir établir ; toute autre institution ne pourrait point obtenir mon assentiment.
Quant à l’instruction scientifique, elle sera, je l’espère, complète ; d’ailleurs, le principe admis, on examinera les matières d’enseignement dans la discussion des articles. Mais peut-on bien négliger dans cette école tout instruction morale ? Peut-on bien y faire abstraction de tout enseignement religieux, et de tout devoir de religion ?
L’article 14 de la constitution garantit la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière.
Faut-il, pour être fidèle à cette disposition constitutionnelle, s’abstenir d’imposer aux élèves certains devoirs religieux, certaines pratiques de religion ?
Si on nous proposait une loi proprement dite, je pense qu’on pourrait soutenir cette thèse. Mais ce n’est pas une loi proprement dite que nous nous proposons de faire, c’est un acte de pouvoir législatif par lequel nous autorisons l’érection d’une école aux frais de l’Etat. Nous agissons ici comme tout particulier est en droit d’agir ; l’enseignement est libre. (Article 17.)
Si nous érigions une école, outre le but direct que nous nous proposons, nous devons aussi nous proposer de la rendre prospère, et à cet effet nous devons concilier à notre école la confiance des pères de famille.
L’Etat n’a pas de religion, mais nous ne pouvons pas contester que la nation en a une, et que les 19/20 du peuple belge sont catholiques, et ces catholiques ne donneront leur confiance à notre institution que pour autant qu’on y élève leurs enfants dans le respect et les devoirs de leur religion.
La raison donc nous prescrit d’ériger notre école sur un pied éminemment catholique.
Ceci posé, j’ai vu avec surprise le « tableau de la distribution des études et de l’emploi du temps pendant une semaine, » où je ne trouve pas un seul quart d’heure destiné à la prière et aux pratiques de la religion catholique, la religion de 19/20 des Belges.
C’est pour l’instruction du peuple belge que nous érigeons notre école : ceci établi, n’y aurait-il pas une absurdité à en exclure les 19/20 pour opinion religieuse, et cela en vertu de la liberté de religion ?
Si on rencontrait des personnes qui prétendent élever leurs enfants dans l’indifférentisme religieux, ne serait-il pas plus rationnel de dire à ceux-ci : L’enseignement est libre, vous connaissez les sciences que l’on doit posséder pour arriver aux grades que nous entendons conférer ; faites instruire vos enfants ailleurs, et quand ils auront acquis les connaissances exigées, qu’ils se présentent aux examens, et ils seront accueillis de même que les élèves de l’école.
Pour ces motifs je me trouverai encore forcé de rejeter le projet si on n’y introduit l’enseignement moral basé sur la religion catholique.
(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837) M. Devaux. - Messieurs, j’avais l’honneur de faire partie de la commission chargée par M. le ministre de l’intérieur de préparer le projet de loi organique de l’instruction donnée aux frais de l’Etat ; l’opinion que j’y soutiens n’était pas favorable à l’établissement de deux universités. Je voulais un système nouveau, aussi nouveau que la position même du pays en matière d’enseignement ; un système qui, tout en prévenant l’agglomération trop grande des jeunes gens dans un établissement unique, ne forçait cependant pas l’Etat à se faire concurrence à lui-même, assurait à l’instruction des bases larges et complètes, et aux divers cours, des auditeurs nombreux. Après de longs débats, mon opinion fut admise par la majorité de la commission. Mais plus tard on y revint, on craignit surtout que ce qu’elle avait de trop nouveau et d’un peu trop compliqué ne l’empêchât de réussir devant les chambres et devant le pays.
La commission l’abandonna. Sans l’appui du gouvernement et de la commission, il devenait inutile de la reproduire- dans la discussion parlementaire, où les amendements, lors surtout qu’ils sont présentés par un membre isolé, doivent, pour première condition de succès, être simples, d’une appréciation facile et rapide, et ne pas trop heurter les idées reçues.
La chambre adopta les deux universités ; quoiqu’ayant été, dès l’origine, d’une autre opinion, je ne partageai pas, je l’avoue, toutes les craintes qui furent exprimées dans cette assemblée. Les deux universités, dans mon opinion, pouvaient vivre, et vivre d’une vie assez brillante ; mais à cette double condition, que nous, législateurs, dans nos décisions ultérieures, nous leur portassions aide et bienveillance, et que, de son côté, le gouvernement remplît tous ses devoirs, qu’une main active, intelligente et sympathique ne cessât de les soutenir et de les protéger. Si un jour elles venaient à être frappées de langueur, c’est que l’une ou l’autre de ces conditions n’aurait pas été accomplie.
Toutefois, il est impossible de se dissimuler que la position des universités de l’Etat est plus difficile en Belgique que dans aucun autre pays, obligées qu’elles sont de se faire concurrence entre elles, et de soutenir la libre concurrence des établissements privés. Il faut à de tels établissements non seulement des professeurs distingués, des noms illustrés par la science, mais encore des élèves assez nombreux pour qu’il y ait vie et émulations dans les études, et pour que le professeur se sente encouragé et soutenu par son auditoire. Dans des classes à moitié désertes, les études s’attiédissent, le froid passe du banc de l’élève à la chaire du professeur, et le but de l’enseignement oral, qui est principalement d’être plus animé et plus saisissant que l’étude solitaire, est perdu.
Ces difficultés de la position des universités, qui, pour n’être pas insurmontables, n’en sont pas moins réelles, c’est à nous et au gouvernement à ne jamais les perdre de vue. Soyons-en bien persuadés, ce serait un grand malheur pour la civilisation du pays que la chute des universités de l’Etat. Si elles n’étaient plus là, ou comme modèle ou comme stimulant des autres établissements, l’instruction supérieure en Belgique descendrait bientôt du niveau où elle est parvenue. Ce niveau n’est malheureusement pas très élevé encore ; nos efforts doivent tendre à le rehausser. Ce serait une honte pour nous, pour le gouvernement, pour le pays, de le voir descendre.
Ces considérations, ces vues d’ensemble dominent-elles les deux projets qui nous sont présentés par la section centrale et par le ministre de la guerre ? Il me semble que non ; les auteurs de ces deux projets ont pour but de fonder une bonne école militaire, et je conçois que l’œuvre leur ait paru d’une grande importance nationale ; c’est sans doute parce que cette importance les a vivement frappés, que leur préoccupation en est devenue exclusive. Et le ministre de la guerre et la section centrale ont borné leur horizon aux intérêts de l’organisation de l’école militaire ; ils n’ont vu que ce but, et pourvu qu’ils y arrivassent, ils ne se sont pas inquiétés de savoir ce qu’ils renversaient ou froissaient sur leur passage.
Ils n’ont pas vu que leur projet portait aux universités de l’Etat, je ne dirai pas le coup de mort, mais un coup malheureux dont elles n’avaient certes pas besoin pour augmenter les difficultés de leur position, et qu’elles ne devaient attendre ni de nous, à qui elles doivent l’existence, ni du gouvernement, qui les a organisées. Les auteurs des deux projets n’ont pas vu qu’ils nous proposaient de faire une bonne chose et en même temps une très mauvaise, alors qu’il était si facile de se borner à en faire une bonne et même d’en faire deux bonnes à la fois.
Je ne m’attacherai guère au projet de la section centrale en ce qui concerne l’extension polytechnique qu’il veut donner à l’école militaire ; cette partie du projet, n’étant pas appuyée par le gouvernement, a dès lors peu de chances de succès. Mes observations, en s’adressant aux amendements de M. le ministre, s’appliqueront, à plus forte raison, au travail de la section centrale.
Quelle est l’organisation proposée par M. le ministre de la guerre ?
L’école militaire, telle que M. le ministre de la guerre propose de l’établir, se composerait de deux sections, chacune de deux années d’études ; la section supérieure serait l’école militaire proprement dite ; là on enseignerait l’art militaire et toutes les branches qui s’y rapportent directement ; ce serait l’instruction spécialement militaire. Au-dessous de cette section il y en aurait une autre ; ce qu’on appelle les cours généraux, les cours préparatoires, en un mot, l’enseignement des mathématiques supérieures, de la physique et de la chimie.
Eh bien, messieurs, ce dernier enseignement existe ; non seulement il existe, mais l’Etat l’a déjà créé deux fois. Je vois, dans le projet de M. le ministre de la guerre, que dans la section préparatoire ou, en d’autres termes, dans les cours généraux, l’enseignement comprendra les mathématiques (complément des mathématiques élémentaires, haute algèbre, analyse appliquée à la géométrie, calcul différentiel et intégral, calcul des probabilités), la mécanique analytique, la géométrie descriptive et ses applications, la physique, la chimie et les manipulations, l’astronomie, la géodésie et la topographie, l’architecture, les belles-lettres, la mécanique appliqué, la chimie et la physique appliquées aux arts militaires. Ce sont là les diverses branches des cours généraux. Ouvrez maintenant la loi organique de l’enseignement supérieur du 27 septembre 1835, vous y lirez (article 3) que, dans les facultés des sciences des universités de Liège et de Gand, on enseignera :
L’introduction aux mathématiques supérieures (haute algèbre), les mathématiques supérieures, la théorie analytique des probabilités, l’astronomie, la physique, la chimie, la mécanique analytique, la mécanique céleste, la physique, la chimie et la mécanique appliquée aux arts, la minéralogie, la géologie, la zoologie, l’anatomie et la physiologie, la botanique et la physiologie des plantes, la géographie naturelle, l’anatomie végétale.
L’article 4 de la même loi ajoute :
« Dans la faculté des sciences de Gand, on enseignera l’architecture civile, les constructions nautiques, l’hydraulique, la construction des routes et des canaux, la géométrie descriptive avec des applications spéciales aux machines, aux routes et aux canaux.
« Dans la faculté des sciences de Liége, on enseignera l’exploitation des mines, la métallurgie, la géométrie descriptive avec des applications spéciales à la construction des machines.
« Des maîtres de dessin ou d’architecture pourront être attachés à ces deux facultés. »
Ainsi, messieurs, voilà exactement le même enseignement que vous avez déjà créé deux fois et qu’on vous propose de fonder, moins complet, une troisième. Ces articles de la loi organique du haut enseignement ont été mis à exécution, l’article 3 depuis la promulgation de la loi, et le dernier depuis 3 mois, par un arrêté royal de 1836 ; les cours des écoles spéciales des ponts et chaussées sont ouverts à Gand, l’enseignement y a tous ses développements et les cours sont suivis. Les travaux graphiques, dont on a parlé hier, se font également dans ces écoles spéciales de vos universités.
Ainsi, même dans le projet du ministre de la guerre, il y a une nouvelle concurrence que l’Etat se fait à lui-même. Il y a une troisième fois un enseignement identique pour toutes les branches de la section préparatoire des deux années de cours généraux.
Ainsi l’Etat fonderait trois fois le même enseignement, en attendant encore un quatrième enseignement qu’on va lui proposer de fonder sur des bases analogues pour l’école vétérinaire, et alors que plusieurs pensent qu’aujourd’hui il y a trop d’universités en Belgique et que tout le monde, du moins, sans exception, est d’avis qu’il y en a largement assez.
On a beau retrancher le paragraphe de la section centrale qui érige l’école militaire en école polytechnique ; il est évident que pour les deux premières années au moins le nom seul est changé ; c’est la concurrence de l’Etat établie contre ses propres universités. On croit que des élèves militaires seuls fréquenteront l’école ; mais qui peut même le garantir ? Je dis pour ma part que l’école militaire renferme aujourd’hui, et renfermera plus tard en plus grand nombre, des jeunes gens qui ne se destineront pas à l’état militaire, mais qui embrasseront la carrière du génie civil ou une autre profession.
Et remarquez qu’en dehors de l’enseignement, et l’instruction y fût-elle inférieure à côté de l’université, l’école militaire offre un grand avantage aux jeunes gens ; elle leur présente de plus que les universités l’appel d’une grande économie. En effet, pour 800 fr., l’élève trouvera à se loger et à se nourrir à l’école militaire, tandis qu’il en coûte peut-être deux ou trois fois autant aux parents pour placer leurs enfants dans une université de l’Etat.
C’est un premier avantage ; un autre, c’est qu’après deux années le jeune homme, entré dans une université de l’Etat, n’a aucun caractère, aucun titre ; à la fin du même temps, l’élève de l’école militaire a le choix d’entrer dans l’armée, et comme il peut très bien vouloir se conserver l’alternative, il entrera à l’école sans se destiner à la carrière militaire, l’enseignement y fût-il inférieur à celui des universités.
Enfin, un autre avantage encore, c’est que, pour de très jeunes gens surtout, les parents peuvent préférer le casernement de l’école militaire, la surveillance qui s’y exerce, à la vie libre des étudiants auprès des universités de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, je suppose que l’on parvienne à compenser ces divers avantages, toujours est-il vrai que l’on va former un troisième établissement, alors que de l’aveu de tout le monde, en ce qui concerne l’instruction, nous avons assez de deux établissements, si pas trop.
Déjà, sous le régime hollandais, les facultés des sciences étaient pauvres en élèves ; cependant il n’y avait alors en Belgique que trois universités dont la fréquentation était imposée à tous ceux qui aspiraient aux grades académiques.
Déjà, à cette époque, les cours de la faculté des sciences étaient faiblement suivis. Aujourd’hui, le gouvernement, en exécution de la loi, a organisé, une faculté en quelque sorte industrielle près de chaque université : Gand possède une école spéciale des arts et manufactures et du génie civil ; Liége, une école spéciale d’arts et manufactures et des mines.
Comme aujourd’hui la disposition générale des esprits tend vers l’industrie, il en résulte que la création de ces écoles spéciales doit donner une nouvelle vie aux facultés des sciences ; peut-être cette nouvelle institution est-elle destinée à devenir la source la plus féconde de prospérité pour les universités. Ces cours nouveaux ne sont en activité que depuis quelques mois, et déjà on leur fait la guerre, et c’est le gouvernement lui-même qui commence cette hostilité.
Je reconnais toute l’importance d’une école militaire ; je sais combien il est désirable de voir entrer dans le corps des officiers des jeunes gens instruits, disciplinés, bien élevés, imbus de bonnes idées et de bonnes habitudes ; mais je ne crois pas qu’on doive atteindre ce but en minant les universités de l’Etat, alors surtout qu’on peut y parvenir par d’autres moyens.
J’avoue que je n’accepterais ni une école militaire ni une école polytechnique comme un équivalent des universités.
Nous commettrions une grande faute, une faute dont nous aurions à rendre compte aux générations futures, si nous sacrifions les intérêts des universités de l’Etat qui sont le principal foyer des études fortes et l’espoir le plus sûr de notre civilisation. Leur perte assurément serait en définitive un malheur pour toutes les opinions. Et si elle venait à se réaliser un jour, ce serait avoir fait au ministère qui assisterait à de pareilles funérailles une position fort commode que de lui avoir permis d’en rejeter la responsabilité sur les lois que nous avons faites.
Messieurs, je viens de vous soumettre quelques observations critiques. Comme j’ai peu de goût à la critique négative, et que j’appartiens par mes opinions, non à la politique qui se plaît à détruire, mais à celle qui aime à construire ou à reconstruire ; après avoir dit ce qu’il ne fallait pas faire, je me hâte d’ajouter ce qu’il y avait à faire suivant moi.
Il y avait plusieurs partis à prendre, aussi faciles l’un que l’autre : le premier eût été, messieurs, si l’intérêt de l’armée le permet (et j’insiste sur la réserve), de se borner à des cours d’application.
Sous le rapport de l’instruction, les cours préparatoires de l’école militaire ne sont pas nécessaires ; il existe dans le pays assez de moyens d’instruction pour toutes les branches d’enseignement qui forment ces cours ; si d’ailleurs l’enseignement universitaire laissait à désirer encore, on pourrait l’améliorer ; et, subordonnant l’entrée de l’école militaire à un examen sévère, on arriverait quant à l’instruction des officiers au même résultat.
Mais ici s’élève une autre question. N’est-il pas nécessaire, dans l’intérêt de la discipline, que le ministre de la guerre puisse avoir les élèves militaires, pendant quatre ans et non pendant deux ans seulement, sous sa surveillance ? J’avais des doutes à cet égard, et j’en conserve encore.
Je conçois très bien que dans un pays neuf comme le nôtre, dans un pays où n’existent pas des traditions militaires, dans lequel l’esprit militaire est faible, par la raison qu’une nation n’a d’esprit militaire que lorsqu’elle se bat pour son propre compte, lorsqu’elle a un drapeau, et que le nôtre date d’hier ; je conçois, dis-je, qu’il nous faille plus de temps et plus d’efforts qu’aux nations qui se trouvent dans des conditions différentes, pour faire entrer l’esprit de discipline dans le sein de l’armée, pour former les véritables mœurs de l’officier.
Toutefois, messieurs, les doutes que j’avais à cet égard sont un peu diminués, depuis que M. le ministre de la guerre lui-même a proposé un amendement, par suite duquel les officiers d’infanterie et de cavalerie ne resteront à l’école que pendant deux ans.
Les officiers d’artillerie ne doivent pas être soumis à une discipline plus sévère que les officiers d’infanterie et de cavalerie. Si l’on peut se contenter de deux ans, en ce qui concerne ces derniers, la discipline n’exige pas que l’on outrepasse ce terme pour les autres. Toutefois, malgré cette espèce de contradiction de M. le ministre de la guerre, il me reste des doutes sur la possibilité de retrancher les cours préparatoires sans nuire, non pas à l’instruction, mais à l’esprit et aux mœurs militaires des officiers ; aussi ne serait-ce qu’avec beaucoup de répugnance, et en quelque sorte en désespoir de cause, que je voterais leur suppression.
J’ajoute que ne regarderais pas comme inconstitutionnel ‘établissement des cours généraux. Et si le ministre de la guerre avait réellement besoin, dans l’intérêt de la discipline, de conserver les jeunes gens pendant quatre ans, avant de les admettre de plein sauf dans les rangs des officiers, la disposition qui accorderait cette faculté au ministre, ne peut paraître inconstitutionnelle à aucune opinion.
A cet égard, je ne partage pas l’avis de l’honorable député qui a pris le dernier la parole dans la séance d’hier (l’honorable M. Dechamps). Il a admis, lui, que l’Etat peut recruter exclusivement dans ses propres écoles, les ingénieurs civils et autres fonctionnaires des services spéciaux, pourvu que ces écoles soient spéciales.
Mais, dès le moment que les cours généraux sont nécessaires, l’école militaire même avec les cours généraux devient spéciale. Ainsi, dans ce sens, même dans l’opinion de l’honorable membre, cette extension de l’école militaire ne peut avoir rien d’inconstitutionnel. Mais quelle que puisse être la nécessité de ces cours, encore ne faudrait-il pas adopter le projet tel qu’il est conçu.
Dans ce cas, il y a encore à choisir entre deux plans qui, au lieu de faire la guerre à l’enseignement universitaire, lui viendrait l’un et l’autre en aide.
Le premier serait de placer toute l’école militaire près de l’une des universités de l’Etat, de l’y transporter avec son chef, son organisation et ses répétiteurs ; elle y resterait sous l’autorité du ministre de la guerre, qui en ferait les règlements, en nommerait le directeur, les surveillants, les répétiteurs, ainsi que tous les professeurs de l’enseignement militaire proprement dit : seulement, les cours généraux des deux premières années seraient donnés par les professeurs de l’université, soit à l’école militaire, en présence des élèves de l’université, soit dans le local de l’université, en présence des élèves de l’école militaire ; c’est ainsi que les élèves de l’école normale en France suivent les cours de la Sorbonne et d’autres.
Pour le reste, même discipline qu’à l’école militaire de Bruxelles, même casernement ; en un mot, organisation absolument semblable à celle qui régit aujourd’hui l’établissement de la capitale.
Pour l’école militaire, il n’y aurait rien de changé que quelques professeurs spéciaux, c’est-à-dire que les cours donnés par des professeurs spéciaux à l’école militaire seraient donnés par des professeurs de l’université.
Pour les universités, tout serait changé ; ce qu’elles devaient craindre comme une cause de ruine, deviendrait pour elles un véritable bienfait. Au lieu de leur arracher des élèves au profit de l’école militaire, on leur en assurerait un plus grand nombre ; et les élèves de l’école militaire, par cela même qu’ils seraient conservés, deviendraient, dans l’intérêt des études, un exemple utile d’émulation pour les autres élèves.
De cette manière, vous supprimez encore une dépense déjà faite deux fois, une partie du personnel de l’école. Je ne lésinerai jamais sur les dépenses utiles de l’instruction publique ; mais on ne peut se dissimuler qu’en temps ordinaire, l’école militaire ne pouvant pas espérer, même, je crois, dans l’opinion de M. le ministre, de réunir plus de 60 élèves destinés à l’état militaire (car, en temps ordinaire, pas plus de 15 places d’officier par an ne seront disponibles pour les élèves de l’école, surtout dans les armes spéciales) ; on ne peut se dissimuler, dis-je, que c’est beaucoup qu’un personnel enseignant s’élevant à 56 personnes pour 60 élèves.
Croit-on que les professeurs de l’université ne pourraient pas donner aux élèves de l’école militaire des leçons de mathématiques, de physique et de chimie aussi bien que les professeurs spéciaux de l’école ? Je fais ici abstraction de personnes, je parle en thèse générale. Mais les professeurs de l’école militaire sont moins bien payés que les professeurs de l’université, d’après le projet de la section centrale ; d’après le projet du ministre, ils ont encore les minervales de moins. Dans tous les cas donc le ministre de l’intérieur a encore un peu plus de choix que le ministre de la guerre pour ses professeurs. Il serait singulier que le gouvernement dît au pays : Voilà des hommes aptes à enseigner les mathématiques, la physique et la chimie, à tous les jeunes gens du pays ; mais je les déclare incapables de donner le même enseignement aux officiers de l’armée.
Il y aurait, à cet égard, avantage à ce que les élèves de l’école militaire suivissent les cours des sciences de l’université, et que le ministre de la guerre exerçât sur ces cours une surveillance par ses répétiteurs et ses examinateurs ; s’ils trouvent qu’ils faiblissent, il adresserait ses observations au ministre de l’intérieur, il lui dirait : Votre faculté des sciences ne satisfait plus aux besoins de mon école, il faut surveiller les professeurs ou les changer.
Je ne verrais aucun inconvénient à ce que la faculté des sciences de l’université fût subordonnée à toutes les exigences de l’école militaire. Je n’en verrais même pas à ce que, pour les cours de sciences communs à l’école et à l’université, les nominations fussent faites sur la présentation combinée des ministres de l’intérieur et de la guerre.
Que si on pense que l’école militaire doit rester sous l’œil du gouvernement, à Bruxelles même, il resterait ce dernier parti à prendre. Ce serait de maintenir à Bruxelles la section d’application et de transporter auprès de l’université la section des cours généraux qui fait concurrence et double emploi avec les universités. On séparerait ce qui, en France, est également séparé ; cette section préparatoire, vous la soumettriez au même régime que l’école militaire ; le même esprit, le même chef si l’on veut, les dirigerait toutes deux ; vous donneriez à cette section des répétiteurs, vous la soumettriez au casernement, à toutes les mesures réglementaires que vous jugeriez convenables, mais elle recevrait l’enseignement universitaire des professeurs de l’université. Ce serait, comme on dit aujourd’hui, une pédagogie militaire.
Je n’ai rien dit de l’établissement d’une école polytechnique. Dans la commission qui a rédigé le projet de loi sur l’instruction publique, on a agité la question de savoir si on créerait, en dehors ou auprès des universités, une école polytechnique. A cette époque les pédagogies n’étaient pas introduites en Belgique ; on crut qu’on y répugnerait ; ce fut une des raisons principales qui firent abandonner le casernement des élèves de l’école polytechnique ; mais on convint de fortifier l’université même et d’y établir l’école polytechnique, sauf le casernement. C’est ce qui a été prescrit et exécuté par les arrêtés de 1836. C’est ce qui existe aujourd’hui. Je tiens en main le programme des cours de l’université de Gand. A Gand il y a une école des arts et manufactures et une école des ponts et chaussées avec tous ses développements ; à Liége, il y a une école des arts et manufactures et une école des mines. Ainsi, l’école polytechnique qu’on demande existe, au casernement près ; elle existe même à peu près deux fois ; car certaines parties sont répétées à Liége et à Gand. Faut-il maintenant introduire le casernement ? Je suis très disposé à l’admettre. Ainsi, je veux bien qu’on institue une école polytechnique comme la section centrale l’entend, pourvu que ce ne soit pas au détriment des établissements actuels de l’Etat. Mais, encore une fois, il reste pour cela très peu de chose à faire : la pédagogie, c’est-à-dire le casernement, voilà tout ce qui manque. Un directeur, quelques surveillants à nommer ; les répétiteurs existent déjà dans les écoles spéciales des universités ; et, quant à la dépense, ce serait peu de chose, attendu que le prix de la pension payée par les élèves la couvrirait en très grande partie.
En résumé, je ne m’oppose pas à ce qu’on donne tout le développement désirable à l’instruction militaire, à ce qu’on crée même une école polytechnique ; mais je ne veux pas qu’on détruise d’une main ce qu’on a créé de l’autre. Il ne faut pas qu’inutilement et déraisonnablement l’Etat se fasse une concurrence funeste à lui-même, et là il y a déjà assez de concurrence. Qu’on coordonne une organisation utile et forte de l’école militaire avec l’existence des universités, et je serai le premier à l’appuyer, parce que j’en reconnais la haute importance.
(Moniteur belge n°326, du 22 novembre 1837) M. Gendebien. – Je ne puis laisser terminer la discussion générale, sans émettre mes idées sur l’instruction militaire. Je ne dirai rien de neuf ; mais je crois devoir rappeler ce que j’ai dit à plusieurs reprises au ministre actuel et à son prédécesseur.
Messieurs, nous allons faire, pour le service militaire, à peu près ce qu’on a fait quand on a créé les universités. On va s’occuper de l’instruction supérieure, en quelque façon de l’instruction aristocratique, et on oubliera encore l’instruction des masses. C’est ainsi que quand on a présenté la loi sur l’instruction, elle se composait de trois titres, mais on a proposé de n’en discuter qu’un seul, celui relatif à l’instruction universitaire ; on a subdivisé ce chapitre, et on est arrivé à créer un jury d’examen ni plus ni moins. Aujourd’hui on ne subdivise pas le projet, parce qu’on est arrivé de suite, sans s’occuper de l’instruction inférieure, à l’instruction supérieure.
On se contente de répudier un amendement relatif à une instruction spéciale, qui paraissait le complément nécessaire de l’enseignement supérieur de l’école militaire. Je veux parler de l’école polytechnique proposée par la section centrale. Je ne m’occuperai pas de cette question ; assez d’autres s’occupent de l’instruction supérieure. Pour moi, je ne vois d’instruction utile, d’instruction nationale, d’instruction constitutionnelle, que l’instruction offerte à tous les soldats, sous-officiers, officiers de troupes et d’état-major, y compris les généraux destinés à commander nos armées. Pour les soldats, je veux de bonnes écoles régimentaires, de bataillons, même de compagnies, s’il le faut, pour arriver à mon but.
Je sais que le ministre a pris un arrêté récent pour encourager l’instruction réglementaire. Je ne connais pas les détails de cet arrêté ; mais, quel qu’il soit, cela ne suffit pas ; c’est une loi qu’il faut, une loi prescrivant comme obligation, comme premier devoir au ministre, d’établir l’instruction régimentaire, afin qu’un ministre, quel qu’il soit, ne puisse pas la négliger sans compromettre sa responsabilité. Je suppose les meilleurs intentions à M. le ministre de la guerre actuel ; M. Evain en avait aussi de très bonnes, à ce qu’il disait ; il nous a fait les plus grandes protestations, mais elles n’ont abouti à aucun résultat.
J’admets que le ministre actuel mette tous ses soins à établir cette instruction, son successeur pourra être d’une opinion contraire. Cependant, s’il faut en croire les renseignements qui nous parviennent, tel ne serait pas l’esprit qu’on voudrait faire prédominer dans l’armée. Non seulement on éloignerait les soldats de l’étude, mais on s’attacherait à jeter un vernis de ridicule et de mépris sur ceux qui s’appliquent, et certain chef de corps ne craindrait pas de dire : « Nous ne voulons pas d’avocats, de savants ni de philosophes ! » En un mot, on veut l’abrutissement des masses pour arriver à l’obéissance passive, à la compréhension de toute idée libérale.
Eh bien, je m’opposerai à toute loi qui n’établira pas pour premier devoir, qui n’imposera pas au gouvernement l’obligation d’instruire les soldats. C’est un devoir sacré de leur donner quelque instruction en retour du sacrifice que vous les forcez de faire à l’Etat de leur plus belles années.
Vous appelez sous les drapeaux une partie de la population chaque année, pour l’exposer non seulement aux dangers de la guerre, c’est là le moindre mal ; mais aux dangers de l’oisiveté et du casernement, en retour, vous ne leur donnez rien, vous les renvoyez dans leurs foyers plus mauvais qu’ils ne l’étaient quand ils en sont sortis. Tout cela se fait en vertu du devoir de servir son pays, qu’on proclame comme sacré ; mais toute la peine est pour le malheureux prolétaire, sans bénéfice aucun pour lui. Qu’on y réfléchisse enfin, c’est pour la deuxième fois que je le répète, dans un gouvernement constitutionnel, on ne peut imposer aucune charge, aucun devoir, sans une juste compensation.
Eh bien, personne ne me fera croire que le malheureux milicien, qui est resté au service 7 ou 8 ans, soit dignement récompensé, quand il a reçu seulement la nourriture et le vêtement. Il lui faut autre chose, et pour lui et pour la société active dont il a été soustrait dans l’intérêt général. Si on encourageait l’instruction dans les régiments, si on faisait comprendre aux chefs de corps qu’il est inutile d’ennuyer le soldat par toute espèce de corvées et de lui faire perdre son temps à mille niaiseries, si on leur faisait comprendre que ce qu’il y a de plus utile pour la discipline et le bien-être du soldat et du pays, c’est l’instruction ; je suis persuadé qu’ils trouveraient tous pendant l’hiver, et même en tout temps, le moyen de consacrer 4 ou 5 heures chaque jour à l’instruction.
Pendant l’été, si les travaux sont plus grands, les journées sont plus longues ; on peut, sans inconvénient, consacrer plusieurs heures à l’instruction. C’est d’ailleurs le premier devoir d’un gouvernement et surtout d’un gouvernement constitutionnel, d’un gouvernement vis-à-vis d’une armée qui n’est pas composée, comme autrefois, de gens qui se vendent, de gens recrutés dans les égouts des grandes villes, mais de citoyens auxquels la loi impose la charge du service militaire, comme un devoir constitutionnel.
Ce que je viens de dire peut me conduire immédiatement aux officiers. (Je reviendrai tout à l’heure aux sous-officiers.) De même que notre armée n’est plus recrutée dans les égouts des grandes villes pour soutenir le despotisme, et se compose de citoyens de toutes les classes, de même on ne peut plus, comme autrefois, composer une aristocratie militaire pour la commander. Puisque vous avez des citoyens qui portent le fusil, ayez des citoyens pour les commander. C’est la manière digne de notre époque de faire régner l’harmonie entre les supérieurs et les inférieurs.
Ainsi, plus d’aristocratie militaire pour commander dans l’armée. Est-ce à dire pour cela que je ne veuille pas d’instruction chez les officiers. Non, sans doute ; mais je veux qu’on aille chercher ailleurs que chez les personnes qui peuvent payer une pension annuelle de 800 fr. et les accessoires ; et c’est le devoir du gouvernement d’aller chercher ailleurs. C’est dans les régiments que vous devez trouver des officiers. Ayez de bonnes écoles régimentaires, et vous y trouverez de bons sous-officiers ; prenez dans les sous-officiers ceux qui auront les plus heureuses dispositions, et vous aurez d’excellents officiers. Ainsi vous ne condamnerez pas les vrais, les seuls éléments militaires constitutionnels à être toujours soldats ; vous leur donnerez à tous l’espoir et la possibilité d’être un jour sous-officiers et officiers ; vous établirez une concurrence, une émulation qui, tout en contribuant à une bonne discipline, préparera de bons et d’utiles citoyens.
Après avoir créé de bonnes écoles régimentaires, formez dont de bonnes écoles de sous-officiers. Je sais, ou du moins on m’a assuré, que le ministre a pris une disposition au sujet des sous-officiers. C’est après mes demandes réitérées pendant 6 ans qu’on y a enfin pensé. Mais comme je le disais tout à l’heure, cela ne suffit pas, il fait que cela soit consacré dans la loi. Je ne vois pas pourquoi l’on ne stipulerait pas pour les sous-officiers et soldats, les mêmes garanties que l’on croit nécessaires pour les officiers. Vous demandez une loi pour consacrer des droits aux élèves destinés à entrer dans l’armée comme officiers ; pourquoi n’avoir pas la même sollicitude pour les soldats citoyens que la loi contraint au service militaire ?
Encore une fois, j’admets que le ministre ait les meilleures dispositions possibles. (Ils ont toujours, tous, aussi longtemps qu’ils sont ministres, les meilleures dispositions, c’est incontestable.) Je vais plus loin, je veux admettre que M. le ministre de la guerre, dérogeant aux habitudes de ses très honorables, très consciencieux prédécesseurs, veuille bien tenir ses promesses ; qui nous garantir que ses successeurs auront la même opinion ? Ainsi, le ministre aura beau s’engager à composer une bonne école de sous-officiers, je veux à cette institution une autre garantie ; je veux qu’une loi fasse au gouvernement un devoir de la former et de la maintenir bonne et durable, utile avant tout au pays.
J’admettrai l’école d’officiers, mais à la condition sine qua non de la concurrence en faveur de tous les hommes qui s’instruiront, quelle que soit leur position, à la condition surtout de la concurrence des soldats et des sous-officiers ; mais si je ne vois pas cette concurrence, toute constitutionnelle, je voterai contre la loi.
Mais je voudrais autre chose que ces trois écoles ; je voudrais que, hors des temps de campement et d’exercice, il y eût à Bruxelles, ou ailleurs, mais surtout à Bruxelles où reposent les archives du génie, de l’artillerie et de l’état-major, une réunion d’officiers de tous grades et de toutes armes, où ils fussent initiés aux hautes sciences stratégiques.
Je voudrais qu’on réunît ces officiers pendant 4 ou 5 mois par an, et qu’après leur avoir donné les notions nécessaires, on leur donnât, la même année ou l’année suivante, une partie de la Belgique à explorer, à étudier ; qu’on établît, en quelque façon, un concours à l’effet de donner le meilleur plan de défense et d’attaque ; qu’on s’occupât ainsi successivement de chaque partie de la Belgique, afin que les officiers connaissent le terrain et ne soient pas obligés d’improviser une défense ou une attaque, au moment où il s’agira de combattre. Voilà le complément de l’instruction de l’armée, depuis le soldat jusqu’au général en chef.
Si vous ne coordonnez pas un ensemble dans l’instruction militaire, vous n’arriverez à rien d’utile pour le pays ou pour le gouvernement ; vous pourrez faire quelques demi-savants qui passeront pour des pédants, qui seront odieux par leur morgue scolastique aux camarades qu’ils viendront joindre dans les régiments ; ils seront un objet de jalousie et d’antipathie, précisément parce qu’ils viendront prendre la place d’autres qui auront les mêmes droits et souvent plus de droits qu’eux au grade d’officier. Vous aurez jeté dans l’armée des germes de perturbation, au lieu de germes féconds de discipline que vous pourriez faire éclore, par un bon système d’instruction générale.
On dit sans cesse : « Il faut deux, trois ou quatre ans pour instruire et polir les officiers, pour leur donner l’éducation et l’esprit de discipline. » J’admets, si l’on veut, ces idées ; mais si vous les bornez à une catégorie, si ces officiers privilégiés trouvent dans les corps des éléments hétérogènes, au lieu de concourir à augmenter la discipline, ils n’amèneront que de l’envie et du désordre. C’est le résultat inévitable de tous les privilèges. Généralisez l’instruction, et vous arriverez à un résultat tout contraire.
Dans cette circonstance, comme dans presque toutes, et notamment toutes les fois qu’il s’est agi des lois organiques dont on prétend avoir doté le pays, on n’a pris que des demi-mesures, on a mis en avant que des idées mesquines, toujours indignes de notre régénération politique.
Pour moi, sans avoir la prétention d’appartenir par mes opinions à la politique de construction, comme on le disait tout à l’heure, je déclare que je veux autre chose que ce qu’on a fait. Tout en me prononçant pour la démolition des projets du gouvernement et de la section centrale, j’ai indiqué des moyens de construction plus complets, plus efficaces dans l’intérêt du pays, de l’armée et même du gouvernement.
Je me bornerai à ces observations.
Je déclare que je voterai contre le projet de la section centrale et contre le projet du gouvernement, si on ne propose pas quelque chose qui soit plus d’accord, plus en harmonie avec notre régénération politique, plus conforme au gouvernement constitutionnel et aux intérêts du pays.
(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837) – M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je dois déclarer à la chambre que tous les discours que j’ai entendus ne m’ont pas fait changer d’opinion sur la convenance de conserver une école militaire telle que j’ai l’honneur de la proposer à la chambre.
En conséquence, je regarde comme ma tâche de répondre, aussi succinctement que possibles, aux principales objections des orateurs qui se sont succédé.
Le discours de l’honorable M. Dubois, qui a été entendu le premier, peut être regardé comme se divisant en deux partie. La première a principalement pour objet de s’opposer à l’institution de ce qu’il a appelé une école polytechnique. Je n’ai pas besoin de m’occuper de cette partie de son discours, ayant déclaré que je me bornais à défendre le projet d’une école purement militaire.
L’honorable orateur, en s’occupant de ce projet, a commencé par blâmer la section centrale, et probablement le ministre de la guerre, de ce qu’on avait supprimé la disposition qui plaçait l’école militaire dans une ville de guerre.
Dans l’état actuel des choses, il est impossible de dire qu’on a trouvé dans une ville quelconque un local qui convienne pour une école militaire. C’est là un motif qui a fait ajourner la question d’emplacement.
L’école militaire, quoique ne possédant pas toutes les conditions de son entier développement, se trouve cependant assez bien établie pour qu’il soit permis d’ajourner la solution de cette question, sans inconvénient, jusqu’à ce que de nouvelles recherches et un nouvel examen aient indiqué le meilleur parti à prendre à cet égard.
Une deuxième objection de M. Dubois a eu pour objet le grand accroissement de dépense qui serait occasionné par l’établissement de l’école telle qu’elle est proposée. Il a fait remarquer que, dans le projet de 1834, on n’avait proposé qu’une dépense de 52 mille fr., et il a évalué à plus de 210 mille fr., celle qui résulterait de l’adoption du projet actuel.
Je dois faire observer à la chambre que le chiffre de 52 mille fr. dont on parlait en 1834, s’appliquant à l’école militaire telle qu’elle existait alors, c’est-à-dire ne possédant que le quart des élèves qu’elle devait avoir, et n’ayant qu’une division. Ce chiffre a dû nécessairement s’accroître tous les ans jusqu’au moment où le maximum des sections a été atteint.
Toutefois, il y a de l’exagération dans les chiffres dont l’orateur a parlé. Je suis persuadé qu’une école primaire, organisée d’après les amendements que j’ai proposés au projet de la section centrale, ne nécessitera jamais une dépense au-delà de 170 mille fr.
La question la plus grave que l’orateur ait traitée, a été celle de l’inconstitutionnalité d’une école militaire.
L’opinion de l’honorable membre, qu’il n’a du reste énoncée que comme un doute, est loin, je pense, d’être partagée par tout le monde.
L’école militaire ne me semble présenter qu’une instruction aux frais de l’Etat ; or, c’est une exception à la liberté indéfinie à l’instruction, admise par la constitution. Et si cette exception doit être mise en usage, je crois qu’elle est particulièrement applicable à l’état militaire qui est un état exceptionnel.
La constitution n’a pas posé cette instruction, c’est-à-dire, à l’instruction donnée aux frais de l’Etat, d’autres conditions que celle d’être organisée par une loi ; c’est donc au gouvernement et à la chambre à déterminer les limites dans lesquelles l’école militaire doit être circonscrite ; mais en principe on peut établir cette instruction exceptionnelle.
Et à propos de ces limites, je crois devoir faire observer qu’elles doivent être posés par une loi spéciale, et ne peuvent être trouvées dans d’autres lois spéciales concernant des objets différents. Je ferai remarquer, en passant, que cette circonstance, que la loi est indispensable pour régler cette instruction exceptionnelle et un motif pour la voter le plus tôt possible, et une excuse de l’insistance avec laquelle j’ai prié la chambre de vouloir bien la mettre à l’ordre du jour.
C’est surtout à cause de la création d’une école préparatoire, d’une école renfermant des cours généraux, que l’école militaire a été présentée comme inconstitutionnelle ; je ne vois pas que l’inconstitutionnalité puisse résulter de la nature particulière des cours que l’on fait dans l’école dont il s’agit ; il me semble ici que c’est l’égalité qui pourrait être blessée plutôt que la liberté.
L’instruction aux frais de l’Etat ne me paraît pas donner plus d’avantages que l’instruction libre. Les examens qui succèdent aux études dans les universités confèrent le droit d’aspirer à exercer telle ou telle profession dans la société, comme les professions d’avocat et de médecin ; et l’école militaire a pour objet de conférer, dans les limites posées par la législation spéciale, le droit d’être admis aux grades dans l’armée. L’école préparatoire ne donne pas immédiatement le droit d’admission au grade, mais si l’on convient qu’il faille passer par cette instruction préliminaire pour arriver aux grades, on fait en quelque sorte de cette école militaire une annexe à l’état militaire.
Il y a d’ailleurs une observation à faire. La loi du 16 juin 1836 sur l’avancement a décidé que pour pouvoir devenir officier dans l’armée, il fallait avoir passé deux ans dans une école militaire, ou bien avoir été pendant deux ans sous-officier dans l’armée ; l’école militaire telle qu’elle existe, ainsi qu’on l’a dit, conduit également aux grades de sous-lieutenant dans l’infanterie, et dans la cavalerie, comme dans l’artillerie et dans le génie ; mais comme il n’est pas nécessaire de faire des études aussi longues pour les premières armes que pour les deux dernières, deux années suffisent afin d’arriver aux grades dans la cavalerie et dans l’infanterie ; sous ce rapport, il serait donc impossible de supprimer cette école préparatoire ; et comme elle tient lieu du grade de sous-officier pendant deux ans, elle peut être regardée comme faisant partie du service militaire pour ceux qui y passent ; et elle ne peut être regardée comme donnant un privilège, puisqu’elle fait partie de l’état militaire.
Ainsi tous ceux qui, par examen, peuvent être admis à l’école, doivent se considérer comme aptes aux grades après de nouveaux examens, qui suivent leurs études ou leur service de deux années. Il me paraît que cette circonstance satisfait ceux qui demandent que toute instruction reçue dans les écoles publiques ou privées conduise aux emplois, puisque les examens, au lieu de conduire directement au grade d’officier, conduisent à une situation par laquelle il faut passer pour arriver à ce grade.
On a contesté l’utilité, et la nécessité à plus forte raison, de cette école préparatoire. Je viens d’établir déjà qu’elle était indispensable pour les armes de l’infanterie et de la cavalerie. Messieurs, il est assez rare que les jeunes gens se présentent aux examens de l’école militaire avec l’intention bien arrêtée d’entrer dans une arme quelconque, dans l’infanterie ou dans la cavalerie ; la plupart visent à ce qu’ils croient le plus haut, et le plus grand nombre se destine presque toujours aux armes spéciales du génie et de l’artillerie ; mais il leur arrive quelquefois de se faire illusion sur leurs dispositions naturelles ; alors, au bout d’un certain temps, ils reconnaissent qu’ils ne sont pas appelés à suivre tous les développements de l’instruction nécessaire à ces armes, et ils renoncent à suivre cette carrière, et se destinent à la cavalerie ou à l’infanterie. Cette connaissance de leurs dispositions peut arriver au bout d’un an, même au bout de six mois. Pour ceux dont la vocation est volontaire, c’est au bout de l’année que leur résolution est prise.
Parmi ceux qui aspirent à ce qu’ils appellent les armées élevées, il en est qui persistent dans leurs projets et qui continuent leurs études préparatoires pendant deux années : s’ils échouent, ils sont forcés d’accepter d’être sous-lieutenants dans l’infanterie. Cela même peut arriver au bout de trois ans.
Il me semble qu’il ne peut résulter de là que de bons effets : ces jeunes gens qui auront ainsi poussé de plus en plus loin leurs études ne peuvent faire que des officiers d’autant plus instruits et d’autant meilleurs.
L’école préparatoire est surtout nécessaire, comme éminemment propre à donner aux jeunes gens qui se destinent à l’état militaire, le véritable sentiment et le goût de cet état, la conviction de la nécessité de la discipline, la faculté de concilier l’élévation d’esprit, l’élévation des sentiments, le point d’honneur avec la subordination ; l’école préparatoire a le grand avantage de donner aux jeunes gens l’habitude du travail, de les éloigner de l’oisiveté, du goût de la vie des lieux publics qui est peut-être ce qu’il y a de plus funeste à la conservation du véritable esprit militaire, du respect pour soi-même, du respect et de l’habit qu’on porte. Comme cet enseignement moral est de la plus haute nécessité, il me semble qu’on ne saurait trop prolonger le temps pendant lequel il peut être donné.
Mais, dit-on, puisque deux années suffisent pour les élèves qui se destinent à l’infanterie et à la cavalerie, deux années devraient suffire également pour les élèves qui se destinent à l’artillerie et au génie. Je viens déjà d’établir, messieurs, que quand les élèves se présentent à l’école militaire, ils ne peuvent pas savoir s’ils seront officiers d’artillerie ou du génie. Un examen, dira-t-on, pourrait établir de suite s’ils ont le degré de connaissance nécessaire à cet effet ; mais lorsque les jeunes gens qui se destinent à l’artillerie et au génie, après les études préalables et longues qu’ils ont été obligés de faire, sont arrivés au point de pouvoir être admis dans l’une ou l’autre de ces armes, ils reçoivent le grade de sous-lieutenant, et deviennent par cela même moins propres à se former à des habitudes d’obéissance. Or, une partie essentielle de l’instruction militaire serait manquée.
Si vous supprimez l’école préparatoire, vous n’aurez plus de garantie de l’instruction des jeunes gens qu’on admettra dans les armes spéciales, où, de l’avis de tout le monde, l’instruction supérieure est cependant indispensable. Vous n’aurez plus sous ce rapport d’autres garanties que celles des examens qui sont tout à fait insuffisantes ici. Je le répète, pour bien remplir les devoirs d’officier de l’artillerie ou du génie, il faut avoir une instruction très solide et très étendue ; il faut avoir ce que j’appellerai son instruction dans la main ; il faut en posséder fortement tous les éléments pour pouvoir en faire usage, sans hésitation aucune, dans toutes les circonstances possibles.
Eh bien, messieurs, les examens de fin de cours ne donnent pas une garantie suffisante que l’instruction est possédée à un tel degré ; ces examens sont souvent précédés de travaux forcés, d’études poussées à l’excès, qui ont chassé, pour un moment, les notions dans la tête, mais qui ne leur ont pas permis d’y prendre de profondes racines. J’ai vu très souvent à des examens brillants succéder des études très faibles.
Une école préparatoire donne des garanties bien autrement fortes que l’instruction est évidemment profonde et qu’elle a été acquise pas à pas ; que jamais un pas n’a été fait sans que celui qui a précédé n’ait été convenablement assuré. Cela, messieurs, résulte de l’organisation même de l’école préparatoire, dans laquelle les professeurs, secondés par des répétiteurs, ne perdent jamais l’élève de vue. Ces inspecteurs d’études sont non seulement chargés d’expliquer aux élèves les points difficiles qu’ils n’ont point suffisamment compris dans la leçon, mais font aussi des interrogations fréquentes qui ont pour objet de faire connaître si l’élève a suffisamment profité des leçons.
D’ailleurs, messieurs, quand on enseigne une chose, on ne l’enseigne pas tout entière ; on ne s’occupe que de la démonstration des théorèmes fondamentaux ; la science est comme un de ces grands fleuves de l’Amérique, dans lesquels les bâtiments tracent seulement un sillon. Pour diriger leur course, c’est par des points de repères choisis dans la descente que ceux qui les dirigent parviennent à retrouver la direction qu’ils doivent suivre. Eh bien, dans l’enseignement des sciences il semble qu’on doive opérer d’une manière analogue ; l’enseignement des sciences est surtout efficace par l’application qu’on fait des théories. Lorsqu’alors on donne une instruction scientifique un peu spéciale, on choisit tous les exemples, toutes les applications qui se rapportent à cette spécialité. Sous ce point de vue encore on peut dire qu’une école préparatoire est une véritable annexe à une école d’application, et qu’elle fait même nécessairement partie d’une école d’application.
L’honorable M. Dubois, auquel je suis toujours occupé à répondre, a admis l’utilité d’une école militaire proprement dite, d’accord en cela avec tous les orateurs qui ont déjà été entendus ; il me semble que l’utilité d’une école préparatoire est tout à fait évidente, et qu’on peut sans scrupule l’admettre également. J’ai encore une autre objection à faire contre l’admission à l’école militaire spéciale pour les armes de l’artillerie et du génie, à la suite d’un simple examen : les élèves ne pourront guère arriver de la sorte à l’école qu’à l’âge moyen de 18 à 20 ans ; l’éducation de la maison paternelle ou l’éducation du collège, dans lesquels règnent l’ordre et la discipline, ne peut pas conduire les jeunes gens jusque-là ; il faudrait qu’ils traversassent un temps de liberté, un temps d’indépendance, pendant lequel leur esprit contracterait des habitudes auxquelles il faudrait renoncer lors de l’entrée dans l’école ; eh bien, cette renonciation deviendrait fort difficile. L’instruction universitaire peut être très bonne, et mon intention n’est pas d’imiter l’exemple de quelques orateurs qui font le procès à l’école militaire au profit des universités ; mais je ne pense pas que l’instruction universitaire soit bonne pour conduire à la carrière des armes ; c’est pour ce motif-là que je pense que l’école militaire doit saisir les jeunes gens au moment même où finit pour eux, soit l’éducation de la maison paternelle, soit l’éducation du collège.
Le projet de l’école militaire a été attaqué, quoique assez légèrement, sous un autre point de vue, par l’honorable M. Seron ; je ne pense pas qu’il soit nécessaire de discuter sérieusement ses objections contre l’établissement d’une école militaire : la nécessité d’une semblable école est, je pense, généralement reconnue ; je n’ai donc à répondre qu’à quelques objections de détail.
L’honorable orateur a critiqué, en premier lieu, le défaut d’énonciation spéciale des cours qui seront donnés dans les différentes sections. Je pense, messieurs, que de cette énonciation pourrait naître une confusion fâcheuse dans la loi ; du reste, l’article 2 de la loi donne un exposé général de tous les cours qui seront donnés à l’école militaire, et cet exposé est assez explicite pour être devenu l’objet des critiques d’un autre honorable membre, qui a cru y voir la preuve que nous vouons établir une véritable école polytechnique. Cette nomenclature générale doit convaincre l’honorable M. Seron que tous les besoins de l’instruction que réclament les différents services publics de l’armée, seront amplement satisfaits.
L’honorable orateur a regretté aussi de ne pas trouver dans la loi tous les cas d’applications spéciales de peines qui pourraient se présenter ; mais je lui ferai remarquer seulement qu’une loi qui renfermerait toutes les applications ne serait pas une loi d’école militaire, mais un véritable code pénal, un code de discipline. Au reste, tous les cas de discipline sont généralement traités d’une manière fort libérale, et comme il s’agit d’officiers futurs, d’hommes qui se destinent à entrer dans l’armée, c’est en général le code de discipline de l’armée (avec les modifications que réclame l’état particulier des personnes auxquelles il faut appliquer les peines), qui sert de guide.
L’honorable orateur a craint que cette disposition : que l’organisation intérieure de l’école serait réglée par des arrêtés insérés au Bulletin officiel, ne couvrît des intentions arbitraires.
Il me semble, messieurs, que les détails dans lesquels le projet est entré, montrent assez qu’il n’y a pas d’arrière-pensée à cet égard ; et d’ailleurs, on peut se rendre compte facilement de ce qui reste encore à régler par des arrêtés, quant à l’organisation intérieure :ce sont la distribution des cours, l’emploi du temps des élèves, l’administration de l’école, enfin différents autres objets dont on peut aisément apprécier la nature.
L’honorable orateur a paru craindre que cela ne couvrît l’intention d’empêcher les élèves de prendre part à des polémiques de journaux. Je pense qu’au lieu de rassurer les parents des élèves contre cette crainte, je ferai mieux de les rassurer contre la crainte contraire. Les élèves de l’école militaire auront assez d’autres besognes à faire, pour ne pas être tentés d’écrire dans les journaux ; mais s’ils s’avisaient de le faire, on devait, pour les en empêcher, employer tous les moyens compatibles avec une bonne police.
L’honorable orateur aurait voulu que le programme d’admission eût été également inséré dans la loi ; mais, messieurs, ce programme est publié tous les ans, et sous ce rapport les garanties de la publicité sont suffisantes.
L’honorable orateur s’est plaint de ce que l’on n’exigeât pas un certificat de moralité ; mais s’il avait lu le programme d’admission, il aurait vu qu’on exige un certificat de bonne conduite : ce qui sans doute revient au même.
L’honorable orateur s’est plaint qu’il n’y eût pas un cours de littérature à l’école militaire, et il a fait ressortir les avantages que l’étude des lettres peut avoir pour amener l’aménité des mœurs et la bonne harmonie parmi les hommes qui doivent vivre ensemble.
Eh bien, messieurs, le programme même indique qu’un cours de littérature fait partie de l’enseignement de l’école militaire ; il en est de même d’un cours d’histoire générale comme d’un cours d’histoire militaire.
Le personnel de l’établissement, en ce qu’il serait trop nombreux, a été également l’objet des critiques de l’honorable M. Seron ; ma réponse à cette objection s’appliquera aux observations de plusieurs autres orateurs.
L’honorable M. Seron a fait la nomenclature du nombre de personnes qui font partie du personnel de l’école ; mais l’honorable membre n’a sans doute pas fait appel que ce personnel sert à des besoins de plus d’un genre. Il y a non seulement l’enseignement, mais il y a encore la surveillance des études ; il y a l’administration, ainsi que le commandement militaire ; évidemment il faut un personnel assez nombreux pour suffire à tous ces besoins.
L’honorable orateur trouve que le nombre des élèves admissibles à l’école est trop petit ; d’autres seraient tentés, peut-être, de le trouver trop grand ; mais, messieurs, cette limite est commandée par les besoins de l’armée.
L’honorable membre a trouvé en même temps que le nombre des bourses est également trop peu considérable. Mais, si l’on ne veut pas rendre l’instruction de l’école militaire absolument gratuite, il faut alors nécessairement admettre certain rapport entre le nombre des élèves et celui des bourses que l’on veut conférer.
Admettant que l’école ne peut pas être gratuite, l’honorable orateur a critiqué l’élévation de la pension ; je pense que cette critique n’est pas fondée. Un autre orateur, M. Gendebien, a paru craindre qu’il ne fût question d’établir une aristocratie militaire, en n’admettant à l’école que des jeunes gens ayant assez de fortune pour pouvoir payer une pension de 800 francs.
Je répondrai aux deux honorables opposants qu’ils ont perdu de vue qu’une loi antérieure, la loi sur l’avancement de l’armée, a déjà fait la part des grades qui doivent être affectés respectivement aux sous-officiers de l’armée et aux élèves de l’école militaire.
Je dirai maintenant que c’est, suivant moi, une chose utile qu’il y ait une école militaire accessible, pour ainsi dire, aux personnes ayant quelque fortune. Je vais expliquer ma pensée à cet égard.
Je regarde comme utile que des personnes ayant de la fortune entrent dans l’armée. Pour que l’armée soit véritablement nationale, il faut qu’elle renferme des personnes appartenant à toutes les classes de la société.
Or, si vous n’accordiez qu’aux sous-officiers le droit de passer officiers, vous excluriez nécessairement toutes les personnes qui jouiraient d’une véritable aisance sociale ; car ces personnes ne voudraient pas passer par les grades inférieurs. La loi exige que, pour passer sous-officier, on ait été pendant six mois soldat ou brigadier ; les personnes dont je parle ne voudraient sans doute pas se soumettre à cette condition.
Je pense donc que s’il n’y avait pas d’école militaire, laquelle serait donc pour ainsi dire exclusivement réservée aux personnes des classes aisées de la société, il existerait une sorte de privilège en sens inverse au détriment de ces personnes, et par conséquent aussi au détriment de l’armée.
M. Seron a craint que ne fît abus de la faculté du renvoi de l’école ; il a trouvé, entre autres, exorbitant que les principes d’exclusion, adoptés pour l’école militaire, fussent les mêmes que pour l’armée.
J’avoue que je ne partage pas cette opinion. Les officiers de l’armée ont déjà des droits acquis qu’il faut certainement respectés au moins autant que ceux des jeunes gens qui sont admis à l’école militaire. D’ailleurs, les officiers de l’arme auxquels la loi sur la perte des grades vient à être appliqué, sont ordinairement des hommes qui ont déjà atteint un âge où il est difficile de se plier à de nouvelles études, de s’ouvrir une nouvelle carrière ; tandis que les jeunes gens de l’école militaire qui, par mauvaise conduite, ne mériteraient pas d’y être conservés, trouveraient dans leurs études un moyen d’embrasser une autre carrière.
L’obéissance passive a paru un danger à craindre de la part de l’école militaire ; je pense, au contraire, comme je l’ai déjà fait observer, que l’école militaire doit ranger, parmi les sujets dont elle s’occupe, le soin d’appliquer cette obéissance passive, mais de l’appliquer en en faisant comprendre la nécessité, et en faisant sentir qu’elle n’est pas incompatible avec la véritable indépendance de caractère. C’est là, surtout, à mon avis, le plus grand bienfait d’une école militaire ; c’est aussi le motif pour lequel je pense que la durée du séjour dans cette école ne doit pas être trop courte.
L’honorable orateur a traité enfin la question de l’instruction primaire, sans l’étendre toutefois à l’armée, comme l’honorable M. Gendebien. M. Gendebien a réclamé surtout une loi qui organisât ce que j’appellerai l’école primaire de l’armée.
Pour ma part je n’éprouve aucune répugnance contre cette loi, mais je pense qu’il n’y aura lieu de s’occuper de cet objet que lorsqu’on organisera, par une loi, l’instruction primaire et moyenne. Dans l’état actuel des choses, les écoles régimentaires, qui sont convenablement organisées, répondent aux besoins que les deux honorables orateurs ont signalés.
J’ai peu de chose à répondre au discours de l’honorable M. Verhaegen ; je suppose que, voulant l’école avec l’adjonction des cours du génie civil, il la voudra sans l’adjonction de ces mêmes cours.
Quant à l’amendement que l’honorable membre a annoncé, et qui aurait pour objet d’établir que, dans un avenir plus ou moins éloigné, l’admission à l’école militaire spéciale serait prononcée à la suite d’un examen subi devant le jury établi par la loi de 1835, j’ai déjà exposé les objections que j’ai à faire contre ce système. Ces objections consistent surtout dans la nécessité qui en résulterait pour les élèves de cette partie du service spécial, pour les futurs officiers du génie et de l’artillerie, de traverser un enseignement détaché des entraves d’une discipline efficace, pour arriver à l’école spéciale militaire.
L’honorable membre a indiqué lui-même l’objection des travaux graphiques. Cette objection est très grave, et je ne pense pas qu’il y ait été entièrement répondu par l’honorable M. Devaux : c’est là une chose assez difficile, lorsqu’on n’a pas une école militaire organisée, où les élèves sont casernés, et sont l’objet d’une surveillance facile et continuelle, c’est une chose assez difficile, dis-je, de s’assurer qu’ils ont fait eux-mêmes les dessins qu’ils prétendent être les leurs. Or, je pense que toutes les personnes qui connaissent le genre de dessin auquel se livrent les élèves de l’école militaire, comprendront l’importance qu’il y a à ce que les élèves fassent eux-mêmes ces dessins ; je crois d’ailleurs que M. Devaux s’est trompé en présentant comme déjà organisées aux universités les écoles où les élèves se livrent aux travaux graphiques sous les yeux d’un maître ou surveillant ; je crois que ce n’est encore là qu’un projet. Comme l’heure est assez avancée, et que les observations qui me restent à faire seront assez longues, je les présenterai demain, si la chambre le désire. (Oui ! oui !)
(Moniteur belge n°326 du 22 novembre 1837) – La séance est levée à 4 heures 20 minutes.