(Moniteur belge n°308, du 4 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des électeurs des cantons sud et nord de Namur demandent qu’il soit fait des changements au tableau annexé à la loi du 30 avril 1830, en assignant aux communes rurales des cantons susdits le nombre des conseillers provinciaux qu’elles auront à nommer. »
« Des huissiers de Liége demandent que la chambre sanctionne le projet d’abrogation du décret du 14 juin 1813, relatif à la bourse commune des huissiers. »
« Des marchands et détaillants de Tamise (Flandre orientale) réclament contre les ventes à l’encan de marchandises neuves. »
« L’administration communale d’Arendonck demande que la bonneterie étrangère soit imposée à la valeur et frappée d’un droit de 15 à 20 p. c., droit nécessaire pour protéger cette industrie. »
« La chambre de commerce et des fabriques de Mons demande la suppression du droit de sortie établi sur le fil de lin de toute espèce. »
« Le sieur J.-L. Otten, locataire d’un moulin à écorces et à foulon situé sur la Frontière du Limbourg, demande une indemnité du chef des pertes que son industrie a éprouvée par suite de la révolution. »
« La veuve Evans, de Brockoistord, se plaint d’avoir été forcée de payer des contributions communales qui n’avaient pas été autorisées par un arrêté royal. »
« Le sieur Dubosch, père, demande que la chambre s’occupe de la loi relative aux indemnités. »
« Des habitants de la commune de Fumal (Liége) proposent diverses modifications à la loi électorale. »
« L’administration communale de Poperinghe demande que la chambre intervienne pour obtenir du gouvernement français une réduction de droits à l’entrée des houblons belges en France. »
« Le sieur Ferdinand Boudin, rentier, né à Toulouse, habitant la Belgique depuis 1815, demande la grande naturalisation. »
« Le sieur Van Damme, fabricant de savon noir à Lokeren, demande qu’il lui soit accordé une indemnité sur sa patente. »
M. de Langhe. - Je demanderai que la pétition de l’administration communale de Poperinghe, relative aux houblons, soit renvoyée à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport, afin que si des négociations sont reprises avec la France, on ait égard à l’objet du mémoire. Je demanderai en outre que cette pétition soit insérée au Moniteur. »
- Les propositions de l’honorable membre sont adoptées.
M. Verdussen. - Il est souvent assez difficile d’entendre, de nos places, l’analyse des pétitions : j’ai trouvé, dans le Moniteur du 30 octobre, mention d’une pétition, présentée dans la séance du jour précédent, par laquelle on demande qu’il soit porté au budget une somme pour réparation de l’église St-Jacques. Je trouve également une pétition des habitants de Lillo, qui demandent qu’une somme de 300,000 fr. soit portée au budget pour réparation d’édifices ; je prierai la chambre de renvoyer ces mémoires à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M. de Brouckere. - Il vaudrait mieux renvoyer ces pétitions à la section centrale chargée de l’examen du budget de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’objet de ces pétitions n’est pas du ressort du département de l’intérieur ; il tombe dans les attributions du ministère des travaux publics.
- Les pétitions seront renvoyées à la section centrale qui sera chargée de l’examen du budget des travaux publics.
La pétition concernant une demande en naturalisation est renvoyée à M. le ministre de la justice, les autres sont renvoyées simplement à la commission des pétitions.
L’honorable M. d’Hoffschmidt écrit que la perte récente qu’il vient de faire de sa mère, de son frère aîné, et que la maladie d’un autre frère, l’empêchent de venir prendre part aux travaux de la chambre.
M. F. de Mérode est admis à prêter serment.
M. le président. - Nous en sommes parvenus à la détermination du chiffre du tarif concernant l’entrée des draps et casimirs en Belgique. Deux amendements sont présentés sur cet objet, celui de M. Dechamps et celui de M. Demonceau.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - J’ai dit, dans la dernière séance, qu’il serait convenable, pour que chacun pût se rendre compte du tarif présenté par M. Dechamps, qu’un tableau indiquât les résultats de l’application du droit proposé par cet honorable membre : or, ce travail a été exécuté, et voici un tableau que je déposerai sur le bureau afin que l’on puisse en prendre connaissance. Si on le désire, je vais d’abord en donner lecture.
De toutes parts. - Lisez !
M. le ministre des finances (M. d’Huart) donne connaissance des développements du tableau qui suit : (Note du webmaster : ce tableau est publié dans le Moniteur du jour. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Après avoir expliqué les différents chiffres du tableau qui précède, M. le ministre ajoute. - Voilà les résultats de l’application du tarif proposé par M. Dechamps, et auquel nous nous rallions ; et nous croyons que par cette disposition vous protégerez plus efficacement notre industrie que par des prohibitions qui manquent presque toujours de sanction.
Avant d’examiner l’amendement de M. Demonceau qui comprend tous les autres tissus, il faudrait, me semble-t-il, engager la discussion exclusivement sur les draps, casimirs et tissus similaires qui sont seuls prohibés, tandis que les autres étoffes, comme mousselines de laine, flanelle, etc., sont admises par le tarif actuel au droit général et uniforme de 68 fr. les 100 kilog.
J’espère donc que l’honorable M. Demonceau ne s’opposera pas à ce que nous discutions d’abord spécialement ce qui est relatif aux draps, casimirs et tissus similaires ; après cela, si l’honorable membre pense que les fabriques d’autres tissus de laine ont besoin d’une protection plus élevée que le droit de 68 fr. dont ces tissus sont maintenant frappés, il pourra faire à cet égard une proposition spéciale, car je ne puis assez le répéter : les deux catégories de tissus que l’amendement de M. Demonceau confond font aujourd’hui l’objet de deux différents articles du tarif qui, d’une part frappent de prohibition les draps, casimirs et tissus similaires de provenance française, et qui, d’autre part, imposent les autres tissus de laine, de toute provenance, d’un droit uniforme de 68 fr. par 100 kilog.
Je vais déposer sur le bureau le tableau dont je viens de donner lecture, afin que les membres qui n’en auraient pas bien saisi tous les chiffres, puissent le consulter.
M. Demonceau. - Je ne m’opposerai pas, messieurs, à la proposition de M. le ministre des finances. Cependant, comme je tiens autant que lui à ce que nous ayons sous les yeux tous les renseignements propres à nous mettre à même d’émettre un vote consciencieux, j’ai aussi préparé un tableau comparatif du droit actuel avec le droit qui résulterait de mon amendement. Je ne sais de quelle base est parti M. le ministre des finances pour évaluer le droit relativement à la valeur ; quant à moi, je suis parti de ce fait, reconnu par l’honorable M. Smits, qu’un mètre de drap pèse, terme moyen, 500 grammes. Je n’ai pas compris dans mon tableau les draps inférieurs à 12 fr. parce qu’il s’en importe très peu qui n’aient pas cette valeur ; car, s’il figure beaucoup de draps de 8 fr. dans les tableaux de l’importation., c’est, comme je l’ai dit dans la séance précédente, parce que, pour frauder une partie du droit, on déclare les draps au-dessous de leur valeur réelle, ce qui est d’autant plus facile à pratiquer qu’il est presque impossible de constater la véritable valeur d’un drap ; et cela est tellement vrai, messieurs, que tel vous vendra certaine qualité de drap (chiffre illisible), tandis qu’un autre vous vendra le même drap 25 francs.
Voici, messieurs, le tableau dont je viens de vous parler ; je me permettrai aussi de vous en donner lecture :
(Ce tableau, inséré dans le Moniteur du jour, n’est pas non plus repris dans la présente versions numérisée.)
M. le ministre des finances (M. d’Huart). -Vous jugerez sans doute, messieurs, qu’il importe d’autant plus de ne pas confondre les deux questions traitées par l’honorable M. Demonceau, que nous ne sommes, en ce moment, saisis que d’une seule de ces questions, celle qui concerne les draps-casimirs et leurs similaires, c’est-à-dire les étoffes prohibées, quant à la France, et servant exclusivement à faire des habillements d’homme.
En effet, il n’est nullement question maintenant des autres tissus de laine, qui, je ne puis assez le répéter, font l’objet d’un article spécial du tarif, et qui, n’étant prohibés d’aucun côté, peuvent entrer par toutes les frontières, moyennant un droit uniforme de 68 fr. par 100 kilog.
Il y aurait, du reste, à décider, messieurs, si avant de nous occuper de changer le droit dont ces derniers tissus sont actuellement frappés, une instruction ultérieure ne serait pas nécessaire ; il faudrait en un mot s’assurer, avant de majorer le droit sur ces tissus, si les fabricants réclament réellement une protection plus forte que celle dont ils jouissent actuellement, et quelle devrait être, selon eux, cette protection.
M. A. Rodenbach. - Je crois, messieurs, que les tableaux qui nous ont été soumis par l’honorable ministre des finances et par un honorable député de Verviers devraient être imprimés avant que nous nous en occupions, car il est impossible de retenir les chiffres qu’ils nous ont présentés sur la simple lecture qui nous en a été faite.
On nous a dit, messieurs, que nous devons faire une distinction entre les tissus de laine qui servent à faire des vêtements d’homme et ceux qui servent à faire des vêtements de femme, que les premiers doivent seuls être considérés comme tissus similaires des draps et casimirs.
Mais, messieurs, il y a beaucoup de tissus de laine et, sous tous les rapports, similaires des draps et casimirs qui sont portés par les femmes ; en Flandre et, je pense, dans d’autres provinces encore, les femmes font une consommation immense de ces tissus.
Dans l’arrondissement de Courtray, à Roubaix par exemple, il se fabrique des tissus de laine qui ont beaucoup de rapport avec les draps et qui sont portés par les hommes et par les femmes : cette industrie prend même beaucoup d’activité depuis quelques années.
Il me semble qu’il lui faut réellement une protection de plus de 2 ou 3 p.c., car d’après le tarif actuel ces tissus similaires ne sont protégés que par un droit de 2 ou de 3 p. c. ; or, les industries naissantes ont besoin d’une plus grande protection.
J’ai émis un vote favorable à la levée de la prohibition ; mais je veux accorder aux industries qui naissent une protection efficace. Il me semble qu’avant de prendre une décision sur les amendements en discussion, nous devons examiner les tableaux dont on vient de donner lecture, et qu’il est nécessaire à cet effet de les faire imprimer.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je dois faire remarquer à l’honorable préopinant qu’il n’y a pas de différence entre les propositions de MM. Dechamps et Demonceau, quant à la fabrication des draps et casimirs et des tissus similaires, et que la différence ne commence à naître que dans une plus grande extension que l’honorable M. Demonceau donne à son amendement, en ce qui concerne tous les tissus de laine ; mais, comme l’a déjà fait remarquer M. le ministre des finances, ce sont là deux articles séparés. Que la chambre décide d’abord la question concernant le droit sur les draps, casimirs et tissus similaires. Ensuite M. Demonceau pourra présenter son amendement sur les tissus de laine, et la discussion s’engagera alors régulièrement sur cet amendement.
Nous demandons donc la division, parce qu’il s’agit ici de deux articles différents du tarif : en effet un article est relatif aux draps, et un autre comprend les tissus de laine. Il est question en ce moment de modifier l’article des draps ; nous demandons la priorité en faveur de cet article ; puis viendra l’amendement de M. Demonceau qui subira une discussion spéciale.
M. Demonceau. - Messieurs, la chambre est saisie de mon amendement qui a pour objet d’étendre le droit à toute espèce de tissus de laine ; elle est également saisie de l’amendement de M. Dechamps.
Je conçois qu’on puisse voter séparément sur les deux propositions, mais il me semble, d’un autre côté, que les renseignements qui seront donnés à l’appui de l’amendement de l’honorable M. Dechamps viendront soutenir la proposition que j’ai faite.
M. le ministre des finances a tort de dire que j’ai l’intention d’embrouiller la question ; si quelqu’un veut embrouiller la question, c’est M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances voudrait qu’on s’occupât d’abord de la question de savoir si tels ou tels articles peuvent être frappés d’un droit qui, terme moyen, revient à 10 p. c. ; or le droit dont seront frappés les articles que je veux introduire n’excédera pas 10 p. c. Pourquoi dès lors ne pas discuter le tout à la fois, et puis voter par division ?
Je n’entends pas cependant tracer une marche quelconque de discussion ; mais je dois faire observer à la chambre que la proposition que le ministre vient de faire revient à ceci : Discutera-t-on d’abord l’amendement de M. Dechamps, ou s’occupera-t-on en premier lieu de celui que j’ai proposé ? (Non ! non !)
Les ministres reconnaissent cependant que mon amendement comprend celui de M. Dechamps, qu’il n’est qu’une extension de celui-ci. Eh bien, en discutant mon amendement, la chambre discutera celui de M. Dechamps ; si l’on discute le tout, à plus forte raison discutera-t-on une partie du tout. Je puis donc dire que si quelqu’un veut embrouiller la question, ce n’est pas moi.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je dois répéter que l’on ne peut pas comprendre dans une même discussion deux articles du tarif, alors que la discussion n’est ouverte que sur un article ; nous demandons que l’on ne s’occupe pas en ce moment de l’article des tissus de laine, et que l’on vide en premier lieu la discussion sur l’article des draps.
M. Demonceau prétend que par là l’on écarte son amendement ; il n’en est rien, messieurs ; car, quant à l’article draps, la proposition de M. Demonceau sera jointe à celle de M. Dechamps ; quand la question des draps sera résolue, on pourra aborder la discussion de celle qui concerne l’article des tissus de laine.
M. Lardinois. - Messieurs, l’honorable ministre de l’intérieur vous dit qu’on ne peut discuter à la fois deux articles qui sont séparés dans le tarif ; mais je vous ferai observer, messieurs, que les deux amendements présentés, l’un par M. Demonceau et l’autre par M. Dechamps, sont corrélatifs. L’amendement de M. Dechamps comprend les deux articles que M. le ministre veut faire discuter séparément. En effet, cet amendement propose un droit de 250 francs sur les draps et casimirs : voilà un article du tarif ; l’amendement propose ensuite le même droit sur les péruviennes, circassiennes et autres tissus : voilà un second article du tarif.
Vous voyez donc, messieurs, que l’amendement de M. Dechamps comprend deux articles du tarif, il faut donc discuter à la fois les deux amendements, ils ont une corrélation complète.
M. Rogier. - Messieurs, je pense que le gouvernement, en annonçant l’intention de se rallier à l’amendement de M. Dechamps, a entendu parler de la base du droit à établir, mais qu’il n’a eu nullement l’intention de comprendre dans l’amendement toutes les espèces qui y sont énumérées ; car il est évident que c’est là une proposition toute nouvelle sur laquelle le gouvernement et la chambre ne sont pas éclairés, et l’honorable M. Lardinois a eu raison d’interpréter l’amendement de M. Dechamps comme il vient de le faire. Discuter sur la totalité de cet amendement, ce serait renfermer en une seule deux propositions entièrement différentes sur lesquelles, je le répète, ni le gouvernement, ni la chambre ne sont suffisamment éclairés.
Je crois que dans l’intérêt de la discussion, et surtout dans l’intérêt de l’opinion que défendent les honorables députés de Verviers, il est nécessaire de discuter séparément les deux questions, de restreindre d’abord la discussion à ce qui fait l’objet spécial de notre délibération, et d’aborder ensuite les autres articles compris dans l’amendement de M. Demonceau ; si, encouragés par un premier succès, les partisans des mesures restrictives veulent étendre ces mesures aux mérinos, mousselines de laine, etc. ; qu’en ce cas les honorables membres usent de leur initiative, qu’ils présentent une proposition, qu’elle soit appuyée et renvoyée aux sections.
Je crois que la chambre doit se mettre en garde contre le droit d’initiative exercé d’une manière inattendue. Toutes les industries ne montrent que trop de tendance à venir réclamer ici des protections. Si la chambre n’oppose à cet exercice du droit d’initiative les moyens puisés dans les formalités que prescrit le règlement, nos discussions deviendront tellement confuses qu’il sera impossible d’en sortir. Comment ! au moment où nous sommes parvenus, après une discussion de plusieurs jours, à nous entendre à peu près sur une question qui a excité de vifs débats, et à l’instant que nous sommes prêts à voter, l’on vient introduire un nouvel amendement qui va provoquer une nouvelle discussion.
Quant à moi, je déclare que je combattrai la proposition qui a pour but d’étendre aux mousselines et aux mérinos la mesure qui concerne les draps, car je ne reconnais nullement la nécessité d’appliquer cette mesure à ces deux articles.
Je pense donc que si l’honorable M. Demonceau tient à sa proposition, il faut qu’elle subisse toutes les formalités du règlement, très sages à mon avis et particulièrement dans l’espèce, et je m’opposerai à ce que la proposition soit discutée immédiatement.
Les observations que je viens de faire s’appliquent également à l’amendement de M. Dechamps, en tant que cet amendement comprend d’autres espèces que les draps, casimirs et autres tissus similaires.
M. Dechamps. - Messieurs, je ne sais si l’honorable M. Rogier a bien interprété la pensée du gouvernement. En tout état de cause, je voudrais que le gouvernement s’expliquât sur la question qu’il a soulevée, savoir sur la question de savoir s’il s’est rallié à mon amendement pur et simple, étendu non seulement aux draps et casimirs, mais encore aux péruviennes, castorines, etc.
Messieurs, pour moi, j’ai toujours compris, et la chambre a sans doute compris aussi, que le ministère s’était rallié à mon amendement tout entier ; mais d’après l’observation de l’honorable M. Rogier, non seulement on ne pourrait discuter l’amendement de l’honorable M. Demonceau, en tant qu’il est plus étendu que le mien, mais même, si je ne me trompe, l’honorable membre veut qu’on scinde mon amendement : car dans le tarif actuel les casimirs à côtes, les péruviennes, les circassiennes, les draps zéphirs ne sont pas prohibés, ils sont frappés d’un droit de 68 fr. Mais, messieurs, lorsque j’ai proposé mon amendement, il m’a paru extrêmement équitable de comprendre ces différentes espèces dans la catégorie générale. Car il y a toujours eu doute et contradiction dans le commerce sur la question de savoir si toutes les qualités de tissus de laine que je viens d’énumérer étaient comprises oui ou non dans la catégorie générale des draps et casimirs.
Si on leur a appliqué le droit de 68 fr., je crois que c’était véritablement là une erreur. Mon intention, en présentant mon amendement, était donc de rétablir l’ordre de choses qui aurait dû toujours exister, et de comprendre dans la catégorie générale de draps et casimirs tous les tissus similaires que M. le ministre des finances et M. Demonceau vous ont énumérés dans la séance précédente.
Messieurs, je pense qu’il n’y aurait aucun inconvénient à scinder la discussion sur ces deux points. Il ne paraît y avoir aucune opposition dans l’assemblée à voter mon amendement, qui est compris dans celui de M. Demonceau. Après que mon amendement serait adopté, la chambre pourrait alors examiner l’extension que l’amendement de M. Demonceau comprend, de manière qu’en procédant ainsi nous gagnerions du temps, et la discussion serait très facile à élaborer.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Nous nous sommes ralliés à l’amendement de M. Dechamps qui comprend dans la catégorie des draps et casimirs les péruviennes, circassiennes et autres étoffes similaires auxquelles on donne un nom différent, mais qui sont fabriquées de la même matière et servent aux mêmes usages que les draps et les casimirs. De cette manière, s’il plaît aux négociants d’appeler par un nouveau nom quelconque une étoffe qui en réalité est du drap ou du casimir et sert aux habillements d’homme, nous lui appliquerons les droits dont sont frappés les draps et casimirs.
C’est ainsi que je l’ai entendu et exécuté dans une circonstance assez récente. On avait présenté à la douane des espèces de casimirs à côtes, venant de France, ayant un nom différent ; une difficulté s’éleva à ce sujet, et les employés en référèrent à l’administration supérieure pour y décider de quelle manière ils devaient classer cette marchandise, s’ils devaient la considérer comme prohibée.
Après avoir pris différentes informations et entendu nos fabricants de drap, je n’ai pas hésité à décider qu’on devait considérer les étoffes dont il s’agit comme draps et casimirs ; car, bien qu’on leur ait donné un nom différent, c’était en réalité la même chose, puisque l’usage et la matière dominante étaient les mêmes.
Si la chambre me le permet, je donnerai lecture de la décision que j’ai prise ; ou verra comment nous entendons l’application du tarif.
« Le ministre des finances,
« Vu le rapport de M. le directeur des contributions à Bruges, en date du premier octobre courant, numéro 22, par lequel il demande de connaître l’opinion de l’administration, concernant l’application du tarif à des étoffes composées de laine et coton qui ont été présentées au bureau de la douane à Menin, sous la qualification de salin à côtes (tissus le laine et coton, laine dominante), et qui comme tels seraient passibles du droit d’entrée de 34 fl. en principal, les 100 kil., tandis que les employés de ce bureau sont d’avis que ces tissus, quoique quelques-uns soient mélangés d’une plus forte partie de coton, appartiennent néanmoins à l’espèce de ceux qui ont fait l’objet de la décision du 29 septembre 1835, rec. n°420), et doivent par conséquent être rangés dans la catégorie des casimirs ;
« Vu les échantillons de ces étoffes, dont l’un est composé de pure laine et les deux autres de laine et coton ;
« Vu le tarif des douanes en ce qui concerne les articles tissus et casimirs ;
« Vu l’avis de la chambre de commerce et des fabriques de Verviers, en date du 20 octobre courant ;
« Considérant, quant aux étoffes mélangées, que la laine en forme la matière dominante, la trame étant de pure laine, et la chaîne de laine et coton ; qu’elles sont croisées et travaillées comme les casimirs ; qu’elles servent au même usage que ceux-ci et reçoivent la même destination dans le commerce ;
« Attendu que dès lors ces étoffes ne peuvent être admises au droit de 34 florins les 100 kilog., lequel concerne uniquement les tissus de laine ordinaires qui n’ont subi le travail ni du drap ni du casimir ;
« Sur la proposition du conseil d’administration.
« Décide :
« De faire connaître que les étoffes susmentionnées doivent être classées dans la catégorie des casimirs que le tarif de la douane prohibe à l’importation de France.
« M. le directeur de l’administration des contributions est chargé de l’exécution de la présente.
« Bruxelles, le 29 octobre 1836.
« Le ministre susdit,
« E. d’Huart. »
Voilà, messieurs, la solution que j’ai donnée ; elle est l’exécution pure et simple de la loi, et vous serez convaincus que si on entendait autrement l’application d’un tarif, il serait bientôt éludé, car à peine serait-il voté que le commerce donnerait un autre nom aux étoffes qu’il fabriquerait, et la douane ne pourrait plus exiger les droits, qu’il aurait évidemment été dans l’intention du législateur d’imposer. Du reste, cette décision qui avait été l’objet de réclamations de la part de l’administration française, a fini par être considérée comme interprétant la loi dans son véritable sens.
Maintenant, si nous considérons comme draps et casimirs les étoffes qui, quoique présentant quelque différence dans le tissage, servent au même usage, nous ne pouvons pas considérer comme étoffes similaires des draps et casimirs les mousselines de laitue et les mérinos. Il est évident que ces étoffes ne se ressemblent pas et que surtout elles ne servent pas aux mêmes usages. Il importe donc de ne pas confondre dans une même discussion des objets aussi distincts. Le tarif porte au n° 97 l’article draps, et au n°242 les tissus qu’on voudrait confondre avec les draps ; il faut conserver cette distinction pour l’avenir.
Je le répète, messieurs, il ne s’agit pas de savoir si les droits sur les mérinos et les mousselines de laine doivent être modifiés, nous avons à décider sur ce qui concerne les draps-casimirs et étoffes similaires ; cela fait, si vous vous croyez assez éclairés, si vous ne jugez pas qu’il soit nécessaire de prendre des renseignements auprès des chambres de commerce, vous vous prononcerez sur la seconde partie de l’amendement de M. Demonceau. Si au contraire vous êtes d’avis qu’on doive prendre des renseignements nouveaux, vous ajournerez la question.
Je ne veux pas toutefois agiter une question préalable sur l’amendement de M. Demonceau, je désire que la chambre prononce actuellement sur la seule question en délibération. Je demande en un mot la division, division qui peut toujours être réclamée, et qui plus particulièrement dans cette circonstance est de droit absolu, la chambre n’étant réellement saisie régulièrement que d’une partie de la proposition.
M. Lardinois. - Je prie la chambre d’ordonner l’impression de la décision dont M. le ministre des finances vient de donner lecture. Cette décision est importante pour nous. Nous la connaissons ; l’industrie drapière est reconnaissante envers M. le ministre des finances de ce qu’il a pris cette mesure. C’est la première fois depuis 15 ans qu’on agit ainsi ; on avait toujours admis au droit de 68 fr. les articles similaires des draps et casimirs. Ce n’est que depuis l’arrivée de M. le ministre des finances aux affaires que nos réclamations ont été comprises.
M. Demonceau. - Je ne prends la parole que pour faire une simple réponse à l’honorable M. Rogier. J’avais déposé mon amendement avant de savoir si la prohibition serait ou non levée, après avoir demandé la division pour obtenir la levée de la prohibition ; voilà que M. Rogier vient dire qu’on doit envoyer la seconde partie de mon amendement je ne sais où. Voilà une fin de non-recevoir qui ne prouve pas de la bonne foi. Vous avez demandé la division de mon amendement pour faire lever la prohibition ; maintenant que vous avez obtenu ce que vous vouliez, comment pouvez-vous venir dire que l’autre partie de mon amendement doit retourner en sections ? Mon amendement était un tout. Vous l’aviez divisé pour le mettre aux voix, en disant que vous vous en occuperiez immédiatement.
Voilà ce que je rappelle à M. Rogier et à la chambre. C’est en divisant ma proposition qu’on est parvenu à réunir la majorité pour la levée de la prohibition, et maintenant qu’on l’a obtenue, on voudrait enterrer la seconde partie dans les cartons.
Je suis disposé à discuter la question comme on voudra. J’ai proposé de se servir des mots « tissus de laine » afin de rendre désormais inutile tout recours à l’administration, toute décision comme celle dont on vient de nous entretenir. Vous savez que, dans ma position, j’ai été appelé à interpréter les tarifs de douane car j’habite un arrondissement frontière où ces difficultés se présentent souvent ; c’est pourquoi j’ai voulu rédiger une disposition claire, qui fît disparaître toute difficulté.
Ayant vu que M. Dechamps avait pris une partie de mon amendement dans un article du tarif, et l’autre partie dans un autre article, j’ai voulu répondre aux deux articles et rédiger la disposition de manière à rendre tout doute impossible. J’ai proposé de se servir des expressions « tissus de laine. » On pourrait admettre les exceptions qu’on jugerait convenables.
M. Rogier. - Si M. le président avait rappelé au règlement l’honorable orateur qui vient de parler, j’aurais été dispensé de relever l’inconvenance de son langage que je pardonne à l’état d’irritation où semble se trouver l’honorable membre, quoiqu’il la déguise parfaitement sous des paroles extrêmement douces. Cet état l’a aveuglé ou lui a fait perdre la mémoire.
Je ne pense pas avoir demandé la division de son amendement, mais j’aurais pu le faire et venir encore en ce moment demander la division de la seconde partie de sa proposition ; mais je ne crois pas avoir demandé la division une première fois, comme il l’a prétendu. Si nous en étions à nous renvoyer des insinuations plus ou moins désobligeantes, je pourrais dire qu’il y avait eu une sorte d’adresse, dans la manière dont l’honorable membre représente son amendement. Je viens de m’apercevoir qu’il y est question de tissus de laine, tandis qu’il n’en avait pas parlé dans les développements ; il ne s’était agi que des draps et casimirs importés de France. Je n’avais pas vu que, dans la colonne d’observations, on avait ajouté les mots « tissus de laine. » Je crois devoir dire à l’honorable membre que cette petite addition, que je ne qualifierai pas de frauduleuse, ressemble cependant un peu à de la fraude.
Je crois, je le répète, que si, ce que je ne pense pas, j’ai demandé une première fois la division de l’amendement de M. Demonceau, je puis la demander encore pour le paragraphe restant.
Cet amendement contenait deux choses, la levée de la prohibition à certaines conditions. J’ai demandé ou je n’ai pas demandé la division ; elle était de droit, elle a eu lieu, et on a décidé que la prohibition serait levée.
Maintenant il s’agit de savoir si les droits qu’on veut substituer à la prohibition s’étendront sur des objets sur lesquels la discussion n’a aucunement porté, dont il n’a pas été question, et qui sont l’objet d’articles séparés du tarif. Je crois que je suis encore en droit de demander la division de ce paragraphe, d’autant plus que les mots « tissus de laine » ne se trouvent pas dans le paragraphe en discussion. Je ne les trouve pas dans l’amendement même de M. Demonceau.
- Je suis affligé de contribuer pour ma part à allonger cette discussion, mais l’accusation dont j’ai été l’objet m’a forcé d’entrer dans cette explication. Si l’honorable membre persiste à vouloir que la chambre s’occupe d’une question dont elle n’est pas régulièrement saisie, je prendrai de nouveau la parole pour demander qu’on discute l’ordre du jour, pour qu’on ne s’écarte pas de l’objet en discussion qui est les draps et casimirs et tissus similaires, ainsi que vient de les définir M. le ministre des finances.
Je demanderai en conséquence que l’amendement de M. Dechamps soit rédigé de la manière suivante :
« Draps, casimirs et tissus similaires où la laine domine. » De cette manière nous n’aurons pas à nous enquérir de ce que c’est que de la péruvienne et de la castorine, la rédaction sera claire comme le désire le préopinant. Nous saurons ce que nous votons.
Maintenant faut-il mettre un droit plus élevé sur les mousselines-laine, les mérinos ? La chambre n’en sait rien, aucune enquête n’a été faite sur cette question. Pourquoi ne pas comprendre aussi les velours ? Il n’y a pas de raison pour qu’on s’arrête.
Avec ce système-là nous ne savons pas où nous allons ; il faut mettre un frein à ce débordement de prétentions de toute espèce.
M. Raikem. - (Nous donnerons son discours) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les numéros suivants du Moniteur belge).
M. Demonceau. - Lorsque j’ai dit, il n’y a qu’un instant, que cette conduite ne me paraissait pas être de la bonne foi, je n’ai pas entendu dire que M. Rogier aurait manqué de bonne foi ; j’ai entendu signaler cette espèce de fin de non-recevoir comme une contradiction manifeste avec ce que M. Rogier a demandé lui-même dans une séance précédente.
Je ne me suis pas servi de l’expression « conduite frauduleuse, » expression qui vient d’être employée par le préopinant.
Je vais expliquer cette fraude que me reproche M. Rogier. Les draps et casimirs d’origine française sont prohibés en Belgique. Au contraire, le gouvernement français prohibe non seulement nos draps et casimirs, mais encore nos étoffes de laine ; or, comme je voulais subordonner la levée de la prohibition sur les draps et casimirs français à la levée de la prohibition sur les draps, casimirs et étoffes de laine d’origine belge, je devais bien m’en expliquer dans mon amendement.
La rédaction de mon amendement n’est donc nullement entachée de fraude, mais fondée sur la parfaite connaissance que j’ai des deux tarifs.
M. Dumortier. - J’ai demandé la parole pour faire remarquer que c’est ici une question de bonne foi ; nous avons discuté la première partie de l’amendement de M. Demonceau relative à la levée de la prohibition. Tout le monde a compris qu’après avoir voté sur la première partie de cet amendement, nous viendrions à la seconde ; maintenant, pour être conséquents, nous devons vouloir la discussion de cette seconde partie de l’amendement. La division est de droit au vote mais vous ne pouvez pas diviser la discussion de deux articles complétement homogènes.
Remarquez que ce que propose M. Rogier, c’est-à-dire la rédaction de M. Demonceau en un projet de loi spécial, est une fin de non-recevoir contre cet amendement, un moyen indirect de l’écarter. Je ne dirai pas que ce ne serait pas loyal ; mais je dirai que ce ne serait pas convenable après l’engagement que nous avons pris de discuter cet amendement.
Dans mon opinion, il n’y a qu’une seule rédaction qu’il convienne d’adopter, c’est celle de M. Demonceau ; quand on viendra à la discussion, je crois pouvoir le démontrer. Quant à présent je me borne à demander que la chambre rejette la motion d’ordre de M. le ministre des finances que nous discutons depuis une heure et demie ; car je crains que la séance ne se passe sans que nous ayons rien fait.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je pense qu’il y a lieu d’accueillir la proposition de division faite par M. le ministre des finances ; en disant « Draps, casimirs et tissus similaires, » vous lèverez légalement les doutes qui existent ; vous les lèverez dans le sens de l’opinion qu’a fait prévaloir M. le ministre des finances dans l’application de la loi. Alors vous viendrez à la proposition de M. Demonceau, relative aux tissus de laine autres que les draps et casimirs ; on l’examinera isolément et avec plus de maturité qu’on ne le ferait dans une discussion évidemment complexe et portant sur des objets de nature et de qualités différentes.
M. A. Rodenbach. - Les explications données par M. le ministre des finances me feront voter pour sa motion. Il a dit que les tissus similaires sont des étoffes de fantaisie comme on en fait à Roubaix et en France. Depuis quatre ans ces étoiles entraient en Belgique moyennant le faible droit de 2 p. c. ; mais nous avons vu par les explications de l’honorable ministre des finances que désormais il n’en sera plus ainsi ; je suis donc satisfait. La discussion fera voir que nous entendons (si, comme je le crois, l’amendement de M. Dechamps est adopté) que ces étoffes paient 10 p. c. au lieu de 2 p. c.
Immédiatement après, je pense, l’honorable député de Verviers pourra nous parler des objets qui ne sont pas compris dans l’amendement de M. Dechamps, à savoir les mérinos, les mousselines de laine, etc. ; alors l’honorable député de Verviers pourra formuler une disposition pour ces articles qui ont besoin d’une forte protection.
- La proposition de M. le ministre des finances, tendant à la division de la discussion et à la discussion en premier lieu de l’amendement de M. Dechamps, est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Dans les explications que vous a données le député de Verviers sur la portée de l’amendement de M. Dechamps, vous pourriez trouver matière à quelques doutes sur le vote que vous avez à émettre, si les légères différences entre nos chiffres et ceux de M. Demonceau devaient amener une disposition différente ; mais veuillez remarquer que M. Demonceau diffère seulement quant à l’appréciation de l’effet exact du droit et qu’il est du reste d’accord avec M. Dechamps et nous, sur le montant de ce droit ; nous voulons tous 250 fr. par 100 kilog.
Il a parlé de l’usage qui., selon lui, se pratique pour la déclaration des draps ; mais nous, dans les calculs que nous avons faits, nous avons pris le tarif tel qu’il est, et nous avons supposé qu’on ne faisait pas des déclarations inférieures aux prix réels ; et voilà pourquoi il y a de la différence entre les résultats présentés par M. Demonceau et les nôtres, car cet honorable membre a eu égard aux diminutions dans les déclarations à la valeur. Dans l’opinion de l’honorable membre, le droit s’élève à 10 p. c., tandis que nous croyons qu’il sera de 15 p. c. ; et cependant nous admettons la même base, ou 250 fr. par 100 kilog.
M. David. - C’est à moi à parler ; mais je déclare que je ne puis le faire sans m’occuper des deux amendements à la fois.
M. de Brouckere. - Il y a décision !
M. Dechamps. - Je demande si M. Rogier a déposé son amendement, qui n’est qu’une autre rédaction du mien.
M. Rogier. - Je vais le déposer.
M. Demonceau. - On discutera donc l’amendement de M. Rogier sans discuter le mien ?
M. de Brouckere. - On discutera d’abord tous les amendements qui ont pour objet les draps, les casimirs, et tissus similaires ; puis on discutera les autres amendements ; il ne s’agit pas de leur date, mais de leur objet. (Adhésion.)
M. Lardinois. - La proposition de M. Rogier est un sous-amendement à la proposition de M. Dechamps. Si j’ai bien compris, on demandé d’écrire dans l’article : « Draps, casimirs, et tous les tissus similaires où la laine domine. » (Oui !)
M. Rogier. - Je m’en réfère aux explications données par M. le ministre des finances pour appuyer mon sous-amendement.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je pense qu’il faut donner la préférence à l’amendement de M. Rogier, qui au fond est identiquement le même que celui de M. Dechamps, mais qui est plus complet. Dans le tarif actuellement en vigueur, on dit que les tissus mélangés sont rangés selon la matière dominante que ces tissus renferment ; mais comme la loi que nous discutons sera postérieure à ce tarif, on pourrait prétendre qu’elle déroge à l’ancienne loi sous ce rapport si elle gardait le silence. Pour éviter toute équivoque, il est donc bon que l’on dise : « où la laine domine, » afin d’armer l’administration des moyens de faire payer, dans tous les cas, conformément aux intentions du législateur.
M. Dechamps. - M. le ministre a très bien posé la question. Je pense qu’il faut maintenir ma proposition et adopter cette rédaction :
« « Draps, casimirs, péruviennes, circassiennes, castorines, et autres tissus similaires où la laine domine. »
Voilà le changement que je propose.
M. Verdussen. - Je pense qu’il y aurait quelque danger à conserver les désignations de péruvienne, circassienne, castorine ; car nous ne sommes pas à même de connaître précisément ce que sont ces étoffes. Je suis ennemi des désignations, à moins qu’elles ne soient complètes. Il vaut mieux dire simplement : « draps, casimirs, et autres tissus similaires où la laine domine, » soit que ces tissus existent déjà, soit qu’ils prennent naissance par suite des caprices de la mode.
J’appuierai l’amendement de M. Rogier, et je repousserai la rédaction de M. Dechamps.
M. Lardinois. - Pour exécuter les lois de douane, Il faut les rédiger clairement, L’amendement de M. Rogier lui a été suggéré par les réflexions qu’a présentées M. le ministre des finances, quand il a parlé de cet arrêté (erratum inséré au Moniteur belge n°309, du 5 novembre 1837 : ) qui soumettait aux mêmes droits que les draps et casimirs des tissus dont la trame était en laine et la chaîne en coton. Mais l’amendement de M. Dechamps est tout différent ; il consiste à dire : « Draps, casimirs, circassiennes, péruviennes, castorines et autres tissus similaires où la laine domine.» Je voudrais, pour le rendre plus clair, qu’on écrivît à la fin « et autres tissus similaires, et les étoffés ou la laine domine. »
M. Dumortier. - En nous écartant du règlement, il nous est impossible d’arriver à une bonne rédaction. En admettant l’amendement de M. Rogier, vous frapperez les tissus où la laine sera dominante, mais vous ne frapperez pas les tissus similaires où la laine entrera seule... (Bruit.) Si l’on eût mis aux voix la proposition la plus éloignée de la proposition primitive, nous serions arrivés à un résultat clair. Moi qui veux l’amendement de M. Demonceau, je suis fort embarrassé pour voter sur l’amendement de M. Dechamps ; nous sommes dans une voie très vicieuse. Je voudrais que l’on dît : « Draps, casimirs et autres tissus en laine, et ceux où la laine domine. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - C’est la même chose !
M. de Brouckere. - Il n’y a pas d’embarras dans la manière dont nous délibérons : M. Demonceau demande, par son amendement, que l’on ajoute quelque chose à l’amendement de M. Dechamps ; qu’on vote donc l’amendement de M. Dechamps, ensuite on mettra aux voix l’ajoute.
M. Dumortier. - Lorsque nous aurons admis l’amendement de M. Dechamps, avec la rédaction proposée par M. Rogier, et que nous aurons terminé notre phrase législative, comment pourrons-nous intercaler l’amendement de M. Demonceau ? Si on vote sauf rédaction, je le veux bien.
M. de Brouckere. - Il est évident que s’il y a quelque chose à rectifier dans la rédaction, on fera la rectification.
M. de Langhe. - Messieurs, comme cela m’arrivera encore très souvent, c’est plutôt pour m’éclairer que pour chercher à éclairer les autres que j’ai demandé la parole. Je demanderai donc à M. le ministre des finances pour quel motif le gouvernement a abandonné sa première proposition et s’est rallié à l’amendement de M. Dechamps ? Car il me semble messieurs, qu’il vaut mieux établir des catégories, au moyen desquelles le droit est beaucoup plus égal, que d’admettre un droit uniforme au poids qui est trois fois aussi élevé pour certaines qualités que pour certaines autres. Peut-être dira-t-on qu’on préfère l’amendement de M. Dechamps parce qu’il augmente le droit ; mais on pourrait fort bien augmenter le droit tout en maintenant la classification adoptée au premier vote.
Ou bien l’on dira peut-être que c’est à cause des difficultés que présente dans l’application un droit différent pour les marchandises de diverses qualités : je pense, messieurs, que ces difficultés ne sont pas aussi grandes qu’on se le figure ; les employés de la douane parviendraient bien à distinguer les draps de différentes valeurs, et dès lors ils feraient la préemption lorsque la déclaration serait fausse.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, la résolution que nous avons prise de nous rallier à l’amendement de M. Dechamps nous a été suggérée par les lumières qui ont jailli de la discussion ; nous avons compris que le droit établi au premier vote serait presque toujours au-dessous de 6 et même de 5 p. c. de la valeur, et comme nous voulons un droit efficace, un droit qui soit perçu selon les intentions du législateur, nous avons adhéré à l’amendement de M. Dechamps qui rend la fraude impossible.
Nous avons encore été dirigés par une autre considération peut-être plus importante : En élevant les chiffres fixés au premier vote, tout en maintenant les différentes catégories du tarif existant, nous aurions augmenté le droit actuel sur tous les draps venant de l’Allemagne, ce qui nous a semblé contraire aux relations de bon voisinage que nous entretenons avec ce pays, tandis qu’en adoptant l’amendement de M. Dechamps, nous élèverons à la vérité le tarif sur certaines qualités de draps, mais en revanche nous l’abaisserions en même temps sur certaines autres qualités, de sorte qu’il y aura compensation : d’ailleurs l’amendement de M. Dechamps établissant un droit égal à celui dont la Prusse frappe nos draps, ce pays ne pourrait jamais se plaindre de ce que nous aurions pris une semblable mesure, parfaitement conforme au principe de réciprocité. Je dirai même que, puisque l’amendement dont il s’agit abaisse le droit sur les qualités supérieures et que ce sont précisément ces qualités que les fabricants doivent préférer en général d’envoyer en pays étranger, parce que les frais de transport portent ainsi sur des valeurs plus fortes, la Prusse trouvera plutôt de l’avantage que du préjudice dans l’adoption de cet amendement.
Ce sont là, messieurs, les considérations qui nous ont déterminés à nous rallier à la proposition de M. Dechamps.
M. David. - L’industrie drapière vient d’être frappée dans ses fondements par votre vote du 31 octobre. Là 39 voix se sont élevées contre 33, et ont levé la prohibition de la draperie française que Verviers avait eu tant de mal d’obtenir du gouvernement hollandais.
Je voudrais, messieurs, partager l’étourdissement de ceux d’entre vous qui considèrent comme une victoire la ruine d’une industrie à laquelle je crains qu’on ne permette pas même d’avoir d’autre avenir. Je voudrais connaître ceux qui proclament que ce n’est pas de bonne foi que nous avons défendu la prohibition, notre ancre de salut ; je voudrais connaître ceux qui disent que Verviers est contente, dans le fond, de la levée de la prohibition ; qu’elle s’en réjouit, qu’elle préfère les droits qu’on va lui donner peut-être, car elle ne les tient pas encore. On fera de nous ce qu’on voudra maintenant, nous avons les bras liés. Dans tous les cas, j’ajourne à l’expérience les optimistes. Nous verrons leur contenance lorsque s’ouvriront, dans Bruxelles, autant de magasins français que de magasins belges. Il y a déjà des propositions d’établissement, faites par des négociants français. Nous verrons leur effroi, lorsqu’à la première crise commerciale, l’industrie drapière française montée pour la consommation de 33 millions d’hommes, poussée par le besoin et l’engorgement, viendra déverser son trop plein dans notre petit royaume de 4 millions 500 mille habitants !
Nous verrons les effets de ce déversement qui ne nous laissera plus, même longtemps après la cessation des causes qui auront produit la crise en France, les moyens de relever nos prix. Peu importe à la France de gâter les marchés étrangers. C’est du soin de maintenir les prix du sien qu’elle doit s’enquérir. Il n’y a pas de négociant qui ne sache que quand un sacrifice sur le prix d’une marchandise est commandé par la nécessité, c’est à l’étranger que de préférence on va le faire. Il y a plus, c’est qu’ici la France, par cette inouïe combinaison, qu’elle entre en Belgique, tandis qu’aucune draperie ne peut entrer en France, se trouvera colloquée dans une impasse, et prise dans ses propres filets, ses draps ne pouvant rentrer chez elle. Force sera donc à la France de choisir entre l’alternative de donner ses draps presque pour rien ou de les voir rongés des vers. Vous concevez, messieurs, combien ces nouvelles circonstances vont améliorer la position d’une industrie qui languissait déjà chez nous et qui sera immolée sans retour. Mais c’est un fait accompli, me dira-t-on ; à quoi bon toutes ces jérémiades ? Les intérêts particuliers voient toujours les choses en noir. Vous, messieurs, vous les voyez au prisme d’une décevante espérance ; car je ne suppose pas que vous compreniez l’étendue du mal que vous nous avez fait, et dans l’intérêt même de l’accomplissement de votre prophétie sur la destinée future de l’industrie de Verviers, permettez-moi de vous inviter à partager l’avis de l’honorable M. Demonceau, qui voudrait qu’aux mots « tissus similaires, » on substituât cette rédaction, « et tous autres tissus de laine. » A cette idée, M. Dechamps et M. le ministre des finances se sont de suite récriés que l’on ne pouvait l’entendre ainsi, que ce serait aller beaucoup trop loin, que ce serait imposer des tissus que nous ne fabriquons pas, et d’autres motifs semblables ! Mais, messieurs, admirez de la part de l’honorable ministre cette sollicitude pour tout ce qui n’est pas notre industrie nationale. Peut-on croire que ce soit M. d’Huart, toujours si bon Belge, qui parle ainsi ! Comment ! M. le ministre : nous prétendons, nous, que quand la vente du drap sera partagée entre la France et nous, nous ne pourrons plus utiliser nos nombreux ateliers à la draperie, puisque déjà, s’ils marchent aujourd’hui, ce n’est qu’à force de sacrifices et d’espoir d’un meilleur avenir.
C’est lorsque nous croyons notre fortune engagée dans des briques, des pierres, des mouvements hydrauliques, des machines à vapeur, que vous ne nous laissez pas même la chance d’une protection, lorsque voulant sauver la vie à nos ouvriers, nous essaierions de leur ouvrir de nouvelles industries. Et quel raisonnement emploie-t-on pour nous refuser les tissus de laine ?
Ce sont des matières que nous ne fabriquons pas ou que nous ne fabriquons pas encore. Mais demain nous serons obligés d’essayer d’en fabriquer.
Pensez-vous donc que l’on ne se cramponnera pas à ce qu’on possède, qu’on n’essaiera pas de sauver quelques débris d’un trop malheureux naufrage ? Mais non, on ne restera pas inflexible. On fait regretter le passé, ou compromet le présent, et on nous déshériterait encore de l’avenir ! Mais, MM. les ministres, pensez-y donc, ce sont là trop de rigueurs à la fois. D’ailleurs, la plupart de ces industries, que l’on dit ne pas exister, existent déjà et font de généreux efforts pour s’élever. Ah ! si elles étaient protégées, bientôt vous verriez les capitaux s’engager vers elles ; mais quelle audace n’y aurait-il pas à les développer sous l’empire de la législation actuelle et lorsque surtout l’on compte bon nombre d’industriels distingués, entre autre les maisons Biolley, Grandry et poswick, la société bruxelloise, qui, faute de protection suffisante, ne pouvant lutter avec succès contre des industries déjà si perfectionnées chez nos voisins et si favorisées chez eux par les primes d’exportation, ont dû y renoncer !
Mais quelles sont donc, M. le ministre, les étoffes pour lesquelles vous craignez tant l’impôt ? Sont-ce les duffels, les bays et autres étoffes grossières que l’on fabrique déjà dans le pays et dont la principale importation nous vient de Hollande ? En prenant le tarif prussien, direz-vous, et l’appliquant à ces étoffes, elles auraient une protection extravagante ; mais ne la redoutez pas : la concurrence qui s’établir bientôt dans le pays même lorsqu’un article donne de la marge, aurait aussi bientôt fait justice de cette protection. C’est d’ailleurs un bien léger inconvénient qu’aurait le taux du tarif prussien, si l’on ne peut signaler que celui de favoriser deux ou trois genres d’étoffes qui seront pour si peu de chose dans la balance et dont tous les éléments de fabrication se rencontrent sur notre sol. Si c’est encore la France qui soit ici l’objet de votre sollicitude, qu’a-t-elle à appréhender d’une protection sur les étoffes fines de laine, comme les mousselines-laine, les châlis, etc. ? Ces étoffes sont tellement légères, que le droit prussien ne le fera point repousser ; et les repousse-t-on en Prusse ? Non, messieurs ; on les reçoit et on les y consomme tout autant qu’en Belgique. D’ailleurs, on vous l’a dit : la mode, voilà le souverain empire, et sous ce rapport la France aura toujours tout à dire et presque tout à faire.
Messieurs, la destinée d’un bon et sage gouvernement est d’agrandir, je crois que c’est aussi la destinée du nôtre, et votre désir, quoique vous veniez de poursuivre mon malheureux pays avec une déplorable persévérance. Mais arrêtez-là votre système destructeur, laissez-nous maintenant tout notre avenir. La Belgique n’est destinée à être tributaire d’aucun produit manufacturé ; son génie et sa force la mettent à même de marcher seule, et en première ligne. Si vous protégez les tissus de laine, nous pourrons recouvrer un jour une partie de nos pertes, nous avons pour cela tous les éléments de succès.
Il ne faut plus la main formée, la main industrieuse ; aujourd’hui, la machine est tout, elle est intelligente et les industries se transplantent par le seul acte de la volonté. A l’exception de l’Angleterre, messieurs, quel pays est, pour les machines, plus avancé que la Belgique ? Comprenons donc notre position et tirons-en parti ; ne laissons pas échapper aujourd’hui, avec indifférence, des droits que plus tard on ne pourra plus nous donner qu’en introduisant de nouvelles perturbations, et en s’exposant à des obstacles bien plus sérieux que ceux que nous avons à vaincre aujourd’hui.
J’appuierai donc de toutes mes forces l’amendement de l’honorable M. Demonceau.
M. Gendebien. - J’approuve, messieurs, les observations qui ont été faites tout à l’heure par l’honorable M. de Langhe ; je ne conçois pas plus que lui le motif qui a déterminé le gouvernement à abandonner son premier système pour se rallier à l’amendement de M. Dechamps. Il y a un contre-sens dans ce changement ; car, suivant l’amendement de M. Dechamps que le ministère appuie maintenant, ce sont précisément les draps les plus communs qui paieront le droit le plus élevé et les draps les plus fins qui paieront le droit le plus faible ; ainsi les draps de 8 fr. 46 c. et au-dessous paieront 15 1/2 p. c., et les draps les plus fins ne paieront que 6 1/4 p. c. Je ne comprends pas, messieurs, qu’on puisse vous proposer de sanctionner une pareille anomalie, alors surtout que le tarif précédemment voté ne la présentait pas ; car, d’après le tableau que M. le ministre des finances vient de nous communiquer, le droit établi au premier vote serait de 5 1/3 p. c. sur les quantités communes, et aurait progressivement augmenté jusqu’à 8 p. c. en proportion de l’élévation du prix de la marchandise. Maintenant, messieurs, c’est la progression inverse qu’on vient vous proposer, et cela sans pouvoir vous alléguer le moins du monde la nécessité d’une semblable anomalie. Au contraire, nous avons l’expérience qui est tout en faveur du premier système, du statu quo, et on abandonne cette expérience pour vous proposer d’établir une injustice !
En vérité, messieurs, il n’y a qu’une chose qui me console dans tout cela ; c’est que si l’amendement de M. Dechamps est adopté, on fraudera les draps communs. Eh bien, j’invite les fraudeurs à s’occuper dans ce cas des draps communs ; au moins, de cette manière ils seront plus justes que la chambre, ils procureront aux ouvriers, au sort desquels tant de nos collègues semblent s’intéresser, ils procureront aux ouvriers les draps qu’ils portent ordinairement à meilleur compte, et le trésor public perdra le droit, chose toujours juste, toujours équitable, lorsque le gouvernement se laisse aller à de pareils excès.
Les draps communs se frauderont d’autant mieux qu’on ne craint pas de les frauder en coupons, ni de les souiller quelque peu ; les prolétaires qui doivent en faire usage ne sont pas si difficiles. Pour les draps fins, c’est autre chose, ceux-là peuvent supporter un droit plus élevé parce qu’ils ne se fraudent pas aussi facilement : mais c’est précisément sur ceux-là que le gouvernement propose d’abaisser le droit, tandis qu’il veut l’élever considérablement sur les draps communs.
Eh bien, messieurs, j’espère, je le répète, que les fraudeurs auront plus de sens que le gouvernement, et la chambre (dans le cas où elle adopterait la disposition dont il s’agit) et qu’ils détruiront le mal résultant d’une mesure aussi injuste.
Pour les casimirs, messieurs, c’est absolument la même chose que pour les draps ; les casimirs les plus communs paieront 12 1/2 p. c., tandis que les plus fins ne paieront que 5 p. c. Quant à moi, je ne puis donner mon assentiment à une pareille anomalie, et je ne saurais mieux faire qu’en finissant comme j’ai commencé, c’est-à-dire en m’abstenant de prendre part à cette discussion qui n’amènera aucun résultat utile.
En effet, messieurs, comme je vous l’ai dit dès le commencement de la discussion, il y a cinq mois, vous avez entamé la discussion de ce « bout de loi » sans avoir des renseignements suffisants, sans l’avoir médité ni examiné, et il est résulté de là que la discussion n’a rien produit. Je vous ai dit qu’il était plus difficile de faire un bout de loi en cette matière qu’une loi générale, que la discussion que vous entreprendriez n’aurait d’autre effet que de vous faire perdre un temps considérable ; me suis-je trompé ? Non, messieurs ; l’année dernière vous avez discuté pendant 17 séances, cette année pendant 20 séances ; voilà une quarantaine de séances pour produire un bout de loi qui, en définitive, sera, je l’espère, rejeté.
Je le répète, messieurs, la seule manière de faire quelque chose en matière de douane, c’est de prendre une mesure générale, car si vous touchez à une industrie, sans toucher aux autres, vous disposez celles-ci à admettre des changements dangereux, mais dont elles n’aperçoivent pas immédiatement la portée, parce qu’elles n’y paraissent pas directement intéressées ; mais si vous mettiez tous les industries en présence, vous écarteriez beaucoup d’exigences, vous feriez des partisans à tel ou tel droit plus raisonnable ; on sentirait la nécessité de se faire des concessions mutuelles, et l’on arriverait ainsi à une espèce de transaction d’autant plus facile à faire qu’elle serait plus équitable, plus juste, par suite de la nécessité où l’on serait de s’entendre, et de réduire respectivement des prétentions exagérées.
Je le répète, messieurs, je ne puis pas consacrer mon temps à faire une chose absolument inutile ; je gémis de voir la chambre s’enfoncer de plus en plus dans un système qui n’aura d’autres résultats qu’une perte de temps considérable, et je continuerai par conséquent à m’abstenir de prendre part à cette discussion.
Je repousserai l’amendement de M. Dechamps, parce que j’y vois une anomalie, et, une anomalie qui n’est aucunement justifiée par la nécessité, puisque l’expérience prouve en faveur du système actuel, qui ne présente pas cette anomalie. Le ministère nous a mis sous les yeux un tableau qui démontre combien est vicieux le système qu’il appuie ; je suis convaincu, messieurs, que le ministère reculera devant son propre ouvrage.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Les observations de M. Gendebien m’étonnent, et j’ai lieu de croire qu’elles auront fait sur vos esprits la même impression que sur le mien. Comment ! l’honorable membre, qui a voté le maintien de la prohibition, vient aujourd’hui s’apitoyer sur le sort des consommateurs ! Mais, puisqu’il porte un si vif intérêt à ceux-ci, il ne devait pas, en s’opposant hier à l’abolition de la prohibition, équivalent des droits les plus élevés, agir contre les principes qu’il professe aujourd’hui et tomber ainsi dans une contradiction flagrante.
L’honorable préopinant fait remarquer que l’amendement de M. Dechamps impose sur les qualités les plus grossières le droit le plus élevé, et il indique un chiffre de mon tableau, d’où il résulterait que les draps communs seront frappés de 15 p. c. ; mais vous avez entendu, messieurs, les explications que l’honorable M. Demonceau vous a données à cet égard ; il résulte du tableau contradictoire qu’il vient de vous communiquer, que les résultats pratiques de l’application de la loi ne porteront pas le droit au-delà de 10 1/2 p. c.
Maintenant que nous avons tenu compte des observations qui ont été présentées ; que nous avons eu égard aux réclamations qui ont surgi de différents côtés en faveur de l’industrie drapière, certes, l’on ne peut trouver cela étrange. Si les ministres n’agissaient pas ainsi, à quoi serviraient vos discussions ?
Dans tout le cours du débat, on avait fait entendre que l’adoption de l’amendement de M. Dechamps procurerait des avantages modérés, raisonnables, à l’industrie drapière ; eh bien, nous nous sommes décidés à l’adopter pour concilier des intérêts majeurs.
Il est inutile, je pense, de répondre longuement à l’honorable M. Gendebien sur les autres points qu’il a touchés dans son discours, en ce qui concerne d’abord le manque de renseignements que nous éprouvons en ce moment, et ensuite la confection d’un tarif général préférable, selon l’honorable membre, à l’admission de tels ou tels articles spéciaux.
Quant au premier point, je me bornerai à rappeler que la chambre a jugé utile de connaître l’avis des chambres de commerce sur le projet de loi qui nous occupe ; ces comités ont été effectivement consultés, et vous avez reçu leurs avis de tous les points du royaume. Des pétitions vous ont été ensuite librement adressées, de manière qu’il est inexact de dire que la chambre ne possède pas tous les renseignements nécessaires pour s’éclairer dans la délibération actuelle.
Je répondrai simplement deux mots à la seconde observation de l’honorable préopinant, qui préférerait la discussion d’un tarif général à celle de quelques articles.
Il ne s’agit en ce moment que de quelques parties du tarif des douanes, et nous éprouvons déjà des difficultés presque insurmontables à nous entendre ; comment pourrions-nous dès lors espérer de tomber d’accord, quand il serait question de la révision générale du tarif ?
Aujourd’hui, nous n’avons affaire qu’à quelques intérêts ; mais vienne la révision que désire l’honorable préopinant, tous les intérêts, sans exception, entreraient en lice, les discussions deviendraient inextricables et ne pourraient amener aucun résultat. Je regarde l’accord des divers intérêts comme d’autant plus impossible, qu’en matière de douanes, les industriels n’admettent pas de compensations. Ainsi les drapiers ne voudraient pas que l’on abaissât les droits sur tel ou tel article, pour les élever sur celui qui les concerne particulièrement ; Que conclure de cette tendance des intérêts particuliers à ne pas entrer dans un système de compensation ? qu’il faut de toute nécessité examiner isolément les questions de douane.
Aussi je n’hésite pas à dire que le gouvernement aurait agi plus sûrement pour l’adoption de ses propositions actuelles s’il avait présenté autant de projets qu’il y a d’articles dans la loi que nous discutons ; peut-être par là aurions-nous évité de tomber dans l’inextricable débat dans lequel nous sommes engagés depuis tant de jours. Aussi le gouvernement suivrait probablement ce mode de procéder, s’il avait à vous proposer ultérieurement de nouvelles modifications au tarif des douanes.
M. Gendebien. - Messieurs, M. le ministre des finances a essayé de me mettre en contradiction avec moi-même ; c’est en cela que je fais consister le fait personnel pour lequel j’ai demandé la parole.
M. le ministre vous a dit que j’avais voté le maintien de la prohibition, et que je venais m’apitoyer sur le sort des consommateurs, alors qu’il s’agissait d’élever les droits.
Messieurs, il n’y a en cela aucune espèce d’apparence de contradiction. La prohibition n’existe pas à l’égard de toutes les provenances ; première raison. Une seconde raison, messieurs, c’est que tout en votant la prohibition, j’ai déclaré être ennemi des prohibitions. J’ai cru qu’on ne pouvait lever la prohibition à l’égard de la France, alors que la France reculait elle-même devant la levée de la prohibition qui pèse sur nos draps. Et dans quelles circonstances la France maintient-elle sa prohibition ? Alors qu’elle facilite l’exportation des draps français, par la prime énorme qu’elle accorde à la sortie.
Chez nous, il n’existe pas de prime semblable. Nous prohibons les draps français, parce que la France a prohibé les nôtres. Pouvons-nous dès lors lever la prohibition sans inconséquence ? Et si je voulais me défendre par voie de récriminations, ne serais-je pas en droit de dire que ce sont ceux qui ont demandé la levée de la prohibition, qui sont en contradiction ?
Quant au manque de renseignements, je n’ai entendu en aucune façon en faire un grief au ministre des finances. Je n’ai fait qu’énoncer un fait sur lequel tout le monde est d’accord.
En effet, n’arrive-t-il pas qu’au sortir de chaque séance, l’on dise : « L’affaire n’était pas mûre, elle n’était pas instruite, il manquait des renseignements. »
Et la preuve qu’il en est ainsi, c’est qu’à tout moment on est obligé de fournir de nouveaux tableaux, de faire de nouvelles enquêtes. Si l’on s’était donné la peine de faire ces enquêtes avant que la discussion commençât, l’on serait aujourd’hui dispensé d’y recourir. A l’heure qu’il est, une enquête s’instruit encore pour ce qui concerne les tricots. Si l’on avait eu soin de recueillir d’avance tous les renseignements convenables, nous ne serions pas obligés, après 2 jours de discussion, d’instruire l’affaire, de morceler, de traîner indéfiniment la discussion.
Le ministre des finances n’est pas d’accord avec moi sur le moyen d’arriver puis facilement à un résultat en matière de douanes. Je ne trouve pas mauvais que le ministre ne se trouve pas d’accord avec moi. Mais je maintiens que la seule manière d’arriver à un système de douanes juste, sincèrement protecteur, équitable pour tous, c’est de mettre tous les intérêts en présence.
Car qui vous dit, messieurs, que vous n’allez pas sacrifier l’industrie drapière à l’indifférence de la majorité dont les intérêts ne se trouvent pas froissés par cette mesure ? Qui vous dit que le principal grief des manufacturiers drapiers ne sera pas de reprocher à la législature, que tout en ôtant la protection qu’ils avaient eue, on élève par des droits protecteurs la valeur des objets de première nécessité pour leur industrie ? Pourquoi les drapiers ne pourraient-ils pas vous dire que si vous avez admis un système général de douanes (et ils ont émis ce vœu), leur industrie aurait pu très bien marcher alors que toutes les industries seraient équitablement protégées ?
Eh bien, messieurs, si tous les intérêts étaient en présence, chacun d’eux sentirait la nécessité de faire des concessions et n’exigerait que tout juste la protection nécessaire pour le maintien de son industrie sans préjudice pour les autres, et personne ne chercherait à s’enrichir, à prétexte d’une protection indispensable à la branche d’industrie qu’il exploiterait.
Voilà, messieurs, dans quel sens j’ai dit qu’il serait plus facile de discuter un système général de douanes que d’élaborer quelques articles. Certainement M. le ministre des finances a raison de dire qu’il se repent de n’avoir pas proposé une loi spéciale pour chacun des articles qui composent le projet en discussion. Sans doute, la chose eût été bien plus facile, bien plus commode pour lui ; il aurait mis successivement aux prises l’égoïsme de ceux qui n’auraient pas été attaqués avec les réclamations de ceux qui l’auraient été. La besogne des ministres aurait été bientôt faite ; mais pour la généralité, le travail aurait été à recommencer après le vote de chaque loi, car les réclamations seraient venues de toutes parts après l’adoption de chaque loi, cl cela précisément à cause de l’expédient que regrette le ministre.
Je persiste donc pour ma part dans l’opinion que j’ai émise il y a six mois, et je me justifie suffisamment de ne prendre aucune part à la discussion actuelle, parce que, je le répète, elle n’aboutira à aucun résultat. Quand vous aurez obtenu la loi, vous verrez surgir beaucoup plus de réclamations, beaucoup plus de plaintes qu’auparavant, et vous serez obligés d’y faire droit par de nouvelles mesures, soit générales, soit particulières ; en un mot, vous n’aurez fait que provoquer de nouvelles mesures spéciales et à l’infini.
M. Verdussen. - Messieurs, je regrette de n’avoir pas été présent à la séance, lorsque M. Gendebien a commencé son discours, dont j’ai entendu seulement la fin. Mais, à en juger d’après cette fin, je crois que l’honorable membre a déjà présenté quelques considérations sur lesquelles je veux aussi m’étendre un peu.
Lorsque j’ai demandé, à la fin de la dernière séance, quel était le rapport du droit imposé au poids avec la valeur de la marchandise, j’avais l’intention de m’éclairer, à l’effet de m’assurer si nous n’allions pas tomber dans le même inconvénient que celui que j’avais déjà signalé relativement aux bonneteries, c’est-à-dire, si nous n’allions pas frapper d’un droit exorbitant les marchandises communes et d’un droit très faible les marchandises fines, qui, naturellement, devraient payer un droit plus élevé.
Les explications que MM. Demonceau et Dechamps ont données aujourd’hui, ainsi que les tableaux qui ont été présentés par M. le ministre des finances et M. Demonceau, me prouvent que je n’avais pas tort de craindre un pareil résultat.
D’abord je vous dirai, messieurs, que l’illusion de la moyenne qu’on a établie dans ces tableaux est frappante pour quiconque veut y regarder deux fois.
En effet, nous avons vu d’un côté le ministre des finances en établissant son échelle seulement sur cinq articles, en venir à une moyenne de 10 p. c. à la valeur.
M. Demonceau au contraire, en basant ses calculs sur 14 articles, n’est arrivé qu’à une moyenne de 7 p. c. Mais, messieurs, si l’honorable M. Demonceau avait voulu ajouter à l’une des extrémités de son échelle un seul article de drap commun, et qu’au lieu de commencer sa catégorie par un drap de 12 francs à la valeur, il fût descendu jusqu’au drap de 8 fr. par exemple, sa moyenne n’aurait plus existe, et celle qu’il aurait trouvée se serait rapprochée beaucoup du chiffre qui a été établi par le ministre des finances.
Il en est de même de la classification de M. le ministre des finances et de son tableau. Si le ministre avait ajouté un article de plus au haut ou au bas de son échelle, sa moyenne devenait 12 ou devenait 8.
Vous voyez donc, messieurs, que ces moyennes sont de véritables illusions.
Il est très vrai que, relativement aux draps, cet inconvénient est beaucoup moins frappant qu’il ne le serait par rapport aux bonneteries, parce que le poids pour les draps influe dans un sens différent que pour les bonneteries. En effet, le drap fin, bien serré, qui est le plus cher, a un poids qui se rapproche beaucoup de celui du drap commun, taudis que dans la bonneterie, les qualités les plus fines sont les plus légères.
De ce que je viens de dire, messieurs, doit ressortir la nécessité de faire des catégories par valeur.
C’est le but que je me proposais dans mon discours, de vous présenter un amendement tendant à ne pas admettre les cinq catégories de notre tarif ; et à les réduire à deux, dont l’une comprendrait les draps de 16 francs et au-dessous, dont je fixerai le droit à 200 fr. les 100 kilog., et l’autre comprendrait les draps au-dessus de 16 fr., dont j’élèverai le droit à 350 fr. les 100 kil. De cette manière, la moyenne du droit sera les qualités communes, et non de 13 1/2 p. c. ou de 12 p. c., mais d’environ 11 p. c. ; et pour les draps fins, les draps au-dessus de 16 francs, le droit sera de 10 p. c., taux qu’on se proposait.
M. le ministre des finances, dans le discours qu’il a prononcé aujourd’hui, a dit que c’étaient les qualités fines qu’on introduisait en Belgique. S’il en est ainsi, je trouve qu’il ne faut pas se contenter de les frapper d’un droit minime ; un droit de 6 ou de 4 p.c. est insuffisant, il faut les frapper d’un droit plus fort, et tâcher d’obtenir une moyenne de 8, 9 ou 10 p. c. Je sais qu’en établissant des catégories, je tombe sous ma propre critique, et que les inconvénients que j’ai signalés, subsistent puisque là où il y a une échelle de valeur, il y a toujours une différence de droit ; mais ils sont moins grands que ceux qui résulteraient d’un droit uniforme de 250 francs.
Deux objections ont été présentées : d’abord inefficacité du droit établi à la valeur, parce qu’on déclarera comme appartenant à la catégorie inférieure des draps qui sont de la catégorie supérieure. Je conçois cela pour les draps qui approchent tant soit peu de la limite, mais quand on s’en écarte, quand on vient aux qualités de 22, 26 et 30 fr., alors je crois qu’il ne serait plus possible de déclarer ces draps comme appartenant à la catégorie inférieure. A l’égard de ceux-là j’obtiendrai pour le trésor un droit plus élevé, et pour l’industrie une plus grande protection.
La seconde objection qu’on a faite est que je mettais dans la nécessité d’ouvrir les ballots et de faire plusieurs pesées au lieu d’appliquer le droit sur une seule pesée. On le fait d’après le tarif actuel, et cet inconvénient n’a pas paru si grand puisqu’on l’a laissé subsister depuis 1822. Je ne crois pas qu’il ait été l’objet de beaucoup de réclamations.
Je crois avoir rencontré toutes les objections dont le système que je défends avait été l’objet, et avoir prouvé qu’il était admissible. D’après cela, je pense qu’on donnera la préférence à mon amendement.
M. Demonceau. - Je voterai pour la proposition que je considérerai comme la plus favorable à l’industrie dont je défends la cause. Dans ma position, je dois réparer autant que possible le tort que la levée de la prohibition qui frappait les draps français va faire à l’industrie drapière.
Je déclare que je suis loin de me plaindre de la conduite du gouvernement lorsqu’il change le système de perception. Je considère le nouveau système comme le seul qui puisse atteindre les draps et casimirs et tissus similaires. Je sais que M. Verdussen vient de faire observer qu’en partant d’une moyenne de 6 fr., on arrivera à un droit énorme ; mais qui ignore que presque tous les draps se vendent au moins à 10 fr. le mètre, qui fait une aune et demie de notre pays ? Nulle part il n’y en a à 7 fr. ; ou s’il y en a, c’est d’une largeur et, par conséquent, d’un poids différent, Il y a par exemple des draps zéphirs à 8 fr., mais ils ne pèsent que 300 grammes au lieu de 500. Si vous tenez compte de cette différence, vous n’avez jamais qu’un droit de 8 p. c.
J’ai pris pour base les draps de 12 fr., et j’ai dit qu’un drap de moindre prix ne pesait pas 500 grammes l’aune, poids pesé comme moyenne par MM. Smits et Dechamps qui ont dû faire des vérifications.
L’honorable M. Verdussen a fait observer que ma moyenne allait de 10 à 4 p. c., tandis que celle du ministre des finances est de 15 à 6 p.c. Je n’ai pas compris l’observation de M. le ministre des finances, mais je garantis pour exact le tableau que j’ai déposé. Quand il aura été imprimé, l’honorable M. Verdussen pourra faire la comparaison. Et s’il trouve qu’en descendant jusqu’au drap de 8 fr., le droit s’élève à 12 fr., il verra qu’en montant jusqu’à 30 fr. le droit n’est plus que de 2 p. c.
Je fais de nouveau observer que les draps ordinaires pèsent un demi-kilo l’aune, et que les draps zéphirs, castorines, circassiennes, ne pèsent que 500 grammes. Voilà pourquoi je suis parti des draps de 12 fr. pour aller seulement jusqu’à 25 fr.
Maintenant, j’ai une autre observation à faire pour convaincre M. Gendebien que la nouvelle proposition du gouvernement est préférable à l’ancien tarif.
D’après le tarif on combine le poids avec la valeur et on est autorisé à déclarer une valeur au-dessous de 8 fr. On ne paie alors que 80 centimes par kilog. La catégorie de 8 fr. à 16 paie 1,50 par kil. Savez-vous ce qui est advenu, consultez le tableau des importations qui vous a été communiqué par le ministre, vous verrez qu’en 1831, 1832, 1833 et 1834, sur 50 mille kil. de draps importés en Belgique (vous savez qu’on a dit qu’on n’importait que des draps tins) 48 mille kil. ont été déclarés au-dessous de 16 fr.
J’ai dit, dans la discussion sur la question de la levée de la prohibition, qu’il était impossible à des douaniers et même à des négociants de voir la différence entre des draps de 15 fr. et des draps de 20 fr. Qu’arrive-t-il ? Le tarif actuel donne des facilités immenses à la fraude. Supposez un drap valant 20 fr., et déclaré valeur 15 fr., il devrait payer 1,07 le mètre, soit 5 p. c. ; il ne paiera que 75 centimes, étant déclaré d’une catégorie inférieure ; au lieu de 5, il ne paie plus que 3 2/3 p. c. Supposez un drap de 30 fr. déclaré 24, d’après la tarification il devrait payer 1,27 le mètre, soit 4 1/4 p. e. ; si vous le descendez à la catégorie inférieure, il paie 1,07, ce qui ne fait plus que 3 1/2 p. c.
Ces observations, je les avais faites dans la discussion générale. Je crois qu’elles ont suffi pour engager le gouvernement à changer son système de perception. Le trésor y gagnera et l’industrie en profitera, si vous voulez donner aux draps de 50 francs une protection de 3 p. c. En prenant la perception au poids, cette protection leur sera assurée.
Je crois en avoir dit assez pour justifier la perception au poids sans y joindre la valeur.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Verdussen :
« Draps. casimirs et autres tissus similaires où la laine domine :
« De la valeur de 16 fr. et au-dessus : 200 fr.
« Les qualités supérieures à la valeur de 16 fr. : 350 fr. »
M. Lardinois. - Vous avez malheureusement décidé que la prohibition serait levée sur les draps français ; le temps nous apprendra que vous avez porté un coup fatal à l’industrie du pays. Il ne reste plus maintenant qu’à rendre la plaie la moins profonde possible.
Je sais que notre position politique vis-à-vis de la France a puissamment influé sur votre résolution ; mais je sais aussi que la grande majorité de cette chambre est favorable à l’industrie et qu’elle veut lui accorder une protection suffisante.
Ainsi, quant à la draperie, le désir du gouvernement français est accompli ; la France rentre dans le droit commun ; les fabricants français pourront nous inonder de leurs produits, car un droit réel de 20 p. c. serait une faible digue à opposer à leur invasion.
L’honorable M. Dechamps vous a proposé un amendement ayant pour but d’imposer les draps et casimirs étrangers à un droit de 10 p. c., terme moyen. L’honorable ministre des finances a lu au commencement de cette séance un tableau, duquel il conste que ce taux n’est pas dépassé en moyenne. Nous admettons l’exactitude de ce chiffre ; nous sommes donc d’accord sur ce point.
Vous trouverez ce droit peu élevé, et la Prusse, ni l’Angleterre, ne pourront s’en plaindre ; car ces puissances frappent de droits plus forts les produits similaires ; l’Angleterre surtout qui a un droit protecteur de 15 p. c.
Je crains beaucoup que cet amendement ne soit qu’un palliatif aux souffrances de nos manufactures, et que bientôt l’on ne soit forcé d’y apporter un remède plus efficace pour ne pas voir augmenter leur état déplorable.
La cause de cette malheureuse situation doit être en grande partie attribuée à l’importation qu’on fait en Belgique des produits étrangers. Dans une autre séance je vous ai dit que ces importations en tissus de laine s’élevaient terme moyen à 16 millions de francs annuellement, d’après les documents officiels qui nous avaient été distribués. J’ai vu ce matin dans un journal qui paraît recevoir les inspirations du gouvernement que cette évaluation était exagérée, et il suppute l’importation en draps et casimirs à un million seulement. Cet allégué ne repose sur aucun fait, et il est plus qu’inexact. J’ai défendu le maintien de la prohibition ; j’ai établi que la fraude des draps français ne pouvait se faire que sur une échelle restreinte ; néanmoins, si on consulte les tableaux officiels de la France, on trouve qu’elle exporte pour la Belgique en draps et casimirs pour une somme de 5 à 600,000 fr.
C’est insignifiant en comparaison avec ce qui nous arrive de l’Allemagne et de l’Angleterre ; je suis persuadé que la totalité de ces importations en produits que nous fabriquons, ou que nous pouvons fabriquer, s’élève de 10 à 12 millions chaque année.
Une autre cause qui contribue aussi beaucoup aux embarras de l’industrie drapière, c’est la trop grande production. Les fabricants sentent la nécessité de varier leurs produits pour parer un peu aux mauvais résultats de la concurrence, et c’est avec plaisir qu’ils apprendront la déclaration de M. le ministre des finances qui assimile définitivement les étoffes de fantaisie comme casimirs à côtes, casimirs rayés, jaspés, satins laine, buskins, zéphirs, castorines, etc., aux draps et casimirs. Nous avons déjà commencé la fabrication de ces étoffes, et il n’y a pas de doute qu’on donnera de l’extension à cette fabrication ; mais il fallait pour cela une certaine protection.
Cependant nous ne pouvons pas admettre l’expression de « tissus similaires » introduite dans l’amendement de M. Dechamps ; nous préférons celui de M. Demonceau, parce que « tissus de laine » est le terme générique, admis dans les tarifs de tous les pays. Cet article est ainsi rédigé dans le tarif prussien : « Etoffes et tissus de laine ou de laine et de poils. »
Ceux qui admettent l’amendement de l’honorable M. Dechamps, je voudrais bien qu’ils me dissent ce qu’ils entendent par tissus similaires. Je sais que M. le ministre des finances a dit que c’était des étoffes dont on faisait usage pour l’habillement des hommes ; mais cette explication est incomplète, et je vais à mon pour vous donner quelques définitions les plus concises possible.
Draps : Etoffe de laine, lisse ou croisée, rase et lustrée.
Casimirs : Etoffe de laine, croisée, rase, lustrée ou sèche, unie ou à côtes.
Péruviennes, etc : Etoffe de laine lisse, rase, légère, lustrée.
Castorines : Etoffe de laine lisse ou croisée, à longs poils, lustrée.
Vous trouvez peut-être ces définitions oiseuses ; cependant elles sont indispensables pour appliquer la loi en matière de douanes, et le gouvernement français n’a pas craint de dépenser une forte somme pour faire un dictionnaire de définitions à l’usage des employés de douanes.
Je dis, messieurs, qu’en présence de ces définitions, il y a peu d’étoffes de laine qui ne doivent rentrer dans l’une ou l’autre de ces catégories, et pour éviter que l’on ne commette des erreurs dans l’application de la loi, il faut adopter le terme générique de « tissus de laine. »
Je conviens qu’en admettant l’amendement de l’honorable M. Demonceau il y aura trois ou quatre articles qui seront soumis à des droits exorbitants ; le gouvernement sait cela parce que la chambre de commerce de Verviers a eu la bonne foi d’en instruire le ministère. Mais ne s’agit-il pas aujourd’hui de protéger l’industrie par des droits, et irez-vous rejeter une proposition utile parce que le droit sur quelques articles penche en faveur de cette industrie ? S’il n’y a que cela qui vous retienne, faites une catégorie pour ces articles, Mais n’allez pas sacrifier le tout à la partie.
M. Demonceau ayant répondu aux honorables MM. Gendebien et Verdussen, je me dispenserai de le faire. Cependant je répéterai une observation à M. Gendebien : l’amendement de M. Dechamps pour les draps et casimirs est préférable au système qui nous régit actuellement, parce que les draps fins étant déclarés comme des draps moyens et ceux-ci comme des qualités communes, on élude le droit, et c’est là un grand inconvénient lorsqu’il est établi à la valeur.
J’ajouterai que nous fabriquons beaucoup de draps moyens et ordinaires, et qu’il n’y a pas de mal qu’ils soient un peu plus protégés que les draps fins. D’ailleurs nous voulons protéger l’industrie drapière ; et faut s’arrêter à une limite, et je pense qu’une protection de dix pour cent n’est pas trop mince pour ceux qui sont partisans de la liberté du commerce. Je repousserais moi-même tout droit exagéré qui exciterait à la fraude.
L’immense consommation se fait sur les draps de 16 francs environ le mètre, qui représentent un droit de 8 p. c. par cent kilog.
J’espère que ces raisons ramèneront l’honorable M. Gendebien à notre système, parce que nous aimons à nous appuyer de son opinion.
M. Dechamps. - L’honorable préopinant vous a donné des définitions quelque peu abstraites et métaphysiques de ce qu’il entend par draps, casimirs, etc. Nous avons dû croire, d’après les définitions qu’il a données, qu’il est très difficile de distinguer entre ces différents tissus ; cependant dans l’application il n’en est rien ; et je pense que les employés de la douane n’ont jamais trouvé de difficulté à distinguer entre les draps, les casimirs et les tissus similaires.
Il ne faut pas perdre de vue que nous avons à protéger deux genres de fabrication bien distincts en fait de tissus de laine, à savoir la fabrication des draps et casimirs, et la fabrication des tissus de laine et autres qualités légères.
Messieurs, il me paraît que nous ne devons pas admettre, dans notre tarif, cette dernière catégorie, ainsi que le propose M. Demonceau, parce que nous ne sommes nullement éclairés sur cet objet. Aucune pétition ne nous est parvenue de la part des industriels. Nous ne savons pas si leurs industries sont en souffrance, si elles ont besoin d’une protection plus efficace que celle dont elles jouissent par les tarifs existants.
S’il faut en croire l’honorable M. Rodenbach et M. Demonceau lui-même, ces industries sont en pleine activité ; et je ne vois pas, puisqu’elles ont prospéré, qu’il faille les protéger autrement qu’elles ne le sont.
A l’égard des objections présentées par M. Verdussen et par M. Gendebien, je crois qu’il y a été suffisamment répondu par Je ministre des finances.
L’honorable M. Gendebien a trouvé qu’il y avait anomalie à protéger moins nos draps fins, ou à frapper le droit le moins élevé sur ceux de France ; mais les draps fins de France nous arrivent par la fraude sans payer aucun droit : ainsi je ne vois pas la nécessité d’élever le tarif bien haut, parce que cela ne ferait qu’encourager les fraudeurs, et que les draps de fantaisie ne nous arriveraient pas moins ; ainsi le veulent les caprices des racheteurs.
M. Gendebien. - Je n’ai pas contesté, et je n’ai pas eu l’intention de contester, la hauteur du droit nécessaire pour protéger efficacement la draperie de Verviers et des autres fabriques du pays ; j’ai fait remarquer une anomalie qui ne me permet pas de voter les amendements proposés. Les réponses qu’on m’a faites n’ont pas fait disparaître cette anomalie.
Je ne comprends pas comment, alors que le gouvernement français a accordé une prime à la sortie des draps, et qui va jusqu’à 20 et 25 p. c. s’il faut en croire les députés de Verviers ; je ne comprends pas comment ils trouvent après cela le droit de 6 1/4 suffisant pour protéger leurs fabriques.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On tient compte de la prime dans le paiement, puisqu’elle s’ajoute au tarif. J’ai fait une proposition formelle à cet égard.
M. Gendebien. - Mais vous établissez un droit uniforme, au poids, sur toutes les frontières, aussi bien sur les draps favorisés de la prime que sur ceux qui ne le sont pas ; alors, comment ferez-vous rembourser la prime ? Vous allez vous jeter dans le plus grand dédale, car le système de douanes le plus vicieux, c’est celui des primes ; et un système plus vicieux encore, c’est de rembourser les primes
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Nous ne remboursons pas la prime, nous la prenons au contraire.
M. Gendebien. - Soit, mais comment percevoir cette prime, comment l’évaluerez-vous, alors que la douane française se trouve elle-même dans l’impuissance de le faire, alors qu’elle est elle-même dupe du système qu’elle a établi ? Les discussions de la chambre française nous ont démontré que c’était la chose la plus pernicieuse par l’impossibilité de constater le montant réel de la prime. C’est même l’expression dont se sont servis les députés ministériels. Cette impossibilité de vérification sera bien plus grande pour nous. Ce que je vois de plus positif dans ce système, c’est que nous allons tomber dans l’arbitraire le plus inouï en matière de douane ; et jusqu’à ce qu’il me soit prouvé qu’on a la possibilité de faire payer la prime aux provenances qui jouissent de cette faveur, je dirai que l’industrie accepte un rôle de dupe, et au gouvernement qu’il ne percevra qu’un droit de 6 1/2, et que s’il trouve le moyen d’exiger la prime, le droit sera, dans ce cas, si élevé qu’il équivaudra à la prohibition et qu’on le fraudera, comme on le fraudait sous le régime de la prohibition, au dire de ceux qui l’ont aboli.
Eh bien, je répète encore que je ne comprends pas comment on s’arrête à 6 p. c. alors qu’on proclame hautement la nécessité d’arriver à 10 p. c. Il y a là, pardonnez-moi l’expression, quelque dessous de cartes que je ne vois pas, parce que je ne suis pas du métier ; il y a là, pour moi, de la magie au-dessus de mon intelligence. M. Dechamps dit que les draps fins entraient en fraude, et que si on élevait le droit d’une manière exorbitante sur les draps, on ne ferait qu’exciter les fraudeurs sans avantage pour le fisc ni pour notre industrie : mais si je demandais un droit exorbitant, il aurait raison la réponse serait pertinente ; mais comme je ne demande pas un droit exorbitant, comme je ne parle pas même de la hauteur du droit, sa réponse ne vaut rien.
Je suis prêt à voter le droit dont on se contente. Les représentants de Verviers qui connaissent cent fois mieux que moi la hauteur de la protection qu’il faut accorder à l’industrie drapière, doivent me servir de guides ; toutefois je dois leur faire remarquer que d’après les tableaux fournis par le gouvernement, c’est la qualité la plus infime qui est frappée de 15 1/2, et que c’est la catégorie la plus fine, la plus riche qui n’est frappée que de 6 pour cent, ce que je ne comprends pas, je le répète, puisque c’est des qualités de luxe qu’ils paraissaient le plus effrayés. Je préfère donc, jusqu’à éclaircissements ultérieurs, l’amendement de M. Verdussen. Toutefois, je crois, messieurs, qu’il serait bon de réfléchir sur l’amendement de M. Verdussen ; et je présume que s’il réfléchissait lui-même sur sa proposition, il proposerait trois catégories au lieu de deux, parce qu’il y aurait une catégorie intermédiaire qui servirait de point intermédiaire, de terme de comparaison, entre les extrêmes qui, sans ce terme de comparaison, pourront facilement se confondre.
Comme la chambre n’est pas en disposition de voter, car nous ne sommes pas en nombre, d’ici à demain j’examinerai les tableaux, et je me hasarderai peut-être à faire une proposition. Jusqu’ici je n’ai pas mes apaisements.
Je déclare que je me joindrai volontiers aux députés de Verviers s’ils se contentent de 6 p. c. ; je n’attaque pas la hauteur du droit, je suis prêt à voter 10 p. c. ; mais j’attaque l’anomalie que j’ai signalée et qu’on n’a pas détruite.
M. le président. - La parole est M. Demonceau.
- Les députés quittent leurs banquettes.
La suite de la discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à quatre heures et demie.