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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 30 octobre 1837

(Moniteur belge n°304, du 31 octobre 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« La députation provinciale du Hainaut demande que la somme de 98,310 fr. 74, montant des intérêts illégalement perçus par le gouvernement pendant les années 1853 à 1837, d’un capital appartenant à la province de Hainaut, soit portée au budget et serve à l’indemniser des pertes que lui a fait éprouver l’interdit jeté sur ces fonds pendant sept années. »


« La fabrique de l’église St-Jacques, de Liège, demande de nouveau qu’il soit alloué au budget de 1838 une somme pour réparations à cette église. »


« Les bourgmestres de Lillo, Stabrouck, Santvliet et Beerendrecht, demandent qu’il soit alloué une somme de 300,000 fr. à chacun des budgets des exercices de 1837 et 1838 pour secours aux Belges nécessiteux par suite de l’agression hollandaise. »


« Plusieurs communes du district de Ruremonde demandent une diminution dans le contingent de la contribution foncière pour le canton d’Achel pour 1837. »


« Les carrossiers de Bruxelles demandent que les voitures étrangères soient frappées à l’entrée d’un droit protecteur de leur industrie. »


« Le sieur Davreux aîné, fabricant de tulles à Bouillon, adresse des observations contre le projet de loi relatif aux douanes et demande un droit protecteur de son industrie. »


M. Gendebien. - Messieurs, vous venez d’entendre l’analyse d’une pétition qui vous a été adressée par la députation du conseil provincial du Hainaut, au nom et par suite d’un arrêté positif de ce conseil.

Il s’agit d’une réclamation dont la justice est d’une telle évidence qu’il vous suffira de lire la pétition de la députation permanente du Hainaut pour être convaincus de la nécessité de prendre une décision.

Il y a aussi des motifs d’urgence tels que vous serez également convaincus de vous occuper de la réclamation avant la discussion des budgets, qui doit sans doute avoir lieu dans quinze jours ou trois semaines.

Je demande en conséquence que la commission des pétitions soit invitée à faire un rapport, pour que la pétition et les pièces à l’appui puissent être imprimées et distribuées à tous les membres de la chambre avant la discussion des budgets. Cette nécessité, vous la comprendrez, messieurs, lorsque vous saurez qu’il s’agit de porter au budget des dépenses une allocation destinée au paiement de ce qui est dû à la province de Hainaut.

J’aurais demandé dès à présent l’impression de la pétition et des pièces justificatives, parce qu’il n’y aurait eu aucun inconvénient à cette impression immédiate ; mais comme la chambre n’est dans l’habitude de prendre une semblable mesure que lorsqu’elle s’occupe immédiatement de l’objet de la pétition, je ne réserve de demander l’impression, dès que la commission aura présenté son rapport.

- La proposition de M. Gendebien est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, la commission des pétitions sera invitée à faire un prompt rapport sur la pétition de la députation du conseil provincial du Hainaut.


Les pétitions qui se rapportent à l’objet en discussion resteront déposées sur le bureau pendant la discussion de la loi des douanes.

Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport.

Révision de la législation sur les sucres

Motion d'ordre

M. Eloy de Burdinne. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, si ma mémoire est fidèle, dans la session de 1836 à 1837, une commission a été nommée chargée de réviser la loi de l’impôt sur le sucre.

Je désire connaître à quelle époque cette commission aura terminé son mandat, et je viens consulter la chambre s’il ne conviendrait pas de l’inviter à nous faire part de son travail, en d’autres termes, de nous faire part de son rapport.

Je crois me rappeler que dans une des dernières séances de l’exercice écoulé, il nous a été dit que la commission avait terminé cette besogne.

Sous peu nous discuterons le budget des voies et moyens, et comme on nous demande des centimes additionnels aux contributions directes, si, comme je l’espère, la commission a trouvé le moyen d’assurer au profit du trésor la perception de l’impôt sur le sucre et non au profit de l’industrie, du commerce ou du consommateur étranger, alors nous pourrions, non seulement éviter de grever le contribuable d’une charge nouvelle, mais nous pourrions en outre diminuer l’impôt sur le sel, impôt que je considère comme injuste, vu qu’il pèse bien plus sur la classe pauvre et intermédiaire que sur la classe aisée.

Si ce rapport nous était fait avant la discussion du budget des voies et moyens, nous pourrions le discuter avant la discussion du budget, et nous trouverions le moyen d’assurer au trésor 3 à 4 millions d’impôt sur le sucre sans que pour cela il augmente de prix, au lieu de 800,000 fr. portés au budget des voies et moyens pour l’exercice de 1838.

M. Desmaisières. - Messieurs, bien que la chambre ait laissé la question indécise, à savoir si je devais faire un rapport oui ou non, en sus des conclusions que j’avais déposées en conformité d’une décision de la chambre, je dois faire connaître à l’assemblée que j’ai mis à profit le temps des vacances, pour me mettre à même de satisfaire aussi promptement que possible aux vœux que la chambre pourrait exprimer d’obtenir un rapport sur la question des sucres.

J’ai reçu il y a deux jours quelques renseignements que j’avais demandés à M. le ministre des finances. et je comptais prier M. le président de la commission de bien vouloir inviter la commission à l’effet de savoir si mes honorables collègues étaient d’avis qu’il fallût déposer un rapport, ou bien s’ils croyaient devoir demander préalablement à la chambre si ce rapport était exigé.

Du reste, messieurs, je regrette que M. le président de la commission ne soit pas ici ; c’est ce qui m’a empêché de donner suite à l’intention que j’avais.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, il semblerait, d’après ce que vient de dire l’honorable préopinant, qu’il reste encore à savoir si la commission qui a été chargée de l’examen de la question des sucres doit ou non faire un rapport à la chambre, et cependant il ne devrait pas y avoir le moindre doute à cet égard, puisqu’il suffit, pour s’en assurer, de recourir au Moniteur de la dernière session ; on y trouvera une déclaration formelle et non contestée de l’honorable M. Dubus, ayant pour objet de considérer la commission comme tenue de faire un rapport, indépendamment des conclusions qu’elle avait présentées conformément à une décision antérieure de la chambre.

Je dirai, messieurs, qu’il y a quelque chose de surprenant dans le doute de l’honorable préopinant ; à quel titre m’aurait-il donc demandé des renseignements, si ce n’est au nom de la commission et pour en faire l’objet d’un rapport ?

Si j’avais su que ces renseignements n’étaient demandés que pour l’usage personnel de l’honorable M. Desmaisières, certes je n’aurais pas occupé, pour les fournir, plusieurs employés pendant un grand nombre de jours. Les départements ministériels ont déjà assez de besogne, pour ne pas consacrer ainsi leur temps à fournir de nombreux documents à telle ou telle personne qui peut en faire la demande. Lorsque la chambre ou une commission déléguée par elle demande des renseignements, tout le monde s’empresse de se mettre à l’œuvre pour les fournir, et c’est parce que j’ai cru que l’honorable M. Desmaisières parlait au nom d’une commission de la chambre, que j’ai fait en sorte de lui procurer sans retard ce qu’il réclamait.

Je dis sans retard, et, en effet, l’absence des renseignements qu’il a seulement reçus il y a deux jours, et qui complètent, je crois, la série de ceux qui ont été demandés et consistant à indiquer les sucreries de betteraves qui sont établies en Belgique, ainsi que la quantité approximative des produits de ces sucreries, n’a pas dû empêcher la commission de préparer son rapport et de présenter des conclusions.

Dans l’exposé des motifs du budget de 1838, j’ai exprimé, au nom du gouvernement, le vœu que la question des sucres fût déférée immédiatement à la chambre ; et quand même il n’en aurait été rien dit, le chiffre qui figure au budget des voies et moyens, concernant l’impôt des sucres, rend nécessaire une discussion immédiate sur ce point, car il s’agira, lors de l’examen du budget de recettes, de savoir si l’on adoptera ou non ce chiffre ; en d’autres termes, si l’on modifiera ou non la législation des sucres.

Il n’y a donc aucun doute sur l’obligation pour la commission de présenter le rapport dont on vient de parler, ni sur l’urgence de ce rapport, et j’appelle de tous mes efforts, avec l’honorable M. Eloy de Burdinne, le moment où la chambre pourra aborder la discussion des conclusions que la commission doit présenter.

M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai fait chercher le Moniteur du mois de mai dernier, parce que je tiens à faire voir qu’il ne résulte pas du tout du compte-rendu du il que la chambre ait décidé positivement la question de savoir si, en sus des conclusions que j’avais lues et déposées au nom de la commission, il fallait faire un rapport. En effet, messieurs, la chambre n’a pas décidé la question, elle a passé à l’ordre du jour. L’honorable M. Dubus a dit, à la vérité, que, dans son opinion, il croyait qu’il était du devoir de la commission de faire un rapport ; mais, d’un autre côté, l’honorable M. Desmet, qui a parlé après M. Dubus, a déclaré que la commission ne devait pas en présenter. La chambre a passe à l’ordre du jour, sans prendre aucune décision. Voilà ce dont tout le monde peut se convaincre par la lecture du Moniteur.

M. le ministre des finances a demandé à quel titre j’avais réclamé des renseignements ; il a ajouté que s’il avait su que je les avais demandés pour moi, simple député, il ne les aurait pas fournis.

Je voudrais bien voir qu’un ministre refusât à un membre de la chambre les renseignements qu’il lui demanderait. Quand un député demande des renseignements à un ministre, le ministre doit les donner, car il est de son devoir de nous éclairer.

D’ailleurs, M. le ministre des finances aurait bien pu se dispenser de faire connaître ce fait, puisque j’ai déclaré à la chambre, il y a trois ou quatre jours, que j’avais demandé de nouveaux renseignements au ministre des finances, pour me mettre en état de satisfaire promptement à toute décision de la chambre, qui tendrait à réclamer un rapport sur la question dont il s’agit . Je crois, en conséquence, avoir fait quelque chose d’utile, en adressant cette demande de renseignements au ministre ; je crois en même temps avoir rempli mes devoirs, comme je devais les remplir, et j’aurais été coupable si je n’avais pas agi comme je l’ai fait.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, d’après ce que vient de dire l’honorable préopinant, il paraît que la chambre n’a pris aucune décision ni pour, ni contre, en ce qui concerne la question des sucres ; les choses sont donc restées dans le statu quo. Je crois en conséquence que la commission devrait être invitée à faire un prompt rapport. (Appuyé !)

M. Rogier. - En appuyant la proposition de M. Eloy de Burdinne, je pense qu’il faudrait la compléter en demandant que non seulement la commission fasse son rapport sur la question, mais qu’elle formule en projet de loi un système de perception.

M. Verdussen. - Messieurs, je suis loin de m’opposer à ce que la commission des sucres fasse un rapport, mais je pense que ce sera un travail inutile, s’il s’agit purement et simplement de savoir si on maintiendra purement et simplement la législation sur les sucres, telle qu’elle est aujourd’hui. Car le ministre a déjà préjugé la question en portant au budget des voies et moyens un chiffre plus fort pour l’impôt sur les sucres, dans la prévision d’un changement de système ; mais il ne nous indique pas dans quel sens ce changement doit être fait.

Si, à l’appui du chiffre porté dans le projet de budget des voies et moyens, il avait présenté un projet de loi réglant de quelle manière l’augmentation serait obtenue, je saurais sur quoi la commission pourrait travailler ; mais aujourd’hui elle ne peut rien faire, car elle ne sait pas quelle est la base du nouveau système de M. le ministre des finances.

Je pense que, pour que la commission soit à même de travailler avec utilité, il faut que M. le ministre des finances nous fasse connaître comment il se propose d’établir l’impôt pour obtenir le chiffre plus élevé qu’il a porté à son projet de budget des voies et moyens.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je vous rappellerai qu’une commission a été chargée non seulement de faire un rapport sur la législation relative aux sucres mais encore de présenter, au besoin, des modifications à cette législation. Il était convenu que le ministre des finances se rendrait près de cette commission, et que là ou formulerait, en commun, un projet de loi. En transmettant à M. Desmaisières les divers renseignements qu’il m’a demandés, j’ai offert d’assister aux délibérations de la commission ; c’était tout ce que j’avais à faire, car je ne pouvais pas, comme on vient de le dire, présenter convenablement un projet de loi alors que vous aviez saisi de la question une commission spéciale.

Je me suis tenu et me tiens prêt à me joindre à la commission pour formuler ce projet de loi.

M. Pirmez. - Messieurs, l’important est que la chambre soit saisie de la question. Que la commission présente ou ne présente pas de projet, peu importe ; quand la chambre sera saisie, si la commission n’a pas cru devoir en proposer, le ministre ou un membre de cette chambre en proposera un.

J’appuie donc la demande d’un prompt rapport.

M. Dumortier. - Je crois devoir rappeler comment la question du sucre a été mise sur le tapis. Trois amendements avaient été présentés, l’un par M. Lardinois, un autre par moi, et un troisième par un autre membre ; ces trois amendements concouraient à un même but, à modifier le rendement sur les sucres, et renfermaient un projet ; il ne s’agit que de se prononcer sur ces projets. Comme auteur d’un des amendements, j’ai assisté à plusieurs séances.

La commission a conclu au maintien de ce qui existe ; vous ne pouvez pas demander à une commission qui s’est prononcée pour le maintien d’une législation, de vous présenter un projet de loi qui modifie cette législation ; vous ne pouvez pas exiger d’une majorité qui s’est déclarée contraire à un système, de formuler un projet de loi dans ce système.

Quant à la discussion, il importe qu’elle ait lieu avant la discussion du budget ; le trésor public et les raffineurs de sucre sont également intéressés à ce que cette question soit promptement résolue. Le trésor public est intéressé à ce que le rendement du sucre soit réduit le plus tôt possible, et les raffineurs dont l’industrie est paralysée par l’incertitude dans laquelle ils sont depuis que cette question a été soulevée sont intéressées à savoir à quoi s’en tenir.

Il y a donc lieu de mettre au plus tôt en discussion les projets de loi qui ont été présentés sur cet objet.

M. Eloy de Burdinne. - Quand j’ai demandé la parole, je n’étais pas, comme M. Dumortier, au courant de l’opinion de la commission ; je ne savais pas qu’elle s’était prononcée pour le maintien de la législation actuelle. Je demande maintenant que la commission dise si elle veut ou si elle ne veut pas présenter de projet de loi : nous prendrons alors une détermination, et la chambre verra si elle veut que l’impôt continue à être prélevé sur les consommateurs au profit de qui que ce puisse être, ou s’il ne vaut pas mieux que le trésor perçoive cet impôt en dégrevant d’autres impôts plus vexatoires.

M. Rogier. - Quand j’ai demandé que la commission nous présentât un projet de loi, je pensais qu’elle serait d’avis de modifier la législation actuelle sur les sucres. Si, comme on l’a dit, elle doit conclure au maintien de la législation actuelle, on ne peut pas lui demander de formuler un projet de loi ; mais toujours est-il nécessaire de prendre une détermination sur cette question avant la discussion du budget des voies et moyens. M. le ministre des finances préjugé la question en portant une somme de 900 mille francs en plus au budget.

Nous ne pouvons pas admettre une somme factice au budget des recettes ; les recettes doivent balancer les dépenses. Nous ne pouvons pas faire figurer parmi les recettes une somme de 900 mille francs que le fisc n’aurait pas la certitude de recevoir. Il faut donc résoudre la question des sucres avant de discuter le budget, à moins de retrancher les 900 mille francs portés en plus au budget, de n’y faire figurer que la somme perçue d’après le système actuellement existant.

En envisageant la question dans son rapport avec les voies et moyens et avec l’industrie intéressée, on voit qu’il importe de la résoudre le plus tôt possible. Voilà bientôt deux ans que cette industrie se trouve dans un état d’incertitude très fâcheux, qui a compromis l’état florissant où elle se trouvait quand la motion de changer la législation actuelle a été faite tians cette chambre.

Les intéressés insistent pour que la question se décide dans un sens ou dans un autre, mais enfin pour qu’elle se décide. Nous nous réunissons donc à M. Eloy de Burdinne pour demander un rapport pur et simple, si la commission se prononce pour le maintien de la législation actuelle, ou un projet, si elle propose de modifier le système actuel.

M. Gendebien. - Il résulte de la discussion qu’il serait prudent que M. le ministre des finances présentât un projet de loi. D’après ce qu’il a entendu, il doit être convaincu qu’il ne sortira pas de la commission. Je l’invite à s’occuper de ce projet et à le présenter le plus tôt possible. Il doit se rappeler qu’au mois de décembre j’ai prédit ce qui est arrivé. J’ai dit que si le ministre voulait combattre la mauvaise volonté qu’il rencontrait, il n’avait qu’à présenter des dispositions transitoires portant que jusqu’à dispositions ultérieures, les prises en charge ne donneraient ouverture à aucun droit de restitution autre que ceux qui seraient reconnus par la loi à faire. Si une semblable mesure avait été prise, ceux qui s’opposent aujourd’hui à la discussion de la loi auraient été intéressés à la hâter, et vers le mois de janvier ou de février 1837, la loi eût été faite, parce que, tant qu’elle ne l’aurait pas été, il n’y aurait pas eu de restitution. Nous voilà au mois de novembre, et je crains qu’on n’arrive au mois de janvier 1838, sans qu’on n’ait pris de mesure pour arrêter la fraude qui enlève au trésor quatre à cinq millions par an.

J’insiste pour que M. le ministre des finances nous présente un projet de loi, et pour qu’il le fasse le plus tôt possible, afin que nous ayons le temps de le discuter avant le budget des voies et moyens.

- La proposition de M. Eloy de Burdinne est mise aux voix et adoptée. En conséquence la commission chargée d’examiner la législation sur les sucres est invitée à faire un prompt rapport.

Projets de loi modifiant certaines limites communales

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - J’ai l’honneur de présenter à la chambre cinq projets de loi ayant pour objet des délimitations de communes, dont trois pour la province du Luxembourg et deux pour la province de Liége. Voici l’objet de ces projets : (suit un état indicatif de ces projets, non repris dans la présente version numérisée, et portant sur le territoire des communes de Hautfays et Gembes, Bigonville et Arsdorff, Straimont et Grapfontaine, Heusy et Stembert, Upigny et Dhuy)

- La chambre donne acte de la présentation de ces projets, en ordonne l’impression ainsi que des motifs qui les accompagnent et les renvoie à l’examen d’une commission nommés par le bureau.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Second vote du tableau du tarif

Bas et bonneterie

(en note de bas de page du Moniteur, on lisait ceci : « La vérification relative à la bonneterie, annoncée pour l’ouverture de la séance, n’a pu avoir lieu, la commission n’ayant pu encore réunir les séries complètes d’objets de bonneterie nécessaires pour cette vérification »).

Draps

M. le président. - La discussion continue sur les articles relatifs à la draperie.

La parole est à M. Lardinois.

M. Lardinois s’exprime en ces termes. - Messieurs, je m’étais proposé de ne prendre qu’une faible part à la discussion du second vote du projet de loi apportant des modifications au tarif de douanes, parce que la première discussion avait fourni aux membres de cette chambre l’occasion de débiter tous les arguments possibles pour soutenir aussi bien que pour combattre les propositions du gouvernement. Je croyais donc la question épuisée ; mais comme elle a été agitée de nouveau sous toutes ses faces, et quoique je veuille être sobre de considérations générales, je suis cependant obligé d’entrer dans des développements et des explications que j’aurais désiré éviter. Au reste, je ferai en sorte de rester dans la question et dans le vrai.

En ce qui touche l’article draps et casimirs, je commencerai par vous rapporter succinctement quelques faits.

Il y a été décidé lors du premier vote que la prohibition sur les draps et casimirs d’origine française serait levée.

Je ne vous rappellerai pas par quels moyens adroits cette décision a été enlevée, mais je vous dirai derechef qu’elle a été prise à la majorité de deux voix seulement.

La chambre a montré en général un vif sentiment d’opposition à presque tous les articles du projet de loi, et, dans tout autre gouvernement constitutionnel, il aurait certainement été retiré. En effet, lorsqu’on ne s’aveugle pas sur ses propres forces, on comprend qu’il y a toujours du danger pour un pays à alarmer l’opinion publique, et à proposer les mesures qui peuvent compromettre la fortune d’une classe nombreuse de citoyens.

En présence de ce qui s’est passé, vous ne trouverez donc pas étrange, messieurs, que je persiste à demander le maintien du statu quo pour les draps et casimirs de provenance française. C’est aussi le vœu des industriels du district que je représente, et qui sont les plus intéressés dans la question.

Si vous connaissiez comme moi la position affreuse dans laquelle se trouve l’industrie drapière, vous ne balanceriez pas un instant à lui accorder toute votre protection. Ce n’est pas seulement la prohibition des draps français qu’il faudrait maintenir, mais en élever les droits contre les produits anglais et allemands dont nous sommes inondés.

Pour vous en donner la mesure, je n’ai qu’à vous exposer le tableau officiel qui nous a été distribué des importations et des exportations en Belgique. Il est entré en tissus de laine :

En 1831, pour 5.150,924 fr.

En 1832, pour 35,239,820 fr.

En 1833, pour 14,421,143 fr.

En 1834, pour 11,466,576 fr.

Total : 66,258,463 fr.

Moyenne, 16,564,616 fr.

Avec une importation aussi considérable, il est impossible, messieurs, que nos établissements puissent longtemps résister lorsque notre propre marché est envahi par les étrangers.

Depuis deux ans, les fabriques de draps luttent péniblement contre les malheureuses circonstances qui les accablent, et pour peu que cela continue, on sera forcé de fermer ses ateliers et d’abandonner sans moyens d’existence toute une population ouvrière. La crise qui a pesé dernièrement sur le monde commercial et financier, est venue mettre le comble à nos maux par l’avilissement de prix des marchandises, et la perte qui en résultera pour nos industriels est incalculable. Mais évitons les doléances, car pour compatir sans peine aux maux des autres, il faut les éprouver soi-même.

Chaque fois que le gouvernement a consulté la chambre de commerce et les industriels du district de Verviers, on lui a tenu ce langage : Nous voulons bien admettre les fabricats étrangers, mais qu’ils usent de réciprocité à notre égard, c’est-à-dire qu’ils modifient leur système de douanes de manière à faciliter le échanges des produits manufacturés. La révolution nous a fait perdre le débouché immense des colonies ; nous sommes repoussés partout, car lorsque nos draps ne sont pas prohibés à l’entrée, ils sont soumis à droits prohibitifs.

Nous sommes donc réduits à notre propre consommation. Si elle nous est chaque jour enlevée par la concurrence étrangère, nous vous le demandons à vous gouvernement, tuteur des intérêts belges, que nous restera-t-il à faire ? Direz-vous cruellement, avec ceux qui professent des théories absolues : Dirigez vos capitaux vers des industries plus profitables et qui ne soient pas une charge pour les consommateurs ! Le conseil est bientôt donné, mais il est dérisoire lorsqu’on envisage le système fiscal adopté par les grandes puissances de l’Europe. D’ailleurs, croyez-vous qu’il soit si facile de réaliser des capitaux énormes engagés dans des bâtiments de fabriques, des machines, des mouvements hydrauliques, etc. ? Je pose en fait que, si la détresse de l’industrie drapière continue, la plupart de nos fabricants consentiraient volontiers à vendre leur établissements avec une perte de 50 p. c. ; car, sans débouchés, ils n’ont d’autre perspective que l’émigration ou la décadence complète de leur industrie.

C’est en vue de s’acquitter envers la France, vous dit-on, que le gouvernement a présenté son projet de loi. Eh ! messieurs, nos chambres de commerce ont été à peu près unanimes pour déclarer que les modifications apportées dans la législation française par les lois des 2 et 5 juillet 1836 sont pour nous des concessions qui ne peuvent augmenter que faiblement nos moyens d’échange. Si du moins on avait diminué considérablement les droits d’entrée sur nos toiles, on concevrait encore que l’on vînt offrir en holocauste l’industrie drapière. Mais non, c’est un sacrifice gratuit que l’on propose.

Si nous en croyons un honorable député de Bruxelles, je me trompe avec la plupart des chambres de commerce ; car, suivant ce qu’il vous a dit, les lois des 2 et 5 juillet 1836 sont destinées à augmenter considérablement nos rapports commerciaux avec la France. J’ai été presque étourdi de la masse de millions qu’il énumérait pour prouver les avantages que les prétendues concessions de la France nous faisaient ; à la vérité, ces millions étaient présentés en kilogrammes et pour des marchandises qui se livre par tombereaux ou par bateaux ; mais comme les échanges ne peuvent être appréciées que sur des valeurs respectives, c’est un fort mauvais moyen de se servir de bases pareilles, soit le poids, le nombre, ou la mesure, pour éclairer une question de cette nature, parce qu’une quantité plus forte d’un même objet donne quelquefois fois une valeur plus faible.

Le tableau du mouvement commercial en Belgique indique à l’exportation :

« Toiles écrue ou blanchie :

« En 1831 : fr. 10,650,419

« En 1832 : fr. 11,994,025

« En 1833 : fr. 15,773,483

« En 1834 : fr. 25,468,363

« Houille :

« En 1831 : fr. 7,031,434

« En 1832 : fr. 19,306,140

« En 1833 : fr. 8,656,250

« En 1834 : fr. 9,822,369

« Fonte :

« En 1831 : fr. 361,840

« En 1832 : fr. 469,584

« En 1833 : fr. 541,274

« En 1834 : fr. 583,842 »

Vous avez sans doute fait attention que nous avons exporté en France pour 19,306,140 fr. en 1834, ce qui représente en poids 1,287,076,032 de kilogrammes. Vous supposez bien que ce renseignement n’est pas exact, mais c’est un nouvel exemple qui doit servir pour prouver le peu de confiance que méritent les tableaux statistiques, lorsqu’on veut en tirer des conséquences absurdes…

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je vais donner une explication. L’honorable M. Lardinois fait allusion au tableau d’exportation publié en Belgique. Il est vrai que dans ce tableau l’exportation est supérieure à ce qui est indiqué comme importation dans les tableaux publiés par le gouvernement français ; mais la même différence se trouvera encore pour l’exercice 1836.

M. Lardinois. - Mais c’est une erreur matérielle. Dans les années antérieures, nous trouvons pour quatre cinq, six, et même pour dix millions le houilles exportées ; mais, dix-neuf millions ! On ne peut avoir exporté pour une valeur aussi considérable de houille en une année. Les députés de Mons pourraient dire si le fait est exact ou pas. Mais revenons à la question.

D’après les documents dont l’honorable orateur s’est prévalu, il trouve que notre mouvement commercial avec la France a été considérablement augmenté depuis la promulgation des lois des 2 et 5 juillet, et il attribue cette augmentation d’affaires à l’influence de ces lois. Je lui ferai observer que beaucoup de causes heureuses ou malheureuses peuvent avoir contribué à cette circonstance. Depuis plus d’un an, Lyon, Mulhouse, Reims souffrent ; ces villes manufacturières regorgent de leurs produits ; qui vous dit que nous n’avons pas été inondés de soierie, de mousseline de coton, de mousseline laine, et de bien d’autres articles ? Dans ce cas, la France a dû prendre de nos produits en échange, et elle a choisi ceux qu’elle pouvait livrer de suite à la consommation.

C’est sans doute un avantage pour la Belgique d’augmenter ses rapport avec la France ; mais cet avantage est commun aux deux nations, car lorsqu’on repousse les produits étrangers dont on a besoin, on exclut par là les siens de l’exportation.

D’ailleurs tous les calculs présentés par l’honorable M. Lebeau ne prouvent rien ; il n y a qu’à jeter un coup d’œil sur les exportations que nous avons faites depuis 1831 jusqu’à 1834 en toile, houille et fer, et vous verrez qu’il y a eu chaque année progression.

Vous êtes dans l’admiration parce que nous avons vendu en France 15 millions de kilogrammes de chaux et 17 millions de pierres non ouvrées ; mais ces chiffres, malgré leur énormité, ne représentent qu’une petite valeur.

Vous avez aussi indiqué l’exportation de la toile par des millions de kilogrammes. N’auriez-vous pas bien pu nous dire de suite que la valeur s’élevait à 15 millions de francs ? Avez-vous peut-être craint que l’on vous objectât que l’exportation a été, en 1834, de 25 millions de francs, ce qui fait une différence de dix millions, malgré les concessions que vous vantez tant qui doivent avoir été faites en faveur les toiles ?

En définitive, il faut remarquer que le grand mouvement commercial dont on se prévaut s’est opéré sur des matières premières, qui sont des instruments de travail pour la France et dont elle ne peut se passer.

Pour ne pas blesser les principes de nos adversaires, qui ne veulent pas qu’on appelle les produits bruts « matières premières, » expliquons plus clairement notre pensée.

J’entends par matières premières les produits qui ont reçu peu ou point de main-d’œuvre et dont la plupart doivent éprouver une nouvelle transformation avant d’être livrés à la consommation. Je sais qu’il importe peu à la nation en masse que l’on échange du drap, de la toile, du calicot plutôt que de la chaux, des pierres, de la houille, du fer, pourvu que la richesse du pays n’en soit pas affectée, c’est-à-dire que la même valeur produise le même bénéfice. Mais lorsque nous cherchons, avec l’Angleterre et la France, à établir en partie nos échanges sur des produits manufacturés, nous voulons atteindre ce résultat que les profits soient répartis en plus de mains. C’est ainsi par exemple que, sur une valeur d’un million d’un produit brut, vous trouvez qu’il est chargé de deux cent mille francs de main-d’œuvre, tandis qu’elle est triple dans un produit manufacturé, et que cette main-d’œuvre a été distribuée à une multitude d’individus.

D’après toutes ces considérations, vous voyez, messieurs, que tout l’échafaudage de calculs et de raisonnements élevés par M. Lebeau ne repose sur aucune base solide. Vous ne devez pas craindre non plus les représailles dont l’honorable membre menace notre commerce. La France connaît trop bien ses intérêts pour se priver des produits qui sont indispensables à son industrie. Elle sait d’ailleurs que chaque peuple doit établir son tarif de douanes en vue de ses propres intérêts, et sans en soumettre les détails à des arrangements particuliers. Dans nos négociations diplomatiques avec la France, nous avons toujours les questions de principes en notre faveur, et nous pouvons les lui opposer avec succès.

L’honorable orateur admet ce principe de droit public qui est un des premiers attributs de l’indépendance nationale ; mais il ne veut pas le séparer du droit de représailles, et il insinue que l’Allemagne en a usé contre nous à cause de la loi sur les toiles qui lui était évidemment hostile. Je ferai observer que la confédération commerciale germanique, en élevant le droit à l’importation des sucres raffinés, n’a pas seulement atteint les produits belges, mais encore ceux de la France et notamment de l’Angleterre qui n’avait pas fait une loi sur les toiles. Au reste l’honorable ministre des affaires étrangères et l’honorable M. Lebeau savent mieux que personne que lorsque les autres nations changent ou modifient leurs tarifs de douanes, nous ne sommes pas consultés.

D’ailleurs est-il bien prudent de venir crier sans cesse que notre tarif de douane est hostile à la France ? Est-ce la Belgique qui y a introduit les mesures exceptionnelles qu’on veut faire rapporter ? Non, elles existaient avant la révolution, et nous ne voulons nous en dessaisir que contre des concessions équivalentes. Chacun de nous recule devant l’idée de se mettre sciemment en hostilité vis-à-vis de la France ; mais il n’est pas inutile de faire connaître aux nations qui nous environnent que la Belgique ne peut pas être indépendante seulement de nom, mais encore de fait, et que c’est en vain qu’on prétendrait nous dicter des conditions déshonorantes ou ruineuses.

Rappelons-nous, messieurs, que les tissus français ont été prohibés par mesure de représailles ; que les motifs qui ont dicté l’arrêté du 20 août 1823 existent toujours ; et que l’ancien gouvernement a agi avec indépendance lorsqu’il a pris cet arrêté sur les vives réclamations des manufacturiers belges. De plus, M. Trentesaux a eu raison de dire que c’était aussi une loi de protection en faveur de l’industrie, et le mémoire explicatif des principales dispositions du tarif présenté aux états-généraux le 9 juillet 1822 faisait assez pressentir qu’il fallait à l’industrie drapière de nouvelles protections. Voici ce qu’il dit sur cet article :

« Il a été proposé relativement aux draps de ne plus percevoir le droit d’entrée d’après la valeur, mais d’après le poids en prenant pour base un prix moyen contenu. Il résultera sans doute de là, vu la grande différence qu’il y a entre les qualités, que ce droit sera au-dessous du taux de 8 pour cent pour les draps fins, et que les qualités communes paieront beaucoup plus. Cependant on a cru devoir écouter les réclamations unanimes, à cet égard, des manufacturiers de toutes les parties du royaume. Dans ces dernières années, loin de voir leur débit s’augmenter, ils ont dû restreindre leur activité précédente, et ce qu’il y a surtout de pénible dans ce changement, c’est qu’il n’est pas exclusivement dû aux mesures des Etats voisins qui ont contrarié nos exportations, mais aussi à la prédilection que nos propres consommateurs accordent aux produits étrangers. Le gouvernement avait espéré que l’arrêté du 1er juin 1820, en empêchant pour l’armée, pour la marine et pour toutes les parties du service qui sont aux frais du public, l’emploi d’autres draps que ceux qui proviennent d’établissements nationaux, aurait amené beaucoup de particuliers à des habitudes plus conformes aux intérêts de notre industrie. Mais cet espoir a été déçu, et à en juger d’après les plaintes qui se multiplient depuis quelque temps, les fabriques dont il s’agit se trouvent dans un état défavorable. Le désir de le voir s’améliorer a dicté plusieurs des mesures que propose le nouveau tarif. Ainsi l’importation des laines a été affranchie de tout droit, et on a de même supprimé celui qui se perçoit aujourd’hui à la sortie des draps et qui, sans être considérable, avait cependant donné lieu à des représentations de la part des fabricants. Dans la suite cette branche d’industrie pourra encore être favorisée par le moyen des primes établi en principe dans l’article XII, de la loi du 12 juillet, et enfin l’article 9 des dispositions générales qui précèdent le projet, ouvre la voie pour des mesures qui tourneraient principalement au profit des manufactures de drap. On a plus d’une fois insisté sur la nécessité d’user de représailles contre les Etats étrangers qui repoussent nos produits d’une manière presque hostile, et le bien qu’il est permis d’en espérer n’a pas même été contesté par les plus fidèles défenseurs de la liberté illimitée du commerce ; témoin l’unanimité des suffrages qui consacrèrent, il y a peu d’années, l’acte de rétorsion contre la Suède. »

Hier encore on invoquait le droit commun ; il fallait effacer de notre tarif les exceptions qui n’étaient que des marques hostiles contre la France. Mais notre système de douanes est le plus libéral de l’Europe, et s’il existe un tarif hostile contre la Belgique, c’est indubitablement celui de la France qui frappe tous nos articles de prohibitions ou de droits prohibitifs.

L’importance de l’industrie drapière, sous le rapport des capitaux employés, des valeurs qu’elle produit, du travail qu’elle procure, domine sans contredit toutes les autres industries réunies qui font partie du projet que nous discutons. C’est une des plus considérables et des plus vivaces du pays, et, dans la gloire et l’estime que l’industrie belge s’est justement acquises à l’étranger, l’arrondissement de Verviers a fourni un fort contingent, car ses produits ont parcouru toutes les parties du globe. Comment se fait-il donc que vous osiez proposer des mesures capables de compromettre 80 millions de capitaux engagés, et l’existence de 50 mille personnes que cette industrie salarie ? La France comprend bien l’étendue de la concession qu’on veut lui faire, car ses journaux annoncent déjà que le sacrifice a été consommé par la chambre.

Mais en supposant, ce que je ne puis croire, que la politique nous ait amenés à devoir payer un tribut ruineux à la France, le gouvernement, ainsi que les partisans du projet de loi, ont sans doute à offrir à l’industrie drapière une compensation équivalente au sacrifice qu’on veut lui imposer. Cela devrait être en justice et en raison ; mais en fait cette industrie a toujours été accablée depuis la révolution. Nous consommons dans nos fabriques de draps beaucoup de houille, beaucoup de fer, beaucoup de toile, et ces articles ont subi une augmentation de prix considérable Il est indispensable, pour soutenir la concurrence, d’avoir la main-d’œuvre à bon compte, et les lois que vous avez portées ont fait hausser le prix des céréales et du bétail, de sorte qu’il faudrait plutôt augmenter la journée de l’ouvrier que de chercher à la diminuer.

Je me flatte, messieurs, que ces considérations agiront puissamment sur vos esprits. Vous le voyez, toutes les modifications partielles apportées jusqu’à ce jour à notre tarif de douanes, ont plus ou moins affecté l’industrie drapière qui ne vous a jamais rien demandé, et qui aujourd’hui encore ne réclame que le maintien de ce qui existe.

Si jamais l’entrée des draps français était permise aux conditions du projet de loi, nous serions immédiatement écrasés par cette concurrence, Vous savez que le droit d’entrée sur les draps et casimirs est de 5 p. c., terme moyen. La France accorde une prime de 10 p. c. à la sortie de ses tissus ; il resterait donc au fabricant français un avantage de 5 p. c. au moins pour entrer dans la lutte contre les fabricants belges et sur nos propres marchés.

C’est donc la prohibition qu’il faut maintenir sur les draps et casimirs français, parce que des droits élevés ne peuvent pas atteindre le même résultat, ainsi qu’il a été prouvé à satiété dans les discussions antérieures. Lorsque la France voudra sincèrement entrer dans la voie des concessions réciproquement avantageuses aux deux pays, vous pouvez être persuadés que les industriels de mon arrondissement seconderont avec ardeur un pareil système. Union politique et commerciale avec la France, c’est ce que nous désirons avec l’indépendance de la Belgique.

Dans le cours de cette discussion, vous avez dû remarquer, messieurs, que les défenseurs du projet de loi ont souvent fait usage d’arguments ad hominem, espérant ainsi étayer la faiblesse de leur cause. Avant de rencontrer quelques-unes de leurs objections, je dois leur faire une petite réponse pour repousser et leurs attaques et leurs insinuations. Ce champ a été exploité particulièrement avec esprit, et jusqu’à la personnalité, par M. Lebeau, qui veut absolument que je sois en contradiction avec mon opinion de 1835. Eh bien ! soit, puisqu’il ne tient pas compte de mes explications. Mais j’espère du moins qu’il voudra reconnaître que je n’ai jamais poussé l’inconséquence jusqu’à être qualifié de faux prophète de la Belgique. D’abord reportons pour un instant nos regards en arrière, et demandons-nous quelle est la marche qui a été suivie par la législature belge dans la discussion des questions d’économie sociale ?

Beaucoup d’entre nous, messieurs, doivent se le rappeler, dès le congrès, lorsqu’il s’est présenté des questions de tarifs de douanes, la chambre n’était pas divisée en deux camps, ni en deux parties, mais trois opinions bien distinctes s’y faisaient remarquer ; la première qui voulait un système protecteur, la seconde qui penchait vers la liberté illimitée du commerce, et la troisième qui désirait arriver à une liberté raisonnable et progressive. J’appartenais à cette dernière opinion.

Les partisans de la liberté illimitée du commerce, ignorant les pratiques, ne connaissaient alors de l’économie politique que les brillantes théories qu’ils avaient apprises sur les bancs de l’école, et ils croyaient bonnement qu’on pouvait les appliquer immédiatement sans danger pour la société. Plusieurs de ces hommes politiques furent appelés à la tête du gouvernement et des administrations publiques : ils n’eurent pas plus tôt subi le frottement des affaires qu’ils s’aperçurent qu’ils étaient dans une fausse voie, et qu’on ne pouvait pas gouverner avec des principes absolus.

Alors il y eut nécessairement alliance ou plutôt fusion des deux dernières opinions dont je vous ai parlé, et il fut convenu tacitement que l’on maintiendrait le tarif de douanes qui nous régissait, et que l’on respecterait les droits acquis parce que c’était juste et politique.

Vous savez à quels longs débats les lois sur les céréales, sur les toiles, sur le bétail, etc., furent soumises ; nous invoquions le maintien du statu quo avec la plus grande force, et nous considérions presque le tarif de 1822 comme l’arche sainte à laquelle il ne fallait pas toucher. Néanmoins nous échouâmes successivement dans ces limites ; le système protecteur fit des progrès dans cette chambre, et s’il recula un moment, ce fut lors du retrait du projet de loi en faveur de l’industrie cotonnière.

La loi sur les toiles fut la cause ou le prétexte de la retraite de l’ancien ministère, et les hommes qui les ont remplacés et qui président encore aujourd’hui à nos destinées commerciales et industrielles défendaient à cette époque le système protecteur.

Que se passe-t-il maintenant dans la discussion du projet de loi qui nous occupe, et de quel côté est la conduite contradictoire ?

Je ne me permettrai pas d’adresser le moindre reproche à mes adversaires, parce que je sais qu’en matière de douanes et de lois fiscales on ne peut pas suivre une règle invariable ; car autrement on viendrait, sans cesse, se heurter contre une foute d’intérêts existants qu’il faut de toute nécessité ménager. Mais plusieurs orateurs se sont prévalus des opinions émises par la chambre de commerce de Verviers et par moi dans la question cotonnière ; et comme ces opinions sont identiques, en répondant pour l’un je réponds en même temps pour l’autre. L’on a lancé ici quelques critiques et quelques sarcasmes contre la chambre de commerce de Verviers ; je n’y répliquerai pas cependant, parce que ce corps constitué est, par sa loyauté et sa bonne foi, au-dessus de pareilles attaques.

Je vous ferai d’abord remarquer que le paragraphe cité de l’opinion de la chambre de commerce de Verviers a été tronqué, et il est essentiel de le rétablir en son entier.

Elle s’exprime ainsi : « Tout en reconnaissant qu’une augmentation de droits d’entrée sur les tissus de coton fins, en mettant les fabriques du pays en possession du marché intérieur, pourrait favoriser le développement d’un genre d’industrie encore neuf pour la Belgique, nous ne pouvons donner notre assentiment au projet de loi en question, à cause des dispositions prohibitives qu’il renferme. » (Le reste du paragraphe comme ce qui a été rapporté par M. le ministre de l’intérieur et M. Devaux.)

Cette opinion qui était aussi la mienne est positive, elle repoussait la prohibition demandée en faveur de l’industrie cotonnière. Les partisans de la levée de la prohibition sur les draps français s’en servent comme d’une arme puissante pour nous combattre ; mais ils se gardent bien de dire qu’à côté du refus de la prohibition se trouvait le vœu formellement exprimé d’accorder une protection suffisante aux tissus de coton pour mettre les fabriques du pays en possession du marché intérieur. Du reste, notre pensée a été mieux comprise par les honorables députés des Flandres et par l’industrie cotonnière.

Rappelez-vous, messieurs, dans quelles circonstances nous nous opposions à ce projet de loi. Il ne s’agissait de rien moins que de consacrer la prohibition, les visites domiciliaires et l’estampillage des tissus. Ces nouvelles mesures étaient notamment prises contre la France, et contre la Suisse qui reçoit nos produits sans les imposer au plus petit droit de douane.

D’après ce simple exposé, vous voyez, messieurs, que la question que nous agitons aujourd’hui n’a aucune similitude et ne peut être comparée à la question cotonnière. L’industrie drapière ne vous demande pas la prohibition en principe, mais que vous mainteniez l’exception qui existe contre la France, Elle réclame en un mot le statu quo : vous ne pouvez, en droit et en justice, le lui refuser, surtout ceux qui ont adopté le tarif de 1822, modifié en 1823, comme le palladium des intérêts commerciaux et industriels du pays.

Dans cette chambre nous manifestons tour à tour notre surprise des déviations que l’on remarque dans les opinions en matière de douanes. Mais la chose est naturelle, parce que, lorsque vous favorisez une industrie, c’est au détriment d’une autre, et dès lors vous ne devez pas vous étonner que celle qui est froissée demande également des protections. Et pouvez-vous, d’un autre côté, trouver étrange que des industriels se plaignent, s’indignent à l’idée qu’on veut les dépouiller des lois qui protègent leur industrie, lorsque déjà elles sont insuffisantes ? Réfléchissez-y, messieurs, avant de prendre une décision qui serait fatale à la draperie.

Si vous voulez avoir un tarif de douanes qui ne soit pas un tissu d’injustices ; si vous voulez connaître l’opinion de chacun de nous en cette matière, ouvrez une discussion générale et simultanée sur chaque article du tarif ; mais au préalable faites précéder cette discussion d’une déclaration de principes afin d’avoir un guide à suivre.

Lorsque tout le monde, tous les industriels seront sons l’empire d’un même système, qu’il soit libéral ou faiblement protecteur, alors il n’y aura plus de privilèges, chacun vivra de sa propre vie, et les industries qui n’auront pas la force de marcher resteront en route ou périront. L’industrie drapière acceptera volontiers la lutte à ces conditions, et elle ne serait pas fâchée de pouvoir se procurer la houille, le fer, les bois, la colle, le savon, les huiles, la garance, la toile, au meilleur marché possible.

Ces articles et beaucoup d’autres que nous employons pour la confection des draps, coûtent d’autant plus cher que les produits similaires des pays étrangers sont imposés à des droits élevés à l’entrée en Belgique. Mais si vous maintenez ces droits, par quelle justice distributive, je vous le demande, venez-vous nous ravir la faveur qui nous protège aussi contre l’étranger ?

Encore il est à remarquer que les plus célèbres partisans de la réforme financière en Angleterre, entre autres Huskisson, ont reconnu qu’alors même qu’un pays adopterait la liberté de commerce, il faudrait conserver les droits protecteurs pour les manufactures dans lesquelles se trouvent engagés des capitaux considérables et qui donnent de l’occupation à un grand nombre d’individus.

Enumérons d’autres motifs plus pratiques en faveur du maintien de la prohibition.

La chambre de commerce de Verviers a dit que la fraude des draps français peut se faire en Belgique. C’est la vérité ; mais, à l’opposé que, suivant un orateur de cette chambre, M. Passy disait à la tribune française ce qu’il ne pensait pas, la chambre de commerce ne vous a pas dit tout ce qu’elle savait, parce qu’on aurait affaibli les arguments qu’elle faisait valoir.

La fraude des draps peut se faire en Belgique, mais elle doit être essentiellement restreinte, parce que cette marchandise est volumineuse, d’un poids considérable, et que vous ne pouvez frauder que par coupons ou demi-pièces ; autrement, la marchandise est chiffonnée, délustrée, et lorsqu’elle se trouve en pareil état, qu’elle n’a pas toute l’apparence qu’exigent les acheteurs, vous êtes obligé de la réaliser avec sacrifice.

Il est aussi à remarquer que, lorsque la prohibition existe, les négociants honnêtes ne veulent pas se prêter à la fraude directement ni indirectement.

Vous voyez donc que l’introduction est plus onéreuse et plus restreinte sous l’empire de la prohibition que sous des droits même prohibitifs.

Si vous levez la prohibition, on ouvrira, comme vous l’a dit l’honorable M. David, des magasins de draps français ; et ce n’est pas chose si insignifiante que vous le croyez, parce qu’on pourra former des assortiments complets, et, avec l’engouement qui existe chez nous pour la mode, les produits étrangers et les articles de fantaisie venant de France, nous pourrons regarder vendre nos voisins en attendant patiemment notre tour.

Je vous ai déjà dit que la production des pays manufacturiers dépasse malheureusement la consommation, de sorte que, dans l’état normal des fabriques, il faut vendre ses produits non pas à vil prix, mais avec un bénéfice insignifiant. Arrive alors une crise comme nous en sommes menacés périodiquement ; vous pouvez compter que les fabricants français se jetteront sur la Belgique pour réaliser avec des sacrifices énormes. Tous ceux qui seront pressés de vendre pour remplir leurs engagements, tous ceux qui ourdiront une faillite, viendront chez nous pour faire argent, comme ils disent ; et comme ils en trouveront, ils ne s’arrêteront pas à une perte de 25 ni de 30 p. c.

Ce sont de pareilles circonstances, messieurs, que nos industriels appréhendent le plus ; car notez-le bien, il ne faut pas verser sur nos marchés une forte quantité de draps étrangers pour arrêter la vente des nôtres et en avilir les prix. Je suppose que nous vendions sur nos marchés pour quinze millions de nos produits ; eh bien ! des draps français pour un million jetés dans le commerce au commencement d’une saison de vente suffiraient pour nous empêcher de vendre avec bénéfice.

Pourquoi donc les hommes du progrès demandent-ils l’entrée des draps français ? Aurait-il, par exemple, surélévation du prix de nos produits ? Je ne le pense pas, car la concurrence intérieure suffit et au-delà pour maintenir le bon marché. Mais resterions-nous quelquefois stationnaires ? Je ne le crois pas non plus, car je sais que les fabricants ambitionnent d’être au niveau des connaissances qui les concernent, et qu’ils ne regardent pas à la dépense pour se procurer toutes les inventions nouvelles. Ce n’est donc que pour avoir des draps étrangers qu’on veut lever la prohibition, c’est-à-dire pour nous enlever une partie de notre consommation, et pour porter ainsi la perturbation dans notre industrie.

Voyons un peu ce que pensent nos voisins touchant la levée, en France, de la prohibition des draps belges.

La chambre consultative de Sedan disait :

« Que le gouvernement consacre en principe la levée des prohibitions, nous y applaudirons ; mais nous réclamons, au nom de la raison et de la justice, d’en ajourner l’application et de ne la faire qu’après avoir exigé une fructueuse réciprocité, après avoir bien apprécié la valeur des avantages qui nous seraient offerts en compensation : ce sont ceux qui ont besoin de notre marché qui les premiers doivent nous ouvrir le leur. »

A son tour, M. Cunin-Gridaine fabricant de Sedan et député à la chambre française, déclarait :

« Je répète encore, et j’en demande pardon, ouvrez avant tout les débouchés à nos industries, en compensation des pertes que nous ferons. Si cela n’est pas en votre pouvoir, il faut ajourner la question. »

Il ne craignait pas d’ajouter que la prohibition des draps belges était nécessaire à l’existence de l’industrie drapière en France.

Disons brièvement quelques mots sur les primes.

M. le ministre de l’intérieur et M. Lebeau ont encore contesté la question des primes, et veulent que ce ne soit qu’une restitution de droits.

Dès le principe, la loi a dû s’entendre comme vous l’expliquez ; mais la chose se passe différemment, et c’est une de ces vérités pratiques que l’expérience seule peut apprendre.

Les laines en masse sont imposées en France à un droit d’entrée de 22 p. c. La raison vous dit que le prix de la laine indigène devrait augmenter en proportion, et c’est par ce motif que le gouvernement français a accordé une prime de compensation à l’exportation des tissus de laine. Cependant, ce n’est pas une compensation, mais bien une prime de protection, comme vous vous en convaincrez par les déclarations positives que je vais citer. Il vaut mieux faire parler ses concurrents pour être plus impartial.

C’est encore M. Cunin-Gridaine qui répond au ministre du commerce :

« Ce droit a eu une influence extrêmement fâcheuse, l’agriculture n’y a pas gagné et nous y avons perdu. L’agriculture n’a pas retiré de ce droit de 30 p. c. tous les avantages qu’elle en attendait. On peut le voir par la comparaison des prix. En 1831, malgré le droit de 30 p. c., le prix moyen de la laine en juin a été de 18 fr. et en 1833, toujours sous la protection du même droit, il s’est élevé à 34 fr. Je suis donc convaincu que les variétés que ont affecté les prix des laines indigènes ne peuvent être attribuées au droit de 30 p. c. »

La chambre consultative d’Arras n’est pas moins explicite dans la déclaration qui suit :

« La chambre consultative ne connaît point de système plus vicieux, ni qui ouvre la porte à plus d’abus que celui des primes d’exportation en général, appliqué aux tissus de laine en particulier. La prime que paie le gouvernement (et remarquez que nous ne disons pas qu’il rembourse) à l’exportation, comme équivalent des droite perçus à la frontière sur les laines étrangères c’est un abus monstrueux ; car, comment constater que les mêmes laines qui ont acquitté les droits sont celles qui sortent converties en draps ? Comment s’assurer qu’il ne s’exporte pas une plus grande quantité d’étoffes de laine qu’il n’est entré de matière ayant acquitté les droits pour les fabriquer, et que le chiffre des primes payées n’excède pas celui des droits perçus ? Et qui nous dit encore que ces mêmes laines ne sont point entrées dans la consommation intérieure ? Si, par un droit protecteur de 20 à 33 p. c., on a cru protéger les propriétaires de troupeaux, c’est une autre erreur ; car il a été démontré que nos laines avaient baissé de prix depuis l’établissement du droit. M. le ministre sait cela mieux que nous. »

Un fait saillant qui vient corroborer ce qui précède, c’est que les fabricants belges font assez souvent acheter des laines de France, et certainement, si elles étaient plus chères que les laines d’Espagne ou d’Allemagne, on ne recourrait pas aux laines françaises.

D’après les documents cités par l’honorable M. Demonceau, vous avez vu qu’en 1834 il est entré 9,400,000 kil. de laine pour une valeur déclarée de 21,600,000 francs : ce qui fait environ 2 fr. 25 par kilogramme.

Vous voyez comment le négociant élude facilement le droit réel à l’entrée ; car on expédie certainement des laines fines en France qui valent de 8 à 12 francs le kilogramme ; tandis que le prix commun de 2 fr. 25 ne répond pas à la valeur de la laine la plus grossière des Ardennes.

Il a suffi d’exporter en tissus de laine un poids de 1,800,000 kil. pour atteindre l’intégralité du droit perçu. Il faut donc conclure de tous ces faits que l’on trompe le gouvernement français par les valeurs déclarées à l’entrée et à la sortie.

Rappelez-vous encore qu’il a été prouvé lors de l’enquête française que la prime s’est élevée jusqu’à 20 p. c. de la valeur, par suite des fausses déclarations présentées à la douane.

L’honorable M. Lebeau a avancé que les draps fins français étaient fabriqués avec des laines d’Espagne. Comme il est étranger à la fabrication des draps, il n’est pas étonnant qu’il se trompe. Je lui dirai donc que si l’on fabrique en France des draps avec des laines d’Espagne ce ne peut être que des qualités moyennes ou communes. Au reste, la France n’a pas besoin de recourir aux laines étrangères pour alimenter ses fabriques, elle possède 40 millions de moutons qui lui procurent une dépouille évaluée à deux cents millions.

A entendre les théories absolues qui ont été développées, et les maximes qui ont été proclamées à propos du projet de loi actuel, il semblerait en vérité qu’il est question de constituer une société nouvelle ; mais on oublie que la révolution a trouvé en Belgique une société préexistante, et que l’agriculture, l’industrie et le commerce, forment le faisceau de ses intérêts matériels. Nous pouvons et devons faire des lois pour satisfaire à ces divers intérêts, mais il ne nous est pas permis d’en faire pour compromettre une ou plusieurs des grandes branches de la prospérité publique, en donnant à l’une la suprématie sur l’autre.

Je finirai, messieurs, par une dernière réflexion. N’oubliez pas qu’en matière de douanes les fautes portent des fruits amers dans le présent et dans l’avenir, et que lorsqu’on veut revenir sur ses pas, il est souvent trop tard pour réparer le mal qu’une mauvaise loi a produit.

M. Lebeau. - Je ne dirai qu’un mot sur un fait personnel ; mais il m’est impossible d’accepter le reproche que m’a adressé l’honorable préopinant d’avoir attaqué la chambre de commerce de Verviers.

Je n’ai, en aucune façon, ni directement, ni par insinuation, voulu jeter le moindre blâme sur la chambre de commerce de Verviers : j’ai trouvé un document émané de cette chambre ; j’ai cru qu’il était dans mon droit d’en faire usage et de l’invoquer. Je l’ai invoqué avec d’autant plus de raison qu’il ne s’agissait pas de doctrines que des réflexions ultérieures peuvent modifier, mais de faits, uniquement de faits, que la chambre de commerce de Verviers devait connaître mieux que tout autre ; et je n’accepte pas, pour cette chambre, les explications données par un honorable député de Verviers, car ce sont des explications qui pourraient paraître plus ou moins offensantes pour ce corps ; quant à moi, je crois que cette chambre a émis une opinion réfléchie, consciencieuse, et puisée dans les faits qui sont à sa connaissance.

Cette opinion est, comme vous savez, que la prohibition était illusoire, et que les draps français entraient en fraude avec une prime de 5 à 6 p.c.

Je dirai ensuite à M. Lardinois qu’il n’est pas exact d’avancer que je me suis jeté à son égard dans des personnalités : j’ai rempli un devoir pénible en relevant les opinions de cet honorable membre ; mais je n’ai eu par là aucune vue d’hostilité personnelle : la nature amicale de nos relations doit lui en donner la garantie.

M. Pirmez. - L’honorable M. Lardinois a dirigé contre moi une attaque qui ne tend à rien moins qu’à me rendre ridicule ou odieux ; la chambre me permettra donc de dire un mot.

Les hommes qui veulent la liberté du commerce immédiatement n’existent pas ; quand nous avons traité des questions d’économie politique, nous avons toujours eu soin de préciser notre pensée. Qu’on se rappelle ce que nous avons dit dans la discussion sur l’industrie cotonnière, dans la discussion sur les céréales et sur les bestiaux, et l’on verra si l’on peut nous attribuer l’opinion que l’honorable M. Lardinois nous impute. Nous avons posé en principe, dans toutes ces circonstances, qu’il est dans l’intérêt général d’ôter les prohibitions quand cela se peut, et que c’est un mal général que d’établir des prohibitions. Il me serait tout aussi impossible de trouver un bien dans une prohibition que d’en trouver un dans la destruction d’une machine.

N’ayant pris la parole que pour un fait personnel, je ne réfuterai pas la doctrine, au moins bizarre, exposée par l’honorable membre auquel je réponds relativement aux matières premières.

M. Demonceau. - Toutes les observations que j’ai faites ne s’adressent pas à M. Lebeau. J’ai expliqué les motifs qui avaient donné lieu à l’avis de la chambre de commerce de Verviers de 1837, et j’ai démontré qu’elle avait pu dire en 1833 autre chose à cause de la fraude qui se faisait sur la frontière.

J’ai entendu crier à l’exagération lorsque j’ai cité des faits que j’avais extraits du il de France ; ceux qui doutent ou qui se récrient, je les renvoie au Moniteur français d’avril 1836,

M. Lebeau. - C’est par erreur que j’ai parlé d’un député de Verviers ; ce que j’ai dit ne regarde pas l’honorable membre que vous venez d’entendre. D’ailleurs ce que j’ai dit n’avait rien d’offensant.

M. Lardinois. - Je ne pense pas que l’on puisse inférer de mes paroles que j’ai voulu attaquer l’honorable M. Pirmez ni aucun autre membre de cette chambre. Je suis persuadé que l’honorable M. Pirmez, vu l’intimité qui nous lie, ne croit pas que j’ai voulu le rendre ridicule ou odieux, ni dans cette chambre, ni en dehors. Cette assertion n’est donc qu’un mouvement oratoire. (On rit.) J’ai remarqué qu’il y avait scission entre ceux qui ont soutenu le système libéral jusqu’à présent, et j’ai voulu établir la position de chacun de nous, afin que si cette division venait à produire du mal pour les intérêts matériels de la Belgique, je n’en fusse pas accusé.

J’ai dit que nous avions toujours considéré le statu quo ou le tarif de 1822 comme le meilleur système que nous pouvions suivre. Je veux conserver et maintenir ce statu quo, et l’on m’accuse, ainsi que la chambre de commerce de Verviers, de contradiction. Je ne suis pas ennemi des améliorations que l’on voudra apporter au tarif en question ; je ne prétends pas non plus que la prohibition qui existe sur les draps et casimirs français, soit perpétuelle ; mais si vous la supprimez, vous nous devez une compensation équivalente, car lorsque vous fortifiez toutes les autres industries par des droits protecteurs, vous ne pouvez pas nous dépouiller et nous exposer nus devant l’ennemi.

Au reste, je vous le répète, ouvrez une discussion générale et simultanée sur le tarif, en fixant d’abord les principes et vous verrez si l’industrie drapière n’acceptera pas le combat, lorsque chacun sera dans les mêmes conditions.

M. Dubus (aîné). - A la fin de la dernière séance, j’ai fait ressortir des erreurs matérielles dans un tableau sur les résultats duquel nous discutons. M. le ministre de l’intérieur a déclaré qu’il ferait vérifier ce tableau ; il me semble que nous ne pouvons nous prononcer sur son contenu qu’après que le gouvernement aura rectifié les chiffres.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - A l’article toile dans lequel l’honorable M. Dubus a signalé une erreur, il y en a une en effet de 529 fr. Voilà la rectification que j’avais à faire pour satisfaire à la demande de l’honorable membre.

M. Dubus (aîné). - Il y a certainement des erreurs plus considérables.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Cela ne change rien à la question de principe. (La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. L’industrie sur le sort de laquelle il s’agit de prononcer est de toutes celles du pays la première et la plus vivace. Quand il s’agit de prendre une mesure aussi grave et qui peut nuire aux droits acquis, aux positions sociales existantes, vous devez vous entourer de toutes les lumières possibles. Je désire répondre à M. le ministre de l’intérieur, j’espère que la chambre ne voudra pas clore la discussion sans m’avoir entendu.

M. Demonceau. - J’admire l’insistance que l’on met sur certains bancs pour voter immédiatement sur la question la plus importante du tarif. Comment ! vous voulez clore la discussion et l’on n’a pas discuté mon amendement ! Personne ne l’a combattu. On dit que l’on veut l’amendement de M. Dechamps, et l’on ne donne aucune explication. Lorsqu’on viendra à l’amendement de M. Dechamps, je prouverai à la chambre qu’on a voulu la tromper.

Je suis étonné qu’on veuille clore la discussion, qu’on veuille emporter le vote alors que nous ne sommes que 56, alors surtout que cette séance devait être consacrée, non à la discussion de la draperie, mais à une vérification relative à la bonneterie. Je croyais si bien qu’elle aurait lieu, que j’ai été sur le point de quitter Bruxelles ; car mes honorables amis savent ce qui me retient ici et ce qui m’appelle ailleurs. Je demande donc que l’on ne vote pas immédiatement ; je tiens d’ailleurs à répondre à M. le ministre de l’intérieur qui m’a taxé d’exagération ; je tiens à me justifier complétement de ce reproche. J’espère que la chambre me le permettra.

M. Gendebien. - Je crois, messieurs, que vous ne pouvez pas prononcer la clôture. Car que fait-on depuis deux séances que l’on discute ? Enoncer de part et d’autre des théories générales qui se trouvent dans tous les livres et les journaux, des faits généraux et des statistiques qui ne peuvent convaincre personne, Mais de la question elle-même . on ne s’en est pas occupé.

J’ai eu l’honneur de le dire à la chambre l’année dernière, je suis ennemi des prohibitions ; mais le discours de M. Demonceau m’a convaincu de la nécessité de maintenir la prohibition ; car il a établi que le gouvernement français accorde une prime très forte, montant jusqu’à 25 p. c. à la sortie des draps ; or, pour combattre cette prime, il n’y a, vous disais-je il y a 5 mois, qu’un moyen : maintenir la prohibition.

L’honorable M. Demonceau a répété les chiffres, les calculs qu’il a produits il y a 5 mois, et personne n’a répondu à ces chiffres, n’a même abordé cette question, qui selon moi est décisive. Je ne prétends pas que nous devions maintenir la prohibition, parce que la France a pris à cet égard l’initiative.

Je crois même qu’il est indigne d’une nation qui se respecte et qui a quelques idées d’économie politique, de maintenir les prohibitions, même à titre de représailles. Mais ce n’est pas pour ce motif que le maintien de la prohibition est légitime ; c’est qu’elle a pour but de neutraliser la prime. C’est aussi pour cette raison que, quoique ennemi de la prohibition je voterai pour le maintien de la prohibition, à moins que la discussion se prolongeant, n’établisse un autre moyen de nous garantir de cette prime. Messieurs, il est une question qui n’a pas été résolue : celle de savoir si en cas de fraude la prime de sortie est payée en France. J’ai soutenu la négative il y a 6 mois ; je désire des explications catégoriques sur ce point.

Enfin, messieurs, pour ne pas demander une seconde fois la parole, j’ai une observation à faire sur ce qu’a dit l’honorable M. Verhaegen, qui a, en quelque sorte, accuse la révolution de s’être laissée aller par nécessité de position à faire des sacrifices à la France. Je dois protester contre cette assertion qui m’est en quelque sorte personnelle, en raison de la part que j’ai prise à la révolution. (Parlez ! parlez !)

L’honorable M. Verhaegen a dit :

« Arrive la révolution de 1830. Que fait la Belgique ? Des sacrifices pour la France. Que fait la France pour la Belgique ? Rien. A cette époque nous ne pouvions guère nous montrer exigeants, et si j’avais dû alors examiner le point politique, je n’aurais pas parlé comme je le fais à présent. Mais, depuis lors, il y a eu des faits accomplis dont nous devons profiter. En 1830 nous avons fait des sacrifices exigés par la nécessité ; après cela des réclamations se sont élevées, la Belgique a élevé la voix. »

Je dois protester contre cette assertion ; car non seulement le gouvernement provisoire n’a fait aucune espèce de concession à la nécessité de sa position, qui a toujours été honorable et digne, j’ose le dire ; mais je dois même rendre cette justice au gouvernement français qu’il ne nous a demandé aucun sacrifice ; et si, abusant de notre position, il en eût demandé, nous n’aurions pas souscrit à sa demande. Ce qui le prouve, c’est que nous avons changé le tarif des douanes dans certaines parties, et dans quelles parties ? Au sujet des armes de guerre. Nous avons prohibé la sortie des armes et des munitions de guerre, malgré les réclamations officielles et officieuses du gouvernement français qui disait, peut-être avec raison, qu’il ne pouvait se passer des provenances de la Belgique pour pourvoir à ses armements extraordinaires.

Plus tard chargé d’une mission à Paris, je fus chargé de répondre, et je répondis que nous ne permettrions pas la sortie d’un fusil, tant que notre armée ne serait pas munie de fusils, et que nos arsenaux ne seraient pas pourvus de manière à parer aux événements. Je ne crois pas après une telle conduite qu’on puisse reprocher à 1830, c’est-à-dire au gouvernement provisoire, d’avoir fait des sacrifices. Je ne défends que cette époque. Je le répète, non seulement le gouvernement n’en a pas fait, mais même le gouvernement français n’en a pas demandé.

Il y a plus : c’est qu’à cette époque, au mois de décembre 1830, lorsque j’eus l’honneur de remplir une mission du gouvernement provisoire à Paris, le gouvernement français était très disposé à entamer des négociations. Il n’entrait nullement dans sa pensée alors de manifester les exigences qu’il a montrées depuis ; nous étions peut-être plus près de nous entendre qu’aujourd’hui.

Voilà ce que je voulais dire pour le fait en quelque façon personnel. Je suis loin d’attaquer les intentions de mon honorable collègue M. Verhaegen. Mais dans l’intérêt de la Belgique et la dignité du gouvernement provisoire et du gouvernement français, je tenais à rectifier l’erreur dans laquelle il est tombé.

M. Smits. - Messieurs, si je me suis levé pour la clôture, c’est uniquement dans le but d’économiser le temps de la chambre. Lors de la première discussion, on s’est occupé pendant 4 ou 5 jours de la question des draps. On s’en est encore occupé de nouveau pendant les 4 ou 5 jours qui viennent de s’écouler ; si nous nous en occupons encore pendant 4 ou 5 autres jours, nous n’y gagnerons rien : tous les arguments ont été présentés, la question est épuisée. Je prévois, messieurs, que si nous continuons à marcher de cette manière, nous arriverons aux budgets, et la loi des douanes devra être de nouveau ajournée. Je crois cependant que quand on s’occupe du second vote d’une loi, c’est pour la terminer.

L’honorable M. Gendebien dit qu’on n’a pas répondu au discours de M. Demonceau ; si la discussion n’est pas close aujourd’hui, je prends l’engagement formel d’y répondre ; mais je crois que tout a été dit de la question qui a été traitée par l’honorable M. Demonceau ; il a été clairement démontré que la prime qui s’exporte en France ne fait rien à la chose, puisque cette prime se paie, soit qu’on fraude, soit qu’on ne fraude pas ; d’ailleurs M. le ministre des finances a présenté un amendement par lequel il engage la chambre à avoir égard à cette prime.

Toutes les difficultés me paraissent donc levées, et je crois que la chambre peut, sans le moindre inconvénient, clôturer la discussion.

M. Demonceau. - Vous savez, messieurs, que j’avais demandé à M. le ministre des finances de bien vouloir nous expliquer comment il s’y prendra pour empêcher qu’on n’élude la disposition qu’il nous a proposé pour atteindre la prime d’exportation qui s’accorde en France : M. le ministre ne m’a rien répondu jusqu’à présent. D’un autre côté, M. Dechamps nous a soumis un amendement par lequel il dit vouloir frapper les tissus de laine du même droit dont la Prusse frappe les produits similaires belges. Eh bien, messieurs, je déclare que le droit proposé par M. Dechamps n’est pas le même que celui dont la Prusse frappe nos tissus de laine ; je prouvera en outre, si la discussion continue, que l’amendement de M. Dechamps n’atteint pas les mêmes objets que le droit prussien ; il faut donc nécessairement qu’on discute ces points.

M. Smits. - On les discutera après.

M. Demonceau. - Comment, on les discutera après ? Et sur quoi allez-vous donc clore la discussion ? Dite-le-moi, car je tiens plus que personne à ne pas faire perdre à la chambre un temps précieux.

M. Smits. - Je pense, messieurs, que la chambre peut clore la discussion sur la question préliminaire de savoir si la prohibition sera levée, oui ou non. Si la chambre décide que la prohibition sera levée, on pourra alors discuter l’amendement de M. Dechamps et tous ceux qui s’accorderaient avec cette décision. Il me semble, messieurs, que cette manière de procéder serait tout à fait rationnel.

M. Lardinois. - Pour lever toute difficulté, il me semble, messieurs, que dans le cas où la prohibition serait levée, le gouvernement devrait déclarer que le droit proposé par M. Dechamps est le droit prussien, et qu’il sera appliqué comme on l’applique en Prusse.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On parle, messieurs, de l’amendement de M. Dechamps comme s’il se référait au droit prussien et à la manière dont il est appliqué en Prusse ; or, il ne s’agit pas de tout cela : l’honorable M. Dechamps propose un droit uniforme de 250 fr. par 100 kil. sur les draps, casimirs, etc., et rien autre chose.

Il est bien clair, messieurs, que lorsqu’on aura voté sur la question de principe, si la chambre décide que la prohibition sera levée, soit immédiatement, soit en 1839, comme cela a été résolu au premier vote, on examinera alors les divers amendements relatifs au taux du droit par lequel la prohibition sera remplacée. Du reste, les opinions sont maintenant formées sur cette question de principe, et ce serait véritablement perdre un temps précieux que de la discuter encore.

M. Dechamps. - Il me semble, messieurs, qu’il reste prouvé que la discussion de mon amendement n’a pas encore été entamée. Il est cependant évident que la discussion de mon amendement doit influer puissamment sur la décision de la question de principe, question qu’on veut résoudre immédiatement ; car, avant de décider si la prohibition sera levée, il me paraît que la chambre doit examiner si la disposition par laquelle je propose de remplacer cette prohibition est convenable. On ne peut donc pas clôturer maintenant, et il faut nécessairement discuter auparavant mon amendement ainsi que les autres qui sont présentés ou qui pourraient l’être ; ce ne sera que quand toutes les propositions auront été examinées, que la chambre pourra se prononcer en connaissance de cause et sur la question de principe et sur les divers amendements.

M. Demonceau. - Je vais donner à M. le ministre des finances lecture de l’amendement de M. Dechamps, et je suis persuadé que quand il aura entendu cette lecture, M. le ministre conviendra avec moi que l’amendement de M. Dechamps a besoin de quelques explications.

Je dirai avec l’honorable M. Dechamps que la discussion de l’amendement qu’il a proposé aura nécessairement une influence notable sur la décision de la question de savoir si la prohibition sera levée ou non.

L’amendement déposé par l’honorable M. Dechamps est conçu en ces termes :

« Draps, casimirs, péruviennes, etc., et tous autres tissus similaires : 250 fr. par 100 kil. »

Je désire que M. le ministre des finances nous dise ce qu’il faut entendre ici par « tissus similaires ; » j’avais déjà fait cette question officieusement à M. Dechamps, mais je la fais maintenant officiellement, parce qu’une partie de la chambre a manifesté l’intention de clore la discussion. Je désire donc que le gouvernement, qui s’est rallié à l’amendement de M. Dechamps, nous dise ce qu’il entend par « tissus similaires. »

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je ferai d’abord remarquer au préopinant que le gouvernement ne s’est pas rallié à l’amendement de M. Dechamps ; jusqu’à présente nous n’avons fait aucune déclaration à cet égard.

L’honorable membre demande ce qu’il faut entendre par « tissus similaires. » Bien que ce ne soit pas, selon nous, le moment de répondre à cette question, je dirai que les tissus de laine qui servent au même usage que les draps et casimirs, sont leurs similaires. Il y a à cet égard une définition dans le tarif des douanes, et à chaque article de tissus tous les similaires sont indiqués comme devant être imposés au même droit que les tissus principaux qui sont dénommés : nous donnerons toutes les explications désirables sur le sens qu’il faut attacher aux mots dont il s’agit lorsque l’on s’occupera spécialement de l’amendement de M. Dechamps.

Quant à la clôture, messieurs, puisque nous perdons tant de temps à discuter la question de savoir s’il faut la prononcer, tout autant vaudrait continuer la discussion principale : nous pourrions encore écouter aujourd’hui les observations qui seront faites, mais tâchons au moins d’en venir demain à un vote ; tout ce qu’on peut dire a été dit et répété plusieurs reprises, et chacun de nous sait parfaitement maintenant s’il doit prononcer ou un oui ou un non sur la question de savoir si la prohibition doit être levée : entendons encore un orateur contre le projet du gouvernement et remettons à demain le vote sur la question de principe. Personne ne pourra plus ainsi prétexter que l’on cherche à vous arracher une résolution par surprise.

M. Dubus (aîné). - Je pense, messieurs, que nous ne pouvons pas nous dispenser de continuer la discussion, et pour le prouver, je ferai valoir tout ce qui a été dit par les honorables membres qui demandent la clôture. L’honorable député d’Anvers demande la clôture sur ce qu’il appelle le question de principe ; mais, messieurs, la discussion n’a pas été ouverte sur la question de principe, et par conséquent il ne peut pas y avoir lieu à la clore sur cette question ; la discussion a été ouverte sur la proposition du gouvernement, sur les amendements qui ont été adoptés au premier vote et sur ceux qui ont été présentés dans la discussion actuelle : si donc vous prononcez la clôture, elle portera sur tout cela. D’ailleurs, je ne conçois pas comment on pourrait discuter les amendements sans discuter en même temps la question de principe.

M. Desmet. - Je m’oppose à la clôture, messieurs, parce que je désire demander une explication au gouvernement : dans la dernière session le ministère a reconnu l’impossibilité de lever immédiatement la prohibition ; aujourd’hui l’honorable M. Smits a fortement appuyé l’amendement de M. Dechamps dont l’adoption emporterait cependant la levée immédiate de la prohibition ; je voudrais bien que le ministère nous expliquât s’il a changé d’avis à cet égard, et c’est pour cela que je demande la continuation de la discussion.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je répondrai à l’honorable M. Desmet que je n’entends rien changer à l’amendement que j’ai proposé et que la chambre a adopté au premier vote.

A l’honorable M. Dubus je ferai remarquer qu’il importe, dans l’intérêt de l’industrie drapière, de décider en premier lieu la question de principe, parce que les honorables membres, députés de Verviers, qui s’opposent à la levée de la prohibition, ne peuvent pas aborder à l’aise les divers amendements qui sont proposés, et qu’il règne un si grand pêle-mêle dans la discussion, qui ne subsisterait plus si la question de principe était résolue. Une fois cette question vidée, on discuterait sérieusement chacun des amendements.

M. Lardinois. - Messieurs, en ce qui me concerne, je ne puis que partager l’opinion du ministre de l’intérieur ; je pense aussi qu’il faut d’abord voter la question de principe, à savoir si la prohibition sera ou non maintenue. Si l’on discute sur l’amendement de M. Dechamps, je déclare que je ne puis pas prendre part à la discussion de cet amendement, parce que les arguments que j’avancerais pourraient combattre peut-être la question principale ; aussi, si l’on procède de cette manière, je serai obligé de me taire.

Si nous procédons autrement, c’est-à-dire si nous commençons par décider la question du maintien ou de la levée de la prohibition, et que la chambre se prononce pour le maintien, nous n’aurons pas besoin alors de discuter l’amendement de M. Dechamps ; si la chambre au contraire se prononce pour la levée de la prohibition, je tâcherai alors autant que possible d’améliorer l’amendement de M. Dechamps.

M. Demonceau. - Messieurs, je suis dans une tout autre position que l’honorable M. Lardinois…

M. Devaux. - Il y a déjà cinq fois que M. Demonceau prend la parole contre la clôture.

M. Demonceau. - C’est possible ; mais je demanderai à la chambre la permission de dire encore deux mots : j’ai à présenter un amendement qui simplifiera la discussion. An reste, je suis étonné que ce soit M. Devaux qui me rappelle au règlement, alors que quelques-uns de ses honorables amis parlent souvent cinq ou six fois dans une même discussion.

M. Rogier. - Je suis un de ceux qui ont demandé la clôture, et je crois que nous pouvons le faire sans scrupule, après une double discussion aussi longue que celle dont nous avons été témoins ; je puis le faire avec d’autant moins de scrupule que je me suis abstenu de prendre part aux débats ; de manière que le reproche qui a été articulé par l’honorable préopinant tombe à faux en ce qui me concerne.

Je demanderai où nous conduira une prolongation de discussion ; la chambre attend-elle de nouvelles lumières ? De nouveaux discours sont-ils annoncés ? Je crois que les opinions doivent être maintenant fixées sur la question des prohibitions, et il ne faut pas reculer devant un vote.

Nous devons procéder en ce moment comme nous l’avons fait lors de la première discussion ; avant de déterminer ce qu’on substituerait, à la prohibition, l’on a mis aux voix la question de savoir si la prohibition serait maintenue ou non. Eh bien, je demande que l’on fasse de même aujourd’hui. En procédant ainsi, nous gagnerons beaucoup de temps. En effet, si la chambre décide que la prohibition sera maintenue, la discussion vient à cesser ; si, au contraire, elle se prononce en faveur de la levée de la prohibition, alors arrive tout naturellement la discussion de l’amendement de M. Dechamps.

J’insiste donc pour que l’on termine au moins cet inextricable débat. Si vous entendez encore les membres qui viennent de demander la parole, c’est possible que d’autres membres qui se sont abstenus de parler se voient dans l’obligation de prendre la parole ; un discours amènera une réponse et une réponse amènera une réplique, et la discussion deviendra interminable.

Il faut cependant que la chambre en finisse avec la question des draps ; je ne pense pas qu’aucun pays constitutionnel nous offre l’exemple de discussions aussi longues que les nôtres et qui aboutissent à d’aussi faibles résultats.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire sur la clôture.

Je crois devoir m’opposer à ce qu’on prononce la clôture et à ce qu’on vote aujourd’hui, par cette seule considération. Vous vous rappelez ; messieurs, qu’on a changé l’ordre du jour ; il avait d’abord été décidé qu’on s’occuperait aujourd’hui de bonneterie et de vérifications. Par un incident quel qu’il soit, ces vérifications n’ont pas eu lieu, mais tous nos collègues étaient dans la conviction que l’on ne s’occuperait pas aujourd’hui de la question des draps. Cela est tellement vrai, que c’est par hasard que je suis venu à la chambre, sachant qu’on ne devait s’occuper que de vérifications. Peut-on demander la clôture dans une circonstance où beaucoup de membres qui seraient venus probablement à la chambre voter sur la question des draps ne s’y trouvent pas ? Je ne le pense pas. Dans tous les cas, je demanderai que le vote n’ait lieu que demain. (Appuyé !)

M. Dumortier. - Messieurs, le système de l’honorable M. Rogier est sans doute excellent, quant à la manière de voter, et j’y donnerai mon assentiment, quand nous en viendrons au vote ; mais ce système est inadmissible quant au mode de discussion parce qu’il y a connexité entre le développement des amendements qui ont été présentés et la question de savoir s’il y a lieu ou non de lever la prohibition. J’espère donc que la chambre ne prononcera pas la clôture de la discussion ; je l’adjure de nous entendre ; nous avons à présenter des observations nouvelles et importantes ; il est impossible que la chambre veuille fermer la discussion, alors qu’on pourra lui démontrer la possibilité de faire à la France des concessions équivalentes à celles qu’elle nous a faites, sans nuire à nos grandes industries. (La clôture ! la clôture !)

Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la question de savoir si la discussion sera close.

55 membres répondent à l’appel nominal.

35 répondent non.

20 répondent oui.

En conséquence, la clôture n’est pas prononcée.

Ont répondu non : MM. Andries, Coghen, Corneli, Van Volxem, Metz, David, Dechamps, de Jaegher, Demonceau, de Renesse, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, Doignon, Dubus (aîné) B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Frison, Gendebien, Verhaegen, Kervyn, Lardinois, Mercier, Lejeune, Pirson, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Verdussen ; Vergauwen, Zoude, Raikem.

Ont répondu oui : MM. Coppieters, de Nef, Dequesne, de Sécus, de Theux, Devaux, d’Huart, Ernst, Lebeau, Liedts, Milcamps, Pirmez, Polfvliet, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Ullens, de Langhe et Willmar.

- La séance est levée à 4 heures et demie.