(Moniteur belge n°293, du 20 octobre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
M. Rogier, qui a été élu membre de la chambre par les districts d’Anvers et de Turnhout, écrit qu’il opte pour Anvers.
- Pris pour notification.
« Des cultivateurs de houblons d’Alost et d’une partie du Brabant demandent que cette branche d’industrie soit comprise dans le traité de commerce à conclure avec la France, pour obtenir une réduction sur les droits dont ses produits sont frappés à l’entrée en France. »
« La députation provinciale de la Flandre orientale demande que la chambre s’occupe de la loi relative aux indemnités. »
« Le sieur Mathias Miller, laboureur à Wallendorf (Prusse), propriétaire d’une carrière de plâtre, située dans une parcelle de terrain détachée et réunie à la commune de Reisdorf (Luxembourg), demande que la chambre décide par une loi que les produits de cette carrière sont libres à la sortie. »
« L’administration communale de la ville de Mons demande que les sommes à payer par les villes, du chef des pillages et des dévastations qui y ont été commis pendant la révolution, soient portées au budget de l’Etat. »
« Le conseil communal de la ville de Gand demande que la chambre adopte une disposition qui modifie l’article 619 du code de commerce, relatif à la nomination des juges des tribunaux de commerce, et que cette nomination soit abandonnée à l’élection directe par les négociants. »
« L’administration communale de Bunde (Limbourg) demande que cette commune soit débarrassée du paiement des intérêts d’un capital de 4,145 fr., employé à payer les frais de réparation à la route de Maestricht à Venloo, et que le gouvernement prenne à sa charge ledit capital. »
« Même demande de la commune de Hauthem. »
« Des propriétaires de prairies de Haelen et communes environnantes (district de Ruremonde) demandent que les dispositions existantes sur la sortie du foin soient maintenues. »
« Des propriétaires de quatre journaux belges adressent des observations contre le projet de loi relatif au nouveau tarif du timbre des journaux. »
« Les fabricants de tulles de Liége adressent des observations sur les modifications proposées au tarif des douanes concernant les tulles. »
« Même pétition des fabricants de Lierre. »
« Le sieur Zani de Ferranti, attaché à la musique particulière du Roi et au conservatoire de musique de Bruxelles, né en Italie et habitant la Belgique depuis 10 ans, demande la naturalisation. »
« Le sieur A. Tschuschner, né en Bohème et habitant la Belgique depuis 1817, demande la naturalisation. »
« Le sieur Jean-Baptiste Mullet, né à St-Jinant (France), domicilié en Belgique depuis 1828, demande la naturalisation. »
« Le sieur Théodore Jolly, professeur émérite à l’académie de Paris et en dernier lien professeur en philosophie à l’université libre de Bruxelles, demande la naturalisation. »
« Le sieur Gichtenaere, né en France, habitant la Belgique depuis 1810, demande la naturalisation. »
« Le sieur Jacques Tox, cultivateur à Bergen (Limbourg), né en Prusse, habitant la Belgique depuis 1810, demande la naturalisation. »
« Le sieur J. Bauzegex, né en Suisse, habitant la Belgique depuis 1825, demande la naturalisation. »
« Le sieur Christian Thiédé, né à Stralsund (Allemagne), habitant la Belgique depuis 1817, demande la naturalisation. »
« Le sieur Bosch, essayeur du bureau de garantie à Arlon, né en Hollande, habitant la Belgique depuis 1822, demande la naturalisation. »
« Le sieur J. Duchêne, capitaine commandant le 7ème escadron du 2ème régiment de lanciers, né en France, demande la naturalisation. »
« Le sieur Lambert van Stippend-Gontier, curé à Ophoven (Limbourg), né en Hollande, demande la naturalisation. »
« Le sieur Jos. Bégasse, habitant Liège, déclare convertir sa demande en grande naturalisation en une demande de naturalisation ordinaire. »
« Des habitants de la commune de Londerzeel (Brabant) demandent le maintien de la loi électorale et du cens électoral. »
« Les membres du conseil communal d’Aubel, à Liège, demandent le maintien du cens électoral. »
« Le conseil communal d’Ixelles demande l’uniformité du cens électoral. »
« Des propriétaires électeurs de la commune d’Ixelles réclament contre la pétition de la régence de cette commune qui demandait l’uniformité du cens électoral. »
« L’administration communale d’Huysse demande l’uniformité du cens électoral polir tout le royaume. »
« L’administration communale de Lessines demande la réforme de la loi électorale. »
« Le conseil communal de la ville de Charleroy demande l’uniformité du cens électoral. »
- Sur la demande de M. Desmet., la chambre décide que la pétition concernant la culture du houblon sera insérée au Moniteur, et qu’elle sera comprise dans le premier rapport que fera la commission.
Les pétitions relatives aux modifications à introduire au tarif des douanes seront déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant cet objet.
Les demandes en naturalisation sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
La pétition du sieur Bégasse, qui convertit sa demande en grande naturalisation en une demande de naturalisation ordinaire, est renvoyée à la commission des naturalisations.
Les autres requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
Il est fait hommage à la chambre :
1° d’un volume de la Collection des chroniques Belges inédites, publiée par la commission royale d’histoire.
2° d’un spécimen de la nouvelle carte topographique de la Belgique, dressée par les soins de M. Vandermaelen, sous la direction de M. Gérard, inspecteur du cadastre à Gand.
3° d’un exemplaire du Manuel de Justice militaire, par P.-A.-F. Gérard.
- Ces objets seront déposés à la bibliothèque.
MM. Brabant, Desmanet de Biesme, de Nef, Devaux, Rogier et Wallaert, qui ont été admis, comme membres de la chambre, dans une séance précédente, prêtent serment.
M. le ministre de la justice (M. Ernst) dépose sur le bureau deux projets de loi relatifs, l’un, à un transfert au budget de 1836, et l’autre, à un crédit supplémentaire pour l’exercice 1837.
- La chambre en ordonne l’impression et la distribution, et, sur la proposition de M. le ministre, elle les renvoie à l’examen de la section centrale du budget de la justice, considérée comme commission.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le premier article du tarif : bas et bonneteries.
Le gouvernement avait proposé un droit uniforme de 10 p.c. à l’entrée et d’1/2 p. c. à la sortie.
La chambre a provisoirement adopté la proposition suivante :
« Coton.
« Gilets, manches, jupons, bretelles et caleçons ; droit d’entrée à la valeur, 2 p. c.
« Bas, chaussettes, bonnets ; droit d’entrée à la valeur, 4 p. c.
« Idem, lorsque le poids de la douzaine est inférieur à 5 hectogrammes ; droit d’entrée à la valeur, 8 p. c.
« Gants et mitaines ; droit d’entrée à la valeur, 10 p. c.
« Laine.
« Echarpes ; droit d’entrée à la valeur, 2 p. c.
« Gilets, manches, camisoles, chemises, robes, jupons, caleçons, pantalons ; droit d’entrée à la valeur, 4 p. c.
« Gants, mitaines, chaussons, calottes ; droit d’entrée à la valeur, 5 p. c.
« Bas, chaussettes, bonnets ; droit d’entrée à la valeur, 6 p.c.
« Lin.
« Bas, chaussettes, gants ; droit d’entrée à la valeur, 5 p. c. »
Le droit de sortie, pour tous ces articles, est de 1/2 p.c. de la valeur.
M. Smits. - Messieurs, lors de la première discussion qui a eu lieu sur l’article qui nous occupe, l’honorable M. Dubus a demandé si c’était une loi allemande, ou française, ou anglaise que nous faisions ; nous lui avons répondu que c’était une loi belge ; mais que nous la voulions, en harmonie avec les intérêts de tous, favorable aux intérêts des fabricants, comme des consommateurs, et en rapport avec les principes généraux de notre code des douanes. Nous soutenions que cette harmonie subsistait par l’adoption du projet du gouvernement, qui était de réduire le droit sur les bonneteries à 10 p. c., et qu’elle ne subsistait pas par la tarification au poids proposée par la section centrale, et qui, d’après elle, devait rester dans la limite de 15 p. c.
Notre opinion, messieurs, ne prévalut pas alors. Depuis, nous avons pu nous livrer à des investigations nouvelles et à des vérifications sur le tarif qui a été adopté par la chambre : et il en est résulté que le droit, au lieu d’être de 15 p. c., excédait beaucoup cette somme ; qu’il y avait même des articles qui se trouveraient taxés à 74 p. c.
Avant d’arriver à la démonstration de ce fait, qui ressort d’ailleurs du tableau qui vous a été fourni aujourd’hui même par le gouvernement, il importe de vous rappeler que dans la proposition qui vous a été faite par le gouvernement, il s’agissait uniquement de replacer la France dans le droit commun, c’est-à-dire, d’ôter la surtaxe qui pèse sur ses produits et qui blesse plutôt sa dignité que ses intérêts. Or, messieurs, que fallait-il faire pour cela ? C’était évidemment de rétablir l’ancien droit de 10 p. c, qui existait avant l’arrêté de 1823.
On objectera peut-être qu’il fallait majorer ce droit, parce qu’on devait tenir compte des intérêts nouveaux qui avaient surgi depuis l’arrêté que je viens de citer. Mais, messieurs, cette objection n’est pas applicable à l’article des bonneteries ; car la fabrication des bonneteries est aussi ancienne que le pays ; conséquemment des intérêts nouveaux n’ont pu surgir depuis 1823. D’ailleurs, la chambre de commerce de Tournay a reconnu elle-même que la Saxe produisait à 5 p. c. à meilleur compte que la France ; donc, si 10 p. c. de droit ont toujours suffi contre la Saxe, à plus forte raison ce droit de 10 p. c. doit-il suffire contre la France.
Ne perdons pas de vue non plus que notre pays est un pays de frontières, que sur neuf provinces huit sont frontières, que la fraude y est très facile, et que conséquemment nous sommes dans la nécessité d’adopter un tarif modéré de droit : un système restrictif est impossible. Cette nécessité de nous tenir dans un tarif modéré est d’autant plus indispensable pour le tarif qui nous occupe que la prime de fraude semble être très légère.
On a dit, lors de la première discussion précédente, que cette prime était de 13 p. c. ; j’ai peine à croire qu’elle atteint ce taux, parce que, d’un autre côté, on a reconnu que la prime de fraude pour les draps était de 9 p. c. Or, si la prime de fraude est de 9 p. c. pour les draps, elle doit être moindre encore pour l’article des bonneteries, qui est d’une importation beaucoup plus facile.
Mais, a-t-on dit, il ne faut pas seulement élever le droit contre la France, il faut l’élever également contre la Saxe et contre tous les autres pays de production. Messieurs, à ce langage on croirait véritablement que le pays est inondé de produits étrangers ; mats qu’est-ce donc que l’importation en articles de bonneterie ? Une importation qui, année commune, ne s’élève qu’à une somme de 5 à 600,000 francs. Cette importation est insignifiante puisqu’il est permis de poser en fait que la consommation des articles de bonneterie, qui sont d’un usage général et de toutes les saisons, excède une somme de trente millions ; car, en calculant seulement la consommation individuelle à raison de 10 francs par personne, et certainement ce calcul n’est pas exagéré, vous aurez, pour une population de 4 millions et demi d’habitants, une somme de 4 millions. On vous a déjà, messieurs, présenté ce rapprochement et si je le reproduis, c’est parce qu’il me semble déterminant et qu’il me paraît indiquer que l’industrie nationale n’a rien à redouter pour cet article de la fabrication étrangère, d’autant moins que nous exportons pour la moitié de la valeur de nos importations vers les pays étrangers, ce qui prouve que nous pouvons concourir avec les étrangers sur les marchés étrangers.
Nos adversaires ont parfaitement compris la puissance de ces chiffres ; aussi ont-ils tout fait pour les renverser ; mais ils auront beau faire, ils ne pourront jamais sortir de ce dilemme : ou l’importation de l’article des bonneteries n’excède pas la somme de 6 à 700.000 fr., et alors l’importation est insignifiante ; ou bien elle excède cette somme, et alors le droit ne se paie pas, la fraude s’en mêle, donc il y a nécessité de restreindre le droit plutôt que de l’augmenter.
On a encore signalé comme un mal immense l’augmentation successive des importations ; mais cette augmentation successive, dont on s’est fait un fantôme, est si peu à craindre que déjà elle a disparu en 1836 ; car je trouve que l’importation pour la consommation n’a pas excédé la somme de 572,000 fr. pour cette année. Au surplus, cette augmentation des importations pendant les premières années qui ont suivi la révolution, s’explique très facilement, puisque ce n’est réellement qu’en 1833, que l’administration des douanes a pu déployer cette sévérité qu’elle met aujourd’hui dans le recouvrement des droits. Ensuite, notre commerce a grandi, nos échanges sont augmentés, et vous savez, messieurs, que là où les échanges augmentent, il y a plus d’exportations et par conséquent plus d’importations. Il y a en outre une autre remarque à faire pour l’article qui nous occupe : c’est que la mode des gants de coton s’était introduite et que cet article est entré pour beaucoup dans les importations qui ont été signalées comme excessives.
La fabrication souffre, disent nos adversaires, et si vous n’augmentez pas le droit, vous écraserez l’industrie nationale : mais, messieurs, l’industrie nationale, pour l’article des bonneteries, a toujours lutté avec l’étranger, et la preuve en est dans l’insignifiance des importations et dans la valeur relative de nos exportations. Et quand il serait vrai que la fabrication souffre, ce que je conteste, est-ce de la part de la France qu’il faut redouter la concurrence ? Avant 1814, le Hainaut ne fournissait-il pas cette même France ? Depuis 1814, l’industrie française a-t-elle été en tel progrès qu’il faille la craindre aujourd’hui ? Et puis notre industrie est-elle restée stationnaire ? Je ne puis le croire pour l’honneur de nos manufactures. Peut-être, messieurs, nos adversaires voudront-ils bien tomber d’accord avec nous sur ce dernier point.
Mais ici ils présentent une grande objection. Ils disent : Nous voulons bien lutter avec la France, mais nous ne pouvons pas soutenir sa concurrence dans l’état actuel, attendu que la législation française accorde une prime à l’article des tissus.
Nous avons déjà démontré, dans la discussion précédente, que cette prime n’existait pas, que ce n’était qu’une restitution des droits sur les matières premières ; qu’il fallait bien tenir compte aux fabricants des droits qu’ils avaient payés ; que sans cela, la concurrence pour eux eût été impossible sur les marchés étrangers.
Je ne reproduirai plus pour le moment les arguments que j’ai fait valoir alors. J’avouerai, au contraire, que j’aurais été assez incliné à accorder une légère augmentation sur le droit de 10 p. c. ; mais en conscience, je ne puis et l’on ne peut adopter le tarif qui a été proposé par la section centrale. Car, ainsi que je le disais en commençant, il résulte du tableau qui a été fourni par le gouvernement que le droit, loin d’atteindre le chiffre de 15 p. c. dépasse ce chiffre de beaucoup, tellement qu’il a des articles qui sont taxés 20, 30, 40, 50 et même 70 p. c. ; je vous prie de remarquer, messieurs, que nous n’avons pas fait des essais sur les qualités les plus communes, mais sur les qualités intermédiaires sur celles qui sont le plus en usage. Je pense donc que d’après les résultats du tableau dont il est question, la chambre doit en revenir au chiffre qui vous a été proposé par le gouvernement, c’est-à-dire au droit de 10 p. c. ad valorem. Je sais qu’il y eût eu quelque avantage à établir la tarification au poids, elle prévient plus facilement la fraude, mais je soutiens d’un autre côté que la tarification à la valeur est beaucoup plus juste et plus équitable.
Il me suffira de citer un seul exemple. Je suppose un article tarifé au poids de 100 kilogrammes, ayant une valeur de 100 fr., et étant taxé à 100 fr., il y aura réellement 10 p. c. à la valeur, mais si cette marchandise augmente de 25 p. c., le droit ne sera plus de 100, mais il se trouvera réduit à 75 p. c ;, lorsqu’au contraire la denrée a diminué de prix, qu’elle est tombée, par exemple, à 75, alors l’impôt, au lieu de rester au taux de cent, s’élève à celui de 125. Ou voit donc que c’est aller à l’encontre du système de raison qui doit être suivi en pareille matière, c’est-à-dire du principe que les droits doivent toujours être, autant que possible, en rapport avec la valeur de la marchandise.
D’après ces considérations sommaires, je donne mon assentiment au système qui vous a été proposé par le gouvernement, et je repousserai celui de la section centrale, comme allant au-delà du but qu’elle a voulu atteindre.
M. Desmet. - Je me suis empressé de demander la parole pour faire connaître à la chambre que l’honorable M. Smits vient de l’induire en erreur, et que les deux points principaux sur lesquels il a basé son discours pour engager la chambre à revenir du premier vote qu’elle a émis sur le mode de la perception des droits sur l’article de la bonneterie sont absolument faux et erronés.
D’abord il est venu faire usage d’un tableau que le département de l’intérieur a seulement fait distribuer au moment de l’ouverture de la séance, tableau qui contient de nouvelles pesées et d’autres prix des objets de bonneterie qui figurent dans le tarif ; et qui, comme on ne peut en douter, a été fait pour donner un démenti à la section centrale et critiquer son travail.
Vous devez sentir comme moi combien il est inconvenant de la manière que la distribution de ce tableau a été faite ; les exemplaires doivent être imprimés depuis quelques jours, car ils sont au greffe de la chambre depuis hier matin ; on a encore fait des distributions d’autres pièces dans la journée d’hier, et le fameux tableau de l’honorable M. Smits a été réservé jusqu’au dernier moment que la séance allait s’ouvrir. C’est surtout inconvenant que ce soit sur la proposition du chef du département d’où nous est arrivé ce tableau que le jour de la discussion a été fixé à aujourd’hui. Il pouvait donc savoir que son tableau aurait été prêt à temps pour être distribué aux membres quelques jours avant la discussion, afin de le pouvoir examiner.
Quand on m’a remis cette pièce je me suis empressé de me rendre dans une des principales boutiques de bonneteries de la ville, pour m’assurer de l’exactitude du tableau, et quoi que je n’aie pas eu assez de temps pour en faire la vérification en entier, dans le peu d’articles que j’ai examinés, j’ai de suite pu m’assurer qu’il était tout à fait fautif, et qu’il contenait des erreurs de prix qui étaient justement en faveur de l’argumentation que l’honorable M. Smits vient de tenir.
En vérifiant l’article des gilets, j’en ai justement trouvé une douzaine qui avait le même poids qu’un des numéros du tableau, c’était celui qui y est désigné comme pesant 3 kil. 92 décagrammes. Et voulez-vous savoir, messieurs, quel est le prix de ce numéro de gilets ? il est de 57 francs la douzaine, et dans le tableau il figure pour 48 francs. Je peux ici vous assurer que ce prix est très exact, et que les autres détaillants de la ville se trouvent dans l’impossibilité de vous en indiquer un qui soit moins élevé.
Ainsi donc, voilà une différence de 9 francs. Jugez d’après cela du reste du tableau. Il est facile d’argumenter quand on cote à 48 francs des objets qui, en réalité, coûtent 57 francs. Vous voyez d’après cela combien peu de foi ou peut donner à des tableaux ainsi jetés au milieu d’une discussion.
Vous savez, messieurs, avec quels soins on a vérifié les tableaux soumis à la section centrale par le commerce de Tournay. La section centrale a chargé plusieurs de ses membres de faire cette vérification la balance à la main, il en est résulté la preuve que les tableaux étaient exacts.
Dans le courant de la discussion, les ministres ont encore voulu mettre en doute l’exactitude des calculs que contenait le rapport de la section centrale : quelques membres de l’assemblée se sont alors rendus dans des magasins, et après un long examen ils les ont derechef trouvés exacts.
Si le département de l’intérieur et le bureau de l’industrie et du commerce voulaient contrôler les calculs du commerce de Tournay, il y avait un moyen très facile, c’était de demander aux fabricants qui les avaient fournis à la section centrale, sur quels articles de la bonneterie ils les avaient pris ; mais non, on ne veut pas suivre cette marche simple et loyale ; on veut vous surprendre, et on veut vous faire voter sur des calculs que vous n’avez pas eu le temps de vérifier.
Je vous signalerai une autre erreur que vient de commettre le préopinant ; il vient de vous dire que l’importation en bonneterie ne s’élevait qu’à un demi-million, et que ce n’était rien puisque la consommation dépasse 10 millions. Il est difficile de se tenir de rire en présence d’une semblable allégation. Je demanderai à l’honorable membre s’il sait combien il y a de métiers de bonneterie en Belgique. Il n’y en a à présent pas plus que cinq mille ; chaque métier devrait donc fabriquer 10 mille objets de bonneterie par an ; car on peut évaluer au plus à un franc, terme moyen, la pièce, les diverses espèces de bonneteries qu’on fabrique en ce moment en Belgique. Il n’est pas nécessaire que je m’appesantisse beaucoup sur ce point pour en faire ressortir, je ne dirai point l’impossible, mais tout le ridicule.
Jugez d’après cela si l’importation qui se fait est aussi peu importante que le prétend l’honorable préopinant. J’espère que la chambre ne se laissera pas influencer par le discours qu’elle vient d’entendre et qu’elle persistera dans son premier vote.
M. Smits. - Je demande la parole pour repousser les reproches d’inexactitude que vient de nous adresser l’honorable préopinant. La meilleure réponse que je puisse lui faire, c’est de lui présenter les factures des objets dont j’ai parlé et de l’engager à faire la vérification de mes calculs. Les pièces sont déposées au greffe.
Quant à l’argumentation tirée du nombre des fabriques existantes, si elles ne peuvent pas produire la quantité à laquelle j’ai évalué la consommation, c’est une preuve qu’une grande importation se fait en fraude, que le droit est plutôt trop élevé, et que si vous l’élevez, la fraude se fera sur une plus grande échelle.
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion entamée aujourd’hui est une des plus sérieuses et des plus graves qui signaleront la session actuelle. Il est impossible de porter la main sur un tarif de droits, sans jeter l’alarme dans les industries qui ont droit à votre protection ; il est impossible de toucher à une loi de douane sans compromettre plus ou moins l’existence d’un grand nombre d’ouvriers. S’il était possible qu’une chambre législative fût sans pitié pour l’industrie, elle en aurait pour les ouvriers à qui vous devez notre révolution et qu’une mauvaise loi de douane peut réduire à la misère.
Vous voyez combien est importante la discussion qui s’ouvre en ce moment.
Parmi les objets frappés d’une grande réduction de droits par le projet du gouvernement, j’en remarque deux entre autres : l’industrie de la bonneterie et la fabrication des draps, qui ont des droits tout particuliers à votre sollicitude par le nombre considérable d’ouvriers qu’elles occupent.
Toutes les industries du pays méritent votre attention, mais celles-là la méritent d’autant plus qu’elles occupent le plus grand nombre d’ouvriers, et qu’elles sont les premières industries du pays.
Nous nous occupons en ce moment de la bonneterie.
L’honorable député d’Anvers, qui a parlé avant moi, reconnaît l’importance de cette industrie, quand il évalue à 45 millions la consommation de ses produits en Belgique. Cette évaluation, comme je le démontrerai, repose sur une base fausse, mais elle prouve qu’il s’agit de porter la main sur une des industries les plus importantes du pays.
Lorsque M. Smits évalue la consommation des articles de bonneterie en Belgique à 15 millions, il rend hommage à la vérité en tant qu’il présente cette industrie comme importante ; le chiffre qu’il vous présente pèche du côté de l’exactitude.
En effet, pour que la consommation de la bonneterie fût de 45 millions en Belgique, il faudrait qu’elle fût de 10 fr. par individu, quand la consommation de tous les objets de coton n’est pas de 17 fr. par personne. Lorsque dans une précédente session on a prétendu que la consommation des objets de coton en général pouvait être évaluée à 17 fr. par individu, M. Smits a été le premier à combattre le chiffre comme inexact. Si donc il est inexact de dire que la consommation totale des articles de coton en Belgique soit de 17 fr. par individu, comment peut-il être exact de dire que la consommation des objets de tricot qui ne sont qu’une faible partie des articles de coton, soit de 10 fr. par individu, c’est-à-dire au-delà de la moitié de la consommation totale des objets de coton !
Vous voyez combien est exacte l’assertion de l’honorable député d’Anvers.
Remarquez qu’il n’y a en Belgique que cinq mille métiers battants fabriquant de la bonneterie, et qu’une grande partie se confectionne à la main. Il est déjà matériellement impossible que la consommation de la bonneterie s’élève à 45 millions. Mais il est encore à remarquer que la fabrication de la bonneterie se fait souvent sur marchandise commune, qu’elle se fait ensuite par la mère de famille pour l’usage de la famille ; ce qui se fait de cette manière n’entre pas dans le roulement commercial et ne peut pas être pris en considération dans la balance commerciale. Dès lors, le chiffre de consommation posé par M. Smits, fût-il exact en fait, ne le serait pas dans l’application qu’il en fait, et le dilemme qu’il prétend en tirer n’est pas fondé, puisqu’il reposerait sur la fabrication totale tant manuelle que par métiers.
L’honorable M. Smits prétend qu’on doit frauder beaucoup de bonneterie en Belgique. Il prétend qu’on a eu tort d’évaluer à 15 p. c. le taux de la prime que paie la fraude ; car la prime pour les draps n’étant que de 9 p. c., celle pour la bonneterie doit être beaucoup moindre. L’honorable membre paraît avoir perdu de vue que les draps ont une valeur bien plus grande que les tricots, ce qui est cause de la différence de la prime. Mais j’ai un autre moyen de lui prouver son erreur.
Un fabricant de bonneterie a eu l’obligeance de me communiquer une pièce que j’ai en main et qui prouve manifestement combien est encore inexacte ici l’assertion du député d’Anvers.
Tout à l’heure vous verrez de quelle importance est cette inexactitude ; car s’il était vrai que la prime d’introduction fût, comme il l’assure, moins de 9 p. c., ce serait une faute très grave de porter le droit à 15 p. c., attendu que la fraude aurait une marge de 6 p. c. et qu’ainsi tout serait fraudé. Il m’est facile de démontrer que la prime d’assurance des tricots est en réalité de 15 p. c. Voici ce que porte une lettre que je me suis procurée et dont vous me permettrez de vous donner lecture :
« Lille, 17 septembre 1836.
(Je ne citerai pas les noms.)
« Monsieur, je sais par M. N. que M. N. est absent, et n’a pas donné d’ordre pour la manière de vous expédier les deux ballots qui sont ici pour vous ; je prends sur moi de vous en faire l’expédition indirectement, moyennant 15 p. c. de prime contre ma garantie et sur la valeur portée au certificat d’origine, de 3,960 fr. Je vous expédie ces ballots lundi et vous les recevrez mercredi ou jeudi sans faute. »
On sait que les expéditions se font plus vite par la fraude par la douane, parce que les douaniers gardent longtemps les marchandises en entrepôt.
Vous voyez par la lettre que je viens d’avoir l’honneur de vous lire que l’assertion de M. Smits, quant à la prime, n’est pas exact, et qu’ainsi vous pouvez porter le droit sur la bonneterie étrangère à 15 p. c. sans craindre que ce droit soit éludé par la fraude.
Une autre pièce prouve encore l’inexactitude des allégations de notre honorable collègue lorsqu’il prétend que l’introduction de la bonneterie étrangère n’est que de 5 à 600,000 francs. Je dirai en passant que l’honorable membre cite le chiffre de l’importation de 1836 qui est de 572,000 francs. Mais puisqu’il nous cite le chiffre de 1836, il aurait pu nous faire connaître celui de 1835 ; il ne l’a pas fait sans doute, parce qu’il n’était pas aussi favorable à son argumentation. Quant au chiffre de 1834, que nous avons parce qu’il se trouve dans la balance du commerce que le gouvernement nous a fait distribuer, il est de 713 mille fr., valeur déclarée ; ce n’est plus 500 mille fr. comme le prétend M. Smits.
Maintenant est-ce là la valeur réelle des importations ? On pourrait le croire si les droits se percevaient au poids et que la valeur ne fût déclarée que comme document pour servir à établir la balance du commerce ; le négociant n’aurait alors aucun motif pour dissimuler la valeur réelle de la marchandise. Mais lorsque le droit se base sur cette déclaration, vous comprenez que le négociant a un intérêt à déclarer une valeur moindre que la valeur réelle. Vous ne pouvez alors établir aucun calcul avec certitude sur ces déclarations ; car il arrive souvent qu’on déclare infiniment au-dessous de la valeur réelle.
J’ai ici encore en main une pièce qui prouve à l’évidence l’exactitude de ce que j’avance et l’inexactitude de l’assertion de mon honorable contradicteur. C’est une déclaration faite au bureau de Henri-Chapelle d’une balle de marchandises dont la facture se trouve annexée à la déclaration. La facture s’élève à fl. 295 ou fr. 624. La déclaration à la douane porte la valeur à fr. 299. Il y a donc entre la valeur déclarée et la valeur réelle une différence de 50 p. c. Je dépose cette pièce sur le bureau à l’inspection des membres, qui verront par là ce que signifient les déclarations à la valeur faites au bureau de la douane belge, comme au bureau des douanes de tous les pays.
Vous ne devez donc pas être étonnés si tous les gouvernements ont supprimé les droits à la valeur pour les remplacer par des droits au poids. C’est que ces derniers droits ne peuvent être fraudés. Il suffit d’une balance pour savoir quel est le droit à payer, tandis que les droits à la valeur fournissent une foule de moyens de fraude. Il peut y avoir fraude par de fausses déclarations ; il peut y avoir fraude de la part des employés qu’on peut suborner. Enfin ce mode donne lieu à de longs retards de la part de la douane.
Il me reste à vous parler d’un document qu’on vient de lancer à l’improviste dans cette discussion. Je regrette que le gouvernement qui savait que la discussion devait s’ouvrir aujourd’hui, et qui a eu 8 jours pour préparer les éléments de la discussion, ne nous ait pas fait distribuer ce document assez tôt pour que puissions l’examiner. Je ne dirai pas qu’on a voulu nous mettre dans l’impossibilité de faire cette vérification.
De notre côté, nous avons fait déposer dans les bureaux de la section centrale des ballots de marchandises de bonneteries, dont les droits ont été vérifiés en présence de tous les membres de la section centrale. Les adversaires du projet de la section centrale ont été invités à se rendre et à être présents à la vérification au bureau de la section centrale, et plusieurs y ont assisté, ont pris des notes sur le résultat de ces pesées. Les chiffres résultant de ces pesées ne font que corroborer les propositions de la section centrale. Il y a plus : des membres de la section centrale (comme l’honorable M. Desmet vient de le rappeler) se sont transportés dans des magasins de Bruxelles, ont fait faire des pesées devant eux, et ont acquis la certitude que les chiffres de la section centrale étaient de la dernière exactitude.
Pour contester ces chiffres, on nous fait distribuer aujourd’hui un tableau ; mais pour que ce tableau signifiât quelque chose, il fallait que nous eussions le temps de l’examiner. Ce temps nous ne l’avons pas eu, dès lors nous ne pouvons pas contester l’exactitude du tableau ; mais nous ne pouvons pas non plus l’admettre. Je vais plus loin ; je dis que les chiffres de ce tableau fussent-ils exacts, vous n’en pourriez tirer aucunes conséquences.
Je lis à la première ligne du tableau :
« Caleçons n°1, une douzaine poids 3 kil. 94. Prix au détail 42 fr. »
Ainsi, c’est sur le prix au détail qu’opère le gouvernement, tandis que c’est sur le prix à l’étranger que vous devriez faire vos évaluations.
J’ai en main une grande quantité de factures, venant de la Saxe. Je les déposerai, si on le désire, sur le bureau de la chambre, et l’on verra qu’elles présentent un résultat tout différent de celui présenté par le ministre. En effet de quoi se compose le chiffre du ministre ? non seulement de la valeur première des marchandises ; mais encore des frais d’emballage et de transport, des droits de douanes, des bénéfices du premier marchand et des bénéfices du deuxième marchand. Comment pouvez-vous asseoir un droit sur la valeur, lorsque la valeur est ainsi majorée ? N’est-il pas évident qu’opérant sur une valeur majorée, au lieu d’opérer sur la valeur réelle, vous avez aussi un droit majoré, et au lieu d’un droit de 15 p. c., par exemple, un droit de 25 p. v. ? Vous voyez donc encore d’après ceci que les propositions du gouvernement ne peuvent en aucune manière vous satisfaire.
Je me bornerai à ces observations, me réservant de répondre si d’autres orateurs prennent la parole.
La chambre, dans sa dernière session a examiné avec maturité la question qui nous occupe ; elle a reconnu en principe que les droits sur la bonneterie (comme en général sur toute espèce de produits) doivent être établis au poids et non à la valeur ; cela par la raison fort simple que les droits au poids ne sont pas susceptibles d’être éludés, tandis que les droits à la valeur peuvent toujours être éludés par de fausses déclarations.
La résolution de la chambre trouve son analogue dans les tarifs de tous les gouvernements étrangers. La France, l’Angleterre et la Prusse établissent leurs tarifications non pas à la valeur, mais au poids. Le tarif français ne frappe de droits à la valeur que les montures de chapeaux de femme et quelques vétilles semblables ; tous les autres objets sont imposés au poids. Dans le tarif prussien, il ne figure aucun droit à la valeur ; tous les droits sont établis au poids. Il en est de même dans le tarif anglais. Ainsi le vote premier de la chambre tend à introduire dans notre tarif une modification qui a déjà été introduite dans les tarifs de Prusse, de France et d’Angleterre.
Je sais que s’il était possible d’appliquer à la rigueur les droits à la valeur, il arriverait à un résultat plus équitable. Mais, dans l’impossibilité d’arriver à ce résultat, vous devez entre deux maux opter pour le moindre.
Vous avez en second lieu admis la proposition de la section centrale qu’il me paraît avantageux de maintenir.
Toutefois si on veut y faire de légères modifications, je suis prêt à m’y rallier. Mais sur toutes choses je demande l’établissement des droits au poids, seule garantie que vous puissiez donner à une grande et puissante industrie.
Si vous pouviez douter de l’importance de l’article en discussion, Je prierais la chambre de vouloir bien ordonner la lecture de la pétition de la régence de Tournay ; vous verriez combien cette industrie est importante et quels résultats funestes aurait pour elle la proposition du gouvernement, si elle était adoptée. Mais je suis convaincu que vous ne voudrez pas sacrifier l’industrie nationale à des industries étrangères. Nous ne demandons pas de changements ; mais si on en fait, nous demandons qu’ils ne soient pas nuisibles à l’industrie
Nous demandons enfin une tarification dont le résultat ne soit pas de faire entrer dans le pays la bonneterie française, les bonneteries étrangères, sans qu’on puisse leur opposer aucunes barrières.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable préopinant s’est plaint du retard apporté à la distribution du tableau qui vous a été communiqué aujourd’hui : nous pouvions nous borner à faire connaître dans la discussion même les vérifications que nous avions opérées ; mais nous avons pensé qu’il serait utile de déposer au greffe de la chambre tous les objets vérifiés en même temps qu’un tableau imprimé indiquant le résultat des vérifications ; et aussitôt que cette résolution a été prise, nous l’avons exécutée. Si la chambre ne vote pas aujourd’hui sur l’article en discussion, on aura tout le temps d’examiner les vérifications effectuées par l’administration.
On a contesté l’importance de la consommation des objets en coton et en laine tricotés : pour moi je suis très porté à admettre pour vraie l’opinion de l’honorable M. Smits sur ce point ; car il est évident que la consommation de ces objets est immense. Tous les habitants sans distinction d’âge ou de sexe font usage de ces éléments en toute saison ; dès lors il est facile de comprendre que la consommation en est extrêmement importante.
Un honorable membre a contesté les chiffres d’importation signalés par l’honorable député d’Anvers ; messieurs, les chiffres officiels, tels qu’ils ont été pris dans les bureaux de la douane, sont les suivants :
En 1834, l’importation a été de 703,000 fr.
En 1835, elle a été de 750,000 ;
En 1836, de 571,000 ;
En 1837, premier semestre, elle a été de 315.000.
Mais de ces chiffres d’importation il faut déduire les chiffres des exportations ; or, en 1834, on en a exporté 349,000 ;
En 1835, on a exporté 382,000 ;
En 1836, on a exporté 350,000 ;
De manière que l’importation ne surpassait,
En 1834, que de 354,000 ;
En 1835, que de 348,000 ;
En 1836, que de 221,000.
Il est donc de la dernière évidence que l’étranger n’a pas envahi le marché belge, et que nos fabricants ne sont pas écrasés par la concurrence étrangère.
Mais, a dit l’honorable député de Tournay, les déclarations faites à la douane sont infiniment au-dessous de la valeur réelle, et il peut citer un exemple où la marchandise n’a été déclarée qu’au tiers ou à la moitié de sa valeur : quant à moi j’ai beaucoup de peine à admettre ce fait pour exact ; toutefois, lorsqu’on admettrait que dans une circonstance isolée le fait se soit passé comme on l’indique, peut-on croire que ce soit là l’usage ordinaire ? Evidemment non puisque les employés de la douane ont le droit de préempter, est-il possible de supposer qu’il ne préempte pas dans les cas où ils auraient un bénéfice de 50 p. c. à réaliser ? Dans ce cas il faudrait supposer que les employés fussent tous corrompus, chose qui ne pourrait avoir lieu à moins qu’on ne leur donnât l’équivalent des bénéfices qu’ils auraient pu réaliser, en faisant les préemptions ; mais cela n’est pas vraisemblable puisque l’importateur n’y aurait aucun avantage.
Il est donc évident que ces fausses déclarations à la valeur sont complétement exagérées ; aussi, dans la première discussion de la loi, n’a-t-on jamais évalué la différence entre la valeur déclarée et la valeur réelle plus haut que 2 à 3 p. c.
Je dois relever une autre erreur du préopinant. Il a dit que les marchandises étaient retenues longtemps dans les bureaux de la douane, pour que les employés eussent le loisir de les examiner et de s’assurer s’ils devaient préempter. Mais, messieurs, vous savez tous que la préemption doit être faite dans les 24 heures de la déclaration ; ainsi l’assertion de l’orateur est inexacte. D’ailleurs, si les employés pouvaient retenir longtemps les marchandises, après un examen prolongé, ils ne manqueraient pas de préempter, lorsqu’ils auraient pu s’éclairer sur la valeur des objets déclarés.
Vous aurez remarqué, messieurs, que le chiffre des importations ont diminué dans les années 1836 et 1837, en comparaison des années 1834 et 1835. Cette différence me semble justifiée par cette circonstance que dans les premières années de la révolution il y avait généralement moins de commerce ; que les magasins étant épuisés, on les a remplis dans les années 1834 et 1835, et que maintenant nous revenons au point normal pour le commerce.
Mais ces exportations mises en regard des importations ne présentent qu’une faible différence, et ne donnent lieu qu’à une concurrence très modérée.
Il est encore à remarquer que beaucoup d’objets importés ne se fabriquent pas en Belgique ; ainsi les objets les plus fins ne se fabriquent chez nous que par exception ; quant aux objets de la consommation ordinaire, l’importation peut en être réduite à un chiffre très insignifiant, à moins qu’elle ne se fasse par la fraude. Et veuillez observer qu’en exagérant les droits vous n’arrêterez pas la fraude.
Quant au taux de la prime de la fraude, il y a nécessité de se mettre d’accord sur ce point : on dit que la prime d’importation en fraude sur les draps est de 9 p. c. ; alors comment pourrait-elle être de 15 p. c. relativement à la bonneterie qui est plus facile à transporter ?
Cette prime devrait, au contraire, être moindre que pour les draps.
Relativement au mode de perception, je pense qu’il est préférable de prendre pour base la valeur.
La différence entre la valeur réelle et la valeur déclarée ne peut être considérable quand il y a droit de préemption, et surtout quand il s’agit de marchandises d’un usage général et que tout employé peut apprécier.
Mais si l’on persiste à demander le mode de perception au poids qui a été voté dans la première discussion, vous aurez de toute nécessité une disproportion énorme entre les droits payés pour les diverses qualités de marchandises. Plus la marchandise sera commune, plus le prix en sera bas, et plus le tarif sera élevé ; plus au contraire, la marchandise sera fine et le prix élevé, et moins le droit sera fort ; il y a là une injustice patente au détriment du pauvre, qui se reproduit constamment et inévitablement.
L’on dit que la perception se fait au poids dans tous les Etats qui nous environnent, l’Angleterre, la France, la Prusse ; mais déjà un négociant de Bruxelles a fait remarquer, dans une pétition adressée à la chambre, lors de la première discussion, que la perception en Angleterre se fait à la valeur.
Relativement à la France, la perception ne peut s’y faire au poids, puisque ces marchandises y sont prohibées. La perception ne se ferait donc au poids qu’en Prusse.
Indépendamment de l’injustice qui résulte de la perception au poids, elle entraîne encore d’autres inconvénients : tous les ballots doivent être dérangés, s’ils contiennent plusieurs assortiments ; si l’on veut éviter ce grave inconvénient, il faut que le négociant n’expédie que des ballots renfermant un seul assortiment, ce qui rend les expéditions et le commerce beaucoup plus difficiles.
J’attendrai que de nouvelles observations aient été présentées pour appuyer de nouveau le projet que nous vous avons soumis.
M. de Langhe. - Messieurs, je demande la permission de faire précéder ce que j’ai à dire sur l’article bonneterie de quelques considérations générales qui feront connaître ma manière de voir à l’égard des douanes. Je suis partisan de la liberté du commerce, non cette liberté absolue que je reconnais impraticable, mais une liberté modifiée par les circonstances ; je suis ennemi des prohibitions et des droits élevés parce qu’ils offrent trop d’appât à la fraude et manquent ainsi souvent leur but.
Ces principes sont à peu près ceux de tout le monde, mais il y a une grande diversité dans la manière dont ils sont appliqués. Les uns sont prêts à accueillir toutes les exceptions, surtout si elles concernent des industries qu’ils connaissent plus particulièrement. Les autres sont beaucoup plus difficiles sur l’admission des exceptions, et n’accueillent que celles qui sont absolument nécessaires. Je suis de ces derniers et je le déclare franchement, toutes les fois que mon opinion à cet égard sera différente de celle de mes commettants, ce sera la mienne que je suivrai parce qu’elle sera dictée par l’intérêt général.
Venons à l’article dont la discussion nous occupe. Je crois qu’il est difficile d’établir une tarification aux poids, frappant sur des objets si différents en valeur. Ces droits sont presque établis de manière à les porter à un taux exorbitant sur les articles de peu de valeur et qui sont par là à l’usage des classes pauvres. Je citerai à cet égard un exemple : vous avez voulu augmenter le droit d’entrée sur les toiles et le porter à 7 p. c. ; mais, en l’établissant au poids, vous l’avez élevé en certains cas jusqu’à 25 p. c. Qu’arrive-t-il ? ce qui arrivera toujours quand on établira des droits élevés : ces toiles entrent en fraude rendues à Bruxelles au moyen d’une prime de 10 p. c. Et qu’on ne dise pas que les négociants honnêtes ne fraudent pas. Ils y sont obligés sous peine de cesser leur commerce, car c’est le seul moyen de soutenir la concurrence.
Le droit de 10 p. c. proposé par le gouvernement me paraît suffisant pour protéger une industrie depuis longtemps acclimatée dans le pays, et qui, selon moi, a peu de sujet de craindre la concurrence de l’industrie étrangère, si elle la suit ou la devance dans ses progrès.
Messieurs, je terminerai par une observation que je soumets en toute confiance à votre patriotisme éclairé, patriotisme qui ne doit avoir en vue que l’intérêt général, dût-il s’acheter au prix de quelques sacrifices particuliers. Une grande nation nous tend une main amie, n’hésitons pas à lui tendre la nôtre. Craignons que notre refus ne la porte à se retirer de la voie où elle s’est engagée. Il en résulterait sans doute un préjudice notable pour elle. Mais le préjudice serait à mon avis bien plus grand pour nous.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je regrette d’être obligé de rentrer dans une partie des considérations que j’ai déjà présentées à la chambre, sur la question dont il s’agit ; mais j’y suis forcé, puisque les faits qui paraissaient les plus complétement établis sont remis en question ; cependant la section centrale avait procédé de manière à mettre chacun à même de se prononcer en connaissance de cause : chaque fois que la section centrale a articulé des faits, chaque fois qu’elle procède à des vérifications et qu’elle en a dressé le tableau, elle a eu soin de faire distribuer son travail, longtemps avant la discussion, à tous les membres de l’assemblée, et de déposer en même temps, dans le lieu de ses réunions, tous les éléments qui avaient servi à ses calculs, de manière que personne n’a pu être pris au dépourvu, que chacun a pu s’assurer de la vérité des faits articulés par la section centrale.
Aujourd’hui l’on vient dire que ces faits sont inexacts, et pour le prouver, on nous met sous les yeux un tableau qu’on nous distribue précisément à l’ouverture de la séance, afin que nous n’ayons pas le temps de l’examiner ; en opérant de cette manière, on pourra toujours arguer d’inexactitude contre les faits les mieux établis ; il n’y a rien au monde de plus facile que d’administrer les preuves d’une opinion quelconque dans une pièce que personne ne peut soumettre au moindre contrôle. Sur cette base-là, on peut élever tel édifice qu’on voudra, bien certain que personne ne pourra l’attaquer par les fondements. Quant à moi, je considère comme exact le travail de la section centrale, qui a été démontré exact il y a quelques mois par des arguments et des preuves qui n’ont pas été réfutées depuis. C’est, selon, moi, de ce travail que la chambre doit partir.
Le gouvernement persiste à défendre la proposition primitive : examinons donc quelle est la portée de cette proposition. Voyons à cet effet quel est l’état actuel de la législation, et voyons en même temps quel est l’état actuel de l’industrie dont il s’agit ; recherchons si la proposition du gouvernement est réellement calculée sur cet état de la législation et de l’industrie, de manière à venir en aide à celle-ci, si elle souffre, à faire disparaître les abus qui pourraient exister. Si telle est la portée de la proposition du gouvernement, il faut l’admettre ; mais si le gouvernement agit dans un sens contraire à ce qu’il devait faire, s’il a pris le parti que devait lui interdire l’intérêt de l’industrie et l’état actuel de la législation, alors nous devons confirmer le jugement que nous avons porté, lors du premier vote en adoptant la proposition de la section centrale.
Aujourd’hui la bonneterie est frappée d’un droit de 20 p. c. à la frontière de France, et de 10 p. c. aux autres frontières ; le droit de 20 p. c. à la frontière de France n’a que nominalement cette élévation, puisque le fabricant français qui paie 20 p. c. sur sa déclaration ou 15 p. c. lorsqu’il fait assurer, reçoit 6 p. c. de prime d’exportation. Le droit d’entrée n’est donc plus que de 9 p. c., pour celui qui a payé 15, et de 14 p. c. pour celui qui a payé 20. Le fabricant a de plus la faculté de dissimuler une partie de la valeur lorsqu’il fait sa déclaration, et nous avons la preuve que cela se pratique avec succès.
Sur la frontière d’Allemagne le droit nominal est de 10 p. c., mais il paraît qu’il se réduit en réalité à moins de 5 ; à la vérité il n’y a pas là de prime d’exportation, mais on y déclare la moitié de la valeur sans que jamais, paraît-il, cela donne lieu à aucune préemption ; mon honorable ami a déposé sur le bureau des pièces qui prouvent la vérité de ce que j’avance.
On dira que ce sont des faits isolés ; mais tons les membres de la chambre qui voudront prendre des informations pourront se convaincre que les faits que je signale, ont lieu généralement. Quant à moi, j’ai recueilli des renseignements qui me le démontrent à l’évidence : il n’y a pas un mois que je me trouvais avec un négociant très au fait du commerce de la bonneterie, et que m’étant enquis de la manière dont se font les déclarations pour les importations de l’Allemagne. j’en reçus la réponse suivante : « J’avais l’habitude de déclarer les trois quarts de la valeur, mais on m’a assuré que j’étais dupe et qu’il suffisait de déclarer la moitié ; depuis lors je ne déclare plus que la moitié, et jamais je n’éprouve la moindre difficulté. » Je certifie sur l’honneur que cette déclaration m’a été faite.
Ainsi donc, messieurs, le droit à la frontière d’Allemagne revient à 5 p. c. Mais, dira-t-on, dans cet état de choses l’industrie doit souffrir ? Et sans aucun doute, elle souffre ! Elle doit souffrir, poursuivra-t-on, par l’introduction qui se fait par la frontière d’Allemagne ? Sans doute, encore ! Et à cet égard j’invoquerai une autorité que le gouvernement ne récusera pas ; c’est celle de la commission nommée par le gouvernement lui-même, du jury qui a fait le rapport sur les produits de l’industrie belge : « La concurrence étrangère, est-il dit dans ce rapport, favorisée par le peu d’élévation de notre tarif, a presque réduit à rien la fabrication de la bonneterie fine ; la bonneterie moyenne principalement, celle de coton, en souffre aussi ; mais la bonneterie commune se soutient bien. » Maintenant, messieurs, quels sont les pays de provenance de ces diverses sortes de marchandises ?
La bonneterie fine, et la bonneterie moyenne, surtout en coton, viennent principalement de la Saxe ; quant à nos fabricants de bonneterie commune, ils ont pour concurrents les fabricants français de la Picardie. Eh bien messieurs, la bonneterie commune se soutient parce qu’elle est protégée par un droit de 20 p. c. et la fabrication des bonneteries fines et moyennes souffre parce que le droit sur ces qualités se réduit à 5 p. c. Voilà, messieurs, comment il est aisé d’expliquer ce qui est rapporté par le jury dans le passage dont je viens de donner lecture.
Et ce jury, messieurs, comment était-il composé ? Voici ce que je lis à la fin du rapport :
« Approuvé par l’assemblée générale du jury, composé de MM. le baron de Stassart, président ; Fréd. Basse, vice-président ; Burdo-Stas, Cauchy, David (un de nos honorables collègues), de Bast de Hert, de Hemptinne, Doncet, Froidmont, Guillery, Henrard, Jules Kindt, Lousbergs, Quetelet, Smits (aussi un de nos honorables collègues, qui a pris tout à l’heure la parole pour appuyer le projet du gouvernement), Suys, Verrue-Lafrancq, Vifquain, Willmar (un de MM. les ministres, qui a même pris la parole dans la dernière discussion pour appuyer la proposition de ses collègues) et Gachard, rapporteur général. »
Il me semble, messieurs, que les membres de la chambre qui ont approuvé le rapport dont je viens de lire un passage, ne révoqueront pas en doute les faits qui y sont rapportés, et je pense que l’honorable M. Smits reconnaîtra que c’est en connaissance de cause qu’il a approuvé ce rapport.
Eh bien, messieurs, que résulte-t-il de là ? qu’il y a malaise ; que l’industrie bonnetière souffre, et qu’elle souffre précisément parce que le droit est trop peu élevé sur la frontière d’Allemagne. Et quel est le remède à ce mal ? C’est, messieurs, d’élever le droit qui se paie à la frontière d’Allemagne au niveau du droit perçu à la frontière française. Mais point du tout ; le gouvernement prend ici le contre-pied de ce qu’il devrait faire ; au lieu d’élever le droit sur la frontière d’Allemagne au taux de celui qui frappe les provenances françaises, il abaisse le droit sur la frontière de France au taux de celui que paient les provenances d’Allemagne ; c’est-à-dire que, parce que l’industrie des bonneteries fines et moyennes souffre à cause du peu d’élévation du droit à la frontière allemande, et que la bonneterie commune se soutient à cause de l’élévation du droit à la frontière française, le gouvernement veut abaisser le droit sur cette frontière-ci afin de faire souffrir également la bonneterie commune. Voilà, messieurs, la logique du projet ministériel !
Après cela, messieurs, on vient nous dire que la loi qu’on nous propose est une loi belge, calculées sur les intérêts belges ! Mais je voudrais bien qu’on m’indiquât un seul intérêt belge qui trouvera quelque avantage dans l’adoption de cette loi ? Pour moi, il est manifeste que c’est une loi antinationale, une loi française, une loi allemande.
L’honorable M. Smits dit que le droit de 10 p. c. protège suffisamment notre industrie contre la concurrence de la Saxe ; mais cela n’est pas conciliable avec le passage du rapport dont je viens de donner lecture, rapport qui a reçu l’approbation de l’honorable membre.
M. Smits. - Je n’ai pas approuvé cette partie du rapport.
M. Dubus (aîné). - J’entends l’honorable M. Smits dire qu’il n’a pas approuvé cette partie du rapport ; il n’a cependant pas jugé à propos de faire une réserve à cet égard ; quoi qu’il en soit, je puis toujours me prévaloir de l’opinion unanime de tous les autres membres du jury.
Mais comment prétend-il prouver que la concurrence de la Saxe n’a pas nui à notre industrie ? D’abord il exagère outre mesure la consommation ; je dis outre mesure, car quoique je reconnaisse qu’une industrie mérite d’autant plus d’intérêt qu’elle alimente une consommation plus grande, il n’est pas possible de ne pas sourire aux 45 millions de M. Smits. Cet honorable membre ne nous a fourni aucunes données statistiques à l’appui de son évaluation, il n’a pas calculé combien le pays produit et combien il y entre de matières premières propres à alimenter une fabrication en bonneterie aussi énorme que celle que supposerait une consommation de 45 millions.
Seulement il a dit que puisqu’il y a 4,500,000 habitants, à raison de 10 francs par individu, cela faisait 45 millions. Je comprends bien cette opération de multiplication, mais il faut qu’il soit d’abord établi que chacun des 4,500,000 habitants consomme dix francs par an en articles de bonneterie. Or, jamais on ne fera admettre une pareille supposition. D’ailleurs, s’il se consomme pour 45,000,000 francs par an dans le pays en articles de bonneterie, je demanderai où ces produits se fabriquent, je défie l’honorable M. Smits de le dire. Le rapport de la commission nous annonce que c’est principalement dans l’arrondissement de Tournay que la fabrication des bonneteries a lieu. Eh bien, si M. Smits voulait seulement garantir aux fabricants de l’arrondissement de Tournay le placement ou la vente d’un huitième de la somme de 45,000,000, nos fabricants s’empresseraient sans doute de signer le marché, et l’honorable M. Smits ne rencontrerait pas de contradicteurs de leur part. Seulement le huitième des 45,000,000, et je tiens M. Smits quitte pour l’arrondissement de Tournay. Mais alors il reste encore sept huitièmes ; je prie l’honorable membre de me dire où on les fabrique. Le jury, paraît-il, ne le savait pas, puisqu’il croyait que c’était principalement dans l’arrondissement de Tournay que s’exerçait cette industrie. Au moyen des documents que M. Smits a recueillis de toutes parts pour dresser la statistique commerciale, il nous fera connaître où cette fabrication a lieu ; jusque-là je ne puis croire à ce chiffre de 45 millions.
A ce sujet, je m’appuierai d’un passage d’une pétition des fabricants de bonneterie qui n’avaient pas intérêt à diminuer l’importance de l’industrie pour laquelle ils plaidaient par devant vous, et cependant ils estiment que la production de la bonneterie pour toute la Belgique, loin d’être de 45 millions, n’est que de 8 millions, voilà la déclaration des fabricants de bonneterie. Il y a loin de ces 8 millions à 45 millions dont M. Smits a parlé.
Au reste, une production de 8 millions est une production importante et bien digne d’intérêt, surtout si vous considérez que ceux qui travaillent à cette fabrication sont extrêmement nombreux ; que c’est une population entière des campagnes qui emploie les loisirs que lui laissent les divers travaux de l’agriculture, à la confection de la bonneterie
Voilà pour notre production.
En regard de cette production qu’on suppose de 45 millions, et que nous, nous réduisons à 8 millions, on vous présente une importation de 5 à 600,000 fr. par an. Mon honorable ami a répondu à cette seconde exagération qui était en sens inverse, c’est-à-dire qu’après avoir enflé outre mesure le chiffre de la consommation, on a ensuite diminué de beaucoup le chiffre de l’importation pour arriver à les comparer entre eux. D’après les renseignements mêmes qui nous ont été donnés par le gouvernement, l’importation a été de 7 à 800,000 fr.
En effet, l’importation qui en 1832 n’avait été que de 495,132 francs, s’est élevée, en 1833, à 810,669 fr. ; en 1834 elle a été de 713,027 fr. ; en 1835, d’après ce qui vient d’être dit par l’un des ministres, de 730,000 fr. et pour les 6 premiers mois de 1837, de 315,000 fr.
Ainsi, dans les trois années qui ont précédé la présentation du projet de loi, l’importation moyenne a été de 7 à 800,000 fr. Mais si vous considérez qu’on ne déclare que la moitié, et que le ministre a dressé ses tableaux d’après ces déclarations ainsi réduites, le chiffre réel de l’importation s’élève à environ un million et demi ; or, je pense qu’une importation d’un million et demi sur un objet dont la production indigène s’élève à 8 millions est quelque chose de très important.
Il est curieux de considérer, messieurs, de quelle manière les importations ont eu lieu précisément par la frontière d’Allemagne, que je regarde comme étant signalée par le rapport du jury, lequel se plaint du peu d’élévation du tarif, et parle du grand dommage qu’en souffre l’industrie bonnetière ; nous pourrons comparer ainsi les importations avec les exportations vers cette frontière. D’après les tableaux qui nous ont été communiqués, les importations de l’Allemagne ne s’élevaient pour 1832 qu’à 174,470 francs (valeur déclarée) ; les exportations vers la même frontière ont été de 104,182 fr. Le chiffre de l’importation en 1833 était déjà de 292,000 fr., tandis que celui de l’exportation a diminué dans une proportion aussi forte : il n’est plus que de 64,102 fr. En 1834, l’Allemagne a importé pour une valeur de 459,254 francs, tandis que la Belgique n’a exporté par cette frontière que pour une valeur de 43,952 fr, En 1835, l’Allemagne nous envoie, selon M. le ministre des finances, pour 692,000 fr. de produits ; il ne nous a pas fait connaître, pour cette année-là, le chiffre de l’exportation de ce côté. Veuillez remarquer, messieurs, cette progression croissante d’un côté, et si prodigieusement décroissante de l’autre.
Les chiffres que je viens de rappeler viennent donc merveilleusement à l’appui des assertions que le jury a avancées. Réellement, le peu d’élévation du tarif vers la frontière allemande porte un préjudice des plus notables à notre industrie, puisque les importations de 1832 à 1833 sont doublées ; qu’elles sont de nouveau doublées de 1833 à 1834, et par conséquent quadruplées, comparativement au chiffre de 1832 ; et qu’enfin elles sont encore tiercées de 1834 à 1835, de sorte que vous pouvez compter sur une importation annuelle d’Allemagne d’environ 1,400,000 francs (valeur réelle), puisqu’il y a environ 700,000 francs de valeurs déclarées.
Ainsi, en 1835, sur 750,000 francs d’importations, il y a eu 692,000 francs pour la seule frontière d’Allemagne.
Nous sommes entrés dans ces calculs pour démontrer que c’est le droit vers l’Allemagne qui doit être élevé, que l’harmonie dans le tarif doit être rétablie de cette manière et qu’elle ne doit nullement l’être par un abaissement du droit vers la France.
Quant au droit établi vers la frontière de Fiance, il a réellement protégé la bonneterie commune pour laquelle nous avons à craindre la concurrence de la France. Sur ce point, on vient nous dire que le droit était fraudé, et qu’il n’est pas à croire que le droit étant de 20 p. c., la prime d’assurance, se serait élevée à 15 p. c. On a dit que l’exemple cité par mon honorable ami était un fait isolé ; mais, messieurs, la chambre a sur ce point d’autres renseignements qui viennent d’une source différente. Un honorable membre de cette assemblée qui combattait les propositions de la section centrale, en paraissant favorable au moins en principe à celles du gouvernement, et qui avait pris des informations à Gand et à Bruxelles, nous a dit, lors du premier vote, que la prime d’assurance en matière de bonneteries par la frontière de France, était de 13 à 15 p.c., qu’elle était de 13 à Gand, et de 13 à 15 à Bruxelles. Cette circonstance vient donc encore à l’appui du document qui a été déposé sur le bureau par mon honorable ami, à l’effet de faire voir à la chambre que le droit de 20 p. c. établi vers la frontière française nous a valu, de ce côté de nos frontières, une protection de 15 p. c. Eh bien, cette protection assurément n’a pas été exagérée ; elle a soutenu une industrie, elle l’a empêchée de périr : fallait-il donc la laisser périr ?
Mais, dira-t-on, pourquoi ne voulez-vous pas que nos fabricants luttent contre ceux de la France ? Ils consentiraient volontiers à lutter avec les fabricants français ; mais que le gouvernement français leur donne les moyens ! Nos fabricants rencontrent à la frontière française... quoi ? un droit élevé ? non ; mais la prohibition ! Ils rencontrent à la frontière d’Allemagne un droit au poids. A combien revient ce droit au poids ? Sur la bonneterie en coton, ce droit est de 1 silber groschen la livre. Ce droit, rapporté à la quantité de 100 kilog. et à la valeur en francs, d’après les données fournies par le tarif qui a été distribué aux membres de la chambre, ce droit, dis-je, revient à 397 fr. 69 c. les 100 kilog. : ce qui fait, à 2 centimes près, 4 francs par kil. Eh bien, le droit principal que la section centrale a proposé pour la bonneterie en coton est de 4 francs le kilog., précisément le droit qui nous est opposé en Allemagne. Or, on reconnaît que les Allemands peuvent produire la bonneterie à meilleur marché que nous ; déjà ils sont protégés par le bas prix de la main-d’œuvre, et indépendamment de cet avantage, le tarif allemand leur assure un droit de 4 francs par kilog.
Et c’est un droit qu’on ne peut pas éluder ; car il se perçoit au poids et non à la valeur.
Que faut-il faire pour une industrie aussi intéressante, qui rencontre à la frontière française la prohibition, et d’un autre côté un droit de 4 fr. par kilog. ? C’est d’établir un droit en rapport avec celui que nous opposent nos voisins.
C’est ici le cas de faire remarquer que le projet du gouvernement marche toujours en sens inverse de la voie dans laquelle il devrait entrer ; il n’a tenu aucun compte des tarifs de nos voisins : tandis que nous trouvons partout les portes fermées, que nous ne pouvons faite passer nos produits, il veut que l’étranger vienne encore s’emparer de nos marchés et réduire à la plus affreuse misère les fabricants et ouvriers.
Mais la perception du droit à la valeur serait-elle maintenue ? Convient-il de l’établir au poids ? Messieurs, ici encore, si nous voulons profiter de l’expérience de nos voisins, C’est au poids que nous l’établirons en maintenant la résolution déjà prise par la chambre.
En effet, en France pour les espèces de bonneterie non frappées de prohibition, celles autres que les bonneteries de laine et de coton sont admises à l’entrée moyennant un droit au poids, afin qu’on ne puisse pas éluder le droit, et ce mode de tarification ne donne lieu à aucun inconvénient. La preuve en est que depuis un certain nombre d’années en France, le progrès a été de réduire autant que possible au poids, toutes les tarifications. D’année en année, vous avez vu en France de nouvelles tarifications au poids remplacer des tarifications à la valeur. Le tarif prussien établit tous les droits au poids, et nous, placés entre ces deux Etats, qui y rencontrons des industries rivales de notre bonneterie, nous établirions le droit à la valeur, pour donner à nos rivaux la facilité d’entrer chez nous en fraudant sut la hauteur du droit.
Lorsque l’on voit l’exemple de déclarations faites à moitié et même à moins de moitié de la valeur, et qui cependant sont admises sans difficulté, nous devons reconnaître que le droit à la valeur présente d’immenses inconvénients.
On pourrait m’objecter, relativement à l’une des observations que j’ai faites tout à l’heure, que nous pouvons lutter jusqu’à certain point avec l’Allemagne, puisque nous avons exporté une quantité de bonneterie, minime à la vérité, et qui a toujours été en décroissant, mais enfin une quantité quelconque. On se tromperait gravement si on pensait que ces importations avaient pour but d’alimenter la consommation de l’Allemagne. J’ai appris par des renseignements qui m’ont été fournis, que ces exportations étaient destinées à la Hollande et faisaient un circuit par l’Allemagne pour y pénétrer.
Ces exportations par l’Allemagne ont été en diminuant, en raison de la facilité plus grande qu’on a eue pour introduire directement des marchandises en Hollande ; de sorte qu’on peut tenir pour constant que nous ne fournissons rien à la consommation de l’Allemagne qui vient prélever un million et demi sur l’article bonneterie.
Ainsi, d’un côté l’Allemagne nous est fermée, et de l’autre la France nous l’est également ; votre unique débouché est donc la consommation intérieure et quelques articles que nous envoyons en Hollande. Mais si vous adoptez le projet du gouvernement, vous donnerez le coup de mort à cette industrie, l’Allemagne viendra s’emparer de notre marché, et nos fabricants ruinés ne pourront plus aller lutter en Hollande.
On nous dit : nous ne changeons pas le tarif vers l’Allemagne. Mais de là il résulte que vous n’apportez aucun allégement aux souffrances de l’industrie qui fabrique la bonneterie fine et moyenne, que produit l’Allemagne.
Voilà ce qui résulte du maintien du tarif quant à l’Allemagne. Mais en l’abaissant sur la frontière de France, vous achevez la ruine de cette industrie, puisque la bonneterie commune qui se fabrique en France va venir s’emparer de notre marché.
La tarification au poids qui a été combattue encore aujourd’hui par le gouvernement devrait l’être par autre chose que de vaines allégations. Il faudrait démontrer que ce mode de tarification, qui présente tant d’avantage contre les fausses déclarations, donne lieu, dans l’espèce qui nous occupe à des inconvénients pratiques, tels qu’il faut absolument y renoncer. C’est ce qu’on ne démontrera pas, à moins qu’on ne prouve que les Français et les Allemands ne trouvent pas moyen d’asseoir le droit au poids et que ce mode de tarification n’est que nominalement écrit dans leurs lois. Mais il est constant que les droits s’y perçoivent, donc le mode est praticable. Quant à ses avantages. je les ai démontrés.
Le projet de la section centrale s’est écarté de l’exemple donné par le tarif français et le tarif allemand, en ce qu’il a établi plusieurs catégories. Elle a agi ainsi, pour faire disparaître les plus graves inconvénients qu’on avait signalés.
En effet, qu’avait-on principalement objecté au mode de tarification au poids ? C’est que le droit était minime sur les marchandises de grande valeur respectivement à leur poids et qu’il était exorbitamment élevé sur les marchandises pesant beaucoup et de faible valeur. C’est précisément pour diminuer cet inconvénient que la section centrale a proposé plusieurs catégories. Au lieu d’un droit uniforme de 4 francs par kil., comme dans le tarif prussien, elle a fait un article pour la grosse bonneterie pour laquelle elle ne propose d’établir qu’un droit de 2 francs.
C’est là une grande amélioration sur le tarif prussien. Pour les articles d’un poids minime, de qualité fine, elle a proposé deux catégories, l’une de 8 francs et l’autre de 10 francs par kilog., si ma mémoire est fidèle. De cette manière ou atteindra les qualités fines et superfines, et on diminue à leur égard, comme à l’égard des qualités communes, les inconvénients signalés.
Ainsi si le mode de tarification de la France et de la Prusse est praticable, à plus forte raison peut-on pratiquer celui de la section centrale qui l’a perfectionné, en ce qu’il diminue l’inconvénient qu’il présentait en frappant d’un même droit les qualités communes, fines et superfines.
Je rappellerai une considération que j’ai déjà fait valoir, je présenterai en terme de comparaison, le tarif de la section centrale actuelle, pour vous convaincre de plus en plus qu’il est acceptable, et celui que la section centrale chargée de l’examen de la loi concernant l’industrie cotonnière avait proposé il y a deux ou trois ans.
Cette section centrale avait fait aussi des catégories, mais quels droits proposait-elle ? Aujourd’hui nous proposons des droits dont le minimum est 2 fr. et le maximum 10 fr. par kil. : alors le minimum du droit proposé était 6 fr., le droit sur les qualités moyennes de 50 fr. et sur les qualités superfines de 300 fr. et plus. Vous voyez qu’en comparaison de ces droits, qu’avec raison on considérait comme prohibitifs, ceux qu’on vous propose aujourd’hui ne sont que protecteurs.
Je demande si vous pouvez refuser à une industrie aussi intéressante et aussi importante que celle de la bonneterie, un tarif purement protecteur.
Je bornerai là mes observations pour le moment, me réservant de répondre aux objections qui pourraient m’être faites.
M. Verdussen. - J’ai déjà pris la parole sur l’objet actuellement en discussion. Je pourrais me référer à ce que j’ai dit il y a quelques mois, si nous n’étions pas dans la nécessité de reproduire les arguments que nous avons présentés, à cause de l’intervalle qui nous sépare de la première discussion.
Je vous avoue qu’après avoir entendu les deux orateurs qui siègent à ma gauche, je suis encore à me demander ce qu’ils soutiennent : est-ce l’insuffisance du droit de 10 p. c. ? Est-ce le mode de tarification au poids auquel ils veulent qu’on donne la préférence sur la tarification à la valeur ?
Car, messieurs ne nous y trompons pas, défendre à la fois ces deux objets, c’est défendre le pour et le contre ; c’est que je m’attacherai à vous prouver.
Souvent dans cette discussion on nous a parlé des essais faits par la section centrale et par les soins du ministère pour prouver quel est le taux de la tarification que l’on doit établir. La section centrale, dont les propositions ont été admises par un premier vote, avait établi que 15 p. c. de la valeur étaient un droit protecteur suffisant. Eh bien, je vous disais tantôt que si on adopte la tarification au poids, on dépassera 15 p. c. sur une certaine qualité de marchandises, et on restreindra de beaucoup ce chiffre sur une autre qualité de marchandises. Pour le prouver, je n’ai qu’à jeter les yeux sur le résultat des pesées faites par la section centrale, lors de la première discussion, au mois d’avril.
Là des paquets choisis d’avance et nullement pris au hasard ont établi qu’en effet sur les 13 paquets présentés la moyenne, par rapport au poids, présentait juste les 15 p. c. que l’on veut établir sur la valeur. Mais quand je dissèque ce résultat, alors je trouve que les qualités inférieures sont frappées d’un droit de 25 p. c., 27 p. c., 24 1/2 p. c., 23 p. c., 24 p. c., et que les qualités fines, qui naturellement devraient être plus imposées puisque c’est la classe moyenne qui en fait usage, ne paient que 7 1/2 p. c., 9 p. c.
C’est le résultat immanquable de toute tarification au poids.
M. le ministre de l’intérieur vous l’a déjà dit tantôt, et le résultat qu’a présenté M. le ministre des finances dans la première discussion le prouve à suffisance.
Qu’arriverait-il donc ? Qu’on déclarerait, d’après la tarification au poids, toutes les marchandises fines et dont les droits ne s’élèveraient qu’à 7 1/2 ou 9 p. c., et qu’on frauderait sur les qualités communes les droits qui s’élèveraient de 24 à 27 p. c.
Nous avons déjà dans la discussion précédente des aveux méritent d’être signalés. Ces messieurs nous ont lu une lettre qui prouve qu’on fraude à raison de 15 p. c. de prime. Un autre orateur qui soutient le même système a dit qu’à Gand et à Bruxelles la moyenne de la prime était de 14 p. c. Eh bien, puisque la fraude se fait si facilement, puisque le détaillant ne court aucun risque, et que toutes les marchandises sont livrées dans son magasiné aux risques du fournisseur, je ne sais pourquoi l’on élèverait les droits au-delà de la prime du fraudeur. Je ne comprends pas le but de cette élévation illusoire de droits.
Je le répète, cette discussion devrait être divisée en deux parties. il faudrait d’abord discuter si les droits seront établis au poids ou à la valeur, discussion tout à fait distincte de la quotité des droits. Je n’ai pas voulu entrer dans une discussion de chiffres insaisissable dans une discussion publique. Mais les honorables membres qui veulent plus de renseignements peuvent consulter le Moniteur n°118 de la présente année ; ils y trouveront la justification complète de ce que j’avance, et qui tend à prouver qu’avec la tarification au poids le droit sera de 25 à 27 p. c. sur les qualités consommées et de 7 à 10 p. c. sur les qualités fines.
C’est donc contre le système de la tarification au poids que je m’élève, sauf à examiner si les 10 p. c. présentés par le gouvernement comme un droit suffisamment protecteur, le sont réellement, ou si ce droit est réduit par de fausses déclarations quant à la valeur des marchandises.
M. Rogier. - Les observations que vient de faire le préopinant méritent, ce me semble, d’attirer l’attention de la chambre.
A l’ouverture d’une nouvelle discussion sur les modifications à introduire dans le tarif des douanes, il serait très important que la chambre se fixât, dès le premier article, sur l’un ou l’autre principe à préférer, et qui doit naturellement exercer de l’influence sur les autres articles à discuter.
Je crois donc que par forme de discussion générale il serait nécessaire que la proposition de l’honorable M. Verdussen devînt l’objet des débats. Lorsque la chambre aura décidé si le droit ad valorem sera maintenu ou si le droit au poids y sera substitué, qu’alors on fixe d’une manière certaine quel sera le taux du droit. A cet égard je dirai que d’après le document fourni ce matin par le gouvernement, document que nous devons considérer exact jusqu’à preuve contraire, les bases adoptées dans la première discussion portent tout à fait à faux. D’après les vérifications qu’a fait faire le gouvernement (et je crois à ses vérifications), le taux que la chambre prétendait atteindre serait triple dans plusieurs cas. Je demande si en présence de ce document vous pouvez vous presser d’émettre sur l’article premier un vote qui vous liera nécessairement pour le vote des autres articles.
Il y a une autre question préalable que je me permettrai de soulever, non pas tant pour ceux de nos collègues qui ont assisté à la discussion, que pour nos nouveaux collègues qui, peut-être, n’ont pas suivi avec la même attention que nous la première discussion. Quel était le but du premier projet de loi en discussion ? Quelle était l’intention du gouvernement qui l’a proposé ? Le gouvernement n’avait qu’un seul but, qu’une seule intention : de replacer dans le droit commun une puissance alliée et amie, contre laquelle il existait des mesures personnellement hostile. Qu’a fait le gouvernement ? Pressé par les réclamations de la chambre, il a ouvert des négociations avec le gouvernement français ; il a obtenu de ce gouvernement des concessions préalables, concessions auxquelles ce gouvernement semblait d’autant moins tenir qu’il existait, à son égard, dans notre tarif des dispositions directement hostiles. Le gouvernement belge obtint du gouvernement français des concessions préalables, alors que la France continuait d’être traitée en ennemie par notre tarif. Il vint alors demander aux chambres belges non des concessions particulières pour la France, mais de replacer la France dans le droit commun.
Au lieu de s’attacher à la simple demande du projet du gouvernement, voici qu’on saisit l’occasion de prendre des mesures hostiles contre des gouvernements avec lesquels des négociations n’ont pas été ouvertes, et qui n’ont pas pris contre nous des mesures auxquelles nous avons à répondre. De manière que sous prétexte de faire une loi belge, on ne fait pas la moindre difficulté de faire une loi anti-anglaise, anti-allemande ; car il résulte de ce que vient de dire l’honorable M. Dubus, qu’aujourd’hui il s’agit bien moins de nous garantir contre la France que contre la Prusse. Il ne s’agit donc plus de replacer la France dans le droit commun, mais de déplacer les hostilités, et de les faire passer de la France à la Prusse. Voilà ce que le gouvernement n’a pas demandé, à quoi il ne peut pas adhérer ; voilà surtout ce à quoi je m’opposerai.
Le droit actuel sous lequel l’industrie, que l’on dit si souffrante, vit cependant depuis bon nombre d’années, est de 10 p. c. à la valeur. On veut l’élever à 15, 20 ou 30 p. c. ; car il est impossible de vérifier quel sera le taux réel des droits s’ils sont établis au poids. Cette augmentation est-elle nécessaire ? Cela n’a pas encore été démontré.
La substitution du mode de perception au poids, à celui qui est en usage, est-elle utile, est-elle prudente ? Ici s’élève une des questions les plus importantes qui puissent nous occuper en matière de tarif de douane. Quant à moi, lorsque je vois le gouvernement, qui a pour lui l’expérience, persister à demander la perception du droit à la valeur, je crois qu’il y a de graves motifs pour se ranger à son opinion. Je me rappelle que dans une autre discussion l’honorable orateur qui défend aujourd’hui avec beaucoup de vivacité la perception au poids, défendait, avec non moins de vivacité, le droit à la valeur ; mais alors il ne s’agissait pas de bonneterie, mais des toiles. Cependant les toiles ont, en Belgique, une tout autre importance que cette industrie spéciale de la bonneterie considérée par M. Dumortier, comme très puissante, et par son honorable ami comme donnant des produits seulement pour cinq ou six millions.
M. Dubus (aîné). - Pour huit millions le tout ensemble.
M. Rogier. - Ce n’est pas là une industrie puissante comparée à celle des toiles.
Je serai donc ici, messieurs, comme dans d’autres circonstances, d’avis de maintenir le statu quo plutôt que d’établir des tarifs dangereux ; c’est-à-dire, que si l’on ne veut pas replacer la France dans le droit commun, après avoir obtenu d’elle des concession d’un certain intérêt, je serai d’avis de laisser les choses comme elles étaient avant la présentation de la loi. Si, au contraire, la chambre croyant qu’il est de la loyauté du pays, qu’il est même dans son intérêt, tout en conservant des axes d’importation, de faire cesser des mesures exceptionnelles vis-à-vis de la France, je donnerais mon adhésion à cette proposition ; mais je ne consentirai pas à ce que l’on modifie la perception, et que l’on frappe d’un droit plus élevé les produits de puissances voisines, vis-à-vis desquelles le gouvernement ne veut pas prendre une position hostile.
On a prétendu que nous faisions une loi belge, et l’on a assuré que les Anglais, les Français, les Allemands percevaient, sans exception, au poids ; si j’avais sous les yeux le tarif anglais, il me serait facile je crois, de montrer que l’assertion manque d’exactitude. Quoi qu’il en soit, je dirai que faisant une loi belge, c’est d’après les tarifs belges que nous devons nous guider, et par conséquent conserver le mode à la valeur qui est la base de notre perception. Pourquoi modifier des tarifs sous lesquels notre industrie a atteint à un degré de prospérité qui fait l’envie des autres nations ? La Belgique n’est pas, au reste, comme on veut le faire entendre, le seul pays où l’on perçoive à la valeur ; l’Amérique fait payer les droits de cette manière. De ce que les tarifs allemands, français, anglais seraient établis au poids, il ne serait pas démontré que la Belgique, qui a su prospérer sous le régime de la perception à la valeur, dût adopter un autre régime.
Si, comme on le propose, la discussion s’engage sur la base des droits, je me réserve de revenir sur l’examen de l’un et de l’autre mode de perception, et de développer mes idées en faveur de la perception à la valeur.
M. Dumortier. - Si la chambre veut examiner quelle doit être la meilleure tarification, son opinion sera bientôt faite ; car depuis quelques années, les discussions, dans cette enceinte, ont eu pour résultat de changer notre manière de percevoir les droits de douanes à la valeur, et de prendre le poids de la marchandise pour base de la tarification. C’est ainsi que le droit sur les tissus de coton qui était à la valeur, a été transformé en un droit au poids. C’est ainsi que vous avez voté le droit au poids sur l’entrée des bestiaux, quoiqu’il ne soit pas bien facile de les peser ; c’est ainsi que vous avez admis le droit au poids sur les toiles. Je pourrais citer encore bien d’autres exemples.
Mais ce n’est pas sur cet objet que je désire répondre au préopinant. Une autre pensée me touche : c’est ce qu’il a dit du principe de la loi. Il a dit que le but de la loi serait manqué si l’on adoptait les propositions de la section centrale ; que le but de cette loi était de replacer la France dans le droit commun ; que c’est nous qui avons obtenu du gouvernement français des concessions préalables, alors que la France était traitée par nous en ennemie. Je vous avoue que c’est avec beaucoup de peine et beaucoup de regret que j’ai entendu ces paroles imprudentes et inexactes.
Le but de la loi est, dites-vous, de replacer la France dans le droit commun ; mais avez-vous perdu de vue que lorsque le gouvernement précédent prit contre la France des mesures de représailles, ces mesures étaient justifiées par la prohibition dont tous nos produits venaient d’être frappés en France. S’il y avait ici un acte d’hostilité, c’était de la part du gouvernement français envers la Belgique. Et depuis lors qu’a fait la France pour faire cesser nos mesures de représailles ? A-t-elle supprimé la prohibition nominale ou équivalente dont elle avait frappé tous nos produits ? aucunement ; elle a maintenu son système et persiste à prohiber les produits de nos fabriques. Que signifie donc cette manière de faire, de venir ainsi plaider contre nous la cause de la France dans un moment où elle nous traite si cruellement.
Messieurs, j’ai toujours pensé que lorsque nous faisions des lois, l’intérêt du pays devait être notre seul guide ; que nous ne devions pas les faire pour la Prusse, pour la France, mais pour la Belgique : nous ne sommes pas les envoyés de la Prusse, de la France, nous sommes les mandataires du peuple belge, et c’est pour lui que nous devons conserver toute notre sollicitude.
Mais, dites-vous, ce serait faire un acte d’hostilité que de modifier les tarifs ainsi que nous le proposons. Messieurs, si un droit de 15 p. c. est un acte d’hostilité, dites-moi ce que sont à notre égard les tarifs de la Prusse et de la France, qui repoussent tous nos fabricats et les frappent de prohibition ou de droits prohibitifs.
Ainsi donc des puissances voisines seraient dans un état flagrant d’hostilité envers nous, et nous ne pourrions pas agir comme elles ? Mais de quel droit viendraient-elles se plaindre de ce que nous nous défendons, de ce que nous imitons leur conduite, car ce n’est qu’un acte de défense que nous proposons ?
Le gouvernement belge, ajoute-t-on, a obtenu du gouvernement français des concessions préalables, alors que la France était traitée en ennemie. Des concessions préalables ? Mais avez-vous oublié que toutes les concessions préalables sont parties de la Belgique et que depuis la révolution il n’est pas d’année que nous n’ayons modifié quelqu’un des articles de notre tarif en faveur de la France. N’est-ce pas le gouvernement provisoire, dont le préopinant a eu l’honneur de faire partie, qui, immédiatement après la révolution, a modifié le tarif des douanes en ce qui concerne l’assimilation des bateaux charbonniers français aux bateaux belges ? Plus tard n’avons-nous pas successivement adopté la suppression des droits de sortie sur nos houilles qui nous rapportait annuellement plus d’un demi-million, puis la réduction de 15 fr. à 5 fr. 50 c. sur l’entrée des houilles françaises, la levée de la prohibition des vins et eaux-de-vie français par terre, la suppression du transit des sucres si vivement sollicitée par la France, le transit des grains en faveur du département du Nord, etc. ?
L’initiative des concessions n’a donc pas été prise par la France, mais bien par le gouvernement provisoire et par la chambre où nous siégeons ; il est donc inexact et fâcheux que l’on vienne représenter le gouvernement belge comme s’étant conduit en ennemi envers la France, tandis que c’est le gouvernement belge qui a fait le premier pas dans la voie de concession.
On prétend que la loi proposée par le gouvernement est tout entière dans l’intérêt de la Belgique, et que nous avons tort de l’appeler une loi française ; mais rappelez-vous les paroles prononcées à la tribune française par un ministre, et vous verrez si nous avons tort de la qualifier ainsi. Que disait M. Passy dans la dernière session de la chambre des députés de France ? Il disait en proposant des améliorations au tarif des douanes :
« Il y a une loi présentée en Belgique en ce moment, et qui contient des concessions en faveur de la France beaucoup plus grandes que celles que nous avons demandées, nous, à la législation française, au profit de la Belgique. » Voilà ce que disait le ministre du commerce de France dans la séance de la chambre des députés du 22 avril 1836. D’après cet aveu, c’est donc une loi française que l’on veut faire et non une loi belge, et nous avons eu raison de le dire.
Mais si telle était la loi qui nous était proposée en présence de celle présentée aux chambres françaises, que dire de cette loi, aujourd’hui que ces chambres ont rejeté les principales mesures proposées en notre faveur ? Le ministère français avait demandé quelques concessions en faveur de notre industrie, qu’a-t-il obtenu ?
Il avait demandé une réduction sur le droit dont est frappé le commerce des toiles, la première de nos industries ; ce qui a été fait relativement aux toiles, est insignifiant de l’avis des commerçants français eux-mêmes, et nos fabricants assurent aussi que rien n’est réellement changé à leur position.
Il avait demandé une modification pour l’entrée de nos bestiaux dont la vente est la richesse du Luxembourg, et elle a été rejetée. Il est donc manifeste que toute hostilité de ce genre a été commise par le gouvernement français, et que nous n’avons pas à examiner ici l’intérêt de la France. Représentants de la Belgique, faisons des lois belges, et ne sacrifions pas les intérêts de notre pays aux exigences de l’étranger ; ne commettons pas la faute de sacrifier le travail de nos populations au désir d’être agréables à des voisins qui repoussent tous nos produits ; par là nous ferons voir à la Belgique que ce sont ses intérêts que nous défendons ici et non ceux de l’étranger. (Bien ! très bien !)
M. Desmaisières. – On a dit dans cette enceinte que les traités de commerce étaient passés de mode ; qu’entre les Etats constitutionnels il n’y avait d’autre traités de commerce que des lois de douane. Les paroles que vient de prononcer un honorable préopinant, paroles qui ont d’autant plus de poids, qu’elles ont été prononcées par un ancien membre du cabinet, et ce qui a été dit me portent à croire que la loi soumise pour la seconde fois à notre examen est un de ces traités de commerce que l’on regarde comme seuls possibles entre les Etats constitutionnels ; dans cette pensée, j’ai préparé quelques questions que j’adresse aux ministres avant d’engager toute discussion sur la loi qui nous occupe. Je vous demanderai la permission de les lire avant de les remettre aux ministres, afin qu’ils y répondent s’ils le jugent nécessaire.
Première question. Quels sont les divers articles du tarif français, qu’ont eu en vue de faire modifier les mesures de représailles prises par l’arrêté du 20 août 1825, converti en loi le 8 janvier 1824 ?
Deuxième question. Quelles étaient les modifications demandées au tarif français dans l’intérêt commun de la Belgique et de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Hollande ? Quelles étaient celles demandées seulement ou plus particulièrement dans l’intérêt de la Belgique ? Quelles sont celles que, relativement à notre position politique, industrielle et commerciale actuelle, il nous importe le plus d’obtenir ?
Troisième question. Quelles sont les diverses concessions en faveur de la France et les diverses suppressions de mesures de représailles que le congrès national et la législature ont décrétées depuis la séparation de la Belgique et de la Hollande ?
Quatrième question. Quels sont les avantages qui résultent pour la Belgique des modifications apportées au tarif des douanes de France par les lois des 2 et 5 juillet 1836 ? Quels sont ceux qui seraient résultés des projets de loi, si la législature ne les avait pas modifiés ?
Cinquième question. Les lois françaises des 2 et 5 juillet 1836 ou les projets ministériels de ces lois, et le projet de loi soumis en ce moment à notre examen, sont-ils le résultat de négociations établies entre les gouvernements des deux pays ? Y a-t-il eu des engagements pris de part et d’autre, et de quelle nature sont-ils, s’il y en a eu ?
Sixième question. Est-il à la connaissance du ministère que des commissaires français, les uns à mission ouverte, les autres à mission secrète, sont venus, préalablement à la présentation des projets de loi des 2 et 5 juillet, recueillir des renseignements nombreux en Belgique ? Est-il à sa connaissance que depuis le premier vote émis par nous sur le projet actuel en discussion, il est venu en Belgique des agents français chargés de l’une ou de l’autre de ces mêmes missions de la part de leur gouvernement ?
Septième question. Le gouvernement belge a-t-il envoyé, et à quelles époques, des agents chargés de semblables missions en France ? Dans ce cas, quels sont les renseignements qu’ils ont réussi à recueillir ?
Je désire que MM. les ministres répondent franchement et catégoriquement à ces questions, et qu’ils le fassent de manière que leurs réponses ne soient pas dénaturées par les journaux qui passent pour être les organes du ministère français, comme l’ont été toutes les opinions émises dans cette enceinte lors de la première discussion du projet qui nous occupe.
M. Smits. - Je ne sais pas si la chambre veut s’occuper des questions posées par l’honorable M. Desmaisières, mais si j’ai bien compris, il me paraît que la plupart de ces questions ont été résolues dans la discussion générale, moi-même, messieurs, je suis entré à cet égard dans les plus grands détails ; j’ai fait connaître quelles étaient les exceptions dont la France avait été frappée, quelles étaient celles qu’a retirées le congrès national ; de son côté le gouvernement a fait publier et distribuer à chacun de nous le tableau de toutes les modifications que les lois françaises de juillet 1832 ont introduites dans le tarif français, c’est-à-dire, le tableau des concessions que la France nous a faites, pour obtenir le retrait des mesures exceptionnelles dont nous l’avons frappée. Toutes ces questions ont donc été résolues, et je ne pense pas que la chambre puisse encore s’en occuper sérieusement aujourd’hui.
M. Gendebien. - Je ne pense pas, messieurs, qu’il faut admettre l’espèce de fin de non-recevoir que semble proposer M. Smits ; les questions de l’honorable M. Desmaisières paraîtront demain dans le Moniteur, et je ne crois pas que nous puissions terminer cette discussion aujourd’hui ; il faut donc attendre jusqu’à demain pour proposer la question préalable, qui du reste, n’est jamais de mon goût, mais, dans tous les cas, ce qu’il y a de plus prudent à faire pour la chambre comme pour le ministère, c’est d’examiner mûrement les questions que vient de poser l’honorable M. Desmaisières.
M. Smits. - Je ne m’y oppose nullement.
Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. le président annonce que M. Verhaegen. déposé une proposition et qu’elle est renvoyée aux sections, afin qu’elles voient si elles croient devoir en autoriser la lecture.
- La séance est levée à 4 heures.